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Fanny Cooper L'intégrale - ekladata.comekladata.com/dH2qymFVqiskGj02q4KnJdsXlZo/EBOOK_Play_Burn_-_… · Neige, l’anneau unique du Seigneur des Anneaux ... balancions des boules

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FannyCooper

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L'intégrale

NishaEditions

Copyrightcouverture:IrinaPusepp1-ISBN978-2-37413-268-62-ISBN978-2-37413-277-83-ISBN978-2-37413-279-24-ISBN978-2-37413-305-85-ISBN978-2-37413-309-66-ISBN978-2-37413-315-7

Àmeschamallows,etàmonmodèlenumérountoutesgalaxiesconfondues:mamère.

«Itisonlywhenthemindisfreefromtheoldthatitmeetseverythinganew,andinthatthereisjoy»

JidduKrishnamurti.

1.Neuilly-sur-Seine

DYLAN

LescheveuxchâtainsdeStéphanies’agitentdansl’obscuritédesachambre.Unebouteilledevinrouge

enmain,elles’amuseàimiterlesrocksstars.Elleporteunenuisetteensoiehorsdeprixetdansesurlamusiquebaisséeauminimumpournepasréveiller ledragonrevêchequidortà l’autreboutducouloir.Parisse écrase son troisièmemégot de cigarette sur la table de chevet, se lève et se précipite pour larejoindredanssadanse.Lesfessespresqueàl’air,puisqueMadameneporteplusquesessous-vêtements.– Commeça,luimontreParisse.La jolie rousse,princessedesbeauxquartiersparisiens, sedéhancheenrythmesur leJe t’aime…

Moinonplussensuel,voiresexueldeSergeGainsbourg.Ellesbougentlentement,ondulentdeshanchesensetouchantetStéphglousseàcausedel’alcoolquiluimonteàlatête.Ellen’aimepasserendremaladeetgrâceàsonbonsens,Parisseetmoiavonscessédeboiresansmodération.Sinousavonstoutes deux apporté un peu de piment dans sa vie tellement parfaite et calculée, Stéphanie nous aapportédel’ordreetdel’espoir:l’espoirquelaviepeutêtregriseetnonpasnoireoublanche.Jem’amuseàcapturercemomentavec lepolaroïddeStéphpour tenterd’oubliermonventrequi

gargouille.Unpaquetdephotosdenoustroisdéchainéesestéparpillésurlesol.Entailleurdevantlesclichés, jedanseégalement, en regardantnotre jolieStéphanie imiterParisse.Elle commenceàreprendre du poil de la bête et se métamorphose en une fille de plus en plus libérée, comme lamusique.Bientôt, elle seraaussi libertinequeParisse. Jeglousseà cettepensée. Impossibled’êtreplusdévergondéequ’elle.Sielleenfantaitàchaquefoisqu’ellebaisait,lapopulationdoubleraitenunmois.Je ne suis pas du tout comme ça et je ne pense pas le devenir un jour.Ma conception de la vie est

simple:jepréfèrem’assureruneréussiteprofessionnelleavantdem’engagerdansunerelation.C’estpeut-êtreégoïste,maisjecomptebienprofiterdel’èredesnanascélibatairesetindépendantes,penseràmonbonheurentantquefemmeavantdesongeràceluiquejepourraispartageravecquelqu’und’autre.– Qu’est-ce qui t’amuse,Blondie ?m’interrogeParisse en s’emparant de la bouteille pour boire une

gorgée.Parisse et moi, nous nous connaissons depuis plus de neuf ans maintenant. Nous nous sommes

rencontréesànosonzeansdanslecentred’activitéquepossèdesongrandfrère.Ellevenaitdes’inscrire

auclubdemusiqueetmoijecherchaisàm’occuper.Ellem’aproposéedefaireunessaietdepuis,tousleslundisetvendredissoir,nousjouonsensemble,enplusdenousréunirlasemainepournotregroupe.– Vousdeux,réponds-je.Ellemelanceunclind’œil,mepasselabouteilleetseremetàsautillersurlamusiqueavecnotrebelle

Stéph.Jeboisunpeu,enespérantquemoncreuxpassera,maisrienàfaire.Monventregrogne,couvrantàmoitiélebruitdelamusique.Mesdeuxamiessemoquentdemoiet jemelèveàmontour.J’écartelesdoigtspour testermondegréde«stabriété» : soit l’équilibre«x»entre lastabilitéet lasobriété.Unconceptàappliquerquandonestéméché.Puis,prised’unesoudaineinspiration,jem’exclame:– Lesfilles,jesuisunepoètenée!déclaré-jed’untonsnob.Écoutezçaunpeu:NeuillysurSeine,Ohqueouituenvauxlapeine.Limitrophedenotrebellecapitale,Pasuneseuledetesruesn’estsale.Tupossèdesdebeauxquartierssécurisés,Bourrés…Jem’arrêtebrusquementetpouffedevantmesdeuxcopinesquim’observentcommesij’étaisJésus

enpetiteculotte…Saufquejeporteaussiuntee-shirtd’IronMaidenquicouvremapetitepoitrineenaccordavecmoncorpsfrêle.Jereprendsfinalementaprèsunerespirationintense:Tupossèdesdebeauxquartierssécurisés,Bourrésd’habitantsfriqués.Tesbaraquessontastronomiques.Alorscommenttuexpliques,lecontenudeleurfrigidairepathétique?– OhmonDieu,tuestropbonne!gémitParisseensemordantlalèvre.Noussommesprisesd’unfourireetnousnouscouvronslabouchepournepasfairedebruit.Nousnous

étalonssurlesol,nostêteslesunesàcôtédesautres.– Sérieux,situasencorefaim…commenceStéphavantd’êtreinterrompueparParisse.

– Elleatoujoursfaim!Ellen’apasbouffédepénisdepuisl’ÂgedeGlace!Nousrigolonsdulangagevulgairedenotreamie.– Ce n’est rien comparé à moi qui n’ai pas couché depuis l’âge de Pierre, réplique notre hôte. En

d’autrestermes:jamais!– Onpeutremédieràçaquandtuveuxmonbeauminou,roucouleParisseenroulantsursonépauleafin

deremuersalanguecommeunecochonneauniveaudel’oreilledenotreamie.Cettedernièregrimaceetlarepousse.– Fous-luilapaix!Ellesepréserveetelleabienraison.Notreamienympho lève lesyeuxauciel.Ellenecomprendpaspourquoicertaines fillesattendent la

bonnepersonnepoursauterlepas.Elleaperdusavirginitéencampdescoutismeàquinzeanspours’endébarrasserunebonnefoispourtoutes.Etjepensaispareil,jusqu’àcequejetombesurunconnardquiaété tout saufdouxetquim’a,d’unecertainemanière, traumatisée.Alorsdepuis, j’encourageardemmentnotre photographe en herbe à attendre. C’est une manière de me guérir du souvenir déplaisant de mapremièrefois,catastrophiqueetdouloureuse.– Situasfaim,murmuremapetitelucioledontl’alcoolémieestentraindesetransformerpetitàpetiten

somnambulisme,libreàtoidedescendrecasserlacroûtedanslacuisine.– Rapporte de l’eau en même temps ! s’écrie Parisse alors que je quitte la chambre. Demain j’ai

catéchisme,jenevoudraispasavoirlagueuledeboisdevantmespetits.Je ferme la porte doucement derrièremoi et retiens un ricanement. En plus d’être une dévergondée,

ParisseestunefarouchecatholiquequiserendàlamesseaumoinsunefoisparmoisetenseignelaviedeDieuàdesenfantsentrehuitetquinzeans.Unparadoxeàelletouteseule…DanslagrandebaraquedesMaréchal,impossibledeseheurteràunmeuble.L’environnementesttrop

spacieuxpourça.J’arrivedanslacuisine,allumelalumièreetm’affaireenvitesse,carêtreseuleaurez-de-chausséem’effraie un peu. Je trouve un paquet de Pépito que j’ouvre et grignote tout en ouvrant lefrigidaire. Jeprendsdeuxbouteillesd’eauet louche sur le siphonde chantilly.Mesyeuxbrillentd’unelueurgourmande.Jelesaisisetaspergemabouched’unebonnedose.Je me tourne vers le comptoir… et sursaute lorsque j’aperçois un homme debout au niveau de

l’encadrementenvoûtede lacuisine. Ilm’observeavecune intensitédésarmanteetmedéshabilled’unregarddebraise,lesbrascroiséssursontorsebombé.Ilporteunevesteencuirpar-dessusunechemisenoire,unjeansdélavéetdesbottinesnoireségalement.Ilestdiablementsexy,aussisauvageetténébreux

quecesmecsdanslesmagazinesdemode.Ildégageuneforceanimalequimecoupelesouffle.Unhommemaîtredesoncorps,desesactesetdeceuxdesautres.Çasesentimmédiatement.Unedoucechaleurserépandenmoi telunserpententourantsaproie,etunevaguededésirseforme

dansmonbas-ventre.Oh,monDieu!Jen’aijamaisétéautanthappéeparlabeautéd’unepersonne.Celle-ciestviolenteetdangereuse.CommelefuseaudelaBelleauBoisDormant,lapommerougedeBlanche-Neige,l’anneauuniqueduSeigneurdesAnneaux…Ilfautquejemereprenneetvite.Maisàpeineai-jeletempsdepenserqu’ilouvrelabouche.Etdèscetinstant,jesaisquejesuisperdue.

2.Retouraubercail

GASPARD

Deuxans.C’estlenombred’annéesquisesontécouléesdepuisquej’aiquittéParisettouteslesfolies

qui font d’elle la capitale la plus charmante aumonde.Deux ans que j’ai quitté Paris et ce petit cointranspirantlabourgeoisiequ’estNeuilly-sur-Seine.M’appuyant contre le coupé que j’ai acheté à la sortie de l’aéroport ce matin, je lève les yeux sur

Florenza,lademeurefamilialedesMaréchal.Depuisplusd’unsièclemaintenant,ellesedresseàlafindelarésidenceprivée,commeunchefd’entrepriseenboutdetable.Laraisonmepousseàprendrelapoudred’escampette.Partirpourneplusjamaisrevenir.Maisj’aiundevoirenversStéphanieetsijamaisjefuis,c’estavecelle.Jeregardelesfenêtresdupremieretdeuxièmeétage,visiblespar-dessuslemuret.Lachambrequej’ai

laissée se trouvequelquepartpar là.Lebureaudemonpèreégalement.Quantà labibliothèquedemamère, elle est située à côté de la cuisine qui possède cet immense îlot par-dessus lequel nous nousbalancionsdesboulesdepâtesdecookiesavecFafa.Jemerappellelestêtesd’angequenousarborionslorsquemamannoussurprenait.Ralf,lechihuahuadenotrevoisine«superichielle»commelasurnommemasœur,beuglealorsqu’ilest

bienminuitpassé.Lalumièredelacuisinevientdes’allumer.Jemeredressedemacaisseetplisselesyeux.Ilnepeut

s’agirdePaulAntoineàuneheureaussi tardive.Il tientàsesquelquesheuresdesommeilparnuitcommeàsavie.Cequivabientôtchangerlorsqu’ilverraquejesuisderetour.Jemerapprochedumurpouressayerd’apercevoirquelquechose,maismonmètrequatre-vingt-septnem’aideenrien:c’est bien trop haut. Je tape le code du portail et verrouillema voiture avant d’entrer. Ralf aboiecommeundinguedansmondos.Ildevientcomplètementfoudèsqu’ilnepeutpasvoirlesinconnusqu’il entend. Ses jappements cessent d’un coup et j’imagine qu’il s’est assommé contre la ported’entréeenfonçantdessus.Avecunsourire,jerécupèrelejeudecléssouslepotdefleursetparcoursl’alléedel’immensejardinquiprécèdenotrevilla.Unefoisentré,lafraîcheurfamilièreprocuréeparl’omniprésencedumarbremeconfirmequejesuisbel

etbienderetourchezmoi,àNeuilly-sur-Seine.Quetoutcequim’entoureiciestàmoi.Jen’aipasqu’undevoir envers ma petite sœur. J’ai un devoir envers moi-même aussi. Celui d’effacer les marquesdouloureusesdupassé.

En plus de la lumière, des mouvements dans la cuisine me conduisent à m’y diriger. Stéphanie estsûrementencoredebout.Jeposemonsacdevoyageàl’entréearquéedelacuisineavecunpetitsourire,établissantuneméthodemachiavéliquepourlafairehurlerdepeur.Jem’arrêtebrusquementauboutdequelquespas.LapetiteblondinetteauboutdecheveuxrosesBarbie,

concentrée sur le frigidaire grand ouvert n’est pas ma sœur. Je me fige et ne peux m’empêcher de ladétailler de la tête aux pieds. Elle est toute mince, mais tout en muscle aussi. Et j’ai de quoi juger,puisqu’elle neporte qu’un tee-shirt noir et unepetite culotte qui dessineparfaitement le contour de sesjoliesfesses.Riendeplus,riendemoins.Sesonglesvernisdenoirs’accrochentauborddelaporteetellesepenchetoutendouceurpourattraperdelachantilly.Sonhautserelèveetmedévoileunebandedepeau,justeau-dessusdesonsous-vêtement.J’inspirebrusquement.Moncorpsentierréagitviolemmentàl’imagedecetteinconnue,dontlederrièreestdélicieusementtenduversmoi.Elle porte l’embout du siphon de chantilly à sa bouche et pivote vers l’îlot au centre de la cuisine.

J’aperçois alors le paquet dePépito grand ouvert et àmoitié vide.C’est là qu’elleme remarque.Mespupilles pétillent de délice, mais ce sont les seules à exprimer le désir qu’elle provoque en moi. Lasauvageriedesabeautéparalyselerestedemoncorps.Jedétaillechaquecentimètredesapeau,desesdoigts de pieds recroquevillés sur le sol carrelé, ses jambesbrillantes et satinées, à ses seins ronds etfermes que l’on devine aisément à travers son top Iron Maiden et leurs petites perles dressées quim’informent qu’elle a légèrement froid. Ses lèvres charnues se referment sur la dose faramineuse dechantilly qu’elle a englouti alors que ses yeuxverts entourés d’unmaquillage charbonneuxm’observentavecuneméfiancecertaine,presquebrutale.Cequiréveilleencoreplusmonérectiondéjàfrétillante:lesdéfis,j’aimeça.Unregardéchangé,unsoupirpartagé,etjesaisd’oresetdéjàqu’àelletouteseule,elleréunittoutesles

formesdepéchésquipuissentexister.Seigneur!Elleestlachoselaplusdélicieusequ’ilm’aitétédonnéedecontempler.Nousnousobservons l’un l’autrependantunmoment, commedeuxanimaux sauvagesqui cherchent à

savoirlequeldomineral’autre.Aprèsavoirnotéletatouagesursonpoignet,labonnedizainedebaguesàsesdoigts,larangéeépuréeetnondérangeantedepiercingsàsesoreilles,jemereconcentre.Mesbonnesmanièresrefontenfinsurfaceaprèsavoirététabasséesparmeshormones.– Bonsoir.Ellenerépondpas,penchelatêtesurlecôtéetarboreunairdedéfitoutensepermettantdem’étudier

avec insistance. Le plus gênant, c’est qu’elle ne m’observe pas de la même façon que moi quelquessecondesauparavant.Non,sesyeuxsontplongésdanslesmiensetnedévientpas.Uneflopéed’interditsetdedangersybrillent,mehurlantdenepaschercherplusloin.– Cenesontpasvosbiscuits,jecroisbien,lancé-jeenindiquantduboutdemonmentonlepaquetde

Pépito.C’estduvol,tenté-jed’ironiser,j’espèrequevousavezunbonavocat.Soncourevientàlanormaleetelleposelesiphondechantilly.Elleneclignepasdesyeuxuneseule

fois et jeme surprends,moi, héritier d’unmonstre économique à l’échelle nationale, à être légèrementintimidé.– Maisencore?réplique-t-elle.Savoixrauqueetcasséeluisiedàmerveille.Elleluiconfèreunetouchediablementsexyetexcitante,le

genrequiprovoquedesvibrationsàbanderdèsleréveil.Jemedéplacepourreprendreunpeupossessiondel’espaceenvahiparsonincroyablesex-appealetnotesesyeuxquiglissentsurlepiedquej’aiavancé.– Jesuislepropriétairedecettecuisine.Etdelatotalitédecettemaison,ajouté-je.Cettefois,sonregardmecaressesensuellementdespiedsàlatête.Àluiseul,ilréussitàanimertoutes

les parties demon corps. Ilme faut bien plus que de la volonté pourme retenir et ne pas laissermoninstinctanimalprendreledessus.J’aienviedegrogner,delasouleverdusol,delaplaquercontrelemuret d’en faire ma surface chocolatée. Quand ses prunelles s’emboîtent dans les miennes, je comprendsinstantanément que cette fille va devenir, soit une solution, soit un très gros problème.Ou peut-être unmélangedesdeux:unesolutionquiengendredesmilliersdeproblèmes.– Jevoisqu’onamanquéauxbonnesmanièresenomettantdevousnourrir.Elleregardemeslèvres,plisselenezavantdesetournerverslecomptoiretdes’emparerdusiphon.– MonsieurMaréchalnousadonnéàbouffer,expose-t-elletoutencontemplantlePépitoqu’elletientet

qu’elle badigeonne de chantilly. Super bon et tout ça, cuisiné par son traiteur étoilé préféré et tout letralala…Elleengloutitlebiscuitd’unebouchéeetrecommencelemêmemanègeavecunautre.– Mais j’ai très vite déchanté quand j’ai compris que mon plat était terminé après un coup de

fourchette,plaisante-t-elleàmoitié,laboucherecouvertedechocolatfonduetdechantilly.Àpeinea-t-elleavalélepremierqu’elleenfourneleseconddanssabouche.Delapartden’importequi

d’autre,jetrouveraiçarépugnant,cochon.Maiselle,c’est«cochon»danslesensoùc’estcomplètementérotique.Ellesucesonindex,puissonpouceunpeupluslongtempsetjemedéplaceafinquelecomptoircachelabossedemonpantalon.Aussitôt,elleépiemesgestesetmereluquesilencieusement,commesij’étaisunéchappédeprisoninstable.

Ellesignemapertelorsqu’elledégagesescheveuxdesonvisage,amènelesiphonàsabouche,penche

la tête en arrière et remplit sa bouchede chantilly.Cegestem’arracheungémissement sourd.Elle tirelégèrementlalangue,sespaupièressontcloses,sagorgeestdéployée,sonbusteetsesseinssonttendusversmoi. Jem’imagine l’attraper par les cheveux, glissermamain dans sa culotte et la caresser pourensuitelaprendredanstouteslespositions.Elleauraitcemêmevisage,cettemêmetenue,etjemordraisfortsestétonspourlasentirsecrispersousmesdoigts,l’entendremeréclamerdavantage…Laportedufrigidaireserefermebrutalementetmetiredemespenséesérotiques.Jeregardel’étrangère

laplusbandantedumondes’éloignerdemoi.J’ail’impressionqu’uneputaindeclaquemesortd’unétatd’hypnose.

Merde,oùva-t-elle?

– Bonnenuit,Jean-Charles!mebalance-t-ellepar-dessussonépauleenquittantlacuisine.

Jean-Charles?

Je contemple son cul affriolant échapper àma vue, son corps tout rebondi disparaître, sa chaleur se

dissiper.Jeresteplantélà.Mesnerfssontélectriquesetattirésparlacharged’érotismequ’elledégage.Mafatigues’estestompée,remplacéeparunefièvretorrideetdouloureuse.Jemeprécipiteàl’étageenespérantlacroiserànouveau,lakidnapperdanslachambred’amietlafaire

miennejusqu’àcequelejourselèveetquenosobligationsnousréfrènent.Maiselles’estévaporée.Dumoins,elles’enestretournéedanslachambredemasœur.Dieumerci,cen’estpasunedescoqueluchesdemononclePaul-Antoine.Etjenel’aipasrêvée:sonparfumfruitéemplitmesnarinesetseperdau-delàdelaportederrièrelaquelledesgloussementsfémininsretentissent.

IlestclairàprésentquejeneverraiplusjamaislachantillyetlesPépitodelamêmefaçon.

3.Raisonetfamille

GASPARD

JecroisquelessamedismatinàNeuilly-sur-Seinem’ontmanqué.Par-dessusl’îlotdelacuisine,jecontemplelebrouillardquiselèveau-dessusdenotrepelousefraîche,

alorsquelesjardinierss’affairentàleursdiversestâchespourqueFlorenzasoitlamaisondequartierlapluschicdeFrance.Jen’arrivepasàdéterminercequiestlepire:lesdizainesdelitresd’eaugaspillésparjouroulesemployéspayésàlesdéverser?– Tenez,MonsieurGaspard.Masimbaestunmembreàpartentièredelafamille,etcedepuisquejesuisbébé.Pourmoi,ilestbien

plus que l’employé demaison. Il prépare le repas, range le désordre, reçoit les invités, s’occupe descoursesetmaintientceslieuxdebout,commetoutbonmaîtredemaison.Saufquelui,ilestpayé.Petit,jeluirépétaissouventquejevoulaisexercerlemêmemétierquelui.Quoidepluscoolquederestertoutelajournée chez soi et d’être rémunéré pour ?Mais c’était sans compter lemaigre salaire, la lourdeur dutravail,l’absencedeviedefamilleetsurtoutmonhéritage,celuidelaplusgrossecompagniedemédiasenFrance,dixièmeauniveaumondial.Je saisis le mug du meilleur café qui puisse exister : une recette de la grand-mère éthiopienne de

Masimba. Je soupçonne qu’un des ingrédients soit du speed, car une seule tasseme permet de tenir lajournéesanscoupdefatigue.Oui,Neuilly-sur-Seinem’adéfinitivementmanqué.– Ahmesugenalew,Masimba,leremercié-je.Tusais,partirdeuxansnem’apassubitementtransformé

enhomme.Appelle-moiGaspard.OuSap,commeFafa.JesourisenrepensantauxpremiersmotsdeStéphanie.Nonpaslestantdésirés,«papa»et«maman»,

mais un«Sap ! » prononcédifficilement dans une sorte de hoquet.Elle connaissaitmonprénom,maisignoraitcommentleprononcer.Jen’avaisquesixansàl’époque,maisjesavaisdéjàquejepasseraislerestantdemesjoursàprotégercetteadorablepetitebouillesisimilaireàlamienne.– MonsieurGaspardmevatrèsbien,sourit-iltimidementavantderetournerauxfourneaux.

Jesecouelégèrementlatêteensoufflantsurlecaféchaudetretourneàmacontemplationdel’extérieur.Lepaillassonbrunquisertdecheveuxànotresorcièredevoisines’étireparintermittencepar-dessusla

clôture,accompagnédesdeuxoreillesdeRalf.Étantdonnél’immensitédenotre jardin, jenepensepasqu’ellesoitcapabledem’observer,maiselles’entêteàsauter,tentantd’attraperunsujetdeconversationpoursonclubdecommère.Mavoituregaréedevantn’étantbienévidemmentpassuffisantepouralimenterlesragots.Ralfaboieàchaquefoisqu’ilaperçoitunboutdenotrepelouseetj’enrigoleavantdem’arrêtersoudainement. En tendant l’oreille, je distingue des gloussements, des chuchotements ainsi que desclaquementsdetalonssurlemarbredel’entrée.LerireétouffédecochondeFafa,etquelquescourtoisiesamicalesdugenre«pétasse»et«vaginambulant»sontéchangéesavantquelaportenesoitfermée.Jequittemonpostederrièrel’îlotetmerapprochedelafenêtrelaplusprochepourapercevoirlesdeux

copines de Stéphanie descendre le perron. La première, rousse flamboyante, porte un longmanteau defourrurede lacouleurdesescheveux.Laseconden’estautreque lapépiteorgasmiqueque j’aicroiséedanslacuisinelaveille.Elleporteunecapenoirequiluidescendjusqu’auxgenoux.J’aperçoissoussonmanteauunmini-shortetsontee-shirtrock,ainsiquedesbottesencuir.Sacoupeenpagaille,legenresautdu lit, ravivemon désir. Elle pousse un cri de joie en tournant sur elle-même aumilieu du chemin degravillons.Sesbrassontgrandsouvertsetellecapturelespremiersrayonsdesoleildela journée.Elledéborde d’insouciance,mais plus encore, elle regorge d’une aura sexuelle incroyable. Elle est l’imagemêmedudésir.Tentationcharnelledetouteconvoitise,nelaissantaucunechanceàl’Homme,aussisaintsoit-il.Et de lamêmemanièrequejesaisqueStéphaniereprésentetoutpourmoi,jesuiscertainquejenedormiraipastantquemaqueuen’aurapaspilonnéetdéchargédanslacaveàplaisirdecettefille.Rienquepourluiôtersonallurefélineetdominatrice.– SalutMasimba!Commenttu…Sap?JepivotepourdécouvrirStéphaniequientredanslacuisineetmeregardeavecdegrandsyeux.Elleest

rayonnante.J’ail’impressionqu’elleestencoreplusgrandequ’ilyadeuxans.Sescheveuxontpousséetelle semaquille commeunevraie femme. Je suis certainaussiqu’elle aperdudupoids.Onne l’apasnourri,forcément.Elledoitêtremalade.Oubiensousmauvaiseinfluence…Maislorsqu’ellesejetteàmoncouetquejesensl’odeursifamilièrequ’elledégage,jesensquemes

questionsnesontquedesdoutesquin’ontpas lieud’être.Stéphanieest toujours lamême: toujoursmaFafa.Saufqu’elledevientunejoliejeunefemme.– Sap!J’arrivepasàcroirequetusoisderetour!Jedéposemoncaféavantdelaserrercontremoi.Ellerecule,mecontempleetsecolleànouveau.Elle

estobligéedesemettresurlapointedespieds,memarchantpresquedessus.

– Jeneseraipasderetourtrèslongtempssitucontinuesàm’étouffercommeça.Ellerigoleetmelâche.– Quandes-tuarrivé?– Hiersoir,danslanuit.– Pourquoinem’as-tupasprévenue?Jeseraisvenuetechercher!– Jevoulaistefairelasurprise.Surprise?– Plusqueça,jesuisravie!Tum’astropmanqué!Elle se suspend à nouveau àmon cou et je ris dans ses cheveux. Lorsqu’elle recule, je sourcille et

attrapeunemècheentremesdoigts:– Qu’est-ilarrivéàtescheveux?Toutefière,elleremuelesépaulesd’avantenarrière.– Jelesaibouclés!Je remarque aussitôt le lien avec ses deux copines au même style décoiffé à la mode que je ne

comprendspas.Jetiresurunemèchedecouleurviolette.– Etça?Maquestion, toutcommemonvisagerenfrogné,estentre legrognementet lemécontentement.La

fliquerquelquesheuresàpeineaprèsmonretour,c’estmal.Maisc’estplusfortquemoi.– Ohça,c’estunclip.Ças’enlève,rassure-toi!Unclip?C’estquoicemachin?– Maispourquoi?Tescheveuxnaturelsneteplaisentplus?EllerouledesyeuxetsortlepotdeNutelladuplacard.– Biensûrquesi,soupire-t-elle.Maisjesaispas…C’estcoolcommeça,non?

Jerestesilencieux.C’esttrèsclair:elleessayedesedétacherdel’imagedegentillepetitefilleparfaite

qu’onad’elleàpremièrevue.Maisjen’ignorepasquederrièresonairagacéilyalavolontédenepasressembler à une personne en particulier : notre mère. Contrairement à elle, je n’ai pas hérité de sescheveuxd’unbrunchocolat,desonnezcourtetretroussé,nidestachesderousseur.J’ailatouffeépaisseetvolumineuse de papa, les traits durs et un nez droit. Je comprends son désir d’éloignement et dedifférenciation.Enparticulierparcequemoncœurseserretoujoursunpeulorsquesaressemblanceavecmamanmefrappe.– J’aimebeaucoup,réponds-jeenmepenchantpourtenterdecroisersonregardetd’obtenirunsourire.Ellem’en lance aussitôt un énorme en tartinant sonpain et il n’y a rien demieuxpour dissipermon

angoisseprofondedelaperdre.Lesdémonsquimesuiventsanscessedepuisdeuxansontrefaitsurface.Jenem’attendaispasàcequ’ilsdisparaissentbien longtemps,mais j’aiapprisdemeserreurset jesaisàprésentqu’enmeconcentrantsurlesélémentsquimesontimportants,jeparviensàlesréduireausilence.Assezpourpasserquelquesheurespaisiblesavantqu’ilsnereviennent.Parcequ’ilsreviennenttoujours…Etaveclafermeintentiondem’engloutirdansleurfleuveinfernal.– As-tu prévu quelque chose ce soir ? Ça te tente un restaurant ? Le Ciel de Paris ? Ou la Tour

d’Argent?Sonvisagesecrispeetellemefreinedansmalancée.Biensûr,jem’attendaisàquoi?Partirdeuxanset

retrouvermapetitesœuravecunemploidutempsvide?– Dylanorganiseunesoiréedansle5e

.Jeluiaipromisquejeviendrai.Enplus,ilyauramesamislà-baset…Jehochedoucementlatête.QuiestceDylan?Sonpetitami?

– Horsdequestion!résonneunevoixquim’est tantfamilièrequej’ai l’impressiondenejamaisêtre

parti.Paul-Antoinedébarquedanslacuisineàsontour,provoquantleretraitimmédiatdeMasimba.Attachant

laceinturedesonpeignoirautourdelataille,ilpénètredanslapièceàtoutevitesse,sedirigedirectementsurmoietm’enlacerapidement,commesijenelesavaisquittésquedeuxjours.– Contentdetevoir,gamin!

ContrairementàFafa, iln’apaschangéd’unpoil. Il se tient toujourscommesisacolonnevertébralen’étaitquemétaletprendsoindeluidèsleréveil,commes’ilrecevaitleprésidentchaquematin.– Pourquoi?s’écrieStéphanie.– C’est juste au-delà de mes principes ! balaie de la main Paul-Antoine. Que tu fréquentes des

personnes qui sortent du publicà l’université, d’accord !Mais que tu fréquentes des personnes quisortentdupublicendehorsdel’université?C’estchercherlescafardslàoùiln’yenapas,jeunefille!Paul-Antoinealedond’utiliserdesexpressionsquin’ontdesensquequandillesprononcelui.Lesyeuxplissés,jemedemandesilegrandbruncharismatiquedequarante-troisansqu’ilestannoncera

enfinunjoursoncomingout.Pasauxyeuxdumonde,maisauxsiens,ceseraitdéjàpasmal…Commelafoisoùjel’avaissurprisavecunhommedanssachambreetqu’ilavaitappeléça,un«écart».– Gaspard,quandtasœurcomprendraquesacrised’adolescencetardivenemefaitnichaudnifroid,tu

mepréviendras?Paul-Antoine s’agite dans la cuisine dans tous les sens, sans s’arrêter pour prendre son souffle une

seconde.Sonrythmedéchaînéàhuitheuresdumatinpourraittuerunépileptique.C’estfatigant!– Dylanestdanslepublic?Jecherchejusteàmerenseignersurlegarçonqu’ellefréquente,riend’autre.– Dylanestdansuneécoledecommunication!Uneécoletrèsréputée!Paul-Antoineignoreladéfensedemasœuretmejetteunregardcourroucé.– Gaspard,siseulementtuavaisvucequeStéphaniemeramèneàlamaisondepuisquelquetemps,tute

mettraistoi-mêmeunetronçonneusedanslagorge.Dieumerci,tuesderetouretnouspourronsdécouperàdeuxsabanderolede«GeaiMoqueur».JefixePaul-AntoineLéonMaréchal.Notreoncles’estdonnéunemission:quelamortdenosparents

n’influepassurlanotoriétédenotrefamille.Pourlui,lecauchemarsuprêmeseraitquelemondeoublielenomdesMaréchal ; nomd’unevaleurdedeuxmilliards et demid’euros.Alors il entretient son réseaud’amisrichesetsepermetdesoignerlenôtre.Parcequej’ailongtempspenséqu’ilavaitledroitdecontrôlernosvies,j’aiaccepté.Cependant,après

deuxannéesd’absence,j’aicomprisquesesméthodesnesontpaslesbonnesetquelespersonnesavecquiilnousmettaitenrelationsontvilesetdangereusementatteintesdemégalomanie.Sijesuisrevenu,c’estenpartiepourreprendreenmainlatotalitédemesdroits,etsurtoutl’empêcherd’exercersurmasœurcetteformedecontrôlemalsainequiaeudesconséquencestellementdestructricessurmoi.– JepensequeStéphanieestassezgrandepourdéciderelle-même.EtjesuiscertainqueDylanesttrès

bienéduqué.Paul-AntoineetStéphanietournentbrusquementlatêteversmoi,chacunadoptantunairdifférent.L’un

est dégoûté, l’autre est surpris.Après vingt-quatremois d’absence, ils semblent avoir tous deux perdul’habitude demes interventions, ce qui bouleverse leur train-train quotidien.Dommage pour eux, il vafalloirqu’ilss’yhabituentettrèsvite.– Non, mais rends-toi compte ! Son amie a roté en plein milieu du repas ! murmure Paul-Antoine,

probablement pour ne pas que notre voisine, pourtant bien loin, ne le surprenne à prononcer le mot«roter»…Jemeretiensdesourire.– Monamiearotéetaprésentésesexcuses,contremasœur.Ehbien,rienqu’àenentendreparler,j’aihâtederencontrercegarçonquimetPaul-Antoinehorsdelui

enquelquessecondesalorsquejen’aijamaisréussidepuistoutescesannées.– Pas lorsqu’il lui a fallu quitter la table pour se rendre aux toilettes ! rétorque-t-il du tac au tac en

l’accusantdesonindex.Stéphanielèvelesmainsenl’air.– DouxJésus!Maisilestvraiquel’accorddeSaMajestéestexigépourallersurletrône!Paul-Antoineseredresseenserrantfortsatasse,outréparl’emportementdemasœur.– Oh jeune fille, tu peux faire une croix sur ton concert ou je ne sais quoi de ce soir. Je reçois les

Girardeaux,et leurfils,quiatonâge,revient tout justedesonannéeauxÉtats-Unis.Ilvaprobablements’inscriredanstonécole.Tuserasdonctrèsutilecesoirpourluiapportertesconseils.Lerevirementdelaconversationmedonnepresquelamigraine.Jevousprésentelegèneleplusdifficile

àannihilerchezlesdoyensMaréchal:l’artd’êtreunobsédéducontrôle,danssavie,maisaussicelledesautres.

N’encroyantpassesoreilles,Stéphaniesecouelatête.J’observealorsmapetitesœuravecfierté.Elleatenu tête à Paul-Antoine pendant près de deux ans sans que je n’y prenne part. À moi de la soutenirmaintenant.– J’aideuxplacespouruneexpositionàMontmartre.Jenecomptaispasm’yrendre,maisc’estpeut-êtrelesignequ’ilesttempsderenouerdesliensavec

Paris.– Commec’estunsujetsur l’implicationdesnouvelles technologiesdans lecorpushospitalieretque

Stéphanieestcaptivéepartoutcequitoucheàlamédecine…continué-je.C’estcomplètementfaux,maiscelaluisertd’alibiensociétépoursatisfairePaul-Antoineetleséternels

« Et sinon, qu’est-ce que tu fais cette année ? ». Son inscription en faculté de médecine ne sert qu’àmeubler les conversations. Stéphanie est une dingue de photographie et destreet art. Mais dans notrefamille,nousnepouvonsvivred’unepassion.Nousvivonsd’unmétierreconnuetapprouvéparlesplusgrandesuniversitésdumonde.–  Il serait intéressant qu’ellem’accompagne. Et par lamême occasion, rencontrer dumonde dans le

milieuprofessionnel luipermettraitdesedécidersur lemeilleurparcoursàsuivre,argumenté-jeenmetournantversStéphanie.J’espèrequ’ellecomprendquej’essaiedel’aiderdumieuxquejepeux.Ellelitdansmonregard.Son

visages’illuminel’espaced’uneseconde,avantquesonairdepetitefilleboudeuseneréapparaissepourtromperPaul-Antoine.– Jepréfèreencoreresteràlamaison,marmonne-t-elle.Maislacartedel’avenirestletalond’AchilledePaul-Antoine.Leprixd’undîneraveclesGirardeaux

estmoindrequeceluid’unrencardavecdesdocteursrasants.– Ellevat’accompagner!mecertifie-t-ilavecjoie.

Marchéconclu.

– Quevas-tu faire à présent ?medemande-t-il après avoir buunegorgéede son café.Continuer tes

étudesenSciencesPolitiques?

La tension disparue, il soupire à présent avec soulagement. C’est le parfait moment pour lâchermabombe.– Non.– Parcourir l’Europeà cheval alors ?Tournerunclipvidéoau-dessusde la tourEiffel ?Obtenirun

posteàMaréchalCommunity?m’interroge-t-ilenriant,cariln’envisagepassérieusementuneseuledesoptionsproposées.C’estdireàquelpointiladelaconsidérationpourmoi.Maisvoicilaraisondemonretour:– Non,jenesouhaitepasobtenirunposteàMaréchalCommunity,annoncé-jefroidementalorsqueje

bouillonneintérieurementdedétermination.Jeveuxtonposte,précisé-je.Ilsursauteetm’examineattentivement.Unelongueminutedesilences’installeentrenousetinaugureles

hostilités.– Pardon?Stéphanieseredresseetsonteints’éclaireànouveau.EllecomprendavantPaul-Antoineoùjeveuxen

venir.– Tuasbienentendu,mononcle.Jesuisicipourreprendrel’entreprisedemonpère.

4.FilsmauditDYLANCharlieLenoblehabitedansunedecesruestypiquesdeParisoùlesvieuxappartementshaussmanniens

sontordonnés.Lestoitsarriventtousàlamêmehauteuretlesfaçadessonttoutessimilaires.Mêmelignearchitecturale pour la devanture,même encadrement vieillot des fenêtres, etmême balcon étroit que lamairie interditdedécorerà sa saucepouruneuniformitéoptique.Dupouce, je tape lecode : lemêmedepuis toutescesannées,etpousse laported’entréeenboismassif.Aprèsavoiraffronté l’épreuvedesescaliers, mon ami m’ouvre la porte avant même que je ne sonne. Je suis accueillie par une musiqueharmonieuse.– Laplusbelle!lanceCharlieensouriant.Jesautillesurplace,heureusedelevoiretmedressesurlapointedespiedspourl’embrassersur la

joueavantd’entrerdanssonappartement.IlattrapeaupassagemonsachetdechezMcDonald’setfermelaportederrièremoi.Moncheeseburgeràlamain,jepénètreleslieuxentendantl’oreilleàcauseduvolumedelamusique.

L’appartementdesLenoblen’estpasimmense,maisc’estunjoliniddouilletquinousplongetoutdesuitedansuneambiancezen.Ilyaunemultituded’élémentsdedécorationsreligieux;lamèredeCharlieestuneferventecroyantedespenséeshindouistes,bouddhistesetchamaniques.Elleestpersuadéequelesespritsinvoquéspar lechamanqu’elle rencontrechaquesemainecommuniquerontavec lesmultiplesstatuesdeBuddhaetquelesmilliersdebrasdeShivaaiderontàtrouverl’interdépendanceentresonYinetsonYang.Selonelle,cesrituelscontribuerontàlaquêtedelasagesseintérieurepourelleetsafamille.– Cen’estpasledroitchemin.Pensezàl’harmonieparfaite:celleentrel’hommeetsonDieu,l’homme

etlasociété,l’hommeetl’univers.Cherchezàvouspurifierdumal.Dans le salon, Madame Lenoble est debout, face à un individu habillé d’une tenue traditionnelle

indienne.– Quic’est?– Unjavaniste,m’apprendCharlie.D’aprèselle,çarenforceralesliensentremonpèreetsonpatron.Jerisleplusdiscrètementpossiblepournepasinterromprelaséanceetnousnousenfermonsdanssa

chambreoùunedoucemusiquepop-rockestdiffusée.Jem’affalesursonpoufetilbonditsursonlit.

– OùestParisse?– Aucaté,lancé-jeenmordantdansmoncheeseburger.– Lagrosseblague!Ellecontinuecetteannée?Tuimaginesunpeusitouslesenfantsqu’elleéduque

finissentcommeelle?– Elleacommencélecatéchismeàcinqans,alorsjecommenceàcroirequ’ilyadegrossous-entendus

danslaBible.Genre«pénétrez-moi,seigneur».Effaréparmespropos,Charliejointsesmainsenformedeprière:– Nel’écoutezpas,monDieu.C’estunecauseperdue.– UnecauseperduequiadécrochéunentretienchezMaréchalCommunitycemardi!Unefemmem’a

appeléehierpourm’annoncerqu’ilsétaientintéressésparmonCVetmon«parcoursenrichidanslemilieudel’événementiel»,déclaré-jeenprenantunevoixbourgeoisecommecellequelananaavaitautéléphone.Charlie secoue la tête et ses cheveux, teints en blanc, lui tombent sur le front. Il ressemble à un

vampireultra-sexyavecsapeaupâleetsesyeuxbleuciel.Cesderniersmerappellentceuxdel’hommequej’aicroisédanslacuisinecettenuit.J’aieudumalàtrouverlesommeilaprèsça.J’avaisencorelasensationdesonregardbrûlantsurmapeau.Etdesavoirqueseuluncouloirnousséparaitn’aidaitpas.J’avaisespérélecroisercematinpourdesprésentations,maisParisseavaitfoncéverslasortiepournepastombersurletrouducd’oncledeStéphanieetjel’avaissuivie.– Tuvasrévolutionnerlemondedel’événementiel,Dy.J’ai labanane jusqu’auxoreillesen l’entendantprononcercesmots.J’aimebeaucoup leparcoursque

j’entreprends,carjesaisquejesuisdouéelà-dedans.Bon,d’unautrecôté,ilyalamusiquedanslaquellejem’épanouispleinement.Maiscroireensesrêvesetlesréalisersontdeuxchosesdifférentes.– Enprison!Tucoulerasl’entrepriseavectonbusinessdegangster,ajouteCharlie.Jelèvelesyeuxauciel.J’étaissûrequ’ilmentionneraitcepetitdétail.–  Je compte arrêter cette année si je décroche le stage.Mais ça dépendra de la rémunération que je

percevrai.Tusaiscommemoiquelessoiréesundergroundmerapportentunmaxdetune.Iltripotelacouettedesonlitetbaisseleregard.Ilconnaîtmasituationetl’importancedel’argentqueje

retiredecesévènements.C’estcertesillégal,puisqu’ils’agitdesoiréesquiontlieusurdesterrainsprivéssans aucuneautorisation.Mais c’est cegoûtdudangerqui assure le succèsde ces événements.Ça, les

artistesquejepromeus,leslitresd’alcoolquenousfournissons,lesfrissonsetlamusique,alorsquenoussavonsquechaqueminutequidéfilepeutamenerlesflics.– Enplusdeça,c’estuntremplinenorquipermetdedécouvrirdesartistesincroyables.Rappelle-toi

commentonacommencé.Jenepeuxpastoutarrêtercommeça.JesuisinterrompueparlasonnetteetCharlieselèvepourallerouvrir,m’abandonnantàmespensées.

Même mon cheeseburger ne suffit pas à m’occuper. Mes souvenirs dérivent sur l’homme d’hier soir.«  Intense »est lemotquidécrit lemieuxcette rencontre.Sabarbede trois joursqui assombrissait sonvisage,sesyeuxlégèrementcreusésquiaccentuaitsonairténébreux,saposturequiimposaitlerespectetl’admiration,sonlookdemauvaisgarçonquisuggéraitdenesurtoutpasl’approcheraurisquedesebrûler,maisquiencourageaitaussiàvenirgoûteràl’inconnu,l’interdit,l’impossibleetseslèvres…Toutchezluiétait brut, sensuel. Une convocation privée pour du sexe excessivement torride.Mais qui est-il ? Quefaisait-ilchezStéphanie?– Bonjour,lancetimidementMayaenentrantdanslachambreavecCharlie.– Salut!luiréponds-jed’unevoixdéforméeparmonfantasme.Maya est la chanteuse de notre groupe demusique. Petite brune de dix-sept ans aux cheveux coupés

court,elleestlafillelaplusextravertiesurscèneetlaplusintrovertieendehors.Legenredecopinequitrouvetoujoursdesexcusespournepasparleràceuxqu’elleneconnaîtpas.Nousl’avonsrecrutéeilyaquelquesmoisdecela,afinqu’ellemeremplaceaumicro.Ilmefautplusdetempspourmesétudesetmonboulotd’organisatricedesoirées.– Çava?Tuaslesjouesrouges…s’inquièteMaya.Et le cœur qui bat un peu plus vite.Oui, j’ai tous les symptômes de la nymphomane qui s’excite en

repensant à trente secondes de conversation avec un homme… Pour ma défense, ça a été les trentesecondesdeconversationetdesilencelesplusenfiévréesdemavie.Tantdetensionetdesous-entendussexuelsdansnotreéchangenousauraientvalulapeinedemortsilapolicedelapudeuravaitexisté.

Parissearaison,jesuisvraimentenmanque…

Mais le charme de notre rencontre me hante encore l’esprit. C’est bizarre comme on peut croiser

quelqu’un une seule fois et ne pas parvenir à l’effacer de notre mémoire aussitôt. Depuis que je l’airencontré, mon imagination n’est motivée que par l’idée que je dois le revoir. Premièrement, cela meprouveraitqu’ilexisteréellementetqu’iln’étaitpaslefruitdemesdésirs.Deuxièmement,c’estunmeccommeunautre,ilauraforcémentuneénormedéfaillancequelquepartquidétourneramespenséesdelui;fanatiquedesonglesdepiedsoubienermite.

– C’est«l’effetCharlie»,plaisantemonami.

C’estl’effet«gardiendesPépito»plutôt,oui!

– Bon,onrépète?m’impatienté-je.LachambreestassezgrandepourcontenirlabatteriedeCharlieetplacerdeuxfauteuilsenfacepourque

jepuissejouerdelaguitare,Mayachanter,etlorsqu’elleestlà,Parisseinstallesonsynthé.– Stéphanievientcesoir?demandeCharlie.Saquestionestposéetropinnocemmentpourquejen’ydécèlepasl’intérêtqu’illuiporte.– LaissemaStéphoutranquille,Charlie.Jeneplaisantepas.Illèvelesmainsensignederedditionets’assoitderrièresabatterie.– Jen’ytoucheraipas!Maisseulementparcequejeneveuxpasentachernotreamitié,précise-t-ilen

nousdésignantl’unetl’autre.JeconnaisCharliedepuislecollège.Aprèslafaillitedel’entreprisedesonpère,lafamilleadûquitter

leurbelledemeuredeVersaillespours’installerdansle18e

arrondissement, à deux pas de l’appartement de ma mère. Nous avons eu l’idée de monter le groupelorsqu’ilacomprisque jedétestais rentrerchezmoi.Etpetitàpetit,nousnoussommesprisau jeu : jem’occupaisdelacommunicationpendantqueluicomposait.– Maisjetiensàpréciserquecen’estpasl’enviequimemanquedecoucheravecelle.Charlieestunséducteurné.Richeoupauvre,ilferatoujoursmouillerlespetitesculottes,parcequ’ila

unepersonnalitéunique,unstyleunique,unephilosophieunique.Unvraitombeurdecesdames.Illuisuffitd’ouvrirlabouchepourqu’ellesbaventtoutes.– JetejureCharlie,Stéphestunepropriétéprivée.Net’approchepasdesonjardin.Vraiment, ilpeut sortir avecqui ilveut,maisStéphanieestmapetite luciole.Elle illumine laviede

quiconque croise son chemin. C’est dans le bonheur qu’elle procure aux autres qu’elle puise la forced’oubliersonpassédemerdeetd’êtreuntantsoitpeuheureuse.Ellen’apasbesoinqu’unmecviennela

court-circuiteravecsabite.– Pourtantjemeursd’envied’enbrouterl’herbe!J’explosederiremalgrémoi.– Detoutefaçon,jecroisqu’elleauncopain,marmonneMaya.Nousnoustournonsversellepourqu’elleexplique.– Toutàl’heure,elleapostéunephotosurFacebookavecunmec.Çaaétéaiméparplusdecinquante

personnesenmêmepasdixminutes.Ilesttrèscanon.Charlie arque un sourcil et me lance un regard. En deux secondes, nous passons de musiciens à

commères et bondissons sur sonbureau et sonordinateur. Jen’arrivepas à croirequeStéphanie ait uncopainetnem’enaitpasparlé!Jen’utiliseFacebookquepourcréermessoiréesunderground,alorssansMaya,jen’auraisjamaisétéaucourant!MoncœurbonditquandCharlieaffichel’image.C’estunselfietoutmignondeStéphanieetdel’homme

que j’ai croisé dans sa cuisine. Ouf, au moins elle le connaît. Ce n’est pas un psychopathe que j’airencontréalorsquej’étaissousl’emprisedel’alcool…Ilssontépoustouflants,telsdeuxmannequinsd’unebeautépureetnaturelle.L’étrangerséduisantetténébreuxquej’aiaperçus’estévaporépourlaisserplaceà

un jeune homme au visage adorable etcraquant : plus une traced’érotisme ne s’en dégage. Juste quelques ridesd’espièglerie super sexy. Ça ne peut pas être soncopain.L’oncle demon amie n’aurait jamais laisséentrerungarçonsousleurtoit.Etjecomprendstrèsvite qui il est lorsque je remarque leurs yeux. Dumêmebleu océan, perlés de gris et encerclés d’unecouronnenoireetdelongscilsbrunsquiintensifientleur regard en leur conférant une force hypnotique.

Deux âmes à la fois si claires et pourtantinsondables.– C’estsonfrère,têtedelinotte!répliqueCharlieenpointantdudoigtlehashtag« #GrandFrère ».Laportedelachambres’ouvrebrusquementetMadameLenobledéboule.– GaspardMaréchalestàParis?s’écrie-t-elle.Àmonplusgranddésarroi,voilàquejemetsunnomsursonvisage.Àprésent,ilvahantermesrêveset

j’auraiunprénomàmurmurercontremonoreiller.Si je l’aiappelé«Jean-Charles» lanuitdernière,c’était justementpouréviterça. Jenevoulaispas

entendresonprénom.Jenepouvaispas.Lamanièrequ’ilaeuedemedéshabillerduregardétaittellementdéstabilisantequejedevaistoutentreprendrepourqu’ilcessedem’imaginercommeunesucettegéante.– Quiest-il?murmuré-je.MadameLenobleaperdutoutesa« zenattitude »àprésent.Elleentredanslachambre,regardelaphoto

etgloussecommeuneadolescentedevantsonidole.– C’estlefilsmauditdelafamilleMaréchal.Quandilétaitjeune,samèreetluionteuunaccidentde

voituresurl’autoroute.Ilenestsortiindemne,quelquespetiteségratignurestoutauplus,alorsqu’elleestdécédéesurlecoup.Quelquesannéesplustard,l’aviondesonpèredécolleenpleinetempête.Monsieurvoulaitabsolumentêtreprésentpourl’anniversairedesonfils.Malheureusement,letempsn’étaitpasdumêmeavis.MonDieu…Stéphaniem’avaitinforméedelamortdesesparentssansjamaisrentrerplusamplement

danslesdétails.J’aitoujoursrespectésaréserveàcepropos.Parfois,onseditqu’ilvautmieuxnepasaborderlesujet,nepasremuercescouchesdetristesse.Jecomprendsmieuxmaintenantsonsilence.Elleseprotègederrièreunecoquilletoutaussifragilequedelaporcelaine.LamèredeCharlien’apasquittédesyeuxleGasparddel’écran.Elleafficheunsourireénormealors

qu’ellenousaraconté,ilyaquelquessecondesàpeine,latragédiedecettefamille.–  Les filles du club de yoga ne vont pas en croire leurs oreilles ! Tout le monde pensait qu’il ne

reviendraitpas!– Pourquoi?demandeMaya.

– Chérie,toutsimplementparcequ’àchaquefoisqu’ilestlà,quelqu’undesafamillenel’estplus.Sasœurestlaprochainesurlaliste,elledevraitfairegaffe!C’est vraiment horrible debalancer une chosepareille.Pour quelqu’unde soi-disant pacifique, c’est

même paradoxal. En quoi, cet orphelin serait-il coupable ? C’est ridicule. Et je suis bien placée poursavoirquesouvent,lesorts’acharnesurcertainespersonnessansraisonvalable.ParissecontremathéorieenaffirmantqueDieumetlequidamàl’épreuveafinqu’unbeaujournoustrouvionslavoiequinousestdestinée.Jecherchetoujourslamienne…– Maman!s’indigneCharlie.

MadameLenoblelèvelesmainsetsoudain,jedevinelaressemblanceavecsonfils.– Pardon,pardon!C’étaitdéplacé.Ellesoupiretelleunegroupieetsecouelatêteenfixantlaphoto.– Lilie,prépare-toiàavoirunnouveaubeau-père,badine-t-elleens’enallantetenriant.Parcequesiles

genssontprêtsàmourirpourlui,moijeveuxbienqu’ildeviennemonmaîtrespiritueldusexe!Charliesecrispeethurle:– MAMAN!

5.NoLimits

GASPARD

Stéphaniem’observedelatêteauxpieds,sonvisagesecontractantaufuretàmesurequ’elleévaluema

tenue. Petit bruit de gorge, agitation du nez et de la bouche, soupir pour le haut, soupir pour le bas etnouveausoupirpourl’ensemble.– Tucomptesvraimentm’accompagnercommeça?Jeporteuncostumenoiravecunechemiseblanche.J’hésitaisàsortirlacravatedecirconstanceet

j’applaudis mon choix alors qu’elle me lance un regard désapprobateur. Pendant deux ans, j’ainégligémonapparenceau traversde jeansdélavés, de vestes en cuirbonmarché et de lunettesdesoleil. Bien entendu, j’étais à l’abri de toute attention indiscrète et qui plus est, personne ne meconnaissait.J’étaisGaspard,pointbarre.Àprésentque j’airemis lespiedsàParis, lesprojecteurssontànouveaubraquéssurmoi.Sij’ailemalheurdenourrirlesragots,jedeviendraileplatfavoridesacteursdesmédias.Lesouciaveccesvautours,c’estquemêmequandunepersonneestàterre,qu’elletouchelefond,ilspersistentjusqu’àcequ’ellesoitdansl’incapacitédeserelever.C’estunerèglequejeconnaissoustoutessesformes.Notammentparcequemongrand-pèreabâtinotreempiresurceprincipe.UnmagazinesurquatreenFrance,quatrestationsderadiosnationales,seizechaînesdetélévision,65%

des encarts publicitaires dans les transports et sur internet… Tout ça appartient aux Maréchal. Voilàpourquoilesfauxpas,leséchecsetlasecondeplacesontpourlesmortels,paspourlesmembresdenotrefamille.Etqu’envertudespouvoirsquinoussontconférés,lecostumeestexigéentoutescirconstances.– C’estuneexpositionoùlaplupartdesinvitéssontdesprofessionnels.Cequejesuis.– Jecroyaisqu’onallaitàlasoiréedeDylan!C’estellequiorganise!Ellevametuersijenevienspas

ettunel’asjamaisvuedansunecolèrenoire.Ladernièrefois,ellea…Jeposemamainsursabouchepourl’arrêteretladégageimmédiatementlorsquesonglossmecolleaux

doigts.–  Je vais finir par croire que ce Dylan a unemauvaise influence sur toi ! Tu oublies carrément de

respireroudeterminertesphrases!

Etsoudain,déclicdansmatête.C’estcommeunepetiteexplosion,saufquelespiècesdemoncerveau,aulieudesebarrerdanstouslessens,seremettentenplace.– Attendsuneminute…«Elle»?Dylanestunefille?– Ouais.Maisellefrappecommeunmecsitutemoquesdesonprénom.Elleétaitlàhiersoir.Tul’as

ratéedepeu!Là,c’estlebrouillard.Est-cequelesoulagementestdûaufaitquemasœurn’apasdepetit-ami?Ou

quecesoir,j’aiunechancederevoirlalionnehardiequisebaladaitleculàl’airdansmacuisine?– Jel’aiaperçuecematinfileràl’anglaise.C’étaitlarousse?Fafasecouelatêteengrimpantdansmavoiture.– Lablonde.Dylan.Unnomsurunvisage,etsijoliquiplusest.Illuicorrespondtoutautantquecettepetiteculotteen

dentelles que j’aurais volontiers arrachée avec les dents. Je passe sous silencenotre rencontre fortuite,estimantquecelanem’apporterariendeplusquedes interrogationsde lapartdemasœur.Deplus, lacréaturedivinementsensuellequej’aicroiséenesemblepas,elleaussi,avoirdiscutédenotrerencontrenocturne.Dois-jecomprendrequ’ellen’enastrictementrienàfaire?Ouqu’ellepréfèregarderçapourelle,commeunesucrerieexquisequ’ellenesouhaitepaspartager?Bordel,pourquoijeporteautantd’intérêtàcequ’ellepensedemoi?J’aiplusl’aird’unconqu’autre

chose. J’auraisdû laprendre sur le comptoir, entre la chantilly et lesPépito.Ce serait réglé. Je réagiscommeunadolescentenrut.Deuxansd’abstinence,çarendraitdinguen’importequelmecquiavaitpourhabitudedebaiseràdroiteetàgauche.C’estpourçaquej’ail’impressiondeladésireraussiardemmentetquiconqueàsaplaceavecunechatteetdesseinsauraiteulemêmeeffetsurmescouillesdemoine.

C’estévident.

Lesgrillesdenotrezonerésidentielles’ouvrentpourlaisserpassermonAstonMartin.Cebolideest

un vrai bijou capable de monter à une vitesse indécente. Les frissons du vrombissement qui seressentent sur les sièges en cuir, l’adrénaline qu’elle m’offre lorsque je la pousse à deux centskilomètresparheure,lecorpsrejetécontrel’assisebasseetlesmainsfermementagrippéesauvolant:rien n’est comparable. Cette caisse est le bouclier idéal pour échapper aux tourments qui mepoursuiventmalgrémeseffortspourm’enséparer.Toutencontrôle.Aucunemanipulation.LesrayonsdusoleilquisereflètentsurlacarrosseriemerappellentlachevelurebrillantedecetteDylan.Etmerde,voilàqu’elleenvahitencorematête.Foutupénis!

***Trèsvite,nousrejoignonslesruesdeParis,bondéesencesamedisoird’étudiantsfêtardsetdetouristes

amoureux.Les lumièresétincellentet les restaurants, lesbrasserieset lescafésdébordentdeclients. Jesuisobligédem’arrêterbrusquementàplusieursreprisespourn’écraseraucunpassantoucycliste.J’avaisoubliélecôtédéréglédespiétonsparisiens.Ilsdéambulenttoujourscommesilavilleleurappartenaitetilss’offusquentlorsquelesconducteurslesinsultentàtraversleurpare-brise.– Jetedéposeàtasoirée,puisjevaisàl’exposition.Çavasijeterécupèreversuneheure?Quel con ! Pourquoi avoir proposé une heure ?Ce genre d’événement ferme les portes à vingt-trois

heures, grandmax. Je désire juste que Stéphanie profite de sa soirée,mais qu’est-ce que je foutrai enl’attendant?Mesamisd’hier sontdesétrangersaujourd’hui.Cen’estpasplusmal sachantcombien ilsétaient faux.Même si certains seraient bienheureuxde revoir l’ancienGaspard, ce dernier n’a plus saplacedansleprésentquej’essaiedeconstruire.– Cool!s’écrie-t-elleavantdesecalmer.Maistuvienspas?– Jecommenceleboulotlundi,Stéphanie.Jen’aipasdetempspourunebeuverie.Lesgensquifuient

leurs responsabilités tout en cherchant à retrouver les sensations d’insouciance de leurs quinze ans àtraversl’alcooletladrogue,c’estpasmondélire.Stéphanieesttournéeversmoi,sonLeicaenmain,etjel’entendspensertellementfortqueçamegêne.

Elleme connaîtmieuxquepersonne.En réalité, elle est la seule àme connaître.Ellem’a épaulé danstouteslesétapesdemavie.Danslesbonscommelesmauvaismoments.Montoncatégoriquen’invitepasàladiscussionetjelapriesilencieusementdenepasinsister.Maismoncôtéglacialneluifaitnichaudnifroid.– Sap,tun’espasunvieillard,tuasvingt-sixans!Tuasuncompteenbanquemonstrueux,tuesunputain

debeaugosseetmalgréça,tuaspeurdesmotsen«A»!Eh bien, je ne vais pas la contredire en ce qui concerne mon physique.Mais les mots en « A  » ?

Qu’insinue-t-elleparlà?– Fafa,tusaisquejet’aime,mais…lesmotsen«A»?– Tuflippesunenouvellefois.Moncœurtressautebrutalementetjegardemonsang-froid.Quejeflippe,c’estunechose.Qu’elleait

remarquéquejeflippeunenouvellefois,enestuneautre.Jemeconcentresurlarouteetprétendsquesesparolesnemeconcernentenrien.

– Tuaspeurdet’a-ssumertelquetues,tuaspeurdel’a-musement,ettuaspeurdel’a-mour,énumère-t-

ellesursesdoigts.Jesavaisqu’ellesuivaituncoursdepsychologiedanssonuniversité,pasqu’ellemeprendraitcomme

patient. Est-ce qu’elle a raison ?Merde, j’en sais rien. J’ai donné dans son triple « A  », mais lesattentesnesontpluslesmêmes.Jenesuispluslemême.Cecombo-làquej’éviteàtoutprixàprésentn’ariendonnédeconstructifparlepassé.Ilm’aconduitdroitàlaprisond’unecertainemanièreetmaintenant,sijesouhaitemedémarquer,jedoisrepasserparlacasedépart.Iln’yapersonnequeçagêne,saufelleapparemment.– Hum,merciDocteurMaréchal.AutrechoseàajouterpourmeurtrirunpeuplusmonA-mour-propre?Jeprofited’êtreentêtedefileaufeurougepourfairerugirlemoteur.Uncoupd’œilsurlesvoituresau

carrefourquiralentissentetdèsquelefeupasseauvert,jebousculelalimitationdevitessedel’avenue.Nos corps sont rapatriés contre nos dossiers etma petite sœur halète de surprise en s’accrochant à saportière et àmonbras.Undébutde sourire effleuremes lèvres et, taquin,mamain secoue sesbouclesbrunes.Ellemeclaquelebrasetplisselesyeux.– Tuasbesoindereprendrelecontrôledecertainsaspectsdetavie!Etçacommenceparcettesoirée!

Ilyaurapleindepersonnesdetonâgeparrapportàcetteexpositionbarbante!Pasdetriangled’or,pasdemultinationaleàdeuxmilliards,pasdejugement,pasdemauvaisregards…Justedelabonnemusiqueetdelabière.Jegrimaceàsesdeuxderniersdétails.– Etdesgensquivomissent,quicrient,quisebousculent,quisebattent…Ellelèvelesyeuxaucieletabandonne.– Commetuvoudras.J’hésiteencoreunpeu,mepersuadequejeseraimieuxàl’exposition,enterrainconnu.Et puis, commeparmagie, je trouveuneplacepourmegarer à quelques pas du lieuoùStéphanie a

rendez-vous.Noussortonsdelavoitureetjepenseàladifficultéquej’auraiàtrouveruneautreplacesijelaquitte.Jenepensepasquedanslequartieroùalieul’exposition,jeseraiaussichanceux.Danslaruedéserte,desbattementssourdsd’unemusiquerythméenousparviennentauxoreilles.

– Bon,çaira?Jepeuxtelaisser?– Attends!Jeveuxteprésenterlegroupe!Putain,non.Jevoistrèsclairdanssonpetit jeu.Ellem’attrapeparlebrasetsemetàcourirsansme

laisser le tempsd’objecter.Elle sort sonportablede saveste en cuir tout enme racontant qu’il y auraplusieurspetits concerts et artistes, que toutes les filles craquentpourCharlie, le batteurdugroupeNoLimits,etqu’ellevientsurtoutpourluiparcequ’ilest«ex-cep-tion-nel».

Alors,c’estluisonpetit-ami?

Nouscontournonslebaràl’angledelarue.Entreuneportedesortiedesecoursetdesvoituresgarées,

j’aperçoistroiscorpsadossésaumurprèsd’unecamionnettetaguée.Ilyadeuxfilleshabilléesdefaçonchicetrock’n’roll,unpeucommedesrebellesdebonnefamilledes

annéesquatre-vingt.Legarçon,que jeprésumeêtre leCharliedontStéphaniem’a fait l’éloge,estaussigrandquemoi.Ilporteunjeansetunechemiseauxmanchesdécousuesetarboreunecoupefuturistedontlacouleursedétachedansl’obscuritédelanuit.Qu’est-cequelesfillesluitrouventdecanonaujuste?Ilsesaisitdelacigarettequelafilleauxcheveuxdefeuluitend,celleaperçueenpleindélitdefuitecematin.– Parisse!l’interpellemasœur.

Parisse?Çasortd’où,ça?

ParisseetsacrinièrerougevirevoltentpourregarderStéphanie,puismoid’unœildontjen’arrivepasà

déterminerlanature.Enm’approchant,jedécouvrequesonpantalonetsabrassièresontencuirrougefeuégalement.Elleadestatouagessurl’avant-brasdroit,unautrequejenepeuxidentifierpuisqu’ildisparaîtsoussaceinture,unpiercingsurlenez,etunecolonied’autreslelongdesesdeuxoreilles.– Vousn’êtespasencorepassés?Parissemedétailleplusieursfoisdelatêteauxpiedsavantderépondre:– Non.LegroupedeLudovicachantédeuxchansonsdeplusqueprévu,çaatoutchamboulé.– Quelconnardcelui-là!envenimeStéph.Ellecroiselesbrassursapoitrineetsetientdroite,unepositionquienditbeaucoupsursafureurdu

moment. J’écarquille les yeux devant l’énormité et la violence de l’insulte, peu habitué à l’entendre

jurer commeunoursmal léché. Je suis la conversation en restant effacé,mais jeme sens commeuncorpsétrangerdansunensemblehomogène.– Vousn’avezpasàvousinquiéter,lancemasœurenretrouvantsonattitudebienveillante,lamêmeque

notremèreprenaitetquirassuraitsurlechamp.Laplupartdupublicdecesoirsontlàpourvousadmirer.Parisseesquisseunfaiblesourire,phénomènequimesurprendquandjerepenseàl’accueilauquelj’ai

eudroit.Stéphaniemeprésenterapidementlerestedugroupe:ParisseauclavieretMaya,labrunequimedévisagesansmotdepuisnotrearrivée,auchant.Elleest toutepetitecomparéeàmoietades jouesdebébé.Ilestdifficiledecroire,voireétonnant,quec’estcettedernièrequimènelegroupedesavoix.«Cheveux blancs » remarque finalementma présence etm’adresse la parole après avoir tiré sur sa

cigarette,l’airpensif.– LefrèredenotreStéphou.Dis-nous,s’épile-t-ellelamoustachetouteslesheures?Contre toute attente, je rigole. Parce que c’est drôle. Parce que ça soulage. Parce que rencontrer du

monde,lesamis«coolRaoul»demasœur,memetunpeusoustension,commesij’étaislepetitnouveaudelaclasse.Etsurtoutparcequeletrucdelamoustache,c’estuneblaguequejeluiaidéjàrépétéeunecentainedefois.Avoirunepetitesœur,c’estunbonheurquotidien.Etquandlapubertélatoucheetquel’ontombesurlesgadgetsauxquelsellearecourspourladissimuler,ilnefautpassefaireprierpourenrire.– Haha,haha!marmonneStéphanie.Jesuispliéeenquatre!Çanesevoitpas?– Pasplusquetamoustache,non!continueCharlieenm’adressantunclind’œil.Laportedesorties’ouvresurunhommedepetitetaille.UniPhoneplusgrosquesamainaucreuxdela

paume,ilobservelegroupe,lessourcilsfroncés.– Putain,maisqu’est-cequevousfoutez?C’estvotretour,bandedecons!– Ducalme,OompaLoompa…IllanceunregardnoiràParisse,alorsqu’ellegloussedemanièreassezhautaineavantdepasserdevant

lui pour entrer.Maya la suit, blasée, alors queCharlie embarque Stéph avec lui tout en luimurmurantquelquechoseàl’oreille.Elleexplosederire.J’aiinstantanémentenviedelesattrapertouslesdeuxetdeles détacher l’un de l’autre. Au moins deux mètres d’écart s’ils veulent se parler. Putain, je vais lesurveillerdeprès,celui-là.– T’attendsquoi, JamesBond?hurleceluiqu’onsurnomme« OompaLoompa »en retenant laporte.

T’aslesboulesclouéesausoloubien?

J’inspireprofondémentetsansplusréfléchir,j’entre.Plusjem’approcheducœurdeceslieux,plusle

bruitestassourdissant.J’aperçoisStéphaniesaluerlegroupequiemprunteuneautreporte.Ellesetourneetrevientdroitsurmoi,sortmachemisedemonpantalon,endéfaitlesdeuxpremiersboutonsetremontemesmanches.Sesdoigtsmedécoiffent,etpourlatouchefinale,ellesucesonpouceavantdem’arrangerlessourcils.– Là,beaugosse.Tuasdenouveauvingt-sixans!Je grogne. Je n’aime pas trop qu’onmematerne comme un gosse de quatre ans. Elleme contemple

longuement,silencieusement,etjedéglutisfaceàl’émotionquejelisdanssonregard.Jesaisqu’ellepenseàpapa,carquelquechosechezmoileluiarappelé.Çam’arriveàmoiaussicertainsmatinsquandjequitteladoucheetquejevoismonrefletdanslemiroir.Parfois,çasejoueàunerideautourdesyeux,unemèchedetravers;d’autresfois,c’estplusfrappant,commequandjereprendssestics.Jesuissafichuecopie,maisdanslegenrecontrefaçondemerde.Je décoche un petit sourire en coin à Fafa pour la rassurer et elle hoche la tête. Nous pénétrons

finalementdanslapremièrecourintérieuredel’immeuble.Lamusiqueestunpeuplusforteetjeconstatequ’ilyadesdizainesdepersonnesl’airessoufflées,lessivées,maisquiaffichenttoutdemêmeunsourirebéat. Sans doute l’effet de l’alcool qui coule à flots. L’environnement me rappelle vaguement quelquechose, mais avant que je n’aie pu demander à Stéphanie, je l’aperçois qui continue son chemin versl’originedelamusique,sonportableenmainetlalanièredesonLeicaàl’épaule.– Jesouhaitejustem’assurerqueturestesentredebonnesmains,précisé-jeenlarattrapant.– Maisoui,c’estça!lance-t-ellepar-dessuslamusique.Nousarrivonsdanslasecondecourintérieureoùtoutlemondesembles’êtreréuni.C’estungrandjardin

illuminépardesspotsde toutes lescouleurs.Unescèneest installéesur lecôté,etdeuxstandspour lanourritureetlaboissonsontaucentre.Detoutesparts,desartistesattirentnotreattentionsurleursœuvres.Nous croisons des tagueurs, des danseurs et des cracheurs de feu. C’est à la fois désordonné etimpressionnant.Unbordelcurieusementintéressant.Ilestdifficilederespirer:l’airestlourdetchaud,imprégnédesodeursdebeuh,detranspirationetde

bièreséchée.AlorsqueStéphaniemelâcheànouveaupourallersaluerdesamis,jemefaufileverslebarpourcommanderàboire.Ilyatellementdebouteillesd’alcoolqu’onpourraitenfaireunmusée.Lanotiond’amusementperdsesfrontièresaveccegenredefête.Dépasserseslimitespourneplusêtreconscientdesoietdesessoucis.L’inversedecequejesuis.Jesecouelatêteetdemande:– Deuxcocas,s’ilvousplaît.

Lebarmanquialesbrasrecouvertsdetatouagesetuntee-shirtjaunefluo,sepenchepar-dessuslebaretmelanceunclind’œil.– Çameplaîtseulementsielleestgrosse,chéri!déclare-t-ild’untonaguicheur,enpassantsalanguesur

seslèvresetenarquantunsourcil.Jemetsquelquessecondesàcomprendredequoiilparle,puisunedeplusàcomprendredequelbordil

est.Sesyeuxfixentouvertementmabraguetteetjemeretourne,malàl’aise.– Putain,Cédric,tusaispenseràautrechosequesucer?rétorqueunevoixdansmondos.Unjeunehommevêtud’unechemiseàcarreauxetd’unjeansnoirseposeàcôtédemoietmesauveun

peulamise.Jemesensétrangeretregretted’avoirmislespiedsici.– Sers-luicequ’ildemandeetvavoirailleurssimabiteyest!Mononclemourraitauboutdedixsecondesdeconversationici.Çapuel’alcool,çaditdesinsultesà

toutva,ça rotepar réflexe,çaparle fortdesesexploits sexuels…L’EnfersurTerrepourPaul-AntoineMaréchal.– Qu’est-cequet’esrelou!marmonneCédricavantdesetournerpourpréparermacommande.– Tuviensd’où,mec?s’exclame-t-illevisagechiffonné.Apparemment,monstylen’apasl’airdeluiplaire.– Debanlieueparisienne.Jedonneuneréponsecourteetrapidepourqu’ilneposepasplusdequestions.Parlerdemoi,c’estnon.

Surtoutparcequ’ilyaquelques joursencore, j’étais loind’ici, loinde tout.Dès lors, jenepeuxavoiraucunsujetdeconversationpalpitant.Jesuiscommeunputaind’ordinateurdétérioréparlesvirusdesonpassé.–  Laisse-moi deviner : Versailles ? Non, non, non ! Neuilly ? La montre, m’éclaire-t-il face à ma

perplexité.JeregardelaRolex,héritéedemonpèreàsamort.Jenelaquittejamais.Lejourcommelanuit.Elleest

toutcequ’ilmerestedelui.Çaetsonentreprise.

– Tupueslesbilletsdecinqcents,mec!Cédricdéposedeuxgobeletsdecocaetundebièredontlejeunehommes’empare.Puisilselèveetse

prépareàmelaisser.– Tusaiscequ’ondit?Détends-toi,etcen’enseraquemeilleur!Ilmelanceunclind’œil,trinqueavecmoietdisparaît.J’avaleunelonguegorgéedemaboissonalors

que les lumières s’estompent pour illuminer la scène. Le public crie alors que Charlie s’installe à labatterie. Il tienthautsesbaguettespourdonner le tempo,puisdébute lamusiqueensolo. Ilest trèsviterejointparParisse,quireçoitunaccueiltriomphal.Elles’adapteaurythmeetsetransformeenunevirtuosedu synthé.Lamusique rockprend enfin forme lorsque la guitare électrique retentit. Jem’attends à voirMaya,maisàlaplace,uneblondepétillanteauxboutsdecheveuxrosefaitsonentréesurscène.

Dylan.

Moncorpsfrémitviolemmentenapercevantlescourbesindécentesdusien.BonDieudemerde.C’est

commes’illareconnaissait,l’appelait.Ilsesouvientdesdégâtsinternesqu’elleacauséssursonpassageetmonimpossibilitéàdormirsurleventreparlasuite.Etcesentimentquis’emparedemoienuninstant,quim’attrapelaqueueetnelarelâchepas,estcomplètementnouveau.C’estdélicieux.Maisterribleàlafois.Ilyadescentainesdefillesicicesoir,certainesouvertesdanstouslessensduterme,etc’estelle,cettefoutuelionnequimecaptive.ElleestmembredugroupeNoLimitsalors.Jecroyaisqu’elleorganisait…Surprisdelarevoirainsi,je

ne suis pourtant pas étonné. Fidèle à son style, elle porte le tee-shirt trop grand d’un groupe demétalqu’ellearentrédansunshortenjeans.Elleporteégalementquelquechosequej’aitoujoursdétesté,maisqu’elle rend diablement sexy : des bas en résille. Ils jurent avec son teint hâlé. À ses pieds, lesindétrônablesDrMartensnoires.Ilyaquelquechosed’électrisantchezellequim’attirecommeunenfantdevantl’interdit.

Pastouche.

Pourtant,mes yeux,mesmains veulent s’en saisir et savoir si le contact peau contre peau sera aussi

saisissant que le reste. Et alors que je pensais ne pas avoir un genre de femme, je découvre avecstupéfaction qu’elle est tout ce que je n’ai jamais désiré et tout ce que je désire à présent. Je la veuxtellementfort,quej’enperdslesouffle.Ellesebalanced’avantenarrière,emportéeparlerythmedelamusique.Sespiedsfrappentlascène.

Deplusenplusdécoiffée,ellereprendunaird’enfantsauvage.

– Bordel,cettepétassemerendhétéro,grogneledénomméCédricdansmondos.Mayafaitfinalementsonentrée,etlapetitefilletimidedetoutàl’heureadisparu.Elletientlemicro

etpousseunhurlementrocailleuxavantdesebalancerdelamêmefaçonquelesautresmembres.Elleregarde la foule, sourit et passe samain dans ses cheveux courts pour les repousser.Elle dépose lemicro,attendlesignalélectriquedelaguitaredeDylanetsemetàchanter.Unbonmélangederage,derébellion,derock’n’rolletdepunk,voicilesNoLimits.UnecourseentrelesannéesJoanJett&TheBlackheartsetleMaroon5d’aujourd’hui.Lachansonestdansunfrançais/anglaisquidonneducharmeàlamusique.Mayaestgénialesurscène:elledégageuneénergiechaudeetcontagieuse.Maisjen’aid’yeuxquepourDylan.Safaçondesemouvoirlascivementdonnel’impressionqu’elleesttransportéedansunsongeremplidemilleetunplaisirs.Ellefusionneaveclamusique,commemoiunpeuplustôtdansmavoiture.Mais elle, c’est si érotique, si sexuel,qu’ona l’impressionqu’elle fait l’amour surcettescène.Satêtepartàgauche,puisàdroite.Elleonduledeshanches.Ellepassesalanguesursesdentsenseconcentrantsurlescordesdesaguitare.Etmoi…Je.Bande.Très.Sévèrement.Lepublicreprendenchœurlerefrainàl’invitationdumicrotendudeMaya.SeulCharliejoueencore

pouraccompagnerlepublicquihurlelesparoles.

Gonnatakemykeys,mybagandmycar.Gonnasaytomomanddadahugegoodbye.

Ain’tgivingyouadamnthing.

Anyway,I’vegotnothing.

LeregardfélindeDylanseposeenfinsurmoi.Ilseplantedanslemien.Creuseuntrouprofond.S’y

installe. S’y noie. Le groupe reprend la musique et cette fois-ci, c’est elle seule qui chante. J’ail’impressionqu’ilsjouentmoinsfortpourquelepublicpuissesavourersonchant.Jeneprêtemêmepasattention aux paroles. Je n’entends et ne discerne qu’elle. Sa voix se répand via les enceintes dansl’espace et je tressaille. La connexion qu’elle établit avec le public à l’aide de sa voix estexceptionnelle.Cettefoutuesorcière.Conjuguéeàlamélodie,savoixlangoureuseetcasséeestencoreplus bandante. Putain. Elle est foutrement belle. Elle est foutrement bonne. Et elle chante foutrementbien.Moncherpénis,noussommesfoutus.Sesyeuxnemequittentpasuneseuleseconde.Sibienquej’ail’impressiond’avoirunconcertprivétrès

sexy.Ellejouedelaguitarepourmoi.Elleonduledeshanchespourmoi.Ellemordsalèvrepourmoi.Àcemoment,j’ignorecequ’ilyaexactemententrenous,cequ’elleaentête.Jesaisjustequesijenegoûtepasaumoinsunefoisàl’interditqu’ellereprésente,jen’endormiraiplus.

