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LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE Le rôle du Procureur de la République repose sur la confiscation de la vengeance privée au profit de la puissance publique. Il est, tout d’abord, le garant des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société. C'est vers le XIVème siècle que la fonction de Procureur se dégage au sein de la profession d'Avocat. Son appellation et son rôle sont inspirés de la procédure développée au sein des juridictions de l'Inquisition. Jusqu'au XIXème siècle, les procureurs sont dans une culture de soumission au pouvoir politique. Puis, ils s'émancipent lentement au sortir de l'après 2 ème guerre mondiale. Aujourd’hui, le procureur de la République fait partie du corps de magistrats que l’on appelle magistrats « debout », c’est le ministère public. Les membres du MP sont indivisibles c’est-à-dire qu’ils peuvent indifféremment se remplacer les uns les autres lorsqu’il y a une absence, il forme un tout. Donc, le Procureur de la République représente le Ministère Public dans le ressort du TGI et peut parfois intervenir devant les juridictions civiles, des mineurs, ou encore commerciales. Mais c'est en matière pénale qu’il a le rôle le plus important puisque c'est lui qui exerce l'action publique à des fins de protection de l'intérêt général. Il représente la société qu'il est censé protéger. Le procureur de la République est également un agent d'exécution des décisions judiciaires et veille à l'exécution des décisions pénales notamment les peines privatives de libertés. Le MP près la juridiction qui a délivré le titre exécutoire est compétent pour émettre un mandat d'arrêt européen et diffuser le signalement de la personne dans le système Schengen. En matière de délinquance juvénile, il fait exécuter les mesures de sûreté ou d'éducation. Il contrôle donc l'efficacité de la répression. La chaîne pénale, c’est-à-dire toutes les opérations qui vont de la 1

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Exposé : LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

LE PROCUREUR DE LA REPUBLIQUE

Le rôle du Procureur de la République repose sur la confiscation de la vengeance privée au profit de la puissance publique. Il est, tout d’abord, le garant des libertés individuelles et des intérêts généraux de la société. C'est vers le XIVème siècle que la fonction de Procureur se dégage au sein de la profession d'Avocat. Son appellation et son rôle sont inspirés de la procédure développée au sein des juridictions de l'Inquisition. Jusqu'au XIXème siècle, les procureurs sont dans une culture de soumission au pouvoir politique. Puis, ils s'émancipent lentement au sortir de l'après 2ème guerre mondiale. Aujourd’hui, le procureur de la République fait partie du corps de magistrats que l’on appelle magistrats « debout », c’est le ministère public. Les membres du MP sont indivisibles c’est-à-dire qu’ils peuvent indifféremment se remplacer les uns les autres lorsqu’il y a une absence, il forme un tout. Donc, le Procureur de la République représente le Ministère Public dans le ressort du TGI et peut parfois intervenir devant les juridictions civiles, des mineurs, ou encore commerciales. Mais c'est en matière pénale qu’il a le rôle le plus important puisque c'est lui qui exerce l'action publique à des fins de protection de l'intérêt général. Il représente la société qu'il est censé protéger. Le procureur de la République est également un agent d'exécution des décisions judiciaires et veille à l'exécution des décisions pénales notamment les peines privatives de libertés. Le MP près la juridiction qui a délivré le titre exécutoire est compétent pour émettre un mandat d'arrêt européen et diffuser le signalement de la personne dans le système Schengen. En matière de délinquance juvénile, il fait exécuter les mesures de sûreté ou d'éducation. Il contrôle donc l'efficacité de la répression.

La chaîne pénale, c’est-à-dire toutes les opérations qui vont de la constatation de l'infraction au dépôt de la plainte jusqu'à la sanction et son exécution, sont globalement sous le contrôle du parquet. Depuis la loi du 15 juin 2000 et surtout la loi Perben Il, la procédure pénale s’est beaucoup modifiée, ce qui a entraîné des évolutions considérables sur le rôle du procureur. Cela était déjà en germe avec, par exemple, les propositions de la commission Delmas Marty ou Truche. Comme le souligne le sénateur Fauchon, « le pouvoir du parquet est considérable », « les procureurs assurent non seulement la poursuite, ce qui est leur raison d'être et justifie sans doute une organisation hiérarchisée, mais aussi la charge de rendre en fait la justice dans la majorité des cas ». Les repères professionnels des magistrats se sont donc modifiés. Mais, il ne faut pas oublier que cette fonction recouvre des réalités différentes. Le fonctionnement d'un petit parquet peut être totalement différent d'un grand parquet, les situations locales sont très contrastées. Par exemple, le poste de procureur de la République de Paris est très convoité.

Les évolutions législatives récentes ont eu un impact considérable sur les pouvoirs du procureur de la République ce qui nous amène à nous demander quelle est sa place aujourd'hui dans le dispositif pénal. Peut-on parler effectivement parler d' « une nouvelle action publique » à l'heure actuelle ? On peut donc étudier les bouleversements majeurs qui ont affecté le métier de procureur de la République au travers de ses relations hiérarchiques et ainsi observer, en premier lieu, que le procureur de la République voit ses pouvoirs encadrés puisqu’en effet, celui-ci est avant tout un agent du pouvoir exécutif (I). Mais ces bouleversements peuvent aussi être étudiés, au travers des relations avec ses partenaires et des réseaux judiciaires qui se sont créés car en effet, les pouvoirs du procureur de la République ont été renforcés ce qui fait de lui un acteur central de la procédure pénale (II).

I. Des pouvoirs encadrés : le procureur de la République, un agent du pouvoir exécutif

Malgré la subordination hiérarchique du procureur de la république à la Chancellerie (A), il a un rôle prépondérant dans l’application de la politique pénale (B).

A. La subordination hiérarchique du procureur de la république à la Chancellerie

1) La dépendance statutaire du procureur à la Chancellerie

Contrairement aux magistrats du siège, les procureurs de la République sont organisés de manière hiérarchisée. La loi Perben 2 réaffirme d’ailleurs cette pyramide car c’est la première fois, qu’on dit clairement dans le C.P.P que le garde des sceaux est à la tête du parquet.

