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Extrait de la publication… · 2013. 10. 31. · Dandurand que nous pouvons reconnaître, je crois, comme la première femme journaliste de notre province. En effet, toute jeune,

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JOURNAL INTIME1879-1900

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Les Éditions de la Pleine Lune223, 34e AvenueLachine (Québec)H8T 1Z4

www.pleinelune.qc.ca

Illustration de la couverturePhoto de Joséphine Marchand

InfographieJean Yves Collette

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JOSÉPHINE MARCHAND

JOURNAL INTIME1879-1900

Édition préparée et annotée par Edmond Robillard, o.p.de l’Académie des lettres du Québec

éditions de la

pleineLUNE

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Les Éditions de la Pleine Lune remercient le Conseil des Arts du Canada ainsi que la Sodec, Société de développement des entreprises culturelles, pour leur soutien financier, et elles reconnaissent l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition.

ISBN 978-2-89024-135-1 (papier)ISBN 978-2-89024-319-4 (pdf)

© Les Éditions de la Pleine Lune 2000Dépôt légal – troisième trimestre 2000Bibliothèque nationale du QuébecBibliothèque nationale du Canada

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AVERTISSEMENT

INÉDIT JUSQU’À CE JOUR, le Journal intime de Joséphine Marchand apporte un éclairage neuf sur la bourgeoisie québécoise de la fin du XIXe

siècle. Ce n’est pas un livre d’histoire, mais le témoignage d’une femme cultivée, franche et déterminée, qui n’a pas peur de ses idées et qui jette un regard lucide sur les personnalités politiques qu’elle côtoie et la vie socio-culturelle de son époque. Ce journal intime débute en juillet 1879, Joséphine a dix-sept ans. C’est une jeune fille rêveuse qui lit les grands Romantiques, s’intéresse au théâtre et s’interroge sur l’amour et les sentiments. Quand il se termine en 1900, elle est âgée de trente-huit ans. C’est donc un document qui, à la fois, retrace le parcours d’une femme vers la maturité et brosse le tableau d’une époque presque oubliée.

Voulant préserver le caractère intime et personnel de cet ouvrage, il nous est apparu important de ne pas le surcharger de notes et de ne retenir que celles nécessaires à la compréhension des événements invoquées par Joséphine Marchand.

Les annotations de cette présente édition, qu’on retrouve en fin de volume, ont été rédigées par Edmond Robillard, o.p. de l’Académie des lettres du Québec, suite aux recherches patientes et méticuleuses qu’il a effectuées dans des registres paroissiaux, des journaux de l’époque et divers documents d’archives. Un travail colossal qui lui a permis d’amasser une documentation imposante sur les familles Marchand et Dandurand et qui devrait intéresser les chercheurs et les spécialistes. La version intégrale et complète de cette

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documentation demeure présentement en la possession du père Edmond Robillard et des descendants de Joséphine Marchand, qui ont l’intention de la déposer aux Archives nationales du Québec afin qu’elle puisse être consultée. Nous tenons à leur exprimer notre profonde gratitude pour nous avoir permis d’en utiliser une partie dans cette édition du Journal intime de Joséphine Marchand.

Marie-Madeleine RaoultÉditrice

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REMERCIEMENTS

NOUS TENONS à remercier le père Edmond Robillard du beau tra- vail qu’il a fait pour préparer le Journal intime de notre grand-mère en

vue de sa publication. Nous le félicitons aussi d’avoir su trouver ces innom-brables informations au sujet des personnes et des lieux mentionnés dans ce Journal, dont une partie seulement est publiée dans cet ouvrage sous forme de notes explicatives. La version intégrale de ses recherches sera toutefois accessible aux historiens et aux chercheurs et pourra être consultée aux Archives nationales du Québec où elle sera déposée.

