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1 UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6) FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE ANNEE 2010 THESE N° 2010PA06G038 DOCTORAT EN MEDECINE SPECIALITE : MEDECINE GENERALE PAR Mélinée KIZILIAN NEE LE 29 SEPTEMBRE 1979 à CHARENTON-LE-PONT ______________ PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 14 SEPTEMBRE 2010 ILLUSTRATION DES VALEURS DU SERMENT D’HIPPOCRATE DANS LES PERSONNAGES DE MEDECINS DE LA LITTERATURE FRANCAISE DES XXème ET XXIème SIECLES DIRECTEUR DE THESE : Professeur CORNET Philippe PRESIDENT DE THESE : Professeur DUGUET Alexandre

FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIEA Anne et Elsa, pour votre incorrigible détachement, Puissions-nous longtemps cultiver les fruits de notre amitié ;-) A mes amies et amis

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UNIVERSITE PIERRE ET MARIE CURIE (PARIS 6)

FACULTE DE MEDECINE PIERRE ET MARIE CURIE

ANNEE 2010 THESE N° 2010PA06G038

DOCTORAT EN MEDECINE

SPECIALITE : MEDECINE GENERALE

PAR

Mélinée KIZILIAN

NEE LE 29 SEPTEMBRE 1979 à CHARENTON-LE-PONT

______________

PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT LE 14 SEPTEMBRE 2010

ILLUSTRATION DES VALEURS DU SERMENT D’HIPPOCRATE DANS LES PERSONNAGES DE MEDECINS

DE LA LITTERATURE FRANCAISE DES XXème ET XXIème SIECLES

DIRECTEUR DE THESE : Professeur CORNET Philippe PRESIDENT DE THESE : Professeur DUGUET Alexandre

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« Pour atteindre le singulier, l’apprentissage de la médecine doit

s’appuyer aussi sur la culture, telle qu’y contribuent par exemple les

grands écrivains et que l’on retrouve dans les textes de portée

universelle, car ces auteurs explorent et décrivent des expériences

individuelles telles que les rencontrera le médecin et qu’assurément il

manquera si, limité à la raison brute, il reste un instruit inculte. »

Michel SERRES

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A ma Mère et mon Père, Pour votre amour et votre soutien inconditionnels,

Merci de m’avoir transmis tant de richesses

A Gayaneh et Raffi, mes perles fraternelles,

A Mathieu, mon très cher compagnon de route, Et à Sévan, mon soleil quotidien,

A Jacqueline et Ardachès,

Merci pour toutes les corrections, les encouragements et l’aide « logistique », Mais aussi, et surtout, pour votre présence à nos côtés,

A mon oncle, ma tante, mes cousins,

A mes belles-sœurs et beaux-frères, A ma nièce et à mon neveu,

A Delphine, pour notre incorrigible sentimentalisme,

A Anne et Elsa, pour votre incorrigible détachement, Puissions-nous longtemps cultiver les fruits de notre amitié ;-)

A mes amies et amis de Kitasart,

Pour toutes les scènes passées et à venir !

A LA MEMOIRE DE MES GRANDS-PARENTS

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Je remercie

Monsieur le Professeur Alexandre DUGUET pour avoir accepté de

présider ma thèse,

Monsieur le Professeur Philippe CORNET pour m’avoir offert

l’opportunité de rédiger la thèse qui me tenait à cœur, mais aussi

pour son aide et ses conseils tout au long de mon cheminement,

Messieurs les Professeurs Emmanuel FOURNIER et Jean-Marie

JOUANNIC pour la bienveillante attention qu’ils ont portée à mon

travail.

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Année Universitaire 2009/2010 PROFESSEURS DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site SAINT-ANTOINE AMARENCO Gérard Rééducation fonctionnelle et neurologique Hôpital ROTHSCHILD AMSELEM Serge Génétique Hôpital TROUSSEAU ANDRE Thierry Cancérologie Hôpital La Salpêtrière ANTOINE Jean Marie Gynécologie Obstétrique / Médecine de la Reproduction Hôpital TENON ARACTINGI Sélim Unité de Dermatologie Hôpital TENON ARLET Guillaume Bactériologie Hôpital TENON ARRIVE Lionel Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE AUCOUTURIER Pierre INSERM U 712 Hôpital SAINT-ANTOINE AUDRY Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU BALLADUR Pierre Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE BARDET Jean (surnombre) Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE BAUD Laurent Explorations fonctionnelles multidisciplinaires Hôpital TENON BAUDON Jean Jacques (surnombre) Néonatologie Hôpital TROUSSEAU BEAUGERIE Laurent Gastro-entérologie et Nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE BEAUSSIER Marc Anesthésie-Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE BENIFLA Jean Louis Gynécologie Obstétrique Hôpital ROTHSCHILD BENSMAN Albert Néphrologie, Dialyses et transplantations pédiatriques Hôpital TROUSSEAU BERENBAUM Francis Rhumatologie Hôpital SAINT-ANTOINE BEREZIAT Gilbert (surnombre) UMR 7079 Physiologie et physiopathologie Campus Jussieu BERNAUDIN Jean François Histologie biologie tumorale Hôpital TENON BILLETTE DE VILLEMEUR Thierry Neuropédiatrie Hôpital TROUSSEAU BOCCON GIBOD Liliane (surnombre) Anatomie pathologique Hôpital TROUSSEAU BONNET Francis Anesthésie réanimation Hôpital TENON BORDERIE Vincent Ophtalmologie CNHO des 15/20 BOUCHARD Philippe Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE BOUDGHENE STAMBOULI Franck Radiologie Hôpital TENON BREART Gérard Gynécologie obstétrique Hôpital TENON CABANE Jean Médecine interne Hôpital SAINT-ANTOINE CADRANEL Jacques Pneumologie Hôpital TENON CALLARD Patrice Anatomie pathologique Hôpital TENON CAPEAU Jacqueline Inserm U.680 Faculté de Médecine P. & M. Curie CARBAJAL SANCHEZ Ricardo Urgences pédiatriques Hôpital TROUSSEAU CARBONNE Bruno Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE CARETTE Marie France Radiologie Hôpital TENON CASADEVALL Nicole Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE CAYRE Yvon Hématologie immunologie Hôpital DEBRE CHAZOUILLERES Olivier Hépatologie gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE CHOSIDOW Olivier Dermatologie – Allergologie Hôpital TENON CHOUAID Christos Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE CHRISTIN‐MAITRE Sophie Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE CLEMENT Annick Pneumologie Hôpital TROUSSEAU CLERGUE François Détaché au Ministère des Affaires Etrangères : Hôpital Cantonal / Anesthésiologie 24, rue Micheli-du-Crest Genève 14 ‐Suisse

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COHEN Aron Cardiologie Hôpital SAINT-ANTOINE CONSTANT Isabelle Anesthésiologie réanimation Hôpital TROUSSEAU COSNES Jacques Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE COULOMB Aurore Anatomie et cytologie pathologiques Hôpital TROUSSEAU DAMSIN Jean Paul Orthopédie Hôpital TROUSSEAU DARAI Emile Gynécologie obstétrique Hôpital TENON DE GRAMONT Aimery Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE DENOYELLE Françoise ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU DEVAUX Jean Yves Biophysique et médecine nucléaire Hôpital SAINT-ANTOINE DOUAY Luc Hématologie biologique Hôpital TROUSSEAU DOURSOUNIAN Levon Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE DUCOU LE POINTE Hubert Radiologie Hôpital TROUSSEAU DURON Françoise Endocrinologie Hôpital SAINT-ANTOINE DUSSAULE Jean Claude Physiologie Hôpital SAINT-ANTOINE FAUROUX Brigitte Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU FERON Jean Marc Chirurgie orthopédique et traumatologique Hôpital SAINT-ANTOINE FLEJOU Jean François Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE FLORENT Christian Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE FRANCES Camille Dermatologie – Allergologie Hôpital TENON FUNCK BRENTANO Christian Pharmacologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE GARABEDIAN Eréa Noël ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TROUSSEAU GARBARG CHENON Antoine Bactériologie virologie Hôpital TROUSSEAU GATTEGNO Bernard (surnombre) Urologie Hôpital SAINT-ANTOINE GENDRE Jean Pierre (surnombre) Gastro-entérologie et nutrition Hôpital SAINT-ANTOINE GIRARD Pierre Marie Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE GIRARDET Jean Philippe Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU GIROT Robert Hématologie biologique Hôpital TENON GOLD Francis Néonatologie Hôpital TROUSSEAU GORIN Norbert Hématologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE GRATEAU Gilles Médecine interne Hôpital TENON GRIMFELD Alain (surnombre) Pédiatrie orientation pneumologie et allergologie Hôpital TROUSSEAU GRIMPREL Emmanuel Pédiatrie générale Hôpital TROUSSEAU GRUNENWALD Dominique Chirurgie thoracique Hôpital TENON GUIDET Bertrand Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE HAAB François Urologie Hôpital TENON HELARDOT Pierre Georges Chirurgie viscérale infantile Hôpital TROUSSEAU HOURY Sidney Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON HOUSSET Chantal Biologie cellulaire – Inserm U. 680 Faculté de Médecine P. & M. Curie JAILLON Patrice Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie JOUANNIC Jean-Marie Gynécologie obstétrique Hôpital TROUSSEAU JUST Jocelyne Pneumologie et allergologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LACAINE François Chirurgie digestive et viscérale Hôpital TENON LACAU SAINT GUILY Jean ORL Hôpital TENON LACAVE Roger Histologie biologie tumorale Hôpital TENON LANDMAN PARKER Judith Hématologie et oncologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LAROCHE Laurent Ophtalmologie CHNO des Quinze-Vingts

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LE BOUC Yves Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU LEBEAU Bernard Pneumologie Hôpital SAINT-ANTOINE LEGRAND Ollivier Hématologie oncologie médicale Hôpital HOTEL DIEU LEVERGER Guy Hématologie et oncologie pédiatriques Hôpital TROUSSEAU LEVY Richard Neurologie Hôpital SAINT-ANTOINE LIENHART André Anesthésie – Réanimation Hôpital SAINT-ANTOINE LOTZ Jean Pierre Cancérologie Hôpital TENON LOUVET Christophe Oncologie médicale Hôpital SAINT-ANTOINE MARIE Jean Pierre Hématologie Hôpital HOTEL-DIEU MARSAULT Claude Radiologie Hôpital TENON MASLIAH Joëlle Inserm U.538 Faculté de Médecine P. & M. Curie MAURY Eric Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE MAYAUD Marie Yves Pneumologie Hôpital TENON MENU Yves Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE MEYER Bernard ORL et chirurgie cervico-faciale Hôpital TENON MEYOHAS Marie Caroline Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-ANTOINE MICHEL Pierre Louis Cardiologie Hôpital TENON MILLIEZ Jacques Gynécologie obstétrique Hôpital SAINT-ANTOINE MIMOUN Maurice Chirurgie plastique Hôpital ROTHSCHILD MITANCHEZ Delphine Néonatologie Hôpital TROUSSEAU MONTRAVERS Françoise Biophysique et médecine nucléaire Hôpital TENON MURAT Isabelle Anesthésie réanimation Hôpital TROUSSEAU NICOLAS Jean Claude Virologie Hôpital TENON OFFENSTADT Georges Réanimation médicale Hôpital SAINT-ANTOINE PAQUES Michel Ophtalmologie CHNO des 15/20 PARC Yann Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE PATERON Dominique Service dʹAccueil des Urgences Hôpital SAINT-ANTOINE PAYE François Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE PERETTI Charles-Siegfried Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE PERIE Sophie ORL Hôpital TENON PETIT Jean Claude Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE PIALOUX Gilles Maladies infectieuses et tropicales Hôpital TENON POUPON Raoul Hépatologie et gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE RENOLLEAU Sylvain Réanimation néonatale Hôpital TROUSSEAU RODRIGUEZ Diana Neuro-pédiatrie Hôpital TROUSSEAU RONCO Pierre Marie Néphrologie et dialyses Hôpital TENON RONDEAU Eric Urgences néphrologiques – Transplantation rénale Hôpital TENON ROSMORDUC Olivier Hépato gastro-entérologie Hôpital SAINT-ANTOINE ROUGER Philippe I.N.T.S. 6, rue Alexandre Cabanel 75739 Paris cedex 15 ROUZIER Roman Gynécologie obstétrique Hôpital TENON ROZENBAUM Willy Maladies infectieuses et tropicales Hôpital SAINT-LOUIS SAHEL José Alain Ophtalmologie CHNO des 15/20 SAUTET Alain Chirurgie orthopédique Hôpital SAINT-ANTOINE SEZEUR Alain Chirurgie générale Hôpital des DIACONESSES SIFFROI Jean Pierre Génétique et embryologie médicales Hôpital TROUSSEAU SOUBRIER Florent Département de génétique Groupe Hospitalier PITIE SALPETRIERE TALBOT Jean Noël Biophysique médecine nucléaire Hôpital TENON THIBAULT Philippe (surnombre) Urologie Hôpital TENON THOMAS Guy Psychiatrie d’adultes Hôpital SAINT-ANTOINE THOUMIE Philippe Rééducation neuro-orthopédique Hôpital ROTHSCHILD

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TIRET Emmanuel Chirurgie générale et digestive Hôpital SAINT-ANTOINE TOUBOUL Emmanuel Radiothérapie Hôpital TENON TOUNIAN Patrick Gastro-entérologie et nutrition pédiatriques Hôpital TROUSSEAU TRAXER Olivier Urologie Hôpital TENON TRUGNAN Germain Inserm U538 Faculté de Médecine P. & M. Curie TUBIANA Jean Michel (surnombre) Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE UZAN Serge Gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction Hôpital TENON VALLERON Alain Jacques Unité de santé publique Hôpital SAINT-ANTOINE VAYSSAIRAT Michel Cardiologie Hôpital TENON VAZQUEZ Marie Paule Chirurgie maxillo-faciale et stomatologie Hôpital TROUSSEAU WENDUM Dominique Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE WISLEZ Marie Pneumologie Hôpital TENON

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Année Universitaire 2009/2010 PROFESSEURS DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site PITIE ACAR Christophe CHIRURGIE THORACIQUE ET CARDIO-VASCULAIRE AGID Yves FEDERATION DE NEUROLOGIE (surnombre) AGUT Henri BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE-HYGIENE ALLILAIRE Jean-François PSYCHIATRIE D’ADULTES AMOURA Zahir MEDECINE INTERNE ASTAGNEAU Pascal EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE AURENGO André BIOPHYSIQUE et MEDECINE NUCLEAIRE AUTRAN Brigitte IMMUNOLOGIE BARROU Benoît UROLOGIE BASDEVANT Arnaud NUTRITION BAULAC Michel ANATOMIE / NEUROLOGIE BAUMELOU Alain NEPHROLOGIE BELMIN Joël MEDECINE INTERNE Ivry BENHAMOU Albert CHIRURGIE VASCULAIRE BENVENISTE Olivier MEDECINE INTERNE BERTRAND Jacques-Charles STOMATOLOGIE ET CHIRURGIE MAXILLO-FACIALE BITKER Marc Olivier UROLOGIE BODAGHI Bahram OPHTALMOLOGIE BOISVIEUX Jean-François BIOSTATISTIQUES et INFORMATIQUE MEDICALE (surnombre) BOURGEOIS Pierre RHUMATOLOGIE BRICAIRE François MALADIES INFECTIEUSES - MALADIES TROPICALES BRICE Alexis GENETIQUE BRUCKERT Eric ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES CABANIS Emmanuel RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE - (surnombre) CACOUB Patrice MEDECINE INTERNE (Chef de service par intérim) CALVEZ Vincent VIROLOGIE ET BACTERIOLOGIE CAPRON Frédérique ANATOMIE ET CYTOLOGIE PATHOLOGIQUE CARPENTIER Alexandre NEUROCHIRURGIE CATALA Martin CYTOLOGIE ET HISTOLOGIE (département de génétique) CATONNE Yves CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE ET TRAUMATOLOGIQUE CAUMES Eric MALADIES INFECTIEUSES - MALADIES TROPICALES CHAMBAZ Jean BIOLOGIE CELLULAIRE CHARTIER-KASTLER Emmanuel UROLOGIE CHASTRE Jean REANIMATION MEDICALE CHERIN Patrick MEDECINE INTERNE CHIGOT Jean-Paul CHIRURGIE GENERALE (surnombre) CHIRAS Jacques RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE III CLEMENT-LAUSCH Karine NUTRITION CLUZEL Philippe RADIOLOGIE ET IMAGERIE MEDICALE II COHEN David PEDO-PSYCHIATRIE COHEN Laurent NEUROLOGIE COMBES Alain REANIMATION MEDICALE CORIAT Pierre ANESTHESIOLOGIE et REANIMATION CHIRURGICALE CORNU Philippe NEURO-CHIRURGIE COURAUD François BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE DANIS Martin PARASITOLOGIE (surnombre)

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DAUTZENBERG Bertrand PNEUMOLOGIE DAVI Frédéric HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE DEBRE Patrice IMMUNOLOGIE DELATTRE Jean-Yves NEUROLOGIE (Fédération Mazarin) DERAY Gilbert NEPHROLOGIE DERENNE Jean-Philippe PNEUMOLOGIE (surnombre) DOMMERGUES Marc GYNECOLOGIE - OBSTETRIQUE DORMONT Didier RADIOLOGIE ET IMAGERIE MEDICALE DUBOIS Bruno NEUROLOGIE DURON Jean-Jacques CHIRURGIE DIGESTIVE (surnombre) DUGUET Alexandre PNEUMOLOGIE DUYCKAERTS Charles ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES EYMARD Bruno NEUROLOGIE FAUTREL Bruno RHUMATOLOGIE FERRE Pascal BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE FONTAINE Bertrand FEDERATION DE NEUROLOGIE FOSSATI Philippe PSYCHIATRIE D’ADULTES FOURET Pierre ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES GANDJBAKHCH Iradj CHIRURGIE THORACIQUE et CARDIO-VASCULAIRE (surnombre) GIRERD Xavier THERAPEUTIQUE / ENDOCRINOLOGIE GOROCHOV Guy IMMUNOLOGIE GRENIER Philippe RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE II GRIMALDI André ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES HAERTIG Alain MEDECINE LEGALE / UROLOGIE HANNOUN Laurent CHIRURGIE GENERALE HAUW Jean-Jacques ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES (surnombre) HELFT Gérard DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE HERSON Serge THERAPEUTIQUE /MEDECINE INTERNE HEURTIER Agnès ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES HOANG XUAN Khê NEUROLOGIE ISNARD Richard CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES ISNARD-BAGNIS Corinne NEPHROLOGIE JARLIER Vincent BACTERIOLOGIE-HYGIENE JOUVENT Roland PSYCHIATRIE D'ADULTES KATLAMA née WATY Christine MALADIES INFECTIEUSES ET TROPICALES KHAYAT David ONCOLOGIE MEDICALE KIEFFER Edouard CHIRURGIE VASCULAIRE KLATZMANN David IMMUNOLOGIE KOMAJDA Michel CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES KOSKAS Fabien CHIRURGIE VASCULAIRE LAMAS Georges OTO-RHINO-LARYNGOLOGIE LANGERON Olivier ANESTHESIOLOGIE LAZENNEC Jean-Yves ANATOMIE / CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE LE FEUVRE Claude DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE LEBLOND née MISSENARD Véronique HEMATOLOGIE CLINIQUE LEENHARDT Laurence ENDOCRINOLOGIE / MEDECINE NUCLEAIRE LEFRANC Jean-Pierre CHIRURGIE GENERALE LEHERICY Stéphane RADIOLOGIE et IMAGERIE MEDICALE III LEHOANG Phuc OPHTALMOLOGIE

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LEMOINE François IMMUNOLOGIE LEPRINCE Pascal CHIRURGIE THORACIQUE LUBETZKI ép. ZALC Catherine FEDERATION DE NEUROLOGIE LYON-CAEN Olivier FEDERATION DE NEUROLOGIE MALLET Alain BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE MARIANI Jean BIOLOGIE CELLULAIRE/MEDECINE INTERNE MAZERON Jean-Jacques RADIOTHERAPIE MAZIER Dominique PARASITOLOGIE MEININGER Vincent NEUROLOGIE (Fédération Mazarin) MENEGAUX Fabrice CHIRURGIE GENERALE MERLE-BERAL Hélène HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE METZGER Jean-Philippe CARDIOLOGIE et MALADIES VASCULAIRES MONTALESCOT Gilles CARDIOLOGIE ET MALADIES VASCULAIRES OPPERT Jean-Michel NUTRITION PASCAL-MOUSSELLARD Hugues CHIRURGIE ORTHOPEDIQUE ET TRAUMATOLOGIQUE PAVIE Alain CHIR. THORACIQUE et CARDIO-VASCULAIRE. PERRIGOT Michel REEDUCATION FONCTIONNELLE PETITCLERC Thierry BIOPHYSIQUE / NEPHROLOGIE PIERROT-DESEILLIGNY Charles NEUROLOGIE PIETTE François MEDECINE INTERNE - Ivry PIETTE Jean-Charles MEDECINE INTERNE POIROT Catherine CYTOLOGIE ET HISTOLOGIE POYNARD Thierry HEPATO-GASTRO-ENTEROLOGIE PUYBASSET Louis ANESTHESIOLOGIE REANIMATION CHIRURGICALE RATIU Vlad HEPATO - GASTRO - ENTEROLOGIE RICHARD François UROLOGIE RIOU Bruno ANESTHESIOLOGIE/URGENCES MEDICO-CHIRURGICALE ROBAIN Gilberte REEDUCATION FONCTIONNELLE -- Ivry ROUBY Jean-Jacques ANESTHESIOLOGIE ET REANIMATION CHIRURGICALE SAMSON Yves NEUROLOGIE/URGENCES CEREBRO-VASCULAIRES SIMILOWSKI Thomas PNEUMOLOGIE SPANO Jean-Philippe ONCOLOGIE MEDICALE THOMAS Daniel CARDIOLOGIE ET MALADIES VASCULAIRES TOUITOU Yvan NUTRITION / BIOCHIMIE (surnombre) TOURAINE Philippe ENDOCRINOLOGIE ET MALADIES METABOLIQUES VAILLANT Jean-Christophe CHIRURGIE GENERALE VAN EFFENTERRE Rémy NEURO-CHIRURGIE VERNANT Jean-Paul HEMATOLOGIE CLINIQUE VERNY Marc MEDECINE INTERNE (Marguerite Bottard) VIDAILHET Marie-José NEUROLOGIE VOIT Thomas PEDIATRIE NEUROLOGIQUE WILLER Jean-Vincent PHYSIOLOGIE ZELTER Marc PHYSIOLOGIE / EXPLORATIONS FONCTIONNELLES En gras : chefs de service

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Année Universitaire 2009/2010 MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site SAINT-ANTOINE ABUAF Nisen Hématologie Hôpital TENON AMIEL Corinne Virologie Hôpital TENON ANCEL Pierre Yves Département de Santé Publique Hôpital TENON APARTIS Emmanuelle Physiologie Hôpital SAINT-ANTOINE BARBU Véronique Biologie cellulaire Faculté de Médecine P. & M. Curie BELLOCQ Agnès Explorations fonctionnelles Hôpital TENON BENLIAN Pascale Biochimie B Hôpital SAINT-ANTOINE BERTHOLON Jean François Explorations fonctionnelles respiratoires Hôpital SAINT-ANTOINE BIOUR Michel Pharmacologie Faculté de Médecine P. & M. Curie BOELLE Pierre Yves Inserm U707 Faculté de Médecine P. & M. Curie BOFFA Jean Jacques Néphrologie et dialyses Hôpital TENON BOULE Michèle Physiologie Hôpital TROUSSEAU CARRAT Fabrice Inserm U707 Faculté de Médecine P. & M. Curie CERVERA Pascale Anatomie pathologique Hôpital SAINT-ANTOINE CHABBERT BUFFET Nathalie Gynécologie Obstétrique Hôpital TENON COLOMBAT Magali Anatomo-pathologie Hôpital TENON DECRE Dominique Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE DELHOMMEAU François Hématologie Hôpital SAINT-ANTOINE DELISLE Françoise Bactériologie virologie Hôpital TENON DEVAUX Aviva Biologie de la Reproduction GH Pitié-Salpêtrière DEVELOUX Michel Parasitologie Hôpital SAINT-ANTOINE EL ALAMY Ismaïl Hématologie biologique Hôpital TENON ESCUDIER Estelle Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU FAJAC-CALVET Anne Histologie embryologie Hôpital TENON FERRERI Florian Psychiatrie d'Adultes Hôpital SAINT-ANTOINE FLEURY Jocelyne Histologie embryologie Hôpital TENON FRANCOIS Thierry Pneumologie et réanimation Hôpital TENON GARÇON Loïc Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE GARDERET Laurent Hématologie clinique Hôpital SAINT-ANTOINE GEROTZIAFAS Grigoris Hématologie Hôpital TENON GONZALES Marie Génétique et embryologie médicales Hôpital TROUSSEAU GOZLAN Joël Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE HAYMANN Jean Philippe Explorations fonctionnelles Hôpital TENON HENNEQUIN Christophe Parasitologie Hôpital SAINT-ANTOINE JOHANET Catherine Immunologie et hématologie biologiques Hôpital SAINT-ANTOINE JOSSET Patrice Anatomie pathologique Hôpital TROUSSEAU JOYE Nicole Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU KIFFEL Thierry Biophysique et médecine nucléaire Hôpital SAINT-ANTOINE LACOMBE Karine Maladies infectieuses Hôpital SAINT-ANTOINE LAGRANGE Monique Immunologie et hématologie biologiques Hôpital SAINT-ANTOINE LAPILLONNE Hélène Hématologie biologique Hôpital TROUSSEAU LASCOLS Olivier Inserm U.680 Faculté de Médecine P. & M. Curie LEWIN ZEITOUN Maïté Radiologie Hôpital SAINT-ANTOINE

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MANDELBAUM Jacqueline Histologie embryologie cytogénétique orientation biologie de la reproduction Hôpital TENON MAUREL Gérard Biophysique et médecine nucléaire Faculté de Médecine P. & M. Curie MAURIN Nicole Histologie Hôpital TENON MOHAND-SAID Saddek Ophtalmologie CHNO des 15/20 MORAND Laurence Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE NETCHINE Irène Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU PARISET Claude Explorations fonctionnelles et endocriniennes Hôpital TROUSSEAU PICARD Arnaud Chirurgie Maxillo-faciale Hôpital TROUSSEAU PLAISIER Emmanuel Néphrologie Hôpital TENON POIRIER Jean Marie Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie POIROT Jean Louis Parasitologie Faculté de Médecine P. & M. Curie PORTNOI Marie France Département de Génétique Hôpital TROUSSEAU RAINTEAU Dominique Inserm U.538 Faculté de Médecine P. & M. Curie RAVEL DARRAGI Nadège Histologie biologie reproduction Hôpital TENON ROBERT Annie Hématologie biologique Hôpital SAINT-ANTOINE ROSSIGNOL Sylvie Explorations fonctionnelles Hôpital TROUSSEAU ROUX Patricia Parasitologie Faculté de Médecine P. & M. Curie SEBE Philippe Urologie Hôpital TENON SEBILLE Alain Physiologie Faculté de Médecine P. & M. Curie SELLAM Jérémie Rhumatologie Hôpital SAINT-ANTOINE SEROUSSI FREDEAU Brigitte Département de Santé Publique Hôpital TENON SIBONY Mathilde Anatomie pathologique Hôpital TENON SIMON Tabassome Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie SOUSSAN Patrick Virologie Hôpital TENON STANKOFF Bruno Neurologie Hôpital TENON SVRCEK Magali Anatomie et cytologie pathologiques Hôpital SAINT-ANTOINE TANKOVIC Jacques Bactériologie virologie Hôpital SAINT-ANTOINE THOMAS Ginette Biochimie Faculté de Médecine P. & M. Curie VAN DEN AKKER Jacqueline Embryologie pathologique et cytogénétique Hôpital TROUSSEAU VAYLET Claire Médecine nucléaire Hôpital TROUSSEAU VIBERT Jean François Inserm U 444 Faculté de Médecine P. & M. Curie VIGOUROUX Corinne Inserm U680 Faculté de Médecine P. & M. Curie WEISSENBURGER Jacques Pharmacologie clinique Faculté de Médecine P. & M. Curie WOLF Claude Laboratoire de spectrométrie de masse Faculté de Médecine P. & M. Curie ASSISTANT ENSEIGNEMENT SUPERIEUR CHENAIS Joël Biophysique Faculté de Médecine P. & M. Curie MCU-PH EN DISPONIBILITE DEHEE Axelle Bactériologie virologie Hôpital TROUSSEAU FOUQUERAY Bruno Explorations fonctionnelles Hôpital TENON KHOSROTEHRANI Kiarash Dermatologie Hôpital TENON

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Année Universitaire 2009/2010 MAITRES DE CONFERENCES DES UNIVERSITES-PRATICIENS HOSPITALIERS UFR Médicale Pierre et Marie CURIE ‐ Site PITIE ANKRI Annick HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE AUBRY Alexandra BACTERIOLOGIE AXELRAD Herbert PHYSIOLOGIE BACHELOT Anne ENDOCRINOLOGIE (Stagiaire) BELLANNE-CHANTELOT Christine GENETIQUE BENOLIEL Jean-Jacques BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE BENSIMON Gilbert PHARMACOLOGIE BORSOS Anne-Marie BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE BOUTOLLEAU David VIROLOGIE BROUSSE Geneviève PARASITOLOGIE BUFFET Pierre PARASITOLOGIE CARCELAIN-BEBIN Guislaine IMMUNOLOGIE CARRIE Alain BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE CHARLOTTE Frédéric ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES CHARRON Philippe GENETIQUE/CARDIOLOGIE COLLET Jean-Philippe DEPARTEMENT DE CARDIOLOGIE COMPERAT Eva ANATOMIE PATHOLOGIQUE CORVOL Jean-Christophe PHARMACOLOGIE COULET Florence GENETIQUE COUSSIEU Christiane BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE DALOZ Madeleine ANESTHESIOLOGIE ET REANIMATION DANZIGER Nicolas PHYSIOLOGIE DATRY Annick PARASITOLOGIE DELERS Francisco BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE DEPIENNE Christel GENETIQUE (Stagiaire) DUPONT-DUFRESNE Sophie ANATOMIE/NEUROLOGIE FOLLEZOU Jean-Yves RADIOTHERAPIE FOURNIER Emmanuel PHYSIOLOGIE FRIJA Elisabeth PHYSIOLOGIE GALANAUD Damien RADIOLOGIE GAYMARD Bertrand PHYSIOLOGIE GIRAL Philippe NUTRITION/ENDOCRINOLOGIE GOLMARD Jean-Louis BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE HABERT Marie-Odile BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE HALLEY DES FONTAINES Virginie EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE HOANG VAN Catherine ANATOMIE et CYTOLOGIE PATHOLOGIQUES KAHN Jean-François PHYSIOLOGIE LACOMBE Catherine BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE LACOMBLEZ Lucette PHARMACOLOGIE LACORTE Jean-Marc BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE LAURENT Claudine PEDOPSYCHIATRIE (Stagiaire) LE BIHAN Johanne BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE LE GUERN Eric GENETIQUE LESOURD Sylvie GENETIQUE MAKSUD Philippe BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE MARCELIN-HELIOT Anne Geneviève VIROLOGIE

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MAZIERES Léonore PHYSIOLOGIE MORICE Vincent BIOSTATISTIQUES ET INFORMATIQUE MEDICALE NACCACHE Lionel PHYSIOLOGIE N’GUYEN-KHAC Florence HEMATOLOGIE BIOLOGIQUE PERNES Jean-François BIOPHYSIQUE/MEDECINE NUCLEAIRE PIDOUX Bernard PHYSIOLOGIE ROBERT Jérôme BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE ROSENHEIM Michel EPIDEMIOLOGIE/SANTE PUBLIQUE ROSENZWAJG Michelle IMMUNOLOGIE ROUSSEAU Géraldine CHIRURGIE GENERALE SANSON Marc ANATOMIE/NEUROLOGIE SEBBAN Claude MEDECINE INTERNE / GERIATRIE SEILHEAN Danielle NEURO-ANATOMIE PATHOLOGIQUE SIMON Dominique SANTE PUBLIQUE / EPIDEMIOLOGIE SOUGAKOFF Wladimir BACTERIOLOGIE-VIROLOGIE STRAUS Christian PHYSIOLOGIE/EXPLORATION FONCTIONNELLE TANKERE Frederic O.R.L. TEZENAS DU MONTCEL Sophie BIOSTATISTIQUES et INFORMATIQUE MEDICALE THELLIER Marc PARASITOLOGIE TRESCA Jean-Pierre BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE URIOS Paul BIOCHIMIE et BIOLOGIE MOLECULAIRE VEZIRIS Nicolas BACTERIOLOGIE-HYGIENE (stagiaire) VITTE Elisabeth ANATOMIE/O.R.L. WAROT Dominique PHARMACOLOGIE BERLIN Ivan PHARMACOLOGIE détaché 01.09.2008 au 31.08.2009 CARAYON Alain BIOCHIMIE détaché 01.11.2007 au 31.10.2009 FILLET Anne-Marie BACTERIOLOGIE détachée EDF 01.09.2007 au 31.08.2011 GAY Frédérick PARASITOLOGIE détaché 01.05.2008 au 30.04.2010 HULOT Jean-Sébastien PHARMACOLOGIE détaché 15.08.2008 au01.07.2009

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TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION ..........................................................20

MATERIEL ET METHODE ...........................................22

I. METHODES DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL .................. 23

II. METHODE DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LES OUVRAGES LITTERAIRES ....................................................................... 27

III. METHODES D’EVALUATION ............................................................ 29

LE SERMENT D’HIPPOCRATE ..................................30

I. HISTORIQUE ............................................................................................ 31 A. HIPPOCRATE DE COS : DU PERSONNAGE AU CORPUS HIPPOCRATIQUE ...... 31 B. LE CORPUS HIPPOCRATIQUE ....................................................................................... 32 C. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE ......................................................... 35 D. LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL ............................... 36

1. Le serment d’Hippocrate ........................................................................................... 36 2. Le serment médical ................................................................................................... 37

II. LES TEXTES ............................................................................................ 38 A. TRADUCTION DU SERMENT D’HIPPOCRATE PAR EMILE LITTRE .................. 38

1. Valeurs contenues dans la première partie du serment d’Hippocrate .......................... 38 2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment d’Hippocrate ........................ 39 3. Discussion autour de ce texte ............................................................................................ 40

B. LE SERMENT MEDICAL .......................................................................................... 41 1. Valeurs contenues dans la première partie du serment médical .................................. 41 2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment médical ................................. 42 3. Discussion autour de ce texte .................................................................................... 43

C. ANALYSE COMPARATIVE DES DEUX TEXTES ................................................... 44 1. Analogies ............................................................................................................................. 44 2. Divergences .......................................................................................................................... 45

III. APPROCHE SPECIFIQUE DES SERMENTS POUR LE MEDECIN GENERALISTE ............................................................................................. 48

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ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE ..................................50

I. RELATIONS DU MEDECIN AVEC SES PAIRS .................................... 51 A. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS ........................................................................ 51

1. La place du maître ..................................................................................................... 51 a. Relation inégalitaire maître à élève ........................................................................ 51 b. Considération et reconnaissance éternelles du maître ............................................. 53 c. Humilité partagée vis-à-vis de la vie : l’apprentissage permanent du maître ........... 54

2. La transmission des savoirs au fil des siècles ............................................................. 56 B. LES RAPPORTS DE CONFRATERNITE ................................................................... 58

1. Fraternité et solidarité ............................................................................................... 58 2. Les aspects négatifs................................................................................................... 59

II. RELATIONS MEDECINS/MALADES ................................................... 61 A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE ......................................... 61

1. L’importance de l’approche ...................................................................................... 61 a. La compassion/ l’indifférence................................................................................ 61 b. L’empathie ............................................................................................................ 63 3. L’écoute ................................................................................................................ 64

2. L’information du malade ........................................................................................... 66 a. Le corps objet ........................................................................................................ 66 b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé ........... 68

B. PRIMUM NON NOCERE ........................................................................................... 71 1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique ..................................................... 71 2. L’euthanasie ............................................................................................................. 73 3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse ........................................ 75

C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET CUPIDITE ............... 76 D. L’ABUS D’AUTORITE .............................................................................................. 78

1. La corruption ............................................................................................................ 78 2. Le principe de non discrimination ............................................................................. 79 3. La séduction.............................................................................................................. 80

E. LE SECRET MEDICAL .............................................................................................. 81 F. LE RESPECT DU SERMENT ..................................................................................... 82

III. LES SPECIFICITES DU MEDECIN GENERALISTE ........................ 84 A. LE PREMIER RECOURS AUX SOINS ...................................................................... 84 B. LA COORDINATION ET LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DE LA PERSONNE ......................................................................................................................................... 86 C. LA VISITE A DOMICILE ........................................................................................... 87 D. LA CONTINUITE DES SOINS ................................................................................... 89

CONCLUSION .............................................................90

BIBLIOGRAPHIE .........................................................93

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ANNEXES ....................................................................97

ANNEXE 1 .................................................................................................................................. 98 ANNEXE 1 BIS ........................................................................................................................... 99 ANNEXE 1 TER ........................................................................................................................ 100 ANNEXE 2 ................................................................................................................................ 101 ANNEXE 3 ................................................................................................................................ 102 ANNEXE 4 ................................................................................................................................ 102 ANNEXE 4 BIS ......................................................................................................................... 103 ANNEXE 5 ................................................................................................................................ 103 ANNEXE 6 ................................................................................................................................ 104 ANNEXE 7 ................................................................................................................................ 105 ANNEXE 8 ................................................................................................................................ 106 ANNEXE 9 ................................................................................................................................ 106 ANNEXE 9 BIS ......................................................................................................................... 107 ANNEXE 10 .............................................................................................................................. 108 ANNEXE 11 .............................................................................................................................. 109 ANNEXE 12 .............................................................................................................................. 109 ANNEXE 12 BIS ....................................................................................................................... 110 ANNEXE 13 .............................................................................................................................. 110 ANNEXE 14 .............................................................................................................................. 111 ANNEXE 15 .............................................................................................................................. 112 ANNEXE 16 .............................................................................................................................. 113 ANNEXE 17 .............................................................................................................................. 113 ANNEXE 18 .............................................................................................................................. 114 ANNEXE 19 .............................................................................................................................. 115 ANNEXE 20 .............................................................................................................................. 116 ANNEXE 21 .............................................................................................................................. 116 ANNEXE 22 .............................................................................................................................. 117 ANNEXE 23 .............................................................................................................................. 118 ANNEXE 24 .............................................................................................................................. 118 ANNEXE 25 .............................................................................................................................. 119 ANNEXE 26 .............................................................................................................................. 119 ANNEXE 27 .............................................................................................................................. 120 ANNEXE 28 .............................................................................................................................. 121 ANNEXE 29 .............................................................................................................................. 122 ANNEXE 30 .............................................................................................................................. 122 ANNEXE 31 .............................................................................................................................. 123 ANNEXE 32 .............................................................................................................................. 124 ANNEXE 32 BIS ....................................................................................................................... 124 ANNEXE 33 .............................................................................................................................. 124 ANNEXE 34 .............................................................................................................................. 125 ANNEXE 35 .............................................................................................................................. 125 ANNEXE 36 .............................................................................................................................. 126 ANNEXE 37 .............................................................................................................................. 127 ANNEXE 37 BIS ....................................................................................................................... 128 ANNEXE 38 .............................................................................................................................. 129 ANNEXE 39 .................................................................................................................. 130 ANNEXE 40 .................................................................................................................. 130 ANNEXE 41 .................................................................................................................. 131 ANNEXE 42 .................................................................................................................. 131 ANNEXE 43 .................................................................................................................. 132 ANNEXE 44 .................................................................................................................. 133

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ANNEXE 44 BIS ........................................................................................................... 133 ANNEXE 45 .................................................................................................................. 134 ANNEXE 46 .................................................................................................................. 134 ANNEXE 47 .................................................................................................................. 135 ANNEXE 48 .................................................................................................................. 136 ANNEXE 49 .................................................................................................................. 136 ANNEXE 50 .................................................................................................................. 137 ANNEXE 51 .................................................................................................................. 137 ANNEXE 52 .................................................................................................................. 138 ANNEXE 53 .................................................................................................................. 139 ANNEXE 54 .................................................................................................................. 140 ANNEXE 55 .................................................................................................................. 140 ANNEXE 56 .................................................................................................................. 141 ANNEXE 57 .................................................................................................................. 141 ANNEXE 58 .................................................................................................................. 142 ANNEXE 59 .................................................................................................................. 142 ANNEXE 60 .................................................................................................................. 144 ANNEXE 61 .................................................................................................................. 145 ANNEXE 62 .................................................................................................................. 145 ANNEXE 63 .................................................................................................................. 146 ANNEXE 64 .................................................................................................................. 147 ANNEXE 65 .................................................................................................................. 147 ANNEXE 66 .................................................................................................................. 148 ANNEXE 67 .................................................................................................................. 149 ANNEXE 68 .................................................................................................................. 149 ANNEXE 69 .................................................................................................................. 150 ANNEXE 70 .................................................................................................................. 152 ANNEXE 71 .................................................................................................................. 153 ANNEXE 72 .................................................................................................................. 154 ANNEXE 73 .................................................................................................................. 155

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INTRODUCTION L’émergence de la médecine occidentale est traditionnellement liée à Hippocrate de Cos,

initiateur d’une pratique médicale compétente, fondée sur l’observation et la connaissance, et

respectueuse de celui qui justifie l’existence même du médecin : le malade. Si l’enseignement

médical d’Hippocrate est aujourd’hui dépassé, la dimension et la profondeur humaines issues

de son expérience sont plus que jamais d’actualité1. Ses préceptes ont instauré l’éthique et la

déontologie de la profession médicale : l’obligation morale de la connaissance et de la

transmission du savoir, la primauté de l’individu et le respect de ses droits, l’égalité de la prise

en charge des patients, le respect de la vie2… Cet héritage s’est transmis de générations en

générations de médecins depuis des siècles, notamment grâce au texte le plus connu de tous :

le serment d’Hippocrate. Prononcé par chaque étudiant, devant ses pairs, à l’obtention de son

diplôme, il récapitule toutes les valeurs indispensables à l’exercice de la médecine.

Depuis quelques années, le texte n’est cependant plus déclamé dans sa forme originelle : les

grands bouleversements survenus dans l’histoire récente de la médecine ont incité les

médecins à réfléchir sur leurs pratiques et leur rôle au sein de la société. Depuis longtemps,

les médecins possèdent le pouvoir de soigner, mais l’essor, au cours du XXème siècle, des

innovations médicamenteuses, techniques, et technologiques, leur ont donné un pouvoir

encore plus important : celui de guérir. Cette révolution, formidable à bien des égards, ne

modifie pas seulement les rapports des médecins à leur profession et aux malades: les

répercussions se ressentent à l’échelle de la société entière3. La santé est devenue un acquis

pour tous, un état naturel ; le contrôle des naissances influe sur l’avenir des populations ;

l’allongement de la durée de vie intervient sur les réponses individuelles et collectives aux

questions existentielles ….

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L’art, reflet de chaque époque et en même temps de la permanence des questions humaines,

peut nous aider à comprendre l’impact majeur des XXème et XXIème siècles sur la médecine

et la société. La littérature, notamment, permet à l’écrivain de traduire les aspirations de ses

contemporains, et, au lecteur, de se forger une image de celles-ci, telles qu’elles sont

incarnées dans le roman. Dans ce travail, nous avons choisi de nous intéresser au regard de la

littérature sur la profession médicale, ses valeurs et son évolution au cours des XXème et

XXIème siècles. Par la reproduction distordue, partielle, et parfois amplifiée de la réalité, la

littérature appréhende les valeurs du serment d’Hippocrate et confronte les personnages de

médecins au respect, ou non, de celles-ci. Quelles représentations de ces valeurs la littérature

des XXème et XXIème siècles propose-t-elle au lecteur ? Et à travers elles, quelle image du

médecin, notamment du médecin généraliste, véhicule-t-elle ?

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MATERIEL ET METHODE

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I. METHODES DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL

La singularité, la pérennité et l’influence du serment d’Hippocrate sur les vingt-cinq siècles

suivants ont imposé, avant toute analyse, une recherche historique et contemporaine pour une

lecture éclairée et une mise en perspective de ce texte fondateur.

A cet effet, nous avons tout d’abord sélectionné des ouvrages de référence portant sur

Hippocrate et son œuvre :

- d’une part sur le portail internet de la bibliothèque interuniversitaire de médecine et

d’odontologie (BIUM, www.bium.univ-paris5.fr), dans le volet « Histoire de la médecine et

de l’art dentaire », à l’aide de la bibliothèque numérique « Médic@ ». L’emploi des mots clés

« serment », « Hippocrate » et « Littré » a permis la consultation en ligne des documents

pertinents.

- d’autre part, en nous rendant en librairie spécialisée, dans le secteur « histoire de la

médecine ».

Parallèlement, en utilisant les « Ressources en ligne » du site de la BIUM dans son volet

« Médecine moderne », avec les mots clés « serment » et « Hippocrate », nous nous sommes

intéressés à la version « actualisée » du texte, le serment médical, consultable sur le site du

Conseil National de l’Ordre des Médecins (www.conseil-national.medecin.fr), dans la

rubrique « code de déontologie ». Pour étayer nos réflexions sur l’éthique actuelle de la

profession et ses pratiques, nous avons également lu un certain nombre d’essais et consulté les

articles et les lois de référence sur les sites de la Haute Autorité de Santé (www.has-sante.fr),

de l’Inserm (www.ethique.inserm.fr/inserm/ethique.nsf/PageByName/Accueil) et de l’Espace

éthique de l’APHP (www.espace-ethique.org).

