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FALLFORME
JULIETTEBONTE
Prologue
Finn
J’aitoujourseuunfaiblepourMontanaEdwards.Jecroisquesonphysiqueyestpourbeaucoup.Quoique.Lapremièrefoisquejel’aivue,elleavaithuitans,etjen’étaispasencorepréoccupéparsontourdepoitrine.Ellejouaitdevantleporchedesamaison,unebaraquevictoriennecommeon
en croise souvent dans les quartiers de bourges, à San Francisco. Je l’aiimmédiatement trouvée jolie, même avec sa tresse de catho coincée. Elleressemblait aux filles de bonne famille, du genre à offrir le pain rassis auxcanardsetàpassersesvacancesdansuncampdescouts.Ellen’appartenaitpasàmonmonde.Monfrèreavaitremarquéquejel’observais.Jemerappellesonrirequandil
m’alancé:—Tu vises trop haut, Finn.Celle-là, aumieux, elle temettra plus bas que
terre.J’airougi.Puisj’airassemblélanourriturequ’onvenaitdevoleretj’airepris
laroute.Montanam’avaitaperçucejour-là,maisjenel’aiapprisqueplustard.Jenourrissaisuneobsessionàl’égarddecettefille.Et,parcequejen’arrêtais
pasdepenseràelle,jechangeaisrégulièrementd’itinérairepourpasserdanssonquartier. Je l’ai espionnée pendant des jours, peut-êtremême des semaines, etc’estcommeçaquej’aiapprisàladécouvrir.J’ai bientôt été capable de réciter ses horaires de classe, d’affirmer que le
rouge était sa couleur préférée, ou encore de donner le prénom de ses amies.C’étaitpitoyable. Jemehaïssaisdenepasavoir le couragede l’aborder,mais
comment faireautrement?Elleétait riche,belle,et j’étaisFinn.Legaminquivolaitaulieud’alleràl’école.Jenesavaismêmepasécrire.Il n’y avait donc aucune chance pour qu’on se rapproche,mais c’était sans
comptersursonaltruisme.Ouais,cettenanaétaitchiantedeperfection.—Hé!Jel’observaisàladérobéedepuisplusd’unquartd’heurequandelleacouru
dansmadirection.Ellem’a tenduunebarreprotéinée.Lamienne.Enfin,cellede l’épicierque
j’avais dépouillé un peu plus tôt. Elle était dégueulasse, mais remplissaitl’estomac.— Elle est tombée de ta poche quand tu t’es relevé du buisson, m’a-t-elle
précisé.Elle m’a souri si simplement qu’on n’aurait pas dit qu’elle me taxait de
voyeur.— Je sais que tu me regardes de temps en temps et ça ne me gêne pas.
J’attendaisquetuviennesmeparler.Drôle demoment. On s’est fixés, j’ai remarqué qu’elle avait des taches de
rousseur,puisjesuistombéraidedingued’elle.Raidedinguecommeungossedehuitpigesenestcapable.Disonsquej’avaisdansl’idéedeluitenirlamainet,intrépide,peut-êtrequej’auraistentélebisouesquimau.Jen’aipaseuletempsdeluirépondrequ’unhommeimposantestapparusur
leurperron.—Montana!C’estl’heuredemanger!Au-delàdesusciter lerespect, il instauraitunsentimentdepeur.J’ai toutde
suitevul’avertissementdanssesyeux:sijetouchaisàsafille,ilmetordraitlecou.Aveclerecul,jemedisquecetenfoiréafaitbienpire.—Jesuisdésolée,jedoisyaller,m’a-t-elleditavecdouceur.Reviensdemain,
maispasàlamêmeheure:monpèren’aimepasquandjetraînedanslarue.Onjoueraaugendarmeetauvoleur,situveux.Elle m’a mis la barre dans la main et s’est éloignée. Ça a été le premier
contactd’unelonguesérie.Jesuisrevenulelendemainet,commeconvenu,onajoué.Leplussurprenant,
c’estquej’avaislerôledugendarme;Montanatrouvaitquej’avaisunetêtedeshérif,cequejen’aijamaisconsidérécommeuncompliment.Ce jeuestdevenunotre rituel.Elleme faisait rire,mêmesi sonpèren’était
jamaisloinetqu’ilgardaittoujoursunœilsurmoi.Ildevaitsentirlagrainedemerdeux.Flairdeflic.Aufildutemps,notreententes’estintensifiée.Onacommencéàseraconter
noshistoirespersonnelles:j’aisuqu’elleidolâtraitsonpaterneletelleaapprisquej’étaisundélinquantenculottecourte.Saréactionm’asurpris,d’ailleurs…J’avaishésitéàleluiavouer,puisquej’étaisauxantipodesdesesvaleurs.Lefaitdel’apprécieraeuraisondemoi,etj’aifiniparêtrehonnête.On aurait pu penser qu’elle m’en mettrait plein la figure, mais elle s’est
montréeplutôtouverte.—Pourquoitufaisça?J’aihaussélesépaules.—Onn’apasbeaucoupd’argent,mon frère rapportecequ’ilpeut et jeme
débrouilleaveccequej’ai.—Ettesparents?—Ilstravaillent,maisçanesuffitpas.—Tunedoispasvoler,Finn.C’estmal.—Fautbienmanger.Elleapincéleslèvres.C’étaitadorablequandellefaisaitcettemoue.—Situasbesoindenourriture,demande-moi,jetedonneraitoutcequej’ai.Mon frère m’avait toujours dit que la charité n’était acceptée que par les
faibles, alors j’ai refusé. Ça ne l’a pas empêchée dem’offrir tous les gâteauxpossiblesetimaginables,danslesmoisquiontsuivi.Sijen’avaispasdûfuirlescommerçantsquejevolais,jeseraisdevenuuneboulettedegrasàfoutreaufour.Montanaétaitcommeça.Droitedanssesbaskets.Elleavaituncertainsensde
l’honneuretdurespectdeslois.Jetrouvaisçabarbantetmignonàlafois.Çalarendaitdifférentedeceuxquejefréquentais.Etdesgens,j’enaicôtoyéunebellebrochette!Je traînais avec les potes de mon frère quand elle était en cours. Moi, je
n’allaispasaucollège.Pourêtreintégréàlabande,j’aidûfairedestrucscons,commedeguetterpourque les flicsne les chopentpas en traindedealer, parexemple.J’étaisbonàcejeu-là.Trèsbon,même.J’avaisuneconnaissanceparfaitedu
terrain, jemémorisais lesplaquesd’immatriculation,et je sifflaisplusvitequemonombre.Lebonus,c’étaitl’argent:mêmelesgossessefontdubiffdansce
réseau.Alors,ouais,j’étaisloindem’acheterlachaîneenormassifduchefdelamafiasud-américaine,maisjepouvaismefaireplaisir.Et,parlamêmeoccasion,fairesourireMontana.Jegarderaitoujoursenmémoirelesoiroùjeluiaioffertsoncadeau.Ilfaisait
froid et, à cause du brouillard, on ne voyait que les taches lumineuses deslampadaires;pournepasalertersonpère,j’aisiffléaulieudesonneràlaporte.Elle a alluméet éteint la lumièrede sa chambreàdeux reprises, signequ’ellem’avaitentendu.Quand elle est sortie en douce de chez elle, j’ai découvert que j’avais une
libido.Elleétaitdevenueuneado.Jesavaisquesoncorpssemétamorphosait,mais,
commeellenel’exhibaitjamais,j’enignoraistouteslesqualités;jemesuisprisun bon coup de jus en plein entre les jambes lorsqu’elle est apparue endébardeur… Il ne m’en fallait vraiment pas beaucoup à l’époque, et je nem’excuseraipas:j’étaispuceauetàfondsurelle.—Ilestminuitetdemi!a-t-ellerâléensefrictionnantlesbrasavecvigueur.J’airetirémonblousonetleluiaimissurlesépaules,cequinel’apascalmée
pourautant.—Finn,simonpère…—J’aiuntrucpourtoi.Sansattendre,j’aiextirpél’objetdemapocheetleluiaiprésenté.Lebracelet
pendait lamentablementauboutdemesdoigts,aupointqu’onauraitpucroirequ’iln’avaitpasdevaleur—aujourd’hui, jepourraisdirequ’ilnevalait rien,maisàl’époquejem’étaissaignépourelle.Il n’avait rien d’exceptionnel, à part sa couleur.Du rouge carmin, lemême
queceluidesesécharpesenhiveretdesesbasketsenété.— Il estmagnifique, a-t-elle dit dans un filet de voix.Mais je ne peux pas
l’accepter.Ellearefermélesdoigtssurlesmiensetlegestem’aprofondémentdéplu.—C’estuncadeau,Montana,tuasjusteàleprendre.—C’estvraimentgentil,mais…— Tu m’as rempli le ventre pendant des années, considère ça comme un
merci.—Finn…
J’aicroisésonregardetaisaisilanaturedesonmalaise.Çam’aencoreplusagacé.—Tupensesquejen’avaispaslesmoyensdel’acheteretquejel’aivolé?
C’estpourçaquetun’enveuxpas.Ellenem’apasréponduetjen’aipaseubesoindepluspoursentiruncouteau
seplanterdansmonorgueil.—J’aitravaillépouravoircetargent,Montana.—Tun’asquequatorzeans,s’est-elleétonnée.—Etalors?—Tun’aspasl’âgelégalpouravoirunjob.Tonemployeurn’estpasdansles
règles.Parfois, son esprit de justicière accro à la légalité me pompait l’air, mais,
comme je n’étais pas directement touché, je laissais couler. Ce soir-là, c’étaitdifférent.—Tuprendscebracelet,ouiounon?Ànouveau,j’aieudroitausilence.Alors,j’aifaitdemi-tour.Elle ne comprenait pas que ce bijou débile était pour moi un moyen de
rééquilibrer notre relation : pour la première fois de ma vie minable, j’avaisl’occasiond’êtreàsonniveau.—Finn!Jeruminais,maisentendremonprénomm’astoppénet.Jeréagissaiscomme
unenanashootéeauxœstrogènes.C’étaitgrave.C’étaitl’effetqu’elleproduisaitsurmoi.Etplusletempspassait,plusjevouaisunerelationamour-haineàcetteemprise.Elle m’a pris le bras et m’a forcé à pivoter. Entre sa coiffure de Marie-
Madeleine et sesyeuxbleus, on lui aurait donné lebonDieu sans confession.Cettepenséem’afaitmal,parcequ’ilétaitclairquejen’étaispasundieu,maisque je lui avais déjà offert quelque chose. Quelque chose de beaucoup plusprécieuxqu’unesaloperiedeconfession.—Excuse-moi,a-t-ellechuchoté.Jenevoulaispas teblesser.Çametouche
énormément.Ellearécupéré lebraceletet l’aenfilé,puiss’estavancéepourm’embrasser
surlajoue;onétaitamis,jen’auraispasdûenvouloirplus.Maisjechangeais,moiaussi,etl’hommeendevenirnevoulaitpasmanquerunechancepareille.
Alors,j’aitournélatêteetj’aiplaquémabouchecontrelasienne.Qu’ellemerepousseauraitétélogique,maisellenel’apasfait.Aucontraire,
elle a pressé un peu plus ses lèvres sur lesmiennes, et j’ai alors compris queMontanaEdwardstestait,elleaussi,leslimitesdenotreamitié.Ça a été le moment le plus chaste que j’aie vécu. Pas de langue. Pas de
pelotage. Rien. Juste une fille sur qui j’étais en kiff depuis six ans et quimelaissaitlatoucher.Elleafiniparreculeretm’asouri.C’estlederniersourirequ’ellem’aoffert.—Jefinisà13heures,demain.Situveux…—Jeserailà,ai-jepromis.Jen’aijamaistenumapromesse.Cettenuit-là,unerixeaéclatédanslesruesdeTenderloin.Lesconcurrentsdu
gangdemonfrères’ensontprisànosdealersenposte.Heureusement,jen’enfaisaispaspartie.Monfrangin,si.Iln’apassurvécu.Çaaétéledébutdemafin.Àpartirdujouroùj’aisuquiavaitdonnél’ordre
de tirer sur lui, j’ai vrillé. Il n’était pas question que ce salopard continue devivre dans les rues dema ville ; je voulais sa mort, et j’étais prêt à tous lessacrificespouratteindrecebut.Alors,j’aisupprimélesquatorzepremièresannéesdemonexistencepourme
façonnerunenouvelleidentité.J’airayémesparentsdel’équationetj’aieffacécequipouvaitmerendrefaible,àsavoirlessentiments.J’aigrandiavecmongang,franchissantlesétapesuneàune,afindeprendre
dugalon.Ilm’afalludesannéespourpasseràlatêtedeceréseau,j’yaiperduautantdedignitéqued’humanité,maisj’ysuisparvenu.Aujourd’hui,jesuissurlepointdetoucheràmonrêvedevengeance.Leseul
détailqui retardemesplans,c’estunanciencrushdegamin,devenumonpirecauchemar.
