13
FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN Author(s): Paul Vieille and Morteza Kotobi Source: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 41 (Juillet-décembre 1966), pp. 93-104 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/40689371 . Accessed: 16/06/2014 00:02 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Cahiers Internationaux de Sociologie. http://www.jstor.org This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRANAuthor(s): Paul Vieille and Morteza KotobiSource: Cahiers Internationaux de Sociologie, NOUVELLE SÉRIE, Vol. 41 (Juillet-décembre1966), pp. 93-104Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/40689371 .

Accessed: 16/06/2014 00:02

Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at .http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp

.JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range ofcontent in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new formsof scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected].

.

Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access toCahiers Internationaux de Sociologie.

http://www.jstor.org

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 2: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

par Paul Vieille et Morteza Kotobi

II ne semble pas que la famille iranienne soit entrée dans une phase d'évolution rapide ; il n'est cependant pas sans intérêt d'examiner sa forme, ses relations avec la parenté, quelques aspects du statut de ses membres (et spécialement de la femme), ainsi que quelques lignes de l'évolution qui accompagne l'urba- nisation rapide et l'industrialisation. Les sources ne sont pas très nombreuses, mais on peut utiliser certaines données d'une étude exploratoire effectuée en 1963 à propos de l'intégration des ouvriers industriels de Tehran au milieu urbain et indus- triel (1). Des quelque 300 ouvriers interrogés, les 2/3 sont nés à la campagne, 15 % dans des petites villes de province, 7 % dans des villes moyennes, 10 % dans la capitale même ; à la troisième génération une famille sur cinq seulement est urbaine et 5 % seu- lement habitent Tehran qui n'est pas alors une grande ville. L'activité industrielle est elle aussi nouvelle, pratiquement aucun des pères des ouvriers étudiés ne travaillait en usine, et celle-ci était absente des horizons professionnels de l'enfance.

Ainsi, lorsqu'on compare la famille d'origine des ouvriers (ménage qu'ils ont quitté pour aller travailler en ville, ou ménage auquel ils appartenaient lorsqu'ils ont atteint 20 ans) et leur famille actuelle, il apparaît à la fois un changement de milieu écologique (passage de la société rurale ou de la ville tradition- nelle à la grande métropole) et un changement de milieu technique (passage d'occupations traditionnelles à des activités industrielles) en même temps qu'un changement beaucoup plus général lié à l'histoire ; la famille d'origine et la famille actuelle (1963) sont en moyenne séparées par une période de 17 ans (âge moyen

(1) Etude effectuée par r « Institut d'Etudes et de Recherches Sociales » avec l'aide de TU.N.E.S.G.O. Définition de la population : ouvriers mâles âgés de 25 à 50 ans des établissements industriels de Tehran employant 20 ouvriers au minimum. On a d'abord choisi, au hasard, 50 établissements parmi les 159 entrant dans la définition retenue, puis, dans la liste du personnel mâle de 25 à 50 ans de ces établissements, un ouvrier sur quinze.

- 93 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 3: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTOBI

actuel des ouvriers : 36 ans ; âge moyen auquel ils ont quitté leur milieu d'origine ou auquel celui-ci est considéré : 19 ans).

La famille iranienne paraît être dans une large mesure de forme nucléaire. Les quelques études qui Tont prise en considé- ration aboutissent à cette conclusion (1) ; par ailleurs, le recen- sement de 1956 donne, pour l'ensemble du pays, une taille moyenne des ménages de 4,8 personnes, qui laisse à coup sûr peu de place à la famille étendue (2).

Qu'en est-il de la population ouvrière, quelle modification a-t-elle subie tandis qu'elle était intégrée à l'industrie ? Compa- rons la forme du ménage actuel des ouvriers à celle de leur ménage d'origine.

