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Collection dirigée par Benoît Melançon et Florence Noyer

PProfession

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lamoureux, JohanneProfession, historienne de l'art(Profession)Comprend des réf. bibliogr.

isbn 978-2-7606-2035-3

1. Historiens d'art. 2. Art - Histoire - Aspect social. I. Titre. II. Collection: Profession (Montréal, Québec).

n7475.l35 2007 709 c2007-941390-0

Dépôt légal: 3e trimestre 2007Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Les Presses de l’Université de Montréal, 2007

Les Presses de l’Université de Montréal reconnaissent l’aide finan-cière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour leurs activités d’édition. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développe-ment des entreprises culturelles du Québec (SODEC).

imprimé au canada en septembre 2007

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-isbn 978-2-7606-2495-5
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Profession historienne de l’art

Les Presses de l’Université de Montréal

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À Danielle Ros

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Le triomphe paradoxal de l’image

Selon une conception assez répandue, l’historien de l’art serait celui ou celle qui s’y connaît en peinture. Il peut identifier le créateur d’une œuvre sans avoir à consulter l’étiquette apposée sur le mur à côté d’elle et, de la même façon, il peut déchiffrer le sujet du tableau tout en sachant de quelle source littéraire il est extrait. Il peut gloser tant sur les traditions figu-ratives qui y sont reconduites que sur les innovations, iconographiques ou stylistiques, qui s’y font jour. Il connaît les circonstances de la commande ou le projet de l’artiste, les commentaires et les interpré-tations rédigés sur l’œuvre depuis sa création, et la signification plus large de celle-ci pour l’époque où elle a vu le jour.

Évidemment, cette conception n’est pas tout à fait juste. Peu d’historiens de l’art contemporains, même si leur formation les a exposés à chacune de ces opérations et à la plupart de ces approches, choi-sissent de les actualiser toutes dans leur pratique de la discipline ou pourraient même se livrer à une lec-ture aussi exhaustive à propos de toutes les œuvres que leur regard croise. De plus, cette conception est datée, non pas au sens où elle serait dépassée, mais parce qu’elle est historiquement marquée par

L’histoire de l’art, hic et nunc

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le modèle iconographique (qui va du déchiffrement du sujet jusqu’à la prise en compte de son sens plus général pour une époque donnée). Ce modèle, parti-culièrement adapté pour l’art de la Renaissance, fut formulé par Erwin Panofsky, durant les années 1930, et il domina l’histoire de l’art durant le troisième quart du xxe siècle, même si on mentirait, comme on le verra, à dire qu’il n’en reste plus rien dans l’exercice actuel de la discipline.

Mais restons encore un moment avec la vision stéréotypée de l’historien de l’art. Elle trahit le plus souvent un parti pris pictocentrique, c’est-à-dire une prédilection pour la peinture, alors qu’un nombre important d’historiens de l’art s’intéressent à d’autres supports que la peinture ou développent une exper-tise de recherche où la technique des œuvres ne joue pas un rôle déterminant dans le choix des problèmes ou des objets d’étude. Néanmoins, cette vision n’est pas complètement erronée et sans fondement. Elle traduit en fait assez bien les talents cultivés par l’historien de l’art en le présentant comme un spé-cialiste d’une catégorie d’images et d’objets admira-bles, uniques, précieux, dont le commun des mortels a souvent le sentiment de jouir sans toujours les comprendre. On pourra donc imaginer qu’en cette époque où l’image triomphe, la perception du travail de l’historien de l’art et la désidérabilité de la forma-tion qu’il détient se trouvent rehaussées. Pourtant, l’ubiquité contemporaine de l’image a des consé-quences paradoxales pour la discipline.

Au quotidien, chacun d’entre nous est confronté à un foisonnement d’images dont on ne trouve pas d’équivalent dans l’histoire: la boîte de céréales du petit déjeuner, les photos à la une du journal, les panneaux publicitaires essaimés à travers le parcours urbain, les illustrations alléchantes du livre de cuisine

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utilisé pour la préparation du souper, la déferlante d’images qui caractérise une soirée télé ou même une sortie cinéma. Cette omniprésence de l’image, à travers un nombre sans précédent de supports et de formats, ne favorise guère la notion de singularité de l’œuvre. Notre expérience journalière de la prolifé-ration des images, de même que le fait que la plupart de celles-ci soient, de par leur fabrication technolo-gique, reproductibles à l’infini, banalise leur statut, accélère leur consommation et se situe aux antipodes des préoccupations analytiques de l’historien de l’art envers un segment bien particulier de la production visuelle: les œuvres d’art.

