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Extrait de la publication… · Vailland de Yves Courrière, 188. Extrait de la publication. ATTITUDES LES ÉCRIVAINS « Le pouvoir des sans-pouvoir ?

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  • LES NOUVEAUX CAHIERS DE L'EST

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  • COMITÉ DE RÉDACTION

    EVA Almassy

    JANA BoXBERGERHÉLÈNE HENRY

    MARIE-FRANCE IONESCO

    CHRISTOPHE JezewskiLeslie Kaplan

    PETR KRAL

    PIERRE PACHET

    Alain PARurr, conseiller de la rédaction

    Dumitru TSEPENEAG, rédacteur en chef

    Ouvrage publié avec le concoursdu Centre National des Lettres

    © P.O.L éditeur, 1992ISBN 2-86744-265-6

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  • USES-CAHIERSDE L'EST

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    « LE POUVOIR DES SANS-POUVOIR ? »

    LES ÉCRIVAINS

    P.O.L

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  • SOMMAIRE

    ATTITUDES

    MICHEL DEGUY L'écrivain et l'intellectuel 11

    HÉLÈNE HENRY Écrireà Moscou, septembre 1991 36

    LEv RUBINSTEIN Déboulonner le stéréotype 40

    Mikhaïl ZOLOTONOSSOV La situation littéraireà la fin de l'anthro-

    pogénie. Regard sur le néant. 43

    Mklos Mészôly Écrivain et responsabilité 57G.M. Tamas Retrouver la solitude de mon adolescence 62

    Kàroly NORMAN Que peut un écrivain 65

    Laszlo Krasznahorkai Ce qu'il en est du pouvoir de l'écrivain. 69

    Michal Ajvaz L'énigme du livre 72

    EwA PoKAS Le pouvoir de l'écrivain 81

    Michal WYSZOMIRSKI Le pouvoir n'adore pas les écrivains 84

    Vasile ANDRU L'ouverture aux profondeurs. 88

    POÈMES ET PROSES

    Virgel Mazilescu Guillaume, le poète et l'administrateur. 95

    BOGDAN GHIU Le manuel de l'auteur 100

    DEZSô TANDORi Qu'est-il arrivéà Mrs. Woolf? 105

    Wislawa Szymborska Le grand nombre et autres poèmes. 118

    Kazimierz Wœrzynski Les mots et autres poèmes. 122

    Livius Ciocarue Fragments de vide 127

    Extrait de la publication

  • LES NOUVEAUX CAHIERS DE L'EST

    Miroslav HoLUB Poèmes 135

    Emel JuliS Poèmes 139

    LECTURES CRITIQUES

    CLAUDE HABIB Tragédie, fantaisie 145

    Marek Tomaszewski Cueillir des fleurs en évitant les épines.154

    Denise YOCCOZ-NEUGNOT La nostalgie du traducteur 158

    Chronique littéraireDANIEL Oster Ladislav Kllma 163

    Notes de lecture

    EvA Almassy, La Fin d'un roman de famille de Péter Nâdas, 171. JANABoxberger, Bohême bohème de Josef Hirsal, 172. Cécile Wajsbrot, L'Om-bre du serpent de Saulius T. Kondrotas, 173. JANA BoXBERGER, Au seuil dela nuit de Jiii Mucha, 175. Corina Ciocârlie-Mersch, Chemins nocturnesde Gaïto Gazdanov, 177. CÉCILE Wajsbrot, Immortel amour de Ludmila

    Petrouchevskaïa, 179. GAYANEH Armaganian, Cest moi qui souligne deNina Berberova, 180. Cécile Wajsbrot, La Reine de la rue de Gabriela

    Melinescu, 181. JANA Boxberger, Visite privée Prague de DanielaHodrovà, 182. CoRiNA Ciocârlie-Mersch, Elle me regarde de GyôrgySpiro, 183. DANIEL Pujol, Les Idoles de la tribu de G.M. Tamas, 185.Pierre Pachet, Les Vauriens de Tito de Miroslav Popovié, 186. Cécile

    WAJSBROT, Talleirant de Pierre-Yvon Le Bras, 187. JANA Boxberger, RogerVailland de Yves Courrière, 188.

