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Extrait de la publication… · L’Étrange Histoire de l’amour heureux, Armand Colin, 2009. ... de ceux qui sont en couple, ... on répète sans cesse que 50 % des couples mariés

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Oser le couple

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Des mêmes auteurs :Rose-Marie CharestLa dynamique amoureuse. L’alchimie du couple, Albin Michel, 2011La dynamique amoureuse entre désirs et peurs, Bayard Canada Livres, 2008

Jean-Claude Kaufmann :La Trame conjugale. Analyse du couple par son linge, Nathan, 1992, Pocket, 1997.Sociologie du couple, Presses Universitaires de France, 1993.Corps de femme, regards d’hommes. Sociologie des seins nus, Nathan, 1993, Pocket, 1998.Faire ou faire-faire ? Familles et services (éd.), Presses Universitaires de Rennes, 1996.L’Entretien compréhensif, Nathan, 1996, Armand Colin, 2005.Le Coeur à l ’ouvrage. Théorie de l ’action ménagère, Nathan, 1997, Pocket, 2000.La Femme seule et le Prince charmant, Nathan, 1992, Armand Colin, 2006.Ego. Pour une sociologie de l ’individu, Nathan, 2001, Hachette, « Pluriel », 2006.Premier Matin, Armand Colin, 2002, Pocket, 2004.L’Invention de soi, Armand Colin, 2004, Hachette, « Pluriel », 2005.Casseroles, amours et crises, Armand Colin, 2005, Hachette, « Pluriel », 2006.Agacements. Les petites guerres du couple, Armand Colin, 2007, Le Livre de poche, 2008.Familles à table (avec des photos de Rita Scaglia), Armand Colin, 2007.Quand je est un autre, Armand Colin, 2008, Hachette, « Pluriel », 2009.L’Étrange Histoire de l ’amour heureux, Armand Colin, 2009.Sex@mour, Armand Colin, 2010.Le sac. Un petit monde d’amour, JC Lattès, 2011.

Anne Lamy est journaliste, spécialiste en psychologie, éducation et société. Elle est l’auteur de plusieurs ouvrages, parmi lesquels Réussir la garde alternée, Un seul parent à la maison (tous deux chez Albin Michel) et Parents, le grand désarroi ( Jean-Claude Gawsewitch).

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Rose-Marie Charest

Jean-Claude Kaufmann

Oser le coupleAvec la collaboration d’Anne Lamy

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Dépôt légal – Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2012Bibliothèque et Archives Canada, 2012

© Armand Colin, Paris, 2012ISBN : 978-2-200-27782-6www.armand-colin.com

Bayard Canada Livres inc, 2012ISBN : 978-2-89579-504-9

Conception de la couverture : Rémi Balligand / corps 8Maquette intérieure : Yves Tremblay

Nous reconnaissons l'aide financière du gouvernement du Canada par l’en-tremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de dévelop-pement de notre entreprise.

Bayard Canada Livres inc. remercie le Conseil des Arts du Canada du sou-tien accordé à son programme d’édition dans le cadre du Programme des subventions globales aux éditeurs.

Bayard Canada Livres4475, rue Frontenac, Montréal (Québec)  H2H 2S2Téléphone : 514 844-2111 – 1 866 [email protected]

Imprimé en France

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Sommaire

Avant-propos ........................................................... 9

S’aimer au xxie siècle, une aventure paradoxale ........ 11

De nouvelles exigences face au couple ................. 11

Le savoir théorique sur le couple ne suffit pas… .. 13

Le décalage entre l’amoureux qu’on est et celui qu’on voudrait être ................................... 15

Entre lâcher prise et désir de contrôle .................. 18

Des désirs contradictoires ou tus .......................... 21

La tentation « consumériste » ............................... 23

Pourquoi est-ce compliqué d’aimer ? ........................ 25

Ce qu’attendent les hommes, ce qu’attendent les femmes ........................................................... 25

La revendication égalitaire entre hommes et femmes n’est pas gagnée… ............................... 31