Certes, l ’historien de l ’art d’aujourd’hui ne s’occupe plus seulement de la noble trilogie des «beaux-arts», par lesquels Giorgio Vasari réunissait au xvie siècle peinture, sculpture et architecture sous l’égide d’un même principe, le disegno (compris à la fois comme dessin et dessein, technique et visée). Et on peut dire que la pratique des historiens de l’art a toujours eu un cadre plus large que celui de ce glo-rieux trio. Après tout, pour le spécialiste de l’Anti-quité ou du Moyen Âge, la plupart des objets d’étude échappent à la catégorisation vasarienne: les mosaï-ques, les décors de poterie, l’orfèvrerie des reliquai-res, les tapisseries murales sont plus importants pour leur champ d’expertise. De même, l’historien de la gravure sait que l’image reproductible ne naît pas au xixe siècle avec la photographie et il connaît non seulement les effets singuliers des différentes tech-niques gravées, mais tout aussi bien leur rôle incon-tournable pendant des siècles dans la diffusion et la circulation des monuments artistiques. L’histoire de l’art s’intéresse aussi aux arts décoratifs et au design moderne, à des formes plus populaires, voire contes-tataires, comme la caricature. Au Québec, alors que

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la visibilité de la discipline s’est trouvée sérieusement réduite dans l’enseignement collégial avec la fusion, au sein des mêmes cours, d’une introduction aux arts et à la littérature, la bande dessinée, à la fois texte et image, constitue désormais, assez logiquement, mais plutôt démagogiquement, une des formes privilé-giées de l’enseignement des arts graphiques. Bref, le terrain d’action de l’historien de l’art s’est significa-tivement élargi. Pourtant, la discipline continue, par son appellation même, à revendiquer la distinction, au sein de la culture visuelle, entre des formes élevées sur lesquelles elle concentre son intérêt et des formes populaires qu’elle ne considère qu’accessoirement, et encore, à titre de documents, lorsque celles-ci éclai-rent la création artistique. Il s’ensuit que l’historien de l’art paraît attaché à une conception élitiste de la culture dans un contexte nord-américain où cette attitude, jugée antidémocratique, est toujours un peu suspecte.

Deux facteurs contribuent à étayer cette suspicion: le régime communicationnel sous lequel les images prolifèrent aujourd’hui et les incertitudes soulevées par les pratiques contemporaines de l’art.

Imitation, expression et communication

L’ubiquité des images dans les sociétés occidentales se joue sous le régime tentaculaire de la communi-cation, le plus souvent au service de la consomma-tion. L’enjeu visé peut être la consommation d’un produit, d’une marque, des valeurs qui servent à les promouvoir, voire la consommation de l’image même. Dans ce contexte, les images défilent; toutes naissent égales, mais leur succès est déterminé par leur efficacité, et leur efficacité dépend à son tour de la rapidité et de la clarté avec lesquelles le message

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qu’elles véhiculent peut être saisi par les destinatai-res ciblés. L’art n’est plus aujourd’hui, comme il l’a été pendant des siècles, le modèle ou l’étalon de la production imagière, ni l’artiste le grand spécialiste de la fabrication d’images. Ce rôle a été peu à peu dévolu au publicitaire ou à l’expert en communica-tion qui façonnent l’image des produits, qu’il s’agisse d’ailleurs d’objets ou de personnes (qu’on pense aux célébrités, aux politiciens, etc.).

Ce n’est pas dire que les images artistiques ont dis-paru de la vie quotidienne. Dans le premier numéro de l’année 2007 de l’hebdomadaire français Le Nouvel Observateur, le Canal-sports s’annonce par une transformation de l’homme vitruvien de Léonard de Vinci, où la célèbre figure idéale de l’artiste italien a été remplacée par la silhouette dessinée d’un golfeur au moment du swing. Dans un contexte américain, le générique d’ouverture du populaire feuilleton télé-visé Beautés désespérées (Desperate Housewives) fait défiler un montage réalisé à partir de citations artis-tiques (Jan Van Eyck, Lucas Cranach, Andrew Wyeth, Roy Lichtenstein, Andy Warhol). Mais le plaisir du téléspectateur n’est pas du tout dépendant de sa com-préhension ou de sa juste reconnaissance des œuvres convoquées – encore que cette reconnaissance per-mette de repérer dans la sélection opérée un endosse-ment d’un devenir américain de l’art, puisque toutes les œuvres choisies au xxe siècle sont états-uniennes: ce plaisir réside simplement dans la reconnaissance implicite que les images artistiques traduisent un souci de paraître sophistiqué; en outre, leurs mani-pulations infographiques insistent sur une volonté d’affirmer le caractère audacieux de l’émission, celui d’un feuilleton, d’un soap de l’après-midi, ambition-nant de s’imposer sur le créneau davantage prisé des heures de grande écoute. Nul besoin pour saisir ce

