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Extrait de la publication… · Le Potentiel érotique de ma femme, 2004, Prix Roger-Nimier, (Folio n° 4248). ... monstrueuse de tous ses fantasmes, mélange baroque des femmes qui

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En cas de bonheur

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DU MEME AUTEUR

Aux éditions Gallimard

Inversion de l’idiotie, 2002, Prix François-Mauriac del’Académie Française.Entre les oreilles, 2002.Le Potentiel érotique de ma femme, 2004, Prix Roger-Nimier, (Folio n° 4248).

Aux éditions Emmanuel Proust

Pourquoi tant d’amour ?, trilogie en collaborationavec Benjamin Reiss, 2003-2005.

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David Foenkinos

En cas de bonheur

roman

Flammarion

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© Editions Flammarion, 2005.ISBN : 2-08-068895-2

A Claire C.

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« Le mariage est un enfer. »Henry de Montherlant

« Jamais je n’ai été aussi heureuxque pendant mes années de mariage. »

Auteur inconnu

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PROLOGUE

Cela faisait longtemps que Jean-Jacques n’avaitpas cherché à paraître sous son meilleur jour. Afinde perfectionner la musculature de ses mollets, il pré-férait depuis peu monter chez lui en utilisant les esca-liers. L’ascenseur lui semblait être réservé auxhommes dont les vies sont molles, aux hommes quine cherchent plus à séduire. Il rentrait trois minutesavant vingt heures et souriait mécaniquement àClaire. Ce sourire évacué comme on chasse unemouche, il allumait la télévision. Moins sa vie conju-gale l’intéressait, plus il se lamentait sur le sort despopulations en guerre. D’une manière illusoire etoccidentale, il trouvait dans le drame kurde quelqueécho à son effritement.

Le couple est le pays qui a la plus faible espérancede vie. Huit ans, c’était déjà presque un exploit.Jean-Jacques et Claire échangeaient des signes detendresse, certes fugitifs ; des tendresses comme desvestiges ; des effleurements en forme de nostalgie ;

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des baisers en coin, en pèlerinage de ce qui fut desbaisers en rond. Cette complicité réelle cachait, auxyeux des autres, leur véritable érosion. On les citaiten exemple, ce qui les confortait dans leur routine.En revanche, personne ne comprenait pourquoi ilsne faisaient pas d’autre enfant. Un couple comme leleur, une telle image de perfection, se retrouvait dansl’obligation quasi militaire de procréer à nouveau.Au début, ils avaient souri d’une manière grossière,repoussant aux lendemains ce qui pouvait être faitdans les neuf mois. Puis le temps avait passé, et ilss’étaient retrouvés face à une évidence : ils n’avaientpas envie de faire un second enfant. Pour se justifier,ils avaient joué à ce qu’ils n’étaient pas. Jean-Jacqueset Claire avaient exprimé le souhait de préserver dutemps pour eux. Tout le monde trouvait cetteréponse formidable. On applaudissait leur mensongesocial, en chuchotant que l’amour agonise sanségoïsme.

Louise, leur fille de six ans, était épuisée. Pas unemiette de son temps libre ne survivait aux coursde danse, de piano, et aux initiations au chinois(Jean-Jacques avait lu quelque part que, dans quaranteans, l’humanité entière parlerait chinois ; c’était unhomme rationnel et prévoyant.) Ils voulaient à toutprix en faire une fille modèle 1, comme un faire-valoir

1. Elle deviendrait donc (forcément) quelque peu neuras-thénique.

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du bonheur. Ainsi, rien n’était plus important que l’il-lusion de son épanouissement. Mais quand elle jouaitdu piano dans le salon, il était difficile de ne pas penserau quatuor à cordes du Titanic.

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PREMIERE PARTIE

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I

Le travail de Jean-Jacques suscitait un intérêtlimité. Il était une sorte de conseiller en quelquechose, en rapport avec de l’argent et du mouvementd’argent. Une des qualités majeures pour cet emploiétait donc d’avoir le cou solide pour pouvoir pivoteraisément. On trouvait dans sa société beaucoup d’or-dinateurs et des hommes en cravate. Des hommesqui prenaient le métro à heure fixe et qui rentraienten sueur. L’entreprise occupait une grande tour. Lepatron trônait au dernier étage. Mais après les atten-tats du 11 septembre, il avait décidé d’inverser lahiérarchie. Les sous-fifres jouissaient dorénavantd’une vue imprenable sur Paris. Personne n’avait osécritiquer ce changement, mais plus d’un employéavait été perturbé par cette nouvelle situation : quandon a pour unique objectif de monter, il est difficilede se résoudre à descendre.