***

Unepetiteheureplustard,leconcertdesNoLimitsseterminepourlaisserplaceàunpetitgroupede

jeunesadosquijouentdel’électro.Fafamerejointaubarensedandinantsurleson.– Alors?Commentlesas-tutrouvés?Dylanestsex,pasvrai?Maisjepréfèrelaclassequisedégage

deParisse.QuantàCharlie,ilnejouedelabatteriequedepuistroisans,tuterendscompte?Elleattrapelecocaquejeluiaicommandéetgrimaceenmelerendant.– Beurk!Maisc’estsansalcool!Y’auneheurequ’onestlà,j’espéraisunpeuplus!– Ilyauneheure,tuétaisencoremapetitesœur.Elleboude,puissetourneànouveauverslascène,lesyeuxbrillantsd’excitation.LaStéphanied’ilya

deuxans,continuellementeffacéedansungroupedefillesquipètentplushautqueleurcul,estaujourd’huidevenueunejeunefemmelibreetaffirmée.– Ilsdoiventêtredansunesalle!Tuviens?À nouveau sans me laisser le temps de répondre, elle me tire à l’intérieur de l’immeuble. Nous

empruntonsuneportequinousmènedansuncouloirglacial,puisunesecondeportederrièrelaquelleunesalledeclassecontienttroisdesmembresdesNoLimits.Putaindemerde,noussommesdansuneécole.Lejardindanslequellesconcertsontlieu,c’estlejardinduprestigieuxLycéeHenryIV.L’enfantsageetobéissantquisommeilleenmoin’aimevraimentpasça.Ont-ilsl’autorisationd’organiserunesoiréeici?Nouspourrions tous finir enprison.Est-ceque les invités sont au courant ?Putain,Dylan est vraimentdingue.Sijamaiselleestarrêtée,jen’osemêmepasimaginercequelajusticeferaitd’elle.Illaboufferaittoutecrue,ça,c’estsûr.Dylanestauxabonnésabsentsetj’imagineuninstantqu’elledoitêtreenpleineconfrontationavecles

flics.MaisladisputequiéclateentreParisseetCharliemetiredemespensées.Maya,elle,descendunebièreenlesobservant,commedevantunfilm.Soudain,Charliequittelapièce,rougedecolère.Stéphaniepinceleslèvres,pivoteetquittelasalleà

sontour.– Oùest-cequ’elleva?La rousse impulsive s’élance alors à leur suite, et quand la porte se referme, il ne reste plus que

Mayaetmoi.Lesilenceestremplacéparlagêne.PuislagêneparuneMayaendiablée.Ellebonditsursesjambes,lâchesabièrequiéclateausoletmesauteaucou.J’évitedejustessesamanœuvrebrutale

pourm’embrasseretessayeenvaindedénouersesbras.Lorsquejeréussisàmedégager,sesmainsseposentsurlebasdemachemisepourladétacher.Merde!Unvraiserpent,celle-là.Ellenesemblepascomprendrequemescabriolessontlamanifestationd’un«NON»etpaslapreuved’undésirenflammépar ses avances. Dans l’élan, la sangsue me bouscule contre une table qui se renverse au sol etprovoqueunboucanmonstrueuxdanslasallevide.Jeprofitedesonsursautpourl’attraperférocementpar lesépauleset l’immobiliser.Elleestcomplètement timbrée.Finalement,ellesaisità traversmonregardnoiretcatégoriquequejeneplaisanteplus.Matêtedoit la terrifier,parcequ’ellereculed’unpasenhoquetant.Quandelleouvrelabouche,c’estl’alcoolquiparleenpremier:– Qu’est-cequ’ilya?Jesuispasàtongoût?J’essaie de l’imaginer à la place de Dylan dans ma cuisine ou sur scène avant de lui répondre

sèchement:– Tuestrèsjolie,maisnon.Elleritjauneettitubejusqu’àlacaissedebièrepourenprendreuneautre.Ladéchéancedanstoutesa

splendeur.Jenesaispasquelmal-êtrelaronge,maisçamedésoled’assisteràcespectacle.Elleselaissetombersurlachaisecabosséeetmeregardeavecamertume.– Casse-toi!Là,onestsurlamêmelongueurd’onde.Justeavant,jem’assured’unedernièrechose:– Tuconduis?– J’aimêmepasmonpermis!Trèsbien…Jem’éclipseenvitesse.J’appelleStéphaniepourm’éviterdelacherchertoutentraversant

lelycéeleplusréputédeFrance.Aprèsdeuxtentativessansréponse,jelaretrouveàl’entréeentraindeplaisanter avecParisse etCharlie.Voilàpourquoi jen’ai pasd’amis : jenepourraispas supporter leschangementsd’humeursimprévisibles.Aumoins,lemondedel’entrepriseestcadré.Après,onsedemandepourquoilesartistessontincompris.Regardezcesdeux-là.– Eh!MisterRolex!Enreconnaissantlavoix,jemeretourneetlascènequejedécouvremedonnesoudainlanausée:Dylan,

blottiesouslebrasdugarçonquej’airencontréaubar.Ilalesyeuxvitreuxetilpuetellementl’alcoolquejepourrais tomberdansun comaéthylique rienqu’en respirant à ses côtés.De toute évidence, c’est lecopain de la demoiselle. Pas étonnant après tout… Une fille aussi sexy, aussi libre, ne peut pas être

célibataire.Malgréça,jen’aiqu’àregardercetidiotpoursavoirqu’ilneserajamaisassezbienpourelle.Quelgenredemecest-onsionfinitnossoiréesportéparsapetiteamie?Bordel,cette lionneabesoind’unhomme.Pasd’unpetitgarçonincapabledelacombler.– Ludovic,c’estbon!lâche-t-elle.Savoix,encoreplusécorchéeparlasoirée,estenvoûtante.Mais…Ludovic…:leLudoviccommedans

«legroupedeLudovicachantédeuxchansonsdeplus»?– Non,c’estpasbon!hurle-t-ilenlarepoussantetens’approchantdangereusementdemoi.– J’aivucommenttumataismacopine,enfoiré!Saboucheestmouilléeetildégageuneforteodeuracide.Putain,ilvientdevomiretilosemeparler,le

con?J’ignoremesmusclesquisetendentàlarecherched’unebagarre.Jeluimettraisbienmonpoingdanslagueulepours’êtreadresséàmoidecettemanière,pouravoirpousséDylancommeunvulgaireobjetetpourl’obligeràêtrel’esclavedetoutl’alcoolqu’ilaingurgitéetqu’elledevragérer.Dylanluisaisitsonpoignetettentedeledévier.Maiselleestbeaucouppluspetitequelui.Jenedoute

pasdesahargne,maisavecsesbrasfrêles,etelleauradumalàfaireentendreraisonàunmecsaoul.– Ludovic,allez!Laissetomber,çan’envautpaslapeine.Mesyeuxglissentsurelle,sonvisagedouxetsesyeuxsauvages.Aufondd’euxscintillentmilleetunes

excuses.Elles’efforced’éviterquelasituationnes’aggraveetmesupplied’enresterlà.Etjemerappellelesconseilsdemonpèrequiprétendaitque:«Ungentlemanestquelqu’unquipeutcogner,maisnecognejamais. » J’ai toujours essayé de respecter ça.Mais parfois, certaines personnes ont besoin qu’on leurrappellequ’onsaitcogneretd’autresontbesoinqu’onleurrappellequ’uncoupnesuffitjamais.– Recommenceencoreuntrucdecegenre,etjetefaisavalertamontreàdeuxballes!Tum’entends?Jenelequittepasdesyeuxuneseulesecondependantsatirade.Mamâchoiresecrispedecolère,de

frustrationetdedéception.Répondred’unequelconquemanièreseraitinutiledetoutefaçon.Premièrement,parcequ’ilestcomplètementivreetqu’ils’agiraitd’unabusdepouvoir.Deuxièmement,parcequ’iln’envaut pas la peine. Troisièmement, parce que je comprends qu’il défende son territoire. Dylan est unepépite.Unepépitequiembrasemoncorpsenuncoupd’œil.Maisunepépitequandmême.Et ildoit laconservertantqu’illepeut.Tantpis,jelaluicède.Sielleaimeêtreconsidéréecommeunechose,c’estsonproblème.Jenesuispasleprincecharmantàlarecherched’uneprincesseendétresse.J’aidéjàdonnédanslesrelationssuperficielles.Jelaisseçaauxidiots.Maisjesuisdéçudem’apercevoirqu’ellen’estpasaussi indépendanteque je lepensais.Finalement,elleestcommetoutes lesautresnanassurTerre :superflue.

– Stéphanie,onyva,balancé-je.Cettefois,c’estmontourdel’empêcherdeprotester.JemedétourneetsensleregarddeDylansurmoi.

Maisjedécidedeneplusyaccorderd’intérêtenrepensantauxmotsdePaul-Antoine:aumoinsaveclesgensdenotremonde,onsaittoujoursàquois’attendre.

6.Entretien

DYLAN

Jeposemavestebienrepasséesurledossierducanapéalorsquel’eaudespâtesdébordeetserenverse

sur la gazinière.Quand j’accours pour éteindre le feu, l’horloge indique 10 h 20, ce quime déclenchequasiment un arrêt cardiaque. J’étouffe un hurlement, verse les pâtes dans la passoire et remplis uneassiettequejefourreaumicro-ondes.Ilest10h22àprésent.Jefoncedanslasalledebainsprendrematroussedemaquillageetpaniqueenvoyantquej’aitoujoursmesmèchesroses.J’aicomplètementoubliédemelaverlescheveuxetmaintenantilesttroptard.– Putain,jesuiscon!J’attacheletoutrapidementdemanièreàcequelacouleurnesevoiepas,lissemonpullnoirsurmoiet

retourne dans le salon oùmamère émerge de sa chambre. Quand elle débarque, toutes lesmauvaisesodeursdesmerdesqu’elle ingurgite la suivent.Elle titubedans sesvêtementsde laveille, sonmascaralaissantdestracessursonvisagepâleetmaigre.Sescheveuxd’unblondpluscristallinquelesmiensn’ontpasvuunpeignedepuisbienlongtemps.– Oùest-cequetuvas?Elleesquissependantdelonguessecondeslecheminqu’elledoitparcourirdanssatêteetavancepasà

pas,momifiantsamarchepournepasquelemondesemetteàtournerdanstouslessens.Ellen’aqu’unpetitmètreàtraverser.Maispourelle,c’estunparcoursducombattant.Lesols’ouvresoussespieds,desflammessortentdetouslescôtés,unserpentluicoupelavoie,etleventsouffleàcontresens.– J’aiunentretienpourunstage.ÀMaréchalCommunity,ajouté-jedansl’espoird’éveillerunelueurde

fierté en elle.Tu sais, c’est l’unedesplusgrandesboîtesdemédias aumonde. Ils ne recrutentque lesmeilleursdesmeilleurs.Mamans’effondresurlecanapéetouvresonpaquetdeMalboroenlâchantun«humhum»désintéressé.

Moncœurneseserrepaspourcegenred’indifférence,ilal’habitude.Aulieudecela,jemedirigeverselle,carelleécrasemaveste.Jelatireetl’enfileenmeretenantdedégueuleràcausedel’odeurfortedevieuxvomiquilacaractérise.– Jet’aimisuneassiettedepâtesdecôtéetilyadelasaucetomateaufrigo.J’iraifairelescoursesen

revenant.Tuasbesoindequelquechoseenparticulier?

– Cedontj’aibesoin,tunemeleprendraspas,répond-elleentirantsursacigarette.Jetournelestalonsprécipitammentavantqu’ellenecommenceàmereprocherdel’empêcherdevivre.

Même si je n’ai pas à me rendre responsable de son alcoolisme, la voir se détruire m’est toujoursinsupportable.Jesaisqu’ilest le témoignaged’unmal-êtreplusprofondqu’elleportedanssoncœuretdontellen’arrivepasàsedébarrasser. Ilyapeude temps,Stéphanies’estmiseen têtedemeséparerdéfinitivement d’elle en se la jouant chasseuse d’appartements. C’est sa façon à elle deme remercierd’avoirétéprésentelorsqu’elleenavaitleplusbesoin.Bienquejecrèved’enviedesauterlepas,jen’osepas.Jen’arrivepasàmerésoudreàquittermamère,carelleaussiabesoindemoi.Monsac sous lebras,mesclésetmonportableenmain, jepars sansverrouiller laporte. J’ai eu le

malheur de faire ça une fois enme persuadant que si je l’enfermais, elle serait bloquée et ne pourraiteffectuer ses petites escapades clandestines à l’épicerie. Grosse erreur de ma part. La police m’ainterrompueenpleincourspourm’annoncerqu’ilsavaientdûdéfoncerlaporteafind’éviteràmamèredesauterparlebalcon.Elleétaitpersuadéequedutroisièmeétage,elles’ensortiraitindemnepourserendreàlasupéretteauboutdelarue.Jen’étaisqu’encinquièmeàcetteépoque.Contrairementà99%delapopulation,jemesensmieuxloindemamaison.J’inspirequelquesinstants

l’airuniquedeParis – unmélangedegaztoxiques,detabacetderestaurantsétrangersquialedondemesoulager– avantdedisparaîtredanslabouchedemétroencombréeparlesrouspéteursfranciliens.Ilmefauttrente-cinqminutespourarriveravenueMontaignedansle8

eet deux minutes pour me retrouver devant la grande façade haussmannienne qui abrite les célèbresbureauxdeMaréchalCommunity.Sil’immeublen’estconstituéquededixétages,celui-cis’étendsurdescentainesdemètresàgaucheetà

droite de l’entrée, démontrant la grandeur de ce monstre économique. Je respire intensément pourrepousser l’angoisse de l’entretien et entre enmême temps que deux femmes ultra sophistiquées. Ellesdéverrouillentlaclôtureenferforgéàl’aided’undeleurpassauxcouleursdelasociétéetseglissentàl’intérieurdubâtimentavecuneassurancequejejalouse.Sûrementundeseffets«MaréchalCommunity».Unpeucomplexéeparmeshabitsachetésensoldes,jepénètredansleslieux,avecl’impressionqu’ilyamarqué en gros surmon front que je viens des quartiers craignos deParis et quemameilleure amie alégèrementjouédescoudespourglissermonCVdanslapile.J’enregistrechacundemespas,delamontéeduperronmarbré,àl’entréedansl’éclatanthallàladécomoderne.C’estuntempledelacommunicationdanslequellesemployésparlentàvoixbasse,mêmelesdeuxstandardistes.Lesvigilesmeregardentd’unœilmauvaisalorsquej’avancefébrilementjusqu’àlaréceptionensortantmespapiers.

AieconfianceentoiDylan,iln’yarienquelesautressachentfairedeplusquetoi.

– Bonjour,jepeuxvousaider?demandelejeunehommedel’accueilaprèsavoirraccroché.– J’airendez-vousavecDavinaRodriguezà11h30.

Après lui avoir donnémonnometma carte d’identité, la vérification sur son ordinateur qui ne dure

pourtantquequelquessecondesmeparaîtinterminable.Ildécrochesontéléphone,composeunnuméroetchuchotequelquechosetoutenmelançantdescoupsd’œilsuspicieux.EtsiàladernièreminuteMadameRodriguezavaitannulélerendez-vous?Etsielles’étaitrenducompteque,finalement,jenesuisqu’unebonneàrien?Etsielleavaittrouvéquelqu’undeplusbeau,demoinsjeune,deplusfort?Qu’est-cequejedis?Qu’est-cequejefais?

Tulaforcesàterecevoirettuluiprouvesqu’ellenepeutpastrouvermeilleurcandidat.

Elleestlareinedel’événementielparisien.Elleestderrièretouslesplusgrandscoupsmédiatiquesde

MaréchalCommunity.C’estuneréférence,unelégende!Etmoi,j’ailessoiréesundergroundquiontleurimportance.Jesuisuneminiversiond’elle.Ellenepeutpasnepasvouloirdemoi.Etdanslepiredescas,siellemerefuse,jen’auraisplusaucuneexcusepournepasvivremaviebohèmedemusicienne.– L’assistantedeMadameRodriguezarrivetoutdesuite.Mesépauless’affaissentlégèrementdesoulagementavantdesecrisperpeudetempsaprèsàcausedu

stress. Je récupèremacarted’identité et installequelquesmètresdedistance entre la réceptionetmoi.Puis,macuriositém’amènedansuncoinduhalloùdesphotographiesdetouteslesréussitesdel’entreprisesontexposéesetmisesenavantdansdejoliscadresdorés.Certainessontsignées«S.Maréchal»etlesentimentdefiertéquej’affichesereflètedanslavitresouslaformed’unsourireéclatant.SacréStéph!Elleestdouée!Sesphotossontexceptionnellesetsivivantesqu’onadumalàcroirequecenesontquedescapturesdutemps.– NouvelleacquisitiondeMaréchalCommunity,m’informeunevoixfémininederrièremoi.Jesursauteetmeretournepourdécouvrirunegrandebruneentailleurquimesouritgentiment.– C’estbeau,n’est-cepas?Lasociétéfinancelesrénovationsdusite.Jeregardelederniertableaudevantlequeljemesuisarrêtéeetreconnaisl’OpéraBastille.Ceseraitun

lieu idéal pour une soirée mémorable. À condition que je souhaite être virée… Si jamais je suisembauchée.– Très.J’aitoujoursadmirélepenchantdeMaréchalCommunitypourl’art,réponds-je.Lafillemesouritetsesyeuxd’unvertintensemedévisagent.Elleestjeune,peut-êtrevingt-cinqanset

trèsbelle,àsa façon.LevisagedeMadame« tout lemonde»,maispleinedecharme.C’estdommage

qu’ellesevieillisseaveccechignonetcetteattitudestricte.– CélimèneAubert,seprésente-t-elleenmeserrantlamain.Tuviensavecmoi?DavinaetJérémynous

attendent.Davinaet Jérémy ? Il n’y avait pas de Jérémy inclus dans le deal.Oh la poisse !Mon entretien se

dérouledevantdeuxpersonnes,peut-être troisavecCélimène.Etai-je ledroitde l’appelerCélimène?Ellenem’arienprécisé,maisellemetutoiedéjà.Peut-êtrequejesuisdéjàprisefinalement.Oubienc’estparcequenousavonspresquelemêmeâgequ’elleselepermet.Nousempruntons l’ascenseur jusqu’auseptièmeétageetdèsque lesportess’ouvrent, jesaisque j’ai

atterridansl’universdel’événementiel.L’agitationetl’excitationsontàleurcomble.C’esttoujoursainsidanscemonde.Lesgenscourentpartout,hurlentpar-dessuslestêtesdesautres,sedisputentdesprojets,partagentdes idées.Quiplus est, on est très loinde ladécoration stricteduhall. Ici, tout est coloré etvivant.Commemoi.C’estfou,maisjemesensdéjàchezmoi.Jesuiscertainequejevaisaimerpasserdutempsici,trouvermesrepères,fairemespreuves,marquerl’histoiredeMaréchalCommunity.Oupresque.LabonneprésentationdeCélimène – professionnelleetdroite – m’effraieunpeu.Siellesecomporte

ainsi,çasignifiequelaDavinaetleJérémyenquestionnesontpasindifférentsàl’attitude.Pireencore,ladiscipline.Cequej’aidumalàrespecter.Célimène s’arrête finalement devant une porte et m’invite à entrer. J’avance timidement et les deux

personnesprésentesdanslasallederéunioninterrompentleurdiscussionpourmeregarder.Jérémyestunjeunehommeàl’airplutôtsympa.Dèsqu’ilm’aperçoit,ilsemetàsourireetselèveautomatiquementpourmeserrerlamain.– JérémyBaudoin,directeurdesressourceshumaines.TandisqueDavina,quisembleavoir laquarantaine,medévisagede la têteauxpiedsavecunemoue

insatisfaite.–  Voici ma collègue, Davina Rodriguez, en charge du pôle événementiel. Et vous avez fait la

connaissancedeCélimène.Cette dernière s’assoit, si bienqueDavina se retrouve entre les deux, juste en face demoi.Elleme

donnelevertige.– Asseyez-vous,nousallonscommencer.

En tirantma chaise,mamain tremble légèrement et je prends place tout aussi fébrilement. Jérémy etDavina disposent demon dossier devant leurs yeux sur lequel j’entrevois le tampon demon école decommunication.–  Donc ! commence Davina. Mademoiselle Dylan Savage, pour la tenue vestimentaire, c’est zéro.

Voyonsvoirsipourlereste,ilyamatièreàdiscuter.Elleouvrelapochetteetjaugemaréactionducoindel’œil.Parcequejesaislachanceexceptionnelle

quej’aid’êtreici,jeprendssurmoi.– Parlez-nousdevous.Voilàquiestdansmescordes!Jeracontedanslesgrandeslignesmonparcours,demonbaccalauréatà

mesdeuxannéesde licenceencommunication, enpassantparmapassionpour lamusiquequi aétéuntremplinpourlancermonidéedesoiréeunderground.– Qu’est-cequeles…«soiréesunderground»?questionneDavinaenmefixant.Jezappelapartieillégaledemesfêtesetdéclareavecl’enthousiasmeetlafiertélaplussincèredemon

existence:– C’estunconceptquej’aimisaupointilyadeuxans:ilconsisteenlacréationd’unbuzzautourd’un

ouplusieursartistesquinesontpasconnuslorsd’unévénement.Parexemple,undemesamiscréaitdessons extraordinaires avecduplastique et dupapier. Il ne savait pas comment se faire connaître.Alors,disonsquejeluiaiprêtémoncarnetd’adresses.Enéchange,ildevaitmegarantiruneanimationdefolietout le longdelasoirée.Il lesa tenusenhaleinependantdesheures!Unproducteurdemusiquefaisaitpartiedesinvitésetaujourd’hui,iltravailleavecluisurunfilmdescience-fiction.Davinaplisselesyeux,l’airdesedouterquejeretiensdélibérémentdesinformations.Ellesepenche

par-dessuslatable,lesbrascroisés.– Commentvousestvenuel’idée?Jehausselesépaulesavantdemerappelerquec’estungesteimpoli,encoreplusenentretien.– J’aitoujoursétépassionnéeparl’art.Plusjeune,jepassaismesweek-endsdanslaruepournepasavoiràaffrontermonquotidien.Jetraînais

etcroisaissouventdesartistes,tousplusextraordinaireslesunsdesautres.Laplupartétaientincompris,mais moi, j’arrivais à saisir leur message. J’avais dans l’idée que je possédais un superpouvoir qued’autresn’avaientpasetqu’ilétaitdemondevoirdem’enservirpourquetoutlemondepuisseréussiràdéchiffrer les codesdecesgens-là.C’est ainsique je suisdevenueamieavecStéphanie, il y aunpeumoinsdedeuxans.ElleétaitavecsonfidèleLeica,entraind’immortaliserunmomentmagiqueentreundanseuretuncracheurdefeu.J’étaistellementadmirativeetsurpriseparsoninitiativequej’aivoulucréerlamienne.– Combinéàmongroupe,toutçam’amenéeàuneconclusionlogique,rétorqué-jeaprèsavoirexpliqué

les grandes lignes de ma passion. Je devais faire communiquer l’art non pas à travers un concert demusique,maisunconcertd’artistes.Célimène me sourit, Jérémy note quelque chose sur son carnet et Davina continue de m’évaluer en

silence.Finalement,ledirecteurdesressourceshumainesdéclareavecunsourirecharmeur:– Ilfaudraitquevousnousinvitiezunjouràcessoirées.Etjesaisquejelesaidanslapoche.Lessoiréesundergroundsontmonsalut.Ils me posent encore quelques questions et m’abandonnent avec un iPad, bourré de vidéos des

événements qu’ils ont réalisés, le tempsdedélibérerdansuneautre salle. Je crois que je reste dixbonnesminutestouteseuleavantquelaportenes’ouvreànouveau.Jedéposelatabletteetmerelèved’unbond.PourtombersurGaspardMaréchal.OhmonDieu,maisqu’est-cequ’il fait là?Jecroyais…Jenepensaispasqu’ilétait ici,àMaréchal

Community.Jesaisquec’estl’entreprisedesafamille,maisStéphn’ajamaismentionnéunetellechosehiersoirquandelletentaitdemerassurerpartexto.OhmonDieu,ilsepeutquejebossepourceluiquim’avueenpetite tenue,celuiquiaassistéàunedemessoirées illégales,celuiquiprovoquedeseffetsincroyablesdanscertainespartiesdemoncorps,celuiquis’estsauvél’autresoirsansquejenecomprenneréellementpourquoi.Bon,Ludovicl’avaitprovoqué,maiscen’étaitpasuneraisonpourcoupercourtàlasoiréedesasœur.Vêtud’uncostumesombreetparfaitementcoupé,ilavancejusqu’àmoi.Ilest tellementcharismatique

quetoutsemblefadeetlaidàsescôtés.J’aidéjàvudeshommesentenuesprofessionnelles,maisquandjecontempleGasparddanslasienne,jecomprendsimmédiatementqu’enfait,jen’aivuquedesgarçonsendéguisementdepingouin.Monregardestattiréparsesgrandesmainsaux lignespuissantes.Sachemiselaisselégèrementdevinerlecorpsmuscléqu’ellecache.Assezpourquemonimaginationaitdequoiserassasier pour cette nuit. Du sur-mesure, c’est certain. Quand mes yeux dévient sur la couture de son

entrejambeetquejeprendsconsciencequel’innocencedemonactepeutêtremalinterprétée,jeremontesursonvisage,rougisviolemmentenconstatantqu’ilnem’apasloupée.Jenotequ’iln’apasfermélaporte.Davina,JérémyetCélimènerestentàl’entréeetprétendentnepas

êtreintéressésparnous.Dieumerci,jenesaispassijeseraicapabledemecontrôler,seuledansunepièceaveclui.Simesyeuxontdéjàdumalàfixerlessiens,jenedonnepascherdemesmainsetdurestedemoncorps.– GaspardMaréchal,seprésente-t-ilenmetendantsamaindroite.Jemetsdu tempsàme rappelerquenous sommesdansuncontexteprofessionnel et je lèvemamain

gaucheavantdelarabattrepourluitendreladroite.– DylanSavage.Je lui serre faiblement samainet ila lagentillessed’yallermollo.Sapeau sèche,maischaude

m’électrise.Jedoisserrerlepoingpourreprendrelecontrôledemonbrasetbloquercefluxbizarrequim’aparalyséeàsoncontact. Ilmeregarde, impassible. Ilendossesachemiseautoritaireet j’aibrusquementhontequ’ilm’aitvuesousunautrejouràdeuxreprises.– MademoiselleSavage,vousvousdoutezbienquequelqu’uncommemoiad’autreschosesàfaireque

d’assisteràunentretiend’embauche.Quelqu’un comme lui ? Que représente-t-il dans cette entreprise ? Je croyais que c’était l’oncle de

Stéphaniequiladirigeait.– Navréedevousavoir…– Le souci est que vous avez réussi à diviser les opinions.Mes collègues sont partagés entre vous

recruterounon.Ah, alors ça je n’appréciepasqu’onmecoupe la parole et je crois qu’il le lit clairementdansmon

regardobscurci.Pourautant,jemefocalisesursaphraseetsecouelégèrementlatête.C’estsûrementcetteDavinaquirefusedemerecruter.Trèsbien,simafuturebossneveutpasdemoi,jesuismalbarrée.– Est-cequevousavezunesolutionpourarrangerça?m’interrogeGaspardavantd’enchaînersansme

laisser répondre. J’exige de mes employés une transparence totale et une honnêteté limpide. Pour desraisonsd’images,maispluspourdessoucisd’éthiquesetdemorales,nousnerecrutonspasn’importequi.Vousvoyezoùjeveuxenvenir?

Mon Dieu, ne me dites pas qu’il fait allusion à ma soiréeunderground… Je sais qu’elle s’est malterminéepourluiàcausedecetimbéciledeLudovic,mais…Jesuisentrainderatermachanced’entrerdanslaplusgrandesociétédecommunicationdeFrance.– Absolument,maislepasséd’unepersonneluiappartient.Libreàellede…Ilmecoupeànouveaulaparoleetjeserrelespoings.– Libreàelledefaireensortequ’iln’entachepasleprésent,déclare-t-ilsèchement.Mamâchoiresecrispeetjesensunemauvaiseamiem’envahir.Iln’apasledroitdeseservirdema

dernière soirée contre moi. C’est hors contexte. Il est censé me juger sur mes capacités, sur madétermination,mesréactions.Leplusdéroutant,c’estquecetteconversationsembleêtretournéesurautrechoseetpourtant, iln’yaaucundoutequesessous-entendusmeconcernent.C’estàmoiqu’ilparle.Cesontmesantécédentsqu’ilaccuse.– Encoreuneautrequestion.Pourdesraisonsdeconfidentialité,nousprônonslesecretprofessionnel.

Pouvez-vous,MademoiselleSavage,m’assurerqu’aucunepersonnedevotreentouragenepourraitnuireàlasociété?Et là, je saisis toutes les nuances de cet échange. Il ne parle pas dema soirée illégale dans un lieu

public.IlparledeLudovic.Iln’atoujourspasdigérélacrisedejalousiedecetidiotetilrejettelafautesurmoi.Ilauraitpuluidonneruncoupdepoingtoutsimplement,maissaconsciencesadiquesavaitqueçane lui suffirait pas.Alors il s’en prend à moi aujourd’hui. Punissant Ludovic à travers mon entretiend’embauche.Siseulementcelaavaitdel’importancepourcedernier,çaauraitétéutile.Maisjesaisqu’iln’enarienàfoutre.– Jenevoispasenquoimonentouragepourraitnuireàvotresociété,MonsieurMaréchal,réponds-je

froidement.–  Ce n’est pas que ma société. C’est celle de mes employés. Celle des maris et femmes de mes

employés.Celledesenfantsetpetits-enfantsdemesemployés.Celledemesclients.Vousêtesunejeunefemmeintelligente,jesupposequevouscomprenezl’ampleurdesdégâtsqu’ilpourraityavoirsiunebonneinformationétaitdistribuéeàunemauvaisepersonne.

Neperdspastonsang-froidDylan.Neperdspastonsang-froid.

– Jevousrépètequejenevoispasenquoimonentouragepourraitnuireàvotre…àlasociété.– Vousnevoyezpas?Vraiment?Vousavezpostulépourlepôleévénementiel,jemetrompe?Maréchal

Community organise plusieurs fois dans l’année des soirées pour remercier les employés de leurdévouementauseindel’établissement.Cesfêtesontprincipalementlieudansnoslocaux.Locauxauxquels

laplupartontaccèsgrâceàunecartemagnétique.Ilamènesonindexàseslèvresbientropalléchantespourunsalopcommelui.Saridedulionetsesyeux

plissésrendentsonattitudeencoreplussauvage.Est-iltoujoursaussi…tendu?J’aidumalàreconnaîtrel’hommedelacuisinedansceregard.– Imaginonsunscénariosimple.Vous,assistante,êtes invitéeàunedenossoirées.Àvotre tour,vous

invitez…disons,votrecompagnon.Votrecompagnonquilui,estuncrétinfiniavecdeuxdeQI.Ilnepensequ’àuneseulechose,trouverdesdizainesetdesdizainesdeRolexdansnosbureaux.J’assimiletoutdesuitesamétaphore.Aufonddemoi,jen’aiqu’uneenvie:l’étranglerpourl’empêcher

decontinuer.Maismadignitéprendledessusetjel’écoutejusqu’aubout.– Etcommeilacomprisquejamaisilnepourravivredesamusiqueàlacon,ildécidederevendreles

Rolexauxplusoffrants:nosconcurrents.– Alorsvousavezunsacréproblèmedesécurité,rétorqué-jefroidement.Nosregardssecroisentàpeineetaussitôtildétournelesienverslevidederrièremoi.– Etvous,vousêtesbientropnaïve.– Effectivement.Çanesertàriend’êtreboxéeethumiliéepluslongtemps.J’aitrèsbiencomprissonpetitjeu.J’attrape

monsacetmeprécipiteverslasortieenbousculantledirecteurdesressourceshumainessurmonpassage.En quelques secondes je suis à l’extérieur du bâtiment et avance sans un regard en arrière. La colères’emparedemarespiration,demesgestesetbêtement,jefousuncoupdepieddanslaroued’unevoiturestationnée.Jem’éloigne,marcherapidementpourévacuermahargne.Moncœurbatfort.Mesmainstremblent.Mes

poings se crispent. Jene comprendsplus rien.PourquoiGaspardmedéteste-t-il aupointdenepasmevouloirdanssasociété?

Qu’ai-jefait?

Lorsquejepenseàmonécole,leslarmesmemontentauxyeux:jeserairecaléepournepasavoirtrouvé

destage.C’étaitmadernièrechanceetellevientd’êtrebousilléeparunconnardlunatiqueetdespotique.Enfoiré!

Quand je nous revois tous les deux dans sa cuisine, puis le soir du concert, en train de s’étudier,clairementattirésl’unparl’autre,alorsmêmequ’onneseconnaissaitpas.Qu’est-cequej’aipuêtrecon!Jesuishumiliée…Jetournecommeunlionencageetmeretrouvetrèsviteloindel’immeuble.Alorsuneidéedevengeanceenvahitmonespritetjesorsmonportablepourappelerunami.– Hé!Salut,tuvasbien?Dis,plusbesoindechercher.J’aitrouvélenouveaulieupourlaprochaine

soirée!Tusavaisquel’OpéraBastilleestenrénovation?

7.RetournementdesituationGASPARD

C’estunedemesphotographiespréférées:Stéphaniealescheveuxcoupésauniveaudelamâchoire.Ils

sontfins,raides,etbrillentdelalaquequelecoiffeurdemamanaapposéejusteavantpouruneffet«stardecinéma».Quantàelle,sescheveuxsontbeaucoupplus longs, telunvoilederayonsbruns.Toute lavitalitédeSophieMaréchalestperceptibledanscecliché,ainsiquel’amourinconditionnelqu’ellenousportait, celui que LéonardMaréchal lui rappelait tous les jours à travers des regards langoureux, dessourires tendres,desdisputesdéchirantes,des réconciliationspassionnées.Papa, lui,porte soncostumesur-mesure des grandes occasions qu’un de ses amis couturiers lui avait confectionné pour cette photo.Moi,jesouhaitaismedétacherdesonombretoutenayantaussifièreallurequelui,alorsj’aiégalementmapropretenue.Jesuisplutôtclasseaveccepullpar-dessusunechemiseetcepantalondroit.J’ail’airdel’adolescentheureuxdebonnefamillequipassedesvacancesauprèsdessiensavantderetournerdanslemeilleurinternatdeSuisse.Cequej’étais,maiscequejenesuisplus.J’inspireetexpireprofondément,m’enfoncedansmonsiègeetcroisemesdoigtsderrièrelatête.Paul-Antoinetentedésespérémentdememettredesbâtonsdanslesroues.Ilpensaitqu’enmeplaçant

dansl’ancienbureaudemonpère,jeseraisdémotivéetrenonceraisàallerjusqu’auboutdelamissionquejemesuisimposé.Ehbien,ilavaittort.Rien n’a changé ici.Comme si on s’attendait à ce quemon père revienne et qu’il reprenne sa place

derrièrelecomptoirvitrédesonimmensebureau;labibliothèque,lesalonquilesurplombe,lesmursenboisvernis,lelustreencristal,lebarencastrédanslemur,lesfenêtresouvertessurlacapitaleetlatourEiffel…Unmélangedésuetqueluiseulavaitledonderendreharmonieux.Cettepiècen’aabsolumentrienàenvierauxautresbureauxprésidentiels.JepeuxsentirlatracedeLéonardMaréchalpartout.Monpèreétaitunhommetêtuetautoritaire,dévoué

àson travail– parfoisunpeuplusqu’àsa famille–,maisaimant, tellementaimant. Ilauraitdésiréquej’hérite de son bureau quoi qu’il en soit.Tout comme il aurait voulu que je reprenne les rênes deMaréchal Community. C’était inscrit noir sur blanc dans son testament. Mais ça, c’était avant deprendremesvalisesetdemecasser,renonçantparlamêmeoccasionaupostedePDG.Jedémontreraiàmononcleque jepeuxêtreun leaderpar la forcedemapersonnalité etdemescompétences. Je luiprouveraiquejesuiscapablededirigercetempire.JenepeuxprétendreaupostedePDGdèsmonarrivée,alorsjedémarreentantquedirecteurgénéralde

lacommunicationetdesrelationsextérieures.

Mon oncle tente deme dégoûter de toute initiative et en un peu plus d’une semaine, j’ai déjà été en

Allemagne,enAngleterreetenEspagnepouraffaires. Ilpensequem’éloignerdusiègeetdeStéphanie,m’éloignerademonobjectif.Ilsetrompeencore.Jeregardeànouveaulaphotodefamilleetsouris.

Papa,jevaisterendrefier.

ElizabethWash,quia travaillépourlui,entre timidementdanslapièce.Sonespacese trouvedansle

hall qui séparemonbureaude celui demononcle.Polyglotte, elle règle la plusgrandepartie denotreadministrationàl’étrangertoutens’occupantdenotreagenda.Maisj’aimetoutparticulièremententendresonaccentanglais,savoixenjouéeetsonrirepourlemoinscommunicatif.– Encoredesdossiers,MonsieurMaréchal.Jemeredresseetelledéposeuntasdepaperassesdevantmoi.– Quiarédigétoutça?soupiré-je.Ellemesouritetjetteuncoupd’œilsuspicieuxverslaporte,commesielleavaitpeurd’êtreentendue

depuisl’autrecôtéducouloir.– L’avocatdevotreoncle,MonsieurMaréchal.Maquestionétaitanodine,maisleregardtenduqu’ellemelancemepousseàcreuserplusprofondément.– Etdepuiscombiendetempstravaillent-ilsensemble?– DepuislesdébutsdeMonsieurPaul-AntoineàMC,monsieur.Jehochedoucementlatête,comprenantlesous-entendu.Jenepeuxpasfaireconfianceàunavocatqui

bossepourmononcle.Quisaitcequ’ilstrafiquentdansmondos?Elizabethsepencheau-dessusdemonbureauetécritquelquechosesurunpost-it.– Lorsquevotrepèreétaitunpeuplusjeunequevous,ilaeuuneaventureavecunefemmequis’esttrès

malterminée.QuelquesannéesaprèsvotrenaissanceetcelledeMissStéphanie,elleavoulusortirunlivresurleurrelationquiauraitpucauserdetrèsgrosdégâts.

Ellemedonnelepapieretseredresse.– Votremère est intervenue. Elle a appelé un de ses amis qui possède ce cabinet d’avocats. Je les

appelaismême«lesavocatsdel’ombre».Quoiqu’ilensoit,est-cequevousavezdéjàentenduparlerdecettehistoiredelivre?Jesecouelatête:– Jamais.– Ehbienmoi,jen’aijamaisvulevisagedecettefemme.J’observelenuméroetlenomqu’ellem’adonné.MaîtreA.Gesbert.– Elizabeth ?Quel conseil donneriez-vous àquelqu’unqui souhaite s’entourerdesbonnespersonnes,

afinderécupérercequiluirevientdedroit?Elleposesamainsurlamienneetsonvisagedouxmesourit.– Faîtesconfianceàvotreinstinct.ÀpeineElizabethsortie, lachargéedupôleévénementieldébarqued’unedémarcheénervée.Elleest

prêteàendécoudre.MonpèreparlaitdeDavinaenbienlaplupartdutemps,cequiavaitledonderendremamèreuntantinetjalouse.– Jeneveuxpasde«DécolletéPlongeant»!réplique-t-elleensepenchant, lesmainsàplatsur

monbureau.Inconsciemment,jeregardesatenueetn’yrepèreriendeplongeant.– Vousnevoulezpasdedécolletéplongeant?répété-jeperplexe.– Oui,lanouvellestagiairequeJérémyarecrutée.Jevoissesseinsdepuismonbureau!s’énerve-t-elle.

Etjesuisseule,dansunepièce,laportefermée!Jeneveuxpasde«DécolletéPlongeant»!Quandjecomprendsque«DécolletéPlongeant»estlesurnomqu’elleadonnéàsastagiaire,mabouche

s’entrouvred’amusement.

ElleveutDylan…

J’ai tentédenepaspenseràcettefilledepuissonentretienetmonsabotagedecelui-ci.Mamèreme

disaittoujours:«Nesorsjamaisaveclachéried’unautre,fiston.Parcequetupourraisavoirdeuxgrosproblèmes!Lepremier,c’est lecopaindecettefille.Lesecond,c’estde tomberamoureuxd’elle.»Etmonpèreriait,carcelasemblaitrésumerleurrencontre.JenepeuxpaslaisserDylantravaillericipourdesraisonsentièrementpersonnelles.C’estcruel,mais

çamerendradinguede lacroisersanspouvoir la toucher.Et,étrangement, jenepeuxsupporterqu’ellerejoigneunautrelesoir.Àlasavoirdanscesmurs,jefiniraiforcémentparpenseravecmaqueueetnonmatête.Jeperdraidevuemonobjectifprincipal:reprendremavieenmain,carellesembleelle-mêmeincontrôlable.– JecroyaisqueJérémyetvousétiezd’accordpournepasrecruterDyl…MademoiselleSavage,me

corrigé-jeenmeraclantlagorge.Davinafroncelessourcils:monlapsusn’estpaspasséinaperçu,maisellenerelèvepas.– Jérémyetmoinenoussommesmisd’accordsurrien.Ilarefuséd’embaucherDylanàcausedeces

soiréesunderground,alorsquec’estcequifaitd’elleunatoutimparablepourl’équipe!– Cessoiréessontillégales,Davina.Vouslesavez…Aveclaconcurrencequinous…Ellem’interromptbrusquementpourcontinuerlefildemespenséesavecsarcasme:– Aveclaconcurrencequinouspendauculonnepeutpassepermettrederecruterdemauvaiséléments,

m’imite-t-elle,trèsmal,avantdecontinueravechargne:depuisquandlesvaleursdeMCreposent-ellessurl’image?Cequiconstituenotreforce,c’estnotresensdurelationneletdelacommunication!Elleauncarnetd’adressesfaramineux!Jesuisprisdecourt.Sondiscoursestpréparé,déterminéetvolontaire.Ellemepousseàaccepter– et

mafoutuequeuelarejointdanscesens– etpourtantmonbonsenscontinuededésapprouver.– Unegrosse têtecommecette fillenes’entendraavecpersonne,défends-je tantbienquemal.Ellea

bientropdecaractère!Elleest…Indomptable.Jemurmurecederniermot,carjemerendscomptequec’estcequiqualifieDylan.C’estcequim’attire

chezelleetm’effraieenmême temps.Monpèrem’aconfiéun jour :«TrouveLAfille.Apprendsà ladompter commeun lion qui choisit sa lionne.Qu’elle soit la reine de ton univers, et deviens le roi dusien.»J’aipeurdeperdrelecontrôle.Jepréfèrelafuir,cardanslavie,certaineschosesserévèlentêtre

bientropdangereuses.Maisjeladésire…C’estridicule,jesuisjusteséduitparledéfiqu’ellereprésente.Maisjemepersuadequeçamepassera.Laportedemonbureaus’ouvreunenouvellefoisderrièreDavinaetmesyeuxs’écarquillent.– Gaspard!Stéphanieestrougedecolèreetjesaisquejesuisfichu:elleaprononcémonnomenentier.– T’esqu’ungroscon!Etellem’insulte.Pourlatoutepremièrefoisdesavie.Davinaseretourne,unemainsursahancheet

l’autresurmonbureau,alorsqueFafasedirigedirectementsurmoietdéballeàtoutevitesse:–  Dylan m’a raconté son entretien, j’ai décidé que j’allais t’en parler à ton retour pour que tu

m’expliquespourquoi.Pourquoitut’enesprisàellesansaucuneraison?Elleestrecaléepoursonannée!Je t’ai dit qu’il ne fallait pas l’attaquer etmaintenant elle a organisé cette fête à l’OpéraBastille et seretrouvechezlesflics!

Etmerde.Lafiled’attentepourm’abattreserallongeetjecroisavoirtrouvéuneraisondecontacterles«avocatsdel’ombre».

8.Coupdemaître

DYLAN

L’avocatequim’aétécommised’officemefaitlesgrosyeuxàplusieursreprisesetjecomprendsquese

leverestuneobligationdans la salledu tribunalcorrectionnel.Le juge regardesa feuille,puis lève lesyeuxsurmoi.Iln’apasl’aircommode.– Affairen°1153impliquantMademoiselleDylanSavage,pourdégradationsdebiensetmatériels,

ainsiquemanifestationnonautoriséedansunlieupublic.Jemordillemalèvreetrepenseàlasoiréeundergrounddel’opéra.Toutsepassaitàmerveille,comme

toujours. Je gérais deA àZ, j’avais appelé des artistes discrets et donné le nomdu lieu à la dernièreminute,commetoujours.De22heuresà1h30dumatin.C’étaituneréussite.L’opéraétaitpresquecommeneuf,lesinvitésrespectueuxdel’endroit,lesartistesheureux…Lacaisseseremplissaitàvued’œiletj’aidûeffectuerdeuxallers-retourspourcacherl’argentchezmoi.Bref,toutallaitbien.Jusqu’à1h20quandlesflicsontdébarqué.Ceuxquid’habitudelaissentpassercontrequelquesbillets

n’étaientpas làetà laplace, jesuis tombéesurunedameincroyablement impolieetviolente.Ellem’afouillée,menottée,puiselleaappelédurenfortpourcoffrertouteslespersonnesmineureset/ousousl’effetdel’alcooloudeladrogue.– MademoiselleSavage?mesecouelejuge.Jelèvelesyeuxsurlui,puissurlesavocatsdeladéfense:deshommesenvoyésparlamairiedeParis

oùjenesaisquoi.–  Votre amende s’élève à 40 000 euros, six mois de travaux d’intérêt général et un mois

d’emprisonnement.Jelanceunregardperduàmonavocate.Cettesentencen’étaitpasprévue.Ellem’avaitaffirméqueje

n’irais pas enprisonpourundélit pareil, que si je plaidais coupable, le juge serait indulgent.OhmonDieu,jecroismourir.Àquelmomentmaviea-t-ellesalement tourné?J’ai l’impressionqu’absolument toutse liguecontre

moipourmerappelerquejenesuisqu’unemoinsquerienquimérited’allerenprison.Aprèstout,c’estlecas,non?Jesavaistrèsbienqu’organisercessoiréesmeconduiraitunjouroul’autredevantlajustice.Maisquivoudrademoiaprèsunteldossier?– Laprévenueplaide-t-ellecoupable?demandelejuge.– Noncoupable!s’écrieunevoixdansmondos.Les avocats présents, les quelques personnes qui assistent au jugement etmoi-même nous retournons

pourdécouvrirunhommearriversoudainementenenfilantsatoge.Grandbrunauxyeuxsombresetsûrdelui,ilaunecarrureimposanteetsexy.Ils’approchedemoietmemurmure:– Tulabouclesettumelaissesgérer.T’enasfaitassezjusqu’àprésent!Ilsedirigeverslejugeetjelesentendschuchoter.Ilss’échangentmêmedesdocuments.– MonsieurleJuge,puis-jesavoircequ’ilsepasse?demandepitoyablementmonavocate.– Je représente l’entrepriseMaréchalCommunity, répondà laplacedu juge l’hommeavecunsourire

désarmant.L’avocaterougit.Commeilssontàl’originedelarénovationdel’opéra,ilsvontmedescendreencoreplus.– Vouspouvezallerdéjeuner,jeprendsvotreplace,ajoute-t-ilàsonintention.Choquée,j’observemonavocatefuirsansunmot.– Qu…Quoi?L’hommemelanceunregardnoir.– Boucle-la,répète-t-ilsèchement.Ilseredresseetregardelejugequiattendlesilence.– MaîtreGesbert,vousêtesaucourantqu’onn’arrivepasenretardàune…– Pardonnez-moi,MonsieurleJuge,lecoupemonnouvelavocat,maisj’aiétéprévenudelaséanceàla

dernièreminute.Jenevousferaipasperdreplusdetemps.Eneffet,l’article217-1ducontratpasséentreMaréchal Community et la mairie de Paris impliquait un rendu de service mutuel. En échange de la

rénovation de l’opéra situé au 2 rueVictorHugo à Bastille, lamairie de Paris offrait la possibilité àMaréchalCommunityd’organiserlenombredemanifestationsquiluiplairait.J’écoute attentivementmaître Gesbert, fascinée par son aisance à l’oral.Moi, j’ai presque envie de

pleurer,maisjemeretiens,caraprèstout,jesuisbeletbiencoupable.– Quandfutrédigécecontrat?– Ilyaunan,MonsieurleJuge.– MonsieurleJuge,cesontdesmensonges!s’exclamel’avocatdelamairiedeParis.Pourcommencer,

MademoiselleDylanSavagen’estpasemployéeparMaréchalCommunity!– Faux!contremaîtreGesbertenlevantledoigtpuisendésignantlejugeavantdereprendre:– J’aiiciuncontratdestageenalternancequistipulelecontraire,déclare-t-ilàl’attentiondel’avocatde

Paris.Etildatedumardi17.C’est-à-direcinqjoursavantlamanifestation.– Quoi qu’il en soit, défend l’avocat deParis, il n’y a jamais eu une telle clause dans le contrat de

rénovation de bien public passé avec Maréchal Community ! Le droit d’organiser des événements enéchangedufinancementdesrénovations,c’estridicule!Lejuges’apprêteàparler,maisestinterrompuparmaîtreGesbertàmescôtés.– Jevousassurequesi!Vousn’avezqu’àvérifier.Il les regarde avec un sourire malicieux. L’avocat de la mairie ouvre ses documents, furax, en

marmonnantdanssabarbeetmaîtreGesbertcontinuedelesenfonceravecméprisetorgueil:–  Article 217-1, maître. Vous le trouvez ? Il est stipulé que Maréchal Community aura le droit

d’organiserdesévénementsdansl’opérasousréservequ’ilnesoitpasoccupé.L’avocat semble trouver l’article et le pointe du doigt alors que maître Gesbert lance une dernière

pique:– N’oubliezpasquetoutmanquementauxclausesdececontratentraîneraitirrévocablementlafindes

travauxetdespénalitésauprofitdeMaréchalCommunity.L’avocat relève la tête et son regard croise celui entendu demaîtreGesbert.Est-il en train de…me

protéger?– Alors?Vousl’aveztrouvé?souritmaîtreGesbert.

L’hommehocherapidementlatêteetredéposeleblocdefeuillesducontratdevantlui.QuentinGesbertlèvelementonfièrementverslejugeetannoncelafindemoncalvaire:– MaréchalCommunitydemandeàMonsieurleJugedebienvouloirnousexcuserpourlemalentenduqui

nousaconduitdanscetribunalaujourd’hui.Celanesereproduirapas.Lejugesoupireetfrappesonbureaudesonmarteau.Lesonsecsonnelaclochedemalibérationetje

respireànouveaunormalement.– Laséance,aussifarfeluefût-elle,estlevée.MademoiselleSavage,déguerpissez.

***GASPARD

– Hum,quelqu’unpeutm’expliquerlaraisondemaprésenceici?demandesoudainementlastagiairede

Davina.Stéphanies’immobilise.Jelèvelesyeuxdemonécranetlesposentsurlajeunefilleassiseenfacede

monbureau.Lepluscompliquédansl’histoiren’estpasdeluirépondre,maisdelaregarderdanslesyeuxetprétendrequ’onnevoitpassonénormepoitrinequelquescentimètresausud.Davinaquittesonportablequelquessecondesetluisourittropaimablementpourêtresincère.– «DécolletéPlongeant»?Juste…Silence.Mapetitesœurbaisselatêteetseremetalorsàmarcherdelongenlarge.Sonstressestperceptible.Ses

bottinesclaquentsurlesol.Ellemedonnemalàlatêteàtournerainsienrond.Ilm’estimpossibledemeconcentrersurlesmailsurgentsqu’ilmefautenvoyeravantlafindelajournée.J’auraidûlesvirerdemonbureautoutàl’heurepourtravailleraucalme.MaisFafaétaittellementencolèrecontremoiquejen’aipasosécontestersaprésence.Lesconséquencesdemesactesm’ontconduitdanscemerdieretàprésent,jemetstoutenœuvrepourquelalionnenefinissepasencage.– Stéphanie!Jegrondemasœurquin’adecessedebouger,passemamainsurmabarbedetroisjoursquejen’aipas

puraseravectouscesvoyagesd’affaires.

Bordel,maisqu’onluidonnedescalmantsoujel’assommedemespropresmains.

– Pirequ’uncon!s’exclame-t-elleenlâchantàvoixhautelerestedesespensées.Elleseplanteenfacedemoietenchaîne:– Jen’excusepaslecomportementdeDylan.Jesaisqueparfois,elleadesréactionsdisproportionnées.

Maisjepensaisquetuluiauraisaumoinslaisséunechanced’êtremeilleure!Tunesaispascommec’estdifficilepourelle.Tuprétendsdétesterqu’ontejugetrophâtivement,maispourtanttunet’enprivespasaveclesautres!TumerappellesPaul-Antoine,àtoujoursseservirdesfaiblessesdesautrespourfrapperlàoùçafaitmal!

Non,pasça.PaslacomparaisonavecPaul-Antoine.

Je serre lesdentset lui lanceun regardaussinoirquemespenséesàcet instant.Moi, jeprotège les

personnesetleschosesauxquellesjetiens.Notreoncle,lui,protègesapoireetsoncapital.– Ontientdeluitouslesdeuxalors…balancé-je,déçu.Honteusedem’avoiraccusé,elledétourneleregardetcontinuesescentpas.Nouspatientons,attendons

des nouvelles de l’avocat que j’ai contacté pour s’occuper de l’affaire. Il ne s’estmême pas présentélorsque je l’ai appelé. Il m’a juste demandé si c’était pour un meurtre, un viol, ou une organisationcriminelleavantquejenel’arrêteetluiexpliquelasituation.«DécolletéPlongeant»dévisagebizarrementStéphanie.Jerepère toutdesuite legenredefille fade

qu’elle est lorsque nos regards se croisent et qu’elle passe enmode charmeuse provocante. Putain, aumoinsDylanavaitde laclasse.Ellem’apeut-êtrechauffédansunecuisineetpendantunconcert,maislorsqu’il s’agissait de se battre pour sa place dans l’entreprise, elle a adopté un comportement trèsprofessionnel.JemetourneversStéphanieettented’accrochersonregard.Cettedisputeestridicule.Jecomprendsque

c’estenpartiemafaute,maisjenesuispasleseulencause.– TudirasàtacopineDylanqueréagirdelasorteparcequej’aiétésévèreavecelleestridicule.J’y

suispeut-êtrepourquelquechosedanslerejetdesacandidature,maispaspourcequ’ellevientdecauser.Parcequejouerlavexéequandonparledel’inutilitédesonmec,c’estpathétique.Etsiça,c’estsonpointfaible,alorsellenetiendrajamaisdanslavie.Stéphanie se retourne à ses derniersmots alors qu’ellem’ignorait jusque là. Son visage se déforme.

Dégoûtée,ellebalancefroidement:

– Ludovicn’estpaslepetit-copaindeDylan!Heureusement,lebureauestassezgrandetDavinaRodriguezesttellementconcentréesursontéléphone

qu’elleneprêtepasattentionànotreconversation.– Quoi?Mapetite sœurm’observe, unpeu trop longuement àmongoût.Une certaineméfiance émanede son

regard.Jecroisqu’ellen’appréciepastropquejepuisseavoirdesvuessursacopine.– C’estpourçaquetut’enesprisàelle?Parcequetues…jaloux?– Jenesuispasjaloux,grommelé-jeavecunegrimace.Lajalousiec’estpourlesgamins,pourlesgensquisontencoupleoudésirentl’être.Paspourmoi.De

plus,c’estcomplètementidiotcommeaccusation,jenel’aicroiséequetroisfoissioncomptel’entretiend’embauche.Pourquoi en ferais-jemapropriété alors qu’il n’y a riendeplusqu’une attirance sexuelleentrenous?Riend’autre.– DylanetLudovicc’estfinidepuistrèslongtemps!ajoutemasœur.Etencorefaudrait-ilqu’ilyaiteu

quelquechoseentreeux!Ludovicestuncon,quivitparprocurationetauxcrochetsdetoutlemonde!IlfaitunefixettesurDylanparcequ’elleesttoutsimplementbeaucouptropbienpourluietsamisérablevie!Ilprétendquec’estsacopine,maisilsn’ontjamaisréellementétéensemble!Jerestesansvoixetréalisequec’estbiendelajalousiequej’éprouve.Lesoulagementquejeressens,

suividugoûtatrocementamerdelaculpabilitéenestlapreuve.Jemesuisbeletbiencomportécommeledernierdesenfoirés.Stéphaniedevientfolleàcausedel’attenteetsedéfoulesurmoi:– Jetedéteste,t’esqu’unabruti,Sap!FautcroirequeLudovicatrouvéplusfortqueluienlamatière!Certainement.Les sirènes à la voix renversante, ça altère le jugement.Et quand elles ont en plus de

ravissantesfesses,çaretourne lecerveau.Etsiunepartiedubonsensse trouvedans lepénis,ehbien,c’estlacondamnationassuréeàfinirabruti.Lasonneriedutéléphonenousinterromptetj’enclenchelemodehaut-parleurenapercevantlenuméro

del’avocat.

– Maréchal,j’écoute.StéphanieetDavinaserapprochentimmédiatementpourmieuxentendre.– QuentinGesbert.MaîtreGesbert,plusprécisément.Envoilàunquinesesentplusd’avoirpassélebarreau.– La longueur de ta frite n’impressionne personne, réplique Davina en appuyant ses mains sur mon

bureau.Commentças’estpassé?– DavinaRodriguez,c’esttoujoursunplaisirdet’entendremedescendre.Bon,ilsseconnaissent.Cequim’éclaireunpeuplussurlesujet«DavinaRodriguez»quejen’aipas

encoreréussiàdéchiffrer.Maisc’estrassurantdeconstaterqu’elleconnaîtlesavocatsdemonpère.– OùestDylan?demandeStéphanie,anxieusecommejamais.– Euh.Gaspard,jedoisdirequevousmedécevez.Jepensaisquepournotrepremierrendez-vous,même

téléphonique,vouschoisiriezunendroitunpeuplusintime.Jen’aipasletempsdem’offusquerqu’ilenchaîne,avecplusdesérieuxcettefois:– Elleestrentréechezelle.LejugeetlamairiedeParisontabandonnélespoursuites.Fafapousseunlongsoupirenselaissantchoirsurlefauteuilenfacedemoi.Mêmesiaufond,jesuis

soulagéquecettehistoireseterminebienpourelle,moninstinctMaréchalressurgitenpremier.– Queva-t-ilsepasseràprésent?– MaréchalCommunityvapayerlesdésagrémentscauséspar l’événementorganiséparMademoiselle

Savage. L’amende s’élève à 40 000 euros,mais c’est négociable si la date de fin des rénovations estavancée.

Ahoui,quandmême!

– Lecontratdestagestipulantclairementquetoutefautecommisepouvantnuireaugroupeestàlacharge

delasociété.MaréchalCommunitys’engageàréparerseserreursets’assurequ’ellen’encommettepasdenouvelles.

– Jem’occuped’elle,intervientDavinaenreprenantsonportableenmain.Quantàtoi,lance-t-elleendésignant«DécolletéPlongeant»,tuescordialementvirée.Pasbesoinqu’ontepayeletaxi,jesuissûrequetesnibardsferontl’affaire.Ce qui ne perturbe pas plus la concernée. Pourtant, je suis choqué d’entendre ma collègue traiter

implicitementunejeunefilledeprostituée.– Bonsangdebonsoir,Davina,soupireQuentin,toujoursenligne.Sijen’avaispaslacordeaucou,je

t’épouseraissurlechamp.Cettedernièrenepeutretenirunegrimaceetquittemonbureauavecchic.– Gaspard,auplaisir,ajouteQuentinenraccrochant.Soudain,masœurmemenacedudoigt:– Dylanatropdefiertépourprésentersesexcuses.Maisjecomptesurtoipourt’excuserdanslesrègles

del’artauprèsd’elle.Ettuverrasqu’elletelerendrabien,déclare-t-elleenpartant,melaissantseulavecmespensées.Melerendrebiendansquelsens?Parcequelà,jenepensequ’àunepartiedejambesenl’air!Ilfautquejemecalme!Lesrelationsaubureaunesontpasinterdites,maisparprincipe,ilvautmieux

éviter.CommeDylanl’asibienditelle-même,çan’envautpaslapeineetjem’entiendraiàça.Cependant,j’entendsmonpèred’ici:«ungentleman,unvrai,saitreconnaîtresestortsets’excuserpar

lasuite.»Cen’estpasvraimentmonpointfort,néanmoinsj’ensuiscapable.Maisjenecomprendspaspourquoi c’est àmoi d’être pardonné. Dylan est assez grande pour savoir que son concept de soiréesn’étaitpassansrisque.Je m’aperçois que la fameuse « Décolleté Plongeant » est toujours dans mon bureau. Être virée ne

semblepaslapeiner.Tristefille…– Ehbien,ilyaaumoinsunechosepositivequidécouledecerenvoi,roucoule-t-elleenpapillonnant

descils,troplongspourêtrevraisetinondésd’unecoucheépaissedemaquillage.C’estcommelesailesd’uncorbeauquis’agitentetc’estfoutrementlaid.Ellen’apasbesoindepoursuivre,jedevinedéjàlasuitedesaréplique:

– Jenesuisplusvotreemployée.Comme seule réponse, je presse simplement le bouton du service de sécurité pour ne pas avoir à

m’occuperdesoncas.

9.Usus,fructus,abususDYLAN

«Pourlatenue,c’estencorezéro»,sontlespremiersmotsaveclesquelsDavinam’aaccueilliecematin

dans sonbureau.Assiseaubordde sachaisedans son tailleurchic, elle travaille surdeuxordinateurs,deuxtéléphones,etdeuxdossiers.Jebaisselesyeuxsurmajupeetmaveste.J’aipourtantoptépour latenuelaplusprofessionnelledemonplacard…– Est-cequetuaseutonpasspourl’entrée?Pourleparking?Pourl’imprimante?Pourlacantine?On

t’acréétesidentifiants?Tonadressemail?Tesdossiersnumériques?Tuasaccèsàtonintranet?Unemitrailletteavecunelangue…Jehochelatêteetévited’intervenirpourpréciserquejen’aipasde

voiture.Davinaestunelégende.Iln’yaqu’àvoirlafaçondontlespersonnescessentderespirerquandelletraverselescouloirs.Luicouperlaparolereviendraitàsignermonarrêtdemort.– TuasétévoirJérémypoursignertoncontrat?Vousavezdiscutédetonsalaire?Detesavantages?

DesrèglementsdeMaréchalCommunity?Jemenspourmeprotégerdelafoudreethocheànouveaulatête.

Jeferaiçaplustard.

Elle me fout les chocottes. Elle n’a pas l’air de plaisanter souvent. Célimène m’a avoué qu’il y a

quelquesjours,Davinaahumiliéetrenvoyéunestagiairequ’ellesurnommait«DécolletéPlongeant».Ellearajoutéquesijesurvivaislessixprochainsmoisavecunseulsurnom,c’étaitquejem’ensortaisbien.– Est-cequetuasdesquestions,Blondie?Jerigoleetellemefixe,sourcillevé.– Ilyaunsouci?– C’estjustelemêmesurnomquemameilleureamieutilise.Au fond, Parisse est un peu comme elle.Elle surnomme tout lemonde,mais pasméchamment.Mais

quand je comprends que l’envie de sourire n’effleure même pas la pensée de Davina, je me calme

immédiatement.– Onestd’accord,lâche-t-elle.Sondoigtcliquefrénétiquementsursasourisetj’enfoncemesonglesdansmespaumespourcontrôler

monenviedeluihurler:«STOP»!– TupartagestonbureauavecCélimène.Tuserassoussesordreslespremierstempsetlesjoursoùje

seraisabsente.Jeneveuxjamaisvoirundossiernonfinisurmonbureau.Tunemefaissuivrelesmailsque s’ils sont du directeur général de l’entreprise. Tu ne m’appelles que s’il y a une urgence. Nem’interrompsquesitun’espasdanslamêmepiècequemoietqu’ont’acoupélalangue.Compris?Encoreunhochementdetête.–  Et pitié, ne t’engage dans aucune relation avec les hommes d’ici, depuis le parking au sous-sol

jusqu’autoitdespigeons,tum’entends?Primo,jen’hésiteraipasàtefoutreàlaporte.Deuzio,jen’aipasletempsderecruterunenouvelleassistante.OK?Etunenouvellefois,matêteluirépondoui.Jenesaispaspourquoi,maismonpetitdoigtmeditquecet

avertissementaunlégerrapportavecMonsieurledirecteurdesrelationsextérieures…Ellesedoutequemonblackboulageetmasoudaineembauchesontpurementliésauxsautesd’humeurdeGaspardMaréchal.Dieumerci, il a retrouvé sa présence d’esprit et placé de côté son ego pourme laisserma chance, enoubliantl’incidentdel’opéra.Parconséquent,ellen’apasàs’inquiéter.Jemetiendraiàl’écart.Gaspardestunindividuinflammable,doncplusjeresterailoindelui,moinsj’auraisderisqued’exploser.

***C’estavecunlégermaldecrânequejem’effondresurmachaisedebureauquelquesinstantsplustard.– Tuaseudroitauspeech?Je lève la tête et croise les yeuxverts deCélimènepar-dessus son immense écrand’ordinateur.Nos

bureauxsontl’unenfacedel’autre.– C’estlepetit-déjeunerdebienvenue,c’estça?Célimènerigoleetsecouelatête.

– Parfoisjemedemandecommentjetiensaussilongtemps.Etpuisjeregardemonsalaire.Jeglousseetmesyeuxdériventsurcequim’entoure.Notrebureauestplutôtsympa,décorédanslestyle

MaréchalCommunity, avecunevue sur les façadesdes immeublesvoisins.Nousavonsdespoufsetuncanapé colorés, signés «MC», une table basse avecmachine à café, des goodies décoratifs et le tue-travail:desaffichesgéantesdesmagazinesquepossèdentl’entrepriseavecencouvertureRyanGoslingetChrisHemsworth.– Moi,jen’aiqu’àregarderça,pourcomprendrecequitemotive,lancé-jeendésignantlesposters.Célimène suit mon regard, rougit et retourne immédiatement à son boulot. Oh non, pas une seconde

Maya…– Tuasuncopain?Ellesecouelatêteetbonditpourrépondreautéléphonequisonneétrangementàcetinstant,trouvantune

échappatoireàmoninterrogatoire.Je profite de ce moment pour déballer les joujoux high-tech de MC. Tablette et portable tactiles

ultramodernesconnectésàl’ordinateurdebureauetl’ordinateurportablequ’ilsm’ontprêtéspourladuréedemonstage.Quelqu’unfrappeàlaporteetCélimèneinvitelapersonneàentrer.J’apporteunpeud’ordreàmatenue

etlèvelatêteverslejeunehommequifranchitnotrebureau,uneboîteenmain,reliéeàunpetitballon.Ilestdumêmerosequelacraiequejemetsparfoisauboutdemescheveux.– Bonjour.DylanSavage?Étonnéed’entendremonnom,jesursaute.Célimènejetteuncoupd’œilhébétédansmadirection,cequi

permetaulivreurdecomprendrequejesuisladestinatairedecettelivraisonsurprise.Ildéposelepaquetsurmonbureaupuiss’enva.– Qu’est-cequec’est?–  Je l’ignore, répond Célimène sur un ton presque désagréable, avant de rajouter plus aimablement.

Personnenereçoitdecadeauàsonarrivéeici.Curieuse,jedénouelaficelleduballonquifermelaboîte.Ils’envoledanslesairs.J’ouvrelecouvercle

pour découvrir un assortiment de biscuits au chocolat et demacaron PierreHermé.C’est une attention

incroyablementdélicate!Unepetitecarteestposéesurletout.Jesensl’intérêtdeCélimènedepuisl’autrecôtédelapiècealorsquejelalis:«Usus,fructusetabusus.Celamarcheaussipourlesbiscuits.»Ungloussementdisgracieuxm’échappeetjel’étouffedemamain.Célimènem’observeducoindel’œil

enfaisantmined’êtreoccupée,alorsquejecomposelenumérodeStéphanie.Jenesaispassij’ailedroitdel’appeler,maisaprèstout,c’estuneMaréchal.Ilsnepourrontpasm’envouloird’êtreenligneaveclasœuretlaniècedespatrons.– Tun’espascenséeêtreauboulot?metaquine-t-elle.Lesdifférentsbruitsderrièreellemepermettentdesavoirqu’ellesetrouvedehorsetqu’elletraverse

une zone très fréquentée. Soit l’université, soit en pleine rue à la recherche de son prochain cliché.Lecontrasteaveclesilencedenotrebureauestflagrant.– Mercipourlepetitcadeau!Jepiqueunmacaronetlerenifle.Ilaunparfumdefleurs,légeretdélicat,commequandonfourreson

nezdansunmuguet.– Lecadeau?Jehochelatête,mêmesiellenepeutpasmevoirettroquelebiscuitcontrelacartePierreHermépour

m’assurerquec’estbiencequej’ailu.Stéphestunefaninconditionnelledespâtisseriesfrançaises.PierreHerméestl’undesespréférésetquandelleauncoupdeblues,c’estlàquenousl’emmenons,Parisseetmoi.– Lesmacaronsetlesbiscuitschocolatés.Monventregargouillerienqu’àl’idéedelesmanger.Ceseraparfaitpourmongoûterdumatin.– Quoi?Jenet’airienoffert!–  Ce n’est pas Parisse, répliqué-je en avalant un macaron. La connaissant, c’est une panoplie de

godemichetsélectroniquesetchantantsqu’ellem’auraitoffert!Célimèneécarquillelesyeuxetfixesonécrancommesic’étaitsaplanchedesalut.Jedevraispeut-être

lui en proposer,mais c’est trop bon etmon égoïsmegagne la bataille.Lorsque je reconnais le goût du

biscuit,desimagesclairesd’uneconversationdansunecuisinem’envahissentbrusquement.LesmacaronssontassurémentdePierreHermé.Maiscequ’ilyadansmabouche,c’estautrechose:desPépito!OhmonDieu.Cen’estpasuncadeaudeStéphanieoudeParisse.– C’esttonfrère…susurré-je,souslechoc.Etmavoixesttellementbassequej’ignoresiellem’aentendue.– Gaspardt’aoffertdesmacaronsPierreHermé?Elleaussichuchote.Elleal’airperdue.Detouteévidence,c’estaussidéroutantpourellequepourmoi.– Est-cequ’ilssontempoisonnés?Je ne sais pas pourquoi j’ai lâché ça, mais c’est la première chose qui m’est venue en tête. Il ne

m’appréciepas,alorsquelleestlaraisondecettesoudaineattention?– Allô?Tueslà?– Quandpapasouhaitaitqu’onlepardonne,c’étaitdecettefaçon-làqu’ilprocédait.Desmacaronsde

chezPierreHerméoudessucreriesdontonraffolait.Ilyavaitaussicepetitballongonfléàl’héliumpourqueleconflits’envoleaveclui.Ellemarqueuntempsdepause.Etmoiaussi…Jesuistroublée,nonpasparlegeste,maisparl’intention

déconcertante qui se cache derrière.Que suis-je censée comprendre, bon sang ?Dansmon esprit, j’aiquelquesidées,maisellessontimmédiatementcontreditesparlesmauvaissouvenirsquej’aideGaspard.« Est-ce que ton frère est instable, Stéph ? » ai-je envie de lui demander. Peut-être que la réponsem’éclairciraitsursafaçonderéagirchaudementàunmoment,puisagressivementceluid’après.Mêmesije dois avouer qu’associées, ces deux facettes de sa personnalité pourraient donner quelque chosed’explosifaulit.

Dylan,unpeudesérieux.

– Enfin,laissetomber!s’empressederajoutermonamie.Ilestunpeudésorientéencemoment.C’estça

departirdeuxansàTataouine-les-Bains.Elle tente,à traversuneplaisanterie,demedévierdusujet.Cependant,des tasdequestions trottinent

dans ma tête à présent. Surtout, pourquoi Gaspard s’est-il évaporé dans la nature en laissant sa sœurseule?Je l’envieunpeud’êtreparvenuàs’échapperd’uneviedans laquelleonaparfois l’impressiond’êtreenfermé.Lamusiqueetlessoiréesentreamism’aidentlaplupartdutemps.Maischaqueindividuest

différentetcertainsressententlebesoindechangerd’environnement.– Onsetéléphoneunpeuplustard?Stéphaniemetiredemespensées.Jemarmonneuneréponsevagueet raccroche,unpeuaccabléepar

mesnombreusesinterrogations,maissurtoutparlesoudainintérêtdeGaspardàmonégard.Desmacaronstousseuls,ceseraitpasséinaperçu– enfinpresque.Maisl’évocationdenotrerencontreavecdesPépito?C’estcommes’ilapposaitsonsceausurcepetitsouvenirmémorableetqu’ilmedéclaraitenmêmetemps:«C’estànous.Cet instant-lànousappartient.»L’imaginermechuchotercela,d’unregardbrûlantetunsourire suggestif, rallume dans mon bas-ventre une petite étincelle frétillante. Je repense à ses lèvresparfaites. Je suis certainequ’elles seraient capablesdeme faire jouir trèsvite et très fort.Unechaleursubiteprovoqueunfrissondélicieuxdansmoncorpsetserépandentremescuisseséchauffées.Mesdoigtsde pieds réagissent eux aussi et je m’agite sur mon siège pour essayer de calmer la tension qui s’estemparée demoi. Super,maintenant je vais devoirmettre une canette bien fraîche dansma culotte. J’aivraimentdesidéestorduesdesfois…Ilfautquejeprennel’air.Jerécupèremoncontratetl’agitedansladirectiondeCélimène,luisignalant

quejeparsm’enoccuper.Lesourirerassuréqu’elleaffichemevexeunpeuetjem’éclipse.LebureaudeJérémysetrouveunétageplushautetjesaistoutdesuitequejesuisdansl’administratif.

Le calme surprendmes tympans et j’ai lamauvaise impression d’être en terrain ennemi. Il possède ledernierbureau,commeDavina,saufquelesienadesbaiesavecpersiennesouvertessurl’open-spacedesonétage.Jefrappesurlavitre.Illèvelesyeuxdesonordinateur.Sonvisages’illumineetilm’inviteàentrerd’ungestedelamain.– Salutlanouvelle!Bienvenue!Jemesenstoutdesuiteplusàl’aiseaveclui.Ilal’airbeaucoupplusdétenduquelespersonnesdemon

étage. Le domaine de l’événementiel paraît cool de l’extérieur, mais de l’intérieur, on ressent toute lapressionetlesexigencesdecemilieu.– Salut.Salut?Est-cequej’ailedroitdeluidire«salut»?– J’allaist’appeler,m’apprend-ilenselevantetsedirigeantversmoi.Ilme fait labise, cequimesurprend légèrement,puis samain seposedans lebasdemondoset il

m’invite àm’asseoir. Il prend le siège à côté demoi et s’empare d’un dossier parmi d’autres sur son

bureau.– Voicitoncontratavecteshoraires,tesavantagesettonsalaire.Jetelaisselajournéepourlelireettu

reviensversmoidemain,OK?Si tuasdesquestions,n’hésitepasàm’envoyerunmail,unSMSou tum’appelles!Monnuméroestlemêmequeletiensaufqueçafinitpar05-06.Facile.Pourquoiest-cequeDavinan’estpasaussicool?– Merci,réponds-jesincèrement.Ilritdevantmonsoulagement.Ilestlepremierquisembleaccepterquej’aiemaplacedanscetteboîte.– Onnet’apasréellementsouhaitélabienvenue,hein?JechassedemonespritlaboîtedemacaronsetdePépitoquireposesurmonbureau.– Non.Pasvraiment.Mêmeleréceptionnistecematinsemblaitmedire:«Bonnechanceetàtrèsbientôtpourvotredépart.»– Maisj’ail’habituded’êtreconsidéréecommelevilainpetitcanard,plaisanté-je.

Surtoutavecmamère,manqué-jed’ajouter.

Jérémymepressel’épauleetserelève.– Net’inquiètepas.Ilsattendentjustequetufassestespreuvespoursavoirsitupeuxêtredesleursou

pas.Tusais,MaréchalCommunity,c’estcommeunegrandefamille.Tuverras,çairamieux.Jehochelatêteetmelèvepourquittersonbureaulorsqu’ilm’arrête.– Siçatedit,j’aidespotesquiontréservéuncarréVIPauQueensamedisoir.Tudevraisveniravecdes

amis!Jetemontreraicequec’estquedefairelafêtelégalement!J’explosed’unrirejoyeuxquisemeurtetsemutesoudainementenunevagueélectriqueremontanttoutle

longdemonéchine.J’aiconsciencedesaprésencedanslebureauavantmêmedelevoir.Seigneur,c’estlemêmeeffetpuissantquimesaisitlorsquejemontesurscèneetqueletumultedupublicmetransportedans

unesorted’euphorieincroyable.

L’adrénaline…

– MonsieurMaréchal!Jérémydevienttoutd’uncoupsérieuxetsemetdeboutpouraccueillirl’undesdirecteursdel’entreprise

qui,sij’aibiencompriscequem’aracontéStéph,al’intentiondedevenirlebigboss.– J’attendsdepuiscematin lesdonnéeschiffréeset classéesde2012sur2013deseffectifs. J’aiune

assembléegénéraleceweek-endetjen’aitoujoursriensurmonbureau.Je ledétaillede la têteauxpiedsdanssoncostumenoiràquatrechiffres.Unemaindans lapocheet

l’autre sur lapoignéede laporte, il a toutduchefd’entreprise impartial et impatient,qui aimeque leschosessoientbienfaitesetsurtoutàsamanière.C’estunhommequisaitallierpouvoiretvolontéavecbrio.IlestunpeucommeDavina,maisenplussexy.Tellementplussexyqueçadevraitêtreinterdit.–  Je vous les ai envoyées juste après votre demande, rétorque Jérémy en tripotant nerveusement les

dossierssursatable.Etpourvouséviterledéplacement,j’aimisencopievotreassistante.– SiElizabethavaitreçuquoiquecesoit,ellemel’auraitsignalé.Je plisse les yeux et ne tarde pas à douter de la cause de sa présence. Il est 9 h 30 et Jérémy a ce

comportementrectiligneethonnêtedeceluiquinementpasàproposdesonboulot.Ilaenvoyécedossieretl’assistantedeGaspardleluiaprobablementrappeléavantdeluiamenerlesdossierspourqu’iln’yaitpasdemalentendu.Maiscettescènedemâledominanttranspireautrechose.Ilal’aird’êtrevenuexprèspourmettre les choses au clair. Il n’y aqu’àobserver la façonpossessivedont «MonsieurPépito» aredéfinil’espace.IldévisageJérémyetseplacephysiquemententreluietmoi.J’observeminutieusementsesdéplacements.Jesuisfascinéeparlafaçonqu’iladesemouvoiravecaisanceetdes’approprierleslieux.Jesuisquasimentsûrequ’ilestnéaveccettedémarche.Etilfautvraimentquejepenseàconsulter…– Quisait?pouffeJérémyd’unairtaquin.Votreassistanteestuneantiquité.Vousdevriezsûrementen

prendreuneunpeuplus…réceptive.C’estune réflexiondéplacéede lapartdudirecteurdes ressourceshumaines,maisplusdictéepar la

nervositéqueGaspardluiinspirequ’autrechose.Ilsedéfendcommelechienattaquéqu’ilest,commeilpeut.Lefilshéritierserrelamâchoire.Letissudesoncostumeépousesesmusclescrispésetmesdoigtsme

démangentàl’idéedeseglisserlelongdesoncorps,desentirlatempératuredesapeau.

– Oui, eh bien, tant que vous y êtes, vous pourriezme chercher un nouveau directeur des ressources

humaines?Unquiestluiaussiplus«réceptif».J’ailanetteimpressionquejesuiscoupable,alorsj’interviensavantqueçanesetransformeenunduel

d’hormonesetd’ego.– Jeretourneàmonbureau!MercibeaucoupJérémy.JesurprendslagrimacedeGaspardenquittantlapièce.Jecroisluiavoiréchappé,maisj’entendsses

pasderrièremoi.Lapuissancedesoncharismeesttellequ’elleaimantelesyeuxdescurieuxetlestournedans notre direction. Je marche la tête haute, comme s’il n’y avait personne derrière moi et appellel’ascenseur.Ilappuiesurleboutonpourappelerl’autreetj’ensuissoulagée.Siunbureauesttropconfinépournousdeux,jen’imaginemêmepascequeceseraitdansunepetiteboîteclose…Saufquebientôt,l’attentedevientelleaussitroplongueetjesenschacunedesesrespirationsmebrûler

lapeau.Jefrottemanuqued’unemainencoinçantmondossiercontremapoitrinede l’autreet frôle lapartieoùmonpoulsbatàunevitessefolle.Despicotementsdélicieuxchatouillentmonventreetremontentjusqu’àmeslèvres,mesjouesetcommencentàm’agiter.Cettedémonstrationdeforcequ’ilaproduitedanslebureaudeJérémyadéclenchéunmouvementenflamméenmoi.– Dylan…murmure-t-ild’unevoixdoucequiprendpossessiondemespartieslesplussensibles.Etc’enest trop. Je suffoque. Jem’enfuis rapidementetpassepar laportedesescaliers. J’ai àpeine

grimpélasecondemarchequ’ilrevientàlacharge.Samainserefermeautourdemonbraspourm’arrêter.Lamiennes’abatvivementsursonpoignetpourqu’ilmelâche.Jen’aimepasletressaillementprocuréparcecontact.Unbruitsourdvenantdufonddesagorgerésonnedanslacaged’escalieretdansmatête.Ilestterriblementsexy.Ilavanceversmoietmeforceàreculercontrelemur.Soncorpsimmense,sonparfumdélicieuxetsonregard…meparalysent.– Lesbiscuits…Ilst’ontplu?Sonsoufflechaudsurmabouchemeperturbe.Jefixebêtementseslèvres.Jen’aiqu’uneenvie:qu’il

m’embrasse.Jefroncelessourcilsetmemordslajoueenespérantdissimuleraumieuxmondésir.– Quelsbiscuits?

Il grogne à nouveau et changede position. Il se colle contremoi etma culotte ne supporte pas cetteproximité.Chaquemotqu’ilprononceentreencontactdirectavecmoncorps.Ilsm’effleurentetçamerendfolle.Sij’étaisencolèrecontreluiquelquesminutesplustôt,jenesouhaiteplusqu’unechosemaintenant:qu’ilmeprennesauvagement.– Jepariequetulesasdégustés.Quetuasraffolédeleurgoût.Maisquetunelesaspaspartagés.Ilpenchelatête,fixemeslèvresquis’entrouvrentetsesiriss’assombrissent.Jenesaispluss’ilparle

demoietdesbiscuitsoudeluietd’uncertainMonsieurdesRessourcesHumaines.– Noussommesidentiques,Dylan.Toutcedontnousavonsbesoinmaintenant,c’estdevolerletemps.

D’enuser,d’enjouiretd’enabuser.Usus, fructuset abusus : les mots sur la carte qui accompagnait les Pépito et les macarons. Quand

j’assimilelesensdechaquetournuredephrases,lesliensenmoiseresserrent.Jem’agitedanssesbras.Chacundemessoufflesm’excitedavantageensemêlantàceuxdeGaspard.J’empruntelecheminfamilierquiéveilletousmessensetm’emmèneversunesensationprochedel’orgasme.Jesuistrempée,moncorpsestprêtàendurertouteslestorturessensuellesqu’ilformuleàtraversdesmotssimples,anodinsetpourtantambigus.– Jepourraisporterplaintepourharcèlementsexuel,l’avertis-je.– Laisse-moitedonnerunebonneraisondelefairealors.Ses lèvres frôlent les miennes. Je retiens mon souffle lorsque je sens le sien et un gémissement

m’échappe.Mes muscles intimes se contractent. Je veux qu’il me prenne avec la même hargne qui lepossèdelorsqu’ilmevoitencompagniedeLudovicoudeJérémy…Unbruitétrangeau-dessusdenousm’obligeàouvrir lespaupières. Je redescendsbrutalementdema

brumevoluptueuse.– N’oubliez pas qui décide ici, Mademoiselle Savage, me gronde Gaspard. Ou vous finirez par le

regretter.Il tourne les talons et se retire en lançant un regard noir aux deux hommes immobiles dans la cage

d’escalier. La bouche ouverte, je cherche à comprendre ce qui s’est passé et réalise qu’il vient dem’humilierpubliquementpourcouvrirsesarrières.Bonsang,cethommeestunvraiglaçoncarbonique!Entreautres,unenfoirédepremière.Lesdeuxemployéspassentàmescôtésetlederniermetapotel’épauleavecunemouecompatissante.

– BienvenueàMaréchalCommunity!

10.AccalmieGASPARD

— Dylan…MeslèvresfrôlentcellesdeDylanavantdelesécraseretderéclamercequ’ellemerefusedepuisnotre

rencontre : un baiser dur et fougueux. Elle peine pourtant à retenir ses gémissements. Son corps frêles’appuie contre lemien, cherche le contact physique et au-delà encore. Sa chaleur se répand autour denous,semêleàlamienneetattisemondésir.J’observeleslignesdesonvisagefin,lapetitemouesexyqueformeseslèvres,lesmusclesgracieuxdesoncouetlesquelquescentimètresdepeauquesondécolletémelaisseentrevoir.

Putain,jelaveux!