Ainsi, le garde des sceaux est à la tête du parquet. Selon le nouvel article 30 du Code de Procédure Pénale (C.P.P),  « le ministre de la justice conduit la politique d'action publique déterminée par le Gouvernement. Il veille à la cohérence de son application sur le territoire de la République. A cette fin, il adresse aux magistrats du ministère public des instructions générales d'action publique. Il peut dénoncer au procureur général les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et lui enjoindre, par instructions écrites et versées au dossier de la procédure, d'engager ou de faire engager des poursuites ou de saisir la juridiction compétente de telles réquisitions écrites que le ministre juge ». Le garde des sceaux détient donc l’autorité mais il ne possède pas l’exercice direct de l’action publique. Il a le droit d’ordonner d’engager des poursuites et d’ordonner des réquisitions conforme à sa volonté mais il a l’obligation de passer par l’intermédiaire du procureur général. Ces instructions ne peuvent par contre pas enjoindre de ne pas poursuivre.

Quant aux procureurs généraux, au regard de l’article 35 du C.P.P, « le procureur général veille à l'application de la loi pénale dans toute l'étendue du ressort de la cour d'appel et au bon fonctionnement des parquets de son ressort. Selon l’article 37 C.P.P « le procureur général a autorité sur tous les officiers du ministère public du ressort de la cour d'appel ». Ainsi, le procureur général près la cour d'appel, auquel le garde des sceaux adresse des ordres, a lui-même sous sa direction non seulement les membres du parquet général mais aussi les procureurs de la république du ressort. Il anime et coordonne les actions des procureurs de la République qui lui adressent tous les mois un état des affaires de son ressort. Aujourd’hui le procureur écrit au procureur général de la même façon que le procureur général écrit au garde des sceaux « je ne manquerai pas ne vous tenir informé de l’avancement de cette procédure ». Il peut leur enjoindre d’engager des poursuites ou de saisir une juridiction comme le rappelle l’article 36 du C.P.P.

Quant au procureur de la République, celui-ci est mis en mesure de faire exécuter les instructions reçues grâce à l'autorité qu'il exerce sur ses adjoints et ses substituts. Placés sous ses ordres, les membres du parquet de grande instance n'agissent qu'en vertu de ses délégations exprès ou tacites. Le procureur de la république peut donner des instructions aux substituts pour agir, ne pas agir, ou agir dans un sens déterminé. Si ceux-ci refusent, il peut s’y substituer. Comme le rappelle l’article 44 du C.P.P, le procureur de la république a « autorité sur les officiers du ministère public près les tribunaux de police de son ressort. Il peut donc leur dénoncer les contraventions dont il est informé et leur enjoindre d'exercer des poursuites». La volonté du procureur de la République est la règle. Par contre, quand le procureur garde le silence, le substitut a toute latitude.

Les procureurs sont nommés après avis simple du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) par un décret du président de la république. Les procureurs généraux sont nommés en conseil des ministres sans intervention du CSM. Les avancements et sanctions disciplinaires appartiennent aussi à l'exécutif. Le Conseil supérieur de la magistrature, présidé par le chef de l'Etat et vice-présidé par le garde des Sceaux, a deux missions: donner son feu vert pour la nomination des magistrats et exercer un pouvoir disciplinaire. C’est la Direction des affaires criminelles et des grâces qui élabore les projets de réforme, en matière de droit et de procédure pénale, et qui, sous l'autorité du garde des Sceaux, définit, anime, coordonne l'action publique. C'est aussi cette direction qui renseigne le ministre sur l'avancée des dossiers. Dernièrement, le garde des Sceaux a nommé quatre magistrats du Parquet malgré l'avis défavorable du CSM car selon lui, «l'avis du CSM concernant les magistrats du parquet n'est que consultatif. Le gouvernement doit assumer ses responsabilités en matière de nominations des procureurs». Elisabeth Guigou et Marylise Lebranchu avaient au contraire toujours suivi les avis du CSM pour ne pas être accusées d'imposer des nominations politiques.

La progression de la carrière judiciaire des procureurs de la République est incroyablement complexe et est soumise à l’avis de la Chancellerie. Elle se fait à travers trois grades. Le premier, appelé «second grade», regroupe les débutants dans la profession (28%). Le deuxième, nommé «premier grade» (62%), ouvre la porte vers des postes de responsabilité. Mais seul le «hors hiérarchie» (10% du corps) permet d'accéder aux postes les plus prestigieux. Pour obtenir leur promotion, les magistrats s'inscrivent à un «tableau» qui recense, chaque année, tous les procureurs ou substituts techniquement susceptibles d'être promus. Interviennent ensuite les services de la chancellerie, qui font un choix et proposent les candidats au Conseil supérieur de la magistrature qui donne son avis sur les propositions du ministère. Au terme de ce marathon, c'est finalement le président de la République qui, par décret, nomme le magistrat dans son nouveau poste ou dans sa nouvelle fonction.

Par conséquent, dans le corps judiciaire, le procureur de la république a un lien quelque peu étroit avec le pouvoir exécutif qui peut lui adresser des instructions, des directives. Or une question fondamentale se pose au regard du droit européen de la Convention Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).

2) Le procureur de la République, un magistrat au sens européen du terme ?

Ainsi, il convient de se demander si le procureur de la république peut être véritablement considéré comme un magistrat. La CEDH a soulevé le problème. Dans un arrêt du 3 juin 2003, elle a pris en compte les apparences objectives et a affirmé que si le magistrat peut intervenir dans la procédure pénale en qualité de partie poursuivante, son indépendance et son impartialité peuvent être sujettes à caution. Déjà le 22 mai 1998, la CEDH avait considéré que les procureurs de la république roumains ne pouvaient pas être considérés comme de vrais magistrats au regard de l’article 6 paragraphe 1. Il est donc impossible de revendiquer le statut de magistrats si l’on n’a pas les garanties d’indépendance et d’impartialité attachées à cette qualité. En effet, au sens européen, la qualité de magistrats recouvre à la fois un aspect organique et fonctionnel : l’indépendance, l’impartialité, l’absence de subordination au pouvoir exécutif sont nécessaires pour garantir leur liberté de décision. Pour pouvoir exercer des fonctions judiciaires, un magistrat doit remplir certaines conditions représentant des garanties contre l’arbitraire dont fait partie la condition d’indépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Or en France, les procureurs de la république ne bénéficient pas de ces garanties. En effet, les articles 30, 35 et 36 du CPP nouvellement modifiés par la loi Perben 2 réaffirment le caractère hiérarchisé du parquet et sa subordination au garde des sceaux par le biais des instructions. Pourtant, les débats et surtout les décisions de la CEDH devraient guider notre législation nationale qui doit en tenir compte c’est pourquoi, la dépendance hiérarchique du procureur de la République a été remise en cause.

