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BIBLIOTHÈQUE DES IDÉES

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LUCIEN GOLDMANN

Le Dieu cachéEtude sur la vision tragique

dans les Pensées de Pascal

et dans le théâtre de Racine

mf

GALLIMARD

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Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation

réservés pour tous pays

© Éditions Gallimard, 1959.

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A Monsieur HENRI GOUHIER

PRÉFACE

En abordant ce travail nous nous proposions deux buts à la foisdifférents et complémentaires

Dégager une méthode positive dans l'étude des ouvrages philo-sophiques et littéraires, et contribuer à la compréhension d'unensemble limité et précis d'écrits, qui, malgré de notables différences,nous paraissaient étroitement apparentés.

La catégorie de la Totalité qui est au centre même de la pensée dia-lectique nous interdisait d'emblée toute séparation rigoureuse entrela réflexion sur la méthode et la recherche concrète qui ne sont queles deux faces d'une seule et même médaille.

Il nous paraît en effet certain que la méthode se trouve unique-ment dans la recherche même, et que celle-ci ne saurait être valableet fructueuse que dans la mesure où elle prend progressivementconscience de la nature de sa propre démarche et des conditions quilui permettent de progresser.

L'idée centrale de l'ouvrage est que les faits humains constituenttoujours des structures significatives globales, à caractère à la foispratique, théorique et affectif, et que ces structures ne peuvent êtreétudiées de manière positive, c'est-à-dire à la fois expliquées etcomprises, que dans une perspective pratique fondée sur l'accepta-tion d'un certain ensemble de valeurs.

Partant de ce principe, nous avons montré l'existence d'une tellestructure la vision tragique qui nous a permis de dégager et decomprendre l'essence de plusieurs manifestations humaines d'ordreidéologique, théologique, philosophique et littéraire, et de mettreen lumière entre tous ces faits, une parenté de structure fort peuaperçue auparavant.

C'est ainsi, qu'en essayant de dégager et de décrire progressivementles principaux traits de la vision tragique (Ire partie) et de nous enservir pour l'étude des Pensées et du théâtre racinien, nous avonsdémontré qu'elle constitue, entre autres, l'essence commune dumouvement et de l'idéologie du jansénisme « extrémiste» (IIe par-

tie), des Pensées et de la philosophie critiquede Kant (IIIe partie)et, enfin, du théâtre de Racine (IVe partie). j

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LE DIEU CACHÉ

C'est au lecteur de juger dans quelle mesure le présent travail nousa réellement permis d'approcher les deux buts que nous venons dementionner.

Dans cette préface, nous voudrions seulement prévenir deuxobjections éventuelles. En abordant à la fois l'étude de la visiontragique et la réflexion sur les conditions d'une étude positive desouvrages philosophiques et littéraires, nous avons bien entendurencontré les importants travaux déjà existants sur chacun de cesdeux problèmes. H va de soi que nous en avons lu un certain nombreet que nous nous en sommes parfois inspiré, notamment des écrits deMarx et d'Engels, de Georg Lukàcs et des réflexions sur la tragédiede Hegel (dans l'Esthétique et surtout dans l'extraordinaire chapitresur l'Ordre éthique de la Phénoménologie de l'Esprit). Il ne reste pasmoins vrai, que notre tentative était, même par rapport à Lukàcs,trop différente pour que nous puissions discuter explicitement toutesces doctrines sans rompre l'unité de l'ouvrage 1.

D'autre part, étant donné la difficulté d'exprimer une pensée dia-lectique dans une terminologie qui lui est encore fort peu appropriée,il nous est arrivé plusieurs fois de formuler des affirmations en appa-rence contradictoires. Nous écrivons, par exemple, qu'il est impos-sible d'élaborer une « sociologie scientifique », une science objectivedes faits humains, et aussi, qu'il faut arriver à une connaissancepositive et scientifique de ces faits; il nous arrive même d'appelercette connaissance, faute d'un terme meilleur, une « connaissancesociologique »; de même, nous affirmons que les Pensées ne sont pasécrites « pour le libertin» mais aussi qu'elles s'adressent entre autresau libertin, etc.