Chapitre1
Montana
—Onnedevraitpasêtrelà.Alecobservel’immeubleavecdédain.Jenepeuxpasluienvouloir,mêmes’il
est censé soutenir mes idées : entre coéquipiers, on se serre normalement lescoudes.—Éteinslesphares,dis-je.—Pourquoifaire?Tuveuxqu’ilnousremarque,non?—Lui,oui.Maispassesparents.—Onestenterrainhostile,Montana.Lequartierentiersaitquenoussommes
là,sesdaronsycompris.—Éteinslesphares,s’ilteplaît.Ils’exécuteàcontrecœur.J’aperçoisplusieursguetteurs,etsupposequ’ilsont
déjàprévenuleurchefdenotrearrivée:unebagnoledeflicsàTenderloin,mêmebanalisée,c’estcommeunéléphantdansunmagasindeporcelaine,çan’ariendediscret.Alec, fidèle à son aigreur, attrape son tacos et le dévore en bougonnant. Il
mangemexicainuniquementquandonestenplanque.Jenesaispaspourquoi.C’estunehabitudequej’aidécouvertelorsqu’onaétémisentandem,ilyatroisans.Depuisquej’aiétéembauchéeàlaSFPD1,donc.—Tudevraisavaleruntruc,dit-ilendésignantlesachetdeTacoBellàmes
pieds.Çarisquedemettreuneplombe.—Ilseraplusrapidequetunelepenses.
Effectivement,monindicmetmoinsdecinqminutesàsortirdel’immeuble.J’aidroitàunregardnoirlorsquejem’extirpedelavoiture.—Qu’est-cequetufousici?—Monte.Iljetteuncoupd’œilauxalentours,l’airanxieux,puisfaitnondelatête.—Tuveuxquejemefassebuterouquoi?Vousêtespasdiscrets!—Ça faitunesemaineque j’attendsde tesnouvelles.Tudevaismedonner
desinfos,tuterappelles?Ilserrelamâchoire.—C’estcompliqué,OK?Etmerde!Pasici!T’eschezmoi,là!—Montedanslavoiture,Porter.Ildétestequandjel’appelleparsonprénom.Iladix-septans,c’estungaminà
problèmescommeilestcommund’enrencontrerdanssonmilieu.J’airéussiàlecorrompre en échangeant ses infos contre de l’argent. Basique. La pensiond’invaliditédesonpèrenesuffitpasàsubvenirauxbesoinsdelafamille.Quantà sa mère, elle cumule les jobs pour trois kopecks. Je ne pouvais pas mieuxtomber.—Allez,insisté-je.Il me jette un autre regard assassin, avant de s’installer à l’arrière. Alec
l’accueille avec des restes de sauce cajun au coin de la bouche, tandis que jeclaquemaportière.—T’enveux?luilancemoncoéquipier,letacosdégoulinantentresesdoigts.—Jesuisvégétarien.—Tudéconnes…T’esundealeraccroàlacauseanimale?C’estpossible?—Sijetedisdelafermer,tuvasmalleprendre?—Çasepourrait,ouais.J’appréciemoyennementlemanquederespect.JepivoteversPorteretluidemandesilencieusementdenepassurenchérir.On
a d’autres chats à fouetter. Il se renfrogne sans piper mot ; j’ai conscienced’exercerunecertaineautoritésurlui.Ilm’écouteetmerespecte,nonpasparcequejebossedanslapolice,maisparcequejen’aiqu’uneparole.Jel’aidefinancièrementdepuisdesmois,etce,entirantlessommesdemon
proprecompteenbanque.LaSFPDn’estpasaucourantdenotreaccord.Àvraidire, personne à part Alec ne sait ce que je fais en dehors demes heures deboulot.
—Tuascequejet’aidemandé?Ilsetassesursonsiège,etfuitmonregard.—Si je te donne l’adresse, on sauraque çavient demoi. J’ai posé tropde
questions.—Jeteprotège,Porter,tulesais.Fais-moiconfiance.—C’estpasleproblème.Onégorgelesbalances,aucasoùtul’auraisoublié.—Ont’égorgerasijefaisunebourde,etçan’estpasdansmeshabitudes.Je
gèrelasituation,net’inquiètepas.Son genou remue frénétiquement sous le coup du stress. Je pourrais m’en
vouloirdelemettredansunetellesituation,mais jesaiscequejefais.Jesuissur cette enquête officieuse depuis tellement de temps qu’elle fait désormaispartie de moi. Je me réveille en y pensant et je m’endors avec les fiches derecherchesurlapoitrine.Jenevisquepourça.Parfois,jecroisquejesuisentréedans la police par sa faute ;même simonpère a euun impact indéniable surmonchoixdecarrière,moncœuraeusonmotàdire,luiaussi.Un long échange s’opère à travers le rétroviseur. Porter hésite et je le
comprends.Ilrisquegros.Cependant,jesuishonnêtequandjedisqu’ilpeutmefaireconfiance:sionveuttoucheràl’undesescheveux,ilfaudrad’abordmepassersurlecorps.Monintégritéenversluiesttotale.— L’entrepôt au coin de la 6e. C’est là qu’ils stockent les arrivées depuis
l’AmériqueduSud,lâche-t-ild’unetraite.J’opinecalmement,malgrélegrandhuitquisejouedansmonventre.—Tuessûrdetoi?demandeAlec.—Cesontdesrumeurs,jepeuxrienconfirmer.Jesuisundealer,c’estlebas
delapyramide.—Situnousembarquesdansunpiège,jetejurequetafamillenes’ensortira
pasindemne!—Nemêlepasmesparentsàça,grogne-t-il.—Ilfautquetusacheslesrisquesquetuencoursànousmentir,gamin.—Jemenspas!Montanavoulaitdesinfos,jemesuiscassélatêtepourles
choper,alorsmefaispaschier!—Détends-toi,jetepréviens,c’esttout…—Tumemenaces,corrigePorteravecjustesse.—Situtesensendanger,c’estquetuasquelquechoseàtereprocher.
—Arrête,Alec!interviens-je.Ilacompris.Porter ouvre la portière sans attendre. Alec hausse alors les épaules et
baragouinequ’ilnefaitquesonjob.— Hé ! Merci. Ton aide m’est précieuse, je te revaudrai ça, dis-je en
rejoignantl’adolescent.Ilacquiescebrièvement,l’airtoujoursaussicrispé.—PourquoitufaisunefixettesurFall?Lesurnomdéclencheenmoiunfrisson.—Jeveuxdire,t’espaslapremièreàvouloirlecoffrer,maisondiraitqueça
tetientàcœur,ajoute-t-il.—Qu’est-cequitefaitcroireça?—Tum’asdemandéd’êtretataupeilyaquasimentunan,etvucommenttu
tefringues,turoulespassurl’or.L’argentquetudonnesàmesparents,c’estpasceluidelaSFPD,j’ensuissûr.Tulajouesperso.Jelèveunsourciladmiratif.—Tonanalyseestintéressante,maismesmotivationsneteconcernentpas.Je
déposerai le liquidecommeconvenu,à l’endroithabituel.Si tuasdunouveau,j’apprécieraisquetum’enfassespart.—TusaisqueFalln’estpasdébile,hein?Situl’approchesdetropprès,ilse
débarrasseradetoi.—Serait-cedel’inquiétudequejeperçoisdanstavoix?dis-je,amusée.—Onmangejusqu’àlafindumoisgrâceàtoi,alorsoui,jepréféreraisquetu
nemeurespastoutdesuite.Jesecouelatête,tandisqu’ilfaitdemi-tour.Meprévenirquantaudangerque
représentecethommeestinutile,jesuisdéjàaucourant.Fall est mon obsession, et ça ne date pas d’hier. Des flashs du passé me
reviennent soudain en mémoire, des moments vécus sur mon perron… destonnesdenourriture…desjeuxstupides…mais,commetoujours,jeleschasse.Ilsnedoiventpasinterférerdansmonobjectifactuel.Finnn’existeplus.Désormais,c’estàFallquej’aiaffaire.Etàlui,jeneferaipasdecadeaux.
1. SanFranciscoPoliceDepartment.lapolicedeSanFrancisco.
Chapitre2
Montana
Lasemainesuivanteestdédiéeaurepérage.Lelieuquem’aindiquéPortersetrouve dans un quartier calme. Il y a très peu de passage. Je n’ai répéré laprésence d’hommesdans l’entrepôt qu’au cours de trois demes planques : ilsn’arrivent jamais à la même heure, ne sont pas chargés de sacs — ils netransportent donc pas de drogue— et sortent vraisemblablement par l’arrière,puisque je n’en ai vu aucun revenir. C’est pour cette raison que je faisactuellementletourdubâtiment.Monholsteretmonarmesontrestésdansmavoiture,àdeuxblocsdelà.Sion
m’attrape avec cematériel, j’aurai dumal àmentir surma fonction, alors j’aipréféré m’en débarrasser… quitte à courir un risque. Je n’ai pas repéré decaméras,maisjen’enrestepasmoinscertainequelesalentourssontsurveillés.Toutes les portes que je teste sont soit verrouillées, soit bloquées par une
chaîne. Je ne perds pas de temps avec les fenêtres : elles sont trop hautes etprobablementsécurisées,ellesaussi.Ilnemeresteplusqu’àattendrequ’undeshommestransitanticicommetteuneerreur.
***
Sixautresjoursetautantdeplanquesserontnécessairespourqueçaarrive.Normalement, ils prennent soin de verrouiller derrière eux ; on entend le
loquetdelaporteprincipalelorsqu’ilssontentrés.Lesonestdiscret,maisjesuistellementenalertequejepourraisrepérerunemouchevoleràdixmètres.Cettefois,pasdeloquet.Lerouxbaraquén’apasmisleverrou.Uneoccasion
pareillenesereprésenterapas,alorsjequittemonposted’observationetfoncevers l’entrepôt.Alecmehurleraitdessuss’ilmevoyait : jenerespecteaucunedesrèglesapprisesàl’écoledepolice.Deplus,mescollèguesnesaventpasoùjesuis.S’ilm’arrivequelquechose,seulsmespoingspourrontmedéfendre.Tant pis. La peur n’est pas un frein chez moi. J’ai grandi avec une figure
paternelle forte et autoritaire.Un flic comme les clichés en font si bien ;monpère m’a appris à choisir le chemin le plus droit, même s’il est seméd’embûches. Ce que je dois faire, c’est donc entrer dans ce foutu bâtiment etamasserassezdepreuvespourqueFalltombe.C’estmonrôle.Monbut.Alors,jem’yattellerai,quitteàylaisserdeuxoutroisplumes.Voireplus.Toutestétonnammentfacile.Jedécouvreunhangarimmense,àpeineéclairéetsurtouttrèsvide;misàpart
despalettesdeboisetdeséchafaudages,iln’yapasunchat.Jemedéplaceavecprécautionparmilesdébrisdecequisembleêtreuneanciennesidérurgie,prêteàcroiserunetêterousse…Saufqu’iln’yapersonne.Nihommebaraquénidrogueentreposée.J’enviens
àcroirequePorteraétédupé:qu’ilm’aitmentin’estpasenvisageable,pourlasimple et bonne raison qu’il tient à ce que sa famille continue à bénéficier denotredeal.Memenerenbateauledesservirait.—Surprise?Jesursautebrusquement.Matêtetourneàgaucheetàdroite,maisjenerepère
paslepropriétairedelavoix.Moncorpsseposteenpositiondedéfense.—Derrièretoi,Montana.L’intonation est sensiblement différente, plus grave et sauvage. Elle s’est
érodéeaufildesans,donnantnaissanceàquelquechosequejenedevraispasreconnaître.Etpourtant…Mon rythme cardiaque explose quand je me retourne. Mes poings se
desserrent, comme s’ils estimaient qu’il n’y avait plus de danger.Unmélanged’euphorieetdehainemehappe…avecunepointed’amertumeetbeaucoupdedéception.Quelquepart,jevoulaiscroirequeçan’étaitpasréel.Àquelmomentpeut-on
accepterquesonamid’enfance,ungarçonaveclecœursurlamain,bourrédedouceuretdegentillesse,soitdevenutoutcequ’onexècre?Lechocdelaréalitémecoupelesouffle.
Parcequ’ilestbienlà.La dernière fois que j’ai vu Finn, j’avais quatorze ans. On s’est embrassés
devantchezmoi.Ilnesavaitpasquej’avaisrêvédecemomentpendantsixans.Iln’ajamaissuquejenourrissaisdessentimentsprofondsàsonégard,parcequej’aijouélerôledelabonnecopineaulieud’êtrehonnêteenverslui.Je le trouvais beau. C’était terrible. Chaque fois que je le regardais, mon
ventre faisait ce truc idiot, commedes loopings incontrôlables, à en avoir desfourmisdanslesbras.Ilfaisaittambourinermoncœuretmedonnaitunsourirebéat.Il n’était pas comme les autres garçons et j’aimais cette différence. Moins
bête.Plus respectueux. Ilneparlaitpasdudernier jeuvidéo tendanceoude lapaire de sneakers hors de prix qu’il s’était offerte.À vrai dire, Finn était peuloquace.Onpassaitnotretempsàjouer,parfois,onselaissaitalleràunepetiteconfession.Notre amitié était aussiuniqueque la façondontnousnousétionsrencontrés.Enfait, j’étaisclairementsous lecharme…mêmequand il revenaitdechez
l’épicier du coin avec les provisions qu’il avait dérobées. Même quand j’aicompris qu’il suivait les traces de son grand frère.Même quand j’ai vu qu’ilprenaitpeuàpeulatangente.Finnétaitmonsecret.Cegarçondont jeneparlaisàpersonne,maisquime
rendaitheureuse.Jen’aipasarrêtédepenseràluilelendemaindubaiser.Unevraiegroupie.Le
matin,jem’étaiscoifféeethabillée,jeportaissonbracelet.J’aiquittélecollègetelleunefurieen transe,aupointquejesuisarrivéeenavanceà lamaison.Jel’ai attendu pendant plus de quatre heures,mais il ne s’est pasmontré.Ni cejour-lànilesautres.Jenel’aijamaisoublié.Onzeansontpassé.Etlevoilààquelquesmètres,avecsonregardbleuazur
sensationnel,sescheveuxenbataille,etuneviequimedégoûte.Letrop-pleind’émotionsestcompliquéàgérer.Jen’aipasbesoindeluiposer
la question, je vois qu’ilm’a reconnue.Apparemment, que je vienne ici étaitprévu.J’effectueunebrèveétudedudécoravantdereveniràlui.—Tuasfaitunpeudeménage,jeprésume.Son regard froid me transperce de part en part. Ce n’est plus un enfant
insouciant,maisunhommeinsensible.J’aidumalàm’enaccommoder.