3) La dépendance du procureur de la République remise en cause

En effet, les procureurs de la république ont un statut quelque peu hybride, le parquet a une organisation centralisée et hiérarchisée sous l’autorité du ministre de la justice et pourtant, il est composé de magistrats et non pas de fonctionnaires. Le statut de procureur de la République peut paraître un peu paradoxal puisqu’il est à la fois représentant de l’exécutif et serviteur de la loi. Ils ont un statut différent de celui des juges du siège : ils sont amovibles et récusables. Pourtant, une question peut se poser : que fait un procureur de la république qui reçoit une directive du garde des sceaux qui ne coïncide pas avec son interprétation juridique et sa conscience de magistrats ? Sa position paraît difficile. Pour certains, le procureur doit se soumettre tout en conservant sa liberté de parole à l’audience. On dit d’ailleurs que « la plume est serve mais la parole est libre ».

Michèle-Laure Rassat avait proposé une solution permettant l’alignement du statut des magistrats du MP sur celui du siège. Celle-ci estimait qu’ « on ne pouvait pas « servir deux maîtres à la fois ». De même, JF Burgelin défend depuis longtemps le rattachement du parquet à un procureur général de la Nation. Donc ce statut a quand même entraîné certaines réflexions et notamment, à la suite d’affaires politico financières dans les années 1990. On a alors voulu couper le cordon ombilical entre le garde des sceaux et le parquet. En effet, le financement des partis politiques est à l'origine de nombreuses affaires fortement médiatisées comme l’affaire Urba, Tapie, Carignon, Tiberi, Dumas, ont accrédité l'idée que la corruption politique, non seulement touche fortement les sommets de l'État, mais se généralise également à la base même du système. Du fait du fonctionnement traditionnel de l'institution judiciaire comme la forte centralisation, les habitudes hiérarchiques, voire de conformisme et même de soumission, le mode de gestion des carrières, les hommes politiques sont longtemps parvenus à limiter le droit de regard et d'intervention de celle-ci sur leurs pratiques qui ont pu se développer en marge de la légalité. Or, ces affaires au goût de scandale ont entraîné une réflexion sur la nécessité d’une indépendance totale des procureurs de la république au pouvoir exécutif. Un projet vit le jour, le projet Guigou mais celui-ci est tombé en désuétude.

Finalement, à l’heure actuelle, suite à la loi Perben 2, le ministre de la justice peut toujours adresser des instructions aux magistrats du parquet donc aux procureurs de la république mais ces instructions ne peuvent, par contre, pas enjoindre de ne pas poursuivre.

Il convient donc de se demander si la politique pénale est une politique publique comme les autres. Dans ce cas, elle paraît difficilement compatible avec le principe d’indépendance puisque comme l’affirme l’article 20 de la Constitution, « le gouvernement détermine la politique de la Nation ». Il est vrai que selon Christine Lazerges, une coupure totale entre la politique criminelle et le pouvoir exécutif ne serait pas compatible avec la responsabilité politique qui s’attache à la conduite des politiques publiques dont fait partie la politique pénale. En effet, si le parquet se trouve être indépendant, comment est-il possible alors de mettre en œuvre une politique pénale cohérente ? Il y aurait ainsi un risque de voir chaque procureur général décider de la propre politique pénale à suivre dans son ressort et ce grâce à son pouvoir de coordination et d’animation. Par conséquent, la cohérence et l’uniformité sur le territoire de la politique pénale passent par cette dépendance des procureurs à la Chancellerie. Il convient dès lors d’observer que le procureur de la République joue un rôle prépondérant dans la politique pénale.

B Le rôle prépondérant du procureur de la république dans la politique pénale

La politique pénale de la chancellerie (1) est adaptée par le procureur de la république, et son réseau de partenaires, à la situation locale (2). Mais, ce dernier rencontre des difficultés humaines juridiques et matérielles dans sa mise en œuvre (3).

1) L'application de la politique pénale par le procureur de la république

Une politique pénale est nécessaire parce que les parquets ne peuvent pas traiter toute la délinquance, il faut donc que la chancellerie fasse des choix pour que le traitement pénal des procureurs soit homogène et cohérent. La  politique pénale est donc un "programme" déterminé par Chancellerie qui guide les procureurs de la république. Les procureurs généraux sont, eux, les relais de la politique nationale auprès des procureurs de la république. Ils jouent un rôle de direction. La chancellerie veut mieux contrôler les procureurs, c'est pourquoi elle leur envoie, de plus en plus, de directives qui leur donnent des priorités d’action. Cependant, la chancellerie n’a pas le monopole dans la définition des politiques pénales, puisque les procureurs peuvent créer des instruments de gestion des flux adaptés au niveau local. Parfois, ces expériences sont même intégrées dans la législation (par exemple, le traitement en temps réel).

Mais la politique pénale se territorialise avec le développement des politiques de sécurité. Les procureurs de la république mettent en place des dispositifs « territorialisées de concertation ».

2) Les politiques pénales locales : le procureur de la république au cœur d’un réseau.

Les politiques menées par les parquets doivent être cohérentes au plan national, et, de surcroît, la politique de chaque parquet doit être adaptée à la situation locale. On peut donc voir le rapport de pouvoir qui se joue ici entre, d'une part, le pouvoir central qui représente la justice tutélaire de la chancellerie, et d'autre part, le pouvoir local qui représente la justice de proximité.

