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Extrait de la publication

Extrait de la publication… · SOUVENIRS DE LA COUR D'ASSISES naux et de juges mais à quel point la justiceprécaire,j'aipu sentirhumainec'estjusqu'àce que,est durantl'angoisse.chose

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De tout temps les tribunaux ontexercé sur moi une fascination irré-

sistible. En voyage, quatre choses sur-

tout m'attirent dans une ville le jardin

public, le marché, le cimetière et lePalais de Justice.

Mais à présent je sais par expé-

rience que c'est une tout autre chose

d'écouter rendre la justice, ou d'aider à

la rendre soi-même. Quand on est parmi

le public on peut y croire encore. Assis

sur le banc des jurés, on se redit la pa-

role du Christ Ne jugez point.

Et certes je ne me persuade point

qu'une société puisse se passer de tribu-

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naux et de juges mais à quel point lajustice humaine est chose douteuse et

précaire, c'est ce que, durant douze jours,

j'ai pu sentir jusqu'à l'angoisse. C'est cequ'il apparaîtra peut-être encore un peudans ces notes.

Pourtant je tiens à dire ici, d'abord,

pour tempérer quelque peu les critiques

qui transparaissent dans mes récits, que

ce qui m'a peut-être le plus frappéau cours de ces séances, c'est la con-

science avec laquelle chacun, tant juges

qu'avocats et jurés, s'acquittait de ses

fonctions. J'ai vraiment admiré, à plus

d'une reprise, la présence d'esprit du

Président et sa connaissance de chaque

affaire l'urgence de ses interrogatoiresla fermeté et la modération de l'accusa-

tion la densité des plaidoiries, et l'ab-

sence de vaine. éloquence enfin l'atten-

tion des jurés. Tout cela passait mon

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espérance, je l'avoue mais rendaitd'autant plus affreux certains grince-ments de la machine.

Sans doute quelques réformes, peu à

peu, pourront être introduites, tant du

côté du juge et de l'interrogatoire, quede celui des jurés1. Il ne m'appartient

pas ici d'en proposer.

i. Voir à ce sujet l'enquête du Temps, N°s dui3 octobre dernier, du i4 sqq. et l'Opinion. N°"du 18 et du 25 octobre 1912.

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On procède à l'appel des jurés. Unnotaire, un architecte, un instituteur

retraité tous les autres sont recrutés

parmi les commerçants, les boutiquiers,

les ouvriers, les cultivateurs, et les petits

propriétaires l'un d'eux sait à peineécrire et sur ses bulletins de vote il sera

malaisé de distinguer le oui du non

mais à part deux je-m'en-foutistes, quidu reste se feront constamment récuser,

chacun semble bien décidé à apporter là

I

Lundi (mai 191 2).

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toute sa conscience et toute son attention.

Les cultivateurs, de beaucoup les plusnombreux, sont décidés à se montrer

très sévères les exploits des bandits

tragiques, Bonnot, etc. viennent d'oc-cuper l'opinion « Surtout pas d'indul-gence », c'est le mot d'ordre, soufflé par

les journaux ces Messieurs les jurés

représentent la Société et sont bien déci-dés à la défendre.

L'un des jurés manque à l'appel. On

n'a reçu de lui aucune lettre d'excusesrien ne motive son absence. Condamné

à l'amende réglementaire trois cents

francs, si je ne me trompe. Déjà l'on

tire au sort les noms de ceux qui sont

désignés à siéger dans la première

affaire, quand s'amène tout suant le juré

défaillant c'est un pauvre vieux paysansorti de la Cagnotte de Labiche. Il sou-

lève un grand rire général en expliquant

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qu'il tourne depuis une demi-heureautour du Palais de Justice sans parve-nir à trouver l'entrée. On lève l'amende.

Par absurde crainte de me faire

remarquer, je n'ai pas pris de notes sur

la première affaire un attentat à la

pudeur (nous aurons à en juger cinq).L'accusé est acquitté non qu'il reste

sur sa culpabilité quelque doute, mais

bien parce que les jurés estiment qu'il

n'y a pas lieu de condamner pour si peu.