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Dans un second temps, nous avons réalisé une analyse exhaustive du serment d’Hippocrate et

du serment médical pour en extraire les valeurs fondamentales.

Concernant le serment d’Hippocrate, nous avons choisi arbitrairement la traduction d’Emile

Littré : ayant consacré une large partie de sa vie à l’étude et à la traduction du Corpus

Hippocratique, il reste l’auteur de référence sur ce sujet.

Le serment médical, est, quant à lui, adapté par chaque faculté à l’heure actuelle. Nous avons

privilégié la version originale du Pr Hoerni, telle qu’elle est proposée dans le code de

déontologie.

Pour cette seconde étape, nous nous sommes donc appliqués à effectuer une étude des valeurs

texte par texte, pour ensuite les comparer et inventorier les ressemblances et différences.

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SERMENT D’HIPPOCRATE

Traduction d’Emile Littré

« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et de mes connaissances, je respecterai le serment et l'engagement écrit suivant :

Mon Maître en médecine, je le mettrai au même rang que mes parents. Je partagerai mon avoir avec lui, et s'il le faut je pourvoirai à ses besoins. Je considérerai ses enfants comme mes frères et s'ils veulent étudier la médecine, je la leur enseignerai sans salaire ni engagement. Je transmettrai les préceptes, les explications et les autre parties de l'enseignement à mes enfants, à ceux de mon Maître, aux élèves inscrits et ayant prêté serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.

Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux malades le régime de vie capable de les soulager et j'écarterai d'eux tout ce qui peut leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le demande, et je ne conseillerai pas d'y recourir. Je ne remettrai pas d'ovules abortifs aux femmes.

Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois. Je ne taillerai pas les calculeux, mais laisserai cette opération aux praticiens qui s'en occupent. Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption, ainsi que toute entreprise voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le considérerai comme un secret.

Si je respecte mon serment sans jamais l'enfreindre, puissè-je jouir de la vie et de ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je le viole et deviens parjure, qu'un sort contraire m'arrive! »

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SERMENT MEDICAL

« Au moment d'être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d'être fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois de l'humanité.

J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.

Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.

J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.

Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque ».

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II. METHODE DE SELECTION ET D’INTERVENTION POUR LES OUVRAGES LITTERAIRES

La médecine et les médecins occupent depuis longtemps une place importante dans la

littérature française : des fabliaux du Moyen-âge aux satires de Molière, de Zola à Balzac

jusqu’aux écrivains contemporains, le sujet a toujours été plébiscité par les écrivains. Nous

avons décidé de nous limiter aux œuvres françaises dont l’action se déroule pendant les

XXème et XXIème siècles, période riche en découvertes médicales : des théories hygiénistes

de Pasteur à la vaccination de masse, des rayons X de Pierre et Marie Curie aux technologies

exploratrices de pointe, de l’établissement du caryotype humain aux techniques de

reproduction actuelles etc., ces multiples innovations ont peu à peu modifié la relation

médecin-malade.

Nous avons donc élaboré la liste des ouvrages concernés en tenant compte de cette double

contrainte de l’époque et de la culture choisies. La recherche s’est effectuée à partir de notre

expérience personnelle enrichie de celle de notre entourage, mais aussi à l’aide de sites

Internet littéraires (gallica.bnf.fr; www.fabula.org; www.weblettres.net) : les mots clés utilisés

ont été « littérature et médecine », « personnages de médecin et littérature ». Nous avons

également consulté la bibliographie de la thèse de doctorat d’état du Docteur Marie-Laure

LEROY- BEDIER intitulée Les Docteurs A. Thibault, L. Pasquier et B. Rieux : trois moments

romanesques d'une foi humaniste.- [s.l.] : [s. n.], 1991.- 2 vol., 837 f.

Une fois les ouvrages sélectionnés sur ces critères, nous avons recensé les différents

personnages de médecins, en particulier les médecins de famille, ou les situations médicales

nous intéressant, en procédant à une lecture à double entrée des romans littéraires. Nous avons

défini les « situations médicales » par des séquences ou paragraphes portant un regard direct

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ou indirect sur un médecin ou la médecine par le biais d’un malade, de son entourage familial,

d’une personne externe, ou même d’un médecin.

Notre lecture à double entrée s’est effectuée, d’une part en partant des valeurs des serments et

en les illustrant par des exemples et contre-exemples, et d’autre part en lisant des ouvrages

pour y trouver des représentations de ces valeurs.

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III. METHODES D’EVALUATION

Les deux opérations initiales portant sur l’analyse des valeurs des serments et sur le

recensement des personnages de médecins ou des situations médicales, ont été menées

conjointement. Elles ont été primordiales pour la dernière étape de notre travail : la

confrontation des personnages de médecins ou des situations médicales aux différentes

valeurs des serments.

Pour en réaliser la synthèse, nous nous sommes basés sur les valeurs et en avons étudié les

illustrations que constituent les exemples et contre-exemples issus des résultats de nos

lectures.

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LE SERMENT D’HIPPOCRATE

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I. HISTORIQUE

A. HIPPOCRATE DE COS : DU PERSONNAGE AU CORPUS HIPPOCRATIQUE

Personnage semi-légendaire, souvent considéré comme le « père de la médecine », Hippocrate

serait né en 460 avant Jésus-Christ dans l’île de Cos. Selon la tradition, il exerce initialement

son art sur l’île de Cos puis devient médecin itinérant en Grèce du Nord et en Thessalie. Sa

renommée se répand jusqu’à Athènes et atteint même les peuples non grecs. Il meurt à Larissa

en Thessalie à plus de 85-90 ans4.

Hippocrate appartient à la famille des Asclépiades qui se consacre à la médecine de père en

fils depuis Asclépios (nom grec d’Esculape, dieu de la médecine). Les deux grandes lignées

issues de cette famille se situent l’une à Cos en Asie Mineure et l’autre à Cnide, sur le

continent asiatique, en face de l’île de Cos. Concernant la médecine, elles suivent un

développement séparé et concurrentiel, avec des différences nosologiques et thérapeutiques5.

L’état pathologique se conçoit à Cos par une approche globale du malade, tandis qu’à Cnide,

on s’intéresse plutôt aux phénomènes locaux et aux entités nosologiques.

Pour promouvoir leur « art » et se détacher de la médecine religieuse et magique, les deux

écoles utilisent cependant les mêmes armes. En effet, dans la Grèce du Vème siècle avant JC,

le médecin est un médecin public, payé par la cité pour soigner les citoyens. Sa nomination

dépend de l’assemblée du peuple après un entretien au cours duquel chaque candidat doit

présenter ses références et sa conception de la médecine. Son habileté oratoire est donc

indispensable pour convaincre ses auditeurs. Dans le Gorgias, dialogue consacré à la

rhétorique, Platon présente le travail du médecin comme essentiellement de persuasion. D’où

le nombre important de cours, discours et traités : les médecins mettent la technique de la

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parole au service de leur art, et constituent une littérature médicale basée sur leurs activités et

leurs méthodes. Le Corpus Hippocratique en est le plus bel exemple.

HIPPOCRATE

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B. LE CORPUS HIPPOCRATIQUE

Le Corpus Hippocratique regroupe une soixantaine d’ouvrages rédigés en ionien, portant sur

la déontologie, la sémiologie, l’étiologie, la diététique4….

Les différences de doctrines, de théories, de vocabulaires mais également la chronologie et la

datation des textes portent à croire que le Corpus n’est pas l’œuvre d’un seul homme. De

même, certaines œuvres authentiquement hippocratiques se sont probablement perdues.

Cependant, malgré la diversité d’origine des traités, une unité de pensée demeure, basée sur

trois piliers fondamentaux : la laïcité et la rationalité de la médecine, une approche

particulière de la maladie reposant sur une observation rigoureuse des signes, et une réflexion

philosophique sur l’art médical amenant à la déontologie de la profession5.

La médecine hippocratique s’impose pour la première fois en Grèce en tant que science,

stigmatisant ainsi ses concurrentes directes, la médecine religieuse des temples et la médecine

magique des devins et guérisseurs. Elle propose une vision laïque et rationnelle de la maladie

en interprétant les manifestations cliniques et les processus pathologiques de manière

fonctionnelle et dynamique. La religion et la magie ne sont ni la cause ni la solution à la

maladie.

Pour les médecins hippocratiques, la santé s’explique par l’équilibre interne du corps mais

aussi par les relations que celui-ci entretient avec son environnement. La maladie se présente

alors comme un évènement naturel résultant de la perturbation des rapports entre l’homme et

son milieu, et d’une instabilité des composants du corps (théorie des humeurs que sont le

sang, le phlegme, la bile et l’eau ou la bile noire et la bile jaune). Les symptômes sont

l’expression de la lutte du corps humain pour le rétablissement de la santé. C’est la

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connaissance de nombreux cas concrets qui permet aux médecins hippocratiques de formuler

un pronostic et de mettre en œuvre une thérapeutique pour restaurer l’équilibre perdu.

Ce concept de maladie implique une observation sévère et minutieuse des signes. Les

médecins hippocratiques étudient et traitent des malades et non des maladies. Hippocrate

envisage l’homme (et donc le malade) comme une entité globale : on ne peut juger de ce qui

concerne le corps sans s’intéresser à l’esprit, au comportement, à l’environnement. Il

recommande de débuter l’examen du patient par l’analyse de son milieu physique et social, de

noter ensuite son comportement, son attitude dans le lit, son état d’esprit, de réaliser une

anamnèse rigoureuse basée sur les dires du malade et de son entourage, pour, enfin, examiner

le corps affecté. Cette expérience directe et minutieuse acquise au lit des malades permet aux

médecins hippocratiques d’identifier certains syndromes comme, à titre d’exemple, le « faciès

hippocratique » qui prédit l’approche de la mort, ou « l’hippocratisme digital » reflétant une

atteinte pulmonaire sévère. Les définitions des maladies sont essentiellement cliniques : la

méconnaissance de l’anatomo-pathologie et de la physiologie tend à rapprocher la notion

hippocratique de maladie à la notion moderne de syndrome, voire de symptôme. Le médecin

apprend progressivement à reconnaître les différentes maladies et leur pronostic afin d’adapter

sa thérapeutique. Sa connaissance des malades, des maladies et des remèdes doit cependant

être enrichie d’une méditation sur sa profession.

Hippocrate et ses disciples développent ainsi une réflexion philosophique sur l’art médical et

mettent en place les règles déontologiques de la profession.

Le médecin doit tout d’abord veiller à l’intérêt du malade. La médecine est l’art de

l’abnégation et du dévouement : le praticien doit s’effacer devant l’intérêt supérieur du

malade et refuser de se mettre en avant pour sa seule gloire personnelle. De même, le statut

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social ou financier du patient ne peut entrer en ligne de compte : la modulation des tarifs

permet à chacun de recevoir les soins appropriés.

Les devoirs du médecin envers le malade sont multiples, des notions fondamentales aux

détails futiles. Le respect du but premier de l’art médical, c'est-à-dire l’utilité pour le patient,

et le respect de la vie sous toutes ses formes sont des valeurs indispensables. Le médecin ne

peut et ne doit abuser de sa situation quels qu’en soient ses bénéfices. Il a un devoir de

discrétion qui préfigure le secret médical. Enfin, son apparence est essentielle : le soin et la

propreté apportés à sa tenue favorisent l’installation d’une bonne relation avec le patient.

Concernant le traitement, le praticien doit se préoccuper du confort et du bien-être du patient

et limiter ses souffrances en agissant au moment opportun avec le minimum de violence. La

relation médecin/ malade est primordiale dans la triade hippocratique (maladie/ malade/

médecin) : la dimension humaine de la médecine est mise en valeur pour favoriser la

guérison.

C. LA POSTERITE DU CORPUS HIPPOCRATIQUE

Les témoignages de Platon et Aristote révèlent le renom d’Hippocrate de son vivant. Dès le

IIIème siècle avant JC, ses écrits appartiennent au patrimoine culturel et influencent aussi bien

les diverses écoles médicales (dogmatique, empirique, méthodique) que Cicéron ou Sénèque4.

L’apogée et l’aboutissement du savoir antique se cristallisent au IIème siècle avant JC avec

Galien. Celui-ci contribue à la diffusion de l’héritage hippocratique mais il en modifie

également sa lecture. Les œuvres suivantes ne sont plus des créations mais des compilations

des connaissances accumulées auparavant : Galien y prend plus de place qu’Hippocrate.

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Diverses traductions latines ou arabes du Corpus Hippocratique sont réalisées dès les Vème

et VIème siècles, généralement d’après les commentaires de Galien. Ce n’est qu’en 1525 que

Calvus publie la première traduction latine de l’ensemble du Corpus, basée sur un modèle

grec hippocratique et non plus galénique.

Au XIXème siècle, les progrès de la médecine rendent l’œuvre d’Hippocrate caduque : son

enseignement médical est périmé mais sa profondeur humaine est toujours d’actualité. Le

serment, traité déontologique le plus célèbre du Corpus, en est l’exemple le plus marquant.

D. LE SERMENT D’HIPPOCRATE ET LE SERMENT MEDICAL

1. Le serment d’Hippocrate

Depuis l’Antiquité, le Serment d’Hippocrate est généralement attribué à Hippocrate lui-

même. Il figure dans la liste d’Erotien, et Galien en a écrit un commentaire. La date reste

cependant discutée par les spécialistes : Vème ou IVème siècle avant JC6.

La traduction la plus connue est celle d’Emile Littré, lexicographe et philosophe français du

XIXème siècle (1819-1861), auteur par ailleurs du Dictionnaire de la langue française,

communément appelé le Littré (Cf. p.24).

Dépourvu de toute valeur légale, ce texte fixe un cadre éthique à l’exercice de la médecine

depuis des siècles. Il a été repris par de multiples cultures pour leur propre compte, tant les

valeurs qu’il défend sont universelles.

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2. Le serment médical

En France, tout nouveau médecin prête serment lors de la soutenance de sa thèse de doctorat

devant son jury de thèse, ses pairs et ses proches, ou au cours d’une cérémonie collective

organisée par l’Ordre des Médecins. La prestation orale se double d'un engagement écrit lors

de son inscription au tableau de l'Ordre7. L’énonciation du serment médical, largement inspiré

du serment d’Hippocrate, constitue un « rite de passage » pour acquérir le statut de docteur

mais également un engagement moral du médecin à défendre les valeurs éthiques de la

profession. Les progrès techniques et l’évolution de la société ont incité le corps médical à

réfléchir sur ses nouvelles pratiques : l’actualisation du code de déontologie et les lois de

bioéthique en sont l’aboutissement. De même, réactualisé à plusieurs reprises, le serment

médical actuel date de 1996. Rédigé par le Professeur Bernard Hoerni, il constitue l’article

109 du code de déontologie médicale intitulé Engagement du médecin de respecter le code de

déontologie7 (Cf. p.25)

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II. LES TEXTES

A. TRADUCTION DU SERMENT D’HIPPOCRATE PAR EMILE LITTRE

1. Valeurs contenues dans la première partie du serment d’Hippocrate

La transmission du savoir médical est le thème principal de la première partie du serment

d’Hippocrate :

« Je jure par Apollon médecin, par Esculape, Hygie et Panacée, par tous les dieux et

toutes les déesses, et je les prends à témoin que, dans la mesure de mes forces et

de mes connaissances, je respecterai le serment et l'engagement écrit suivant :

Mon Maître en médecine, je le mettrai au même rang que mes parents. Je partagerai

mon avoir avec lui, et s'il le faut je pourvoirai à ses besoins. Je considérerai ses

enfants comme mes frères et s'ils veulent étudier la médecine, je la leur enseignerai

sans salaire ni engagement. Je transmettrai les préceptes, les explications et les

autre parties de l'enseignement à mes enfants, à ceux de mon Maître, aux élèves

inscrits et ayant prêtés serment suivant la loi médicale, mais à nul autre.»

Nous retrouvons ici les valeurs concernant la relation du médecin avec ses pairs et notamment

avec son initiateur. Une filiation s’établit entre le maître et son élève : le respect, la

reconnaissance et la loyauté sont des notions fondamentales. Les concepts de confraternité et

de solidarité se dessinent plus généralement dans ce premier paragraphe : il appartient à

chaque médecin de suivre et de protéger l’enseignement du maître mais il doit également

transmettre son savoir aux plus jeunes et se préoccuper de ses pairs. L’engagement envers son

maître, les enfants et élèves de celui-ci, et plus généralement ses confrères, est primordial.

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2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment d’Hippocrate

La deuxième partie du serment est quant à elle centrée sur la relation médecin/malade :

« Dans toute la mesure de mes forces et de mes connaissances, je conseillerai aux

malades le régime de vie capable de les soulager et j'écarterai d'eux tout ce qui peut

leur être contraire ou nuisible. Jamais je ne remettrai du poison, même si on me le

demande, et je ne conseillerai pas d'y recourir. Je ne remettrai pas d'ovules abortifs

aux femmes.

Je passerai ma vie et j'exercerai mon art dans la pureté et le respect des lois. Je ne

taillerai pas les calculeux, mais laisserai cette opération aux praticiens qui s'en

occupent. Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien des

malades. Je m'interdirai d'être volontairement une cause de tort ou de corruption,

ainsi que toute entreprise voluptueuse à l'égard des femmes ou des hommes, libres

ou esclaves. Tout ce que je verrai ou entendrai autour de moi, dans l'exercice de

mon art ou hors de mon ministère, et qui ne devra pas être divulgué, je le tairai et le

considérerai comme un secret.

Si je respecte mon serment sans jamais l'enfreindre, puissè-je jouir de la vie et de

ma profession, et être honoré à jamais parmi les hommes. Mais si je viole et deviens

parjure, qu'un sort contraire m'arrive! »

Le patient est la principale préoccupation de cette deuxième partie. Le médecin doit veiller à

la primauté de la personne malade avec pour principe général le « primum non nocere ». Il

doit préserver la vie et n’agir que pour améliorer la santé de ceux qui le consultent.

L’euthanasie et le suicide sont réprouvés, de même que l’avortement.

Des qualités intrinsèques lui sont donc nécessaires pour mener à bien sa mission. Il doit être

honnête et intègre : la corruption, la manipulation, l’abus d’autorité et la séduction lui sont

interdits. Il a également un devoir de discrétion vis-à-vis de ses malades : la notion de secret

médical apparait comme un élément fondamental de la relation médecin/malade. Enfin, il doit

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connaître ses limites : l’humilité est probablement la qualité la plus importante du médecin

pour soigner correctement ses patients et ne pas mettre leur vie en danger.

3. Discussion autour de ce texte

Le serment d’Hippocrate traduit par Emile Littré se présente initialement comme un serment

religieux : la référence à tous les dieux et déesses de la médecine en introduction du texte le

démontre bien. Cependant, Hippocrate remet son sort et celui de ses confrères entre les mains

de la justice des hommes : il s’inscrit dans le présent et la réalité de son temps.

Ainsi, le cadre familial de la transmission du savoir éclate : il n’est plus indispensable

d’appartenir à la famille des Asclépiades pour pouvoir bénéficier de l’enseignement médical.

Le partage des connaissances peut s’effectuer contre de l’argent mais nécessite cependant un

engagement total du disciple envers son initiateur. Le Serment, en offrant des garanties

morales et financières, permet donc à la famille des Asclépiades de préserver ses intérêts et

ses privilèges7.

De même, le disciple doit respecter les valeurs hippocratiques fondamentales et notamment la

primauté de l’individu. Son but premier est l’intérêt du malade : il s’engage à sauvegarder la

vie actuelle et à venir, à respecter les patients sans abuser de son autorité, à protéger l’intimité

de chacun.

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B. LE SERMENT MEDICAL

1. Valeurs contenues dans la première partie du serment médical

La première partie du serment médical est centrée sur les devoirs du médecin envers les

malades :

« Au moment d'être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d'être

fidèle aux lois de l'honneur et de la probité.

Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans

tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux.

Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune

discrimination selon leur état ou leurs convictions. J'interviendrai pour les protéger si

elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité.

Même sous la contrainte, je ne ferai pas usage de mes connaissances contre les lois

de l'humanité.

J'informerai les patients des décisions envisagées, de leurs raisons et de leurs

conséquences. Je ne tromperai jamais leur confiance et n'exploiterai pas le pouvoir

hérité des circonstances pour forcer les consciences.

Je donnerai mes soins à l'indigent et à quiconque me les demandera. Je ne me

laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire.

Admis(e) dans l'intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés.

Reçu(e) à l'intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers et ma

conduite ne servira pas à corrompre les mœurs.

Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je ne prolongerai pas abusivement les

agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément.»

La principale préoccupation du médecin est la santé au sens large du terme, incluant la prise

en charge globale de la personne malade (physique, psychique et sociale) mais aussi la notion

de prévention et de santé publique.

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L’intérêt du patient est la priorité absolue : le médecin se doit de soigner ses malades sans

discrimination, de les protéger et surtout de les informer. Expliquer les pathologies, leurs

complications, leurs évolutions, les traitements et leurs conséquences est maintenant un devoir

pour le médecin afin de recueillir le consentement libre et éclairé du patient. La prise en

charge de la douleur est également importante : les soins palliatifs sont encouragés ;

l’acharnement thérapeutique, prohibé ; et l’euthanasie est toujours proscrite, en France du

moins. La manipulation, l’abus d’autorité, et le profit sont condamnés.

Enfin, le secret est un élément essentiel de l’éthique médicale : il détermine la qualité de la

relation médecin/malade et son avenir.

2. Valeurs contenues dans la deuxième partie du serment médical

« Je préserverai l'indépendance nécessaire à l'accomplissement de ma mission. Je

n'entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les

perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés.

J'apporterai mon aide à mes confrères ainsi qu'à leurs familles dans l'adversité.

Que les hommes et mes confrères m'accordent leur estime si je suis fidèle à mes

promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j'y manque ».

La formation du médecin est le thème principal de cette deuxième partie : tout praticien se

doit de préserver et d’enrichir l’état de ses connaissances tout en respectant les limites de son

savoir. La notion de compétence est introduite : le médecin doit être apte à prodiguer les

meilleurs soins nécessaires en fonction des avancées scientifiques et techniques, pour l’intérêt

du malade.

La liberté d’action et de pensée du médecin est également mise en avant. Puisqu’il est

personnellement responsable de ses actes, son indépendance professionnelle garantit aux

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malades des soins appropriés, basés sur des références scientifiques et affranchis de toute

influence.

Enfin, la solidarité entre médecins est rappelée : la confraternité reste le ciment de la

profession.

3. Discussion autour de ce texte

Le serment médical s’articule en deux parties : la première se focalise sur les obligations

morales du médecin, tandis que la deuxième concerne ses conditions d’exercice et ses pairs.

Dans sa forme et son contenu, il met en exergue la relation médecin/malade. La primauté de

l’individu est rappelée et sous-tend les devoirs du praticien vis-à-vis du patient (mais aussi

dans ses rapports avec les autres professionnels de santé et pour sa formation). Le secret

médical, l’information du patient, le recueil de son consentement, réalisés dans un climat de

confiance, sont indispensables pour un soin efficace.

Le principe de liberté est également souligné et fonde le contrat de soins actuel8:

- liberté du patient dans le choix de son médecin mais aussi pour les décisions le

concernant, après avoir bénéficié d’une information « loyale, claire et appropriée »9

- liberté et indépendance du médecin : liberté d’installation, de conditions d’exercice, de

prescriptions, de soins.

Enfin la notion de « corporation » est toujours présente : la solidarité entre pairs est naturelle.

De même, en cas d’erreur, chaque médecin sait qu’il sera jugé deux fois : par la justice,

comme tout citoyen, et par ses confrères.

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C. ANALYSE COMPARATIVE DES DEUX TEXTES

Vingt-cinq siècles séparent le Serment d’Hippocrate et le serment médical : si certaines

réflexions d’Hippocrate et de ses disciples sur les pratiques professionnelles sont encore

d’actualité aujourd’hui, les modifications de la société ainsi que les progrès techniques et

scientifiques renouvellent sans cesse les questionnements sur l’éthique médicale. Les deux

textes présentent donc naturellement des points communs et des différences que nous allons

étudier maintenant.

1. Analogies

La forme

Les deux textes se présentent comme un discours dont le but est d’être déclamé devant une

assistance. L’utilisation systématique du pronom personnel « je » en début de phrase met en

valeur l’engagement du futur médecin à respecter les promesses qu’il énonce.

La primauté de la personne

Le principe majeur proposé par Hippocrate et ses disciples a traversé les siècles et les

cultures : l’intérêt du malade est le but ultime de celui qui le soigne. L’action du médecin doit

aller dans le sens du bien-être de son patient et ne doit pas lui nuire (« primum non nocere »),

par son acharnement ou son inaction. Le respect de la vie et de la personne, sans aucune

discrimination, est primordial. Ainsi, le secret médical, la protection et le bien du malade, et la

condamnation de l’euthanasie sont toujours présents dans l’éthique médicale.

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Les qualités intrinsèques du médecin

Pour mener à bien sa mission, le médecin doit être honnête, intègre, humble et juste afin

d’établir une relation de confiance avec le malade. Son indépendance est essentielle : la

corruption est fermement condamnée tout comme la manipulation, l’abus d’autorité et l’appât

du gain.

La solidarité médicale

La confraternité reste une valeur importante dans le monde médical. Le respect entre pairs est

fondamental même s’il comporte parfois des aspects négatifs : il paraît difficile, encore

aujourd’hui, d’aller à l’encontre et encore moins de dénoncer les pratiques peu scrupuleuses

d’un confrère.

2. Divergences

L’organisation des idées

Les deux textes diffèrent par la hiérarchisation de leur contenu :

- dans le Serment d’Hippocrate, l’accent est tout d’abord mis sur la transmission du

savoir, puis l’auteur s’étend sur la relation médecin/ malade

- dans le serment médical, la plupart des paragraphes traitent des devoirs du médecin

envers son patient ; viennent ensuite un paragraphe sur l’indépendance et la formation

du praticien, et un sur le rapport avec ses pairs.

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La prise en charge médicale du patient

Si les principes hippocratiques fondamentaux sont toujours présents dans l’éthique médicale

française, des évolutions ont cependant été apportées du fait des progrès techniques et

scientifiques, des changements de la législation, des nouvelles pratiques professionnelles ….

La société civile a pris position sur des thèmes particuliers par l’intermédiaire du législateur :

l’avortement a été dépénalisé ; les soins palliatifs, les transplantations d’organe, les

manipulations génétiques, encadrés…. Le serment médical, de même que le code de

déontologie, a donc été modifié pour intégrer ces nouvelles notions (et en retirer d’autres,

comme l’interdiction d’aider une femme à interrompre sa grossesse) :

- l’information du patient est primordiale. Elle est définie dans le Code de la Santé

Publique10 et dans plusieurs articles du Code de Déontologie Médicale11. Elle doit être

« loyale, claire et appropriée » et porter sur l’«état [du patient], les investigations et les

soins »

- indissociable de l’information, la notion de consentement « libre et éclairé »12

concerne tous les patients et tous les soins et traitements proposés

- la prise en charge de la douleur et les soins de fin de vie se sont « démocratisés »

Ainsi le médecin n’est plus seul juge de ce qui est bon ou non pour le malade : le patient

intervient dans la prise de décision individuelle, et le législateur, dans celle, globale, de santé

publique.

Les connaissances

Dans le Serment d’Hippocrate, un des points importants est la transmission des savoirs. Cette

notion a totalement disparu du serment médical qui se focalise essentiellement sur les notions

de formation continue et de compétence du médecin.

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Inversement, dans le serment médical, le partage des connaissances avec le grand public est

primordial dans une optique d’information et de prévention. Cette notion était inconcevable

pour Hippocrate et ses disciples qui n’échangeaient leur savoir qu’au sein de la « famille ».

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III. APPROCHE SPECIFIQUE DES SERMENTS POUR LE MEDECIN GENERALISTE

Au fil des siècles, la profession de médecin a connu diverses modifications dans sa

conceptualisation. En France, jusqu’à la période révolutionnaire, les médecins s’opposaient

aux chirurgiens, méprisant ouvertement ces derniers, issus de la corporation des barbiers. Peu

à peu, et notamment avec l’émergence de quelques spécialités médicales au XIXème siècle, la

notion de médecin de famille s’est imposée, dans une dimension d’omnipraticien. Après la

seconde guerre mondiale, la mise en place des CHU par la loi Debré de 1958 et

l’accroissement du nombre de spécialités médicales ont progressivement permis de dégager

les fonctions spécifiques qui caractérisent le contenu professionnel de la médecine générale.

A l’heure actuelle, la médecine générale se définit comme « une spécialité clinique orientée

vers les soins primaires»13. Cette notion de soins primaires a été précisée en 1996 par

l’American Institute of Medecine comme étant « des prestations de santé accessibles et

intégrées, assurées par des médecins qui ont la responsabilité de satisfaire une grande majorité

des besoins individuels de santé, d’entretenir une relation prolongée avec leurs patients et

d’exercer dans le cadre de la famille et de la communauté »14. En France, le médecin

généraliste est le premier recours aux soins : il reçoit tous les patients sans distinction d’âge,

de sexe, ou de pathologie. Il assure une prise en charge globale de la personne malade, la

continuité et la coordination des soins. Enfin il joue également un rôle fondamental dans la

prévention et la santé publique. La reconnaissance universitaire récente en tant que spécialité

ne vient que conforter cette évolution.

Ces rôles et fonctions du médecin généraliste semblent trouver un écho particulier dans la

confrontation aux valeurs des serments, notamment dans les spécificités de la médecine

générale : la visite à domicile et l’approche globale de l’individu. L’analyse des personnages

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de médecins généralistes dans la littérature française, notamment chez les auteurs modernes,

nous apportera peut-être une réponse plus précise.

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ANALYSE BIBLIOGRAPHIQUE

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I. RELATIONS DU MEDECIN AVEC SES PAIRS

Depuis des siècles, l’exercice de la médecine engage la responsabilité d’un homme, le

médecin, envers un autre, le patient. Le praticien, dans cette démarche individuelle, ne peut

cependant s’affranchir des enseignements issus du savoir et de l’expérience de ses

prédécesseurs ou de ses pairs.

A. LA TRANSMISSION DES SAVOIRS

1. La place du maître

a. Relation inégalitaire maître à élève

Le serment d’Hippocrate énonce très clairement la nécessité d’une transmission des savoirs,

dans un cadre réglementé qui n’est plus celui de la famille à proprement dit, mais qui met en

place de réelles relations de filiation entre le maître et son élève. Le respect, l’obéissance, la

loyauté et la reconnaissance du disciple envers son initiateur sont les fondements de leurs

rapports inégalitaires, initialement du moins.

Laurent Pasquier15, narrateur de la chronique familiale du même nom, étudie simultanément

la biologie et la médecine. Il désire plus que tout travailler aux côtés des savants de son

époque, « dans le rayonnement des grands », pour y « respirer le souffle des héros ». Dans le

tome « Les Maîtres », il prépare son doctorat ès sciences avec le professeur Chalgrin au

Collège de France et son doctorat de médecine avec le professeur Rohner à l’institut Pasteur.

Son choix est mûrement réfléchi et non le fruit d’un simple hasard : Laurent veut apprendre

et recherche un enseignement de qualité auprès de ces deux érudits qu’il admire

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considérablement. Pour lui, « le mot patron veut (…) dire modèle et surtout père, c’est-à-dire

celui qui protège et même celui qui engendre » (Annexe 1). Après avoir été déçu de

nombreuses fois par son véritable géniteur, il est prêt à obéir, à travailler sans relâche, à se

donner corps et âme à ces hommes qu’il considère comme ses nouveaux guides, ses initiateurs

à la vie qu’il s’est choisie.

Au risque même de se désavouer : quand Catherine, l’assistante du laboratoire de Rohner,

meurt d’une endocardite après contact avec les cobayes sur lesquels le scientifique étudie une

nouvelle maladie, Laurent, proche de cette femme, tente pendant un court instant de s’opposer

à la décision d’autopsie. Mais le ton sarcastique de Rohner et sa force de persuasion laissent

Laurent sans voix, dans les abîmes profonds de la lâcheté. Au nom de la science, l’autopsie de

Catherine est réalisée, avec la participation active de Laurent qui en garde longtemps un

souvenir amer. L’autorité du maître a été la plus forte ; Laurent n’a pu que s’y soumettre :

« Tu ne sais pas ce que représente pour nous, jeunes hommes, apprentis de la médecine ou des

sciences, notre patron, notre maître. Tu ne peux comprendre que pour nous, les mots de

respect et d’obéissance ont encore un sens très fort, que ces gens peuvent nous faire, d’un

mot, d’un regard, parfois rougir, parfois trembler et parfois même pleurer. » (Annexe 1 bis).

A l’opposé du dégoût que lui inspire peu à peu Rohner, Laurent trouve un écho plus favorable

dans sa relation avec Chalgrin. Il découvre en lui la quintessence du maître. Leur

rapprochement progressif permet même à Chalgrin de se livrer à des confidences intimes,

comme il le ferait avec son propre fils (Annexe 1 ter). Il ne s’agit pas encore de rapports

égalitaires, mais ces épanchements démontrent que Chalgrin considère Laurent comme son

successeur spirituel et scientifique.

De même, Antoine Thibault16 a trouvé son maître en la personne du docteur Philip, au cours

de l’un de ses stages d’interne. L’attachement est réciproque : le patron reconnaît en lui le

disciple avec lequel il peut parler en toute confiance et liberté. Installé, Antoine exerce la

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médecine libérale dans son cabinet mais retrouve parfois son initiateur pour des urgences à

domicile. A ses côtés, il retombe sous tutelle : l’autorité du « Patron » est immédiatement

restaurée malgré l’indépendance et l’expérience propre d’Antoine. Leurs rapports sont

devenus amicaux, professionnellement quasi-égalitaires voire concurrentiels parfois, mais le

respect et la considération du maître persistent malgré les années (Annexe 2).

b. Considération et reconnaissance éternelles du maître

Le maître représente, aux yeux de ses disciples, « l’idéal » et la perfection à atteindre, sur le

plan médical et parfois aussi sur le plan personnel. Son dévouement et sa passion suscitent

l’engouement et le respect des jeunes étudiants : chacun désire apprendre et se surpasser en

travaillant aux côtés de celui qui semble posséder Le Savoir.

Laurent Pasquier15 éprouve une réelle admiration pour ses deux mentors, teintée de sentiments

opposés.

A l’égard de Rohner, Laurent se sent progressivement partagé entre l’exaltation que lui

procurent les idées et travaux du chercheur, et l’aversion que lui inspirent le personnage et ses

méthodes.

En revanche, Chalgrin est son maître absolu, « celui qu’ [il] aime et dont [il sent] qu’ [il l’]

aura vraiment formé »17 : sa considération et son amour perdurent quand un accident

vasculaire cérébral rend son initiateur hémiplégique et aphasique. La décrépitude

intellectuelle définitive de celui qu’il vénère profondément, notamment pour sa vivacité

d’esprit, l’attriste mais il continue à lui rendre régulièrement visite. Les entrevues s’espacent

cependant progressivement au fil du temps : l’homme qu’il va voir n’est qu’un pâle reflet du

maître qu’il a perdu. Sa culpabilité s’exacerbe à la pensée de son désintérêt pour la réalité

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physique de son guide. Mais, malgré la maladie de son cher patron, il reste à jamais marqué

par ses brillantes facultés passées (Annexe 3).

L’aura du maître est ainsi inaltérable, souvent même au-delà de la mort. Jean Reverzy, dans

son roman Place des angoisses18, met en scène le Professeur Joberton de Belleville. Issu

d’une prestigieuse lignée de médecins, il est lui-même chef de service reconnu et respecté

dans toute la ville. Chaque matin, après avoir bu sa tasse de café, il démarre sa visite suivi du

long cortège de ses disciples. Au pas de course, il parcourt tout l’hôpital pour examiner les

patients et délivrer, d’un lit à l’autre, son enseignement à la cinquantaine de personnes

pendues à ses lèvres. Après la visite, le maître se retire et abandonne ses élèves esseulés,

désemparés. Sa mort, quelques années plus tard est l’objet du même rituel : l’enterrement

regroupe la plus longue colonne de disciples que le professeur ait jamais eue (Annexe 4) et

son départ laisse un grand vide que rien ni personne ne vient combler : l’intelligence et

l’esprit du patron sont irremplaçables dans le cœur de ses initiés (Annexe 4 bis).

c. Humilité partagée vis-à-vis de la vie : l’apprentissage permanent du maître

L’étudiant en médecine est, à ses débuts, dépendant de l’enseignement que lui délivrent ses

aînés. Au fil du temps, il enrichit son savoir et son expérience personnelle : l’inégalité maître-

disciple s’atténue alors progressivement. Et comme le souligne le serment d’Hippocrate,

l’initié devient finalement lui-même initiateur.

Antoine Thibault19 découvre ainsi fortuitement qu’il peut lui aussi inspirer le respect à

d’autres médecins et acquérir le statut de maître. Lorsqu’une petite fille que connait M.

Chasle, le secrétaire de son père, se fait écraser par un triporteur, Antoine accompagne

l’homme anéanti à son domicile. Un jeune médecin est au chevet de l’enfant et tente de lui

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donner les premiers soins. Lors de son examen, Antoine décèle une plaie de l’artère fémorale

et décide d’en réaliser la ligature sur-le-champ, sur la table de la cuisine. Après de longs

moments d’incertitude, l’enfant est finalement sauvée : le jeune médecin ne peut alors

contenir son admiration et son respect pour Antoine et le lui signifie en l’appelant « Maître ».

L’enivrement et la fierté passés, Antoine répond : « Je ne suis pas un maître […] Un élève,

mon cher, un apprenti : un simple apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le

monde. On essaie, on tâtonne… On fait ce qu’on peut ; et c’est déjà bien. » (Annexe 5).

Antoine comprend alors que tout médecin, maître ou élève, est en perpétuelle formation et

que l’humilité et le surpassement de soi sont indispensables pour soigner correctement ses

semblables.

Jacques Chauviré exprime encore plus explicitement la nécessité d’un apprentissage continu

du praticien qui s’effectue, selon lui, dans la réciprocité du lien maître à élève. Dans son

roman Passages des émigrants20, le docteur Desportes travaille dans une résidence pour

personnes âgées accolée à un hospice. Pour l’aider dans sa lourde tâche et soigner au mieux

tous les pensionnaires, notamment les grabataires localisés dans les infirmeries de l’hospice,

deux internes, Masson et Fangio, l’assistent. Malgré quelques divergences sur les décisions

prises et les méthodes de travail, l’entente et la confiance règnent entre les trois hommes. Le

docteur Desportes n’hésite d’ailleurs pas à remercier ses jeunes confrères pour leur appui et

leurs compétences tout en soulignant la réciprocité de leur relation : « vous m’avez beaucoup

aidé […]. Il faut me seconder encore. Votre présence ici a transformé ma vie. Vous m’avez

non seulement apporté votre jeunesse mais aussi des connaissances nouvelles et un savoir plus

frais. Quant à moi, je vous ai donné ce que j’ai pu de mon expérience. Je crains de vous avoir

parfois appris le doute. Ne faites pas attention à mon scepticisme ». La transmission du savoir

s’effectue dans les deux sens : l’initiateur est conscient de l’apport de ses disciples pour sa

propre formation et pour la remise en question de ses convictions.

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2. La transmission des savoirs au fil des siècles

La transmission de l’art médical et des savoirs est une question soulevée depuis de nombreux

siècles. Comme le préconisait Hippocrate, l’apprentissage de la médecine s’est longtemps fait

au lit du malade. Nous l’avons vu précédemment, la place des maîtres était alors

prépondérante : à leurs côtés, les étudiants apprenaient non seulement à diriger un

interrogatoire, à reconnaître et rechercher des signes cliniques, à soigner des pathologies mais

ils accédaient également à une forme de pensée, à une réflexion sur la manière d’appréhender

leurs semblables, la vie et la mort.

Peu à peu, ce mode de transmission a été modifié, notamment au XXème siècle avec les

découvertes scientifiques et médicales majeures, et la transformation des « hôpitaux-

hospices » en « hôpitaux-pôles d’excellence ». La loi Debré de 1958 crée en effet les Centres

Hospitalo-Universitaires (CHU) qui deviennent l’unique et incontournable lieu

d’apprentissage de la médecine. La même année, le concours de l’externat, qui permet

d’accéder au concours de l’internat (les deux ayant été instaurés par Napoléon en 1802), est

supprimé pour que chaque étudiant puisse bénéficier de la formation pratique universitaire.

Les grands patrons existent toujours mais la masse des responsabilités administratives et

budgétaires auxquelles ils doivent faire face leur font reléguer l’enseignement au second plan.

Ces modifications entrainent un changement de perspective pour les étudiants : l’objectif

principal n’est plus de devenir médecin, mais de réussir le concours de l’internat pour accéder

à une carrière hospitalo-universitaire ou, au minimum, à une spécialité.

Un certain nombre d’auteurs pointent du doigt ce mode d’apprentissage qui délaisse la

pratique et se concentre sur l’acquisition de mécanismes et d’automatismes pour répondre

correctement aux questions posées le jour fatidique du concours. Antoine Sénanque21, Jean-

Christophe Ruffin22, Martin Winckler23, tous dénoncent le mode d’enseignement auquel ils

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ont été confrontés. Qu’ils aient ou non suivi les règles énoncées et accédé au statut

d’ « interne des hôpitaux », ils se sont rapidement aperçu que le savoir qu’ils avaient acquis

ne leur permettait pas forcément de soigner les malades. Antoine Sénanque évoque ainsi sa

première garde, où, seul aux urgences, il doit se débattre entre le flot interminable des patients

et son incompétence (Annexe 6).

En 2004, le concours de l’internat a été remplacé, en fin de 2ème cycle des études médicales,

par l’examen national classant. Il permet, en intégrant la médecine générale au rang des

spécialités, d’offrir à chaque étudiant un poste hospitalier pour l’internat. Certains étudiants

préfèrent cependant redoubler plutôt que d’accéder à une spécialité qui ne leur convient pas.

A l’heure actuelle, la problématique de la formation du médecin est double : il s’agit d’une

part, d’enseigner aux médecins de demain les bases de la médecine et, d’autre part,

d’entretenir les connaissances et les compétences des praticiens d’aujourd’hui. L’avènement

d’Internet et la mise à disposition de toutes les données nécessaires permettent à chacun

d’obtenir rapidement les informations qu’il souhaite, mais poussent à délaisser l’apprentissage

par le « compagnonnage ». Cette réalité de terrain se retrouve également dans les documents

officiels : le serment médical n’inscrit plus la transmission des savoirs d’un maître à son

disciple comme valeur fondamentale, et relègue la formation individuelle du médecin dans les

derniers paragraphes de son texte.

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B. LES RAPPORTS DE CONFRATERNITE

1. Fraternité et solidarité

Le serment d’Hippocrate ne limite pas les liens entre maître et disciple à une simple relation

d’enseignement. Tout comme le serment médical, il rappelle l’entraide indispensable qui doit

exister entre les membres de la même corporation.

Le sentiment d’appartenance à un groupe particulier s’inscrit très tôt dans l’esprit de l’étudiant

en médecine, d’une part par le principe de sélection appliqué dès les premières années

d’étude, et d’autre part, par les situations difficiles auxquelles chacun doit faire face

quotidiennement. Le soutien entre pairs est primordial pour supporter, physiquement, la

lourde charge de travail mais aussi, psychiquement, la confrontation régulière à la maladie et

la mort. L’épanchement larmoyant dans les bras des uns et des autres leur paraissant indigne

de leur condition et donc inenvisageable, les médecins, dans leur virilité primitive, préfèrent

chercher du réconfort dans la légèreté, le jeu, l’obscénité, le sexe, et libérer ainsi leurs

frustrations. Les repas en salle de garde en sont la plus belle représentation. Dans Un Léopard

sur le garrot22, Jean-Christophe Ruffin se souvient de ces moments de repos, pendant son

internat, où chacun se plaisait à jouer un nouveau rôle et acceptait de se plier à des règles

issues d’un autre temps. Personnage actif de la « cérémonie » du déjeuner (il avait, pendant un

de ses semestres d’interne, occupé la fonction d’« économe », c’est-à-dire de régisseur et de

chef de la salle de garde), il évoque avec nostalgie l’esprit de communion qui régnait et ce

sentiment intense de fraternité qu’il ressentait alors (Annexe 7).

Cette solidarité initiale, décrite ici sous son aspect le plus grossier, se poursuit également plus

tard sous d’autres formes. Martin Winckler, dans La Maladie de Sachs24, mentionne l’entraide

entre deux médecins généralistes de campagne pour assurer la continuité des soins en

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l’absence de l’un ou l’autre (Annexe 8). Des situations plus dramatiques encore mettent en

exergue cette fraternité : René Allendy, médecin et psychanalyste de la première moitié du

XXème siècle, est atteint d’une insuffisance rénale chronique terminale. Pendant ses derniers

mois de vie, il écrit Journal d’un médecin malade25, dans lequel il relate sa vie quotidienne de

malade, ses pensées, ses impressions sur son entourage et sa maladie. Ses anciens confrères

viennent lui rendre visite dès qu’ils le peuvent : pour donner un avis médical, pour discuter

des évènements récents qui agitent le pays (nous sommes en 1942), ou pour évoquer leurs

problèmes personnels. Avec plus ou moins de courage, tous sont présents pour accompagner

l’un des leurs sur la longue route de la maladie, vers la mort. Conscients de leur impuissance

professionnelle, ils n’ont plus que le soutien moral et l’amitié à lui offrir.