Les procureurs doivent adapter les objectifs de la chancellerie à leurs moyens et leurs moyens aux priorités de la Chancellerie. De plus, ces priorités changent: en ce moment l’accent est mis par exemple sur la sécurité routière ou la délinquance des mineurs. Par conséquent, chaque procureur redéfinit ses propres priorités en matière pénale avec un réseau de partenaires (les collectivités territoriales, les associations, les maires...). Les procureurs ne sont donc pas enfermés dans des relations hiérarchiques pyramidales.

Différentes instances, créées en 2002, permettent ce travail en réseau. Il y a la conférence départementale de sécurité, le conseil départemental de prévention. Et, le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance. C’est une instance communale qui est un lieu de concertation et de coordination entre le préfet, le procureur et le maire. Dans ce cadre, chaque ville élabore son contrat local de sécurité avec ses propres objectifs.

L’exemple de la prostitution illustre bien comment la politique pénale locale peut être différente selon le rôle joué par le procureur de la république dans sa ville. A Nantes, la lutte contre la prostitution de rue s’est faite grâce à la collaboration du procureur et du maire. Le procureur a renforcé les interventions de la police et choisit la brigade des mœurs, et non la BAC, pour régler cette délinquance. Le procureur a mené une politique préventive. En effet, à la première interpellation, il y avait un simple rappel à la loi, à la deuxième, la prostituée avait une amende avec sursis. Cette amende était ferme à la troisième interpellation. La prison était encourue avec sursis qu’à la 4ème interpellation. Tandis qu'à Toulouse, c’est la Préfecture et la Police qui ont principalement collaboré. Le parquet n’a joué qu’un rôle mineur, il n’a pas véritablement dirigé l’action policière. La politique était beaucoup plus répressive puisque les prostituées interpellées étaient poursuivies immédiatement sur le fondement de l'article 225-10-1 du CP qui réprime le racolage actif et passif.

Le procureur a maintenant un rôle extra juridictionnel important, c’est un acteur de la vie publique. Mais, il rencontre des difficultés dans la mise en oeuvre de la politique pénale puisqu'il est limité sur le plan humain, juridique et matériel.

3) Les difficultés du procureur de la république dans la mise en œuvre des politiques pénales

Le partenariat exige de créer des liens, mais il faut garder des relations neutres et éviter d’aborder des dossiers en particuliers. Or, depuis la loi Perben II, les procureurs peuvent, sous certaines conditions, communiquer aux maires des éléments d’informations sur une affaire, mêmes ceux soumis au secret de l’enquête ou de l’instruction. Par conséquent, la solution la plus raisonnable serait peut être de changer, après quelques années, de lieu d’affection.

Quant à l’influence de la politique pénale nationale, elle doit être relativisée car les procureurs sont un peu noyés sous un flot de priorités successives qui rend floue la politique d'ensemble.

Le procureur doit aussi gérer le manque de locaux, de greffier et de substitut. Ce manque de moyens en personnel et en matériel ne permet pas aux procureurs de répondre à toutes les injonctions de la chancellerie. Donc, plus qu’une politique cohérente et suivie, la politique du procureur correspond plus à une suite d’actions ponctuelles. Elle est très pragmatique.

Les procureurs doivent gérer des flux de dossiers toujours plus importants et les exigences de la chancellerie ne cessent d'augmenter. En conséquence, les pouvoirs du procureur ont du être renforcés.

II Des pouvoirs récemment renforcés : le procureur de la république, acteur central de la procédure pénale.

Le procureur de la république est devenu l'acteur central de la diversification et de l'accélération de la réponse pénale (A), ce qui conduit à la création d'une nouvelle action publique (B).

A Le procureur de la république, acteur de l'accélération et de la diversification de la réponse pénale

Les modifications intervenues dans relations entre la police et le parquet avec notamment le traitement en temps réel (1), ont permis aux procureurs de la république de favoriser des modes de traitements pénaux accélérés (2). Ainsi, les procédures alternatives aux poursuites sont de plus en plus utilisées par ces derniers (3).

1) Les relations optimisées entre le procureur et la police pour une rationalisation de la réponse pénale

Le procureur, en tant que garant des libertés fondamentales, dirige et contrôle la PJ dans le ressort de son tribunal (Art 12 CPP). Il a toutes les prérogatives attachées à la qualité d’un OPJ sans en être un. Les enquêteurs lui rendent compte de l’avancement de leurs enquêtes. Il peut donc réorienter l’activité des policiers, ou leur demander des investigations complémentaires (Art 75 à 78 CPP).

Le procureur de la république reçoit les plaintes et les dénonciations, mais pour l’essentiel l’information lui est transmise par les procès verbaux. Donc le parquet est dépendant de la police puisque c’est elle qui l’informe de la majorité des infractions. Par conséquent, la relation police/parquet est déterminante. Le procureur de la république dirige réellement la Police que s’il est informé sans délai de la commission d’une infraction. L’information du procureur est donc une condition primordiale du pouvoir de direction du procureur sur la Police. Il y a donc tout un maillage de textes pour qu’aucune information n’échappe au procureur. Par exemple, il est averti immédiatement en cas de crime flagrant, il est aussi informé dès la 1° heure du placement en garde à vue, il est également informé dès qu’un suspect est identifié. (Mais selon une décision de la cour de cassation du 1° décembre 2004, les actes d’enquête restent valides même si le procureur n'en a pas été immédiatement informé.)

La majorité des informations passe par le service en temps direct du parquet. Les substituts de permanence au STD répondent aux appels téléphoniques des services de police, et ils jugent de la suite à donner à l’affaire. Le traitement en temps direct est une procédure qui a été expérimentées par les procureurs de Bobigny et Pontoise, puis généralisée il y a une dizaine d’année. Cela a permit de rationaliser et d’accélérer le traitement pénal. Si on prend l’exemple du parquet de Nantes: il est divisé en 4 services: le service de traitement en temps direct, le parquet des mineurs qui fonctionne lui aussi en temps réel, le parquet économique et financier et le service des stupéfiants. Pour que ce système fonctionne, le procureur de la république et la police se mettent d’accord en amont sur les types d’infractions qui doivent donner lieu à la communication par le TTR. Les procureurs font des barèmes qui indiquent aux substituts la suite à donner aux affaires dans toute une gamme de situations.