Elle,sachair.Crûment,effrontément.J’aiaffreusementsoifdepuisdesjoursmaintenant.Maboucheest

asséchée par le désir de la lécher, de la mordre. Je ne suis pas certain qu’on puisse faire tout ça etembrasser enmême temps,mais bordel, je vais essayer. Parce que je ne crois pas qu’il y ait d’autresfaçonspossiblesdemarquercettefemme.Jeveuxlaisserdestracesdemonpassage,luiapprendrecequec’estqued’êtreentièrementcomblé,d’êtresexuellementsatisfaitaupointquen’importequicroisantsonregardpuissesaisirenunclaquementdedoigtqu’ellen’abesoinderiend’autre.Ellemériteplusquedesimplesbaisers.Soncorpsméritequ’onluifassevivreunérotismedefolie:quelquechosed’unique.Jesaisissagorged’unemain.Cettedernièreest tellement fineque jesenssonpoulsbattresousmon

emprise.Ilprendunrythmeplusintensequandnosregardssecroisent.Sesyeuxverts,incendiaires,nouentmon désir. Une espèce de danse langoureuse a lieu dans mon ventre. Ma queue palpite d’excitation,participeàl’échange.Jelaplaquedoucementcontrelemurdelacaged’escalieroùnouspourrionsnousfaire surprendre à n’importe quel moment par un des employés de Maréchal Community. Le nouveaudirecteurdesrelationsextérieuresetdelacommunicationaveclanouvellestagiaire.Cen’estpasconseillédu tout…Mais je n’en ai rien à faire.L’interditm’exalte.Le dangerm’électrise.Dylan vaut toutes lesinfractionsdumonde.Alorspourcesprochainesminutes, iln’yaura riend’autrequenous.Ni limitenifrontière,personnepournousdéranger,pasmêmeletempspournousêtresubtiliser.Nousdécidons.Nouspossédons chaque seconde de cet instant et de ceux qui suivront. C’est ce que signifieUsus, fructusetabusus:nousnousappartenons,corpsetâme,sansl’espace-tempspournousrappelerquenoussommesdes êtres humains avec des devoirs et des responsabilités. C’est la liberté à l’état pur, charnelle. Sedéposséderpourmieuxseposséder.– Dylan.Est-cequetusaiscequ’estlapertedecontrôle?Ellenerépondpas.Àlaplace,ellebaisselesyeuxsurmesdoigtsquidénouentlenœuddesonhaut.Sa

respirationprenddel’ampleur,sonsifflementrésonneautourdenous.Jemecolleàelle.Monérectionsepressecontresoncorps.Jeremontesesmainsau-dessusdesatêteetcollemaboucheàsonoreillepourluichuchoterlesmotssuivants:– Lorsque deux corps s’échangent et se confondent. Lorsque c’est si bon, que tu as des difficultés à

différencierlevéritabledel’imaginaire.Quandl’unoubliejusqu’àsapropreexistence,devientdépendantdel’autrequiluiprendsonâme,sonplaisir,pouraufinalluiredonnerplus…Tellementplus…Laisse-moit’offrirça.– Gaspard,soupire-t-elle.Mon prénom dans sa bouche estmon salut. Dépassé, poussé par tout ce quemon corps exprime en

présencedecettepépite,j’éclateetl’embrassesauvagement.Sesbrasserefermentautourdemoncou:unedemandemuettepourquejeprenneleschosesenmain.Nousn’entendonsplusquelefroissementdenosvêtementsétouffésparnosgestesbrusques,laceinturedemabraguettequisaute,sajupequiremontesurseshanches.Mesgestessontvifs,enfiévrésparmondésir.Dylangémitquandmesdoigtstrouventsachattebrûlanteetjegrognequandmesdoigtslacaresse,latestepourvoirsielleestprêteàmerecevoir.Ellefrémitcontremoilorsquejemassesonclitoris.Jelapressedavantagecontrelemurpourlasoutenir.Jeveuxl’amenerjusqu’auxportesdelavolupté.Jeveuxl’emporterjusqu’àladélivrance.Qu’elles’offreàmoi.Jesaisismaqueuegonfléeparledésirfoudepénétrersacaveàplaisirsetrentreenelle.Jenepense

pasàêtredoux,parcequec’estloindecedontelleabesoinàcetinstantetsoncricontremeslèvresenestla preuve. Elle n’est pas surprise par mes va-et-vient brusques. Ses parois chaudes et mouillées quim’agrippent lemembre commeunpoing exigent plus.Moncœurmartèledéjàdansmapoitrine, le sienpulse contremon torse, nous sommes tous les deux excités par cette passionqui nousdévore. J’ondulefurieusementcontreelle, envahiparun sentimentpuissant.Monbras se refermeautourde sa taille.Sescheveux en bataille contre lemur, ses joues rouges et ses lèvres ouvertes, le galbe de sa poitrine quisautille sousmes coupsde reins, c’est unevision incroyablequimedéchirede l’intérieur. Je serre lesdentspourmeretenirdejouiretenfouismonvisageentresesseins.Malanguegoûtesapeauveloutée.Mesdentsmordentlachairquejenepeuxpasattraperetellejouitentirantsurmescheveux.Jeredresselatêteet suis frappé par ce truc que je vois en elle. Son regard. Putain, ce regard.Celui que j’ai vu dans lacuisine.Celuiquej’aivulorsdesonconcert.Lefeudelapassion,qu’elleseuleestcapabled’exsuder.Sespupillesmefixentintensément,m’embrasent.Ellessontinondéesd’undésirsauvagequistimulele

point de pression enmoi. Je grogne et la pénètre à une vitesse incontrôlable. Son dos frotte lemur, leheurte,toutcommemaqueues’enfonceviolemmentdanssachatte.Lacollisiondenosébatsnousenflammeetnousdéchaînent.L’orgasmeestsiproche,sifort,qu’ilm’affaiblit.Sonvisageexprimeladouleurdesondésiretsemblememettreaudéfidelafairegrimperplushautencore.

Putain,unevraielionnequiabesoind’êtredomptée!

Jem’écrasecontreelleetellesecrispeautourdemoitoutenseretenantd’hurlersonplaisir.Mamain

couvre saboucheet je laprendsplusdurementcontrecemur, àun rythmeeffréné.Elle ferme lesyeuxquelquesinstants,brusquementinondéeparcequejeluiinflige.Ànouveauellemeregarde,lespupillesbrillantesetsonsoufflepèsesurmamain.Sessoupirsvibrentcontremapaume.Oui!Oh,qu’est-cequec’estbondel’entendregémir,delasentirjouir,d’êtretirailléparcettechatte

gourmande. Je sens le bout de mon pénis trembler en frôlant sa vulve. Chaque toucher me rend plussensible,m’emmèneencoreetencoreversdeszonesdélicieuses.– Viens,mabelle.Vienspourmoi.Ellehochevivementlatête.Soncouinementestétoufféparmamaindontlesdoigtss’enfoncentdanssa

peau. Jeposemon front contre le sien,m’enfonced’uncoup sec auplusprofondd’elle et elle explosebrutalement,déclenchantaupassagemonorgasmed’uneforcesurprenante.Çameprendauxcouillesetlasensationsepropageavecférocitédanstoutmoncorps,commesiunebombeéclataitenmoi.C’estexquis,c’estsauvage,c’estmajestueux:c’estnous.– Bonsamedisoir,MonsieurMaréchal!lancelepilotedujetprivédelasociétéenmetirantdemes

penséessauvages.J’ouvrelesyeux,clignedespaupièresetjetteuncoupd’œilcirculaireetunpeuperdusurl’intérieuren

cuirdel’avion.Lafrustrationmegagnependantuninstant,carcequej’aiimaginéétaitsiprocheduréelque c’en est déroutant. « Si bon, que tu as des difficultés à différencier le véritable de l’imaginaire »,commejeledisaisàlabellelionneindomptéedemonsonge.Jemereprendsàl’aided’uneinspirationprofonde,melèveetrassemblemesaffaires.– Merci.Encoredésoléd’avoirchamboulévotreemploidutemps.Qu’est-cequ’ildoits’enfoutre!Ilaétépayédoublepouratterrirunjourenavance,etcelaluipermettra

depasser leweek-endenfamille.Parcontre, jenesuispassûrque l’aller-retourdansune journéesoitautoriséavecunmêmepilote.Quoiqu’ilensoit,iltroptardàprésent.MabelleAstonMartinestgaréeàquelquesmètresdelà,etdevantellesetrouveunvieilami.AlexandreYangécartegrandlesbrasenmevoyantdébarquer.

– Viensdirebonjouràpapa,fiston!Sonsouriresedécomposeaussitôtetiltendlesindex,lespaupièrescloses.– Excusegars,c’étaitdéplacé.Je secoue la têteen souriant, attrape samainet leprendsdansmesbraspour lui tapoter ledos. J’ai

apprisàvivreaveclapeine,carj’aicomprisqu’elleétaitpartieintégrantedemoimaintenant.– Commentvas-tu?– J’allaisbienjusqu’àprésent.Maintenantjevaisdevoirpartagerlesgonzessesdelacapitaleavectoi.S’ilsavaitàquelpointilestensécuritédececôté-ci!Jeneveuxpaslesgonzessesdelacapitale,je

veuxDylanSavage.C’estàcaused’ellequejesuisrentréplustôtceweek-end.Ouplutôt,àcausedel’offre de Jérémy alors que je débarquais dans son bureau. Je ne nie pas que ma réaction étaitdisproportionnée– d’autantplusquej’avaisbeletbienreçulesdocuments laminutemêmeoùje lesavais demandés.Mais l’air macho que Jérémy arborait… Le rire deDylan en sa compagnie… Sonnaturelavec luialorsqu’elle est constamment sur ladéfensiveavecmoi.Çam’amisdansune ragemonstrueuse!J’aidûmerépéterunecentainedefoislemantrademonpère:«Ungentlemannecognejamais»pourempêchermespoingsdepartiràchaquefoisquececonouvraitlabouche.J’étaistenduensortantdecebureauetmeretrouverseuldanslesescaliersavecDylanalibérétoutemarage.Laproximitédecettelionneauneffetàlafoisrelaxantetexcitantsurmesnerfs.Impossiblededétermineràceniveausic’estacceptableoupas.– Alors,quoideneuf?mequestionnemonamiunefoisquejedémarre.Jerelâchelapédaledel’accélérateuretdébrayeàfondpourpasserlavitesse.AlexandreYangestundemesamisdesciencespolitiques.Monseulami.Ilagrandidansdesquartiers

oùonnecroitpasenlaréussitedelajeunesse.Ilétaitl’unedesexceptionsquiconfirmelarègle,avecdesparents stricts,mais toutaussiaimants. Ilapulvérisédenombreux résultatsauxconcoursdesécolesdecommerceavantdefinalementrejoindrel’unedesplusgrandessociétésdemédiasdeFrance:Publimédia,leconcurrentprincipaldeMC.Ilmeconnaîttrèsbien– voiretropbien.– Jereprendslasociétédemonpère,annoncé-jeposément.– Oui…merépond-il,suspicieux.Ilsedoutequejem’apprêteàluidemanderquelquechose.

– Jesuisentraindemontermapropreéquipe.Jenepeuxpastravailleraveclesemployésquiontété

recrutéssousle«règne»demononcle.Ilsluiserontfidèlescoûtequecoûteetcertainssontprêtsàmecouleraumoindrechavirement.J’aibesoindebienm’entourer.J’aibesoindetoi,avoué-je.Jeremontel’embrayageetreprendsl’accélération.L’aiguilledépasseles120km/hàprésent.Alexest

habituéàmonobsessionpourlavitesseets’ilenapeur,ill’atoujourstrèsbiencaché.– Vousavezlameilleuredirectricefinancièred’Europe,ritnerveusementAlex.ClaudiaSchumann.La

gonzessedonttuveuxquejeprennelaplaceestmonidole,Maréchal.Non.– Lafemmedontjeveuxquetuprenneslaplaceestl’armesecrètedemononcle.Tusaiscommemoi

touteslesmagouillesquisecachentderrièrelafinanced’uneentreprise.Toutceàquoijepeuxavoiraccèspourfaireplongermononcle,c’estellequilepossède.Etiln’yaquetoiquipuissesledéchiffrer.Quetoienquijepuisseavoirconfiance.Deplus,Publimédiaestentraindecouler.– Commentl’as-tuappris?Unlégersourireeffleuremonvisage.– TutesouviensdecequeMonsieurVauliotdisait?Ilsouritàsontourenrépétantmotpourmotleleitmotivdenotreancienmaîtredeconférencespréféré:– «L’avenirestécritentrelescourbesdelabourse!»– Publimédiaamodifiésonpositionnementstratégique.Ilsontrefusédenombreuxcontratscapitauxsur

lemarché.MCasautésurl’occasionetlesadoublés.Àmondernierargument,ilinspireprofondément,nesachantquoirajouter.–  Je te laisse décider de ton salaire, de tes primes, de tes horaires. Tu veux travailler chez toi ?À

Miami?Entouréd’ordinateurs?Detop-modèles?C’esttoiquiaslamainsurtonboulot.Toutcequejesouhaite,c’estqueturepèreslesmauvaisesmanœuvresdeClaudiaSchumannetqu’onfassetomberPaul-Antoine.Tupourrastravaillerdanslesecretsituaspeurdesreprésailles.Ilme regarde alors que jem’arrête au feu rouge. Il sait que je ne lâcherai pas l’affaire jusqu’à son

approbation.– C’esttoutbénef,Alex.Aufinal,tuaurasnonseulementuneplaceenorchezMaréchalCommunity,mais

enplus,ceseratoilanouvelleidoledesdirecteursfinanciers.

Ilpartdansunriregraveetjesouris,carjesaisquejel’aiconvaincu.– ToialorstuneveuxpasdirigerMaréchalCommunitypourrien!T’asunsenstordudesaffaires!– Marchéconclu?Ilpasseunemaindanssescheveuxetsecouelatête,sidéréd’êtretentéaussifacilementparmonoffre.– JepensequeçamériteunebonnebouteilledetacaveàvindeFlorenza!Jenel’informepasquej’ail’intentiondequittercettemaisonhantéeparmessouvenirs.– Quedirais-tud’allersepartagerlamoitiédesgonzessesdelacapitale?– Unetournéedesbars?medemande-t-ilenretrouvantsonairtaquindenosannéesd’études.– Mieux.

***NousarrivonsauQueenà23h50.Laqueueestdéjàénorme:desfemmessurstilettosquisautillent

pour se réchauffer du froid, et des hommes qui bavent en pensant à toutes les autres femmes déjàprésentesàl’intérieur.Legérant,unhommetiréparlachirurgieesthétique,discutegaiementàl’entréeauprèsdesesvideursaussiimpressionnantsquedescatcheursprofessionnels.– Gaspard!Quelplaisirdetevoirmonami!J’essaiedemettreunnomsurlevisagedecethommeetunlieusurnotrerencontre,maisjesuisemporté

parunAlexandreenchaleur.NousdescendonslesescaliersautapisrougeetempruntonsensuiteunepetitepasserellequinousconduitdirectementaucarréVIP.Lamusiqueestassourdissante;ellemechangedetouscesdînersdeprestigeavecorchestreauxquelsj’aipuassister.Ilfautplusieursminutesàmesoreillespours’adapter.Leslieuxsontpleins,etquandnousprenonsplace,unmagnumd’unchampagnehorsdeprixnousattendalorsquenousn’avonsriencommandé.Les néons et les projecteurs s’emmêlent dans l’obscurité.Un écran électronique présente la soirée à

plusieursreprises.Alexandreestauxangesetilm’abandonnetrèsvitepourallerflirteravecunebandedefillesàquelquesmètresdenotretable.– LefrèredenotreStéphou!s’écrieunevoixfamilière.

LeCharliedesesdamesfaitsonapparitiondevantmoi,sescheveuxchangeantdecouleuraurythmedes

spots. Il se tient prèsd’unedes tablesVIP sur laquelle sont poséesdes coupesde champagnevides. Ilavanceversmoietmetapotel’épauledefaçonamicale.– Net’inquiètepas,jen’aipasbu!mecrie-t-ilàl’oreillepourêtreentendupar-dessuslamusique.Etje

gardeunœilfarouchesurtasœur!Ilmelamontredudoigt.FafaestprèsdubaravecleurcopineMaya,cellequim’asautédessus.Les

deuxfillesdansentsurlamusiqueenobservantleshowdubarmanavecdesbouteillesetdesflammes.Je cherche Dylan des yeux, mais il y a foule. Charlie m’invite à rejoindre sa table. Il me parle de

musique, et me tient au courant des dernières tendances parisiennes.Au bout d’une demi-heure en sacompagnie,jesuisquelquepeuàlapagesurlesDJqu’onaentendustoutl’été;jesaisàprésentquerienqu’enregardantParisse,jepeuxêtreaucourantdelaprochainemode,etqueMayaestcélibatairedepuishier.Jemanquedem’étouffersurcedernierpoint.–  Je ne pense pas queLéandre a vraiment rompu avec elle,m’apprend-il. Ils sont juste extrêmement

timidestouslesdeuxetilsn’osentpasdiscuterouvertementquandilsontdessoucis…J’observeMayaquicommencedéjààdivagueràcausedel’alcool.JesurveilleStéphanieducoinde

l’œiletmerassureenvoyantqu’ellenesemblepasenabuser.Ellepréfèredeloinlamusique.Etpuisellen’a pas besoin de ça pour être surexcitée. Je remarque alors Parisse qui descend les escaliers encompagnied’ungroupeappartenantindéniablementàlajeunessedoréeparisienne.Leursmontresetleursvêtementsdeluxescintillentàchacundeleurgeste.Masœuretmoiaurionspufairepartiedecepelotonsielle ne les avait pas détestés et que je n’avais pas eu une éducation très stricte. Pour autant, en lesobservant,jeneressensaucunejalousie,aucunregret.Encoremoinslorsquej’aperçoisJérémydanslelot:rienqu’unebandequiadoreclaquerdesmilliersensoiréepourimpressionnerlesfilles.Dugroupe,sedétacheensuitelevisagedeDylan.Elleporteunerobemoulanteàlajupeévaséed’un

rougequifaitressortirsonteintdepêche,desstilletosquiallongentsoncorpsetsesjambesmerendentdingue.Elleesthallucinantedanscettetenue.Unphénixflamboyant.LegrouperejointlecarréVIPetseposenonloindenous.Il y a tellement de personnes qui font obstacle que Dylan ne peut pas me voir.Mais moi, je la

distingue.Elletientunverred’alcoolfortdanssamainauxlongsdoigtsfins.Ellel’avaleculsecetunautreverrearrivedanslafoulée.Ellepenchelatêteenarrièrepourterminersonverreetéclatederire aux mots de Jérémy glissés dans son oreille. Le barrage entre nous s’ouvre légèrement etj’aperçoisalorssamaindans lecreuxdesesreinset sesyeuxqui ladévorent.Commesi…elle luiappartenait.Jevoisrougeinstantanémentetmespoingssecrispent.

Passez-moiunepairedeciseaux,j’aidesorbitesetdesdoigtsàdécouper.

Montorsesebombeautomatiquementettoutenavançantverseux,jechercheuneexcuseàmaprésence.

Quelque chose qu’un directeur d’une multinationale pourrait bien faire dans la boîte de nuit où sessubordonnésdirectssetrouvent.Autreque:«Traqueinnocemmentunejoliejeunefilledanslebutqu’ellelerepère.»Lesgenssontagglutinéslesunscontrelesautres,parconséquent,Jérémyneremarquepasmaprésence.

Mais Dylan sait que je suis près d’elle, je le sens.Ma bouche se rapproche de son oreille et de sespiercings.Jerespiresonodeurboiséequimedonneenviedelalécher.Jemedemandesiellealapeauaussi savoureuse.Elle sursaute sansmême lever lesyeuxversmoi,puis frémitàmoncontact,quand jeglissemesmainsautourdesataille.– Tunedevraispasboireautant.Pendantuninstant,jepenseavoireuraisondel’alcool.Maisellerepoussevivementmesmainsdeson

corpsetreculed’unpaschancelant.Charliemevientenaide,defaçonplusbrutaleceladit:– Merdeàlafin,arrêtedetetorcherautant!Ellesetourneversluiavecunemouedédaigneuse.Ilfaudraitêtreaveuglepourconstaterqu’elleplonge

petitàpetitdanslabrumedel’ivresse.Sesyeuxbrillentetsesjouessontroses.Saposturesetransformepourpasserd’unairdécontractéàclairementfurax.Ellemedétailledehauten

bas.Leregardfélin,brutetmortellementsexy.Ellemecontemplelonguementavantderépondreàsonamid’unevoixlenteetcomplètementdéchirée:– Jefaiscequejeveux,Charlie.Elle avale le reste de sa boisson sansme quitter des yeux, nousmettant au défi de s’opposer à Sa

Majesté.– Gaspard,monpote!s’exclameunJérémy,aussiivrequeDylan.Ilmeclaqueledosethurle:quelle

surprisedetevoirici!Alorslui,s’ilneprésentepassesexcusesdèslundiàlapremièreheurepourm’avoirtutoyéetprispour

«sonpote»,jelevire.

Ungentlemannecognejamais.Ungentlemannecognejamais…

– Jérémy,grommelé-je.Jecroisqueleregardquejeluilancesuffitàcequ’ilcomprennelefonddemapensée.Ildéglutit,se

détachedenotregroupeetrejointsesamis.– Dylan, qu’est-ce que tu fous ? continueCharlie.Tu annules toutes nos répétitions, tu nous fous des

plans,turépondsplusànosappels…– J’aipasàmejustifierauprèsdetoiCharlie!T’espasmonpère!– Merde,laisse-latranquille!intervientParisse.– C’estpasàtoiquejeparlePatricia,clarifieCharlieavantdes’orienterànouveauversDylan.Alorscommeça,ParisseestundiminutifdePatricia?– Toutcequejetedemandec’estd’êtreunpeuplusresponsable,autantauniveaugénéralqu’auniveau

dugroupe!– Responsable?cracheDylan, emportéepar l’alcool.Quiest-cequi s’occupedenousorganiserdes

concerts?reprend-elle.Quiest-cequinoustrouvedesenregistrementsenstudiopro?Quiest-cequijouedescoudespourglissernosdémosàdesradiospirates?Charliepousseunprofondsoupir.– Tusaistrèsbienquecen’estpascequejeveuxdire.Onestungroupejeterappelle,c’esttoietmoi

quiavonsforméNoLimits.Jecherchesimplementàsavoircequ’ilsepasse.Jesaisquequelquechosenetournepasrond.Jeme rends soudain compte du lien fort qui soude ces deux-là.Malgré le nombre d’années, il n’y a

aucuneattirancephysiqueentreeux.Charlieveillesurellecommesurunepetitesœur.L’inquiétudequ’iléprouvepourelles’entenddanssavoix.– J’aidecompteàrendreàpersonneCharlie!Pasàtoi!Pasàmamère!Niàpersonned’autre!Ellevideunecoupedechampagned’unetraite,puissourit.Sonélocutionauralentin’estpasbonsigne.

Elleaingurgitébeaucouptropd’alcoolpourcepetitcorps.– Maintenant,situveuxbienm’excuser,jevaisprofiterdemasoirée!

Elleprend lamaindeParisseetdescend lesescalierspour rejoindre lapistededanseendehorsdu

carréVIP.Lesdeuxfillessemélangentàlafouleetsemettentàdanser.Charliesecouelatêteetmesignifiequ’il abandonne. Je regardeJérémyqui sebourre lagueuleenenlaçantdeuxminettes trèsdéshabillées.Stéphanieetlasangsuesonttoujoursaubaràcontemplerlebarman.Alexandreestoccupé,unefillesursesgenoux.Rebutépartoutecetteexcitationautourdemoi,jem’enretourneàlaseulechosecapabledem’apaiser.D’uneoreille,j’écoutelesparolesquicollentparfaitementàl’instant.Jesuisuneflamme,jemanqued’intensité.Jesuisdansl’obscuritéenquêtedelumière1

…Dylanbougedoucement,sedétachedelafouleparsesmouvementslascifsetsescheveuxblonds.Ses

mains remontent le long de son corps dans une caresse trop intime pour être montrée au monde. Ellesoulèvesacrinièredelionneetbalancesesfessessurlagauche,surladroite.Lespaupièresfermées,lementonlevéversleciel,elleacettefaçondesemouvoiretdecommunieraveclamusiquequidonneenviedesecollerpourpartagersonextase.J’aimelavoirdanserautantquej’aimel’entendrechanter.Etquandnousnoustouchons,tumeravives.Jesenscechangementenmoicesoir.Mon regard remonte en douceur pour imprimer chaquemillimètre de son corps exquis.Nos pupilles

finissentpar se rencontrer et quelquechosed’indescriptible seproduit alors : je suisprisd’un frisson,d’uneeuphorie,commecellequej’airessentiequandellejouait l’autresoir.Puissoudain,uneprofondesérénité.

L’accalmie.

Lasensationmedévasteaussibienàl’intérieurqu’àl’extérieur.Cettefemmeestunsoleil,elleirradie

de sensualité, chaque rayonayantuneffet revigorant sur l’âmebriséequi reposeenmoi.Elle réduit encendreslesmauvaisespritsplanantau-dessusdematête,parsonénergie,sondésirdeliberté,l’intensitédesoncharmesinaturel.Ellemerendvivant.Usus,fructusetabusus,danstouslessensduterme.

Je ne sais pas quel pouvoir elle a, mais elle m’envoûte sans même ouvrir la bouche. Il me faut laposséder.C’estau-delàdemavolonté:c’estunenécessité.Etc’estcequim’effraie.C’estunbesoinquejenepeuxpascontrôler.NouspouvonsmourirdedésirOunouspouvonsbrûlerd’amourcesoir.Sansm’en rendre compte, jeme suis accoudé à la cloison de lamezzanine. Ellem’évalue, jugema

positionetrendànouveauunverrevideàunserveur.Puis,ellesetournepourgrimpersuruneestrade.Parisses’estemparéedecelled’enface.Lesdeuxamiessesourientetselaissentallersurunemusiqueélectro-pop. Elles se déhanchent, s’envoient des répliques sexy, attirent les regards envieux de tout lemonde. LeDJ chauffe tout ça aumicro. La tensionmonte et un attroupement se forme autour des deuxplateformes. La plupart des admirateurs sont des hommes. Je fulmine. La jupe deDylan virevolte, seslèvress’entrouvrentetexpirentlapromesselaplusérotiquequ’onm’aitfaite.Sespaupièressontlourdes,presque fermées, mais restent ouvertes juste pour moi. J’inspire profondément, fébrilement avant deremarquerquejesuisentraind’avoiruneérectiondelaplushauteimportance.Uneérectionquimeditdetoutclaquer,toutdesuite,pouruneseulecause:DylanSavage.Jen’aiqu’uneenvie,c’estdelaprendre.Maintenant.Jecommenceraiparlaplaquercontrelemur,je

joueraidemeslèvressursapeausansl’embrasser,rienquepourfairemonterledésiretlafrustrationenelle.Pourqu’ellesacheexactementcequeçaprovoqueenmoidenepaspouvoirlatoucher.Mesmainsfrôleraientsescuisseschaudesetpalpitantes,mespoucesexerçantsdelégèrespressionssurl’intérieurdesesjambes,làoùjenedoutepasquesapeausoitaussidoucequeduvelours.Jeprendraitoutmontemps,m’abreuveraide sa respirationhaletante et chargéededésir.Respirationqui s’arrêteranet lorsquemesdoigts atteindront leur but. Alors ils se glisseront sous sa culotte en dentelle et là… Je prendrai latempératurede soncorps,de sonenviedemoi. Jeprendrai le tempsde lacaresser,de la tester,de luiarracherquelquesgémissementsdesurprise.Puisjeplaqueraisespoignetsau-dessusdesatêteetmamains’agitera de plus en plus rapidement, faisantmonter la pression dans son ventre, encore et encore. Sapoitrinesetendraversmoi,sabouches’ouvrira,sesyeuxs’emboîterontdanslesmiens.Jelaferaijouirdeplusenplusfortjusqu’àépuisement.Jeluidonneraicequ’elleveut,lecontrôleetlaliberté:l’orgasmelepluscalculéetleplusexplosifqu’elleaitconnu.Etjecroisqu’unefoiscommencé,jenecesseraijamaisdelafairemienne.Ellemesupplierad’arrêterlorsquesesjambesnesupporterontplusleplaisir.C’estàcemomentqueje

lasurprendraiquandjereviendraienellepournousoffriràtouslesdeuxcequenousdésironsdepuislepremierinstant:unefusiondouloureusementexquise.J’enaimarredemecacheretdemetaire. Il fautqu’elleconnaisse l’étenduedemondésirpourelle.

Après tout, nous allons travailler ensemble àMaréchalCommunity et si je ne veuxpas passer pour ungrandmaladeàladévorerduregard,puisàl’engueuler,elledoitsavoir.Savoirque…

Qu’est-cequecemecestentraindefaire,là?

JereprendsmesespritsettrouveDylansurl’estradeentouréededeuxgarçons.Elleestpriseentreles

deuxquisefrottentcontreelled’unefaçonsisalacequej’enailanausée.Elleesttellementdanslesvapesà cause de l’alcool qu’elle en rigole. Elle ne devine pas qu’ils sont en train de se lancer des regardscomplicesquinecachentriendeleurintentioncommune.JequittemoncarréVIP,ignoreleseffleurementsfaussementinnocentsetmeprécipiteverselle.C’est

plusfortquemoi.J’arrivejusteaumomentoùl’undesmecsplaquesamainbrunedepoilssursesfesses.Ungentlemannecogne jamais,moncul.Monpoingpart tout seulet legarsqui l’a touchée se retrouvepropulséenpleindansletroupeaudedanseurs.Lesgenss’écartentenpoussantdescrisdesurpriseetsoncorpss’écrasebrutalementausol.Jepeuxentendresondoscognermalgrélamusiquetonitruante.Bordel,j’aifrappéplusfortquevoulu.Inquiétéparl’impulsivitédemongeste, j’observemesmains,déforméespardegrossesveinesenflées.

Uncoupnesuffitjamais.

Lecœurquimartèle, lapeaudurcitpar l’irritabilité,gonfléàbloc, je tentedenepascéderàmes

pulsions.Jesuisunebouledenerfs,impossibleàdélier,prêtàtambourinerdemesphalangescontrelagueule de cette enflure.Un bras solidem’entoure le torse pourm’empêcher de terminer ce que j’aicommencé. Le rire d’Alexandre retentit dans mon oreille : il s’éclate d’avoir retrouvé l’« ancienGaspard»,alorsqueCharlies’interposephysiquemententrelegarsausoletmoi.Jelèvelesyeuxsurledeuxièmecon.Ilquitteimmédiatementsonpostepournepassubirlemêmesort.Stupéfaite,Dylanm’observede sesgrandsyeuxverts et je sensune séréniténon feintedétendremes

muscles.Latensiondansmesépauless’évaporeetlesremordsprennentlaplace.Elleaassistéàtoutelascène…C’estsafauteaussi!Pourquoia-t-elleautantbu?Cesenfoirésnel’auraientjamaisapprochéesielle

avaitétésobre, j’ensuispersuadé.Ellenelesaurait jamais laissés.Non, là,ellemeprovoque.CommeavecJérémy.JechasseAlex,attrapelademoisellesouslesgenouxetlabalancesurmonépaule.Ellememethorsdemoicettefoutuelionne!Jetiresursarobepourcouvriraumaximumsesjambes.Elleglousseetnerésistepas.Unepremière!Jetourneledosetempruntelesescaliersdelasortie.C’estseulementquandnousarrivonsàl’étageque

sajaugedebonnehumeurprenduncoup.– Oùest-cequevousm’emmenez?MonsieurMaréchal!Jemontelesderniersescaliersetmedirigeversl’extérieur.Ellesedébat.Jereçoisdescoupsdepoings

danslebasdudosetdescoupsdegenouxenpleindansleventre.Jecontracteaumaximumpournepasavoirmaletsorsunbilletquejeglisseauvideurensortant.–  Si elle m’échappe, ne la laissez pas rentrer. Elle est mineure et elle a consommé beaucoup trop

d’alcool,ajouté-je.– Jenesuispasmineure!s’indigneDylan.Ildissimulelebilletdanssapocheethochelatête.Jem’éloignelepluspossibledelaboîte.L’avenue

desChamps-Élyséesestencoreblindéedemondeetsurtoutdetouristes.Ilyatellementdelumièresqu’onenoublieraitqu’ilestuneheuredumatin.– MonsieurMaréchal,jevaisvomir,seplaint-elle.Parcequejesaisquec’esttrèsprobable,jeladéposeausol.Elleregarderapidementdansmondosetje

comprendsenunriendetempssonplan.Avantmêmequ’ellenes’élance,j’attrapesonpoignetetlaclouesurplace.– Lâchez-moi!marmonne-t-elleentresesdents.Lesgensnousregardent,nousévitent,laissentprèsd’unmètred’écartentreeuxetnous.J’imagineque

deleurpointdevue,noussommesdeuxjeunes,dégageantuneforteodeurdecigaretteetd’alcool,habilléstrèslégeretpasgênésdefaireunescèneenpleinmilieudelarue.Ellemedonneuncoupdepoingdansleventre,tentedem’écraserlepiedavecsestalons,seretourne,se

détourne,sedéfendavecsoncoude,etfinitparabandonner,àboutdesouffle.Jesais– jesens– qu’elleestencolère,qu’ellesedéfoulesurmoi.Mêmesijen’ignorepasquejelemériteenpartie,jesuiscertainquelamajoritéest tournéeverscequi l’amèneàboireetàs’éloignerde tousceuxqui luisontprochescesdernierstemps.– C’estbon,tuasfini?demandé-je.Sesyeuxsontbientropluisants.Elleestsousleseffetsdel’alcooletadumalàtenirdroite.Jelatiens

parlebrasquandjesensqu’elletombeetellemefrappeavecsonpoing.– Arrêtez!Maislâchez-moi!Ellecriecontreelle-même,s’envoulantd’êtretropbourréepoursedéfendre.Jem’empêchedepenserà

cequiauraitpuarriversielleavaitquittéleslieuxseule.

– Tuescomplètementfaite,luidis-je.Elleessayed’arrachersonbrasàmaprise,envain.Elles’aidedesonautremainpourmerepousser.Si

jelalâchais,elletomberaitpitoyablementsurlebéton.– C’estvousquiêtesfait!gronde-t-elleenm’accusantavecsonindex.Elleparlelentementetsepinceleslèvres.C’esttrèsexcitant.–  Vous êtes fait de déraison et de déséquilibre ! Vous êtes lunatique, calculateur et manipulateur,

MonsieurMaréchal!Vousvousprenezpourleroidumondealorsqu’enréalité…Enréalité…Ellecherchelemotquiconviendraitlemieux.Sabouches’ouvreengrandpourarticuler.Sijen’étais

pas encore fâché par sa façon de se trémousser entre ses deux garçons après m’avoir chauffé, je luibalanceraisàquelpointelleestadorablequandelleestéméchée.– Enréalité…?répété-jeavecunsourcilarqué.– Enréalité,vousêtesleroidescons!Autourdemonsecondsourcildeserelever.Elleréussitàdégagersonbrasetjel’attrapedejustesse

avantqu’ellenetrébuche.– Vousm’adorezquand jemangevosPépitodansvotrecuisinedebourge !Et le lendemainvousme

détestezàmonentretiend’embauche!Puisvousm’adorezlorsqu’ilfautmesortirdesgriffesdelajustice!Etrebelote,vousmedétestezparcequejediscuteavecJérémy!Putain,lâchez-moi!Elletiresursesbraspourquejelalibère.Elleparvientàlesrécupérer,maiselleperdl’équilibresous

l’élanetcogneunefemmequimarcheprécipitamment.– Maismerde,regardezoùvousmettezlespieds!s’énervecettedernière.Dylan lève un doigt d’honneur dans sa direction. Je m’empresse de le rabaisser et mes manières

provoquentunéclatde rire franc.Etc’estmoi le lunatique? Je la tireà l’écart, etune foisà l’abridudangerquereprésententlespiétons,jeretiremavesteetladrapesursesépaules.Nousprenonsplacesurunbancetj’essayedejaugersonétat.– Pourquoivousêtessi…bizarre?

Elle lève son visage versmoi, attendant une réponse. L’alcool ajoute à l’intensité de son regard. Je

répondsleplussincèrementenrepoussantsescheveuxderrièresonoreille:

– Uncoupnesuffitjamais.

Elle fronce les sourcils. Je veux l’embrasser sur le front pour que disparaissent les plis de ses

interrogations.– Qu’est-cequeçasignifie?– Quej’aienfintrouvécequisuffisait!Etjerefusedelaisserpassermachance.Ellesefigeunlongmoment.Sesprunellesplantéesdanslesmienness’efforcentdetrouverlafaille.Il

n’yenaaucune.Ellem’obligeàêtresincèreavecellecommeellel’estavecmoi.– Oh,merde!Sonvisagesechiffonne,elledécalesesjambesetsetordendeuxpourvomir.Jeluiattrapesescheveux

justeàtemps,maismeschaussuresn’ontpasautantdechance.

[←1]

TraductionfrançaisedeFirestonedeKygo[NdA]

11.Contrôleetliberté

DYLAN

—Jecroisquej’ailagastro,marmonné-je.

Ilesttard—oubientôt?—etjesuisassisesurunvieuxbancenbois,àunmètredemonœuvrequigîtsurlesol.StéphanienousarejointsetlesvoixdesdeuxMaréchalsemêlentau-dessusdematête.Mafacultéàcomprendre leuréchangeest cependantaltéréeparmonmal-être. J’aibeaumeconcentrer, jen’entendsquedessons.Leprogrammedelasoiréeétaitpourtantsimple:fairelafêteavecmoncollègueJérémy,dansersurdestubesdeDJmerdiques,boirejusqu’àcequej’oublielegestedebase,etrentreraupetitmatin,soitaprèslescrisesnocturnesdeTérésaSavageencollaborationavecSmirnoff.

—Vousêtessesamis.Vousnedevriezpaslalaisserboireainsi,entends-jeGaspardexpliquer.

Laténacitédanssavoixfrappecommelecoupdepoingqu’iladonnéaumectoutàl’heure:brutaletsansappel. J’aibiencruqu’ilallait tuer lemec. Ilyavait tantde ragederrièrecegesteque j’ensuisrestéebouchebée.C’étaitvraimentbizarrecommesituation.JeneconnaispastrèsbienGaspard,maisjamais je n’aurais imaginé qu’un homme élevé dans des pensionnats de luxe et tout le tralala puisseexploser de cettemanière.De toute évidence, il n’y a aucune règle qui empêche un garçon de bonnefamilled’êtreun«badboy».

Gaspard ou l’énigmatiquemétéorite qui a atterri dansma vie du jour au lendemain et qui vient dem’annoncerqu’il«avait trouvécequi luisuffisait»,qu’il«ne laisserapaspassersachance».Si jen’étaispasaussimal,j’analyseraiscettedéclarationquisonnepluscommeunepromessequ’autrechose.Jenesaispassijedoisleprendreausérieux,oumêmesijedésireleprendreausérieux.

Jetiensmonvisageentremesmainspourimmobilisermatêtequitourne.Lestoursdemanège,c’estréservéauxfêtesforaines,pasauxcerveaux!Monventresecontracteenréponseàlafaimquitenaillemonestomac.Ungazdésagréableremontedansmonestomacetjetiensmonventrepourleréprimanderetl’empêcherden’enfairequ’àsatête.Maisilnem’écoutepasetànouveau,jemepenchepourrepeindrelebétondesChamps-Élysées.Deuxièmecouche…

—Putain!

Des doigts un peumaladroits s’occupent deme relever les cheveux, tirant sur quelquesmèches aupassage.Jesaisqu’ils’agitdeGaspardquandleparfumsingulierdesoncorpsenvahitmonespace,audétrimentdeceluiacideenvahissantmaboucheetmonnez.

—Ehbien,lavilledeParisvadéfinitivementtedétester!s’exclameStéph.—Jesuismalade…

C’estévident,non?Jesuispliéeendeuxetjerecrachetousmesrepasdelajournée.Riend’illégalàcequejesache.

—Tun’aspasdegastro,Dylan,semoquegentimentStéphenmepressantlacuisse.Tuasjusteunpeutropbu.

Jeredresselementonversmameilleureamieetentrevoisdanscesyeuxlajeunefilleperdued’ilyadeuxans.Latristessedanssonregard,lasolitudedanssesgestesetladouleurdanssavoixm’étaientsifamilières que j’ai immédiatement su qu’elle ferait partie demon histoire. En revanche, ce que je nesavaispas,c’estqu’elleamèneraitGasparddansundeschapitres.Resteàsavoirmaintenants’ilestaussiunpersonnageimportantduroman.

Bonouméchant,jel’ignorepourl’instant.

—Tuasditquetuseraisàl’étrangerpourleweek-end,réussis-jeàinterrogerGaspard.Onestsamedisoir.

Simespenséessontendésordre,jenepeuxm’ôtercettequestiondelatête.Jerelèvelatêteverslui,mesentantbeaucoupmieuxqu’ilyaquelquesminutes.Magorgen’estplusencombréeetmespoumonsacceptentl’airfraisquejerespire.

—J’aiannulémesrendez-vous.

Lesépaulesdroitesetlesmainsaufonddespoches,iln’apasl’aird’humeuràdévelopper.

—Ah.—Oui.Ah.

Lecoindesaboucheserelèveetadoucitsonvisagecommepourrattraperladuretédesaréponse.Oh,Seigneur, ce sourire malicieux n’apparaît pas souvent, mais à lui seul, il pourrait suggérer bien deschoses.C’estceluiqu’il arboraitdans sacuisine. Il auncharme fouet leplusagaçant, c’estqu’il estpleinementconscientdesonautoritésurlesautres.

Jem’autorise à l’observer depuismon banc et cela provoque soudainement enmoi des envies peuavouables.L’alcoolaidant,jesuisprised’unfrissond’appréhensionenimaginantêtresoussonemprise.Les manches retroussées de sa chemise révèlent ses bras robustes dont les lignes musculaires sedistinguentparfaitementet jerêvede lesvoirsenouerautourdemataille, jouerde leurpuissancesur

moncorpsetnepasmerelâcher.MonDieu,commej’aifaimdelui.Maischaquechoseensontemps.Jedoisd’abordcombleruncreuxplusurgent.

Jemelèvedoucementenm’aidantdelamainqueStéphaniemetendetfrottemonvisage.Latêtemetournedenouveau,jedétesteça.Jerepèremonobjectifetmedirigeverslui.

J’esquisseunpas,puisunautreavantdemetordrelacheville…Stéphmerattrapeparlebras,etuncourantélectriquemefoudroielorsquelesmainsdeGaspardmesécurisent.L’uneenbasdemondosetl’autreàplatsurmonbas-ventre.Jetournelatêteversluietletempss’arrête.Àenjugerparlamanièrelubrique qu’il a dem’observer, ce contact le chamboule tout autant quemoi. Cette chose qui crépiteinlassablemententrenousprenddel’amplitudeàchaquefoisquenousnousapprochonsl’undel’autre.Etlorsquenousnoustouchons…Jenepourraiplusmepasserdesesmainssurmoncorps.

—Ilfautqu’ellemarcheunpeu,proposemonamie,cequibriselamagiedecetinstant.

Je reprendsmon souffle. Il faut vraiment que jeme ressaisisse, et vite. Je ne peux pas laisser cethommemefaireperdremesmoyens,peuimportel’effetdélicieuxqu’ilasurmoi.

LesdoigtschaudsdeGaspardmequittentetsesyeuxseposentsursasœur.Ilhochelatêteetnouslaisseprendrequel-quespasd’avance.Jeluijetteunregardpar-dessusmonépauleetmedemandeuninstantoùestpasséesabellevestenoire,quandjemerendscomptequ’elleesttoujourssurmesépaules.

Luietsesbonnesmanières…

Il litdansmespenséesetm’adresseunsourirecoupable,voire timideauquel jenepeuxrésister. Jefondslittéralement.

MonDieu,DylanSavagequiutiliselemot«fondre»…

—Lavesteesttropgrande,Stéph!J’aidumalàmarcheravec…lâché-jeententantdel’enlever.

Cen’estpasnormaldemarcherentrébuchantautant.Leproblèmenevientpasdemeschaussures.Toutallaittrèsbienendébutdesoirée,maisdepuisquejeportecetteveste,lemondevacille.

—Stéph,j’aichaud!J’arrivepasàtenirdeboutaveclaveste!

Ungloussementm’échappedevant le regardexaspéréqueme lancemapetite luciole. Jesaisque jeraconten’importequoi,maisc’estplusfortquemoi.

—Roht’eschiante,Dylan!grondemonamieenm’aidantàlaretirer.

Lesbras levés, j’effectueunepirouettede lavictoire, consciented’être immature.Seulement, onnepeutpasdirequemachèremamanm’aitoffertuneenfancedignedecenom,alorsjeprendsmarevanchesurtoutescesfoisoùjejouaisl’adulteetellel’enfant.Etvoilàqu’elles’immisceànouveaudansmonesprit…Enplus,mapetitedansemevautunenouvellechute.

Ah,satanéstalons!

—T’escomplètementbourrée,mapauvrefille,semarreStéphenmestabilisant.

J’amènemonépauleàmajoue,luitirelalangue.Jerepèreàcetinstantl’enseignedeMcDonald’s.

Yes!

Jemeprécipitedanssadirection.J’entendsStéphaniecriermonnometGaspardlacouvredesavoixgraveenl’imitant.

Ahnon,ilsnem’empêcherontpasd’yaller!Ilfautquejemange!

Alors que j’arrive à mi-chemin, je suis brutalement transportée sur quelques mètres. Gaspard medéposesurlesolavantdemelâcher.Mêmeavecdestalonsdedixcentimètres,ilresteplusgrandquemoi.Hilare,jeleregardeenpensantàlafaçondontj’aivolé,commesurunebalançoire.Saufqueluinepartagepasmabonnehumeur.Ilmesaisitbrutalementlesbrasethurle:

—T’estimbréeouquoi?

Monrires’éteintetjeclignedesyeux.Pourdécuverd’uncoup,iln’yapasplusefficace.

—Je…—Putain,tulesaperçoislesgrosenginsquiontdespharesetquiklaxonnent?m’interrompt-il.

Je tourne la têteàmagauche,puisàmadroite. Ilyapleindevoituresetdebusqui roulentà toutevitesse sur lagrandeavenuedesChamps-Élysées.Certainsklaxonnent etdressent leurpoingà traversleurpare-briseensignedecolèreàlasuitedematraverséedangereuse.

Lemarquageausol indiqueque jesuisenzonesécurisée,et jeprendsconsciencedemastupidité :j’auraispuêtrerenverséeàcausedemesbêtises!Lavache, l’alcooldansmoncorpss’estsubitementévaporée.

—Ças’appelledesvoitures!Etlebutdujeuc’estd’éviterdedéambulerdevantsiellesnesontpasàl’arrêt,bonDieudemerde!lance-t-il,agressif.

Surprise par la colère qui émane de lui, je retiens inconsciemment ma respiration. C’est un autrehomme,entotalecontradictionaveclalégèretédontilfaisaitpreuvetoutàl’heure.Sesyeuxsipursetsidouxontchangédeteinte,passantàunbleuaussisombrequeceluid’unocéanenpleinetempête.Jesaisbienqu’ilnemeferapasdemal,maisilfautavouerqu’ilestcarrémentflippantdanscetétat.Jenepensepasavoirétégrondéeainsiunjour.Jenecroispasavoirdéjàétégrondéetoutcourtenfait.Danstouslescas,sic’estarrivé,cen’étaitpasaussimarquantqu’àcetinstant.Mêmesilaraisondesonétatàlalimitedelatranseestjustifiée,çan’empêchepasl’insurgéequiestenmoides’irriterdutonpaternalistequ’ilemploie.Mespaupièresseplissentetjeluirenvoielemêmeregardnoir,genre«tunem’impressionnespas»,alorsquec’esttoutlecontraire.

—J’aifaim,expliqué-je.

Il comprend avec ces troismots que c’est et ce seramonunique tentative dem’excuser.C’est déjàénormed’obtenirautantdemapart,alorsildevras’encontenter.Sonregardmequittefinalementpourleslumièresdufast-fooddel’autrecôtédelarue.Làoùmondoigt—aliaslaboussolereliéeàmonventre—medirigeaitdepuistoutcetemps.

Lapressionqu’ilexercesurmesbras,faiblitetilreplongesesprunellesdanslesmiennes,beaucoupmoinseffrayantesàprésentqu’ellesontretrouvéleurcouleurnaturelle.Encoreunchangementd’humeur!

—Nemelâchepas!intime-t-il.

Il glisse sa main chaude dans la mienne et je suis surprise par l’aisance avec laquelle nos doigtss’entrelacent.Lefeupasseaurougepourlesvoituresetnouspermetdetraverser.Unefoissurletrottoir,jememordsla lèvreinférieureetobservenosmains.Cettesensationdesécuritéetd’appartenanceestenivrante.C’estétrangecomme toutà l’heuremesdoigtspetitset fripésétaientankylosésd’avoir tropgrattélaguitareetmaintenant,entreceuxlargesetbrûlantsdeGaspard,ladouleuradisparu,fonduesoussapoignesolide.Pourtant,j’ail’impressionqu’ilsn’ontleurplacenullepartailleurs.Quoique…peut-êtreautourd’uncheeseburger.

—Pourquoivoulais-tutraverser?

Àboutdesouffle,Stéphanienousrejoint.Alorsquesonfrèretentedeluiexpliquer,j’enprofitepourm’engouffrerà l’intérieurdu restaurant.Dansmon imagination, le serveur fait sauter lesboutonsdesachemise pour laisser transparaître son tee-shirt « Super Cheeseburger », le vent dans les cheveux, lesourire«SignalWhiteNow»,bref,lecostumeduhérosdemasoirée.

—Vousêtesmonsauveur!m’écrié-jepresqueauborddeslarmes.

Jeme jette sur sa caisse, lesmains à plat sur le comptoir et contemple lemenu et ces délicieusesimagesquidonnentl’eauàlabouche.

—UnmenuBigMac.Fritesetcoca.Deuxcheeseburgers,uneautregrandefriteetunMcFlurrydaim,caramel,s’ilvousplaît.—Ceseratout?demande-t-il,enenregistrantmacommande.—Pourmoi,oui!

J’applaudissilencieusement, tournesurmoi-mêmeetmelaisse tomberdansunbox. Ilvadesoiquec’estauxrichesdepayer!

—Rajoutezunebouteilled’eau,s’ilvousplaît,marmonneGaspardensortantsonportefeuilledesaveste.

Stéphanies’assoitdevantmoietrigoledevantmonairsatisfait.Entremamèrequirefusederemplirlefrigidaireaudétrimentdel’alcooletlapressionàMaréchalCommunity,alorsquejen’ysuisquedepuisquelquesjours,jesuissurlepointd’exploser.Mangerestlaseulefaçonpourmoid’évacuerlasurcharged’émotions. Manger ou jouer avec le groupe. Comme le premier est difficile à accepter pour meshanches, je plongeplus souventdans le second.Parceque lamusique, bon sang, c’estmagique.C’estcommeunedroguedontlerythmeestcapabledeprendreledessussurtout,d’apaiserabsolumenttoutcequiagressemonbien-être:lesmigraines,lessoucis,lestress,lesmauxtoutsimplement.

LorsqueGaspardprendplaceàcôtédesasœuravecunplateaudébordantdenourriture, jesaisisàpleinemainmoncheeseburgeretledévore.Lemélangedeviande,defromagefonduetdepainm’arracheungémissementdeplaisir.Jeprétendsnepasavoirvulabrèveinspirationqu’apriseMonsieurPépito.

—Lemeilleurburgerdumonde!chantonné-jeenbalançantmatêtedegaucheàdroite.

Gaspardritaveclégèretéetpourunefois,ilnesembleplusaussitenduetmaîtredelui.Sarideduliona disparu et il paraît jeune et libre de toutes les pensées qui l’emprisonnent habituellement dans unmanteaudeglace.J’aimeraisêtrecapabledelirelespenséesdouloureusesdansleregarddecethomme.C’estcequim’asaisielapremièrefoisquenousnoussommescroisés:silesyeuxsontlesfenêtresdel’âme,alors il semble impossibled’accéderàcelledeGaspard.Elleestcadenasséepardeuxabyssesd’un bleu perturbant. Une vraie boîte de Pandore, dont personne ne possède la clé. Mais, je suisterriblementattiréeparl’idéed’êtrecellequil’ouvriraetdécouvriral’ampleurdesessecrets.Parveniràle cerner, lui et ses variations d’humeur, est un challenge que bien d’autres femmes ont dû tenter derelever.

Leriremoqueurdemamères’infiltredansmatêteetj’oublietoutesintentionsd’enapprendreplussurlui.Jesuisbienbêtesijepenseêtrecellequileperceraàjour.Peut-êtremêmequ’ilenjouepourparveniràsesfins:lefameux«jesuisunêtretorturéenmald’amour,uneâmeenpeineàlarecherchedecellequipourraluisuffire».Ilseraitstupidedetomberdanscepiègealorsquejesuisonnepeutplusaucourantdesrisquesencourusàfréquenterlesindividusdusexeopposé.

—Vouspouvezprendreunpeudemesfritessivousvoulez,concédé-je labouchepleine.Maispas

toucheauxburgers.

Le visage chiffonné des deux Maréchal m’amuse. C’est comme si je leur avais demandé des’embrasser.

—Nonmerci,rétorqueStéph,dégoûtée.—C’estvrai,j’oubliais…marmonné-je,enessuyantlesmiettesautourdemabouche.

Monsieur«BonnesManières»refaitsurfaceetmetenduneserviettepouréviterquejeneréitèrelenettoyageàl’aidedelamain.

—LadevisedesMaréchal:«cequin’estpasd’or,nesebouffepas»!conclus-je.

C’étaitincroyablementnul,maisj’explosederirequandmême.Non,enfait,c’étaitplutôtbientrouvé.Letempsquejemeremettedemablague,mameilleureamienousaquittéspourrépondreautéléphoneetles longsdoigtsdeGaspardontdéfait l’emballageducheeseburger.Son regardpleindedéfi lorsqu’ilcroquededansmelaissebouchebée:nonpasd’étonnement,maisd’excitation.Ilnemequittepasdesyeuxuneseuleseconde.Chaquerotationdesamâchoireestunmoulind’initiativessensuelles.Chaqueéclatdanssesyeuxprojetteenmoidesmillionsd’imagesaniméestoutesplustorrideslesunesdesautres.

—Indéniablementindustriel,déclare-t-ilenavalantledernierbout.Maispasmauvais.

Serait-ilaussiexplicitesijel’autorisaisàmedévorermoi?

—J’ignorecequioccupel’intérieurdecettejoliepetitetête,MademoiselleSavage,maissachezquej’apprécieénormémentl’expressiondevotrevisageàcetinstant.

Et lorsqu’il parle sur ce ton suggestif, m’indiquant que oui, les grands esprits se rencontrent, lesbattements de mon pouls accélèrent, comme sous l’emprise de l’adrénaline. Une forte chaleurm’envahit, me rappelant la présence du sang qui circule sous ma peau, ainsi que celle de certainsmusclesdontjeneconnaissaispaslapuissancedecontraction.

—J’aibesoindeprendreunpeul’air,annoncé-jed’unevoixrauque.

Ilfixemeslèvresetquitteleboxaveclaclassedeceluiquivientdedînerdansunrestaurantquatreétoilesetnonpasunfast-food.D’ungestedelamain,ilm’inviteàlesuivre.

J’aibesoind’unrégulateurdetempératureaveccethomme…J’aimesonardeurautantquejehaissafroideur.Soncôtéimpénétrablemeséduitautantquesonarrogancem’irrite.

J’attrapelerestedemacommandesurleplateauetlesremetsàunsans-abriàl’extérieurdurestaurant.

Un merci chaleureux suffit à réchauffer mon cœur et à me rappeler que j’ai probablement une viemerdique,maisj’aiuntoitsurlatêteetdesamissurquicompter.

Gaspardremetsavestesurmesépaules.L’alcoolétantdescendu,jeressensànouveaulefroiddelanuit. Il attache le bouton en laissant quelques sadiques centimètres de distance entre nous. Son odeurépicéesemêleàcelledelarue.L’élégancedesesgrandsdoigtsmefascine.Auraient-ilslemêmegoûtquesonparfumsousmalangue?Oubien,ont-ilsunesaveurbienàeux?Jecroisqu’unnouveaufantasmegermedansmonesprit…

Jeprofitedecemomentpourluireposermaquestion:

—Vousditesquevosrendez-vousontétéannulés,MonsieurMaréchal.Pourquoi?

Ses pouces caressent la couture de la veste et, comme aimantées, ses pupilles suivent la danse.Unvoilededésirsedessinesursonvisageettransformel’hommeenfacedemoienunélémentélectriqueauregardprimitif.C’estcommesi j’étaisnuesoussescaresses.J’aime l’effetque j’aisur lui,mêmes’iln’estlisiblequedanssesyeux.

Danssondos,Stéphaniesautille,carnosamisviennentdenousrejoindreencompagnied’ungrandmecélancéauxyeuxbridés.Ilssontprochesdenousetpourtantsiloindecequisepasseréellement.

—Usus,fructusetabusus,Dylan.Jeprends,jedonne…

Iltirelégèrementsurlebouton,meramènecontreluietsoncorpschaud.Dutissunousséparel’undel’autre,mais rienne faitbarrièreà l’érectionphénoménalequisepressecontremoietquiapposesonsceausurmachair,commepourprédiredesretrouvaillesdansunfuturproche.

—Maisenaucuncas,jenepartage,murmure-t-ilsuruntonveloutéquimetmessensenébullition.

Le coup de poing de tout à l’heure était on ne peut plus clair, je l’ai bien noté. Pauvre garçonn’empêche.Ilafaitunvolplanédecascadeurhollywoodien.Jefermelesyeuxettented’échapperàsonemprise aussi ensorcelante qu’excitante. Je refuse de tomber dans son piège. Mais il se penchediscrètementàmonoreilleetgémis:

—Dylan…

Quand j’entends samanièredeprononcermonnom,moncœurbat soudainplus fort. Jeperdspied.Monclitorispalpited’envieentremeslèvresgonflées.

—Laprochainefoisquetuasdesproblèmes,neboispas!ordonne-t-il.

Jehalètecontrelui,fébrileetàmoitiémouranted’undésirquejen’avaisjamaisressentiauparavant.Unehoulepuissanteetintensequidémolitlesrempartsquej’aisisoigneusementérigéstoutescesannées.Sansaucunedifficulté,Gaspardaccèdeàtouslespassagessecretsdemonplaisiretatteintdirectementsonbut:unsimplesoupir,prémicesdecequinousattendsinouscédons.

—Accepte-moietjeteprometsdetouttefaireoublier.Jusqu’àtonpropreprénom.

OhmonDieu…

Il recule, me contemple et je lui offre ce qu’il attend : mon approbation. Ma permission de touttransgresser. J’observesesdeuxperlesbleuesà tourde rôleet interrogemaconscience.Quepeut-ilyavoir demal à s’amuser un peu avec un homme ? Juste du plaisir entre deux êtres irrémédiablementattirésl’unparl’autre,cen’estpasprohibé.PourquoisegêneretjouerlesmèresTeresa?

J’avanceàmontouretmemetssurlapointedespiedspourluimurmurerlesyeuxdanslesyeux:

— Dommage, Monsieur Maréchal, parce que ma boss condamne toute relation entre collègues.Finalement,vousn’auriezpeut-êtrepasdûmerecruter.

Unechoseestsûre,sadéclarationdetoutàl’heuren’étaitpasunemenace:c’étaitunepromesse.

Aveclaquelle,jevaismefaireunplaisirdejouer…

12.Coupdegueule

DYLAN

9heuresdumatin…

Aprèsmagueuledeboisdeceweek-end, j’ignorecomment je tiensdebout.L’alcoolestunamitrèslunatique.Audébut,ilvousaideàoublier,pourensuitevousretournerl’estomac.J’aisongéàprendremajournéepouréviterqueDavinaetsonsensdelacritiquemefoudroientdebonmatin.Maisêtreabsenteauboutd’unesemainedetravailn’estpasenvisageable.Surtoutquandonsaitquejesuisàl’originedemonmaldecrâne.

Plusjamaisd’alcool!C’estpromis!

J’appuiefrénétiquementsurleboutond’appeldel’ascenseur.Ilest9h01,cequisignifiedixheuresenlangageDavinien.

—Ducalmemabelle,ilvaarriver,répliqueunefemmequiattendavecmoi.

Le sourire paisible qu’elle affichem’agace.Elle n’a de toute évidence pas commencé sa journée ànettoyerlevomidesamèredanslasalledebains.

Les portes de l’ascenseur s’écartent enfin et pour mon plus grand damne, s’ouvrent sur GaspardMaréchal.

Ilestseul,leportableàlamain.Par-dessussoncostumebleufoncé,ilporteunmanteaunoirquitombeparfaitementsurseslargesépaules.Ilatoutdudirecteursûrdelui.Ilestbeauàencrever,àenpleurer,àencrier,àentromper,àendivorcer!

Aumoins, il peut être certainque si jamaisMaréchalCommunity couleun jour, il pourra redevenirmilliardairerienqu’avecsagueule.

Mavoisinechangeinstantanémentd’attitudeetavanced’unedémarchehautementféminineetcoquette.Elleexécutecarrémentundemi-tourdemannequinsurpodiumenseposantàcôtédelui.Quantàmoi,jedoismefaireviolence.

Ilmeremarquedèsquejemetsunpieddanslamachine,maiscontrairementàceweek-end,iln’yapasunsoupçondedésiroud’amusementdanssonregard.Ilsembleavoirprisausérieuxmoninterdictionde

sortiravecdespersonnesde lasociété.Celaneveutpasdirepourautantque j’aioubliécequ’ilm’amurmuré. Sesmotsmehantent. Ils se sont emparés demon cerveau. Si bien que j’ai peur d’ouvrir labouchedepuis,parcraintedecommencermaphrasepar:«Montre-moicommentoubliermonprénom.»

Etpourdéfinitivementmeprouverque leSeigneurn’estplusavecmoi, il fautque je lecroisedansl’ascenseur.

J’appuiefébrilementsurleboutondemonétageetmeconcentresurdespommesdeterre,lepremiertrucquimeviententête.

—Quelétage?

Ils’adresseàl’autrecouguardansl’ascenseur,maisjesensquesonattentionestbraquéesurmoi.Oujedélireetsonattitudeindifférenteestlerefletdesespensées.

—Letroisième,roucoulemadame.

Ohnon,non,non!Siellequitte lenavireautroisièmeétage,monbonsensdescendraavecelle.Jen’auraialorsplusaucuneraisondenepassautersurGaspard.

Ce dernier se penche devantmoi pour appuyer sur le troisième étage etmon cœur bondit dansmapoitrinelorsquesamainseposedirectementsurmesfessespourprendreappui.

OK.Un:iln’adéfinitivementpasprisausérieuxmonavertissement.Jeledésire,ilmedésire.Deux:ilestclairqu’ilestcapabledemettresesbonnesmanièresdecôtélorsqu’illedécide,l’enfoiré.Trois:pasquestiondelelaissercroirequ’ilpeutmetransformerenjoystick.

Je quitte l’ascenseur juste avant que les portes ne se referment et emprunte les escaliers.À chaquepalier, je me permets de rouspéter contre son fantôme. « Ça pourrait être considéré comme duharcèlementsexuel,tuenesconscient!»,«SijamaisDavinal’apprend,jeseraivirée,ettoiMonsieurledirecteur, tu garderas ta place ! », «Lamain aux fesses ?Nonmais oh, on est au lycée ou quoi ? »,«PourquoiDieut’a-t-ilfaitaussibeauetsexy?Rienquepourça,tudevraispayerdesimpôtsenplus,MonsieurPépito».Etlalistedeslamentationsestencorebienlongue,maistoutcequejeretiens,c’estquepourcepremierround,c’estluiquigagne.

Arrivéeaudixièmeétage,des auréoles sous lesbrasparceque j’ai sprinté enmanteauet talons, jecroiseDavinadanslecouloirquimèneaubureaudesphotocopieuses.

—Enretardettoujourszéropourlatenue.—Désolée,l’ascenseurétait…

L’ascenseurétaitquoi?Bourrédephéromones?

Samainselèvepourm’empêcherdeparleretellecontinuesoncheminenmebalançantpar-dessussonépaule:

—Rendez-vousdansuneminutedansmonbureau.Si tuarrivesetque laporteest fermée,n’essayemêmepasd’entrer.

Jehochedocilementlatête.

Enfoiré de Gaspard et son sex-appeal. Quand je me rends compte qu’il ne me reste plus que 40secondespourdéposermesaffairesetenfilermachemisederechange,jefonceàmonbureau.Célimèneestsurlepasdelaporte,portableettabletteenmain.Commetoujours,sonvisageesttiréenarrièreparsonchignon.Elleal’aird’unegouvernanteanglaise«verypascool».Elleabeauêtreaimableavecmoi,quelque chose chez elle me semble un peu sournois. Un peu comme le Docteur Jekyll : elle a deuxfacettesqu’elledissocieremarquablementbien.Jenesaispassic’estsonsourirefacticedeMissFranceousonpositivismeàtouteépreuve,maissaprésencememettoujoursunpeumalàl’aise.Etàmonavis,lesapparencessonttoujourstrompeuses;elleal’airtropsympapourquecesoithonnête.

—Salut!Jemechange.J’arrive!

Ellerigoleenmevoyantdanslaprécipitationetmeproposegentimentdem’attendre.Jemesaisisdematabletteetlasuisjusqu’aubureaudeDavina.Ladamedeferestassisesursontrône,sesmultiplesécransdisposésdevantelle.

—Publimédiavientdesauter,nousapprend-elleentapantsonclavieràtoutevitesse.3000employésserontmis à laported’ici unmois et seuls lesmeilleurs retrouverontun jobdans leurbranche.C’esttriste pour eux,mais pas pour nous.Maréchal Community a fait une offre. En toute logique, nos plusgrands concurrents sur le marché refusent également de laisser passer cette opportunité. Publimédiac’est…c’étaitunempire!souffle-t-elleavecadmiration.

Oh,oh!Quelqu’unadéjàtravaillélà-bas,jecroisbien.

—Peuimporte.Ilfautqu’onremporteledéfi.Etpourça,commentallons-nousprocéder?demande-t-elleenregardantCélimène,lementonlégèrementabaissé.—Utilisernotreavantageconcurrentiel,répondcelle-cidutacautac.—Quiest?

Cettefois,c’estàmoiqu’elles’adresseet toutcequ’ellegagnec’estunhaussementd’épaules.Trèspeuprofessionnel,jesais.C’estpourquoijel’accompagned’unfaible:«Aucuneidée.»Commentveut-ellequejesache?Jenesuisdanslaboîtequedepuisunepetitesemaine.

Uncourt instant, j’ai l’espoirqueDavinam’oubliedansuncoinsombreoùsa foudrenepourrapasfrapper,maisàlaplace,ellecessedetaperàl’ordinateurettournesonsiègedansmadirection.

—TusaisquoiDylan?Pendantquelesvraistravaillent,pourquoin’irais-tupasunpeutedocumentersurl’entreprisequit’aembauchéepouruneannéeentière?m’engueule-t-elle.—Jesuisdésolée,maisjenesuislàquedepuispeu,medéfends-je.—Ohetqu’as-tufaitdetonweek-end?Jet’écoute!

Touché.

—IciBarbie,ilyadesgensquibossentnuitetjourpourfairetournerlaboîte!Onmange,ondort,onchie duMaréchal Community. Si les lumières s’éteignent automatiquement à une heure du matin, toncerveau lui,doit continuer àpondredes idéesnouvelles jusqu’àceque ledocteur tedéclare instable,c’est compris ? Et si nous avons un élément défaillant, tu sais ce que nous en faisons ? Nous leremplaçons!Tuesarrivéeilyaunesemaine,certes.Reprends-toioùtureparstoutaussirapidement.

Barbie?Ellem’aappeléeBarbie?Sérieusement?

Ellerecommenceàtapersursonclavieràtoutevitesse.Jemeretiensdecognersatronchecontresonécranetserrelesmainsautourdematablette.

— Donc, pendant que moi je chauffe le terrain pour Publimédia, tu gères ici Célimène. Et siMademoiselleSavagedaignes’intéresseràtontravail,ellesejoindraàtoi!

Célimènemeglisseunregardpleindecompassionavantdetournerlesyeuxversnotreboss.

—Ducoup,l’ordredeprioritéachangé?—Oui,marmonneDavinaenbasculantsursonautreordinateur.Tufaispasserles95ansdeMaréchal

Communityenpremier,parcequejeveuxunrésultatirréprochablesurcetévénement,entendu?Sitoutsepassebien,c’estàcettesoiréequenousannonceronslafusionavecPublimédia.

Surce,ellenouscongédied’ungestedelamain,etc’esténervéequejerejoinsmonbureau.Célimènealagentillessedefermersabouche.J’enveuxàDavina,mais je luienveuxaussiàelle.Elleconnaîtnotrechefmieuxquemoi,elleauraitpumebriefersurlegenredepersonnequ’elleest.Jecroyaisquej’avaisquittél’époquedesinterrogationssurprises,etvoilàquemabossarriveavecsesquestionsàtroudemerde !Ellenem’aimevraimentpas,c’estclaircommede l’eaude roche.De toute façon,ellenevoulaitpasdemoidanssonéquipedesuperhéros.

—Situveuxprendreuneminute…commencedoucementCélimène.

Cen’estpasvraimentconseilléétantdonnélatonnedeboulotquinousattend,maisjeseraiinefficacesi je reste ici à fulminer devant un écran d’ordinateur. Alors jem’empare du portable queMaréchalCommunitym’aprêtéetquittelesbureaux.

L’immensecourintérieurequelesgenschicd’iciappellent«lepatio»estvideàcetteheure-ci.Ilyajustelemecdufood-trucksélectionnépourcemois-ciquiinstalleleschaisesetlestablesquiservirontaudéjeuner,etdeuxnanasentraindefumeretrâleràproposd’unmannequinrussequipasselajournéedans les locaux. J’envoieun textoàStéphanie lui racontant le coupdegueulequeDavinaapousséetcelle-cimerépondd’unsimple:

[Ondéjeuneensemble,pétasse.]

Cequipermetàmacolèredesedissiperunpeu.Justeaprèsjereçoisunnouveaumessaged’unnuméroinconnu.

[Quelle sortie précipitée de l’ascenseur, Miss Savage ! Je peux vous demander quelle en était laraison?Parcequesivousêtesparalyséeparvotrepeurdesascenseurs,jeconnaisunmoyentrèsefficaced’yremédier:sefocalisersurunautre«engin»;-).]

—L’enfoiré!pensé-jetouthautavantdeplaquermamainsurmabouchefaceauxregardscourroucésdesdeuxfumeuses.

Est-cequeGaspardMaréchalvientvraimentdem’envoyer cequi ressembleàun« sexto» ? Il estvraimentsansgêne.Plutôttroubléeparsonmessage,ilmefautunebonneminutepourtrouvercequejevais lui répondre. Prétendre ne pas savoir de qui il s’agit est vain, nous n’étions que trois dansl’ascenseur et je doute que Madame la chaudière me balance ce genre de message. Jouer lesindifférentes?Impossible,monpoulspalpitantmontrebienquejenelesuispas.Finalementjerépondsavecfranchise:

[Bonjour Monsieur Maréchal, c’est gentil de votre part de vous inquiéter pour vos employés.Cependantmaseulephobieestcelledespervers.L’und’euxm’acollélamainauculetj’aijugébondepartir avant de lui ficher mon talon dans le sien. Mais merci du conseil, Monsieur Maréchal. MoncollègueJérémyvientd’entrerdansmonbureauetjecomptedoncbienmefocalisersursonengin:-).]

Ettoc,1partout,MonsieurPépito!

—Salutlanouvelle!

Jesursautebrusquementtelleunecriminellepriseenflagrantdélit.C’estbeletbienJérémyetjememarrefaceàl’ironiedelasituation.

—Monsensdel’humours’améliore!Jen’aimêmeplusbesoindeparlerpourfairerireunejoliefillemaintenant.

Ilsortunbriquetdesapoche,allumesacigaretteetprendunetaffeavantdem’observer,intrigué.

—Jenesaispassijedoisbienleprendreouêtrevexé.

Jebalaiesesdoutesdelamainetm’assoissurlebancàcôtédenous.

—C’estlemessaged’uneamiequim’afaitrire.

Gaspardva, indirectement,m’obligeràquittermon jobsi jecontinueàmentircontinuellementàmescollègues.

—Sinon,çavatoi?—Débordédeboulot,commetoujours.Jesuislàdepuissixheurestrentedumatin.Notredirecteurdes

relationsextérieuresestd’humeurtravailleuse,cequialedondefairechiertoutel’équipe.

Ah.Parcequ’êtrerémunéréànerienfaire,c’estsûrquec’estmieux…

—Aumoins,tuespayéàêtreutile.Davinameprendpouruneidiote.Heureusementquetuétaislààl’entretien,sinonellenem’auraitjamaisrecrutée.

Melamenteràvoixhauten’estpasmaspécialité,maisjeveuxqu’ilsached’unecertainemanièrequejeleremerciedem’avoirdonnéunechance.Jérémytiresursacigaretteànouveauetmerépondjusteun«hum,hum».Ilnedoitpasêtredugenreàramasserleslauriers.

— Ne le prends pas personnellement, ajoute-t-il après avoir longuement soufflé. Davina est unemégère. Elle était là bien avant que j’arrive, mais d’après ce que j’ai entendu elle n’a jamais étéappréciée.Ellevoitsescollèguescommedesmachinesàsousetpascommedesêtresvivants.—Sitonbutétaitdemerassurer,tuaséchouéMonsieurledirecteurdesressourceshumaines.

Il rigoleensecouant la têteetprendunenouvelle taffe. Je luidemanderaisbiendem’enpasserunepourdécompresser,maisdepeurqueDavinas’enprenneaussiàmonmodedevie,jegardemalanguedansmapoche.Aumoinsuneffetbénéfique.

—J’ignoraisquetuconnaissaisGaspardMaréchal.

Jeresteunmomentimmobile,medemandants’ilacomprisquelquechosequ’ildevraiteffectivementignoreretsicelapeutmecoûtermonposteounon.Jérémyestsympathique,maisjeneleconnaispas.

J’entendsencorelavoixdeCharliedansmatête:«Dylan,tuestropparano,arrêted’automatiquementpenserdumaldesgens,tuendeviendrasfollemapauvrefille!»

—Ohtusais,c’estjustelefrèred’uneamie.—Qui t’a littéralementboufféedesyeuxpendantque tudansais samedi soir. Il était commebloqué

dansunsonge.

Rienquederepenserauxregardsplusqu’explicitesdeGaspardsamedisoir,moncœurs’emballe.Cethommeaunpouvoirdecontrôlecardiaqueàdistance.

—Ouais,c’estl’effetquejefaisunpeuàtousleshommes,plaisanté-je.

Jérémypouffeetmedonneungentilcoupdepiedsurletibia.

—Çavaleschevilles?

Nousrionsetils’arrêtesoudainement,s’agiteets’emparedesonportablequivibre.Lemienl’imitequelquessecondesaprèsetnosregardssecroisent.

—Quandonparleduloup,iln’estjamaistrèsloin,badineJérémy.Toiaussituasuneréunionrougeavecluidansdeuxminutes?

Je hoche doucement la tête en regardant la notification qui vient d’apparaître dansmon agenda. Latechnologie…Ici,àMaréchalCommunity,ellepermetd’êtreconstammentconnectéslesunsauxautres.Sibienquequandquelqu’unprogrammeuneréunion,iln’aqu’àmettrelenomdespersonnesconviées,ladate,lelieuetl’heure,etmoinsdedixsecondesaprèsavoirvalidé,portable,ordinateurettablettenoussignalent lerendez-vous.Ilyamêmeunepetitecaseàcocherpourprévenirdenotreprésenceounon.Qu’est-cequej’aimeraisdéclineràcetinstantprécis…

—Qu’est-cequec’estles«réunionsrouges»?— Comme son nom l’indique, souligne Jérémy en prenant une bonne bouffée : les réunions où la

directiontesaigneàvif!

Ilbalancesacigarettedanslecendrieretjemelèveentirantsurlebasdemajupe,unpeustresséeàl’idéed’assisteretàmapremièreréunionàMC,etàunequin’apasl’aird’êtreamusante.

—Situveuxmonavis,çasignifieaussiquenotredirecteurestdemauvaispoil.

Oups.Jemedemandebiencequil’amisdesimauvaisehumeur…

13.Stratégie

GASPARD

—Bonjour,MonsieurMaréchal!mesaluejoyeusementElizabethlorsquej’arrive.

Son sourire et son accent illuminent davantage ma matinée déjà bien égayée par ma rencontreimpromptueaveclapépited’orDylan.

J’aitouchébeaucoupdechosesdansmavie,maisriend’aussiexcitant,riend’aussichaudetd’aussiparfaitquelesfessesdecettefillecommesiellesavaientétémouléesdèslanaissancepouraujourd’huicorrespondreparfaitementàmesmains.Résultatdescomptes:jenepensepassurvivreauxprochainesheuressansfantasmersurellesetsurcequej’aimeraisleurmontrerouquej’aimeraisqu’ellessubissent.Quelpervers…

La bonne nouvelle, c’est que depuis samedi soir, nous sommes tous les deux sur lamême longueurd’onde:nousvoulonsgoûteràcequ’unprobable«nousnon-exclusif»peutoffrir,sanslescomplicationsetlesprisesdebecd’un«nousexclusif».Sisaprésenceetsavoixseulesréussissentàapaiserlalutteincessantequia lieudansmatête, jenedemandequ’àvoir l’effetquesoncorps, liéaumien,pourraitprovoquer sur tout le reste.Dylanpourrait êtreuneautre façond’oublier. Jen’abandonneraipasavantd’avoiressayé.Ensuite,laculpabilitépourram’envahir.

—Goodmorning,Elizabeth, réponds-jedansunaccentmerdiquequiadéjà fait sespreuvesauprèsdesAnglaises.Comments’estpassévotreweek-end?

Elleselèveetéparpillesursonbureaulespapiersàsignerimpérativement.

—Trèsbien,monsieur.Monaînéeestvenuepasserlesamediavecnousetelleenvisagedes’installerenFrance.

Jesaisquesafilleluimanqueetjesuisbienplacépoursavoirquec’estloind’êtrefaciled’affronterlaréalitéduquotidiensansceuxàquinoustenons,pournousépauleroupourparveniràsouriredetempsàautre.

—Sivousavezbesoindequoiquecesoitàcesujet,n’hésitezpasàm’enparler.

Ses joues prennent une teinte rose et elle acquiesce timidement. Alors que je me dirige vers monbureau,lemessaged’Alexquej’aireçucematinmerappellecertainsdevoirsnonterminés.

—Pourriez-vousm’envoyerlemotdepassedelabasededonnéesAlpha,Elizabeth?—Toutdesuite,MonsieurMaréchal!

Génial.Monmanteauatterritsur lecanapéLouisXV.Jeprendsplacederrièremonbureauetallumel’ordinateur. De nombreux mails non lus me narguent. En bon élève, j’aurais dû traiter ces mailsdimanche,maisStéphanieetmoiavonsparesséenpyjamadansmachambrecommeaubonvieuxtemps.Ellem’amontrécequesontdevenusnosanciensamissurFacebook,etm’amêmecrééuncompte;puiselle m’a montré son blog public de photographies qui s’intitule « Fafatastique ». J’ai pu découvrirl’évolutiondelapersonnalitédemapetiteprincesseàtraverssonobjectif:passantdelafilletimideetréservéequiprenaitdesplansd’ensemble,àlaparisiennelibrequin’hésitepasàrentrerdanslefeudel’actionpourobtenirdesclichésuniquesetexceptionnels.Ellem’amêmeracontéqu’elleavaitpassélanuità l’hôpitalavecParisseaprès s’êtreapprochéesd’unpeu tropprèsd’uncracheurde feu.Mais labrûluren’étaitrienpourelleàcôtédelaphotoqu’elleapriseetquiluiapermisd’obtenir10000fansenplussursonblogettroisapparitionsdansdesmagazines.J’aidonccontemplépendantdesheuresuneàunesesimages,admirablementexpressives.

Stéphanieestlaseuledansnotrefamilleàaimerl’artderue.Notrepèreétaitunhommed’affairesnéetnotremère,passionnéedelittératurehistorique.MaisFafaaundonréeletlaphotographieluipermetdes’exprimer.Sesclichéssontintenses,etracontentl’histoirequisecachederrièrecesmagnifiquesposes.Elleestfaitepourça.

Unpetitcoupd’œilàmonécranetjeconstatequ’Elizabethm’aenvoyécequejeluiaidemandéilyamoins d’uneminute. Je tape la lettre « S » dans la base de données pour trouver les coordonnées deClaudiaSchumann,l’acolytebienmystérieusedemononcle,maislehasards’amuseàmejouerdestourset les coordonnées d’une certaine « SAVAGE Dylan » sont les premières sur lesquelles je tombe.M’occuperdeSchumanndevraitêtrelapriorité,cependantc’estplusfortquemoi.Jesaisismonportablepersonneldans lapoche intérieuredemavesteet enregistre sonnuméroprofessionnel sous lenomde«Ma lionne ».Un surnom très niais,mais en sciences politiques, on nous a appris que tout bon chefd’entreprisequiserespecten’appellejamaisundossierparsoncontenu,maisparunnomdecode.Nonpasparcequelepiratageinformatiqueest trèsprobable,maisparcequedenosjours, toutcequinousentouren’estquestratégieetcalcul.Dylanestsublime,maisaussidangereuse.Saméfiancevis-à-visdetoutetsonréflexedesortirlesgriffesetlescrocssontcommeunavertissement:«dangerdemort».Elleest prudente et ne s’entoure que de personnes de confiance comme ma sœur. Seules celles qu’ellesélectionnepeuventl’approchersansrisquerdesefairebouffer.Elleestsauvageetgracieuse,brillantedebeautéetbrûlantededanger.

Jemefrotteleslèvresencontemplantsonnuméroetricaneintérieurementàl’idéequinaîtdansmonesprit.JerédigeunSMSrapide.

Enattendant sa réponse, j’envoie rapidement àAlexandre cequ’ilm’ademandé : les détails sur lepostedeClaudiaSchumann.

La réponse deDylanme parvient et j’hésite à le lire tout de suite. J’ai peur de ne plusm’arrêter.

Finalement,j’ouvresonmessageetunsourireflottesurmeslèvres.Jel’imagineprononcerchaquemotetça se réveille dans mon caleçon rien qu’en me rappelant sa façon délicieuse de dire « MonsieurMaréchal»—deuxmotstellementsexyentreseslèvres,tellementénonciateursquejepourraisenjouirindéfiniment.

Sonpassage sur le pervers croisédans l’ascenseurouvreunevoieque j’ai rarement empruntée cesdernièresannéesetjemesurprendsàexploserderire,toutseuldansmongrandbureau.Maisjeperdsinstantanémentmonsourirequandjelislafindesonmessage.Qu’est-cequeJérémyfoutdansl’histoire?Quoi?Se«focalisersursonenginàlui»?Commentpeut-ellem’envoyerça?

L’affectionqu’elle apour ce connard, qui enplusnevoulait pasd’elle ici,me rend immédiatementnauséeux.Jérémyestunpetitfilsdebourgequiavolontairementadoptél’attitudeparfoishautaineetsanségardpour«ceuxquinesontpasnous».

Alors qu’Alexandre me répète souvent que profiter de mon nom auprès des femmes n’est pas unsacrilège,Jérémylui,profiteouvertementdesonpostecentralauseindeMCpourlesmettredanssonlit.Vraiment,silaloifrançaisen’étaitpasaussisévèresurlesrenvois,jemeseraisdéjàchargédeluietdesamaniedetoucheràcequineluiappartientpas.

Dylanestmienne.

Etelleestclairemententraindegagnerlapartie«jalousie»denotreguerreendentelle.

Ellem’a prévenu samedi soir qu’elleme ferait languir en se jouant pleinement demoi. Ce qu’elleignore,c’estquejesuisceluiquidictelesrèglesetqu’iln’yapasmeilleurstratègequemoi…

***

L’ascenseurs’ouvresurDavinaRodriguezquemonpèresurnommaitparfoisle«dragon».Elizabethm’agentimentrappeléqu’ilmefallaitsabénédictionsi jesouhaitaismeconsidérerdignedeMaréchalCommunity.Sonassistantemesouritfroidement,hochelatêtepourmesalueretpénètredanslasallederéunionoùcertainsdesconviéssontdéjàprésents.Jestationneauprèsduchambranleetbranditmamainpourserrercelledudragon,maisellelèvesesdoigtsetm’arrêteavantquej’ouvrelabouche.

—Toutcequej’espère,c’estquecetteréunionn’estpasunepertedetemps,m’informe-t-elleenguisedebonjourenpianotantsursontéléphoneportable.

Unsourcillevé,jel’observeprendreplacesurunsiègenonloindumien.Pasd’inquiétudeDavina,laréussitedecetteentrepriseestunedroguequicouledanslesveinesdesMaréchal.JesuisvenuaumondeenpartiepourycontribueretnimononcleniDylanneparviendrontàm’ensevrer.

L’ascenseurs’ouvrecettefoispourlaisserentrerDylanetJérémy.Mesdoigtssecrispentenuneespècedepoingetmonsouriredisparaît.Lemêmesentimentquim’aenvahilorsquecemecdansaitcontreellel’autresoirremonteviolemmentàlasurface.Ungentlemannecognejamais.Uncoupnesuffitjamais.Cen’estqu’unjeuentrenous.Jenedevraispasêtreautanttouché.