Les petits-enfants de Joséphine Marchand-Dandurand

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NOTICE BIOGRAPHIQUEJOSÉPHINE MARCHAND

JOSÉPHINE MARCHAND (1861-1925) était la fille de Félix-Gabriel Marchand, qui fut premier ministre du Québec de 1897 à 1900. Elle fut

aussi l’épouse de l’illustre sénateur Raoul Dandurand qui œuvra pour l’établissement de la Société des Nations après la Première Guerre mondiale et dont les Mémoires viennent d’être réédités. Joséphine donna naissance à une seule fille, Gabrielle Dandurand, dame DeGaspé Beaubien.

Femme de lettres et journaliste, elle fonda et dirigea Le Coin du feu, la première revue féminine québécoise, et écrivit de nombreux articles pour divers journaux. Elle est également l’auteure de savoureuses saynètes, dont les titres suivants : Les Contes de Noël, Rancune, La Carte postale, Le Langage des fleurs, Nos travers et Les Victimes de l’idéal.

Engagée dans la cause de l’éducation, elle mit sur pied en 1892 « L’œuvre des livres gratuits » qui distribua des milliers de livres aux institutrices du Québec ne possédant pas de bibliothèques. Elle s’impliqua également dans la défense des droits des femmes. Déléguée du Canada à Paris, madame Dandurand présida le Congrès international des femmes convoqué à l’occasion de l’Exposition universelle de 1900. Son éloquence et sa situation sociale lui valurent de représenter pendant de nombreuses années le Québec au Conseil national des femmes du Canada. Elle prononça plusieurs allocutions remarquables sur la socialisation et les droits des femmes devant le Conseil national des femmes, l’Alliance française, le

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Ladies Literary Circle, la Caledonian Society. Elle s’intéressa vivement aux œuvres de guerre, notamment à la Croix-Rouge et au Don patriotique.

Dans La Revue moderne du 15 avril 1922, sous le titre « Ceux qui nous font honneur », Luc Aubry lui rendait hommage en ces termes :

« Le sénateur Raoul Dandurand a épousé une femme distinguée et brillante qui a joué un rôle important dans le domaine littéraire et social. Tout le Canada connaît et apprécie le talent sûr et personnel de madame Dandurand que nous pouvons reconnaître, je crois, comme la première femme journaliste de notre province. En effet, toute jeune, encore enfant même, dans le journal que rédigeait son père, cet homme d’esprit fin et de cœur exquis, F.-G. Marchand, madame Dandurand fit ses débuts littéraires. Depuis, nous l’avons retrouvée dans toutes nos activités féminines déployant, à servir les meilleures causes, toute la chaleur de son âme, et la lucidité de son intelligence. Elle fut ‹ précurseur › dans les lettres et dans les initiatives sociales féminines. Femme d’avant-garde, elle prêcha de la plume et de l’exemple, et elle ouvrit nette et droite la voie où devait entrer à sa suite la pléiade de femmes que nous trouvons aujourd’hui à la défense de tous les progrès. »

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18 juillet 1879. Vendredi. — Je prends ce soir une subite résolution : celle de tenir un journal, miroir de mes impressions.

J’ai maintenant dix-sept ans1 et connais à peine les sentiments ardents et les illusions qu’on attribue à l’adolescence – à cause peut-être de mon caractère insouciant et enfantin. L’irruption spontanée de ces sensations en mon âme fait vibrer toutes mes cordes. Seraient-ce les premiers souffles impétueux de l’amour ? Je deviens mélancolique et rêveuse, et ne me sens pas dans mon état normal. Le cœur a un grand besoin d’aimer, mais il ne sait pas encore où se fixer. J’ai lu ce soir du Lamartine : les Confidences et Grazielle. Dans mon présent état d’esprit, cette lecture a eu chez moi l’effet du vent sur la flamme. Le sentiment dont je parle est celui que je ressens lorsque j’entends de la belle musique ; et ce que je ressens est peut-être ce qui anime les poètes : l’inspiration.

Je voudrais alors traduire mes idées avec la plume, ou les confier à quelqu’un dans l’intimité ; mais mon impuissance à rendre pleinement mes impressions, et l’absence du confident souhaité, me paralysent.