Sur 100 affaires, un tiers est portée à la connaissance du STD qui décidera de la procédure à suivre, 10 sont communiquées au STD simplement pour informations ou conseils, et le reste suit la voie classique du courrier. Pour les affaires simples, cette procédure permet de gagner en rapidité et en simplicité. Pour les affaires graves ou complexes, cela permet au parquet de mieux contrôler le déroulement des procédures. Le TTR a donc permit une meilleure collaboration entre la police et le parquet. L’autorité du magistrat est plus présente puisque l’enquêteur est obligé de rendre compte de vive voix. Les procureurs ont donc une plus grande maîtrise de la phase d’approvisionnement judiciaire, ils sont des véritables juges de la poursuite.

Mais le procureur de la république, c’est aussi le juge de l’enquête puisqu'il procède ou fait procéder à tous les actes nécessaires à la recherche et à la poursuite des infractions (41 CPP). Il peut ordonner à la police d’ouvrir une enquête préliminaire qui est alors menée par les OPJ sous le contrôle du procureur de la République (Art 75 CPP). Le procureur peut aussi ordonner une enquête de flagrance (art 53 et s. CPP). L’enquête est aussi menée sous son contrôle, mais il a, dans ce cas, des pouvoirs plus cœrcitifs. Mais en pratique, il délègue ses pouvoirs à un OPJ. Le procureur peut aussi ouvrir un réquisitoire supplétif quand il découvre d’autres faits. Il a donc un vrai pouvoir de direction et de contrôle dans le déroulement des enquêtes. Mais avec le nouvel alinéa 3 de l’article 41 CPP, le procureur n'est plus le seul à diriger la police judiciaire. Parce que selon cet article, pour les enquêtes longues ou complexes, le procureur et le chef de service de la police doivent définir ensemble les moyens à utiliser pour faire les investigations nécessaires. Donc la direction de la police judiciaire contrôle aussi l’utilisation des moyens.

Quant à la garde à vue, le procureur contrôle le placement en garde à vue (art 41 al 3 CPP). Il vérifie les locaux au moins une fois par an. Il vérifie également la qualification juridique donnée aux faits par les enquêteurs. Pour prolonger la garde à vue, il faut l’autorisation écrite du procureur. Enfin, il n’y a que sur ses instructions que la personne sera remise en liberté ou déférée devant lui, puisque le Procureur a le pouvoir d'engager l'action publique.

2) Le procureur de la république, organe des poursuites, favorisant les modes de traitement pénaux accélérés.

Il met en mouvement l’action publique en saisissant la juridiction d’instruction ou de jugement. La victime peut déclencher l’action publique en se constituant partie civile mais elle n’a pas le pouvoir de l’exercer. C’est donc un pouvoir propre du procureur (Art 40 et 41 CPP). Mais il peut le déléguer à ses substituts. Donc le procureur général et le garde des sceaux ne peuvent pas directement saisir une juridiction ou éviter qu’elle le soit. Ils ne peuvent pas, non plus, donner des instructions directement aux substituts. La subordination hiérarchique est donc limitée ici. Le procureur de la République a une entière liberté. Cependant, il faut un procureur plutôt courageux pour aller contre l’avis de sa hiérarchie. A l’inverse, si le substitut fait un acte de procédure contraire à l’ordre du procureur, il n’est pas vicié puisque le ministère public est indivisible. Mais il s’expose à des sanctions disciplinaires. Quand la décision de poursuivre est prise, le procureur ne peut plus renoncer, l’action publique ne lui appartient plus. Mais si la poursuite se solde par une relaxe ou un non lieu sa responsabilité n'est pas engagée.

Le procureur de la République oriente le dossier, il a le choix du traitement pénal. Donc, le procureur regarde d’abord si les conditions légales de l'infraction sont réunies. Ensuite, il évalue l'opportunité de l'enclenchement de l'action publique. L’art 40-1 CPP précise comment il doit choisir. Il peut soit ne pas poursuivre, soit poursuivre, soit recourir à une procédure alternative si la commission des faits le justifie. Donc, le législateur incite le procureur à proposer une réponse pénale systématique, même faible, si l'infraction est constituée et l'auteur identifié. On peut voir là un glissement du principe d’opportunité des poursuites vers un principe de légalité.

Si on prend l'exemple d'un procureur qui reçoit dans une année 16000 procès verbaux dont 8000 pour lesquels les auteurs sont identifiés mais que le Tribunal correctionnel ne peut juger que 1500 affaires et 500 pour le tribunal de police. On réalise qu'il est impossible de tout traiter par la voie classique. Le procureur doit sélectionner la voie pénale la plus adaptée en fonction de sa politique pénale, de la charge des audiences, et du passé pénal de la personne qu'il connaît grâce aux fichiers de police et au bureau d’ordre pénal.

Le procureur peut, tout d'abord, choisir le classement sans suite. Ce n'est pas une décision définitive, elle peut être révoquée à tout moment tant que la prescription n’est pas acquise. Le procureur classe majoritairement pour des raisons légales. Par exemple, l'auteur n’est pas identifié, ou l'action publique est prescrite. Il classe aussi si l’auteur a exécuté les conditions pour le classement. S'il a, par exemple, régularisé sa situation administrative. C’est la procédure du classement sous condition. Il peut aussi classer pour une question d’opportunité, si le préjudice est faible, ou si le reclassement de la personne est assuré.

Le procureur de la République qui classe sans suite doit en informer le plaignant. Ce plaignant peut alors, depuis la loi Perben II, faire un recours hiérarchique devant le procureur général. Il pourra alors, sous certaines conditions (Art 36 CPP), obliger le procureur de la République à engager des poursuites (Art. 40-2 et -3 CPP). Ce recours montre bien la volonté du législateur de redonner aux procureurs généraux une autorité sur les procureurs de la République. C’est aussi un droit supplémentaire accordé à la défense. Et on peut se demander, au vu de la place de plus en plus grande accordée aux victimes et aux associations de victime, si on ne va pas vers une privatisation de l’action publique.