Ménage Ménage d'origine actuel

Ménages incomplets, sans noyau conjugal, habituellement composés de parents au 1er et au 2« degré 33 23

Ménages nucléaires sans addition ni exten- sion 231 213

Ménages nucléaires avec addition (sans noyau conjugal adventice) 16 43

Ménages nucléaires avec extension (compor- tant un noyau conjugal adventice : 4/12, ou 2 noyaux conjuguaux adventices (famille étendue proprement dite) : 9/2). 13 14

Total 293 293

Les ordres de grandeur des deux répartitions sont semblables ; la famille nucléaire strictement définie constitue ainsi 79 % et 73 %, la famille étendue au sens strict 3 % et 1 % des ménages. Mais, assez remarquablement, les diminutions de trois formes de

(1) F. Barth, Nomads of South Persia, Oslo, University Press, 1961. Sur 32 ménages étudiés d'une tribu nomade, un seul est étendu, trois sont des familles nucléaires avec addition. Le même auteur, dans le Kurdistan irakien, répartit ainsi les 120 familles de 4 villages : familles nucléaires : 57, familles nucléaires avec addition : 20, familles étendues : 10, familles incomplètes : 33 ; Principles of social organization in Southern Kurdistan, Universitets etnogra- flske Museum Bulletin, n° 7, Oslo, 1953. - Op't Land. Problems about the sedentarization of nomad pastoralists, Tehran, I.E.R.S., 1961. Sur 40 ménages d'un village de l'Aras, on compte 3 familles étendues, et 7 familles nucléaires avec addition. - P. Vieille, Dusadj, Tehran, I.E.R.S., 1963, ne rencontre pas une famille à proprement parler étendue parmi les 108 ménages du village étudié. L'observation immédiate tend à montrer qu'aussi bien à la campagne qu'à la ville le ménage est de forme nucléaire. Mais cette règle n'exclut pas d'importantes exceptions ; dans tel gros village de la montagne d'Isfahan les familles étendues sont la grande majorité.

(2) Le chiffre est de 4,8 pour les villages, 4,7 pour l'ensemble des villes, 4,5 pour Tehran. Une autre étude, Survey of consummer expenditures and income in 32 cities of Iran, Bank Markazi Iran Bulletin, I, 3, 62, propose, pour les villes moyennes et grandes du pays, la taille moyenne de 4,92 en 1959.

- 94 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 4: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

LA FAMILLE EN IRAN

famille (ménages incomplets, familles nucléaires, familles éten- dues) ont pour contrepartie l'augmentation des familles nucléaires comportant, soit une addition de membres isolés, soit une exten- sion limitée à un noyau conjugal. On explicitera un peu plus loin le sens probable de cette modification. Notons tout de suite que Timportance de la famille élargie pourrait être plus grande dans la population totale que dans les ménages d'origine des ouvriers ; deux effets contraires de sélection sont en effet observés : la population ouvrière, dans son ensemble, se recrute préférentiellement dans les couches pauvres des groupes de localité, mais les familles d'origine des ouvriers lorsqu'elles sont « étendues » appartiennent davantage aux couches aisées.

Le modèle d'organisation nucléaire de la famille s'affirme si l'on considère les responsabilités dans l'éducation des enfants. Ainsi, parmi les personnes mentionnées par les ouvriers comme ayant eu une importance dans leur éducation, 86 % sont des membres du groupe conjugal (dont 9 sur 10 sont le père et la mère). Les grands-parents ne forment pas plus de 3 % de la population ainsi définie, ce qui est un indice particulièrement remarquable de l'individualité du groupe conjugal. De même, si dans les familles étendues, comprenant au total deux ou trois noyaux conjugaux, l'autorité incombe habituellement à Y aîné des hommes mariés du groupe, dans les autres formes de famille qui ne sont pas, ou pas strictement, nucléaires ce n'est pas systé- matiquement sur l'aîné que reposent les responsabilités du ménage.