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message de perdre son temps, comme l’historienne de l’art que je suis, à repérer les citations. La culture populaire ne s’approprie pas l’image artistique afin d’en souligner la valeur ou le sens, elle manifeste que ces images sont, pour les médias de masse, un réservoir comme un autre, avec une certaine valeur ajoutée sans doute, mais un réservoir moins courtisé que beaucoup d’autres, notamment celui offert par le cinéma industriel ou par la photographie de presse.

Ce régime de la communication, la production même de l’art n’y échappe pas aujourd’hui. À la Renaissance, Vasari concevait l’imitation de la nature comme le but suprême de l’art que, de Giotto à Michel-Ange, chaque artiste s’était employé à rendre plus gracieuse. Avec les mouvements romantiques européens, à la fin du xviiie siècle, le paradigme de l’imitation cède la place à celui de l’expression: il détermine le sens de la production artistique jus-qu’à l’avènement de Marcel Duchamp ou du Pop Art (les deux balises sont défendables et ont été défen-dues). Peu importe la balise privilégiée, il semble que désormais une part significative de la production d’art contemporain entretienne des affinités avec les moyens techniques et rhétoriques du nouveau para-digme dominant de la communication.

L’histoire de l’art est une discipline qui, comme on le verra, a connu son essor, puis son institutionnalisa-tion, au fil du xixe siècle et elle tend conséquemment à concevoir son objet sous l’égide de l’expression, en privilégiant la vision singulière et transformatrice du réel qui se marque dans une œuvre plutôt que la représentation fidèle d’un modèle ou la transmission d’un message. Si l’expérience esthétique, depuis la troisième critique de Kant, a pu se définir comme un plaisir sans finalité, il ne s’ensuit pas que les œuvres d’art soient de purs produits du désintéressement.

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Certes, la distinction entre la catégorie des beaux-arts et ses voisines considérées moins nobles (arts appli-qués, arts décoratifs, design, artisanat) est souvent appuyée sur la croyance que l’œuvre d’art, contrai-rement au bel objet, est non fonctionnelle. Mais c’est oublier que des œuvres d’art ont été d’importants véhicules de propagande politique, de scintillantes vitrines de vanité mondaine et de promotion sociale, pour ne rien dire de leur rôle dans la propagation du christianisme, qui devint rapidement, dans les siè-cles suivant sa reconnaissance par l’État romain, le grand vecteur de la valeur accordée aux images en Occident.

L’art contemporain et le n’importe quoi

La perception prédominante de l’art contemporain, souvent suspect d’imposture et de vacuité, rend aussi problématique le maintien actuel d’une catégorie culturelle qui serait celle du «grand art». Après tout, les historiens de l’art spécialistes, comme je le suis, de l’art contemporain ne peuvent nier que les supports matériels et médiatiques de la production artistique actuelle sont parfois les mêmes que ceux de la culture populaire, même si les artistes les utilisent souvent à des fins différentes, en les détournant de leurs fonc-tions habituelles. Et s’il se trouve des gens, tant chez les spécialistes que chez les amateurs ou les détrac-teurs de l’art contemporain, pour affirmer que l’art d’aujourd’hui est le domaine du n’importe quoi, c’est que la production artistique a connu au fil des deux derniers siècles des bouleversements, voire des ren-versements absolument spectaculaires. Par exemple, et pour en rester à la seule question de la technique, les surfaces lisses et vernissées des tableaux académi-ques du xixe siècle ont été peu à peu supplantées par

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des œuvres à la touche plus libre, réalisées, comme dans les tableaux impressionnistes, avec une facture appuyée et sensible qui compromet parfois la stricte lisibilité du motif représenté. Puis, dans la deuxième décennie du xxe siècle, une relative déqualification de la virtuosité technique comme critère du juge-ment critique s’est installée: qu’on pense aux objets appropriés que sont les ready-made de Duchamp, à la première génération de tableaux monochromes ou, plus récemment, aux installations textuelles de l’art conceptuel et même au désir de résister à la mar-chandisation de l’art en refusant de «produire de l’objet» qui a marqué l’art des années 1970 et donné lieu à un élargissement des pratiques du côté du land art, du body art ou de la performance. Ce raccourci sommaire sur la question de la technique artistique et du «faire», on pourrait en esquisser d’autres, tout aussi radicaux, autour des sujets abordés par l’art, du comportement artistique ou des critères de la recon-naissance critique qui, tous, ont subi des transforma-tions profondes qui laissent le grand public à la fois indifférent et sceptique.