Je ne suis pas du jury pour cette affaire,mais dans la suspension de séance j'en-

tends parler ceux qui en furent certains

s'indignent qu'on occupe la Cour devétilles comme il s'en commet, disent-ils,

chaque jour de tous les côtés.

Je ne sais comment ils s'y sont prispour obtenir l'acquittement tout en

reconnaissant l'individu coupable des

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actes reprochés. La majorité a donc dû,contre toute vérité, écrire « Non » sur

la feuille de vote, en réponse à la ques-

tion « X. est-il coupable de. etc. »Nous retrouverons le cas plus d'une foiset j'attends, pour m'y attarder, telleautre affaire pour laquelle j'aurai faitpartie du jury et assisté à la gêne, à l'an-

goisse même de certains jurés, devant un

questionnaire ainsi fait qu'il les force de

voter contre la vérité, pour obtenir ce

qu'ils estiment la justice.

La seconde affaire de cette même

journée m'amène sur le banc des jurés,et place en face de moi les accusés

Alphonse et Arthur.

Arthur est un jeune aigrefin à fines

moustaches, au front découvert, au

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regard un peu ahuri, l'air d'un Daumier.Il se dit garçon de magasin d'un sieurX. mais l'information découvre que

M. X. n'a pas de magasin.

Alphonse est « représentant de com-

merce » vêtu d'un pardessus noisette

à larges revers de soie plus sombre

cheveux plaqués, châtain sombre teintrouge oeil liquoreux, grosses mousta-ches air fourbe et arrogant trente ans.

Il vit au Havre avec la sœur d'Arthur;

les deux beaux-frères sont intimement

liés depuis longtemps, l'accusation pèse

sur eux également.L'affaire est assez embrouillée il

s'agit d'abord d'un vol assez important

de fourrures, puis d'un cambriolage

sans autre résultat, en plus du saccage,

que la distraction d'une blague à tabac

de 3 francs, et d'un carnet de chèques

inutilisable. On ne parvient pas à recom-

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poser le premier vol et les charges res-tent si vagues que l'accusation se reporteplutôt sur le second mais ici encore

rien de précis on rapproche de menusfaits, on suppose, on induit.

Dans le doute, l'accusation solidarise

les deux accusés mais leur système de

défense est différent. Alphonse porte

beau, a souci de son attitude, rit spiri-

tuellement à certaines remarques du Pré-sident

• Vous fumiez de gros cigares.

Oh fait-il dédaigneusement, deslondrès à 255 centimes

Vous ne disiez pas tout à fait cela

à l'instruction, dit un peu plus tard le

Président. Pourquoi n'avez-vous pas per-

sisté dans vos négationsP

Parce quej'ai vu que ça allaitm'attirer des ennuis, répond-il en riant.

Il est parfaitement maître de lui et

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dose très habilement ses protestations.Ses occupations de « placier » restentdes plus douteuses. On le dit « l'amant »

d'une vieille fille de 60 ans. Il proteste« Pour moi, c'est ma mère. »

L'impression sur le jury est déplo-rable. S'en rend-il compteSon front,peu à peu, devient luisant.

Arthur n'est guère. plus sympathique.

L'opinion du jury est que, après tout,

s'il n'est pas bien certain qu'ils aientcommis ces vols-ci, ils ont dû en com-

mettre d'autres ou qu'ils en commet-

tront que, donc, ils sont bons à coffrer.

Cependant c'est pour ce vol unique-ment que nous pouvons les condamner.

Comment aurais-je pu le com-

mettre ?dit Arthur, je n'étais pas auHavre ce jour-là.

Mais on a recueilli, dans la chambre

de sa maîtresse, les morceaux d'une carte

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postale de son écriture, qui porte letimbre du Havre du 3o octobre, jour où

le vol a été commis.