En réalité, il n'y a aucune contradiction réelle entre ces affirma-tions. La connaissance des faits humains ne peut être obtenue del'extérieur, indépendamment de toute perspective pratique et detout jugement de valeur comme c'est le cas dans les sciences phy-siques et chimiques; elle doit cependant être tout aussi positive etrigouseuse que celle obtenue dans ces derniers domaines. Dans cesens, il n'y a aucune contradiction à refuser le scientisme et à pré-coniser en même temps une science positive, historique et sociolo-gique, des faits humains, opposée à la spéculation et à l'essaysme.De même, Pascal n'a pas écrit les Pensées « pour le libertin» endéveloppant une argumentation ad hominem qu'il n'admettait paslui-même et qu'il ne pensait pas être valable pour les croyants.Néanmoins, son ouvrage comme tous les ouvrages philosophiquesd'ailleurs s'adresse à tous ceux qui ne pensent pas comme l'auteur,et, dans ce cas précis, cela veut dire implicitement, aussi aux liber-tins.

Il s'agit dans tous ces cas de contradictions apparentes que nousaurions pu éviter à condition de forger un langage ad hoc, abstrait,rébarbatif et peu compréhensible au lecteur de bonne volonté. Ilnous a paru plus important de garder le contact avec la réalité etavec la langue courante. Trop de lumière obscurcit, écrivait Pascal, à

1. Le jeune Lukàcs n'est étudié dam la première partie qu'en tant que penseurtragique et non pas comme théoricien d'une science de la philosophie et de la lit-térature.

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PRÉFACE

la clarté formelle et apparente nous pensons avoir préféré une clartéréelle.

Il nous reste à remercier en terminant cette préface tous ceux quinous ont aidé par leurs conseils, leurs remarques, leurs critiques etleurs objections, et parmi eux en tout premier lieu, M. Henri Gouhierqui a suivi pas à pas l'élaboration de cet ouvrage.

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La tragédie est un jeu. un jeudont Dieu est le spectateur. Iln'est que spectateur et jamais saparole ou ses actes ne se mêlentaux paroles et aux gestes des ac-teurs.

Georg Lukàcs Métaphysiquede la tragédie, 1908.

Le bon Monseigneur de Nantesm'a appris une sentence de SaintAugustin qui me console fort Quecelui-là est trop ambitieux auquelles yeux de Dieu spectateur nesuffisent pas.

Mère Angélique Lettreà Arnauld d'Andillydu 9 janvier 1623.

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PREMIÈRE PARTIE

LA VISION TRAGIQUE

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CHAPITRE PREMIER

LE TOUT ET LES PARTIES

La présente étude s'insère dans un travail philosophique d'en-semble bien que l'érudition soit une condition nécessaire detoute pensée philosophique sérieuse, elle ne sera donc ni uneétude exhaustive ni un travail d'érudition pure. Philosopheset historiens érudits travaillent sans doute sur les mêmes

faits 1, mais les perspectives dans lesquelles ils les abordentet les buts qu'ils se proposent sont totalement différents 2.

L'historien érudit reste sur le plan du phénomène empiriqueabstrait qu'il s'efforce de connaître dans ses moindres détails,faisant ainsi un travail non seulement valable et utile, maisencore indispensable à l'historien-philosophe qui veut, à partirde ces mêmes phénomènes empiriques abstraits, arriver à leuressence conceptuelle.

Ainsi, les deux domaines de la recherche se complètent, l'éru-dition fournissant à la pensée philosophique les connaissancesempiriques indispensables, la pensée philosophique à son tourorientant les recherches érudites et les éclairant sur l'impor-tance plus ou moins grande des multiples faits qui constituentla masse inépuisable des données individuelles,

Malheureusement, la division du travail favorise les idéolo-gies et on arrive trop souvent à méconnaître l'importance del'un ou l'autre de ces deux aspects de la recherche; l'historienérudit croit que seul importe l'établissement précis de tel détailbiographique ou philologique concernant la vie de l'écrivain oule texte, le philosophe regarde avec un certain dédain les pursérudits qui amoncellent les faits sans tenir compte de leurimportance et de leur signification.