—MademoiselleSavage,jeconstatequevotreproblèmeaveclesascenseursestrésolu.

Elleacquiescepournepaslâcherlapremièrerépliqueprofessionnellementdéplacéequiluiviententêteets’en-gouffredanslasalle.

Jérémyarrivejustederrièreelleetmeserreimmédiatementlamainavecrigueuretsérieux.

—MonsieurMaréchal.

Monœildelynx,aiguisépardesannéesd’intensesétudesetunecertainedéformationprofessionnelle,l’évalueendeuxsecondes,luietsacoupeaugeldeSuperman.Jesuisloind’êtrenarcissique,maisilnefaitclairementpaslepoidsfaceàmoi.Physiquementparlant,Dylannepeutpréférerunetellepoupéedechiffon camouflée dans un costume non repassé, puant le tabac fort.Quant au plan intellectuel, doit-onvraiment en parler ? Elle se sert de lui uniquement pour tester mes limites. C’est mignon et à la foisagaçant,carçafonctionne.Lorsqu’onestjaloux,c’estdequelquechosequ’onenvieetleproblèmeestbienlà:qu’est-cequejeluienvie,sicen’estsafichuefacilitéàcommuniqueravecmalionne.Cequejecrainsàprésent,c’estqueconcommeilest,ilsoitincapabledereconnaîtrelafrontièreentrel’amusementetlaséduction.

—Monpote,salué-je,sarcastique.

Sapommed’Adammonteetdescendenfaisantunbruitdégueulasse.

—Hum,àproposdesamedisoir…—Oui,àproposdesamedisoir.

Auxyeuxden’importequi, j’ai l’aird’unpatronattentionnéetbienveillantqui retient soncollègue,maissiquiconqueapprochaitneserait-cequedequelquescentimètres,onverraitquemesphalangesontlégèrementblanchietquelesangnecirculeplusdanslamaindeJérémy.

—Dylanestlameilleureamiedemasœur,marmonné-je,levisageaussicrispéquemamâchoire.Situlatouches,nepensemêmepasàremettrelespiedsici.

Jelisdanssonregardqu’ilcomprendlemessage.

—Noussommesaucomplet,nouspouvonscommencer!annoncé-jeenluidonnantunefortetapedans

ledos.

Jérémy est unpeudéboussolé parmabrusquerie,mais il ne bronchepas et gagne sa place dans unsilencechargéd’appréhensionetdeterreur.Ils’assoitàl’opposédemalionneetjesurprendsleregardinquiet et perdu qu’elle lui lance. Puis ses yeux sauvages et méfiants se posent sur moi quand ellecomprendmon petit manège. Si seulement nous étions seuls, je lui ferais perdre très vite son air derebelle.

—Çaneprendrapasbeaucoupdetemps,déclaré-jeenmerendantauboutdelatable.VousêtestousaucourantquePublimédiaestactuellementsurlemarché.Lemondedesmédiasestdevenuunocéanetlesplusgrossesboîtessontdesrequinsaffamés.

Jem’emparedelatélécommandedutableauetlefaisdescendrepourmaprésentation.SiPaul-Antoineapprenaitcequejefabriquedanssondos,ilprendraitcelapourune«hautetrahison»…

—Mononcleachoisil’offenseparlafinance:ilcomptefairelameilleureoffreafindelesremporter.Jepenseaucontrairequelasignatureducontratseferaparlaséduction.Uneapprochetoutendouceur.C’estpourcelaque…—Tupenses?medemandeDavina.Tuastravaillésurledossieroutucomptesnousconvoquerpour

touteslespropositionsquiteviennentàl’esprit?

Jen’aipasletempsderépondre,elleenchaîne:

—Non,parcequ’aucasoùtunel’auraispasremarqué,autourdecettetable,ilyadespersonnesquitravaillent, qui ont pris sur leurs heures pour une réunion qui n’étaient même pas prévue il y a dixminutes.

Les derniers mots de Davina font mouche et la dizaine de personnes assises en face de moim’observentetsontimpatientsd’entendremaréponse.

Lesquelquessecondesquisuiventsontdécisivespour tousetunequestionenressortirade toutça :suis-jecapabled’êtreàlatêtedecetempire?

—MadameRodriguez, j’ai conscience d’avoir interrompuvotre boulot et vousm’en voyez désolé,maisilmeparaîtlogiquedefairepasserPublimédiaavanttoutetdoncévidentpourchacund’entrenousde revoir nos ordres de priorité,même les vôtres. Ainsi, si vous voulez bienme laisser continuer…ajouté-jeavecunhaussementdesourcils.

Elle se retranche dans son siège et retire ses coudes de la table, ne s’attendant pas à ce que je laremetteainsiàsaplace.Interloquée,ellemeregardeensuiteavecunsoupçonde…fierté?Ehbien,jenepensais pas qu’obtenir son feu vert demanderait autant de naturel et si peu d’efforts. Son attention estdorénavantportéesurmoiettelungourou,sesdisciplesl’imitent.Mêmemalionneinsoumisem’écoute.

Ses sourcils blonds, froncés par la concentration, accentuent d’autant plus son attitude sauvage, et seslèvres boudeuses sont… torrides. Oui, elles sont torrides et captivantes, le genre qu’on ne peuts’empêcherderegarderoudetoucheravantdelesembrasser.JereprendsmesespritsavantdesentirmonpénisseréveilleretrevienssurTerreoùtousmescollaborateursattendentquejeprennelaparoleaprèsavoircoupécelledeDavina.Merde,endeuxsecondesDylanestparvenueàmedévierdetoutunspeechquejepréparedepuisunesemaine.Maintenant,çavaêtrecompliquépourmoietmalibidodésespéréedeprétendrequ’ellen’estpasdanscettepièce.

—D’aprèsunesourcefiable(pournepasdireAlexandreYang),leuréquipededirectionserendraenEurope et aux États-Unis dans les prochaines semaines. Le patron cherche à retrouver chez les futursacquéreursl’espritdePublimédia.

Elizabethfaitdéfilerlesslidesdansmondosaurythmedemondiscours.

— Tout ce que nous avons à faire, c’est une démonstration de force. Je sais que votre pôleévénementiel a proposé de doubler les événements deMaréchalCommunity. Je vous propose de voirencoreplusloinetd’organisercesévénementsexactementauxendroitsoùladirectionserendra.Ilfautcréerlebuzzsousleursyeux.L’objectif?Détournerl’attentiondeladirectionetl’attirerdansnosfilets.

Davinaécoutepatiemment,maisattendplusdedétails.Elleouvrelaboucheetjem’arrêtederespirer.

—Etquelleseraitlastratégieàcourtterme?

Soulagé par son implication, et aussi parce que je sais que son opinion vaut de l’or, je soufflediscrètementetexpliquemesméthodesd’application.Verslafindelaréunion,jecomprendsqueDavinaestundragonquicrachedufeu,nonpaspourmegriller,maispourm’enseignerl’artdecombattre.Etjecommencemêmeàl’envisagerparmiceuxquim’aiderontàrécupérercequim’appartient.

—Etquandestcenséedébutercetteopération?chercheàsavoirl’hommeenchargedespublicités.—Leplusvitepossible.VousneserezjamaisprêtpourlepremiervoyageàNewYork:jem’yrendrai

àvotreplacepourprendre la température.Çavous laissera le tempsdepréparervosprojets et votreprésencesurlesprochainslieux.

Les visages sont amplement satisfaits dema présentation. Quand je pense qu’elle était initialementprévuepourdemain…

— Nous serons donc en contact permanent à partir d’aujourd’hui. Je souhaiterais que chaquemodification,chaqueajout,chaquesuppressionremontentjusqu’àmoi.Compris?

Ils hochent la tête et je les invite à poser toutes leurs questions maintenant, mais j’ai été clair etefficace.Saufvis-à-visd’unepersonneapparemment…

—Excusez-moi,MonsieurMaréchal,rétorqueJérémy,maisenquoilesressourceshumainespeuvent-ellesvousêtreutiles?

Enriendutout,connard.Peut-êtreendégageantdemonpassageenfait.

—J’auraisbesoinquetumettesaucourantl’ensembledesemployésdel’indisponibilitédelatotalitédel’équipeévénementielcesprochainsjours.

J’aperçoisDylan,bouchebée.Ellecomprendmonsous-entendu.

C’est vraiment une tâche ingrate et indigne des fonctions de Jérémy, mais ainsi, lui et les autrescomprendrontquejeneleporteguèredansmoncœur,etçal’inciteraàseteniràcarreau.

—C’esttout?s’exclameJérémy.—Oui.Enfinnon,j’aimeraiségalementquetuvérifiessitoutestenordrepourorganisernosdépartsà

l’étranger.

Jérémyclignedesyeux.

Ya-t-ilunproblème,«monpote»?

—Parfait.J’espèrequevousaveztousvospasseports!

Inconsciemment,mon regard s’est arrêté surDylan, à temps pour remarquer qu’à l’énonciation despasseports,sapeaudepêcheaperdudesafraîcheur.

La réunion se termine sur cette note. Tout le monde retourne à ses occupations et j’intercepte ladirectricedupôleévénementielavantqu’ellenem’échappe.

—AufaitDavina,j’avaisdansl’idéequevousetvosassistantespourriezm’accompagnerpourtâterleterrainàNewYork.

Quoidemieuxquemélangertravailetplaisir?Unweek-endpresqueseulavecDylansurunterritoireque je connais comme ma poche et sans aucune échappatoire pour elle. La lionne sera obligée dem’affronter. De préférence, à l’horizontale. Est-ce de l’abus de pouvoir ? Oui.Mais à quoi cela meservirait-ild’êtredirecteursijenepouvaisenuser?

— Excellente idée, marmonne Davina en fixant attentivement l’écran de son portable.Malheureusement, mon emploi du temps ne le permettra pas. Nous avons des dossiers impératifs àbouclersinousvoulonsêtreprêtspourPublimédia.Impossibledem’ysoustraire.

Ellenedétachepasuneseulesecondesesyeuxdupetitécran.Ellepinceleslèvres,tapoteleclaviertactileetmerépondenmêmetemps.

—Maisvouspouvezm’emprunterunedemesassistantes.Çamepermettraderestericietd’avoirunrapportcompletàvotreretour.

Hum.Encoremieux.Jecroisquevousmeplaisezdeplusenplus,MadameRodriguez.

—Parfait,dis-jeenglissantunregardvictorieuxàDylanquiobserveintensémentlaportedesortie.

Est-cequ’elleseplaîtbienàMaréchalCommunity?

—Ellesviendrontdemaindansvotrebureaupourdéfendreleurcause,sicelavousconvient.Peut-êtreque ce voyage permettra à l’une d’entre elles de se rendre compte de la chance qu’elle a d’être ici,ajoute-t-elle.

Ah.ApparemmentDavinaaeudroitàuneDylanindisciplinéedanstoutesasplendeur.

—C’estnotépourdemain,j’évalueraileurprofilenattendant,conclus-je.

Davina inspire profondément en relevant la tête de son portable et semble avoir remporté un duelintenseparmail.

—Parfait !C’était une réunion très intéressante,MonsieurMaréchal.Vous savez ce quevotre pèreaimaitnousdire?«Laseulepersonnecapablederéaliserunrêve…—Estcellequil’aimaginé»,terminé-jeàsaplace,etellemesouritavecunsoupçondenostalgie.

Moiaussi,j’auraisvouluqu’ilsoitlàaujourd’huietqu’ilassisteàmespremierspasentantqu’adulteresponsableauseindel’entreprisequ’iladorlotéependantdesannées.

—Vousluiressemblezbeaucoup,tantauniveauduphysiquequedelaforced’esprit.

Monvisagesefermeautomatiquementetlestroisfemmesdevantmoisontinvolontairementtémoinsdel’inversiondemajaugedegaieté.LesyeuxvertsdeDylansonttropinvasifsàmongoûtetjedétourneaussitôtleregard.

—Demain.Dansmonbureau.Aucunretardneseraaccepté.

Jetournelestalonsetparsm’enfermerdanslebureau,grandetvide,àl’imagedecettechosequibat

dansmapoitrineetàlaquellecertainespersonnesaccordentuneimportancefarouche.

Putain,jeneressembleenrienàmonpère.Iln’étaitpasparfait,maisilsavaittellementdechosessurla vie que c’était tout comme.Après lamort demamère, il a déconné.Cependant, il ne s’est jamaisenfoncédansladécadenceaussiloinquemoi.Sereleverétaitsoncombatdetouslesjours,alorsquejetrouvaisplusfaciledesombreretderejeter lafautesur lemondeplutôtquesurmalâcheté.Ilétaitunguerrierduquotidien,affrontantsesdémonspourqu’augrandjamaisilnenousatteigneStéphanieetmoi.Ilméritaitchaquelettredupardon,del’amour,detout.Jenesuispascommelui.

Jesuisunedéfaite.

14.Quandlesmasquestombent

DYLAN

Charliefrappesesbaguettesl’unecontrel’autrepourdonnerledépart.

—1,2,3,4!

Ilpercutesabatterieetlerestedugroupenetardepasàsuivre.Lepublicestinvisible,plongédansl’ombredeslumièresdelascène.Maisl’énergiequ’ilnousoffre,elle,seressentintensément.Lespiedspiétinentlesol,lestêtesbougentaurythmedenotrenouvellecomposition,etlesvoixnoussuiventdèslesecondrefrain…Bonsang,cetteosmoseestlaplussainedesaddictions.Lesbassesrésonnentdanstoutmoncorps,megalvanisentetmepropulsentcommeunlance-roquetteàmonmeilleurniveau.Jesuisenparfaite communion avecma guitare et renvoie toutema passion à cette assistancemerveilleuse.Leurchant crée une harmonie et cettemélodie, cemélange de sons uniques, estma préférée.Lorsque nousrentronscheznousaprèschaqueconcert,lesilenceendevientparfoisdérangeant.Nousnepouvonsplusnouspasserdecesémotions.

C’estunconcertau toppour lesNoLimits.Parissesedébarrassemêmedesapetiteculotteà la finalorsqu’ellen’apasbuunegoutte.

—C’estcenséêtrel’inverse,Parisse!Lepublicquit’envoiesessous-vêtements!

Charlieritetpassesonbrasautourdesesépaulesalorsquenousnousdirigeonslecorpsdégoulinantdenosefforts,versnotrelogedefortune:levestiairedesemployés.

Nous entendons de l’agitation dans le couloir et Ludovic déboule en bousculant les gens pourm’atteindre.Ilestencorebourréetdéfoncé…

—Dylan.BelleDylan!

Jepaniqueunpeuetlanceunregardàmesamisentraindediscuter.Ilsnenousprêtentpasattention,enpleineeuphoried’après-concert.

—T’esentraindeplaner,Ludo,l’accusé-jeenévitantsesbrasquitententdem’enlacer.Rentrecheztoi,çavautmieux.

Ses pupilles s’assombrissent. Je sais que sa vie n’est pas rose et bleue, mais elle ne l’est pour

personneetjenecomprendspasqu’onpuissegérersesproblèmesdecettefaçon.C’estungarçonbien,cependant son addiction bousille tout ce qu’il a de positif, excepté samusique, et il pense que c’estsuffisant.

—Rentreavecmoi.

Ilmecoinceentrelemuretsesbras.Jesoupireetlefusilleduregard.Leblancdesesyeuxestinjectédesangetilestpluspâlequed’habitude.

—Putain, Dylan. Tu es tellement douée. Tu devrais venir jouer avec notre groupe. Toi etmoi, onbaiseraitlemondeentier,murmure-t-ilàmonoreille.—Letrucaveclamusique,Ludovic,c’estdepartager.

Samâchoiresecrispeetilseredresse,melaissantunpeuplusd’espacepourrespirer.

—C’estcommeçaquetumeremerciesd’avoirétélàpourtoi?

Je sais qu’il a été là pourmoi quand les choses allaientmal.Mais il n’a pas le droit d’utiliser ceprétexte.Énervée,jel’attrapeparlachemiseetleplaquecontrelemurd’enface.

—Tuétaislàpourmoiparcequej’avaisbesoindetoi!Maistoi,regarde-toi,bordel.Toutcedonttuasbesoin,c’estdelamerdequetuavales!

Ça le fait rireapparemment…L’équipeenbackstages’est figéeetmongroupenousobserve,prêtàinterveniraucasoù.

—Tuchanges,Dylan.Jesaispassic’estcejobavecdesgenspétésdetunesouquoi…Maist’espluslamême.—Cejobavecdesgenspétésdetunesmepermetdegarderuntoitetdeboufferàmafaim,idiot.Ettu

devraist’entrouverunsituveuxpasfinirdanslarueàfairelamanchepourtacame.

Ilricaneànouveau.

—Lesgenscommemoineserabaissentpasàceconformisme.—Lesgenscommetoi,onlesretrouveaufonddelaSeineavecdixkilosd’ecstasydanslesang.

Jelelâcheet tournelestalons.Dansmondos, ilcontinueàsemarreretàimiterlesbêlementsd’unmouton.

—Çavaaller?medemandeCharlie.

Jehochelatête.EntrelacolèreetlapeinequejeressenspourLudovic,c’esttoutcedontmoncorpsestcapable.Nousentronsdansnotrelogeoùdeuxhommesencostard-cravatenousaccueillent.

—Pitié,gémitnotrebatteur.Nemeditespasquevousêtesdesreprésentantsdel’égliseSaint-Pascal.

Jenerispasàsablague,maisàlatêtequetireParisse.Sonhumourn’estpastrèsdéveloppédèsquenoustouchonsàlareligion…

—Non,s’amuseleplusvieuxdesdeux.Maisjem’appellebienPascal.PascalDubois,précise-t-il.EtvoiciVirgil,monassistant.

J’observel’assistantenmedemandantsisonpatronestaussidiaboliqueetfroidqueDavina,etsioui,commentilfaitpourgérerça.Est-ildugenre«Célimène-je-ferme-ma-gueule»?

—Votreassistant?

PascalDuboissortdelapochedesonpantalonunecartequemonamisaisit.

—JetravaillepourMajorMusicEntertainment.Jesuischasseurdetêtesplusprécisément.

Lasurpriseet lechocnouscoupent lavoix.L’undesplusgros labelsdemusiqueest làpournous?Impossible,c’estuneplaisanterie.

—Noussommesàlarecherchedenouveauté.MajorMusicessayededénicherencemomentquelquechosed’hexagonaletdefraisquipermettraàvotregénérationdeseréconcilieraveclerocketl’indieenFrance.Nousrecherchonsdonclaperlerare:ungroupejeune,moderneetoriginal.IlestévidentqueNoLimitsvitdecestroiséléments.Toutcequ’ilvousmanque,c’estunemaisondedisque.Noussommeslàpourarrangercedernierpoint.—OHMONDIEU!hurleParisseauboutd’unlongsilence.Pincez-moi!

L’hommeritànouveau,satisfaitdesaréaction.

—Celafaitquelquessemainesqu’onvoussuitdéjà.SurleNetcommeendehors.Vousêtesexcellentset il n’y a aucun doute, vous pouvez vendre des millions d’albums. Laissez-nous vous offrir cetteopportunité.—Ah oui quandmême ! souffle Charlie, tenant toujours d’unemain tremblante la carte des agents.

C’est…!Nous…nousnesavonspasquoidire!lâche-t-ilennousfixanttouteslestrois.—C’estOUI!crieMaya.

Nousnoustournonstousverselle,quid’habitude,n’ouvrejamaislabouchepourdonnersonavis.Ellenouslaissetoujoursprendrelesdécisionsetnoussuitsansbroncher.C’esttrèsétrange.C’estunesoiréetrèsétrange!

— Oh la, Maya ! la calme Charlie. Doucement, nous devons d’abord y réfléchir ! ajoute-t-il endirectiondePascaletsonassistant.—C’estpourçaqu’onvouslaissenotrecarte,luirépondPascalenluilançantunclind’œil.Prenez

toutletempsdontvousavezbesoin,maispastropquandmême!

Surcesderniersmotspleinsd’espoir,lereprésentantdeMajorMusicetsonacolytequittentnotreloge.Lorsquelaportesefermederrièreeux,nousplongeonstouslesquatredansunsilencehébété.Enfin,touslesquatre…

—Réfléchir à quoi ? s’écrieMaya, les yeux sortant de leurs orbites.MajorMusic est venu nouschercherlesgars!MAJORMUSIC!Leplusgroslabelindépendantdemusiqueaumonde!

Jenesaispasvraimentsic’estleplusgroslabeldemusiqueaumonde,maisc’estlepremierànousaborder.C’estcarrémentsurréaliste!Jerepenseànosdébuts,ànospremièresreprésentations,lesbides,lessuccès…Jetented’imaginertoutcequipourraitseréalisersinousacceptonsdesigneravecunlabel.Bon sang, un label ! Ma tête tourne et je dois m’asseoir pour ne pas tomber. Peut-on réellementtransformerunepassionenunmétiersansquecelle-ciempiètetropsursavie?CharlieesthabitéparlesmêmesdoutesquandilrépondàMaya:

—Réfléchirtoutsimplement,rétorque-t-il,detouteévidenceaussisecouéquenous,surtoutentantqueleaderdugroupe.TuesencoreaulycéeMaya!Tuvaspassertonbaccetteannée.Dylanestenalternancedans une grosse boîte et je travaille pour payer mes études ! Quant à Parisse… eh bien, Parisse estParisse!

Mameilleure amie lui donneune claque sur l’épaule, faussement vexée. Il n’y a de toute façonpasd’autremoyendeladécrire.

—Bienquejen’aimepasl’avouer,concède-t-elle,Charliearaison,Maya.Onpeutprendreletempsd’endiscuteret…

MaisMayaestbornéeetneveut rienentendre. Jecroisquec’est lapremière foisqu’elleprononceautantdemotsennotrecompagnie.Boufféeparsonsilencehabituel,elleestsurlepointd’exploser.

—Jenevoispascequ’ilyaàdiscuterdeplus!C’estunechanceincroyable!Çanem’empêcherapasdepassermonbac!Etlesétudesc’estmerdique,c’estpascequipayeleloyeretlesfringues!

Biensûrqu’ellepenseça!Ellevitencorechezsesparents…Maismoi,àl’inverse,jepaieleloyerdel’appartementdemamère.Lesétudes,çaabeauêtre«merdique»,aufinal,c’estbienutile.

Accepter tout de suite serait tropprécipité.Elle ne faisait pas partie dugroupequandnous l’avonsmonté.Etaudépart,c’étaitjusteunloisircommeunautre.Lanotoriétéestvenued’elle-mêmequandlepatron d’un bar nous a offert une belle petite somme pour jouer dans son établissement. Nous noussommesprisaujeuetnotremusiqueatournéunpeupartoutdanslacapitale.Riendemonstrueuxoudebiencompliqué.Nouscherchionssimplementde la reconnaissance,pasàpasserprofessionnel.EncoremoinssigneravecunlabelaussipuissantqueMajor.C’estàlafoiseffrayantetdéroutant.

—Maya…

Quandelletournesatêteincréduleversmoi,jechangelatournuredemaphraseenunequipermettrademettrefinàcettedispute:

—VousavezentenduPascal?Qu’ilnouslaissedutempspourréfléchir.Jepensequec’estlabonnechoseàfaire.Disonsqu’onselaisseuneàdeuxsemaines.Çateva?

Mayasecouelatête,attrapesesaffairesets’envaenclaquantviolemmentlaporte.

—Putain,maisc’estquoisonsouci?s’énerveParisse.Depuisquandelleasonmotàdire?—Onestungroupe,Parisse,ronchonneCharlie.

Parisses’assoitsurlecanapéetsouffle.Ellen’ajamaisappréciéMaya.Ellelasupporte,lataquine,maisdanssondos,ellen’hésitepasàladescendre.Elleestpersuadéequenotrechanteuseestunefourbeetunevicieuse,unebombeà retardementquipourraitnousexploser à la figureà toutmoment.Etvuecommentellearéagicesoir,jenepeuxquerejoindrel’avisdemonamie.

—Quepenses-tudetoutça?m’interrogeParisse.

Charliem’observeetouvreunebouteilled’eauenattendantmaréponse.

—Honnêtement,j’ensaistroprien.JenepensepasqueMajorMusicsefichedenous,mais…C’estMajorMusic.Est-cequ’onestprêtpourça?

Ouplutôt:enai-jeenvie?

***

J’adorecesentimentdefiertéquandjepénètredansleslocauxdeMaréchalCommunityavecmonpass.Jesalue les réceptionnistesquim’ignorent royalementetattendsdevant lesascenseursenmême tempsquelesautresemployés.Maisjem’enfiche,carpendantcesquelquesminutes,jesaisquej’appartiensàla«communauté».

—Zéro,zéro,zéro…Humm,moinscinqpourlevernisenfait.

Et puis il y a Davina et sa notation quotidienne, qui me rappellent que je n’appartiens à aucunecommunauté.Mêmepascelledes«bien-habillés»,malgrémesnombreuxeffortspour ressemblerauxfillesBCBGdecetimmeuble.

—MonsieurMaréchalvousattend,toietCélimène,dansuneheure.

J’aiessayédenepas troppenseràce rendez-vous—ouàGaspardplutôt—etauspeechque j’aipréparé pour défendre ma cause. Je sais maintenant que je perds tous mes moyens quand je suis àproximitédesoncorpsexaltant,desesyeuxfascinants,desavoixenchanteresse.

—Jesuisstressée,pastoi?mequestionneCélimènedansl’ascenseurquinousmèneaudernierétage.—Oui,soufflé-je.

Mais pas pour les mêmes raisons, pensé-je. J’appréhende ma rencontre avec Monsieur Pépito,spécialistedessautesd’humeur.Lacomplexitépersonnifiée.

Arrivéesaudernierétage,Célimèneetmoiquittonsl’ascenseuretpénétronsdanslehalldeluxequiabritelesbureauxdesPDGdel’entreprise.L’assistanteestunedamed’unecinquantained’annéesunpeurondeavecdesjouesrosesdebébéetunecoupeaucarréquiarronditd’autantplussonvisage.Ellenousaccueillechaleureusementetjenepeuxm’empêcherdeluiretournersongrandsourire.

—MademoiselleSavage,c’estça?

Jehoche la têtecommeunepetite fille timide.Elleaprononcémonnomde familleà l’anglaise, luidonnantunetonalitéquejeneluiavaisjamaisprêtée.

—Elizabeth, seprésente-t-elle.Votrenoma retenti plusd’une foisderrière cesmurs, savez-vous ?glousse-t-elle.

Célimène se racle la gorge demanière prétentieuse et lorsque le visage de porcelaine d’Elizabethrencontrelesien,ilsedéforme.Ilyaclairementquelquestensionsentrelesdeuxfemmes.

—Célimène,saluefroidementElizabeth.—IlmesemblequeMonsieurMaréchalnousattend,Elizabeth.Sivouspouviezleprévenirdenotre

présence.

Ellenousmontredelamainlecarré«salled’attente»duhalletnousprenonsplacealorsqu’ellesedirigeverslebureaudeGaspard…MonsieurMaréchal?Gaspard?

—JeveuxquetusachesquelechoixdeMonsieurMaréchalnechangerarienentrenous.Jenesuispasenconcurrenceavectoi,onestpartenaire.Detoutefaçon,ceneserapasleseulvoyageàNewYorkoumêmeà l’étranger!Davinavasouvent là-baspourdesconférences,elleest trèsdemandéetusais.J’ysuisdéjàalléequatrefoisavecelle.Jeconnaisabsolumenttout.

Sonpetitriredefaux-culetsonsourirepincémerappellentimmédiatementMaya.Derrièreleursairsde petite vierge effarouchée se cachent des hyènes affamées de réussite, prêtes à tout pour obtenir lapremièreplacedupodium.

—Ceserasansrancune,luicertifié-je.

ElizabethsortdubureaudeGaspard,cedernierluiemboîtantlepas.Jesuisinstantanémentsubjuguéeparsoncharismeetsaprestance.

—Célimène,vousmesuivez?

Pourquoi commence-t-il par elle ?Etpourquoineme jette-t-il pasun seul regard?Sonattitudeesttellementfrustrante!

La porte de la salle de réunion se referme derrière eux et une flopée de pensées négativesm’envahissentbrusquement.Pourquoinelaissent-ilspaslaporteouverte?Ilvalapeloter,c’estcertain.Luitoucherlesfessesetl’inviteràcoucherdansl’avionquilesemmèneraàNewYork.Jemeretrouveàfairelescentpasdanslehallenfixantlaportedelasallederéunionàchaquepetit

sonnonidentifié.Pourquoil’échangeseprolonge-t-ilsilongtemps?

—Toutvabien,MademoiselleSavage?

Lavoixd’Elizabethmesurprend.

—Non,maismerci,réponds-je.Etvouspouvezm’appelerDylan.—Vouspouvezm’appelerElizabeth.

Nouséchangeonsunbrefsourire.

Je lissema jupe froissée avant deme remettre àmarcher de long en large. Le rire dema collègueretentit,suiviparceluideGaspard,graveetsensuel.Legenreàenflammerlespetitesculottesetréveillertouteslesénergiessexuellesd’uncorpsinnocent.

NouveauriredeGaspard,puisunplusaffirmédeCélimène.

Jemefigeetinspireprofondément:ilssontentraindeflirter,forcément.

Calme-toiDylan,iln’yaaucuneraisondenepasêtreCALME!

C’estmoiquiaidemandéàGasparddegardernotre relationprofessionnelle.Alors il a ledroitdeflirter avec qui il veut.Tout commemoi j’ai le droit de fréquenter qui je veux.Pas de jalousie ni depossessivité!

—Elizabeth?Auriez-vousunverred’eau,s’ilvousplaît?

Aimablecommetout, l’assistantehochelatête,disparaîtderrièresoncomptoirquelquessecondesetmetendcequej’aidemandé.

Lecontenuduverrefinitdansunpotdefleurs.Mince,cenesontpasdevraiesfleurs!Ons’enfiche.Jeleposecontrelaportepourquel’échodesparoless’infiltredanslerécipientetcollemonoreillepourentendre.Génial!J’aivuçadansunfilmetiln’yaaucuneraisonqueçanemarchepas!Unlentetlongsourires’affichealorssurmonvisage.

— Je connais la ville comme personne ! rétorque Célimène. Les stations de métro, les rues, lesmagasins,lesimmeubles,lesquartiers…NewYorkn’aaucunsecretpourmoi.C’estcequ’ilvousfautpourvous rendre là-bas !Quelqu’unavecunebonnemémoireetunecapacitéàenregistrer toutcequil’entoure.—Jeprendsnote,luirépondpolimentGaspardetlespattesdeschaisesraflentlesol.

Faischier,j’arriveàlafindeleurentretien.

—MonsieurMaréchal,entrenous,Dylanestintelligente.

Oh,ça,jenem’yattendaispas.

—Maisprofessionnelle?Non…Etellepourraitplanterl’excellentestratégiequevousavezélaboréepour Publimédia.N’oubliez jamais ce quemamèreme répétait : « Pourquoi se contenter duBoursinquandonpeutmangerduMauboussin?»

Ohlagarce!Jevaismelafaire!

Leplusmalhonnêtedansl’histoire,c’estqu’ellesesertdesessentimentsenparlantdesamère,commeDavinal’afaithieraveclui.N’a-t-ellepasremarquéquec’estplutôtmalpassé?

—Vous êtes un vrai requin, Célimène ! s’esclaffe Gaspard.Maréchal Community a définitivementbesoindepersonnecommevous.

—Vousl’avezditvous-même:lemondedesmédiasestunocéan.Jenefaisquesuivrevosconseils,MonsieurMaréchal.

Elleroucoule,lachaudière!

J’entendsleurpasserapprocheretreculejusteàtemps.Laportes’ouvresurGaspardquiserrelamaindeCélimène.Jebaisse lesyeuxsur leursdoigtsquis’enlacentetmedemandesielleaussipeutsentirl’électricitéémanerdecethomme.Ellese tourneversmoiet l’espaced’un instant,sonvraivisagedepétasseestàdécouvert.Puiselleremetsonmasqueenplaceetmepresselebras.

—Jeredescends.Onsevoitaubureau?

J’acquiesceetlasuisduregardjusqu’auxascenseurs.

—Dylan?

Je tourne les yeuxversGaspardqui observe, amusé, le verreque je tiensunpeu trop fort dansmamain.

—Tuentresoutucomptesm’assommeravectonarme?

Cen’estpasdrôle.Iln’estpasmarrant;ilsmesaoulent,luietsesblaguesàdeuxballes.

Jerelèvelementonetentredanslasallederéunion.Toutd’uncoup,ellen’apluslemêmecharmequ’hierlorsqu’ill’inondaitdesonintelligencefine,toutenmejetantdescoupsd’œilquidémontraitsonintérêtpourmoi.Aujourd’hui,c’estlasalleoùilestrestéseulavecCélimènebientroplongtemps.Jedéposeleverreetattendsqu’ils’asseye.Vuladispositiondeschaises,aucundoute:lavipèreétaitàquelquescentimètresdelui.Assezprochepourposersamainsursacuisse,laremontertoutendouceuretluiarracherunsouffledeplaisir.

—Tunet’assoispas?

J’évaluesapositionetprends finalementplaceenboutde table,à troischaisesde lui. Ilhausse lessourcils,maisn’ajouterien.

—Jevois…Bon,j’aitondossiersouslesyeuxetlechoixmeparaîtévident.Pourdesraisonsquineteconcernentpasdirectement,j’aibesoindem’entourerd’élémentsfiablesdanscetteentreprise.Cequiinclut…

Jel’interrompsavantqu’ilnesemetteàmecompareràl’incroyableCélimènequisait«absolumenttout».

—VouspouvezprendreCélimène,MonsieurMaréchal.Jenevousseraid’aucuneutilitéàNewYork.Jeneconnaisrienlà-bas,jen’yaijamaisété.Enfait,jen’aijamaisprisl’avion.Jen’aimêmepasdepasseport.Ilestdoncpluslogiquequecesoitma…collèguequivousaccompagne,lâché-jeamèrement,carendixminutes,elleestpasséedecollègueàennemiejurée.

Convaincueparlaspontanéitéetlasincéritédemondiscours,jemelèvepourpartir.

—Dylan.

MonDieuquejehaissavoixrauquequandilalemalheurdeprononcermonprénom.Jevoudraisquejamaisilnes’arrête.

—Dylan!répète-t-ilplusdurement.

Jeposemamainsurlapoignéepourouvrirlaporte,maismonnomretentitcettefoiscommeuncoupdetonnerre.

—DYLAN!

Mespoilssehérissentetunfrissonserpentelelongdemacolonnevertébrale.Cen’estpasdelapeurnidelasurprise.C’estautrechosequejenepeuxdéfinir.Contremavolonté,jemeretournepourluifaireface,lecœurbattantplusfortqu’àlanormale.L’éclatdecolèredanssesyeuxpourraitfaires’écroulerl’immeubleetpourtantjetiensbon.

—Putain,qu’est-cequetupeuxêtrechiante!Assieds-toi!megronde-t-il.—Jenesuispasunchien!

Jelevoisinspireretprendresurluiavantderecommencer.

—S’ilteplaît,Dylan,assieds-toi.

Là,onestsurlamêmelongueurd’onde,Pépito.

Mesyeuxledéfientalorsquejeregagnemonsiège.Onpeutêtredeuxàjoueraujeudesmécontents.Samainmeglisselapochettequ’ilavaitenentrant.

—Ouvre,c’estpourtoi.

Notantmonairméfiant,sesyeuxbleusinsistent,étrangementplusdouxquetoutàl’heure.Impossible

de résisterplus longuement. J’ouvre lapochetteet restebouchebée.Unpasseport?Mais…Commentest-cepossible?

Jeparcourslepetitcarnetoùtouteslesinformationssurmoncomptesontrassemblées.

—C’esttonpasseport,annonce-t-il.Tun’asplusqu’àlesigner.Toutcedontj’avaisbesoinàtonsujetétaitdanslesregistresdeMC.Ilm’ajustesuffidel’envoyeraubonmomentauxbonnespersonnesetilétaitsurmonbureaucematin.TutrouverasaussitesbilletspourNewYork.L’avionpartvendredietnousseronsderetourdimancheaprès-midi.Pasbesoindeprendreénormémentd’affaires,maisdesvêtementschaudsetunparapluie.J’aientendudirequ’ilnefaisaitpasbeau.

Jelèvelesyeuxsurluietdécouvrequ’ilestsérieux.Etabsolumentsexyenhommedécisionnaire.

—Célimène…—Estunepisseuse,égoïsteetégocentriquequin’apascompriscequele«Community»delaboîte

signifie.Certeselleestplusexpérimentéequetoiencequiconcernecegenrederendez-vous,maisilyaunepremièrefoisàtoutetj’aibesoindetravailleravecdenouveauxcollaborateurs.

Une ombre passe sur son visage avant qu’il neme décoche un petit sourire. Il estmystérieusementimpressionnant.

—Etpuis,Dieuseulsaitàquelpointj’adoreraisêtretonguidetouristique.

Ses yeux se sont arrêtés sur mes lèvres. Il sélectionne toujours ses mots avec soin. Le roi del’implicite.Pasbesoindeluidemanderàqueltypedetourismeilfaitallusion.Rienquinepourraitmedéplaireentoutcas.

—Tuasdesquestions?

Toutaététellementvitequejen’aimêmepaseuletempsderéfléchir.Alorsdesquestions…Encemoment,toutmetombedessus,c’estassezdingue.Cependant,j’aidumalàmeréjouircommelaplupartdesêtreshumains.Jesaisparexpériencequ’unbonheuresttoujourssuivid’unmalheur.Etunmalheurnevientjamaisseul.

—Je…Merci.Pourlepasseport.

Jenel’auraispasobtenuensipeudetemps.Çaasesavantagesd’êtreunMaréchal,jesuppose.

—Cen’estpasunequestion,ça,metaquine-t-il.—Pourquoitedonnes-tuautantdemalpourmoi,Gaspard?

J’aibesoindel’entendreleformuler.Sontorsesesoulèvelégèrementquandsonprénomglissesurmeslèvres.Detouteévidence,celaluifaitégalementbeaucoupd’effets.Jeretiens…

—Parceque.—Cen’estpasuneréponse,ça,letaquiné-jeàmontour.

Ildéploiesesgrandes jambespoursemettredebout,avance jusqu’àmoid’unedémarcheassuréeetposesesfessessurlatable.Ilmedominedetoutesatailleet jedoisleverlementonpourcroisersonbeauregard,àlafoispénétrantetténébreux.Toutcequ’ilfautpouraffolermessens.

Ilnemetouchepas,maisjeressenscelienimperceptibleetchimiquequinousattirel’unàl’autre.Jelevoissepencherpetitàpetitversmoi.Jel’entendsinspireretrelâcherunsoufflefrissonnant.

—Depuis le début, j’ai accepté sans broncher,m’avoue-t-il simplement.Mais j’ai décidé que j’enavaisassez.

Oh. Jecroisque je suis sur lepointd’imploser. Jenepeuxapparemmentéchapperà sondangereuxparfum.Unparfumemplidepromessesérotiques.

—De?murmuré-je,larespirationcourteetfaible.—Jouer,annonce-t-il.

Ilseredresse,plongesonregarddanslemienetpourlapremièrefoisdepuisnotrerencontre,j’aidroità un frôlement volontaire de sa part. Samainme soulève légèrement lementon pour lui permettre dem’observeràsaguise.Jefrissonnedeplaisiretmordsmalèvreafinderetenirlegeignementprovenanttoutdroitdemonbas-ventre.

—Ilesttempspournousdepasserauxchosessérieuses,Dylan.

Ilsepencheencoreplus,ses lèvresse rapprochentdesmienneset jesenssonsouffleardentsurmabouche.J’entrembleetjemeursd’enviequ’ilaillejusqu’aubout.Décidément,cethommemetmalibidoàrudeépreuve.Ilserapprocheetmoncorpsentierleréclame.

—Dylan?memurmure-t-iltoutprèsdemeslèvres.

Leseulsonquisortdemaboucheestungémissement-couinement.Oui,jesuissurlepointdejouir.

—Àvendredi.

Illâchemonvisage,selèveets’enva.Sachaleur,sonsex-appeal,mondésir,ilemportetoutaveclui,

melaissantpantelanteetbrûlante.J’avalebruyammentetmarespirationsifflanteenvahitlapièce.Jemetourneverslaporteouverteetcrie:

—Elizabeth,jeveuxbienunautreverred’eau,s’ilvousplaît!

Enfait,ilmefaudraitunedouchefroide.Etjepressensqu’ilm’enfaudraplusd’uneàNewYork.

15.Kyocera

GASPARD

Stéphanieobserve leplafondhautauxmouluresélégantesornéesdefleursetderayures.Elle fait lamoueetducoindel’œil,jedevinequel’agentimmobiliermeurtd’enviededéfendrecetappartement.Ilacomprisqueladécisionnaire,c’estelle.

—Qu’endis-tu?

Elle pince les lèvres, l’homme retient son souffle et j’arque mes sourcils en attendant sa réponseégalement.

—Hum…J’aimebien.— 450 mètres carrés, cinq chambres, trois salles de bains, dernier étage avec ascenseur, 16e

arrondissementetprochedeCharlesdeGaulleÉtoile,énumèrel’agent.Commentnepas«aimerbien»?

Lesarcasmedanssavoixm’obligeàportermonpoingàmabouchepourcouvrirmonrired’unetouxsèche.

—Fafa…lapressé-je.

Tous les midis depuis une semaine, je me cale sur ses heures de pause pour nous trouver unappartement.Nousenavonsdéjàvisitéunevingtaineetcelui-ciestleplusvertigineuxetleplusplaisant.Ilsetrouvedansle«triangled’or»parisienetlevoisinageest,pourlaplupart,étrangeretdoncabsent.Ilcoûteaussi7,5millionsd’eurosetm’aparconséquentplacéenconcurrenceavecunprinceoujenesaisquoid’aprèsl’agentimmobilier.Jen’aipasspécialementeulecoupdefoudre.Etpuis,uncoupdefoudren’estpossiblequ’entredeuxpersonnesphysiques.Parexemple,j’aieulecoupdefoudrepourlesfessestendresetmuscléesdeDylan.

—Non,tranchemasœur.

Ellesedressesurlapointedespieds,redescendenclaquantsestalonssurleparquetetmeregarde,catégorique.

L’agentpousseunsoupirrésignéetmelâchedansunsourirecrispé:

—Demainàlamêmeheure?

Jeluirenvoieunsouriredésoléetquittel’immeubleenprenantFafaparlesépaulespournouscouvrirduventfroiddefind’octobre.

—Tuasdécidédemerendredingue,c’estça?—Non,marmonne-t-elleentripotantsesdoigts.

OK…Elle a choisi de ne répondre que par la négative…Nousmontons dansmonAston et jemetourneverselleavantdedémarrer,lessourcilsrassemblésenunairsoucieux.

—Toutvabien?

Sielleétaituneenfantcapricieuse, jepenseraisqu’ellemefaitun«cacanerveux»pourobtenircequ’elleveut.MaisFafaetmoin’avons jamaisétédesenfantspourrisgâtés.Mamanafaitensortequenousapprenionsque toutobjetaunevaleuretqu’au-delàdesonprix, il fautsavoir lemériterpour leposséder.

—Ouais,c’estjuste…

Ellemejetteuncoupd’œil,sedemandantsiellepeutseconfierounon.Jemeretiensdeluidirequejesuissonfrèreetqu’ellepourra toujourscomptersurmoimalgrémonabsence.J’aiconsciencequemaplacesurlepodiumdesesconfidentsestinstable.Mêmesielleétaitd’accordpourquejeparte,jenedoute pas qu’une infime partie d’ellem’en veut de l’avoir laissée seule. Je la comprends : cemêmesentimentm’arongépendantdeuxannéesentières,nuitetjour,meprivantdepaixintérieure.Mais,jenepouvaispasl’emmener,encoremoinsrevenir…

—Rien,achève-t-elle.Oublie!Onvadéjeuner?Jeconnaisunbonrestaurantpastrèsloin.

Jerefusedelabrusquer,alorsjedémarrelavoitureetabandonnel’idéedeluiarracherlavérité.

***

Mon après-midi se compose de prise de décision dans toutes les langues, de réunions informellestouteslesheuresetdegrognementsd’exaspérationentrechaque.Àmareprisedelasociété,lechallengeseraencoreplusintraitable.Maisc’estcequimeplaît:êtreauxcommandes.Mesmainsmedémangent,ellesveulentsedéfouler.Jemegrattelementonetavantmêmequejenepèselepouretlecontre,mesdoigtsenfoncentleschiffresdunumérodeDylanetjecollemonportableàmonoreille.

—Allô?répondavecbrusqueriesavoixécorchée.

Moncorpssecrispeagréablement.Voilàlarecettedontmabellelionneestfabriquée:delasensualitéetdelasauvagerie.Unmotetc’esttoutunmondecharnelquej’entrevois.

—Dylan…soupiré-jeenproieàuneirrésistibleenviedel’avoirauprèsdemoi.

Ellemeraccrocheaunezetjesorsdemonétatsecondaire.Jen’aipaseuletempsdefinirdeparlerqu’elle me fuit déjà. Comme dans l’ascenseur. Ce qu’elle peut être puérile ! Ça me rappelleinstantanémentqu’ellen’aquevingt-et-unans.Bonsang,nousallonspasserunweek-endentierensembleetaprèsnotremission,j’aiprévudeluifairedeschoses…impossiblesàréalisersielleadesréactionsdelasorte.

[JeTRAVAILLE,MonsieurMaréchal,jen’aipasletempsdediscuter~Dylan.]

Pasmarrant.Cequ’ellepeutêtredirecteetexpéditive.Latâches’avèreonnepeutpluscompliquéeàprésent.

J’observe combien de temps il me reste avant ma prochaine réunion et descends à l’étageévénementiel, davantage vivifiant que le mien. L’atmosphère y est très éloignée de la rigueur et del’austérité qui dominentmon bureau et celui demon oncle. Là-haut, j’ai constamment l’impression detravailler pour les pompes funèbres. Paul-Antoine ne rigole pas, il ne parle qu’à un niveau sonoreraisonnableet ilestcontreuneaméliorationdécorativedenotrehall.JeplainslapauvreElizabethquidoitsefarcirl’imitationdeMonetdontlestylereflètenotreétage:lanaturemorte.

—LebureaudeMademoiselleSavagejevousprie,demandé-jeàlaréceptionnistedel’étage.

Ellemordleboutdesonstyloenmedétaillantdesesyeuxbrutsettendsamainverslagauche.

—Aufondducouloir,justeavantceluideMadameRodriguez,monsieur.

Dèsquej’entraperçoislacouleurdesalangueapprocherlecapuchondustylo,jeretiensunegrimaceparrespectpourelle.

J’entredanslebureausansfrapperettombesurunechaisevide.

—MonsieurMaréchal?

MaisCélimèneestlà,sacollègueprétentieuseavecqui,detouteévidence,ellepartagelapièce.

Etunebonnepartiedemesfantasmesprenduncoupdepoing…

—OùestDylan?JedoisrégleravecellelesderniersdétailspourNewYork.

L’éclat deméprisqu’elle ressent envers sa collèguem’oblige à lui parlerplusdurementqueprévu.Cette nana n’a absolument aucun esprit d’équipe, or, c’est ainsi qu’onmène à bien les projets d’uneentreprise.

—Àlaphotocopieuse,elleaoubliéqu’elleseraabsentevendredi.Alorsmaintenant,ellegalère.Elleesttellement…scolaire,commente-t-ellecommesicemotétaituneinsulte.—Merci,Célimène.

Jem’apprêteàfermerlaporte,maiselleselèved’unbondetm’arrête:

—MonsieurMaréchal!Attendez!

Elle se dandine dans son tailleur de grand-mère et me regarde timidement. Je plisse les yeux enattendantsaréplique.

—PourquoiavoirchoisiDylanàmaplacepourNewYork?

Je réfléchis à ce que je peux bien lui répondre sans êtreméchant. Elle peut être un atout dans uneentreprise, legenrequibouffe la concurrence, tout commeellepeut êtreundangerprovoquantde trèsgrosennuis,legenrequibouffesescamarades.Jenementaispasquandjedisaisqu’elleétaitunrequin.Unrequin,c’estbeau,maisquandonchassesursonterritoire,çan’hésitepasàserapprocherdelaplagepourboufferdelachairhumaine.

—Jenepensepasvousdevoiruneexplication,avisé-je.

Elledoitentendreparlàquec’étaitmadécisionetqu’iln’yapasàenrediscuter.Jen’aipaschoisiDylansimplementpourêtreseulavecelle.Jel’aichoisie,carjesuissincèrementpersuadéqu’elleestdouée.Cedéplacementestlachancedefaireévoluersonstagedanslabonnedirection.Elleestlegenredefilleàremuercieletterrepourprouversescompétences.Sadéterminationselitdanssesyeux.Jesuiscertain que si elle ne représentait pas unemenace sérieuse, Célimène ne la descendrait pas ainsi. EtDavinacroitenelle,toutcommemonpèrecroyaitenDavina…

—Oui, je comprends,m’assureCélimène avant de se rasseoir face à son ordinateur, toujours dansl’incompréhension.

Jequitte lebureauetmedirigedroità laphotocopieuse.Dylanestentraindes’acharnercontre lamachine, animée d’une rage que je ne lui connaissais pas encore. Je comprendsmieux son accès decolèreparSMSdetoutàl’heure.

Ellesecourbepouressayerd’ouvrir lebacàpapierqui résisteàsesgestesempressésetmesyeuxglissentmachinalementsursajupecrayonetl’épaissefermetureéclairdoréequilaferme.Jecroisbienquejenousaietrouvéunnouveaulieupournospetitsrendez-vouscoquins.

—Tupermets?

Surprise,ellebonditausondemavoix.Sesprunellesmedévisagentetses jouesrosiespar l’effortm’évoquentdesimagesvraimentdéplacées.

—MonsieurMaréchal!s’exclame-t-elle.

En quelques secondes, elle analyse l’environnement : l’espace est confiné, la porte n’estqu’entrouverte,noussommesseuls…Jem’approched’elle.

—Mais…Qu’est-cequevousfaîteslà?déglutit-elle.—Lorsque j’avais dix-sept ans, j’ai fait un stage d’été àMC.Mon plus gros problème n’était pas

l’utilisationdeladominationparlescoûts,maisKyocera.—Kyocera?

Leboutdemonindexdésignelamarquedel’imprimante-photocopieuseaumécanismedigital.

—Ah.—Oui.Ah.

Ellemordsalèvrepourseretenirderire.Jeluiprendssonpassdesmainsetrecommenceleprocessusà suivre. Elle suit des yeux chacune des étapes dans un silence appréciable. Quand elle n’a pas lamainmisesurquelquechose,elledevientextraordinairementsage.Unefois lesphotocopies lancées, jemepencheverselle,prendsappuisurlaphotocopieuseetluimurmure:

—C’estenfaisantpreuvedepatiencequel’onprendplaisiràsavourercequel’ondésire.

Jeparviensàluiclouerlebecquelquessecondesavantqu’elleneseressaisisseetretrouvesonsensincroyabledelarépartie:

—C’estfascinantdedécouvrircettegrandehistoired’amourentreKyoceraetvous.—Elles’estmontréeréticenteànosdébuts,maisaujourd’hui,j’arrivefacilementàladompter.—Maisêtes-vouscapabledelacomblercommeilsedoit?murmure-t-elleenlevantlementonvers

moi.C’estlavraiequestion.

Bon,iln’estplusvraimentquestiondel’imprimante,là…

—Jepenseavoirtoutcequ’ilfautdececôté-ci.—C’estcequevousprétendez…C’estcequetousleshommesprétendent,enfait.Saufqu’aucunn’est

parvenuàfairesespreuves,jusqu’àprésent.C’estpourquoijenesuispascertainededevoirvouscroire,vous,plusqu’unautre.

Jerisdevantlamouechiffonnéequiaccompagnecettedernièrephraseridicule.

—Trèsbien, lancé-je lesbrascroisés, intriguépar lepetitboutde femmeau fortcaractère.Quelleépreuvepuis-jereleverpourattesterdemalégitimitéauprèsdeSaMajesté?

Ellefixemeslèvresetinspirecalmementpourquejen’aperçoivepaslafébrilitéquejeprovoqueenelle.

—Jeveuxbienvousaccorderlebénéficedudoute,MonsieurMaréchal.Maisàtroisconditions.—Lapremière?

Ellelèvesonindex.

—Pasdanslestransports.Jen’aijamaisprisl’avionetj’aimeraismesouvenirdecettepremièrefoisautrementquecommecellequevousavezentête!

Merde,c’étaittropfacile.Elleadevinéenunclaquementdedoigtsl’undemesfantasmes.

Delapatienceetducourage.Jeprendssurmoietacquiesceavectiraillement.Simapépiteabesoindeprendre lescommandespourquelquesbroutillesdecegenrealorsd’accord. Je saisquequoiqu’il ensoit,lerésultatseracruellementexquis.

—Ensuite,jevousoffreuneseulenuitauboutdelaquellejedécideraisivousêtesconsommableoupas.

Uneseulenuit!s’indignemonmembreviril,scandaliséparcettecondition.Jeplisselesyeux,maisacquiesce.

—Etlatroisièmecondition?

Ellehausselesépaules,arrêtel’imprimanteetsaisitsonpaquetdefeuilles.

—J’yréfléchiraiquandnousseronsàdixmillepiedsdusol.Bonnejournée,MonsieurMaréchal!

Elletournelestalonsetjelescontemples’enaller,elleetsafermetureéclairdudiable.

NewYork,nousvoilà.

16.Paniqueàbord

DYLAN

Parisserevientdukiosquedel’aéroportavecdeuxmagazinesdanslamainetunecanettedeCoca.

—Lequeltuveux,Blondie?

Ellememontrelescouverturesetj’aiunsursaut:unefillecomplètementnuesurl’un,l’autreafficheGaspardprisàsoninsu,sortantd’unrestaurantavecStéphaniesouslebras.

—Unerevuedecharmeouunpeople?Tumeconnaistellementbien!ironisé-je.—Oh,jouepaslesmijaurées!sevexe-t-elle.

Ellemeremetlemagazinepeopleoùestinscritengrostitre«Filshéritieroufilsmaudit?Onvousdittout».Quelramassisdeconneries!

Parisseprendunegorgéedesoncocaetrotecommelafillemaléduquéequ’ellenedevraitpasêtreauvudesesoriginesbourgeoises.

—Tropclasse!—C’estbon,y’apasmortd’homme!râle-t-elle.Etpuiscen’estpascommesitonsexydirecteuraux

mainsbaladeusesétaitdanslesparages.

Jelaregardeavecdegrosyeux.Commentest-elleaucourantpour«lesmainsbaladeuses»?

—Quoi?Tucroyaispouvoirmecacherça?—Jenet’airiencachédutout.Jenevoismêmepasdequoituparles.—GaspardMaréchalet toi.Ce voyage qui comme par hasard n’implique quevous deux sur une

sociétéde2800 employés. Les sextos que vous vous échangez la journée, poursuit-elle en appuyantjudicieusementsurlesmots-clés.—Tuasfouillédansmonportableprofessionnel?—Pourcommencer,n’essayemêmepasdechangerde sujet,meprévient-elleduboutde son index

verni de rouge. Et ensuite, je n’ai pas fouillé dans ton portable, je suis tombée sur vos SMS par purhasard!

S’ilyaunechosedontjesuissûre,c’estqu’ellen’apasvucesmessagespar«purhasard»,carlaseulechosesurlaquelleParissen’aaucuncontrôle,autrequesonvaginetsalangue,c’estsacuriosité.

—Jenecroispasqu’onaitlamêmedéfinitiondumot«hasard».—OK,avoue-t-elleenlevantlesmains.Ilsepeutquemesmotivationssoientpurementépicuriennes.

Maistudoismecomprendre:tuesdanscetteboîtedepuisprèsd’unmoismaintenantetleseulmorceauque t’as lâché, c’est cetteguerrepourconquérirPubli-machin-truc.Alors j’ai étépêcher l’informationcroustillanteàlasource.—Parisse…grommelé-jeenfrottantmesjouesbrûlantesdehonte.Tucroisquejesuisentraindefaire

unebêtise?—Çadépenddecequetuentendspar«bêtise»,parcequeçavoudraitdirequej’encommetsàla

pelle.—Onn’apascouchéensemble,l’informé-je.

Bienquej’encrèved’envie,mêmesij’ignoreexactementcequim’attirechezGaspard.Évidemment,soussescostumes,jenedoutepasqu’ilyaituncorpsàrendrenymphomaneunesainte,maisjedevineautrechosedemoinsphysique…Unesortedefluxchimiquequimeconnecteirrémédiablementàlui,àcequilecomposeetquimepousseàvouloirenapprendreplus.

—Maisceweek-endestlàpourrectifierletir,pasvrai?

Jesoupireetfroncelenez.

—Formuléainsi,oncroiraitquejemerendsàNewYorkuniquementpourpasseràl’acte.

Mameilleureamiearquesessourcils,dubitative.

—JenevaispasàNewYorkpourça!souligné-je.Lapriorité,c’estd’abordleboulot!

Je suis certaine que cette mission outre-Atlantique m’entrouvrira la porte de la considération deDavina.Toutesmestechniquesjusqu’iciontfoiré,oubienjenesuispasàlahauteur.Alorsdésespérée,jetentecelledelastagiairemodèle.

—Toi, tuvaslà-baspourleboulot.MaisGaspardMaréchal?Jen’enseraispassisûreàtaplace.Prendsletempsderéfléchirunepetiteminute.Jesaispasmoi,tudisaisquePubli-machin…—Publimédia,l’interromps-jed’unevoixmonotone.—Publimédia,reprend-elle,estdevenuelecentred’intérêtdeMaréchalCommunity.Lemondeentier

s’arrachelesailespourgagnerlabatailleettondirecteurtechoisittoi,lanouvellestagiairequin’estpasencorefamilièreaveccegenrededélégation,pourl’accompagner.

Sesyeuxs’agrandissentetellemarmonne:

—Excuse-moi,maisc’estgroscommeunemaison.Çasentleplanculàdeskilomètresàlaronde.

Choquée, je tente d’analyser la situation.AlorsGaspardm’amène àNewYork dans le seul but deconclure?J’auraisdûmedouterquel’excused’uneCélimèneégoïstequinecomprendpaslesvaleursdeMaréchal Community n’était que ça : une excuse. Bien sûr qu’il aurait dû l’emmener. Elle est plusexpérimentée,plusancienneetplusprofessionnelle.Croit-ilquejesuisunefillefacile?

Jefixelonguementmonportableavecuneenviefolled’envoyerboulercevoyageetcestage.JepourraisappelerCélimène,jesuispersuadéequ’elledébarqueraitenmoinsdedeuxminutes.Siellen’estpasdéjàdansl’aéroportaucasoù…

Aumomentoùjedéverrouillemonécran,jereçoisunmessageetchanged’avis:

Gaspard:[Oùes-tu?]

La politesse ne fait définitivement pas partie du personnage. Je vais lui montrer, moi, si je suis«facile».

—J’yvais.

J’embrasseParisseetellemebalance:

—Envoie-toibienenl’air!

Plussubtil,tumeurs.JesecouelatêteetmedirigeverslecoinVIPdel’aéroport,billetsetpasseportenmain.Devant, se tientGaspard en compagnie de deux hôtesses de l’air et de deux hommes que jesuppose être lespilotes.Alorsque jem’approche, ledirecteur se tourneversmoi.Une lumièrebleueclignoteàtraverslesquelquesmèchesdecheveuxluitombantsurl’oreille.Iltientdeuxportablesdanslesmains,dontunsurlequelilpianoteavecsesgrandspouces.Ilporteunsacàbandoulièreàl’épaule.

— Arrivederci ! salue-t-il placidement son interlocuteur avant de raccrocher en appuyant sur sonoreillette.

Ilm’observeetsesyeuxsontplussombresqued’habitude.Jesuisétrangementintimidéeparsonairsérieuxetautoritaire.J’aiperdulecomptedeseschangementsd’humeur…

—Oùesttavalise?—Je…J’aiétél’enregistrer,confessé-je.

Pourquoiai-jel’impressiond’avoircommisuneerreur?J’aiprisdel’avancepournepasnousmettreenretard,voilàtout.

—Etilsl’ontacceptée?

Ils’indignecommes’ils’agissaitd’unegraveerreurprofessionnelle.

L’unedeshôtessesricaneetquandnousnoustournonsverselle,elletransformesonrireenfaussetoux.

—Sarah,allezvousoccuperdeça.Etn’oubliezpaslapetitecoursedontjevousaichargéeégalement.

Lapetitecourse?Bienentendu,cen’estpaspouracheterdesPépitos.L’enfoiré…Illagarderadanssonpantalontoutleweek-end,ilpeutenêtresûr.

—Voilàunelecturebienédifiante,commente-t-il.

Ohnon,lemagazinepeopledeParisse.Lerougememonteauxjouesetjesecouelatête,affreusementdésolée,enlepliantdanstouslessenscommes’ilpouvaitdisparaîtreentremesmains.

—Cen’estpas…Je…C’estParisse.Ellen’apas…

Ilmecoupebrusquement,froidcommejamais.

—Vouslisezcequebonvoussemble,MademoiselleSavage.Jenesuispaslàpourvousmaterner.

Sonregardestnoir.Commelorsqu’ilafrappécemecenboîteouqueDavinaaparlédesonpère.Ilestclairementsurlesnerfs,maisjesensquecen’estpasqu’àcausedemoioudecemagazine.C’estplusprofondqueça.

—Allons-y,intime-t-il.

Je le suis en mettant une distance respectable entre nos deux corps. S’il le remarque, il ne s’enpréoccupepaspourautantetreprendsesconversationsdansplusieurslangues.Nouspassonspartouslescheminsexceptéceluiquetoutlemondeemprunte.C’estseulementarrivésurletarmacquejecomprendssonhistoiredevalise.NousnousrendonsàNewYorkenjetprivé.

Moi,DylanSavage,petitefilledesquartiersnorddeParis,jevaisàNewYorkenjetprivé!

Gaspardnotemonenthousiasmesoudain,carilm’inviteàpasserdevantluiavecunsourireencoinàtomber.

Dansl’avion,lesdeuxpilotesseprésententavantdevérifiermonpasseport.L’hôtessemeconduitàunsiègeetjesiffle,éberluéeparl’excèsdeluxe.

—Tuaimes?demandeGasparddansmondos.—Sij’aime?Jepourraisvivrelà-dedans!

Excitée, je sautille comme une enfant, évalue quel siège est lemeilleur et trouvema place près duhublot.Gaspards’assiednonloindemoiens’amusantdemonairenfantin.Illissesacravateàplusieursreprises,l’arrangecorrectementetsetientdroitsursonsiège.Jesorsmontéléphoneportableetprofited’unpetitmomentpourprendredesphotos.

Sarah nous demande de nous attacher et commence à réciter son speech sur la sécurité, alors quel’avion se dirige vers les pistes de décollage. Je l’écoute attentivement, sentant l’excitation de mapremièrefoisenavionmegagner.J’enoubliemêmesonairsnobetenregistrechaquemot.EllefinitparnousquitterenlançantunregarddechaudièreàGaspard,cequim’exaspère.Jejetteuncoupd’œilàcedernier pourvoir s’il l’a constaté lui aussi,mais il est clairementoccupé à fouiller dans son sacdecoursepourtrouversaboîtedecapotes.Cetairprécipité,c’estlemêmequelesmecsadoptentlorsdeleurcoupd’unsoir.Ilsveulentjusteassouvirleurbesoinetsedébarrasserdeleurconquêteauplusvitepourpasseràautrechose.Jenesuispasunobjetetsionmeveut,ondoitprendresontemps!Ilmedégoûte.

—MonsieurMaréchal,j’aitrèsbienréfléchi.—Ahoui?—Oui.Etilestévidentquenousnenoussommespascompris.—Àquelpropos?—Nejouezpaslesinnocents!

Nous sommes en plein décollage et son corps se tourne vers lemien. Je ne tarde pas à la bouclerlorsquejeremarquesonvisagelivideperlédegouttesdesueur.Ilrespirebeaucoupplusrapidementetclignedesyeuxtouteslesdeuxsecondes.

—Est-cequevousallezbien,MonsieurMaréchal?

Ilhochelatête,maissabouchemanifestel’inverse:

—Jesuisaérodromophobe.

Meslèvress’arrondissentsousl’effetdelasurpriseetjustepourêtrecertainedecomprendre,jeluidemande:

—Vousavezpeurenavion?—Oui,Dylan,j’aipeurdel’avion,tempête-t-il.

Ilfouilleencoreetencoredanslesachet,puissoupire.

—Ellenem’apasapportélesbonsmédicaments,putain.Elle…

Ilbalancelesacausoletseredresse,latêtepartantenarrièrepourmieuxrespirer.Jeneréfléchispasuneseulesecondedeplus,détachemaceintureetprendslesiègeàcôtédelui.

—MonsieurMaréchal,regardez-moi.

Soncorpsentieresttendualorsquesarespiration,elle,estsaccadée.Ilserrefortlamâchoireetsonvisagetremblesousl’effetdelacolère.Sesphalangesblanchissentsurl’accoudoirauquelils’accrocheenenfonçantsesdoigtsdanslamousse.

—MonsieurMaréchal!

Il secoue la tête de gauche à droite en marmonnant des paroles inintelligibles. Son corps se metviolemment à grelotter et quand je posemamain sur la sienne, sa peau froide glacemon cœur. Il estcomplètementtétanisé.J’aidéjàvudespersonnesapeuréespardesmillionsdechoses—l’obscurité,lesgens,lescamionssurl’autoroute,lefromage…–,maisjen’aijamaisrencontrédepersonnepaniquéeàl’idée de prendre l’avion. Il est dans un état presque secondaire. Il se modèle une carapace de ferimpénétrablequimerappellemamère:cetteincapacitéàpenserquequelqu’unpuisseleurvenirenaide.Mais la différence entreTeresaSavage etGaspardMaréchal, c’est que l’un se délivre avec l’alcool,quandl’autreignorecommentsesoigner.

—Gaspard!crié-je.

Soncouraideréussitàpivoteretilm’observeducoindel’œil.

—Prenezmamain.Allez-y,prenez-la!

Jesaisissamaincrispéesurl’accoudoiretglisselamienneendessous.Ill’agrippeimmédiatementetyenroulesesdoigts.Jeneronchonnepasmalgréladouleurqu’ilm’inflige.Sicelapeutl’aider,alorstantmieux.Jeposemonautremainsursajouepourleforceràmeregarder.Sesyeuxbleusplongentdanslesmienset legrognementdedouleurqui luiéchappemedéchiredel’intérieur.Jepressesamaindanslamienne,memetsàgenouxsurmonsiègeetpassemonbraslibreautourdesoncou.Mesdoigtscaressentsescheveuxetjeluimurmuredesparolesdouces:

—Inspirezprofondément,puisexpirez.Vousverrez,toutvabiensepasser.Inspirez,expirez…

Ilcontinueàsecouernégativementlatête,alorsjelecomprimeencoreplusfort,jeneveuxpasqu’ilm’échappe,corporellementoumentalement.Cetyped’étreinteavecmamann’aboutissaitqu’àuneclaqueauboutdecinqsecondes.Alorsjecomptedansmatêteetlorsquelechiffresixpassemeslèvres,jesensle corps deGaspard se détendre. Ses doigts relâchent leur pression surmes hanches ; je n’avais pasremarquéqu’ils’étaitcramponnéàmoiavecautantdeforce.

Une fois que le pilote annonce que nous sommes stabilisés dans les airs, que nous pouvons nousdéplacerdans l’avionetquenousarriveronsàNewYorkversquinzeheures, jedesserremapriseetreculedoucement.Sesyeuxmecherchentquelquessecondesavantdeseposersurmataille.Ilrécupèresamaintoujoursposéedessusetjeretiensungémissementdecontrariété.Ilprendlaparoleetc’estunsonémuetsecouéparsablessureintérieuredontj’aiperçulespremièresfissuresquej’entends:

—Tunet’espasattachée.C’estvraimentirresponsabledetapart.

Irresponsable… Jen’appréciepasquecemot-làsoitutilisépourmequalifier.C’estpourçaque jecognelàoùçafaitmalafindedéstabilisermonadversaire.

—Tuaspeurdel’avionparcequec’estcequiacausélamortdevotrepèreàStéphanieettoi?

Unchampobscurenvahitsavisionetc’estavecunesévéritécordialequ’ilm’annonce:

—Mêlez-vousdecequivousregarde,MademoiselleSavage.

Quandilestvraimenténervé,jeredeviens«MademoiselleSavage»,étrangement.Trèsbien,MonsieurMaréchal.Sivousvoulezjoueràcejeu…

Ildétachesaceintureetselève.Ilchancelleunpeu,maisfinitpardéclarer:

—Jeseraidanslebureaupourtravailler.Nemedérangezsousaucunprétexte.

Ils’enva,cognelesacqu’ilajetéausolquelquesminutesplustôt,sebaissepourleramasseretlebalancesurmatable.

—Aufait,jevousavaisachetéça,rétorque-t-il,coléreux.

JemesenscoupableenydécouvrantlepaquetdePépitoensortir.Jem’apprêteàm’excuser,maisilparts’enfermerdansunedespiècesaufonddel’avion.

***

GASPARD

Àpeineavons-nousposéunpiedàNewYorkquetoutel’attentiondeDylans’envole.Nonpasqu’ellem’étaitaccordéejusqu’àprésent.Notretrajetenavions’estdéroulédansunsilencedemort.Elleadormietj’aibossélestroisquartsdutemps.Nousavonsinversélesrôlespourlequartrestant.

Jenesaispassielleestfâchéecontremoiàcausedemoncomportementdansl’avionaprèsmacrised’angoisse.J’aiencoredumalàconcevoirqu’elleaitététémoindeça.D’habitudelesmédicamentssontlàpourm’apaiser,saufque,parmanqued’attentionjelesaioubliésetcettehôtessem’abêtementramenédesplacebosd’antistressqu’ondonneauxados…Rienquin’auraitpumecalmer,mêmesijevidaistoutelaboîte.EtDylanatoutvu:demapeurblanche,auxplaieslesplusenfouieset…Cen’estpasàelled’êtrefâchéecontremoi,bordel!C’estmoiquisuisénervéqu’elleaitpumevoirdanscetétatdetranse.

Jerepenseàlapaniquequim’asubmergéquelquesheuresplustôt.J’avaisunmauvaissentiment,d’uneintensité sérieuse. Comme si l’avion n’était pas en train de décoller, mais de simplement crasher.Absolumenttoutétaitenchutelibre:moncerveau,moncœur,moncorps,maraison.J’aivumamort,etcelledeDylanetj’étaisparalysé,tétaniséàl’idéedenerienpouvoirtenterpourl’empêcher.Lesavionscen’estjamaissûr,malgrétoutcequ’onpeutprétendre.

J’admetsavoirmalréagilorsqu’elleaparlédemonpère.Maisc’estlàunsujetdeconversationquej’aienterrédepuisbienlongtemps.Lamortdepapaappartientaupasséetj’aimeraisavancersansqu’onmelarappelle,sansqu’onmerappellequej’ysuislié…

***

Géraldineest l’unedenoscollaboratricesnew–yorkaise.Ellevientnouschercherà l’aéroportavecsonchauffeuretdanslavoiture,nousbriefesurlasoiréeoùladirectiondePublimédiaserend.

—Ilyadeschancespourqu’ilsnerestentpasplusdedixminutes.Ilssonténormémentdemandés.J’aientendudirequedegrosgroupesaméricainsvoulaientlesracheteretqueMicrosoftétaitsurlecoup.Çanevapasêtredupuddingdelesintéresser.

JemetourneversDylan,assiseàcôtédemoi,pourluiexpliquer.Mêmesiellen’estpasidiote,elleestencoreétudiante,et jeveuxêtresûrequ’ellenemanqued’aucuneinformationpouraccomplir leboulotquiluiestdemandé.

—Ilva falloirqu’on recueille lemaximumd’élémentsausujetde ladirection.Cequ’ilsaimentoupas,cequ’ilsrecherchent,cequ’ilsontdéjàvu,cequ’ilsfont…Çanouspermettradenousorienterpourlesévénementsàvenir.

Ellehochelatêteavecprofessionnalismeetjesensunelégèreboufféedefiertéquejem’efforcedenepaslaissertransparaître,carl’odeurdelahontemesuitencore.Dylaniraloindanslavie,etceluiqui

assisteraetparticiperaàsonévolutionseratrèschanceux.

Voilàquejedevienssentimental…

—Considèretoutcecicommeunesortedetournéedesbars.EtPublimédiarecherchelemeilleurbarencemoment.

Elle glousse discrètement et c’est un son merveilleux qui me rappelle qu’elle n’a pas mérité mafroideurdans l’avion.Pourquoiétait-elle là le jouroù,commeparhasard,mesantistressne l’étaientpas ? J’aurais tant vouluqu’elle soit ailleurs et qu’elle n’assiste pas auGaspardbrisé dans toute sasplendeur. Ça lui fait cent points d’avance sur moi et comme tout le monde après ça, elles’autoproclamerapsychologueetsecouriste.Jedétesteça.Danslegenrepersonnagedefiction,jesuisceluiqu’onnepeutpassauver.

Nousarrivonsdanslecœurdelavilleetc’estàpartirdecemomentqueDylandéconnecte.Prisdanslesbouchons,nousavançonsàvitessed’escargot,cequiluipermetderegarderlemondeavecsesyeuxdepetitefilleémerveillée.Quecesoit lenombreincalculablede taxis jaunes, les immeubles tantôtdebriquestantôtdeverre,lesgrandesinstitutionsousimplementlespassants,ellepasseabsolumenttoutaucrible.Elleesttournéeverslavitreetinconsciemment,samains’enrouleautourdelapoignée,ungestegorgédelibertécriéparsoncœur.Jedoisluipresserlebraspourlareconnecterànousetlamélancoliedanssesyeuxvertsm’attriste.

***

Nousatteignonsenfinlepenthousedanslequelnouslogeronsletempsduweek-end.Lavuesurlavilleest sublime et exceptionnelle. J’en perds à nouveau l’attention de Dylan, mais comme il nous restequelquesheuresdevantnous,jenel’importunepasplusetm’enfermedansmachambrepourtravailler.

Elles’occupeàl’étageendessous,allumelaradioetlatéléenmêmetemps,jouequelquesnotessurlepianoetchantonnesurlatotalitédesmusiquesquipassent.Ellesembletouteslesconnaître.Elleaunevoixdouceetenvoûtante,àl’imagedesapersonne.Jemesurprendsplusieursfoisàmesentirtellementàl’aise que j’imagine d’autres jours comme celui-ci, où Dylan me tiendrait compagnie. Et quand jem’aperçoisdelatournuretropofficielledemespensées,jeflippe.Cettefilleestunesorcière:commentprocède-t-ellepours’imbriquerdansmonespritaussifacilement,aussiintensément?

Uneheureavantledépartpourlasoirée,ellefrappetimidementàmaporte.

—MonsieurMaréchal?Leréceptionnisteaappelé, ilyaunelivraisonàvotrenomet ildemandes’ilpeutlamonter.—J’arrive.

Je redescendsavecelle,préviens le réceptionnisteetquelques instantsplus tard, l’undesemployés

nous délivre une grande boîte bleue imprimée « LANVIN, Paris ». Les yeux deDylan s’arrondissentcommedes soucoupesquand je lapousseverselle, légèrementmalà l’aise.M’excusern’estpasmonpointfort,maissilesPépitoetlesmacaronsluiontplu,alorsçaaussi,non?

—Gaspard,souffle-t-elle.

J’adorequandellem’appelleparmonprénom.C’est souvent involontairedesapartetc’estcequej’aimeleplus.Danscesmoments-là, jesaisqu’elledésireplusqueledirecteur.Notre liendevientdeplusenplusintime.J’ignoreencoreladirectionqueprennentnoséchanges,maisjecommenceàunpeutropl’apprécier.

Elletirelecadeauverselle.Jememetsdel’autrecôtédelatabledusalonetl’observeattentivement,afind’évaluerchacunedesesréactions.Ellesoulèvelecouvercleetjem’amuseàobserversespupillespasserbrièvementsurleboutdetissunoirqu’estlarobepours’attarderlonguementensuitesurlapaired’escarpins.Ellesemordlalèvreetsesdoigtshésitentàlescaresser,maiselleseravisetrèsviteetlèveleregardversmoi.

—Jesupposequecen’estpaspourtoi.

Jeravaleunsourire.

—Bienquejen’aieaucundoutesurmondegrédeséductionentalonsaiguilles,noncen’estpaspourmoi.

Ellepouffeetsoudain,jeladevinehésitante.

—Nerefusepasparprincipe;refuseparcequetun’aimespascemodèleoucettemarque.Aupire,tuasencoreuneheuredevant toi.Soit tuattendsencoretavalise,soit tu tentesd’allerfairedushopping,soittuacceptescetterobeetdanscecas,rendez-vousdansuneheure.

Ellerigole,maisjelasensquelquepeufermée.Elledoitpenserquec’estunamuse-gueule.Or,depuiscequ’ils’estpassédansl’avion,j’ailatêteàtout,saufàbaiser.

—Je n’essaye pas de t’acheter,Dylan.Que ce soit bien clair. Nous nous rendons à une soirée deprestigeetjeveuxquetuévoluesconfortablementdanscetenvironnementauqueltun’espashabituée.Jeneveuxpasqu’unsentimentd’exclusionteconduiseànepasparticiper.Jevaisavoirbesoindetoià100%etdeça,déclaré-jeenposantmamainsursatempepourdésignersoncerveau,à200%.Noussommesd’accord?—Vousn’êtespasdirecteurpourrien,MonsieurMaréchal.Voussavezconvaincre.—Ça,çaresteraàprouvercesoir.Jetelaissetepréparer?—Rendez-vousdansuneheure!s’écrie-t-elletoutejoyeuse.

Elles’emparedelaboîtecommeuneenfantetfiledanssachambre.

***

Cinquante-cinqminutesplustard,c’estensifflotantquejeremetslespiedsdanslesalon,maisjemefigelorsquej’aperçoisDylanquicontemplelesgratte-cielparlabaievitrée.Arrêtsurimagetotal.Leslumièresdes immeubles se reflètentdans sa chevelure solaire et font ressortir son teintdepêche, toutcommelarobenoireauxbroderiescousuesmainquiluiarrivejusteau-dessusdesgenoux.Sescheveuxsontlâchésetplusondulésqued’habitude.Lesescarpinsqu’elleporteenjoliventchaquemuscledesesjambes.Elleestravissante.

—Jecroisqu’onnepeutpasapprécierNewYorksionalevertige.C’esttellement…haut!

C’estmoiquisuishaut. J’aiquitté la terre fermefaceàsabeautéaliénante.Plusaucundoutesur lasorcellerie à présent. C’est une enchanteresse de première classe. Indétrônable. Et alors qu’elle seretournepourmesourire,unequestionmeviententête:commentvais-jeparveniràsortirindemnedelatornade«Dylan»?

—Oui,sûrement.

Jemeressaisisetm’éclaircislavoix.

—Onyva?

Jeme force àparaître froid etdistant.Elleme rend fouet c’est le seulmoyenque j’ai trouvépourm’éloignerd’elle.

17.BeaconTheatre

GASPARD

Laréceptionalieusurletoit-terrassedel’HôtelPeninsula.Ilyadéjàdumondelorsquenousarrivonset je dois jouer les bons directeurs chargés des relations extérieures en saluant la plupart des invités.Dylans’occupedenouerdenouvellesconnaissancesdesoncôté.Ellen’estpastimideetc’estplutôtunbonpointpoursacarrière.Jelasurveilleducoindel’œil:ellesembleincroyablementàl’aiseavectoutle monde et vice-versa. Elle joue la carte de l’impressionnée par l’événement et arque ses sourcilsblondsdiscrètementquandellenepense riendecequ’elle raconte. J’essayedemeconcentrer surmatâcheprincipale,denepaslalorgneretderéprimermonenviedelakidnapperetdeneplusjamaislamontrer aumonde, de la garder pourmoi etmoi seul. Le plus dur reste de ne pas intervenir lorsquecertainssemontrentunpeutropentreprenantsavecelle.Etpourtant,c’estunefemmequimeforceàlarejoindrerapidement.

— Vous devriez venir travailler pour nous à New York ! s’exclame celle dont les yeux expertsdétaillentunpeutroplonguementlecorpsdemalionne.

ElleposesamainsurlebrasdeDylanetmespoilssehérissent.

—Désolé, coupé-je brutalement.MaisMademoiselleSavage est dévouée corps et âme àMaréchalCommunity.

Jel’attrapeparlatailleetl’obligeàmettrequelquescentimètresdedistanceentreelleetcettecouguar.

LesyeuxdeDylanplongentversmoi et enundéclic je l’entendsdans sa têtemecogner enhurlantqu’ellen’apasbesoinqu’onladéfende.Maisc’estplusfortquemoi.Cettefemmelaregardecommesielleallaitenfairesondîneretsonpetit-déjeuner.Ilfautbienquequelqu’unlaremetteàsaplace.

—JepensequeParisestunetrèsbelleville,considèreDyland’unefaçonbienveillante.Seulementjelatrouveunpeutropcyclothymiqueàmongoût.Quandelleresteelle-même,jel’aimebeaucoup.Maisilyad’autrefoisoùjen’arrivepasàsuivrecequisepasse.Etdanscesmoments-là,jen’aiqu’uneenvie,c’estdepartir.

Elleretiresubrepticementmamaindesatailleetsouritàlafemmequirit.

—Voussavezoùmetrouver,roucoule-t-elle.

EllenousquitteetDylanpivoteversmoi.

— Je peux savoir quel est votre problème, Monsieur Maréchal ? Je croyais que nous étions enopération«séduction»,ajoute-t-elle.—AuprèsdePublimédia,pasauprèsdenosconcurrents,riposté-je.—Commentvoulez-vousabattrevosennemissivousneconnaissezpasleurspointsfaibles?

Etça,c’estcequis’appelleêtreremisàsaplace.Heureusementpourmoietmonmanquederépartie,Géraldinedébarqueaumêmeinstant.

—LabossdePublimédiaestarrivéeaccompagnéedesonvice-président.—Publimédiaestdirigéeparunefemme?s’étonneDylan.

Ilyadel’admirationdanssavoixetjemedisqu’àpartl’évènementiel,jenesaispasréellementoùellesevoitdansvingtans.AumêmepostequeDavinaouàl’échelledeladirectricedePublimédia?

—Depuishuitans,c’estMaïlysParkerquiestàlatêtedePublimédia,l’informeGéraldine.Etc’estunesacréedirigeante!Certainsdirontquec’estdesafautesiPublimédiacoule,maisjesuispersuadéequec’estparcequesescollaborateursnesupportaientpasqu’unefemmesoitleurpatronne.—C’esthonteux,s’indigneDylan.—Jesuisentièrementd’accordavecvous!

La voix deMaïlys retentit dans notre dos et une seconde plus tard, elle s’immerge dans notre petitgroupeavecunsourirebienveillant.

—GaspardMaréchal!Quelplaisirdetevoir!Tuastellementgrandidepuisladernièrefoisquenousnoussommesvus.—BonsoirMaïlys.—Depuisladernièrefois?

JepivotesurDylan,lesyeuxpétillants,alorsqueGéraldineaccapareladirectrice.

—Ne serait-ce pas le petit bonhomme vert de la jalousie ? lui murmuré-je discrètement. Pas enprésencedenotregrospoisson,MademoiselleSavage.