    Extrait de la publication

  • ATTITUDES

    LES ÉCRIVAINS« Le pouvoir des sans-pouvoir ? »

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  • Extrait de la publication

  • MICHEL DEGUY

    L'écrivain et l'intellectuel

    PENSER, PARLER

    L'écrivain? Que peut-il faire pour faire ce qu'il peut? Il opèredans et sur une matière, matière de langue, maternelle. Il écrit

    affirme-t-il, intransitivement, absolument. Et quoi de plus « natu-

    rel» et facile pour tous ceux qui ont appris à écrire, c'est-à-direpresque tous plus nombreux que ceux qui ont appris une autreécriture, de musique, par exemple, ou de mathématique.

    Pense-t-il par là produire quelque effet, à distance ? Sans doute,

    et même « magique », il le crut longtemps, comme si le mot, laformule, pouvaient agir par eux-mêmes dans et sur les choses.« Alchimie du verbe » ? Cependant cette alchimie s'est purgée de sasuperstition et même de sa croyance, au cours des générationsrécentes de littérature, et, pour le désenchantement de la poésie

    même, « alchimie» en est venue à signifier, non quelque opérationtalismanique secrète, mais le travail sur soi d'un assujetti au milieu

    de sa langue, qui n'est pas transparent mais réfringent, et réfrac-taire, ni nécessaire mais contingent, ni naturel mais conventionnel,ni universel mais particulier, etc. Obtenir quelque effet, pour-

    tant. ? Sans doute; il s'agit de toucher des cœurs, de persuaderdes intelligences, de changer des mentalités; la formule ne « trans-porte» pas le lieu, ni dans le lieu (par exemple le poème de Maone transporte pas la montagne), mais peut transformer des penséesqui, armées de bras armés de pelles, pourraient transporter les

    montagnes. Il s'agit que de l'émotion se communique comme lefeu plutôt que de communiquer des informations de manièreà permettre à des sujets de mieux juger et de penser plus vrai,

  • MICHEL DEGUY

    c'est-à-dire d'être capables de plus de vérité(s); car si l'erreur est

    une, la vérité est multiple.

    Première difficulté une homonymie, ici comme partout, peut

    nous troubler la réflexion; celle qui voile la différence entre l'artiste

    et l'intellectuel, l'écrivain et l'écrivant, le « poète» selon la dénomi-

    nation toujours en vigueur même dans l'ironie et l'essayiste. Et cettehomonymie recouvre des différences nombreuses, dont l'éventail,

    nuancier, s'étale d'un extrême à l'autre; nous avons renversé l'ordre

    du livre X de Platon et l'artiste, loin de venir après l'artisan dans l'art

    et la manière d'imiter, occupe plutôt la place laissée vide du démiurgeModèle. Dans la sinusoïde, ou jeu de mains chaudes qui fait se

    succéder la question des moyens et celle de la fin, et se réitérer la

    question « et alors ? et en vue de quoi ? », de sorte que passentalternativement l'une devant l'autre fin et moyen, la différence subsiste

    entre celui qui prend pour fin le faire-œuvre (« poièse », chef-d'œuvre)

    et celui qui prend pour fin le train du monde et le cours des choses,

    où il espère que son « engagement» pourrait « changer quelquechose ».

    La difficulté est celle du rapport de la langue avec la pensée, duparler-sa-langue avec le penser, du bien-parler avec le bien-penser-ce-qui-est-à-penser et si le bien-parler se partage en savoir parler et savoirécrire (oralité et écriture) à supposer que ce ne soit pas le leurre

    d'une aporie fourchue la difficulté est de savoir si, et comment,

    cette différence demande à être, à la fois, maintenue et supprimée

    tantôt, suivant le Hegel pour qui la parole est l'«immédiat exister dupenser », et le Heidegger de la Sprache et de la préférence du philoso-

    pher pour le grec et l'allemand, c'est l'identité de la pensée et duvernaculaire qui est pensée, et en tout cas leur différence non indiffé-

    rente et nul esperanto ne saurait transporter notre espérance!