Si le procureur décide de poursuivre, il a le choix entre plusieurs options. Il peut choisir la procédure d’avertissement, ou la citation directe. Il choisit souvent l'ordonnance pénale pour les contraventions de 5° classe et les délits, notamment routiers. Dans ce cas, le procureur adresse le dossier au juge qui statue sans débat préalable. Le procureur de la république optera fréquemment pour la comparution immédiate s'il estime nécessaire une détention provisoire. Il invite la personne à comparaître devant le tribunal sous un bref délai. Mais l'audience peut se tenir le jour même si la personne consent en présence de son avocat. C’est une procédure qui est appelée le "TGV de la justice" puisqu’elle permet de gérer très rapidement les affaires pénales, d’autant plus que la loi Perben I a fait disparaître les seuils maxima pour lesquels on pouvait recourir à cette procédure. La convocation par OPJ est surtout utilisée quand il estime nécessaire un placement sous contrôle judiciaire. Le procureur informe alors la personne des faits qui lui sont reprochés, et il fixe la date de comparution. C’est le mode principal de poursuite en matière correctionnelle parce que cela évite la présentation au parquet et la détention du prévenu au dépôt du palais de justice. Enfin, en matière délictuelle, le procureur peut décider d’ouvrir une information judiciaire, mais s’il le fait, il perd le contrôle de la procédure. En matière criminelle, il doit saisir le juge d’instruction

Comme il y a une forte pression quantitative sur les procureurs, les procédures classiques comme la citation directe, ou l’instruction sont de moins en moins utilisées parce que ce sont des voies lentes et coûteuses. Les procureurs privilégient les modes de règlements rapides. La logique quantitative fait qu'il y a de moins en moins de place pour l’individualisation du traitement. Les procureurs recherchent des solutions pré construites et normalisées, ce qui risque d’aboutir à une standardisation du traitement pénal. De même, l'accent est surtout mis la petite et la moyenne délinquance.

Le procureur joue aussi un rôle important au terme de la voie délictuelle, c'est-à-dire lors de l’audience pénale correctionnelle. Le procureur est obligatoirement présent, il ne peut pas être récusé puisqu’il est partie au procès. Il participe aux débats et peut poser des questions directement au prévenu, à la partie civile ou à toute personne appelée à la barre. A tout moment, il peut prendre des réquisitions auxquelles la juridiction est tenue de répondre. Après la clôture des débats, le procureur rend ses réquisitions. Le procureur général peut intervenir dans la rédaction des réquisitions. C’est encore un exemple de la subordination hiérarchique. Mais à l’oral, quand le procureur prononce son réquisitoire, il a une entière liberté de parole. Il s’attache d’abord à la preuve des faits, puis à la culpabilité, et ensuite il requiert une peine. Si les débats démontrent l'innocence ou l'absence de preuve de la culpabilité, le procureur requiert l'acquittement ou la relaxe. Il peut enfin exercer un recours contre les juridictions répressives. Il peut notamment faire appel des jugements correctionnels dans un délai de 10 jours.

Les procureurs ne peuvent pas tout poursuivre par la voie traditionnelle, parce que le délai d’audiencement doit rester raisonnable et que les rôles sont surchargés. Mais ils doivent donner une réponse pénale à un maximum de dossier. Donc, les procureurs ont plébiscité la troisième voie.

3) La multiplication des réponses pénales, le recours croissant du procureur aux procédures alternatives aux poursuites

Ces procédures alternatives permettent d'alléger le nombre de contentieux en attente et d’accélérer le règlement des litiges. Cela a aussi permis de briser le clivage prévention/ répression et de rappeler que le procureur n’est pas seulement un agent de répression mais aussi de prévention (Art 41-1 CPP).

Selon les statistiques du ministère de la justice, le nombre de poursuites a augmenté, les classements ont baissé et le nombre de procédures alternatives a été multiplié par trois. Ainsi, alors qu’auparavant, le procureur aurait classé une affaire, aujourd’hui il l’oriente vers une procédure alternative. Chaque procureur établit sa propre politique pour déterminer quel type d’affaire sera traité par la voie alternative. Les pratiques sont variables mais elles s’inscrivent toujours dans un même cadre. Les mesures alternatives aux poursuites sont principalement utilisées pour les infractions de faible gravité, pour des faits datant de moins de 6 mois et pour les primo délinquant. Certains procureurs utilisent beaucoup plus que d’autres les réponses alternatives. Il y a aussi des écarts considérables entre les procédures, certaines étant beaucoup plus utilisés que d'autres.

Les procédures alternatives ont une fonction de prévention, et de réparation. Le procureur propose une mesure alternative s’il pense qu’elle pourra assurer la réparation du dommage, mettre fin au trouble ou contribuer au reclassement de l’auteur. Donc, il n’y a pas de poursuite engagée, mais il y a quand même une réponse pénale.

Le procureur peut faire un rappel à la loi, ou bien orienter la personne vers une structure sanitaire, sociale ou professionnelle. Il peut aussi exiger la réparation du dommage ou proposer une médiation. Le procureur de la république peut également opter pour un classement sous condition Dans ce cas, si la condition n'est pas exécutée, il peut poursuivre par la voie classique ou proposer une composition pénale.

La composition pénale se situe entre les alternatives aux poursuites à visée réparatrice et la mise en mouvement de l’action publique. C’est une procédure punitive mais avant poursuite. Elle a été créée par la loi 23 juin 99 pour accélérer le règlement des contentieux, et la loi Perben II l’a étendue à presque tous délits punis de maximum 5 ans d’emprisonnement. Pour que le procureur puisse la proposer, il faut que la personne soit majeure, qu’elle reconnaisse les faits et qu’elle accepte la procédure. Le procureur choisit la ou les mesures dans une liste qui ne cesse d’augmenter et toutes les mesures peuvent s’additionner. Ce qui fait dire à une partie de la doctrine que ce sont des peines qui ne portent pas leur nom, d’autant plus qu’elles sont inscrites au casier judiciaire. La mesure proposée n’est pas validée pendant une audience, puisque le procureur doit saisir le président du TGI (si c'est un délit) ou du TI (si c'est une contravention) d’une requête aux fins de validation.