Dans ces conditions incertaines qui imposent presque à chacun de se mesurer à l’œuvre contem-poraine à partir de critères relatifs, sélectionnés pour l’occasion et déterminés par ce qui est donné à voir, ou même par ce qui n’est pas donné à voir, par ce qu’un régime de banalisation de l’image nous inci-terait à attendre, mais qui soudain nous est refusé, l’insistance des historiens de l’art à revendiquer le caractère distinct du segment de la production maté-rielle qui les occupe peut paraître anachronique ou alors les confiner à l’étude de l’art du passé, l’art des temps où on savait ce qu’était l’art. Or, à l’échelle du temps de l’humanité, ce temps fut en fait une période de courte durée.

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L’affirmation de l’art comme catégorie autonome et distincte s’est déployée dans la seconde moitié du xviiie siècle (à peu près au moment où Winckelmann publiait son histoire de la statuaire antique) et ce, dans le contexte de la naissance de l’esthétique et de l’avènement du musée (réel et bientôt imaginaire) comme destination fantasmatique et programma-tique de la production artistique. L’esthétique, le musée et l’histoire de l’art sont contemporains de l’invention de l’art tel que nous entendons le terme lorsque nous l’évoquons comme catégorie autonome. Les époques antérieures n’auraient jamais revendiqué avec autant de force cette distinction catégorique: la frontière entre les beaux objets utilitaires, fabriqués avec maîtrise et virtuosité, et les œuvres d’art, sou-vent conçues pour assumer une fonction commémo-rative ou cultuelle, étaient loin d’être aussi claire que ce que l’histoire de l’art a rétrospectivement établi depuis deux siècles.

Cela dit, quel avenir s’offre à l’histoire de l’art, à l’heure du triomphe de l’image, si elle ne peut plus s’appuyer aussi solidement qu’à ses débuts modernes sur la spécificité et l’autonomie de son champ? (Il faut rappeler que cette autonomie fut contestée dès les années 1820, notamment par Saint-Simon, qui accorde à l’artiste un rôle de leader dans le renouveau social, un rôle d’«avant-garde»: il est donc paradoxal que ce concept en soit venu à renvoyer à une pratique dite «de l’art pour l’art».) Ma réponse à cette ques-tion est bien sûr indissociable de mon intérêt pour l’art contemporain et celui-ci, dans le brouillage des genres et des catégories qu’il cultive, m’invite à penser que le travail de l’histoire de l’art n’a jamais été plus pertinent que maintenant. Certes, il y a les capacités d’enquête de l’historien de l’art qui lui permettent de resituer un objet dans un milieu culturel. Or si ces

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talents sont partagés par des chercheurs de plusieurs disciplines, l’histoire de l’art offre de surcroît l’avan-tage d’être la plus extraordinaire école du regard qui soit. Elle l’éduque bien sûr et l’équipe; elle transmet des conventions (la codification des attributs et des symboles); elle détaille des expressions faciales et des gestes et en précisent les significations ou les conno-tations. Mais elle apprend aussi à voir ce qui résiste au seul champ sémantique: qu’il s’agisse d’une manière de traiter un fond de tableau où apparemment rien ne se passe, de suivre les plis «inutilement» complexes d’un vêtement, de nous troubler devant des éléments qu’aucune source littéraire n’impose ou devant une représentation qu’aucune convention préétablie ne permet d’apprivoiser et de mettre à plat. Ce faisant, ce qu’elle accomplit par-dessus tout, et souvent par-delà des divergences idéologiques et méthodologi-ques qui articulent le champ et divisent ses experts, c’est de ralentir le regard, de nous apprendre à sou-tenir la présence de l’image sur un mode autre que celui que sa prolifération et son ubiquité imposent à notre quotidien.