    Tantôt c'est l'artificialité de codes, l'instrumentalisation d'algo-

    rithmes, la prothèse générale des opérations (technologèmes et appa-reils) « mimant» la puissance « cognitive », qui disqualifieraient àjamais l'entreprise solitaire d'une œuvre littéraire en général, y inclusl'œuvre du penseur philosophique, ni littéraire ni scientifique; et voicique la pacification technologique complexe de la planète organisable

    sous l'urgence du chaos n'aplus le temps de s'en remettre aux« chefs-d'œuvre » de l'écriture, ni aux traducteurs littéraires, ni aux

    récitals mondiaux de poésie où les jouissances idiomatiques, les« préférences nationales » et autres « valeurs culturelles» font sem-

    blant de se juxtaposer en se tolérant d'autant mieux que chacune feint

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  • L'ÉCRIVAIN ET L'INTELLECTUEL

    de prendre plaisir à ne pas entendre le sens du « chant » de la langueimprononçable de l'autre.

    Je formulerai le point de bifurcation, peut-être irréversible dans

    l'anthropomorphose, où cette contradiction « nous» entraîne, ainsi

    le penser millénaire dont le langage et les langues sont le milieu (voirel'«immédiation », pour traduire le Unmittelbar hégélien) a-t-il cesséd'être intéressant pour le plan de « résolution des problèmes de

    l'Humanité»(en termes marxiens)? Ou bien, pour un programmegénéral que je formulerai ainsi « Il faut entrer dans l'indivision »,interpellant par là aussi bien la différence sexuelle, la différence

    économique, ou l'ethnique (ou P«écologique », si l'écologie nousdemande de penser la terre comme indivise), aussi bien que cette

    différence qui nous occupe (penser-parler), conceptuelle et langagière,pour un tel « programme », donc le couple d'une différence, à chaquefois, est-il encore un « couple moteur » ?

    ENGAGEMENT, DÉGAGEMENT

    Vous connaissez ce penchant journalistique à qualifier un siècle

    par un nom propre, et le nôtre tour à tour, selon les besoins de

    l'éditorial ou de l'anniversaire, de siècle sartrien ou rimbaldien, celui-ci

    mort il y a cent ans, celui-là il y a dix. Les cinq ou six dernières

    générations ont polarisé à l'extrême cette opposition d'un côté ceuxque Verlaine appela les maudits, locataires du taudis plus encore que de

    la « tour d'ivoire », mais, exclus ou reclus, également en retrait, lavoyance et la malédiction à la bouche, pour la bénédiction imprévisible

    de leur descendance; et de l'autre, les engagés, les enragés, les respon-sables, les sujets de l'Événement, ceux du J'accuse ou de la Résistance,des Châtiments ou de la Dissidence. Or en est-il bien ainsi ?

    À supposer qu'il y ait là deux familles d'esprit, et que cettedifférence de ton soit de toute façon possible et permise par l'écartentre le site de l'écrivain et la situation ambiante, il est clair que la

    différence ressortit à celle du de près au de loin en général, de laconsidération des choses vues à celle de l'intempestif, et que c'est le

    hasard (pour l'appeler par l'un de ses noms, choisi dans les hétéro-

    nymes « contingence, causes secondes », etc.) qui rapproche ouéloigne Pascal prépare l'Apologie et écrit les Provinciales; Rimbaudsurprend la Commune et sécrète la « future Vigueur» pour « entreraux Splendides Villes »; Breton se promène et manifeste; Leopardi

  • MICHEL DEGUY

    dévisage la lune qui éclaire sa main et lit les journaux; Trakl, Ponge,Claude Simon, etc. La correspondance des écrivains montre avec quelleattention, quelles passions, ils correspondent à leur temps, selon leplus ou le moins d'un (savoir) être-contemporain de son temps qui detoute façon n'est rien d'immédiat; selon un rythme de retranchementet d'implication dont le régime est commandé par une vocation à la« liberté» et une convocation à des événements de libérations; selondes accidents qui sont de l'ordre de la longévité, de la circonstancepolitique, etc. Dégage-toi, disait Paul Celan; et ce dont l'écrivain sedégage, il s'en dégage et ainsi le prend en relation. Il n'y a rien dansle désir et l'activité d'écrire, pris même absolument, élevés à l'«absolulittéraire », qui implique et requière une distraction des choses, del'époque, de la date, de l'histoire, de la circonstance, de l'événement,de la gestation énigmatique du phénomène futur (Mallarmé) dontaprès coup on dira, historien ou philosophe, qu'il aura été le phéno-mène dominant d'une époque, la configuration de l'Être mise enscène par les figurants du temps. Opsis tôn adelôn ta Phainoména.