L’amour face à la logique de l’évaluation .............. 36

Traverser une difficulté, un art complexe ............. 39

L’engagement, attirant mais redouté .................... 43

Moi d’abord ? Ou mon couple d’abord ? .............. 45

Don de soi… ou oubli de soi ou investissement ? . 49

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Oser le couple

C’est comment, être soi ? ...................................... 53

Le principe de précaution, un frein pour l’élan amoureux ............................................................. 54

Dans quel état émotionnel arrivons-nous en couple ? 56

Les ingrédients de la vie à deux ................................ 59

La place du désir dans le couple ........................... 59

Un désir complexe, contrarié par des attentes contradictoires ..................................................... 64

Le désir, nourri par la différence .......................... 69

De la passion à l’attachement ............................... 76

Identifier les freins à l’intimité ............................. 82

Nos souvenirs de l’intimité en famille .................. 87

Nourrir son couple : dialogue, attention à l’autre… 89

« Ils s’aimeront toute la vie… ».................................. 95

Amour toujours ? ................................................. 95

Et en cas d’infidélité ? .......................................... 99

Petits (ou grands) agacements… .......................... 109

Quel type d’attachement me lie à l’autre ? ............ 114

La place des enfants face au couple ...................... 120

Quand l’amour s’en va .............................................. 125

La fin se profile .................................................... 125

La rupture, si difficile à concevoir ........................ 128

La décision de rompre ......................................... 131

Une décision prématurée ou tardive ..................... 135

Quand la rupture fait peur ................................... 140

Le temps de la fin ................................................ 143

De la dépression à la reconstruction .................... 147

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Sommaire

Le célibat, un passage obligé .................................... 153

Un statut en partie mieux assumé ........................ 153

Le deuil de la maternité ....................................... 155

Un célibataire plus exigeant qu’autrefois .............. 158

Entre sécurité et liberté ........................................ 162

Quand la solitude pèse… ..................................... 164

Franchir le pas de la vie à deux ............................ 166

La prochaine rencontre ............................................ 171

Internet, une rencontre virtuelle, puis incarnée… 171

Quand Internet facilite (un peu) les choses… ...... 175

Les risques de l’opération ..................................... 180

Ce que la rencontre promet ................................. 184

Conclusion ............................................................... 189

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Avant-propos

La vie à deux fait toujours rêver et pourtant le couple n’a jamais été si difficile à construire. Sommés de réussir notre relation amoureuse comme le reste de notre vie, nous attendons beaucoup de la vie à deux : pas question de vivre un bonheur tiède… mais, dans le même temps, nous avançons sans modèle ni repères ! Cette absence de certitude et cet aller-retour incessant entre nos désirs (de s’aimer pour le meilleur et sans le pire, de s’aimer pour toujours) et nos peurs génèrent une série d’interrogations : pourquoi est-ce si difficile de se rencontrer et de s’investir ? De résister à l’usure ? D’aimer malgré la déception ?

Ce sont à ces questions et à bien d’autres que deux spécialistes du couple et du sentiment amoureux, Rose-Marie Charest et Jean-Claude Kaufmann répondent à l’occasion d’une rencontre. Tout semble les séparer : l’une est psychologue, québécoise et femme, l’autre est sociologue, français et homme. Mais en réalité, hormis l’océan Atlantique, rien ne les oppose fondamentalement. Car Rose-Marie Charest, depuis le Québec, accompagne les couples

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ou les personnes, recueille les joies – et plus souvent les peines – de ceux qui sont en couple, l’ont été ou voudraient peut-être y rentrer un jour. Jean-Claude Kaufmann, lui, observe la mécanique des couples et n’en finit pas de s’étonner que, malgré (ou à grâce à) cette machine à confronter de la différence qu’est le couple, deux personnes s’aiment encore après cinq ans, vingt ans ou cinquante ans de vie commune.

Dans un passionnant dialogue, ils confrontent leurs points de vue convergents mais néanmoins spécifiques. La forme vivante et spontanée de leur échange, volontairement gardée, évite l’écueil du discours froid et distant de l’expert et nous rappelle qu’il n’y a pas une vérité absolue pour bâtir une his-toire d’amour et la nourrir au fil des jours.