Ainsi l'on peut dire que le modèle de regroupement, aussi bien traditionnel qu'actuel, dans la population des travailleurs industriels est la famille nucléaire composée d'un homme, de sa femme et de ses enfants célibataires. L'extension de ce noyau est relativement peu fréquente, elle intervient surtout pour prendre en charge des proches parents qui se trouveraient seuls autrement (ménages nucléaires avec addition) ; elle est, par sa fonction, proche de ces ménages composites qui, en l'absence de noyau conjugal, rassemblent des parents proches qui peuvent s'entraider (parmi les « ménages incomplets » d'origine 1/3 sont ainsi composites, parmi les ménages actuels la moitié). C'est sans doute dans cette perspective qu'il convient d'analyser l'accroissement, dans la population ouvrière par rapport à la population mère, du nombre de ménages nucléaires avec addition et du nombre de ménages comprenant deux groupes conjugaux. L'ouvrier étant dans une certaine mesure privilégié par rapport aux sans-travail, aux paysans sans terre, etc., autour de lui tendent à s'agglomérer des ménages moins chanceux. La tradition d'entraide apparaît en quelque sorte activée par l'emploi indus-

- 95 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 5: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTOBI

triel, produisant ces ménages composites que Ton a décrits, tandis que la famille étendue proprement dite, déjà peu impor- tante dans la population d'origine, est réduite à peu de chose.

Si la forme des ménages prête peu à discussion, il convient cependant d'ajouter que le ménage nucléaire n'est qu'un aspect d'une réalité familiale plus complexe. Il y a, semble-t-il, peu de ménages qui n'entrent pas dans une union de familles. Le fraction- nement des tribus nomades en segments de lignage est connu, et l'on a montré comment, en Iran, à la fois la division en lignages et en segments de lignage est renforcée (1). Mais qu'en est-il de la population rurale et de la population urbaine ? Peu d'infor- mations ont été réunies à leur sujet (2).

Il semble que l'appartenance des ménages nucléaires à des unions de familles soit un fait généralisé. La quasi-totalité des ouvriers d'origine rurale reconnaissent l'existence d'unions de familles dans leur village d'origine, la division du village en factions ainsi constituées, et l'appartenance du ménage d'où ils proviennent à une telle union. Les ouvriers d'origine urbaine confirment, de leur côté, l'existence de groupes de parents dans les quartiers. Par ailleurs, l'analyse par quartier de la concen- tration de la parenté, selon l'ancienneté de l'implantation urbaine, montre qu'elle tend à croître avec le temps. L'union de familles ne semble pas être en ville un simple souvenir de la campagne, mais correspond à une sorte de nécessité.

Mais que sont ces unions de familles ? Elles sont organisées selon les liens de parenté ; quels sont ceux qui prévalent ? Les relations verticales (plus durables) du lignage ou les relations horizontales (plus souples et politiques) du mariage, ou une combi- naison des unes et des autres. Les données manquent encore pour établir une typologie des unions de familles et proposer une hypo- thèse quant à la relation entre structure de l'union et structure du groupement au sein duquel elle se situe. Ce qui est certain, c'est la très grande importance que revêt le mariage pour les unions de familles et l'intérêt qu'elles y prennent (3).

Observons le mécanisme de décision du mariage dans la

(1) F. Barth, Tribal structures of Iran, in Social sciences Seminar under the sponsorship of the University of Tehran, Faculty of Arts and the United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization, Tehran, 31 oct.- 7 nov. 1959.

(2) F. Barth, Principles..., art. cit., distingue dans le Kurdistan méridional les villages d'origine tribale des villages d'origine sédentaire, les uns et les autres ont une forte endogamie locale, mais les premiers y ajoutent une endo- gamie de segments tribaux si bien que le village est alors constitué de segments endogame8 de lignage.

(3) Ce problème est notamment évoqué dans : P. Vieille, Un groupement féodal en Iran, in Revue française de Sociologie, vol. VII, n° 1, janvier-mars 1966.