Ellerougit.Unetrèsbellecouleursurlesjouesdecettejeunefemmeunpeutropsûred’elleparfois.

—J’aifaitmonstaged’apprentissageàPublimédia,poursuis-je.

Àlasuitedequoi,AlexandreaétérecrutépourleurfilialeàParisetmoi,j’aisuivilavoiefamiliale.

—Cen’estpascontre-productif?Jeveuxdire…Ilssontvosconcurrents.

Dylanestunpeuperdue.Elleclignedesyeuxenm’observantlonguement.J’aienviedel’embrasser,putain.Maiscen’estnilemomentnilelieu.

—J’aisuivimesétudesàHarvardaveclepèredeGaspard.

Maïlysposesamainsurmonbrasetrépondàmaplace.

—Nousnesommespasconcurrents,maisamis.—Alorsceseraplusfacilepourvousd’accepterquePublimédiatombedanslesmainsdeGaspard.

C’est vraiment osé de sa part, mais qu’est-ce que j’aime la façon dont elle défend MaréchalCommunity, comme si c’était moi le patron. Elle a confiance en mes capacités, alors qu’elle ne lesconnaîtmêmepas.Elleaconfianceenmoi.Bon,ellenevapasnonpluscrachersurl’entrepriseoùelletravaille,maiselleadit«danslesmainsdeGaspard»etc’estsuffisantpourmelaisserm’enflammer.

— J’aime beaucoup votre franc-parler, jeune fille. C’est de ça qu’il manquait à Publimédia pourperdurer.

D’un geste du bras, je la rapproche pour montrer qu’elle est à Maréchal Community et personned’autre.

—Maïlys,voiciDylanSavage, laprésenté-jeavecunpeudevanité.C’estunespécialisteduhors-média.Elleaunconceptd’événementsquifaitfureuràParis,unevraiepépited’orpournous.

La bouche de Dylan s’ouvre légèrement et elle m’observe, ébahie par ma présentation. Je hochediscrètementlatête:ellen’apasbesoindejouerlesmodestesdanscemilieu,bienaucontraire.

—Raviedefairevotreconnaissance.

Ellesseserrentlamainetladirectricefroncelessourcils.

—Vousjouezd’uninstrumentàcordes?

Dylan récupère samain et la frotte, unpeugênéeque ses doigts soient si évocateurs de sonpasse-temps.Moi,j’adoresentirleurspetitesbosses.Mesyeuxtombentsursontatouageénigmatiqueaupoignetsurlequelj’aienviededéposerunbaiser.

—Oui.Dansungroupederock.—Jesuisunegrandefandemusique.

Heureusement, la conversation reprend son cours sur le sujet principal et je vole le maximumd’informationspossibleàMaïlys.Elletentederestervague,carelleestprofessionnelle.Mêmesinoussommes amis, ce n’est pas suffisant. Il y a des chiffres, des résultats et trois mille employés àréembaucherderrièretoutça.

MesyeuxseperdentsouventsurDylanquicontemplelestoursdeNewYorketjemerevois,moi,lejeuneGaspard,coincéauxmondanitésbarbantesdelafamillesansaucuncontrôlesurmesagissements.DèsquePublimédiaseretire,ellesedirigeauborddelaterrassepourêtreauplusprochedecettevilleoù tout est démesuré. J’attrapeunverre et le lui tends. Il fait unpeuplus frisquet de ce côté-ci de laterrasse. Elle va attraper froid et je ne peux même pas lui tendre ma veste étant donné le cadreprofessionnelassezglamouroùjournalistesetphotographessontconviés.

—Finalement,j’aimebienParis,déclare-t-elle.Aumoins,lesgenscommemoiquin’ontpasaccèsausommetpeuventvoirleciel.

Lesgenscommeelledevraienttoutletempsêtreausommet.Sonparfumremontejusqu’àmoietjemerapprocheunpeupluspourlesentirdavantage.

—MêmesiParisestcyclothymique?

Nosregardss’emboîtent.

—J’aimecroirequ’ilyauneraisonpourtoutetquerienn’estperduàjamais.

Sesmotsmesontdirectementdestinés.Elleacernéquesouslesnuages,ilyacetteforêtravagée.

Jem’accoudeàlabalustradeetbaisselesyeuxsurlesrueséclairéesparlesenseignesinternationales.Uneraisonpourchaquechose,sûrement,maisçanejustifiepasforcémentlesactes.

—Alorstuestropbienpourcefoutumonde.

Jesenssonregardpesersurmoietmarespirationchangederythme.Ellemeperceà jourbientropfacilement.

—C’estvraimentquelquechoseàvoirenvraietnonpasqu’enphotosurInstagram,murmure-t-elleàl’attentiondupaysage.Mercidem’yavoiremmenée.—Tuyretournerasplussouventquetunelepenses.MaréchalCommunityaunréseauconsidérableà

NewYork.

Son silencem’inquiète. Je la fixe, puis sourcille etme redresse complètement en voyant qu’elle setriturenerveusementlalèvre.

—Dylan?Qu’est-cequ’ilya?

Sonregardesttristeetmetrouble.

—MajorMusicEntertainmentveutsignernotregroupe,m’avoue-t-elledebutenblanc.

Je ne sais pas s’il lui était nécessaire deme l’avouer, néanmoins, je sais qu’elle en avait envie etj’aime qu’elle se confie. Mais, putain… Major Music ? Vraiment ? Alors qu’elle vient d’entrer àMaréchalCommunity?EncoreuncoupdecetteenfluredeDestin,forcément.Toutcequim’approchedeprèsoudeloinfinitparpartir.

—Vousallezaccepter?

Ellehausselesépaules,chercheducourage.

—Non.Oui. Enfin, je n’en ai aucune idée, à vrai dire.Maya ne désire que ça,mais elle n’a pasréellementdepouvoirdedécisiondans legroupe.Parisse s’en fichecommede l’anquarante, elleditqu’ellesuivra.EtCharlienediraouiquesij’accepte.

Pour résumé, tout repose sur ses épaules. Vive le groupe censé se répartir le poids desresponsabilités!

Mesdoigtsfrôlentlessiens,jouentavecledosdesamain.Monindexsuitlalignedesaveineetsoncorpsréagitàcesimplecontact.

—Viensavecmoi,murmuré-je.

LaDylanimpétueusequejeconnaisrappliqueimmédiatement.Depetitesétincelleséclatentdanssesyeuxvertsetseslèvresboudeusesfrémissent.

—Oùça?

Jenerépondspasetlatirederrièremoi,n’accordantplusaucuneimportanceauxqu’en-dira-t-on.

Dylanetmoiquittonsprécipitammentlasoirée.Leliftierdoitnousprendrepourdesidiotsbienheureux

dontlesdoigtsnecessentdesechercher.Unefoisarrivésaurez-de-chaussée,jeluicapturesamainetappréciediscrètementleregardqu’ellelanceànosdoigtsenlacés.Letrottoirestbondédetouristes.Jemerepèregrâceàlagrandetoursurmadroiteetempruntelarueàgauche,maisDylanm’arrête.

—Onpeutprendreuntaxijaune?m’interroge-t-elle,excitéeàl’idéedemonterdanscettevoiture.JenepeuxpasveniràNewYorketnepasenprendreun!CeseraitdéshonorerGossipGirletSexandtheCity!

Jelaramènebrusquementcontremoi,respiresonparfumdouxetl’embrassesurl’oreille.

—Toutcequemalionnevoudra,murmuré-jeeninspirantaupassagesonodeur.

Ellemasqueàlaperfectionlefrissonquejeluiarrache,maissesyeuxbrillantsetsesjouesrougeslatrahissent. Elle me lâche pour héler un taxi— plus pour retrouver ses esprits en fait, je le sais. Lepremierquiarriveralentit,s’arrêtedevantnousetnousembarque.

—Oùest-cequevousallezlestourtereaux?

Lesurnomqu’ilnousdonneenanglaisamuseDylanquiadécidédenepluslâchermamain.

—Broadway,entrela74eetla75erue,indiqué-je.

Ilhochelatêteets’insèredanslefluxdelacirculationdenuitdeNewYork.JemetourneversDylanetlacontemplelelongdutrajet.Sesdoigtscaressentdélicatementlesmiens,alorsqu’elleobservelesagitationsdelaGrossePomme.Lespharesdesvoitures,leslumièresdesécransgéants,défilentsursonvisageetdanssesyeux.

Nousarrivonsdevant l’édificeque jedésire absolument luimontrer.LecélèbreBeaconTheatre deNewYork.Àsabouchegrandeouverteetsesyeuxquidétaillentenlongueurlagrandetourdorée,jevoisqu’ellereconnaîtl’endroit.

—Mais…C’estfermé,non?

Jesecouelatêteetcognesurlavitredelaported’entrée.BenedictKing,l’unedesvigilesdelasalledeconcertnousouvrelaporteavecsonéternelsourirecomplice.

—Bien le bonjour à toi grand gaillard ! Qu’est-ce que j’suis contente de t’revoir ! s’écrie-t-elle,débordanted’enthousiasmeavecsonaccenttrèssud-américain.Bonjour!

Elle secouebravement lamaindeDylan,oubliantquec’estune jeune femmeetnonpasunde sescollègues flics. Quelques minutes d’échanges courtois plus tard, j’emmène ma princesse visiter les

lieux. Elle s’émerveille muettement devant la richesse artistique de la salle, effleure de ses doigtscurieux les murs froids en pierre et caresse des yeux les reliefs dorés qui surplombent la scène etauxquels ellenepeut accéder.Ellenedit rien et admire secrètement.Étantdéjàvenu ici àplusieursreprises, jeneporteaucun intérêtàcequinousentoure,quandbienmêmeces reproductionsde l’artGreekRevivalsontépatantesdejustesse.Detoutefaçon,iln’yariendepluscaptivantquelevisagedeDylanetsonadmirationencemoment.Elleestuneœuvred’artàelleseule:splendide.Jemeretrouveàlaprendreplusieursfoisenphotoetréussisàmeconvaincrequelesclichésserontpourelle,paspourmoi.

Nousfinissonsparnousarrêterenpleinmilieudelascèneoùdesinstrumentssontposés,dansl’attentedeleurmusicien.Dylanpenchelatêteenarrière, lèvesamainenl’airetfaitdansersesdoigts.Elleal’airde toucher lespeinturesduplafond,de lesremodeleràsafaçonpouressayerde lescomprendre.Ellesembleavoiruntrucavecl’art,uneconnexionquejenecomprendspasvraiment.

—LesRollingStones,DavidBowie,AC/DC…Ilsonttousjouéici.

Ellesecouelatête,incrédule.Jem’emparedelaguitarelaplusprocheparmitoutescelleséparpilléessurscène.

—Àtontour.

Ellebaisselementonetsesyeuxs’écarquillent.

—J’ailedroit?—Crois-moi,mafamillefaitd’assezgrosdonsàcetétablissementpourça.

Ellemelanceunregardpasdutoutimpressionnéetsoupire.

—Pasça.Delatoucher!C’estune«GrandAuditorium»,uneTaylorfaitedekoapuretdur!Ellevautdesmilliers.Rohetpuiszut!

Ellefarfouilledanssapochetteetenextraitunmédiatorrosefluo.Sonsourirecarnassierm’éclate.Jeluiremetslaguitareetrejoinslessiègesdevantpourluilaisserlascène.Jambesétirées,brascroisés,jel’observeaccorderlaguitare,médiatorcoincéentreleslèvres.Sescheveuxblondssontrassembléssuruneseuledesesépaules,dévoilantsapeau.

Dylan perce finalement le silence d’un premier grattement de guitare, long et vibrant. Il s’envolejusqu’auxhautsplafonds,alorsquesesdoigtsmaîtrisentlescordes.Ellepenchelatêtesurlecôté,ausondel’écho,inspireprofondémentquelquessecondesetselance.Lafêluredanssavoixaccompagnecelledelaguitareacoustiquequ’ellefrottedansunrythmepaisible,trèsdifférentdecequejel’avaisvufairelorsdesonconcert.

Etjerenonceraisàl’éternitépourtetoucher,Carjesaisquetumesensd’unemanièreoud’uneautre,TuesplusprocheduParadisquejeneleseraijamais,

Etjeneveuxpasrentreràlamaisontoutdesuite.2

Lesnotess’infiltrentdanschaquerecoindelasalle.Dusolauplafond,lesmursabsorbentl’énergiedesavoixcommepours’imprégnerdelaforcedesesmots,deleurhistoire,etdecellequileschante.

Etjeneveuxpasquelemondemevoie,Carjenepensepasqu’ilcomprendrait,Quandtoutestfaitpourêtrecassé,Jeveuxjustequetusachesquijesuis.

Commelapremièrefoisquejel’aiécoutée,lachairdepoulemerecouvre.Maisc’estlaseulebarrièrequisemblerésisterfaceaudondeDylan.Cettechansonneluiappartientpas,maislesmots,elleselesapproprieetlesréutilisecommes’ilsétaientsiens,nôtres.Ladouleur,latristessedontilsregorgent,nousla partageons. Elle chante une longue note avec tant d’émotion que mon corps s’immobilise pour lacontempler,marespirations’arrête,monmondecesselittéralementdetourner.

Jesuissuspendueàseslèvresquisoufflentsurmeschaînesetmelibèrentdemesdémons.Cenesontpluseuxquicontrôlentlesbattementsdemoncœurnilerythmedemavie,c’estelle.Ellequisupprimetoutcequimepousseàfuir.Dylanalepouvoirdechangerleschoses.

Sachansons’achèveetellerouvreànouveaulesyeux.Elleestébranléeparcequ’ellevientdem’offrir.Iln’yaplusdetristessedanssonregard,justesapassionpourlamusique.

Je déglutis, prisonnier de ces nouvelles sensations et de leur impact. Les chaînes, ces liens quim’emprisonnent,doiventrevenir.C’esttoutcequejeconnaisetquejesuiscapabledegérer.Pasça.Paselle.

Ellerit,heureuse,etdéposelaguitareavecsoin.Moncœurbatvitealorsqu’ellerevientauprèsdemoiensautillant.Jemeconcentresursoncorps,surlescourbesdesesseins,lavagueparfaitedeseshanches,sesfessesquiremuent.

—Jedoisavouerquevousfaitesunexcellentguidetouristique,MonsieurMaréchal,susurre-t-elletoutprèsdemonoreille.S’ilyaquoiquecesoitquejepuissefairepourvousremercier,surtout,n’hésitezpas.

Jeretiensungémissementensentantmaqueuedurcir.J’arrêted’observersapoitrineetlèvelesyeux

vers elle. Nos regards s’emboîtent. J’ai l’impression qu’elle appréhende l’étendue de mon âme enintégralitéà traversceregard,à lafois torrideetbrûlantdesincérité.J’essayedeparaîtrepluscalme,d’étouffercequ’ellearéveilléetquimemetencolère.Ellenecomprendraitpas…

—Jepensaisàunautretypedevoyage.

Je l’attireversmoidesmainssurseshanches.Sonsouffleaccélèrequandje la touche.Sespupillesdilatéessuiventmescaressesavecattention.

—Quelquechosed’unpeuplusintense.

Ellepousseunsoupirfébrileet jelaprendsparlataille, lasoulèveet l’assiedsàcalifourchonsurmoi. Sa robe remonte et mon sexe percute son entrejambe, fiévreux. Nous soupirons en chœur enappuyantsurnoszonesgonfléesparledésiretjecraque,jecaptureenfinseslèvresentrelesmiennes.Ladouceurdesabouchequisefondcontrelamiennenousarracheungémissementindécentàtouslesdeux. Sa chaleur, l’odeur de son excitation m’enivre. Notre baiser devient plus ardent. Mes mainsmaintiennentsatêtecontrelamienne.Sesdoigtsfroidssefaufilentsousmesvêtementspours’enfoncerdansmondosetme forceràme rapprocher. Je frissonnedeplaisir, accompagne, lesdoigtsdans seshanches,sesfrottementscontremonérection.Legrognementquejepousseluiarracheunpetitcridontjeprofite ;malanguepartà larecherchedelasienneetquandellesse trouvent,c’est l’explosionduplaisirquenousavonsretenutoutcetempsetquinousconsumeàprésent.

—Gaspard,souffle-t-elleentredeuxbaisersfougueux.

Je ne quitte pas ses lèvres une seule seconde, je ne pense pas être physiquement et mentalementcapabledemedétacherd’elleunjour.

—La troisièmecondition, réussit-elle àmarmonneralorsquemaboucheest en traindedévorer samâchoire,sonoreilleetsoncou.—Hum,hum?

Maraisonentièreestentraindemedélaisserpourselogerdansmonpantalon.

—Oùjeveux,quandjeveux.

Àcontrecœur,jecessemesbaisersetreculepourcroisersonregarddéterminéetenfiévré.

—Où?—Ici.—Quand?

Ellem’attrapeparlecoldelachemise,meramèneàelleetgémitquandmabraguette,tendueparmonpénis,rencontreletissudesaculotte.

—Maintenant.

Etquisuis-jepourrefuserquoiquecesoitàmalionne?

[←2]ParolesdutitreIris,interprétéparlegroupeGooGooDolls

18.Roitelet

DYLAN

Aujourd’hui, fin octobre, au beaumilieu deNewYork, en pleine soirée du vendredi, dans une dessalles de concert les plus célèbres au monde, au croisement de rues que je ne connais pas, lesinnombrablesMcDoetlestoursdeverres,GaspardMaréchals’estdonnéuneseuleetuniquemission:celledenoustrouverunlieudécentpouryfairel’amour.Ilmetientfermementlamainetmetirederrièreluisansménagerlavitessedesespaspourmoiquisuisentalon.

Ilgrogneàchaquefoisqu’iltombesuruneportefermée,marmonnedanssabarbelorsqu’iln’appréciepaslelieuetsoupire,frustré,enconstatantqueletempsfile.

—Onpeuttoujoursrentrer,essayé-je.

Ilsecouelatête,agiteunepoignéedeporteferméeetfinitparmerépondre:

—Horsdequestion!Jeveuxrespectertatroisièmecondition.Etjevaislarespecter!

Jeglousseetleregardnoirqu’ilmelancepar-dessussonépaulemebouleverse.OhmonDieu,c’estsisexueletautoritairequec’enesttroublant,excitant.Jerétorque:

—Dépêche-toidenoustrouverunendroit.

Àcetinstant-làdansmatête,mêmelestoilettesferaientl’affairetantmoncorpsafaimdelui.Jouer,c’estmarrant,gagner,çal’estencoreplus.

Ilessayed’ouvrirànouveauuneporteetlorsqueledéclicretentit,noussommestouslesdeuxenfeu.Nousentronsprécipitammentdans lapièce et il la refermeenmeplaquant contre laporte.Ses lèvresplongentsurlesmiennesetilm’emprisonnedesesdeuxgrandsbrasfermesetrobustes.Jesensl’odeurdudésirquiémanedelui,sonsexedurcontremonventreetjememetssurlapointedemesescarpinspourqu’il fassepressionlàoùje lesouhaite tant.Quecelapeut-êtrefrustrantd’êtrepetite.Mesmainsglissentsurlabossedesonpantalonpourdéfairesabraguette,maisillessaisitetlesretirepourmieuxm’ôtermarobequ’ilenvoievalserjenesaisoù.Essoufflé,ilmereluquedelatêteauxpiedsetgrognesifortque j’enperds lesouffle. Impossibledesesentirplusdésiréequ’àcet instant.Labrutalitédesonregard est bouleversante, comme s’il voyait pour la première fois une femmeet qu’augrand jamais iln’avaitimaginéqueçapuisseêtreaussi…beau.

Ilm’attrapeférocementparleshanches,sesdoigtss’enfonçantdansmachair,etilmepressecontreson

torserigide,nousarrachantàtouslesdeuxungrognementfélin.Sesyeuxmedévisagentencorequelquessecondesavantquesaboucheneparteà l’attaque.Elleseheurteàmes lèvres,ma joue,mamâchoire,moncou.Ilchemineintelligemmentsurleszonesquienvoientdirectementunmessageàmonbas-ventre.La première nouveauté, c’est que Gaspard n’embrasse pas comme les autres hommes que j’ai purencontrer.Enfait,iln’embrassepasdutout.

Illèche.Ilaspire.Ilmord.Ildévore.

Ilutiliseàlafoisseslèvres,sesdents,salangueetc’estagréablementdéroutantpourunenovicecommemoi,familièredesembrassadesstandards.Lasauvageriedesesgestes,laforceaveclaquelleils’emparedemonêtre,commesij’allaisluiéchapperd’unesecondeàl’autreetquecen’étaitpasenvisageable,estaussinouvelle.Jeluioffrelamêmeintensité.Jelegriffe.Jetiresursesvêtements.Jecoincesachairentremesdents.Jepassemalanguesursapeaubrûlante.C’estunedanseanimale,uneparadenuptialequifiniraenpluied’étoiles.Jesuistellementprisedansletourbillonqu’estGaspardquelorsquesesdoigtschaudsglissentsurmeshanches,jemerendscomptequeluiportetoujourssesvêtements.Sijecontinueànepasêtreattentive,jevaisjouiravantmêmequ’ilnesoitdéshabillé.Mamainplongealorssursavesteetjelaluiretire.

—Attends,memurmure-t-il.

Ilreculeuninstantetjeremuetouteseulecontrelaporte.J’aitellementenviequ’ilmefassejouirqueje pourraisme toucher là, sans l’attendre. Il fouille ses poches et finit par en sortir deux emballagesbrillantsqu’ilbalancesurlacommodeprèsdenous.Savesterejointlesoletilfoncesurmoi.J’ouvrelesboutonsdesachemisemalgrésestentativesdemedivertiravecsesespècesde«mord-bisous»dontluiseulalesecret.Sachemisetombefinalementànospiedsetmamâchoirerejointelleaussilesol.

OhmonDieu!

Lesabdominauxincroyablementbiensculptésetlespectorauxsaillantsqu’iladétourneraientbonnessœurs,prêtres,moines,pèlerins,mèredefamilleheureuse,tortue,girafe…Lesoleillui-mêmevientdechangerdesensetDieuacessétouteactivitépourcontemplerluiaussilahuitièmemerveilledumondequisetrouveenfacedemoi.

Unbruitsourds’échappedemagorgeetmessensenémoisemobilisent:c’estcequ’onappelleunorgasmevisuel.

—Jeconstatequeceque tuvois teplaît.Unpeu tropàmonhumbleavis. Jene saispas si je suisjalouxouflatté.

LesabdosdeGaspard.

Un,deux,trois…Sixtablettesincroyablementbiendessinées.Unreliefdedingue,mêmesouslafaible

lumièredelapièce.C’estdécidé,j’arrêtelechocolat,etjeneconsommequeduGaspard.

—Arrêtedeparler.Tubrouilleslaconnexionentretestablettesetmoi.—Autoritaire,MademoiselleSavage?

Luiaussiprononcemonprénomàl’anglaise.Qu’est-cequec’estsexysoussalangue!

Ilavanced’unpaset j’écrasemesdoigtssurses lèvressanscesserdecontemplersonventredivin.Alors il attrapemespoignetset faitglissermesmains, langoureusement, sensuellement, le longdesontorse.Sapeauestardenteetsousmesdoigts,jepeuxsentirchaquebosse,chaquemusclequidéfinitsoncorps.

—Enfait,murmuré-jelecœurbattanttoutrecorddevitesse,tun’espasréel.C’estlaseuleexplicationplausible.

Jemeplainslorsqu’ilretiresesmainsdesesabdos,puiscessederespirerlorsqu’ilmefaittoucherlemembreleplussolidedesontout.

—C’estassezréelpourtoi,ça?susurre-t-ilcontremeslèvres.

Jem’empourpreàcausedelavaguedechaleurqu’ilvientd’insufflerenmoi.C’estbienréel!

—Gaspard,occupe-toidemoi.Maintenant.S’ilteplaît.

Il grogne et ni une ni deux, sa bouche repart à l’attaque. Samain glisse surmon ventre, ses doigtsfrôlentmonbassin,ledosdesesongleséraflel’intérieurdemescuisses.Toutunparcoursquiconsisteàéviter l’endroit où je veux réellement le sentir. Je le sens se rapprocher, petit à petit. Je ferme lespaupièrespourmelaisseremporter,maissamainmequitte.

—J’adorelesdessousquetuportes,medit-il.D’oùçavient?

Est-cequ’ilestsérieux?

—JoliesMômes,marmonné-je.

Mesmains forcent son visage à revenir contre lemien. Je lui arrache un seul baiser avant qu’il nereculeànouveau.Ilestfascinéparmoncorps,parcequejeporte,unpeutropaugoûtdemalibido.Sesdoigtssuiventlacouturedemaculottesansmetoucher.Lafrustrationestàsonparoxysme.

—C’estsexy.Vraiment.Jen’aijamaisvuunefemme…

—J’auraisvouluquelquechosedemoinssexy,Gaspard,l’interromps-jeetillèvesesyeuxbleussurmoi.Maiscommetuaspulevoir,jen’avaispasmavalise!—Siçacesont juste tessous-vêtementsdevoyage,alors jenedemandequ’àvoir lecontenude ta

valise.—Peut-êtreriendutoutjustement,letaquiné-je.

Etc’estréussi.Il inspired’unsoufflefébrileetsifflant,mecontempleetsalanguepassesubtilementsursesdentseneffleurantlégèrementseslèvres.Ça.Cegeste-là,c’estlasignaturedetestamentdetouteproielorsqu’unprédateurl’arepérée.Onappelleça«selécherlesbabines».MaischezdesprédateursredoutablesauxgènesnonidentifiéscommeGaspardMaréchal,ças’appelle«lafindel’innocence».

—Dylan,ronronne-t-ilenmelançantunregardcomplètementdéplacéquimériteraitautantdeclaquesqu’ilad’eurossursoncompteenbanque.Toncorps…—Gaspard…Sivousnemetouchezpasdanslessecondesquisuivent,MonsieurMaréchal,jecrains

denedevoirlefaireparmoi-même.

Je crois qu’il a compris que j’ai cerné ce qui le fait craquer, car il sourit avec insolence et sedébarrassedesaceintured’ungestesoupleetcarrémentsexy.

Jecaressemaculottepourleprovoqueretsonregards’assombrit.Ilm’attrapelepoignet,lesecond,puis lesplaqueau-dessusdema tête,dansunmouvement tellementbrusquequ’ilmecoupe le souffle.Encoreunenouveauté:labrutalitéquim’émoustille.

—RèglenumérounePépita:c’estmoiquidécideoùsonttesmains.

Ilmemordlalèvredubasettiredessus,puiss’aventuredansmoncou.Iltraceunchemindebaisersjusqu’àmapoitrine,frottesonnezentremesseins,enlèchelegalbe,s’arrêteetlèvesesyeuxsombressurmoi.Ilsbrillentd’unéclatbestial.

—Dismonnom.

Sesdoigtspressentmataille,remontentendouceursurmeshanchesetsespoucessecoincentsousmapoitrine.Jen’enpeuxplus,j’aichaud,jesuisexcitéecommejamais.J’aibesoindeseslèvressurmoi,qu’ilsoitenmoi,maintenant.

—Dismonnom,Dylan.

Ilrapprochesabouchedemonseinetjecraquelittéralement.Jeprononcedansunevoixnouéeparleplaisir:

—Gaspard.

Il pousse un grognement guttural d’homme des cavernes qui résonne jusque dansmon intimité et lacrispedeplaisir.Ilretiremonsoutien-gorge,puisilsejettesurmoietcapturemonseindanssaboucheindécente.Samains’occupedel’autreetsuitlesmouvementsdesalangue.Jem’arc-bouteetmaintiensfermementsatêtecontremoientirantsursescheveux.Ilmetortureainsijusqu’auborddel’inconscience.Quandils’aperçoitqueleplaisiresttropintense,ilmerelâcheetjegeinssanslevouloir.

—Net’inquiètepas,jem’occupedetoi.

Ildescendlelongdemonventre,joueavecmonnombrilcequiélectrisechaquepartiedemoncorps.Ils’agenouille et sa langue et ses dents repartent à l’assaut, mais cette fois-ci, plus doucement. Ellesglissentlégèrementlelongdemacuisseaufuretàmesurequ’ildescendmaculotte.Ilstoppeladescenteauniveaudemesgenoux,soufflesurmonmontetm’arracheunviolentfrissond’appréhension.Ilretracelemêmetrajetdélicatsurmonautrejambeetenlèveentièrementmaculottequ’ildéposesoigneusementàcôté.Sesyeuxmedétaillentunenouvellefoisetjemesensbelle,désirée.

—Tuesépoustouflante,Dylan.

Ilm’agrippedesesgrandesmainsetrespirel’intérieurdemescuisses.

—Bordel,c’estunappelauxorgasmesmultiples.

Il s’empare de mes poignets, passent ses doigts entre les miens et son visage disparaît entre mescuisses.Matêteparttouteseuleenarrièreetjemeliquéfie:lalanguedeGaspardestunorganemagique.Elleest…OhmonDieu…Moncorps entier est une fusée, envoyéevers le septième ciel, sans aucunarrêtenchemin.Ilm’écarteunpeupluslesjambesets’enfonceencoreenmoi.Monventretrembledeplaisir,ma respirationaccélère alorsqu’il lèchemes lèvres, sucemonclitoris, le toutdansun rythmeépoustouflant.Mesonglesseplantentdanssesmainsquimesoutiennentetentrèspeudetemps,jequittelaterrefermepourcriersonnom.

—Gaspard…hurlé-jeàboutdesouffle.—Chut.Jesais.

Il sait. Oh que oui, il sait. Ses mains emprisonnent à nouveauma taille pour maintenir mon corpschancelantquin’ajamaisconnuuntelséisme.Ilmeretournefaceàlaporte.

—Lesmainsàplat.

Jenesaispassimoncorpsenestcapable,maisj’obéissansbroncher,encoreretournéeparleplaisir.

Il grogne dans mon dos, son souffle chaud glisse sur la peau chatouilleuse de mes fesses, monte,

descend,etj’aipresqueenviedelesupplierdepasseràl’attaquequandilmordfortmachair.Ilestentraindeperdretoutcontrôleetiln’yariendeplusexcitantdesavoirquej’ensuislaraison.

Ilmetortureànouveaudesesbaisershumidesetélectriques.Monpoulsaccélèreàunevitessefolle.Jeviensd’avoirunorgasmeetjesuissurlepointd’enavoirunsecond.

Unbruitdezipquej’identifiecommelabraguettedeGaspardmeparvientàl’oreille.

Sonsoufflesaccadéetchargédedésirmebrûleledosetjemetordsinconsciemmentpourlerecevoir.Jel’entendssoupirer,déchirerl’emballagedupréservatifetjesenssoncorpsserapprocher.Jeluttepournepasmemorfondreensupplique.Maisbonsang,ilfautqu’ilpasseàl’attaque,maintenant!

—Tuestellementsexycommeça.M’attendant,meréclamantsilencieusement.

L’enfoiré ! Il est en trainde sedélecter demapatience.Parcequ’il sait que cen’est pasdansmeshabitudes, qu’il tient quelque chose que je n’accorde peu ou jamais. Je me retourne et son sourirenarquoisnem’amusepasdutout.

—Vatefairevoir,Gaspard!

Ilperdcesourired’enfantarrogantsur-le-champ.Jepensel’avoirmisencolèrejusqu’àcequ’ilmesoulève et m’embrasse fougueusement. Ma garde tombe automatiquement. Ses baisers sont magiques.Nousnousdéplaçonsdanslapièceet ilmeposesur lecanapéavantdemedominerdetoutesataille.Mesmainsglissentsursesabdos.Jeledévoreduregardetenregistrechaquecourbedesoncorpsdivin.Mesyeuxtombentsursonpénisaugardeàvous.

Oh,Seigneur!

Ilcaressemeslèvresdesonpouceetsesyeuxmesourient.

—Ondiraitbienquej’airéussiàteclouerlebec,déclare-t-il.

Ilenfoncesondoigtdansmaboucheetmurmure:

—Tuasconfianceenmoi?

Jehoche la tête et ferme lesyeux en aspirant sonpouce. Il frémit, écarte samaindemonvisage etglissesondoigtlelongd’uneligneimaginairereliantmonmentonàmonnombril,puisilmeregardeenpoursuivant sa descente. Il se nourrit dema tension.Et quand il touche le point le plus sensible,moncorps réagit immédiatement et se cambre sous ses caresses. Il profite de ce moment pour plongerdélicatementenmoi.Jesuiscommeenapesanteur.Jen’aiplusconsciencederien,exceptédesonpénis

brûlantetpalpitantenmoi.Gaspardchuchoteàmonoreilled’unevoixquiprouvequ’ilestàdeuxdoigtsdeperdrelatêteluiaussi:

—Malionne…

Etc’estledébutd’unenouvelleère.Ilremueenmoisansménagement,forçantlepassageetseperdanttoujoursdeplus enplus loin. Ilm’emmèneavec lui, neme laissepasune seule seconde. Je l’entendsmarmonner des mots à mon oreille ou contre mes lèvres, entre deux baisers, mais je suis tellementemportéeparl’instantquejenecomprendsrien.Ilestdurcommedelapierre,etjesavourechacundeses va-et-vient. Nous transpirons sous la chaleur dégagée par nosmouvements et nos cris percent lesilencedeslieux.

—Dis-moicedonttuasbesoin,réclame-t-il,tenduetcrispéàsonmaximum.

J’ai oublié comment parler, et Gaspard n’insiste pas. À la place, ilme fait savoir qu’il ne va paspouvoirlutterbienlongtempsenm’attrapantlegenouetenl’élevantdemanièreàintensifierlaposition.Jen’aiplusd’autrechoixquedem’abandonneràluietàsescoupsdereinsexperts.Sonsoufflerapideetsecdéclenchelecompteàrebours.Ilmetitilleànouveauavecsonpouceetm’intime:

—PutainDylan,lâchetout.Laisse-toialler.Gardelesyeuxouverts,m’ordonne-t-il.Lesyeuxouverts!

Ilnem’enfautpasplus.Jebrûleausenspropreetfiguré.Jesuisenfeuetlespaupièresécarquillées,jepousseundernieretvigoureuxcrideplaisiraubeaumilieudelasalle.Maisjem’enfiche.Jeperdstoussens de la gravité, et c’est en tremblant quemesmembres s’effondrent tandis quemon sexe se crispeindéfinimentsouslaviolencedel’orgasme.JesensGaspardseservirdecettecontractionpourprendrecequ’ilamérité.Ilonduleférocement,emportéparsonenviedejouir,seshanchesbasculentduremententremesjambes,claquentcontremescuisses,lamâchoirecrispéeetleregardsauvageplongédanslemien,m’interdisantdemedéfilerlorsqueceserasontour.Samainàplatsurmonventres’enfonce,serefermesurmonbassin.Laduretédestraitsdesonvisagedisparaîtetlaboucheouverte,illâcheunlongrâle.Sespaupièress’abaissentetilvibrecontremoi,enmoi.Ilselaissetomber,levisagedansmoncouet le corps perdant de sa chaleur. Incapable de résister à cet appel, je nouemesbras autour de lui etl’enlacepourpartagerlamienne.L’intensitédesonorgasmeetl’impactpresquelibérateurqu’ilaeusurcethomme,sisolideetsifortdanslaviedetouslesjours,mechamboulent.

Bonsang,quevient-ildesepasser?C’étaitcenséêtredusexepourdusexe.Bonjour,merci,aurevoir.Maislà,c’esttellementplus.Ilm’aforcéeàleregarder.J’ignoresic’étaitvolontaireoupas,maisill’afait.Ilm’apermisdeliredanssonâme…Pourquoi?Pourquoichangertoutàcoup?

—C’étaitincroyable,putain,lâche-t-il.

Jeperçoissonsouriredansmoncou.

«Leshommesnepensentpasdelamêmefaçonquenous,Dylan»,merépètesouventmaman:«Ilsn’ontpasdesentimentsettudevraisleretenirmapauvreoutufinirascommetavieillemère.»

Gaspard se redresse en appui sur ses coudes etme regarde intensément. Je videmon esprit de toutparasiteetluirendssonsourirearrogant.Sesdoigtscaressentmeslèvresetilpoursuit:

—Ettusaiscequiestleplusfou?C’estquel’incroyablenefaitquecommencer.

Soncorpsrecouvrelemienetnousnetardonspasàêtreànouveausubmergésparleplaisir.

***

QuandGaspardfermelaportederrièrenous,ledéclicdelapoignéetressautedansmoncœuraussi.Jene cherche pas à analyser et affiche un sourire de circonstance. Il s’empare demamain et la couvre.Comme j’ai toujourseu lesmains froides, la températuredes siennesmesurprendunpeu. Il frottemamain pour la réchauffer et dépose un baiser très doux au creux dema paume. La sensation se faufilejusqu’à mon entrejambe déjà endolori par notre récente activité. S’il avait eu une boîte entière decapotes, je crois — je suis certaine en fait — qu’on y serait encore. Gaspard est… impossible àrassasier,mêmeaprèsladélivrancedenosdeuxcorps,ilresteduretprêtàl’emploi.Unevraiemachinedesexe.

—Qu’est-cequec’est?medemande-t-ilenpassantsonnezsur lapeaufinedemonpoignetoùj’airéalisémonpremiertatouageilyacinqans.

Jeregardeledessinquiatantdesenspourmoi.Laplupartdutemps,personnenechercheàsavoirceque c’est ou ne cherche à gratter la surface pour voir la partie immergée de l’iceberg. Il n’y a queCharlie,ParisseetStéphaniequiconnaissentréellementlasignificationdel’oiseauquejemesuisancréedanslapeau.

JenefréquenteGaspardquedepuisquelque temps,et intimementdepuisquelquesheures,maisdanssesyeuxjelisuneloyautéetunehonnêtetésiinnocentequejemelivreàluientoutesincérité:

—C’estunroitelet.Unoiseauqu’onnepeutmettreencage,carilnesupportepaslacaptivité.

Jenem’attendspasàcequ’ilcomprenneexactement lesensdemesmotsetpourtant ilm’embrasseencoreplusfortlamain,puislepoignetetmurmureenplongeantsonregarddanslemien:

—J’adorecequ’ilreprésente.

BenedictKing nous attend à l’entrée de la salle de concert et son air amicalme rassure : elle n’aaucuneidéedecequenousavonsfabriquédansunedeslogesd’artistes.

—Alors?Commentc’était?nousdemande-t-elleentouteinnocence.

Maisnosespritssontjeunes,libertinsetmalplacés.C’estpourquoiGaspardluirépond:

—Extraordinaire!Àrefaire,trèsvite.

Comme ilme tient contre lui, jeme cache dans le col de sa chemise pour glousser et respirer sonodeur.Ohqueoui,c’estuneexpérienceàrenouveleretleplustôtpossible.Etça,Gaspardl’atrèsbiencompris.QuecesoitdansleBeaconTheatreoudansl’appartementdeSoHo…

19.Ledémon

GASPARD

Dylanseréveille,émergelentement.Unemoueextrêmementadorableétireseslèvresgonfléesparunsommeil de princesse. Mais même le matin, elle reste une lionne sauvage. Elle lève les bras pourdétendre ses muscles et ses bouts de seins tirent contre le tee-shirt blanc que je lui ai prêté. Unedélicieuseodeurdesexesortdesouslesdrapsetchemineàtraverslagrandechambre,senoueautourdemoncorps,etmonérectionmatinales’intensifieànouveau.Jerevoisencoresoncorpslutteraucreuxdumatelas,satêtes’enfoncerdanslesoreillers,sesmainstirerlesdrapsalorsquejel’avaismiseaudéfideme chanter une chanson pendant que je léchais son clitoris, juste assez pour la rendre folle,mais pasassez pour la faire éclater.Au bout d’un couplet, les paroles s’étaient transformées en de délicieuseslamentations.Sesdoigtsfrottentsespaupièresclausesetdèsqu’ellelesouvre,jemepencheverselleetmurmure:

– Bonjour.

Ellesetourneavecunsourirelascif,approchesonvisagedumienetmequémandesilencieusementunbaiser.Sesdemandessontdesordres.Jem’exécutesur-le-champetcaresseseslèvresdesmiennes,toutendouceurpoursavourercetinstant.

Mamain part sous la couette, se glisse sous son tee-shirt. Je la ramène contremoi. Elle appuie sachattecontremonérection,nouesajambeautourdemataillepouraugmenterlessensations.Jelisledéfidanssonregard.

– Nemeregardepascommeça,luilancé-je,incapabled’interpréterlefonddesespensées.

Ellesemetenappuisursoncoudeetseslèvreseffleurentmajoue,jusqu’àcequ’ellestrouventmeslèvresetlescapturentdansunbaisersilégerquejelesensàpeine.Puis,ellegrimpesurmoi,sesgenouxde part et d’autre de mon corps, et m’embrasse à pleine bouche. Nos corps sont insatiables etdifficilementséparables.Ilssontconnectés.Jefrôlesacuisseetcen’estpasassez, ilfautquejefassetoutelajambe.Ellem’embrasseetcen’estpasassez,elledoits’occuperaussidetoutesleszonesnoncouvertesparseslèvres.Respirern’estplusnécessaireàceniveau.Nousn’avonsbesoinderiend’autre.

Sabouchedouceremuecontrelamienneetentamesadescentelelongdemontorse.Elleattrapemontétonentresesdentsetmordillelégèrement.Unéclairdedésirmetraverseetjepressesesfessesdansmesmains,jouentàlesécarterpourpréparersonsexeàmerecevoir.

Moncorpsse tendbrusquement lorsqu’ellemetàexécutioncequ’elleaen tête.Allongéeentremescuisses,ellerepousseledrappourlibérermaqueueetlasaisitd’unemainchaude.Jefrémisetmecrispeenmêmetemps,pasdutoutpréparéàça.

– Tuestellementgrosetdur.– Dylan.

J’essayedelaprévenirdenepascommencerdutout,maisc’estdéjàtroptard.Sabouchem’embrassejusteau-dessusdestesticules,etremontedoucement.Àl’aidedesalangue,ellem’humidifiesurtoutelalongueur.Unsentimentétrangedemalaisem’empêchedeprofiter.Uncontrastebizarreentremoncerveaufigéparl’appréhensionetmaqueuefigéeparledésir.Jetremblecommeunemauvietteenserrantlesdrapsetlesdents.

– Détends-toi,arrêted’essayerdetoutcontrôler.– Dylan,je…

Ellem’interrompt en lapant le liquide sur le bout demon gland avant d’en plonger quelques petitscentimètresentreseslèvres.Sesdoigtsmebranlentdoucementetelleenfoncemaqueuedanssaboucheincroyablementdouceetbrûlante.Monsouffles’éteintd’uncoupalorsquemonpénisprendconnaissancede sa langue et de sa gorge étroite. Une énergie fulguranteme transperce et les paupières fermementcloses,j’étouffeungémissement.

– Tupeuxmettretesmainsdansmescheveux,çanemedérangepas.

Jehochelatêteetobservesabouchequimonteetdescendlelongdemonmembreluisant,entrecoupépardespetitessuccionssucculentesetdescaressesphénoménalessurmescouilles.Entredeuxspasmes,mesdoigtspartentdanssescheveuxets’enroulentdanssesmèchessoyeuses.Ellemesucelonguement,s’attardesurlesveinesetlesommetdemaqueueaveclapointedesalangue.Jegrogneetelleaccélère,essayant d’aller toujours plus loin et plus fort. Ses joues sont roses de ses efforts et ses yeuxbrillentd’excitation.Sonbrasqui s’agite sous son corpsmeprévient qu’elle aussi prend sonpied, autant quemoi.Cettevisiond’ellesecaressanttoutenmegoûtantaccentuelapressiondansmonventre.Unechaleurfamilière prend possession de mon corps avec une puissance bouleversante et je la saisis sous lesépaulesetlaremonteàmonniveau.

– Attrapeunecapotesurlatabledechevet.– Tupeuxjouirdansmabouche,çanemeposepasdeproblème.– Tuessûre?Tuasdéjàfaitça?

Je regrette la question dès que je l’ai posée. Pour éviter sa réponse, je plongema langue dans saboucheetsongoûtdesexeetdementhem’arracheungrognementanimal.

– Tun’espasobligée.

Unlentsourireincurveseslèvres.Etelleredescends’occuperdemonpénis.Endeuxmouvements,jesuis ànouveau soumisà ses caressesprodigieuses.Mon rythmecardiaqueestdéchaîné.Moncœurvaexploser alorsquedes sensationsdémentiellesme secouent.Lachaleur revient, plus forteque jamais,envahit mes testicules et… L’orgasme me déchire de l’intérieur et j’éjacule avec force dans ungrondementsourd.

Mesyeux tombent sur sabouche envoûtéequi avalema semence engémissant. Je la laisse faire enretournant sur la terre ferme avec douceur. J’aime ses caresses. J’aime sa bouche. J’aime sesmains.J’aime son corps et son popotin. J’aime qu’elle me fasse rire sans réellement le vouloir. J’aime laprendreencuillèrepourdormir. J’aimesonbonjouradorable. J’aime lasincéritédanssesyeuxquandelleme regarde, quand elle jouit, qu’elle se livre àmoi sans limite.L’effet que tout cet ensemblemeprocure,aussibienl’euphorieprovoquéeparsaproximitéquelafoliedouceimposéeparsadistance.

Merde…Suis-jeréellemententraind’envisagerautrechosequedusexe?

Uncoupd’œilàcettepépiteentraindetoutfoutreenbordeldansmatêteetlaréalitédeschosesmefrappedepleinfouet.Cettefoutuenanasortiedenullepartauncontrôletotalsurmoi,surtout.Hiersoir,j’avaisbeaulapilonneravechargneetunefureurnonfeinte,c’étaitmoiquiétaissoussonemprise.

Elle se blottit contre moi, une main posée sur mon torse, et quelques minutes s’écoulent dans unesourdepaniquepourmapart.

– Toncœurbattellementvite.

Uninstant,jemedemandesielleacomprisqu’ilnebatpasviteàcausedenosébats,maisd’elletoutsimplement.Dufaitqu’ellevientdefaireexploserlespremièreschaînesd’unplaisirquejenem’étaispasoctroyédepuisdesannées.Unplaisirquinem’estpaspermis…Pasaprèscequej’aifaitàlavie.

Puisl’instantsuivant,jemeglisseendehorsdulit,prisdepanique.

– Gaspard?– Fous-moilapaix,putain.

Jem’enfermedanslasalledebainsetclaquelaportederrièremoi.Devantlemiroir,ilyaunhomme,undémonquidigèremalquejeprofitedelavie.Ilmeréprimandeparcequ’ilsaitquejenemériteriendessecondesquejevoleautemps.Grandetvicieux,ilsenourritdemonbonheurpourmerecrachermeserreursenpleinefigureetàchaquefois,jelelaissem’abattre.Ilestplusfortquemoi,parcequ’ilconnaîtlavérité…

Jefaiscoulerl’eaudurobinetpourcouvrirlebruitdescrisetdesreprochesdansmatête.Pourarrêterletremblementdemesmains,jelesaccrocheaureborddulavaboetserreleplusfortpossible,tentantdereprendrelecontrôle.Maiscettefois,c’estpluscompliquéquetouteslesautresfois.Etjenecomprendspaspourquoi.Pourquoiunesimplefillerend-elletoutsicompliquéàencaisseralorsquej’ail’habitude?Mon sang bouillonne etmes veines dessinent des lignes terrifiantes surmes bras, signe que le démonapproche.Jerespireprofondémentpourl’obligeràresterenfouietmeregardeànouveaudanslemiroir.Maqueueestencoreraideetpalpiteaumêmerythmequemoncœur.MoninstinctmepousseàsortirdecettesalledebainsetàprendreDylandetouteslesfaçonsimaginables.Maismaraisonm’enempêche.Jeluiaiparlécommel’enflurequejesuisetlaconnaissant,lapilulenepasserapasaussifacilement.

Alorsaulieudecéderàmespulsions, jemeglissesousladoucheetouvrele jetàunetempératureglaciale.Jegrincedesdentssousl’effetchaud-froid,maiscelapermetàmoncœurderalentirlacadence.Parcontre,jenepeuxpasendireautantpourmonpénis.Moncœurn’estpasrassasié.IlveutDylantoutentière.

C’estçaquisuffit.C’estelle.

20.Pépito

DYLAN

DèsqueGasparddisparaîtdanslasalledebains,letempss’arrête.C’estuneplaisanterie,j’espère!Çanepeutêtrequeçaaprèslapipequejeviensdeluitailler.Lesmecsquis’écroulentdesommeil,ceuxqui envoient un texto à leur pote, ou qui semettent à jouer à la play, j’ai déjà connu.Mais ceux quim’envoientbouleretmeclaquentlaporteaunez?Surtoutquandc’estlapremièrefoisquej’avale?Monamour-propreenprendunsacrécoup…etmaconfianceavec.

Bonsang,pourtantjelesais;jesaistrèsbienquelgenredemecilestetl’abrutiequejesuislelaissemebaiserdansunesalledeconcert,commeunedesesvulgairesgroupiesquin’ontaucuneestimepourelle.Unebrûlureétrangenaîtaufonddemagorgeetlacolèremonte.

Enfoiré!

Jequitteprécipitammentsachambreet foncedans lamienne.Sonodeurmesuitpartout,persiste.Jerécupèremonpantalonetmonbilletd’avion.J’enfilelepremieretdéchirelesecond,signifiantbienàceconnarddeGaspardqu’ilrentreraseul.Toutenrassemblantmesaffaires,jevérifiecombienilmerestesurmoncompteenbanqueetretiensunsoupirdefrustrationenvoyantqueçanemesuffirapasàacheterunbillet.Jeregagnelerez-de-chausséeetsursauteentombantsurlesdeuxmessieursquis’appliquentàdresser la table pour le petit-déjeuner sous les indications d’un homme en costume. Toutes cesviennoiseriesontl’airdélicieuses.Monventresetorddefaim.

– Mesexcuses,madame,entends-jedansunfrançaisimpeccable.

L’hommerougitetbaisselesyeuxquandjecroisesonregard.Ohbonsang,ilsontforcémententenduGaspardjouir.Ilssaventcequ’onafaitlà-haut,iln’yaaucundoute.

– Nousnevoulionspasvousdéranger.Est-cequevoussouhaitezquenousrepassionsplustard?

Jesecouelatêteetavanceverslasortie.

– Est-cequenouspouvonsvousêtreutilesdequelquefaçonqu’ilsoit?– DîtesàMonsieurMaréchalqu’ilpeutselamettreoùjepense!

Surce,j’ouvrelaported’entréeetsorsrapidementdupenthouse.Toutétaittropbeaupourêtrevrai,

maisc’estl’histoiredemavie.Jemelaissetoujoursinfluencerpardessentimentsstupidesdegonzesses.Aumoins,Monsieur«BonnesManières»auraeuraisonjusqu’aubout:ilm’avaitprévenuequej’étaistropbienpourcemonde;sonmonde…

Enbasdel’immeuble,lavienew-yorkaisemesubmergeetmebousculeparsonactivitésurchauffée.Iln’yapasdeplacepourcirculeroumêmerespirer.Lamainlevée,j’interpelleuntaxi,maisunhommeencostardmelanceunclind’œilenmontantàmaplace.Lasecondevoiturejauneneprendmêmepaslapeinedes’arrêter.LachancetourneetCendrillonredevientsouillon.

Finalement,letroisièmechauffeurs’arrêteetmelaissemonteràbord.

– Àl’aéroport,s’ilvousplaît.– Lequel,mademoiselle?susurre-t-il.– Leplusproche.

Ilmematequelquessecondesetmessourcilssefroncentméchamment.

– C’estquandvousvoulez.– Ducalme,miss.

Nous partons et j’observe l’immeuble où j’ai passé la nuit s’éloigner dans mon dos. Je sors monportable demon sac et compose le numéro de Parisse. Au bout de trois sonneries, elle décroche enhurlantpourcouvrirlebruitdelamusiquederrièreelle.

– SalutBlondie!Commentçava?– Parisse, j’ai besoin de toi… Est-ce que tu peux me prendre un billet New York, Paris ? Je te

rembourserai,promis,je…– Dylan,tuvasbien?

Ellemecoupebrusquement,letoncalmeetfroidqueseulePatriciaVanDerBiltestcapabled’adopterlorsqu’ontoucheàsesamisetsafamille.

– Jet’expliqueraiplustard.Tupeuxoupas?Dèsquej’aurail’argent,jetelerendrai…– J’enairienàcirerdel’argent,Dylan!D’abordjeveuxsavoirsituvasbien,bordeldemerde!

Est-ce que je vais bien ?Aucune idée. Je suis un peu désorientée par la vitesse à laquelle tout sedéroule. Il n’y a même pas vingt minutes, j’étais sur un petit nuage. C’est comme faire un saut enparachute:sensationnel.Puisserendrecomptequ’onn’apasdeparachutepouratterrir.

– Elleavaitraison.

– Quiça?– Mamère. Elle a toujours raison, bon sang.Même quand je fais tout pour ne pas reproduire ses

erreurs,jeluiprouvelecontraire…– Dylan,stop!Necommencepasavecça!GaspardMaréchalestunenculé,pointbarre!

Saufquecen’estpasluilefautif,maismoi.Onmedonnelemotsexe

etjeconfondsavecsentiment

.Alorsmêmeque jehurleque jen’aipasbesoind’hommesdansmavie,que jesuisbien touteseule,que les mecs sont tous les mêmes, je finis toujours par me noyer avec les mêmes idiots. Drogués,irrespectueux,violentsoulestroisàlafois.

– Je te prends tonvol et je t’envoie la confirmation.Tume rappelles quand tu arrives à l’aéroport,d’accord?

J’acquiesce et raccroche. La ville de New York défile sous mes yeux, mais je n’ai pas le tempsd’apprécieroudecomprendre l’énergiequi ladéfinit.LemaildeconfirmationdeParissemeparvienttrèsrapidement:mercilatechnologie.«Enfait,non»,pensé-jeenvoyantl’appeldeGaspardilluminermonécran.Macolèremedictedeluirépondreetdel’envoyersurlesroses.Maisparcequejeconnaissafacilitéàmanipuleravecdesmots,jepasselerelaisàmamessagerie.Ilnelaissepasdemessageetrappelletoutdesuite.

– Onestbientôtarrivé?

Le chauffeur memontre du doigt la grande structure de l’aéroport. Nous nous arrêtons au dépose-minuteetjefouilledansmonportefeuillepourensortirdesbillets.Moncœurs’arrêtepuisredémarreàtoutehâte.

Merde!C’estdeseuros!

Je n’ai pas changémon argent… J’inspire profondément, lance un grand sourire au chauffeur et luitendsl’argent.

– Vouspouvezgarderlamonnaie!

J’ouvrelaportièreetalorsqu’ilhurledansmondos,jem’enfuisencourant.Ça,j’ail’habitude.LesflicsdeParis,lesserveursdecafé,lesvigilesdesmagasinsnem’ontjamaisattrapée.Alorscen’estpasunmecquipassesesjournéesassisdansunevoiturequilefera.L’aéroportn’estpasbondé,cequimepermet de trouver en un instant le panneau des toilettes… Et d’entendre aussi l’hommem’insulter etordonnerqu’onmestoppe.

Enpassantentretrois,quatregroupes,jeparviensàlesemeretjerentredirectementdanslestoilettespourfemmes.Uneseulecabineestvideetbiensûr,c’estaussicellequinesefermepasàclé.Ilmefautm’appuyer contre et faire pression avec mes bras au cas où il essaye de la défoncer. Mon cœurtambourine dansma poitrine etma tête tourne d’avoir autant sprinté sans avoir le ventre unminimumgarni.Çam’apprendraàbaisertoutelanuitsanspenseràprendredesforces.Quelquesinstantsplustard,jedécidequejepeuxquitterlacabine,quandunedames’écrieenanglais«Oh,cesontdestoilettespourfemmes!Vousn’avezpasledroit,jevaisappelerlasécurité!»

Merde!Lechauffeurpervers.

Mondoscoincelaporteetmesmainsseplaquentsurmonnezetmabouche.Lespasretentissentsurlesolmarbré,passentdelongenlargedansles toilettes.Iln’abandonnerapas leconnard.Ilm’alorgnéetoutlelongdutrajet,çaluiapassufficommerémunération?Punaise,j’auraisdûprendrelemétropourmerendreici.

– Sivousnepartez pas, j’appelle la police et je leur dis quevousm’avezpelotéedansvotre taco,obsédé!– Dylan?

Savoixgraveetprofonderésonnejustederrièrelaporte.Mespoilssedressentsurmapeau.

– Gaspard?

Ilgrogneetjesensquelquechosecognerbrutalementdansmondos,faisantrebondirlaporte.

– Merde,Dylan!MaisçavapasdetebaladerdansNewYorktouteseule!hurle-t-il.Tuestotalementinconsciente!As-tuuneidéedelapaniquequetum’ascausée?J’aicruqu’ilt’étaitarrivéquelquechosedegrave,putain!Qu’ont’avaitkidnappéeoupireencore!

Je suis incapabledeprononcer lemoindremot.Lavirulenceet l’honnêtetéde sacolèreme laissentmuette.

– Cechauffeur,ilt’atouchée?Ilt’aharcelée?Ilt’aproposédelepayerautrementqu’enliquide?– Non.

Lesoulagementdanssonsoupirdilueunpeumonbouclierd’acide.Puisjemesouviensàquelpointilaétéodieuxavecmoi,sansraisonvalable,dansunmomentoùj’étaisextrêmementvulnérable.

– Fous-moilapaix,Gaspard!Casse-toi!– Jenepartiraipas.Jenepeuxpas

.Passanstoi.– Parissem’aprisunbilletretour,tupeuxt’enaller!

Uncourtsilencesuitmaréplique.

– Dylan,souffle-t-il.J’aimerdécematin,j’ensuisconscient.Çan’excuseenrienmoncomportement,maisilfautquetucomprennesquec’estlapremièrefois.Jenesuispashabituéàça…Àcetteintimitéetàtoutelacomplexitéquil’accompagne.Merde,çafaitplusdedeuxansquejen’aipascouchéavecunefille!lâche-t-il.Çamedéroute!

Sasoudaineconfessionmesurprend.

– Dylan?

J’ignorequoiluirépondre.Saréactionm’atoutbonnementblesséeetildoitlecomprendre.

– Tueslapremièreàmemettreautantencolère,toutcommetuescellequimecalmeaussifacilement.Ilfautquetumelaissesdutemps.

Sesmotssebousculentdansmatêteettoutcequejeluidemandec’est:

– Pourquoi?

Etilrépondaussitôt:

– Pourapprendreàgérerça

.

Leçaétantlenous

toutsimplement.Ilmedemandedeluilaisserunechance,malgrésonerreuretjesaisqu’ilestsincère.Alorsjeposemesconditions,mesbarrières,toutcequiluiindiqueraquandilatort.

– Jenesuispasunobjetouunedecespétasses,dontlafiertés’estbarréeenscooter,Gaspard.Jenesuispascapabledemedonnerentièrementetce,sansrienavoirenéchange,çanemarchepas.J’aimadignité. Je l’ai bâtie toute seule au fil des années et j’y tiens. Il n’est pas question qu’unhomme s’enempareetladétruise!Quandbienmêmeiladesyeuxbleusetunegrossequeue.

Merde,ladernièrephraseestsortietouteseule.J’espèrequ’ilnem’entiendrapasrigueur…

– Jeneferaijamaisunechosepareille,Dylan.Putain,jen’ytoucheraijamais.Pasvolontairement.Pasdanslebutdetefairedumal.– Tuasledroitd’êtreencolèrecontremoi,luiexpliqué-je.Jesaisquejenesuispasfacileàvivre,

c’estquasimentmondeuxièmeprénom.Maisaffronte-moisijesuisleproblème.Nefuispas.Pascommecematin.Ça,jenelepardonneraipas.– BonDieu,jen’arrivepasàcroirequetupuissespenserça.Situsavaiscommetuesloin…tellement

loind’êtreleproblème…

Jesouris,lecœurdésencombréetplusléger.J’ouvrelaportedestoilettesettombenezànezaveclui.Sonvisageestdéchirésousl’effetd’uneinquiétudeetd’uneaffectionprofonde.Pourmoi.

Sesyeuxbleussontpâlesetmedévisagentdehautenbaspours’assurerquejen’airien.Jeluisorsunpetitsourired’excuse.

– J’aiarnaquéletaxipourvenirici.

Ilmetendsagrandemainetjeglissemesdoigtsdedans.

– C’estréglé.N’aieaucunecrainte.

Il me sort de la cabine en douceur, me ramène délicatement contre lui, glisse une main dans mescheveuxet l’autreautourdemataille.Seslèvreschaudesseposentsurmonfrontet jefermelesyeux,complètementapaiséeparsonbaiseretsaproximité.Leboutdesesdoigtsexercentdepetitesrotationsdanslebasdemondos.

– Tuneparspas,hein?

J’inspire son odeur et agite la tête pour dire non. Ilm’embrasse plus fort sur la tempe etme serreencoreplusdanssesbras.

– Mince!Parisseadéjàpayélebillet!m’exclamé-je.– Tum’enverraslesinformations.Jem’enchargerai.

Unsourireencoindéformesaboucheetilrelèvemonmentonpourmeregarderdanslesyeux.

– Quoi?– NoussommesàLaguardia. Ici, ilyaprincipalementdesvolsen interne.Etaucunàdestinationde

Paris.Tun’auraispaspum’échapper,mêmesitulevoulais.

Mesmainssenouentderrièresanuqueetjemedressesurlapointedespiedspourl’embrasser.Nos

languessetrouventetsecaressentendouceur.Ilmemurmure«Tusensencorelesexe,putain,çamerenddingue » et grogne contremes lèvres.Nous reprenons difficilement nos esprits et sortons.Devant lestoilettes,lemonsieurquis’occupaitdupetit-déjeunernousattendavecdeuxsacsenmain.

– Merci,Ernst.

Ilhochelatêteetmejetteunrapidecoupd’œilavantdenousprécéder.

– Hum,jesupposequ’ilnet’arienditàproposdecematin?– Est-ceque jedésirevraiment lesavoir?me taquine-t-il, lebleuautourdesespupillesbrillantde

malice.

Çafaitdubiendelevoirainsi,joyeuxetnonplustorturé.

– Non.

Ilmepasseunpull«WelcometoNewYork»,unecasquette«NY»etuneécharpe«NewYorkCity»,etconcentré,laridedulionentrelessourcils,ilm’enroulededansdefaçonàcequejenesentepaslefroidetjetrouveçaadorable.Commentavons-nouspupasserdelatempêtedecematinauxpalmiersetcocotiersàprésent?Jeneveuxmêmepassavoirenfait.Jeveuxseulementprofiter.Vivrel’instant.

– Commentas-tusuoùj’étais?

Ilsepencheàmonoreilleetchuchote:

– J’ai dit à ma queue qu’il fallait qu’on retrouve cette bouche incroyable qui l’avait sucée commejamaisauparavant,etçam’aconduitjusqu’ici.

Jegloussedanssoncouetilreculepourm’observerrigoler.Sonregards’adoucitetilm’avoue:

– Jem’inquiétaispourtoi,Dylan.Alorsj’aiutiliséletraceurqu’ilyadanslesportablesdeMaréchalCommunity.

Là,jerestebouchebée.

– C’estillégalcesystème-là!– Pasquandlesbonnesinformationspeuventêtredonnéesauxmauvaisespersonnes.Jevousl’aidéjà

dit,MademoiselleSavage.2800salairesetfamilles,çaseprotège,peuimportecequ’ilencoûte.

Ilm’embrassesurleboutdunez,effleuremeslèvresetreprendmamaindanslasiennetoutennous

conduisantverslasortie.Jesourisensuivantsespasdegéantsdansmesbottines.NousmontonsdansuneberlinenoireaméricaineconduiteparErnst,l’hommeàtoutfaireapparemment.

– Tiens,c’estpourtoi.

Gaspardme tend le second sac. Je tire ce qu’il y a à l’intérieur etmon ventre gargouille aussitôt.Croissantsetpainsauchocolat.Oucommentsesentirchezsoimêmeàl’étranger?

Jecoupelecroissantendeuxetluipassemonautremoitié.Illaregardeétrangementavantdelasaisirduboutdesdoigts.Maintenantqu’ilm’a laisséeentrer, jeveuxaller jusqu’auboutde lavisite. Jemepencheversluietdéposeunbaisertendresursajoue.Ilmejetteuncoupd’œilsuspicieux.

Fondantcommelechocolatetrigidecommelebiscuit.C’estécritsursonfrontondiraitbien.

– Merci,Pépito

Lesurnomlefaitrougiretluiarracheunemouetimideadorable.J’aigagnémajournée.

21.Divertie

GASPARD

Paul-Antoineestlepremiervisagefamilierquejerencontrelundimatin.Maletteàsespiedsetmanteausurlesgenoux,ildébarquedanslavérandadeFlorenza

pour avaler rapidement un petit-déjeuner. Épaules rentrées et poches énormes sous les yeux, il donnel’impression d’avoir passé un week-end effroyable. Il y a quelques heures encore, j’étais son exactopposé:béatd’avoirusé,jouisetabuséducorpsdeDylan.

– Qu’est-cequec’est?m’interrogemononcle.

Monregardsedétournedesinformationsquipassentàlatélépoursuivrelesien.

– Untableau,lâché-jeenl’admirant.

Que j’ai acquis dimanche soir.C’était un achat impulsif et pas forcément indispensable,mais si ceweek-endm’aapprisquelquechose,c’estquelaspontanéitépeutdonnerdesrésultatsmerveilleux.Danslessallesdeconcertparexemple…

– J’aibienvuquec’étaituntableau.Seulement,qu’est-cequ’ilfaitlà?Oùestl’ancien?– Dansunedessallesdebainsd’invité.– TuasplacéunMonetdansunesalledebainsd’invité?s’écrit-il indigné.Est-cequedescailloux

danstatêtepiétinenttonsensdelasubtilité?

L’arrivée dema sœur interrompt notre échange passionnant. Jeme lève pour l’accueillir et tire unechaiseauprèsdemoi.Ellemelaissel’embrassersurlajoueetsonprofilmefrappeànouveau.Maman

.Elleestleportraitcrachédemaman.

– Depuisquandprend-onlepetit-déjeunerenfamille?marmonne-t-elle.

Je fronce lessourcils.Parexpérience, jesaisqu’elleestgrognonau lever,maiscesderniers temps,j’ail’impressionqu’ellemecachequelquechose.J’aidumalàretrouvermaplacedegrandfrère.

– C’estcequ’onfaisaittoujoursavecpapaetmaman.Jetiensàcequeçareste,rajouté-jeenessayantdecroisersonregard.

Elle plisse les yeux en observant la table soigneusement dressée.Une seconde, puis deux, avant deredresserlementonendirectiondutableau.

– C’esttrèsjoliça.Commentsenomme-t-il?

Jesavaisqueçaluiplairait!Victorieux,jeregarderapidementnotreoncleavantd’annoncer.

– LaSymphoniedesroitelets

.

En souvenir duweek-end incroyable que j’ai passé avecDylan. Et en signe d’espoir pour un futurproche.

– Lesmacarons,leweek-endàNewYork,etmaintenantça.

Savoixmornenem’indiquerienquivaille.Unmauvaissentiments’emparedemoi : leschaînes, lacage,pasdeliberté.

– Tu couches avec elle ? s’écrie-t-elle en comprenant beaucoup plus rapidement que jem’y seraisattendu.– Aveclapetitemalélevéedeladernièrefois?Pitié,Gaspard!Pastoiaussi!

J’inspirecalmementet répondsde lamêmefaçon.Jen’avaispaspréparécetteconversation,mais ilfallaitbienqueçatombetôtoutard…Dylanetmoin’avonsmêmepasencoremisdemotssurcequinousarrive.Notrerelationévoluedemanièresiintensequ’ilestimpossibledeladéfinir.

– Nousnousfréquentons,reformulé-je.– NON!Tunepeuxpas!hurleStéphanie.

Ma petite sœur tourne la tête vers moi et son regard est noir. Elle est sérieuse. Absolument ethorriblementsérieuse.

– C’estmameilleureamie,Gaspard!Dylanest…C’estmameilleureamie.

Derrièrecesdeuxmots, j’entrevois laprofondeurde leuramitiéet jecomprendscequ’elleveutmedire:queDylanaétélàpourellelorsquemoij’étaisabsent,aufonddutrouàtenterdemelibérerdeschaînesdupassé.

– Fafa…

Jemelèveetattrapesonpoignet,maisellereculebrusquement.Lespoingsserrés,jeprendssurmoifaceàcegesteviolent.Cerejetévidentquibrilleaufonddecesyeuxquej’aimetantmebroielecœur.

– J’aibeaucoupd’estimepourelle.Plusquetunelepenses,bordel!– C’estfauxettulesaistrèsbien!s’emporte-t-elle.TuasvuDylanl’autresoirauQueen,Gaspard!Tu

as toi-même assisté à ses tendances à l’auto-destruction lorsque quelque chose auquel elle tient lablesse!– Jenelablesseraipas,annoncé-jeavecvéhémence.

Ellenepeutpassavoir,ellen’aaucuneidéedulienquinousunit.Dylanempêchelemonstredesortir.

– Ellen’enapasl’air,maiselleestvulnérable!Elleencaissedepuistoutepetitedesresponsabilitésqu’une fillede son âgenedevrait pas connaître et ça la bousille jour après jour !Tunepeuxpas luivendreunedévotionquetuneressenspas.Jet’interdisdeluiimposerça!

Jepressesesbraspourétablirlecontactdontnousavonstouslesdeuxbesoin,quenousavonsperduau fil des années, et la secoue pour la sortir de sa colère, entièrement due à ce qu’elle a elle-mêmeressenti.

– Stéphanie!Jesuislà.Jenevaisnullepart,tudoismecroire.

Ses pupilles bleues me regardent un longmoment avant de faire la moue, dégoutée par ce qu’ellepense.

– Tucroisquej’ignoreoùtuaspassécesdeuxdernièresannées?

MesyeuxtombentdirectementsurPaul-Antoinequiassistesilencieusementànotredispute.

– Qu’est-cequetuluiasdit?– Moi?Riendutout.– Stéphanie,lasupplié-je.

Ilfautqu’ellem’écouteavantquemesdémonsintérieursnesemettentàm’étoufferpourm’empêcherdemeconfier.

– N’approchepasDylan,Gaspard.Oujeluidiraiquituesréellement.

Jemebraqueetcarrelesépaules.J’aimemasœur,maispaslechantage.Oùest-cequ’elleaapprisce

genre de comportementsmalsains ?Si elle sait l’enfer que j’ai vécu ces deuxdernières années, alorspourquoiréagiraussiméchammentetutilisercelaàmondésavantage?

Depuisdeux jours,c’estcommesi jeplanaisconstamment : riennepeutm’atteindre.UneallégressequimerappelleleGaspardinsouciant.Jenemesuispassentiaussivivantdepuisbienlongtemps.Pasquestiond’yrenoncer.

– Cen’estpasàtoideprendreladécisionpourquiconque,Stéphanie.Dylanestuneadulteetelleestcapabledeseprotégerelle-même,j’ensuispersuadé.– Unechosen’apaschangé,crache-t-elle.Tuestoujoursaussiégoïste.

Elletournelestalonsets’échappeencourant.

***

Frustréauplushautpoint,j’airouléendirectiondeMaréchalCommunityendépassanttoutesleslimitesdevitesse.Feuxrougesetpanneauxstopétaientdevenusinvisibles.L’accélérateurétaitmonseulami.Lestroisradarssurmoncheminontimmortalisémafureur.Stéphaniesait.Ellen’enapasouvertementparlé,maiselleestaucourant.Etaulieudemesoutenir,ellem’aenfoncé,défoncé.Mapropresœurestrépugnéeparlemonstreaussi.Commentluienvouloir?

– BonjourElizabeth.

Monassistantecernemonhumeurdèsquejesorsdel’ascenseur.

– MonsieurMaréchal,répond-ellesurlemêmetonprofessionneletdétaché.

Elle se lève immédiatement pour m’accueillir et je signe d’un air absent les papiers qu’elle meprésente.Jepourraisêtreentraindevendremespartssansmêmelesavoir.Sil’accrochagedecematinavaitétéunplandePaul-Antoinepourreprendrelasociété,ilauraitgagnéhautlamain.

– Celui-cidoitpartiravantdixheures,l’informé-je.Etcelui-làdèsquej’aitournélestalons.

Ilfautquejemecalme.Quej’aillecognercontrequelquechosepourextériorisermarage,carsijelaretiens,lemonstres’ennourrira.

– EntenduMonsieurMaréchal.DavinaRodriguezaimeraitrapidementplanifierundébriefingsurNewYorketPublimedia.Vousavezuneheurededisponibledemainmatin.Jecréelerendez-vouspourvous?

Immédiatement,mon esprit établit le lien : qui dit débriefing surNewYork, ditDavinaRodriguez ; qui ditDavinaRodriguez ditDylan

Savage;quiditDylanSavage,ditapaisement…

– Jelareçoisdanscinqminutesdanslasallederéunion.

Dix minutes plus tard, j’accueille comme à mon habitude l’équipe événementielle. Le groupe deDavinaest ledernieràarriver,mais sansDylan.Pour lapremière fois, ladamede ferduhors-médiam’accueille avecprofessionnalisme et respect.Sansque je ne sache comment, je comprendsdans sonregard que mon statut de directeur a retrouvé sa place dans la hiérarchie qu’elle s’est mentalementconstruite.

Célimène,elle,m’adresseunbonjourglacialetjeluirendsunsourireconventionnel.

Dylanfinitparpointerleboutdesonjolinezdepoupéeparlesescaliers,satabletteetungrosdossierdontlesfeuillesdébordentenmain.Elleporteencelundidedébutd’octobrelarobequej’ainommée«J’aipasséunexcellentweek-end».Legenrecouleurclaireetàvolantsquiamèneàsedemandersielleportedessous-vêtementstypes«JoliesMômes»là-dessous.

– MademoiselleSavage.

Ellelèvesesyeuxsauvagesversmoi,meréprimandantsilencieusementpourquej’éviteunfauxpas.Mêmesi je rêvedeclamerpartoutque j’aibaiséavecellecommesi la findumondeétaitproche, jecomprendsquenousdevonsgarderçapournous.

– IlparaîtqueNewYorkvousaoffertbeaucoupdeplaisir,luimurmuré-jediscrètement.

Elle frissonne et j’ignore comment, mais son stylo et ses dossiers tombent au sol. Je me baisseimmédiatementpourl’aideràramasseretprofitedecemomentoùnoussommescoupésdumondegrâceàlahauteurdestablesetdeschaisespourmeconfier.

– Jenepeuxm’empêcherdepenseràceweek-end,chuchoté-jeenluirendantdesfeuilles.

Ellemeregarde,unpeutroplonguement.L’alchimiequin’adecessedecrépiterentrenousmeforceàserrerlespoings.Chaquecentimètredemapeauestattiréparlasienne.Jeluttecontremoi-mêmepournepasposermesmainssursesbrasnus,lesglissersursacrinière,lespassersursonvisagesublime.J’aienvied’elle,enviedevoleràcettebouchelesbaisersquibrûlemeslèvres,enviedel’entendrelâchersonsoupirenvoûtantàmonoreille,enviede luioffrir leplateaud’orgasmes royauxqu’ellem’inspire,enviedelafairemienne,encoreettoujours.Masoifdelaposséderestindomptable.

– Merci,MonsieurMaréchal.

Ellerécupèredélicatementlestyloquejeluitendsetsansunregarddeplus,elleserelèveetprend

place.

LorsqueDavinainterpelleDylan,illuifautrépétersonnomplusieursfoispourobtenirsonattention.Quelque chose ne tourne pas rond… Stéphanie lui a-t-elle parlé ? Son bonheur est altéré par cettevulnérabilité que j’entrevois parfois. Aujourd’hui à nouveau, elle semble un peu plus forte qued’habitude.

EllesemetdeboutpourprendrelaparolesurNewYork.Sesjoliesjambess’étendentdevantnous,sarobevirevoltequandellepivote,sescheveuxdorésexplosentdeleurbrillancenaturelleetsolairedansl’intérieurmornedenotresallederéunion,légèrementobscurcieparlecielnuageux.Sesbotteshautesendaim lui donnent un air de bohémienne chic et sûre d’elle. Elle a légèrement relâché la corde strictequ’elles’étaitvestimentairementimposée.Elleestunpeuplusmaîtressedesatenueetcelarehaussed’uncransonniveaudeconfianceensoiquej’admireetrespecte.

Elleselancedanssaprésentationnumérique.DavinalacoupeàplusieursreprisespouraffinercertainspointsetCélimènesefaitunplaisirderelevertoutesseserreursinsignifiantes.Maismalionnes’entirebien et elle étale ses recommandations et ses conclusions commeune chef. Il n’y a aucun doute : sonparcoursscolaireetsessoiréesillégalesluiontapportélesbagagesqu’ilfautpoursetenirainsidevantnousaujourd’hui.

Voilàpourquoimonérectiontendmonpantalon.Soncôtélittlebossy

estl’undesélémentsdesapersonnalitélesplusexcitants.

– Est-cequetoutvousconvient,Gaspard?m’interrogeDavina.

Jeme redressesurmonsiège,etcomplète lecontenudeDylandans l’intentiondebienmontrerquenotrefusiond’espritfrôlelaperfection.Plusjeparleetplusjeprendsconsciencequel’additiondenosforcesetfaiblessesestindispensableàl’entreprise.Au-delàdenotreattirancephysique,nousfaisonsunesacréeéquipe.

Alorsputain,non!

EllenepeutpassigneravecMajorMusic.Elleappartientàcetteentreprise.

– En conclusion, nous nous axerons principalement sur les contrats de prestations. Il nous fautdécrocher lesmeilleursprestataires, aumeilleurprix, àn’importequelle condition. Jeme fichequ’ilsviennent du fin fond de la Mongolie ou de l’immeuble d’en face. Ne nous accordons aucune limite,entendu?

L’autoritéestundesrarestrésorsdecemonde.J’appréciedeplusenplusdedirigerceséquipes.

– Ah, etMademoiselle Savage ? J’ai apprécié le travail avec vous,mais si la prochaine fois vouspouviezvousmontrerunpeuplusconcentréesurnotretâcheetmoinssurlesélémentsquinousentourent,ceseraitparfait.Jevousaitrouvéunpeutropdivertieàmongoût.

Unevraieenflure.Maisc’étaitindispensable.Sinon,àlafindecetteréunion,ellemetourneraledosetles tâches respectives de chacun nous empêcheront de nous croiser à nouveau pour une duréeindéterminée.Laconnaissant,cegenredepiquenelalaisserapasdemarbreetsimescalculssontbons,dansmoinsdedixminutes,elleseraderetourdansmonantre.

– ElleenprendnoteGaspard,répondDavinaàsaplace.

MaPépitaestbientropsurpriseparmonaccusationpourrépliquer.Lechoc,puisl’outrage,etenfinlacolèrepassentsursonvisageetjetrépigned’impatience.Çaprometd’êtreintéressant.Vulegonflementauniveaudemabraguetteenfait,çaprometd’êtreorgasmiquementparlant,trèsintéressant.

Quand tout le monde a quitté la salle, je retourne àmon bureau, retrouvemon siège et ouvremesdossiers.Montéléphonesonne.

– MademoiselleSavageesticimonsieur,m’informeElizabeth.Ellesouhaiteraitvousparlezde…

Elles’éloigneunmomentpourfairerépéterDylanetquandelleprécise:

– D’undossiersurledivertissementNewYorkais.

Unsourireperversnaîtsurmeslèvres.Jebondisdemonsiègeetmeprécipitepourouvrirlaporte.

– MademoiselleSavage?

Dylansetourneversmoietlamoueréprobatricequ’ellearboremerenddingue.Jelalaisseentreretnousenferme.Elleposebrutalementsondossiersurmonbureauetmeregarde.

– C’estun jeupour toi ?Est-cequec’était de la comédie àNewYork?Tume testaispourvoir sij’étaisassezbonnepourtonentreprise?

Jen’aimepas lamanièredontelleperçoit tout ça : elle, cequenousavons fait,mespenséesà sonégard…

Elleestemportéeparsacolèreaupointqu’ellene remarquepasmonavancée félineverselleni labossequitendmonpantalon.

– Davinam’adans lecollimateuravec les95ansdeMaréchalCommunity, jesuisdébordée, jen’ai

pasbesoinqu’enplustuviennesmettretongraindesel.SiNewYork,c’étaitpourt’amuseralors…

Jelafais taired’unbaiser langoureuxquiregorgedetout ledésir, toutel’attente, toutel’ardeurdontelleestinconsciemmentresponsable.Illuifautquelquespetitessecondespourencaissermonassaut.Mesmainsencadrentsolidementsonvisageetjecapturesesyeuxvertsdanslesmiens.

– Enlèvetaculotte.

Ellefroncelessourcilsetmerepousseavecsespoings.Cettescènemerappellecelledel’autresoirenboîtedenuitetl’ancienGaspard.Encolèrecontrelavieetsevengeantsurlemonde.Jem’emparedesespoignetsetécrasemeslèvressurlessiennes.

– Vatefairefoutre!Lâche-moi!

Ellesedébat,mordmalèvreavecrage.Ladouleurm’arracheungémissement,maisriennem’arrête.Je la cadenasse aussi ardemment que possible, immobilise ses poignets entre mes doigts.Ma langueplongedanssaboucheetellelarepousseaveclasienneengrognant.

– Tumerendsfou,Dylan.

Ses talons claquent dans un bruit grave sur le parquet et au fur et àmesure que nous reculons, ilsfinissentparcognerleboisdemonbureau.Jelaporteetladéposesurlerebord.Sonagitationrenversetousmesdossiers.Mamainencorelibredescendsursarobeàlamatièresoyeuseetremontelajupetoutendouceur.Jeglissemesdoigtsdessouspourvenircaresserlapeauveloutéeetchaudedel’intérieurdesescuissesquej’écarteettireversmoiafindemelogerentre.Sapremièrebarrièreéclatedansunpetitgeignement.Ellesentmaqueuetendueentresescuisses.

– Laisse-moifaire,ronronné-jecontresabouche.

Sonodeurnaturelleestlepiredesaphrodisiaques.Jefaufilemesdoigtssouslesbandesdesaculotteetreconnais lamême texture en dentelle qu’elle portait àNewYork.Ces sous-vêtements sont vraiment…indécents.Pourunejeunefemmedevingt-et-unans,elleneselimitepasquestiondessous.Ellefaitdanslabonnequalitéetlebonesthétisme.Jelaluiôteendeuxsecondes,lapenchelégèrementenarrièreetglissesurseslèvresbrûlantesetmoites.Ellegrogne,luttecontreleplaisiralorsquec’estcequ’il luifaut.Sedonneràmoipouroublier.

– Putain,laisse-toialler.C’estpourtoi.

Je l’embrasse et elle n’oppose plus la même résistance. Nos langues se mêlent, nous reprenonspossessionl’undel’autreaveccebaiser.J’enfonceundoigtenelle,délicatement.Sesparoishumidessecontractentautourdelui,l’engloutissent.Jeleretireetellecouinelonguement,posesesmainsenarrière,

s’appuyantsurelles,acceptantdemerecevoir.Jereplongedeuxdoigtsquejefaisalleretvenir,massesonclitorisaveclapulpedemonpouce.Sesjouesrougissentetlachaleurdenotredésirnousenveloppetouslesdeux.J’accentuelapressionaufondd’elle,presseduboutdesdoigtslachairsensibledesacaveà plaisirs et accélère mes frottements contre son bouton gonflé. Elle frémit contre moi, ondule deshanches.

– Voilà,c’estçamalionne.