Oùes-tu,Finn?—C’estleminimumavantd’accueilliruneinvitée,non?—Jeteremerciepourtonsensdel’hospitalité.Nouveaublanc.UnventdeSibériesiffleentrenous.Jedécidedeprendreles
devants:—Commentas-tusu?Ilrelèveunecommissureprétentieuse.—«Su»quoi,Montana?Quetutournesautourdecetentrepôtdepuisdeux
semaines?Tumanquesdediscrétion.Çafaitunmomentquemeshommest’ontrepérée.—Lerouxavolontairementlaissélaporteouverte?…Sonsilencefaitofficedeconfirmation.—Tuvoulaismerencontrer,c’estça?ajouté-je.Ilfaitunpasenavant,etjemesureavechorreurcombienilressembleencore
à l’ancien Finn. Il a toujours ce nez droit, indécent de perfection. Et cettecicatrice entre les sourcils, qui lui donne constamment l’air sérieux ; il m’aexpliqué, un soir, que son frère et lui adoraient se chercher. Au cours d’unebagarre, son front a cogné contre un radiateur en fonte et il en a gardé unemarque indélébile. J’aurais préféré ne pas m’en souvenir, ce détail le rendhumain.—Cheznous,lesflicssontassezmalvus,murmure-t-ild’untoncassant.Tu
as réussi à soudoyer un élément faible, mais il va falloir que tu cesses tesrecherches.Cemonden’estpasletien.Tut’embarquesdansuneguerrequetunepourraspasremporter.IlestaucourantpourPorter.Je note dans un coin dema tête de prendre des nouvelles du gamin le plus
rapidementpossible.Dieuseulsaitcequ’ilabienpuluifaire!—Situtentesdememenacer,çanefonctionnepas.Jesaisquitues,Finn.Iltique,maissereprendl’instantd’après,croisantlesbrassursontorse.—Onvalafairehonnêtement:cequej’aiété,oubienpuêtre,n’existeplus.
Quandjetesuggèrededégagerdemonchemin,c’estpourt’éviteruneescaladedeviolenceàlaquelletun’aimeraispasassister.—Pourquoi?Monsortt’importe?Si jem’attendaisàuneseconded’hésitation,ouàdécelerunsentimentdans
sonregard,iln’enestrien;ilmeritouvertementàlafigure.— Tu peux crever la bouche ouverte, je n’en aurais rien à foutre ! Je te
préviens,commejel’aifaitavectousceuxquiontessayédem’attraper.Àtoidesaisircettechanceounon.Aucunepertehumainen’aétédéclaréechezmescollègues,jel’auraissu.J’en
déduisqu’ilssesonttousdébinésaulieudefaireleurboulot.Çaneserapasmoncas.—Tunepourraspastecacherindéfiniment,Fall.J’aiundossiersurtoi.—Alors,arrête-moi!Il écarte lesbras, l’airnonchalant.Unpetit sourire supérieurest scotché sur
ses lèvres. Je n’ai pas les preuves nécessaires et il en a conscience ; que çal’amusemedonneenviedeluimettreuncoupdeboule.Satisfait parmon absence de réaction, il baisse les bras et se rapproche.La
tensionbandemesmusclesàl’extrême…Jeledétestetellement…—Faisencoreunseulpasettuboirasdelasoupejusqu’àlafindetesjours,
lepréviens-je.—Tunemefrapperaspas.—Recule!Ses yeux examinentmon visage sans aucune retenue. Ils s’approprientmes
traits,ceuxquiontvieilliavecletempsetqu’ilaperdusdevue.Àcetinstant,j’ignores’ilréaliseàquelpointçamedétruit.Uneboulederageremontedansmagorge;ilnepeutpasmeregarderainsi.Il
n’enapasledroit.Jerefusederessentiruneseuleoncededouleuràcausedecemonstre.—Que je ne te revoie jamais plus en face de moi,Montana. La haine. Il
transpirelahaineettantmieux,celamerassure.Nouséprouvonslemêmesentimentl’unenversl’autre.Je m’en vais et ne me retourne pas avant d’avoir retrouvé ma voiture.
Agrippéeauvolantàenavoirlesjointuresblanches,jedémarreentrombe.Desdizainesdesouvenirsembuentmonespritalorsquej’accélère;j’aibeausecouerlatêteetjurercommeuncharretier,lepetitgarçonauxyeuxbleusnequittepasmespensées.J’aiétéamoureusedeFinn.Bienqu’ilnesesoitrienpasséentrenous,jesuis
incapabled’effacercessixannées.Ellesm’ontmarquéeauferrouge.
Chapitre3
Fall
—Onfaitquoiavecelle?Ballsattendmaréponse,lessourcilshaussés.Il travaillepourmoidepuisun
momentetc’estlemeilleurbrasdroitqu’onpourraitespérer:sijeluidemandaisd’aller surMars, il kidnapperait ElonMusk et trouverait lemoyen de choperl’unedesesfuséespoursatisfairemarequête.C’estpourçaquejel’aimissurlecoup, avec Montana. Je ne voyais personne d’autre que sa tête rousse àl’entrepôt.—Rien,rétorqué-je.Monregardnecessedeseposersurlaportequ’elleafranchie.Jedétestece
quisepasseenmoi;monventresetord,commefrustré.Ouenragé.Jem’étaispréparé à la revoir, c’était le plan. N’étant pas complètement débile, je medoutaisqueçametroublerait,mais jen’arrivepasàsupprimercettesensation,maintenantqu’elleestpartie.— Rien ? s’étonne-t-il. J’ai entendu la conversation, chef, elle a l’air d’en
savoirbeaucoupsurvous.—Ons’estconnusdansuneautrevie.—C’estdangereuxpourlebusiness…—Ellen’agirapas,net’inquiètepas.—Pourlemoment,oui.Lematosaétédéplacé,ellenepeutpasgrand-chose
contre vous. Mais si elle poursuit son enquête et qu’elle a un minimum dejugeote,ellepourraitsérieusementvouscauserdutort.Jepensequ’ilfaudraitlafiler.
Ilattendànouveaumaréponse,quinevientpas.Jesuisperduentrelepasséetleprésent,jen’arrivepasàmedirequeMontanaEdwards,cettecathocoincéeàlatresseblonde,travailledanslesforcesdel’ordre,etqu’ellesetenaitprèsdemoiilyaencoreunquartd’heure.—Chef?—Lafilerestinutile.C’estuneflicetelleestdéterminée:elleveutmemettre
entauleetn’abandonnerapas.—Donc…Onlaissefaire?—Ellereviendra.Etlà,ellecomprendrasonerreur.Voit-il que j’essaie de le persuader autant que jeme convaincs ? Je pense.
Noussavonstouslesdeuxquemondiscoursnetientpaslaroute.—Enquelquesheures,jepeuxtrouversonadresse,insiste-t-il.—Balls.Stop.Ilsoupireetsetait,maisçanedurepas.C’estaussipourçaquejel’apprécie:
ilestfrancavecmoi.Sonhonnêtetéprime,bienquejesoissonpatron.C’estunequalitérare.—Jenememêleraipasdecettehistoire,chef.Maisj’aivu.Et,pourlebien
decetteentreprise,jepensequevousdevriezmefaireconfiance.Iljetteunbrefcoupd’œilàmonbrasdroit.—Vousêtesmarqué.—C’estdel’histoireancienne.—Vousl’êtesquandmême.Etelleportelebracelet.J’airemarquélefilrougequientouresonpoignet,moiaussi.C’estleseullien
quinousunitencore.Jen’imaginaispasqu’elleauraitconservécecadeauaprèstoutescesannées.Ballss’attardesurl’undemestatouages:unerépliqueparfaitedubraceletde
Montana.Uneerreurcommiseunsoirdebeuverie.Jen’aitoujourspastrouvéletempspourlefairerecouvrir.— Je peux éventuellement récupérer son adresse et vous la donner, sans
mettreundeshommessurlecoup.Sileschosesnesepassentpascommevouslesouhaitez,voussaurezoùvousrendre.—Tuesinsistant.—C’estl’unedesraisonspourlesquellesvousm’avezembauché.Nous nous jaugeons quelques secondes, et je comprends que le seulmoyen
d’avoirlapaixestdelâcherunpeudelest.—OK.Tuasmonfeuvert.—Trèsbien.Etpourlegaminquiavenducetteplanque?—Personnen’ytouche.Jem’encharge.
Chapitre4
Montana
Porter lève lesyeuxauciel enmedécouvrant sur le cheminqu’il empruntepourrentrerdulycée.—Leharcèlement,c’estpasuntrucpuniparlaloi?Jemedétacheducapotdemavoitureetluitendsunsachet.—Subway.Ilyadeuxsandwichssansviandeàl’intérieur.— En plus, t’es là par intérêt, marmonne-t-il, ce qui ne l’empêche pas de
récupérerlanourriture.—Jeviensprendredetesnouvelles.J’ausculte sonvisageetn’ydistingueaucuneecchymose.Comme iln’apas
boitépourmerejoindre,etqu’ilnesemblepassur lepointdes’évanouir, j’endéduisqu’iln’apasencoreétépasséàtabac.—Onm’aditqueFallavaitsud’oùvenaientlesinfos,jeveuxvoircomment
tuvas.—C’estréglé,lance-t-il.—«Réglé»?Il sort un sandwich de son emballage, puis s’adosse à la carrosserie, l’air
badin.—Réglé,ouais.Personnenemeferademal,l’ordrevientd’enhaut.—Commentça?— Fall m’a dit que j’avais grave déconné et que je ne devais pas
recommencer,mais qu’il s’assurerait lui-même dema sécurité,m’explique-t-il
encroquantdanssonboutdepain.Monincrédulitéesttotale.—Attends…tuasrencontréFall?—Mmm.—C’esttoutl’effetqueçatefait?Porter,cethommeestàlatêted’untrafic
dedrogue,tunepeuxpasm’annoncerunechosepareilleetnepasavoirl’airunminimumeffrayé!—Ilaétéplutôtcool,enfait.Comme il porte plus d’intérêt à son sandwich qu’àmoi, je le lui retire des
mains.—Hé!—Ilyaquelquesjours, tumemettaisengardecontreluietaujourd’hui, tu
medisavecleplusgrandcalmequevousavezeuuneconversation?Ques’est-ilpassé?—Riend’important.Rends-moicesandwich.J’écartelebraspourqu’ilnepuissepasl’atteindre.—Casse-couillesdeflic…—Tonlangage!Ilmefaitdesyeuxnoirs.—Ilnes’estvraimentrienpassé,jetelepromets,finit-ilparm’avouer.Ilm’a
renduvisiteavant-hier,c’esttout.Surlecoup,j’aicruqu’ilallaitm’exploserlafigure,maisilm’ajusteprévenuquejenedevaisplusdonnerd’infosàquiquecesoit.—Ilt’amenacé?—Non.J’expirebruyammentparlenez.—Ilessaiedetemettredanssapoche,Porter.Ill’ajouéami-amipourquetu
acceptes de ne plus bosser pour moi. Ne te laisse pas avoir par sa faussesympathie.—Jepensequ’ilétaitsincère.—C’estexactementcequ’iltentedetefairecroire.Ilabandonnel’idéedereprendresonsandwich,etregardeauloin.—Tun’étaispaslà,objecte-t-il.Jesaiscommentçamarche,danslemilieu.