- 96 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 6: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

LA FAMILLE EN IRAN

famille d'origine ; les participants sont nombreux et les plus actifs n'y sont pas les futurs conjoints :

Nombre de mentions de participation

pour 100 informateurs

La jeune fille 12,3 Les intermédiaires « féodaux » 14,4 Les « aînés » de village (collectivement) . 36,4 Le garçon 43,5 La parenté (collectivement) 51,1 La mère 77,8 Le père 83,5

Total 319

Lorsque la jeune fille est mentionnée, c'est souvent pour signaler son rôle passif ; le garçon participe davantage à la décision qui le concerne, mais il n'est pas de cas où il agisse seul. Les parents directs ont une part très active dans le mariage de leurs enfants : ils « décident ». La parenté, les « aînés » de village, les intermédiaires « féodaux » interviennent tous pour « conseiller » les parents ; de plus, la parenté féminine est souvent appelée à s'entremettre entre les deux familles, tandis que les intermédiaires « féodaux » ont parfois à donner l'autorisation (au nom du pro- priétaire foncier, jusqu'au moment de la réforme agraire). Entre villes et campagnes, la différence dans le mécanisme de décision des mariages au sein des familles d'origine est minime. On note seulement en ville une légère accentuation à la fois du rôle des parents directs, aux dépens des jeunes gens et de la parenté, et du rôle de l'épouse et des autres femmes de la famille, aux dépens du mari et de la parenté mâle.

Considérons maintenant le mécanisme de décision du mariage des ouvriers eux-mêmes. Les comparaisons avec la situation dans la famille d'origine ne sont pas directement possibles ; tout d'abord, parce que les cas visés sont différents (à propos de la famille d'origine on a évoqué un cas général, une représentation modèle, à propos de l'ouvrier on se reporte à un cas précis), ensuite, parce que les informations réunies ne sont pas exacte- ment les mêmes (on n'avait pas en vue une telle comparaison).

Examinons quel est le système de relations d'où la jeune fille est extraite (tableau ci-dessous).

Le choix du conjoint demeure largement tributaire des rela- tions familiales (des relations de parenté proprement dites : 36 % des mariages, et des relations de la famille : 45 % des mariages). Les femmes, peut-on dire, ne sont guère accessibles

- 97 - CAHIERS INTERN. DE SOCIOLOGIE 7

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 7: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTOBI

Origine des ouvriers Ensemble Ruraux Urbains

De la famille ou des relations de la famille (dans le groupe de localité d'origine ou de rési- dence, etc.) 81 82 77

Du cercle des relations indivi- duelles (camarades d'usine, de quartier, etc.) 14 14 13

Des relations de « masse » (ren- contre de hasard due aux transports, loisirs, transac- tions commerciales, etc.) . . 4 3 8

Non-réponse 1 1 2 Ensemble 100 100 100

qu'au travers des relations familiales ; ceci est souligné par la participation des parents du garçon dans le choix de la jeune fille. Dans un quart environ des cas où la jeune fille provient de la famille, ou des relations de la famille, les parents ont agi seuls ; dans la moitié, ils ont agi de concert avec le garçon ; dans un quart seulement des cas, le garçon pense avoir choisi et décidé seul à l'intérieur des limites que lui impose l'organisation sociale.

Lorsque la jeune fille provient du cercle des relations indi- viduelles, le garçon n'est pas pour autant libéré de l'intervention des familles ; dans près de la moitié des cas, il ne choisit pas la jeune fille, mais accepte d'épouser celle qui lui est présentée par un ami ou un camarade parent de celle-ci ; dans les cas où il vient en relation avec la jeune fille et la choisit - à la faveur d'un choix réciproque - , la décision dépend encore souvent des familles. Celles-ci interviennent de la même façon, dans la déci- sion du mariage, lorsque la jeune fille a été rencontrée grâce aux relations de masse. En définitive, le garçon n'a choisi son épouse et décidé lui-même du mariage que dans 25 % des cas ; il n'a choisi à l'extérieur de la famille et décidé lui-même que dans 6 % d'entre eux.