2. Les aspects négatifs

L’entraide, la solidarité, la fraternité ne sont cependant pas toujours de mise entre médecins.

Dans ce métier où l’individualité prime, il est facile de jalouser et haïr ses confrères, de juger

leurs pratiques et leurs actes, voire de leur porter préjudice.

Sous prétexte de divergences d’opinion, la lutte entre deux hommes est fréquente dans la

communauté médicale. Laurent Pasquier15 l’expérimente auprès de ses deux maîtres qu’il

s’est choisis : il découvre en effet que les deux savants qu’il admire plus que tout, s’opposent

sur leur terrain de jeu commun, la science. En apparence, il s’agit d’un simple conflit d’idées

par articles interposés, mais Laurent réalise bientôt avec affliction que ses deux idoles se

vouent une haine implacable et féroce, les empêchant chacun d’apprécier à juste titre la valeur

des travaux de l’autre. Quitte à se déprécier et à se ridiculiser aux yeux de leurs disciples et de

la communauté scientifique, les professeurs Chalgrin et Rohner sont prêts à toutes les

bassesses (Annexe 9 et 9 bis). Rohner commet la pire des offenses en refusant de tendre la

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main et de répondre au pardon que Chalgrin lui offre humblement pour clôturer leur querelle.

Le lendemain, Chalgrin est victime d’un accident vasculaire cérébral et prive Rohner de son

adversaire ultime, et d’une certaine manière du « sens même de [sa] vie ».

Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler évoque lui aussi la rivalité entre deux hommes,

LeRiche et Vargas, coordinateurs respectivement des premier et deuxième cycle des études de

médecine à la faculté de Tourmens. LeRiche est gynécologue-obstétricien et porte aux nues la

chirurgie, tandis que Vargas est microbiologiste et vénère la clinique plus que tout.

L’affrontement n’est jamais direct entre les deux médecins : leur joute idéologique se

concrétise par l’intermédiaire des étudiants (Annexe 10). Le serment d’Hippocrate semble

bien loin pour ces personnages qui manipulent leurs disciples et ridiculisent le principe de

confraternité sous leurs yeux.

Parfois les faits semblent moins graves mais le sont tout autant en réalité. Prononcer certaines

petites phrases telles que « Ce n’est pas très sérieux »27 portant un jugement sur les actes d’un

confrère devant un(e) patient(e), revient à dénigrer et désavouer le confrère. De même, des

sentiments négatifs tels que la colère éprouvée envers l’un de ses collègues peuvent

transparaitre dans l’attitude, le regard ou l’expression du médecin et condamner la relation

instaurée entre le collègue et le (la) malade.

Antoine Sénanque donne un contre-exemple extrême de confraternité dans Blouse21 : Vadas,

chirurgien orthopédique hors pair, accepte d’opérer les cas les plus désespérés ce qui entraine

peu à peu une dégradation de ses rapports avec toutes les équipes (infirmières, anesthésistes,

radiologues). Un jour de garde, il opère en urgence une compression traumatique de la

moelle : le patient se retrouve paraplégique et la famille porte plainte contre le chirurgien. La

responsabilité de Vadas n’est pas établie, mais ses collègues et confrères, au lieu de le

soutenir, le délaissent voire l’accablent (Annexe 11). Le lien fraternel est rompu ; le serment,

bafoué.

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II. RELATIONS MEDECINS/MALADES

A. LA QUALITE DE LA RELATION MEDECIN/MALADE

1. L’importance de l’approche

a. La compassion/ l’indifférence

Selon les principes ancestraux d’Hippocrate, l’objectif ultime du médecin est le bien du

malade. Pour ce faire, le médecin doit mettre en œuvre toutes ses ressources, ses

connaissances médicales mais aussi ses qualités humaines, afin d’assurer au mieux son rôle de

soignant.

Dans La Vie devant soi28, le docteur Katz est l’exemple même du médecin dévoué à ses

patients, compatissant et attentif, apportant du réconfort par sa seule présence. Apprécié par

tous les habitants du quartier, il est un modèle pour Momo, petit garçon arabe confié depuis le

meurtre de sa mère aux bons soins de Madame Rosa. Momo trouve souvent refuge dans la

salle d’attente du médecin, guettant l’apparition brève mais bienfaisante du docteur entre deux

patients. Sans pouvoir l’expliquer, il se sent mieux au simple contact de l’homme qui

correspond à sa représentation idéale du père qu’il n’a pas (Annexe 12 et 12 bis). Outre cette

image paternaliste et protectrice du médecin, Romain Gary attribue au docteur Katz une bonté

et un dévouement sans limites : quand les problèmes cardiaques de Madame Rosa s’aggravent

et qu’elle ne peut plus se rendre chez lui, le brave docteur, lui-même très fatigué, gravit les six

étages qui les séparent à dos d’homme, pour tenter de la soulager et apporter son aide à

Momo. L’autorité du docteur Katz sur ses ouailles est naturelle, liée au respect que les uns et

les autres portent au médecin.

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Le personnage de Ferdinand Bardamu29 est à l’opposé de cette illustration du médecin

exemplaire. De retour de d’Amérique et après de multiples égarements, Bardamu s’installe

comme médecin à La Garenne-Rancy où il soigne des petites gens, encore plus pauvres que

lui, dans la tristesse de la banlieue et de la maladie. Un jour, appelé au chevet d’une jeune fille

victime d’une hémorragie cataclysmique dans les suites d’un avortement clandestin, il tente

vaguement de l’examiner mais cède rapidement devant l’importance des saignements. Il émet

alors l’idée de la transporter à l’hôpital mais recule précipitamment face aux protestations de

la mère qui préfère regarder sa fille mourir plutôt que de reconnaître devant tous l’erreur de

son enfant. Lâche, résigné, indifférent à la souffrance de la jeune fille qui se vide, Bardamu

s’assoit et attend passivement la fin. Au moment de partir, il réclame tranquillement son dû :

la mère lui octroie vingt francs pour son silence (Annexe 13). L’apathie et l’insensibilité de

Bardamu dans ces circonstances dramatiques sont incompréhensibles et répugnantes mais

reflètent l’accoutumance des médecins aux plaintes et aux souffrances des patients.

Les exemples d’indifférence à l’horreur sont en effet nombreux : le choix de la profession de

médecin l’expose quotidiennement à des situations effroyables et intolérables. L’insensibilité

trouve fréquemment sa source dans la répétition des faits : le docteur Rieux30, dans le contexte

particulier de l’épidémie de peste qui sévit dans sa ville, voit s’opérer en lui le changement

progressif qui l’amène à l’indifférence. Jour après jour, heure après heure, il délivre son

funeste message aux mères, aux familles qui voient leurs enfants, leurs parents, leurs frères et

sœurs, succomber progressivement à la maladie. Il comprend peu à peu que l’insensibilité

apparente et même l’endurcissement sont les seuls moyens qu’il possède pour poursuivre son

travail sans fléchir (Annexe 14).

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b. L’empathie

Il existe une palette complète de sentiments négatifs éprouvés par les médecins face à leurs

patients. Le mépris des malades et de leurs symptômes est fréquent : comment montrer en

permanence de l’intérêt pour les histoires, les inquiétudes, les peurs de chacun ? Martin

Winckler, dans La Vacation31, n’hésite pas à exprimer ses sentiments de médecin, les « bons »

mais aussi les « mauvais » : ceux qu’il ne peut affirmer devant les patients mais que l’écriture

lui permet d’extérioriser. Il formule sa lassitude « [des] mères abruties d’angoisse au moindre

rhume de leur enfant, [des] sportifs en chambre assez cons pour aller se fouler la cheville le

samedi après-midi sur un terrain de foot, [des] vieux terrorisés par la dernière émission

médicale, [des] hommes déprimés par leurs conditions de travail »… Il manifeste aussi sa

colère contre l’irresponsabilité des parents qui viennent le voir pour l’interruption d’une

grossesse qui a largement dépassé le terme légal, et qui font semblant de ne pas comprendre

les enjeux (Annexe 15). Jean Reverzy32, de son côté, exprime le dégoût que ressent son

narrateur, médecin, lors de l’examen d’une femme (Annexe 16). Il connait les conditions de

vie difficiles de sa patiente qui occupe avec sa mère une pièce unique sans eau, mais ne peut

s’empêcher de focaliser sur sa malpropreté. Le médecin est déconcentré ; la consultation,

expédiée : la relation médecin/malade est mise à mal par les sentiments négatifs du soignant.

Le plus souvent, l’expression des « mauvais » sentiments est réalisée par les médecins les plus

sensibles, ceux qui se culpabilisent de les éprouver. Si le docteur Rieux30 trouve dans

l’indifférence la possibilité de se soustraire un temps aux souffrances de ses semblables, sa

compassion naturelle ne peut se laisser murer indéfiniment. Six mois après le début de

l’épidémie, il met tous ses espoirs dans un nouveau sérum pour tenter de stopper la maladie. Il

décide de tester le traitement sur le fils du juge Othon, déjà fortement atteint par l’infection. Il

regarde le petit corps se démener contre la fièvre et la douleur, et s’approche parfois pour lui

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prendre le pouls et lutter avec lui. L’empathie qu’il éprouve pour ce petit être innocent

déchaine en lui un sentiment de révolte contre les souffrances qui lui sont imposées. Malgré le

sérum, l’enfant décède et le docteur Rieux, anéanti par son impuissance, sort de la pièce pour

laisser exploser sa colère (Annexe 17).

L’empathie, cette capacité de ressentir les émotions d’une autre personne, ne se retrouve pas

seulement dans les conditions extrêmes de la mort. Aimé33, ancien professeur atteint d’une

obésité importante, la ressent dans le regard que son médecin porte sur lui. Suivi depuis une

quinzaine d’années par le Professeur Baillancourt, il n’éprouve aucune sensation de jugement

dans le comportement du spécialiste. Celui-ci l’accueille simplement, avec compréhension,

sans chercher à imposer son avis et ses recommandations (Annexe 18). Son but est d’amener

Aimé à prendre conscience qu’il est acteur et non spectateur de sa pathologie et qu’il a en lui

les ressources pour modifier son comportement. L’empathie rend ici la relation

médecin/malade égalitaire : le patient partage les pouvoirs et les responsabilités dans son

traitement et ses résultats.

c. L’écoute

L’approche centrée sur le patient, telle que la propose le Professeur Baillancourt33, est une

conception récente de la relation médecin/malade, liée à l’évolution de la société et de la

médecine. En effet, l’avènement de la médecine scientifique dès la deuxième moitié du

XVIIIème siècle avait déjà modifié la relation médecin/malade. Du statut de simple serviteur,

le médecin, dans l’imaginaire collectif, était devenu le détenteur d’un savoir fabuleux : il était

non seulement capable d’observer et de reconnaître les maladies mais il avait aussi acquis,

progressivement, le pouvoir de guérir et, parfois, celui de sauver des vies. Au début du

XXème siècle, l’essor des découvertes médicales accentue le respect du public envers les

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médecins. Ceux-ci en profitent pour asseoir leur position de notable au sein de la société et

leur autorité dans la relation médecin/malade. Le modèle du médecin paternaliste est donc le

seul envisageable : le médecin, donneur de soins, se place comme expert en matière de

diagnostic et de traitement et impose au patient sa stratégie thérapeutique. L’autorité du

médecin est naturelle et le malade, dépourvu de tout pouvoir, ne peut que s’y soumettre et se

taire. L’absence d’écoute du médecin peut cependant parfois lui porter préjudice. Jean-

Christophe Ruffin22 rapporte ainsi l’anecdote dans laquelle un de ses anciens patrons tient le

rôle principal : entrant dans la chambre d’un patient et pressé d’en finir, le médecin tient un

petit discours, à débit continu pour que le malade ne puisse l’interrompre, lui assurant que sa

tumeur est opérable. Quand enfin, il pense pouvoir sortir de la chambre et se libérer, le patient

prend la parole et lui indique que l’opération a déjà eu lieu la semaine passée (Annexe 19).

L’exemple est extrême mais montre la nécessaire prise de conscience des médecins de la

dualité de la relation médecin/malade. Le modèle traditionnel du médecin paternaliste existe

toujours mais l’éducation et l’accès à l’information par les patients ainsi que la modification

des pathologies (les maladies chroniques sont de plus en plus fréquentes), tendent à rendre la

relation médecin/malade de plus en plus égalitaire, mettant le patient au centre de sa prise en

charge.

L’écoute attentive du patient est alors primordiale, même si elle est parfois utilisée par le

médecin pour imposer son point de vue. Antoine Thibault34, atteint par les gaz lors de la

guerre de 1914-1918, en fait lui-même l’expérience auprès de son confrère qui le soigne. Le

docteur Bardot, collaborateur à la clinique du Mousquier, s’occupe des soldats et officiers

gazés au front. Il est passionné de médecine et se veut à l’écoute et au service de ses patients.

Persuadé de l’efficacité de ses traitements, il tente de convaincre tous ses malades, Antoine

compris, en les écoutant consciencieusement puis en multipliant les recommandations

(Annexe 20). Selon lui, passer du temps auprès des patients en prêtant une oreille attentive à

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leurs plaintes et en leur expliquant les différents traitements, augmente la compliance. Le

docteur Bardot est conscient de l’importance de l’écoute dans la relation médecin/malade

mais l’utilise à ses propres fins.

L’écoute permet de recueillir les confidences : la dimension thérapeutique du médecin s’en

trouve alors élargie. Il ne sert pas qu’à traiter les maladies du corps mais devient un

confesseur, un soignant de l’âme. C’est ainsi que le docteur Rieux30, en pleine épidémie de

peste, devient le dépositaire des secrets personnels de tous les autres personnages : Tarrou lui

raconte les secrets de son enfance ; le journaliste Rambert, son désir de rejoindre la femme

qu’il aime ; le vieux médecin Cottard, son rêve de réaliser le vaccin qui sauvera la ville. De

même, Joseph Grand, employé de mairie au service d’état civil, responsable des statistiques

(notamment du nombre de décès), vient lui livrer l’histoire de sa vie, l’échec de son mariage,

ses regrets. Il le fait simplement, n’hésitant pas à dévoiler ses sentiments à un autre homme :

la confiance qu’il porte au docteur Rieux lui permet de se délivrer enfin de son lourd fardeau

(Annexe 21).

2. L’information du malade

a. Le corps objet

Nous l’avons vu précédemment, l’autorité du médecin fait loi dans la médecine du XXème

siècle. Une des dérives majeures de ce principe établi est l’assujettissement total des malades

aux médecins, qui n’hésitent pas à utiliser leurs patients comme outils d’enseignement ou de

découvertes. Dans cette optique, il est bien évident que l’information du malade n’est pas la

priorité.

Plusieurs auteurs décrivent ainsi « la grande visite » du patron. La scène est toujours la même,

plus ou moins semblable à celle que rapporte Georges Simenon dans Les Anneaux de

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Bicêtre35 : le professeur, personnage central de la procession, se déplace de lit en lit dans le

service et donne son avis sur la prise en charge des patients. L’objectif premier, le traitement

et la santé des patients, est souvent détourné au profit de l’instruction des jeunes étudiants,

qui, généralement, arrivent à peine à entrer dans la chambre, à entendre deux ou trois mots et

à entre-apercevoir le malade. L’humiliation des patients, mis à nus devant une dizaine,

vingtaine ou trentaine de personnes, est réelle mais anodine au regard de la science et de la

formation des futurs médecins (Annexe 22).

L’utilisation du corps des malades comme source d’enseignement a longtemps persisté en

France : Martin Winckler26 reprend un article du journal Le Monde du 10 mars 1978 dans

lequel Claire Brisset relate les Journées Dermatologiques de Paris qui rassemblaient plusieurs

centaines de congressistes à l’hôpital Saint Louis. Les malades étaient pourvus de numéros et

exhibés comme des animaux devant des médecins qui n’hésitaient pas à faire des

commentaires déplacés voire des attouchements. Les progrès de l’audiovisuel et la

contestation de ce genre de pratique par certains professeurs ont permis l’abandon de ces

« expositions » (Annexe 23).

Le corps malade est parfois aussi utilisé comme objet d’expérience. Le Professeur Rohner15

est très satisfait que son assistante Catherine ait attrapé, par contact avec ses cobayes, la

bactérie sur laquelle il travaille depuis tant d’années. Les expérimentations sur l’homme étant

interdites, Catherine lui offre un terrain d’étude très appréciable. Plutôt que de se préoccuper

de sa santé, il est déçu de ne pas voir apparaître suffisamment rapidement les signes de

défaillance cardiaque et rénale, et s’emporte quand la pauvre malade présente une pleurésie

qui ne cadre pas avec son « tableau ». Au décès de la fille, il réalise une autopsie pour prouver

que ses intuitions étaient les bonnes et publie ensuite « un mémoire sur le Stroptoccocus

Robneri et sur la maladie nouvelle dite maladie de Rohner »36. L’orgueil du savant doit

assouvir sa soif de renommée et importe plus que la vie de la pauvre assistante.

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La mort en effet, ne délivre pas les patients de l’emprise des médecins sur eux : l’intérêt

scientifique prime. Dans Le passage 32, Jean Reverzy décrit la vie de Palabaud à Tahiti puis

son retour en France pour des raisons médicales. Atteint d’une cirrhose avancée, Palabaud

passe entre les mains de plusieurs médecins pour finalement mourir dans le service du

professeur Joberton de Belleville, le plus réputé de la ville. L’éminent professeur, malgré la

certitude de l’origine du décès, réalise une autopsie pour contenter sa curiosité (Annexe 24).

b. De la communication verbale et non verbale au consentement libre éclairé

Tous les médecins n’utilisent bien évidemment pas leurs patients pour contenter leur vanité ou

leur curiosité. D’autant plus qu’au cours du XXème siècle, le malade prend progressivement

sa place dans la relation médecin/malade : l’accès à l’éducation facilite ce changement et

modifie peu à peu les relations de pouvoir au sein du couple. Le langage et la communication

prennent alors toute leur dimension.

Comme tout langage technique, le langage médical est indispensable pour une expression

précise mais peut devenir un jargon qui dresse une barrière entre ceux qui savent et les

profanes. Pendant longtemps, les médecins s’en sont servis pour manipuler les malades, mais

aussi pour les ménager ou cacher leur ignorance.

Le vocabulaire médical est particulier : il n’est pas accessible d’emblée à tout un chacun et

son acquisition contribue à la longueur des études. Antoine Sénanque explique bien dans

Blouse21 comment le médecin peut très facilement se camoufler derrière les mots

hyperspécialisés pour satisfaire la demande du patient et/ou dissimuler son ignorance (Annexe

25). Le chirurgien Lartois37, lui, utilise les termes savants non « pour se hausser devant

l’ignorant mortel, mais bien plus souvent pour mettre un écran entre le malade et son mal ».

Pour ménager son patient et éviter de lui expliquer que toutes ses artères, des pieds à la tête,

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sont « bouchées », il emploie des mots que le vieil homme ne comprend pas et n’hésite pas à

minimiser les conséquences en employant des métaphores : « il faudra peut-être faire des

sacrifices » signifie, dans l’esprit du chirurgien, « amputation ». Le malade, en revanche, n’a

probablement pas perçu les choses de la sorte.

Knock38, de son côté, a très tôt compris le bénéfice qu’il pouvait tirer du maniement du

langage de manière générale, et du langage scientifique en particulier : la manipulation des

personnes. A une patiente qui vient consulter pour une insomnie, il lui explique, en

agrémentant sa démonstration de termes plus ou moins médicaux, que son cas est d’une

extrême gravité. Puis il utilise les représentations et les peurs de la femme pour la convaincre

de la nécessité d’un traitement qui sera bien évidemment long et coûteux (Annexe 26).

D’autres modes de communication sont utilisés par les médecins pour transmettre des

informations à leurs patients. A une époque où les antibiotiques n’existent pas, le professeur

Philip16 vient donner son avis au chevet d’une petite fille atteinte d’une otite compliquée. Il

l’examine consciencieusement en silence, puis, relevant la tête, croise le regard du père qui a

déjà compris que la mort est certaine. Toujours sans prononcer un mot, il sort de la pièce et

s’apprête à partir mais revient finalement sur ses pas et transmet toute son empathie et ses

regrets au père en lui mettant simplement une main sur son bras. Puis il quitte l’appartement

(Annexe 27). Le professeur n’a pas eu besoin de mettre des mots sur l’issue fatale de la

maladie ou sur ses sentiments : la communication par le silence et le toucher a suffi.

A la fin du XXème siècle, la communication sert à l’information du malade. Celle-ci prend de

plus en plus d’importance dans la relation médecin/malade et devient même un point crucial

du serment médical. Les médecins ont maintenant le devoir d’expliquer à leurs patients leurs

pathologies, les traitements prescrits, les tenants et les aboutissants de leur prise en charge.

En effet, la non-information des malades peut avoir des conséquences dramatiques. Martin

Winckler26 relate l’histoire de cette jeune femme de vingt-huit ans, mère d’un enfant, atteinte

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d’une tuberculose génitale. Le gynécologue, au vu des résultats, lui annonce qu’elle est

stérile : la jeune femme suit son traitement antituberculeux et se passe de contraception.

Quelques mois plus tard, elle tombe enceinte et se réjouit à l’idée de pouvoir, finalement,

avoir un autre enfant. Mais les médecins l’informent alors que l’un des traitements qu’elle

prend est tératogène, et préconisent une interruption médicale de grossesse. La jeune femme,

suite à l’avortement, fait une dépression et tente de se suicider (Annexe 28). Les médecins,

par négligence ou manque de temps, n’ont pas pris le temps d’informer correctement la jeune

femme et ont mis sa vie en danger.

L’information des malades a son importance tout au long de la consultation, et

particulièrement au cours de l’examen clinique, pour éviter de blesser ou d’humilier les

patients. Notamment quand l’examen touche les zones intimes des personnes : dans La

Vacation39, le narrateur expose son point de vue médical de l’examen gynécologique d’une

femme, et ponctue son récit de phrases destinées à la patiente, pour l’informer des gestes et

des actes qu’il réalise (Annexe 29).

Mais le but ultime de l’information des malades est de leur permettre de réaliser un choix

éclairé en ce qui concerne leur prise en charge. Pour chaque circonstance, le médecin doit

pouvoir fournir les différentes alternatives possibles au malade, en lui précisant les bénéfices

et les inconvénients de chacune. Le patient peut alors choisir l’option qui convient le mieux à

sa situation personnelle. Le professeur Zimmermann26 nous offre un exemple éloquent de

consentement libre éclairé : lors d’un staff multidisciplinaire, différents médecins se disputent

au sujet de la prise en charge d’un vieux monsieur atteint de métastases bloquant ses deux

reins. Une des options est de le mettre en dialyse, ce qui lui donnerait trois à six mois de

sursis ; l’autre option étant de le laisser tranquille et de le regarder mourir en quinze jours. Les

médecins, n’arrivant pas à se départager, demandent l’avis du professeur Zimmerman. Celui-

ci, au lieu de leur donner son point de vue personnel, propose d’aller voir ce qu’en pense le

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malade. Et le patient leur fournit la réponse : il préfère se faire dialyser pour avoir le temps de

terminer d’écrire son livre (Annexe 30).

L’autorité du médecin, imposée au malade pendant de nombreux siècles, a donc vu son

importance diminuer progressivement au cours du XXème siècle pour aboutir à une relation

plus égalitaire dans laquelle le choix libre éclairé est primordial, au bénéfice du patient le plus

souvent.

B. PRIMUM NON NOCERE

1. Primum non nocere et acharnement thérapeutique

Le plus connu des préceptes d’Hippocrate est le « primun non nocere ». Pendant longtemps,

les médecins ont eu peu d’armes thérapeutiques pour lutter contre les maladies : conscients de

leurs limites, ils pouvaient rapidement choisir, face à un malade, de le soigner ou de laisser

entre les mains du destin. Comme le rappelle Jean-Christophe Ruffin22, la sagesse ancestrale

des médecins leur apprenait le respect de la maladie et de la mort : ils pouvaient s’incliner

devant leurs ennemis invisibles quand ils reconnaissaient les signes de leur toute-puissance

(Annexe 31).

Mais le XXème siècle a rendu les médecins plus orgueilleux : en leur offrant un arsenal

thérapeutique inépuisable, des techniques de détection de plus en plus élaborées, des

méthodes chirurgicales de plus en plus poussées, la science a donné l’illusion aux médecins

de pouvoir combattre à armes égales avec la maladie et la mort, en oubliant, au passage, la

primauté de l’individu malade. Madame Rosa28 explique ainsi à Momo qu’elle ne veut pas se

faire hospitaliser car « les médecins vont [la] faire vivre de force ». Elle lui inculque que « la

médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de

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Dieu soit faite. » Après les épreuves qu’elle a traversées dans sa vie, elle ne désire pas se

livrer aux soins des hôpitaux et subir un éventuel acharnement thérapeutique des médecins

(Annexe 32 et 32 bis).

Si les peurs de Madame Rosa peuvent paraître naïves dans leur expression, la notion

d’acharnement thérapeutique qui correspond à la poursuite d’un traitement lourd,

disproportionné par rapport au bien qu’en retire le patient, est bien réelle, comme le relatent

certains médecins. Jean-Christophe Ruffin22 regrette, aujourd’hui encore, de ne pas avoir

écouté, trente ans auparavant, une patiente qui lui demandait de la laisser tranquille et de ne

pas lui voler sa mort (Annexe 33). Antoine Sénanque21, de son côté, est conscient de tous les

actes nuisibles qu’il a effectués, destinés initialement à améliorer la prise en charge de ses

patients (Annexe 34).

Car la limite entre traitement utile et acharnement thérapeutique est parfois mince. Il est

difficile pour le médecin de se déclarer vaincu par la maladie et d’accepter de n’être plus

qu’un accompagnant qui soulage les souffrances d’autrui. Le docteur Desportes40, responsable

de l’hospice dans lequel est hospitalisé Montagnard, s’entête à vouloir « gagner du temps »

devant le déclin rapide de son patient. Montagnard souffre atrocement d’une escarre

talonnière mais Desportes ne peut se résoudre à lui administrer de la morphine qui le

plongerait dans l’inconscience (Annexe 35). Jacques Chauviré aborde ainsi la notion de soins

palliatifs qui en sont à leurs balbutiements en France lorsqu’il rédige son roman. Soins actifs

dans une approche globale de la personne atteinte d'une maladie grave évolutive ou terminale,

l’objectif des soins palliatifs est de soulager les douleurs physiques mais aussi la souffrance

psychologique, sociale et spirituelle. Les traitements et investigations déraisonnables sont

évités et la mort est considérée comme un processus naturel. Les lois de bioéthique encadrent

leur exécution pour éviter les dérives possibles telles que l’euthanasie, et sont régulièrement

actualisées depuis 1999 pour s’adapter à l’évolution des techniques et des thérapeutiques mais

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aussi à celle de la société civile. Les Etats Généraux de la bioéthique, qui ont eu lieu en 2009,

vont ainsi permettre d’alimenter les réflexions sur différents sujets, dont l’accompagnement

en fin de vie et les soins palliatifs, pour la révision des lois prévue au cours de l’année 2010.

2. L’euthanasie

Le serment d’Hippocrate prône la primauté de l’individu et le respect de la vie à tout prix :

depuis l’Antiquité, la possibilité de donner ou de conseiller la mort à autrui est considérée

comme un interdit majeur et un manquement au « code d’honneur » du médecin.

Le problème ne se pose bien évidemment pas en termes de meurtre délibéré, où le médecin

serait une arme au même titre qu’un poignard ou qu’un pistolet. Il survient quand le médecin

atteint les limites de son savoir et de ses connaissances et qu’il se retrouve, impuissant,

confronté à la souffrance et à l’agonie de l’un de ses semblables. Le docteur Thibault16,

praticien rationnel, convaincu des bienfaits de la science et de la médecine, en fait lui-même

l’expérience à deux reprises : une première fois lorsque l’enfant de son collègue dépérit

progressivement des complications de son otite, et une deuxième fois, au chevet de son père

moribond. Son quotidien le met pourtant régulièrement face à la douleur et la mort, mais ces

deux situations le touchent particulièrement et remettent en question son pragmatisme serein

et ses convictions profondes. Quand son confrère Héquet regarde sa petite fille de deux ans

succomber lentement à l’infection dans d’atroces douleurs et lui demande de « faire quelque

chose », Thibault trouve tout d’abord refuge dans le principe majeur de la profession : le

respect de la vie (Annexe 36). Mais les pensées se bousculent dans son esprit : que sont les

notions de morale, de devoir, de bien et de mal face à la souffrance d’une petite fille atteinte

d’un mal incurable, d’un père et d’une mère, spectateurs impuissants de l’agonie de leur

enfant ? Ces considérations le ramènent à ses choix et ses responsabilités d’être social

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pensant : comment, dans la même journée a-t-il pu ordonner de noyer les rejetons bien

portants de sa chatte et se justifier de ne pas abréger les tourments d’une enfant condamnée

par respect de la vie ?

Sans qu’il en fasse lui-même aussitôt le rapprochement, Antoine se retrouve quelque temps

plus tard dans une situation quasi-similaire à celle d’Héquet : son père, atteint d’une

insuffisance rénale terminale, présente des épisodes convulsifs de plus en plus rapprochés.

Les reins défaillants n’éliminant plus les médicaments, les médecins s’abstiennent de tout

traitement, notamment antalgique, qui pourrait, par son accumulation dans le sang, accélérer

le décès du vieil homme. Antoine lutte auprès de son père malade : il s’agite et cherche des

solutions alternatives pour le soulager. Mais rien n’y fait : le corps et le visage paternels

portent les stigmates croissants de la douleur. Antoine et son frère Jacques regardent,

impuissants, la déchéance de cet être proche. Las, désespérés, ils conviennent ensemble de

mettre fin à ce calvaire, mais c’est la main d’Antoine, celle du médecin, qui les libère du

spectacle de cette agonie. Le soulagement est immédiat : Antoine, malgré sa peine, ne peut

qu’approuver son comportement et ne se rend compte que le lendemain, après avoir reçu les

condoléances d’Héquet, de la gravité de son acte et de ses conséquences profondes (Annexe

37).

Plus récemment, Antoine Sénanque raconte, dans Blouse21, son expérience d’interne amené à

« aider à mourir » certaines personnes qui mettent trop de temps à partir. Il dénonce les

pratiques de l’institution et de ses représentants qui n’hésitent pas à faire porter la

responsabilité de la mort d’un être vivant à un jeune médecin qui injecte, seul, le cocktail

lytique et dont la conscience doit, toute sa vie durant, supporter ce poids (Annexe 38).

L’euthanasie est toujours interdite en France à l’heure actuelle, mais la médiatisation de plus

en plus fréquente des cas isolés porte le débat sur le devant de la scène politique et impose

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une réflexion citoyenne sur le sujet, tout comme l’interruption de grossesse l’avait fait à la fin

du XXème siècle.

3. Le cas particulier de l’interruption volontaire de grossesse

Le serment d’Hippocrate proscrit l’interruption volontaire de grossesse. Longtemps en France

(et aujourd’hui encore dans de nombreux pays), les femmes ont dû se débrouiller seules ou

avec l’aide de soignants qui risquaient leur carrière, pour empêcher les grossesses non

désirées d’aboutir, bien souvent au péril de leur vie.

A l’image du chirurgien Lartois41, les médecins se sont longtemps dégagés de leurs

responsabilités sur ce sujet. Une jeune femme, Isabelle, vient le consulter pour un retard de

règles de cinq semaines suite à une relation qu’elle entretient avec un homme marié. Elle

s’effondre à l’annonce du verdict positif de grossesse et envisage tout simplement de se

suicider. Le discours du chirurgien est autre : il lui explique que l’interruption de grossesse est

possible et qu’il peut la diriger vers des mains expertes. En revanche, il ne veut en aucun cas

être associé à cette intervention qui lui fermerait les portes de l’Académie de médecine

(Annexe 39).

Les avortements clandestins étaient donc de mise en France avant leur légalisation par la loi

« Veil », adoptée le 17 janvier 1975 par l’Assemblée Nationale, et parue le 18 janvier 1975 au

journal officiel. Comme le rappelle Olivier Kourilsky dans son roman policier Meurtre avec

prémédication42, les répercussions de ces actes couramment pratiqués dans des conditions

plus que déplorables, étaient souvent fâcheuses. Son protagoniste, Joël, est médecin et sort

d’une nuit de garde pendant laquelle une femme a failli mourir des suites d’un avortement

clandestin. Les équipes médicales ont pu la sauver en lui retirant l’utérus : elle ne peut donc

plus avoir d’enfants mais ne laisse pas son mari veuf, et son fils, orphelin (Annexe 40).

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Certains médecins pratiquaient malgré tout les avortements dans leur clinique ou cabinet pour

éviter ces tristes conséquences. Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler relate comment

son père, gynécologue, avait, dès le début des années cinquante, commencé à faire des

interruptions volontaires de grossesse (Annexe 41). Puis dans La Vacation39, il raconte sa

propre expérience de médecin « avorteur ». La loi a, entre temps, légalisé l’interruption de

grossesse, mais le recrutement des soignants est toujours réalisé sur la base du volontariat.

Malgré sa volonté profonde d’aider ces femmes en détresse, et empreint le plus souvent d’une

réelle empathie à leur égard, il ne peut cependant s’empêcher parfois d’éprouver de la colère

ou de l’incompréhension à leur encontre. L’interruption volontaire de grossesse utilisée

comme moyen contraceptif lui est difficilement acceptable. Les situations qu’il décrit

montrent que les autorités publiques, les médecins et les patients ont, aujourd’hui encore, de

nombreux efforts à fournir en matière d’éducation et de prévention dans le domaine de la

contraception.

C. LES RAPPORTS A L’ARGENT : GRATUITE DES SOINS ET CUPIDITE

La question de la rémunération des médecins n’est pas soulevée dans le serment

d’Hippocrate, et à peine évoquée dans le serment médical, sous forme d’un devoir de soins

envers les plus pauvres. C’est dire combien le sujet est délicat.

Comme le précise Jean Reverzy dans son texte Le Médecin et l’Argent43, le médecin a

souvent du mal à passer du statut de soignant à celui de commerçant. Sa pudeur naturelle

l’empêche de monnayer son empathie et ses conseils (Annexe 42). Cette réticence à se faire

payer se manifeste d’autant plus quand les malades sont pauvres. Bardamu29 évoque la

difficulté à demander les honoraires dont il a besoin pour vivre à des personnes encore plus

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démunies que lui, et la honte qu’il ressent lorsqu’il perçoit cet argent (Annexe 43). L’accès

aux soins pour les plus défavorisés s’est heureusement amélioré après la seconde guerre

mondiale avec la création de la sécurité sociale, même s’il persiste aujourd’hui encore de

fortes inégalités. La gratuité des soins pour les plus désargentés est actuellement prise en

charge par le système de solidarité nationale et non plus par un seul homme à l’image du

docteur Desportes44, dont tout le village sait qu’il a veillé la mère Pouvrault nuit et jour

jusqu’à son décès, sans être rémunéré.

Les médecins ne sont pas toujours aussi exemplaires que les docteurs Desportes44 ou Rieux30

qui offrent gratuitement leurs soins aux indigents. Longtemps la médecine a effectivement été

un bon moyen de gagner beaucoup d’argent. Pour assouvir leur cupidité, certains médecins

n’hésitent pas à manipuler leurs patients : Knock38 en est l’exemple le plus éloquent. Après

avoir écrit une prétendue thèse « Sur les prétendus états de santé, avec cette épigraphe [...] :

« Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent » », il compte mettre en application

ses principes en reprenant le cabinet peu rentable du docteur Parpalaid dans le village de

Saint-Maurice. Il expose son point de vue au pharmacien Mousquet et lui explique « que tous

les habitants du canton sont ipso facto [leurs] clients désignés » : chaque personne, évaluée

comme une source de revenus et non comme un patient, porte en elle une maladie. Il suffit

juste de la lui révéler puis de lui proposer un traitement long et coûteux : le prix et la qualité

de la prise en charge varient même en fonction des moyens financiers de la famille (Annexe

44 et 44 bis). Knock arrive ainsi à hospitaliser la quasi-totalité du canton, en ménageant

cependant les personnes qui lui sont utiles, et s’enrichit très rapidement. La cupidité du

personnage est bien évidemment poussée à son paroxysme pour les besoins comiques de la

pièce, mais la réalité est souvent peu éloignée du tableau dressé par Jules Romains. Antoine

Sénanque21 dénonce ainsi les pratiques de certains médecins qui se désignent eux-mêmes

comme les meilleurs de leur spécialité et qui s’installent dans des quartiers adaptés pour faire

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payer plus cher un service moins bon (Annexe 45). Ils profitent de la crédulité et de la bêtise

des gens pour s’enrichir. Le docteur Parpalaid38 résume ainsi le mode de fonctionnement de

ces patients et de ces médecins : « si les gens en ont assez d’être bien portants, et s’ils veulent

s’offrir le luxe d’être malades, ils auraient tort de se gêner. C’est d’ailleurs tout bénéfice pour

le médecin. »

D. L’ABUS D’AUTORITE

1. La corruption

La corruption par l’argent et le sexe est utilisée depuis des siècles pour influencer les

décisions des hommes de pouvoir, et donc des médecins. La société essaye régulièrement de

soudoyer ces hommes qui tiennent entre leurs mains le sort de leurs semblables, au risque,

pour le médecin, de bafouer le principe fondamental de la primauté de l’individu malade.

Martin Winckler26 rapporte l’anecdote survenue à son père gynécologue, à une époque où

l’interruption volontaire de grossesse n’était pas légalisée. Un catholique pratiquant, issu de la

haute bourgeoisie, lui propose une forte somme d’argent pour faire avorter sa fille (Annexe

41), pensant ne pas être dénoncé par un médecin juif. Bardamu29, lui, est contacté par un

couple qui désire placer sa grand-mère dans un asile, contre son gré. Il imagine l’argent qu’il

pourrait soutirer en établissant le certificat d’internement. Mais la grand-mère, encore alerte et

consciente du complot qui se fomente dans son dos, le chasse de la maison (Annexe 46).

Dans un autre genre, Antoine Thibault16 est lui aussi l’objet d’une tentative de corruption :

Mme de Battaincourt n’hésite pas à lui proposer les services de sa dame de compagnie, Miss

Mary. Elle espère ainsi obtenir, en retour, une prescription d’antalgiques disponibles

uniquement sur ordonnance (Annexe 47).

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2. Le principe de non discrimination

Formulé peu clairement dans le serment d’Hippocrate, le principe de non discrimination dans

la relation médecin/malade est fortement mis en avant dans le serment médical.

La discrimination peut en effet rapidement faire surface dans la prise en charge des patients.

Les causes avancées sont multiples. La religion en est une : face à un patient chrétien qui suit

correctement les préceptes, le professeur Joberton de Belleville32 s’adoucit et devient plus

charitable (Annexe 48). Le sexe en est une autre : un professeur de neurologie fait examiner

une femme par chacun des quatre externes qui l’accompagnent, alors qu’il va, le lendemain

même, soustraire un homme à cette humiliation. Pour justifier cette différence de traitement, il

avance que « les femmes sont […] plus difficiles à appréhender » (Annexe 49). L’âge ou

l’état général d’un malade peuvent aussi lui porter préjudice : Antoine Sénanque21 rappelle le

combat que livrent chaque jour les médecins des urgences pour trouver un lit à ces patients

trop âgés ou trop grabataires pour être acceptés dans des services où ils empêcheraient un

rendement maximal (Annexe 50). Les privilèges existent également : les patients « privés »

des patrons sont souvent mieux traités ou exemptés des contraintes humiliantes de l’hôpital.

Maugras35, par exemple, a droit à une infirmière particulière qui s’occupe de lui seul toute la

journée. Il est par ailleurs dispensé de la grande visite trihebdomadaire du patron.

Même les meilleurs ne peuvent parfois résister à la tentation : le docteur Rieux30 tente de ne

pas commettre de discrimination au cours de l’épidémie de peste. Ainsi, la famille du juge

Othon est séparée, mise en quarantaine dans des lieux différents, lorsque le fils présente les

symptômes de la maladie. Mais lorsque son ami Tarrou commence à tomber malade, il

préfère le garder chez lui et veiller avec sa mère sur ses derniers instants (Annexe 51).

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3. La séduction

Les rapports médecins/malades peuvent parfois dépasser le cadre strictement médical de la

consultation. Le serment d’Hippocrate énonce pourtant clairement l’interdiction volontaire de

toute entreprise de séduction de la part du médecin envers ses malades.

Martin Winckler39 rappelle le principe élémentaire de la consultation et du rôle du médecin :

« Bonhomme blouse blanche = médecin. Médecin = praticien neutre et bienveillant. Formé

pour écouter et soulager la souffrance. D’autrui. Pas pour poser ses sales pattes sur les corps

tendres et innocents, encore moins pour suggérer proposer préparer des rencontres. »

L’ambiguïté, pourtant, peut facilement s’installer : l’écoute d’un homme est rare et précieuse,

le corps d’un(e) malade peut être plaisant à regarder, les gestes destinés à l’examen médical

peuvent parfois prêter à confusion, et pour peu que les physiques s’accordent (Annexe 52)…

La séduction partagée aboutit alors parfois à une relation plus intime telle que la décrit Jean

Reverzy dans Le Passage32. Le médecin rompt le serment et, tel un châtiment, se trouve

contraint d’exposer à son tour son corps (Annexe 53).

Si ces jeux de séductions sont répréhensibles, l’abus d’autorité d’un médecin sur le corps de

ses malades l’est d’autant plus. Laurent Pasquier15 relate comment son maître, pour tester une

nouvelle thérapeutique par des bains lumineux, fait venir non un homme mais une jolie jeune

femme, et n’hésite pas à ponctuer ses remarques scientifiques de propos grivois (Annexe 54).

Le chirurgien Lartois41 profite lui aussi de son autorité pour abuser de ses malades. Isabelle,

venue le consulter pour un retard de règles, trouve tout d’abord un réconfort dans ses gestes

paternels. Mais elle s’aperçoit bien vite des réelles intentions du médecin et arrive à se

dégager à temps de son étreinte. Quand elle lui demande s’il agit de même avec ses autres

patientes, Lartois ne se cache pas d’entreprendre de telles choses avec certaines femmes,

moins farouches qu’elle (Annexe 55).

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E. LE SECRET MEDICAL

Le secret médical est l’un des fondements de la relation médecin/malade. Inscrit dans le

serment d’Hippocrate, il a traversé les siècles et se retrouve aujourd’hui dans le serment

médical et le code de déontologie. Le médecin ne peut être délié du secret médical en dehors

de certaines dérogations précises, et est passible de sanctions pénales, administratives et

ordinales en cas de non respect de ce précepte.

La mort, par exemple, ne délie pas le médecin du secret médical. Le chirurgien Lartois41 est

conscient de l’importance du respect de ce principe aux yeux de tous. Lorsque l’un de ses

célèbres malades, le poète Jean de La Monnerie, décède, un des amis du chirurgien, le baron

Noël Schoudler, désire obtenir un article sur la fin du grand homme pour le journal dont il est

propriétaire. Lartois considère qu’il lui est impossible, de par sa profession, d’accéder à la

demande du baron et contourne le serment en proposant à un disciple du poète, présent lors de

sa mort, de rédiger le papier (Annexe 56).

Certains médecins sont toujours à la limite de la divulgation du secret. A la Résidence des

Cèdres40, les retraités s’observent et nouent progressivement des liens d’amitié. Quand l’un

d’eux est hospitalisé ou quitte la maison de retraite, tous sont perturbés. Un jour, une des

pensionnaires tombe et se fracture le col du fémur. Quelque temps plus tard, le couple

Montagnard s’enquiert de la santé de la pauvre femme auprès du docteur Desportes. Les

questions l’importunent mais il répond tout de même, plus ou moins évasivement (Annexe

57).

Le secret médical peut parfois être mis à mal de manière plus flagrante encore. Dans Les Trois

Médecins26, la femme du docteur Sachs s’inquiète pour l’état de santé de son mari et consulte

un neurologue. A partir des simples observations qu’elle a reportées sur un carnet, le médecin

lui donne un diagnostic, en l’occurrence fatal : son mari est atteint d’une sclérose latérale

amyotrophique et risque de mourir dans les six mois (Annexe 58). Le médecin aurait pu

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opposer le secret médical à Mme Sachs, conformément à la loi. Mais il a décidé de lui délivrer

une information ne concernant pas son propre état de santé, au risque de s’opposer aux

souhaits de son mari, qui aurait peut-être préféré la savoir ignorante de son avenir sombre.

F. LE RESPECT DU SERMENT

La dernière phrase du serment d’Hippocrate porte sur le respect de son contenu, et les

conséquences qui en découlent en cas d’observance ou non de ses préceptes. Nous l’avons vu

précédemment, l’appropriation et la mise en œuvre des principes énoncés dans les serments

ne sont pas toujours aussi simples qu’il y paraît. L’exercice de la médecine demande à chaque

praticien, au cours de chaque consultation, une réflexion sur la conduite à tenir, non seulement

en termes de prise en charge thérapeutique, mais également dans sa relation avec le patient. Si

les exemples de manquement au serment d’Hippocrate sont nombreux, les conséquences pour

les médecins sont rarement décrites.