Enfin, ils osent poser les questions que nous n’osons pas toujours nous formuler : pourquoi ai-je si peur de l’autre… que pourtant je désire ? En quoi le choix de mon partenaire révèle-t-il mes secrets intimes ? Lorsque le couple tangue, en quoi vouloir à l’autre me soulage ? Que ne puis-je pas attendre de l’autre ? La vie à deux est-elle une occasion de me révéler à moi-même… ou de m’oublier ? Loin des discours stéréotypés, leur réflexion originale nous éclaire sur le couple, ce « 3e territoire » créé à deux, toujours supérieur à la somme de « toi + moi ».

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S’aimer au XXIe siècle, une aventure paradoxale

De nouvelles exigences face au couple

Pourquoi parler du couple aujourd’hui ?

Rose-Marie Charest : Il y a nécessité de mettre un peu d’ordre dans ce qui se dit sur le fait d’être (ou de ne pas être) en couple. Dans les conversations, on entend un grand nombre d’affirmations : « Il n’y a plus moyen d’être en couple aujourd’hui » ou « Il n’y a pas moyen d’être heureux à deux ». De même, on répète sans cesse que 50 % des couples mariés se séparent ; c’est vrai. Mais cela signifie également que 50 % ne se séparent pas ! Ce serait donc inté-ressant de nuancer le propos, d’approfondir notre compréhension du couple et de croiser nos regards de sociologue et de psychologue. Nos expériences,

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nos observations  et notre cheminement nous ont certainement amenés à voir les choses différem-ment mais de façon complémentaire.

Jean-Claude Kaufmann : Pourquoi se ques-tionner sur le couple ? Parce que tout le monde se questionne sur tout aujourd’hui ! Depuis un petit demi-siècle, on observe un changement de société profond dont le fil rouge est l’individu sujet, maître de son existence. Au début du xxe siècle, ce dernier était pris en charge par les institutions qui le cadraient et répondaient à ses interrogations. Il lui suffisait de suivre sa route, la voie était tracée. Aujourd’hui, nous assistons à une véritable révolution : nous sommes au centre de notre vie et avons le pouvoir – et le devoir ! – de décider du chemin à prendre. C’est riche en promesses ; mais cela engendre une fatigue mentale immense de se questionner et se prononcer sur tout, sans cesse. Un exemple, l’ali-mentation. Il y a vingt ans tout le monde mangeait ce qui trouvait dans son assiette. Aujourd’hui, un chercheur va affirmer : « Des féculents ? Surtout pas ! » ; à quoi un autre expert répondra en prônant l’inverse. C’est normal, car tel est le principe du débat scientifique… ce questionnement permanent est le prix à payer de notre liberté et du nouveau statut de l’homme, qui est un peu Dieu pour lui-même. C’est exaltant, mais déstabilisant.

J’inverse donc votre question : pourquoi ne se questionnerait-on pas sur le couple ? Alors qu’on se questionne sur tout, même l’alimentation. D’autant qu’il y a une attente énorme autour de la famille

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et de l’enfant, et que l’on sent bien que la partie ne va pas être simple. Cette attente s’explique par le caractère même de notre société de liberté : elle propose à chacun d’être maître de son destin mais elle est en même temps éprouvante et fonctionne sur l’évaluation généralisée de chacun par chacun. Comme tout le monde note tout le monde, il nous faut tout réussir… même nos vacances, pour en faire un beau récit ! D’où notre envie d’avoir un endroit où l’on se lâche et où on n’est plus sous contrôle permanent, où le partenaire peut même nous aider un peu dans ce combat difficile, être un peu théra-peute. Voilà pour le rêve ; la mise en pratique, elle, sera plus délicate !

Le savoir théorique sur le couple ne suffit pas…

Avec tout ce qui se dit sur les enjeux et les embûches du couple aujourd’hui, est-on mieux armé face à ce qui nous attend ? Ou plus exigeant qu’auparavant ?

JCK : Mieux armés, nous le sommes. Mais cette compréhension intellectuelle donne-t-elle toutes les clés ? Non, car la connaissance intellectuelle ne suffit pas. Ce sont des processus extrêmement com-plexes, inconscients, émotionnels qui sont en jeu dans le couple. Les problèmes sont beaucoup plus difficiles à résoudre aujourd’hui qu’avant : autrefois, on rentrait en couple et c’était parti pour la vie,

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quoiqu’il arrive ou presque. Les deux partenaires s’entendaient plus ou moins, tout l’art conjugal consistant à plutôt bien vivre à deux et en famille. Aujourd’hui, chacun a davantage d’attentes dans le couple ! On n’y attend rien moins que le bonheur personnel.