On a seulement étudié à propos du mariage des ouvriers les modes de choix et de décision ; on a laissé de côté l'entremise entre les familles, ou entre le garçon et la famille de la jeune fille, qui semble être une démarche dont la généralité ne souffre que de très rares exceptions. Or, cette entremise ne peut être effectuée par le prétendant lui-même qui se trouve, par ce nou- veau biais, rendu dépendant de la famille ou éventuellement des amis qui effectuent la démarche.

De toute façon, les conditions dans lesquelles les ouvriers

- 98 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 8: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

LA FAMILLE EN IRAN

étudiés se sont mariés n'apparaissent pas fondamentalement diffé- rentes de celles du mariage dans la famille d'origine où les parents, et la parenté, intervenaient toujours. Dans les deux cas, le mariage met activement en cause la famille. On peut, à ce point, se demander pourquoi le mariage revêt pour les familles une telle importance. Pour y répondre, partons d'une question plus générale. Quelle est la fonction des unions de familles dans la structure sociale ? On peut considérer que l'individu n'est pas reconnu par un système de droit fixe, égalitaire, individualiste, mais seulement au travers de son appartenance à une hiérarchie de groupes et groupements dont l'union de familles est traditionnellement l'unité de base, mais qui peut être remplacée par d'autres types de groupements.

Dans les villages, la fortune des ménages est liée au poids de l'union de familles dans la communauté locale. Or, ce poids n'est le produit - et l'on peut se référer ici aux perceptions des ouvriers au sujet de la structure de leur communauté d'origine - ni du nombre des membres de l'union, ni d'abord de la richesse déjà accumulée, mais de la force dans les relations de production, c'est-à-dire d'une part des qualités déployées par le leader de l'union de familles dans les rapports sociaux, d'autre part de la cohésion et de la solidarité des membres du groupe ; et celles-ci se développent traditionnellement autour de la parenté par le sang et des alliances par mariage. C'est pourquoi les unions de familles pratiquent habituellement une forme ou une autre de politique des mariages (1). L'une des formes les plus fréquentes est l'endogamie, limitée soit à une seule union, soit à un petit nombre d'unions de familles : 70 % des familles d'origine des ouvriers nés à la campagne pratiquaient une endogamie plus ou moins stricte d'union de familles, mais un tiers seulement des familles des ouvriers nés en ville avaient la même habitude (2).

Ainsi voyons-nous que le ménage qui nous apparaissait tantôt de forme nucléaire est, en fait, fondé non pas sur le libre choix des individus, mais sur la décision de leurs parents et dépend, non seulement à propos du mariage des enfants, mais

(1) P. Bessaignet, Le système des mariages chez les Chah-Savandu Moghan, Tehran, I.E.R.S., 1960, montre que les chefferies des tribus nomades étudiées conjuguent préférence pour l'endogamie de clan, préférence pour l'endogamie de classe (de manière à constituer les chefferies des différents clans en groupe séparé au sein de la tribu), et alliances avec quelques « sujets » du clan (de manière à s'assurer des clientèles).

(2) A la limite, la tendance à lendogamie familiale aboutit au mariage par cousins parallèles, dont l'importance a souvent été soulignée en Iran. La fréquence de l'institution apparaît toutefois assez variable. F. Barth, Prin- ciples..., art. cit., trouve 60 % de mariages par cousins parallèles dans le Kurdistan méridional, ce qui, à son sens, doit approcher le maximum possible. - P. Bessaignet, op. cit., en trouve 40 % dans la chefferie étudiée chez les Chah-Savan.

- 99 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 9: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTO BI

encore à propos de nombreux actes de la vie quotidienne, d'un mécanisme complexe de décision où entrent en composition ses intérêts et ceux de la parenté. A bien des égards, l'organisation de la famille apparaît maintenant comme celle d'une famille élargie localement éclatée.