N'insistons pas sur ces malentendus. Contentons-nous d'éta-blir que les faits empiriques isolés et abstraits sont l'unique pointde départ de la recherche, et aussi que la possibilité de les

1. Qu'ils doivent bien entendu, l'un et l'autre, connaître autant que cela leurest possible, compte tenu de l'état des recherches, et aussi du temps et des forcesdont ils disposent.

2. Il va sans dire que le travail d'érudition et la recherche philosophique peuventêtre effectués par un seul et même homme.

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LE DIEU CACHÉ

comprendre et d'en dégager les lois et la signification est leseul critère valable pour juger de la valeur d'une méthode oud'un système philosophique.

Reste à savoir si on peut arriver à ce résultat, lorsqu'il s'agitde faits humains, autrement qu'en les concrétisant par uneconceptualisation dialectique.

Le présent travail veut contribuer à l'éclaircissement de ceproblème par l'étude de plusieurs écrits qui sont, pour l'histo-rien de la pensée et de la littérature, un ensemble précis etlimité de faits empiriques; en l'occurrence, par l'étude desPensées de Pascal et des quatre tragédies de Racine, Andro-maque, Britannicus, Bérénice et Phèdre. Nous essayerons demontrer comment le contenu et la structure de ces œuvres se

comprennent mieux à la lumière d'une analyse matérialiste etdialectique. Inutile de dire que c'est là un travail limité etpartiel qui ne prétend pas décider, à lui seul, de la validitéde notre méthode; la valeur et les limites de cette dernière ne

pouvant être mises en lumière que par un ensemble de travauxen partie déjà écrits par les divers historiens matérialistesdepuis Marx, en partie encore à écrire.

La science se constitue pas à pas, bien qu'on puisse espérerque chaque résultat acquis permette, par la suite, une marcheaccélérée. Convaincus que le travail scientifique (comme laconscience en général) est un phénomène social qui suppose lacoopération de nombreux efforts individuels, nous espéronsapporter une contribution à la compréhension, d'une part, del'œuvre de Pascal et de Racine, d'autre part, à celle de la struc-ture des faits de conscience et de leur expression philosophiqueet littéraire; contribution qui sera, cela va de soi, complétée etdépassée par d'autres travaux ultérieurs.

Soulignons, cependant, que les lignes qui précèdent, loind'être une simple protestation subjective de modestie, sontl'expression d'une position philosophique précise, radicalementopposée à toute philosophie analytique admettant l'existencede premiers principes rationnels ou de points de départ sen-sibles, absolus. Le rationalisme partant d'idées innées ou évi-dentes, l'empirisme partant de la sensation ou de la percep-tion, admettent, l'un et l'autre, à tout moment de la recherche,un ensemble de connaissances acquises, à partir duquel la penséescientifique avance en ligne droite avec plus ou moins de certi-tude sans cependant avoir à revenir normalement et nécessai-rement1 sur les problèmes déjà résolus. La pensée dialectiqueaffirme, par contre, qu'il n'y a jamais de points de départ cer-tains, ni de problèmes définitivement résolus, que la pensée

1. Le retour sur les résultats acquis est toujours possible et même probable etfréquent pour la pensée rationaliste ou empiriste. Il n'en est pas moins accidentelet, en principe, évitable.

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LE TOUT ET LES PARTIES

n'avance jamais en ligne droite puisque toute vérité partiellene prend sa véritable signification que par sa place dans l'en-semble, de même que l'ensemble ne peut être connu que parle progrès dans la connaissance des vérités partielles. La marchede la connaissance apparaît ainsi comme une oscillation perpé-tuelle entre les parties et le tout qui doivent s'éclairermutuellement.