RMC : Aujourd’hui, nous avons multiplié nos connaissances dans beaucoup de domaines, et nous nous imaginons que ce savoir nous donne le contrôle sur la vie. Mais c’est faux ! Dans le couple, nos connaissances nous ont au mieux sensibilisés aux problèmes que nous rencontrons ; et elles nous permettront de mettre des mots sur ce qu’on vit. Mais pas davantage. Car on connaît beaucoup plus de choses sur un plan intellectuel. Mais au niveau affectif – et il est question d’affectivité quand on parle de couple – on n’est pas mieux armé. Nous aurons beau avoir lu Comment réussir sa vie de couple, nous nous lancerons dans la vie à deux avec l’énergie qui est la nôtre, nos peurs, nos désirs, notre sen-sibilité. Or, ce qui fabrique un couple, c’est juste-ment la capacité de construire un territoire où les peurs, les désirs et les sensibilités de chacun réussis-sent à créer quelque chose d’intéressant. Lorsqu’on arrive en couple, on est davantage informé, on s’est posé plus de questions, on a parfois des pistes de réponse. Mais pour le reste, il faut inventer. Ce pro-cessus se fait à un niveau très intime, qui s’appuie sur les expériences héritées de notre enfance ou de nos premières histoires amoureuses. Par ailleurs, si l’on est en train de former un nouveau couple, c’est

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parce qu’on n’a pas réussi à en créer un ; ou alors quelque chose n’a pas fonctionné dans le précédent (et l’autre ou soi-même y a mis fin). On arrive alors avec certaines peurs de répéter les expériences, voire les erreurs passées. Mais on est en même temps porteur d’un désir, branché sur l’imaginaire, qui nous fait envisager le prochain partenaire comme la source de satisfaction future à tous nos besoins. Cet espoir démesuré va, fatalement, poser problème. C’est un écueil encore fréquent au moment de l’en-trée en couple.

Le décalage entre l’amoureux qu’on est et celui qu’on voudrait être

Le fait de mieux connaître le couple, en théorie, n’em-pêche donc pas les diff icultés de survenir, dans la pra-tique… Ce qui peut en désemparer certains !

RMC : Je vois surtout des gens désemparés de ne pouvoir respecter une décision qu’ils avaient prise. Par exemple, ils avaient décidé de ne plus jamais vivre telle ou telle situation. Et ils regrettent d’être de nouveau tombés dans ce que, justement, ils souhai-taient éviter. Ils avaient perçu ce que cette situation avait de douloureux, sans comprendre quel avan-tage ils y trouvaient. La dépendance, par exemple : aujourd’hui, il est mal vu d’être dépendant de qui que ce soit, de quoi que ce soit. En ce moment, on ne cesse d’entendre parler de « dépendance affective » :

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au Québec, c’est une véritable épidémie… et je le déplore. Ce terme de dépendance convient pour dési-gner une relation ou une personne qui nous détruit et vers laquelle nous retournons, malgré tout. Mais lorsqu’on aime quelqu’un, qu’on a envie d’être avec lui ou elle, cessons d’appeler cela de la dépendance ! comme s’il s’agissait d’un tort, d’une pathologie !

J’ai également souvent entendu des gens déclarer : « Moi, lorsque je serai en couple, mon prochain par-tenaire sera comme ci/comme ça. » Au final, cela ne se passe jamais comme ils le souhaitaient. Ils s’en veulent… mais ils ont tort : ce qu’ils auront vécu va les guider pour leur vie future. Cette expérience aura plus de poids qu’une décision rationnelle qu’ils auraient pu prendre.  Je vois aussi beaucoup de souffrance lorsqu’on ne correspond pas au modèle qu’on s’était fixé. Je l’observe fréquemment chez les femmes qui se remettent en question, plus que les hommes. Elles s’en veulent de ne pas avoir été à la hauteur, de n’avoir pas été assez indépendantes, de s’être laissé aller à la dépendance. Mais peut-on aimer si on ne se permet pas de risquer de souffrir ou d’avoir besoin de l’autre ? Mon travail de psy-chologue, c’est d’amener la personne à voir qu’on a de la peine quand on perd celui ou celle qu’on aime, mais qu’il est plus dramatique de vivre toute sa vie avec la peur d’avoir mal et de se mettre en cage pour rester à l’abri. On peut traverser la vie sous une cloche de verre, sans vivre aucun engagement. Mais quel sens une telle vie aurait-elle ? D’ailleurs, je me demande si l’on ne devrait pas faire le lien entre engagement et dépendance. On a découragé