Fallauneréputationàtenirparcequ’ilconcurrenceCrown,etqueCrownestunvraisalopard.Ilnepeutpaspasserpouruntypesympaalorsquesonennemiestleroidesabrutis.Crownestl’autreplusgrostrafiquantdeSanFrancisco.Ildétientlamoitiéde
Tenderloin,etlivreuneguerredeterritoiresansmerciavecFall.Lesrumeursquimesontparvenuesauxoreillesnesontpasbellesàentendre,maisellesnemeconcernentpas.Cen’estpascedroguéjusqu’àl’osquejeveuxcoffrer.—JecroisqueFalln’apasunmauvaisfond,poursuit-il.Ilyadesbruitsde
couloir chez nous, certains disent qu’il donne une deuxième chance, maispersonnen’enestsûr…jesuislapreuvequec’estlavérité.—Tutefaisembobiner…—Peut-être,mais je n’ai pas une seule blessure et, pour unebalance, c’est
exceptionnel.Jeveuxpaslaluimettreàl’envers.VoilàcommentFallgagnel’estimedesessbires:enleurfaisantmiroiterun
semblantdegentillesse.Ilestdoué.—J’endéduisquenotrecollaborations’arrêtelà,grogné-je,agacée.—Jesuisdésolé,Montana.Ilprononcerarementmonprénom.—Jepenseaussiquet’esquelqu’undebien,dit-ilavecunemoued’adogêné.—Falln’estpasquelqu’undebien,sic’estcequetuinsinues.—Ilesthumain,et jecroisepassouventdesêtresvraimenthumainsici.Ça
méritelerespect.Jesuisterriblementfrustréedelevoirm’échapper.Porterétaitmonseulindic
surcetteenquête.Deplus,j’aifiniparapprécierlesqualitésetlesdéfautsdecegamin;jen’aimepaspenserqu’ilvaêtrelivréàlui-mêmedanscetuniversdedélinquanceetdedanger.C’estavecunpincementaucœurquejeluitendslesandwich.—Pourcequeçavaut,t’esuneflickiffante.Ilparvientàm’arracherunsourire.—Faisattentionàtoi,salegosse.—Ouais,m’dame.Il s’éloigne aussi simplement qu’il est venu, et j’ai comme un instinct
protecteurquiseréveille.—Porter!
J’extirpemonporte-monnaiedelapochearrièredemonjean,etlerattrape.Illèveunsourcilinterrogateurlorsquejedéposeduliquidedanssapaume.—Situasbesoindemoi,jeserailà,dis-je,lesyeuxdanslessiens.—Tupeuxpasmefilertathunecommeça…—Jefaiscequejeveuxdemonargent.Vafaireplaisiràtesparents.L’espaced’un instant, il doute.Mais la raisonestplus forte et il enfouit les
billetssoussonsweat-shirt.S’ensuiventunsilence,puisunraclementdegorge.Jem’apprêtais à entendre un «merci » ; c’est tout autre chose qui sort de sabouche.—L’undesmecsquimefournissentlamarchandiseàrefourguerdanslesrues
vit àSeaCliff. Je suisalléchez luiune fois, et il cache les sachetsderrière letableauenliège,danslachambredesafrangine.Je le dévisage sans trouver les mots. C’est une information qu’il n’aurait
jamais dû me transmettre : elle est trop utile pour moi, et extrêmementdangereusepourlui.—Ilyaassezdematospourlemettreengardeenvue.Oupourpousserton
enquête.Jenet’aijamaisditça.
Chapitre5
Montana
—SeaCliff?Alecsejettesurlachaiseenfacedemoietcroiselesjambessurmonbureau.—Crie-leplusfort,jepensequelecommissaire,autroisièmeétage,net’apas
entendu,dis-je,enôtantseschaussuresdégoûtantesdemesdossiersencours.—Neme tente pas. Tum’expliques pourquoi tu t’es rendue en dehors de
notresecteur,etsansmoi,oujem’énervetoutdesuite?J’ai renduvisiteaufournisseurdePorter,avant-hier.Commeprévu, lacame
étaitstockéedanslachambregirlydesapetitesœuret,vulaquantité,ilauraitpu faire un séjour à l’ombre pour un bon bout de temps. J’ai trouvé plusjudicieux de le mettre dans ma poche : un indic en remplace un autre. Nousavonsconcluunaccordet,depuis,j’attendsimpatiemmentdesesnouvelles.—Quitel’adit?demandé-je.—Tonportable.Ilyauntraceuràl’intérieur,jeterappelle.—Oui, et il est uniquement utilisé par nos supérieurs et en cas d’imprévu
pendant unemission. Tu n’es pasmon supérieur, Alec ! Depuis quand tumefliques?—Depuispeu.Etnemeregardepascommeça,c’esttoiquim’yforces.Ilprendappuisurlescoudesetmefixe.J’aidroitàsonairréprobateur,celui
dupèreAlec.Leprotecteur.Supercopestdesortie.— Pourquoi tu ne m’as pas informé ? lance-t-il tout bas. Je suis ton
coéquipier,Montana,ondoittoutsedire!C’estcommeçaqueçamarche!
—Jesuisalléeàlarencontred’unnouvelindic,netemetspasdanscetétat-làpoursipeu.—C’estenrapportavecFall?Àsontondédaigneux,jecomprendsqu’ilvaudraitmieuxquejemente.Sauf
quecen’estpasdansmanature.—Oui,Alec.Jesuistoujourssurcetteenquête.Jefaismontravail.—Excusenonrecevable.Tufaisçadansledosdenosboss,etdanslemien
aussi.—Jenevaispasm’excuserd’essayerd’arrêteruncriminel!—C’estvéritablementtonobjectif?—Pardon?Il me jauge à nouveau et avec plus d’attention. Je n’apprécie pas cet
interrogatoireforcé,surtoutvenantdesapart;Alecetmoisommesamisavantd’être collègues. Je neme permets pas ce genre d’intrusion dans sa vie, alorsj’aimeraisqu’ilenfassedemêmeavecmoi.—Écoute,jesuisdésoléedenepast’avoirprévenupourSeaCliff.J’aifauté.
Maislaisse-moigérercetteaffaire,jesuissurquelquechosed’intéressant.—Tun’aspasréponduàmaquestion,merappelle-t-il.— Parce qu’elle est idiote. Évidemment que je veux arrêter Fall, c’est
logique!— Pas tant que ça. Ton comportement n’est pas sensé, Montana. Tu es
obsédéeparcetypedepuisdesmois,tut’enrendscompte?—Jesuisconsciencieuse.—Non. Tu fais tout dans ton coin, tu caches les infos que tu obtiens. Tu
m’oublies, alors que je suis là pour t’aider. Tu n’as jamais agi de cette façondepuisquejeteconnais.Quiest-ilpourtoi?—Unenfoiréquis’enrichitsurledosd’unepopulationdécadente.—Pourquoienfais-tuunehistoirepersonnelle?—Jenesuispasunsuspect,arrêteavectesquestions.—Tudevraissavoirqu’entebraquant,tumemènessurlabonnepiste.Alec est un homme que je respecte. Il ne me veut que du bien, et je lui
souhaite la même chose. Cela étant, je ne divulguerai pas les bribes de monpassé ; si j’admettais connaître Fall, il verrait dans mes actes une envie devengeance,derécupération,ouquesais-jeencored’infondé.
Jedésirequ’ilailleenprisonetçan’arienàvoiravecnotrepassifcommun.Jem’acharne,parcequ’ilfautquecetteordurequittelesruesdenotreville.Jeledéteste,car il représente la liede l’humanité. Ilest toxique.Je lehais.De toutmoncœur.—Jesuispro,OK?dis-je,vexéequ’ilpensel’inverse.Jesuisunepersonne
droite,alors,quandjetedisquejegère,tupeuxmefaireconfiance.—Jenetecroispas.—Tuveuxqu’onailleensalled’interrogatoireetqu’onmemetteuncapteur
au doigt pour voir si mon rythme cardiaque augmente en fonction de mesmensonges?—Paslapeine:jesaisquandtun’espassincère.—Mesfélicitations!Ilétiredoucementleslèvres.—Tuleconnais,n’est-cepas?—Lâche-moi,Alec.—Tuasachetéunedosechezlui?C’esttonamant?—Tudevienslourd,là.—Unmembrelointaindetafamille?Unamiperdu?—Cen’estpersonne.Falln’estpersonne!Fiche-moilapaix!Voyantqu’iln’obtiendrariendemieuxqu’unedisputestérile,ilabdiqueetse
lève.—Metstessentimentsdecôté,Montana.Çavatebousiller.—Ledétesternemerendrapasmoinscompétente.—Siseulementtuledétestaisvraiment…
***
Je ne dors plus. Jemangepar obligation. J’ai lu et relu son dossier jusqu’àpouvoirenréciterchaquelignedanssonintégralitéetsansfaute.C’estd’ailleursàcausedeçaquej’airepéréundétailm’ayantéchappéjusqu’ici.Finnévitaitdemeparlerdesongrandfrère,parcequejeneleportaispasdans
moncœur.À l’époque, je leconsidéraiscommeresponsabledesesbêtises ; siFinnvolaitdanslesmagasins,c’étaitparcequeJacobleluiavaitappris.Ilavaitdécouvert l’univers du deal à cause de ce garçon peu recommandable. Je
n’aimais pas son influence, il était néfaste. Alors, nous taisions son existencepournepasnousénerverl’uncontrel’autre.Jenedécouvrequemaintenantlacorrélationentresamortetladéchéancede
Finn.Ilaprisdel’importancedanslegang,danslessemainesquiontsuiviledécès
desonfrère,etilnes’estplusarrêté.C’estunpeucommes’ilavaitprissaplace,oubienqu’ilessayaitd’honorersamémoireenpoursuivantsonœuvre.Je ne sais pas quoi en penser.Encore une fois, c’est une info qui rendFall
humain.QuileraccrocheunpeuàFinn.ÀmonFinn.
***
Enarrivantsur lepalierdemonappartement, j’ai la têteenvrac.Lafatiguecumulée à ce trop-plein de réflexions me tue à petit feu ; si je n’étais pasentraînée,jamaisjen’auraissentideprésencedansmondos.La sueur froide est de courte durée : une dose d’adrénaline pulse dansmes
veinesetjeserrelespoings,paréeàattaquer.—Jetesuisdepuislerez-de-chaussée,ilétaittempsquetuteréveilles.Ilmefrôle.Graveerreur.Enl’espaced’uneseconde,jesuisfaceàlui.Jeluitordslebras,etsonprofil
faitconnaissanceaveclecrépidemonétage.Ilétouffeunbruitdegorge,maisn’essaiepasdesedébattre.Çanem’empêchepasderesserrermaprise,sachantpertinemmentqu’ilensouffre.—Lesmenacessontlivréesàdomicile,maintenant?grogné-je.—Pourunediscussionentreadultescivilisés,jeteproposeunetrêve.—Tum’assuiviejusquechezmoi,Fall.Vatefairevoir.—Malpolie,quiplusest!—Qu’est-cequetuveux?—Récupérermonbras,ceseraitunbondébut.L’impressiondedéjà-vumepercute:nousjouionssouventaugendarmeetau
voleurquandnousétionspetits,saufqu’ilétaitàmaplace,etmoiàlasienne.Jeletrouvaisparfaitdanslerôledupolicier,etj’adoraisqu’ilmecoureaprès.Il nem’a jamais faitmalquand ilm’attrapait, sesgestes enversmoi étaient
doux. C’est l’une des raisons pour lesquelles je fondais pour lui : il était
incapabledemeblesser.Alors, je lui lâche le poignet, puis fronce les sourcils. À l’endroit où mes
doigtsont laisséunemarque se trouveune ligne rouge.Ondiraitun tatouage,maisjen’aipasletempsdel’observerpluslongtemps;ilm’empoignelanuqueet,àsontour,matêtecognecontrelemur.—Jet’avaisditdeneplust’approcherdemonbusiness.Il semblerait qu’il sache contrer les techniques d’autodéfense, puisque mes
tentatives pour le repousser ne fonctionnent pas. Ma pommette s’écrase plusencore,j’ailebrascoincéetcommenceàavoirdesfourmillements.—Abandonnetaputaind’enquête!Toutmereviendratoujoursauxoreilles,
aucundemesgarsneseraunindicfiable,lance-t-il,énervé.Je tâtonnedupied,à larecherchedusien.Je tapefinalementdanscequeje
penseêtresontibia,maisçaneledéstabilisepas.—Arrêtededéconner,Montana.— C’est quoi ? Une troisième chance ? Tu n’en donnes pas que deux,
d’habitude?Il appuie de tout son poids contremoi, m’obligeant à rester immobile.Ma
ragesedécuple,maiselleestinutile:ilaplusdemuscles,plusdepuissance,etmanifestementuneenviefolledem’encastrerdanscemurmoisi.—Nem’obligepasàtefairedumal.Cemurmure, aucreuxdemonoreille,me statufie.Sonhumanité aurait-elle
encoreunpeudecrédit?— Tu m’en fais. Tu en fais à cette ville. Tu en fais à tous les gens qui
s’administrenttesproduits.TuenfaischaquefoisquetabandedegigolospartenguerrecontrecelledeCrown.Tues…— Tu n’as aucune idée de ce à quoi ressemble ma vie ! me coupe-t-il,
intransigeant.—Tuesimmonde.—Ilyalargementpirequemoi.—Etalors?Parcequetunetuespastesbalances,jedevraistelaisserdansla
nature?Il retientsonsouffleetdonneuncoupdepoingdans lemur, justeàcôtéde
mon visage. Je sursaute, plus par surprise que par peur ; si bizarre que çaparaisse,jenelecrainspas.
Jeprofitedesonmomentde troublepourpivoter.Lamain toujoursplaquéesurlemur,ilperforemonregarddusien.Tropdebleuinnocents’ytrouvepourunhommesimauvais.—Monmondeestdifférentdutien,dit-il,commesiçaluiarrachaitlalangue.