A la fin de son roman, Antoine Sénanque21 décrit l’erreur médicale qui l’a amené à noircir son

regard sur la médecine et sur lui-même. Une jeune femme vient un jour le consulter à la Pitié-

Salpêtrière où il travaille comme chef de clinique, pour céphalées évoluant par crises sur un

terrain anxio-dépressif. Il la revoit à plusieurs reprises et l’hospitalise même pour effectuer un

bilan approfondi, qu’il interprète comme normal. Trois mois plus tard, la jeune femme arrive

aux urgences dans le coma et décède rapidement. Il n’avait pas vu, trois mois auparavant, le

signe qui aurait peut-être pu sauver sa patiente. Cette erreur n’a pas fait l’objet d’un procès et

n’a pas menacé directement sa carrière. Il a affronté en temps voulu le jugement de ses pairs

et la désapprobation de son chef de service. Mais son témoignage révèle qu’il ne s’est

toujours pas pardonné cette faute. La responsabilité est un fardeau lourd à porter : elle peut

vous empêcher de vivre pleinement votre vie (Annexe 59).

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De même, dans La Confession d’hiver45, Jacques Chauviré relate l’histoire d’un médecin

traduit devant la justice pour non-assistance à personne en danger. La famille de Mme Jolibois

estime en effet qu’il a commis une faute professionnelle grave en ne se rendant pas à son

chevet la nuit de son décès : le gendre avait pourtant confirmé au docteur Sicard que la vieille

dame avait été soulagée de sa nouvelle crise d’essoufflement par les soins donnés par

l’infirmière, et le médecin avait demandé à être tenu au courant de l’évolution de son état au

cours de la nuit. L’affaire, à première vue, ne semble pas mettre en cause le praticien mais la

rumeur de sa culpabilité, reprise par le journal local, s’amplifie peu à peu dans la petite ville.

Ses patients semblent le craindre, désertent progressivement son cabinet et viennent même

témoigner contre lui le jour du procès (Annexe 60). Condamné à verser une indemnité à la

famille de Mme Jolibois, il s’éloigne de la ville et des médisants pendant un ou deux mois

puis reprend progressivement son activité habituelle. S’il traverse cette épreuve dans une

quasi-indifférence, il est en revanche préoccupé par une faute bien plus grande à ses yeux,

commise envers le marinier Thierberghen : au cours de l’agonie de la femme de celui-ci, en

phase terminale d’un cancer, il lui ment et lui fait croire qu’elle va guérir, conformément au

souhait de la patiente qui souhaite épargner son mari. A sa mort, le marinier ne se remet pas

de sa disparition et sombre dans l’alcoolisme. Le docteur Sicard ne cesse de s’interroger sur

sa responsabilité, sur son rôle dans l’histoire de cet homme et dans celle de beaucoup d’autres

de ses patients : ses doutes et ses scrupules pèsent sur sa conscience. Le jugement du tribunal

lui paraît bien dérisoire comparé à toutes les interrogations et toute sa culpabilité cristallisées

dans son esprit (Annexe 61).

Comme l’énonce le serment d’Hippocrate, la justice des hommes influe sur la carrière ou la

réputation d’un médecin. Il semble pourtant que le plus difficile, pour le praticien, n’est pas

tant de faire face au mépris de ses semblables ou au déshonneur, mais de poursuivre sa vie en

portant, sur sa conscience, ces milliers de fautes inavouables et impardonnables à soi-même.

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III. LES SPECIFICITES DU MEDECIN GENERALISTE

La notion de « médecin généraliste » est récente et a succédé à celle d’ « omnipraticien »

utilisée auparavant. Au lendemain de la seconde guerre mondiale, la multiplication du nombre

de spécialités et la création des Centres Hospitalo-Universitaires ont permis de définir

progressivement les rôles et fonctions du médecin généraliste, acteur majeur du système de

soins français actuel. Nous l’avons vu précédemment, tous les médecins sont concernés par le

respect des valeurs du serment d’Hippocrate : le médecin généraliste, par ses caractéristiques

propres, est lui aussi confronté quotidiennement à toutes les interrogations que soulèvent les

serments.

A. LE PREMIER RECOURS AUX SOINS

Le médecin généraliste est le premier recours aux soins : il reçoit tous les patients sans

distinction d’âge, de sexe ou de pathologie. Du nourrisson à la personne âgée, du patient

victime d’une urgence vitale à celui atteint d’une maladie chronique, de celui qui cherche une

écoute à celui qui désire uniquement une compétence technique, les malades sont multiples et

les motifs de consultation également. De fait, par la définition même de son exercice, le

médecin généraliste répond aux principes de non discrimination et de respect des patients

valorisés dans le serment médical. Martin Winckler consacre ainsi un chapitre entier, dans La

Maladie de Sachs24, aux différentes plaintes des patients qui se présentent à son cabinet. Les

questions du médecin sont peu nombreuses et toujours semblables : « que puis-je faire pour

vous ? », « qu’est-ce qui vous amène ? », « que vous arrive-t-il ? », « qu’est-ce qui ne va

pas ? »… Mais les réponses sont diverses, dans leurs formulations et leurs contenus : c’est une

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longue litanie de ce qu’on pourrait appeler « pathologies », mais l’écriture propre au genre

littéraire lui donne à la fois un ton humoristique et tragique. Certains patients consultent le

médecin généraliste pour un problème purement physique ; d’autres parce qu’ils s’inquiètent

pour leur fille, mère, père, frère ; certains, pour recevoir une aide psychologique, ou pour

avoir un arrêt de travail, un renouvellement de traitement, la pilule, une lettre de

recommandation à un spécialiste (Annexe 62)… La multiplicité des demandes nécessite une

écoute et une approche particulière de chaque patient. Les qualités intrinsèques du médecin

mais aussi ses compétences médicales sont en permanence mises à contribution. Le médecin

généraliste ne peut cependant être performant dans tous les domaines et doit être conscient de

ses limites : deux possibilités s’offrent alors à lui, comme le rappelle le serment médical. La

première option consiste à se former sur un sujet qu’il ne maîtrise pas : à l’aide d’ouvrages

validés (ou de sites spécialisés sur Internet), tel que le fait le docteur Sachs pour apprendre à

réduire une luxation de la mandibule (Annexe 63); ou auprès de confrères spécialistes comme

Martin Winckler le relate dans La Vacation39 (Annexe 64). La deuxième alternative consiste à

adresser le patient à un confrère ou à un service adapté aux besoins du patient. Ainsi, lorsque

le docteur Sicard45 reçoit pour la première fois Maria Thieberghen, une de ses voisines, il

écoute tout d’abord attentivement sa plainte : Maria vient le consulter pour une asthénie

grandissante et une gêne dans le bas-ventre. La palpation de l’abdomen indique rapidement au

médecin que sa nouvelle patiente développe une tumeur : essayant tant bien que mal de cacher

son désarroi et son inquiétude, il la prévient de la nécessité d’une intervention chirurgicale. Il

contacte l’un de ses confrères chirurgien puis écrit une lettre à son intention, qu’il remet à

Maria (Annexe 65). Le médecin généraliste, en tant que premier recours aux soins, est ici

confronté à une pathologie lourde, nécessitant un avis et des soins spécialisés qu’il ne peut

assurer : la prise en charge optimale pour la patiente consiste à l’adresser à un confrère plus

compétent.

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B. LA COORDINATION

ET LA PRISE EN CHARGE GLOBALE DE LA PERSONNE

A l’heure actuelle, la coordination des soins est l’une des fonctions primordiales du médecin

généraliste, dans l’optique d’une meilleure prise en charge de la personne malade. Possédant

tous les éléments du dossier médical de ses patients ainsi que les données professionnelles,

familiales et sociales, le médecin généraliste est probablement le mieux placé pour établir le

lien entre les éventuels spécialistes et pour évaluer l’intérêt ou non d’un examen

complémentaire ou d’un traitement pour un patient particulier, en tenant compte de l’avis de

chacun. Cette notion de « coordination des soins » est récente et son application n’est pas

évidente. Elle demande en effet, de la part des différents intervenants, d’oublier les vieilles

querelles et rancœurs qui les séparent depuis longtemps : Jacques Chauviré le rappelle dans

La Confession d’hiver45, les médecins ont tout d’abord été divisés entre les mandarins,

hautement titrés et pécuniairement à l’abri de tout problème, et les « petits » praticiens,

contraints de se surmener pour s’assurer des revenus convenables (Annexe 66). Ce clivage

financier et hiérarchique s’est progressivement modifié au cours du XXème siècle pour

devenir une lutte instituée dès les premières années d’étude, au sein de l’université, entre les

futurs spécialistes et les futurs généralistes. Dans Les Trois médecins26, Martin Winckler

rapporte ainsi les effets secondaires de la mise en place du concours de l’Internat : sur les

bancs de la faculté et au cours des différents stages, les étudiants en médecine sont fortement

encouragés, par leurs aînés et certains maîtres, à préparer le fameux concours, pour ne pas

devenir les médiocres praticiens que sont, selon eux, les généralistes (Annexe 67). La mise en

place de l’Examen National Classant en 2004 et la reconnaissance universitaire de la

médecine générale comme spécialité médicale vont probablement permettre une meilleure

compréhension entre les différents acteurs du système de santé, au bénéfice du patient.

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En effet, le patient est maintenant placé au centre de sa prise en charge : les médecins qui

l’entourent contribuent à l’amélioration de son état de santé en tenant compte de tous les

éléments qui le caractérisent. Madame Deshoulières24 souffre depuis de nombreuses années

d’une maladie incurable : quand son médecin lui répond un jour qu’il ne peut plus rien faire

pour elle, elle décide d’en consulter un autre. Le docteur Sachs, dès les premiers moments, lui

indique qu’une action médicale est toujours possible : sans lui mentir- la guérison étant

inenvisageable- il tente à chaque visite de soulager ses douleurs en prescrivant des antalgiques

adaptés. La simple écoute attentive de ses symptômes permet à Madame Deshoulières de se

sentir mieux pendant quelque temps. Le médecin aide également son mari désarmé en

recueillant ses confidences et en lui assurant un soutien psychologique (Annexe 68). Dans ce

cas, le médecin traitant s’efforce d’améliorer au maximum le confort de vie de la patiente, par

sa présence et ses prescriptions : il accompagne le couple sur le long et dur chemin de la

maladie.

C. LA VISITE A DOMICILE

La médecine générale, en soignant les individus dans le contexte de leur famille et de leur

environnement (comme Hippocrate et ses disciples en leur temps), respecte au mieux le

premier devoir énoncé dans le serment médical, celui « de rétablir, de préserver ou de

promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ».

La visite à domicile en est l’exemple le plus frappant. Le médecin généraliste est, à l’heure

actuelle, le seul praticien à se rendre chez le patient, à l’exception des unités d’urgence et des

rares spécialistes qui continuent à se déplacer. Il connaît les malades dans leur univers

quotidien. Il est « admis dans l’intimité des personnes », et « reçu à l’intérieur des maisons » :

il fait un peu partie de la « famille ». Son avis est primordial pour le malade qui a

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généralement toute confiance en lui. Quand le docteur Sachs24 se rend chez Madame

Destouches, il réalise trois types d’actes : sur le plan médical, il soigne ses ulcères et surveille

sa tension ; sur le plan social, il rédige un certificat pour que Madame Destouches puisse

bénéficier d’une aide-ménagère ; et enfin, il écoute sa patiente lui raconter ses déboires

personnels. Son fils, Georges, handicapé, vit avec elle : il dépense sa pension en boissons et

devient de plus en plus violent. Sa fille veut que le docteur Sachs rédige un certificat

d’internement à l’encontre de Georges. Le médecin demande l’avis de sa patiente qui lui fait

promettre de ne jamais agir de la sorte : ainsi, lorsque la fille de Madame Destouches l’appelle

directement, il refuse catégoriquement d’accéder à sa demande, d’autant plus qu’elle semble

correspondre à des convenances personnelles et non à un réel intérêt pour le bien-être de sa

mère et de son frère. Quelque temps plus tard, il apprend que Georges a été placé par sa sœur ;

il vient visiter Madame Destouches dans son nouveau logement : elle supporte difficilement

la séparation et la solitude, et s’inquiète pour son fils. A juste titre : peu après, celui-ci met fin

à ses jours et Madame Destouches pense en faire de même. Le médecin généraliste avait

compris l’attachement viscéral de la mère et de son fils, chacun étant indispensable à

l’équilibre de l’autre malgré un quotidien difficile. La fille, en faisant appel à ses propres

connaissances et réseaux pour interner Georges, a rompu la cellule familiale et a mis en péril

deux vies (Annexe 69). Le médecin généraliste, par sa proximité spatio-temporelle et par les

liens qu’il crée avec ses patients, appréhende au mieux leur univers, leurs situations sociales,

familiales, financières ainsi que leurs pathologies, leurs addictions, leurs fonctionnements...

Dans sa fonction idéale de « médecin de famille », il acquiert au fil du temps des informations

qui lui permettent une lecture plus globale de l’individu et de sa maladie. Ce rôle est

cependant de plus en plus limité par le « nomadisme médical » des malades.

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D. LA CONTINUITE DES SOINS

Le médecin généraliste contribue à la continuité des soins du système de santé français en

assurant des gardes de nuits ou de soirées et des gardes de dimanche. Les citoyens ont ainsi à

leur disposition un recours simple aux soins en cas d’urgence, en complément des services

spécialisés dans ce domaine. Généralement proposé par les mairies, le tour de garde est

organisé entre les médecins d’une même ville ou commune, et est régulé par le 15, ce qui

permet de limiter l’encombrement des services d’urgences hospitaliers. Ce type

d’organisation est primordial à la campagne où l’accès aux hôpitaux est souvent plus

compliqué pour les malades qu’en agglomération. Ainsi le docteur Sachs24, lorsqu’il est de

garde de nuit, parcourt des kilomètres pour soulager les familles de leurs angoisses, de leurs

peurs, mais aussi pour constater des drames et parfois aider réellement des malades (Annexe

70). Le dimanche, il alterne consultations au cabinet et visites à domicile selon les possibilités

de déplacement des malades qui viennent le voir : sa présence permet de traiter les

pathologies les plus courantes nécessitant un traitement immédiat, telles les crises d’asthmes

(Annexe 71), ou de proposer une écoute attentive à des personnes en souffrance morale

(Annexe 72). Au cours de sa garde, le docteur Sachs consigne, dans un petit carnet, les motifs

de consultations de chaque malade qu’il a vu, ainsi que le nom de leur médecin référent. Cette

habitude lui permet, dès le lendemain, de tenir informés ses confrères des évènements

survenus pendant le week-end pour leurs patients, afin d’assurer une meilleure continuité des

soins et une coordination des actes médicaux. La primauté de l’individu et de ses intérêts sont

ainsi respectés et valorisés (Annexe 73).

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CONCLUSION Vingt-cinq siècles séparent Hippocrate de Cos et ses disciples, des médecins d’aujourd’hui : si

les préceptes ancestraux exposés dans le Serment d’Hippocrate restent majoritairement

d’actualité, certaines valeurs ont cependant été modifiées au cours du temps, parallèlement à

l’évolution de la société et des pratiques médicales.

La première valeur importante du serment, la transmission des savoirs, a de ce fait subi des

changements majeurs dont témoigne la littérature. L’autorité du maître et le compagnonnage,

ainsi que nous l’avons vu, encore présents dans les œuvres du début du XXème siècle, ont peu

à peu laissé place à l’apprentissage individuel. La valorisation de l’autoformation, l’évaluation

formative et la docimologie constituent les bases de la pédagogie contemporaine. Le

paradigme d’apprentissage a glissé comme l’indique le serment médical : l’objectif premier

du médecin n’est plus l’acquisition de connaissances, mais celle de compétences à entretenir

tout au long de sa carrière.

En ce qui concerne le principe de confraternité, les exemples et contre-exemples relevés

montrent que les rapports entre médecins ont peu changé. Liés à la nature humaine, ils sont

parfois amicaux, voire affectueux ; et d’autres fois, plus rarement, haineux, malveillants.

Le tempérament et l’état d’esprit du médecin influent également dans sa relation avec le

malade. Si la qualité du lien établi varie depuis toujours selon les caractéristiques intrinsèques

de chaque médecin, l’apport du XXème siècle a été primordial dans la prise en compte de la

volonté du patient concernant sa pathologie et son devenir. L’information du malade et le

recueil de son consentement sont aujourd’hui indissociables du pacte de soins : le praticien ne

peut plus imposer ses décisions unilatéralement, mais doit considérer son patient comme un

partenaire et un acteur du soin. La difficulté s’accroit quand la médecine atteint ses limites ;

quand il n’est plus question de vie, mais de douleur et de mort. Avec l’amélioration des

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techniques et des connaissances, le principe du « primum non nocere » est l’objet d’un débat

houleux : où débute et s’arrête l’acharnement thérapeutique ? Comment faire face au refus de

soins ou de vie ? Peut-on reconnaître un « droit à mourir » ? L’analyse bibliographique révèle

que, si la littérature est capable d’intégrer la notion d’interruption volontaire de grossesse ou

de dénoncer celle d’acharnement thérapeutique, les concepts de soins palliatifs voire

d’ « euthanasie d’exception » sont encore trop récents pour qu’elle les relate. Les seuls

exemples retrouvés sont issus d’actes isolés, de médecins face à leur décision et leur

conscience, et ne correspondent pas à l’aboutissement d’une réflexion citoyenne sur ces

sujets.

Les notions de secret médical et d’abus d’autorité sont, quant à elles, toujours représentées

dans la littérature des XXème et XXIème siècles, sans évolution majeure les concernant. En

revanche, la question de la rémunération du praticien, abordée dans le serment médical mais

non dans le Serment d’Hippocrate, est régulièrement évoquée par les auteurs. De la gratuité

des soins supportée par le médecin au début du XXème siècle, à la création de la Sécurité

Sociale au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’accès aux soins s’est globalement

démocratisé en France. Mais la cupidité inhérente à la nature humaine et l’accroissement

régulier du déficit public peuvent mettre en péril cet équilibre fragile et accentuer les

inégalités. Ces dernières, perceptibles au niveau national, sont flagrantes au niveau mondial,

et poussent certains médecins à s’engager sur les voies de la médecine humanitaire ou de

l’action politique internationale.

De son côté, le médecin généraliste, au contact constant des populations, est souvent un

spectateur démuni face aux soubresauts économiques et politiques auxquels ses patients

doivent faire face. Il assure son rôle de premier recours aux soins et prend en charge ses

malades dans leur globalité. En maintenant les visites à domicile, il est parfois le seul lien

social de certaines personnes. Son action au sein du système de soins français a bénéficié

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d’une reconnaissance récente, mais pas toujours effective. A noter que la littérature de ces

dernières années n’évoque pas les fonctions du médecin dans sa dimension de santé publique.

Les enseignements d’Hippocrate de Cos ont traversé les siècles pour parvenir jusqu’à nous

quasi-intacts. Les questionnements des médecins sur l’éthique de leur profession seront sans

cesse renouvelés au gré des découvertes technologiques, des innovations thérapeutiques et de

l’apparition de nouvelles pathologies : la littérature des XXIème et XXIIème siècles sera

probablement le miroir de ces problématiques du futur. Restera quoi qu’il advienne : le

malade, le médecin et la maladie.

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10. Article L 1111-2 du Code de la Santé Publique, (loi du 04 mars 2002)

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SOURCES ICONOGRAPHIQUES L’iconographie de la page 32 a été réalisée à partir d’un document provenant de la collection

de l’Académie nationale de médecine.

Photographe : Petit, Pierre (1832-1909)

Photographie d’estampe/ Don de M. Hippolyte Larrey le 23 septembre 1879/ Collection du

Dr Barrate

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ANNEXES

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ANNEXE 1 GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 646-648 « Cette idée de rechercher les agglutinines - cela ne te dit rien, mais fais comme si tu comprenais - cette idée m’est personnelle. En ce moment, presque toutes les idées qui fermentent dans mon esprit viennent du patron. Je l’avoue sans vergogne, je l’avoue même avec fierté. Nous avons, surtout au Désert, où nous étions entre mauvaises têtes, entre anarchistes pour mieux dire, nous avons cultivé des idées absurdes sur l’originalité. Nous avons aussi perdu le sentiment de l’obéissance et ce serait un grand malheur si cette perte était irréparable et définitive. Sois rassuré quant à moi. Je fais des progrès dans l’individualisme – je t’expliquerai comment et pourquoi ; je plaiderai ma cause à ton regard – je fais donc des progrès dans l’individualisme sauveur ; mais, sur la première page de tous mes cahiers, j’ai écrit, pour moi seul, et au moyen de signes secrets, cette maxime laconique : « Obéir d’abord. » Ne t’imagine pas qu’en acceptant cette sentence j’abandonne provisoirement mon libre arbitre. Cela signifie, dans mon esprit : « Choisir ses maîtres, après mûre réflexion, et leur obéir. » Tu voudras bien noter que j’ai dit « ses maîtres » et non « ses chefs ». L’idée du chef ne m’est pas absolument étrangère, pourtant elle m’est moins sensible que celle du maître. Je veux apprendre – c’est-à-dire prendre, saisir – je veux m’accroître, peut-être parce que j’appartiens à une famille en pleine poussée de sève, en pleine ascension, comme dit Joseph qui, lui, confond l’ascension et la richesse. Ce que je demande, ce n’est pas de me délivrer de toute responsabilité, ce n’est pas de marcher les yeux clos, ce que je demande, c’est de la nourriture, de la substance. Je veux un enseignement. Je sais très bien qu’un vrai chef est aussi un maître, puisqu’il enseigne, par exemple, le courage, l’esprit de décision. […].Mais que ferais-je d’un chef, moi qui ne suis pas homme d’action ? Non, non, ce que je demande, ce sont des maîtres. Tu vas sûrement penser : pourquoi « des » maîtres ? Un seul maître, si c’est un vrai maître, ne suffit-il pas ? Sois bien sûr que j’ai délibéré sur ce point. On peut se tromper dans la recherche des maîtres. […] Pour moi, le mot patron veut toujours dire modèle et surtout père, c’est-à-dire celui qui protège et même celui qui engendre. Dans la société médicale, que j’aime vraiment de tout cœur, l’élève appelle son maître « monsieur ». Tu ne peux imaginer comme ce simple mot est beau, comme il est noble et respectueux quand il est adressé par un jeune homme à celui qui l’instruit et le guide. Si les rapports deviennent plus cordiaux entre le maître et le disciple, celui-ci, dans les instants d’intimité, ne dit plus « monsieur » et se permet de dire « patron ». C’est ainsi que je parle à M. Chalgrin et, bien que ce ne soit pas l’habitude au Collège, il souffre cette appellation en souvenir de sa vie dans les hôpitaux. Je crois même qu’elle le touche et qu’il y voit un signe de vénération filiale. Je vais préparer ici ma thèse de doctorat ès sciences. Pour ma thèse de médecine, que je passerai en même temps, je souhaite de travailler chez Nicolas Rohner, sans quitter d’ailleurs ma place au Collège. Je t’ai parlé de deux maîtres, et tu vois où je te conduis. J’ai sollicité la place de préparateur actuellement vacante dans le laboratoire du professeur Rohner. J’attends la décision. C’est une fonction très mal payée, mais qui me permettra d’approcher un des hommes les plus intelligents de ce temps et de travailler dans son atmosphère. »

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ANNEXE 1 BIS GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 730-733 « Catherine est morte. C’est fini. […] La majesté de la mort est quand même quelque chose de fort, car le Vieux a tiré de son âme aride un mot de miséricorde, un pauvre mot de confection. Il a dit : « C’est un malheur. » Puis, très vite, il est retombé dans ses pensées de maniaque. Il a jeté sa cigarette et s’est frotté les mains- crois bien que je n’exagère pas. – Il murmurait :

- Intéressante autopsie en perspective ! J’ai balbutié :

- Mais, Monsieur… Il m’a regardé, pendant une grande minute, de cet œil bleu, de cet œil froid dont je ne peux supporter la lueur. Puis, détachant toutes les syllabes :

- Nous ferons cette autopsie ensemble, vous m’entendez bien, Pasquier. On m’a dit que Mme Houdoire n’avait aucune famille. Personne donc ne va réclamer le corps et nous ferons l’autopsie, tous les deux dimanche matin. Je vais prévenir Lespinois.

J’ai dit encore, faiblement : - Monsieur, je dois vous avouer…

Rohner a pris soudain ce ton sarcastique et revêche qui doit être une de ses réactions de défense – quelque chose de comparable à l’attitude spectrale des insectes attaqués.

- Qu’est-ce que vous devez m’avouer ? Que vous avez couché, peut-être avec Mme Houdoire. Quand bien même cela serait…

- Mais non, Monsieur, je vous assure. - Ne vous défendez pas. Quand bien même ce serait, cela ne peut vous empêcher de remplir

votre fonction. Pas de sentimentalité, mon cher. Il s’agit de la vérité scientifique et tout le reste ne pèse rien. Croyez-moi, laissez la romance et les attendrissements à des biologistes de boudoir que je préfère ne pas nommer et qui feraient mieux d’abandonner la recherche et d’apprendre la mandoline. Comment ! nous sommes depuis deux ou trois mois sur le point d’isoler et de définir une maladie nouvelle, une véritable entité morbide ; nous avons une occasion assurément regrettable, mais tout à fait exceptionnelle, peut-être même unique, de mener à bien certaines observations, puisque des lois absurdes nous interdisent encore l’expérimentation sur l’homme, la seule qui nous permettrait de marcher à coup sûr. Et voilà M. Pasquier, mon préparateur, qui commence à battre des paupières et qui fait la fine bouche. M. Pasquier veut-il me laisser croire qu’il s’est trompé de carrière ? Allons, mon cher, vous serez là-bas dimanche, à dix heures du matin.

Il m’a tourné le dos. Toi, Justin, qui es un poète, un philosophe, un esprit libre et solitaire, tu te demandes peut-être pourquoi je n’ai rien dit. Tu ne sais pas ce que représente pour nous, jeunes hommes, apprentis de la médecine ou des sciences, notre patron, notre maître. Tu ne peux comprendre que pour nous, les mots de respect et d’obéissance ont encore un sens très fort, que ces gens peuvent nous faire, d’un mot, d’un regard, parfois rougir, parfois trembler et parfois même pleurer. Tu ne peux pas comprendre que, malgré toute sa dureté, M. Rohner, qui n’a jamais trouvé le chemin de mon cœur, trouve parfois le chemin de ma raison et que, si j’étais troublé, je ne savais que répondre. J’ai donc baissé la tête et je n’ai rien répondu. […] Que je te le dise tout de suite, nous avons fait, dimanche matin, ce que nous devions faire. »

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ANNEXE 1 TER GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p.759-760 « Il était sept heures du soir. Je venais de monter au Collège pour y surveiller mes animaux et pour y prendre leur température, ce que je fais toujours moi-même, avec le plus grand soin. Le laboratoire était silencieux et pauvrement éclairé par une lampe assez chétive. Je me demande encore aujourd’hui si l’heure, l’ombre, le silence ont été pour quelque chose dans le besoin d’amitié que M. Chalgrin semblait éprouver soudain. Ces hommes, que l’on voit très grands, entourés d’une foule d’amis et d’admirateurs, ont parfois des minutes de solitude et de défaillance. Ils ont parfois besoin d’une oreille vacante. Enfin, je cherche des raisons parce que je me sens très indigne et que la pensée d’avoir été, pendant ces quelques minutes, le confident de mon maître me remplit de confusion. Il m’a mis la main sur l’épaule. Il disait, d’une voix très basse : -Vous savez que j’avais un fils. Il est mort à l’âge de quinze ans, d’une broncho-pneumonie. Il aurait aujourd’hui votre âge, à peu de chose près. S’il était là, près de moi, ce soir, je crois que je lui parlerais comme je vous parle en ce moment. Oh ! Certes pas dans le dessein de lui donner une leçon ou un exemple. Je suis terriblement indécis, mon pauvre ami. Je crois pourtant que j’ai fini par trouver mon chemin dans toutes ces absurdes misères. Vous savez qu’il s’agit de cette malheureuse querelle avec M. Rohner. Je voudrais être bien sûr que, dans cette affaire, tous les torts sont de mon côté. Ce serait beaucoup plus facile. Malheureusement, je ne le crois pas. Pour mieux dire, je n’en sais plus rien. N’importe, je veux en finir. Vous savez que M. Rohner affecte de ne pas me saluer. La situation est nette. Nous avons passé vingt fois l’un près de l’autre, et M. Rohner a fait comme s’il ne me voyait pas. Je ne peux pas vous dire que j’ai trouvé une solution très admirable. Je cherche et je vais à l’aveuglette. J’ai résolu de me rendre lundi prochain à l’Académie des Sciences. M. Rohner y viendra. Je suis même à peu près sûr qu’il doit y faire une communication. Eh bien ! Je l’aborderai, je lui tendrai la main, et même, s’il le faut, je lui adresserai la parole. Voilà, ce n’est pas grand-chose ; mais, si je n’en faisais rien, j’aurais le sentiment d’être au-dessous de moi-même et j’en souffrirai beaucoup. Et puis, il ne s’agit pas d’être au-dessous ou au-dessus de soi-même. Il faut prendre une décision et je n’ai trouvé que celle-là. C’est que, voyez-vous Pasquier, on est très pauvre et dépourvu quand on veut faire le bien. Ce n’est pas comme pour le mal, où tout est vraiment plus facile. Quoi qu’il arrive, c’est fini, je peux vous l’affirmer, je ne sens plus d’animosité pour personne. Je refuse tout nouveau combat. Je cède, vous comprenez, je renonce. Je fais la paix. Il cherchait ses mots et les aventurait sans hâte, revenant sur chacun d’eux, non pas comme un infirme qui trébuche au hasard, plutôt comme un inspiré qui découvre son chemin vers le jour, vers l’issue. J’assistai à cet enfantement, moi, Laurent, dans le plus exact silence. Je commençais à comprendre que les pensées les plus simples doivent être, par chacun de nous, repensées, à nouveau, pour retrouver en chacun de nous leur force originelle. Je comprenais aussi que cet acte de recréation des vérités élémentaires exige toujours un effort démesuré, pour mieux dire un effort de commencement du monde. M. Chalgrin répétait rêveusement : « Je fais la paix. Je la donne et je la demande… » […] Je ne me suis pas permis de prononcer une parole. M. Chalgrin a dû comprendre quels étaient mes sentiments, car il m’a pris par le col et il a posé légèrement sa joue contre ma joue comme si j’eusse été ce fils qu’il venait d’évoquer et de prendre à témoin. »

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ANNEXE 2 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris : Editions Gallimard, 1928, p. 24-26 « « Moins vingt », remarqua Antoine, comme l’auto passait devant l’horloge de la Madeleine. « J’y serai, mais juste… L’exactitude du Patron ! Je suis sûr qu’il s’apprête déjà. » Le docteur Philip attendait, en effet, debout sur le seuil de son cabinet. - « Bonjour, Thibault », grogna-t-il. Sa voix de polichinelle semblait toujours souligner une moquerie. « Moins le quart tapant. En route… » - « En route, Patron », fit Antoine gaiement. Il avait toujours plaisir à se retrouver dans le sillage de Philip. Pendant deux années consécutives il avait été son interne, il avait vécu dans l’intimité quotidienne de cet initiateur. Puis il avait dû changer de service. Mais il n’avait pas cessé de rester en relation avec son maître, et aucun autre, par la suite, n’avait jamais remplacé pour lui « le Patron ». On disait d’Antoine : « Thibault, l’élève de Philip. » Son élève, en effet : son second, son fils spirituel. Mais souvent aussi son adversaire : la jeunesse en face de la maturité, l’audace, le goût du risque, en face de la prudence. Les rapports ainsi créés entre eux par sept années d’amitié et d’association professionnelle avaient pris un caractère indélébile. Dès qu’Antoine se trouvait auprès de Philip, insensiblement, sa personnalité se modifiait, subissait comme une diminution de volume : l’être indépendant et complet qu’il était l’instant d’avant retombait automatiquement sous tutelle. Et cela, sans déplaisir. L’affection qu’il portait au Patron se trouvait encore fortifiée par les satisfactions de son amour-propre : la valeur incontestée du professeur, la réputation qu’il avait de se montrer difficile en hommes, donnaient du prix à son attachement pour Antoine. Lorsque le maître et l’élève étaient ensemble, la bonne humeur régnait ; il leur paraissait évident que la moyenne de l’humanité se composait d’inconscients et d’incapables, mais qu’ils avaient par bonheur échappé l’un et l’autre à la commune loi. La façon dont le Patron, peu expansif, s’adressait à Antoine, sa confiance, son naturel, les demi-sourires et clins d’œil dont il soulignait certaines saillies, son vocabulaire même, auquel il fallait être initié, tout semblait attester qu’Antoine était le seul avec qui Philip pût causer librement, le seul dont il fût sûr d’être exactement compris. Leurs mésententes étaient rares et toujours provoquées par le même genre de causes. Il arrivait qu’Antoine reprochât à Philip de se laisser piper par lui-même, et de tenir pour jugement fondamental ce qui n’était qu’un trait improvisé de son scepticisme. Ou bien, après un échange d’idées sur lesquelles ils étaient tombés d’accord, Philip, brusquement, faisait volte-face, tournait en dérision ce qu’ils venaient de dire, déclarait : « Vu sous un autre angle, ce que nous pensions là est idiot. » Ce qui aboutissait à : « Rien ne mérite qu’on s’y arrête, aucune affirmation ne vaut. » Alors Antoine se cabrait. Une telle attitude lui était proprement intolérable ; il en souffrait comme d’une infirmité physique. Ces jours-là, il faussait poliment compagnie au Patron et se hâtait de courir à ses affaires, afin de retrouver l’équilibre dans le jeu bienfaisant de son activité. »

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ANNEXE 3 GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 840-841 « - Avant de venir ici, je suis allé saluer M. Chalgrin. Tu sais ? Mon ancien patron. Cécile, de la tête, fait un signe amical. Déjà Laurent repartait : - Je vais lui rendre visite une fois par mois, à peu près. C’est terrible. - Qu’est-ce qui est terrible ? L’état de M. Chalgrin ? - Tout ! L’état de M. Chalgrin, d’abord, il va sans dire. C’était un homme des plus généreusement doués. Et voilà qu’une petite artère s’est rompue, dans sa cervelle. Et c’est fini pour toujours. Il est assis dans un fauteuil. Il regarde le visiteur d’un œil encore vivant où l’on croit voir passer comme un reflet de son regard véritable. Il semble toujours sur le point de parler. On pourrait croire qu’il va respirer profondément, ouvrir la bouche et nous expliquer le monde, comme autrefois. Mais il ne dit plus qu’un seul mot, il ne sait plus dire que l’affreux petit mot « Non ! » en secouant la tête d’un air irrité, découragé, dédaigneux. Assurément, c’est triste. Et il y a quelque chose de plus triste encore. - Quoi donc, Laurent ? - La première année, je lui rendais visite à peu près chaque jour. J’avais pris la résolution de n’y manquer jamais. Jusqu’à la fin, jusqu’à la mort. M. Chalgrin n’est pas mort. Alors je me suis arrangé pour y aller deux fois par semaine, puis, bientôt, une fois seulement, puis une fois tous les quinze jours et, maintenant, je n’y vais plus qu’une fois par mois environ. Je pense que si M. Chalgrin ne meurt pas tout de suite, je finirai par ne plus y aller du tout. Ce n’est pas ma faute, je t’assure. Et c’est précisément ce que je trouve terrible. »

ANNEXE 4 JEAN REVERZY. Place des angoisses. Paris : Flammarion, 1977, p. 246 « Jamais le maître n’aura conduit pareille cohorte : ils sont deux mille à la suivre, sans compter ceux qui, comme moi, marchent en esprit derrière son cercueil. […] Près de la tombe, les orateurs parlent trop bas ; les disciples, serrés, piétinent de molles plates-bandes en pensant aux leçons du Maître que seuls ceux du premier rang pouvaient entendre. Et les mots volent et s’éparpillent par-dessus les têtes, proclamant d’épuisantes certitudes que m’enseigna ce long drame du langage. Mon hôtesse certes ne m’avait pas menti, sachant que la vérité n’apparaît qu’à l’heure où ceux qui nous l’enseignèrent ne sont plus. Et je continue ma route, accompagné par ma fatigue, annonciatrice d’une mort si peu redoutable, malgré ses rigueurs, qu’un jour, sans débat, je me confondrai avec elle. Je ne lui survivrai pas ; elle ne me survivra pas. Je mourrai en même temps que ma mort, saluée comme le but de ma longue étude, ce but qu’atteignit Joberton de Belleville. Et maintenant qu’ayant distancé son cortège, il s’est éloigné pour toujours, je marche encore derrière lui, sans regret d’être fait d’une substance moins durable que le temps. »

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ANNEXE 4 BIS JEAN REVERZY. Place des angoisses. Paris : Flammarion, 1977, p. 198 « J’ai du mal à faire le compte des années passées à suivre un cortège, et l’indécision de mon souvenir s’étend sur les êtres près de qui j’ai marché. Je parle sans cesse du Professeur Joberton de Belleville, alors que bien d’autres m’ont tiré derrière eux, des médecins, des chirurgiens, et même un accoucheur. Mais lui seul importe. Dix ans après sa mort, il manque toujours à la ville où nul encore ne l’a remplacé. Ville singulière où le destin n’est pas discuté : pensant et rêvant le moins possible, on agit doucement et secrètement ; les têtes et les âmes s’inclinent devant les commandements supérieurs de la Religion et de l’Argent, puissances que d’autres pourraient supplanter sans que rien ne changeât, car elles ne sont qu’un prétexte de soumission, de réserve et de silence. Et le Professeur Joberton de Belleville émanait de ce désert de l’émotion et de l’intelligence. Il dominait la Place des angoisses et régnait en maître sur l’hôpital. La maladie affluait à lui ; malgré sa lassitude, il courait à sa rencontre. Et nous le suivions. Quand il disparut, chacun découvrit sa solitude. De son vivant, avions-nous jamais pensé qu’il nous préparait à son départ ? Cependant, après la visite, je crois qu’il passait sur nous un secret désarroi : des cortèges hésitants se reformaient et circulaient encore ; mais le Maître nous manquait, sans que nous pressentions qu’il viendrait un temps où il nous quitterait pour toujours. »

ANNEXE 5 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome I. La belle saison. Paris : Editions Gallimard, 1923, p. 346-347 « Le médecin ne répondit pas. Il regardait Antoine, fixement, comme Marthe dut regarder le Sauveur lorsque Lazare se fut dressé hors du cercueil. Ses lèvres s’entrouvrirent. Il balbutia seulement : - « Puis-je ranger votre trousse ? » Et dans cette voix timide, résonnait un tel besoin de servir, de se dévouer, qu’Antoine en éprouva l’enivrement des chefs. Ils étaient seuls. Il alla vers le jeune homme et plongea son regard dans le sien. - « Vous êtes un chic type, mon petit. » L’autre en perdit le souffle. Antoine, plus intimidé encore que son jeune confrère, ne lui laissa pas le temps de répondre. - « Maintenant, rentrez chez vous, mon cher. Il est tard. Nous n’avons pas besoin d’être deux ici. » Il hésita : « Je crois pouvoir vous dire qu’elle est sauvée. Je crois. Cependant, à tout hasard, je passerai la nuit là, si vous permettez », continua Antoine, « car je n’oublie pas que c’est votre malade. Parfaitement. Je suis intervenu d’urgence parce que l’indication était formelle. N’est-ce pas ! Mais, dès demain, je laisse la petite entre vos mains. Et sans inquiétude : ce sont de très bonnes mains. » Tout en parlant, il avait reconduit le médecin jusqu’à la porte. « Voulez-vous repasser vers midi ? » ajouta-t-il. « Je reviendrai après l’hôpital ; nous conviendrons ensemble du traitement. » - « Maître, je… je suis trop heureux d’avoir pu… » C’était la première fois qu’Antoine s’entendait saluer comme un « maître ». Il huma tout entière cette bouffée d’encens, et, spontanément, il tendit au jeune homme ses deux mains. Il se ressaisit aussitôt : - « Je ne suis pas un maître », dit-il d’une voix altérée. « Un élève, mon cher, un apprenti : un simple apprenti. Comme vous. Comme les autres. Comme tout le monde. On essaie, on tâtonne… On fait ce qu’on peut ; et c’est déjà bien. » »

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ANNEXE 6 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 95-100 « La mauvaise garde commence toujours mal. Le premier patient fait office de baromètre. La gravité de son cas annonce de manière très sûre la gravité du vôtre. La première patiente de ma première garde avait décidé d’ouvrir ma nuit par un avis de tempête. Elle avait, bonne fille, attendu l’heure de ma prise de fonction pour déclarer un état de mal asthmatique qui me mettait d’emblée dans une situation désespérée. Je plongeais les mains dans les poches de ma blouse pour trouver les deux bouées de l’interne dépassé, le petit mémento de l’urgence médicale qu’il est préférable de consulter à l’abri des regards et une patte de lapin emportée par la superstition afin que l’invisible reste dans de bonnes dispositions. La patiente était bleue. On ne pouvait pas discuter ce point. […] Elle était très jeune et très confiante. Je la regardais moi aussi, désarmé. Dans ce genre de situation, votre réflexe est d’aller chercher quelqu’un d’autre. Les choses deviennent réellement effrayantes quand ce quelqu’un d’autre se révèle être vous, sans alternative possible. Vous vous surprenez à penser qu’il faudrait certainement appeler un médecin. Vous êtes comme tout le monde. Ce médecin m’aurait d’ailleurs été utile personnellement, car à vrai dire, moi non plus, je ne me sentais pas très bien. L’externe, admiratif, prenant mon immobilité tétanisée devant la patiente pour une extraordinaire preuve de sang-froid, risqua un « On lui met un peu d’oxygène ? ». Je m’entendis articuler un « Bien sûr » reconnaissant. Deux instruments vous font gagner du temps aux urgences, ce temps nécessaire pour rassembler votre esprit vaporisé par la peur, le stéthoscope et le marteau réflexe. J’écoutais donc le cœur de mon asthmatique qui n’avait rien à me dire et ses poumons dont on entendait les râles à trois mètres. Je tapais ses réflexes, un à un, dans un silence interrogateur où la question « Mais que cherche-t-il ? » brûlait toutes les lèvres. Mon air grave en imposait, mais n’aboutissait pas à la prescription que l’infirmière attendait, cahier ouvert à mes côtés. Je jetais un ultime coup d’œil vers mon externe qui n’avait plus rien à me suggérer. Le bleu de ma patiente restait azuréen, bien décidé à se maintenir et, à l’évidence, plutôt confiant en son avenir. Je prenais donc ma première décision de médecin responsable : demander l’avis du réanimateur. […] Pendant ce temps, la salle d’attente des urgences se remplissait de patients les plus divers. Phlébite, eczéma géant, douleur abdominale, arythmie, perte de connaissance. Un vrai manège tournoyant, indifférent à la nausée qu’il faisait naître sous ma blouse maculée de sang artériel, armure dérisoire sur ce champ de bataille où des malades sauvages se précipitaient sur moi. J’étais seul, abandonné de tous, lâché par mes livres, par mes maîtres, par la médecine. On ne savait plus où caser tous ces gens. Ils n’arrivaient pas, ils déferlaient. Ils s’étaient passé le mot. Ils se pressaient comme pour une fête, lamentables invités. J’errais de l’un à l’autre, les servant de prescriptions hésitantes, de conversations incertaines, tapant les réflexes avec entêtement, cherchant dans l’auscultation des cœurs la réponse à leurs angoisses et aux miennes, l’œil glissant vers ma montre ou vers la fenêtre de la salle d’examen, guettant la lueur de l’aube. »

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ANNEXE 7 JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris : Editions Gallimard, 2008, p. 77-79 « A ses heures libres – les repas – l’interne prolonge cette vie de monarque dans un lieu où il règne aussi en maître : la salle de garde. Par prudence, cet espace de défoulement est en général situé un peu à l’écart dans l’hôpital. Il regroupe un réfectoire, une cuisine et des chambres. Les murs y sont couverts de fresques dans le goût obscène. Elles entremêlent avec souvent beaucoup d’imagination et de vives couleurs toutes sortes de corps et de sexes. Elles figurent une liberté dans laquelle les internes aiment se reconnaître, même si leur sexualité est bien loin de ces débauches. Les traditions s’imposent à tout « collègue » (ainsi les internes se nomment-ils entre eux, par opposition aux médecins non internes qui sont seulement des « confrères » et aux anciens internes plus âgés, qui sont désignés sous le vocable flatteur de «fossiles »). Les rituels sont un mélange d’usages monastiques et de gaillardise rigolarde. Le repas se passe tout entier sous l’autorité d’un supérieur élu (l’économe), un interne choisi par les collègues. Il lui revient de commencer à manger le premier, de donner la parole à ceux qui la demandent, d’infliger des châtiments quand il constate un manquement à la règle. C’est lui aussi qui décide des « batteries » : chacun frappe avec les doigts sur le rebord de la nappe - un drap de l’Assistance publique où se distinguent encore les taches indélébiles laissées par les patients… Chaque batterie se distingue par son rythme et honore une circonstance particulière. Lorsqu’elle est de nature égrillarde, l’économe peut recommander de battre une « vaginale ». Elle s’effectue avec deux doigts mouillés frappés en rythme contre la paume de l’autre main… Comme on le voit, ces traditions machistes ne sont pas encore très influencées par le politiquement correct… J’ai eu le privilège d’être pendant un semestre l’économe de la Salpêtrière, c’est-à-dire un roi d’opérette dans ce petit monde braillard. J’en conserve un excellent souvenir. Rien ne donne mieux le sentiment d’appartenir à un ordre, d’être le combattant discipliné d’une cause ou d’une foi que ces moments de communion bruyante. Ils sont à la médecine ce que le bivouac est aux armées en campagne : le lieu d’une fraternité, un moment de bonheur arraché à la souffrance et à la mort. Paradoxalement, ces rituels d’initiation, cette inclusion officielle et grand-guignolesque dans un corps, peut-être parce que j’ai accepté de m’y soumettre totalement, m’ont aidé à m’en détacher. J’aimais ces moments de communion, mais sans jamais cesser de les regarder en quelque sorte de l’extérieur. Il m’aurait paru ridicule d’en être dupe. Il était bon de ressentir – de loin sans doute – ce qu’avaient pu vivre les chevaliers de la Table ronde, les conspirateurs carbonari ou les congrégations religieuses aux premiers âges des grands ordres monastiques. L’internat était pour moi l’expérience première de la fraternité. Mais tout cela valait plus par le rêve que dans la réalité. J’ai toujours éprouvé le plus grand mépris pour ceux qui, perdant tout recul, se sont vraiment sentis supérieurs à cause de cette onction et se sont comportés leur vie durant comme une élite. J’aimais cette enfance de chef, mais je continuais de détester l’état mandarinal, fût-il en gestation. Les collègues étaient mes frères, mais je perdais toute affection pour eux dès lors que je voyais paraître sur leur visage les stigmates du futur patron qu’ils étaient en train de devenir. »