Or voici comment se défend Arthur

J'ai, dit-il en substance, envoyé

ce jour-là à ma maîtresse non pas une

carte, mais deux et comme les photo-

graphies qu'elles portaient étaient « unpeu lestes » (elles. représentaient en faitl'Adam et l'Éve de la cathédrale de

Rouen), je les avais glissées, image contre

image, dans une seule enveloppe trans-

parente, après y avoir mis doubleadresse, les avoir affranchies toutes les

deux et avoir percé l'enveloppe aux

endroits des timbres, pour en permettre

la double oblitération. Au départ, unseul des timbres aura sans doute été

oblitéré. A l'arrivée au Havre l'employéde la poste a oblitéré l'autre; c'est ainsi

qu'il porte la marque du Havre.

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C'est du moins ce que j'arrivais àdémêler au travers de ses protestationsconfuses, bousculées par un Président

dont l'opinion est formée et qui paraîtbien décidé à ne rien écouter de neuf.

J'ai le plus grand mal à comprendre, à

entendre même ce que dit Arthur, sans

cesse interrompu et qui finit par bre-

douiller le jury, qu'il ne parvient pas àintéresser, renonce à l'écouter.

Son système pourtant se tient d'autant

mieux qu'il est peu vraisemblable qu'un

aigrefin aussi habile que semble être

Arthur ait laissé. derrière lui que

dis-jeP créé, le soir d'un crime, une

telle pièce à conviction. De plus, s'il

était au Havre lui-même, quel besoinavait-il d'écrire à sa maîtresse, au Havre,

quand il pouvait aussi bien aller latrouverP

Je sais que les jurés ont droit, sans

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précisément intervenir dans les débats,de s'adresser au Président pour le prier

de poser aux accusés ou aux. témoinstelle question qu'ils jugent propre àéclairer les débats ou leur conviction

personnelle, que toutefois ils ne doiventpoint laisser paraître. Vais-je oser userde ce droit P. On n'imagine pas ce quec'est troublant de se lever et de prendre

la parole devant la Cour. S'il me faut

jamais « déposer », certainement je per-drai contenance et que serait-ce sur le

banc des prévenus Les débats vontêtre clos; il ne reste plus qu'un instant.

Je fais appel à tout mon courage, sen*

tant bien que, si je ne triomphe pas dema timidité cette fois-ci, c'en sera fait

pour toute la durée de la session etd'une voix trébuchante

Monsieur le Président pourrait-ildemander à l'employé de la poste qui

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était tout à l'heure à la barre, si le tim*

brage du départ est toujours différent decelui de l'arrivée ?a

Car enfin, s'il était possible de reçon-

naître que le timbre a bien été oblitéré

à l'arrivée comme le prétend Arthur, et

non au départ comme le prétend l'accu.

sation, que resterait-il de celle-ci?

Le Président, n'ayant pas suivi l'argU'mentation embrouillée d'Arthur, ne

comprend visiblement pas à quoi rime

ma question pourtant il rappelle obli-geamment le témoin

Vous avez entendu la question de

Monsieur le juréVeuillez y répondre.

L'employé se lance alors dans une

profuse explication qui tend à;- prouver

que les heures des départs n'étant pasles mêmes que les heures d'arrivée, .-il

n'y a pas de confusion possible que, dureste, les lettres arrivantes et les lettres

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partantes ne se timbrent même pas dansle même local, etc. Cependant il ne

répond pas à cela seul qui m'importe, etnous ne savons pas plus qu'auparavant

si l'on a pu reconnaître sur le fragmentde carte si le timbre est effectivement et

sûrement un timbre de départ et non

d'arrivée. Le témoin cependant a achevé

son explication.

Monsieur le juré, êtes-vous satis-fait ?.

Je tâche de formuler une question

nouvelle plus pressante que la première.

Puis-je dire pourtant que non, que je ne

suis pas satisfait; que le témoin n'a pasdu tout répondu à ma question ?Du

reste, cette question, je sens. bien que,non plus que le Président, aucun des

jurés ne l'a comprise du moins aucun

des jurés n'a compris pourquoi je la

posais. Aucun n'a pu suivre l'argumen-

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