Sur ce point, comme sur beaucoup d'autres, l'œuvre de Pas-cal représente le grand tournant dans la pensée occidentale del'atomisme rationaliste ou empiriste vers la pensée dialectique.Lui-même en est d'ailleurs conscient et le dit dans deux frag-ments qui éclairent particulièrement l'opposition radicale entresa position philosophique et toute espèce de rationalisme oud'empirisme. Ces fragments nous semblent exprimer de lamanière la plus claire l'essentiel, aussi bién de la pensée pas-calienne que de toute pensée dialectique, qu'il s'agisse desgrands auteurs représentatifs comme Kant, Hegel, Marx,Lukàcs, ou plus modestement d'études partielles et limitéescomme le présent ouvrage.

Nous les citons dès maintenant en rappelant que nous yrevendrons dans le cours de l'ouvrage et que c'est entre autresà partir de ces fragments que l'on pourrait et devrait com-prendre l'ensemble de l'oeuvre de Pascal et le sens des tragé-dies de Racine.

« Si l'homme s'étudiait le premier, il verrait combien il estincapable de passer outre. Comment se pourrait-il qu'une partieconnût le tout? Mais il aspirera peut-être à connaître au moinsles parties avec lesquelles il a de la proportion. Mais les partiesdu monde ont toutes un tel rapport et un tel enchaînementl'une avec l'autre, que je crois impossible de connaître l'unesans l'autre et sans le tout » (fr. 72). « Donc toutes chosesétant causées et causantes, aidées et aidantes, médiatement et

immédiatement, et toutes s'entretenant par un lien naturel etinsensible qui lie les plus éloignées et les plus différentes, jetiens impossible de connaître les parties sans connaître le tout,non plus que de connaître le tout sans connaître particulière-ment les parties » (fr. 72) I.

Pascal sait combien il s'oppose par là au rationalisme carté-sien. Descartes pensait que si nous ne pouvons comprendrel'infini, nous avons, tout au moins, pour notre pensée, despoints de départ, des premiers principes évidents. Il ne voyaitpas que le problème est le même pour les éléments et pourl'ensemble, que dans la mesure où l'on ne connaît pas l'un ilest impossible de connaître les autres.

« Mais l'infinité en petitesse est bien moins visible les phi-

1. Nous citons les Pensées d'après l'édition Brunschvicg

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LE DIEU CACHÉ

losophes ont bien plutôt prétendu d'y arriver et c'est là où tousont achoppé. C'est ce qui a donné lieu à ces titres si ordi-naires Des principes des choses, Des principes de la philosophie,et aux semblables aussi fastueux en effet quoique moins enapparence que cet autre qui crève les yeux De omni scibili »(fr. 72).

C'est à partir de cette manière d'envisager les relations entreles parties et le tout qu'il faut prendre rigoureusement à lalettre en lui donnant son sens le plus fort le fragment 19 « Ladernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage est de savoircelle qu'il faut mettre la première. »

Cela signifie que l'étude d'un problème n'est jamais achevéeni dans son ensemble, ni dans ses éléments. D'une part, il estévident qu'en recommençant l'ouvrage, on trouvera encore, et endernier lieu seulement, ce qu'on aurait dû mettre au commence-ment et, d'autre part, ce qui vaut pour l'ensemble ne vautpas moins pour ses parties qui, n'étant pas des éléments pre-miers, sont à leur échelle des ensembles relatifs. La penséeest une démarche vivante dont le progrès est réel sans êtrecependant linéaire ni surtout jamais achevé.

On comprend maintenant pourquoi, en dehors de tout juge-ment subjectif, nous ne pouvons, pour des raisons épistémolo-giques, voir dans le présent travail autre chose qu'une étapedans l'étude d'un problème, un apport à une démarche qui nepeut ni être ni se vouloir individuelle ou définitive.

Le principal objet de toute pensée philosophique est l'homme,sa conscience et son comportement. A la limite, toute philoso-phie est une anthropologie. Nous ne pouvons pas, bien entendu,exposer dans un ouvrage consacré à l'étude d'un groupe defaits partiels l'ensemble de notre position philosophique; cepen-dant comme les faits que nous étudions sont des œuvres philo-sophiques et littéraires, on nous permettra de dire quelquesmots sur notre conception de la conscience en général et dela création littéraire et philosophique en particulier.