Toutn’estpasqu’unequestiondelégalité,debienoudemal.—Tuesuntrafiquantdedrogue.C’estmal.Point.—Etsijen’étaispasàlatêtedeceréseau?Etsicen’étaitpasmoiquigérais
cemerdier,quecrois-tuqu’il sepasserait? Jenesuispasunsaint,mais tunetrouveraspasdemeilleurdiablequemoi.—Jemefichedeséventualités.Cesontlesfaitsquim’intéressent,ettu…—Tonespritestétriqué.Jem’approchesiprèsquenosnezs’effleurent.Ladouleurauniveaudemon
ventreestréelle:lanostalgieestatroceàressentir.J’aimeraistellementretrouverceluiquejeconnaissais…Unepartdemoiveutycroire.L’autrevoitl’horribleréalitéettireuntraitsurtoutespoir.—JesaisqueJacobyestpourquelquechose.Maismêmelaperted’unêtre
chernejustifiepastesactes,Finn.Tun’espasexcusable.Nidéfendable.C’estuneavalanchedesouffrancequim’engloutit.J’aimeraiseffacerlesonze
annéesquisesontécouléesetreveniràcejouroùilm’aembrassée.Sisonfrèreétaitencorelà,iln’auraitpeut-êtrepaspriscechemin.J’auraisétésapetiteamie,jemeseraisbattuepourqu’ilnetombepasdanscettespiraleinfernale.Jedésiraisêtrelàpourlui.Plusquetout.—Çan’arienàvoiraveclui.—C’estfaux!TumènesunecroisadecontreCrownparcequeseshommes
l’ont tué.Iln’estpasuniquementquestiondeterritoire,c’estaussiunehistoiredevengeance.Je toucheunpoint sensible.Une rideprofondecreuseson front,commes’il
bataillaitcontremonintrusiondanssonesprit.—Ilfautqueçacesse,Finn.Tuimpliquesbeaucoupdepersonnesquinesont
pasconcernées,notammentdesconsommateurs,desgensquifontdesoverdosesàcausedetessubstances.Jesuisducôtédelajustice,tut’ensouviens?Soittuterends,soitjemedébrouilleraipourquetuplonges.J’ignoresijesuisconvaincante.Enrevanche,jesensbeletbienlecarnagede
mes émotions.Ma tête etmon cœur se bagarrent férocement, au point que jeperdsànouveautoutdiscernement.
Jelehais.Maispastantqueça.Jedétestequ’ilsoitcollécontremoi.Maispastantqueça.Jenesupportepasqu’ilmeregardeàenpénétrermonâme.Maispastantque
ça.—Nechercheplusàm’atteindre,s’ilteplaît,dit-ilavecunefranchisequime
bouleverse.—Jen’aipaslechoix.—Tutemetsendanger,meshommesfinirontparréglerleproblèmed’eux-
mêmes.—Macauseestjuste,j’iraijusqu’aubout.Ilmeprendlementonencoupeavecunedélicatesseinfinie.—Ilstetueront,Montana.Situcontinues,tuteferasbuter.—C’estcequetudevraisêtreentraindefaire.Ilacquiesce.—Commetoi,tudevraisêtreentrainderepoussermesmainsdetonvisage.Jen’yarrivepas.Soncontactm’aterriblementmanquéetjeconstatequ’ilme
fait du bien. Penser une chose pareille est interdit : à part de la détestationmutuelle, tout est impossible entre nous.Nousne sommespas faits pour nouscomprendre…ninousapprécier.— Pour une fois, laisse-moi dominer le jeu et fais ce que je te demande,
murmure-t-il.C’est éphémère, presque irréel, mais j’entends et je sens Finn. Notre
connexionn’est pasmorte, et elle se faufile par les plus infimesbrèches pourrefairesurface.Noussommesdesennemisencarton,etnousenavonstousdeuxconscience,
saufqueçaresteraunsecretinavouable.—Jenepourraipasteprotéger,autrement.Il se détache brusquement et s’en va, sans un regard. Je m’efforce de tout
oublierdanslaseconde.Alecavaitraison.Messentimentscauserontmaperte.
Chapitre6
Fall
JepousselaporteduQG,lesnerfsàvif.Lapièceest inondéedefumée,decorps dénudés et de musique assourdissante. Heureusement, Balls me repèreavantquejepèteunplomb.Ilbalancelapairedeseinsqu’ilasurlevisagesurlecanapéd’àcôté,etme
rejoint ; je participe rarement aux soirées, seulement quand j’ai besoin dememontrer,etillesait.—Ças’estmalpassé?Jene luiaipascachémavisitechezMontana,d’oùsonairsuspect : j’avais
commebutdelaremettreàsaplace—pourlasecondefois—,etj’aimerdé.—Personnenel’approche,deprèsoudeloin.Onlaisselesindicstranquilles.
Sonquartierestinterdit:siquelqu’uns’yaventure,tutechargesdesonsortetfais-enunexemple.—Ças’estdoncmalpassé.—Turelaieslemessage:elleestintouchable.—Çaressembleàunemesuredeprotection…—C’enestune.Ellenouscauseraautantdeproblèmesqu’elleveut,çan’ychangerarien:je
ne supporterai pas qu’on s’en prenne à un seul de ses cheveux, sous prétexted’unequelconquedévotionenversmoi.—Jem’occupedetout,m’assure-t-il.Jetraverselapièceetm’emparedelapremièrebouteillequivient.Gérerma
colère n’est normalement pas un souci, j’ai assez dematurité pour savoirmeretenir.Saufquecettefois,jesuisenragecontremoi-même.Ilauraitfalluquejela fasse taire. Quand on ne me respecte pas, je passe à l’action, mais,bizarrement,j’ensuisincapableavecelle.J’avaleunegrandegorgéedewhisky,prêtàimploser.—Jevouslaisse.Balls sent l’orage arriver. Je bois à nouveau et refoule les dizaines de
souvenirsquiremontentàlasurface.«J’auraisadoréquetusoisencoursavecmoi.Onauraitpupassertoutnotre
tempsensemble.J’adoreresteravectoi.»Boisson.«Tueslegarçonleplusgentilquej’aierencontré.»Boisson.«Tusais,jecroisquetouslespetitsamisquej’auraidansmavienepourront
jamaist’égaler.Tuprendstellementdeplacedansmoncœurqueçaempêchelesautresd’yentrer.»L’alcoolcarbonisemagorgeet incendiemesveines.Cetterafaled’émotions
n’estpasdueauprésent,maisàunevieillehistoirequin’apluslieud’être.Montanaestuneflic.Jelahais.Elledoitdisparaîtredemonespacevital.«Promets-moiqu’onnes’éloignerajamaisl’undel’autre,Finn.Promets-moi
que le jouroùonsedisputera,parcequeçaarrivera, tumegarderasdans tatête.Promets-moi que tu pardonnerasmesbêtises, comme je le ferai pour toi.Promets-moiqu’onseratoujoursdeux.»Quelques personnes sursautent en entendant la bouteille claquer par terre.
Parmielles,jerepèreunefemme.Jenelalâchepasdesyeux,toutenmarchantverselle.—Est-cequetoutvabien?—Çavadépendredetoi.Unsourireétireparesseusementseslèvres.Jeneconnaisnisonprénomnisa
vie,maiselleestbruneetpeufarouche.Çamesuffit.Jel’embrasseendonnanttoutcequej’ai,etsaréponseestàlahauteurdemes
attentes ;danscemonde, jesuis lechef.Monstatutestaussienviéquecraint.Les hommes veulent ma tête, les femmes cherchent plus bas. Pour les unscommepour les autres, je suis unmorceau de viande, on se sert demoi pour
satisfairesesbesoins.Personnenes’intéresseàceque jesuisvraiment.Finnestunétranger,c’est
Fallquiprime.Ledealerdevenuroi,àlamortdesonfrangin.Cettenanaaimemon rang, rien d’autre. Si je meurs demain, elle ira voir ailleurs et elle auraraison,parcequejemefousroyalementdesonexistence.Ons’écartedumondepourl’unedeschambres.Lesvêtementsdisparaissent,
ledésiraugmentelégèrement.Jenemontrepaslamoindreémotion,etellejoueunjeuidentique.Baiserpourbaiser.Avoirunorgasme.Exploser.Oublier.« Il paraît que les opposés s’attirent. Je trouve ça plutôt vrai en pensant à
nous, tu ne trouvespas?Nosdifférencespourraient nous éloigner,mais c’estjustementlecontrairequisepasse.Tumecomplètes,enunsens.Jemedemandeà quel point ça ferait mal de te savoir loin de moi… Je souffrirais. Un peucommeuncœurquisaigneindéfiniment.Çadoitêtrevachementdouloureux.»Jemedéfoulejusqu’aublack-out.
Chapitre7
Montana
Ilm’ablacklistée.Jesuisalléeàlarencontredechaquedealerdechaqueruequ’iloccupe.J’ai
tenté de discuter avec les guetteurs, des gamins d’à peine treize ans pour laplupart.JesuismêmepasséevoirPorter,maisplusaucuneinformationnefiltre.J’ai la sensation qu’ils savent tous qui je suis et ce que je fais, avant mêmed’avoirouvertlabouche.C’estàlafoisflippantetrageant.J’aurais pu croire que leur comportement était normal : après tout, la
discrétionestdemisedanscemilieu.Saufqu’undétailmelaissepenserqueFallaajoutésongraindesel.Personnenememenace.Lesmotsnesontjamaisplushautsquelesautres.On
medemandesimplement—presquepoliment—dem’enaller.Touscesgenssont aussi douxquedes agneaux…Or,quandonconnaît la réputationqu’a lapolicedanscequartier,ilyadequoiseposerdesquestions.—Tun’espasconcentrée.Letempsquejerelèvelatête,Alecm’aplaquéeausol.Sapriseestsolideet
je ne suis absolument pasmotivée pourme défendre, alors, j’attends qu’il aitterminésadémonstrationdeforce.— Quel plaisir de s’entraîner avec toi ! raille-t-il, en s’appuyant sur les
coudes.Je le repousse par les épaules, et roule sur le côté en grommelant desmots
incompréhensibles.Décidément,mon humeur est vraimentmerdique. Le tapiscrissesousmonpoidstandisquejemerelève.Alecenprofitepouraccrocherma
cheville;endécouleunechutebrutalesurletatami.—Alec!Tufaischier!—L’heuren’estpasterminée.Ànouveau,jelepousse.—J’aidutravail,lâche-moi!—TuparlesdetesrecherchesinutilessurFall?Jegrognedeplusbelle.—Tuasencorefouillédansmesaffaires?—Non,jeprêchaislefauxpoursavoirlevrai.Techniquedebaseduflicun
peuconsurlesbords,répond-ilavecunsourire.Il s’écarte, afin deme permettre dem’asseoir. J’en déduis qu’il espère une
discussion…Jepréféreraisconservermessecrets,maisl’impassedanslaquellejemetrouvenécessiteunpeud’aide.Malgré les tensionsentrenous, ilamaconfiance. Iln’attendqu’unechose :
quejepartagelesdonnéesacquises,et jesuiscertainequ’ilest leseulàquijepeuxmeconfier.Defait,jefinisparsoupirer.—Jesuisbloquée,avoué-je.Ilprendappuisurlesmains,attentifàlasuite.—Fallestaucourantdemes intentions.Ons’estcroiséset ilacompris.Je
pensequ’ilafaitpasserlemotàseshommes:jesuisrejetéedepartout.Mêmeennégociant,personnen’acceptedeserangerdemoncôté.—Tuas«croisé»Fall?—Brièvement,oui.—Pourquoitunel’aspascoffréàcemoment-là?demande-t-il,incrédule.—Lespreuves.Ilmefautdespreuves.—Tuauraistrèsbienpul’arrêter!Çal’auraitempêchédefairepasserl’infoà
sesemployéspendantquarante-huitheures!—Çanem’estpasvenuàl’esprit.—Tuplaisantes?—J’étaisoccupéeànepasmefaireécrasercontreducrépimoisi,excuse-moi
d’avoircertainespriorités.J’évitededétaillercemoment.AlecnedoitpassavoirqueFalletmoiavons
unehistoirecommune.