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ANNEXE 8 MARTIN WINCKLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 90-91 « Et puis, on se rend service. Tu sors rarement, alors le soir, je donne ton numéro au secrétariat téléphonique et je m’éclipse, pour aller… aux réunions de formation et aux repas de labos, ou pour emmener Dolorès au cinéma, ça m’évite de broyer du noir et de la voir me faire la gueule. En échange, je prends tes appels le mardi midi quand tu vas à l’hôpital, et un soir par-ci par-là. Mais tu ne t’absentes pas souvent. »

ANNEXE 9 GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 697- 698 « Le professeur parti, nous avons parlé, sans réserves, entre nous, les préparateurs. Mes deux collègues sont assez curieux du tour pris depuis quelques jours par la querelle des deux « vieux », comme dit volontiers Sauvignet. C’est peut-être qu’ils ne savent pas ce que j’ai le pénible avantage de savoir. Autrement, la querelle est ancienne et semblait devoir rester décente, comme il arrive si souvent quand deux hommes de même carrière finissent par se prendre en grippe. M. Rohner accuse Chalgrin de faire du nationalisme à l’eau de rose, d’évoluer vers un thomisme d’amateur (sic), de pactiser, de mener la Société des Etudes à la scission et au désordre. M. Chalgrin reproche à Rohner de faire du rationalisme primaire, de la philosophie de pion et de ramener la doctrine dans les voies de l’intolérance et du jacobinisme. Tu me suis, cher Justin, et tu crois, d’un seul coup d’œil, découvrir la nature idéologique du différend. Eh bien ! Ce n’est quand même pas cela le fond du fond. On ne découvre jamais le fond du fond. Il y a toujours autre chose. J’ai revu Schleiter, avant-hier, et tout à fait par hasard, en traversant le couloir transversal de la Sorbonne. Je lui ai parlé, non sans prudence, de cette lutte d’idées entre Rohner et Chalgrin. Il s’est mis à rire, de ce rire invisible qui semble se produire dans les profondeurs de la bête, et il m’a donné son sentiment sur la haine que mes deux patrons nourrissent l’un pour l’autre. Car il paraît que c’est une espèce de haine, rien de moins. M. Chalgrin est de l’Académie des sciences depuis 1906. Il y est entré deux ans après M. Rohner et on dit que ce dernier a fait de sensibles efforts pour lui en barrer le chemin. Ils y sont tous deux maintenant ; mais ils affectent, les trois quarts du temps, de ne pas se reconnaître pendant les séances. En outre, le professeur Rohner ne cite M. Chalgrin qu’en estropiant son nom. Il dit Chapegrin ou Chategrin. Je l’avais déjà remarqué sans très bien comprendre ce que cela pouvait signifier. Hélas ! Hélas ! Schleiter a parlé longtemps. Je l’écoutais tête basse. Ainsi, donc, il n’y a pas de pures querelles d’idées. Il n’y a que des querelles de sentiments et de passions. Quand deux amants, deux parents, deux amis se fâchent, ils invoquent les idées, ils appellent à la rescousse les doctrines et les philosophies ; mais le nœud du discord n’est pas souvent dans l’esprit : il est dans la chair et le sang. Oh ! Je m’en doutais, parfois. J’ai reproché bien des choses à mon père, dans l’ordre philosophique, par exemple de se faire de la science une représentation absolue et puérile, de confondre naïvement la science et la sagesse, de ne pas d’intéresser à Schopenhauer ou à Nietzsche, de mépriser les valeurs que je tiens pour essentielles. Bah ! Tout cela ne pèserait pas lourd si mon père avait fait en sorte que je pusse l’aimer, simplement, de tout mon cœur. Les idées sont la parure de nos haines ou de nos amitiés, mais l’affectivité toute pure nous détermine et nous gouverne, même quand nous avons l’honneur d’être Rohner ou Chalgrin. Cet entretien avec Schleiter m’a laissé mélancolique. Je peux t’affirmer, Justin, que ces découvertes affligeantes ne modifient pas gravement la respectueuse admiration que je nourris pour des maîtres choisis ; pourtant elles me retirent cette belle sérénité dont je te parlais naguère. »

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ANNEXE 9 BIS GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Les Maîtres. Paris : Omnibus, 1999, p. 718-719 « M. Chalgrin dit parfois : « Que M. Rohner serait heureux s’il trouvait quelque chose, s’il faisait vraiment une petite découverte ! » De telles phrases me blessent. Rohner est brutal, il a mauvais caractère ; mais il a fait des travaux qui le classent au premier rang. Tout le monde l’admet sauf M. Chalgrin. Il y a trois ou quatre hommes qui peuvent comprendre aujourd’hui la valeur des travaux de Rohner, et M. Chalgrin est un de ces trois ou quatre hommes ! S’il devine, s’il croit deviner que l’on hésite, si peu que ce soit, à l’encourager dans l’injustice, mon cher patron devient nerveux. Lui qui est naturellement tendre, il se prend à parler sec. Je n’oserais pas risquer le moindre reproche. Je me contente de le regarder avec douleur. Il l’a senti, l’autre jour, il a fait un effort pour sourire et m’a dit cette phrase qu’il considérait peut-être comme une excuse : - Pasteur, lui non plus, n’était pas toujours commode avec nous autres. Il a compris ce que ce « lui non plus » supposait d’immodestie. Il a souri, d’un air gêné, puis il a, de la main, ébauché un geste vague. Il attendait les décisions du comité, pour le congrès, en répétant volontiers : « J’ai beaucoup trop de travail. Je demande que l’on m’oublie. » Pourtant, il avait des battements de cœur et se renseignait indirectement sur l’opinion des uns et des autres. Ce congrès, je te l’ai dit, groupe diverses sociétés savantes et les délibérations du comité restaient assez obscures jusqu’à ces derniers jours. Elles sont terminées et il faut que je t’en parle pour te rendre intelligible cette étrange comédie. Nous étions réunis, hier, dans le laboratoire de M. Rohner, Vuillaume, Sauvignet et moi. Roch est entré, son chapeau à la main, son paletot sur les épaules, les souliers fort boueux, comme un homme qui vient de trotter dans le patouillat, à bonne allure. J’ai tout de suite compris que M. Rohner attendait l’arrivée de Roch. Ses traits se sont crispés. Il a fait cette grimace qui lui tire les coins de la bouche et qui le rend méconnaissable. Il n’a dit qu’un très petit mot : - Alors ? Roch a haussé les épaules et a répondu d’une voix qu’il voulait indifférente, peut-être pour atténuer le coup : - M. Chalgrin est nommé. Je suis obligé d’avouer que le visage de M. Rohner est devenu soudain très laid. J’étais profondément surpris de voir un homme d’un tel caractère abandonner ainsi toute maîtrise de soi. Avec son index gauche, il remontait les poils de sa mouche entre ses dents et les mordait. Il a crié : - C’est un intrigant ! Nous le savions ! Il n’est entré à l’Académie des Sciences que parce que je l’ai bien voulu. Si je m’y étais opposé sérieusement, il serait encore à la porte. Mais puisqu’il veut la guerre, eh bien ! Ce sera la guerre. Je le briserai, comme… comme… M. Rohner cherchait, de l’œil, quelque objet fragile et il s’est emparé d’une petite bouteille vide qui se trouvait sur la table. Il répétait : - Je le briserai comme cette bouteille ! Il a jeté la bouteille par terre, d’un geste furieux. Et il s’est passé la chose la plus ridicule du monde : la bouteille a rebondi deux ou trois fois et ne s’est point cassée. Finalement, elle a roulé comme une bille jusqu’à l’angle de la pièce. Nous avions tous envie de rire, et nous faisions de grands efforts pour n’en rien laisser paraître. »

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ANNEXE 10 MARTIN WINCKLER .Les trois médecins. Paris : P.O.L. éditeur, 2004, p. 65-66 « Cette nomination – qui doit autant à la compétence reconnue de Vargas qu’à l’amitié que lui porte Fisinger – n’a pas du tout été appréciée par le professeur Armand LeRiche, vice-doyen de la faculté. Tout, en effet, sépare les deux hommes. Gynécologue-obstétricien de son état, LeRiche méprise le microbiologiste, dont il tolère mal le caractère bohème, les méthodes pédagogiques brouillonnes et les sarcasmes permanents. Formé à une époque où les médecins disposaient de peu de chose pour soulager les souffrances et où un diagnostic précis permettait de sauver rapidement ceux qui pouvaient l’être et, au moins, de consoler ceux qui allaient mourir, Vargas fait partie des hommes qui – malgré leur spécialisation – chérissent la clinique envers et contre la technique. Il abhorre les chirurgiens – qu’il qualifie volontiers, à de rares exceptions près, d’instrumentistes décérébrés – et ne ménage pas ses attaques contre ceux qui, persifle-t-il, se vengent de leur manque d’intelligence et de sensibilité en mutilant le corps des autres. Tout en restant parfaitement courtois pendant les réunions pédagogiques et les manifestations officielles, il ne se prive jamais de rappeler aux étudiants qu’à l’époque où les pharmacologues découvraient les neuroleptiques, qui allaient soulager des milliers de psychotiques, les chirurgiens se vantaient encore de perfectionner des procédures de lobotomie ou d’hystérectomie remontant à l’âge de pierre ; il ajoute avec un sourire dévastateur que seul un chirurgien peut rêver de devenir doyen à la place du doyen. Comme LeRiche a été chargé, dès la création de la jeune faculté, de la sélection des étudiants et du premier cycle de leur formation, Vargas le considère en quelque sorte comme son ennemi naturel. Et LeRiche le lui rend bien. Vargas lui reproche, en outre, d’être l’homonyme d’un des rares chirurgiens à qui il voue de l’admiration : le professeur René LeRiche, qui, en 1937, dans Chirurgie de la douleur, s’opposa à toute la profession médicale en affirmant que la douleur n’avait rien de rédempteur ou d’utile et introduisit l’anesthésie locale. Pour Vargas, le vice-doyen de la faculté de Tourmens n’est pas seulement un sale type, c’est aussi – par cette homonymie – un escroc et un usurpateur. Malgré cette antipathie profonde et réciproque, LeRiche – par calcul – et Vargas – par loyauté – ne s’affrontent jamais ouvertement et en restent aux passes d’armes verbales et aux crocs-en jambe pédagogiques. La rivalité permanente des deux hommes, connue de tous – y compris du doyen -, a peu à peu teinté toute la vie de la fac. Dès qu’ils ont franchi le barrage du concours de première année, les étudiants sont sommés par leurs aînés de présenter le concours de l’internat, et de se rallier ainsi au groupe « dominant » que constituent les Perses – futurs chirurgiens et spécialistes de haut niveau – face à la plèbe des futurs généralistes de base. »

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ANNEXE 11 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p.55-56 « Un jour, il y a eu cette affaire en garde, une paraplégie sur une compression traumatique de la moelle qu’il opère en urgence. Vadas n’est pas responsable, mais la famille se retourne contre lui. Les collègues radiologues et orthopédistes ne le soutiennent pas et l’expert neurologue noircit son tableau dans un rapport à charge. Dans ce genre d’affaire, les collègues ne vous aident pas. On croit à tort qu’il y a une cohésion entre les médecins, rien n’est plus faux. L’expert mesure les erreurs médicales, à fort grossissement. On rencontre essentiellement des vaniteux, flattés par les fautes de leurs confrères. Ils trouvent la comparaison à leur avantage, ces spécialistes du problème résolu. Ils tirent une réelle satisfaction de nos pataugeages, même si leur qualification essentielle qui les isole du reste de notre groupe est d’avoir su trouver un appui assez influent pour être inscrit sur les listes. Ils s’érigent en représentants de la médecine française, en hommes de devoir. Nous sommes donc contrôlés par un notable assermenté, à relations avantageuses, qui endosse le rôle de l’inquisiteur. Il accuse mais ne condamne pas, le cher confrère. Il remet le pauvre hérétique au bras séculier. Il donne un avis. Le reste ne lui appartient pas. Il a la conscience légère et le détachement profond. La caution du juge transforme son service en devoir civique. Il ne pense plus en médecin, mais en fonctionnaire. Les experts seraient beaucoup plus justes s’ils étaient confraternels. »

ANNEXE 12 ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 30 « Le docteur Katz était bien connu de tous les Juifs et Arabes autour de la rue Bisson pour sa charité chrétienne et il soignait tout le monde du matin au soir et même plus tard. J’ai gardé de lui un très bon souvenir, c’était le seul endroit où j’entendais parler de moi et où on m’examinait comme si c’était quelque chose d’important. Je venais souvent tout seul, pas parce que j’étais malade, mais pour m’asseoir dans sa salle d’attente. Je restais là un bon moment. Il voyait bien que j’étais là pour rien et que j’occupais une chaise alors qu’il y avait tant de misère dans le monde, mais il me souriait toujours très gentiment et n’était pas fâché. Je pensais souvent en le regardant que si j’avais un père, ce serait le docteur Katz que j’aurais choisi. »

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ANNEXE 12 BIS ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p.64-65 « J’allais souvent m’asseoir dans la salle d’attente du docteur Katz, puisque Madame Rosa répétait que c’était un homme qui faisait du bien, mais j’ai rien senti. Peut-être que je ne restais pas assez longtemps. Je sais qu’il y a beaucoup de gens qui font du bien dans le monde, mais ils font pas ça tout le temps et il faut tomber au bon moment. Il y a pas de miracle. Au début le docteur Katz sortait et me demandait si j’étais malade mais après il s’est habitué et me laissait tranquille. D’ailleurs, les dentistes aussi ont des salles d’attente, mais ils soignent seulement les dents. Madame Rosa disait que le docteur Katz était pour la médecine générale et c’est vrai qu’il y avait de tout chez lui, des Juifs, bien sûr, comme partout, des Nord-Africains pour ne pas dire des Arabes, des Noirs et toutes sortes de maladies. Il y avait sûrement beaucoup de maladies vénériennes chez lui, à cause des travailleurs immigrés qui attrapent ça avant de venir en France pour bénéficier de la sécurité sociale. Les maladies vénériennes ne sont pas contagieuses en public et le docteur Katz les acceptait mais on n’avait pas le droit d’amener la diphtérie, la fièvre scarlatine, la rougeole et d’autres saloperies qu’il faut garder chez soi. Seulement, les parents ne savaient pas toujours de quoi il se retournait et j’ai attrapé là une ou deux fois des grippes et une coqueluche qui ne m’étaient pas destinées. Je revenais quand même. J’aimais bien être assis dans une salle d’attente et attendre quelque chose, et quand la porte du cabinet s’ouvrait et le docteur Katz entrait, tout de blanc vêtu, et venait me caresser les cheveux, je me sentais mieux et c’est pour ça qu’il y a la médecine. »

ANNEXE 13 LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 330-334 « Sa mère m’entrouvrit la porte du palier avec des précautions d’assassinat. Elle chuchotait la mère, mais c’était si fortement, si intensément, que c’était pire que des imprécations. - Qu’ai-je pu faire au ciel, Docteur, pour avoir une fille pareille ! Ah vous n’en direz du moins rien à personne dans notre quartier, Docteur !... Je compte sur vous ! – Elle n’en finissait pas d’agiter ses frayeurs et de se gargariser avec ce que pourraient en penser les voisins et les voisines. En transe de bêtise inquiète qu’elle était. Ca dure longtemps ces états-là. Elle me laissait m’habituer à la pénombre du couloir, à l’odeur des poireaux pour la soupe, aux papiers des murs, à leurs ramages sots, à sa voix d’étranglée. Enfin de bafouillages en exclamations, nous parvînmes auprès du lit de la fille, prostrée, la malade, à la dérive. Je voulus l’examiner, mais elle perdait tellement de sang, c’était une telle bouillie qu’on ne pouvait rien voir de son vagin. Des caillots. Ca faisait « glouglou » entre ses jambes comme dans le cou coupé du colonel à la guerre. Je remis le gros coton et remontai sa couverture simplement. La mère ne regardait rien, n’entendait qu’elle-même. « J’en mourrai, Docteur ! qu’elle clamait. J’en mourrai de honte ! » Je n’essayai point de la dissuader. Je ne savais que faire. Dans la petite salle à manger d’à côté, nous apercevions le père qui allait de long en large. Lui ne devait pas avoir son attitude prête encore pour la circonstance.[…] Mais la mère, elle, le tenait, le rôle capital, entre la fille et moi. Le théâtre pouvait crouler, elle s’en foutait elle, s’y trouvait bien et bonne et belle. Je ne pouvais compter que sur moi-même pour rompre ce merdeux charme. Je hasardai un conseil de transport immédiat à l’hôpital pour qu’on l’opère en vitesse. Ah ! malheur de moi ! Du coup, je lui ai fourni sa plus belle réplique, celle qu’elle attendait. - Quelle honte ! L’hôpital ! Quelle honte, Docteur ! A nous ! Il ne manquait plus que cela ! C’est un comble ! Je n’avais plus rien à dire. Je m’assis donc et l’écoutai la mère se débattre encore plus tumultueusement, empêtrée dans les sornettes tragiques. Trop d’humiliation, trop de gêne portent à l’inertie définitive. Le monde est trop lourd pour vous. Tant pis. Pendant qu’elle invoquait le Ciel et

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l’Enfer, tonitruait de malheur, je baissais le nez et baissant déconfit je voyais se former sous le lit de la fille une petite flaque de sang, une mince rigole en suintait lentement le long du mur vers la porte. Une goutte, du sommier, chutait régulièrement. Tac ! tac ! Les serviettes entre ses jambes regorgeaient de rouge. Je demandai tout de même à voix timide si le placenta était expulsé déjà tout entier. Les mains de la fille, pâles et bleuâtres au bout pendaient de chaque côté du lit, rabattues. A ma question, c’est la mère encore qui a répondu par un flot de jérémiades dégoûtantes. Mais réagir, c’était après tout beaucoup trop pour moi. […] Ahuri de fatigue mes regards erraient sur les choses de la chambre. […]. Je n’avertis point la mère à propos de la mare de sang que je voyais se former sous le lit, ni des gouttes qui tombaient toujours ponctuellement, la mère aurait crié encore plus fort et ne m’aurait pas écouté davantage. Elle finirait jamais de se plaindre et de s’indigner. Elle était vouée. […] Si cette mère avait pris un peu de temps pour souffler, et même un grand moment de silence, on aurait pu au moins se laisser aller à renoncer à tout, à essayer d’oublier qu’il fallait vivre. Mais elle me traquait. - Si je lui donnais un lavement, Docteur ? Qu’en pensez-vous ? Je ne répondis ni par oui, ni par non, mais je conseillai une fois de plus, puisque j’avais la parole, l’envoi immédiat à l’hôpital. D’autres glapissements, encore plus aigus, plus déterminés, plus stridents en réponse. Rien à faire. Je me dirigeai lentement vers la porte, en douceur. L’ombre nous séparait à présent du lit. Je ne discernais presque plus les mains de la fille posées sur les draps, à cause de leur pâleur semblable. Je revins pour sentir son pouls, plus menu, plus furtif que tout à l’heure. Elle ne respirait que par à-coups. J’entendais bien, moi, toujours, le sang tomber sur le parquet comme à petits coups d’une montre de plus en plus lente, de plus en plus faible. Rien à faire. La mère me précédait vers la porte. - Surtout me recommanda-t-elle, transie, Docteur, promettez-moi que vous ne direz rien à personne ? – Elle me suppliait. – Vous me le jurez ? Je promettais tout ce qu’on voulait. Je tendis la main. Ce fut vingt francs. Elle referma la porte derrière moi, peu à peu. »

ANNEXE 14 ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p.73-74 « Mais dans les commencements, tous les soirs furent comme ce soir où, entré chez Mme Loret, dans un petit appartement décoré d’éventails et de fleurs artificielles, il fut reçu par la mère qui lui dit avec un sourire mal dessiné : « J’espère bien que ce n’est pas la fièvre dont tout le monde parle. » Et lui, relevant drap et chemise, contemplait en silence les taches rouges sur le ventre et les cuisses, l’enflure des ganglions. La mère regardait entre les jambes de sa fille et criait sans pouvoir se dominer. Tous les soirs des mères hurlaient ainsi, avec un air abstrait, devant des ventres offerts avec tous leurs signes mortels, tous les soirs des bras s’agrippaient à ceux de Rieux, des paroles inutiles, des promesses et des pleurs se précipitaient, tous les soirs des timbres d’ambulance déclenchaient des crises aussi vaines que toute douleur. Et au bout de cette longue suite de soirs toujours semblables, Rieux ne pouvait espérer rien d’autre qu’une longue suite de scènes pareilles, indéfiniment renouvelées. Oui, la peste, comme l’abstraction, était monotone. Une seule chose peut-être changeait et c’était Rieux lui-même. Il le sentait ce soir-là, au pied du monument à la République, conscient seulement de la difficile indifférence qui commençait à l’emplir, regardant toujours la porte d’hôtel où Rambert avait disparu. Au bout de ces semaines harassantes, après tous ces crépuscules où la ville se déversait dans les rues pour y tourner en rond, Rieux comprenait qu’il n’avait plus à se défendre contre la pitié. On se fatigue de la pitié quand la pitié est inutile. Et dans la sensation de ce cœur fermé lentement sur lui-même, le docteur trouvait le seul soulagement de ces journées écrasantes. Il savait que sa tâche en serait facilitée. C’est pourquoi il s’en réjouissait. »

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ANNEXE 15 MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 219-222 « Les dossiers sous le bras, tu entres (Bougez pas, non bougez pas, le Docteur ne fait que passer vous êtes si occupées toutes deux tous quatre à discuter on ne va pas vous déranger) plus mal ? Elles répondent non, ou hochent la tête, ou posent la main sur leur ventre. - Un peu, mais ça va (Y a intérêt ! (la bouffée soudaine de haine et de rage) que ça aille, vu que le brave con de Sachs vous a (et dire qu’elle fait semblant de ne pas comprendre, et que l’autre assis à côté silencieux fait comme si de rien itou) tenu la sonde pendant près d’une demi-heure un siècle une éternité (la nappe de sueur sèche qui colle encore à la chemise) fourraillé dans ce trou sans fond qu’on […] n’a pas bien mesuré évalué (ta faute aussi, mon bon ! T’avais qu’à te méfier de ce qui te courait le long du dos quand tu n’as pas senti son pamplemousse On vous a déjà dit que votre utérus était basculé en arrière ? Visage étonné Euh, oui peut-être, de la dame. Ben voyons. Noie le poisson… A l’aide ! - Je ne le sens pas très bien. - Tu crois que ça fait plus que le terme ? - Oui… Non !... Je sais pas… - On demande une échographie ? Le brave docteur Sachs soupire d’un air fatigué hausse les épaules se retourne vers la patiente-pauvre-femme. - Oh, non. On va bien voir… Et il voit. […] D’abord la plus petite bougie qui file sans hésiter, glissouillant comme un rien dans les tréfonds humides, le col benoît sans résistance, pépère. Voyons, monte-z-en une plus grosse, 18 : facile ; 22 : oh-oh ! 24 : Ouh là là ! dans quelle galère ? et l’Agente timidement Vous voulez une vacurette neuf tout de suite ? Mais non. Le bon docteur refuse encore de traduire dans ses gestes ce qui tout dans les faits lui signifie déjà. Mais non mais non, une simple Karman huit suffira… Ben voyons. Zsssloup ! fait la huit à travers le beignet ramolli. Et s’emplit illico de liquide translucide. Aïe ! S’il y en a tant c’est que ça fait un petit peu plus de douze) subodoré sur votre figure de dame bien innocente, l’air absent de celle qui surtout ne veut rien savoir n’est pas là est ailleurs ne participe en aucune manière. Débrouillez-vous ! L’avorteur c’est vous, je ne suis que la victime innocente et désespérée, au boulot ! (grondement giclement le bocal s’emplit d’abord de jus clair la sonde ensuite se teinte mais pas beaucoup, ça vient mal et puis ça ne vient plus, là-bas ça n’accroche pas, ça glisse comme dans un conduit trop bien huilé les va-et-vient de la main, tire-pousse-tourne du poignet n’y font rien, la machine gronde toujours au même rythme, mais plus rien dans le tuyau. Bon, on se retire, on regarde un peu l’entrée. Rien. Donc c’est dedans que ça se passe. Le magma blanc veut garder le lit. On remet ça) ne dit pas, mais le pense, la dame au regard vide, tandis que le copain le coquin le mari, quand il est là, reste assis sur la chaise sans bouger sans regarder personne sans voir ni savoir… Plus tard, bien plus tard dans la chambre vos regards croisés de couple moyen, vos yeux éberlués Ah bon, c’était si avancé que ça ? feront gronder l’envie très nette de vous étrangler proprement tous les deux […]. »

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ANNEXE 16 JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 22-23 « Je connaissais bien la nouvelle venue, fille de la concierge d’un immeuble voisin. Le jour, dans la loge, elle suppléait sa mère « qui faisait des ménages » et, dès le soir tombé, errait sur les trottoirs. Elle se déshabilla : la lingerie noire et fluide s’écoula et se répandit sur une chaise. La fille eut, pour quitter son slip, un mouvement d’une aisance et d’une rapidité qui rappelait le geste merveilleusement bref du joueur de tennis renvoyant la balle. Puis elle roula ses bas en bourrelets jusqu’aux chevilles et s’étendit sur le divan. Maigre, flétrie, c’était un déchet de la carrière galante, vouée aux plus bas ouvrages. « C’est encore le ventre », me dit-elle simplement, avec un soupir. Près d’elle, une fois de plus, je souffris de la malpropreté de son corps. L’eau était rare dans la pièce unique où elle vivait avec sa mère. Je me souvenais, après une visite, m’être lavé les mains dans un étroit lavabo encombré de vaisselle ; je n’y avais vu comme objets de toilette qu’un linge visqueux accroché au robinet et un morceau de savon poli comme un galet. Ma patiente ne connaissait pas d’autres ablutions que le bain de siège des hôtels borgnes où elle gagnait sa vie. Peu remarquable au premier regard, sa malpropreté se révélait à mesure que je l’observais davantage ; un point noir marquait chaque pore ; l’ombilic était un puits obscur de saletés accumulées. Je retins mon souffle à l’odeur de marécage de ce corps malade et malpropre. Nous parlions très sérieusement, avares l’un et l’autre de nos mots. Elle m’expliquait ses troubles avec beaucoup de clarté. Aussi, notre dialogue fut bref et l’examen plus bref encore. Elle se leva et remit ses vêtements ; puis elle s’approcha de la glace, ouvrit son sac, se farda les lèvres, tandis que, penché sur mon bureau et retrouvant mon attitude habituelle d’écolier appliqué à son devoir, je rédigeais une ordonnance. »

ANNEXE 17 ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p. 168-174 « La veille même du jour où Castel vint visiter Rieux, le fils de M. Othon était tombé malade et toute la famille avait dû gagner la quarantaine. […] Quant à l’enfant, il fut transporté à l’hôpital auxiliaire, dans une ancienne salle de classe où dix lits avaient été installés. Au bout d’une vingtaine d’heures, Rieux jugea son cas désespéré. Le petit corps se laissait dévorer par l’infection, sans une réaction. De tous petits bubons, douloureux, mais à peine formés, bloquaient les articulations de ses membres grêles. Il était vaincu d’avance. C’est pourquoi Rieux eut l’idée d’essayer sur lui le sérum de Castel. Le soir même, après le dîner, ils pratiquèrent la longue inoculation, sans obtenir une seule réaction de l’enfant. A l’aube, le lendemain, tous se rendirent auprès du petit garçon pour juger de cette expérience décisive. […] Ils avaient déjà vu mourir des enfants puisque la terreur, depuis des mois, ne choisissait pas, mais ils n’avaient jamais encore suivis leurs souffrances minute après minute, comme ils le faisaient depuis le matin. Et, bien entendu, la douleur infligée à ces innocents n’avait jamais cessé de leur paraître ce qu’elle était en vérité, c’est-à-dire un scandale. Mais, jusque-là du moins, ils se scandalisaient abstraitement, en quelque sorte, parce qu’ils n’avaient jamais regardé en face, si longuement, l’agonie d’un innocent. […] Depuis un moment, Castel avait fermé son livre et regardait le malade. Il commença une phrase, mais fut obligé de tousser pour pouvoir la terminer, parce que sa voix détonnait brusquement : « Il n’y a pas eu de rémission matinale, n’est-ce pas, Rieux ? » Rieux dit que non, mais que l’enfant résistait depuis plus longtemps qu’il était normal. Paneloux, qui semblait un peu affaissé contre le mur, dit alors sourdement : « S’il doit mourir, il aura souffert plus longtemps. » Rieux se retourna brusquement vers lui et ouvrit la bouche pour parler, mais il se tut, fit un effort visible pour se dominer et ramena son regard sur l’enfant. […]

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Seul, l’enfant se débattait de toutes se forces. Rieux, qui, de temps en temps, lui prenait le pouls, sans nécessité d’ailleurs et plutôt pour sortir de l’immobilité impuissante où il était, sentait, en fermant les yeux, cette agitation se mêler au tumulte de son propre sang. Il se confondait alors avec l’enfant supplicié et tentait de la soutenir de toute sa force encore intacte. Mais une minute réunies, les pulsations de leurs deux cœurs se désaccordaient, l’enfant lui échappait, et son effort sombrait dans le vide. Il lâchait alors le mince poignet et retournait à sa place. Le long des murs peints à la chaux, la lumière passait du rose au jaune. Derrière la vitre, une matinée de chaleur commençait à crépiter. C’est à peine si on entendit Grand partir en disant qu’il reviendrait. Tous attendaient. L’enfant, les yeux toujours fermés, semblait se calmer un peu. Les mains, devenues comme des griffes, labouraient doucement les flancs du lit. Elles remontèrent, grattèrent la couverture près des genoux, et, soudain, l’enfant plia ses jambes, ramena ses cuisses près du ventre et s’immobilisa. Il ouvrit alors les yeux pour la première fois et regarda Rieux qui se trouvait devant lui. Au creux de son visage maintenant figé dans une argile grise, la bouche s’ouvrit, et presque aussitôt, il en sortit un seul cri continu, que la respiration nuançait à peine, et qui emplit soudain la salle d’une protestation monotone, discorde, et si peu humaine qu’elle semblait venir de tous les hommes à la fois. Rieux serrait les dents et Tarrou se détourna. Rambert s’approcha du lit près de Castel qui ferma le livre, resté ouvert sur ses genoux. Paneloux regarda cette bouche enfantine, souillée par la maladie, pleine de ce cri de tous les âges. Et il se laissa glisser à genoux, et tout le monde trouva naturel de l’entendre dire d’une voix, un peu étouffée, mais distincte derrière la plainte anonyme qui n’arrêtait pas : « Mon Dieu, sauvez cet enfant. » Mais l’enfant continuait de crier et, tout autour de lui, les malades s’agitèrent. Celui dont les exclamations n’avaient pas cessé, à l’autre bout de la pièce, précipita le rythme de sa plainte jusqu’à en faire, lui aussi, un vrai cri, pendant que les autres gémissaient de plus en plus fort. Une marée de sanglots déferla dans la salle, couvrant la prière de Paneloux, et Rieux, accroché à sa barre de lit, ferma les yeux, ivre de fatigue et de dégoût. Quand il les rouvrit, il trouva Tarrou près de lui. « Il faut que je m’en aille, dit Rieux. Je ne peux plus les supporter. » Mais brusquement, les autres malades se turent. Le docteur reconnut alors le cri que l’enfant avait faibli, qu’il faiblissait encore et qu’il venait de s’arrêter. Autour de lui, les plaintes reprenaient, mais sourdement, et comme un écho lointain de cette lutte qui venait de s’achever. Car elle s’était achevée. Castel était passé de l’autre côté du lit et dit que c’était fini. La bouche ouverte, mais muette, l’enfant reposait au creux des couvertures en désordre, rapetissé tout à coup, avec des restes de larmes sur son visage. […] Mais Rieux quittait déjà la salle, d’un pas si précipité, et avec un tel air, que lorsqu’il dépassa Paneloux, celui-ci tendit un bras pour le retenir. « Allons, docteur », lui dit-il. Dans le même mouvement emporté, Rieux se retourna et lui jeta avec violence : « Ah ! celui-là, au moins, était innocent, vous le savez bien ! » »

ANNEXE 18 PHILIPPE CORNET. Chair Tombale. Paris : le cherche midi, 2007, p. 30-33 « L’appel de mon nom me fit sortir de mes songeries et réaliser que je m’étais absenté de ma condition de patient dans l’attente de sa consultation. Je n’avais pas eu le temps de préparer le début de mon entretien avec le professeur. Je tenais chaque fois à me distinguer en prenant l’initiative du ton qui devait présider notre échange. Je n’étais pas dupe du caractère puéril de mon attitude qui n’avait d’autre but que de revendiquer une place à part dans la relation que ce médecin pouvait entretenir avec ses malades. Je le fréquente depuis plus de quinze ans et la solidité de notre lien s’est affirmée au gré des avatars de l’histoire de mon poids. Il est le garde-fou de mes intempérances et j’apprécie sa compréhension pérenne dont témoigne l’absence de jugement sur mon affligeant renoncement à suivre les conseils qu’il me réitère. Baillancourt est un homme mince, d’une distinction naturelle, ses yeux clairs cerclés par ses lunettes à fines montures ne semblent jamais devoir prendre de repos tant son

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attention est extrême. Une certaine indolence se détache de lui, ses gestes, empreints de lenteur mais sans cérémonie, soulignent un discours toujours clair délivré d’une voix calme et posée. La soixantaine approchant il a su garder néanmoins une allure presque juvénile. Il me fit entrer et me salua.

- Installez-vous. Alors ? Comment allez-vous ? Quelles sont les nouvelles depuis les trois derniers mois ?

- J’ai fait des efforts. J'ai maigri. Je crois. Enfin j’espère.

- Avez-vous acheté une balance ?

La pointe d’ironie qui perçait derrière la question ne m'avait pas échappé. Il connaissait mon abjection pour l’exercice des poids et mesures et mon obstination à ne pas acquérir l’engin.

- Non, c’est une impression de ceinture. Un peu comme si ma ceinture me remerciait d’avoir soulagé sa tension.

- Et vous croyez qu’elle vous en serait reconnaissante ?

- En quelque sorte oui. Vous n’imaginez pas à quel point les ceintures des gros sont détournées de leur fonction initiale. Elles ne tiennent plus les pantalons, vous savez. Elles retiennent le trop-plein des ventres.

Je voulais lui parler de l’affiche. Peut-il s’intéresser à mon illumination publicitaire insensée ? Quel crédit donnerait-il à mon assertion de me sentir épié par une femme en papier, collée sur le mur qui fait face à ma cuisine ? J’avais conscience de l’étrangeté de la situation mais sa fonction de médecin se prêtait à pouvoir m’entendre, j’y étais décidé. Je repris avec hésitation :

- Aujourd’hui, avant de venir j’ai ...

Ma phrase resta une seconde en suspens.

- Je pensais que cela vous ferait plaisir si j’avais perdu quelques kilos.

A peine eus-je dit cela que je mesurais la puérilité de mon propos, en quoi cet amaigrissement aurait-il le don de lui faire plaisir ? J’avais renoncé à l’entretenir de mon étrange rencontre.

- Je crois que le plaisir serait d’abord pour vous. Non ?

Il me proposa de me peser.

La balance affichait cent quatre-vingt-cinq kilos ! J’avais encore grossi. Quelle concorde pouvais-je encore proposer à mon corps qu’il ne trahisse aussitôt ? »

ANNEXE 19 JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris: Editions Gallimard, 2008, p. 53-54 « Je me souviens par exemple de ce patient auquel le patron annonça doctement, mais à sa manière enjouée et roborative, qu’il avait bien étudié son dossier. Voilà : il pouvait se réjouir car sa tumeur était opérable et l’intervention aurait d’ailleurs lieu très bientôt. A cette annonce, le malade marqua des signes d’agitation, mais il ne parvint pas à interrompre le flot de paroles du mandarin qui tenait à le rassurer. A l’accélération de son débit, à ses gestes nerveux, on comprenait que le patron, de toute manière, n’avait pas envie que s’engage une conversation. Les regards de noyé qu’il jetait vers la porte montraient qu’il commençait à ressentir douloureusement le besoin d’une cigarette et d’un petit verre. Après une dernière pirouette, affectant un air affairé et bourru, il tapota la main du patient et visa la porte de sortie. C’est alors que le malade put aligner deux mots. « Mais, Professeur, osa-t-il, j’ai déjà été opéré la semaine dernière. » »

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ANNEXE 20 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome V. Epilogue. Paris: Editions Gallimard, 1940, p. 111-113 « Dès qu'il eut terminé ses inhalations, Antoine noua un foulard autour de son cou pour se prémunir contre un brusque changement de température, et partit retrouver le docteur, qui chaque matin, passait une demi-heure à l’annexe, pour surveiller en personne les exercices de gymnastique respiratoire qu’il ordonnait à certains gazés. Bardot, debout au milieu de ses malades, présidait cette cacophonie essoufflée et rauque, avec une attention souriante. […] - « Je suis content », dit-il, entraînant aussitôt Antoine dans la petite pièce qui servait de vestiaire, et où ils se trouvèrent seuls. « Je craignais… Mais non : albumino-réaction négative, c’est bon signe. » Il avait tiré un papier du revers de sa manche. Antoine le prit et le parcourut des yeux : - « Je te rendrai ça ce soir, après l’avoir copié. » (Depuis le début de son intoxication, il tenait, dans un agenda spécial, un journal clinique très complet de son cas.) - « Tu restes bien longtemps à l’inhalation », gronda Bardot. « Ca ne te fatigue pas ? » - « Non, non », fit Antoine. « Je tiens beaucoup à ces inhalations. » Sa voix était faible, courte de souffle, mais distincte. « Au réveil, les sécrétions qui couvrent la glotte sont si épaisses que l’aphonie est complète. Tu vois : elle s’atténue notablement, dès que le larynx est bien récuré par la vapeur. » Bardot ne renonçait pas à son opinion : - « Crois-moi, n’en abuse pas. L’aphonie, si agaçante qu’elle soit, ce n’est qu’un moindre mal. Les inhalations prolongées risquent d’enrayer trop brusquement la toux. » Sa prononciation traînante trahissait son origine bourguignonne ; elle accentuait encore l’expression de douceur, de sérieux, qui émanait du regard. Il était assis et avait fait asseoir Antoine. Il s’appliquait à donner aux malades l’impression qu’il n’était pas pressé, qu’il avait tout le temps de les écouter, que rien ne l’intéressait plus que leurs doléances : - « Je te conseille de reprendre, ces jours-ci, une de tes potions expectorantes », dit-il, après avoir interrogé Antoine sur la journée de la veille et sur la nuit. « Terpine ou drosera, ce que tu voudras. Et dans une infusion de bourrache… Oui, oui : remède de bonne femme… Une sueur abondante, avant de s’endormir, à condition de ne pas prendre, - rien de meilleur ! » […] Il prenait plaisir à multiplier les recommandations : il croyait religieusement à l’efficacité de ses traitements, et ne se laissait décourager par aucun échec. Il n’aimait rien tant qu’à persuader autrui : et spécialement Antoine, dont il sentait, sans mesquine jalousie, la supériorité. - « Et puis », poursuivit-il, sans quitter son patient des yeux, « si tu veux modérer les sécrétions nocturnes, pourquoi pas, pendant quelques jours, une cure de sulfoarsenicale ? […] » »

ANNEXE 21 ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p.66-67 « De même, l’après-midi du même jour, Joseph Grand avait fini par faire des confidences personnelles au docteur Rieux. Il avait aperçu la photographie de Mme Rieux sur le bureau et avait regardé le docteur. Rieux répondit que sa femme se soignait hors de la ville. « Dans un sens, avait dit Grand, c’est une chance. » Le docteur répondit que c’était une chance sans doute et qu’il fallait espérer seulement que sa femme guérît. « Ah ! fit Grand, je comprends. » Et pour la première fois depuis que Rieux le connaissait, il se mit à parler d’abondance. Bien qu’il cherchât encore ses mots, il réussissait presque toujours à les trouver comme si, depuis longtemps, il avait pensé à ce qu’il était en train de dire.

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Il s’était marié fort jeune avec une très jeune fille pauvre de son voisinage. C’était même pour se marier qu’il avait interrompu ses études et pris un emploi. Ni Jeanne ni lui ne sortaient jamais de leur quartier. Il allait la voir chez elle, et les parents de Jeanne riaient un peu de ce prétendant silencieux et maladroit. Le père était cheminot. Quand il était de repos, on le voyait toujours assis dans un coin, près de la fenêtre, pensif, regardant le mouvement de la rue, ses mains énormes à plat sur les cuisses. La mère était toujours au ménage, Jeanne l’aidait. Elle était si menue que Grand ne pouvait la voir traverser une rue sans être angoissé. Les véhicules lui paraissaient alors démesurés. Un jour, devant une boutique de Noël, Jeanne, qui regardait la vitrine avec émerveillement, s’était renversée vers lui en disant : « Que c’est beau ! » Il lui avait serré le poignet. C’est ainsi que le mariage avait été décidé. Le reste de l’histoire, selon Grand, était très simple. Il en est ainsi pour tout le monde : on se marie, on aime encore un peu, on travaille. On travaille tant qu’on en oublie d’aimer. Jeanne aussi travaillait, puisque les promesses du chef de bureau n’avaient pas été tenues. Ici, il fallait un peu d’imagination pour comprendre ce que voulait dire Grand. La fatigue aidant, il s’était laissé aller, il s’était tu de plus en plus et il n’avait pas soutenu sa jeune femme dans l’idée qu’elle était aimée. Un homme qui travaille, la pauvreté, l’avenir lentement fermé, le silence des soirs autour de la table, il n’y a pas de place pour la passion dans un tel univers. Elle était restée cependant : il arrive qu’on souffre longtemps sans le savoir. Les années avaient passé. Plus tard, elle était partie. Bien entendu, elle n’était pas partie seule. « Je t’ai bien aimé, mais maintenant je suis fatiguée… Je ne suis pas heureuse de partir, mais on n’a pas besoin d’être heureux pour recommencer. » C’est en gros, ce qu’elle lui avait écrit. Joseph Grand à son tour avait souffert. Il aurait pu recommencer, comme le lui fit remarquer Rieux. Mais voilà, il n’avait pas la foi. Simplement, il pensait toujours à elle. Ce qu’il aurait voulu, c’est lui écrire une lettre pour se justifier. « Mais c’est difficile, disait-il. Il y a longtemps que j’y pense. Tant que nous nous sommes aimés, nous nous sommes compris sans paroles. Mais on ne s’aime pas toujours. A un moment donné, j’aurais dû trouver les mots qui l’auraient retenue, mais je n’ai pas pu. » Grand se mouchait dans une sorte de serviette à carreaux. Puis il s’essuyait les moustaches. Rieux le regardait. « Excusez-moi, docteur, dit le vieux, mais, comment dire ?... J’ai confiance en vous. Avec vous, je peux parler. Alors, ça me donne de l’émotion. » »

ANNEXE 22 GEORGES SIMENON. Les Anneaux de Bicêtre. Georges Simenon Limited, 1962, p. 50-51 « Un cortège passe dans le couloir avec un grand bruit de pas et de voix.