Partant du principe fondamental de la pensée dialectique,que la connaissance des faits empiriques reste abstraite et super-ficielle, tant qu'elle n'a pas été concrétisée par son intégrationà l'ensemble qui seule permet de dépasser le phénomènepartiel et abstrait pour arriver à son essence concrète, et impli-citement à sa signification, nous ne croyons pas que la penséeet l'oeuvre d'un auteur puissent se comprendre par elles-mêmesen restant sur le plan des écrits et même sur celui des lectureset des influences. La pensée n'est qu'un aspect partiel d'uneréalité moins abstraite l'homme vivant et entier; et celui-cin'est à son tour qu'un élément de l'ensemble qu'est le groupesocial. Une idée, une œuvre ne reçoit sa véritable significationque lorsqu'elle est intégrée à l'ensemble d'une vie et d'un

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LE TOUT ET ïtEPARTIES

comportement. De plus, il arrive souvent que le comportementqui permet de comprendre l'oeuvre n'est pas celui de l'auteur,mais celui d'un groupe social (auquel il peut ne pas appartenir)et notamment, lorsqu'il s'agit d'ouvrages importants, celui d'uneclasse sociale.

Car l'ensemble multiple et complexe de relations humainesdans lesquelles est engagé tout individu crée très souvent desruptures entre sa vie quotidienne d'une part, sa pensée concep-tuelle et son imagination créatrice d'autre part, ou bien il nelaisse subsister entre elles qu'une relation trop médiatisée pourêtre pratiquement accessible à toute analyse quelque peu pré-cise. Dans de pareils cas (et ils sont nombreux), l'œuvre estdifficilement intelligible si on veut la comprendre uniquementou en premier lieu à travers la personnalité de son auteur. Plusencore, l'intention d'un écrivain et la signification subjectivequ'a pour lui son œuvre ne coïncident pas toujours avec la signi-fication objective de celle-ci qui intéresse en premier lieu l'his-torien-philosophe. Hume n'est pas rigoureusement sceptique,mais l'empirisme l'est; Descartes est croyant, mais le rationa-lisme cartésien est athée. C'est en replaçant l'œuvre dans l'en-semble de l'évolution historique et en la rapportant à l'ensemblede la vie sociale, que le chercheur peut en dégager la signifi-cation objective, souvent même peu consciente pour son proprecréateur.

Les différences entre la doctrine calviniste de la prédestina-tion et celle des jansénistes sont peu visibles (quoique réelles),tant que la recherche reste sur le plan de la conscience. L'étudedu comportement social et économique des groupes jansénisteset calvinistes rend la différence éclatante. L'ascèse intramon-

daine des groupes calvinistes étudiés par Max Weber ascèsequi a si puissamment contribué à l'accumulation des capitauxet à l'essor du capitalisme moderne d'une part le refus detoute vie intramondaine (sociale, économique, politique etmême religieuse) qui caractérise le groupe des jansénistes radi-caux d'autre part, nous permettent d'entrevoir d'emblée uneopposition qui a trouvé son expression dans l'anticalvinisme desjansénistes, anticalvinisme réel et profond, malgré les ressem-blances apparentes entre ces deux doctrines. De même, les tragé-dies de Racine, si peu éclairées par sa vie, s'expliquent, en partietout au moins, en les rapprochant de la pensée janséniste etaussi de la situation sociale et économique des gens de robesous Louis XIV.

Précisons l'historien de la philosophie ou de la littératurese trouve au départ devant un groupe de faits empiriquesles textes qu'il se propose d'étudier. Ces textes, il peut lesaborder, soit avec l'ensemble de méthodes purement philolo-giques que nous appellerons positivistes, soit avec des méthodes

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LE DIEU CACHÉ

intuitives et affectives fondées sur l'affinité, la sympathie, soitenfin avec des méthodes dialectiques. Éliminant pour l'instantle second groupe qui à notre avis tout au moins n'a pas decaractère proprement scientifique, nous constatons qu'un seulcritère peut départager les partisans des méthodes dialectiqueset ceux des méthodes positivistes la possibilité de comprendrel'ensemble des textes dans leur signification plus ou moinscohérente, ces textes étant, pour les uns comme pour les autres,le point de départ et le point d'aboutissement de leur travailscientifique.