Lesurnomluiplaît.Ellemordsalèvreetpenchelatête,seretenantdecrier.Lamontéedel’orgasmeestrythméeparsarespirationrapideetprofonde.

– Ouvrelesyeux,regarde-moi.

J’attrapesanuqueet ramènesonvisagecontre lemienpour la regarder.Sespupillesaccrochent lesmiennes, luisantes et intenses, elles se libèrent de tous les maux qui les retiennent pour jouir de cetinstant,sefondentenmoipourmevolerlatotalitéduplaisirquejeprendsàlacaresser,mecèdentlesderniersrempartsetmedisentqu’elleestàmoi.

– Usus,fructus

etabusus

.C’estcommeçaqueçadoitêtreentrenous.Pasautrement.

Elleouvregrand laboucheetvoleenéclats.Sesonglesplantésdansmondos, son front transpirantcolléaumien,sesyeuxancrésdanslesmiens.L’orgasmelatransporteavecmonprénomsurleboutdeslèvres. Le vert autour de ses pupilles brille de mille feux. Elle tremble, s’accroche à moi. Elle estmagnifique.

– Là.Jesuislà,magrande.

Jeluisoutiredeuxpetitsbaiserspouradoucirlaforcedesonplaisirquiredescendpetitàpetit.

– Çavamieux?

Elleacquiesceetsabouchepartdévorerlamienne.Ellemeremerciedecettefaçonetmoi,jefonds.

– Pardondenepast’avoirenvoyédemessagehiersoir.J’étais…

Elletripotemesdoigts,commesielletentaitderelierchacundenossecretsauboutdenosmains,denousreliernous,afinqu’iln’yaitaucunefrontière,aucuneéchappatoire.

– Mamèreestmalade,seconfie-t-elle.Etdesfois,çadevientingérable.

C’estàçaqueStéphaniefaisaitallusion:laviedemerdeàlaquelleelleessayed’échapperpartouslesmoyens,lesresponsabilitésavantl’âgeetlereste.

– Qu’est-cequ’ellea?– Elleaétépourrieparlavie,déclare-t-ellesombrement.

Et les démons de sa mère la touchent. Sans que je ne sache pourquoi exactement, ils arrivent àm’atteindreaussi.Mesbrasnesontpasassezgrandspourlaprotégerdeça.Maisilspeuventl’aideràoublier.

– Jeveuxtevoir.

Elleretrouvesonsourireespiègle.

– N’est-cepascequetuesentraindefaire,Pépito?

Cesurnomestridiculeetpourtantmoncœuradorel’entendre.

– Pascommeça,dis-jeenembrassantnosmainsenlacées.Jeveuxquetum’offresuneautrenuit.

Sij’aipuapprécierNewYork,çan’aétéquel’histoiredequelquesheuresetj’enveuxplus.

– Justetoi,moietunGrands-Echezeaux.

Sonnezsefronce.Meslèvresseposentdessuspourlelisser.

– C’estunebouteilledevinrouge.Leplusdélicieuxqu’ilsoit.– Jen’aijamaisbudevinrouge,m’avoue-t-elle.– Alorsjeseraifierd’êtretoninitiateur.

Sesjouess’empourprentlorsquejeprononcecesmotsetunelueurcoquinebrilledanssesyeuxavantqu’elleneseressaisisse.J’enprofitepourluivolerunbaiser.

– Demainsoir?Jeconnaisuntrèsbonrestaurantdanslemaraisquipourraitnousavoirunetableaucalme.

Elle respire doucement, son souffleme chatouillant la peau, sa poitrineme frôlant le torse. Je saisqu’elleréfléchitàlatournuredesévénementsensedemandantsinousneprécipitonspasleschoses.

– Arrêtedetroppenser,Dylan.Cequ’ilyaentretoietmoi,c’estlefruitduhasard,çanesertàriendelefuir.Jeveuxjustequetuessayespourlemoment.

Elledéglutitetfinitparhocherlatête.

– D’accord.Maispourl’instant,jecroisqu’onaunpetitproblèmeàrégler.– Lequel?

Elleposesamainsurmabraguetteetrefermedélicatementsesdoigtssurmesbijouxdefamille.

– Celui-là.

Jefermelesyeuxetsamaindébuteunmassageprodigieux.Jenedemandequ’àsentirunenouvellefoissalangueetseslèvresaumêmeendroit,sanslepantalonetlecaleçonpourbarrière.

Malheureusement,montéléphonenousinterromptensonnant.

Jerâleetsansquittermonposteentresesjambes,j’attrapelecombiné.Elleembrasselapeausousmamâchoire,mordillemachairetmurmure«Usus,fructus,abusus»àmonoreilleavantdelacroquer.Oh,maqueuevamourirétoufféedansmonpantalonsiellenesortpasvisitersachatte.

– Maréchal,j’écoute.

Dylanpassesesdoigtssurlesboutonsdemachemiseets’arrêtesurlaboucledemaceinture.J’onduledubassininvolontairement;ilmetardequ’ellecontinuesesattouchements.

– Gaspard ! C’est Alex, me répond paniqué mon ami. J’ai trouvé ce que tu me demandais sur tadirectricedesfinances.Etjecroisqueçaneteplairapas.

Jefroncelessourcilsetilrépondàmaquestionsilencieuse:

– Çaneteplairapasparcequec’estliéàlamortdetesparents.

22.BadDay

DYLAN

Mes nuits ne sont plus ce qu’elles sont. Elles sont peuplées par une personne en particulier. Jemetourneetmeretournedansmonlit,envain,enessayantd’éloignercesyeuxbleusdemonesprit,maissoncorps semble s’accrocher à chaqueminute demonprécieux sommeil. Jeme réveille la couette àmespiedsetmonpyjamacolléàmapeaumoite.Moncœur tambourinedansmapoitrine,mesignifiantsonardeuretsavolontéd’êtreauprèsdeGaspard.

–Rah!Gaspard!Sorsdematête!hurlé-je.

… Et c’est ce moment que choisit ma mère pour entrer en trombe dans ma chambre et me tirerbrutalementdemespenséesérotiques.

–Dylan!Jemesenspastrèsbien.Çarestebloqué…J’arrivepas…

Elle ne termine pas sa phrase, parce qu’elle a honte de la suite et trop de fierté. Je sors du lit etl’accompagnejusqu’àlasalledebainsenlarattrapantlorsquesoncorpsbascule.J’attrapesescheveuxquandnoussommesagenouilléesaupieddesWCetluiredresselatête.Ellemedonnesonfeuvertetjerecoursàlatactiquequej’utilisedepuisdesannéesmaintenantpourlaviderdetouteslessaletésqu’elleaingurgitées.Ilyaquatreansdecela,alorsqu’elleavaitterminéàl’hôpitalaprèss’êtremisedansunétatd’ébriétééquivalentàceluidedixcomateuxéthylique, ledocteurqui laprenaitenchargem’avaitconfié que son corps était commeun aspirateur, et qu’il était demondevoir de le décharger quand ilbouchait,sansquoiilseraitbonpourlapoubelle.

Unefoiscettetâcheterminée,jeladéshabilleetluienfileunpyjamapropre.Commeunzombie,elledéambule àmes côtés enmarmonnant je ne sais quoi. Je vérifie l’heure sur l’horloge et soupire : sixheuresdumatin.Uneheuredesommeilenmoinsetimpossibledemerendormiràprésent.Encoremoinsaveccetteodeurd’alcooletd’acidesurmoi.Jelacouchedanssonlitetparsmedoucher.Jeprofitedemonheurepourchoisirunetenuepourmonrendez-vousavecGaspardenespérantqu’iln’apasoublié.

Hier,aprèslecoupdefilqu’ilareçu,ilapratiquementappuyésurlebouton«eject»desonbureaupourneplusm’yvoir.Lapersonnequ’ilavaitauboutdelaligneabrutalementchangésonhumeur.J’aivoulusavoircequiluiarrivaitetsijepouvaisl’aider,maisjecroisqueçaaétélamaladressedetroppuisque c’est ce qui m’a foutu à la porte de son poste de commandement. J’ai passé le reste demajournéeàcogiter.Gaspardrefusedeparlerdesonpassé.Jenesaispresqueriendeluisicen’estqu’ilme désire et que je semble lui suffire, pour l’instant.Mais quand ce ne sera plus le cas, est-ce qu’ilpartiraànouveau?Quemerestera-t-ilàmoisijem’attacheàquelqu’und’aussiinstable?EtDieuseul

saitquej’ailafâcheusemanied’êtreattiréepartoutcequiesttourmenté,quitteàm’introduiredanscetourmentmoiaussi,pouraufinalylaissermesplumes.Àl’heureactuelle,jeneressemblepresqu’àrien,etc’estpeut-êtreçaquiplaitàGaspard.Lepouletdéplumésurlechemindel’abattoir.Unefilletellementécorchéeparlaviequ’ilnepourrarienluiarriverdepluss’ils’enva.Malgrélefaitqu’aufonddemoi,jesaiscommenttoutçaseterminera.L’undespersonnagesfiniraforcémentparsefaireavoirparl’autre.Etencoreunefois,ceseramoi.Maiscommentdirenonàcethommequi,rienqu’àlaforcedesonregard,de son contact, me pousse à ressentir la réalité autrement, balayant mes soucis dans un coin où ilsdeviennent secondaires, surmontables. Comme la veille dans son bureau où il a réussi à me fairecomprendrequelesproblèmesneprennentdelaplacequesionleurenlaisse.

Lesfacturessontmadernièreétapeavantdedécoller.Arméed’unecalculatrice,j’arrondisàlavirgulepourme laisser lemaximumdemarge possible,mais découvre très vite lemaigre résultat qu’il nousresterapourvivre.

–C’estsimauvaisqueça?medemandemamandepuislaportedesachambre.

Elletiresursacigaretteetjerangelespapiers.

–Çairapourcemois-ci,réponds-je.–J’aitrouvéunboulot,lâche-t-elle.

Jelaregardeavecsuspicion.Quipourraitbienrecruterunealcoolique?Mêmequandelleneboitpas– et cela nedure jamais plus dedeuxheures – elle put l’alcool et le tabac.Cette odeur est ce qui ladéfini,c’estpratiquementdevenusonparfum.

–Nemeregardepascommeça!râle-t-elle.Jesuisencorecapabledemedémerdertoutesuele.Tutecroismeilleurepeut-être?Parcequetubaisesavectonpatron,çatedonneledroitdemeprendrepourunemerde?

Bienentendu,ilfallaitqu’ellelesorte…

–Tupensesquej’aipasvu?Quej’aipascomprisvotrepetitjeupervers?Monsieurpayeunavocatpourtesconneries,t’emmèneàNew-York,teprêtesonchauffeur…

Elleprendunenouvelletaffeetjemedépêchederassemblermesaffairespourpartir.Sijereste,ellepasserasesnerfssurmoietsesmotsréussirontàtransformerlastagiairequejesuisenprostituéeduboisdeBoulogne.

–Ety’apasqueçaqu’ilpayeapparemment.J’aitoujourssuquet’avaisunebellegueulemaisdelààlavendre.Tumefaisdelapeine.–J’yvais…

Jel’ignoreetpassedansmachambreunedernièrefoispourprendremarobeetlamettredansunsac.J’attrapemesclésetaumomentoùjesors,mamèremetombedessus.

–Pardon!Excuse-moi.Jevoulaispasdireça,Dylan.Tulesaistrèsbien…

Jesaissurtoutquesonhaleinedetabacmedonnelanausée.

Sil’alcoolfaitdirelavéritéàcertains,pourTérésaSavage,çaasouventétél’inverse.Distinguerlevraidufauxmedonnelamigraine,alorsj’aiabandonnél’idéedepuisbienlongtemps.

–Jepenseàtonbien,réplique-t-elleenpressantmespoignets,recouvrantmontatouage.Leshommessontnéspourfairedumalauxfemmes,c’estcommeçadepuislanuitdestemps.

Jelesensveniràdesmilliersdekilomètresavantmêmequ’ellen’ouvrelabouche.

–Ilsnepensentpasdelamêmefaçonquenous,rappelle-toiça,c’estimportant

que tu ne l’oublies pas. Ils n’ont pas de sentiments,Dylan.Et ceux qui ont du pouvoir…(elle caresseunemèchedemescheveuxettentedemesourire)Tupasserastoujoursaprèseux,aprèsleurargent,etparfoismêmeaprèsleurfemme,ettuvauxmieuxqueça.Tulesais,n’est-cepas?

–Oui,maman.–Tuesbienmieuxtouteseule.Regarde-toi.Tun’aspasbesoind’hommedanstaviepourgâchertout

cequetuasconstruit.

Ellehoche la tête, commesinousvenionsdepasserunpacte.Elle fait çaàchaque foisqu’ellemeparledeshommes.Monpèrel’avraimentdétruite…

***

J’arrive à Maréchal Community avec une bonne vingtaine de minutes de retard. Célimène sort dubureauaumomentoùjerentre.

–Davinat’attenddanssonbureau,m’informe-t-elleenguisedebonjour.Aufait,tuasreçuplusieursappelsàproposdesprestatairespourlafusion;ilyavaittellementdedonnéesquej’aiàpeineretenuunmot!Maiscommetuessigéniale,jesuissûrequetuvast’ensortir!Tunem’enveuxpasj’espère?medemande-t-elleavecunsouriretropangéliquepourêtrevrai.

Ahlagarce,jejurequ’unjourjevaismelafaire.

–Pasdutout,réponds-jeensouriantaussifaussementqu’elle.

Elle s’arrêteànouveauavantdepartir,medévisagede la têteaupied, afficheunvisage railleurettournelestalons.J’observealorsmonrefletdanslafenêtre,mordillemalèvreetprendmoncourageàdeuxmains.J’attrapematabletteetmonportablepuismerenddanslebureaudemabosselatêtehaute.

–BonjourDavina.Désoléepourleretard,unincidenttechniquesurmaligne.

Ellemelancesonfameuxregardnoirenabaissantlementon.

–Dylan,prend-moipourunemarâtre,unemégère,unedragonne,maispaspouruneidiote.

J’enperdsmesmotsetnesaispasquoi trouverpourmadéfense.J’hésiteà luiracontercequis’estpasséavecmamèreavantdesongerquecelanelaregardepasetl’intéresseraencoremoins.

–Jeseraiabsentequelquesjours.Célimèneestaucourant,j’aidéjàarrangéleschosesavecelle.Encequiteconcerne,j’aimeraisqu’àmonretourledossierdes95anssoitboucléet…–Ledossierentier

?

Sonregarddetueusemefaitrevenirsurmabrusquerieetjemecorrige:

–Cequejeveuxdirec’estquecen’estpasavantunmoisencore.Etilyauntasdechosesàrevoirensembleet…

Cette fois,c’estsamain levéequimestoppe.Elle laposeensuitesursonbusteetouvre labouche,l’airfaussementconcernée.

–Est-ceque tuas tropdeboulotDylan?Tuveuxprendrequelques jourspour toi ?Pour réfléchir,retrouver tesamiset te ressourcer?Est-ceque le travail t’empêchedevivre?Tuenasprobablementtrop, c’est juste.Peut-être…peut-êtreque tudevraisdémissionner et je saispasmoi… te trouveruneautrevoie?Tuasbesoind’unerecommandationécrite?

OK,elleestclairemententraindesepayermatête.

–Non.–Non?Tuescertaine?

Jegarde labouche ferméemalgré le flotde répliquesquimepassepar la tête. Je suisde retourenprimaireavecmonméchantmaîtredeclassequinesupportaitpasdemevoirmeretournerpourpiquerdesstylosàmescamarades…

–Tuveuxqu’onailleprendreuncafé,Dylan,peut-être?

Etvoilàlabelleformuledesamajestépourmecongédier.

Jepassemamatinéeentièreàbossersurl’événementavecenmusiquedefonduneCélimènepétassequiutiliseunevoixdesecrétairedefilmpornopourparleràsesinterlocuteurs.Jevérifiemonportabletouteslesheurespourvoirsijen’aipasreçuunmessagedeGaspardconcernantnotrerendez-vousdecesoir.Cedînerentêteàtêteestuntournantfatidiquequinousindiqueras’ildoityavoirplusentrenousoupas.

JegrognecontremonportableetCélimènemejetteunregarddégoutéavantdetournersachaisepourmemontrersondosetcontinuersaconversationtéléphonique.

Monportablefinitparvibreretjebondisdessus.

Charlie:[Turamènestonpostérieurquandtuveuxmabelle.]

J’aipresqueoubliéquejedéjeunaisaveclegroupeetmapetiteluciole,Stéphanie.Aumoinsuneheurepositive quime changera de cette journéemerdique. Je préviensCélimène que je prendsmapause etl’espaced’uninstant,elleretrouveunsouriresincèreethochelatête.

***

CharlieetParissem’attendentdansunebrasserieaucoindelarue.Ilfaitfroid,maislesdeuxfumeursoccasionnels ont voulu se mettre dehors. Je m’assois comme une brute et le serveur m’abordeimmédiatement.Aprèsavoircommandé,jeregardemesdeuxamis.

–Jesuisdébordée!J’aifaillimanquernotredéjeuner.OùestMaya?–ElleestencoresurlesnerfsparrapportàMajor.Mieuxvautlalaissersecalmer.–Ouons’enbranleetonsesertdeceprétextepourlavirerdugroupe,proposemameilleureamie.

Jepincemeslèvres,pasvraimentsûrequecesoitjustededéciderunetellechose.

–Vousavezréfléchi,vous,parrapportàça?

Parissehausselesépaulesetécrasesacigarettedanslecendrier.

–Jevoussuis!–Est-cequ’onestfou?s’interrogeCharlie.Onaunechancefolle,cellequetouslesgroupesrêvent

d’avoiretonaleculotd’hésiter.

Jebalaielesujetd’ungestedelamainetaccueilleavecplaisirmonburger-frites.

–EtStéph?demandé-jeenattrapantavecenthousiasmeunefriteentremesdoigts.–Aucunenouvelledemadouce,taquineCharlieenposantsonbrassurledossierdeParisse.

Jequestionnecettedernièreaprèsavoirvérifiémonportable.AucunmessagedelapetiteMaréchal.Nidugrand…Ilsonttouslesdeuxdécidédemesnoberapparemment.

–Moi?Non,pasdutout.Jelissurlemensongesurlevisagedemonamie.Etavantquejenelaforceàcracherlemorceau,elle

avoue.

–Oui,bon,jeluiaipeut-êtreparlérécemment.

Biensûrqu’elleluiaparlé.Stéphanie,Parisseetmoisommescommelesdoigtsdelamain.Maissimoi j’ai une relation très fraternelle avec ma Stéph, elle a toujours été plus proche de Parisse pourcertaineschoses.

–Etellevabien?

Automatiquement,jem’arrêtedemanger.Sesyeuxtristeslorsquenousnoussommesrencontréspourlapremièrefoismereviennententête.Madéterminationàvouloirl’aider,lafairesourire…toutuntasdesentimentsqu’àprésentjeressenspoursonfrère.LesâmesenpeinedesMaréchal,çapourraitêtremaspécialité,toutcommemonpointfaible.Impossibledenepascraquerpoureuxetleursirisbleues.

–Ellesaitqu’onn’apasencoreprisnotredécisionàproposdeMajor,hein?s’inquièteCharlie.–Ouiellesaitça…marmonneParisseenfuyantmonregard.Etautrechoseencore…

Lanourriturequej’aiavaléequelquessecondesplustôtremonteàl’enversetjecrie:

–TuluiasditpourGaspardetmoi?

Ellegrimacetellementquesabouche,sonnezetsesyeuxchangentcarrémentdeplace.

–TutetapeslefrèredeStéphanie?s’exclameCharlieenriant.–Jenemetapepaslefrèrede…

Jerevienssurlesfaitsetsoupire.JecoucheaveclefrèredenotreStéphanie,cequisoudainementmeparaîtmalhonnête.

– Enfin… C’est compliqué. C’est pourquoi ça ne te donnait pas le droit d’en discuter avecStéph!argué-jeàl’attentiondeParisse.

SiniGaspardnimoin’arrivonsàdéfinircequ’ilyaentrenous,commentunefilleaussicontradictoirequeParissepeut-ellel’expliqueràStéphaniesanscauserdedégâts?

–Onn’enapas«discuté»,sedéfendsansconvictionmonamieenroulantdesyeux.

Ellen’apasl’airdevoirleschosessouslemêmeanglequemoi,etçacommenceàm’agacer.

–Laconversationestvenuetouteseule.–Lesmessagesdansmonportableaussisontvenusàtoitoutseul?

Elle lève les épaulesen signed’excuse. Jeme sermonne sévèrement : c’estma faute.Parisseest lasœur que je n’ai jamais eu, par conséquent ses défauts sont les mauvais morceaux de viande de sacarcasse,etjenepeuxm’endébarrasser.Jel’aimedetoutmoncœur,maismauditssoientsesproposquineconnaissentpas l’étapedefiltrage.Elleest lapersonnelaplusdirecteet laplushonnêteaumonde.Parfoisçapeutjouerenvotrefaveuretd’autrefois…

–Etellen’appréciepaslefaitquejeneluienaipasparlé?

Ellesecouelatêteetdesmèchesdesescheveuxrougess’accrochentauxpiercingsdesesoreilles.

–Non.Cequ’ellen’appréciepasc’estvotre relation.«Approuver»est lemot-cléen fait. Jediraimême«bénir».Oui,c’estça.Vousn’avezpassabénédiction.

EtlafranchisedeParisseestclairementàmondésavantageaujourd’hui.Parcequ’iln’yapasunseulgrammedemensongedanscequ’ellevientdemesortir.

Stéphanieneveutpasmevoiravecsonfrère…

Sonmanqueévidentdeconfianceenmapersonnemevexeetbrisequelquechoseenmoi.

–Pourquellesraisons?

–Ah,s’agaceParisse.Plusieurs!Maisprincipalementparcequ’elleletrouveirresponsable.Elleaditqu’entrevousçanecolleraitjamaisetqu’ellenevoulaitpasavoiràfaireunchoix.

Cettefois,absolumenttouts’effondreàl’intérieur.Çadégringole,unroulé-boulédontlafinn’arrivepasmalgrémesdiscrètesinspirations-expirations.L’irresponsabilité.Monpireennemi.Lemeilleuramidelaplupartdeshommesdecetteplanète.Inconsciemment,jegrattemontatouage.Nefaispaslesmêmeserreurs,Dylan

.Situaperçoisunesortiedesecours,prends-là.

–Ilfautquej’yaille,déclaré-jelavoixterne.–Dylan…m’interpelleParisse.

Jequittelerestaurantsansunmotniunregardpoureux.J’essaiederéfléchirsurlechemnduretourversmonbureau.

Je suis une fille libre. Je déteste quand quelqu’un croit savoir ce qui est le mieux pour moi. Enl’occurrence, Stéphanie est ce quelqu’un aujourd’hui. Sauf que mes amis sont ce que j’ai de plusprécieux;ilssontmonéquilibre.Jamaisjenesacrifieraimesamitiéspourunerelationdecouple.C’estpresqu’unserment,unvœu.AlorspourquoilerefusdeStéphdemevoiravecsonfrèremeperturbeautant?

Parcequetutiensàlui.

Merci,Conscience.Toiettesinterventionsquin’aidentenrien,vouspouvezallervousfairefoutre.

J’apprécieGaspard,maisjenetienspasàlui.Pasencore.Nousnousconnaissonsàpeine.Certesilestintelligent, beau, sexy – il est même très sexy – mais puis-je réellement envisager quelque chose desérieux?

Enattendantl’ascenseurdanslehall,jesensmonportablevibrer.Jelesaisis.

Gaspard:[Cesoir,jevoislafillequim’empêched’avoirdesrêveschastes.Desconseilsàmedonner?]

Mesdoigtsglissentsurl’écrantactile,maisjenesaispasquoiluirépondre.Jedécidequeçapeutbienattendrequejesoisdemeilleurehumeur.

Alors que l’ascenseur s’ouvre, quelqu’un se précipite dans le couloir pour y monter. Quand je lereconnais,j’affichetoutdesuiteungrandsourire.

–Jérémy!–Dylan.Salut!

Ilmelaisseentrer,puisappuiesurleboutondemonétage.

–Çava?luidemandé-jedansl’espoird’entendreleparcoursd’unhommeheureuxaujourd’hui.–Ouais,super.

C’esttout.Ilestbiensilencieux,cequineluiressemblepasdutout.D’habitudeilestsidétendu.

–Est-cequ’ilyaunconcoursde«laplusmauvaisejournée»aujourd’hui?Parcequepourunefois,j’acceptedeperdre!

EtjememetsaudéfidelafairegagneràCélimène.

–Dylan,m’arrêtedoucementJérémy.Jet’aimebeaucoup,t’esunefillesympaettrèsjolie…

Généralement ce début de phrase conduit soit à une déclaration romantique, soit à une annoncedramatique.

–Tuessûrqueçava?Situveuxparler,jesuislà.

Ilsecouelatêteetritavecamertume.

–Sijeveuxparler,jecroisquej’iraivoirunpsychologue,paslapersonnequiestsouslaprotectiond’undesdirecteurscapabledemefairevirer.

Etjecomprendsinstantanémentoùilveutenvenir.IlestaucourantluiaussipourGaspardetmoi…

–J’ignorecequ’ilyaentrevousetjeneveuxpassavoir.JetiensàcejobetMonsieurMaréchalm’aclairementfaitcomprendrequ’au-dessusdematêtebalancesel’épéedeDamoclèsetquec’estluiquilatient.

Un flash de notre première réunionme revient en tête et je revois les deux hommes se serrer troplongtempslamainàl’entréedelasalle.C’esttoutGaspardça,arriveràsesfinstoutensubtilité.Quandj’y repense, cela fait un moment que je n’ai pas réellement parlé avec Jérémy. Nos rapports ont étépurementprofessionnelsetjen’aipaseudroitàsajoyeuseamabilitéhabituelle.

MonDieu…Ill’amenacé?Lajalousiec’estquelquechose.Maiseffrayermescollèguessousprétextequ’ilne lesaimepas?Quellesera laprochaineétape?Laséquestration?Iladitqu’ilcomprenait la

significationdemontatouageetàtraverscetacte,ilnelarespectemêmepas.

–Jérémy,jen’appartienspasàMonsieurMaréchal.Jenesaispascequ’ilt’afaitcomprendre,maisilsefaitdesfilms.Jenesuispassachoseetjesuisassezgrandepourchoisirmesamis!

Etc’estunechosequeGasparddoitsemettreentête.

–Jesais,meditJérémyavecunpetitsourireunpeuplussincèrecettefois.Maisjenecroispasqueça,MonsieurMaréchall’aitcompris.

Jesorsdel’ascenseuràmonétageetlaisseJérémyenrepensantàsesderniersmots.«Leshommesnepensentpasde lamême façonquenous,Dylan. Ils n’ontpasde sentiments et tudevrais le retenirmapauvreoutufinirascommetavieillemère.»

Horsdequestiond’êtreunjoursouslecontrôled’unhomme.Alorsjetapelemessagesuivantsurmonportablesansleregretter:

[J’aibienréfléchimonsieurMaréchal,etjenepensepasvouloir…]

Vouloirquoi?J’effaceleSMSetenretapeunautreplusdirect:

[Mercipourtout,monsieurMaréchal.

Maisjepréfèreenresterlà.]

Par-fait!

23.Grands-Echezeaux

DYLAN

Ilest18heuresetjesuislessivée.Stéphanierefusederépondreàmesappels.Gaspardaignorémontexto.Avec cette finde journée arrive la findemonèreMaréchal.Apparemment ils ontunenouvelledevise:«Toutcequin’estpasd’or,nesefréquente

pas. » Je glousse toute seule et les yeux de serpent de Célimène me pulvérisent par-dessus sonordinateur.J’espèrequel’absencedeDavinarelâcheraunpeul’élastiquedesonstring.Sesongles,qu’ellesemetàtapoternerveusementcontresonbureau,marquentdéfinitivementl’heuredudépart.Jefermemasessionetprendsmesdossierspourtravaillerchezmoi.

–Aufait,m’interrompt-elle.Jeneseraipastropprésenteaubureaucesprochainsjours, jetravailleavecMonsieurMaréchalsurlegalades95ans.

Jem’arrête aux pieds de la porte etme tourne vers elle. Elle transpire lemépris avec son souriresuffisantdepétasse,maisjeluioffreunvisageinnocent.

–QuelmonsieurMaréchal?–Gaspard, roucoule-t-elle.Davinasouhaitequenous travaillionsensemblesur son image,et tout le

reste.–Super!annoncé-jeavecunsourirecrispéensortant.

Rah,çapuaitlajalousie.Jemedéfoulecontrelesparoisdel’ascenseurencognantmonsacdessusunbonmilliarddefois.

–Journéedemerde,demerde,demerde!

Monpaquetdedossiers’échappedemesmainsaumomentoùj’arriveaurez-de-chaussée.Jeramasseletoutdansledésordreenmarmonnantdansmabarbeetmeprécipitehorsdecetimmeubledemerde.Mestalonsclaquentsurlemarbreenmanifestationdemacolère.J’aiconscienced’êtreunevraiegamine,mais je m’en fiche. Je n’ai qu’une envie : être à demain. Demain signifie : pas de Davina, pas deGaspard,pasdejournéedemerde.

Coinçantmesdossiersentremoncouetmonmenton,j’attrapemacartepourpasserlasortieetpoussele portique avecmes cuisses.Mais lesmalheurs continuent et la barre refuse de tourner.Mes jambesprennentunsacrécoupetmesdossiersfinissentànouveausurlesol.Unsignald’alarmesedéclencheetdixsecondesplustard,lasécuritéaccourtàmarencontre.Jecroisquejevaisdevenirfolle…

–Ildoityavoirunproblèmeavecmacarte,rétorqué-jeauxdeuxchiensdegarde,lassée.

Ilsmelaprennentetvérifientmonnom.Jeramassemesdossiersetregardelasortiedesvisiteursavecenvie.

– Je vous la laisse ? Vous me la rendrez demain et… Et qu’est-ce que vous faites ? m’écrié-jesoudainementalorsquel’unm’attrapeparlebrasetquel’autreréplique:–Vousêtesdansnosfichiersmadame,annoncedesagrossevoixintimidanteceluiquitientmacarte.

Onvavousdemanderdenoussuivre,s’ilvousplait.

C’est-à-direqueun,enmetirantainsi,ilsnemelaissentpasvraimentlechoix.Etdeux:

–Quoi?Maisc’estforcémentuneerreur!Jesuisstagiaireicidepuisunmois,medéfends-jeenlesaccompagnantdansl’ascenseur.C’estlapremièrefoisque…

Jem’interrompssoudainementenréalisantquelquechose.

Oh,non…

Est-cequeDavinam’arenvoyée?Pireencore,s’agit-ildeGaspard?OudeStéphaniequiessayedeprotégersonfrèred’unemanièreradicale?

–Nousvousemmenonsaupostedesécurité,nousverronslà-bas.

Lesétagesmontentetjemordillemalèvre.Lepostedesécurité?Celameramènequelquessemainesenarrière lorsdemonarrestationà l’OpéraBastille…Peut-êtrequejedevraisappelerGaspardet luidemanderdesexplications.

–Parici,m’indiquelevigilelorsquelesportess’ouvrent.–Écoutez,essayé-je,onnepeutpasréglerçaàl’amiable?

Etjeproposequoi?Jen’aipasunsou,j’aividémespochespourmamèrecematin.

–Cen’est pas avecnous qu’il faut voir ça, déclare gentiment l’undeux enouvrant la porte de sonbureau.

Maisderrière,cen’estpasdutoutcequej’imaginaistrouver.Ilyaeffectivementunbureau,maisaussiune vue imprenable sur les hauteurs de Paris et ses belles constructions. Comme il fait déjà nuit, leslumièresdesmonumentsetdesruesscintillentdemillefeux.Jesuismontéesur les toitsbiendesfois,maisdanscebureauavecbaievitrée,ilyaquelquechosed’autre,quelquechosedeplusprivé,deplusintime.C’estàlafoisirréelet…romantique.

–Qu’est-cequ’onditdéjà?annoncelavoixsensuelleetrauquedeGasparddanslapièce.

Jeme retourne et le découvre debout près d’une table pour deux et d’un dîner aux chandelles.Mabouches’ouvretouteseuleetillèveunsourcilinsolentenmedétaillantdelatêteauxpieds.

–«Situnevienspasaudîner,ledînerviendraàtoi»?

Oh,merde.

–Merde,soufflé-jeenadmirantledînersouscloche.Gaspard…

J’admire la table garnie. Lamise en scène est parfaite et dans son costume noir, Gaspard est toutsimplementàtomber.Elancéetmusclé,ilavraimentfièreallure.Est-cepossibled’êtreaussiparfaitentoutecirconstance?

–Nemurmurepasmonprénomainsi,oujepasseraiaudessertavantmêmed’avoirentamél’entrée.

Moncorpsseréchauffesous lacaressedesonregardardentet lespetitspicotementssousmapeau,détestablementagréables,m’engourdissentuncourtinstant.

J’inspireprofondémentet,àregret,jeprendsmoncourageàdeuxmainsetl’affronte:

–JesuisdésoléeGaspard,maisjenepeuxpas.Toutçac’est…trop.–Jesais…Maistoutça,c’estpourtoi,Dylan.

Ilsedéplaceetlespetiteslumièresdelavilledanssondosjouentavecsasilhouette.Lemondesemeten mouvement avec lui. Il captive l’attention, s’approprie quasiment l’espace-temps, sans en avoirconscience. J’ignore comment il s’y prend pour entrer en possession d’un environnement aussinaturellement,maisçam’émerveille.Cen’estpassadémarche,nisoncharisme.Cen’estpassonaisanceàl’oral,nisoncaractèreimposant.C’estquelquechosedepuissantsurlequelpersonnenepeutmettrelamain.Quelquechosequifaitquepersonneneleforceraàposerungenouàterre.Ilestmajestueux.

Assieds-toi,s’ilteplaît.

Le«s’ilteplait»estoptionnel,bienentendu.Jemontremonmécontentementencroisantlesbrassur

mapoitrine.

–Jenecroispasnon.Tum’asfaitpasserpourunefugitivedanslehalltoutàl’heure.–C’étaitleseulmoyenpourquetunem’échappespas.

Lamanipulationestunartqu’ilmanietrèsbien.Ilfaudraquejem’ensouvienne.

–Ehbien,c’estbidon!critiqué-je.UnSMSauraitamplementsuffi.

L’odeurquis’échappedudînertordmonventreetjeresserremesbrascontremoipourqu’ilévitedegrogner.JemeursdefaimetjedoispartirauplusvitepourqueGaspardnes’enrendepascompteetn’ytrouveuneopportunitépourmeforceràrester.

–Çatombebienquetuparlesdeçajustement,fait-ilminederéfléchir.Figure-toiquepasplustardquecemidiunepersonnequejeconnaisautiliséunSMSpourgentimentdéclinerunrendez-vous.Situveuxmonavis,c’estvraimentpuérilquandonsaitqu’elleavingt-et-unans.

Jecontre-attaqueimmédiatement:

–Puisquetusemblesavoirréponseàtout,envoilàune:tasœurestcontrenotrerelationetjepensequ’elleadebonnesraisonsàcequetoietmoiçan’arrivepas.Jetelaisseméditerlà-dessus!

Jeponctuematiraded’unejoliepirouettesurmestalonsetmedirigeverslaporteavecuneimpressiondedéjà-vu.Attendezuneminute,cen’estpasdudéjà-vu,c’estdudéjà-vécu

.Jefuisànouveaumondésird’êtreaveccethomme.

J’abaisselapoignéeprêteàpartir,maislamaindeGaspardseposesurlamienne.Ilrefermelaported’ungestevif.Sonsouffleserapprochedemonoreilleetlesdélicieusessensationsqu’ilprovoquemefontfrissonner.

–Tuaslechoix:soittuposesimmédiatementtesfessessurcettechaise,soittumeregardesmemettreenrogne.Jepeuxtecertifierquedanslesdeuxcas,tufiniraspardîneravecmoi.

Jemeretourneversluietj’aperçoislacolèremonterdanssonregard.Latension,lacrispationdesoncorpsm’attire.

–Maisentrenous,rajoute-t-il latêteinclinéeensigned’avertissement,tun’aimeraispasmevoirencolère.

J’inhalesonparfumépicé,unarômequimerenvoieconstammentàceweek-endàNewYork.Nous

sommes tellementproches l’unde l’autrequemarespirationsemélangeà lasienne,mapoitrinefrottecontresontorseetdéclencheunetornadedesupplicesentremesjambes.

–Oupeut-êtrebienquesifinalement,murmure-t-ilenemprisonnantmonespacevitaldesesdeuxbrasqu’ilappuiecontrelaportedansmondos.– Si, quoi ? interrogé-je, la gorge terriblement desséchée par la force de l’attirance entre nos deux

corps.

Àl’aidedelapointedemalangue,j’hydratemeslèvrestoutaussisèchesetrêved’unedouchefroide,laseuleàpouvoircalmermesardeurs.

Je sens sonérectionme frôlerquand il changedepostureetplie lesbrasde façonàapprocher sonvisagedumien.Jemecrisped’appréhension.

– Tu aimesme voir en colère, déclare-t-il l’air songeur. Et si NewYorkm’a bien appris quelquechose,c’estquetuadoresmonimpulsivité.J’hésiteàtesatisfairelà,toutdesuitesurlecanapé,ouàtepunirenteprivantdemoi.

Àboutdesouffle,jenevoisqu’uneseulesolutionànotreproblème.

–Pendantquetuhésites,moijemesatisfais!

Jeme jetteà soncou, lecœurbattantà tout rompred’envieetdedésir.Nosbouches se trouventetGaspardempoignemesfesses.Monsactombeausol,jeperdsmestalonsetilmesoulèved’uncoupsecdanssesbras.J’enroulemesjambesautourdesa taille,etmajuperemonteauniveaudemeshanches.Mes baisers s’enhardissent : je joue avec sa langue, l’enroule, l’entortille et la suce longuement, luiarrachantunnouveaugrognement.

–Putain,ilfaudraqueturecommencesçaavecmaqueue!

Jerougislégèrementàcausedesonlangagecru.

–Seulementsitutemetsencolère,susurré-jeavantderecommencer.

Maisilm’arrêtebrusquemententirantsurmescheveux.Seslèvresplongentsurmagorgeetilsuçotemapeauàsontour.Jegémisdeplaisir,meserrecontreluiet j’enredemande,lesboutsdemesdoigtsagrippésàsoncou.

–Gaspard,prends-moi,maintenant.

Ilnous installe sur lecanapé.Sesmainsparcourentma taille,glissent sousmes fessesqu’ilnepeut

s’empêcherdetripoter.Sabouchepoursuitsadescenteet jem’agite, lecorpsenflammé.Ilbloquemeshanches en y enfonçant ses doigts et rien que de penser auxmarques qu’il vame faire, jememets àsoupirerdeplaisir.Mespaupièress’alourdissentdedésir.Seslèvresdoucesembrassentàprésentmonventre,lehautdemacuisse,puisl’intérieuretj’attrapesescheveuxpourl’inciterànejamaiss’arrêter.Jeveuxqu’ilmeretirecetteculotte-obstacle,quesatêtes’enfouisseentremesjambesetquesalangueseperdeàl’intérieur.

–Ilfaudraquetumedonnesl’adressedecetteboutiquedesous-vêtements,murmure-t-ilenpassantsesdoigtssouslesbandesdemonstring.

Sonnezmefrôlelégèrement,jegeinscommeunefolleetjesenssonsourirecontremonentrejambe.

–Monindomptablelionne…grogne-t-il.

Ohoui,j’aimequandilm’appellecommeça,quandilutiliselepossessifpourmenommer.Sonsouffleserapprochedemonintimitéetlemiensesaccade.Ilricochesurmonventre,m’imprègnedesesbaisershumidesaussienflammés lesunsdesautres.Saboucheetses lèvres formentunecouléede laveetmapeauestlesentiersensiblesurlequelilruissèle,traçantsoncheminjusqu’àmeslèvrespalpitantes,quin’attendent que les siennes pour s’occuper de l’incendie déclenché. Ce n’est plus qu’une question decentièmesdesecondes…

Maisl’organismehumaindemeureparfoisunmystèreetmalgrélacrispationdudésir,celledelafaimremportelabataillemonventrerugit,cassanttoutelasensualitédumoment.

Un agréable gloussement s’échappe au niveau de ma culotte et l’homme qui en est à l’origine seredressepourm’observer,malicieux.Jefrottemesmainscontremonvisage,unpeuhonteusedelaseulechosequejenepeuxpascontrôlerchezmoi.Ilm’attrapeparlespoignetsetmetireverslui.Ilesttoutsouriremêmesisonregardresteencorevoiléparl’intensitédesquelquesminutesprécédentes.

–Jepasseraivolontiersmanuitàtedévorer,susurre-t-il.Maisvuequej’aiprévudetebaiserjusqu’àl’épuisement,ilvaudraitmieuxpourtoiquecesoitleventreplein.

Cethommen’a,sexuellementparlant,aucunepitié.

Ildéposeun«mord-bisou»surleboutdemonnezet,toujoursenmetenantlespoignets,nousredressesurnospieds.Mesyeuxtombentsurlamontagneauniveaudesabraguetteetjeretiensungémissement.Ildescendmajupepourcouvrirmesjambesetmeconduitverslatable.J’aiunpeudemalàretrouvermesrepèresaprèscettetensionsexuelle.

–Ilmesemblequevousavezfaim,mademoiselleSavage.Ilsoulèvelaclochedudîner,révélantunjolipetitplatdeviandeetlégumesconfinésdansunebellecocotterouge.Lavapeurs’échappeet

l’odeurnarguemonestomaccreux.

–Navarind’agneauprintanierduchef,serviceàlafrançaise,rienquepourvousmadame!

Nousprenonsfinalementplaceetj’appréciesilencieusementledressagedetable:noussommesl’unàcôtédel’autreetnonfaceàface.

–Etpouraccompagnervotrerepas,annonce-t-ilenlevantlabouteilledevin,unexcellentcruGrands-EchezeauxdudomainedelaRomanéeConti.

Alorsc’estçasonfameuxvindecirconstance?Ilal’airsacrémentfierdemeprésentercettebouteille,commes’ils’agissaitd’untrésor.

–Goûteça.

Ilnousserreunverreàchacunavecéléganceetm’observeducoindel’œil,amuséparmonsilencecurieux.

–Voilà…souffle-t-ilenmetendantunverre.

Noustrinquonsetilsouritendéclarant:

–Jetemetsaudéfidenepasaimer.

Jehausse les épaules sansgrandenthousiasme.C’estundéfi unpeu facile,mais j’aimegagner, peuimporteledegrédelabeurquejedoisapporter.Jeporteavecnonchalancemonverreàlabouche,maisGaspardm’arrêteengrognant:

–Dylan. Toi seule sait à quel point ton innocencem’excite, mais en tant que bon français je doist’avouerquelà,ellemetue.

Ah?

Ildéposesonverreetserapprochedemoi.

–Onneboitpas

levin.–Premièrenouvelle!m’esclaffé-je.Onfaitdescouchesavecpeut-être?–Non,dit-illoind’êtreamuséparmaplaisanterie.Levin,çasedéguste

.Monpèret’égorgeraitvivantes’ilassistantàça.

L’excusedesonpèredéfuntréussitàcalmerlapetiteDylanperturbatricequidortenmoietj’agisenbonneélève.

–Jesuistouteouïe,MonsieurMaréchal.

Sesgrandesmainsseposentsurmescuissesetilglissemesgenouxentresesjambes.

–Toutd’abord,commence-t-ill’œilpétillantdemalice,tudoisprocéderàl’examenvisuel,l’analysedecequ’onappellelarobeduvin.Elletepermettradesavoirs’ilestvieuxengardeous’ilestfortenalcool.Exerceunmouvementrotatifetexplique-moicequetuvois.

Tenant leverreavecprécaution, je l’incline légèrementau-dessusde la tableetmeconcentresur leliquide.

–Jevois…Hum…Durouge…Durougebrique…essayé-jeleslèvrespincées.

Ilpressemescuissesentresesjambesensouriant.

–Sijemefieàtonévaluation,çaveutdirequ’ilestvieux.–Oui,enfin…Enmêmetempsilestécrit1967surlabouteille,minaudé-je.–Oui,rit-ilenfaisantminedemepincerlahanche.T’esunemalinetoi.

Jeluirendssonsourireetpensequ’onenafini,malheureusementilreprendsoncoursd’œnologie:

–Maintenant,est-cequetuvoisleliquideunpeuvisqueuxcolléàlaparoi?

Jepencheànouveaumonverre,puishochelatête.

–Onappellecelaleslarmes.Çaveutdirequ’enplusd’êtrebon,ilterendrasaouleplusrapidement!conclut-ild’unclind’œilcomplicequimerenseignesursesintentions.

Jenesaispasoùilveutenvenir,duvinresteduvinpourmoi.Jen’enboisquerarementcarçacoûtecher,etjepréfèrelegoûtd’unecaipirinha

oud’unBlueLagoon

.

–Secondeétape:l’olfactive.–Ilyenacombiendesétapes?demandé-jeavecunemoueenfantine.–Ilyad’abordl’étapevisuelle,souffle-t-ilensepenchantsurmoi.

Le bleu perlé qui entoure ses pupilles donne l’impression de se perdre dans la contemplation d’unpanoramaméditerranéenépoustouflantetpaisible.Gaspardestd’unebeautésaisissante.

–Ensuite,ilyal’étapeolfactive,susurre-t-ilàmonoreille.

Etilsentbon,pensé-jealorsquesonnezparthumermoncouetremonteendouceur.Jefermelesyeuxetpenchematêteenarrière.

–Et,pourfinir,l’étapegustative,chuchote-t-ilenarrivantsurmeslèvres.

Je l’observe un court instant avant que sa bouche ne fonde sur lamienne.Mais il interrompt notrebaiserbientropviteetjepousseuncouinementplaintif.

–Etdetempsentemps…

Sesmainsremontentendouceurlelongdemesjambesetlapulperugueusedesespouceslaissedestracesélectriquessurmapeau.

–Ilyal’étapetactile.

Comme un vrai connaisseur, ses doigts se faufilent subtilement et trouvent directement mon pointsensible.Jemanquederenverserlevinsousl’effetdelasurprise.Gaspardgrogneetmarmonne:

–Nefaispastombertonverreausol.

Sonindexpassesousladentelledemaculotteetilappuieexactementlàoùj’aimeraiavoirsalangue.Moncorpstressauteetilmefaittaireenécrasantsabouchesurlamienne.

–Putain,tuestotalementprêteàmerecevoir,Dylan.C’estdinguecommetumouillespourmoi.

Ladifférenceentrelegarçonbienélevéetl’accrocaulangagecruesttrèssurprenante.

–Bon!Onenétaitoù?questionne-t-ilavecentrain.

Satortures’arrêteaussibrusquementqu’ellen’acommencéetjesuisàdeuxdoigtsdecontinuermoi-même.

–Ahoui,l’olfactif!Metstonnezdansleverreetessayedepuiserlesdifférentsarômes.

MonDieu,qu’ilestdéstabilisant.

J’exerceunepetiterotationpourendégagerlesarômes.

–Quesens-tu?

Unterriblesentimentd’insatisfaction?Unehorriblefrustrationsexuelle?Unappétitcoupé?Uneenviedemeurtre?

–Delacerise,bougonné-je.–Trèsbien,m’accorde-t-il.Prendunegorgéeàprésentetdécris-moilegoût.

J’exécutelesordres.Leliquiderencontremalangueetglisselelongdemagorge.Hormislabrûlurefamilièrede l’alcool,cevinn’estpasmauvais. Iln’estpasexceptionnelnonplus,maissongoûtfruitéchangedel’alcoolbrutquemamèreal’habituded’ingurgiter.

–Çaaungoûtde…decerise!conclue-jeenjoueusedemauvaisefoi.

Jeposemonverresurlatable.Cepetitjeunem’amusepaset,ajoutéàmafaim,j’endeviensgrognon.

Dejolies ridesmoqueusesentourent lesyeuxdeGaspardet je le réprimandesilencieusementdemefairetournerenbourrique.

–Leplaisirviendraavecletemps.

Àsoncoupd’œil,jecomprendsledoublesensdesaphrase.Ils’emparedesonverreetle«déguste»sansmequitterdesyeuxuneseuleseconde.Jeprofitedesaconcentrationpourglissermamainjusqu’àlabossequidéformesonpantalon,maisil lasaisitetdansuntourdepasse-passemeramènefaceàmonassiette.

–Laprochainefois,jeramènedesmenottesetteboucleàtachaise.

Parcequej’ignores’ilestsérieuxounon,jerépliqueàmontour:

–Iln’yaurapasdeprochainefois.Tuestropchiantetpasdutoutcoopératif!

Ilfroncelessourcils,surprisdemonaccèsdecolère.

–Qu’est-cequ’ilt’arrive?–Riendutout.

Réponse:zéroenmaturité.

Il m’observe sans rien dire alors que je me sers de son truc à l’agneau de printemps. J’enchaînequelques bouchées accompagnées de son vin d’excellence. Merde alors, c’est vraiment délicieux cerepas…

–Tuadoresmepousseràbout,commente-t-il.

J’avalemadernièregouttede«grandmachintruc»etlefixeàmontour.Iln’apasbougéd’unpouce,soncorpsentiertournéversmoietsaconcentrationfocaliséesurmesmotsetmesgestes.

–Pardon?

Iladoptecetairàlafoisaffligéetétonné.

–Jenesaispassic’estparcequeçat’exciteousic’estparcequetuasunbesoind’êtrerassurée,maistuadoresmepousseràbout,répète-t-ilendétachantlesderniersmots.

Voircethommecraqueralorsqued’habitudeilestsimaîtredelui,savoirquej’ysuispourquelquechose,oui,j’avouequeçam’exciteetilsepeutquej’enjoue.Cependant,lavéritéestunebonnepiqûrede rappel : j’aienviede lui.Maispasseulementdesoncorps…Pourtant, jenesuispasune« filleàgarçon». Ilm’a suffi de rencontrermonpremier pourque je perçoive toute relationde couplequellequ’ellesoitcommeplatoniqueetsansgrandintérêt.Certainspenserontquec’estl’absenced’unpèrequimepousseàpenserainsi.Maismonchoixdenepasm’engageresttoutautre.Ilaétéprédéfiniparnotresociété et l’agissement des hommes de notre époque. En résumé, à mon sens, les hommes sontd’éternellesdéceptionsdelanature.

MaisGaspard est particulier.Quandnos regards se croisent, toutme sembledifférent.Comme si ceque je pensais savoir et connaitre

n’avaitjamaisréellementexisté.Ilarriveàmefairemesentirimportantedanscettevieoùparfoisj’étouffe.Ilestunbold’airfrais.Ouplutôt,unebombeàoxygèneetdansquelquestemps,ilnem’enresteraplus.Jenelui

suffiraipluset il iravoirailleurs.Etc’estcedernierpoint-làquimefrustre.Probablementceluiaussiquimefaitautantfuiralorsqu’ilessayepourmoi,pourqu’un«nous»existe.Malheureusement,onnechangepasuneéquipequigagneetMéfianceetmoi-mêmesommesinvaincuesjusqu’àaujourd’hui.

–Mais pour cette fois-ci, j’opterai pour la mauvaise journée, tranche Gaspard en me dévisageantintensémentlessourcilsrassemblésavecinquiétude.Ques’est-ilpassé?

Jesoupire,vaincueparsaperspicacité.

–Stéphanieestmameilleureamie,Gaspard.

Son refusm’affecteénormément.Ellecompte tellementpourmoi.Ellea supasserau traversdemaforteressedebarbelées.Elleesttellementinnocente,elleatantd’amouràdonner,quej’aipeurquesonabsencedansmaviemesoitfatale.

Gaspardnem’entendpaspenser,maissij’enjugel’observationminutieuseauquelj’aidroit,jecroisqu’ilcomprend.

–Quandbienmême j’aimemasœurde toutmonêtre,Dylan, jenecroispasqu’unepersonneait ledroitdedéciderpouruneautre.

Samâchoiresecontractefurtivement,puisilmeregardeànouveauetdéclare:

–Maissiçatetracassetantqueça,jeluiparlerai.

Mon cœur est un peu plus léger et jeme détends enfin. Pourtant il manque encore des réponses àcertainesquestionsquim’ontagacéeaujourd’hui.

–Dis-moicequisepassedanstapetitetête,magrande.Parle-moi.–IlparaitquetutravaillesavecCélimène.

Matêtetournelégèrementlorsquejel’observeetjenotequelevincommenceàfairesoneffet.

–Travaillerestungrandmot.Ellemedonnelesinformationsdontj’aibesoin.C’estunecollaboratriceaumêmeniveauquetousleshommesetfemmesdeMaréchalCommunity.–Cesinformationssontvraimentcapitales?

J’essayedenepaslaissertransparaitrelanotedejalousiedansmavoix,maislesyeuxdeGaspardquis’étrécissentpourmesourirem’informentquej’aiéchoué.

–Seriez-vousjalousemademoiselleSavage?s’étonne-t-ilfaussement.

Toutlelongdenotreconversation,sesmainssontrestéesagrippéesàmacuisseetàprésentellessedéplacent vers le noyau de ma chaleur. Je me tortille et il exerce une pression vive mais puissante,m’interdisantdebougeretm’obligeantàluirépondre.

–Tuesmalplacépourdirequoiquecesoit,pépito

.

Il arque les sourcils en entendant le surnomquim’a accidentellement échappé et jem’empresse dedétournersonattention.

–J’aicroiséJérémydansl’ascenseur.–Hum,hum…

Sesyeuxmefuientettrouventréconfortsurmescuissesqu’ilsmangentdesesyeuxsombrestoutenlescaressantdesesgrandesmains.Jevoistrèsclairdanssonjeu:iltentedemefocalisersurautrechose,parcequ’ilestconscientdesabêtise.

–Etjen’aipasencoredécidés’ilm’asortidesbobardsousitul’asvraimentmenacé?lancé-je.

Ilesquisseunpetitsourireetlâchesabombe:

–Jel’aimenacé.

Jen’aimepasça,lajalousiemalsaine.Cen’estqu’unconcoursd’égo.

–Pourquoi?–Parcequejenesupporteraipasqu’iltefassedumal!déclare-t-ild’untonbourru.

Je cligne des yeux, surprise par sa sincérité. Mon petit cœur me crie de ne pas prendre cettedéclarationpouracquis.Maisc’estplusfortquemoi,et jenepeuxm’empêcherdesourire timidementquandilmarmonne:

–Àtoietàtacarrière.Jesaisquecestageestimportantpourtoi.Tutravaillesbienetilseraitidiotqu’uncongâcheteschances.

Ilressembleàungossedecinqansqu’onapuni.Ilestadorable.J’attrapesonvisagedansmesmainsetl’embrasseenjouantavecsalanguecommeilaime.Unemainpressemacuisseetl’autredisparaîtje-ne-saisoù.C’estàluides’agitercettefoissursonsiègeetquandjeluirendsseslèvres,ungrondementrauquededésirvibredanssagorge.Samainchiffonnelacouturedesonpantalonetilmarmonne:

–Jecommencesérieusementàêtreàl’étroit.–Jérémyn’estpasunemenace,luicertifié-je,nipourmonjob,nipourtoi.–Trèsbien.ParcequesachequeGaspardMaréchalnetraitepaslesmenaces,illesélimine.

Jelèvelesyeuxauciel.

Quelcomportementmacho!

–Maintenant,siondînait?

Jeregardemonplatvideetlesienpropre.

–Jeneparlepasdecediner-là,corrige-t-illetimbredevoixagréablementbasetrocailleux.

24.Lendemaindesoirée

GASPARD

Dylan déambule pieds nus à travers le salon. Elle est d’une sensualité féline. Ses yeux curieux neloupentpasundétail,examinentminutieusement,donnentleuravisetellepasseàuneautreévaluation.Jel’observeensilencepournepas ladéconcentreretmonattitudeest le refletde lasienne.Saufquecen’estpaslasuitequejereluque,c’estelle.

–Pourquoidors-tuàl’hôtel?

Jemedétendssurlecanapéenposantunbrassurledossieretlacontemple.

–C’estplusprocheduboulot.

C’estfaux.Jeneveuxjustepasêtresouslemêmetoitquemononclepourlemoment.

Elleposesonverresurlacheminéeetserapprochedesflammessansfaireattention.Jegrogneetmeresserreunverre.

–Dylan.

Elle tourne son regard pétillant vers moi et je montre du doigt le feu ardent dans la cheminée àquelquescentimètresd’elle.

–Soisplusprudentes’ilteplait.J’aiprévudemettrelefeuàtoncorpsd’unetouteautrefaçon.

Jeportemonverreàmaboucheetremarquelapalpitationquis’estabruptementdéclenchéeauniveaudesoncou.Soncorpsparletoujourspourellelorsqu’elleestexcitée.

Jelarejoinsprèsdelacheminéeetellesuitlemouvementdemespasavecméfiance.Jeluirendssonverreetverselafindelabouteillededans.Noussirotonslevinlesyeuxdanslesyeuxetjecraqueavantmêmequ’ellenefinisse.Jel’attrapeparlatailleetl’amèneàmoi.Nosverresfinissentsurlatablebasseetnoustourbillonnonsjusqu’àlachambre,mainsbaladeusesetlanguesaccrocheuses.Jelatournedosàmoi,dégagelescheveuxdanssanuqueetdéposeunepluiedebaisersmouilléssursapeaudouce.Elleexpirebruyamment,vibredansmesbraslorsqu’unedemesmainsdéfaitlezipdelarobesoussonbrasetquel’autreatteintlesommetdesescuisses.

Elleselaisseallerdansmesbrasetpousseunsoupirfébrile.Monpénisesttenduàl’extrêmecontrelescourbesdesesfesses,cherchantl’entréedesonparadis.Ellebougeenrythmecontremesdoigtsetjel’emprisonnefermement,lamainreferméedélicatementautourdesoncou.Lorsqu’elleestauborddeladélivrance, je ralentis puis reprends de plus belle. Elle finit par pousser un gémissement entre lafrustrationetl’envie.

–Chut,malionne…soufflé-jecontresabouchegonfléeetdoucepouressayerdelacalmer.

C’estlaformedetorturelaplussadiqueetlaplusagréableaumonde.C’estlapreuvequesonplaisirm’appartient,quejesuislemaîtredesoncorpsetqu’ilnerépondquesijeluiendonneledroit.

–Mets-toinue,Dylan.

Ellesoulèvelebasdesarobeetjel’arrêteparlebras,latournesurmoietluirelèvelatête.

–Déshabille-toi.Pourmoi

.

Elleretiresarobeparl’encolure,dérangeantencoreplussatignassedefillesauvage.Jedétaillesessous-vêtements en dentelles d’un violet foncé. Elle se débarrasse délicatement de chaquemorceau detissuetseretrouvecomplètementnue,danstoutesadangereusesplendeur.J’aspirel’airentremesdentsetcontemplechaqueparcelledesapeaudepêche.Unesculpturedechairetdesangdontchaquecourbes’étendmerveilleusement, formant un ensemble irréprochable. Je vais la dévorer entièrement, toute lanuit,sansinterruption.

–Putain,Dylan,tues…

Elle doit lire dans mon regard l’admiration que je lui porte puisqu’elle se jette à mon cou etm’embrassefougueusement.Jemehâtederetirerlescouchesdevêtementsquimeséparentdesapeauetla serre contremoi. Elle est douce et chaude.Même sesmains habituellement glacées ont trouvé unecertaine chaleur. Elle enroule ses doigts autour dema queue et entame un langoureux va-et-vient quej’accompagnedecoupsderein.Lesangmonteàmonvisage,réchauffelemoindrerecoindemoncorpsetelleromptnotrebaiserquandc’enesttroppourmoietquejepousseuncridegorge.J’ouvrelesyeuxpour enregistrer les émotions qu’elle exprime en me branlant. C’est un mix entre la curiosité etl’excitation.Delastupéfactiontransparaîtfinalement.Ellemordilleànouveausalèvre, intimidéecettefois.

–Surlelit,malionne.

Ellegrimpeàquatrepattesetavanceverslefonddulit.Saufquelavisiondesesfessestenduesdans

madirectionestunsupplice.Jesaisquenousauronstousletempsdetesterdesmilliersdepositionsetd’inventerlesnôtres,maiscesoir,jeveuxlaprendreainsi.J’attraped’ungrandgestesatailleetlatireen arrière.Elle rigole quelques secondes, amusées, avant que songloussement ne se transforme enunsoupir d’aise lorsquema bouche fond sur elle. Je passema langue sur toute la surface de peau àmadisposition, mes dents lui donnent la chair de poule et mes baisers lui arrachent des gémissementsagréables. Je me rapproche de son point faible et lorsque ma langue la caresse, je la perds. Jerecommencemonjeudetorturejusqu’àcequ’ellesoitentièrementprêteàmerecevoir.

–Gaspard,jet’enprie,supplie-t-ellelavoixtremblante.

Jem’éloigne,lalaissepantelanteetenfileunecapotemalgrémonenviephénoménaledelabaisersans.Tout en me redressant, je fais le vœu silencieux de bientôt remédier à ce problème. J’embrasse unedernièrefoissesbellesfesses,balaiesescheveuxdanssanuqueetglissemesmainslelongdesondosmagnifiqueetdeseshanchesbiendessinées.Elles’agitesousmescaresses,ondulentdubassinpourmeréclamer.

–Commenttuveuxquecesoit?

J’empoigneseshanches,lesceinturesdemesdoigts,connaissantd’avancesaréponse.Elleaimequandc’estbrutal,quandelleseréveilleaupetitmatinetquelesdouleursdenosébatslasurprennent,quandelleseregardedanslemiroiretqu’elleyconstatelesmarquesdemapossession,quandlessouvenirsnesontpasquedanssatête,maisaussiimpriméssursoncorps…

–Puissant.

C’esttoutcequ’elleditetçamesuffitàperdrelecontrôletoutlelongdelanuit.Cinqfoisdesuite…

***

Auréveil,cesontmesmusclesàmoiquisontendoloris,mais jenemesuis jamaissentiaussibien,aussipaisible.Pasbesoindemeconcentrer sur la raisonà cela ; je cherchedesyeuxDylanentre lescoussinsetlagrossecouette,maisellen’estpasàcôtédemoi.

Soucieux,jemelèveenenfilantmoncaleçon.Danslesalon,c’estlevideetlesilencecomplet.Pasdevêtements,pasdechaussures,pasdesac,pasdemot…

Commenta-t-ellepumelaisserseul?

–Elleestpartie,retentitunevoixenéchoàmespenséesavantd’ajouter:Cyrus,netouchepasàça!

Jepivoteendouceur,nevoulantpasencroiremesoreilles.Maisjeladécouvre:ÉmilieGiannesaencompagniedesonfils,Cyrus.Ilssonttouslesdeuxdanslasalleàmanger,installésauprèsdelatable,commes’ils étaient chezeux.Dans son tailleur chicde jeunebourgeoise,Émilien’apas changé si cen’estqu’elleparaitbeaucoupplusâgéequesesvingt-sixans.

–BonjourGaspard,commence-t-elleen souriant froidement.Tunepensais toutdemêmepasque tupourraispartirsansquejenem’enrendecompte.

«M’échapper»estlemotexact.

Jescrutelesenvironsdesyeux,enproieàunepaniquesourde.Non,ilfautquejegardemonsang-froid

.JenepeuxpasperdrelespédalesdevantÉmilie,elleenseraittropsatisfaite.Maisavecl’absencedeDylan, je n’arrive pas à trouver le calme qu’inconsciemment elle provoque en moi. Il faut que jel’appelle,qu’ellemerevienne,qu’ellesoitavecmoi.

–Situcherchestablondasse,elleestpartieilyaunedemi-heure.

Cyruslancelejouetqu’iladanslesmainscontrelatableenverreetlebruitsecqueceladéclenchemeréveille.JeprendsmonportableetchercheDylandansmescontacts.Jerespiredoucementetmefocalisesursavoixetsesyeux,surlamagnifiquenuitqu’onapassée.Jerefusequecenesoitquepassagerentrenous.Jeveuxplus.Jeveuxtout.Usus,fructus

etabusus

.L’accalmie,l’alchimie,l’amour.C’estça:montripleA.

–Qu’est-cequetuluiasdit?

Stéphanieneluiarienrévélé,maisEmilieseraitcapabledetoutlâchersansaucunremords.Ellen’apasdecœur,elleneressentrien.Etc’estpourcelaquedanslepassénousnousentendionsàmerveille.

–Absolumentrien,ment-elle.

Je tombe sur lamessageriedeDylanet recommenceànouveau, enproieàune fureurméconnue.SiÉmiliearéussiàlafairefuir,sielleluiaditquelquechosedeblessantenutilisantsesmotsdesorcière,alorsQuentin,monavocatdel’ombre,auradupainsurlaplanchepourmeurtreprémédité.

J’aibesoindeparleràDylan,deluiexpliquermaversiondesévénements.Maisjeprendsconsciencetrèsvitedelatournuredemespenséesetm’arrête:serais-jecapabledeluidirelavéritéaurisquedeperdrecequenousavons?Etcommentpourrais-je luiprésenter toutcebordelque représentemaviesansluidonnerenviededécamper?

–Quellejeunefillemal-élevée!J’avaisàpeineouvertlabouchequ’ellemettaitdéjàlesvoiles!Maisaprès-tout,àquoibons’inquiéter,ilnes’agitquedetonassistanted’aprèscequej’aipucomprendre.

Ellesetrahittouteseuleenajoutantcesquelquesmotsetsonsouriremesquinleconfirme.

Uncoupnesuffitjamais.Uncoupnesuffitjamais.MaisDylansuffit.Ellesuffitetsijelaperds…

–Dylan,rappelle-moi!Nefuispas

!

Jesaisqu’elledétestequandjeluiparlecommeça,maisjesuissurlesnerfs.

–Quit’adonnémonadresse?brusqué-jeÉmilie.–Figure-toiquec’esttasœurquim’acontactée.

Mes poings se serrent en une pensée réellement morbide. Pas à cause de ma sœur. Mais parcequ’Émiliearéussiàrentrerencontactaveclesdeuxpersonnesquiconstituentl’équilibredemanouvellevie.Etellen’yaaucuneplacemalgrénotrehistoire.

Elle représentemon passé etmes erreurs. J’ai été naïf, jeme suis laissé embobiner par ses beauxdiscourssans jamaismeméfier,alorsqu’aufond,ellen’estqu’unevipèremanipulatriceetvindicativeassoifféed’argentetdepouvoir.

–Enfin,trêvedeblablas.Maintenantquejesuislà,tupourrasmeprésentercommeilsedoit!

Elleseréjouitdepouvoirfoutrelamerde.

–JetejurequesituapprochesStéphanieouDy…

J’arrêtebrusquementlatirademenaçanteetcinglantequej’étaissurlepointdeluidéverserengrossequantité.

Cyrusquimeregarde,ébahit,enclignantdespaupièresestàl’originedecetteinterruption.Sesyeuxbleusdisparaissentderrière ses longs cils et il cessedebalancer son jouet.Le tondemavoix, et lesparolesquej’aisurleboutdelalangueluiontfaitpeur.J’assimileinstantanémentpourquoiÉmiliel’aamené ici. Pour que j’évite toute attitude risquée et déplacée en sa présence. Elle sait qu’il est unesécurité.Cellequim’empêcheradefranchirtouteslimites.

Monregardglissedansladirectiondecettedernièreetunechoseestclaireàprésent:cettefemmeestunecalamité.Etlescalamités,çanes’envapassansavoircausédedégâts.

25.Avocatdel’ombre

GASPARD

Paris est plongé dans un océan de nuages ternes qui s’étend sur des kilomètres, ombrageant la vieruraleengénérale,seconfondantaveclestoitsgrishaussmanniens,dépeignantunefresquemaussade.Labrumerecouvrelesconstructionsdelacapitalelespluséloignées,etavec,lesgouttesdepluiequin’ontde cesse de tomber depuis hier et hachurent les surfaces vitrées. Maman adorait ça, l’atmosphèrebruineuse de cette ville. Elle trouvait que c’était un phénomène fascinant qui nous rendait tousincroyablementhumainsetégaux.Pourelle,c’étaitunemélodie.

Mon regard, devenu flou à cause de fixer trop longuement la fenêtre, dévie surmon téléphone quisonne.

–MonsieurMaréchal.Votrerendez-vousde9h55estarrivé,meprévientElizabeth.

Automatiquement,jeregardel’heureàmamontre,puisouvremonagenda:jen’aiaucunrendez-vousdeplanifiéavant10h30.

–Elizabeth,jen’aiaucunrendez-vousà…

Jen’aipasletempsdeterminermaphrase.QuentinGesbertdébouledansmonbureauetfermelaportederrièrelui.

–Ah,Gaspard!Sivoussavieztoutcequ’unhommededroitquiconnaitlaloisurleboutdesdoigtspeutfairecroire.Incroyable!

Habilléd’unjoggingettouttranspirant,ilposesesfessessurlesiègeenfacedemoietmesourit.

–Quentin!Avez-vousreçulemailquejevousaitransmis?–Oui,etjesuisdésolédevousl’apprendre,maisvotreaccusationn’estpasrecevabledevantunjuge.–Pasrecevable?articulé-jeenserrantlamâchoire.

Cen’estdécidémentpaslaréponsequej’attendais.

–Undemi-millionadisparudes financesdemononclequelques jours seulement après ledécèsde

monpèreetcen’estpasrecevabledevantunjuge?

L’avocatdéplieseslonguesjambesetjoueavecmoncarnetdenotes.

–Un,lespreuvesquevousavezontétésubtiliséesdemanièreillégale.Vousn’irezmêmepasenjusticeavecsipeu.Deux, l’expert-comptablequis’estchargédecetteaffaireestdécédé.Et trois,mêmesi jevoulaisvousaider,jenepeuxpas,carmonpèrem’arenvoyédesaboîteceweekend.

Jevaisexploser.Jemesuisbercéd’illusions.Alexaobtenulesbonséléments,maisQuentinréfléchitavecneutralité.Ilestévidentquemononcleatoutmisenœuvrepourbrouillerlespistes.Cetteaffaired’argentperduestconsidéréecommeclassée.Aveclamortdel’expert-comptable,nousn’avonsaucuneidéedel’endroitoùl’argentadisparu,sicen’estdanslesmainsd’untueuràgage,d’unmecassezfoupour trafiquer un avion et le faire crasher.Mais peut-être n’est-ce quemon imagination, poussée parl’enviedevoirmononcletomber.

–Enpleinrepasdefamille.Jenevousdispaslaracléequej’aireçueétantdonnémonrécentachatd’unappartdansle12e.

Jefroncelessourcilsetsecouelatête.Enquoisonrenvoimeregardeetconcernetoutecetteaffaire?Commentpeut-ilpasserd’unprobablemeurtreàça?

–Vousm’envoyezsincèrementdésolé.

Ilobservemonstylo-plume,cettefois.

–Jenecherchepasàtravailler.Jevais…prendreunpeudetempslibrepourmoi.Voussavez,avecmacompagne.

Génial…

– Si vous voulez mon avis, Gaspard. Ne restez pas enfermé dans tout ça. Passez à autre chose etessayezdereprendrel’entreprisedevotrepèreparlavoielégaleetlégitime.Etnemefaîtespasveniràvotrebureaupourcegenredechoses.

Surcesderniersmots,ilselèveetquitteleslieux.Lacolèrenem’habitemêmepasàceniveau.Ellemeconsume,m’avaleentièrement,etleplusfrustrantestquejen’arrivemêmepasàdéfinirsonorigineexacte.Me souvenir de lamort demonpère a sorti le démonde sa cage.Les coups, le soulagement,l’oubliàtraverslaviolence,neplusrienressentir;l’ancienGaspardfonctionnaitcommeça.Lorsqu’ilavaitmal,iltrouvaitunesolutionàtraverslescoups.

«Les enfantsMaréchal n’ont plus de parents mais deux fois plus d’argent. Sont-ils vraiment à

plaindre?»,uncoup.

«Ilcouletoutcequ’iltouche,ilnepeutpasreprendrelasociétédesonpère»,deuxcoups.

«Encoremoinsobtenirlagardedesapetitesœur»,troiscoups.

«Sonnomnesuffitpas.ILNESUFFITPAS.»,unnombreinfinidecoups.

Maisçanesuffisait jamais.Ilfallaitplus.Annihilerladouleurenprovoquantcelledesautres.Fairenaîtrecesentimentquinousrendintouchable,plusfortqu’onnel’estréellement.LeGaspardinvincibleparle,agit,n’estpasatteintparcequeracontentlesgens.Iln’apaspeurdecemondedemerdequis’estdressécontreluietlesurnomme«l’héritiermaudit».Àchaquecoup,iloublieet,pendantuninstant,ilestenpaix.

MaislenouveauGaspardnepeutplusrépéterlesmêmeserreurs.Ildoitapprendred’ellesettrouverunautremoyendevivreaveccetterageenfouieenlui.Il l’apeut-êtretrouvé,maiselleveutenrester là.ParcequeStéphanieluiadit,ouparcequecommedepuistoujours,lemauvaissortfaitquetoutlemondefinitparlequitter.Ildevraitêtrehabitué,depuisletemps,maiscettefoisleschosessontdifférentescarilestincapabledelalaisserpartir.Etc’estégoïste,parcequ’ilsait.Ilsaitquetôtoutard,ilfiniraparluifairedumal.Ilestmaudit,c’estécrit,c’estainsi.

Uncoupnesuffit jamais.Uncoupnesuffit jamais.Uncoupnesuffit jamais.Putain, jesuisàdeuxdoigts de craquer. Mes mains tremblent au-dessus de mon clavier. Je n’arrive pas à me concentrerdavantagejusqu’àcequejetombesurlepetitboutdepapiersurlequelsontgriffonnésquelquesmotsaustylo-plume.Jem’enempareetlisrapidementavantdemefiger:

«Bureausurécoute,retrouvez-moidanscinqminutesàlabrasseriedansl’angledelarue,Quentin.PS:N’oubliezpasdevousdébarrasserdecemot!»

Quandest-ceque…?Maisbiensûr,ilnejouaitpasavecmoncarnetdenote,ilfaisaitdiversionpourpouvoirécriredessus.

Mamontre affiche 10 h 06 et je repoussemon rendez-vous forcé avecDylan pourme rendre à labrasserie.L’urgencedesmotssélectionnésparQuentinmenouel’estomac.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrent sur Paul-Antoine et je reste figé.Lesmuscles demon corps seraidissentavantdemerappelerquetoutceciestprobablementlefruitdemonimagination.Pourquoimononcle irait-il tuer sonpropre frère?Lorsqu’enfant jemebagarraisavecFafaetqu’ellegagnaitdemabrutalitéuneégratignure,j’avaisl’impressiond’êtrelapiredesorduressurterre.

–Tuvasbien?medemande-t-il.

Nouséchangeonsnosplaces.Lui,entredanslehall,etmoi,dansl’ascenseur.

–Super.–Tuasl’aird’avoirvuunmonstre!–Peut-êtrequec’estlecas,répliqué-je,justeavantlafermeturedesportes.

***

Leserveurm’accueilleavecungrandsourire,maisjelecongédieunpeufroidementettrouveplaceàlatabledufond,oùQuentinboitunebièreaccompagnéed’unplatd’hamburger-frites…Àdixheuresdumatin…

–Jesuissurécoute?

Ilavalesagorgée,grimaceetsecouelatête.

–Pasvraiment,s’excuse-t-il.

Jesoupireavecsoulagementetilajoute:

–Dumoins,jen’aipasencorevérifié.Peuimporte,jetepensaisplusintelligentquemoi,Gaspard.–Nousnoustutoyons,maintenant?raillé-je,n’appréciantpasforcémentqu’ilmetraited’idiot.

Ilmesouritavecarroganceetprendunegrossebouchéedesonhamburger.

– J’ai essayé de te glisser plein de sous-entendus, m’apprend-il la bouche pleine, mais de touteévidencetun’asriencapté.

Matêtes’inclinetouteseuledecuriosité.

–EnétantchefdeMaréchalCommunity, tononcleestdevenu l’undeshommes lesplus influentsdeFrance.Regardeautourdetoi,lesmédiassontpartout.Etsilesmédiassontpartout,lesrelationsdetononcleaussi.Tonbureaun’estpasunlieusûralors,dorénavant,quandtumecontactes,c’estdecettefaçonetpasautrement.

Toutsedéchaînedansmatête,suiteàcesquelquesphrases,maismapremièrequestionestlasuivante:

–Tun’asdoncpasétérenvoyé?

Ilessuiesaboucheavecsaservietteetsourit.

–Si.Maisuniquementparcequec’estunegrosseaffaire.Etjenepourraipastravaillerdansdebonnesconditionssij’accédaisàmespreuvesparlavoielégale.–Tonpèret’avirépourquetupuissesavoirlechamplibre.

Ilhochelatête,doucementaudébut,puisrapidement,avantdeboireànouveausabière.

–Hum,quelquechosecommeça,ouais.–Tumedéclaresquemononcleestunhommepuissant.Pourquoinevousconnaît-ilpas?–Ilaessayédecontactermonpère,ilyaquelquesannées.MaispapaGesbertétaitfidèleàtonpère,

commemagrand-mèrel’étaità tongrand-père.Notrehistoireremonteetavecunenouvellegénération,vientunnouvelavocat.Noussommesdesvalets,vousêteslesrois.–Alorstupensesquemonpèreaétéassassinéparmononcle?

Ilsecouelatêteetjesourcille.Ilavalesagorgéeetm’éclaire:

– Je ne pense rien du tout,Gaspard. Je suis un avocat.Un avocat ça ne pense pas, ça agit. Sais-tucommentonappelleceuxquitravaillentpourmonpère?«Lesavocatsdel’ombre»,carc’estainsiquenousopérons.Nous sommes lesmaîtres Jedi de la loi,Gaspard.Desnettoyeurs.Si tumedis que tononcleaassassinétonpère,quecesoitvraioufaux,monboulotc’estdefoutretononcleenprisonpourl’assassinatdetonpère.Sij’échoue,alorsjeneméritepasmesdiplômesetmonsalaire.C’estsimple.–Tuparlesbeaucoup,lâché-je.–Jesuisavocat,sedéfend-il.Jeplaidetroisheuresparjour.Parler,c’estmaspécialité.Àprésent,je

vaisteposertroisquestions,quejeconsidèrecommelasignaturedenotrecontrat.

Jemetiensdroit,prêtàtoutpourenfiniravecça,etsurtout,mettreenprisonlemeurtrierdemonpère.

–Lapremière :est-cequetuescapabledegarder lesilence?Toutcequiconcernecetteaffairesepasseraentretoietmoi,etpersonned’autre.Jen’accordemaconfianceàpersonne,excepté toi.Alorsest-cequetusigneraslaclausedeconfidentialité?

Cen’étaitpasuneoption,detoutefaçon.Jehochefermementlatêteetilcontinue.

–Ladeuxième:es-tupersuadédevouloirallerjusqu’auboutdecetteenquête?

Jeréfléchisuninstantetl’observe,intrigué.

–Uneminute.Etsinousdécouvronsquecen’estpasmononclel’assassinmaisquelqu’und’autre?

Quentinpinceseslèvres,froncelessourcilsetcorrige:

–Disonsalorsquejetravaillepourtrouverlemeurtrier.–Unélémentmeperturbequandmêmedanstoutça:tuesunavocat,pasundétective.

Ilrigolelentement,semoquantdelanaïvetédemonaffirmation.

–Dis-toi justequemonrôlec’estde joueravec la loipour teprotégerdequelconquesreprésailles,OK?Jedoistouttrouverpourévincerceuxquitemarchentsurlespieds.Sijeneréussispasça,crois-moi,jeseraivraimentauchômage.

J’inspireprofondémentetprendsalorsunedécisionsurlaquellejenepourraipasfairemarchearrière.

–Jesuisprêtàallerjusqu’auboutdecetteenquêtealors.Dernièrequestion?–Laplusimportanteetlaplussérieuse.J’écouteraireligieusementtaréponse.

Ilsepenchesurmoietmeregardeintensément.

–S’il sepasseun trucde travers, toi etmoi,onpeutmal finir. Jene saispasencore surquoinousallonstomber,maisjeveuxlenomdetouteslespersonnesqueturefusesdemettreendangeretdemêleràcettehistoire,mêmesi tupensesqu’ellessontcoupables.Jeferaiensortedelesprotéger,quoiqu’ilm’en coûte.Quelles sont les personnes que tu souhaites abriter de la tornadequenous sommes sur lepointdedéclencher?

Iln’yamêmepasàréfléchir.Malanguesedélieaisémentalorsquelesnomsaffluentdansmatête.Jelui énumère les personnes les plus proches de moi sachant que la liste n’est pas très vaste. MêmeElizabeth et sa famille y passent.Cyrus en fait bien évidemment partie, et j’inclue du bout des lèvresÉmilie,parcequ’ellerestesamère.

–Masœur,StéphanieMaréchal.Etmapetite-amie,DylanSavage.

Quentin,quinotaitsoigneusementsursonportable,lèvelesyeuxversmoi,toutdoucement.

–DylanSavage?Lafillequej’aidéfendue…non,pourquij’aimentidevantmonsieurlejuge?

Jeresteimpassibleetnecillepas.

–Lesvaletsnesontpascensésdiscuter,déclaré-je.

Ilricaneetfinitparrangersonportable.

–Lecontratestfixé,camarade!

Il termine sa bière, dépose bruyamment le verre sur la table etme tend lamain. Je la serre et luidemande:

–J’espèrequetunevaspasmecoûterunbras,plaisanté-je.

–Ditl’enfantmultimillionnaire,contre-t-il.

Touché!

Quentinselève,mesalueetlanceauserveurenmemontrantdupoucepar-dessussonépaule:

–L’additionestpourlui!

***

Jesaisismonportablesurmonbureauetvérifieàdeuxfoisleprénominscritau-dessusdumessage.Non,jen’hallucinepas.Malionne.Aprèsunlongsilenceradio,ellem’écrit.

Dylan:[Arrêted’envoyeràmonbureaudescoffretsdemacarons,dePépitoetdesballonsdetouteslescouleurs,Gaspard!]

Gaspard:[Jecesserailorsquetuvoudrasbienarrêterdefuir.]

J’utiliselesmotsqu’elleaemployésàNewYork.Unsmileyencolèreprécèdelemessagesuivant.

Dylan:[Tuvasmefairerenvoyer!]

C’estleprétexteleplusnuldusiècle,maissielleveutjoueràça…

Gaspard:[Etpourça,tudevraspasserparmonbureau.]

Cequin’estpasvrai,maisdisonsqueJérémynes’opposerapasàcequeçasedérouleainsi.Ellenerépondpas.Mespoingsserefermentautourduportable.

Gaspard:[J’essaied’êtreconciliant,Dylan.Onpeutlefairededeuxfaçons;nem’obligepasàchoisir

lamienne.]

Toujourspasderéponse.

OK. Fini de jouer au gentilhomme. Elle sera forcée de m’écouter. J’attrape veste et portable, meprépareàquittermonbureau,quandjereçoisunnouveaumessage.

Dylan:[Jeviensd’apercevoirtafemmeettonfilsdanslehall.Tuleurdirasbonjourdemapart…]

Quoi?

–MonsieurMaréchal ?Vousavez lavisitedevotre femmeetvotre fils, chuchote exagérémentmonassistante.

Jetournelesyeuxverslasalled’attenteetsoupireenvoyantÉmilieetCyrus.Unmal-êtrem’envahit.

Dèsquelavipèrem’aperçoit,elleprendCyrusdanssesbrasetleberce.