- La visite du professeur à la salle… annonce Mlle Blanche. Audoire marche en tête, deux ou trois mètres devant les autres, ses assistants et une trentaine d’élèves parmi lesquels se trouvent trois ou quatre étudiantes. Cela fait penser, en moins hiératique, à une cérémonie religieuse. Les malades doivent être assis sur leur lit et la petite troupe va de l’un à l’autre. Besson a insisté, il y a quelques années, pour que Maugras assiste à la même cérémonie tri-hebdomadaire dans son service de Broussais. La plupart des patients étaient couchés, quelques-uns mourants. Besson d’Argoulet était plus beau, plus impressionnant encore qu’à un dîner officiel, la blouse immaculée, ses cheveux argentés mis en valeur par la blancheur du calot. N’était-ce pas un jeu cruel ? Une main indifférente relevait le drap et découvrait un corps fiévreux, des malformations, des escarres, tandis que le professeur, de la voix qu’il avait en chaire, énonçait ses observations et que les élèves prenaient des notes. Le groupe passait lentement d’un lit à l’autre et des regards le suivaient, certains, à peine humains, qui n’exprimaient plus qu’une peur animale. Chacun attendait son tour, tendait l’oreille, s’efforçait de comprendre les commentaires du médecin qui auraient aussi bien pu être prononcés en latin »

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ANNEXE 23 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p.493-496 « Une exposition de malades à l’hôpital Saint-Louis « J’ai l’impression d’être un bestiau » Ce n’est pas une poupée ni une voiture ou un aspirateur, c’est une adolescente, Marie-Laure, quinze ans, l’une des soixante malades qui ont été « exposées » le jeudi 8 mars à l’hôpital Saint-Louis. Sous ses pieds posés sur une chaise, une pancarte : « Ne pas toucher. » Car, pour les autres, on touche, on touche même beaucoup. On tâte, on inspecte, on dit : « Pouvez-vous vous tourner ? » Cette effarante mise en scène a lieu chaque année en mars, pour inaugurer les Journées dermatologiques de Paris, qui réunissent traditionnellement des centaines de congressistes à l’hôpital Saint-Louis. Le premier jour est consacré à cette exhibition, les deux autres aux communications scientifiques. Les malades sont placés dans les salles de consultation de trois pavillons de dermatologie où défilent en rangs serrés les congressistes, qui commentent à voix forte les cas rares ainsi présentés. Chaque congressiste est muni d’un volumineux catalogue où, suivant la formule des musées, chaque malade porte un numéro. Les congressistes peuvent ainsi lire la description détaillée des cas et se reporter à l’original, assis sur une chaise, dûment numéroté. Le jeudi 8 mars, la palette des cas ainsi présentés a paru intéressante. En effet, au n° 20, une jeune fille en soutien-gorge a pu se faire tâter abondamment puis interroger en ces termes : « Quel âge avez-vous, ma petite chatte ? » Au n° 24, un enfant de quatre ans porte une lésion au pied. « Ça chatouille quand on te touche ? Tu seras beaucoup chatouillé aujourd’hui. » Au n°30, on a ajouté un « bis » non prévu au catalogue ; c’est un algérien qui porte, semble-t-il, une affection rare […]. Dans un autre pavillon est exposée une mongolienne, un peu plus loin un lépreux. Il est malien. Derrière son dos une grande pancarte porte la mention « Hansen ». C’est devenu une rareté. Plus loin, une dame d’une soixantaine d’années proteste à mi-voix : « c’est comme à la foire du Trône. J’ai l’impression d’être un bestiau. On ne m’avait pas dit que cela se passerait comme ça, on m’avait juste demandé si je voulais bien participer à une réunion. J’ai cinquante-huit ans et je suis très malade, j’ai été opérée à cœur ouvert et je suis très fatiguée. » Mais cette dame présente, dit le catalogue – qui donne tous les détails -, une affection du cuir chevelu. […] Un autre malade dans une autre salle est nu, son pantalon sur ses chaussures : ses lésions dermatologiques sont situées dans la zone génitale. Plus loin, une jeune femme ne lève même pas la tête : les parties à exhiber sont son cou et sa nuque. »

ANNEXE 24 JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 161 « Palabaud mort n’en avait pas fini avec les médecins. Selon la formule des billets d’autopsie, il était d’un intérêt scientifique grave que son éviscération fût pratiquée, car les cirrhoses pigmentaires sont des maladies peu fréquentes. Intéressé par le cas, le professeur Joberton de Belleville tenait à vérifier un diagnostic établi hâtivement. »

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ANNEXE 25 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 14-15 « « Je ne sais pas »… Ma devise. […] Les malades haïssent votre « Je ne sais pas ». […] Mon « Je ne sais pas » ne pouvait pas être accepté. J’ai dû le garder en moi durant d’interminables consultations qu’il aurait su abréger. J’ai dû faire croire que je connaissais les réponses à toutes les questions. J’ai dû apprendre la langue qu’on utilise dans ces cas-là, le vocabulaire médical qui vous sauve de tous les pièges. C’est une langue difficile à maîtrises. Elle explique en partie la longueur des études et les voyages imposés dans les différentes spécialités. On ne vous apprend pas à mieux comprendre les choses mais à les nommer différemment. Pour les troubles de l’équilibre chez la personne âgée, par exemple, une cause de consultation pluriquotidienne en ville, vous savez bien que les chutes sont un peu dues à tout, au vieillissement des centres de l’oreille interne, à la moins bonne perfusion des artères cérébrales, à l’arthrose cervicale, lombaire, des genoux, des hanches, à la peur de tomber, à la dépression, aux médicaments… Vous ne savez où piocher parmi ces causes, mais vous êtes seul, sans votre compagnon d’ignorance, interdit de consultation. Vous demandez alors au vocabulaire médical de venir à votre secours. Il vous offre un peu d’ischémie, un peu d’artériopathie, de trouble de la proprioception… Le tour est joué. Le patient est satisfait, il a eu ce qu’il attendait, des mots. »

ANNEXE 26 JULES ROMAIN. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 97-99 «La dame - Vous savez que je suis réellement très, très tourmentée avec mes locataires et mes titres. Je passe des nuits sans dormir. C’est horriblement fatigant. Vous ne connaîtriez pas, docteur, un secret pour faire dormir ? Knock – Il y a longtemps que vous souffrez d’insomnie ?

- Très, très longtemps. - Vous en aviez parlé au docteur Parpalaid ? - Oui, plusieurs fois. - Que vous a-t-il dit ? - De lire chaque soir trois pages du Code civil. C’était une plaisanterie. Le docteur n’a jamais

pris la chose au sérieux. - Peut-être a-t-il eu tort. Car il y a des cas d’insomnie dont la signification est d’une

exceptionnelle gravité. - Vraiment ? - L’insomnie peut être due à un trouble essentiel de la circulation intracérébrale,

particulièrement à une altération des vaisseaux dite « en tuyau de pipe ». Vous avez peut-être, madame, les artères du cerveau en tuyau de pipe.

- Ciel ! En tuyau de pipe ! L’usage du tabac, docteur, y serait pour quelque chose ? Je prise un peu.

- C’est un point qu’il faudrait examiner. L’insomnie peut encore provenir d’une attaque profonde et continue de la substance grise par la névroglie.

- Ce doit être affreux. Expliquez-moi cela, docteur. - Représentez-vous un crabe, ou un poulpe, ou une gigantesque araignée en train de vous

grignoter, de vous suçoter et de vous déchiqueter doucement la cervelle. - Oh ! (Elle s’effondre dans un fauteuil.) Il y a de quoi s’évanouir d’horreur. Voilà certainement

ce que je dois avoir. Je le sens bien. Je vous en prie, docteur, tuez-moi tout de suite. Une

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piqûre, une piqûre ! Ou plutôt ne m’abandonnez pas. Je me sens glisser au dernier degré de l’épouvante. (Un silence.) Ce doit être absolument incurable ? et mortel ?

- Non. - Il y a un espoir de guérison ? - Oui, à la longue. - Ne me trompez pas, docteur. Je veux savoir la vérité. - Tout dépend de la régularité et de la durée du traitement. »

ANNEXE 27 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation.Paris : Editions Gallimard, 1928, p. 32-34 « Quand ils retrouvèrent le Patron auprès du bébé, où l’avait conduit Studler, Philip avait déjà retiré sa jaquette et mis un tablier blanc. Calme, le masque muré, comme s’il eût été seul au monde avec l’enfant, il procédait à une investigation minutieuse, méthodique, bien que, dès le premier contact, il eût mesuré l’inefficacité de tout traitement. Héquet, silencieux, les mains fébriles, épiait le visage du praticien. L’examen dura dix minutes. Lorsque Philip eut terminé, il releva la tête et chercha Héquet des yeux. Celui-ci était devenu méconnaissable : une face morne, un regard figé entre des paupières rouges, racornies, comme desséchées par du vent et du sable. Son impassibilité était pathétique. Philip comprit, au rapide coup d’œil dont il l’enveloppa, que toute feinte était superflue, et il renonça aussitôt aux soins nouveaux qu’il s’apprêtait, par charité, à prescrire. Il dénoua son tablier, se lava rapidement les mains, remit la jaquette que l’infirmière lui présentait, et sortit de la pièce, sans un regard vers le petit lit. Héquet le suivit, puis Antoine. Dans le vestibule, les trois hommes, debout, se dévisagèrent. - « Je vous remercie d’être venu tout de même », articula Héquet. Philip secoua évasivement les épaules, et ses lèvres claquèrent avec un bruit mouillé. Héquet le considérait à travers son lorgnon. Progressivement, l’expression de ce regard devint sévère, méprisante, presque haineuse ; puis cette lueur mauvaise s’éteignit. Il balbutia, sur un ton d’excuse : - « On ne peut pas s’empêcher d’espérer l’impossible. » Philip ébaucha un geste qu’il n’acheva pas, et, sans hâte, décrocha son chapeau. Mais, au lieu de sortir, il revint vers Héquet, hésita, et gauchement, lui mit une main sur le bras. Il y eut un nouveau silence. Puis, comme s’il se ressaisissait, Philip se recula, toussa légèrement et se décida enfin à partir. Antoine s’approcha d’Héquet : - « C’est ma consultation, aujourd’hui. Je reviendrai ce soir, vers neuf heures. » Héquet, immobile, regardait stupidement la porte ouverte par où son dernier espoir venait de disparaître, avec Philip ; il remua la tête pour montrer qu’il avait entendu. »

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ANNEXE 28 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 385-387 « Et puis, c’est toujours la même chose, une catastrophe en attire une autre, je croyais que la tuberculose était une maladie qui touchait seulement les poumons, mais ça donne aussi des infections ailleurs. Je n’avais pas de règles depuis plusieurs semaines, alors mon médecin s’est inquiété, il m’a fait faire des examens et il a découvert que j’avais une tuberculose des organes génitaux. Mes ovaires, mes trompes, mon utérus, tout était touché… Le gynécologue qui a vu mes résultats d’examens, m’a déclaré brutalement : « Vous n’aurez plus d’enfants, vous êtes stérile ! » Tout le monde autour de moi m’a dit que c’était triste, mais pas grave, j’avais déjà un enfant, il y a tant de femmes qui n’en ont pas, bref, rien que des choses qui veulent vous consoler mais qui ne consolent pas du tout : je me fichais des autres, c’est de moi qu’il s’agissait… Et j’avais envie d’avoir d’autres enfants. Pas tout de suite, mais quand même. Je n’ai que vingt-huit ans. Apprendre à vingt-huit ans qu’on n’aura plus d’enfants, c’est dur… Mais personne n’avait l’air de trouver ça dur autour de moi. […] J’ai commencé à aller très mal. Je déprimais. Je me sentais de plus en plus triste, j’avais de plus en plus envie de tout laisser tomber, de plus en plus de mal à me lever, de plus en plus de mal à m’occuper de mon petit garçon… Et puis, un jour, je me mets à avoir les seins qui gonflent et me font mal. Je n’avais toujours pas vu revenir mes règles, mais je pensais qu’avec ma tuberculose, c’était normal… et comme on m’avait dit que j’étais stérile, bien sûr, je ne prenais pas de précautions… En plus, mon mari ne voulait pratiquement plus me toucher… Non, quand je dis qu’il ne voulait plus, ce n’est pas tout à fait vrai. Il voulait, il en avait envie, et moi aussi, mais il avait peur que ça me fasse mal, ou je ne sais quoi, et on le faisait quand je n’y tenais vraiment plus et que je le suppliais. Personne ne nous avait dit que c’était dangereux ; le spécialiste, une fois son diagnostic posé, nous avait carrément mis dehors, ça ne l’intéressait plus, et notre médecin, comme c’est aussi un ami, on avait du mal à lui parler de notre vie intime, vous comprenez bien… Bref, pour en avoir le cœur net – je n’avais eu mal aux seins qu’une seule fois : quand j’attendais mon fils- j’ai fait un test de grossesse. Il était positif. J’étais aux anges, vous ne pouvez pas savoir, je me disais : « Alors ils se sont trompés, je ne suis pas stérile, je peux encore avoir des enfants ! », et je suis allée, tout heureuse, annoncer ça à mon mari et à notre ami médecin. Mon mari l’a mal pris. Notre ami médecin l’a mal pris. Et quand je suis allée voir le spécialiste qui soignait ma tuberculose, il m’a dit d’un ton très froid : « Ah, mais, madame, vous prenez du Rimifon, et ce médicament est tératogène. » Je ne savais pas ce que ça voulait dire. Il m’a expliqué que le bébé que j’attendais risquait de naître avec des malformations à cause du médicament. J’ai dit que j’allais arrêter le médicament, que ça m’était égal, mais il m’a répondu que c’était trop tard, j’étais déjà enceinte de deux mois, les dommages étaient faits, il fallait que je me fasse avorter… Là, vous comprenez, c’en était trop. Après l’avortement, ma belle-famille ne m’a plus du tout adressé la parole, comme si j’avais été responsable de ce qui m’arrivait. Mon mari ne me parlait plus […]. J’aurais dû prendre des comprimés. Je voulais le faire, mais je ne savais pas quoi prendre. J’étais allée parler à notre ami médecin… je ne sais pas pourquoi je l’appelle encore comme ça… Je trouve qu’il n’a pas été très amical avec moi… Un jour… avant de faire… ça… je suis allée le voir pour parler avec lui, pour essayer de lui expliquer tout ce que j’avais sur le cœur, mais, au bout de cinq minutes, c’est lui qui a commencé à me parler de sa femme, de ses enfants, de ses problèmes de remplaçant, de je ne sais quoi… […] Un médecin, ça n’est pas là pour nous raconter ses problèmes à nous… […] C’est pour ça que j’ai voulu en finir… Je m’étais mise dans la baignoire, comme on le voit faire dans les films, j’avais fait couler un bain chaud… j’étais bien…avec des comprimés, ça aurait été bien… Mais s’entailler les veines, je ne le referai jamais, ça fait trop mal… »

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ANNEXE 29 MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 32 « Du bout du pied tu attires le tabouret juste devant la bassine métallique. Tu t’assois. Tu demandes qu’on rapproche la table roulante. Tu saisis le spéculum posé sur le plateau, tu trempes son extrémité dans le liquide translucide, tu te penches vers le sexe de la femme Je vous pose un spéculum tu écartes les lèvres du bout des doigts, tu glisses les valves mécaniques C’est froid dans l’orifice, en tournant lentement, en poussant doucement vers le bas mais c’est pas méchant. Une fois l’instrument en place, tu écartes les valves : tu cherches, au fond du tunnel ainsi formé, quelque chose qui ressemble au col utérin, une sorte de petit beignet rond, rose, centré d’un orifice parfois minuscule, parfois béant. Il arrive que le col se dérobe ; tu laisses alors le spéculum se refermer, tu le retires un peu, tu le repousses plus loin, plus bas, tu écartes à nouveau les valves, tu fouilles doucement la cavité élastique pour découvrir enfin la masse rose, plus à droite ou plus en haut que prévu. Une fois trouvée la bonne position, tu ajustes la crémaillère qui maintient les valves écartées. Derrière toi, l’Agente fait descendre le scialytique, et l’oriente dans l’axe du tunnel que tu viens d’ouvrir, pour te donner toute la lumière. Tu examines le beignet rond, au fond du spéculum.

- Avez-vous déjà eu un frottis du col, Madame ? De la main droite, tu prends sur le drap bleu la pince Longuette ; de la main gauche, tu plies une compresse stérile Un frottis c’est un examen du col de l’utérus, jusqu’à en faire une petite boule ça sert à dépister des anomalies bénignes, qui peuvent plus tard devenir cancéreuses si on ne les soigne pas, tu l’insères entre les mors de la pince, tu la trempes dans le liquide translucide.

- Je vais maintenant désinfecter votre col avec du liquide antiseptique. A. se penche vers la dame en souriant.

- C’est juste une petite toilette. Tu sors la compresse de la cupule ; tu la fais passer au-dessus du vide entre la table roulante et le corps de la femme en t’assurant qu’aucune goutte ne tombe avant qu’elle ne parvienne à l’entrée du tunnel.

- C’est mouillé. C’est désagréable, mais ça non plus ça n’est pas méchant. »

ANNEXE 30 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 586 « Tiens, je m’en souviens d’une qui dit tout du bonhomme et surtout de ceux qui étaient autour : un vieux monsieur de quatre-vingt-cinq ans est admis en chirurgie pour des métastases qui bloquent les deux reins, et le problème est à la fois simple et compliqué comme une question d’examen (rayer la mention inutile) : OU BIEN on le met en dialyse et avec ses métastases il en a pour trois à six mois avec un peu de chance, OU BIEN on le laisse tranquillement mourir de son insuffisance rénale, et là il en a pour quinze jours, qu’est-ce qu’on fait ? Top chrono. Et là, il y a les deux camps. Ceux de la vieille école : On doit tout faire pour prolonger la vie à tout prix, on n’est pas là pour le laisser mourir, et ceux de la nouvelle vague : La dialyse ça coûte cher c’est pénible ça prend du temps et de la place déjà qu’on en a pas assez et puis à son âge on va pas le greffer alors est-ce que c’est vraiment bien d’envisager ça, à son âge il a fait son temps on peut peut-être le laisser partir tranquillement. Comme on est en direction collégiale, évidemment, personne n’emporte le morceau, pas même l’agrégé, qui ne peut tout de même pas se comporter comme le calife alors qu’il n’y a même plus de grand vizir pour briguer la place. Alors on se dit peut-être qu’on pourrait demander à Zimmermann, il ne vient plus souvent parce qu’on l’a mis sur la touche, mais, officiellement, c’est encore lui le chef de service, alors pourquoi on le laisse pas se débrouiller avec la patate chaude et trouver les mots qu’il faut pour expliquer sa décision souveraine à la famille ?

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Et là, l’air de rien, le vieux Zim lève un sourcil, regarde ses interlocuteurs par-dessus ses lunettes, fait un petit sourire et dit :

- Et le malade, il en dit quoi, lui ? Les autres se regardent bouche ouverte : ils ne le lui ont pas demandé. D’ailleurs, ils ne lui ont même pas dit…

- Bon, je vais lui parler. Il entre dans la chambre, il dit bonjour monsieur, il se présente, lui serre la main, s’assied près du lit et demande :

- Que savez-vous de votre état de santé ? Et le vieux monsieur lui répond :

- Ben, comme je suis vieux mais pas sourd, j’ai entendu à travers la porte qu’avec dialyse et métastases j’en ai pour trois à six mois et que sans, j’en ai pour quinze jours.

- Et vous en pensez quoi ? - Ben, ce que j’en pense, c’est que je suis prêt à passer l’arme à gauche puisque mon heure est

venue, depuis le temps que j’ai mon âge j’ai eu le temps de m’habituer à cette idée, mais vous voyez, je suis historien et j’aimerais bien finir mon bouquin, il me reste une dizaine de chapitres à écrire, alors franchement, si ça vous dérange pas, je préfèrerais la dialyse, ça me donnerait le temps de me retourner. Et puis, si je finis très vite, le jour venu on peut toujours me débrancher pour que je m’en aille tranquillement à la dérive…»

ANNEXE 31 JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris : Editions Gallimard, 2008, p. 95-96 « Les relations ancestrales de la médecine et de la mort étaient empreintes de subtilité. En un temps (jusqu’aux années cinquante du XXe siècle) où la thérapeutique n’existait pas, le médecin avait face à la mort une attitude de bretteur gascon : fanfaron, le verbe haut, l’épée volontiers dégainée. Mais le but était surtout de donner du courage au malade, de le faire combattre, car lui seul était en état de se défendre. Quand il ne l’était plus, rien ne pouvait se substituer à ses forces défaillantes. Le médecin connaissait les caprices de la maladie, ses feintes, ses hésitations, ses méthodes joueuses. Tout son art consistait à s’attribuer bruyamment les reculades de la mort. Mais quand elle voulait vraiment s’emparer de quelqu’un, le médecin s’inclinait et saluait respectueusement ce partenaire tout-puissant. Ensuite sont venus les traitements et les victoires : les antituberculeux, les prouesses chirurgicales, les anticoagulants, les diurétiques, les antimitotiques, etc. Chacun a apporté ses petites victoires sur la maladie. Pourtant, le vrai médecin, au plus fort de ces conquêtes, n’a jamais préjugé de sa puissance. Il savait qu’un certain nombre de patients étaient encore élus pour périr et qu’il était inutile de vouloir priver la mort de ces otages. On peut traiter les embolies pulmonaires, les infarctus, les hémorragies digestives. Reste qu’une certaine proportion de ces cas, par leur caractère massif, d’emblée gravissime, est au-delà de toute thérapeutique. C’était eux que mon collègue me recommandait de laisser en paix. « Ceux qui doivent mourir… » Ce respect de la mort étendait aussi sa protection sur tous ceux qui, par leur grand âge, l’intensité de leur souffrance ou la gravité de leur pathologie étaient condamnés. La sagesse médicale consistait à savoir jusqu’où il était nécessaire de se battre. Au-delà d’un certain seuil il fallait respecter la paix du patient et le laisser accueillir la mort avec sérénité. Je ne parle pas d’euthanasie. J’évoque seulement des limites sur lesquelles la loi ne devrait pas avoir à statuer si les médecins d’aujourd’hui étaient encore ceux d’hier, des limites d’humanité et de conscience. »

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ANNEXE 32 ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 182 « - Ils vont me faire vivre de force, Momo. C’est ce qu’ils font toujours à l’hôpital, ils ont des lois pour ça. Je ne veux pas vivre plus que c’est nécessaire et ce n’est plus nécessaire. Il y a une limite même pour les Juifs. Ils vont me faire subir des sévices pour m’empêcher de mourir, ils ont un truc qui s’appelle l’Ordre des médecins qui est exprès pour ça. Ils vous en font baver jusqu’au bout et ils ne veulent pas vous donner le droit de mourir, parce que ça fait des privilégiés. J’avais un ami qui n’était même pas juif mais qui n’avait ni bras ni jambes, à cause d’un accident, et qu’ils ont fait souffrir encore dix ans à l’hôpital pour étudier sa circulation. Momo, je ne veux pas vivre uniquement parce que c’est la médecine qui l’exige. Je sais que je perds la tête et je veux pas vivre des années dans le coma pour faire honneur à la médecine. Alors si tu entends des rumeurs d’Orléans pour me mettre à l’hôpital, tu demandes à tes copains de me faire la bonne piqûre et puis de jeter mes restes à la campagne. Dans les buissons, pas n’importe où. J’ai été à la campagne après la guerre pendant dix jours et j’ai jamais autant respiré. C’est meilleur pour mon asthme. J’ai donné mon cul aux clients pendant trente-cinq ans, je vais pas maintenant le donner aux médecins.»

ANNEXE 32 BIS ROMAIN GARY (EMILE AJAR). La Vie devant soi. Paris : Mercure de France, 1975, p. 206 « Le docteur Katz mentait comme un bon arracheur de dents pour faire régner la bonne humeur, car le moral aussi, ça compte.

- Ah, voilà notre petit Momo qui vient aux nouvelles ! Eh bien, les nouvelles sont bonnes, ce n’est toujours pas le cancer, je peux vous rassurer tous, ha, ha ! […]

- Mais comme nous avons des moments difficiles, parce que notre pauvre tête est parfois privée de circulation, et comme nos reins et notre cœur ne sont pas ce qu’ils étaient autrefois, il vaut mieux que nous allions passer quelque temps à l’hôpital, dans une grande et belle salle où tout finira par s’arranger !

J’avais froid aux fesses en écoutant le docteur Katz. Tout le monde savait dans le quartier qu’il n’était pas possible de se faire avorter à l’hôpital même quand on était à la torture et qu’ils étaient capables de vous faire vivre de force, tant que vous étiez encore de la barbaque et qu’on pouvait vous planter une aiguille dedans. La médecine doit avoir le dernier mot et lutter jusqu’au bout pour empêcher que la volonté de Dieu soit faite. »

ANNEXE 33 JEAN-CHRISTOPHE RUFFIN. Un Léopard sur le garrot. Paris: Editions Gallimard, 2008, p. 96 « Malheureusement, nous avons goûté à la toute puissance et le respect de la mort est en train de faire place à la vénération de la technique. J’ai moi-même commis quelques péchés d’orgueil de cette nature. Je vois encore cette femme, dans la salle commune dont j’ai parlé, cancéreuse au stade ultime, qui me regardait préparer sur une table roulante des cathéters et une sonde. Elle respirait difficilement. Ses bras maigres étaient étendus sur le drap. Sa voix n’était qu’un souffle ; je me penchai pour distinguer ses paroles : « Laissez-moi tranquille, disait-elle. Ne me volez pas ma mort. » Je n’ai pas tenu compte de ses protestations. Elle est morte pendant que je la charcutais. Trente ans plus tard, je ne me le suis pas pardonné. »

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ANNEXE 34 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 178 « J’ai eu mon lot d’artères ratées, d’hématomes compressifs sur des jugulaires mal abordées, de trachéotomies sanglantes. J’ai monté des sondes intracardiaques qu’il fallait guider sous scope, d’une cavité à l’autre, en formant des boucles. J’ai entortillé les fils, fait des nœuds dans les oreillettes, déclenché des troubles du rythme inappareillables. J’ai fait subir mille tortures à des malades qui ne m’avaient rien fait. J’ai jonglé avec leur cœur, leurs reins, leurs poumons. J’ai connu d’effroyables intubations à l’aveugle, dans les vomissements et les convulsions, la sonde ratant la trachée, oxygénant l’œsophage. »

ANNEXE 35 JACQUES CHAUVIRE. Passage des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 315 « - Vous paraissez souffrir de plus en plus, demandait Desportes, soucieux. Jamais, aux yeux de Desportes, qui avait vu pourtant beaucoup mourir, le personnage de Montagnard n’avait acquis une telle profondeur. Montagnard n’était même pas un symbole. Il était tout simplement l’homme souffrant, excorié.

- Ah, disait Montagnard, il me semble que si je cessais de vivre, ma douleur persisterait encore, à ma place, dans ce lit, comme un souvenir

Desportes se rendait compte, une fois encore, qu’il était ignorant, démuni, et que rien, sinon les drogues qui plongent dans l’inconscience, ne parviendrait à soulager Montagnard. Avait-il le droit de les utiliser et à partir de quel seuil ? S’il les employait trop précocément, il s’avouerait vaincu par la division qu’il apporterait à l’unité de l’être. Fallait-il à tout prix apaiser ou laisser à chacun la conscience de sa propre existence ? La réponse de Fangio était simple : il fallait utiliser ces drogues à partir du moment où le malade les réclamait. Mais Montagnard ne demandait rien.

- Vous étonnez, dit un jour Montagnard à Desportes. Vous paraissez encore convaincu de l’utilité de ce que vous faites.

- Nous sommes ici pour gagner du temps, répliqua Desportes. - Et si le temps ne comptait pas ? - Mais le temps compte.

Et Desportes ajouta sur le ton de la plaisanterie : - A moins que vous ne soyez convaincu de la vie éternelle ! Vous n’auriez pas cette faiblesse.

Un grand vol de mouettes dérivait au-dessus de l’estuaire. Desportes s’agita, releva un pan de sa blouse. Des clés tintèrent dans sa poche. Il ajouta :

- On ne doit pas renoncer à soi-même. - Nous finissons tous ainsi quand nous savons que la partie est perdue. C’est une expérience

qu’il faut vivre pour comprendre, murmura Montagnard. - Votre corps vous a tellement déçu ? - Nous nous entendions bien.

Les yeux de Montagnard chavirèrent : - Maintenant, il me déçoit, ajouta Montagnard dans un souffle.

Masson baissa la tête. Jamais Desportes ne l’avait autant déçu. Son insistance enfreignait les règles de la bienséance et de la pudeur. Sans doute Desportes essayait-il de se rassurer.

- Voyez-vous, murmura Montagnard gagné par une fatigue de plus en plus grande, je crois en ma femme. J’ai foi en sa vie. Il n’est pas possible qu’elle ait disparu.

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- Accepteriez-vous, dit brusquement Desportes, d’être transféré à l’infirmerie B. J’ai longtemps espéré en l’ouverture du pavillon D. Les travaux n’y sont pas encore achevés. Dès que nous serons en mesure d’y accueillir des malades, vous serez le premier à y être admis.

- Vous n’avez pas à me demandez mon avis, répliqua Montagnard d’une voix faible. C’est votre affaire. Qu’est-ce que descendre d’un étage. Je consens volontiers.

- J’attendais de vous plus qu’un consentement, dit Desportes. - Une absolution ? Vous l’avez. Mais je sais que vous ne serez jamais satisfait. »

ANNEXE 36 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris: Editions Gallimard, 1928, p. 90- 92 « Héquet regardait Antoine. Ses lèvres remuèrent avant qu’il parlât : - « Il faut… Il faut faire quelque chose », murmura-t-il. « Elle souffre, vous savez… A quoi bon la laisser souffrir, n’est-ce pas ? Il faut avoir le courage de… de faire quelque chose… » Il se tut, parut quêter l’appui de Studler ; puis, de nouveau, fixa lourdement son regard sur celui d’Antoine. « Vous, Thibault, il faut que vous fassiez quelque chose… » Et, comme s’il voulait éviter la réponse, il baissa la tête, traversa la chambre d’un pas flottant, et disparut. Antoine demeura quelques secondes figé sur place. Puis il rougit brusquement. Des pensées confuses se pressaient dans sa tête. Studler lui toucha l’épaule : - « Eh bien ? » fit-il à voix basse, en regardant Antoine. Les yeux de Studler faisaient penser à ceux de certains chevaux, ces yeux allongés et trop vastes où, dans un blanc mouillé, nage à l’aise une prunelle languide. En ce moment, son regard, comme celui d’Héquet, était fixe, exigeant. - « Qu’est-ce que tu vas faire ? » souffla-t-il. Il y eut un bref silence pendant lequel leurs pensées se croisèrent. - « Moi ? » fit Antoine évasivement. Mais il comprit que Studler ne le tiendrait pas quitte d’une explication. « Parbleu, je sais bien… », lança-t-il tout à coup. « Et cependant, quand il dit : Faire quelque chose, on ne peut même pas avoir l’air de comprendre ! » - « Chut… », fit Studler. Il jeta un coup d’œil du côté de l’infirmière, entraîna Antoine dans le couloir et ferma la porte. - « Tu es pourtant d’avis qu’il n’y a plus rien à tenter ? » demanda-t-il. - « Rien. » - « Et qu’il n’y a plus aucun, aucun espoir ? » - « Pas le moindre. » - « Alors ? » Antoine, qui sentait une sourde agitation le gagner, s’embusqua dans un silence hostile. - « Alors ? » déclara Studler. « Il n’y a pas d’hésitation : il faut que ça finisse au plus tôt ! » - « Je le souhaite comme toi. » - « Souhaiter ne suffit pas. » Antoine releva la tête et dit fermement : - « On ne peut pourtant rien de plus. » - « Si ! » - « Non ! » Le dialogue avait pris un ton si tranchant que Studler se tut quelques secondes. - « Ces piqûres… », reprit-il enfin, « … je ne sais pas, moi… peut-être qu’en forçant la dose… » Antoine coupa net : - « Tais-toi donc ! » Il était en proie à une violente irritation. Studler l’observait en silence. Les sourcils d’Antoine formaient un bourrelet presque rectiligne, les muscles de la face subissaient d’involontaires

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contractions qui tiraillaient la bouche, et, sur son masque osseux, la peau semblait par instants onduler, comme si les frémissements nerveux se fussent propagés entre cuir et chair. Une minute passa. - « Tais-toi », répéta Antoine, moins brutalement. « Je te comprends. Ce désir d’en finir, nous le connaissons tous, mais ce n’est qu’une ten… tentation de débutant ! Avant tout, il y a une chose : le respect de la vie ! Parfaitement ! Le respect de la vie… Si tu étais resté médecin, tu verrais les choses exactement comme nous les voyons tous. La nécessité de certaines lois… Une limite à notre pouvoir ! Sans quoi… » - « La seule limite, quand on se sent un homme, c’est la conscience ! » - « Eh bien, justement, la conscience ! La conscience professionnelle… Mais réfléchis donc, malheureux ! Le jour où les médecins s’attribueraient le droit… D’ailleurs aucun médecin, entends-tu, Isaac, aucun… » - « Eh bien… », s’écria Studler, d’une voix sifflante. Mais Antoine l’interrompit : - « Héquet s’est trouvé cent fois devant des cas aussi dou… douloureux, aussi dé… désespérés que celui-ci ! Pas une fois, il n’a, lui-même, volontairement, mis un terme à… jamais ! Ni Philip ! Ni Rigaud ! Ni Treuillard ! Ni aucun médecin digne de ce nom, tu m’entends ? Jamais ! » - « Eh bien », jeta Studler, farouche, « vous êtes peut-être des grands pontifes, mais, pour moi, vous n’êtes que des jean-foutre ! » Il recula d’un pas, et la lumière du plafonnier éclaira soudain son visage. On y lisait beaucoup plus de choses que dans ses paroles : non seulement un mépris révolté, mais une sorte de défi, presque une menace, et comme une secrète détermination. « Bon », pensa Antoine : « j’attendrai onze heures pour faire moi-même la piqûre. » Il ne répondit rien, haussa les épaules, rentra dans la chambre et s’assit. »

ANNEXE 37 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La mort du père. Paris: Editions Gallimard, 1928, p. 314-317 « Dès avant minuit, la situation parut tout à fait critique. La lutte allait devenir impossible. Trois crises, d’une extrême violence, venaient d’avoir eu lieu, coup sur coup, lorsqu’une quatrième se déclara. […] Quand cette fureur de dément se fut éteinte (elle cessait inopinément comme elle avait commencé), quand enfin le malade fut recouché au milieu du lit, Antoine recula de quelques pas. Il était parvenu à une telle tension nerveuse qu’il claquait des dents. Il s’approchait frileusement de la cheminée, lorsque, levant les yeux, il aperçut dans la glace, éclairée par la flamme, son visage défait, ses cheveux ébouriffés, son regard mauvais. Il pivota sur lui-même, s’écroula dans un fauteuil, et en pressant son front entre ses mains, éclata en sanglots. Il en avait assez, assez… Le peu de force réagissante qui survivait en lui se concentrait en un désir éperdu : « Que ça finisse ! » Tout, plutôt que d’assister, impuissant, pendant une nuit encore, puis une nouvelle journée et peut-être une nouvelle nuit, à ce spectacle de l’enfer. Jacques s’était approché. A tout autre moment, il se serait jeté dans les bras de son frère ; mais sa sensibilité était émoussée autant que son énergie, et le spectacle de cette détresse, au lieu d’exalter la sienne, la paralysait. Figé sur place, il considérait avec étonnement ce visage battu, mouillé, grimaçant, et il y découvrait un aspect du passé, la figure en larmes d’un gamin qu’il n’avait pas connu. Puis une pensée lui vint, qui, plusieurs fois déjà, l’avait hanté : - « Tout de même, Antoine… Si tu demandais quelqu’un en consultation ? » Antoine haussa les épaules. N’aurait-il pas été le premier à convoquer tous ses confrères s’il y avait eu la moindre difficulté à résoudre ? Il répondit quelques mots rudes que son frère ne put saisir : les cris de douleur avaient recommencé- ce qui était l’indice d’un bref répit avant la prochaine crise. Jacques s’irrita :

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- « Mais enfin, Antoine, cherche ! » cria-t-il. « Il est impossible qu’il n’y ait pas quelque chose à faire ! » Antoine serrait les dents. Ses yeux étaient secs. Il releva le front, dévisagea brutalement son frère et murmura : - « Si. Il y a une chose qu’on peut toujours faire. » Jacques comprit. Il ne baissa pas les yeux, ne fit aucun mouvement. Antoine l’interrogeait du regard ; il balbutia : - « Tu n’y as jamais pensé, toi ? » Jacques fit un signe affirmatif, très bref. Il regardait son frère jusqu’au fond des prunelles, et il eut le sentiment fugitif que, à cette minute-là, ils se ressemblaient : même pli entre les sourcils, même expression de désespoir et d’audace, même masque « capable de tout ». […] Après une pause, ce fut encore Antoine qui parla : - « Tu le ferais, toi ? » La question était rude, directe, mais il y avait, dans la voix, une imperceptible fêlure. Jacques, cette fois, évita le regard de son frère. Il finit par répondre, entre ses dents : - « Je ne sais plus… Peut-être que non. » - « Eh bien, moi, si ! » fit Antoine aussitôt. Il s’était levé avec brusquerie. Cependant il restait debout, immobile. Il eut vers Jacques un geste hésitant de la main, et se pencha : - « Tu me désapprouves ? » Jacques, doucement, sans hésiter, répondit : - « Non, Antoine. » Ils se regardèrent de nouveau ; et, pour la première fois depuis leur retour, ils éprouvaient un sentiment qui ressemblait à de la joie. […] La décision était prise. Restait à réaliser. Quand ? Et comment ? Agir sans autre témoin que Jacques. Bientôt minuit. A une heure, l’équipe de sœur Céline et de Léon allait revenir : avant une heure, il fallait donc que ce fût fait. Rien de plus simple. D’abord une saignée, pour provoquer une faiblesse, un assoupissement qui permît d’envoyer la vieille sœur et Adrienne se reposer bien avant la relève. Une fois seul avec Jacques… Tâtant sa poitrine, il sentit sous ses doigts le petit flacon de morphine qu’il avait dans sa poche depuis… Depuis quand ? Depuis le matin de son arrivée avec Thérivier pour chercher le laudanum, il se souvenait, en effet, qu’il avait, à tout hasard, glissé dans sa blouse cette solution concentrée… et cette seringue… A tout hasard ?… Pourquoi ?…On eût dit que tout était arrêté dans sa tête et qu’il n’avait plus qu’à exécuter les détails d’un plan élaboré depuis longtemps. »

ANNEXE 37 BIS ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La mort du père. Paris: Editions Gallimard, 1928, p. 318-320 « Antoine et Jacques restent seuls. […] Antoine évite le regard de son frère : il n’éprouve plus du tout, en ce moment, le besoin de sentir une affection près de lui ; et il n’a que faire d’un complice. Il tripote, au fond de sa poche, la petite boîte nickelée. Il s’octroie encore deux secondes. Non qu’il veuille, une fois de plus, peser le pour et le contre : il s’est fait une règle de ne jamais reprendre, au moment d’agir, le débat qui a décidé l’action. Mais, contemplant au loin, dans les blancheurs du lit, ce visage que la maladie lui a rendu chaque jour plus familier, il s’abandonne un instant à la mélancolie d’un suprême élan de pitié. Les deux secondes sont écoulées. « C’aurait été moins pénible au cours d’une crise », songe-t-il, en s’avançant à pas rapides. Il tire le flacon de sa poche, l’agite, ajuste l’aiguille à la seringue et s’arrête, quêtant quelque chose des yeux. Un bref haussement d’épaules : il cherchait machinalement la lampe à alcool pour flamber la pointe de platine…

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Jacques ne voit rien : le dos penché de son frère lui cache le lit. Tant mieux. Pourtant il se décide à faire un pas de côté. Le père semble dormir. Antoine déboutonne la manche et la retrousse. « J’ai saigné le bras gauche », se dit Antoine, « piquons le droit. » Il pince un pli de chair et lève la seringue. Jacques crispe sa main sur sa bouche. L’aiguille s’enfonce d’un coup sec. Une plainte échappe au dormeur ; l’épaule a frémi. Dans le silence, la voix d’Antoine : - « Bouge pas… C’est pour te soulager, Père… » « La dernière fois qu’on lui parle », pense Jacques. Le niveau du liquide ne baisse pas vite dans la seringue de verre… Si on entrait… Est-ce fini ? Non. Antoine a laissé l’aiguille piquée dans la peau ; il détache délicatement la seringue et l’emplit une seconde fois. Le liquide descend de moins en moins vite… Si on entrait… Encore un centimètre cube… Que c’est lent !... Encore quelques gouttes… Antoine retire l’aiguille d’un geste prompt, essuie la place gonflée où suinte une perle rose, puis il reboutonne la chemise et relève la couverture. Sûrement, s’il était seul, il s’inclinerait vers ce front blême : c’est la première fois, depuis vingt ans, qu’il a envie d’embrasser son père… Il se redresse, recule d’un pas, glisse les ustensiles dans sa blouse, et regarde autour de lui si tout est en ordre. Enfin, il tourne la tête vers son frère, et son regard, indifférent et sévère, semble dire simplement : - « Voilà. » »

ANNEXE 38 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 28-30 « Après Evelyne, je me suis souvenu de mes premières années d’internat et des gens qu’il avait fallu aider à mourir, comme on dit. Les infirmières n’aimaient pas ça. Il s’agissait de personnes très âgées, très malades, dans le coma et qui mettaient beaucoup de temps à mourir. On faisait ce qu’il fallait, c'est-à-dire qu’on laissait l’interne s’occuper de la chose. En pratique cela se passait soit par perfusion d’un « cocktail lytique » qui contenait de la morphine, du Valium et des neuroleptiques, mais les infirmières rechignaient car elles devaient changer les flacons et la mort par dépression respiratoire est longue et pénible à voir et vient toujours la nuit où ne sont pas les médecins, soit, encore à cette époque, pour les comateux en phase pré-agonique, par injection directe de potassium dans la tubulure. L’injection était faite avec un certain recueillement, avec des pensées simples et justes et d’autres parfois, celles qui assaillent les esprits pieux en prière, des inavouables que l’on ne reconnaît pas comme siennes, des impressions de pouvoir et d’excitation, des tentations dont on accuse les mauvais anges. Les infirmières préparent la seringue de potassium avec dignité, pénétrées de la solennité du moment. Elles la remettent au médecin volontaire avec un air douloureux, puis le quittent. C’est très rapide. Si le scope est branché, vous voyez l’arrêt cardiaque au bout du doigt. Vous établissez un lien direct entre le geste et la mort du patient. Il n’y a aucun doute. En première année d’internat. J’avais 24 ans. A posteriori, je trouve que l’on devrait pousser la seringue à plusieurs mains, avec un chef, une surveillante, un directeur d’hôpital, un représentant du ministère ou mettre plusieurs seringues dont l’une ne serait pas chargée pour que chacun puisse se croire innocent dans le peloton. L’injection de potassium restait dans les doigts de ceux qui l’avaient faite et de ceux qui l’avaient vu faire. Je me suis dit plus tard que je n’avais pas mérité ça. Toutes ces choses qu’on m’obligeait à vivre. C’était trop. Je jouais le jeu du détachement. Je ne me rendais pas compte que je faisais semblant d’oublier et que j’aurais des rendez-vous avec tous ces malades et tous ces morts. »

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ANNEXE 39 MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Le mariage d’Isabelle. Paris : Plon, 1993, p. 79-80 « Le médecin se releva enfin, éteignit sa lampe, rejeta ses parures de robot, redevint le Lartois habituel.