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ceux qui voulaient s’engager à force de diaboliser la dépendance et d’en parler comme d’une pathologie. Mais en réalité, c’est un très beau terme, qui renvoie davantage à l’interdépendance inhérente à l’amour qu’à une quelconque pathologie.

JCK : En France, la dépendance amoureuse a peut-être moins mauvaise presse. La passion reste très valorisée dans notre culture, depuis Tristan et Iseut jusqu’à aujourd’hui, à travers les romans ou les films. Le coup de foudre continue à faire rêver. Mais il est vrai que, compte tenu du discours ambiant sur la maîtrise de soi, on se méfie de tout ce qui risque-rait de faire perdre le contrôle de son existence.

RMC : Je vois une autre catégorie de personnes : elles sont très autonomes mais dès qu’elles entrent dans l’intimité de quelqu’un, elles perdent leur autonomie. C’est un profil bien illustré par Colette Dowling, auteure américaine, dans Le Complexe de Cendrillon. Journaliste renommée à New York, divorcée, elle élève seule ses trois enfants, mène sa vie professionnelle tambour battant. Puis un jour, elle tombe amoureuse d’un nouvel homme. Graduellement, elle se rend compte qu’elle n’as-sume plus rien. Elle réalise que, jusque-là, elle por-tait tout, toute seule, mais que c’était contre nature. Dès qu’elle a eu la possibilité de ne pas le faire, elle a cessé de tout assumer. N’y a-t-il pas en chacun de nous, à des degrés divers, cette tendance à attendre quelqu’un dans notre vie, qui pourra prendre cer-taines décisions, à qui on laisse une marge de

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contrôle dans notre vie ? Jusque-là, c’est normal : cela fait partie de la vie en couple. On le décrit comme quelqu’un sur qui on pourrait s’appuyer – l’épaule tant recherchée par les femmes en particulier. Mais lorsqu’il y a abandon total, c’est évidemment pro-blématique. Cela est particulièrement frappant chez des personnes très autonomes et indépendantes par ailleurs. C’est comme si l’on adoptait à certains moments et dans certaines sphères de notre vie un rôle qui ne correspond pas à soi, mais qu’on pousse à l’extrême par peur du rôle inverse. Et alors, dès que l’occasion se présente de vivre le rôle inverse, on s’y engouffre. Certains sont authentiquement auto-nomes et vont le rester une fois en couple. D’autres sont aussi capables de l’être, mais ils baissent la garde une fois en couple… pour ensuite reprocher à l’autre d’avoir pris le contrôle sur leur vie ! Ce genre de conflit commence par : « Ça fait dix ans que tu décides de telle chose. » Ce reproche, c’est précisé-ment ce qu’on a permis à l’autre il y a des années… et qu’on ne permettrait pas ailleurs !

Entre lâcher prise et désir de contrôleToute la diff iculté serait donc de s’ouvrir à l ’autre sans s’oublier, soi ?

RMC : Oui, d’autant qu’on en a tous en tête des situations où certains se sont perdus dans le couple ! Ils ont laissé tomber leurs valeurs, leur identité,

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sont devenus ce que l’autre aimait voir en eux. C’est dramatique. Ceux-là ont raison de redouter l’enga-gement. Car, lorsqu’ils s’engagent, ils se perdent de vue. En réalité, ce n’est pas l’engagement qui les perd, c’est leur propre fragilité : l’autre n’a de pouvoir sur eux que dans la mesure où ils l’autorisent à prendre ce pouvoir. Il faut reconnaître qu’être capable de s’affirmer, au travail, dans le quotidien, ce n’est déjà pas simple… mais s’affirmer avec quelqu’un dans l’intimité, c’est encore plus délicat !