Selon une étude faite par Mr Danet et Mme Grunvald, la composition pénale s’applique à des primo délinquants, lorsque l’infraction est de faible gravité et que l’atteinte à l’ordre public est faible. Mais les procureurs en ont fait une utilisation très différente selon leur besoin. A Angers, elle est surtout utilisée pour les conduite en état alcoolique, à Nantes ont l’utilise beaucoup pour les violences conjugales, tandis qu’au Mans elle n’est presque pas utilisée parce qu’il y a peu de retard dans le contentieux.

Les procureurs de la République ont donc su tirer parti de la flexibilité de la composition pénale, puisqu’ils l’utilisent dans des buts différents, ce qui relativise le rôle unificateur des parquets généraux. Soit ils l’utilisent comme une procédure simplifiée pour avoir une réponse systématisée et normalisée, c'est donc une sorte de tarification. Soit, ils l’utilisent dans un but pédagogique et individualisé pour responsabiliser l’auteur. Le bilan est positif puisqu’il y a, en amont, un travail de négociation entre le procureur et le juge du siège pour définir la population cible.

On voit donc que la décision d’orientation est fondamentale, puisque pour la même infraction, il y a une grande différence entre les peines encourue, suivant la voie choisie par le procureur. L’appréciation quasi discrétionnaire du magistrat est déterminante, même si la décision finale revient au juge du siège. Donc, on pourrait souhaiter qu’il y ait un débat contradictoire autour de la décision d’orientation du dossier sur le fondement du procès équitable (art 6§1 CEDH et art préliminaire du CPP). On peut donc se demander si on ne va pas vers une nouvelle action publique.

B. Vers une nouvelle action publique

1) Le procureur de la République, co-auteur de la décision judiciaire dans la procédure de comparution

La comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC) fut créée par la loi du 9 mars 2004 notamment afin d’accélérer le règlement des litiges et pour pouvoir juger dans un délai raisonnable. Ici, le procureur voit son rôle se modifier : en effet, la CRPC est une procédure après l’engagement des poursuites, le procureur a mis en mouvement l’action publique. Or il a ici un pouvoir de proposition de la peine qui doit être acceptée par l’auteur des faits. Le juge perd donc ce pouvoir de décision sur la peine et il ne fera qu’homologuer ou pas la décision du procureur de la république. La priorité de traiter tout sans aucun retard joue ici pleinement. Le procureur de la République propose une peine qui peut être une peine d’emprisonnement mais qui ne pourra être que de la moitié de celle qui est encourue dans une procédure ordinaire de poursuite. Une circulaire récente a même affirmé qu’il convient de proposer une peine moins lourde que celle qui aurait été requise devant le Tribunal correctionnel. Cela signifierait donc que lorsque les procureurs de la république utilisent la CRPC, ils choisissent le « rabais ».

Mais cette procédure de CRPC peut entraîner quelques interrogations. Il est, en effet, possible de se demander s’il n’existe pas un risque d'atteinte à la présomption d'innocence. En effet, même quelqu’un d’innocent risque de s’auto-accuser si le procureur de la République offre une peine modeste, surtout après une garde à vue un peu longue. De même, en ce qui concerne le juge «homologateur», est-ce qu’il vérifiera s'il y a eu un vrai débat ? Le procureur devient donc co-auteur de la décision judiciaire, il devient quasiment un juge puisqu’il est « offreur » de la sanction. Le procureur de la république a effectivement un rôle très particulier dans cette procédure puisque, pour la première fois, il propose une peine après l’engagement des poursuites dont une peine d’emprisonnement à l’auteur d’une infraction alors qu’il proposait une mesure dans la composition pénale. Il fait, pour la première fois, figure de magistrat négociateur. Cela modifie incontestablement le visage de notre procédure pénale car le rôle du juge y paraît extrêmement réduit.

Récemment, un débat eu lieu afin de savoir si la présence du procureur de la république à l’audience d’homologation était obligatoire ou pas. Dans un avis du 18 avril 2005, la Cour de cassation a affirmé que le procureur devait obligatoirement être présent, le Conseil d'Etat s’est d’ailleurs rangé sous cette opinion.. Pourtant, une loi du 26 juillet 2005, complétant l’article 495-9 du C.P.P, a, au contraire, affirmé que la présence du procureur de la République n’était pas obligatoire mais que cependant, celui-ci pouvait y assister s’il le souhaitait. Le Conseil Constitutionnel a validé cette loi dans une décision du 22 juillet 2005. Ce débat eu notamment lieu car les avocats disaient que si ce magistrat n’était pas présent, leurs plaidoiries porteraient sur la décision du procureur acceptée par l’auteur ce qui est plutôt illogique. Mais en pratique le juge risque de refuser d’homologuer ou le prévenu risque de faire appel pour cause d’absence du procureur de la République.

2) Une redistribution des pouvoirs entre les acteurs du procès pénal

a) Le juge

Depuis la loi Perben 2, est intervenue une modification de l’équilibre entre le procureur de la république et le juge d’instruction, certains disent même, à l’instar d’Hubert Dalle, que l’institution du juge d’instruction « agonise lentement ». En effet, depuis 2004, le procureur de la république peut saisir directement le juge des libertés et de la détention d’une demande de mise en détention provisoire. Ici, ce n’est donc plus le juge qui contrôle les décisions du procureur mais le procureur qui encadre et limite les pouvoirs du juge d’instruction dans le domaine des libertés. Cela a donc pour conséquence de réduire considérablement le recours au juge d’instruction.

b) Le juge d’instruction

Il est possible de se demander si la loi Perben a transféré les pouvoirs du juge aux procureurs de la république  notamment dans la procédure de CRPC. A priori, le juge ne sera pas seulement « tamponnateur » de la peine proposée puisqu’il peut refuser de l’homologuer. Il garde donc le dernier mot. Pourtant, il n’empêche que le procureur propose quand même une peine qui peut être la prison ce qui est une innovation. De plus, comme le rappelle l’article 32 du C.P.P, le procureur est un agent d'exécution des décisions judiciaires, il veille à l'exécution des décisions pénales notamment les peines privatives de libertés et fait exécuter les mandats de dépôts ou d'arrêt. Il contrôle donc l'efficacité de la répression tout comme le juge d’application des peines. Mais cet enjeu post-pénal ne mobilise pas les parquets car le procureur a d'autres priorités.

