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Extrait de la publication… · 2013-10-29 · J un tr iste maleur a v ous anoncer .Notre bien aim capitaine Dragon nous a quitt pour toujour. Il a rejoint au ciel le vol des oiseaux

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Laurent Maréchaux

Le Fils du Dragon

l e d i l e t t a n t e, rue Racine

Paris e

le dilettante, rue Racine

Paris e

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© le dilettante,

ISBN ---

Couverture : Eduardo Arroyo

978-2-84263-270-0

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À mamie Odette,qui m’a fait découvrir la lectureet aimer les livres d’aventures.

À Christophe de Ponfilly,Don Quichotte cabossé, quichevauche désormais entre lesnuages.

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«Il n’existe que trois métiers : roi, poèteou capitaine. »

Shakespeare.

« C’est parce que les hommes viventcomme s’ils ne devaient jamais mourirque tant d’entre eux meurent avantde savoir vivre. »

Daniel Defoe.

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La lettre arriva à Nantes le 13 mai 1886,en fin d’après-midi. C’était un jeudi.Louise revenait des vêpres. Le pli avait étéglissé sous sa porte par une main bien-veillante. Longtemps oublié sur le bureaud’un commis maritime, il avait traînéplusieurs mois à Semarang avant d’êtreconfié au bosco d’un navire marchandfrançais en partance pour l’estuaire de laLoire.

L’écriture la surprit. Une calligraphietremblée et enfantine, pas celle de sonhomme. Onze ans qu’elle était sans nou-velles de son mari, le capitaine de trois-

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mâts goélette, Victor Combault dit « leDragon». Hésitantes, ses mains diaphanestournaient et retournaient l’étrange mis-sive, craignant le pire. Son cœur fatiguépar des années d’angoisse et de souf-france cognait sans ménagement contresa poitrine desséchée par le manque decaresses. Elle attendit que la maisonnéeretrouve son calme vespéral pour l’ouvrir.Tremblants, ses doigts s’y reprirent à deuxfois avant de briser le cachet de cire. Aprèstant d’années de solitude et d’abandon,son intuition lui disait d’en rester là. Ellerespirait avec difficulté. La curiosité l’em-porta. Elle déplia la feuille d’un papierblanc flavescent. L’encre bleu violineavait bavé, rendant sa lecture difficile.Les phrases s’enchaînaient, phonétiqueset maladroites.

Madam,Jé un triste maleur a vous anoncer. Notre

bien aimé capitaine Dragon nous a quittépour toujour. Il a rejoint au ciel le vol desoiseaux et la course des nuages. Les larmes

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coulent sur tous les visages et notre chagrinest sans fin. Nous prion pour vous et pour luicar nous savon que nous nous retrouveron unjour, ici ou là-bas.

La signature était illisible. Elle poussaun hurlement. Ses yeux se brouillèrent,elle perdit connaissance.

L’enfant, tiré de ses rêves agités par ce crid’outre-monde, se dressa sur son séant,les sens aux aguets. Malgré son jeune âge,il était l’homme de la maison.

Encore mal réveillé, il mit un pied sur lecarrelage glacé. Aucun bruit ne troublaitla nuit. Un instant, il hésita à se recoucher.Son esprit chevaleresque l’emporta. En-filant à tâtons ses sabots, il se glissa, lecœur battant, vers la cuisine. Sa mèregisait à terre, inanimée. Désemparé, ilparcourut d’un regard circulaire la pièce,cherchant l’aide que son cerveau paniquélui refusait. Sur la table, un cruchond’eau, protégé des mouches par untorchon à carreaux, emporta sa décision.Haletant, il trempa avec maladresse le

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linge dans l’eau fraîche ; puis lui tamponnale front et les tempes avec délicatesse.Quand il passa son chiffon humide surles lèvres maternelles, la présence d’unsouffle chaud le rassura. Réconforté, il per-sista. Au contact du liquide froid, Louiserouvrit les yeux, ébahie. Reconnaissantson fils chéri, elle l’enserra de ses brasmenus et le couvrit de baisers avant de luimurmurer à l’oreille entre deux sanglots :

– Rodolphe, ton papa est mort.Ses yeux restèrent secs… il ne l’avait

jamais connu.

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VICTOR

«Entre toutes les merveilles du monde, il ya la mer, je crois, la mer elle-même – oubien, est-ce seulement la jeunesse? […] Ehbien! dites-moi, n’était-ce pas le meilleurtemps, ce temps où nous étions jeunes enmer; jeunes et sans rien à nous, sur la merqui ne vous donne rien, que de rudescoups – et parfois l’occasion d’éprouvervotre force – rien que cela – ce que vousregrettez tous?»