L’entrée en couple va nous transformer : mais pour sortir de soi et donner quelque chose à l’autre, pour s’ouvrir à l’amour sans s’y perdre, il faut déjà être bien armé. Je me demande si en focalisant autant sur l’individu, en lui répétant : « Réussis ta vie, mais débrouille-toi seul pour le faire », on ne l’a pas fragilisé.

Dans les relations humaines, et dans le couple en particulier, on ne peut se débrouiller seul. Il faut être capable d’échanger, de négocier, de s’entendre, sans tout donner, sans se perdre. Autrefois la vie en com-munauté, familiale ou autre, nous forçait à apprendre cela. De plus, les rôles étant – malheureusement – plus figés, le territoire commun était plus restreint, les négociations moins fréquentes. Aujourd’hui, l’individu attend beaucoup de son couple pour son bonheur et son développement personnel ; mais davantage qu’autrefois, il a peur de ce qu’il pourrait y vivre : peur de l’échec, mais aussi peur d’échouer à garder ce qu’il est comme personne.

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JCK : C’est vrai qu’il y a un juste milieu à trouver entre une trop grande maîtrise et un trop grand lâcher prise, où l’on se perd soi-même. La question, c’est : « Comment vivre à deux tout en restant soi-même ? » Certains, par leur histoire, sont de suite autonomes. Toute la tâche, pour eux, sera d’accepter le changement et d’apprendre à se lâcher, à rentrer dans l’univers de leur partenaire. À l’extrême opposé, d’autres attendent de leur partenaire qu’il donne sens et enrichisse leur existence. « Maîtriser » leur vie, pour eux, est une abstraction, qui ne résiste pas longtemps face à leur désir de construire un couple et une famille. Si les premiers vivent plutôt bien leur célibat, les derniers ont une capacité à accepter la vie à deux… même quand elle n’est pas idéale.

RMC : La situation se complique encore davan-tage pour nous, les femmes Nous n’y pensons pas tous les jours, mais au fond de nous on sait bien que notre histoire d’autonomie est récente, et donc fragile. Il y a peu de modèles sur lesquels s’appuyer, chacune se retrouvant seule avec elle-même pour tracer la frontière entre la mise en commun et la dépendance. Psychiquement, cela se complique encore davantage car le désir de dépendance est inscrit dans chaque être humain comme ce bon vieux retour à la mère. Or, chez les femmes ce désir fait peur car il fait aussitôt surgir la peur d’être dominée par l’homme. On ne peut nier que cette réalité, fortement inscrite dans notre histoire, nous influence encore. Presque du jour au lendemain, on nous a dit : « Vous aussi, vous avez le contrôle sur

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votre vie. » Il n’y a qu’une cinquantaine d’années qui nous séparent du temps où une femme ne pouvait travailler ou simplement avoir un compte bancaire sans l’accord de son mari.

C’est une liberté nouvelle, assez récente, offerte par la contraception, l’accès au travail et à l’auto-nomie financière. À partir de ce moment-là, nous nous sommes souvent imposées d’avoir le contrôle sur tout et forcées à répondre nous-mêmes à nos besoins. Le besoin de démontrer notre capacité de le faire nous a souvent fait perdre de vue la satisfaction d’autres besoins. Le seul auquel on ne puisse pas répondre par nous-mêmes, c’est le besoin d’amour ! C’est donc normal qu’il y ait une énorme attente envers le couple : c’est le seul endroit où se permettre d’avoir besoin de quelqu’un, alors que partout ail-leurs dans notre vie (l’argent, le travail, etc.), il faut être autonome. L’homme subit aussi cette pression venant de l’extérieur, mais il est moins victime des paradoxes intérieurs vécus par la femme : vouloir réussir et avoir peur de déplaire, s’affirmer et craindre de ne plus séduire, mener une carrière et être une bonne mère. Mais à ce niveau-là, ce n’est plus de l’autonomie, cela frôle parfois l’autosuffisance…

Des désirs contradictoires ou tus

Le couple se trouve en plus au centre d’un certain nombre de contradictions, qui par nature, vont être sources de frustrations…