    l'obscur aphorisme d'Anaxagore dit (ou en tout cas met en relation)ce qui apparaît avec la vision des choses en tant que non visibles oua-visibles; et, à ce degré de généralité, quel artiste ne le prendrait paspour devise? Il demeure, certes, des différences d'échelle et de

    résolution, et d'investissements de désir, et de stratégie; mais tout estguerre, « tout naît du procès », nous sommes embarqués. que ce soitdans la guerre civile qui s'appela durant des siècles « Querelle desAnciens et des Modernes », ou la guerre générale contre la censure engénéral où nos ennemis (tous les « Pinard» comme les appelle Sollersdu nom du juge de Flaubert) sont tous ceux qui croient que leshommes ne sont pas mûrs pour la liberté ni pour l'égalité, pas mûrspour la vérité ni la fraternité, pas mûrs pour la beauté, pas mûrs pourla bonté voire qui seraient de moins en moins mûrs pour ces grandstranscendantaux, et que, de régression en régression, le Progrès aencore de beaux jours devant lui. Et, puisque j'ai fait allusion à Kant

    par cette formule « pas mûrs pour la liberté» qui l'encolérait, jepoursuis la diatribe en jouant avec un de ses titres fameux, occasionde désigner les « régressifs-progressifs» du côté de ceux qui prônent« la Raison dans les limites de la simple Religion, et celle-ci à son tourdans les limites de la simple région ».

    L' intellectuel est un être qui par position tente d'occuper une vuesurplombante, extérieure à celle d'un des partis en présence dans le

  • L'ÉCRIVAIN ET L'INTELLECTUEL

    pur rapport des forces et leur affrontement. De tendre donc à cettevue de l'esprit qu'on appelle « impartiale », du côté de la recherche dela vérité, de la justesse de pensée, d'où procéderait une justice ce quiveut dire dans un autre plan et à une autre échelle que ceux où se

    répartissent les côtés de l'apartheid humain'. Or, puisque tout estlutte, sociale par exemple, sa vue prend en considération sondiscernement prend en jugement le parti le plus faible, le parti quia d'emblée le dessous, le mauvais rôle, le parti des opprimés, desfaibles, des oubliés, des damnés de la terre, des pauvres, des impo-tents. Par lucidité synoptique et prophétique qui est du devoir etdu pouvoir de qui s'élève au-dessus du champ des forces mortellementantagonistes, contre l'iniquité constitutive de ce champ il chercheà comprendre, à juger, à arbitrer, ce qui implique de « relever » ceparti des opprimés pour « rééquilibrer» l'ensemble. Ainsi est-il le plussouvent par position « traître»à la classe sociale, au parti, auxquelsil appartient quasi automatiquement par le pouvoir et la notoriétéqu'il acquiert, trahissant de justesse le clan et le complot permanentdes puissants.

    Cest pourquoi, cependant, à la rigueur le fameux incipit«J'accuse»ne peut définir sa position, ni affecter d'un coefficientobligatoire, implicite ou explicite, ses propositions. Dans la vendettainfinie et la spirale tournoyante de l'accusation universelle du tortprimordial des « autres », dans la réciprocité infernale de la justicevindicative « originelle» l'« origine» que précisément le (re)com-mencement, « à zéro» ou « à plat », d'une conférence de paix requiertqu'on ne réactualise pas, mais qu'on « oublie» et même s'il vas'engager pratiquement à l'un des pôles de la scissiparité humaine, dela dualité antinomique des ennemis en présence dans le polémoséternel, il doit d'abord considérer, d'une vue pascalienne qui explorethéoriquement le renversement-du-pour-ou-contre, le champ théorique,intelligible, où la vérité plus déchiquetée qu'Osiris se dissimule dans

    1. La différence mortalité/immortalité se re-présente à notre attention le

    partage de l'humanité n'en est plus un qui mette « tous les hommes » du même côtépar rapport aux dieux; mais celui d'une partition/apartheid qui divise inégalement leshommes en plus ou moins mortels.