L'ambiguïté ne réside pas seulement dans la définition de la famille, elle est réelle. Le ménage individualisé, de forme et d'organisation nucléaires, du fait même que la tenure de la terre dans le système féodal était individuelle, doit se situer par rapport à dea unions de familles; il ne peut que faire partie de Tune d'elle?, mais, en même temps, il ne peut, dans son cadre, que se poper contre elle. Toutefois, ce caractère de conflit-concours, qui apparaît ici et qui est Tun des aspects fondamentaux de la société et de la personnalité, donne naissance à toute une gamme de conduites. Cette dernière va de l'envahissement de la vie du ménage conjugal par les solidarités habituelles et attendues de la paítente, à l'essai de dominer les solidarités tout en les utilisant, à la réalisation, au travers des solidarités, d'une politique d'alliances, concrétisée par des alliances matrimoniales, par lesquelles le ménage cherche à progresser dans l'échelle du pres- tige qt de la fortune. Fidélité à des solidarités anciennes, désir de ne pas récuser des solidarités attendues et recherche de soli- darités nouvelles sont des opérations habituellement coexistantes. Selon les circonstances, selon les possibilités individuelles de dominer le difficile entrelacs des relations locales, c'est, en pra- tique, telle ou telle solution qui tend à prévaloir. Quel que soit le jeu traditionnel des alliances matrimoniales, il suppose que les aînés des unions de familles et les chefs de ménage conservent un étroit contrôle sur les instruments d'alliance. Le statut de la femme est lié à la double forme de la famille et au rôle de l'union de familles dans le processus d'intégration des individus à la société.

Considérons maintenant quelques aspects du statut effectif des femmes. Les occupations des mères et des épouses des ouvriers se répartissent ainsi : ,

Mères Epouses

Activités ménagères non salariées à domicile . . 77 97 Travail artisanal à domicile (tissage du tapis,

doublé ou non d'une activité ménagère à domicile) 17

Activités agricoles : dans le cadre de l'exploitation familiale . 4 salariées 1

Activités ménagères salariées à l'extérieur . . 2 Autres travaux à l'extérieur de la maison . . 1 1

Total 100 100 - 100 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 10: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

LA FAMILLE EN IRAN

Si les activités de production de la femme ont diminué avec le passage d'une grande partie de la population considérée de la campagne à la ville, l'importance des activités exercées à l'exté- rieur du domicile ou du ménage est restée pratiquement la même ; elle est négligeable. A l'intérieur du ménage les fonctions de la femme ont-elles changé ? Prenons, par exemple, cet indice parti- culièrement révélateur qu'est la garde de la monnaie dans le ménage. Son « taux de féminité » (rapport du nombre de femmes qui conservent la monnaie au nombre total d'hommes et de femmes qui ont cette fonction) évolue de la façon suivante :

Ménages d'origine, ruraux 17% Ménages d'origine, urbains 25 - Ménages actuels 26 -

L'ensemble des ménages ouvriers (on n'a tenu compte que des ménages nucléaires), dont 2/3 des chefs sont originaires de la campagne, a ainsi atteint le niveau où se situaient déjà les ménages d'origine citadine. Toutefois, le progrès pourrait être un peu plus marqué ; on voit, en effet, que le « taux de féminité » de la conservation de la monnaie atteint 28 % dans les ménages actuels, lorsqu'il y a des enfants, situation dans laquelle se trou- vaient tous les ménages d'origine.

Par ailleurs, la quasi-totalité des femmes d'ouvriers ne sor- tent qu'en portant le voile :

Portent toujours le voile

Épouses d'ouvriers musulmans, ensemble 93 % Épouses d'ouvriers musulmans, d'origine rurale. 98 - Épouses d'ouvriers musulmans, d'origine urbaine 85 -

Aucune femme en outre, ne l'a complètement abandonné. Enfin, les plus grandes précautions sont encore prescrites en

ce qui concerne les rencontres entre garçons et filles. On avait proposé aux informateurs la question : « Autorisez-vous vos filles célibataires, de plus de 12 ans, à visiter des amies dans des familles où se trouvent des garçons ? » ; question qui parais- sait la plus capable de révéler un début de libéralisation du statut de la femme ; 9 ouvriers sur 10 ont répondu négativement.