Joseph Conrad,Jeunesse.

« Je rêvais croisades, voyages de décou-vertes dont on n’a pas de relations, répu-bliques sans histoires, guerres de religionétouffées, révolutions de mœurs, dépla-cements de races et de continents : jecroyais à tous les enchantements. »

Arthur Rimbaud,Une saison en enfer.

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I

«En imagination, je grimpais dans leshaubans, je me hissais dans la hune, jeme cramponnais à la pomme de mâts.»

Jules Verne,Souvenirs d’enfance et de jeunesse.

Être femme de marin, aventurier desurcroît, n’est pas une sinécure. Jeannel’apprit vite à ses dépens. Quand Charlesne parcourait pas les océans, il passait sessoirées dans les bouges enfumés du quaide La Fosse à revivre avec quelquescompagnons d’équipées leurs traverséessulfureuses, se rappelant l’existence de safemme à l’heure de multiplier les progéni-tures. Elle ne comptait plus les grossesses,les fausses couches et les enfants mort-nés.Elle avait beau être dure au mal, à trente-cinq ans, son visage gracile portait déjà lesstigmates d’une vie harassante. Si sa solde

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de second était confortable, ce que sonmari – à l’issue de ses bordées – en rame-nait à la maison, suffisait à peine à garnirles écuelles familiales, l’obligeant à desmiracles d’ingéniosité. Levée au chant ducoq, elle ravivait l’âtre, pétrissait la pâte,préparait la bouillie d’avoine, réveillait lanichée et surveillait le départ à l’école –tout en allaitant un énième petit dernier.Ses journées, trop courtes, la voyaients’occuper du potager, confectionner potée,pot-au-feu, petit salé ou hachis en vue dudîner, battre le linge ou ravauder avecabnégation les blouses et culottes éliméesdes aînés qui vêtiraient l’année suivante lespuînés. Avant de souffler la bougie, elleaimait s’attarder auprès des grands litsfamiliaux pour raconter, d’une voix douce,histoires de sirènes et récits de corsaires.Écoutés religieusement, les aventures deLouis Adhémar Le Golif dit «Borgne-fesse» ou les exploits de Surcouf berçaient,sans tarder, le sommeil angélique de seschenapans. Elle savourait alors, dans unsilence réparateur, ces fragiles instants de

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répit et de bonheur ; les premiers depuisson réveil. Quand elle ressentit le débutdes contractions présageant l’arrivée pré-maturée de Victor, Jeanne était déjà épuiséepar sa journée. Une violente tempêtevenue de l’ouest avait endommagé latoiture et déraciné un noyer centenaire,orgueil de son jardin. Rentrés frigorifiésde l’école, ses enfants incapables de seréchauffer, grelottaient devant le feu.Pour ne rien arranger, le retour espéré deCharles des Indes occidentales – attendudepuis deux jours – la rendait nerveuse.Bloqué vraisemblablement à Paimbœufpar le mauvais temps, il serait d’humeurexécrable. Les contractions s’accéléraient,annonçant la perte des eaux. Un œil sur lecarreau, l’autre sur la marmite de soupe aucas où son époux apparaîtrait, elle sortitdes linges propres, mit de l’eau à bouillir etenvoya Marie, son aînée, quérir sa voisinepour qu’elle joue les sages-femmes.

Les premiers vagissements retentirent,la porte d’entrée claqua bruyamment.Victor arrivait au monde ; Charles était de

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retour. Sa voix de stentor résonna danstoute la maisonnée :

– Mais quel est cet animal sauvage qu’onégorge?

Sa haute silhouette s’encadra dansl’embrasure de la chambre conjugale, sonvisage barbu déformé par un rire canaille.Le regard encore brouillé par la douleuret les efforts, Jeanne esquissa un pâlesourire. Elle connaissait son forban demari. Derrière son apparente rudesse,se dissimulait un homme de cœur. Sixmois qu’il avait pris la mer, elle lui offraitpour fêter son retour un onzième enfant,son septième garçon. Il s’approcha pourembrasser sa femme sur le front. Uneodeur aigre-douce, où se mêlaient tabacfroid, rhum, sueur, sel et écume de merimprégnait son caban d’officier. Avecfierté, il s’empara de son fils et le branditdans les airs. Cramoisi de colère etcontrarié par la brusquerie du geste, lenouveau-né lâcha sur son géniteur méduséun jet blanchâtre – concentré de salive, debile et de mauvaise humeur.