Cyrusoulebouclierhumain…

Je regarde l’heure et abandonne finalement l’idée de rejoindreDylan.Surtout lorsqu’Émilieme faitclairement savoirqu’ellenepartirapas,ensedirigeantd’unpasdécidéversmonbureau. Je ferme laporteencroisantleregardinquietd’Elizabeth,puismetourneversÉmilie.

–Iln’arrêtepasdeparlerdetoi!m’apprend-elleenmedonnantCyrusdanslesbrascommeellemeconfieraitunsacdepatates.

Jel’attrapedejustesseetÉmilies’enfoncedansmonbureau.ElleobservechaquerecoinendétailetjelacompareinconsciemmentàDylan.Ellessontsidifférentes.

–Queveux-tu,Émilie?

JedéposeCyrussurundessiègesenfacedemonbureauetm’assiedssur lerebordpour leveiller.Émiliecontinuededéambulerdanslebureau.

–Tonbonheurbienévidemment,monchéri.

Jeserrelesdentsetsoupire.

–Nem’appelleplusjamaiscommeça.Jetravaille,Émilie,tunepeuxpasdébarquericisansraison.

–Tunousasenfermés,Cyrusetmoi,danscettechambreridicule!–Unechambreridiculedecentvingtmètrescarrés,dansunhôtelétoilé…–ParcequeturefusesquenouslogionsàFlorenza!s’indigne-t-elle.–Jenepensepasquetemettresouslemêmetoitquemapetitesœuretmononclesoitunebonneidée.–Foutaises ! souffle-t-elleen roulantdesyeux.Toiet tesexcuses.D’ailleurs, laquelleas-tuchoisie

pourexpliquertoutceciàton«assistante»?

Jeserrelespoings,irritéparsonattitude.

–Qu’es-tuvenuechercher,Émilie?insisté-je,froidement.

Elle s’assied sur le siège près de Cyrus et lui caresse les cheveux. Après un long silence, elle sedévoile:

–Jeveuxquetusoisunmodèlepourlui.Jeveuxqu’ilgrandisseavecsafamilleetqu’ilsoitfierd’elleetdesonhéritage.Encequiconcernelafamille,celaseraunpeucompliquéétantdonnéqueturefusesdenousprésenteràceuxquisontencorevivants.

Cettefemmeveutsamort.Ellen’aaucuntact.

–Maisconcernantl’héritage,jesuissûrequ’onpeutfaireavancerrapidementleschoses.QuandCyrusseragrand…toutçaluiappartiendra,lance-t-elleenenglobantleslieuxd’ungestedelamain.

ElleobserveCyrusavec10%d’amouret90%d’intérêtsfinanciers.

– Tu sais très bien que Cyrus aura sa part de Maréchal Community. Les papiers sont en coursd’officialisation.

Sabouches’étireenune lignedroitecarelleaussiaimeraitavoirsapart.Mais jem’assureraiavecQuentinqu’ellenetoucherien.

–Jesais,selasse-t-elle.

Elle lève son regard sombre versmoi etme regarde langoureusement à travers ses longs cils, dontCyrusahérité.Siellepenseuneseulesecondequesonpetitjeum’attendrit,ellesetrompe.

– Mais Cyrus est comme toi, Gaspard et, quand il aura 27 ans, qui sait : il souhaitera peut-êtrereprendrel’entreprisedesonpapaàsontour…

EllepincelesjouesdeCyrusensouriantetcederniermeregardeavecsonvisageinnocent.Puiselle

faitlamoueetsonrougeàlèvreprovoquantmetapedansl’œil.

–Malheureusement, ce beau tableau est un peu compromis avec ton oncle actuellement à la tête deMaréchalCommunity.

Jecomprendsalorsqu’elleauneidéederrièrelatête.

– Je suis en train de rectifier le tir, justement. Et ce n’est pas en interrompantmon boulot que j’yparviendrai.

Aumoins,jesuissûrquenousvoulonslamêmechose.

–Oui,mais…

Jeperdspatience.

–Maisquoi,Émilie?m’écrié-je.

Cyrusarronditsaboucheetlâcheun«Oh»desurprisefaceàmacolère.

–Si je tedisaisque j’ai la solution?Que jepeuxéjecterPaul-Antoinedusiègededirecteurenunclaquementdedoigtetterendrecequiterevientdedroit?RendreàCyrussonhéritage.Querépondrais-tu?–Impossible.

Elleglousseavecmépris et croise lesdoigts.C’est sapositionde femme rusée.Celleque je lui aiconnuelorsquenousétionsenSciences-Politiquesensemble.

–VoyonsGaspard,est-cequetum’asdéjàvuenepasobtenircequejedésire?

Malheureusement non, et je suis bien placé pour le dire, pensé-je en regardant Cyrus. Émilie estdespotique.J’ignorecequ’ellemijoteexactementmaislalueurdanssesyeuxmeprouvequ’elleabeletbienunplanetqu’ilestexcellent,sinonelleneviendraitpasmevoiraussiconfiante.

–Quesouhaites-tuenéchange,Émilie?

Jelaconnais.Jesaisqu’ellesouhaitesapartdulotsiellemevientenaide.

–Justeunetoutepetitechoseenrapportavectafamille…–HorsdequestionquejeteprésenteàStéphanie.Tuneferasqu’envenimerleschoses.

Elle sourit et, au regardqu’elleme lance, jepense immédiatementàDylanetme redresse,pleindemauvaisesappréhensions.

–Oh,Gaspard,cen’estpasdutoutcequejeveux,roucoule-t-elle.–Jamais,marmonné-je.

Simapropresœurn’estpasparvenueànousséparer,ceneserapasÉmilie.Jenerenonceraipasàceque nous avons, pas même pour récupérer la place de mon oncle. Certes, notre relation se construitdifficilement,maisc’estuniquementparcequenoussavonstouslesdeuxquel’acharnementdenoseffortspourraitdonnerquelquechosed’extraordinaire.N’est-cepaspourcelaquetouslescouplessebattent?Parcequeçavautlecoup?

–J’étaissûreque tu t’opposerais.C’estpourquoique j’aipris le tempsde tefaireparvenirunpetitcadeau.

Ellelouchesurunegrandeenveloppeépaisse,poséesurletasdedossiersdemonbureau.

–Dequois’agit-il?–Toutcequ’ilyadebonàsavoirsurtadépravéedeblondasse.

ElleselèveetattrapeCyrus.Cegaminn’apasl’airdesavoirmarcheralorsqu’ildoitavoiraumoinstroisans.Elleconfondêtrehumainetaccessoiredemode.

– Est-ce que tu savais que sa mère est une alcoolique sévère ? La dame est tellement accro à labouteillequ’elleafaitdeschoses…vraimentimmondes.Pauvregamine.Voilàlaraisonpourlaquellejene bois jamais. Les statistiques démontrent que les progénitures des personnes dépendantes sont plusfavorables à plonger dans le suicide, la dépression, l’alcool lui-même ou les trois à la fois. C’estvraimenttriste.

Monregardestimmobile,commefigédansdumarbre,endirectiondecedossierquim’attireaufildesmots que prononce Émilie. Pourquoi elle ne sourit que rarement, pourquoi elle respire le présent,pourquoiellecroitenl’humain:toutestcompilédanscespapiers,jelesais.Latentationestsiforte.

–Reparsavecça,Émilie,annoncé-je,letonobscurciparmesidéesnoires.–Oh,Gaspard.Situtiensàellecommejelepense,tuouvrirascedossier.–Tutetrompessitucroisquelamoindreinformationdanscespapiersm’empêcherad’êtreavecelle.

Ellen’estpascommetoi.–Effectivement,siffle-t-elle,labouchecrispéeparledégout.Àl’inversedemoiilyatroisans,elle

saitcedontleshommescommetoisontcapables,parcequ’elleaconnulemême.

Mon cœurmanque un battement. En fait, il cesse brusquement de fonctionner. Il s’évanouit dans lanatureetestremplacéparunblocglace,avecdespiques,deslamesetdeschaînes.Deschaînesenmétalqui jaillissent dema peau et s’enroulent autour demesmembres, demon cou, demes yeux. Lourdescommeunevied’erreurs,ellespèsentsurmesépaules,rappellentàmoncorpscequ’ilest,cequ’ilafait,cequ’ilmériteetsurtoutcequ’ilneméritepas.

Émilieplisselesyeuxenconstatantlesdégâtsqu’ellevientdecauserdansmacervelle.L’airau-dessusdesatêtes’évaporealorsqu’ellesepenchesurmonbureauetmarmonneentresesdents:

–Ce n’est pas ce qu’elle a fait, qui t’empêchera d’être avec elle. C’est lemonstre que tu es, quil’empêcherad’êtreavectoi.Simêmemoi,lafillesanscœur,tuasréussiàmefairepartir,imaginecequeserasaréactionlorsqu’elleapprendralavérité.

26.MerciCharlie

DYLAN

–Pitié,arrêtez,pleurnicheParisseeninsistantlonguementsurladernièresyllabe.

J’essaie d’ouvrir les yeux mais j’en suis incapable. Et bouger encore moins. Un mouvement et jepourraisdireadieuàmonsemblantdetranquillité.

–Jecrois…qu’onsonneàlaporte,marmonneStéphanie.

Jesecouelatêtepourdirenon.Dumoinsjecroissecouermatête.

–Non.C’estuneperceuse,rectifié-je.Uneperceusequiperceunmouton…unmur,mecorrigé-je.

Parisseglousselégèrementetjesouris.Puisj’entendsungrosfracasdechosesetd’autres–notammentde bruits de verre se cognant contre le parquet – avant qu’une porte ne se claque brutalement et quequelqu’unsemetteàvomir.

–Çavaaller,Parisse?crié-jeavantderegretterprofondémentmonacte.

Ma tête est gonflée comme une pastèque et je sens qu’aumoindremouvementma cervelle pourraitexploser.Parissemeréponddumieuxqu’ellepeutpuisseremettrèsviteàdécuver.

–MonDieu, c’estmapremière et dernière cuite, se prometStéphanie. J’ai la nausée, unemigraineaffreuseetl’impressiond’êtredansungrandhuit…Etjesuisprêteàparierqueletruchumidesousmonculestdelagerbe.

Jeplaquemamainsurmaboucheetmeforceàconservercequej’aidansl’estomac.

–Mercipourl’image…–Derien,merépond-ellesansprendreencomptel’ironiedansmesmots.

Lamauditeperceuse se remet en actionet je rentre la têtedansmes épaules en serrantmesdents àcausedeladouleurcrâniennequecebruitinsupportableprovoque.

–Maismerde!Tesvoisinssontdesenfoirés,Parisse!hurlé-jepourqu’ilsm’entendentàtraversles

murs.Quiperceaussitôtunweek-end?

Moncrânegonflesuiteàmagueulardeetjeregretteencoreunefois.

–C’estlasonnetted’entrée,blondie,calme-toi.

Hein?Pourquoisasonnettefaitunbruitdeperceuse?

Quelques secondes plus tard j’ai la réponse à ma question lorsque j’entends la voix de Charlie àquelquespasdemoi.

–Putain,maisqu’est-cequevousavezfoutu?

Jen’enaiaucunsouvenir.Maisunechosecertaine:jeneboiraiplusjamais.

–Allez,levez-vouslesalcooliques,jevousattendsdanslacuisine.Çapuelevomietlananaaucœurbrisé.

***

Charlieestungarçonparfait.L’hommeidéal.Ilestbeaugosse.Ilaunlookhors-normeettrèsmasculinàlafois.Ilestunétudiantmodèle.Etilestleaderd’ungroupedemusique.Maiscen’estpaspourcesqualitéslàquejel’épouserais.Maispourcequ’ilapréparédanslacuisineenattendantquelesfillesetmoinousnousmotivionsànousleverentredeuxmicro-siestes.Destartinesdeconfiture,duthéengrossequantité, du jus d’orange et de l’aspirine. Nous prenons place dans le salon hyper moderne del’appartementdesparentsdeParisseet,telsdesfigurantsdeTheWalkingDeadn’ayantpascomprisqueletournageétaitfini,nousmâchouillonsnostartinesenmarmonnantdiversesplaintes.

Charliedéposetroisverresd’unliquideépaisetorangedevantnous.Ensimultané,nousavonstoutesunhaut-le-cœurenregardantcequ’ilprésentecomme:

–LeréveilMolotov.Çavousgarderaenformepourlesprochaines24heures.C’estunremèdedemamère.

Charlieprendlachaiseàcôtéd’elle,laretourneetl’enfourcheencroisantlesbrassurledossier.

–Sérieuxlesfilles,un«merci»neseraitpasderefus.

Enchœur,nous lâchonsun faible«Merci,Charlie»quidéclencheun fou rire chez lui face à cetteparodiecontemporainedeCharlieetsesDrôlesdeDamesentraindedessaouler.

–Pardon,j’aitoujoursrêvédefaireça!semarre-t-il.–T’esnul!l’accuseStéphanie.–Sij’étaissinul,jevousphotographieraisdansvotreétatetvousferaisduchantage.Surtoutàtoi,ma

beauté,dit-ilenbousculantgentimentStéph.Sérieux,qu’est-cequivousapris?

Nousleregardonsaveccuriositéjusqu’àcequ’ilnouséclaire.

– Vous m’avez appelé au moins quinze fois hier soir et vous m’avez envoyé des photos vraimentbizarres.

Parissesedéfendenluirappelantquedesfillesquis’embrassentdevraientl’exciteretlessouvenirsd’hier affluent brusquementdansmamémoire :moi qui fête la vie de famille cachéedeGaspard, quirécite mon discours de démission, qui imite Célimène, qui étrangle une peluche que j’ai surnomméeDavina,quiplanteuncouteaudansuneautrequej’aisurnomméeTêtedeCul-Cyrus,quiappellepresquelamoitiédemescontacts,quisuisprêteàallervoirGaspardpourluidiresesquatrevérités,quiveuxdevenirlesbienne…

–J’auraispréférévoirunbaiserentreStéphetDylan.–C’auraitpuêtrepossible,rétorqueParisse.Siseulementellesétaientunpeuplusdécoincéesdela

chatte.–S’ilteplaît,Parisse,s’exclameStéphanie.Elleacouchéavecmonfrère,c’esttropbizarrecequetu

dislà.

Lesujettabouestlancéetjemedépêchededisparaîtrederrièrematassedethé.MaisavecunelanguebienpenduecommeParisse,c’estperdud’avance.

–Iln’yaplusrienentreeux,répliqueParisse.Ehoh,ilsontrompu.Partafaute,jeterappelle.–Mafaute?s’écrieStéph.Jen’aifaitqu’appelerlaputaindeGaspard.Sijenel’avaispasfait,elle…– Tu aurais pu prévenir Dylan au lieu d’agir dans son dos. La laisser décider. Qui sait, peut-être

qu’êtrelamaîtressedetonfrère,c’estsonfantasme!

Etvoilàcommentj’aidéposémonthéavantdemelever,dem’emparerd’unebouteilledechampagneetdequitterleslieux.

–Dylan…murmureStéphanie.

Jemetourneverselleetluisorsmonfauxsourire.

–C’estbon.Tuenasdéjàassezfaitcommeça,Stéph.

Jeparsm’isolersurlebalconetCharliefinitparmerejoindre.Ils’appuiecontrelemur,lesjambesenavant,etallumeunecigarettequ’ilmetend.

–Onfaitunéchange?Jecroisquetuasassezbupourlemois,mabelle.

Jesoupireetluidonnelabouteillepourprendrelacigarette.

–Regarde-moi.Unepâlecopiedemagénitrice.Alcooletcigarette.Leschiensnefontpasdeschats.–Arrêteça,Dylan,meréprimande-t-il.–Arrêtequoi?Dedirelavérité?–Dejouerlesmartyres.Tusaistrèsbienquetuneressemblesenrienàtamère.–Untestdegrossesseprouveraitlecontraire.

Charlieblêmitetsetourneversmoienbégayant.

–Quoi?Vous-vousvousêtesprotégés,hein?Dylan?

Jerigoleetsoufflemafuméesurlui.

–Maisoui,bébête!

Ilsoupire,soulagé,etsonregardseperdsurlesappartementsd’enfaceetl’avenuetrèsfréquentéeauxpiedsdel’immeubledeParisse.

–Génial.Tusais,jesuistropjeunepourêtretonton.Tropjeuneettropbeau!

Je ris de nouveau, m’approche de lui et pose ma tête sur son épaule. Nous restons silencieux unmoment,àécouterlacirculationdeParis,leventquisouffleentrelesruelles,lesklaxons…

–Mamèreavaitmonâgequandellem’aeue.Jecroisquesonhistoireestunpeusimilaireàlamienne,c’estpourçaquejetedisça.Elleesttombéedanslesbrasd’unhommerichequiluiapromismontsetmerveilles.Ilsontcouchéuneseulefoisensembleetpaf!ÇaafaitunChocapikdunomdeDylan.Uneseulefois.Uneseulefoisettoutachangé.

J’essaiedeparaîtrelaplusneutrepossiblemaiscesrévélationssontuneréelletourmente.

–Ilétaitcependantmariéet ilavaitdesenfants,alors ils’estcassé.Pendant longtemps, tusais, j’aicritiquémamère,etaujourd’huijemerendscomptequej’aifaillitomberdanslemêmepiège.–Tun’espascommeelle,Dylan.Jet’interdisdetemettrecegenredetrucdanslatêteetdeboirede

l’alcoolpourteleprouver.C’eststupideettuesassezintelligentepourlesavoir.Gaspardestunenculé.Etsituveuxmonavis,ilvas’enmordrelesdoigtsunjour,maisceseratroptardd’ici-là.Tuserasdéjàmariéeettuaurasmajoliepetiteniècedanstonventreetunmarihonnêtequitemérite.

Jeluisourisetluipresselebras,réconfortéeparsesbellesparoles.AvecCharlie,lavieesttoujoursmoinscompliquéeettoujourssolutionnée.

–Maishiersoir,vucommet’étaiséclatée,çam’étonnedetoiquetun’aiespasessayédel’appeler.–Simessouvenirssontbons,j’aitentéunebonnecentainedefois,maisParissem’enaempêché,elle

l’abloquéavantdelesupprimerdemescontacts…Alorsj’aiessayéavecleportabledeStéphet…

Jemeretournepourregarderl’intérieurdel’appartementetmontredudoigtl’aquariumdelafamilledu salon dans lequel nos portables flottent. Charlie explose de rire si fort que les pigeons del’appartementen faces’envolent.Parissedéboule sur lebalconenagitantdans samain leportabledeCharlie.

–C’estlemecdeMajorMusic!Putain,jelesavaiscomplètementoubliés!Turépondsoupas?

Charlieme jette un rapide coup d’œil avant de prendre le portable et de rentrer pour entendre soninterlocuteur.

–Tucroisqu’ilsvontluidirequoi?medemandemameilleureamie.

Jehausselesépaulesetbalancelacigarettepar-dessuslebalcon.

–OùestStéph?–Partie,marmonne-t-elle.Elles’enveutdéjàbeaucoupetjecroisquenosaccusationsdecematinne

l’ontpasaidée.–J’aimesraisonsd’êtrefâchéecontreelle,mêmesijeneluienveuxplus.Maistoinon,Parisse.Nela

laisse pas rentrer chez elle. Sa situation est aussi tendue que la mienne et la dernière chose que jesouhaite,c’estqu’ellesefasseencoremanipulerparGaspard.

Parisserouledesyeuxets’appuiecontrelemur.

–C’estsûrquelafaçondontGaspardte«manipulait»étaittrèsdésagréablepourtoi!–LeSeigneurtepuniraunjouroul’autrepourtadélicatefaçond’aidertonprochain,pécheresse!–LeSeigneurnepunitpas.Ildonnedesleçonsdevie,petitecatin!

Mêmesinosrépliquesm’amusentetmepermettentdeprendretoutecettehistoireavecdérision,jelafoudroieduregardetellesedépêchedefaireundemi-tourdesoldat.MaisCharliel’arrêteenlaretenant

parlebras.Sonvisagesoucieuxm’inquièteetilnousinformeducoupdefil.

–LedirecteurdeMajorMusicdésirenousrencontrer,déclare-t-ill’aircomplètementpaumé.Iladitqu’il voulait nousvoir auplusvite et qu’il était trèsheureuxquenous l’ayons contacté et envoyéunedémo.

Parissecroiselesbrassursapoitrineetsourcille.

–Quoi?Maisjecroyaisqu’ons’étaitmisd’accordpournepaslescontacteravantd’avoirprisunedécisioncommune.–Ouaismaisçafaitdéjàquelquestempset…Maya,forcément!C’estellequilesaappelés!

Cettefois,jedécided’intervenirpournepasqueçaparteeninsultesducôtédeParisseetenreprochesducôtédeCharlie.

–Enfait…C’estmoiquiaienvoyéladémo.

Ilsmeregardent,enétatdechoc,etj’avoueceladuboutdeslèvres.

–Jecroisqu’ondevraitsigneravecMajorMusic.

27.Colère

GASPARD

Stéphaniequittesondressing,fendl’espacebordéliquedesachambreetfourreunpaquetdevêtementsdanssonsac.Sonportablesonneetellel’ignorepourrécupérerdespapierssursatabledenuit.

–C’estpourçaqueturefusaistouslesappartementsquejetefaisaisvisiter?

Ellesursautealorsqu’elletientdanssamainlesflyersd’unconcertdansle12esursonbuste,etsesyeuxbleusetbrillantssetournentsurmoi.

–Parcequetum’enveuxd’êtreparti?complété-je.

Voilàpourquoi,depuismonretour,elleétaitsidistanteavecmoi.

–Gaspard!Tum’asfichulatrouille!

Jequittel’encadrementdelaporteetentretoutdoucementdanslachambredemasœur.Ellesecouelatêteetcontinuedefairedesva-et-viententresondressingetsonsacposésursonlit.Unevraieéchappéedeprisonencavale.Ellemefuit…

–J’aijuste…

Ellesecoueencorelatête,netrouvantpaslesmotsjustes.Puis,elleabandonnesonsacetpivoteversmoi.

–Jenet’enveuxpas,Gaspard.Tuesmonfrère,maseulefamillecontrairementàtoi…Jenepeuxpast’envouloir.

Jepinceleslèvresethochelatête,peuconvaincuparsesmensonges.

–C’estpourçaquetut’esimmiscéedansmarelationavecDylan.Parceque,detouteévidence,tuesheureuse.–Dylanméritaitdeconnaîtrelavérité.–Etpasuneseulesecondetun’aspenséquec’étaitàmoideluiparlerd’ÉmilieetCyrus?–Si,paruneseconde,tuentendsunmoisetdemi,c’est-à-direletempsdevotrerelationalorsoui,j’y

aipensé,Gaspard,babille-t-elle,sarcastique.

C’estmalenversCyrusmaisjenepensaispasquesamèreetluireviendraientaussitôtdansmavieàParis. J’étais persuadéque j’aurais le tempsdem’installer, deprendreunnouveaudépart et tout celaavait bien démarré avec l’arrivée de Dylan dans mon quotidien. J’attendais juste le bon moment etStéphaniemel’avolé.

– Tu ne connais pas toute l’histoire, Stéphanie, et c’est ce que j’attendais ; que tu sois prête àl’entendre.–Etjemetiensjusteenfacedetoi,Gaspard.Alorsjet’écoute!C’estquoil’histoire?Cyrusn’estpas

tonfils?LabelleÉmilieavecquituessortien’estpastafemme?

JeserrelesdentsetreconnaislesparolesdePaul-Antoinederrièretoutcela.Ilaréussiàmontermasœurcontremoiaveclepeud’élémentsqu’ilavaitensapossession.Si,avecça,ilaaussituémonpère,alorsilneresteplusaucuneonced’humanitéchezcethomme.

–Jen’aijamaisétémariéàÉmilie,grincé-je.– Ce que tu as été ou pas, n’a aucune importance Gaspard. Tu es sorti avec elle. Et au final,

aujourd’hui,vousavezungosse.

Seslèvressecrispentetelleajoute:

–Monneveu.

Elleterminesonsacdansunétatdenervositépalpabletoutenparlant:

–Jet’aipardonné,Gaspard.Jenesuispasencolèrecontretoiparcequetuesparti.Jesuisencolèreparce qu’exactement comme avec Dylan, tu n’as pas pensé au mal que tu pouvais nous faire endissimulantlavérité.Aprèstouslescrétinsqu’elleetmoiavonspurencontrerdansnotrevie,onafaitl’erreurdetefaireconfianceensedisantquetunoustraiteraisdifféremment.Maisonaeutort.

Elleglissesonsacsurl’épauleetterminedem’acheveraveccettesimplephrase:

–Onméritetellementmieuxquetoi.Etonvaallerlecherchercettefois.

Alorsqu’ellemedépassepours’enaller,mamainserefermeautourdesonpoignetetjel’arrête.

–Tunesaispaspourquoijesuisparti,Stéphanie.Cequej’aivécu,cequej’aienduré…Jenepouvaisquem’enaller.Parcequeoui,tuméritesmieux,tellementmieuxquemoi.Etjerefusaisquetusoislàpourassisterendirectàmachute.

Elle recule d’un pas pour me regarder en face, les yeux noyés de détermination et de haine. Ellesoulèvealorslamanchedesonpulletc’estlàquejevoisleslignesrosesdifformesquisesuiventetsecroisentjusteau-dessusdesesveines.

–Etdonc,tun’étaispaslàpourvoirlamienne.

Ellemejetteunregardfroidets’envaenmebousculantbrutalement.Jesenslapiècetanguerautourdemoietunfroidglacialm’envahit.Jen’arrivepasàycroireetpourtantl’imageestencorenettedansmatête.

Mapetitesœurs’esttailléelesveines.Elleatentédemettrefinàsesjoursenmonabsence,àcausedemonabsence.Jesenschaqueentaillequ’elles’estinfligéemefendrelecœur.Alorsquej’aidéjàperdumamèreetmonpère,voilàquej’apprendsquej’auraispulaperdreelleaussi.

Etc’estainsiqu’ilsavaienttousraison.

J’apportelamortautourdemoi.

Tousceuxquim’entourentsontinévitablementfrappésdeprèsoudeloinparelle.

***

DYLAN

–LesNoLimits.Aucundoute,vousferezunmalheurdanslesmoisàvenir!

MayaapplauditsilencieusementendécouvrantlesdeuxgarsdeMajorMusicdansnotreloge.Aulieude les voir dans leur bureau, ils nous ont donné rendez-vous à l’un de nos concerts et, cette fois, lechasseurdetêtequenousavionsvulapremièrefoisatroquésonassistantpourundesgrandsmanagersdeMajorMusicEntertainment,quirépondaunomdeFranck.

–Tuasvuça?s’enthousiasmePascal,lechasseurdetête.Jet’avaisditqu’ilsdéchiraient!

Parisse sautille sur place en faisant tourner son soutien-gorge autour de son doigt. Je surprends leregardperversdeFranck.L’opinionestinstantanée: jen’aimepascegars.Etluietmoi,onnevapass’entendres’ilfaitquoiquecesoitdedéplacédansunavenirproche.

–Arrête,murmuré-jeàmonamieenluiprenantlesmainsetenlesrabaissant.

Je ne veux pas que ce Franck profite du spectacle ou ça m’énervera et je serai beaucoup moinscoopérative.Parisse,unpeuéméchéepournepaschanger,melanceunclind’œilaccompagnéd’ungrand

sourireidiot.Charliemejetteunregardenbiais,s’éclaircitlagorgeetpassesesdoigtsdanssescheveuxblancsavantdedemandersérieusement:

–Imaginonsqu’ondécidedesigneravecvous…–Vous,MajorMusic,rajouteMaya,quis’estassisesurlefauteuilàcôtédesdeuxhommes.

Quelcomportementdelèche-cul!

–Commentallez-vousrendrecélèbrecequenousfaisonssanschangerquinoussommes?–C’est simple, répliqueFranck après avoir échangéun regard complice avecPascal.MajorMusic

possèdedenombreuxcompositeurstrèstalentueux.Certainssontspécialisésdanslaréécriture.Cequiapour but de ne pas changer complètement votre travail mais juste de le modifier pour qu’il soit«bankable».–«Bankable»?demandenotreMaya,pasencorebachelièreetapparemmentnulleenanglais.–Commercial,sivouspréférez.C’estunmotquecertainsartistestrouventpéjoratifmais,entantque

manager,jepeuxvousassurerqueproduiredelamusiquecommercialeetjouerdesmorceauxdequalitén’estpasindissociable.Vous,lesNoLimits,avezletalentqu’ilfautpourdevenirdesbêtesdescène.

Parisseglousseetsepencheàmonoreillepourmemurmurerd’unevoixchancelante:

–Jerêveouiladitqu’ilallaitfairedenousdesbêtesdesexe?

Jelaregardeenmordantfortmalèvrepournepasrire.Ilssontconcentréssurnotreleadermaisjenevoudraispasparaîtreimpolie.

–Nous,nousavonspourrôled’élargirvotreinfluenceetdevousrendre…–Bankable!termineMayaàsaplace,etjemeretiensdetoutesmesforcespournepasl’étrangler.

Soncomportementdepremièrede laclasseest insupportable.Elleesten traindecroqueràpleinesdents dans leur pomme empoisonnée, trop aveuglée par les paillettes et le champagne à gogo quereprésentelelabel.

–J’aimebeaucoupvotrefaçond’entreprendreleschosesavecnous,cependant,j’aiquelquesdoutesàémettreàproposdetoutça.

Dieumerci,nousavonsCharliepourrattraperlecoup…

Alorsque lesdiscussions tournentautourdenosviesquivont littéralementchanger, laporteclaquebrusquementetinterrompttouteslesconversations.Parissevientdemettrelesvoiles!

–Qu’est-cequ’ellefout?s’écrieCharlie.

Jeluifaissignequejem’enoccupeetquittelalogeaménagée.Danslescouloirssombresetblindésde fêtards, je repère lemanteau rougedemameilleureamieet la rattrapeaumomentoùellepasse lasortiedesecours.Lefroidbrûlemapeauéchaufféeparleconcert.Ellesetourneversmoientitubant,lesyeuxécarquillésetpaniqués,puism’expliqueavantquejen’ouvrelabouche:

–C’estStéph,elleattendenbasdechezmoi,ilfautque…–Ellevabien?–J’ensaisrien!Monportablecaptaitpas,puisj’aivupleind’appelsmanquésetcemessagevocal…

Elleétaitenlarmesetelleparlaitdesonfrère…Putaindemerde,Dylan!Ellepeutpasrecommenceràfairesestrucs!–Elleneferarien!luicertifié-je.Parisse,regarde-moi!

Mais j’ai perdu son attention sur quelque chose qui se passe dansmon dos. Elle se crispe et sonvisage vire au rouge colérique. Jeme tourne juste à temps pour apercevoir Gaspard, qui se fraie unchemindans le couloir. Il lève ses yeuxbleus etme repère immédiatement. J’en veux àmon cœur des’emballeralorsquejesaisqu’iln’estpaslàpourmoinipournous.Endeuxenjambés,ilnousrejointetjeredresselementonpourpouvoirleregarder.Aprèstantdejourssansl’avoirvu,moncorpsmepicote,réagit subrepticement,me fait savoir à quel point il lui amanqué. Ses cheveux sont en pétards et sesprunelles,monDieu, celles que je n’arrivais pas à déchiffrer aujourd’hui sont claires, limpides, et…hantées.Hantéesparunmillionetdemidemauvaisesprits,fougueuxetsadiques,quinelerelâcherontpas tantqu’ilne l’aurapasdécidéetqui,par lamêmeoccasion, ferontdumalàceuxqui l’entourent.Quandon est enpeine, on fait de lapeine à ceuxquinous aiment, c’est ainsi etmalheureusementpasautrement.

–OùestStéphanie?nousdemande-t-il.

–Enfoiré!

Parisses’emporteetsejetteimmédiatementsurlui,carmêmeavecdel’alcooldanslesang,onnetouchepasauxamisdecettefille.Ellen’enestqueplusdangereuseéméchée.Jelaretienssansproblèmeetl’éloignedeGaspard.

–Eh!Toutvabien,lesfilles?demandelevideurdesavoixrobotique.

Mesyeuxs’arrachentdeceuxdeGaspardetjemeretournesurl’hommebaraquéquibloquelaporte.

–Oui,c’estbon,jegère.Tupeuxappeleruntaxipourelle,s’ilteplaît?–Jesaisoùtuvis,connard,luicracheParisse,alcooliséeeténervée.

Je la remets auxmains duvideur etme tourne vers l’hommedéboussolé auprès demoi.Mais il neméritepasuneoncedecompassion.Pasaprèstoutcequ’ilafait.

–Dylan,commence-t-ilenfaisantunpasversmoi.

Jereculeinstinctivement,mebraqueetleregardeavectoutelasévéritédontjesuiscapable.

–Stéphanien’estpasici.Etmêmesiellel’était,jenetelaisseraispasl’approcher.Tum’asdemandédenepasfuiretj’étaisprêteànepaslefaire,annoncé-je,amère,maistum’yaspoussé.C’estcequetufais:dumalauxgens.

Unelumièredanssespupilless’éteintetternitlatotalitédesonteint,commesitouteslesautresquisetrouvaientenluiétaientreliéesàcelledanssonregardet,parconséquent,subissaientlemêmesort.Cethommeestindéniablementbrisé,casséparcedontjen’aieuqu’uncourtaperçuàtraverssesactes,maissapetitesœur–mapetitesœurdecœur–l’estencoreplus.

CommeledisaitStéphanie,ilnepourrarienfairetantqu’ilseraretenuparcequileronge.Savieestune bobine d’images sombres et abîmées par son passé.Mais il n’est pas dangereux.C’est le fait des’attacheràluiquil’est.

–Elleaplusbesoindemoiquedetoi.

Sesyeuxbleus,sisemblablesàceuxdesonfils,meregardentetjerefusedeluimontrercommej’aimaldanslapoitrinedepuisdesjoursmaintenant.

Ilaeudeuxanspours’enremettre,àsamanière,necherchantpasàsavoircequiseraitlemieuxpourluietsasœuretnonpasquepoursapetitepersonne.

Ilnem’atteindraplus.

Ilbaissela tête, larelèveetpassesesmainssursonvisage.C’estseulementlorsqu’ilreniflequejeprendsnotedesesyeuxrougesetdesonairpalot.

–Jen’ensavaisrien,jetelepromets.

Il a appris pour Stéphanie. Cela explique les messages qu’a reçu Parisse. Ils se sont sans doutedisputés.Jeserremespoingsdanslespochesdemontrenchetregardeailleurs.Sijeleregardelui,alorsjen’auraisqu’uneenvie:leprendredansmesbraspourleconsoler,pourluipardonner.

–Bordel,soupire-t-il.Quandest-cequec’estarrivé?–Cen’estpasàmoidet’enparler.–Dylan,mesupplie-t-ildesavoixenrouée.–Jel’ignore,Gaspard,OK?Quandjel’aiconnue,ellesecoupaitdéjà.Jel’airécupéréeàlalimite

de…

Je n’arrive pas à continuer, me rappelant seconde par seconde le jour où Parisse et moi l’avionsretrouvées dans sa salle de bains. Il y avait une flaque de sang horrible autour de Stéphanie, et ellerespiraitàpeine.Ledocteurnousavaitapprisquequelquesminutesdeplusluiauraientétéfatales.

–Jesuisdésolé,mesouffle-t-ilauboutd’unlongsilence.Tellementdésolé.–Cen’estpasàmoiquetudoisdireça!m’énervé-je.Cen’estpasàmoi…–J’ignorequoifaire,Dylan!m’interrompt-ilplusfort.Jesuisencolèreaussi,détrompe-toi!Contre

moi,contreelle,contrePaul-Antoine,contrelemondeentier.J’ai…

Jem’approche brusquement de lui et le gifle si fort que j’ai bien peur de lui avoir tordu la nuque.Gaspardredresselentementlevisage,lajouerougeetjemejettesurluipourlefrapperdemespoings,envahie d’une rage trop longtemps retenue. Mes yeux se remplissent et une chaleur étouffante mesubmerge.

–Cen’estpasàtoid’êtreencolère,Gaspard!Tum’entends?Tun’aspasledroitd’êtreencolère!C’estàelledel’être!C’estàelledel’êtrecontrelemondeentieretencorepluscontretoi!Tuesparti,dis-jeavecdédain.Tuespartiettul’aslaisséetouteseule!Tuescenséêtresonrepère,saboussoleet,commeunlâche,tuasfuitoutesresponsabilités!Elleestautantenmorceauxquetunel’es,etpourtanttun’arrêtespasdepenseràtoi!Tuestellementégoïste!

Surcesdernièresparoles,jelepoussefortetilsecognecontrelavoiturederrièrelui.MatiradeestuneplaidoirieentièrementdédiéeàStéphanie,maistouslesmotssontinspirésdemavieetdelahainequej’éprouveenversmamèreetsonalcool.J’aiparlépourStéphanie,maischaquepenséeesttournéeversTeresaSavage.

–Commentpeux-tuluienvouloirdequoiquecesoit?C’esttoiquin’aspassuêtreàlahauteur!

Essouffléeetenragée,jefrappedupoingcontresonépaule.Gaspardnebougeplus.Ilestsouslechoc,maisjem’enfiche.Jeledétestepourtout:pourm’avoirpousséeàcroirequ’ilpensaitaubien-êtredesautresalorsquenon,pouravoirblessésasœuretfaitremontertouscesmauvaissouvenirsàlasurface,pourm’avoir ajoutée à la liste de ses victimes alors qu’il a une femme, un enfant, une vie où je n’aijamaiseumaplace.

Pourêtretombéeamoureusedelui.

Nousrestonsl’unenfacedel’autre;nousnousdévisageons;nousnereconnaissonsplus;etjesaisquecelamarquelafind’unehistoirequiaétébrèvemaistellementintense.–Dylan?

Charliedéboulesurletrottoiretdésignel’intérieurdubar.

–Majorveutsavoirsi...

SonvisagesetransformequandilremarqueGaspardetlaposturedesdeuxhommeschangesousmesyeux.

–Jesaispaspourquituteprends,mec.Maisd’abordDylanetmaintenantStéph…

Charliedégagemamain,quiessaiedeleretenir,etsesdoigtsrepoussentGaspard.

–Nemetouchepas,marmonnefroidementmaisclairementcedernier.

Jefrissonnefaceàl’éclatmeurtrierqui irradiedesesyeux.Ilestmenaçant.Ilse tientdeboutetsonregardparlepourlui.Sespupillesdeviennentaussinoiresquelanuit.Charlieestbrouilléparsacolèreet il ne voit rien venir. Je me précipite entre les deux hommes et repousse mon ami aussi fort quepossible.J’aibientroppeurdetoucherGaspardcarilnousadéjàdonnéunaperçudesonimpulsivitéenboîtedenuitetcen’étaitpasjoliàvoir…

–Charlie,rentreàl’intérieur,jeterejoinstoutdesuite!Charlie!lepressé-je,paniquéeàl’idéed’uneconfrontation.

Monamifinitpartournerlestalonsetjesoupire,soulagée,frémissante.JemetourneversGaspardet,heureusement,ladangerositéquiémanaitdeluis’estévaporée.Ilcontemplechaquetraitdemonvisageavantdes’arrêtersurmesyeux.

–Tuferaismieuxdepartir,Gaspard.

Jepivotepourm’enallermaissamainserefermeautourdemonbrasetilmeramènecontrelui.Jemedégageenvitessedecetteproximité,commes’ilétaitenfeuetmoicouvertedepétrole.Jereculeleplusloinpossibledesoncorpsetjesaisquej’aidéjàprismadécisionavantmêmequ’ilnedemande:

–Tuvassigneraveceux?–Oui.Jedémissionne,Gaspard.

Etilcomprendledouble-sensdemaphrase.

Jetournelestalons,rentredanslebaretluijetteundernierregardavantderefermerlaportesurnotrehistoire.

28.Ninon

VacancesdeNoël…

GASPARD

Lorsque la voiture se gare devant lamaison de nos grands-parents, Stéphanie déboucle sa ceintureimmédiatementetcoursdanslesbrasdegrand-mère.

–Monpetitcoquelicot!Commec’estbondeterevoir!l’entends-jediredepuisl’intérieurdu4x4.

Jesouris,lesrejoinsquelquessecondesaprès,baiselajouedeNinonMaréchaletlaprendsdansmesbras.Sonodeurfamilièremerappelletouslessouvenirsmerveilleuxdemonenfancepasséeavecpapa,maman,grand-pèreetelle.

–Bonjour,grand-mèreNini.–Entrez,larouteadûvousaffameretilfaitunfroiddecanard.

Grand-mèreregardelecielgrisau-dessusdenostêtes,balancelamoitiédesonécharpeensoiepar-dessussonépauleetnousconduitàl’intérieurdesamaisondeplagecolonialequisurplombelavilledeBoulogne-sur-Mer.Stéphanieetmoisommesinstantanémentplongésdansladécorationrustique-chicdenotreaînée.Àcelle-cisemêlentlesquelquesbougies,boulesetguirlandesdeNoël.Jesuisprêtàpasserdesfêtesdefind’annéechaleureusesmalgrélestensionsquidemeurent.

–Gaspard,meretientgrand-mèreparlebrasalorsqueFafafondsursesdeuxchatsdecompagnie.–Grand-mèreNini?–J’ignorecequ’ilyaentremaStéphanieettoi,maisilesthorsdequestionquecelagâchenotreNoël.

Alorsvousréglezçaavantdepasseràtable.–Grand-mère,j’essaietantbienquemalmaiselleestaussibornéequetouteslesfemmesMaréchal,

soupiré-je.

Fafam’évitesoigneusementdepuisnotredispute.Ellerépondàmesmessages,mecausetoutenrestantrespectueuse, trouveune excuse lorsque je renverse la planète pour être seul avec elle, tout un tas destratagèmesquejepeineàdéjouer.

–Ehbienjeunehomme,jesuispersuadéequetutesouviensdeladevisedesMaréchal:«Danslavie,ilyadeux typesdepersonnes :cellesquiessaientetcellesqui réussissent.»Tongrand-pèren’apas

essayédebâtirunempire.Ilaréussiàbâtirunempire.Tunepeuxpaspartirdéfaitiste,cen’estpasnous.

Elle hoche la tête en un « Tu m’as bien compris ? », et j’acquiesce en retour. J’aimerais que laréconciliation avec ma sœur se fasse, mais j’ai laissé les choses s’envenimer trop longuement. Jemériteraisunepalmed’orpourtoutecettecomédie.

À l’étage, je regardeFafaquis’estjetéesursonlitpourtapoterleclaviervirtueldesonportable.Peut-êtrequ’aufinaljenesuispasfaitpourêtreunhommeheureuxetcomblé,quejedevraismecontenterdecequeDieumedonneetpointbarre.J’aiStéphanie,Cyruset…Émilie,ainsiqu’uneentreprisequiserabientôtmienne.Dylanétaitunaperçuduparadisqu’unhommepeutatteindre.Maisc’esttout:unegoutteduparadis.

Àtable,lapetitemiseenscènecontinue.Misàpartpourlasaucièreetlevin,Fafanem’adressepaslaparoleetempêcheNinid’intervenirenseconcentrantexclusivementsursavieetsesprochainsvoyagesavecsonclubprivé.

–Çaal’airdémentiell’Inde!TutesouviensdemonamieDylan?Elleestfandecepays!

Mesoreillessedressentautomatiquementet le rythmedemoncœuraccélère.Jebaisse lesyeuxsurmonrepasettâchedemefocalisersurautrechosemaisc’estimpossible.Moncorpsabesoindesavoirqu’ellevabien…

–Commentoubliercettepetitepesteinsolente?

Grand-mèreNinisetourneversmoipourm’expliquer.Intérieurement,jeluihurledenerienmedire,carjenetiendraipaslongtempsavantd’exploseretellecomprendra.Ellecomprendtoujourstout.

–Cettejeunefilleestvenuel’annéedernièrepourlesfêtesdefind’année.J’ainotésonfortcaractèredèsqu’elleapassécetteporte.

Stéphaniesecouelatêteavecunrictusamusé.

– Et alors j’ai su qu’elle avait radicalement eu une grande influence sur mon coquelicot. En unesemaineetdemiici,ellesontfiniquatrefoisaupostedepolice.Dieumerci,pourdesdélitsmineurs,quinesontpasrestésdanslesarchivesbienlongtemps.

Jesupposequelesarchivesnerésistentpasfaceàquelquesbeauxbillets,plutôt.

–Quatrefoisaupostedepolice?m’exclamé-je,ignorantcomplètementcettepartiedel’histoire.

Grand-mèreNiniacquiesceetm’expliquelesdéboiresdesdeuxamies:ellesontprisunbaindeminuit

et se sont faitesarrêterpourexhibitionnisme ;commeDylann’avait jamais faitdecarrousel, ellesont« emprunté » celui du vendeur en pleine nuit, sans penser que les voisins se plaindraient du tapagenocturne;lesimplepique-niquequis’estaccidentellementtransforméenunfestivaldemusique;levoldeleurportefeuilleaprèsunesortieenboitedenuitquis’estfinienventedechaussurescontreuntrajet,etquiaétéconsidérécommeduracolage.

Stéphaniepouffeenseremémorantcespassagesetjerisdeboncœuravecelle.ÇaressemblebienàDylan:agirsanspenserauxconséquences,profiterdel’instant.

–Aveclerecul,mamie,jedoist’avouerquelquechose.Dylanetmoiavionsnosportefeuilles.Maiselles’étaitmiseentêtequ’elleétaitcapabledenousrameneràlamaisonenvendantsesescarpinsàdixeuros.Etj’aiaccepté.Onétaitunpeusaoules...–Unpeu?Elleapassétoutlelendemainenferméedanslasalledebains,seplaignantd’avoirattrapé

unegastroentérite.

Stéphanieritgaiement,lesyeuxbrillantspourlapremièrefoisdepuisdessemaines.

–Elleconfondtoujourslagueuledeboisetlamaladie?questionné-je,amusé.–Çaluiarriveassezsouvent,oui.Alorslaplupartdutemps,lematin,jedissousdel’ibuprofènedans

sonverreenluifaisantcroirequec’estpourlagastro.

Nousexplosonsderiretouslestrois,laissantderrièrenoustouslesproblèmes.IlnemanqueplusqueDylan…

–Tusais,cen’estpasunefilleméchante,mamie.

Grand-mèrepinceleslèvreset,contretouteattente,répond:

– Je l’aimais bien, mon petit coquelicot. Pas les premiers jours, rectifie-t-elle. Mais lors de ladeuxièmearrestation…Jel’aipriseàpartet jeluiaiclairementformulédedégageravecsamauvaiseinfluence!Jepensaisqu’ellel’auraitfaitmais,lesoirvenu,ellem’afaitsavoirque,danslavie,nousrencontronsbeaucoupdepersonnes,mais seulesquelques-unesd’entreellesdeviennent indispensablesdansnotrevie.Ellem’assuraitquetuétaisl’uned’ellesetquesijamaisjeluiproposaisdel’argent,elleleprendraitcarnoussommesencriseéconomique,maisqu’ellet’embarqueraitavecelle.

Le regarddeStéphaniecroise lemienet lavéracitédesmotsdenotregrand-mèreme frappeetmetortureunenouvellefois.

–Ellem’afaitpenserà tamèreavec tonpère.Loind’êtrecellequiconvientmaispourtant laseulequ’ilfaut.

Lesoirvenu,jetoquedoucementàlaportedesachambreetellem’inviteàentrer.Elleestassisesurlefauteuilenchênedesonbalcon,unecigaretteàlamain.Surlapetitetablesontposésunverredevinblancetunautred’eau,nonloindesespilulesmulticolores.Danssachambre,sonéterneltourne-disquediffuselesvieuxrépertoiresfrançaisetjereconnaislebonJacquesBrel.

– Tu es comme ton père,memurmure-t-elle en posant unemain surmon bras quand jem’assieds.Quandquelquechoseletracassait,ilruminaitensilencependantdesjoursentierssansparveniràtrouverlesmotsjustes.

Devant nous, lamer s’agite et vient frapper contre le ressac dans unemélodie apaisante. Seule lalumièredelalunepermetdediscernerlepanorama.

–Jem’ensouviens.

Il avait toujours du mal à exprimer ses sentiments. D’une façon maladroite, il prenait toujours enexempleMaréchalCommunitypourdémontrerques’iln’échouaitpasauboulot,iln’échoueraitpasavecsafamille.Celaavait toujours fonctionné, jusqu’à lamortsoudainedemaman. Ilétaitalorsdevenudeplusenplusrenferméetfroid.

–Si jepeux tedonnerunconseil,ne faispascommelui.Tamèreet tonpère t’ontdonnéunepetitesœurpourque jamais tunepuisses te sentir seul oudélaissé.Mais avant tout, être parent, c’est aussidonnerlachoselaplusimportanteici-bas:del’amour.Énormémentd’amourpourqu’unjour,àsontour,notreenfantpuisseendonnersanscondition.

Quandlesyeuxdegrand-mèreNinirencontrentlesmiens,jedevinequ’elleatoutcompris,àproposdeDylanetdecequejeressenspourcettejeunefemme.Àtraverssesmots,ellem’encourageàfoncer,àaimeretàêtreaimé,peuimportecequej’aipufaireparlepassé.Jeluisouris,reconnaissantqu’ellesoitunrocpourcettefamille,etpressesamainchétive.

–Etsijepeuxtedonnerunconseil,nefumepasetneboispasavantdeprendretesmédicaments.

Sesyeuxmesourientetsalonguecigarettetrouvelecendrier.L’odeursalinedelamernousenivre.Jeluipassesespilulesetl’eau,l’embrasseetluisouhaitebonnenuit.Enfermantlaporte,j’ail’impressiondesortird’unecurededésintox.J’inspireprofondément,entredanslachambredeFafaetmedirigedroitsurelle.Elleécarquille lesyeuxetbégaieau téléphone.J’attrape leportable, raccrocheet luibalancesonmanteau.

–Onvamarcher.–Mais…–Quetuleveuillesounon.Jeteretrouvedevantlaportedansdeuxminutes.

C’estenboudant,avecunmanteaudepluieetdesbottes,quemapetitesœurmerejoint.Jememoqued’elleetouvrelamarche.Audébut,jerestesilencieux,jelalaisseseposertouteslesquestionsquilaturlupinentetsélectionnerlabonne.Nousdescendonslacollineetlongeonslaplage.

–Pourquoiest-onlà?râle-t-elleenshootantdansuncoquillage.

Moiaussiçamemetmalàl’aisededevoirparlerdenotre«problème».Maisnousdevonsbriserlaglace.

–Cen’estpaslecheminquemamanettoiempruntiezpourtacollectionprintemps-étédecoquillagespoursirènes?–Non,merépond-ellefroidement.

Jesoupireetmetourneverselle.Alors,elleesquisseunpetitsourire.

–Enréalité,onallaitaucentre-villepourpartageruneglace.–Tuplaisantes,j’espère?m’esclaffé-je.– Absolument pas ! Papa disait toujours non parce qu’il avait peur que je tombe malade. Maman

trouvaitçainjustesachantquevouspartieztouslesdeuxfairedelavoilesousdestempératurespolaires.–Queveux-tu?Lepouvoirdel’aînéestabsolu!

Ellemebousculeetjeluibalancedusableenretouravantdepassermonbrasautourdesesépaulesetdelaprendrecontremoipournousprotégerdufroid.

–Jesuisheureuxdepassercesvacancesavectoietgrand-mèreNini.–Moiaussi,marmonne-t-elleenenfonçantsesmainsdanslespoches.–Tun’enaspasvraimentl’air,pourtant.

Ellehausselesépaules.J’interrompsnotremarcheetlafaitpivoterversl’océanetlalune.

–Fafa,jesaisquejenepourraispasmeracheterdemesfautesenunclaquementdedoigts.Maisjeveuxquetusachesqu’iln’yariendeplusimportantpourmoiquel’amourquejeteporte.

Ellelèvesondouxvisageversmoietjelaserrefort.Lessouvenirs,desplusmauvaisauxmeilleurssebousculentdansmatête.Commelavue, toutestsombreetétranger.Laseule lumièrequienémergesetrouveàcôtédemoietjemerendscomptequelesmotsauraientpuempêchersasouffrance.Jemesuisterrédansunsilenceetdansunmondequejepensaissalvateurpourmapetitesœuretcelaaeul’effetinverse.

–Aprèslamortdepapa,jepensaisquem’éloignerdetoiétaitlameilleurechoseàfaire.Jemesuis

persuadéquetuseraisplusheureusesansmoietquePaul-Antoineréussiraitavectoi,làoùilaéchouéavecmoi.J’étaisunemasse,unbouletettuavaisbesoind’uneépaulefortesurlaquelletereposer.Lesdeuxans,c’étaitpourmereconstruireetdevenirtonroc.PaspourvivremavieailleursavecÉmilieetCyrus.Ilsétaientjuste…Unepartieduchemin,expliqué-jesansentrerdanslesdétails,qu’ellen’apasbesoin de savoir pour le moment. Tu dois me croire, tu as toujours été ma priorité. Et je ne mepardonnerai jamais les conséquences de mon absence, petite sœur. Mais je te promets de fairel’impossiblepournousdébarrasserdenosdémons,etainsirepartiràzéro.

Unfaiblesourireéclairesonvisage,elleseblottitdansmesbrasetnouelessiensautourdemoi.Jerespire le parfum de ses cheveux qui me rappelle celui de maman. Et si pendant longtemps cela mepinçaitlecœur,aujourd’hui,ilmedonnelaforced’avancer.

–Jelessensencore,seconfie-t-elleenprenantquelquescentimètresderecul.

Elle frôle son poignet. Dans la nuit, on ne peut rien discerner, mais je sais qu’elle parle de sescicatrices.

–J’aimeraisquecesoitsimplementphysique,maisàchaquefoisc’estbeaucoupplus.C’estcommesiellesétaientancréesdansmoncœur.Unepourmaman.Unepourpapa.UnepourGaspard.Unepourmoi,cite-t-elle en se parlant à elle-même. Elle le répète trois fois en imitant le geste qu’elle amalencontreusementréalisédanslepassé.

Ellecessedecaressersescoupures.Jenesouhaitequ’unechose:effacercestracesdesoncorpsetdesamémoire.

–Jet’aime,Sap.Maisçaprendradutemps.Au-delàdemespropresblessures,tuaslestiennesdonttudoist’occuper.

Etjesaisqu’ellearaison.

–Çaprendraletempsqu’ilfaudra,luichuchoté-jeenl’attrapantparlatêteetenl’enlaçantànouveau.

Paul-AntoineetÉmiliefontmalheureusementobstacleànotrenouveaudépart.SiQuentins’occupedupremier,personnen’attenddevantlaportedusecond.Émilieestmonproblèmeetjem’enoccuperaidèsnotreretour.

–Mais,àpartirdemaintenant,jesuislàetjenevaisplusnullepartsanstoi,maFafa.

Jelasenssourireetjesaisque,peuimporteletrajetqu’ilmeresteàparcourir,toutirabiensielleestprésente.

Toutirabien.

29.MaîtreCorbeau

DYLAN

–GrandDieu,blondie!s’exclameParisseenadmirantmonnouveau«chezmoi».C’estaussispacieuxquemonplacardàbalaiici!

Je lui tire la langueetCharlie,quim’aaidéeàmettrede l’ordrepour la fêtedecesoir,vientàmarescousse.

–C’estparfait,Dylan.Aujourd’hui,dix-huitmètrescarrés,demain,lemonde.–Tudevraisarrêterlesthérapiesoptimistesdetamère,DannyFantôme,badinemameilleureamie.

Cen’esteffectivementpasleluxe,maisçaasesavantages:jen’aiplusàm’occuperdemamère,ouplutôt de son alcoolisme. C’est au dernier étage d’un immeuble de professionnels souvent endéplacement,parconséquent,jepeuxfairelafêtejusqu’àpasd’heure–cequej’aiprévudefairecesoir.Etpourfinir,MajorMusicpaieunepartieduloyer.

–Bon,lestrousdeballes!Vousêtesprêtspourallersignerlecontratdenotrevie?nousquestionneParisseeneffectuantunepetitedansesensuelle.

Cesoir,c’estlaconsécrationdetroisgrandesétapesimportantesdemavie.Pourcommencer,jesigneun contrat, renouvelable si bénéfice il y a, avec une des plus grandesmaisons de disque. Juste aprèslecture,accordsetsignature,jeretourneraidansmontoutnouvelappartementpourlacrémaillère.Etcesoir,àminuit,ellemarqueralecommencementd’unetoutenouvelleannée,d’unetoutenouvelleDylan.

Danslestransports, laplupartdesfrancilienssontdéjàenroutepourleursoirée,bienéméchéspourcertains.Lemétrosevideauxstationspharesetseremplit,groupepargroupe.NousrejoignonsMayasursaligne.

–J’arrivepasàycroire!s’extasielachanteusedesNoLimits.J’arrivepasàycroire!

Elle sautille dans le wagon et tous les usagers autour de nous tournent la tête pour la dévisager.Habituellement,saréactionm’auraitagacéemaisunebouleauventrem’empêched’étalermajoiecommemescompagnons.JeregardeMayaet,aujourd’hui,jeleluiaccorde.Aujourd’hui,noussommeslesroisdumondeettoutnousestpermis.

Une vingtaine de minutes plus tard, nous arrivons devant l’immeuble de Major. Les lumières sont

encorealluméeset,alorsquemescamaradessedirigentvers laported’entrée, jem’arrêteunmomentpourrespirer.Parissemeprendlamain,laserreetmesourit.

–Tuviens,blondie?

Jenouemesdoigtsauxsiensetnousentronsensemble.Laréceptionnistenousconduitàl’étagetoutendraguantCharlie.

–J’adoretescheveuxblancs,glousse-t-elle.C’estnaturel?–Oui,ilsouffredela«VCA»,rétorqueParisse.

Laréceptionnisteleregardelesyeuxgrandsouverts,àl’imagedesabouche.

–Etc’estgrave?–Lavieillessecapillaireavancée?Ouais,ilparaitqueçagrilleaussilesneurones,soupireParisse.

Jedétournemesyeuxdescouloirsornésdesdisquesdeplatineetd’ordesartisteslespluscultesdeFranceetdumondepourrireavecelle.Jeneréalisepasencorecequ’ilnousarrive.

PascalnousattenddevantuneporteavecsonassistantetlemanagerFranck.

–LesNoLimits!Quellebellefaçondeconclurel’année,n’est-cepas?

Pascalnoussertvigoureusementlamainàtourderôleetsonassistantchoisitdenoussaluerd’ungestedelatête.Francknousfait labise,cequiestunpeutropintimeàmongoût.Jelesurveilleducoindel’œilalorsquesamainseposeunpeutropbasdansledosdeParissequandilnousconduitdanssonbureau.Maismonamie est bien trop excitéepour remarquerquoi que ce soit. Surtout quand elle voitqu’unmini-buffetdehors-d’œuvreetdebouteillesdechampagnenousattenddanslebureaudeFranck.Cedernierestdécorédemeublesenboissombres.Ilmerappellevaguementlebureaud’unautrechef…Saufqu’auxmurssontaccrochéslesdizainesderécompensesobtenuesparlesartistesqu’iladûsigner.Jelesreconnaispresquetouset,petitàpetit,l’idéed’apparteniràcettegrandefamille,germedansmonesprit.

–Mettez-vousàl’aise!déclarelemanagerendésignantlesfauteuilsautourdelatablebasse.–Cooltonappartement,Dylan?medemandePascal.

Jehochelatêteensouriant.IlestclairqueMajorm’aachetéeaveccetappartement,maisj’aidécidédemettremafiertédecôtésurcecoup.

–Donconsignelecontratetaprès…?interrogeCharlie.

LaposturedePascalchangequandils’adresseànotreleader/batteur.Ildevientunpeumoinsamicaletunpeuplussérieux.Commes’ilavaitpeurdelui.

–Après,toutiraàunevitesseincroyable.Vousn’aurezmêmepasletempsdedire«merde»quelamachineseradéjàlancée.–Onvadevenirdessuperstars!s’écrieMaya.

Parisseetellerigolent.Pourunefois,lesdeuxs’entendent.

–Faitespéterlescontrats!

Charliemepresselamainpourmedétendreetjelèveleregardversluienprenantconsciencequejesuis tenduecommeunbalaiàchiotte.D’habitude, jene réfléchispasautant.Mais là,c’estunegrandeétape, une que je n’avais jamais envisagée et quim’est tombée dessus. Je prends conscience que leschoses peuvent très vite s’envenimer et,malheureusement, avec un contrat signé, nous sommes perdusavantl’heure.

–Onaimeraitbien.Maisc’estvotreavocatquipossèdelesdernièresversionsofficielles,ilnedevraitplustarderàarriver.–Notreavocat?demandé-je.

Noussommescoupésparlaportedubureau,quis’ouvresurlaréceptionniste.Elleannonce:

–MaîtreQuentinGesbert,monsieur.

Unhommedéguisédansune tenuenoireàplumesetunmasqueen formedebec remonté sur la têteentredanslapièce.

–Mesdamesetmessieurs!noussalue-t-il.

Ilserrelamaindumanager,duchasseurdetêteetdesonassistant.

–Onaunavocat?mequestionneCharlie.–C’estceluideGaspard…murmuré-je,mespenséesvaguantàmillelieuxd’ici.

PourquoiGasparda-t-ilenvoyésonavocat?Aprèsplusd’unmoissansnouvelledelui,jepensaisquenotreruptureétaitonnepeutplusclaire.

–Excusezma tenue, nousditQuentin. Je suis invité à une soiréedéguisée etma compagne a voulu

frapper fortcetteannée.DeLaFontaine.Moiencorbeau,elleen renard.L’ironiechez lesavocatsestsanslimite,jevousjure,sejustifie-t-il.–Oh,Seigneur,grogneParissequidétaillel’avocatdespiedsàlatête.Jecroisquejeviensdedevenir

zoophile.

Jemelèved’uncoupetlesmotscoulentdemabouche.

–Quentin,est-cequenouspouvonsallerparlerdeuxpetitesminutes?Seuleàseul?

L’avocatretiresonmasquesanscomprendre,déposesamalletteaupieddubureauetmesuitdanslecouloir.

–PourquoiGaspardvousa-t-ilenvoyé?

Ilfroncelessourcils,intriguéparmaquestion.Poursedonnerunpeuplusdecontenance,ilcroiselesbrasetlesailesdeplumesl’enveloppent.

–Gaspardnem’envoiepas.–Alors,c’estStéphanie?demandé-jeavecunelueurd’espoir.

Ilsecouelatête.

–Écoute,Dylan.Jen’aipasletempsdetoutt’expliquer.MaistoutcequitouchedeprèsoudeloinàGaspard, jem’enoccupe.Non, ilnem’envoiepas–pasdirectementen toutcas.Mais tuessapetite-copineetcequisepassedanstavieadesrépercussionsdirectessurlui.–Jenesuispassapetite-copine!m’écrié-je.Nousavonsrompuilyaplusieurssemaines.

Quentinplissesesyeuxetlaisseunlongsilences’écouleravantdedéclarer:

–D’accord.

Mais ce n’est pas le « d’accord » auquel jem’attendais. Celui-ci ne sert qu’à couper court àmesinterrogations.

–Non,pas«d’accord», l’arrêté-jeen le retenantpar lebrasalorsqu’il tentede retournerdans lebureau.Onn’estplusensemble.Sivousdevezvousoccuperdequelqu’unc’estdesafemmeÉmilieetdeleurfils.–Écoute.TantqueGaspardnemeformulepasclairementquevousn’êtesplusencouple,jeconsidère

quecen’estpaslecas.Etdonc,jetravaillepourtoi.–Ilapeut-êtreoubliédevouslementionner,jenesaispasmoi!

–Oublié?Nousnoussommesvusunebonnedizainedefois,cemois-ci.

Jeregardel’avocat,muette.Unedizainedefois?Jemeretiensdeluidemanderdesesnouvelles…

–Alorsilestdansunephasededéni,commepourlesgensquiperdentdesproches.Quoiqu’ilensoit,toutcequileconcernenemeregardeplus.–QuandGaspardmedira«plusdeDylan»,jetelaisseraienpaix.Pourl’instant,cen’estpaslecas.

Pourl’instant,tuessurlepointdesigneruncontratquivachangertavie,etquipeutlachangerenbiencommeenmal.Lequeldesdeuxchoisis-tu?–Enbien,bougonné-je.

JeneveuxpasdeGasparddansmavie,seulementunavocatnepeutpasêtrederefusfaceàcequenoussommessurlepointd’affronter.

–Alorslaisse-moigérer,veux-tu?

J’acquiesce,docile,etnousretournonsdanslebureau.Mongroupenousregardeensouriant.Encoreunefois,j’aimismafiertédecôtéetj’acceptel’aidedesautres.Franck,Pascaletsonassistantonttousunexemplairedunouveaucontratenmain.

–Ce sont de sacréesmodifications que vous avez apportées là,maître ! s’exclame Franck, le rirejaune.

Quentinmesouritet,laseconded’après,iljustifieligneparlignesesmodifications,qu’ilappelledes« améliorations » ou encore « un juste retour des choses ». Les gars deMajor grimacent à plusieursreprises, serrent lesdents, se jettent des regards courroucés. J’ai bienpeurqueQuentin ait tout gâchéjusqu’à ce que Franck desserre sa cravate au bout d’une bonne heure de discussion et nous tende lescontrats.

–Laballeestdansvotrecamp.

Jesaisismoncontratd’unemaintremblanteettentedefairelepointsurlesderniersévénementsdemavie.Ilyapeudetemps,jefoulaislehalld’entréedeMaréchalCommunityensachantcequim’attendaitderrière : lemondede l’évènementiel, la sécuritéde l’emploi, leplaisirde se sentirutile.Là,devantMajorMusic,c’estl’inconnu,legrandsautdanslevideavecunepassionquejevaistransformerenunmétier.

Labouledansmonventresemanifesteànouveauet j’hésiteàsigner ledocument.J’observechaquemembre de mon groupe, un à un. Maya qui s’étonne de voir la signature de sa mère et Quentin quil’informe qu’il est passé chez elle ce matin. Parisse qui signe déjà toutes les pages. Et Charlie quipatiente,m’observe,attendmonfeuvert.JetournelesyeuxversQuentinet,d’unsourireconfiant,ilme

donnelecouragedontj’aibesoinpourm’emparerd’unstyloetsigner.

Demain,lesoleilselèveraetonseradesmusiciensprofessionnels.Mais,pourmaintenant,placeàlafête!

30.Oublier

DYLAN

–Merde,alorsc’estofficiel!s’écrieStéphanie.Vousallezdevenirdesstars!

Sonvisagerayonned’unejoiephénoménaleetsavoixnetientqu’àunfil.Elleestsurlepointd’éclaterensanglots,maisseretient.

Monpetitappartementn’estpas le lieu idéalpourpleurercesoir. Ilestenvahiparune trentainedepersonnesquidébordent jusquedans lescouloirs.Stéphaniepinceses lèvres,sesgrandsyeuxbleusetluisantsclignent,etelleinspireparsonneztoutrouge.

–Oh,maluciole!craqué-jeenlaprenantdansmesbras.Tusaistrèsbienqu’onnet’oublierapas.Onse verra toujours autant, je te le promets ! Si ce n’est plus,maintenant qu’on n’a plus de contraintesd’horaires.

Jelèvelesyeuxverselle,mespaupièrespapillonnantinnocemment,etelleexplosedejoieavantdesejeteràmoncou.

–Jesuistellementheureusepourvous!Tulemérites,Dylan.

Moncœursegonfle,finissantparaccepterquedeschosesbienmetombentdessus.

–Câlincollectif!hurleParisse.

Ellesortdenullepartetselaissetombersurnous,renversantsonverreàmoitiésurmonbrasetsurmoncanapé.Nousrionsdesonétatd’ébriétéetsesfessestrouventuneplaceentrenous.

Prised’unesoudaineenviedeprendrel’air,jemedressesurmespieds,attrapemontrenchetleslaissepourm’isolersurlebalcon.Lecouplequiestlàmedépanned’uneclopeetd’unbriquet.JelaisseleventglacialrafraîchirmesjouesetcontempleParislanuit.Auloin,lepetitboutdetourEiffelquej’aperçoissemetàétincelercommes’ilétaitcouvertdediamantsetquelqu’unhurlequ’ilneresteplusqu’uneheureavantminuit.Jem’appuiesurmongarde-corpsenferforgé,penchelatêtesurlaruequiestdésormaiscelle où j’habite. Il y a une boulangerie excellente au bout, et un disquaire chez qui l’artisteprofessionnellequejesuisvaaimerpassersontemps.Jeconstatequecertainsdemesinvitésfumentsurle trottoir d’en face. Je lâchema cigarette et remarque à cemoment une voiture que je connais. Ellestationneendoublefiledevantunefourgonnettedel’hôteldeville.Jeplisselesyeux,puislesécarquille

enreconnaissantladécapotabledeGaspard.

Jereculehâtivementpourmecacheretmetrouvetrèsvitestupide.Commes’ilpouvaitmevoir.Jemepencheànouveau,c’estplusfortquemoi.Jelecherchedesyeuxetlerepèreprèsdemonarrêtdebusencompagnie d’un homme en tenuemunicipale. Il lui serre lamain, lui tapote le dos et le raccompagnejusqu’àsavoiture.

Qu’est-cequ’ilsfabriquent?

Jemepencheunpeupluspourvoirl’intérieurdel’arrêtdebusàtraverslacloisonenplexiglaset,àforce de mouvement et de contorsion sur mon balcon, Gaspard finit par me repérer. Je me cache ànouveauetresteimmobile,àl’ombredemonbalcon.Jetentedemepersuaderquesijenebougepas,ilnemeverrapasetcontinuerasaroute.

Monportablevibredansmapocheetjemejettedessus.

[JepeuxteconseillerlespanneauxentreillisdechezLeroyMerlinsituveuxpasserinaperçue.Oulacaped’invisibilitéd’HarryPotter,c’estbienpluscool!Gaspard.]

J’hallucine.Qu’est-cequi luiprenddeplaisanteravecmoi?Etcommenta-t-ilobtenumonnouveaunuméro?Stéphanie…

Jemevengeraiplus tard.Pour lemoment, j’aidescomptesàrégleravecsonfrère…Jeprendsmesclésd’immeuble,m’éclipsedemapropresoiréeetdescendsparlesescaliers.Jescrutelesenvironsetmarespirationsecoupenettelorsquejel’aperçoissurmagauche.Sadécapotableesttoujoursaumilieude la route…Mais lui se tient debout à côté d’une berline, dans une tenue impeccable : costard sanscravateetchemisenégligemmentretiréedesonpantalon.

Enm’approchant,jeconstatequ’ilaunebarbedequelquesjoursquiluidonneunairplusvieux,plussombreetencoreplusviril.Sescheveuxsontbrossésenarrièreetj’aienviedepassermamaindedans,delesempoignerfortpourlepunir,etdel’embrassersauvagementpour...

Drapeaunoir,Dylan.Concentre-toi.

–Tun’auraispasoubliéunpetitquelquechose?lequestionné-jesanspréambule.

Sesyeuxbleusmedéshabillentavecuneintensitéredoutable.

–Tues…resplendissante.–Nefaispasça,l’interdis-je.

Saseuleréponseestdemefairerougiravecsespupillesfoudroyantes.Jesuishabilléedelatêteauxpieds,jeportemêmemonlongtrench,pourtant,sousceregardévaluateuretsexy,c’estcommesij’étaisseulementvêtued’unsimplerubanavecunecartemarquée:«Prenez-moi.»

–Oublierquoi?demande-t-il,lavoixrauqueetleregardimperturbable.

Ilobservema taille, lacourbedemeshanches,puis remonteendouceur. Ilnesegênevraimentpaspour me mater et je me mets à douter sévèrement : a-t-il compris que nous avons rompu ? Le « jedémissionne»n’étaitpasassezthéâtralpourlui?Lesdernièressemainesquisesontécoulées,sansseparlernisevoir,n’étaientpasassezclaires?

–Jesaispasmoi.Réfléchissonsuninstant,tuveuxbien?Ah,voilà,jeletiens!Dementionneràtonentouragequenousnesommesplusensemble,asséné-jeencroisantlesbras.

Ils’appuiecontrelaberlinenoireetsonregardsombresefaittaquinetprovocateur.

–Çat’amuse,cequejedis?J’ailoupéunépisode?Tun’espasmariéàunecertaineÉmilie?Iln’yapasungamindunomdeCyrusdanstavie?

L’air détaché de Gaspard devient subitement dur et ses traits se crispent violemment. Mon poulsaccélèrealorsqu’ilsedécolledelavoitureetseredresse.

–JenesuispasmariéàÉmilie,renâcle-t-il.Jenetemanqueraijamaisderespect,Dylan.

Lesoufflehaletant,jenecillepasuneseulefoisalorsqu’ilavanceversmoiàpasdeloup.Jenepeuxdétourner mon regard et mon attention de lui. Mon champ de vision se réduit imperceptiblement.L’immeublederrière luinedevientplusqu’unefaçadeunicolore ; lesvoituresgarées le longde laruedeviennentdeslignesnoires;leslumièreschaudesquediffusentlesréverbèresdeviennentdestâches.Ilneresteplusqu’unGaspardenmouvementsurletableau,aspiranttoutcequin’estpasluioumoi–nous.

–Et jen’aipasoublié,chuchote-t-il ensepenchantàmonoreille :ni tesbaisersmoitesd’undésirardent,nilafaçondonttuterefermesautourdemaqueueetl’engloutiscommepourmerappelerquejet’appartiens,nilesdifférentesnuancesdecouleursqueprendtonvisagequandtujouis,nimonnomentretesdélicieuseslèvreslorsquel’orgasmequejet’offretetransperce.

Respire,Dylan.Respire…

–Jeneveuxpasoublier.Jenepeuxpasnousoublier,rajouteGaspardenseredressant.Mêmesijelevoulais.

Ilprendunepausepourmeregarderetjeluttepourqu’ilneremarquepasmesjambesflageolantesou

qu’il entende la fébrilité dansmon souffle. J’inspire le peu d’air qu’ilme laisse etme bats contre lemélanged’excitationetdedésirqu’ilprovoqueenmoi.

–Toi,tuasoublié?murmure-t-il,avecuneteintededéfidanssavoixgraveetérotique.

J’aimerais. J’aiessayé,sanssuccès…Il semble lirechacunedemespenséesdansmonregardetunpetitrictussatisfaitsedessinesursonvisage.

–Jet’aiditqueleplaisirvenaitavecletemps,Dylan.

Ilprononcemonprénomavectantdesensualitéqu’unechaleurfamilièreenvahitmonbas-ventre.

–Alorsattends,mesusurre-t-il.

Ilestsiprochequejepeuxsentirsonsouffle.Mais,jenecomprendspassesderniersmots.Pourquoiserait-ceàmoid’attendrequoiquecesoit?Unélanderepartiecinglantesepropageenmoi,mepropulsed’unpasversluietj’ouvrelabouchepourparlerlorsquejesuisinterrompueparlavoixdeStéphaniedansmondos.

–Sap?Maisqu’est-cequetufaislà?

Jem’éloigned’unpaspourlaisserlechamplibreàStéph.Elleprendsonfrèredanssesbras.

–JecroyaisquetusortaisavecAlexandre,cesoir.–C’étaitlecas,jusqu’àcequ’ilmelâchepourunetabledetopmodèles.Tuconnaisl’homme.

Ellerigoleetjemeréjouisdelesvoirunisànouveau.

–Tuveuxmonter?luiproposesasœuravantdesetournerversmoi.Ilpeutmonter?

Gaspardmejetteunrapidecoupd’œiletnemelaissepasrépondre.

–Jenepeuxpas,Fafa.J’aiuneobligationprofessionnelle.–Lesoirduréveillon?s’exclameStéphanie.

Oui,«Fafa»,ildoitlapasseravecsonautrefamille,safemmeetsonfils.Commencerl’annéeaveceuxdansl’espoirdelafiniraveceux…

–Oui,soupire-t-il,puisilsouritetpasseunemaindanssondos.Ilfautquejefile,maisj’aid’abordunesurprisepourtoi.

Illaguideversl’arrêtdebusetcurieuse,jelessuis.

–Normalement,c’étaitprévupourdemain.–Pourdemain?interrogesasœur.–Neposepasdequestion.Fafa,necroispasquejesuisentraindet’acheter.C’estloind’êtrelecas,

soisencertaine.Jelefais,parcequej’ailesmoyensdelefaireetparcequed’unecertainefaçon,c’estaussibonpourtoiqueçaleserapourMaréchalCommunity.

Mes yeux s’agrandissent lorsque nous nous arrêtons devant le panneau publicitaire numérique del’abribus.Stéphanie,elle,estcomplètementperdueetlesquestionsqu’elleseposedéformentsonvisage.

–Sorstonportable.

Elles’exécuteetattendsesindications.

–Maintenant,jeveuxquetuflasheslecodequ’ilyalà,luidit-ilendésignantceluisurlepanneau.

Ilsouritalorsqu’elleeffectuecequ’illuidemande.Dèsqueleportablereçoitl’information,l’affichenumériquedisparaîtpourlaisserplaceàuntrajetpartantdeSaint-Paul,oùjevis,jusqu’àlaplacedelaConcorde. Le changement de tous les panneaux publicitaires de ma rue s’opère automatiquement,affichantlemêmetrajetetnousregardonstouteslesdeuxGaspard.

–Stéphanie,jeveuxquecettenouvelleannéesoitcelleoùturéalisestesrêves.C’estpourçaquejesuisrevenuàParis.Pourterminercequepapaetmamanavaientcommencé.

Les larmesmontentauxyeuxdeStéphet toutes lesaffichesdu trajetdisparaissentpourafficherdesphotographiesd’artdelarue,signéMaréchalCommunity,maissurtout«StéphanieMaréchal».L’amourquibrilledanslesyeuxdeGaspardalorsqueStéphanieprendconsciencedecequesonfrèrearéalisémenouelagorge.

–Stéph!Cesonttesclichés!m’écrié-jeenlasecouant.– De Saint-Paul à la place Concorde, sur tous les panneaux publicitaires des avenues et des rues,

renchéritGaspard.ÉtantdonnéquelaplupartdesphotosontétéprisesàParisetqueletourismeestàsonapogée,iln’yaeuaucunproblèmedenégociation.– Ce qui veut dire qu’en plus de faire de la publicité pour la ville de Paris, elle redore l’image

artistiquedenotre chère capitale auxyeuxdes étrangers,murmuré-je, impressionnéepar l’intelligenceprofessionnelledecethomme.

Gaspardmesouritetmoncœurmanqueunbattement.Ilafaitdelavillelagaleried’artdeStéphanieMaréchal.Unmusée, le soirdu réveillon.Ya-t-ilplusgrandepreuved’amour?Cettenouvelleannée

seracelledelafamilleMaréchaletdeleurretourenforce.

–EtcommeMCasignédetrèsgroscontratsaveclasociétéquipossèdelespanneauxpublicitairesdeParis…C’étaittoutbénef’!–Unefusionparfaite,m’entends-jedire.

Nosregardssecroisent,uneseconde,puisdeux,puistrois,etStéphchoisitcetinstantpourpoussersoncridejoie.Ellerebonditsursespiedsets’accrocheaucoudesonfrère,quis’appuiesurunejambepournepastomber.

–C’estlaperfection,Sap!Merci,merci,merci!

Ill’embrassesurlefrontetjerêvequeseslèvresseposentsurlesmiennesànouveau.Maisilreculeets’éloigneenmarchearrière.

–Plustuavancesdansletrajet,etmoinsilyauradephotosquidéfileront.MaiscommeCendrillon,àminuit,toncontedeféess’arrêtera.Alorsdépêche-toi,princesse,rajoute-t-ilenluilançantunclind’œil.

Ilmeregardeunedernièrefois,tournelestalonsetgrimpedanssonauto.

–Qu’est-cequ’onattendpouraller jusqu’àlaplacedelaConcorde?mehurleStéphaubordd’unecrised’euphorie.

AprèsavoirconvaincumesinvitésquelenouvelansepasseraitsurletrajetimaginéparGaspard,nousdéambulons en petit groupe dans les rues de Paris. Certains, encore sobres, prennent leur voiture ;d’autress’amusentàprendrelemétro,lebusouletaxi;etCharlie,Parisse,StéphetmoichoisissonslesVélib’.Commeiln’enresteplusque troisdansmarue,Parisse,quiestéméchée,monteà l’arrièreduvélodeCharlieet,prudemmentmaisjoyeusement,nousroulonssurlesroutes,alternantaveclestrottoirsetlesruelles.

Gaspardn’apasmenti:surtouteslesaffichespublicitaires,nousdécouvronslavisiondeStéph,avecl’adresse de son site et l’adresse de Maréchal Community. Nous croisons plusieurs personnes quiimmortalisentàleurtoursesclichés–unemiseenabîmeoriginale.Maluciolerayonnedejoie,illumineParis de son bonheur, de ses rires et de son excitation. Je peux entendre son cœur battre fort dans sapoitrineetjesaisquelescoupuressursonbrasontdisparues.

PrèsdujardindesTuileries,levélodeCharlieetParisseserenverseetleduotombeausoldevantlemuséedesartsdécoratifs.StéphetmoiexplosonsderirealorsqueCharlieseplaintd’uneParissequibougetrop.

–Maisnon!rétorque-t-elle.Regarde!

Elleluimontrelasurfaceenrénovationdel’immeublequisertaussid’affichepublicitairegéante.Jefreinemonvéloauprèsd’euxet lèvelesyeux.Mamâchoire tombealorsausol lorsquejedécouvrelecliché:moi.JereconnaislelieucommeétantceluidelasalledeconcertdeNewYork,etmonintérêtestclairement tourné vers les décors du plafond, quim’intriguaient par leur précision et leur beauté. Laphoton’estpastrèsartistiquepuisqu’ellesecentresurmonexpressionetlacuriositéquejedégage.

–Putain,lâcheCharlie.C’estpasdeStéph,ça.–Non,souritlaconcernéeenmeregardantetencherchantàlireenmoi.–C’esttrès…bohémien,lâché-jesansréussiràdéviermonregarddel’affiche.

Cen’estpasdunarcissisme.Seulement,àtraverscettephotographie,jedécouvrecommentGaspardmevoit.Jemevois.Etjecomprendslaprofondeurdesessentiments.

–C’esttrèsrévélateur,rectifieStéphavecunsouriremalicieux.

Jerougisetelleremontesursonvélo.

–Dépêchez-vous,ilserabientôtminuit!

Jeresteencorequelquessecondesdevantlemusée,memordslalèvreetpoursuismonchemin.Auboutdu trajet,nousdéposonsnosvélos,et jesuis témoinde l’épanouissementquiexploseenStéphanie.LaplacedelaConcordeestunlieuextraordinairementbeauetmajestueux.NousapercevonslatourEiffelets’iln’yapasdepanneauxpublicitairessurlagrandeplace,Gaspardafaitensortequecesoir,chaqueréverbèreet lerond-pointde l’ObélisquesupportentunclichédeStéphanie.Descentainesdepassantssontrassembléesautourdesœuvresdemaluciole.NousrangeonsnosVélib’dansuncoinetvisitonslegrandmuséequ’afabriquéGaspard.Desphotosd’artistes,delaville,desesmonuments,deparisiens,detouristes...

C’estunepuremerveille.