Examinons maintenant quelques représentations et opinions. Les fonctions attribuées à l'homme et à la femme, dans la vie du ménage, montrent que l'image traditionnelle de la division radicale des fonctions demeure très vivace.

Par ailleurs, ouvriers d'origine urbaine et ouvriers d'origine rurale ne se distinguent nullement dans ces attributions de fonction.

- 101 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 11: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTOBI

Fonctions attribuées (1) Femme Homme

Tenue du ménage, soins des enfants 76 7 Attention aux normes de conduite inter-

personnelle dans le couple 21 18 Activité économique assurant la subsistance

du ménage 3 75 Ensemble des fonctions attribuées. 100 100

Les opinions exprimées à l'égard du port du voile montrent combien les ouvriers y sont attachés. On remarque cependant qu'un certain nombre d'ouvriers, dont l'épouse ne sort que voilée, se déclarent défavorables au voile. On reviendra sur ce fait.

Opinion des ouvriers musulmans Lieu de naissance de l'ouvrier mariés à l'égard 6 du voile „ 6 „ Ensemble Villages Villes

Pour le port du voile 80 85 70 Contre le port du voile 15 11 25 Pour et contre 3 2 5 Non-réponse 2 2

Total 100 100 100

Comme pour le port de voile lui-même, on voit que les ouvriers d'origine rurale ont un certain avantage sur les ouvriers d'origine urbaine. Mais plus intéressante encore est l'analyse des motivations de l'opinion exprimée.

Motivations de l'opinion favorable au voile Religion : Le port du voile est une affaire de religion ; l'Islam

le commande ; les personnes qui portent le voile agissent pieusement 42

Tradition : Le voile est une tradition dans la famille, une habitude de notre milieu social, nous avons été élevés comme cela 14

Rôle et changement de rôle : La femme est sexe, appel sexuel et doit être cachée. Le dévoilement de la femme, c'est son exposition, le déchaînement des appétits sexuels, l'immoralité provenant soit de l'homme soit de la femme qui ne connaissent plus leurs limites 31

Statut économique : Le voile couvre la misère du vêtement. Supprimer le voile, c'est entraîner davantage de dépenses 8

Autres réponses 5 Ensemble des motivations 100

(1) Noter que les réponses ont été obtenues par une question ouverte et que l'on avait, en général, plus d'une attribution de fonction par informateur.

- 102 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 12: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

LA FAMILLE EN IRAN

Remarquons que ces motifs ont été formulés en réponse à une question ouverte ; ils ne sont pas exclusifs les uns des autres et sont seulement indicatifs de l'éventail des motivations du port du voile dans la population interrogée ; leur ordre d'impor- tance relatif est sans doute marqué par un jugement sur l'oppor- tunité de telle ou telle expression dans la situation au moment de l'enquête. On peut se demander si, au cours d'une campagne pour l'égalité de l'homme et de la femme, les ouvriers n'ont pas jugé bon d'insister sur la prescription religieuse (qui à strictement parler n'existe pas) et de cacher les craintes très vives qu'inspire l'éventualité d'une suppression du voile. En insistant sur la religion, ils opposent à la frontalité de la campagne pour l'égalité des sexes une frontalité inverse, c'est-à-dire une affirmation que nul ne songe à mettre en doute ; affirmer le danger d'une modi- fication du système de rôle traditionnel pourrait, à leur sens, être interprété comme un manque de confiance et appeler des apaisements jugés trop faciles. L' « effet de frontalité » est toute- fois encore faible dans les réponses que l'on vient d'examiner, les indices par lesquels il apparaît restent peu nombreux. Ils le sont bien davantage lorsqu'il s'agit d'expliquer les opinions défa- vorables au voile - ce qui rend suspectes les opinions exprimées dans ce sens - , ou lorsqu'il s'agit de donner les raisons de la « tendance actuelle au dévoilement des femmes ». Les mêmes ouvriers qui, il y a un instant, présentaient des raisons très fortes pour le maintien du voile, trouvent alors à 70 % de « bonnes » raisons pour la suppression du voile ; 1' « effet de frontalité » a joué ici dans un sens différent de celui que l'on a vu plus haut, mais il se manifeste toujours dans la Stereotypie et la brièveté des réponses.