    La grande différence qu'on désigne parfois comme celle du Nord au Sud, maisqui revient de fait en chacune de ces régions partager la condition des uns et desautres, est celle du plus ou moins mortel; qui se décompose à son tour en deux cellede la longévité (santé, etc.) et celle de la gloire (notoriété contre ignobilité del'anonymat; élite des noms connus contre moindre « existence» de l'insignifiance,etc.).

    Extrait de la publication

  • MICHEL DEGUY

    la pluralité et la diversité. Son «Y accuse»ne saurait être qu'unmoment second.

    L' écrivain en tant que tel, c'est-à-dire en tant qu'artiste, dans sonvouloir faire œuvre et léguer une parole testamentaire lui dont latâche et le métier sont essentiellement de se souvenir, comme disaitHenry Miller ne poursuit pas les mêmes fins. Dire, continuer àcroire, que l'homme de l'Art, le Dichter de la pensée allemande, estutile à l'humanité, c'est croire que les autres, les hommes, dépendentde son œuvre pour l'expérience de vivre, c'est-à-dire de « donner sens

    à sa vie », l'expérience disons dans la plus grande généralité dece que le penseur présocratique condensait en « Être et pensée lemême». La relation au monde, l'être-au-monde-de-celui-qui-Y-EST(Dasein), peut être médiée par l'expérience d'un artiste, « poète» sion veut, qui fait œuvre de son « habitation terrestre », êthos, séjour(locutions usées, peut-être, mais que l'art poétique ou art de vivre,impliquant l'«esthétique », ne peut pas ne pas reprendre au sérieux).

    Il se distingue de l'intellectuel qu'il est « par ailleurs» et parson projet en un éclair plus universaliste, plus cosmopolite, plusoriginairement anxieux de « la forme entière de l'humaine condition»

    (Montaigne), avec son risque d'humanisme plus abstrait, et, contra-dictoirement, par son enracinement plus vernaculaire, par son expé-rience dans la langue et l'enfance, son gîte et sa ressource entreGuermantes et Méséglise.

    Cependant puisque l'œuvre en appelle à son intelligence, à sonintelligence du temps, et aux « intelligiblesàà conserver et à inventer,il appartient à l'ensemble des « intellectuelsàà chaque occurrence, caspar cas, malheur par malheur; il en constitue un sous-ensemble, etson nom contresigne maintes pétitions, ou sa voix se mêle à maintstextes d'imprécation ou d'alarme.

    ET MAINTENANT?

    L'Espèce humaine comme l'appelle Robert Antelme dans son

    livre unique, sur l'ultime entreprise d'asservissement délibérée par lesnazis l'«espèce humaine » tourne en rond dans le triple enclos dela mortalité, du système solaire et du vernaculaire, et l'expérience dela « clôture » en général, aux confins de ces limites sans cesse plusrapprochées, éprouvées, heurtées, résistantes (dans une « expérience»aggravée qui fait par exemple à Lévi-Strauss « regretter» l'âge où les

  • L'ÉCRIVAIN ET L'INTELLECTUEL

    hommes étaient « moins nombreux sur la terre », etc.), fournit à

    l'époque les mobiles et les motifs de ses tentatives de sorties les plusdésespérées par exemple ceux de la comptabilité générale des « va-leurs» en réserves patrimoniales, et de leur exploitation « culturelle »par exemple ceux des utopies de symbiose sociale en général parassistance technique; par exemple ceux des régressions intégriséesdans les promesses religieuses en général reprises à la lettre, voire lerecours aux « techniques de transcendance ».