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– Ma Jeanne, tu nous as fabriqué unpetit dragon, s’exclama Charles, réjoui.

Victor venait d’être baptisé pour la suitede son existence – pour ce père, peusoucieux de mémoriser les prénoms de sesmultiples rejetons, il resterait son « petitdragon».

« Les chiens ne font pas des chats »,aimait répéter Charles, chaque foisqu’épuisée par les facéties et les mauvaistours de son fils, Jeanne sommait son maride remettre cet enfant turbulent au pas.Plus amusé que fâché par les innombra-bles bêtises de son dragon, son épouxtolérait tous ses caprices. Même s’il nel’avouait pas, il était son fils préféré. Sonallure nonchalante, son poil noir et sesyeux pers, son insolence moqueuse et sonesprit rebelle lui rappelaient le garnementfarouche qu’il avait été. Quelques motsdéplacés – vite regrettés – adressés à samère, le chapardage de pommes dans lechamp d’un voisin ou un mensongepitoyable au curé de la paroisse avaient

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contraint Charles à corriger à coups deceinture – faute de garcette – le galopin.L’école n’était pas son fort. Aux règlesabsconses de grammaire et autres théo-rèmes fumeux de géométrie, rudiments delatin ou cours d’instruction religieusedispensés par un vieux prêtre rougeaud etcolérique, le père Ancel, Victor préféraitles leçons du fleuve, de la faune et de laflore. Seule sa passion dévorante de l’his-toire et de la géographie surprenait sonmaître et ses camarades. Incollable sur lesroutes et les comptoirs maritimes, il réci-tait, sans se tromper, le parcours chao-tique des Valois et des Bourbons, essuyantmême une larme à l’évocation malicieusedes dernières paroles de Louis XVI aupied de l’échafaud : «A-t-on des nouvellesde Monsieur de La Pérouse ? »

Fuyant l’austérité des salles de classe, ilpratiquait avec assiduité l’école buisson-nière, entraînant dans son sillage deuxcomparses, victimes de son ascendantnaturel ; l’un surnommé « la Mouette » enraison d’un babillage incessant et l’autre

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messe de huit heures, on attelait à lacarriole familiale « la Grisou », une vieillejument pie, le Dragon – désireux de faireplaisir à sa mère – enfilait redingote bleunuit et bottines à boutons. On chargeait àl’arrière des paniers de victuailles, cidre etmuscadet, et l’on prenait en trottinant laroute de Montaigu. À l’ombre des saules,les femmes pépiaient, les promises rougis-saient et le Dragon, mal à l’aise dans satenue de ville étriquée, répondait parmonosyllabes aux questions insistantes deses éventuels beaux-parents sur son avenir.Son cœur semblait ailleurs. L’automneapprochait. Sa mère découragée renonça àle caser, pestant contre cet ours mal léchéqui finirait vieux garçon. Croisés sur lesquais, les armateurs Costes, pour qui lenom Combault restait une référence, luipromirent, s’il passait son brevet de lieute-nant, un embarquement vers l’Asie, avecpassage obligé du légendaire cap Horn.Avec assiduité,Victor se remit aux études,se colletant jusqu’à plus d’heure avec la tri-gonométrie et les manuels de navigation.

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Après ses frasques exotiques, son absti-nence sexuelle lui pesait. À l’abri desregards indiscrets, il revit Louise, la retrou-vant à la tombée de la nuit à l’ombreprotectrice des docks. Attendrie, la sœurde la Grenouille ne se lassait pas d’en-tendre le Dragon raconter d’une voixdouce ses traversées, son admiration pourson ami Conrad ou sa rencontre abrégéeavec le « poète fou ». Mis en confiance,Victor refaisait le monde, rêvant à hautevoix des trois caps mythiques – le Horn,Bonne-Espérance et le petit cap Lewin –et d’une vie de capitaine au long cours.Avec maladresse, il cachait ses sentimentssous une virilité de jeune coq ; Louise,énamourée, patientait.

À la Toussaint, le Dragon se déclara ;à l’Épiphanie, ils se marièrent. La céré-monie fut sobre et sans éclat, l’assistanceréduite, la famille portait encore le deuildu père. Démunis, ils s’établirent rue duPetit-Verger. Jeanne leur laissa sa grandechambre et se réfugia dans celle de Victor.Louise avait connu pour tout baiser, ceux

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