—Ilt’abrutalisée?fait-il,lessourcilsfroncés.—Jesaismedéfendre.— Tu m’en as donné une belle preuve il y a cinq minutes, dit-il avec
sarcasme.—J’ailatêteailleursàcausedecetteenquête,c’esttout.Ilatoujoursuncoup
d’avancesurmoi…—Commes’ilteconnaissait.Moncœurrateunbattement.—Parcequ’ilestintelligent,rectifié-je.—Biensûr,oui.Ilmedévisage froidementet jenebaissepas lesyeux. Jenepensepasêtre
une personne dont les émotions sont lisibles, mais Alec est un hommeperspicace.Mondiscoursneledupepas.—Tune pourras rien faire seule,Montana.Tu t’es attaquée à un trop gros
poisson.Situveuxallerjusqu’aubout,ilvatefalloirdel’aide.—Tuesgentil,maisjepréfèremedébrouillerseule.—Jeneteparlepasdemoi,maisdevéritablesrenforts.—C’est-à-dire?Ildésignedumentonlaportedelapièceoùnotrecommissaireestenréunion,
justeàcôté.Comprenantcequ’ilinsinue,jemebraque.—Jen’informeraipaslechef.—Pourquoi?—Parcequecenesontpassesaffaires!—Tuveuxstopperuntrafiquant,c’estprécisémentl’affairedelapolice!Jemelèvevivement.—Non,Alec.C’estnon!Ilvadéferrerunetonnedegensquin’ontpasluune
seulelignedudossiersurlequeljebossed’arrache-pieddepuisdesmois.Ilsvontsortirl’artillerielourde,çaneferaquenouséloignerdubut!— Tu vois bien que tu n’arrives à rien, Montana. À plusieurs, on pourra
trouvercespreuvesdonttuastantbesoin.—J’yparviendraiparmoi-même.—Leméritetereviendra,il…
—Ce n’est pas la question !Qu’est-ce que j’en ai à foutre dumérite ? Jerefusequ’oninterfèredansmamission!—Çadeviendrajustedutravaild’équipe,détends-toi.—Oubliecetteidée!Jemediriged’unpasrageurverslasortie.Ilesthorsdequestionqu’ontouche
àFall.C’estmoi,etmoiseule,quiailedroitdel’approcher.Deletrouver.Deluiparler.—Tuesaveugléeparlesémotions,etçatedesserttotalement.Jestoppenet.—Cemecdoitcroupirentaule,ajoute-t-il.—Ilira.—Alors,agisavecdroitureeninformantleboss,oujem’enchargerai.Je pivote lentement sur mes talons. Je retiens à grand-peine une tornade
d’insultes.—Situosesallerdanssonbureau,jetejurequetunemereverrasjamais.Ilsecouelatêteavecunepointedemélancolie.—Je t’adore,Montana.Vraiment.Mais tudoischoisir toncamp. Jenesais
pascequ’ilyaentrecetypeettoi,maisc’estmalsain.Unepolicièreneprotègepasunvoyou,c’estpourtantévident.—Jene…—Tuleprotèges,affirme-t-il.Tuenviensàmemenacerdemettreuntermeà
notre amitié pour lui… J’espère que ça en vaut la peine, parce que,contrairementàtoi,jeresteraiunflicjusqu’aubout.Le sous-entendu est limpide : il ira voir le commissaire. La douleur de la
trahisonestterrible;Alecchoisitdem’abandonner,ilnemesoutiendrapas.D’unautrecôté,jenesuispaslameilleuredescollègues.Alors,j’encaisse.—Toutestdit,jeconclus.Etjequittelasalleavecl’enviedecognerdanstouslesmurs.Jemedouteque
marageestinjustifiée:avecdesrenforts,nousmettrionsplusvitelamainsurlesfameusespreuves.Danscecas,pourquoisuis-jedanscetétat?ParcequeFallt’appartient.Rien que d’imaginer l’un demes collègues lemettre en joue, la fureurme
gagne.Àpartirdumomentoùjesuisentréeàl’écoledepolice,maseulepenséea été de le retrouver. J’ai gravi les étapes une à une avec, en tête, l’envie
obsessionnelle de l’avoir en face de moi… non pas pour me venger d’unehistoire que je n’ai pas vécue, mais pour lui rappeler où se trouve le droitchemin.Finnn’étaitpasunenfantsage,maisjesavaiscommentlecanaliser.J’étaissa
voixde la raison, l’amieunpeubarbantequi legardait sur lesbons rails. J’aipassésixansàdérober leporte-monnaiedemesparentspour luiacheterde lanourriture,afinqu’ilnevoleplus.Jemedébrouillaispourêtreplusprésentequesongrandfrèredanssavie,dansl’uniquebutqu’ilnesombrepas.Ce garçon, je lui voulais tout le bien dumonde. J’essayais de lui créer un
avenir sain. J’ai donnédemapersonne comme jamais aucun flic ne pourra lecomprendre.Onneprendrapasmaplace.C’estmonhistoire.Paslaleur.
Chapitre8
Montana
Tenter.Seprendredesportes.Réessayer.C’estàforcedepersévérancequejefinisparrécupéreruneinfo.Ellemevientd’undeshommesdeCrown,aprèsunmoisàinvestiguer.C’est
unetêtebrûléequirêvedevoirl’ennemidesonchefenprison.Oumort.Quandilasaisimesintentions,ilm’alivrél’undeslieuxoùlegangdeFallpassesesfinsdesoirée.Cen’est ni unpubbranchéni unbarmorbide.L’adressememènedans les
artères sombres de Tenderloin, où des bâtisses en lambeaux, remplaçant lesbellesmaisons,sontoccupéespardescaméssansdomicilefixe,oudeshommesarmés.Un gringalet émacié en garde la porte. Je nem’arrête pas à sa carrure peu
effrayante,jesupposeque,s’ilestlà,c’estpourunebonneraison:soitilsaitsebattre,soitilaapprisàviser.Ilmerefusel’entréed’unvaguemouvementdelamain.—JesaisqueFallestàl’intérieur,dis-je.—Dégage!—Jesaisquetusaisquijesuis.Commeilneréagitpas,àpartavecunmicroscopiquefroncementdesourcils,
jepoursuis:—Jeneportenimaplaquenimonflingue,maisilparaîtquej’ai la têtede
l’emploi.Ilcroiselesbrassurletorse,l’airamusé.
—Dévoilertonidentité,c’estplutôtrisquéici,majolie.Onn’estpastropfansdespoulets.—J’aiquelquechoseàdireàFall.Fais-levenir.—Biensûr.Tuveuxunthépourpatienter?—C’estimportant.—Allez,jesuissympa,jetelaissetecassersanst’abîmerlevisage.Maisun
conseil:nereviensjamais.Voilà.Encoreuneréactionexagérémentcalmeàmonencontre.—Vousavezeuunephotodemoi,enmêmetempsquelesdirectives?—Va-t’en,fliquette.—Jemeposelaquestion…C’estdingue,vousêtestousdesanges!—Pourladernièrefois:disparais.Monsourirel’exaspère.—Tuasaussireçul’interdictiondemetoucher?—Écoute,tu…J’écrase le coude sur sa glotte et le projette contre la porte. Son premier
réflexeestdem’enserrer,maisj’aiquelquesannéesd’entraînementàmonactif;lescoursdeself-défenseavecAlecsontparfoisutiles.—Montana Edwards. Ton patronm’amise sur liste noire depuis quelques
semaines,maisça, tu lesaisdéjà.Jenesuispas làpour l’arrêter,aucontraire.Alors,laisse-moientrerdanscetaudisavantd’êtreasphyxié.—Hé!Ilsepassequoi,là?Jerelâchelapressionsursagorge.S’ilpouvaitmefrapper,jebaigneraisdans
monsang.Malheureusement,iln’enapasl’autorisation.—Rien,lance-t-ilàl’intentiondel’autrehomme.Fais-laentrer.Lenouvelarrivantm’auscultedebasenhaut,puiss’étonne.—C’estpasledéliredelamaison…—C’estpasàtoidedéciderdeça.Grouille!
***
Lafêtesedérouleautroisièmeétage.Lacaged’escalierestinondéedetagsetdefumée,sibienqu’onnedistinguepluslesmarches.Jenemeprononceraipassurlamusiquequirésonne,c’estuneinsultepourmestympans.
Unautregardeestprostrédevant laportede l’appartement. J’aidroit àunesecondeétudeenrègleet,commeprécédemment,ilsembleraitquemonlooknefassepasl’unanimité.J’encomprendslaraisonenpénétrantdansleslieux.Les femmes, indénombrables, sont plus que dévêtues. Cela va de la robe
moulanteaumicroshortensatin.Trèsjoli,maispeucouvrant.Onmedévisage,tandisquejegraviteparmilesinvités;drogue,alcooletsexe.Cetendroitpueladébauche.Ladécadenceesttellequecertainsdormentsurlescanapés,unverreencorepleinentrelesdoigts.—Tuesperdue?Onmeledemandequatrefoisd’affilée,dontdeuxavecunemainplaquéesur
mesfesses.—OùestFall?m’enquiers-je,enrepoussantl’importun.—T’espassacame.Tropprude.—C’estàluideledire.Letypericaneet,sanssurprise,exploselerecorddulourdingueenregardant
mapoitrinecommesielledétenaitlesréponsesàtouslessecretsdel’univers.—Fall,luirappelé-je.—Ilestoccupépourlemoment,maispasmoi.—Cen’estpastoiquim’intéresses.—Jesuisplusdouéquelui.—Àdraguercommeunnovice?Jen’endoutepas.Undoux«connasse»siffleàmesoreilles, tandisquejedécortiquelesalon
desyeux.Lenombredebras tatouésaucentimètrecarréestphénoménal.Pourparfaire le cliché, je ne serais pas surprise de découvrir quelques braceletsélectroniquesauxchevilles.Le séducteur parti, onm’aborde à plusieurs reprises. Les compliments vont
bontrain;j’apprendsd’ailleursquej’aiun«culdebombe»etune«boucheàpipe».Undélice.Lesminutess’écoulent,et jeneparvienspasà trouverceluipourquijesuisvenue,mêmeenvisitantlestoilettesoulasalledebains.—Pasparlà.Onmestoppeàl’oréed’uncouloir.Unénièmehomme,uneespècedevigile,
mefaitsignederebrousserchemin.—Ilyaquoi,là-bas?—Leschambres.
—C’estlemotcorrectpour«baisodrome»?Ilpinceleslèvres,contenantvisiblementunsourirenarquois.—Tun’espasunehabituée,toi.—Disonsquejesuisenpleinstaged’immersion.—Alors,retourneausalonetfais-toiplaisiravecuneboisson.Avecunpeude
chance,tureviendrasiciaccompagnéeet,cettefois,jetelaisseraipasser.—Ceprogrammeest très alléchant,mais jepréférerais avoirunaperçudes
lieuxenamont.Jepeuxvisiter?Legrincementd’uneporteattiremonattention.Unebruneplantureusejaillit
d’unedeschambres,avecunetêteaussidébrailléequesatenue.Levigilesouritenlavoyant,puisrevientàmoi.—Onnevisitepas,commetupeuxleconstater.Une seconde personne sort de la chambre. Son profil me retourne
instantanément l’estomac,mais ce n’est rien comparé à l’instant où sa boucheplongesurcelledelafemme.Quelquechosesedéchireenmoi.Jen’aipasd’imageplusparlante.Illabloquecontrelemuretl’embrasseavecuneimpatienceanimale.Sijene
les avais pasvus sortir de la chambre, j’aurais juréqu’ils s’apprêtaient à fairel’amour,etnonqu’ilsl’avaientfait.Ladouleurdansmapoitrineestignoble.Jenecomprendspaspourquoijeme
senstrahie,blessée.C’estuneréactioninappropriéeàunesituationsommetoutelogique;ilcoucheavecdesfemmescommej’aidéjàcouchéavecdeshommes.Pourtant,j’aimal.—Nerestepaslà.L’ordreinterromptlecouple.Fallpivoteetnosregardssetrouvent.Saboucheestgonflée,sesyeux luisent. Ilestenplein trippost-orgasmique,
alors que je sombre vers le plus atroce des sentiments : la jalousie. Cettesensationme rappelle toutes les fois où je l’ai imaginé avec des copines.Despetitesamiesdesonunivers,des fillesquin’étaientpasmoi. Jamais ilnem’aparléd’unerelationsérieuse,maisjesupposequ’ellesontexisté:unadolescentnepeutpasgrandirsansdécouvrirlespremiersémoisdessens.Jen’arrivepasàbouger.Telleuneidiote,jesouffre.Jeluienveux,même.Et
j’aimeraisdécapiterlafemmequ’iltientencoreparlanuque.Reprends-toi!
Je déglutis et pousse le vigile insupportable par l’épaule. Le temps de lesrejoindre,jeretiremonbracelet.C’estungesteinsignifiantquimecoûteénormément.Cefilrougeestàmon
poignet depuisplusdedix ans. Jeme lave avec, je dors avec, il fait partie demoi.Jeleserredansmapaumejusqu’ausang,tandisquej’arriveàleurniveau.— Tu es dans lamerde, Fall. On vamettre lamain sur tes entrepôts et ta
marchandise.Disparaisdelacirculation.—C’estqui,celle-là?lancelapotichesiliconée.Fallluicaresselecouavecunedouceurdégoûtante.—Retourneaveclesautres,j’arrive,luidit-il.Tel un robot obéissant, ellemiaule et se cambre, afin d’obtenir un nouveau
baiser.Etcetenfoiréleluidonne.Àunmètredemoi.Jeresteimmobile,letempsquecejeudelanguesabominablesetermine,puis laregardes’enalleraveclarageauventre.—Tudisaisquoi?Ils’essuielecoindeslèvresdupouce,l’airsatisfait.—TuvasavoirlaSFPDsurledos.J’ignorequand,mais,situnefaisrien,tu
finiraschezlesflics.—Soisplusprécise,Montana.Jeserreférocementlamâchoire.Ilparaîtsidétenduqueçamefaitbouillir.Il
sefoutjusqu’aufaitquejemetiennedanssonQG,commesimaprésenceétaitnormale.—Jesuisentraindetedirequetuvastefairechoper.—J’aibiencompris.Cequejetedemande,c’estpourquoitumepréviens.Parcequejerefusequ’onmedouble.Parcequejeneveuxpasqu’ont’attrape.Parcequetuesàmoi.Il s’adosse au mur, et attend. J’ouvre alors la paume, laissant tomber le
braceletàsespieds.— Je tenais à Finn. C’était un garçon extraordinaire. Considère que je lui
rendsunservice,commejelefaisaisrégulièrementdanslepassé.Ilperdsonsourire.—C’estladernièrechosequejefaispourtoi,précisé-je.Àpartirdedemain,
cette partie de ma vie sera définitivement morte et enterrée. Je suivrai denouvellespistes,jetraqueraileslieuxoùtuteserasexilé,etjenem’arrêteraipasavantquetumoisissesdansunecellule.Neprendspaslapeinedemeremercier.Je fonceausalon,dérobeunebouteilled’alcoolet retrouve l’extérieuraussi
vite.«Tu sais ce que je préfère chez toi ? Ta loyauté. Ton père ne peut pasme
saquer,maistutefichesdesonavisetturestesavecmoi,quoiquejefasse.Tuserastoujoursdansmatête,jenepourraijamaist’oublier.C’estimpossible.»Jeclaquelaportièredemavoitureetdescendslavodkad’unetraite.«Mercidemeprotéger,mêmequandjedéconne.Parfois,jemedisquejene
teméritepas.Et, trèssouvent, j’aienviedeterendrelapareille.Lejouroùtupartirasenlive,jeserailà.Jetelejure.»Vatefairevoir,Finn!