Edouard, le meilleur ami de Jean-Jacques, étaitaussi son plus proche collaborateur. Caricature de

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l’homme sûr de lui, il offrait tous les gages d’un épa-nouissement sans failles. Quand il décrochait uncontrat, il se levait subitement et montait sur unbureau. Il fallait que tous soient informés de sessuccès. Il était toujours le premier pour organiser desapéritifs tardifs, trinquer à tout-va, et créer cettefausse bonne humeur où l’on est incapable de parlerd’autre chose que du travail. Ses extravagancessociales ne l’empêchaient pas d’être l’ami le plusattentif qui soit. Son amitié avec Jean-Jacques dataitplus particulièrement de cette période difficilequ’avait été son divorce. A l’époque, son couples’était déchiré d’une manière lamentable, avec desavocats et des témoignages à charge. Les années pas-sant, la situation avait radicalement changé. Edouardétait devenu un célibataire habité par l’obsession dela séduction. Quand il était avec ses enfants, il necessait de les gâter. Et le reste du temps, il allait defemme en femme. Il se répandait en confidences, etles oreilles de Jean-Jacques mélangeaient prénomsféminins et positions sexuelles. Frustré de ne pasavoir une vie aussi trépidante, Jean-Jacques voulaitéviter ce genre de discussion. Edouard repéra unmalaise qu’il fallait tout de suite analyser :

« Comment ça se passe avec Claire ? »Jean-Jacques répondit que tout allait très bien,

mais son intonation avait pris des allures de pianodéménagé. Il ne pouvait pas dire non plus que toutallait mal. Sa relation avec Claire était juste un oublidans l’entre-deux des définitions amoureuses.

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« Et sexuellement ? »Là, il ne put répondre. Le constat d’Edouard était

radical : son ami devait se trouver une maîtresse. Acet instant précis de sa vie, Jean-Jacques pensa qu’ilserait capable de tromper Claire. Pour conjurer l’an-goisse d’une telle pensée, il se réfugia aussitôt dansun de leurs souvenirs qu’il chérissait plus que tout.Edouard le coupa :

« Tu penses à Genève ? »Il était donc si prévisible qu’on pouvait lire dans

ses pensées. Lentement, des sueurs l’envahissaient. Ilessayait d’imaginer les mensonges qu’il dirait à safemme. Il visualisait déjà cette maîtresse qu’il neconnaissait pas. Elle était l’incarnation presquemonstrueuse de tous ses fantasmes, mélange baroquedes femmes qui lui avaient plu, même fugitivement,au cours des vingt dernières années. Jean-Jacques,dans un élan ridicule d’anticipation, se sentait déjàcoupable. Il tentait de se rassurer en estimant impos-sible la fidélité éternelle, mais il n’en demeurait pasmoins fébrile. Ce ne serait jamais pour lui une entre-prise anodine. Il cherchait à se convaincre, à se prou-ver que son désir d’une autre femme était aussiinéluctable que l’érosion de son propre couple. Sûre-ment, Claire le comprendrait, il ne devait pas s’an-goisser. Ce n’était pas comme s’il l’avait trompéedans les premiers mois de leur mariage ; l’adultèregrandissait en légitimité avec les années. Elle aussiaurait peut-être un amant. Etait-ce déjà le cas ? Sauf

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pour la mort, les femmes ont toujours de l’avancesur les hommes.

Quelques mois plus tard, Jean-Jacques se retrou-vait dans une chambre d’hôtel avec Sonia. Et cen’était pas la première fois. Embrasser une nouvellefemme lui offrait une autre énergie, insoupçonnable.Depuis des années, il ne s’était pas senti aussi heu-reux. Il voulait vivre et respirer ; il ne supportait plusles ascenseurs. Il considérait la part dangereuse decette euphorie et se sentait terriblement ridicule dansson cliché d’homme marié. Il préférait marcher unpeu avant de rentrer, comme si l’errance dans la nuitlui permettait de perdre le sourire béat qui barraitson visage. Dans les rues de Paris, il croisait duregard les passants. Il avait alors la folle impressionque tous savaient ce qu’il venait de faire. Aprèsl’amour, on est toujours un peu le centre du monde.Mais ce n’était pas une sensation si extravagante.Depuis quelques jours, il était réellement épié.

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N° d’éditeur : FF889501Dépôt légal : août 2005

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