    Peut-être est-ce la pression renforcée de la Loi si je rassemblesous ce vocable fameux, « La Loi », l'assujettissement multiple à la

    mort, au système génétique subsolaire, et à la langue maternelle quiaffole le sujet dans son double-bind, oscillant alors de l'idolâtrie qui larenforce au désir fou de la transgresser, de l'abolir. Mais qui est lesujet? Le on des grands nombres, le nous d'une communauté, ou leJe du « je parle donc je suis » ? L'espace de jeu du je est celui qui vade l'échelle du sans espoirà celle de l'«illusion de la joie », plutôt que

    de l'espoir illusoire au sans joie.La pensée, poétique et philosophique, de notre fmitude ne se

    réduit pas à la connaissance des conditions nécessitantes de notrecondition nécessiteuse. Et je, en tant qu'artiste, écrivain par exemple,mais auteur ou lecteur, suis dans le mouvement inventif, excessif, quiles transforme en jouissance et en joie; qui doit «quitter père etmère» (dans le langage de l'Évangile) pour cette issue de secours quine me donne accès à aucun autre monde que celui-ci.

    POUR QUI ÉCRIT-ON ?

    Écrire, pris absolument, intransitivement, a-t-il du sens ? Sansdoute cette réduction, qui abstrait une chose (P«écriture») de sesrapports avec tout ce qui n'est pas elle, avait-elle et aura-t-elle eude l'efficience à un « certain moment », stratégique, en vue dedéterminer son « en soi et pour soi », son repli, plus « purement »

    mais l'écriture, et en général toute œuvre, n'en est pas moinsdéterminable essentiellement par la considération de son « arétè », de

    son être-bon-pour, bon à quelque chose (sa participation « agathoïde »au Bien, eût dit Platon) ou sa finalité, son télos (son en-vue-de-quoi,eût dit Aristote).

  • MICHEL DEGUY

    Autrement dit, si tout ce qui est (l'«étant ») est rapport, rela-

    tion, alors, nul « terme » n'étant « substance », une œuvre (par

    exemple une œuvre littéraire) est en relation, œuvre-en-relation, et setrouve codéterminée par les questions à quoi et avec qui, et par leur

    connexion. L' oeuvre, l'écrit, est, est (en) relation, avec qui?

    Quel est son qui, son destinataire, son « autre » dans la relation

    dite parfois d'«engagement », parfois de retranchement (Mallarmé) ?Réponse jamais en aucun cas, « en définitive », l'œuvre, la

    bonté (arétè; « qualité ») d'une œuvre, ne peut être pensée, estimée,

    à fond et au fond, dans sa relation au « pour un groupe », pour « lasociété », pour une « minorité », pour une « nation » (ou quelque

    autre terme qu'on emploie ici).

    Le rapport en quoi consiste et subsiste une « oeuvre » est depersonne à personne, ou du « terme » auteur au « terme » lecteur;relation d'écriture, entre celui qui écrit et celui qui lit, ou reçoit, la

    peinture, la musique, aussi bien. On œuvre, selon Nietzsche, « pourtous et pour personne », c'est ce qu'il serait utile de recomprendre;

    recomprendre le sens de « cosmopolite », par opposition à local,

    folklorique, ethnique, etc.

    Sans doute, les « implications » aussitôt soulevées dans le sillagede cette affirmation pourraient nous retenir des heures. Deux remar-

    ques seulement

    viser « la fin », quel que soit le moyen qui la supporte ou

    qu'elle comporte, n'ignore nullement ceci qu'il n'y a pas de fin sansmoyen; que tout être est toujours en même temps fin et moyen en

    d'autres termes, que le verso, ou « réciproque », de la formulation

    catégorique pratique kantienne s'énoncerait impossible de ne pasconsidérer l'autre toujours en quelque façon comme un moyen, en

    même temps qu'une fin;

    c'est pourquoi les aspects que j'omets ici, « mis entre paren-

    thèses », aspects de la référence qui « toujours en même temps»

    intéresse le groupe, le social, l'ethnie, ou que sais-je, se retrouverontplus tard et positivement comme « moyens », à échelle des moyens, s'ilest vrai que le destinataire (le pour qui dont nous nous occupons) est

    toujours en même temps « socialement déterminé », avec d'autres,etc. Mais l'être-en-relation de l'œuvre, de l'art, que j'essaye de ressaisir

    dans sa destination, ne la destine pas seulement, c'est-à-dire nulle-

    ment, à la défense et illustration de sa localité vernaculaire; on laressaisirait donc toujours dans un viser-plus-loin que « ceux à qui » elle

    s'adresse effectivement, dans un « dépassement », une « transcen-

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