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Oser le couple

JCK : Par exemple, on rêve que le couple soit un cocon qui protège… et en même temps, on redoute de s’y perdre, on voudrait pouvoir rester un individu avec une pensée autonome et libre ! Autre contra-diction fréquente, l’individu-roi ne peut s’empêcher d’évaluer ce qui lui arrive, de tester son partenaire, et il s’entend répéter en permanence : « Tu dois être le propriétaire de ta vie, tu dois tout réussir. » Il en conclut donc que si sa vie à deux n’est pas satisfai-sante, il lui faut mettre un terme à cette relation… alors même qu’il y tient. Comme le couple est tra-versé par des désirs contradictoires, il faut trouver un juste équilibre entre envie de douceur protectrice et d’autonomie. Ce que font la plupart des couples, qui passent sans cesse de l’une à l’autre. Être en couple est devenu un art…

Nous sommes aussi obligés de coller à une image sociale qui nous contraint en permanence. Notre partenaire, lui aussi, doit participer à la construction de cette image…

RMC : C’est vrai, c’est un enjeu rarement avoué ! Il m’est arrivé de demander à des patients : « Quand vous l’avez vu(e) la première fois, que vous êtes-vous demandé ? » Plusieurs m’ont répondu : « Je me suis demandé comment j’allais le/la présenter à mes parents, à ma meilleure amie. » Normalement, arrivé à l’âge de 30 ans, cela ne devrait pas compter ! On ne devrait pas avoir à se demander comment amener notre amoureux(se) chez soi… Mais cet aspect-là joue des deux côtés : il arrive aussi aux parents d’être très critiques avec les partenaires de leurs enfants,

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S’aimer au XXIe siècle, une aventure paradoxale

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quel que soit l’âge de ces derniers. Et que dire des conversations entre amis sur les choix amoureux de l’un et de l’autre !

JCK : Dans un monde où tout s’évalue, l’amour devrait pourtant rester à l’abri de cette logique comptable. Mais il n’y échappe pas totalement : « Je me suis occupé des enfants trois heures, c’est à ton tour » ; on avance avec une calculatrice à la main pour mesurer les défauts du partenaire…

La tentation « consumériste »

Enfin, pour rentrer en couple, il y a une nouvelle donne : Internet. Il nous facilite la vie en multipliant les occasions de rencontres. Mais il complique les choses en développant chez nous une tentation consumériste…

JCK : Internet offre la possibilité de trouver à la fois l’âme sœur ou une aventure d’un soir, de la drague facile ou un flirt romantique. Mais la logique consumériste qu’il introduit ne simplifie pas le choix : il faut se présenter, se mettre en scène comme une marchandise séduisante. Si bien qu’on compare, on évalue, comme on le ferait dans un grand magasin. Cela génère fatalement de la déception ; car à chaque fois qu’on s’arrête sur un profil qui nous semble atti-rant, on se dit : « Non, il/elle ne rentre pas tout à fait dans mes critères : il/elle est trop ceci, pas assez cela ». Dans cette logique de comparaison sans fin, on est

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Oser le couple

toujours tenté d’aller trouver mieux ailleurs puisque le choix est infini. Et finalement, comme trop de choix tue le choix, on ne trouve rien ! Par ailleurs, sur le fond, cette recherche consumériste  signifie : « Je suis moi, avec tel et tel goût. Et je cherche la personne pour ne plus vivre seul, mais qui me per-mettra de ne pas bouger. » Démarrer un couple sur une telle base mène droit à l’échec : il ne peut y avoir couple que s’il y a mise en mouvement des deux par-tenaires. Refuser le changement en soi revient donc à se fermer à l’autre ! L’amour, c’est vraiment la seule chose qui peut briser notre carapace. C’est la grande utopie qui nous reste, face à ce monde dominé par une réflexion de type économique, qui se résume à un calcul permanent : « Qu’est-ce qui est intéressant pour moi ? » Certains refrènent ce qu’ils ressentent en se disant : « Je dois maîtriser. » Car aujourd’hui, on ne veut pas que l’amour nous entraîne n’importe où. À chaque partenaire d’apprendre ce jeu subtil entre la sortie de soi qui pousse vers l’autre et le léger contrôle qui n’empêche pas ce mouvement.

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Extrait de la publication

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