Voilà ce qui me décide à être mon propre confident, et à écrire mes pensées pour m’en amuser plus tard.

J’ai découvert hier sur les hautes tablettes de la bibliothèque paternelle une quantité d’ouvrages canadiens : Les Échos de Québec de Napoléon Legendre, très spirituel, que j’ai lu avec grand plaisir –

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Mélange d’histoire et de littérature de Benjamin Sulte, dont le style me plaît beaucoup – quelques conférences d’Arthur Buies, dont j’aime la tournure d’esprit – La Ruche littéraire et une foule d’autres choses qui me restent à lire. Je suis portée à admirer nos auteurs canadiens, peut-être par patriotisme, car en fait de littérature, je ne m’y entends guère. Il est vrai que le patriotisme n’excuse pas l’ignorance. Voilà comment je juge nos écrivains : Arthur Buies me paraît l’excentrique et original Alphonse Karr canadien ; la prose de Marmette me fait penser à celle de Lamartine ; Fréchette2 se rapproche de Victor Hugo ; Faucher de St-Maurice, de Chateaubriand ; Legendre, de Paul Féval. J’allais oublier mon cher papa3, dont les comédies ont la gaieté et l’humour de certaines de Molière. Je veux bien croire que mon appréciation n’est pas très éclairée, mais je m’en arrange très bien.

20 juillet 1879. Dimanche. — Ces jours-ci, mon imagination a la bride sur le cou. Je me vois parfois dans le monde, courant de plaisir en plaisir ; et le lendemain, je me retrouve entre les quatre murs de mon couvent, penchée sur mes livres. L’étude a pour moi un certain attrait ; et j’envisage sans trop de déplaisir une dernière année d’études, comme pensionnaire. J’aime bien la société, mais je ne suis pas encore d’âge à presser une vocation. Je puis encore rester un an dans l’ombre, sans que mes charmes – si charmes il y a – en souffrent le moins du monde. Tout cela m’amène à penser que les impressions d’hier ne sont pas celles d’aujourd’hui et que, ce qui fait mon bonheur aujourd’hui, sera sujet d’indifférence demain. Les émotions que je ressentais ces jours-ci se sont envolées, et je dois en constater la futilité. Il me faut noter que j’ai reçu une demande en mariage. Quand je pense à la charpente prononcée du prétendant, à sa figure florissante et par trop épanouie, je ne m’étonne pas de la réponse aussi brève que négative que je lui fis. Je n’ai pas brisé son cœur, car le vieux célibataire, enfant d’Albion, d’une nature peu impressionnable, est retourné à Hamilton où il trouvera peut-être des cœurs plus sensibles.

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Voilà un souvenir que je raconterai à mes petits neveux lorsque, vieille et célibataire, je leur parlerai du passé : du temps où, jeune et charmante, j’ai refusé un brillant parti.

L’an dernier j’ai failli être tuée, alors que le cheval de mon amie Élise4 prit peur et me jeta sous les roues de la voiture. Cette semaine j’étais au même endroit chez mon amie, les hommes travaillaient dans le champ. Il nous prit envie de monter sur les voyages de foin qu’on engrangeait. Le chemin était inégal et la voiture pencha, au point que nous dégringolâmes d’une hauteur de plusieurs pieds. Ce fut un terrible moment pour mon pauvre nez qui essuya le choc.

Nous étions allés la veille en chaloupe, où nous faillîmes être emportés dans les rapides : mais des amis vinrent du rivage nous tirer d’embarras…

J’ai une légère inclination vers la littérature. J’ai écrit ces jours-ci quelques petites chroniques que papa me promet de faire publier, si je ne suis pas trop paresseuse pour les corriger et les mettre au point. L’avoue-rai-je, la paresse a mille chances de triompher sur l’ambition de donner au public mes essais littéraires. Je suis cependant résolue à dompter cette vilaine bête et à me mettre au travail.