Chapitre9
Montana
Il me faut plus de dix minutes pour comprendre que l’ascenseur de monimmeuble ne démarrera pas tant que je n’aurai pas appuyé sur le bouton. J’aiaussibesoindecinqminutessupplémentairespourmesouvenirquel’ascenseurenquestionnefonctionneplusdepuisquemesnouveauxvoisinsenontbloquélemécanismeavecleurscartonsd’emménagement.Jehaismesvoisins.Ilssontbruyants,jeunesetencouple.Jehaislescouples.Ilssontimbusdeleurbonheuretdénigrentlescélibataires.Cen’estpasparcequetuesseulequetuesmalheureuseoudéprimée.Rienà
voir.Et si tuboiscommeun trouaupointde louperunemarche, cen’estpaspouroubliertesproblèmes.Je masse mon genou endolori, et reprends péniblement l’ascension de
l’escalier.Jepourraisdirequejeneboiraiplusjamaisautant,maisceseraitunmensonge;l’alcoolestfidèle,lui.Quandtupassesunmomentensacompagnie,tuesassurédefinirtorché.L’alcool ne t’abandonne jamais. Il reste le même. Il n’embrasse pas des
grognassesdevanttoi.Ilnevendpasdedrogue.Ilnetedonnepasl’impressiond’avoirétééviscérée.Quoique.J’atteinsmonétageauboutd’unpéripleinterminable.S’ensuitlarecherchede
mes clés, leur trouvaille, puis les innombrables tentatives afin d’introduirecorrectementlabonnedanslaserrure.—Bordelde…J’entameuneguerresansprécédent,voyantdoubleetlâchantunepanopliede
juronsdistingués.—Maismerdeàlafin!C’estuntrou!Rentredansletrou!Ma clé, très désobéissante, finit par rester bloquée. Je tire de toutes mes
forces,redoubled’injures,puisréalisequeriennevacommejelevoudrais.Maviecraintcomplètement.J’ensuisvenueàm’alcooliserauvolantdema
voiture,surunparkingdélabrédeTenderloin.C’estterrible.Sij’avaisdesamisavec qui me démonter la tête, passe encore… Mais là, j’ai juste l’air d’unealcooliquedépravée.—Ledramatiquedecettescèneestmagistral!Lapénombrem’empêchededistinguerl’intrus.Ilquitteleradiateursurlequel
il était appuyé et s’avance calmement ;me défendre neme vientmêmepas àl’esprit.Àvraidire, jen’enaiplusrienàfairederien.Alors,autantqu’onmedépouille,çaclôtureracettejournéedésastreuseenbeauté.Sansunmotdemapart,ils’emparedelaclérécalcitrante,quimetrahit:un
simpletourdepoignet,etlaporteestouverte.—C’esttoujoursplusfacilequandonestsobre,dit-ilàvoixbasse.LesyeuxazurdeFinnsemblentmesourire.Embruméeparlavodka, jen’ai
paslaprésenced’espritdeparaîtrechoquée.—Commentfais-tupourentrerconstammentdansmonimmeuble?demandé-
jeavecunmélangedecuriositéetd’irritation.—Jesoudoielegardien.—Iln’yapasdegardien…—Tuenessûre?Sonaplombmefaitdouter.—S’ilexiste,jeluientoucheraideuxmots.Va-t’en,Fall.Jepenseavoirété
assezsympaavectoi,alorsdisparaisdemavue.Etdemavie.Departout.Pars.Tun’asrienàfairelà.Ilsepostedevantlaportedemonappartement,l’airdéterminéàmetenirtête.—J’aifailliasphyxierl’undetesemployésavecunseulcoude,etmêmedans
unétatsecond,jeteprometsquej’ensuisencorecapable,lepréviens-je.—Onm’arapportél’incident.Ilauraitputeblesser.—Non,iln’auraitpaspu.D’abord,parcequetuasobligéteshommesàme
ménager,ensuite,parcequejepeuxdémolirn’importequiquandçamechante.—J’ensuiscertain,acquiesce-t-il.Tusaistaperlàoùçafaitmal.
Il met la main dans la poche de son jean, puis la tend entre nous, paumeouverte.Jefroncelessourcilsàlavuedemonbracelet.—Tul’asoublié,murmure-t-il.—Saplaceestàlapoubelle,commeàpeuprèstoutcequiteconcerne.Jelebousculeafindepasser,maismastabilitélaissefranchementàdésirer.Il
merattrapeavantquemonfrontnefasseconnaissanceaveclechambranledelaporte.—C’estétonnantquetuaiesréussiàconduirejusqu’icisanst’encastrerdans
unpoteau,lance-t-il.—Jenesuispasd’humeuràécoutertesblagues.Lâche-moi!—C’esttoiquimetiens,Montana.Jepesteenremarquantqu’effectivement,jesuisàmoitiéavachiesurlui.Une
brûlure intense se propage soudain en moi, conséquence de cette foutueproximité ;unpeudebonsensme ferait reculer, saufque jen’aiplusunseulgrammedejugeoteàdisposition.—Tuétaisjalouse,pasvrai?Làencore,sij’étaispleinedediscernement,jelafermerais.—Non.—Soishonnête.—Non.Lesimagesdecebaiserimmondemereviennentenmémoire,etjeneparviens
pasàrefrénermonricanement.—Tusaiscequim’embêteleplus?Quetun’aiesaucunrespectenversmoi.—C’est-à-dire?— Amuse-toi autant que tu le veux, fourre ta langue dans la bouche de
n’importequi,jem’encontrecarre.Maispasquandjesuislà.—Pourquoi?—Parcequec’estunmanquederespect,jeviensdeteledire!Je m’écarte tant bien que mal et trouve son regard. Entre l’alcool et la
frustration, je ressens le besoin d’extérioriser : ce qui me pèse sur le cœurcommenceàdevenirtroplourd.—Tum’asvuearriverdanscecouloir,Finn.Tusavaisquejeteregardais,et
tu as emballé cette plante verte comme si ta salive pouvait la sauver de ladéshydratation!
—Onn’estpasensemble,toietmoi.Bam.Effetcoupdepoing.—Etalors?Çanesefaitpas!—Jenetedoisrien.—Jetedemandepardon?Jeplisselesyeuxdecolère.—«Tunemedoisrien»?répété-je.Pendantsixans,jemesuisoccupéede
toi.Tun’étaispasseulementmonami, tuétais lecentredemonattention ! Jepensais à toi avant d’aller en cours, parce que j’avais peur qu’il te soit arrivéquelque chose pendant la nuit ! J’étais morte d’inquiétude quand tu ne medonnaispasdenouvelles,craignantqu’ont’aitbattuàmort!Jepassaisleplusclairdemontempsàmeposerdesquestions:«Qu’est-cequ’ilestentraindefaire?»,«Est-cequ’ilvabien?»,«Ilviendracesoir?»,«Pourquoiiln’estpaslà?».Lesémotionsmenouentlagorgeàl’extrême.—Jemesuisdisputéeavecmonpèrepourtoi!J’aipleurépourtoi!Tum’as
embrassée et tu n’es jamais revenu ! Je suis devenue flic, même pas parvocation,maisparcequ’ilfallaitabsolumentquejeteretrouve!Jefaisunpasmaladroitenarrière.Matêtesemetàtourneraurythmedeces
révélations.Unevannevientdes’ouvrir,etilestdéjàtroptardpourréparerlesdégâts.Alors,jem’enfonce.—Tuesenmoidepuislejouroùtum’asregardée.Àpartirdumomentoùtu
esentrédansmavie,elles’estmiseàtournerautourdetoi.Finn,Finn,FinnetencoreFinn,iln’yavaitriend’autrequicomptait.Je réaliseàpeine l’horreurdecettevérité.Luicontinuedem’observeravec
impassibilité,alorsquejem’effondre.—J’aurais dû te le dire,mais je n’en ai pas eu le temps.Fall a transformé
Finn.Et,maintenant,jesuisenguerrecontremoi-mêmepourrefoulertoutecettemerdeémotionnelle!Mavoixsemetàtrembler.—Jenepeuxpasressentirtoutçaparcequetuesunmonstre!Jemelerépète
à chaque rêve où tu apparais : oublie-le, c’est impossible. Ce n’est pas Finn.C’estuneautrehistoire.Lepassénedoitpasinterféreravecleprésent.Maistuembrassesdespotichesdevantmesyeuxetçamerendcomplètementdingue!Cette fois, je le bouscule. Il ne répondpas àmon attaque et pénètre de fait
dansl’entréedemonappartement.—Jesuisjalouse!Unpoingdanssontorse.—Cettefemmenedevraitpasavoirledroitdetetoucher!Unpoingdanssonépaule.—Aucune femme ne devrait pouvoir t’approcher, si c’est impossible pour
moidelefaire!Je parle si fort que mes mots deviennent des hurlements. Ma violence le
pousseencoreetencoreenarrièreetilnecherchepasàsedéfendre;macolèresedéversesurluiaprèsonzeansdemacération.—Jetehais,Finn!Sorsdematête!Jelefrappeànouveauetsanscontrôle.J’aitoutessayépourl’effacer,maislelienquenousavonscrééestsirésistant
quelebriserestirréalisable.Dèsquejecroism’éloigner,moncœurmeramèneinexorablementverslui.Jemefaissouffrircommeunemasochiste.Unecaméeenmanque.J’aihonted’admettrequ’ilestmafaiblesse.Il m’intercepte avant de prendre un autre coup. Aussitôt, des larmes
silencieusesinondentmesjoues.
Chapitre10
Montana
Sesyeuxnequittentpaslesmiens,tellesdeuxbillesfascinéesparmesexcès.J’aiencoretantdechosesàluirévéler,desdizainesdecicatricesimpossiblesàlui montrer, puisqu’elles se trouvent sur mon cœur. J’aimerais qu’il mecomprenne,oudumoinsqu’ilsachecombienceslarmesmesontdouloureuses.Ilabaissedoucementmonpoignet,puislelâche.Jen’essaiepasd’engagerde
nouvellebagarre,étantdétruiteaussibienphysiquementquemoralement;seulsdessoubresautsridiculesagitentmesépaules.—Cettefemmen’aaucuneimportanceàmesyeux.J’auraispréféréqu’onévoquemadéclarationd’amour tardiveetmaladroite,
maissoit.Parlonsdesesplanscul,c’estbienplusintéressant.—Super.—Au fondde toi, tu le sais,Montana. Je l’ai embrasséedevant toipour te
fairemal,commetumefrappespourmeblesser.Moiaussi,jerêvedet’oublier,jen’attendsqueça.J’ail’impressiond’avoirmalentendu.—Netefaispaspasserpourlavictimedel’histoire,dis-jeentremblant.—Alors,trouvelebonmotpourdéfinircequejevis.Ilpenchelatêtesurlecôté,l’aircontrarié.—Je t’enprie,ajoute-t-il.À tonavis,commentappelle-t-onunmecenkiff
surlamêmefilledepuisunepetitevingtained’années?Ma gorge se serre. Je n’ai pas envie qu’il s’embarque sur ce terrain-là ; je
refusequ’ilmelaisseespérerquoiquecesoit.—Commentnommerais-tulefaitqu’ungarçondehuitansépieunenanade
sonâgeparcequ’illatrouvetellementbellequ’iln’arrivepasàs’enempêcher?Unidiot?Unfou?—Tais-toi.Ilfaitunpasenavant.— Quel nom donne-t-on au gros con qui fantasme sur son amie tous les
soirs?Àl’imbécilequin’arrivepasàfairelepremierpas?Àl’enfoiréquipenseàelleavanttoutlereste?Àceluiquisaitquec’estimpossible,maisquiespèrequandmême?—Tunem’aimespas,Finn.Mesyeuxs’embuentpourlasecondefois.— Si tu m’aimais, tu ne m’aurais pas laissée tomber devant chez moi. Tu
n’auraispasprislechemindeladélinquance.Tuauraisfaitd’autreschoix.—J’aivouluvengermonfrère.Cepandemavien’estpasenrapportavec
toi:j’aiprisunedécisionnécessaire,àlasuited’unimprévu.—Ettut’esperdu.—Tun’aspasledroitdem’envouloirpourça.—Tuas toutgâché,commentveux-tuque je t’excuse?Cen’estmêmepas
pourmoique jedis ça,maispour tesparents !Pour ceuxqui te soutenaient !Ceuxquit’estimaient!Tunousastousabandonnés!—Sic’était lecas, jeneseraispasdans tonappartement,en traindevioler
touteslesrèglesquejemesuisimposées!Savoix,graveetpuissante,pénètreviolemmentdansmesentrailles.—Jedevaisresterloindetoi,Montana,etregardelerésultat!J’enaimarre
d’êtreobsédé,detevoirmêmequandtun’espaslà,demeremettretoutletempsenquestionetd’aboutiràlamêmeconclusion:jenepeuxpast’aimer!Laragequil’inondefaitéchoàlamienne.—Jenepeuxpast’avoiretçametue!Jeretourneleproblèmedanstousles
sensdepuisdessemaines,etonenrevienttoujoursàcebordeldeputaindepointdedépartdemerde:tuesinaccessible!—Tun’avaisqu’à réfléchir avantde fairen’importequoi !Finnavaitmon
amour,lui!—Tuesflic!