- Eh bien, ma chère petite… dit-il. Une grande bouffée de soulagement enfla la poitrine d’Isabelle. Le professeur eût-il pu avoir cette parole posée, ces gestes tranquilles, si ce qu’elle redoutait tant… Et elle entendit : - … je vous annonce que vous êtes enceinte. Vous vous en doutiez un peu, n’est-ce pas ? Lartois ajouta encore quelque chose mais qui, pour Isabelle, sombra dans la tempête. Elle sentit à peine ses cuisses revenir à la position horizontale. - J’en étais sûre, murmurait-elle. C’est épouvantable… J’en étais sûre. C’est épouvantable. - Oui, évidemment, évidemment… je comprends, c’est fort ennuyeux, dit Lartois. Mais vous n’êtes pas la première à qui cela arrive, vous savez ; et à vous-même, cela arrivera sans doute encore… Dans un sens, voyez- vous, j’en suis assez content. Je vous voyais ; je me disais : « Cette pauvre petite Isabelle est en train de se dessécher ; elle tourne à la vieille fille. » Eh bien, vous avez commencé à vivre. C’est très bien. Elle ne répondait pas. Elle l’entendait mal. Elle était toujours étendue et sans force. Elle ne sentait pas qu’il continuait à la palper, doucement. […] - Mais qu’est-ce que je vais faire ? Qu’est-ce que je vais devenir ? gémit Isabelle. - Ma chère petite, vous allez commencer par ne pas faire de bêtises ! Elle crut qu’il faisait allusion au suicide, car c’était la seule issue qu’elle entrevît dans le moment présent. - Si vous voulez agir, rien pendant la période qui va de un mois à six semaines, donc, pour vous, période pratiquement passée, et rien au-delà de deux mois et demi ; je vous préviens, dit Lartois en reprenant son ton incisif. Je vous déclare aussi que je n’aime guère, vous le pensez bien, me mêler à ce genre de choses. Qu’une histoire de la sorte vienne à s’ébruiter, qu’on puisse seulement supposer que… et je me fermerais l’Académie à jamais. Mais je voudrais vous éviter de tomber, par affolement, dans n’importe quelles mains. N’entreprenez rien sans venir me revoir, hein ! Isabelle alors éclata en sanglots. »

ANNEXE 40 OLIVIER KOURILSKY. Meurtre avec prémédication. Paris : Editions Glyphe, 2007, p. 10-11 « Les vacances approchaient et il se sentait d’humeur légère. Surtout après la garde de réanimation épouvantable qu’il venait de vivre. Encore une complication dramatique d’un avortement clandestin. Infection gravissime avec troubles de la coagulation, hémorragie cataclysmique ; ablation de l’utérus en extrême urgence au milieu de la nuit. Mais au moins, même si cette jeune femme de trente-quatre ans ne pourrait plus jamais avoir d’enfants, elle aurait la vie sauve. Ce n’était malheureusement pas le cas de toutes celles qui étaient admises pour ce genre de problème… […] N’empêche, Joël avait passé pratiquement toute la nuit debout, accompagné la patiente au bloc opératoire, et dû ensuite tenter de rassurer la famille. Et cette fois, il y avait non seulement le mari, mais aussi un gamin de treize ans, à deux doigts de se retrouver orphelin ! »

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ANNEXE 41 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 187-188 « […] je me souvenais de l’époque où Bram Sachs m’avait appris à pratiquer un curetage, au début des années cinquante, dans l’une des salles de son service. Je me souviens de nos conversations, une fois la patiente miséricordieusement endormie par une potion à la morphine et installée dans un lit où sa famille viendrait lui rendre visite en la consolant de sa fausse couche inopinée et en se félicitant des bons soins qu’elle avait reçus dans le service. Un jour, je lui ai demandé pourquoi il s’était mis, lui, un accoucheur, un donneur de vie, à faire des avortements. Il avait soupiré, calé ses reins contre la paillasse, ôté son calot et son masque et répondu : « Ceux qui élèvent le plus la voix- et brandissent leur veto- en public contre les avortements clandestins n’hésitent jamais à faire avorter leurs femmes ou leurs maîtresses quand ça les arrange. Un jour, un très, très grand bourgeois, catholique pratiquant, est venu me demander d’avorter… sa propre fille. Il m’offrait beaucoup, beaucoup d’argent. Je lui ai demandé pourquoi il venait me demander ça à moi. Il m’a répondu avoir entendu dire que je le faisais souvent, parce que j’étais juif et qu’un avortement, aux yeux d’un Juif, ça n’était pas un péché. Je lui ai répondu avec un grand sourire qu’il avait manifestement une très haute opinion des Juifs mais que je ne pratiquais jamais ce genre d’intervention sur commande. Surtout sur une femme qui ne m’avait rien demandé. Et encore moins à la requête de son père, car cela me paraissait contraire à l’enseignement des Evangiles. Evidemment, je ne l’ai jamais revu. Or, voyez-vous, je n’avais jamais avorté une femme avant ce jour. Je me suis dit que si le bruit courait déjà que j’étais un avorteur, autant qu’il coure pour de vrai. Et, à partir de ce moment-là, j’ai commencé à pratiquer des avortements dans ma clinique - sans jamais demander un sou, bien entendu. Le plus drôle, c’est que, dans les milieux les plus respectables, on s’est mis à voir en moi un farouche adversaire de l’avortement… » »

ANNEXE 42 JEAN REVERZY. A La recherche d’un miroir. Le Médecin et l’Argent. Paris : Flammarion, 1977, p. 449-450 « La consultation, tête à tête du malade et du docteur, ressemble à une tragédie en quatre actes. Premier acte : deux êtres se trouvent face à face et cherchent à se reconnaître. Deuxième acte : le malade se dépouille de ses vêtements, exhibe son corps nu à celui qu’il connaît depuis dix minutes et qui le palpe et l’ausculte. Troisième acte : le malade se rhabille. De part et d’autre la sympathie et la confiance sont évidentes et sous-entendues. Le docteur explique, conseille, calme des inquiétudes ; mais la pièce n’est pas finie : le quatrième acte, fort bref, va commencer ; il faut payer la consultation. Moment redoutable. Et voilà que le dialogue se trouble ; le patient, si empressé soit-il de verser son obole, tarde à tendre les billets ou met trop d’empressement à le faire. Et le médecin, plus encore que l’autre, éprouve de l’embarras : le ton baisse ou s’élève, les mots partent mal. Cette gêne à demander de l’argent honore le praticien : s’il se sent mal à l’aise, c’est qu’il a tout à coup changé de rôle ; et celui de commerçant ne lui convient guère. Le négociant ignore ces pudeurs à réclamer son dû ; mais le médecin en souffre. Avant de dire : « Vous me devez tant… » il connaît un secret débat et il lui est douloureux de monnayer la sympathie, la confiance, le dévouement. »

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ANNEXE 43 LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 335-336 « Les malades ne manquaient pas, mais il n’y en avait pas beaucoup qui pouvaient ou voulaient payer. La médecine, c’est ingrat. Quand on se fait honorer par les riches, on a l’air d’un larbin, par les pauvres on a tout du voleur. Des « honoraires » ? En voilà un mot ! Ils n’en ont déjà pas assez pour bouffer et aller au cinéma les malades, faut-il encore leur en prendre du pognon pour faire des « honoraires » avec ? Surtout dans le moment juste où ils tournent de l’œil. C’est pas commode. On laisse aller. On devient gentil. Et on coule. Au terme de janvier j’ai vendu d’abord mon buffet, pour faire de la place, que j’ai expliqué dans le quartier et transformer ma salle à manger en salle de culture physique. Qui m’a cru ? Au mois de février pour liquider les contributions, j’ai bazardé encore ma bicyclette et le gramophone, que m’avait donné Molly en partant. Il jouait « No More Worries! » J’ai même encore l’air dans la tête. C’est tout ce qui me reste. Mes disques, Bézin les a eus longtemps dans sa boutique et puis tout de même il les a vendus. Pour faire encore plus riche j’ai raconté alors que j’allais m’acheter une auto aux premiers beaux jours, et qu’à cause de ça je me faisais un peu de liquide d’avance. C’est le culot qui me manquait au fond pour exercer la médecine sérieusement. Quand on me reconduisait à la porte, après que j’avais donné à la famille les conseils et remis mon ordonnance, je me lançais dans des tas de commentaires rien que pour éluder l’instant du paiement quelques minutes de plus. Je ne savais pas faire ma putain. Ils avaient l’air si misérables, si puants, la plupart de mes clients, si torves aussi, que je me demandais toujours où ils allaient les trouver les vingt francs qu’il fallait me donner, et s’ils allaient pas me tuer en revanche. J’en avais tout de même bien besoin moi des vingt francs. Quelle honte ! J’aurais jamais fini d’en rougir. « Honoraires !... » Qu’ils continuaient à intituler ça les confrères. Pas dégoûtés ! Comme si le mot en faisait une chose bien entendue et qu’on avait plus besoin d’expliquer… Honte ! moi que je pouvais pas m’empêcher de me dire et y avait pas à en sortir. On explique tout, je le sais bien. Mais n’empêche que celui qui a reçu les cent sous du pauvre et du méchant est pour toujours un beau dégueulasse ! C’est même depuis ce temps-là que je suis certain d’être aussi dégueulasse que n’importe quel autre. C’est pas que j’aie fait des orgies et des folies avec leurs cent sous et leurs dix francs. Non ! Puisque le propriétaire m’en prenait le plus grand morceau, mais tout de même, ça non plus c’est pas une excuse. On voudrait bien que ça en soye une, mais c’en est pas une encore. Le propriétaire c’est pire que de la merde. Voilà tout. »

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ANNEXE 44 JULES ROMAINS. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 79-80 « Knock – Dans un canton comme celui-ci nous devrions, vous et moi, ne pas pouvoir suffire à la besogne. Mousquet – C’est juste.

- Je pose en principe que tous les habitants du canton sont ipso facto nos clients désignés. - Tous, c’est beaucoup demander. - Je dis tous. - Il est vrai qu’à un moment ou l’autre de sa vie, chacun peut devenir notre client par occasion. - Par occasion ? Point du tout. Client régulier, client fidèle. - Encore faut-il qu’il tombe malade ! - « Tomber malade », vieille notion qui ne tient plus devant les données de la science actuelle.

La santé n’est qu’un mot, qu’il n’y aurait aucun inconvénient à rayer de notre vocabulaire. Pour ma part, je ne connais que des gens plus ou moins atteints de maladies plus ou moins nombreuses à évolution plus ou moins rapide. Naturellement, si vous allez leur dire qu’ils se portent bien, ils ne demandent qu’à vous croire. Mais vous les trompez. Votre seule excuse, c’est que vous ayez déjà trop de malades à soigner pour en prendre de nouveaux. »

ANNEXE 44 BIS JULES ROMAINS. Knock. Paris: Editions Gallimard, 1924, p. 129-131 « Knock, fouillant dans son portefeuille. – A titre tout à fait confidentiel, je puis vous communiquer quelques-uns de mes graphiques. Vous les rattacherez sans peine à notre conversation d’il y a trois mois. Les consultations d’abord. Cette courbe exprime les chiffres hebdomadaires. Nous partons de votre chiffre à vous, que j’ignorais, mais que j’ai fixé approximativement à 5. Le Docteur – Cinq consultations par semaine ? Dites le double hardiment, mon cher confrère.

- Soit. Voici mes chiffres à moi. Bien entendu, je ne compte pas les consultations gratuites du lundi. Mi-octobre, 37. Fin octobre : 90. Fin novembre : 128. Fin décembre : je n’ai pas encore fait le relevé, mais nous dépassons 150. D’ailleurs, faute de temps, je dois désormais sacrifier la courbe des consultations à celle des traitements. Par elle-même, la consultation ne m’intéresse qu’à demi : c’est un art un peu rudimentaire, une sorte de pêche au filet. Mais le traitement, c’est de la pisciculture.

- Pardonnez-moi, mon cher confrère : vos chiffres sont rigoureusement exacts ? - Rigoureusement. - En une semaine, il a pu se trouver, dans le canton de Saint-Maurice, cent cinquante personnes

qui se soient dérangées de chez elles pour venir faire queue, en payant, à la porte du médecin ? On ne les y a pas amenées de force, ni par une contrainte quelconque ?

- Il n’y a fallu ni les gendarmes, ni la troupe. - C’est inexplicable. - Passons à la courbe des traitements. Début octobre, c’est la situation que vous me laissiez ;

malades en traitement régulier à domicile : 0, n’est-ce pas ? (Parpalaid esquisse une protestation molle.) Fin octobre : 32. Fin novembre : 121. Fin décembre… notre chiffre se tiendra entre 245 et 250.

- J’ai l’impression que vous abusez de ma crédulité.

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- Moi, je ne trouve pas cela énorme. N’oubliez pas que le canton comprend 2853 foyers, et là-dessus 1502 revenus réels qui dépassent 12 000 francs.

- Quelle est cette histoire de revenus ? - Vous ne pouvez tout de même pas imposer la charge d’un malade en permanence à une

famille dont le revenu n’atteint pas douze mille francs. Ce serait abusif. Et pour les autres non plus, l’on ne saurait prévoir un régime uniforme. J’ai quatre échelons de traitements. Le plus modeste, pour les revenus de douze à vingt mille, ne comporte qu’une visite par semaine, et cinquante francs environ de frais pharmaceutiques par mois. Au sommet, le traitement de luxe, pour revenus supérieurs à cinquante mille francs, entraîne un minimum de quatre visites par semaine, et de trois cents francs par mois de frais divers : rayons X, radium, massages électriques, analyses, médication courante, etc… »

ANNEXE 45 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 277-278 « Le pire de ceux que j’ai rencontrés était un nommé Cambillard, un concurrent. Son obsession dans la vie n’était pas le malade, mais le client. Il avait résolu le problème métaphysique posé par la médecine grâce à un diplôme de gestion financière, obtenu presque en même temps que son doctorat. Il était peu compétent et franchement méprisé par la plupart de ses confrères. Il n’avait laissé aucun souvenir particulier à l’hôpital où il était brièvement passé. On ne voyait jamais ses malades dans les grands services parisiens. Il vivait en marge et très confortablement. De la clientèle, il en avait, beaucoup, des gens qui payaient plus cher qu’ailleurs, étaient moins bien soignés, mais qui lui vouaient une forme d’admiration confiante, inexplicable. Ses patients étaient persuadés d’avoir affaire au meilleur neurologue élu, assez aimable d’accepter leur humble participation à son train de vie princier. Il y avait beaucoup de médecins comme lui, installés dans des quartiers adaptés, qui se sacraient eux-mêmes rois de leur spécialité, assez talentueux pour convaincre les malades de leur onction divine. Ils créaient des sectes autour d’eux, solidarisés par l’animosité qui les entourait. Leurs disciples étaient des fidèles actifs, prêts au prosélytisme le plus performant. C’est étrange, ces réputations, ces rumeurs qui courent autour de certains médecins, de certaines cliniques où ne vont que certaines catégories de gens, toujours plus mal soignés qu’ailleurs mais contents, rassurés par l’argent dépensé et le maintien dans leur groupe. »

ANNEXE 46 LOUIS FERDINAND CELINE. Voyage au bout de la nuit. Paris: Editions Gallimard, 1952, p. 323-328 « Tout de même, ils voulaient à toute force me la montrer la vieille, j’étais venu pour ça, et pour qu’elle nous reçoive, ça a été une fameuse manigance. Et puis, pour tout dire, je ne voyais pas très bien ce qu’on me voulait. C’est la concierge, la tante à Bébert, qui leur avait répété que j’étais un médecin doux, bien aimable, bien complaisant… Ils voulaient savoir si je pouvais pas la faire tenir tranquille leur vieille rien qu’avec des médicaments… Mais ce qu’ils désiraient encore plus, au fond (elle surtout, la bru), c’est que je la fasse interner la vieille une fois pour toutes. […] Une petite tête bistre et futée, qu’elle avait, la belle-fille. Ses coudes ne se détachaient guère de son corps quand elle parlait. Elle ne mimait rien. Elle tenait tout de même à ce que cette visite médicale ne soit point vaine, qu’elle puisse servir à quelque chose… Le prix de la vie augmentait sans cesse… La pension de la belle-mère ne suffisait plus… Eux aussi vieillissaient après tout… Ils ne pouvaient plus

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être comme autrefois à avoir peur toujours que la vieille meure sans soins… Qu’elle mette le feu par exemple… Dans ses puces et ses saletés… Au lieu d’aller dans un asile bien convenable où on s’occuperait bien d’elle… Comme je prenais l’air d’être de leur avis, ils se firent encore plus aimables tous les deux… ils me promirent de répandre beaucoup de paroles élogieuses sur mon compte dans le quartier. Si je voulais les aider… Prendre pitié d’eux… Les débarrasser de la vieille… Si malheureuse elle aussi dans les conditions où elle s’entêtait à demeurer… - Et qu’on pourrait même louer son pavillon, suggéra le mari soudain réveillé… C’était la gaffe, qu’il venait de commettre en parlant de ça devant moi. Sa femme lui écrasa le pied sous la table. Il ne comprenait pas pourquoi. Pendant qu’ils se chamaillaient je me représentais le billet de mille francs que je pourrais encaisser rien qu’à leur établir le certificat d’internement. Ils avaient l’air d’y tenir énormément… La tante à Bébert les avait sans doute mis en confiance à mon égard et leur avait raconté qu’il n’y avait pas dans tout Rancy un médecin aussi miteux… Qu’on m’aurait comme on voudrait… C’est pas Frolichon à qui on aurait offert un boulot semblable ! C’était un vertueux celui-là ! J’en étais tout pénétré de ces réflexions quand la vieille vint faire irruption dans la pièce où nous complotions. On aurait dit qu’elle se doutait. Quelle surprise ! Elle avait ramassé ses chiffons de jupes contre son ventre et la voilà qui nous engueulait d’emblée, retroussée, et moi en tout particulier. Elle était venue rien que pour ça du fond de sa cour. - Fripouille ! qu’elle m’insultait moi directement, tu peux t’en aller ! Fous ton camp, je te l’ai déjà dit ! C’est pas la peine de rester !... J’irai pas chez les fous !... Et chez les Sœurs non plus que je te dis !... T’auras beau faire et beau mentir !... Tu m’auras pas, petit vendu !... C’est eux qui iront avant moi, les salauds, les détrousseurs de vieille femme !... Et toi aussi canaille, t’iras en prison que je te dis moi et dans pas longtemps encore ! Décidément, j’avais pas de veine. Pour une fois qu’on pouvait gagner mille francs d’un coup ! Je ne demandai pas mon reste. Dans la rue elle se penchait encore au-dessus du petit péristyle rien que pour m’engueuler de loin, en plein dans le noir où j’étais réfugié : « Canaille !... Canaille ! » qu’elle hurlait. Ca résonnait. »

ANNEXE 47 ROGER MARTIN DU GARD. Les Thibault. Tome II. La consultation. Paris: Editions Gallimard, 1928 renouvelée en 1955, p. 65-68 « Il fut très surpris, en reconduisant le gamin, de trouver, assise sur la banquette du vestibule, Miss Mary, l’Anglaise au teint de fleur. Elle se leva lorsqu’il vint vers elle, et l’accueillit par un long, silencieux, adorable sourire ; puis, d’un air résolu, elle lui tendit une enveloppe bleutée. Cette attitude, si différente de la réserve qu’elle avait montrée deux heures plus tôt, ce regard énigmatique et décidé, éveillèrent, chez Antoine, sans qu’il sût au juste pourquoi, l’idée d’une situation insolite. Intrigué, il restait debout dans le vestibule et décachetait déjà l’enveloppe armoriée, lorsqu’il vit que l’Anglaise se dirigeait d’elle-même vers son cabinet, dont la porte était restée ouverte. Il la suivit, tout en dépliant la lettre. « Mon cher Docteur, « J’ai deux petites requêtes à vous adresser, et pour qu’elles ne soient pas mal perçues, je les confie au commissionnaire le moins rébarbatif que j’aie trouvé. « Primo : Cette étourdie de Mary a sottement attendu d’être sortie de chez vous pour m’avouer qu’elle se sentait patraque depuis quelques jours, et que la toux l’avait empêchée de dormir ces dernières nuits. Auriez-vous l’amabilité de l’examiner en détail et de lui donner quelques conseils ? « Secundo : Nous avons, à la campagne, un ancien garde-chasse qui souffre horriblement d’un rhumatisme déformant. En cette saison, c’est une véritable torture. Simon a pris en pitié le pauvre

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vieux et lui fait des piqûres calmantes. Nous avons toujours de la morphine dans notre pharmacie, mais les dernières crises ont complètement épuisé notre provision, et Simon m’a bien recommandé de lui en rapporter, ce qui n’est pas possible sans une autorisation de médecin. J’ai totalement oublié de vous parler de cela cet après-midi. Vous seriez gentil de remettre à ma séduisante commissionnaire une ordonnance, si possible renouvelable, pour que je puisse me procurer immédiatement cinq ou six douzaines d’ampoules d’un centimètre cube. « Je vous remercie d’avance pour ce secundo. Quant au primo, mon cher Docteur, lequel de nous deux devrait remercier l’autre ? Vous ne devez pas manquer de clientes moins agréables à ausculter… « Mon sympathique souvenir, « Anne-Marie S. DE BATTAINCOURT […] » Antoine avait terminé sa lecture, mais il ne relevait pas encore la tête. Son premier mouvement avait été de colère : pour qui le prenait-on ? Le second fut de trouver l’histoire piquante, et de s’en amuser. Il connaissait, pour y avoir été pris lui-même, le jeu des deux glaces qui ornaient son cabinet. Tel qu’il était placé, un coude sur la cheminée, il pouvait apercevoir l’Anglaise sans bouger, rien qu’en déplaçant les pupilles sous ses paupières baissées. Ce qu’il fit. Miss Mary était assise un peu en arrière de lui ; elle se dégantait ; elle avait dégrafé son manteau, dégagé le buste, et regardait, avec une feinte distraction, le bout de son pied taquiner la frange d’un tapis. Elle semblait à la fois intimidée et intrépide. S’imaginant qu’il ne pouvait pas la voir sans changer de place, elle souleva brusquement ses longs cils, et lança vers lui un coup d’œil bleu et bref comme une étincelle. Cette imprudence eut raison des derniers doutes d’Antoine, qui se retourna. »

ANNEXE 48 JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 138-139 « Je connaissais le maître depuis bien longtemps. Son souvenir datait du premier jour de mes études de médecine. Ce matin-là, un interne à qui j’étais recommandé m’avait guidé, à travers une cohue d’assistants et d’étudiants en blouse blanche, jusqu’au professeur qui venait d’arriver dans son service. Je me trouvai face à face avec un homme jeune encore, à mine chétive et morose, vêtu d’un costume élimé. Pendant qu’il endossait le sarrau que lui tendait une religieuse, il me regarda d’un œil triste et défiant. L’interne le pria de m’accepter dans son service. […] J’étais vite devenu un familier de son service. Eternellement fatigué et morose, il parcourait les salles et s’arrêtait de loin en loin devant un lit ; un externe faisait la lecture de l’observation ; le patron l’écoutait à peine et scrutait le patient de son regard noir où je retrouvais souvent l’expression inquiète de notre première rencontre. La lecture achevée, il posait quelques questions d’une voix paresseuse. Une religieuse qui ne le quittait jamais et dont l’importance dans le service était immense, savait très habilement glisser que tel malade était bon chrétien et qu’un prêtre l’avait recommandé ; alors la voix monotone du maître se faisait douce ; dans ses yeux brillait la belle lumière d’une charité infinie. »

ANNEXE 49 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 601 « Quand j’étais externe en neurologie, le patron nous a emmenés, trois autres étudiants et moi, dans la chambre d’une très jeune femme qui présentait des symptômes marqués de sclérose en plaques. Elle pleurait en permanence. Nous y sommes entrés à 9 heures, nous en sommes sortis à midi et demi. Il nous a imposé à tous les quatre de l’examiner parce que, disait-il, nous devions bien comprendre de quoi il retournait. Le lendemain, il nous a emmenés voir un homme d’une quarantaine d’années qui souffrait d’une maladie de Parkinson. Avant d’entrer il nous a dit qu’il n’était pas nécessaire d’imposer à ce patient un examen clinique répété et qu’il l’examinerait seul. J’ai demandé pourquoi la patiente de la veille n’avait pas eu droit à ce traitement de faveur. Il a répondu : Les hommes et les femmes, c’est différent. Les femmes sont tellement plus difficiles à appréhender… »

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ANNEXE 50 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p. 89-90 « Le service Porte recueillait les dépouilles. Un hall de transit d’une dizaine de lits annexés aux urgences, première étape dans l’itinéraire de délestage de nos remords. Ce service permettait à l’interne, confronté à la saturation de tous les lits de son hôpital, d’économiser les heures passées au téléphone pour diriger le patient dont personne ne voulait. La moitié de la durée des gardes disparaissait dans la recherche du service où placer le malade à hospitaliser. La sectorisation des urgences, à chaque quartier son hôpital, ne suffisait pas à éviter l’encombrement. Il fallait donc diriger. Le pistage des lits pouvait tourner au marathon diplomatique. J’en ai reçu des coups de fil des urgences, moi, du bon côté, écoutant, goguenard, mon collègue se débattre pour me rendre désirable son hémiplégique de 89 ans, pas trop mal finalement, peut-être un peu confus, pas tout à fait continent, avec un petit train fébrile et un léger encombrement respiratoire, avec enfin une famille d’allure serviable prête à le reprendre au plus vite, après un passage éclair dans mon service, j’avais sa parole… Chacun avait son style pour vendre ce genre de malade, le style détaché, autoritaire, suppliant ou résigné, celui que j’avais naturellement adopté. Ces malades qu’on appelle tendrement des « pannes », vos collègues vous les ont si souvent refusés que vous ne ressentez plus aucune culpabilité en affirmant que votre salle est absolument pleine, fermée, en désinfection, en travaux. Votre frère des urgences aura beau faire, la perspective de garder trois mois son vieil accident vasculaire remplira les lits les plus vides, d’air s’il le faut. Tout le monde vous pousse à résister à ces patients, chacun a ses raisons. La surveillante et ses infirmières pour la charge des soins, les patrons qui veulent un service dynamique, l’interne qui veut apprendre et faire tourner les lits, l’assistante sociale submergée par les demandes de placement en attente. On les traite mal ces malades, sans méchanceté. On joue avec eux, comme à la Bourse, chacun a sa cote. C’est l’âge, le point essentiel et la durée prévisible d’hospitalisation, la recommandation aussi qui brouille toutes les cartes. »

ANNEXE 51 ALBERT CAMUS. La Peste. Paris : Editions Gallimard, 1947, p. 225-226 « […] il ouvrait sa porte au même moment et sa mère vint à sa rencontre lui annoncer que M. Tarrou n’allait pas bien. Il s’était levé le matin, mais n’avait pu sortir et venait de se recoucher. Mme Rieux était inquiète. « Ce n’est peut-être rien de grave », dit son fils. Tarrou était étendu de tout son long, sa lourde tête creusait le traversin, la poitrine forte se dessinait sous l’épaisseur des couvertures. Il avait de la fièvre, sa tête le faisait souffrir. Il dit à Rieux qu’il s’agissait de symptômes vagues qui pouvaient être aussi bien ceux de la peste. « Non, rien de précis encore », dit Rieux après l’avoir examiné. Mais Tarrou était dévoré par la soif. Dans le couloir, le docteur dit à sa mère que ce pouvait être le commencement de la peste. « Oh ! dit-elle, ce n’est pas possible, pas maintenant ! » Et tout de suite après : « Gardons-le, Bernard. » Rieux réfléchissait :

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« Je n’en ai pas le droit, dit-il. Mais les portes vont s’ouvrir. Je crois bien que c’est le premier droit que je prendrais pour moi, si tu n’étais pas là. - Bernard, dit-elle, garde-nous tous les deux. Tu sais bien que je viens d’être de nouveau vaccinée. » Le docteur dit que Tarrou aussi l’était mais que, peut-être, par fatigue, il avait dû laisser passer la dernière injection de sérum et oublier quelques précautions. Rieux allait déjà dans son cabinet. Quand il revint dans la chambre, Tarrou vit qu’il tenait les énormes ampoules de sérum. « Ah ! c’est cela, dit-il. - Non, mais c’est une précaution. » Tarrou tendit son bras pour toute réponse et il subit l’interminable injection qu’il avait lui-même pratiquée sur d’autres malades. « Nous verrons ce soir », dit Rieux, et il regarda Tarrou en face. « Et l’isolement, Rieux ? - Il n’est pas du tout sûr que vous ayez la peste. » Tarrou sourit avec effort. « C’est la première fois que je vois injecter un sérum sans ordonner en même temps l’isolement. » Rieux se détourna : « Ma mère et moi, nous vous soignerons. Vous serez mieux ici. » »

ANNEXE 52 MARTIN WINCKLER. La Vacation. Paris : P.O.L. Editeur, 1989, p. 206-209 « Elle fait bouger le rideau en ôtant ses vêtements. Cette fois-ci, tu es seul avec elle dans la salle d’examen. Le dos tourné à la cabine… - Est-ce que j’enlève le haut ? (un peu ! Va pas nous gruger nous frustrer nous ôter les seins de la vue ? Si la beauté est de ce monde comment ne pas la rechercher là où ça commence ? Toutes pareilles ! Elles croient pas vraiment qu’elles ne vont nous montrer que la zone comprise entre le nombril et les genoux ? Dans les magazines, ça bave devant la médecine globale, et ça veut pas qu’on leur voie les globes… Ou alors c’est qu’on les a habituées à faire comme ça pour aller plus vite. Encore un coup fourré des spécialistes du pubis !... Elles sont pas toutes comme ah ! mondieu mondieu mondieu quand j’y pense… Elle n’avait rien demandé, rien de rien, et elle était sortie sans rien dire de derrière le rideau, qu’elle était belle et brune, du haut en bas pas un carré blanc (c’était en contrôle. La fois d’avant, avec la chemise de nuit, on ne voyait que le bas, forcément), et voilà Bruno (tout d’un coup plus un poil de sec) qui la regarde escalader l’escabeau sans hésitation, et avec un charmant sourire demander candide - C’est bien ainsi qu’il faut que je m’installe ? - Gargll… - Je vous demande pardon ? - Rrhheuu, pardon, je disais (voix éteinte) que c’était parfait… et le Bruno tremblant s’approche d’elle allongée calmement sans bouger sur la table, s’emmêle les pinces dans les tuyaux du stéthoscope et du tensiomètre. Encore heureux que c’est pas à lui qu’on la prenait, la tension. Pose à peine le pavillon (Rrrhhhmmm… Respirez fort…) sur le sein rond parfait irréel inouï incroyable c’est un rêve comment est-ce possible ? […] Ce jour-là bien sûr toutes les questions (mal aux seins aux règles au sommeil au désir) étaient ineptes, idiotes, inappropriées et inutiles. Tous les gestes, incongrus. Tout le bonhomme, incompétent) … joint les mains sur son ventre ou les laisse le long du corps ou les pose pudiquement sur ses seins, en évitant de te regarder. Tu prends sa tension (sa main, son poignet, son bras, puis les seins, le cou, puis le ventre, les cuisses, les jambes, les chevilles, tout ce qui est à prendre au moins une fois entre les mains, les mains partout chaque recoin. Prends donc, tu ne le feras plus de sitôt, plus jamais. […]

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Bonhomme blouse blanche = médecin. Médecin = praticien neutre et bienveillant. Formé pour écouter et soulager la souffrance. D’autrui. Pas pour poser ses sales pattes sur les corps tendres et innocents, encore moins suggérer proposer préparer des rencontres. Même brèves. Pas moral. Sais même pas s’il est moral de penser qu’on pourrait, le cas échéant, à l’occasion, la sympathie mutuelle aidant… Si encore l’interdiction venait seulement de la Loi. Du nanan ! Faite pour être violée, elle, la Loi. Pourrais de temps et temps… L’ennui c’est qu’elles ne veulent pas ! Elles sont venues justement parce que le Docteur Sachs, praticien sérieux (elles ont payé pour le savoir), ne se moquera pas d’elles ni de leurs inquiétudes, ne les brutalisera pas, leur laissera dire ce qu’elles auront besoin, envie de dire. Les rassurera. Les soignera. Les paternera gentiment. Restera à distance. Qu’il soit d’agréable figure ne gâche rien. Séduction gratuite. Sans danger. Tout bénéfice pour ces dames qu’un homme bien fait de sa personne les écoute et les soigne) le pouls en écoutant son cœur battre. - Respirez fort… Toussez… Ensuite, tu examines ses seins, méthodiquement, l’un après l’autre. […] Tu poses les mains sur son ventre (ça ressemble à des gestes d’amour, ça tient à si peu de choses : la façon dont on le fait, trop douce ou trop appuyée, qu’est-ce que ça peut vouloir dire les mains d’un étranger sur elles, même consentantes, corps de femme sous main d’homme, il se passe bien quelque chose, non ? Toucher palper caresser. Toute la nuance est dans les mains. Et dans le temps qui s’écoule, un petit trop long pour que ce ne soit pas agréable, un petit peu trop lent pour être vraiment… clinique. Attouchement équivoque. Dans les limites de l’admissible. Et on passe rapidement à autre chose) »

ANNEXE 53 JEAN REVERZY. Le Passage. Paris : Flammarion, 1977, p. 25-26 « Les lieux ne m’étaient pas inconnus ; je retrouvais une atmosphère familière. Je me souvins de les avoir fréquentés, bien des années auparavant, en compagnie d’une maîtresse de passage : les hommes de mon métier, tout comme les autres hommes, cherchent parfois à échapper à la monotonie de leur vie par quelque courte aventure. Certes, le médecin est ridicule, voire grotesque devant l’amour. Logiquement, il devrait s’en détourner, car l’amour est fait d’actes instinctifs et spontanés et toute l’existence d’un docteur, dès le jour où il ouvre boutique, n’est plus qu’une suite de gestes, d’attitudes, et de paroles empruntés. Chez lui, le personnage affecté devient le personnage réel : l’ancien, le vrai se dissout et meurt. Tel qui fut don Juan de salle de garde, maintenant quadragénaire, bafouille devant la belle patiente qui s’habille, la consultation terminée. Gauche, maladroit, il voudrait changer le ton du dialogue ; mais ce ton, une fois fixé, est immuable. La femme paraît facile et encourage. Le médecin ne peut vaincre en lui-même l’obstacle qui les sépare : « Restez encore, madame. – Mais, vous avez des clients qui attendent… » Elle s’étale cependant en un fauteuil. Le praticien offre gauchement une cigarette, voulant par ce geste inattendu créer tout à coup une atmosphère familière, déjà intime… Ces comédies sont parfois le prélude à des rendez-vous tels que ceux dont je venais de retrouver un exact souvenir. L’on s’y rend nerveux, à l’heure fixée, comme à une convocation de police. La porte une fois close, il est un instant cruel et redouté : spectateur impassible de la nudité d’autrui, le médecin doit se dévêtir à son tour et cet acte, plus encore que celui qui va suivre, l’épouvante et le rend maladroit ; mais la honte est bue, les gestes sont accomplis ; et comme un vieux gymnaste aux jointures ankylosées, s’essayant maladroitement aux exercices de barres et de trapèze de sa jeunesse, le médecin se démène gauchement sur le divan d’un hôtel borgne. »

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ANNEXE 54 GEORGES DUHAMEL. Chronique des Pasquier. Paris : Omnibus, 1999, p. 739 « On commence à l’hôpital, des essais de bains lumineux. Le patient est plongé dans une baignoire d’eau limpide qui présente, à l’une des extrémités, une fenêtre éclairée par une forte lampe électrique devant laquelle on glisse des plaques de verre diversement colorées. M. Rohner assistait aux premiers essais. Il avait fait venir, pour mettre dans le bain, non pas un malheureux podagre, mais une belle fille potelée que l’on apercevait sous des flots de lumière tour à tour pourpre, dorée, azurée, verdoyante. M. Rohner se penchait sur cette magie scientifique avec beaucoup d’intérêt et risquait des observations ponctuées de remarques gauloises. »

ANNEXE 55 MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Paris : Plon, 1993, p. 78-81 « - Vous savez que vous avez un corps très gentiment fait, ma petite amie, très gentiment, dit la voix sifflante. Sortant de dessous cette face de miroir et de lumière, les paroles n’avaient pas de sonorité réelle. L’œil électrique frappa Isabelle droit dans les prunelles, tandis qu’un doigt de caoutchouc lui retroussait une paupière, la forçant à soutenir l’éblouissement. Puis les deux mains se mirent à lui palper la poitrine, soigneusement, longuement, un peu trop longuement au gré d’Isabelle. Son malaise augmentait et son angoisse en même temps. Depuis le coup de phare, son œil gauche restait empli d’étoiles. Elle avait hâte d’être fixée et se demandait si cette mise en scène et tous ces préliminaires étaient indispensables. […] Il lui prit le visage dans les mains, lui posa sur le front un baiser paternel. […] Elle pleurait toujours et trouvait consolant qu’il se fût assis de biais, sur la table d’examen, lui eût mis le bras autour des épaules.

- Au moins, était-ce bon ? demanda-t-il confidentiellement. Est-ce que ça valait la peine ? Est-ce que ça a été une belle nuit ?

Elle sentit les doigts de Lartois reprendre le chemin qu’ils avaient suivi, médicalement, quelques minutes plus tôt, et un souffle chaud, précipité, lui caresser l’épaule.

- Mais voyons… qu’est-ce que… balbutia-t-elle. - Vous ne voulez pas comparer ? dit-il à voix étouffée.

Elle voulut crier, mais déjà la bouche du médecin forçait sa bouche ; d’un coup de rein, il s’était hissé sur la table d’examen.

- Professeur ! Qu’est-ce qui vous prend ? Vous êtes fou ? s’écria Isabelle en se débattant. Elle parvint à se dégager et à sauter à terre. Il ne prolongea pas le ridicule de la voir debout, ses bas tombés, devant lui à demi étendu. Il se remit sur pied, un peu essoufflé. […]

- C’est indigne d’un homme, ce que vous venez de faire, professeur ! dit Isabelle qui se rhabillait vivement.

- Au contraire, ma chère petite, c’est tout à fait digne d’un homme. Et c’eût été la meilleure manière de vous calmer les nerfs. En tout cas, vous êtes plus musclée que je ne pensais.

Il avait une attitude fort aisée, remettait en place, de sa main soignée, ses cheveux grisonnants. - Je ne comprends pas ! continuait Isabelle. Je viens vous consulter… vous venez de

m’apprendre mon état… un médecin… - Oh ! c’est si ennuyeux, la médecine, fit-il en accompagnant sa phrase d’un geste désabusé

Puis, se tournant vers elle : - Vous me trouvez trop vieux, n’est-ce pas ? demanda-t-il sèchement. - Mais non… mais enfin, je ne sais pas… vous ne vous rendez pas compte ?

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- Oui, je sais, je sais, dit-il de sa voix sifflante. Un médecin n’est pas un homme, c’est comme un prêtre. Je connais l’histoire ! Et puis, un homme de mon âge non plus, pour vous, n’est pas un homme. Vous verrez, vous verrez quand vous vieillirez !

Il semblait que ce fût lui l’offensé. - Je pense que vous agissez de même avec toutes vos… patientes ? demanda Isabelle. - Pas avec toutes, répondit-il avec une galanterie distante. Avec… certaines, et je dois dire,

qu’en général, elles accueillent plus aimablement les hommages. Enfin, n’en parlons plus. Le médecin reste à votre disposition entière, ma chère petite amie, pour vous aider dans l’embarras où vous vous trouvez. »

ANNEXE 56 MAURICE DRUON. Les Grandes familles. Paris : Plon, 1993, p. 44-45 « En rentrant chez lui, Simon Lachaume trouva deux pneumatiques. Le premier était du rédacteur en chef de L’Echo du Matin et portait : « Monsieur, « Le professeur Lartois nous a signalé votre nom comme étant celui de la personne la plus qualifiée pour faire, à l’intention de nos lecteurs, le récit des derniers instants de notre éminent collaborateur M. Jean de La Monnerie. Je vous serais très reconnaissant si vous pouviez nous apporter un article de 150 lignes, à minuit au plus tard. J’espère que vous serez d’accord sur le prix de 200 francs. » L’autre message était du professeur Lartois lui-même. « Cher Monsieur, écrivait Lartois, L’Echo du Matin, dont le propriétaire, le baron Noël Schoudler, est à la fois un de mes amis personnels et le beau-père, ainsi que vous le savez, de la fille de Jean de La Monnerie, me demande un article urgent sur la fin de notre grand ami. La discrétion professionnelle me fait empêchement d’écrire un tel article. Je pense que vous êtes, en tant qu’homme de lettres, et homme de lettres de talent, infiniment plus désigné que moi : je suis sûr que votre jeune mémoire aura enregistré avec plus de fidélité que la mienne, les dernières paroles que prononça le poète et qui nous émurent tant. Je me suis donc permis de donner votre nom, et crois d’ailleurs qu’il ne peut que vous être profitable de… etc. » »

ANNEXE 57 JACQUES CHAUVIRE. Passage des émigrants. Paris : le dilettante, 2003, p. 94 « Desportes ne paraissait pas déplorer le départ de Tavernier. Ce fait lui était, semblait-t-il, indifférent. Refroidi, Montagnard se tut. Ce fut Maria qui, très à l’aise, osa s’enquérir du sort de Mme Terrier. - Voici bientôt deux mois qu’elle se trouve à l’hôpital de Beaulieu, dit-elle. Elle sentit aussitôt que cette question gênait le médecin qui se recroquevilla sur son siège. - Son état de santé est satisfaisant, répondit-il sèchement. L’intervention chirurgicale a réussi. Il est certain que, à son âge, les suites en sont plus ou moins difficiles. Pour l’instant, elle est incapable de regagner la Résidence. Il est probable que d’ici quelques semaines, je serai dans l’obligation de la recevoir dans l’une de nos infirmeries pour surveiller sa convalescence. Il soupira : - On ne peut pas trop demander aux hôpitaux dont les malades âgés encombrent les lits. »

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ANNEXE 58 MARTIN WINCKLER. Les Trois médecins. Paris : P.O.L. Editeur, 2004, p. 197-198 « Je lui tends le petit carnet et je dis :

- Tout est marqué dedans. Pas depuis le début mais presque. Parce que, rétrospectivement, il s’est sûrement passé des choses un peu bizarres, mais je n’y ai pas fait très attention. […] Je connais Bram, je sais que c’est une tête de mule. Pas question qu’il aille consulter un médecin. Alors, j’ai décidé d’aller en consulter un à sa place ; je suis femme de médecin, vous savez, je connais un certain nombre de choses. Alors, j’ai bien observé tous ses symptômes, et voilà, tout est marqué là.

Le neurologue me fait un sourire poli et feuillette le carnet, d’abord rapidement, puis plus lentement, et je vois que, bientôt, il lit tout. Comme j’écris très lisiblement, il n’a aucun mal. Finalement, il lève les yeux et hoche la tête.

- Eh bien, il n’est pas courant que l’on puisse poser un diagnostic à partir des observations de l’entourage, mais en l’occurrence je suis forcé de reconnaître que vous avez fait là un travail remarquable, Madame… Tout y est, effectivement. La fatigabilité, les fasciculations, la diminution de la force motrice de l’extrémité à la racine des membres… Le diagnostic ne fait aucun doute.

- Vous savez de quoi souffre mon mari ? - Certainement. Si j’en crois vos… observations, il souffre d’une sclérose latérale

amyotrophique. Que l’on appelle également maladie de Charcot. Je me sens soulagée, je souris.

- Ah, tant mieux. J’avais peur qu’il ait un cancer… ou une maladie inconnue. Mais puisque vous savez ce qu’il a, on va pouvoir le soigner.