30 juillet 1879. Mercredi. — Il ne se passe rien de bien intéressant pré-sentement. Je parlais mariage ces jours-ci. Je me passe le luxe d’analyser mes dispositions matrimoniales. Je crois bien que, rendue à un certain âge, j’aimerai me rappeler quelles étaient mes dispositions au temps présent. J’aurai soin de noter de temps en temps, pour le plaisir de mes 30 ou 40 ans, les sentiments de ma dix-septième année. Je me demande si j’aime quelqu’un, en dehors de ma famille. Non, pas la moindre amourette à te raconter, mon cher journal. C’est que je ne suis plus jeune ; j’aurai bientôt 18 ans, et il faut commencer à envisager la vie sérieusement. Je ne rêve plus du tout ; loin de là, car il me semble que je suis un peu blasée. Tout en admirant les jolis garçons, je ne les embrasse pas tous dans un amour collectif. Ils avaient plus de prestige à mes yeux l’an dernier, quand j’étais

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encore au couvent. La distance trompe sur la qualité des choses. Leur com-pagnie avait le charme du fruit défendu. Maintenant que j’y ai goûté, j’ai perdu quelque peu de mon enthousiasme. La lecture y gagne en attrait. Je suis à lire l’Histoire des Girondins, de Lamartine.

4 août 1879. Lundi. — Nous avons un vrai temps d’automne, froid, sombre et triste. Mes sœurs se mettent au diapason ; elles chantent quelque chose d’assez monotone, qui parle de vent et de feuilles mortes. Voilà qui est assombrissant au possible ; j’en suis grelottante mais je résiste au diable bleu.

Il y a grand branlebas dans la maison car nous sommes à préparer une noce5. Étalage de toilettes et de tout ce qui constitue le trousseau. Les cadeaux nous intéressent fort. Robe bleu azur, dentelles, guirlande nuptiale, etc. Cet amas de jolies choses tente également et mon goût et mon cœur. Est-ce que tous ces apprêts n’éveillent pas le désir de jouer à mon tour un premier rôle ?

5 août 1879. — Je me disais hier que j’avais hâte de recevoir toilettes et cadeaux, mais tout cela me fait rire aujourd’hui. Je ne sais pas quelle page de mon Journal déploiera, aux yeux et à l’esprit, cette catastrophe extraordinaire du don de mon cœur à quelque charmant chevalier : car il faudra qu’il soit bien séduisant pour m’attirer à lui. Je n’ai pas encore eu la pensée de décrire mon idéal, mais tout cela ne représente que des images et des idées assez frivoles. J’ose cependant espérer que les années ne m’infli-geront pas une pruderie qui me ferait répudier ces jolis rêves passagers, qui me permettront d’établir des parallèles amusants entre l’idéal de mon adolescence et l’être heureux ou malheureux qui me sera dévolu. Rien ne me fait craindre à cette heure une fin prochaine. J’espère au contraire une continuation de la vie agréable que je mène. Voici le chef-d’œuvre de mon imagination : brun ou blond, peu m’importe pourvu qu’il ait des traits passables, des yeux expressifs, l’air distingué et un caractère parfaitement honorable. À défaut de beauté, de l’élégance ; le tout, assaisonné d’un

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peu d’écus, rendrait le candidat doublement précieux. Il faudrait sonder le gousset, avant de darder le cœur. Je sais bien pourtant que mon cœur indocile et capricieux enverra au diable toutes ces belles histoires, dès qu’il se sentira épris. Il ne faut pourtant pas que des flammes, comme celles d’un incendie, se contentent des premières proies qui s’offrent à elles, quelque chétives qu’elles puissent être ; mais qui sait où le vent de l’Amour ne pousse pas les faibles êtres que nous sommes ? Malgré la description que je fais de l’être privilégié, le héros de mes rêves n’obtient pas souvent audience de mon esprit. Il est vrai que je ne m’occupe pas immensément de mon avenir. Je me contente des plaisirs et des satisfactions qui s’offrent à moi, tout en essayant de diriger mes facultés vers le but suprême de notre existence. Les préoccupations puériles de ce monde distrayant trop souvent notre esprit et notre âme du but suprême auquel doit aboutir le tourbillon qui emporte l’humanité, dans ce besoin de s’agiter toujours et de chercher ici-bas un monde meilleur.