La conception, déjà mentionnée, du rapport entre le toutet les parties, sépare cependant d'emblée la méthode dialec-tique des méthodes habituelles de l'histoire érudite qui le plussouvent ne tiennent pas suffisamment compte des données évi-dentes de la psychologie et de la connaissance des faitssociaux 1. Les écrits d'un auteur ne constituent, en effet,

qu'une partie de son comportement, lequel dépend d'unestructure physiologique et psychologique extrêmement com-plexe qui est loin de demeurer identique et constante tout aulong de l'existence individuelle.

De plus, une variété analogue se manifeste, a fortiori, dansla multiplicité infinie des situations concrètes où se trouvel'individu au cours de son existence. Sans doute si nous avions

une connaissance exhaustive de la structure psychologique del'auteur étudié et de l'histoire de ses relations quotidiennesavec son milieu social et naturel, pourrions-nous comprendre,sinon entièrement, du moins en grande partie, son œuvre àtravers sa biographie. Une telle connaissance est cependantpour l'instant, et probablement pour toujours, du domaine del'utopie. Même lorsqu'il s'agit d'individus contemporains quele psychologue peut étudier dans le laboratoire, soumettre àtoutes sortes d'expériences et de tests, interroger sur leurssentiments actuels et sur leur vie passée, il obtiendra à peineautre chose qu'une vue plus ou moins fragmentaire de l'indi-vidu étudié à plus forte raison cela vaut-il pour un hommedisparu depuis plusieurs siècles, et que nous ne pouvons, mêmeà travers les recherches les plus sérieuses, connaître que d'unemanière au plus haut point superficielle et fragmentaire. Il ya quelque chose de paradoxal à essayer de comprendre l'œuvrede Platon, de Kant, de Pascal, à travers leur biographie à uneépoque où nous venons, grâce à la psychanalyse, à la psycho-logie de la forme et aux travaux de Jean Piaget, de connaîtremieux que jamais l'extrême complexité de l'individu humain.Malgré toute l'érudition et la rigueur scientifique apparentes,

1. Nous voudrions éviter le mot sociologie qui pose une foule de problèmesque nous ne pouvons pas aborder ici.

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TABLE DES MATIÈRES

PREMIÈRE PARTIE

LA VISION TRAGIQUE PagesPages

Chapitre I. LE TOUT ET LES PARTIES. 13II. LA VISION TRAGIQUE DIEU. 32

III. LA VISION TRAGIQUE LE MONDE 50IV. LA VISION TRAGIQUE L'HOMME. 71

DEUXIÈME PARTIE

LE FONDEMENT SOCIAL ET INTELLECTUEL

Chapitre V. VISIONS DU MONDE ET CLASSES SOCIALES. 97VI. JANSÉNISME ET NOBLESSE DE ROBE 115

VII. JANSÉNISME ET VISION TRAGIQUE. 157

TROISIÈME PARTIE

PASCAL

Chapitre VIII. L'HOMME LA SIGNIFICATION DE SA VIE. 185IX. LE PARADOXE ET LE FRAGMENT 216

X. L'HOMME ET LA CONDITION HUMAINE 228

XI. LES ÊTRES VIVANTS ET L'ESPACE 246

XII. L'ÉPISTÉMOLOGIE. 264

XIII. LA MORALE ET L'ESTHÉTIQUE 291XIV. LA VIE SOCIALE JUSTICE, FORCE, RICHESSE. 304XV. LE PARI. 315

XVI. LA RELIGION CHRÉTIENNE. 338

QUATRIÈME PARTIE

RACINE

Chapitre XVII. LA VISION TRAGIQUE DANS LE THÉÂTRE DERACINE 347

a) Les tragédies du refusAndromaque. 353Britannicus 363Bérénice. 370

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LE DIEU CACHÉ

Les drame :) intramondainsBajazet 383Mithridate et Tp/ngëme 393

c) La tragédie avec péripétie et reconnaissancePhèdre 416

<~ Les drames sacrés

EstAeret~t/Kt/te. 440

APPENDICE. 447

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