c) Le rôle renforcé du procureur de la république en matière de criminalité organisée et de délinquance économique et financière

La loi Perben 2 confère en matière de criminalité organisée et de délinquance économique et financière de nouveaux pouvoirs aux procureurs de la république notamment dans la direction des enquêtes et dans l’orientation du dossier. Furent créées des juridictions spécialisées inter régionales qui ont une compétence concurrente par rapport aux juridictions normalement compétentes. C’est le procureur de la république qui peut mettre en œuvre cette compétence lorsque «  la complexité des faits le justifie ». Au stade de l’instruction, le procureur de la république a un rôle central ceci étant dû à la mise en place d’une procédure de dessaisissement : il peut requérir le juge d’instruction de se dessaisir au profit de la juridiction spécialisée régionale. Le juge doit, dans ce cas, statuer sous huit jours et s’il ne le fait pas, le procureur peut saisir directement la chambre de l’instruction ou la Cour de cassation. Sous couvert de spécificité de cette délinquance, ces pôles visent à réduire les saisines des juges d’instruction. Le pouvoir exécutif par la courroie de transmission du parquet pourra parfaitement, sous le prétexte de complexité ou de technicité, phagocyter un dossier. On a d’ailleurs reproché à cette loi de donner en cette matière les pleins pouvoirs au procureur car au terme de l’article 706-104 du C.P.P, « le fait qu’à l’issue de la procédure, la circonstance aggravant de bande organisée ne soit pas retenue, n’entraîne pas la nullité des actes régulièrement accomplis ». Mais une telle disposition fut déclarée non conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Sans toucher à la carte judiciaire, la loi Perben 2 modifie pourtant en profondeur les compétences des procureurs généraux et des procureurs de la République dans le ressort desquels se situeront ces juridictions inter régionales.

En conclusion, dans ces deux domaines, les procureurs généraux et les procureurs de la République des juridictions ont un rôle essentiel dans l’animation de cette politique de regroupement des dossiers et de saisine des juridictions spécialisées. Il y a donc spécialisation du parquet dans ce domaine.

3) Des modifications profondes quant à l’institution du procureur de la République

a) Le procureur de la république, un nouveau rôle d’administrateur et de gestionnaire

Avec la LOLF (loi d’orientation et de programmation des lois de finances du 1er août 2001), les procureurs généraux et les procureurs de la république sont de plus en plus impliqués dans des tâches d’administration et de gestion. Il sera un interlocuteur administratif dépendant hiérarchiquement du ministère comme peut l’être un préfet ou un directeur régional d’administration. En effet, une attention toute particulière est portée sur les frais de justice criminelle, il faut réduire les coûts de procédure car les écoutes téléphoniques, les relevés d’empreintes génétiques coûtent cher. Cela a une incidence sur les choix opérés par le procureur en matière d’action publique : il se doit d’utiliser les procédures simplifiées, de refuser les investigations coûteuses… Or cela a un impact très grand sur le métier même de procureur de la république, il doit veiller au budget et à ne pas le dépasser.

Le procureur de la République a également maintenant accès directement au fichier STIC c’est-à-dire au système de traitement des infractions constatées et au fichier judiciaire automatisé des auteurs d’infractions sexuelles. De plus, le procureur est aujourd’hui un homme de communication puisqu’il a affaire aux différents médias. Son rôle a donc évolué au rythme des nouvelles technologies et des moyens de communication.

b) Le procureur de la république, un pivot de la procédure pénale française ?

En 20 ans, le rôle de procureur de la république s’est considérablement modifié. Il est, à l’heure actuelle, au cœur de nouvelles procédures comme la CRPC, la composition pénale ; il a des pouvoirs renforcés en matière de criminalité organisée… L’évolution de la procédure pénale française semble aller dans le sens d’une place accrue du procureur de la république. Il est le premier intervenant du système judiciaire, le plus proche de la société. Il opère des choix multiples en ce qui concerne l’orientation du dossier La centralisation et la verticalité laissent place à une institution déconcentrée et décentralisée, notamment en matière de politique d'action publique. Il devient un interlocuteur incontournable au niveau local. De même, le métier de procureur de la république est de plus en plus occupé par des femmes alors qu’il y a quelques années, seuls des hommes y étaient. Il y a également une mutation à ce niveau là.

Est-on face à une vraie révolution de la procédure pénale ? Un système est mis en place où le parquet, dépendant du ministère de la Justice, joue un rôle essentiel au détriment des juges du siège, notamment des juges d'instruction. L'acharnement productiviste et la volonté de mettre en place des procédures sommaires soulignent ce déséquilibre. L’économie du temps judiciaire est principalement au cœur des remaniements récents de la procédure pénale.

Le procureur de la république face à l’européanisation de la procédure pénale

On sait l’importance du droit européen de la CEDH dans notre procédure pénale nationale. La France parfois condamnée dût modifier sa législation interne afin de se mettre en conformité avec la Convention Européenne. Depuis quelques années, le Droit s’européanise. De même le droit communautaire exerce une influence notamment sur la politique de sécurité de la France, il y a un renforcement de l’Europe judiciaire et une européanisation des politiques pénales.

La création d'un parquet européen avait été inscrite dans le projet de Constitution. Il est fort possible que le Parquet européen voie effectivement le jour. Eurojust peut être considéré comme l’embryon du futur parquet européen qui assure la coordination des enquêtes et des poursuites dans la lutte contre les formes graves de criminalité. Il existe une volonté d’aboutir au rattachement de ce parquet aux institutions de l’union. On ouvre la voie vers un pouvoir d’incrimination européenne ce qui nous amène à nous interroger sur le fait de savoir si le droit d’incriminer sera encore une prérogative nationale.

De même, l’institutionnalisation de la coopération policière a été reconnue par le traité de Maastricht avec la création d’un office européen de police appelé Europol. Des magistrats de liaison ont été instaurés et un réseau judiciaire fut crée. On va donc vers une idée d’européanisation des poursuites.

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