6 novembre 1879. Jeudi. — Mon pauvre Journal ! je l’ai bien négligé depuis quelques semaines. Le mariage de ma sœur aînée et mille incidents s’y rapportant, m’ont éloignée de toi. Mon père était né dans l’aisance, mais ses revenus ont graduellement baissé alors que s’augmentaient ses charges de famille. On parle autour de moi de projets financiers qui nous ramèneraient la fortune. J’ai applaudi, mais ce n’est pas une condition essentielle du bonheur. Si je peux seulement être bonne pour les miens et pour les déshérités, je me consolerai de ne pas être fortunée. Le monde où nous vivons n’offre pas une demeure permanente. Il faut constamment penser à l’existence future qui est éternelle. J’entends la cloche qui tinte dans la nuit, mêlant un lugubre son à celui de la rafale et nous appelant à prier pour les morts. Papa et maman sont assis au coin du feu, l’un parcourant un travail sur l’art de tailler les arbres fruitiers, l’autre lisant l’Histoire de Cicéron, de Lamartine. J’ai lu dernièrement les chefs-d’œuvre du théâtre moderne, et je suis à lire des scènes de mœurs de l’Espagne contemporaine. Je vais revoir et corriger mes petits essais littéraires que

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je publierai peut-être dans La Tribune, journal récemment fondé par M. L.-O. David6.

25 décembre 1879. Samedi. — J’ai envie aujourd’hui de faire mon por-trait. Je viens de compléter ma dix-huitième année, le 5 décembre. Je crois que j’étais assez jolie ce matin, lorsque je suis allée à la messe. Il faudrait pourtant que je le fasse avant de trop vieillir, afin d’avoir un point de comparaison lorsque se transformeront mes traits. On se demande parfois l’effet que l’on produit sur autrui, et c’est peut-être à ce moment que naît la coquetterie. Le désir de plaire chez moi n’a pas encore trouvé son objet. Je m’en suis rendue compte récemment. J’ai lu quelque part que, pour se rapprocher de Jésus et acquérir l’ardeur qu’on voudrait ressentir pour lui, on peut le revêtir des formes, des traits, des perfections que l’on admire chez ceux-là qu’on aime. Cette idée me vint à l’esprit, mais je ne trouvai pas l’être parfait dont je puisse emprunter les charmes. Du reste, cette pensée fut vite écartée, car elle me sembla impie ; et j’essayai de penser à Notre-Seigneur comme étant la beauté idéale, plutôt morale que physique, et je me dis que je ne vois pas, dans mon horizon, le beau chevalier capable d’enchaîner toutes mes pensées.

30 janvier 1880. Vendredi. — Je te néglige mon cher Journal car je tra-vaille assez régulièrement chaque jour. J’écris de petites chroniques que je donne aux journaux. Elles n’ont pas été trop mal reçues, je crois ; et la critique n’a pas été trop sévère à leur endroit. J’ai osé davantage. J’ai écrit une comédie7, qui sera jouée dans une quinzaine de jours. Je me sens tout étonnée de mon audace. J’ai réuni un comité de lecture, qui a semblé lui trouver quelque mérite. J’ai distribué les rôles et j’en prendrai un moi-même. Je ne sais pas si l’auteur peut interpréter son œuvre avec la même facilité qu’une actrice étrangère.

27 juillet 1882. Jeudi. — J’ai négligé mon Journal depuis bien longtemps, car j’ai donné tous mes loisirs à des travaux littéraires. Je constate en reli-

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L’édition électronique de

Journal intime

composée en Aldus roman corps 12

a été complété en octobre 2011.

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