L’histoire de l’art et l’histoire tout court

Par ailleurs, les ambiguïtés liées à l’art, à la fois comme catégorie distincte de la production visuelle et comme ensemble mal défini de pratiques contem-poraines, ne sont pas les seuls facteurs qui contri-buent à façonner la perception et le développement de l’histoire de l’art. La notion même d’histoire a récemment fait problème pour les historiens de l’art et demeure problématique, dès lors qu’il s’agit d’art, pour une large part du public et même des spécia-listes. Après tout, pour beaucoup de gens, la force d’une œuvre ne se reconnaît-elle pas au fait qu’elle

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nous interpelle même quand on ne sait rien de son contexte de production et qu’on ne possède aucun des codes qu’elle manipule? Tout le concept, devenu si problématique, de chef-d’œuvre s’est construit autour de cette capacité des œuvres à survivre à leur signification première pour une époque donnée et à nous atteindre au-delà de leur pertinence, voire de leur «impertinence», historique.

Lorsque Winckelmann propose, en 1764, une chronologie et une interprétation qu’il veut systé-matique du développement de la statuaire antique, il orchestre son récit à partir d’une observation des œuvres plutôt qu’autour de la vie des artistes, comme c’était le cas jusque-là. On a depuis remis en cause une large part des conclusions de Winckelmann, qui reconstruisit l’art grec à partir de copies romai-nes et affirma les déterminations sociopolitiques des œuvres, souvent en dépit des faits, de façon à faire coïncider ce qu’il considérait comme le sommet de l’art grec avec l’avènement de la démocratie. Il n’em-pêche que l’histoire de l’art, telle qu’elle prend tran-quillement son élan à partir de ce moment, élargit considérablement l’objet de la discipline historique en introduisant dans le champ de l’histoire un segment choisi de la culture matérielle et ce, à une époque où la relation historique hésite entre les vastes fresques généalogiques qu’affectionne le Siècle des lumières et la stricte chronique événementielle, surdéterminée par les figures politiques et toujours exclusivement étayée sur le document écrit. L’histoire de l’art est une histoire qui s’est fabriquée pour et à partir du monument. En ce sens, elle a été, parmi ce qui allait devenir les sciences humaines, une discipline redou-tablement innovatrice, non seulement par son objet nouveau, mais aussi par ses méthodes (qu’on dirait aujourd’hui pluridisciplinaires) convoquant d’entrée

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de jeu une large constellation de savoirs (archéologie, histoire, littérature, philologie, paléographie, numis-matique, etc.).

Pourtant, l’histoire de l’art, plus que d’autres dis-ciplines qui se sont donné leurs règles et leurs insti-tutions au cours du xixe siècle, est le site d’un divorce entre ses aspirations érudites et savantes, souvent ancrées dans une enquête sur l’objet, et les attentes d’un public curieux, voire amateur au sens noble du terme, qui demeure attaché à la biographie d’artiste. Ainsi, les expositions muséales et les publications sur l’art reconduisent, en s’appuyant sur la raison économique et la demande du marché, une vitrine de la discipline organisée autour de la monographie d’artiste et de l’art entendu comme la poursuite d’un projet d’expression individuelle.

Or il ne suffit pas à l’histoire de l’art d’évacuer le sujet-artiste comme moteur du récit pour renou-veler et mettre à jour la conception de l’histoire sur laquelle elle s’appuie et qui continue de figurer dans le nom qu’elle se donne. Le côté de l’objet comporte ses propres pièges pour l’historien de l’art. Au cours du xxe siècle, en particulier avec le concours de ce qu’on a appelé l’histoire des Annales, l’histoire géné-rale s’est renouvelée, elle a redéfini son objet et elle s’est émancipée de la suprématie jusque-là accordée au politique et à l’événement. Sous la poussée de la sociologie et de l’économie, elle a repensé les déter-minations et la désignation des principaux acteurs de l’histoire. Si, jusqu’à un certain point, des histo-riens de l’art ont pu tirer des leçons de cette évolu-tion (en s’intéressant davantage aux commanditaires des œuvres, par exemple), on ne peut pas dire que la discipline soit facilement parvenue à remettre en cause le rôle que ses récits accordent à l’œuvre d’art saisie comme événement. L’historien de l’art Heinrich

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Table des matières

L’histoire de l’art, hic et nunc 9

Une institution bicéphale 23

Changement de perspective 41

Positions 53

Lectures complémentaires 67

Crédits iconographiques 69

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Extrait de la publication

Page 22: Extrait de la publication - storage.googleapis.com · petit déjeuner, les photos à la une du journal, les panneaux publicitaires essaimés à travers le parcours urbain, les illustrations

Ce livre a été imprimé au Québec en septembre 2007sur les presses de Marquis imprimeur.

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