—Tun’esqu’uncon!—Jen’arrivepasàtehaïr!—Moinonplus!Nos cages thoraciquesmontent et descendent en rythme.Mon appartement,
raisonnablement petit, rapetisse à mesure des secondes qui passent. Il n’y abientôtplusqueluidanslapièce.—Toutauraitététellementplussimplesitun’avaispasexisté…Ilbouillonneautantquemoi.Maraisonmesommedelestopper,mais,quand
ilannihileladistanceentrenousetempoignemanuque,jemelaisseprendre.—Dis-moid’arrêter,mesupplie-t-il.—Tunem’écouteraispas.—Jet’aitoujoursobéi.Jedéglutis.—Alors,fais-noussouffrir.Sabouches’écrasebrutalementsur lamienne.Cebaiserest,de loin, leplus
insupportablementattendudemonexistence.Parsaforce,ilmepousseautraversdelapièce,seslèvresmedévorantsans
mesure.Lafrustrationdenotreéloignementetlesnon-ditssemélangentetfontvolermondésirenéclats;jesaisquecequejesuisentraindefaireestmal.Jenem’enrelèveraipas.MaisFinnestmonfantasmenonassouviet,aujourd’hui,ilmedonnecedontjerêvais.Le plaisir se propage jusque dans mes fibres, et m’empêche de réfléchir
convenablement.Jerépondsàsonbaiseraveclamêmeintensité,terrasséeparlapuissancedecequejeressens.Dubesoin.Deladépendance.Toutcequim’estinterditaveclui.—Onvaleregretter,dis-jeentredeuxsouffles.Mondospercuteuneparoi dure. Il passe lesmains sousmesgenouxetme
soulève,m’intimantalorsdeluienserrerleshanchesdemesjambes.—Certainement,mais demain : ce soir, laisse-nous être ce qu’on aurait dû
êtrel’unpourl’autre.Sonregardmebouleverse.Ils’ytrouvecequej’aiavouécesquinzedernières
minutes,etqu’ilapréférégarderenfoui:cethommeestattachéàmoi.Ilnemedéteste pas. Non. Il exècre tout ce qui a fait que nous sommes devenus desennemis.
Jelecomprends.Jesaisàquelpointaimerestunetorture.Desmiennes,j’effleureseslèvres.J’enroulelesbrasautourdesoncou,etlui
donneunbaiserplusdoux.C’estmonaveu,mafaçondeluidirequejebaisselesarmes.L’étreintedure.Elles’approfondit.Salanguepassedemaboucheàmanuque,
puis ilmemontre à son tour l’étendue de ses sentiments ; je suis déposée endouceur sur le canapé, son corps au-dessus du mien. Il me caresse, me faitlanguir et découvre peu à peu chacune demes courbes.Un petit sourire éclôtlorsquesesdoigtsprennentpossessiondemondécolleté.—Mesgarsneparlaientquedeça,dit-il,enembrassant lanaissancedema
poitrine.Ilfaitdescendremonsoutien-gorgeavecungrognement.—Jelestueraispouravoiroséposerlesyeuxsurtoi.—Resteavecmoi.Neparlepasd’eux.—Jesuisjalouxàcrever,Montana.Tudevraisêtreàmoi.—Cesoir,jelesuis.Iltraceunsillonlelongdemonventre,toutendéboutonnantmonjean.Les
minutesquisuiventprouventcombienilveutquejeluiappartienne.Moncorpsréagitauplusinfimedesestouchers.Iln’yabientôtplusqueles
sensations qui importent, ce plaisir qui s’infiltre douloureusement et meconsume.Jevoudraisqueçanes’arrêtejamais.Quesabouchenemequittepas.Qu’ilmerépètecesparolesdemain.Il revient sur moi quelques instants après, les bras de chaque côté demon
visage.Sestatouagesnemasquentpassesinnombrablescicatrices.Cettefresquemerappellequiilest,etcequ’ilendureauquotidien.Delaviolence.Unmondequej’auraisvoululuiéviter.—Resteavecmoi,chuchote-t-il,reprenantmespropresmots.Tendrement, il caressemon front en sueur, etme prend par lementon pour
m’embrasserànouveau.Cequ’ilm’offreensuites’apparenteàdel’amour.Sesreinsvontetviennentdurantuneéternité.Ilnemetouchepascommes’il
fallaiten finir,maiscommesichaquesecondeétaità retenir. Jemenourrisdenotreconnexionavantqu’elledisparaisseàjamais;moncorpss’oublie,matêtepart enarrière.Quand je souffle sonprénom, ildevientplusbrutal.Manuque
perle de sueur sur le tissu abîmé, tandis que son odeurm’envahit.C’est à cetinstantquej’arrêtederespirer.—Pasencore,dit-il,meprenantparlataillepourmodifiernotreposition.—Finn,jevais…Jemecramponneàl’accoudoirdetoutesmesforces.—Jesuisobligéde fairedurer,murmure-t-ildansmescheveux.Jenepeux
t’avoirqu’unefois.Desapaume,ilappuielégèrementsurmondos,etjememordsleslèvrespour
retenirlesmotsquiveulentsortirdemabouche.Torturedouce.Il semble me connaître par cœur. Mes réactions le guident et, dès que je
recommenceàperdrelecontrôle,ilralentit,pourrepartiravecplusdeforce.Nouspassonsducanapéausol.Dusolàlatablebasse.Dusalonàlacuisine,
puisde laportedu frigoà la console,prèsde l’entrée. Iln’yaplusune seuleoncedeforceenmoi.Mesbrasnemesoutiennentplusetmesjambesflanchent.—Finn…Ilme coupe la parole en écrasant sa bouche sur lamienne. Il absorbemon
implorationetmeprodigueunénièmecoupdereins.L’orgasmeestinsoutenable.
Chapitre11
Fall
Lasouffrancephysiquen’apasdesecretspourmoi.Àdix-neufans, j’aiétélaissépourmortàl’angled’EllisStreet.Onm’arécupérédansunsaleétat,aprèsunpassageàtabacenrègle.J’aimistroissemainesàm’enremettre,etj’enporteencorelesstigmatessurlesflancs.Onm’atirédessusàvingtans.Labasepourunfauteurdetroubles.J’engarde
deuximpacts:unjusteau-dessusdelaclavicule,l’autreàl’épauledroite.Àça,jepourrais ajouter lesbagarresde finde soirée, ou les coupspris parmanqued’agilitépendantlesrixes.Mon corps est habitué à la douleur. Il la considère commedes courbatures,
riendeplus. Il se répare, se refait avec le temps.Malheureusement, il n’apasencoreapprisàsoignerlesplaiesplusprofondes.Montana est endormie depuis un moment. Son lit, qui a accueilli notre
dernièreétreinte, a retrouvéuneallurenormale. J’ai replacé lacouette surellepour qu’elle n’ait pas froid, et glissé un oreiller sous sa tête. J’entends unronflementetnepeuxretenirunsourire.Elle est paisible. Tant mieux. Il fallait bien que l’un de nous profite de la
descentepost-orgasmique.J’auraisdûquittersonappartementilyadéjàuneheure.Dèsl’instantoùelle
s’estassoupie,ilauraitfalluquejemerhabilleetquej’ailleretrouverlesmiens.Saufquejen’entrouvepaslaforce.J’aimecettefilledepuistoujours.Jesuisaccrochéàelledetouteslesfaçons
possiblesetimaginables.Peut-êtrequ’elletirerauntraitsurcequis’estproduit
cettenuit,jeleluisouhaited’ailleurs…Demoncôté,c’estimpossible.MontanaEdwardsreprésentetoutcequejen’aipasledroitd’avoir.Elleest
intelligente, droite, belle. Bordel… Elle est sublime. Dans une autre vie, jel’aurais faitemienne. J’aurais été cemec idéal, sorti des films sentimentaux :rasé de près, costard chic, sourire en coin.Quelques soirées passées dans deslieux idylliques, des confessions alcoolisées, un peu de sexe… beaucoup desexe.Lasouffranceémotionnelleestmonstrueuseà subir. J’ai l’impressiondeme
prendredescoupsdepoignarddanslebidesansinterruption.Elleneserajamaisàtoi.Contente-toidel’éphémère.J’abandonnelerebordde lafenêtreet,ensilence,déposesonanciencadeau
surlatabledechevet.Sicettebabiolepeutluirappelerlesbonsmomentspassés,alorsjemetstousmesespoirsenelle.—Excuse-moi.Jenet’aijamaisaiméedelabonnefaçon.Je contemple son visage encore quelques minutes, aussi désespéré qu’un
alcoolique en face de sa boisson de prédilection.Ellememanquera, c’est uneévidence.Unedernièrecaressesursajoue,etjem’envais.J’aiuneaffairequim’attend.
Dégager nos cargaisons de nos cachettes. Disparaître. Duper la police etcontinuernosdeals.C’estbizarre…çameparaîtsuperflu.
Chapitre12
Montana
—Qu’est-cequivousfascineautant?Je lâche des yeux mon gobelet de café, et accueille le sourire froid du
commissaire ; avec un automatismed’employéemodèle, jemasque alorsmonétatdéplorableetsourisàmontour.—Vousavezbesoindequelquechose?Ildétaillemonbureau—bordélique—,puismonordinateur—pasencore
allumé—,avantdereveniràmoi.—Ilest10heuresetdemie,Edwards.Vousdevriezêtreentraindetravailler.—Jem’ymetssur-le-champ.Avec un entrain totalement feint, j’appuie sur une touche du clavier. Je
compilequelquesdossiers.J’ouvreuntiroir,m’empared’unstylo,lereferme…sousl’œilscrutateurdemonchef.Pourquoireste-t-ilplantélà?—Vousn’avezvraimentpasbesoindequelquechose?répété-je.Ilvientrarementànous.Laplupartdutemps,jelecroiseàlapausedemidi,
ou avant de partir en intervention. Sa présenceme rend anxieuse, encore plusaprès la nuit que j’ai passée… Se pourrait-il que les orgasmes interditstransparaissentsurunvisage?— Je suis à la recherche de votre intégrité, vous ne sauriez pas où elle se
trouve,parhasard?Le tempsque je fronce les sourcils,Alecapparaîtà laporte.Tout,dansson
comportement, indique qu’il est en pleine tourmente. S’il pouvait parler, il seferaitpardonner.Pourquelleraison?Jel’ignore.Lesrouagesdemoncerveausemettentbrusquementenrouteet,laconclusion
mesautantauxyeux,jemefige.Jenel’ignorepasdutout.Ilm’avendue.Alecatoutdit.—Vouspercutez?demandelecommissaire.—Jecroisqueoui,acquiescé-je,nauséeuse.—Bien.IlfaitsigneàAlecd’entrerets’installesurlachaiseenplastiquedur,faceà
moi.J’aienviederendrelasurcharged’alcoolquej’aiingurgitéehier,etquimebrûlel’œsophage;jemedoutaisquecemomentarriverait,maisj’espéraisavoirunplanpourlecontrer.—Jevaisvouséviterlaleçondemorale.Vousêtesl’unedemesmeilleures
recrues,jesupposedoncquevousvousenvoulezdéjàassez.Je jette un coup d’œil à Alec, qui est blanc comme un linge. Il m’avait
prévenue, mais sa trahison me reste néanmoins en travers de la gorge. « Uncoéquipier,c’estunmembredetafamille.Quetul’aimesouquetuledétestes,tutedoisdeleprotéger.»Ila,semblerait-il,faitunpieddenezàsonmantra.—Est-ceréellementvrai,Edwards?J’inspirediscrètement.—Toutdépenddecequ’onvousadit.Jesubisunmonologuedecinqminutes,durantlequeltoutesmesbavuresde
flic sont révélées.Alecs’enestdonnéàcœur joie : il aévoquémesplanques,mesindics,mesrecherches;ilestmêmealléjusqu’àsuggérerunlienentreFalletmoi.Enclair,ilasignémonarrêtdemort.—JeneconnaispasFall,commissaire.Toutcequej’ai