Il lève la main. Ses traits se durcissent. - Pardon, je vous arrête. Il n’y a pas de traitement. Il sera mort dans six mois. »

ANNEXE 59 ANTOINE SENANQUE. Blouse. Paris : Editions Grasset et Fasquelle, 2004, p.329-337 « Je l’ai vécue de deux façons, ma grande affaire, officielle et officieuse. La manière officielle, je m’en suis servi pour les comptes rendus et la présentation du dossier aux staffs. Une femme, âgée de 32 ans, se plaint de céphalées évoluant par accès, dans un contexte anxio-dépressif. Entre les accès, la patiente décrit un fond douloureux permanent. L’examen neurologique est normal. On débute un traitement de fond antimigraineux, partiellement efficace. La persistance des crises associée à une réaction dépressive conduit à la prescription d’un traitement tricyclique. Un scanner cérébral avec injection est réalisé, interprété comme normal. Sous traitement, l’état de la patiente s’améliore avec persistance d’un fond céphalique. Trois mois plus tard, elle est admise aux urgences en coma dépassé. Le second scanner montre une dilatation triventriculaire majeure. La patiente décède le soir. Une autopsie pratiquée retrouve une masse d’allure pseudo-tumorale enclavée dans le troisième ventricule, à l’origine du blocage de l’écoulement du liquide céphalo-rachidien et de l’hypertension intracrânienne létale. L’examen anatomo-pathologique reçu un mois plus tard conclut à une cysticercose, parasitose intracérébrale, avec un kyste ventriculaire non calcifié. […] Cette histoire, je me la raconte différemment. J’ai rencontré cette patiente lors de mon premier après-midi de consultation, huit jours après ma prise de fonctions. Pour ces premières consultations autonomes, dans ma grande blouse de chef, je n’avais que des doutes, maladivement, pour tous mes

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patients. J’aurais doublé ma consultation avec celle du patron, pour chacun. […]. Les malades défilaient. Les infirmières trouvaient que j’étais lent. Moi aussi. Ma lenteur me surprenait. Tout était pâteux autour de moi. Je parlais, j’écrivais, je pensais lentement. Il a fallu trouver une solution. J’ai pris celle de tout le monde dans ce milieu, j’ai fait semblant d’être sûr de moi. J’ai fait semblant d’aller vite. Je ne posais jamais de questions au patron, à personne, d’ailleurs personne ne se questionnait en consultation, par méfiance. Je me suis pourtant interrogé sur sa migraine. Elle n’était pas typique mais noyée dans une tristesse, dans une lassitude qui recouvrait tout. Sa tristesse ne lui a pas servi. Elle a même été une ennemie mortelle, comme moi. Je lui ai demandé de revenir souvent. Je l’ai trop revue. Ses plaintes sont devenues banales, répétitives. Elle était fatiguée, elle avait du mal à dormir, elle ne parlait presque plus de ses maux de tête, mais de son mauvais état général. Je l’ai fait hospitaliser pour un bilan qui n’a rien montré et j’ai eu son scanner entre les mains. J’avais dû le faire réaliser en externe, les délais à l’hôpital étant trop longs. Il aurait fallu aller plaider sa cause au téléphone, demander. Ce scanner, je l’ai bien regardé, centimètre par centimètre, mais je ne savais pas ce qu’il fallait voir. J’aurais pu l’analyser à la loupe, au microscope, cela n’aurait rien changé. Je n’avais pas encore appris à saisir globalement une image, à la laisser venir, à ne pas la segmenter, à laisser les évidences apparaître dans la vue d’ensemble, les évidences qu’on voit de loin et qui disparaissent quand on s’approche, comme en peinture. Je n’avais pas reculé assez. J’avais regardé l’image, le nez collé, comme un myope. […] Le jour où l’on m’a annoncé que ma patiente était morte aux urgences, l’interne m’a d’abord dit qu’on ignorait la cause de son décès. Je n’ai pas envisagé une cause neurologique. J’ai d’abord pensé à un suicide, puis aux causes de mort subite : embolie pulmonaire, troubles du rythme cardiaque… Je me suis surtout dit qu’elle avait dû faire une complication au traitement que je lui avais prescrit, une torsade de pointe, une tachycardie ventriculaire… Je ne pensais qu’à ça. J’ai demandé qu’on me sorte le dossier en urgence, pour vérifier qu’un électrocardiogramme avait bien été réalisé avant la mise en route du traitement. Je me suis découvert dans cette angoisse, sueurs, mains fébriles, mal au ventre. C’est un mauvais souvenir. Je ne pensais pas alors à ma patiente, je pensais à ma carrière, mon avenir, mon renvoi du service, mon procès, ma radiation. Je me suis même dit que si je ne trouvais pas son tracé, je le remplacerais par un autre. Je ne m’étais jamais vu lâche à ce point, je faisais ma connaissance. J’ai trouvé son électrocardiogramme, qui ne montrait pas d’anomalie. J’étais rassuré, mais j’avais perdu des illusions sur moi-même, ou gagné des vérités. L’interne me rappela une heure après pour me dire qu’un scanner avait été fait, qui avait montré la dilatation majeure des ventricules avec une masse d’allure tumorale. C’était donc bien de ma spécialité qu’elle était morte. Je suis allé voir Diset pour lui raconter toute l’histoire. Il a été plutôt réconfortant, relisant le premier scanner sans s’appesantir. Il m’a dit qu’il devait s’agir d’une tumeur maligne qui s’était décompensée brutalement et que le pronostic était, quelle que soit la prise en charge, effroyable. Je suis parti avec ce mot. Le soir, son mari est venu me voir. Il m’a beaucoup servi, l’ « effroyable » de Diset. Je l’ai répété autant de fois que j’ai pu. J’ai dit aussi « imprévisible », « exceptionnel ». J’ai dit qu’on ne pouvait rien faire dans des cas pareils, que c’était peut-être une bonne chose pour elle, finalement, qu’elle avait évité les rayons, la chimio, les souffrances. Je n’ai pas dit que j’étais désolé. J’ai dit que je restais à sa disposition, que s’il avait besoin de quelque chose… J’ai parlé sans m’arrêter. Un déluge de mots. Le mari était tellement secoué qu’il n’avait plus la force de répondre. Il hochait la tête, livide. Il voulait parler, lui aussi, au début, mais je ne le laissais pas faire. Je l’interrompais toujours. A la fin, il m’a demandé ce qu’il fallait dire aux enfants. Je lui ai répondu : « Je ne sais pas », la seule phrase vraie qui me restait dans cette foule de mensonges, de clichés, de faux-semblants. Elle m’a fait taire, enfin. J’ai vécu un mois paisiblement en m’habituant à cette tumeur maligne toujours mortelle, que je n’avais pas diagnostiquée, mais à quoi bon… Jusqu’au résultat de l’anatomo-pathologie : cysticercose cérébrale. Donc, je l’avais tuée. »

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ANNEXE 60 JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Cognac : Le temps qu’il fait, 2007, p.117-121 « Enfin, mon procès arriva par un après-midi de fin novembre. Vous savez que les tribunaux acquittent souvent les guérisseurs et condamnent toujours les médecins. Noblesse oblige, dit-on. C’est vraiment, pour une fois, nous faire beaucoup d’honneur. Mon affaire vint, comme il se doit, entre deux autres : une inculpation pour vol et émission de chèques sans provision, et une inculpation pour attentat à la pudeur. […] Les débats de mon procès furent rondement menés par le président du tribunal et le raisonnement du ministère public fut d’une simplicité extrême. « Si vous vous étiez dérangé, docteur Sicard, me dit-on, vous auriez pu vous rendre compte que la crise dont souffrait Mme Jolibois de Préneuf n’était pas semblable aux précédentes. » En effet, la cour avait en apparence mille fois raison : cette crise n’avait pas dû être identique aux autres puisqu’elle avait abouti, après quelques heures de répit trompeur, à la mort de la patiente. En somme, pour le procureur, l’abstention fautive était évidente et une peine de prison découlait de cette opinion. Je me vis quitter la salle menottes aux mains. « Montrez au moins quelque regret ! » s’écria le procureur devant mon silence. Il est juste de dire que j’avais très mal suivi l’audience. Je rêvais et je songeais à Jonathan Thieberghen. « Monsieur le procureur, m’exclamai-je alors, vous êtes dans l’erreur. Ma culpabilité est peut-être engagée mais elle ne concerne pas l’affaire que vous venez d’évoquer ici même. –Taisez-vous ! vous tentez d’abuser la justice », cria-t-il. Mon avocat se tourna vers moi et me conjura de ne pas poursuivre. « Je vous en prie, murmura-t-il en s’appuyant à mon bras, votre cause n’est déjà pas si facile. » Et il se dressa devant l’auditoire. Avec une émotion contenue, Maître Goetz fit une plaidoirie excellente. Il dit que j’étais un homme de pensée, que ma culture était certaine, que mes idées étaient généreuses et que mon dévouement était connu de tous. […] On répondit simplement à mon avocat en paraphrasant une remarque célèbre que la société avait besoin de médecins et non de moralistes. Des murmures approbateurs montèrent de la salle. Quelques cris s’élevèrent : « Salaud, pourri ! » Je me crus perdu. Il est inutile de vous dire que le registre ouvert par la religieuse infirmière pour y recueillir les signatures de mes amis de Malaterre était demeuré vierge. Dans une péroraison admirable qui égara complètement les juges et le public, Maître Goetz parvint à m’arracher à la prison. Je ne me souviens que de cette phrase : « Enfin, messieurs, vous ne permettrez pas qu’un père de famille, un homme vertueux, voie sa carrière brisée et soit soumis à la malédiction de ses enfants qui porteront la flétrissure dont il n’est sans doute pas responsable. » On transigea. Je fus condamné à verser plus de quatre mille –nouveaux-francs à la famille Jolibois-Aubry. L’audience avait été attristante. Il pleuvait sur Magistrène. Les imperméables de tous les auditeurs étaient trempés. Parmi les témoins à charge, j’avais eu la peine de reconnaître quelques anciens clients qui m’accablèrent. Les témoins à décharge avaient déposé avec des voix enrouées par les rhumes. Ce fut, du moins, mon impression. Ils m’apportèrent cependant la satisfaction de leur bonne volonté. Pourquoi citerais-je leurs noms ? Je ne l’oublie pas. Ils le savent. […] A la sortie de l’audience, tandis que je me frayais un passage à travers la foule pour rejoindre ma femme, je crus entendre quelques cris hostiles. Une femme inconnue tendit vers moi un poing menaçant. […] Dès le lendemain, je commençai à recevoir un volumineux courrier. Par contre, plus un appel téléphonique, plus une demande de rendez-vous. J’ouvris, chaque matin, une quinzaine d’enveloppes. Les unes contenaient des lettres anonymes dont les auteurs se félicitaient du verdict, les autres des coupures de journaux où mon procès se trouvait relaté par le menu. D’une façon générale la presse ne m’épargna pas et L’Univers, grand redresseur de torts, emboucha sa trompette de Jugement dernier. »

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ANNEXE 61 JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Cognac : Le temps qu’il fait, 2007, p.150 « Un bouton de votre manteau vient de tomber. Je vous le signale, car votre femme ne manquera pas de vous le réclamer. Je vous en prie. Emmitouflez-vous dans votre cache-col avant de sortir. Cette fois la brume a envahi le quai. Quelle discrétion dans ce paysage ! Lorsque je pense que vous cherchiez à me rencontrer pour savoir quel pouvait être un homme condamné par la justice de ses semblables ! Ce jugement n’a pas pesé lourd dans mon existence. Par contre, tous ces hommes que j’ai laissés sur leur soif, insatisfaits, tous ces visages à l’affût qui hantent mon esprit et me crient mon insuffisance ! La Rédemption est là. Acceptons-la donc, puisqu’elle nous est offerte. « C’est impossible », dites-vous. Et vous ajoutez que vous n’aimez pas les subterfuges. Ah ! mon ami, je vous assure que pour moi la tentation est grande. »

ANNEXE 62 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 65-70 « Que puis-je faire pour vous ? C’est pour ma fille. Elle voulait pas venir mais je l’ai obligée. C’est pour mon petit garçon. Il ne mange rien. Il fait encore pipi au lit. Il veut pas dormir. Il me fait des colères. Il hurle dès que j’éteins la télé. Il se réveille la nuit et il vient dans notre lit, je suis obligée de la prendre avec moi pour qu’il dorme, et comme mon mari embauche à cinq heures, il va dormir dans le lit du petit. (Ou bien) Il est pas propre. Il parle mal. Y a pas moyen de lui faire manger de la viande. Il est infernal à l’école, les maîtresses s’en plaignent. (Ou bien) Il a été enrhumé pendant trois semaines et il a eu des antibiotiques deux fois et il arrive pas à s’en remettre, faut m’arranger ça. (Ou bien) Il n’aime que les yaourts et le pain beurré, le goûter c’est son meilleur repas. Je le trouve pas gros, il faudrait lui donner des fortifiants. C’est pour ma visite du deuxième mois, je sais que c’est pas obligatoire et je suis pas malade mais puisqu’on est remboursés… C’est seulement pour lui faire enlever ses points de suture, mais il a peur. C’est pour renouveler ma pilule, mon traitement pour les veines, mon calmant, mon médicament pour le cœur, ma pommade pour les hémorroïdes. C’est pour renouveler ma prise en charge à cent pour cent, mon ordonnance d’insuline, mes pansements d’ulcères de jambe par l’infirmière tous les jours matin et soir y compris les dimanches et fériés pendant un mois. C’est pour ma prise de sang qu’on fait tous les mois rapport au taux de prothrombine ce mois-ci y avait trente-cinq au lieu de vingt-cinq le mois dernier mais j’ai mangé des poireaux et surtout n’oubliez pas de me marquer à domicile sur l’ordonnance, l’autre fois j’ai pas pu me faire rembourser, merci. C’est pour un papier que j’ai reçu de la sécurité sociale de l’hôpital de l’assurance de la mairie et j’y comprends rien on m’a dit qu’il fallait que je vous le fasse remplir.[…] Pourquoi venez-vous me voir ce soir ? Parce que je ne sais plus quoi faire. Parce que ça fait trop longtemps que ça dure. Parce que ça ne peut plus durer. Parce que je n’ai pas trop le choix, si ça dépendait que de moi, vous savez les médecins, moins j’en vois, mieux je me porte. Parce que ma mère/ mon père/ mon patron/ ma patronne/ mon mari/ ma femme/ mon fils/ ma fille/ mes petits-enfants/ mes voisins/ tout le monde m’a dit de venir, mais franchement, moi je sais que je n’ai pas besoin de médecin, c’est pas parce que je suis fatiguée que je vais mal et puis, il faut bien mourir de quelque chose.

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Parce que j’ai un rappel de vaccin à faire. Ca va faire mal ? Parce que j’ai encore besoin de quelques séances de massage, ça m’a fait du bien et le kiné m’a dit que je pouvais vous en redemander, c’est vrai que j’ai moins mal, même mon mari me trouve plus détendue. Parce que je suis pas retourné à la caserne hier, j’ai appelé pour dire que j’étais malade mais en fait je vais bien et j’ai besoin d’un papier. Parce que j’ai peur que mon mari ait quelque chose de grave et qu’il n’ait pas voulu me le dire, alors j’ai décidé de vous le demander à vous mais bien sûr je lui dirai pas que je suis venue vous voir, vous pouvez me faire confiance ! Parce que j’ai grossi. Parce que j’ai maigri.

Parce que je ne dors plus. Parce que je dors sans arrêt. Parce que je supporte plus mes gosses. Parce que mon père m’a frappée. Parce que je pleure tout le temps. Parce que j’ai de mauvaises idées. Parce que je n’ai plus d’éther à la maison. Parce qu’avec ma femme/ mon mari/ ma fille/ mon fils/ ma mère/ mon père/ mes frères et mes

sœurs ça ne va plus du tout, surtout depuis la succession de ma grand-mère. Parce que j’en ai marre de me crever le cul pour rien ; Parce que je n’ai que trente ans mais j’ai déjà mal partout. Parce que j’ai déjà quarante ans et je commence à m’inquiéter. Parce que j’ai passé la cinquantaine et il serait temps. Parce que j’ai presque soixante ans et je voudrais que ça continue. Parce que j’ai soixante dix ans passés et mon fils se fait du souci. Parce que j’ai bientôt quatre-vingts ans et je veux mourir chez moi. Parce que j’ai quatre-vingt-dix ans et vous savez, j’en ai marre de vivre.

Qu’avez-vous ? Eh bien, je ne sais pas, c’est à vous de me le dire ! Moi, je ne suis pas médecin. »

ANNEXE 63 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 145-146 « Je t’ai pas raconté que je m’étais décroché la mâchoire ? Ca m’a foutu une trouille bleue, quand c’est arrivé ! J’avais déjà entendu parler de ça, ça m’avait fait rigoler mais pardon, ça n’a rien de drôle. On a l’air con : on ne peut plus parler, on ne peut plus fermer la bouche, et si on insiste ça fait un mal de chien. Je suis allé le voir. Il a eu l’air vachement embêté. Il ne savait pas ce qu’il fallait faire. Il a essayé de me fermer la bouche doucement, mais j’avais déjà essayé, ça ne marchait pas. Il a essayé de tirer en avant, de pousser en arrière, rien à faire, et moi je commençais à m’impatienter, je me voyais déjà à la clinique, anesthésie générale et tout le tintouin, la gueule enrobée de fils métalliques au réveil, obligé de bouffer avec une paille, j’avais envie de pleurer. Et en plus, j’avais encore envie de bâiller. Il était assis là, près de moi, j’étais allongé comme un con sur son lit bas en me demandant combien de temps on allait rester comme ça avant qu’il ne se décide à m’envoyer à un spécialiste et brusquement il s’est levé sans rien dire, il a sorti des étagères un petit bouquin et je l’ai entendu parler tout seul, il disait un truc du genre : La mandibule s’insère comme ça donc, logiquement… Il a posé son petit bouquin, il m’a fait lever du lit bas, asseoir dans un des fauteuils recouverts de toile noire, et il a enfilé des gants. J’étais pas fier, mais il a dit : N’ayez pas peur, il a posé ses pouces sur mes molaires du fond, il a appuyé doucement vers le bas et clac j’ai senti que ça se remettait. Sans douleur ni soupir. Il avait l’air tout étonné. Moi, j’étais plutôt soulagé. Et content. »

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ANNEXE 64 MARTIN WINCLER. La Vacation. Paris : P.O.L. éditeur, 1989, p. 87 « A dire vrai, tu n’as jamais résolu de transcrire la vacation, de la poser sur des lignes. Mais tu l’as toujours fait. Depuis le début. Depuis les premières séances d’apprentissage, debout derrière D. qui officiait de ses doigts courts (et tu revois très précisément la façon dont il plie une compresse avant de refermer sur elle les mors de la Longuette) ; depuis le jour qui t’a vu sortir de la salle d’examen le ventre serré et douloureux (et ce jour-là pourtant tu ne tenais pas le tuyau) ; depuis la première fois que tu es intervenu seul. De cette première fois, étrangement, tu n’as pas de souvenir précis. Tu te souviens très bien, en revanche, du jour où on t’a proposé la vacation. Tu revois, tu peux presque reproduire ton mouvement de recul. Ne me demandez pas ça. Pourtant, et bien que ta mémoire se refuse à en restituer les circonstances ou tes motifs, tu es venu un jour voir, tu as accepté d’apprendre. Et tu te souviens très bien, même après que ta capacité à travailler seul eut été reconnue par tous, avoir longtemps exigé que D. restât présent dans la salle de soins pendant tes interventions. »

ANNEXE 65 JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Le temps qu’il fait, 2007, p. 27-30 « Par un après-midi de mai, Jonathan et Maria Thieberghen se présentèrent à mon cabinet. […]. « Puis-je vous demander ce qui vous amène ? » Ils se regardèrent. « Eh bien, parle ! » dit Jonathan à sa femme. Alors Maria Thieberghen me tint des propos que j’avais cent fois entendus. Elle se plaignit d’une fatigue croissante depuis quelques semaines. Elle souffrait d’une gêne dans le bas-ventre. […]. J’invitai Maria Thieberghen à passer dans le cabinet voisin, à s’y dévêtir et à s’étendre sur le lit d’examen. […] Maria s’étendit sur le lit d’examen. Pour ne pas offenser sa pudeur, je glissai ma main sous la chemise et je palpai le ventre. C’est alors que, cher monsieur, sous mes doigts se précisa le malheur. J’insistai, je voulais être sûr. Il n’y avait pas de doute : sous mes pulpes se dessinait le contour irrégulier d’une tumeur qui, après avoir frôlé les os du bassin, plongeait dans les profondeurs du ventre. Une bouffée de chaleur m’envahit le visage. Ma main se mit à trembler : « Oui, c’est là, c’est bien là », répétait Maria Thieberghen. Je poursuivis et achevai mon examen, les jambes molles. Je devais à tout prix ne rien laisser paraître de mon émotion. Mettez-vous un instant à ma place dans une telle circonstance ! « Ce n’est rien, ce n’est rien, bredouillai-je, vous pouvez passer vos vêtements, chère madame ». Je compris dès ce moment que Maria Thieberghen jetait sur moi un regard désespéré : une certaine pâleur du teint, un éclat plus vif de ses yeux trahissaient l’inquiétude. « Allons, me dis-je, ressaisis-toi ! » Je vins m’asseoir devant Jonathan Thieberghen, j’attirai à moi un bloc d’ordonnances et je commençai à écrire. Le fait d’écrire soulage, vous ne l’ignorez pas. Il répond souvent à une attitude de fuite. D’ailleurs, je n’écrivis rien ou presque. Je froissai la feuille et je levai les yeux vers Jonathan Thieberghen. J’entrevis que, pour la première fois, il me considérait comme un juge. « Alors ? », me dit-il simplement. […] « Alors, repris-je, alors… monsieur Thieberghen, je pense qu’une opération est nécessaire. » Maria avait regagné sa place. Mon ton était grave. Ma voix aurait voulu ne pas être alarmante. Mais dans l’instant même je fus sûr qu’elle le fut. J’avais peur. Jamais je n’avais été mis à une telle épreuve. Je ne vous dirai pas que, jusqu’ici, j’étais demeuré insensible lorsque je devais annoncer à un malade ou à sa famille une nouvelle ennuyeuse ! Mais à ce point, jamais ! […] Jonathan, dans un geste lent, saisit la main de sa femme. « Est-ce sérieux ? », murmura-t-il. Je ne pus me contenir : « Je pense que non, je vous assure que non. – Nous avons confiance en vous », dit Jonathan. Ce mot me transperça. Sa femme soupira. « Une opération… ! –Je crois que la prudence l’exige. »

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Je commençai à écrire une lettre au chirurgien auquel je destinais Maria. Celle-ci avait abandonné sa main à celle de son mari. Le soleil jouait entre les feuilles des platanes du quai. Je fus étonné par le silence. Maria ne chercha pas à me questionner. Elle m’apparut courageuse et résignée. Je levai la tête pour demander à Jonathan s’il désirait que sa femme entrât à l’hôpital ou dans une clinique. « Dans une clinique, dit Maria. Comme ça tu ne me quitteras pas, Jonathan, et tu pourras venir me voir tous les jours et même rester auprès de moi, la nuit. » Je téléphonai au chirurgien. Je leur remis l’enveloppe et ma lettre. Ce fut tout. »

ANNEXE 66 JACQUES CHAUVIRE. La Confession d’hiver. Le temps qu’il fait, 2007, p. 33-35 « Vous n’ignorez pas, cher monsieur, que du point de vue de leur situation sociale les médecins peuvent être répartis en deux grandes catégories. Il existe tout d’abord un corps de médecins hautement titrés, possesseurs de clinique, professeurs agrégés, spécialistes, qui est en quelque sorte la fleur mais aussi la clé de voûte de notre corporation. Ils perçoivent des traitements et des honoraires souvent fastueux, accomplissent des voyages d’études qui les conduisent dans les cinq parties du monde. En somme, ils sont souvent absents. Ils savent néanmoins maintenir l’ordre et la hiérarchie. Il paraît que la mode actuelle manque à leur égard d’un respect élémentaire : elle les nomme nos mandarins. Je me dois d’ajouter, pour être équitable, que quelques-uns d’entre eux sont non seulement des hommes fort compétents, peu soucieux d’argent et de réussite, mais encore d’une simplicité extrême, et que si la notoriété a couronné leur carrière, ils se refusent cependant à se conduire comme des notables. Dès lors, leur indépendance fait qu’ils ne sont pas toujours bien considérés par leurs pairs. A l’opposé de cette haute société médicale, dans l’atmosphère humide des culs-de-basse-fosse ou, si vous préférez, dans les quartiers populeux de nos banlieues, végète un prolétariat de médecins qui ahane aux montées d’étages, gèle en hiver et transpire en été pour gagner sa chienne de vie. Certains d’entre eux qui ne se résignent pas à la médiocrité pécuniaire s’efforcent de compenser l’insuffisance de leurs honoraires par une activité redoublée. Ils travaillent quatorze heures par jour et je pense que ce surmenage ne leur permet pas de prodiguer des soins convenables. Que voulez-vous ! Ils ne supporteraient pas de circuler dans une voiture modeste ! Leur disponibilité m’étonne. Ils parviennent pourtant grâce à leur soumission et à leur diligence à s’assurer des revenus confortables sur quoi s’abat la voracité fiscale. Les innocents ! Quant aux autres, ceux qui ne consentent pas à tout sacrifier de leur indépendance et de leur honneur, leur niveau de vie n’atteint qu’à grand-peine celui d’un agent de maîtrise et d’un cadre subalterne. Situation inconfortable pour tout homme qui se respecte. Interrogez les ingénieurs, ils ne peuvent se résoudre à cette condition. Comme le disait avec pertinence Aubry, comment peut-on être en même temps « cadre » et subalterne ! »

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ANNEXE 67 MARTIN WINCKLER .Les Trois médecins. Paris : P.O.L. éditeur, 2004, p. 66-67 « Malgré cette antipathie profonde et réciproque, LeRiche – par calcul – et Vargas – par loyauté – ne s’affrontent jamais ouvertement et en restent aux passes d’armes verbales et aux crocs-en jambe pédagogiques. La rivalité permanente des deux hommes, connue de tous – y compris du doyen –, a peu à peu teinté toute la vie de la fac. Dès qu’ils ont franchi le barrage du concours de première année, les étudiants sont sommés par leurs aînés de présenter le concours de l’internat, et de se rallier ainsi au groupe « dominant » que constituent les Perses – futurs chirurgiens et spécialistes de haut niveau – face à la plèbe des futurs généralistes de base. Pour les premiers, l’internat est la voie royale, seule digne d’être empruntée par qui veut briller dans la carrière médicale. Vouée à la carrière hospitalière ou à des spécialités lucratives, cette élite des élites sauvera les membres, les organes, les vies ; elle fera progresser la recherche médicale en incisant, en disséquant, en réparant, en amputant, en remplaçant les organes malades par des prothèses expérimentales et en explorant les viscères les plus complexes au moyen d’appareillages de plus en plus sophistiqués. Comme le célèbre alors un gros homme en blouse blanche sur les affiches d’une association à but non lucratif, si la victoire contre le cancer est à portée de main, c’est bien grâce à cette élite ! Si les patients meurent, eh bien ! c’est pour la bonne cause, et c’est la faute à pas de chance. Ou au diagnostic erroné d’un de ces praticiens formés au rabais parce que trop paresseux pour préparer l’internat… ou trop médiocres pour le décrocher. »

ANNEXE 68 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 163-164 « - … Et puis, quand vous êtes sorti de votre cabinet, à la façon dont vous avez dit au revoir à la personne qui partait, et puis bonjour à celle qui s’est levée, et puis la façon que vous avez eue de nous saluer, alors que nous n’étions jamais venus… Tu hausses les épaules, comme si c’était peu de chose. - C’est peu de chose, Docteur, mais c’est beaucoup, parce que tous les docteurs ne sont pas comme vous. L’autre jour dans la grand-rue quand vous êtes passé en voiture, vous m’avez fait signe. C’était la première fois de ma vie qu’un docteur me faisait signe. C’est peu de chose, mais ça dit tout… Mais surtout, je voulais vous dire… Je ne sais pas ce que ça va devenir, je vois bien que ma femme va plus mal, qu’elle souffre de plus en plus. C’est triste, parce qu’il y a des gens qui aimeraient venir la voir et lui faire la conversation mais maintenant ce n’est plus possible, je la bourre de calmants et elle dort sans arrêt, alors je leur offre un café, ils me font la conversation à moi, mais ce n’est pas pareil… Je ne suis pas stupide, j’en ai vu mourir, des gens, je me doute bien qu’il n’y en a plus pour longtemps, mais je voulais vous dire… Le jour où on est allés vous voir pour la première fois, quand on est entrés et que vous l’avez aidée à s’asseoir, vous vous souvenez ? Ma femme a dit : « Je viens vous voir parce que le Docteur Jardin a dit qu’il ne pouvait plus rien faire pour moi. » Et moi comme elle, on a bien vu que vous étiez choqué. Vous avez répondu, je m’en souviendrai toute ma vie, Quelle que soit la maladie, on peut toujours faire quelque chose et, quand on est partis, vous nous aviez gardés longtemps et pourtant elle allait mieux. Elle a marché jusqu’à la voiture sans que je la soutienne, et pendant quinze jours, je ne l’avais jamais vue comme ça depuis le début de sa maladie, elle a repris courage. Elle se levait le matin, elle souffrait moins, elle a même cuisiné plusieurs fois et j’y ai cru,

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vous savez, et elle aussi. Maintenant, je sais que c’était surtout parce que vous nous aviez remonté le moral, sans nous raconter d’histoire, sans nous promettre qu’elle allait guérir… Je sais qu’elle va mourir, elle aussi elle me le dit et elle n’est même pas en colère, c’est elle qui me console, elle dit que c’est la faute à pas de chance, elle dit que je suis encore solide et que je pourrai me remettre en ménage. Moi, bien sûr, je ne pourrais pas. Pas après avoir vécu tout ça avec elle. Mais même si je sais qu’elle va s’en aller… c’est pas que je le veuille, mais c’est plus une vie de la voir tant souffrir… je voulais vous dire que ces quinze jours-là… ça n’est pas grand-chose, quinze jours, quand on a souffert sans arrêt pendant trois ans, mais ces quinze jours-là, elle vous en a toujours été reconnaissante… et moi aussi. »

ANNEXE 69 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 347-350 « J’entends une voiture s’arrêter devant la porte. Une portière s’ouvre, puis claque. On frappe.

- Entrez ! La porte s’ouvre puis se referme.

- Entrez, Docteur, je suis dans la cuisine. Je prends mon déambulateur, je m’appuie à la table pour me mettre debout. Tu entres dans la cuisine, tu poses ta sacoche sur la table, tu me tends la main.

- Restez assise, Madame Destouches. - Bonjour, Docteur. - Excusez-moi, je passe un peu tard, mais j’ai eu beaucoup de consultations. - Je vous en prie, Docteur, je comprends. De toute manière, j’ai tout mon temps, vous savez

bien. Mais le samedi après-midi, la pharmacie est fermée… - Aujourd’hui, Madame Grivel est de garde. - Ah ! Tant mieux. Elle est bien gentille. Elle me dépanne toujours, quand j’en ai besoin. Elle

me dit qu’elle s’arrange avec vous… - Mmmhh. Alors, quoi de neuf ? - Oh, pas grand-chose, Docteur. L’infirmière est passée ce matin faire mes pansements, les

ulcères ne bougent pas, ça n’est ni mieux ni pire. Au moins, ils ne me font plus mal, comme avant. Mais je vais manquer de compresses et de sérum. Tenez, dis-je en te tendant ma petite liste, j’ai tout écrit là-dessus.

Tu tires le tabouret de sous la table, tu t’assieds près de moi. - Bon, je vais vous prendre la tension, quand même. - Elle ne doit pas être bien haute…

Tu sors ton appareil à tension et ton stéthoscope. Je te tends le bras droit, tu me passes le brassard, tu visses la molette et tu te mets à gonfler. Ca serre. Du bout des doigts, tu dévisses doucement la molette. Ca siffle.

- Treize-huit, c’est bien. - Ah ? La dernière fois, j’avais douze, comme d’habitude… Pourquoi est-ce que ça monte ? Est-

ce qu’il faut que je change le traitement ? - Non, non, surtout pas, ce n’est pas dramatique, vous savez, à votre âge, d’avoir treize. C’est

même plutôt bien… - Ah bon ? Comment ça ? - Eh bien, voyez-vous, chez les gens… un peu âgés… - Je vous en prie, Docteur, j’ai quatre-vingt-trois-ans, ne me ménagez pas ! - Eh bien, à votre âge, les artères du cerveau sont un peu plus rigides, elles ont perdu leur

souplesse, alors quand la tension baisse trop à cause des médicaments, le sang circule moins bien, le cerveau reçoit moins d’oxygène…

- Ah, je vois. Il risque de se ramollir, et on devient une plante en pot.

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Je te regarde. Tu ne souris pas. - A ce propos, Docteur, je voulais vous demander… - Oui ?

Je regarde autour de moi, la cuisine aux murs blancs, les placards en formica, le rideau à la fenêtre, l’évier parfaitement propre.

- Ca me fait toujours drôle de vivre ici. Depuis que nous avons déménagé de notre petite maison, je suis un peu perdue.

- C’est plus confortable, j’imagine… - Oui ! Oui ! Ca, y a rien à dire. Là-bas je n’avais que trois pièces, et puis la chaudière à

charbon, ça n’était pas toujours très sain, et l’été il faisait très chaud. Mais enfin, c’était chez moi, j’y ai vécu avec mon mari, tous mes enfants y sont nés, sauf l’aîné, puisque j’ai accouché dans la charrette de mon mari… […]

- Mais on vous a relogée ici… - Oui, pour ça, le maire a été gentil. […] Mais… - Mais ?

Je soupire. Je te regarde, puis je regarde l’évier, le cendrier propre sur l’étagère. Je lève la tête mais je n’entends rien dans la grande pièce.

- Je ne sais pas… ce n’est pas vraiment chez moi… Et puis, maintenant, je me sens seule. Tu te penches vers moi, tu poses la main sur ma main.

- Georges vous manque. Je sors un mouchoir, je m’essuie les yeux.

- Oui… Je ne devrais pas vous le dire, je sais que vous n’étiez pas d’accord… Mais qu’est-ce que vous voulez, il faut me comprendre… Il buvait tellement les derniers temps, il était toujours ivre, il ronflait toute la journée, c’était impossible de le bouger quand il était sur le lit, des fois il glissait par terre, et forcément, avec un seul bras, il ne pouvait plus se relever, et moi pas question que je l’aide… Alors, c’est vrai que quand ma fille a proposé ça, j’étais scandalisée, et à la vérité, ça m’a fait plaisir que vous preniez la défense de Georges, et que vous lui disiez que vous ne signeriez pas de papier… […] Vous m’aviez dit aussi que c’était compliqué , maintenant, de faire enfermer quelqu’un… Mais ma fille s’est débrouillée, elle connaissait quelqu’un qui travaillait dans un centre, à trente kilomètres de l’autre côté de Tourmens… […] Il paraît qu’ils ont un très beau parc, ils peuvent se promener… Mais il répète tout le temps qu’il veut revenir ici… Ma fille m’a dit qu’ils ont déjà dû aller le rechercher deux fois dans les bois. Forcément, il essaie de sortir, mais il y a un mur…

- Voulez-vous qu’il revienne ? - Oh, mon Dieu, non ! Il m’en a trop fait voir ! Et puis… ma fille ne serait pas d’accord… Et…

son mari a menacé de ne plus m’amener mes petits-enfants si Georges continuait à vivre ici… Mais… vous comprenez, c’est mon fils… Il me manque… C’était une compagnie, malgré tout. Pendant des années, avant qu’il se mette à boire autant, il m’aidait beaucoup, malgré son handicap, il faisait les courses, il repeignait les volets, il coupait du bois… Et puis quand son moignon s’est mis à le faire souffrir, ça n’a plus été…

- Avez-vous de ses nouvelles ? - Pas souvent… C’est compliqué de l’appeler au téléphone, et puis il ne dit pas grand-chose …

Je me mets à sangloter. - En fait, il ne me dit rien. Il ne veut pas me parler. Il m’en veut, j’en suis sûre… J’ai laissé

enfermer mon propre fils… Vous savez, Docteur, s’il n’avait pas été là, je ne serais pas vivante, aujourd’hui… […]

Je n’arrive plus à parler, je sanglote. Tu te lèves, tu fouilles tes poches et tu en sors un paquet de mouchoirs en papier, mais j’ai ressorti mon mouchoir trempé dans la poche de ma blouse.

- J’ignorais ça, Madame Destouches… - Bien sûr, je ne vous l’ai pas dit, parce que c’est grâce à vous et au Docteur Lance que je suis

encore là. Mais c’est à cause de Georges que je ne suis pas morte… Et nous restons là, un long moment, sans rien dire, toi à me tenir la main, et moi à pleurer sur ces années que mon fils m’a données et dont je ne voulais pas. »

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ANNEXE 70 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 157 « Tu m’as souvent dit que la nuit, c’est presque toujours la même chose, les mêmes angoisses, les mêmes rengaines, les femmes inquiètes parce qu’un enfant a de la fièvre ou la diarrhée ou vomit ou pleure, les hommes qui ont du mal à respirer comme ça brusquement sans raison apparente, et je sens que tu es en pétard quand je t’annonce un truc comme ça, que tu te retiens, parce que ta voix pâteuse crache du vitriol : Vous lui avez dit que le temps que j’arrive, elle sera déjà morte ? ou : Bon, son mari pleure. Et alors ? Elle veut que je lui colle une fessée avant de le remettre au lit ? Le plus étrange, c’est qu’au retour (tu m’appelles souvent au retour, pour vérifier qu’il n’y a pas eu d’autre appel entre-temps) tu es tout chose, comme si ta colère était tombée le temps du trajet, le temps de découvrir que le môme qui tousse qui chie ou qui grelotte va beaucoup mieux, mais que la mère, elle, en a des tonnes à raconter et qu’elle fait payer à son mari la java qu’il s’est offerte avec les copains la nuit précédente en la plantant là avec le môme (Tu vas voir mon salaud, tu vas nous le payer, je t’en foutrai des nuits de cuite, parce que si tu crois que dimanche soir tu pourras me passer à la casserole, tu te fourres le doigt dans l’œil et quand je dis le doigt), ou que le type qui n’arrive plus à respirer n’est pas un asthmatique ou un emphysémateux (ceux-là, ils savent qu’ils le sont, ils connaissent leur mal comme leur poche ils annoncent tout de suite la couleur), mais un petit mec un peu minable, affublé d’une bouffeuse de roustons qui lui a fait le souk toute la soirée pour je ne sais quel geste déplacé sur la personne d’une quelconque belle-sœur de cousine par alliance, au banquet de mariage dont ils sont rentrés tard le matin précédent (Tu vas voir, salope, tu me sabotes le film du dimanche soir avec tes engueulades à la con, eh bien tu vas me le payer. Tu sais, mes palpitations, celles que j’avais sans arrêt quand je fumais deux paquets par jour, mon cœur jouait de la batterie et t’avais la trouille que je meure pendant la nuit, tu te souviens ? Eh bien c’est reparti !) enfin, bref, la nuit, c’est souvent des règlements de compte. Toi, quand je te réveille, tu dis qu’ils vont te la payer, tu vas leur compter trente balles de plus pour déplacement abusif exigence personnelle, et quand tu reviens tu es désolé presque abattu, malheureux d’avoir été témoin de tant de misère affective, de tant de haines rentrées, de tant de malentendus empilés. Parfois, trop souvent à mon goût – et au tien, j’imagine –, c’est pour de vrai, c’est du saignant, du drame et de l’horreur, l’accident de la route à cinq dans la petite GT rouge (on dit souvent qu’avec une fille à droite du conducteur, les jeunes mecs au permis tout frais lèvent moins le coude et un peu plus le pied, mais c’est pas toujours vrai) et sur les cinq tu en trouves quatre très amochés et une morte, la petite amie du conducteur a pris le pylône quand ils ont raté le virage, l’hémorragie de l’utérus sur un cancer inopérable et elle pensait qu’elle pourrait mourir chez elle tranquillement, mais voilà qu’il faut repartir, la mort subite du nourrisson. Et puis il y a les toqués les jetés les pas nets, les folles constipées chroniques qui appellent à minuit pour qu’on vienne leur faire une ordonnance de laxatif à domicile si possible en passant par derrière pour ne pas réveiller leur mari, les violents de la « caserne » […]. Et puis il y a les angoissés terrifiés de passer encore une nuit seuls avec eux-mêmes j’ai plus de parents j’ai plus d’amis mes enfants sont partis mes voisins sont en vacances il faut que je parle à quelqu’un parce que sinon je vais tourner dingue les hystériques qui font leur crise hebdomadaire les adolescents qui pètent les plombs les sans-gêne qui appellent calmement pour une prolongation d’arrêt de travail, Oui je sais qu’il est onze heures du soir, mais le lundi matin impossible de voir un médecin, ils sont trop occupés.

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Et de temps en temps, il y ceux à qui tu as le sentiment (tu me le dis alors, quand tu me rappelles , tu es fatigué mais un peu excité, presque joyeux : Je ne regrette pas d’y être allé, voilà quelqu’un à qui j’ai vraiment le sentiment) d’avoir rendu service, un petit vieux qui est tombé de son lit et tu as réussi à rassurer tout le monde pour qu’on ne l’expédie pas à l’hôpital, un jeune qui s’est cassé la gueule en vélo en pleine nuit et que tu as recousu, une femme enceinte qui avait une bronchite et peur de perdre sa grossesse à force de tousser, un représentant qui devait partir à cinq heures et qui se tapait une rage de dents, un fils prodigue qui se remet à faire des crises d’asthme dès qu’il vient rendre visite à ses parents – il fait très humide dans le coin – et qui a étourdiment oublié son pulvérisateur chez lui où il fait chaud et sec et où ça ne lui arrive jamais, une dame qui ne voulait pas qu’on te dérange mais sa voisine a insisté parce qu’elle trouvait qu’elle n’allait vraiment pas bien, que tu as trouvée assise dans son lit, une tasse de tisane à la main, et qui t’a dit d’un air navré « Je suis désolée de vous avoir dérangé », auprès de qui tu t’es assis pour parler un peu et, quand tu es parti, tu t’es contenté de lui prendre la tension mais là, au bout du fil, quand tu m’en parles sans me dire ce qu’elle t’a confié, je te sens prêt à chialer. Et puis il y a les autres, ceux pour qui on ne peut plus rien, les décédés de fraîche date, subitement ou après une longue maladie, dans leur cou ou sur leur lit, les vieux, les jeunes, les moyennement âgés, les veufs, les entourés, les miséreux, les suicidés… »

ANNEXE 71 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 237-240 « - Vous êtes gêné depuis longtemps ? - Depuis… hier. Enfin, ça fait quinze jours… que ça n’allait pas …et… rien ne me fait plus grand-chose quand… j’ai une bronchite en plus… A ce moment-là, je me mets à tousser violemment, à transpirer, à étouffer encore plus. Il pose la main sur mon bras et me fait asseoir sur un siège recouvert de drap noir. J’avais peur qu’il me demande de m’allonger, la plupart des médecins ne savent pas que c’est pire. Il me regarde et hoche la tête. Je crois qu’il va parler, mais non, il ouvre le petit meuble à la tête du lit bas. Il en sort un pulvérisateur, une chambre d’inhalation en plastique. Il me la montre.

- Vous savez ce que c’est ? Je fais oui de la tête, j’en ai une à la maison mais je ne m’en sers jamais. Il me tend le pulvérisateur, ça n’est pas un produit que je connais. Il insiste pour que j’utilise la chambre d’inhalation et que j’en prenne plusieurs bouffées. Je m’exécute. Ensuite, il me demande d’ôter ma chemise, s’assoit près de moi, me prend ma tension et m’ausculte, une main posée sur mon épaule nue.

- Ca siffle moins, on dirait ? - C’est… pas encore ça…

Je me remets à tousser, je sue à grosses gouttes. Il fouille à nouveau dans le tiroir, en sort deux ampoules de verre, se lève pour préparer une injection. Il me pique sans me faire mal, trouve la veine tout de suite, me fait l’injection très lentement, et nous restons assis là, face à face, longtemps, dix minutes, un quart d’heure. Il se tait, il m’ausculte, il me regarde.

- Ca doit faire un moment que vous dérouillez… Je ne dis rien. Petit à petit, mon souffle se délie, ça siffle de moins en moins, je ne transpire plus, mon cœur se ralentit un peu. Il retire son stéthoscope de ses oreilles et pose la main sur mon bras.

- Vous avez la peau très sèche… Et de l’eczéma. Depuis l’enfance, sans doute… - Oui. Mais à côté de l’asthme, c’est plutôt secondaire… […]

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Lorsqu’il ouvre la porte de communication, il me tend la main. Je la prends, je la garde et je dis :

- Merci… Merci beaucoup. - De quoi ? De vous avoir soulagé ? C’est mon boulot… - Merci de ne pas m’avoir engueulé. J’attends toujours le dernier moment. Je me dis que ça va

passer. Je vide mes pulvérisateurs mais, passé un certain point, je sais que ça va empirer. Quand je vais voir un médecin, c’est que je n’en peux plus. Et chaque fois, on m’engueule en me disant que je suis fou à lier, que je risque de crever, que je suis un salaud de faire ça à mes filles… Je sais que c’est vrai, mais ça ne m’aide pas. Et ça ne me donne pas envie de consulter. Mais vous… vous ne m’avez pas fait la morale.

Il rit doucement. - La morale, c’est encore plus étouffant que l’asthme… »

ANNEXE 72 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 242-243 « Je me rends compte que je regardais ses mains, encore posées à plat sur le bureau. Je lève les yeux et je le vois sourire, attentif et perplexe. Je prends ma respiration et je dis :

- Je suis venue parce que j’avais besoin de parler. Je ne suis pas malade… Enfin, pas malade comme les malades que vous voyez, j’ai un peu honte, je me dis que je vous prends du temps… Vous n’avez pas de visite à faire ?

- Pas que je sache. J’en aurai plus tard, sûrement. Je respire difficilement, ma gorge se serre. Les larmes montent aux yeux, j’ouvre la bouche mais rien n’en sort.

- Excusez-moi… Il attend patiemment, et puis, voyant que je ne parviens pas à émettre un son, il murmure :

- Ca l’air d’être très difficile. - Oui… Et en même temps… c’est à la fois tellement invraisemblable et tellement… banal ! - Mmmhh. - Je… je suis célibataire, mais c’est comme si j’étais mariée… et j’ai un amant… Enfin, il n’y a

que lui… je veux dire… je n’ai qu’un homme dans ma vie… si on peut appeler ça une vie… et parfois je le vois tous les jours, et parfois je ne le vois presque plus pendant des semaines… Il est très présent… et très absent à la fois… Et… je n’en peux plus…

- Parce que c’est dimanche, vous ne l’avez pas vu, aujourd’hui ? - Non, non ce n’est pas ça. Je le vois le dimanche, je le vois même assez souvent. Il… il

s’arrange. Sa femme… s’absente souvent. Elle ne travaille pas, elle joue au bridge. Elle fait des tournois. Elle profite de l’argent qu’il gagne, elle aurait tort de s’en priver… Aujourd’hui, je ne vais pas le voir, il est… ils sont allés dans la belle-famille, préserver les apparences. Un repas d’anniversaire, je ne sais pas, je ne veux pas le savoir. Quand il fait ça, je le déteste, je voudrais le tuer, je voudrais les tuer tous les deux, et qu’on en finisse !... Je la croise parfois, en ville, je la vois dans des boutiques hors de prix, elle claque un fric fou… J’ai beaucoup de mal à ne pas l’insulter…

Je le regarde. Il ne dit rien. Il hoche la tête comme s’il comprenait. Oui, je crois que tu comprends. »

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ANNEXE 73 MARTIN WINCLER. La Maladie de Sachs. Paris : P.O.L éditeur, 1998, p. 278-279 « Visites dimanche : Jules Gavarry, Deuxmonts (Dr Boulle), sciatique – dans la nuit de samedi à dimanche, je lui ai fait des anti-inflammatoires IM, mais il tenait absolument à partir le matin très tôt pour je ne sais quelle foire exposition, alors tu ne vas sans doute pas le revoir cette semaine, j’espère qu’il ne dérouillera pas trop, il avait six cents kilomètres à faire quand même Armand Duras, Sainte-Sophie (Dr Jardin), poussée insuff. cardiaque – j’ai demandé à sa fille de vous rappeler mardi s’il n’allait pas mieux Arnaud Belleto, Marquay (Dr Boulle), grippe Janine Daudet, Saint-Jacques (Dr Jardin), certificat de décès Lucienne Darrieussecq, Langes (Dr Carrazé), douleurs abdominales – je ne sais pas ce qu’il faut en penser, ce malaise qu’elle a fait dans les toilettes, je n’ai pas d’explication, mais quand j’ai examiné son ventre je l’ai trouvé dur, je me demande si son côlon ne mériterait pas une exploration. Consultations dimanche : Norbert Ferry, « La Robertine » (Deuxmonts), crise d’asthme Madame ??? (Saint-Jacques) Mathieu Valabrègue (Play), suture André Alferi (Play), ablation d’un hameçon Roselyne Mémoire, Marquay (Dr Boulle) – tu vois qui c’est ? Ah, tu connais la famille ? Cette enfant est dans une panade pas possible. Je suis très, très emmerdé parce qu’il faudrait que quelqu’un la prenne en charge. Elle avait l’air d’avoir envie que je garde ça pour moi, mais ça m’a tellement ébranlé que je me suis dit Il faut que j’en parle à… »