Il en est de même, si l'on interroge les ouvriers sur leur « opi- nion à propos du travail industriel des femmes ». Alors que, tantôt, une fonction d'activité de subsistance était très rarement attribuée à la femme dans la vie du ménage, c'est maintenant une majorité d'ouvriers (53 %) qui se déclare favorable à son travail industriel. Les motivations de l'opinion sont exprimées en termes concis et « tout faits » :

Rien ne s'oppose au travail industriel des femmes 8 Le travail des femmes est une nécessité sociale et politique . 12 L'industrie peut tirer profit des qualités du travail féminin. 3 Le travail de la femme est utile à son progrès social 6 Quant au travail, l'homme et la femme sont égaux .... 20 Le travail de la femme est utile à l'économie du ménage . . 50 Autres motifs 1

Ensemble des motivations 100

- 103 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions

Page 13: FAMILLES ET UNIONS DE FAMILLES EN IRAN

P. VIEILLE ET M. KOTOBI

Si Ton a insisté sur ces réponses à caractère frontal, ce n'est pas seulement pour des raisons évidentes de méthode d'analyse des données, mais pour mettre en lumière le caractère essentiel- lement malléable de l'expression d'opinion.

Lorsqu'on s'interroge sur cette malléabilité, qui est d'ailleurs traditionnelle, et lorsqu'on compare les circonstances dans les- quelles des opinions opposées sont exprimées par un même individu sur un même sujet, on se rend compte que l'expression frontale de même que les autres pratiques frontales sont de simples actes de soumission commandés par le rôle de sujet. L'autre face de la réalité, c'est-à-dire presque toute l'activité pratique, appartient à un univers social différent et d'abord à la famille, aux unions de familles et aux groupements qui, décal- quant leur fonction sur celles-ci, les remplacent dans une société complexe.

C'est de ces groupes et groupements, par ailleurs opposés entre eux, que l'individu attend son intégration sociale et la possibilité de subsister. Dans une structure sociale de ce type, il apparaît particulièrement difficile de modifier par en haut la famille et le statut de la femme qui en résulte : l'affirmation frontale et l'accomplissement de « rites » n'engagent pas toute la personne, et le problème est au fond de savoir jusqu'à quel détail les « rites » nouveaux relatifs au statut de la femme pour- ront descendre afin de modifier le rôle effectif. On ne peut, pour l'instant, considérer les opinions affirmées comme le signe pré- curseur d'une modification fondamentale des institutions fami- liales en Iran. Bien au contraire, la malléabilité même des expres- sions d'opinion, tout autant que les indications réunies à propos de la forme du ménage, des relations entre le ménage et la parenté et du rôle des individus dans la famille, tend à montrer que l'on se situe encore dans la ligne de la tradition. Bien sûr, on n'a envisagé que la famille ouvrière. Les choses sont proba- blement différentes dans d'autres milieux sociaux, et notamment dans les couches supérieures et moyennes entrées en contact avec l'Occident depuis quelques décennies, et sans doute profon- dément transformées par ce contact (1).

Institut d'Éludés et de Recherches sociales, Université de Téhéran.

(1) Ce texte reproduit une communication faite au Vïe Congrès mondial de Sociologie (septembre 1966), groupe de « Sociologie de la famille ».

- 104 -

This content downloaded from 185.44.79.149 on Mon, 16 Jun 2014 00:02:08 AMAll use subject to JSTOR Terms and Conditions