J’entendspetit àpetit ledécomptedesdixdernières secondesde l’annéeet, lorsque lesgenscrient«bonneannée»,ladernièrephotos’affichesurlepanneaupublicitairedel’hôtelCrillon.Jelareconnaisimmédiatementmalgré ses quelquesmodifications. C’est une photo que Stéph a prise des No Limits.NoussommestouslesquatredeboutsuruntoitdeParis,faceà l’étenduelumineusedelacapitale, lesbrasenl’aircapturantlesrayonsducoucherdesoleil.Elleestparfaite:ellereprésenteParis,lavie,lajeunesse,lajoieetl’amour.Etaveccela,ilyabiensûrlasignaturedel’artisteetunmessage:

«LavilledeParisetMaréchalCommunityvoussouhaiteunetrèsbonneetheureuseannée».

Stéphanie est aux anges.En silence, elle contemple cette dernière photo aux côtés de Parisse, et je

l’observeensouriant,heureusepourelle.

Etalors,unsentimentdenostalgieetdemélancolies’emparedemoi.L’hommequiafaittoutcelaaunecompagneetunenfant.C’estunhommedontlavieetlecœursontdéjàpris.

***

GASPARD

–MonsieurMaréchal!s’exclamelechefderangdelabrasserieenmevoyantdébarquer.Bonsoir.Etbonneannée.

Jesouris,lecœurléger.

–Merci.Pareillement,Xavier,luilancé-je.

Il répond àmon sourire etme conduit jusqu’à une table du fond, isolée. Jeme fige en voyantmonavocatdel’ombreentraindetripoteretbécoterunefemmedansundéguisementmoulant.Jemeraclelagorgeetlecouplefinitparsedétacher.

Je suis frappé un instant par la beauté hors-norme de cette demoiselle avec lequel Quentin sort.Apparemmentdéguiséeenrenard,ellemedévisage,selève,attrapesapochetteetmedécocheunsourireencoin,quiadûfairetomberplusd’unhomme.

–Alorsc’estavecvousqueQuentinmetrompe?badine-t-elleavantdemetendresamain:Svetlana,enchantée.

Unerusse,probablementmannequin.

–Gaspard.Demême.–C’estbon,c’estbon,ronchonneQuentin,jaloux,enselevantetennousséparant.Attends-moidansla

voiture,poulette.

Ill’embrassefougueusementetjedétourneleregard,malàl’aise.

Svetlanas’envaetjem’amuseducostumedeQuentinquandjeledécouvre.

–Un renard et un corbeau… Je viens d’atterrir dans une dimension parallèle où la poésie est unemanièredevivre?

Quentinrigoleetsecouelatête.Jeprendsplaceenfacedeluietnem’étonnepasfaceàsabièreetsonplatdefrites.

–MaîtreCorbeauetmaîtreRenard.Elleestavocatepouruneboîtedemusique.C’estellequim’aaidépourlescontratsdetacopineDylanetsongroupe.

Mespenséesvirevoltentquelquessecondesetjesourisàl’idéeque,cesoir,j’aisuquetoutn’étaitpasperdu.Ledésir,l’alchimie,l’aviditédel’unetl’autre…Rienn’adisparu.Elleesttoujoursmienneetjecomptetrèsbientôtredevenirsien.ÀconditionqueQuentinm’apportedebonnesnouvelles.

–Tuneluiaspasditquec’estmoiquit’envoyais?

Ilhausseuneépauletoutengrignotantsesfrites.

–Non.Maiselleestmalignealorsjenepensepasqu’elleaitcruàmatentativededétournement.

Jerespireprofondémentettentedemerassurer.Ellenepeutpasm’envouloirdelaprotéger.

–Enfinbref,meramène-t-ilenavalantquatrefritesenmêmetemps.Revenons-enànotregrospoisson.

Jefroncelessourcilsetl’écouteattentivement.

–D’aprèsmessources,tuasdisparudeuxans,dontsixmoisdanslenorddel’Allemagne,avecÉmilieetCyrus.C’estbiença?continue-t-ilenengloutissantfritessurfrites.

Jeplisselesyeuxetacquiesceunpeuplusdurement.Çanemeplaîtpas,qu’ilsoitentrédansmavieainsi,maissic’estpourfaireavancerl’enquête…

–J’aiacceptéd’êtreavocatpourtoi,Gaspard,parcequej’aiuneconfiancetotale.Jetesuisloyalcartuescensén’avoiraucunsecretpourmoi.–EnquoimonannéeàHambourgconcerne-ellel’enquête?grincé-je.–Elleconcernel’enquêteparceque,surlalistequejet’aidemandée,tuasmislenomd’Émilie.Etje

veuxsavoirpourquoituprotègesunefemmequetun’asjamaisaiméeetquetun’aimestoujourspas,detouteévidence.

Jeserrelespoings,sentantquelavéritéquejetentecoûtequecoûtedecacheretdenepaslieràcemeurtre,danslebutdeprotégerCyrus,estsurlepointd’éclater.JeregardeQuentindroitdanslesyeuxetannonce:

–Émilien’apastuémonpère,sic’estcequetuveuxsavoir.C’estimpossible.

Ilouvregrandlesyeuxetlance:

–Ellecouchaitaveclui,Gaspard.–Jesais,grogné-je.

Ilclignedesyeux,surprisparmaréponse.

–L’argent,lajalousie,peuventinciteràfairetoutetn’importequoi.

J’inspireprofondément. Ila raisonsurunpoint : je suisobligéde luidévoilermessecrets, sinon ilchercheradanslamauvaisedirection.

– Émilie n’a pas tuémon père, répété-je. Elle n’aurait pas pu, parce qu’elle voulait que Cyrus leconnaisse.Ellevoulaitquemonpèrerectifiesontestament.–Rectifiersontestament?Dansquelbut?questionne-t-il.–Danslebutderajouterunhéritier,enplusdeStéphanieetmoi.

C’estaveccettephrasequeQuentincomprend,maisjemedoisdeledireàvoixhaute.Jen’avaispascomprisl’importancedelasituationdanslaquelleÉmiliepouvaitêtremise.Etmêmesicettefilleestunesorcière,jeneluisouhaiteriendemal.Jesaisqu’elletientàCyrusàsafaçon.Etelleestincapabledetuerquelqu’un.

–Cyrusn’estpasmonfils.C’estmonfrère.

31.Étapespost-rupture

GASPARD

Ilestdeuxheuresdumatinlorsquemontéléphonetremblesurmatabledechevet.Lebruitdésagréablemetired’unsommeillourdetdépourvuderêve.Lesyeuxfermés,jetâtedanslevide,attrapel’appareilmauditettapotemonpoucesurl’écranpourdécrocher.

–Allô?–Jesuisdésoléedet’appeleràcetteheure-ci,marmonneunevoixfamilièreàl’autreboutdufil.Tu

travailles?

Mesyeuxs’ouvrentimmédiatementetmoncorpsréagitausondecettevoixqu’ilreconnaît.

–Dylan,murmuré-je.Non,jenetravaillepas.–Bien.

« Bien » ? Elle m’appelle un mardi 5 janvier, à deux heures du matin pour me sortir un simple«Bien»?

–Dylan…

Elleinspireprofondément,soupireet,résignée,melâche:

–Arrêtedeprononcermonnomcommeça,Gaspard.

Jemetournesurledosetsourisparesseusement.DepuislaSaint-Sylvestre,j’aireprisespoirencequiconcernecettelionne.

–Comment?

Jedésirejustel’entendremeledire.

–Commesi…Commesi…Roh,laisse-tomber.

J’entendsunfrottementetjen’aiaucunedifficultéàl’imaginermouvoirsesjoliesfessespourchanger

deposition.Est-cequ’elleestsursonlit?Dansceluidequelqu’und’autre?Moncorpsentiersecrispeetj’évacueauplusvitelabouledecolèrequimonteenmoi.

–Dylan,répété-jepourl’inciteràmedonnerlaraisondesonappel.–J’aiperdumesclés,m’avoue-t-elle.Généralement,ellessontaufonddemonsac,jet’assure.Mais

là,ellessesontfaiteslamalle.Lessalopes…chuchote-t-ellepourelle-même.

Jefroncelessourcils,allumelalumièreettendsl’oreille.Jem’attendaisàtoutsaufàça.Ellen’apassesclés,cequisignifiequ’ellen’estpaschezellemaisdehorsetjen’aimepasça.

–J’étaisàunefêteaveclegroupeetlemanagerdeMajorMusic…commence-t-elleàm’expliquer.

Jetiremondrapetcontinuedeluiparler.

–DylanSavagequiquitteunesoiréeavantdeuxheuresdumatin,çaexiste?

Jesourisetjesaisqu’elleaussi.

–J’étaispasd’humour–jeveuxdire,d’humeur.Ouais,j’étaispasd’humeuràfairelafête.–Tuessaoule?

Putain,jevaisl’égorger.Elleestirresponsable,vraiment!Jesorsdulitetm’habilletoutengardantletéléphonesurl’oreille.

–Assezpourteposerunequestionquej’aientêtedepuisunbonboutdetemps!

L’alcoolqu’elleadanslesangralentitsondébitdeparole.Ellelaissedelonguessecondess’écouler.

–Quelestl’équivalent?demande-t-ellefinalement.–L’équivalent?–D’unefemmeetd’ungosse.

Letempssesuspendau-dessusdematêtequand jecomprends la relation.Lesdentsdemesclésdevoitures’enfoncentdansmonpoing.Maraisonm’empêchedeparler,touslesproblèmesquejerencontrem’empêchentdeluidirelavérité.

–Un homme ?me demandeDylan.Une dizaine ?Une centaine ?Avec combien d’hommes je vaisdevoirbaiserpourtefaireaussimalque…

Elle ne continue pas sa phrase, la fierté l’emportant sur sa vulnérabilité. La culpabilité que sonaccusationsoulèveenmoimecomprimelapoitrine.

–Tusais,pourqu’onsoitquitte,achève-t-ellesanssedémonter.–Arrête,grondé-je.Arrêteçatoutdesuite,Dylan.

Elleestentraindejoueravecmesnerfs.Elleestpeut-êtrebourrée,maiselleestassezconscientepourmepousseràbout.

–Danslesfêtesderockstars,ilyasouventénormémentdenanasenbikini.Maisaussibeaucoupdemecsauxabdosin-cro-ya-bles!

Encoreuneattaqueciblée…

–Dylan…–Tudevraisvoirça.Mêmetoituentomberaisamoureux,s’amuse-t-elle.Ilyenaunquiadonnéles

nomsdesplanètesàchacunedeseshuittablettesde«ssocolat»,chocolat,pardon!secorrige-t-elleengloussant.Illesappelleses«octuplés»,parcequ’ilditqu’ellessontsesbébés.–PutainDylan,laferme!Qu’est-cequetucherchesàfaire?hurlé-jesifortquej’entendssonhoquet

desurprise.Çat’éclate,c’estça?reprends-je.Quelgenredeplaisirsadiqueest-cequetuentires?C’esttanouvellevocation?

Unnouveauhoquet,puis:

–Tefaireautantdemalquetum’enasfait?Oui!crie-t-elleencoreplusfort.

Unsanglotsemélangeàsontoncoléreuxetjel’entendsétoufferungémissement,quirésonnejusquedansmapoitrine.Soitelleseretientdepleurer,soitdevomir.

–Maisçanepeutpasmarcher,pasvrai?Jepeuxpastefairedemal.Parcequecontrairementàmoi,c’étaitqu’unjeupourtoi.

Bienentenduqu’ellepenseainsi.Enétantstagiairepourmonentreprise,jeneluiaipaslaisséletempsdepenserquenousavionsunerelationplusapprofondieetcomplètementdifférentedecelled’unpatronperversetd’unestagiairecochonne.

–Nedispasça,soupiré-jeenfrottantmonvisage.Tusaistrèsbienquec’estfaux,Dylan.

Cesquelquesmotsréussissentàlacalmer.Ellemarmonnequelquechosed’incompréhensibleetestànouveaucoupéeparunhoquet.Ellejureetsavoixs’éteint,signequelafatiguel’emporte.

–Dylan!Eh,dis-moioùest-cequetutetrouves,magrande?

Lesportesdel’ascenseurs’ouvrentsurleparkingdel’hôtel.Lalumièreautomatiques’allumesurtoutel’étenduedusous-terrainet,d’unpasprécipité,jemedirigeversmavoiture.

–Àlaporte,râle-t-ellesousl’effetdelafatigue.–Laportedel’immeubleoudetonappartement?–Del’immeuble.Jecroisqu’ilsontchangélecoded’entrée.

Ilsn’ontpaschangélecoded’entrée.C’estcertain.MaisquandDylanestbourrée,c’estellecontrelemondeentier.

–Etmonniveaude«stabriété»estunpeuàsec.–Tonniveaude«stabriété»?–Oui,râle-t-elleànouveaucommesij’étaiscenséconnaîtrecemot.L’équilibreentremastabilitéet

monétatd’ébriété!Enfinbref,jenetiensplusdebout!–OK.Laissetontéléphoneallumé.Jesuislàdansmoinsdedixminutes.

Jelaisseletéléphonesurhaut-parleurdanslavoitureetm’engagedanslesruessombresetdésertesdeParis.

–Toujourslà,magrande?–J’allaiscontacterCharlie,m’informe-t-elle.–Oui,maisc’estmoiquetuasappelé.–Etjenesaispaspourquoi,minaude-t-elle.

Moi,j’aimapetiteidéelà-dessus.Maisjenedisrien,depeurqu’ellemeraccrocheaunez.

–L’alcool,jesuppose,tente-t-elledesepersuader.–Fichualcool,hein?Ilnousfaitfairen’importequoidesfois,luidis-je,leslèvrespincéespourne

pasqu’elledevinemonsourire.

Auboutdequelquesinstants,sarespirationsereineetsifflanteemplitlesenceintesdemavoiture.Etpeuàpeu,elleronflecommeunbébéours.

Jenetardepasàarriveretjelatrouveenveloppéedanssonmanteauenlaine,sontéléphoneposéentreson oreille et son écharpe. Après avoir rangé son portable et trouvé ses clés dans la poche de sonmanteau,jelaprendsdansmesbras.Soncorpsreconnaîtautomatiquementlemien,ilselovecontremoi

et ses bras se nouent autour demon cou. Elle lâche un soupir d’aise et, très rapidement, reprend sonronflementanimal.

***

DYLAN

Encoresouslacouette,unedélicieuseodeurdesucrémechatouillelesnarinesalorsquelevacarmedelacirculationetdessonnettesdevéloparviennentjusqu’àmonpetitappartement,taquinantmonamielamigraine.

–Réveillée?

Mesdoigtsseposentsurmestempesetexercentdesmouvementsrotatifs.Est-cevraimentlavoixdeGaspardquej’entends?

–Malàlatête,MademoiselleSavage,peut-être?raille-t-il.

Lafenêtredonnantsurmarueestouverteetletempsgrisestàl’imagedemonhumeur.Jeroulesurleventre, renversemacouvertureetconstateavecsoulagementque jeporte toujoursmesvêtementsde laveille.JedécouvreGasparddevantlesfourneaux,sesbrass’agitantetsesépaulesremuant.

–Jecompatiraisbien,maisc’est toutceque tuméritesaprès lastupiditédont tuas faitpreuvehiersoir,babille-t-il.

Monmaldetêtenetardepasàsetransformerenuneragemuette.Jesorsdulitetserrelesdentsaucontactdemespiedscontreleparquetfroid.

–Tutepayesmatête,Dylan?Tun’asvraimentrienàmedire?

Jepivotesurlapointedespiedsjusteavantdepénétrerdansmasalledebainsetluisorsmonsourireleplushypocrite:

–Effectivement,j’apprécieraisquetunesoispluschezmoiunefoissortiedemadouche,Gaspard.

Ilquittemacuisineets’approchedemoi,lesmanchesdesonsweatretrousséesetlesmainsmouillées.Ilanettoyémavaisselle?Commes’ilétaitchezlui?Pire,commesij’étaissacopine?

–«Mercid’avoirfaitensortequejeneterminepasensourced’inspirationd’unépisodedeNewYorkPoliceJudiciaire,Gaspard».Jecroisquec’estcequetuessaiesdemedire.

Jesecouelatête,amère.Pourquoisemble-t-iltoujoursoublierlerazmoketinsolentquiluisertdefilsetlamantereligieuseaveclaquelleils’estreproduit?Montéléphonevibredanslebazardelacouetteetdétournenotreattentionquelquessecondes.Puisjereprends,enflamméeetdéterminée:

–Cequej’essaiedetedirec’est:«Casse-toietrejoinstaputeettonmôme!»

Sesyeuxs’écarquillentsouslaviolencedemespropos.

–Mapute?répète-t-il.

Jenedonneraipasunautrenomàcettefemme,quim’atraitéecommedelasous-merde.

–Jet’aiinformée,l’autresoir,qu’Émilieetmoi…commenceGaspardendouceur.–Pourl’amourdeDieu,arrête!Arrête!J’essaiedetournerlapage…–Tuessaies,insiste-t-il.–C’est impossible!Tufaissanscesseirruptiondansmavie!gueulé-je.J’avaisbiencommencé, tu

sais.La signatureavecMajor, lenouvelappartement, la fête le soirde laSaintSylvestre…Toutétaitparfaitpour«unnouveaudépart,sansGaspard»!Etvoilàquemonsieur«Jepètedesbillets»m’envoieson corbeau-avocat.Quelques heures plus tard, tu réapparais dansma vie,m’embrouillant le cerveaud’autantplus.Tuoffresuncadeauàtasœurquihurleaumondeentieràquelpointtul’aimes.Etpuiscettephotoquetuasprisedemoi…Commentrésister?

Ilhausselesépaulesetdéclare:

–Tun’espasobligéederésister.Nouspouvonsêtreamis.–Onnepeutpasêtreamis,Gaspard!m’écrié-je.Mêmesionymettaittoutelavolontédumonde.On

n’ajamaisétéamis,pasmêmelorsqu’ons’estcroiséspourlapremièrefoisdanstacuisinedebourge.

Et sur ce point, il ne peutme contredire.Dès le premier regard, notre relation n’était que désir etintensité,tousdeuxpoussésparunefièvrecharnellequipromettaituneexpériencetorride.

–EtGaspard,lesamis,enprincipe,necouchentpasensemble!–Tudisbien«enprincipe»?

Jerêve!Est-cequ’ilestsérieusemententraind’envisagerqueluietmoi…?

–Vatefairefoutre,Gaspard!Laseuleraisonquimepermetdenepast’étrangler,c’estquejerefused’allerenprison!

Doucement,alorsquejecontinuedel’étriperverbalement, ilmedévisage,passeenrevuemestraits

d’expression, caresse d’un regard souple mes lèvres et s’arrête sur mes seins, dont les pointes sontvisiblesàcausedelafraîcheuretdu…

Lesalaud!

Ilaretirémonsoutien-gorgependantlanuit.Etmonsieurn’estpasdutoutenétatdechoc.Moncoupdegueule l’a excité.Quel genre d’être est-il, bon sang, pour avoir la queue qui frétille dans unmomentpareil?

–Jecomprends,lâche-t-ilenfin.Lacolère.C’estlatroisièmeétape,c’estça?L’ignorance,l’offenseetmaintenant,lafureur.

Maisdequoiparle-t-il?

Montéléphonereçoitunnouvelappeletlevibreurm’agaceauplushautpoint.Jedécroche,furaxetaulieudepassermacolèresurceluiquilemérite,c’estmonbonCharliequiseprendtout.

–Qu’est-cequ’ilya,putain?–J’enconnaisunequiauneméchantegueuledebois.

Ducoindel’œil,j’aperçoislevisageamusédeGaspard,cequim’énerveencoreplus.

–Pourquoim’appelles-tu,Charlie?–J’aiétédésignépourt’annoncerlanouvelle,alorsjemelance…

Jefroncelessourcils,confuse.

–Nous avons été invités augalades95 ansdeMaréchalCommunity, lâche àvive alluremonami.Nousavionsdécidéderefuser,maisFranckpenseque…

Jen’entendsplus rien. Jeme tourne lentementversGaspardet serre lesdents.Mamainqui tient leportabletombelelongdemoncorpsetmonpoucepressel’écranpourraccrocher.

–Jeprésumequetuviensd’apprendrepourlesinvitations.

Bienévidemment,ilestderrièretoutcemanège…

–Sorsdechezmoi,Gaspard.–Oui,lacolère,lacolère,serépète-t-ilcommepourseconvaincrequec’estunsentimentpassager.Je

supposequetedemanderd’êtremacavalièreest,pourl’instant,déconseillé.

Jenerépondspas,enproieàdesenviesmeurtrières,etilfinitpars’enaller.

32.LeTaMoko

GASPARD

–Oùétais-tu?mequestionneÉmilie.

Jedéposemesclésdevoituresurlapetitetableduhalletluiaccordemonattention.Unlégersursautmesecouelorsquejevoislevêtementdenuitqu’elleporte:nuisetteensoierougequijureavecsapeaulaiteuse.

–Gaspard?insiste-t-elledevantmonsilence.–JetelaissedormiriciparcequeCyrusabesoind’untoit.Parrespectpourluietsonpère,appuyé-je,

tupourraisavoirladécencedetecouvrircorrectement.–J’aipenséque…–Quequoi?m’écrié-je.Quequoi,Émilie?Queçameferaitquelquechosedetevoirdanslesmêmes

habitsquetuportaisprobablementquandtubaisaismonpère?

Émilien’estpaschoquéeparmonagression.Elleamêmeleculotderire.

–Tu as passé la nuit avec ta petite pétasse des bas quartiers, pas vrai ?m’accuse-t-elle sur un tonhautainetméprisantdejeunebourgeoise.–Ironique,quandonsaitquetuescellequibaisaitmonpèrepoursonfric.

Elleperdsonsouriremesquin,mepermettantd’égaliserlescoreencedébutdematinée.

–NetouchepasàDylan,Émilie.Jeneplaisantepaslà-dessus.–Jeneluiferaipasdemal,m’assure-t-elle,leslèvrespincées.Maisdois-jeterappelerquejeconnais

desgens,quieux…

Elleinclinelatêtel’airfaussementhorrifiéeparcedontses«connaissances»sontcapables,faisantbalancerlescoreànouveaupourelle.

–Regardez-moiunpeuça.GaspardMaréchalquiperdsesmoyens!Nemedispasquetuesamoureuxdecettegamine!semoque-t-elledeplusbelle.Jesuissortiependantunanavectoietpasuneseulefoistun’asdaignémeporterplusd’intérêtqu’àunechaussettesale.Etlà…Jedoisavouerquec’estvraimentfascinantdevoircommequelquechosesansvaleurpeutêtreprécieuxauxyeuxdecertains.

Jetente,tantbienquemal,derestercalme.

–Nousavonsunmarché,Émilie.Jeprétendsêtreavectoi,jet’obtiensuneplacedanslahaute-sociétéet,enéchange,tumefourniscequejeveux.–Notremarchénepeutpastenirsitupassestesnuitsaveccettefille,contre-t-elleimmédiatement.Tu

saiscommemoiàquellevitessevontlescolportages!Etentrenous,nemeforcepasàluirévélercequejesaissurtoi.

Pendantlongtemps,jemesuisposélamêmequestionqueQuentin:est-ellederrièrelemeurtredemonpère ?Mon année àHambourgm’a cependant très vite apporté la réponse lorsque j’ai appris qu’elleavaitmisaumondesonenfant,sansquecelui-cisoitaucourant.UnefemmeambitieusecommeÉmilien’auraitjamaisputuercequ’elleconsidéraitcommesongagne-painàlongterme.Vivant,monpèreluiaurait versé une pension alimentaire faramineuse, qui lui aurait permis de vivre dans le luxe qu’elleconvoite depuis toujours.Mort, elle se retrouve démunie, sans un sou, et avec la honte d’être tombéeenceinte,avantlemariage,d’unhommequiavaitl’âged’êtresonpèreet,quiplusest,étaitveuf.

–N’oublie pas que, sansmoi, tout ça, tu ne ferais qu’en rêver depuis ton studio deHambourg, luirappelé-jeendésignantlasuited’ungestedelamain.

Cyrus choisit ce moment pour pousser un hurlement de caprice dans la chambre de sa mère. Saprestation ne se déroulant plus comme elle l’avait imaginée, Émilie lève les yeux au ciel, tourne lestalonsetparts’occuperdesonfils.

MonportablevibredansmapocheetjesourisaumessageenthousiastequeStéphaniem’aenvoyé,etquimeconforteencoredansmadécision.Elleestheureuseencemomentmaisfragile.Jenepeuxpaslalaisserfaireunerechute.Quandelleseraprête,ellesaurapourCyrus.

UndeuxièmeSMSapparaîtsurl’écran.Àsalecture,jepaniqueetsorsretrouversonémetteur.Quentinm’attenddéjàdanslerestaurantdel’hôtel.Assisaucomptoir,fidèleàsavesteencuir,sonjeanetdesbaskets,ilasouslecoudeunegrandeenveloppeenpapierkraftquicontientlaraisondemavenue.

–Jeviensdeliretonmessage...

Samajestélèvesonindexàmonattention,meréclamantuneminute.

–Vousn’avezpasdefrites?demande-t-ild’untonbourruauserveurderrièrelebar.– Euh… s’éternise le jeune homme au visage rempli de boutons. Non, monsieur. Uniquement sur

demandedesclients,semble-t-ilrépétersaleçon.Maisilesthuitheuresdumatin,monsieur.

Ilfroncelessourcils,hésitantentreuneblaguematinaleoulafoliedemonavocat.

–C’estmaître,enréalité,lecorrigeQuentin,unsourirearrogantauxlèvres.

Les joues du serveur deviennent écarlates et ses doigts s’immobilisent autour du verre de vin qu’ilessuie.

–Pardon,monsieur…Maître,rectifie-t-ilimmédiatement.C’estjustequelesstockssontcomptésetlespommesdeterresontréservéesausautéde…–Intéressant,lecoupeQuentin,pensif.Voussavezqu’envertududroitdesconsommateurs,sectiondes

cafés,hôtels,restaurants,ledroitdebouchonm’autoriseàconsommersurplacedesproduitsprovenantdel’établissement,et…–Quentin,intervins-je,agacéparsoncaprice.Jecroisquetuasquelquechosepourmoi.–Ah,oui.

Ilsedétourneetglissel’enveloppeversmoienjetantunregardenbiaisauserveur.

–Moncompte-renduconcernantlaqualitédeserviceetdeprestationconcernantleGeorgeV.Jepensequ’onvafermerleurrestaurantpournon-respectdeservitude.

Sa plaisanterie fait mouche et le serveur dépose brusquement son verre sur le comptoir avant dedéguerpirenmoinsdedeuxverslescuisines.

–Qu’est-cequ’ilne fautpas faire,denos jours,pouravoirdes frites,badine l’avocat avecunclind’œilamusé.

Ses yeux dévient sur l’enveloppe et le sérieux qui les voilem’amène àme comporter de lamêmefaçon.Jelasaisisetéparpillelecontenusurlecomptoirverni:desphotosd’hommes,del’accident,etdesnotesentoutgenre.Latotalitédecesdocumentsm’embrouillentlecerveau.SiQuentinestlà,c’estqu’ildoityavoirunrapportaveclamortdemonpère,maisjen’ycomprendsrien.

–Qu’est-ceque…C’estquoi?l’agressé-jemalgrémoi.–Legarsquetuvois-là,Gaspard,c’estlepiloteattitrédel’aviondetonpèrequandilétaitaulycée,à

l’aéroclub,àl’écoledepilotage…

Ilpointedudoigtchaquephotoetmedemande:

–Tuneremarquespasquelquechose?

Je secoue la têteavecénervementet frustration.Cen’estpas sur lepilotemortqu’il faut travailler,maissurlecomptableassassinéjusteaprèscettehistoire.

–Tunevoispas?Bon,jet’aide…–Quentin!hurlé-je.

Ilprendçapourunjeu,moipas.

–Excuse-moi.Ilsecalme,s’éclaircitlavoixetreprend.Ilétaitàl’écoledepilotagedeSaint-Cyr.Là-bas, ilyaun ritedepassagequi faitpartiedubizutage.Celane figure jamaisdans lesdossiers,bienentendu, mais ce rite consiste en un marquage que les camarades se font entre eux juste avant leurdiplôme:leTaMoko.–LestatouagesMaorie?–Exactement!affirmemonami.Àl’aided’unmailletetd’uneaiguilleacérée.Unetechniquequiest

considéréecommedouloureuse,tut’imaginesbien.Enfinbref,silepilotedetonpèreavaitcetatouage,iln’aétéretrouvésuraucunmembredescorpsaprèsl’accident.

Jesourcilleetessaietantbienquemaldecontrôlermarespirationetmesémotions.

–Cequiveutsûrementdireque l’hommequipilotait l’avioncesoir-làn’étaitpas l’employéde tonpère,Gaspard.–Quipilotaitalors?

Jenereconnaispasmavoixquandjeposecettequestion.Jenereconnaismêmepasmoncorps.J’ail’impressiond’avoirétédépossédédetousmessens.MatêtetourneetjefixeétrangementQuentin.

–Quelqu’undefacilementmanipulableetd’assezfoupourfaireplongerunavion.–Unkamikaze?grimacé-je.

Quentinm’observeaveccompassion:

–Prendsunhomme,persuade-lequesesconvictionssontlesbonnesettuobtiendrastoutcequetuveuxdelui.Maiscen’estpastout,Gaspard.Chaqueéchantillond’ADNaétééchangéaveclepilotedetonpère.C’estunemiseenscène!Lepiloteesttoujoursvivant!s’exclame-t-il.

Jejaugelesphotosdansmesmains:cethommepeut-ilnousapporterlavérité?

–Alorsc’est luiqui a l’argentqui adisparudeMaréchalCommunity? Il a étépayépourdéserter,murmuré-je.–Mieuxqueça,beaugosse.Ilsaitcequis’estpassécettenuit-là.

Quentinmepressel’épauleetmapoitrinedégageunintensesouffleaugoûtde…d’espoir.

–Gaspard,onvacoffrerlemeurtrierdetonpère.

33.Lebontir

GASPARD

– «MaréchalCommunity est une communauté avant tout.Et cette communauté, c’est vous. Sans leseffortsdechacun,nousneserionspaslepremiergroupefrançaisdemédias.Alorsnerelâchezrien.Carc’estenforgeantqu’ondevientforgerons,etça,voussavezlefaire.Parcequel’unionfaitnotreforce,maissurtoutnotrechiffre.»–çac’estuneplaisanterie,hein–«Continuezainsi.Merci.»

Fafaapplauditvigoureusementdansl’habitacledelaberlined’escortequinousconduitàlaréception.Dansunejolierobedesoiréequin’estnitropvulgaire,nitropreligieuse,masœurestravissante.

–Quoi?medemande-t-elleenmevoyantlafixer.

J’esquisseunsourireembarrasséetsecouelatête.

– Rien. Tu ressembles beaucoup à maman comme ça, en tenue de gala. Je suis heureux d’être toncavalier,cesoir.Etpasce«Charlie-de-mes-fesses».

Ellelèveimmédiatementlesyeuxauciel.J’aiconsciencequej’aibrisélamagiedenotrecomplicitéeninsultantsonami,maisc’étaitplusfortquemoi.

–Nousnesommespasdesbêtes,ronchonne-t-elle.Vousn’avezpasbesoindejoueraumâledominantdelameute,c’estpathétique.

Présentéainsi,jenepeuxluijeterlapierre.Seulement,c’estdansl’instinctmasculindevouloirêtreaucentredumondedesfemmes,quisontaucentredunôtre.Nousrestonssilencieuxquelquesinstants.Jemeconcentresurmesfichesquandmonportablevibre.

Quentin : [Travaille surnotreaffairecesoir.Désolédenepasvenirmais…une fête sans frites,cen’estclairementpasunefête.]

Amusé,jeréplique:

[«Unefêtesansfritescen’estclairementpasunefête»,selonquelamendementMaîtreGesbert?]

Quentin:[Lemien;)]

Moi:[J’enprendssoigneusementnote!]

Jecommencevraimentàappréciercethomme,malgrésesexcentricités.

–Pourquoin’as-tupasinvitéDylan?chercheàsavoirmasœur.

Meslèvresseretroussentausouvenirdemademandeosée.Dylanarefusé,commejem’yattendais.Maisjesuisnéanmoinsparvenuàsemerletroubledanssajoliepetitetête.Moninvitationl’amèneraàs’interrogersurmesintentionset,mêmesijeconçoislesadismedemesactes,jecontinueraiàoccupersonesprit.

– Je l’ai fait. Elle est encore en colère contre moi, soupiré-je.Mais je comprends. Et puis, tu esbeaucoupplusbelleàmonbrasqu’elle,ajouté-jeavecunclind’œil.

Fafapartdansunrirefranc,pasdutoutconvaincue,etlalégèretédecetinstantmeprocureunbienfou.Ellejoueaveclaceinturedesonsiègeetoseenfinaborderlesujetquiluipèsesurlecœur:

–Qu’est-cequ’Émiliereprésentepourtoi,Sap?

Mesdoigtsserrentlesfichesencartonsdemondiscours.Jelesrangedanslapocheintérieuredemonsmokingetjesenslesbattementsdemoncœur.J’avaleuneboufféed’airpur,commepourmelaverdel’horreurqu’estcettefemme,maisquejesupportepourlebiendeCyrus.

–Lafamilled’Émilieaconnuunerichessefulgurante,ilyaquinzeans.Samèrealancéunechaînedecosmétiquequin’apassurésisterfaceàlacriseet,enpeudetemps,ilsonttoutperdu.Ilsontplacétousleursespoirsd’unemeilleurevieenÉmilie, en luipayantuneéducationbienau-delàde leursmoyensmaisassezprivilégiéepourqu’ellepuissefréquenterleplushautgratindeParis.–Commentpouvaient-ilspayers’ilsétaientsanslesous?–Jen’ai jamais réellement sumais ilyavaitdenombreuses rumeurs,quidisaientque lesquelques

boutiquesencorevivantesdelamèred’Émilieabritaientdesaffairesillégales.–Commedu…blanchimentd’argent?grimacemapetitesœur.–Ça et bien des choses dont il ne fallait pas semêler. Enfin bref, Émilie est rentrée en Sciences-

Politiquesquelquesannéesaprèsmoi.Nousfréquentionslesmêmesamis,lesmêmessoirées.Unenuitoùelleavaittropbu,jel’airamenéeàlamaison.Lelendemainmatin,jel’airetrouvéeentraindediscuteravecPaul-Antoinecommesielleavaittoujoursfaitpartiedelafamille.J’avais24ans,uneenvied’êtreaussiparfaitquepapa,etj’aivuenÉmilielafemmeidéale.Alors,souslesfortesrecommandationsdenotreoncle,noussommessortisensemble,poursuis-je,amer.C’étaitparfait.EllemelaissaitrespireretjeluiservaisdeCV.

LespetitesmainsdeStéphanies’enroulentautourdemonbraspourmemontrersonsoutien.

–L’as-tuaimée?

Jesecouenégativementlatête,sanshésitation.

Lavoitures’arrêtefinalementdevantl’hôtelparticulieroùalieul’événement.Letravaileffectuéparl’équipe événementiel est sensationnel. Le décor aux couleurs pastel mélange l’extravagance etl’élégancequiconstituentMaréchalCommunity.Àencroirelesfunambules,lesjongleursetlescracheursdefeu, lecirqueest le thèmeprincipalde lasoirée.Tous lescollaborateursetemployésdusiègesontprésentset,àenjugerparl’émerveillementquejelissurleurvisage,c’estunesoiréeréussied’avance.

Comme le plan prévu par Davina le prévoit, ma tournée démarre avec Elizabeth, qui est dans untailleur très chic. Les photographes immortalisent chacun de mes instants, sous la direction d’uneCélimènesurexcitéecarelleestauxcommandesdesfestivités.

–Certainsjournalistescherchentàsavoirsivousallezleurprésenterunepetite-amiedanslasoirée,m’informel’assistantedeDavina.Jeleuraisignaléqu’iln’yavaitpersonne.

J’acquiesce, en accord avec cette proposition. Jusqu’à ce que, dans la foule, je l’aperçoive. Ellegrimaceentournantetretournantunamuse-bouchedanssesdoigts,fermeunœilpourmieuxl’analyser,puissejetteàl’eauetlefourredanssabouchedélicieuse.Sonregardaccrochelemienparhasardetlemondeentrenouss’écartepourmepermettredel’observer.

Elleporteunerobebustierpourpre,entulleetbrodéedeperles.Ledevantdelajupeluiarriveauxgenouxtandisquel’arrièretombejusqu’ausol.Pourlapremièrefois,sacrinièresauvageestdomptéeenun chignon enroulé. Elle est éblouissante. Ses yeux me réprimandent silencieusement, m’ordonnentd’arrêtermonexpertisecharnelle.

Malionne.Mapépite.

***

DYLAN

Dansleboudoirquinousaétéattribué, lesouriredeCélimènes’étenddumurdegaucheàceluidedroiteet,avectoutelagrâced’unehôtessedel’air,ellenousannonce:

–Jesuisdésolée,maisvousavezmalheureusementétéreprogrammés.–Reprogrammés?articuleParisse.–Oui.Encinquièmepartiedesoirée.

Sous-entendu : «Vous ne passerez pas tant que je suis aux commandes. » Pour avoir bossé sur cetévènement,jen’aiaucunedifficultéàplacerlacinquièmepartiedelasoirée.C’estcellejusteavantlafermeturedesportes.

–Vousn’avezpasuntrouunpeuavant?tentedesavoirMaya.

Célimènefaitlamoueenvérifiantleplanningsursatablette.

–Hum,pasvraiment,minaude-t-elle.–Jesuiscertainquesi,lanceCharlieavecsonsouriredetombeur.

Charlie,coursdeS.V.T.aucollège,classede5e:onnepeutpasfairefondreunepierre.

–Jepeuxpeut-êtrevousavoiruncréneauenfindequatrièmepartie,lâche-t-elle,loind’êtretouchéeparnotredétresse.Maisjenevousprometsrien.

La quatrième partie de la soirée : celle où toutes les cibles principales, les personnes les plusimportantes,disparaissentpourserendreaux«after»privés.

–Commec’estprévenantdetapart,Célimène,marmonné-jeenm’imaginantluiarracherlatêteàmainsnues.

Ellehausselesépaulesetsort.

–Quellepétasse,celle-là!s’exclameParisse,unefoismonanciennecollèguepartie.–Jesuisdésoléelesgars,soupiré-jeenposantmesfessesprèsdemonétuiàguitare.Ellesevengede

moiàtraversvous,c’estvraimentnaze.–Tupeux l’être, s’énerveMaya.MajorMusicvanousdémonter, c’était uneopportunité enor et, à

causedetoi,elleestfichue!Moi,jemecasse!

Notrechanteuseattrapesonsacetpartsansnouslaisserletempsd’endiscuter.

–Quivotepourqu’onl’éjecte?demandeParisseenlevantd’avancelamain.Jesuissérieuse.Avant,legroupe,c’étaitnoustrois.Toiauchantetàlaguitare,Charlieàlabatterieetmoiausynthé.–Mayaaunevoixmagnifique,défends-jefaiblement.–Etalors?Toiaussi,intervientCharlied’untonbourru.

Mesdeuxamismeregardentenattendantmaréponse.J’aimeraispenserqu’ilsplaisantentmais,depuisletemps,jeparviensàfaireladifférenceentreleursblaguesetleurfranchise.

–Onnepeutpaslavirer!m’écrié-je.Elleasignéuncontrataveclelabel,pasavecnous.–MaîtreSexyditqu’onnepeutpaslavirer,maisqu’onpeutl’ameneràdémissionner.

MaîtreSexy?

Parissedoitvoirlegrospointinterrogationsurmonfront,puisqu’elleprécise:

–L’avocatdeton«chéri».

Je ne réagis pas à ses derniersmots, ne souhaitant pasme lancer dans un débat surGaspard avecParisse.

–Jenesaispas.Commentvoulez-vouslafairedémissionner?–Ehbien…chercheCharlie.Lesvraismusiciensn’abandonnentpaslascène,mêmes’ilsn’ontpasde

public.SioncommençaitparfairecettecinquièmepartiesansMaya,pourprouveràMajorqu’onn’apasbesoind’elle?

Parissetapedesmains,enthousiasméeparnotreplanmachiavélique.NouspassonsnotretempslibreencompagniedeStéphanie,quinousmontrelesgrossestêtesprésentescesoir.Ellenousracontepleind’anecdotes sur tout lemonde,mais je suis ailleurs, etmesyeuxn’ontde cessede chercherGaspard.Toujoursoccupé,iladopteàlaperfectionsonrôlededirecteur.Lesphotographessontaussifansdeluiquemeshormones.

–Tuvasfinirparavoiruntorticolis,metaquineunevoixquej’aidéjàentendue.

ÀlafoissurpriseetheureusededécouvrirJérémy,jemelèvedemachaiseetleprendsdansmesbras.Sessouriresm’ontmanqué.

–Est-cequejepeuxt’emprunterpourunedanse?–Situprometsdenepasmemarchersurlespieds,badiné-je.

Sonéclatderirefrancrésonneautourdenousetilnousamènesurlapistededanse.Unevingtainedecouplestournentenrond,aurythmedelamusiquedel’orchestresurscène.Jérémyetmoitrouvonsnotreplaceetnoustournoyonsànotretour.

–Alors,quedevientlabelleetrebelleDylanSavage?questionne-t-il.–ElleprépareunalbumchezMajorMusicet,normalement,elledevaitjouercesoir.Maisl’unedeses

mauvaisesrelationschezMaréchalCommunityl’enempêche!–Pourquoinetesers-tudoncpasdetesbonnesrelations,alors?

Lorsqu’ilsedésignedupouce,meslèvress’arrondissent.

–Tupourraisfaireça?m’étonné-je.

J’aienviedeluisauteraucoupourleremercier.Voilàpourquoiledestinm’amisesurlechemindecethomme.Jemereculepourluisourireet,dansmonélan,jemecogneàunautredanseur,quialeréflexedemeretenir.Quandjesenslesdoigtsposéssurmatailleetlachaleurdégagéeparceux-ci,jefrémisdelatêteauxpiedsetlesoufflememanque.

Pépito.

Jeveuxdire:Gaspard…

–Quipourraitfairequoi?

Nouséchangeonsunregardemplidedésir,oubliantlaprésencedeJérémy.

–Tum’accordescettedanse?

Gaspardmetendsagrandemainetilmefauttroisbonnesinspirationsafinderetrouverunsemblantdebonesprit.

–Non,merci.

MaisGaspardl’entendautrement.SongrandcorpsélancéseglisseentreJérémyetmoiet,telunfélin,ils’emparedemoi,saproiesubjuguéeparsaproximité.

–Tuestrèsbelle,Dylan.–Jesais,réponds-je.

Saboucheinsolentesetorddansunsouriremalicieuxetilchuchote:

– Je n’aime pas les regards que tu provoques sur ton passage, par contre. Il va falloir que noustrouvionsuncompromisàcela.

Luietsesbellesparoles.Ilm’aeueunefois,pasdeux.

–«Nous»n’existepas,Gaspard.Parceque«toi»aunenfantetune…Qu’est-cequ’elleestpourtoid’abord?Tacopine?Tonamante?

Ilmefaittaireenpressantsamainenbasdemondospourmecollercontreluietsonpantalontenduparsonérection.Lachaleurexploseenmoi,selogeentremesjambesetjeretienssifortlegémissementquimonte enmoi, que je crains de perdre connaissance. Samain tord lamienne et il l’amène à sonvisage,déposantuntendre«mord-bisous»surl’osdemonpetitdoigt.

–Ellen’estpas toi, répond-il enplantant sesyeuxbleusdans lesmiens, sonsoufflebrûlant surmamainhérissantchaquepoilquirecouvremapeau.

C’est commeunélectrochoc. Je reculepournepas exploserdans sesbras et c’est le trounoir.Leslumièresdelasoirées’éteignentbrusquement,commesiledisjoncteuravaitpété.Lesinvitésmanifestentleursurprise,maispasmoi.Règleprimordialeenévénementiel:pournepascréeruneffetdepanique,ilnefautjamaiséteindrecomplètementlalumière.Celaauraitpuêtreunepannedecourant,siseulementiln’yavaitpaseucescoupsdefeutirés,leshurlementsetlapaniquegénérale,etceliquidechaudàl’odeurdégoutanteserépandantsurmoi…

34.Élémentdéclencheur

GASPARD

Leslumièresfinissentparêtrerallumées.Lesinvitéslâchentdessoupirsdesoulagementet,par-dessuslescraintes,unevoixquejereconnaiscommecelledeCélimènedanslemicrodemandeàtousdenepass’agiter.Maislestirsqu’ilsontentenduslespoussentàcourirdanstouslessens.Unemainm’agrippelebraset je tombenezànezavecStéphanie.Mesmainspassentsursonvisagechaudet jeconstateavecbonheurqu’ellen’arien.

–Dylan!

Dansunétatdepaniquequejen’aijamaisressentijusqu’àprésent,j’avanceverscellequejetenaisdansmesbrasquelquesinstantsplustôt.Lesangalittéralementquittésonvisage,pourvenirselogersursarobedeprincesse.

Seigneur,non!

Ilsont tirésurelle.Non.Elleauraitdûresterdansmesbras,maisellea reculéet ils l’ont touchée.Commesiledestinavaitdécidédesonsort.J’auraisdûlatenirplusfortcontremoi.

Stéphanieetmoilarejoignonssansnoussoucieruninstantquelestireurspuissentêtreencorelà.

–Dylan,oùas-tumal?

J’arrive juste au moment où ses jambes lâchent prise et que son corps s’effondre. Elle trembleviolemmentetjelamaintiensfortentâtantsarobeimbibéedesang.

–Dylan?Parle-moimagrande,lasupplié-je.Disquelquechose!

Jenepeuxpas laperdre !Pasmaintenant,pascommeça ! J’ai tellementdechosesà luidire,à luimontrer,àluiprouver.Toutétaitcensérevenirenordreentrenous.Pitié,monDieu,preneztoutcequevousdésirez,maispaslaviedecettefemme.Donnez-moiletempsdel’aimercommeellelemérite,delachériretdelaprotéger.

–C’estpasmoi,murmure-t-elled’unevoixfantomatique.C’esttononcle.

Jecessedelapalperetsuissonregard.Stéphanieetmoipivotonspourvoirqu’auxpiedsd’unetable,lecorpsdePaul-Antoinegît.

–C’esttononcle,répèteDylanetjecomprendsquetoutcequ’elleareçu,c’estlesangdecedernier.

Masœurseprécipiteàsescôtéset je suisparalysépar l’indécision.Dansma tête, toutexplose, seconfondetseréduit.Dois-jevenirenaideàl’hommequiatuémonpère?Oulelaisseragoniserdanslasouffrance?Laraisonl’emportesur lessentimentset jemerapprochedemononcle.Sesyeuxouvertsm’indiquentqu’il est toujoursvivant.Lamain sur sachemiseblanchedevenue rouge, il luttecontre ladouleurqueluiprocurentlesballes.Ilm’aperçoittrèsvite,metireparlamancheetlesseulsmotsquisortentdesaboucheparviennentàsemerlapagailledanstoutecettehistoire.

–Qu’as-tufait?***

DYLAN

Legendarmelaissepasserungrouped’infirmiersetdedocteurs,etrépèteaumoinspourlacentièmefoissaquestion:

–Ilvousaagrippée,vousademandédel’aider,etc’esttout?

Sesyeuxplissésnesemblentpascroireunmotdecequejeraconte.Maisjesaisquec’estunairqu’ilsedonnepourmetroubleretmefaireavouercequejenesaispas.

–Vouscroyezquoi?l’agresseParisse,assiseàmescôtésdanslescouloirsdel’hôpital.Qu’elleestunenostalgiqued’Halloweenetqu’ellesebaladeavecdusangsurellepourfairebeau?–Jenecroisrien,mademoiselle.J’essaiejustederassemblerlestémoignages.

Parisseesttellementremontéequesesongless’enfoncentdansmamain.Elleestdugenrepacifiquequidétestelesarmesmais,lorsqu’illefaut,elleprônelaviolenceverbaleplusqu’autrechose.

–MonsieurMaréchalnevousarienditdeplusquandilvousaagrippée?

Jecherche,maisc’estbientropconfus.Durantl’attaqueetlesquelquessecondesdanslenoir,j’étaisenapnée.Etquandlescoupsdefeuontpercél’espace,jenepensaisàriend’autrequ’àGaspard–mêmequandsononcles’estaccrochéàmoi.Jecroismêmeavoirmurmurésonnomjusqu’àcequeleslumièresserallumentetquejelevois.

–Dylan,nedispasunmotdeplus,intervientGaspardenrangeantsontéléphonedanssapoche.

Ilseplanteàcôtédemoietfaitbarrageaugendarme.

–Jecroisquevousaveztoutcequ’ilvousfautpourcesoir.Sivousvoulezànouveaul’interroger,ilvousfaudrapasserparsonavocatenpremier.

Legendarmenecillepas,cependant,ilfinitparrefermersoncalepinet,surunmouvementdetêtedelapartdeGaspard,unhommeencostards’approchedenous.

– Escortez l’inspecteur Betan jusqu’à la sortie, s’il vous plaît. Et restreignez l’accès à ce couloir.Seulementlafamilleetlesproches.

Jenequittepasduregardl’inspecteur,quis’envaavecl’hommeàlacarrureimposante.Ungardeducorps?Biensûr,c’estévident:onatirésurunMaréchal,leursécuritéestenjeu.

–Tuvasbien?medemandeGaspard.

Je regardesesmainsavec l’enviemuettedesentir leurchaleurhumainesurmoi.Maisellesdoiventêtrefroides,autantquelemurdepierrequeGaspardestentraind’ériger.Cen’estpasdemoiqu’ilfauts’inquiéter.Sononcleestactuellementdansunblocopératoireavecdeuxballesdansl’abdomenetiln’apasdémontréuneoncedesentiment.Exceptéquand,enarrivantici,j’aifrissonnéd’horreuretqu’ilm’apassésaveste.

–Jevaisbien.Mais…

Il ne me laisse pas finir, tourne les talons et replonge dans son activité. Il jongle entre appelstéléphoniquesetmails,s’engouffrantpetitàpetitdanssaforteresse,quenulnepeutpénétrer.

StéphanieréapparaîtencompagniedeCharlieetnousapprendquesagrand-mèreseralàdemain,àlapremièreheure.Parisseessaiederemonterlemoraldenotrelucioleàl’aidedeCharlie.Nousrestonsicipendantdesheuresquand,finalement,ledocteurprendGaspardàpartpourluiparler.Lesbrascroisés,ilécouteattentivementcequ’onluiannonce.Ilnelaisseaucunsentimentparaître.Parconséquent,Stéphsemetàpaniquer.Alorsilrevientversnouset,telunautomate,répètemotpourmotcequelemédecinluiaappris.

–Çaveut…çaveutdirequoi?s’alarmesasœur.– Il est stable,mais il nous est conseillé de le laisser se reposer. Quand il se réveillera, ils nous

tiendrontaucourant.Jevousaiappeléunevoiture,enchaîne-t-il.Stéphanie,tu…

Sasœurselèvebrusquementetlecoupefroidement:

–Jet’enprie,Gaspard.Neprétendspast’inquiéterpourquiquecesoit.Encoremoinspourmoi.Je

passerailanuitchezlesparentsdeParisse.

Luitournantledos,ellequittelecouloir,suiviedenotremeilleureamie.Charlieselèveàsontouretpartm’attendreauboutducouloir.J’essaiededécouvrircequeGasparddissimule.Quelest l’élémentdéclencheurquiabienputransformerl’hommeaimantenunrocimpénétrable?

Sonregardrencontrelemien,parcourtmarobesalieparlesangdesononcleetjelislatristessedanssesyeuxavantqu’ilnesedétourneetvideleslieuxdesaprésence.

–Dy,m’appelleCharlie.

Ilme tendsonbraset j’abandonne toute idéed’apportermonaideàquelqu’unquine ladésirepas.Charlie me prend contre lui et nous prenons l’ascenseur avec Stéphanie et Parisse. À l’intérieur, lesilence règne. Nous avons tous l’esprit occupé par la fusillade, surtout ma luciole. Parisse tentemaladroitementderemonterlemoraldestroupes.

Lavoitured’escorteestlapremièreàmedéposer.Toutentapantmoncode,jeregardemesamiss’enaller.J’entreenvitessedansmonhallet,quandjefermelalourdeportederrièremoi,j’aperçoislecorpsimmobiled’unhommedanslarued’enface.Curieuse,jetentedelereconnaîtremaisilesttroploinetilfaittropsombrepourcela.Dèsqu’ilmeremarque,ils’enfuitàpasdegéant.Apeurée,jemeréfugiedansmonappartementetm’enfermeàdoubletour.

Maisàpeinelacléa-t-ellefinidetournerquelasonnetteretentit,accompagnéedecoupsbrutaux.

–Dylan.

Bordeldemerde!Jevaisletruciderpourlapeurqu’ilvientdem’infliger.Mesclésrefontlechemininversedanslaserrureetj’ouvrelaporte.Gaspardm’observedelatêteauxpiedset,pourlepunir,jelecogneaussifortquemoncœurbatdansmapoitrine.

–Bordeldemerde,Gaspard!Tum’asfaitpeur!

Jerespireprofondément,afindemecalmer.Malgrénosrécentsdifférends,saprésencemerassure.

–Tuétaistellementbelle,cesoir,Dylan.Tellementparfaite.

Ilsoupire,déchiréparlesmultiplesémotionsquejepeuxenfinliresursonbeauvisage.

–Tumurmuraismonprénomsanst’arrêter.Tupensaisd’abordàmoialorsque…Quandj’aivulesangsurtoi,j’ai…

Ilbaisselesyeuxsurlesangséchéet,ententantderefermerlavestesurmoi,jemerendscomptequejeportetoujourssonvêtement.

–J’aicrumourir.

L’élémentdéclencheur.

Jeretiensmarespirationetilm’observeensilence,quémandantuneréactionquelconquedemapart.

–Gaspard,susurré-je.

Je me dresse sur la pointe des pieds, l’attrape par les épaules et le ramène à l’intérieur de monappartement.Nosbouchesseretrouventsansdifficulté,etjemedélectedugoûtquilecaractérisesibien,oublianttoutdumonde,n’aspirantqu’àêtreaveclui–àlui.

–Douche,marmonné-jecontreseslèvres.Viensdansladouche,Pépito.

***

Unsourireheureuxsurlevisage,jeprendslesiendansmesmainsetlegratified’unbaiserlangoureux.Mes jambessontcourbaturéesquand il les relâcheavecdélicatesse,mespieds retrouvent le sol ;mesdoigts,sesabdos;sesmains,mesfesses,etillespresse,selesréapproprieetmeramèneenmêmetempscontresapeaubrûlante,commecespierreschaudespourlemassage.

L’eaucoulesurnos têtes,balaie lesmauvaisesondesde la soirée. Je lèvemonregardsursonbeauvisage,sestraitsdétendusd’après-baise,sescheveuxhumidesquiluitombentsurlefront,sesyeuxbleumer qui admirent toutes les courbes de mon corps, me rendant belle et sexy. Il remarque que je ledévisageetunrictusarrogantluidéformelabouche.Ilenroulesesbrasautourdemoi,metournedosàluietritàmonoreille.Sesmainsbaladeusesretrouventleurterraindejeu,sesdentsviennenttaquinermonoreille,salangue,monlobe,etilprofitedeladouceurdecemomentpourmedire:

–Aufait.Cyrusn’estpasmonfils.

35.Sauvage

GASPARD

Aprèslesexe,unefemmeestunrayondesoleilauxmultiplesfacettes,chaleureusesetcolorées.Ellepeut être douce, tendre, coquine, taquine…Ou bien, dans un tout autre registre, elle peut être commeDylan:meurtrière.

– Dis-moiquetuplaisantes !crie-t-elle.

Jesecouelatêtesanslaquitterdesyeux,dansl’espoirqu’elleylisemafranchise.

– Bordeldemerde,Gaspard !T’esvraiment tropcon !Commentas-tupumecacherça ?T’esqu’unenfoiré,putain !continue-t-elledehurler.

Ellemefoutsonpoingdansleshanchesetprofitedumomentoùjemelestienspours’échapperdeladouche.

Masœurn’avaitpas tort…Dylancognecommeunmec.Je ferme le robinetd’eau,enfileenvitessemon caleçon et retournedans le salon.Les lieux étant étroits, je n’ai aucunmal à trouverDylan.Elleporteundesestee-shirtsdemétal.Celui-cicolleàsapeauencorehumideetsesjoliespetitesfessessontàprésentcouvertesd’uneculotteendentellequimerendfou.

– Qu’est-cequetufais ?luidemandé-je,suspicieuxetsurmesgardes.

Sonsilenceetsesgrandsgestestraduisentsacolère.

– Je ne pouvais pas te le dire, soupiré-je. Émilieme trompait avecmon père. Juste avant qu’il nemeure,elleesttombéeenceinte.Paul-Antoineétaitbiensûraucourantdetoutel’affaire.Ilsavaitqu’ellesouhaitaitmettreuntermeàsagrossesse,maisilyavuunmoyend’éloignerlenomdemonpèredeMC,doncil l’aaidéefinancièrement.J’airéellementcruqu’ils’agissaitdemonfils,Dylan…MaisÉmilie,ayant vite compris qu’elle pourrait toucher plus,m’a avoué qu’il s’agit en fait demon petit frère. LedernierduclanMaréchal.

Ellecroiselesbras,trèscalme.Lafureuragitemoinssesmembres,maissonregardesttoujoursaussinoir.Lesentimentalnefonctionnepas…

– Jecomptaisteledire,maisÉmilieadanssonsacdesélémentscontremononcle,quimeserontutiles

pourreprendrel’entreprise.Etellem’amenacédenepasm’aidersitufaisaispartiedel’équation.

Sespaupièrespapillonnent.Jesembleavoirréussiàlatoucher.

– Etpourquoimel’avouerfinalement ?

La réponsemeparaît évidente après cequi nous est arrivé.Cependant, elle essaie deme tester, dedéterminersijeméritesaconfianceounon.

– Car,cesoir,lorsquecettefusilladeaeulieu…Jemesuisrenducomptequetoutcequej’entreprendspourrécupérermonhéritage,n’aaucuneimportancesitun’enfaispaspartie,Dylan.

Unlongsilencetombeentrenous.Jerésisteàl’enviedelaprendrecontremoietdeneplusjamaislalâcher.Dylan semble perdue.Elle tente de réfléchir, de remettre en contextemes aveux, d’établir sonproprejugement.Sonventresecreuse,elleresserresesbrasautourd’elleetsecouelégèrementlatête,serefusantdeplongerfacilement.Jeprendsunegrandeinspiration.Laragedontellefaitpreuve,l’assurancequiladéfinit,toutcelafaitd’elleunefemmeincroyableethorsducommun.Ellemerappellemamère,quinecédaitjamaisfaceauxplusgrandesdifficultés.

– Dylan…

Maréchal, enchaîné-je dans ma tête. Je ferme les yeux un court instant pour savourer la beauté etl’évidenceaveclaquellecesdeuxmotssonnent.Maislorsquejelesouvreànouveau,c’estpourrecevoirunoreillerenpleinetronche.

– Maisqu’est-cequiteprend ?m’écrié-je.

– Oh,pardon ! ironise-t-elle.Tues surpris,peut-être ?Sur lecul ?Complètementperdu ?Nonparcequeçavoudraitdirequ’aumoinstupartagesundixièmedemessentimentsactuels !

Sesbrassesoulèventetellejetteundeuxièmeoreiller.Jel’évitedejustesseetm’avanceverselle.Jem’emparede sa taille et labascule sur le lit pour l’immobiliser.Elleme foutuncoupdans les côtes,m’attrapelescheveuxettiredessusenpoussantungrognementcommelafemmesauvagequ’elleest.Sesonglesm’arrachentlapeau,sesgenouxs’enfoncentdansmachair,etellesedébatdumieuxqu’ellepeut,m’injuriantdetouteslesinsultesqu’elletrouveentrechaquemorsuresurlespartiesdemoncorpsquejene protège pas. Je la plaque sur le lit en grimaçant, emprisonne ses poignets au-dessus de sa tête etmaîtriseseshanchescontrelematelas.Ellerugit,remuesousmoiafindeselibérerdemonemprise,tentedescoupsdecrocsdanslevideetmanifestesacolèreentresesdentsserrées.

Putain,c’esttropsexy !

Malionneestderetouret,sachantquejelemériteamplement,jelalaissesedéfoulersurmoi,évacuersacolèreàsamanière.Unebonneminutedoits’écouleravantqu’ellen’arrêtedes’agiter,soncombatnemenantqu’àdeuxchoses :sonépuisementetmonérection.

– Fini ?

Ellegrogne,effectueunmouvementbrusqueetrevientau-dessus.Sespoignetsm’échappentdesmainsetelleenroulelessiennesautourdemagorge.Jesenssesonglesmegriffer, lamoiteurardentedesonsexequisefrottecontremaqueuedure.Elleestaussiexcitéequemoi.

– Laprochainefoisquetumemens,jet’arrachelescouilles,Gaspard.Àmainsnues.

Mêmesouslamenace,toutcequisortdecetteboucheanimeledésirquej’aipourelle.Ellelesent,relâchemon cou et écrase ses lèvres sur les miennes. Je remonte son tee-shirt sur ses hanches avecprécipitation.Jenepensequ’àlabaiser,fort,maisellen’estpasdumêmeavis.Ellereprendmesmainset les remonte brutalement au-dessus dema tête. Je n’ai jamais laissé de filles au-dessus et, pour lapremièrefois,jesuisdanstousmesétatsàl’idéequeDylanprennelescommandes.

– Malionne.

Ellemordsalèvre,agitedeplusenplusvitesonbassinpourprendresonplaisirtoutenm’endonnantun visuel que je n’ai jamais connu jusqu’à aujourd’hui. La pointe de ses seins tend son tee-shirt, seslèvresgonfléessontarrondiespar lessoupirsd’aisequ’elle lâche,etsaculotteestsimouilléequ’ellecolleàseslèvrescommeunesecondepeaudedentelle.Maqueuedurcitetellelatransformeenobjetdesonpropreplaisir.

– Redis-le,gémit-elleenposantsesmainssurmonventre.– Malionne.Malionneàmoi.

Ellegrogne,ondulelangoureusement,sesdoigtssecrispentsurmesabdominaux,sonregardvoiléparle désir disparaît derrière ses paupières et elle atteint le point de non-retour avec un cri vigoureux.Vibranteetchaude,elles’effondresurmontorse.Commej’aimel’avoircontremoi.Ellemetamponnededouxbaisersdanslecou,surlamâchoire,surlevisage.

– Tum’asmanqué,meconfie-t-elle.

Jepassemondoigtsurlestraitsdesonvisageadorableet,mesyeuxrivésauxsiens,luimurmure :« Toiaussi ».Sesjouesprennentunejolieteinterose,sesbaiserspoursuiventleurcheminverslesudetjemeprépareàpasserunexcellentmoment.

***

– Est-cequeStéphaniesait ?PourCyrus ?

LavoituredescendsousuntunneletlaradioquemonchauffeuraalluméeàlademandedeDylansebrouille.Sesmainsjouentaveclamienne,poséesursesgenoux,etellelèvesesyeuxdechatonversmoi.

– Non.Tupensesquejefaisuneerreur ?

Ellesecouelatêtepourdirenonpuisl’appuiesurmonépaule.Latempêteestpasséeet,àprésent,jesuisprêtàmenernotrehistoirejusqu’aubout.Finilesprisesderisques.

– Jecomprendstesréticences.Depuisquelquesmois,elleestheureuseet…

Ànouveau,sonregardtrouvelemienetellepressemamain.

– Cequetonpèreafaitaveccettepétassemerendmalade.– J’aitournélapage,luimurmuré-jeàl’oreille.

Ellefrémitetsoncorpss’emboîtecontrelemien,làoùestsaplace.NousnousarrêtonsencheminpourquejepuissetroquermesvêtementsdelaveillecontrequelquechosedepotableetjenotesoigneusementlesourireapprobateurdeDylanquandellemevoitdébarquerenjeansetvesteencuir.

Nousarrivonsenfinà l’hôpital,oùmononcle s’est réveilléquelquesheuresplus tôt. Jene suispasenchantédeleretrouvermaisFafaetgrand-mèreNinonsontàsonchevet,inquiètespourlui.Pourellesetnotrefamille,j’aidécidédeprendresurmoi,cequ’ilnefaudrapasoublierlejouroùlavéritééclatera.

Devantlachambre,lesmembreslesplusprochesdePaul-Antoineoccupentlesfauteuilsducouloir.

– OnclePaul-Antoinesouhaites’entreteniravectoi,m’informegrand-mèreNini.

JenouemesdoigtsàceuxdeDylan,refusantqu’ellem’échappeetpuisantdanslaforcequi l’habitepour affrontermon oncle. Nous entrons dans la chambre. C’est une démarche très solennelle, quimedonnel’impressionderencontrersamajestésursonlitdemort.

Àmagrandesurprise,Laurent,l’expetit-amietjournalistedepotinsestprésentluiaussi.Cethommeaulookdémentielatoujoursvouéunamoursansconditionàmononcle,malgrélefaitqu’iln’aitjamaisassuméleurrelation.Danslesilencedeslieux,jel’entendssangloter,latêteposéesurlebrasdePaul-Antoine. Ilsembledévasté,par l’étatde l’hommequ’ilaime,etcommemoiavecDylan, ils’est renducompteaveccetragiqueévènementqu’iln’étaitpluscapabledevivresansluiàsescôtés.

Àtraversuncoupd’œilinquiet,Dylanmedemandesinousneferionspasmieuxdeleslaisserseuls,

quand mon oncle nous remarque. Encore pâle à cause de ses blessures, il tourne la tête dans notredirectionettentedes’asseoirpoursedonnerunpeudecontenance.

– Gaspard,mesalueLaurentenselevant.

Toutcommegrand-mèreNinonetFafa, ilpasseenrevuemalionne.Ses lèvressontencoregonfléespourm’avoirsucéavecbientropd’enthousiasme,sescheveux,rassemblésenunequeuedecheval,sontbordéliques et elle porte encore son tee-shirt de la veille, par-dessus un leggings noir de running. Lelook-attitudequinecachepasquel’appeldel’hôpitalnousainterrompusenpleineaction.

– Laurent,réponds-jeenluiserrantlamain.VoiciDyla…– DylanSavage,sourit-il,lecontourdesesyeuxrouge.

Nousleregardonssanscomprendre.

– Venezavecmoi.Laissons-lesuninstant…

IlpasseunbrasautourdesépaulesdeDylan.Nosmainssedétachentetjelasuisduregardjusqu’àcequ’ellequittelachambreavecLaurent.

Jemedirigeensuiteversmononcle,marquantvolontairementunedistanceentrenous.

– Situavouesmaintenanttoncrime,jeteprometsdefaireensortequelajusticesoitclémenteaveclaprisonoùilsteplaceront.

Ilsecouelatêteenrigolant.

– Tuescommetonpère.Toujoursentraindefouinerlàoùilnefautpas,mecrache-t-il,amer.Tucroisêtreplusmalinquetoutlemonde ?– JecroissurtoutquetuesprêtàtoutpourgarderlatêtedeMaréchalCommunity,attaqué-je.Quitteà

tuertonproprefrère.

Ilneditrien,meregardelonguement.Ilneniemêmepas…Lacolèreaffluedansmonsang,vientseloger dansmes poings. Inconsciemment, je chercheDylan des yeux.Mon regard se pose sur elle, del’autrecôtéducouloiroùLaurentluiparle.Ellemefixe,mesourit,etcelasuffitàm’apaiser,àéteindrelaflammevindicativequibrûleenmoi.

– Une fusillade pour te débarrasser de moi… Heureusement, elle a échoué. Tu es tombé dans tonproprepiège.Celaprouvebienqu’ilyaunDieuquelquepart.– C’est pour cette raison-là que Stéphanie et toi avez quittésFlorenza ?murmure-t-il. Parce que tu

pensesquej’aituétonpère…

Sesprunellesaccrochentlevide.

– Qu’est-cequetuattendspourm’arrêteralors ?– Monavocatestentrainderassemblerlespreuves.– Quellespreuves ?– Le pilote de papa est vivant. Et bientôt, il témoignera contre tout ce qu’il sait sur toi. Tu devras

répondredetesactesettupaieraspourcecrime.

Ilserrelesdentsetmelanceunregardfurieux.

– Jen’aipastuéLéonard,pauvreimbécile !Maisceluiquiafaitça…

Ilmanifestesondegrédenervositéetdecolèreavecunriredespotique.

– Quandilapprendratoutcequetutrafiques…Iltetuera.Toi,moiettousceuxquetuaimes !

36.Bellematinée

DYLAN

Lesgrandsdoigts rugueuxet chaudsdeGaspardenveloppentmacheville et ilme tirevers luid’uncoupsec.Lesplisdudrapgriffentmondosetjelâcheunmarmonnementgrognon.

– Debout,lamarmotte,murmure-t-ilensepenchantau-dessusdemoi.

Son souffle frais et mentholé caresse mes lèvres et j’ouvre les paupières pour regarder mon belamant.Ilporteuncostardnoirquitombemerveilleusementbiensursoncorpsélancéetmusclé.Dieu,qu’ilestsexy,ethorriblementsexuel.

– Jemesuislevéeàsixheures,maisturonflaisalorsjemesuisrecouchée.Etmaintenanttum’embêtes,râlé-jeenluibalançantmonpied.

Il a le réflexede s’emparer dema cheville et de la bloquer.Profitant demon centièmede seconded’arrêt, il faitmontermonpied sur sabraguette et enplusde sentir les coutures de sonpantalon, unebossedureseformesousmesorteils.

Seigneur,cethommeestunemachine !Ilveutmamort.Commentfait-ilpourêtreparéàtoutmoment,etaussivite ?

– Jevousembête,missSavage ?

Pasdutout.Jepensemêmequejevaisdevenirfandesmatinéesavecmondirecteurpréféré.

– Oui,minaudé-je.

Sansmeprévenir,ilm’attrapeparlatailleetmetournesurleventre.Sesdoigtschaudsglissentsousmontee-shirtpourleretrousserautourdemataille.L’airfraisquientreparmafenêtrefrôlemapeaunueet,quelquessecondesplustard,cesontseslèvresbrûlantesquimeréchauffent.

Maintenant,jesuiscomplètementéveillée.

– Peut-être que je devrais te laisser dormir encore… susurre-t-il contre la courbe de mes fesses.Qu’est-cequetuendis ?

Ilsouffledufeuentremescuissesetjemetordssurlematelas,serrantledrapentremesmains.Monpoulstambourine,l’anticipationprogressivemenouelebas-ventre.Nepaslevoir,nepascontrôler,maislesentiretressentir :c’estunesensationtellementdifférente, tellementplaisante.C’estcommesejeterdanslevideenattendantqu’unepersonnedeconfiancenousrattrape.

– Jen’entendspastaréponse,Pépita.

Sa langueglisse le longde l’intérieur dema cuisse, dressant les poils surmapeau.Monbassin sesoulèvepourquémanderetilleplaquebrutalementcontrelematelas,enfonçantsesdoigtsdansmachair.Mon souffle saccadé se coupe sous l’effet de la surprise et jem’embrase. J’aimequand il prendmoncontrôleetperdlesienaumomentoùjem’yattendslemoins,quandsondésirdetorturerlemienestplusfortquetout.

– Nebougepas,m’ordonne-t-ild’unevoixautoritaireetdélicieusementsensuelle.

Mes cuisses se referment automatiquement en réponse, avides de ce qu’il va m’offrir. Sa mainm’emprisonnelespoignetsdansledosetilmemord,melèche,mepétritlesfesses,s’amuseàmerendrefolle. Il resserre mes poignets l’un contre l’autre, et sa langue fond en moi. Sa bouche, douce etimpatiente,medévore.J’ail’impressionquemoncœurestdirectementreliéaupointaveclequeliljoue,queluiaussivaexplosersousl’expertisedecemusclequ’ilmanieavecbrio.Jetermineparpousserunlonggémissement.

– C’estça…Laisse-moit’entendre.

Sesdoigtsremplacenttrèsvitesaboucheetjeparsàladérive.Monuniversserecentresurcequ’ilm’inflige.Toutestbalayé,moncerveauestenébullition,moncorpsn’estquelaveetplaisir.Jerésisteaussilongtempsquejepeuxmais,quandiltouchecettezonesensibleauplusprofonddemoiduboutdesdoigts,qu’ilcomprendqu’iltientmonsalutetqu’ilnelequitteplus.Jememetsàjouirsifortquemonmondeen tremble.Sesaller-retours’interrompentet j’étouffeuncridefrustrationcontre lematelas. Ilsuçotelonguementchacunedemesfesses,grognecommeunhommedescavernes,etreplongesesdoigtsde maestro en moi. Le cognement dans ma poitrine reprend de plus belle et la pression remontesoudainement. Encore et encore. Le lit se creuse des deux côtés de mes cuisses, il s’est mis àcalifourchon.Iltiresurmesbrasetaccélèrelerythme.Jem’envoleloin,haut,planedansunautreuniversoùleplaisirestmotd’ordre.Mesdentsattrapentledrap,jemedébatsencorequelquessecondesetc’estl’explosiondanstoutesabrutalité.

Satisfaitparsaprouesse,GaspardlibèremesbraslelongdemoncorpsetjeredescendslentementsurTerre.Ils’étaleàcôtédemoi,enappuiesuruncoude.Ilarboreunsourirearrogantalorsqu’ilsucesesdoigtsdemagiciendusexe.

– TueslepremieràavoiratteintmonpointG,murmuré-je,encoreessoufflée.– Àtonavis,pourquoilenomme-t-onlepoint« G » ?

Jem’esclaffe haut et fort etme décale pourme blottir dans ses bras. Ses doigts passent dansmescheveuxetjejoueaveclecoldesachemise.

– Tuesobligéd’allertravailler ?– Paul-Antoine est à l’hôpital et il m’a désigné en tant que remplaçant, marmonne-t-il en remuant

l’épaulesurlaquellejenereposepas.

Jesenslacolèremonterenlui.Ausortirdelachambredesononcleilyadeuxjours,quelquechoseenlui s’est métamorphosée. Comme s’il avait pris conscience d’un danger inconnu de tous, qu’il allaitdevoir assumerdans lesheuresàvenir, etqu’iln’étaitpasdu toutpréparépourça. Je suispersuadéequ’ilenestcapable,mais jemedemandesimplementsic’estcequ’il souhaite réellementoubiens’ils’agitd’undevoirfamilialqu’ils’estmisentêted’accomplir.

– Tuvasgérer.– Jevaisgérer,répète-t-ilensourianttimidement,apparemmentpeuhabituéàcetteexpression.

Jegrimpesurlui,croisemesbrassursontorseetleregardecurieusement.Ilnemontreaucunsignedefaiblesse.C’estunmurdepierrequicroittoujoursquesonsilenceestd’or.Noussommesdeuxopposéssurcepoint.Alorsque j’ai tendanceà toutextérioriser–etsouventsousformede tornade–,Gaspardgardetoutpourlui.

– Ilfautquej’yaille,Pépita.

Jeleretiensalorsqu’ilessaiedeselever.

– Encorecinqpetitesminutes.Ettudemanderasàtonchauffeurdegrugerparlesvoiesdebus.

Iléclated’unrirefranc.

– T’esunesacréecoquine,toi.

Jeglousseetenfouismatêtedanssoncou.Ilm’enveloppedesesgrandsbrasetpressematêtecontrelui,massantmoncuir chevelu et fourrant sonnezdansmes cheveux.Nous restonsdurant lesquelquesminutes que j’ai demandé dans un silence paisible et appréciable. Mes paupières s’alourdissent etj’entends :

– Qu’est-cequemarockeusepréféréefaitdesesjournées ?– Lagrassematinée,plaisanté-jeavantd’énumérermonnouveauquotidien.Jecomposeaveclegroupe.

Onécritavecnotreparolier.Ontravailleetretravaillelespistes…

– Lespistes ?m’interrompt-il.Qu’est-cequec’est ?

Jetripotelesboutonsdesachemiseetluiexpliquequ’unenregistrementdemusiquenesortpastoutbeau,toutparfait,commeunbébé.

– Ilfautquechaqueélémentsoitenregistréenfonctiondescinq« A »,dis-jeavantdeleversesdoigts :aparté, amélioré, approfondi, arrangé et ajusté. Ensuite, Thibault s’occupe des différentes pistes pouréqualiser,mettrede l’écho,duflanger…Chaquedétailason importanceetdoitêtre« passéaupeignefin »,commeThibaultaimeledire.Çavadessilencesauxnoteslespluslointaines.Ilfinitparmettrelespisteslesunessurlesautrespourqu’aufinall’ensemblesoitparfait,conclus-jeenregardantnosmainsemboîtéesl’unedansl’autre.

Gaspardsuitmonregardetcomprendquemesderniersmotsneconcernentpluslamusique.Nosyeuxsecroisent,s’accrochentunlongmomentet,endeuxmillièmesdeseconde,ilmefaitbasculersurledosetsalangue force le passage de ma bouche. Il m’embrasse durement, sauvagement, pour me marquer, maissurtoutpourmepunirdelaseulechosequ’ilaretenuesurtoutemonexplication.

– QuiestThibault ?

Jefixelecontourdeseslèvres,rougiesparnosbaisers,etsesyeuxbleus.Àlalumièredujour,ilssontcommelamerausoleil.Écailléspardesrefletsblancsetnoirs.C’esthypnotisant.

– L’ingénieursonenchef,souris-je.

Ilmecontemplelonguement,serapprochedemeslèvrescommepourm’embrasseretmurmure :

– Qu’ilgardesesmainsdanssespochesoujemechargedelui !Ilfautquej’yaille,magrande,ajoute-t-ilenmeclaquantlesfesses.

Je boude et m’accroche à lui. Je refuse de le voir m’échapper à nouveau. Ce weekend étaitmerveilleux. Iln’yavaitplusde secrets,plusdemante religieusedunomd’Émilie,plusdeRazmoketnomméCyrus,plusdeMaréchalCommunity…JusteGaspardetDylan,dansuncocondedix-huitmètrescarrés.

– Encorecinqminutes !

Ilme fait rouler sur le côté et se lèvemalgrémesplaintes etmesmainsqui luipincent leboutdesdoigts.Ilrevientsurmoi,megratified’unbaiserfougueuxetpleindepromesses,quimefaitperdrelefilde l’espace-temps.Aumoment où je baissemagarde, il se dérobe avec finessedemesbras et coursprendresontéléphone,samalletteetsonmanteau.

– Jet’appelledèsquej’aiunmoment.– Tunepetit-déjeunespas ?

Jesaisquejefaistoutpourleretenir.Moi,DylanSavage,l’enfantsauvagequinecroitniauxrelationsdurablesniàlaviedecouple…Commentest-cearrivé ?

– J’aidéjàpetit-déjeuné,me lance-t-il, lesyeuxpétillants et le sourirepervers.Et c’était délicieux,ajoute-t-ilenmefaisantunclind’œil.

Pour toute réponse, je ronronnecommeune lionneet il s’enva enme laissant l’échode son rire etl’imagedesabellebouillesexyentête.

Heureuse, jeme laisse tomber en arrière et contemple le plafond demon appartement.Hum, il estplutôthautmaisavecuneéchelleetl’aidedeCharlie,jepourraisaccrocherdesétoilesfluorescentes.Jeprendsmonportablepourluienvoyerunmessagequandonsonneàlaporte.Mesyeuxscrutentl’étatdemonappartementpourvoircequeGaspardauraitpuoublier.

Mais,quandj’ouvrelaporte,c’estloind’êtremonPépitoquisetrouvederrière…Etcettejournée,quiavaitsibiencommencée,changebrutalementdebord.

37.Lesvisitessurprises

GASPARD

– MonsieurMaréchal ?Approuvez-vousceplan ?

Jeregardelaprésentationnumériquesurlerétroprojecteurenfacedemoi.Àsescôtés,ledirecteurdel’une de nos principales stations de radio le commente et, comme toutes les personnes présentes à latable,ilmefixe,enattented’uneréponse.Ignorantcomplètementdequoiilenrésulte,jesorslaréponsebateaudetousP.-D.G. :

– Jenesuispasconvaincuquecesoitl’idéedusiècle,maisj’yréfléchiraietvousdonneraimaréponsedanslesjoursàvenir.

Jeclosmondossieretlapetiteassembléeconvoquéecomprendquelaréunionl’estaussi.

Sur la tablebassedu salondemonbureau,un stockdemagazineestdisposé.« Legalagâché », « L’oncleentrelavieestlamort »,« L’héritiermaudit aencorefrappé »,toutçafaitlaunedesmédias.Jesavaisquejen’yéchapperaispaslongtemps.Rienn’estjamaissuffisant.

Mesmainstremblentetjerepliemesdoigtspourarrêterça.Unmouvementmefaitredresserlatêteetmamâchoiredurcitsouslafermetédemesdents.

– Émilie…

L’interpelléesetientdeboutàl’entréedemonbureauetlèvesonregardnoirsurmoienentendantsonprénom.Ellearrangesonmanteauchicsurelleet,latêtehaute,gagneleborddemonbureauprèsdemonsiègeetcroiseseslonguesjambes.

– Bonjour,moncherettendre.

Sonsourirehypocriteestderetouretilmesemble,paravance,quejevaisregrettercettediscussion.

– Qu’est-cequetufichesici ?– Jem’inquiétaispour toi,Gaspard.Tonportableétaitéteint !Ilyaeuunefusilladeet tuasdisparu

toutunweekend,sansmedonnerdenouvelles !

J’arrangemavesteetretrouvemaplaceàmonbureau,làoùjesuismaîtredeschoses.

– L’exdemononcle,c’esttoiquil’asappelé ?– Mon plan ne te plaît pas ? demande-t-elle en tripotant mon portable. Bien sûr, la fusillade a

légèrementvolélavedette…– Etaussidangereusequ’elleapuêtre,lacoupé-je,ellemeserabénéfiquepouraumoinsunechose.

Ellesecouelatêtepourm’obligeràaccoucheretjeluilanceunsourirevictorieux.

– Ehbiennevois-tupas,Émilie ?JesuisarrivéàlatêtedeMCsanstonaidemachiavélique.

Petitàpetit,lescoinsdesabouches’abaissentetjejubileintérieurement.

– Jecroisqueletermeexactdenotreaccordest obsolète,Émilie.

Àtraversmesyeuxplissés,jetentededevinersonétatpsychologique,jusqu’àcequejemerappelled’unechose :jen’enairienàcirer.

– Tuesdirecteurgénéral temporairement,Gaspard, réplique-t-elle glaciale.Moi, je t’offre le postepouruneduréedéfinitive.– J’ai fait l’erreurune fois,pasdeux.Etmêmesi j’étaisassez foupour te suivre…enquoiLaurent

peut-ilfairepartirPaul-Antoine ?

Unsourireconfiantréapparaîtsursonvisage,pensantsûrementquejevaiscéderàsesdésirs.

– Cite-moilenomd’unmilliardairegay,Gaspard,roucoule-t-elle.Tononclen’ajamaisfaitsoncoming-out pour la simple raison que le monde du business alimente quotidiennement celui de l’homophobie.MaréchalCommunityabesoind’undirigeantavectoutelavirilitéetlapuissancequivaavec.

Sondiscours,lui-mêmeàlafrontièredel’homophobie,medonnedesremontéesacides.Ellen’auraitpaspuêtreplusdétestablequ’àcetinstant.Seservirdel’homosexualitédemononclecommearme,c’estvraimentdégueulasse.Quelgenredepersonne–demonstre–est-elle ?

– Tuescedirigeant,Gaspard,ajoute-t-elle,leregardbrillantd’unelueuradmirativeetsensuelle.

Parlafautedenotrebientroplongueetinutilefréquentation,jereconnaisimmédiatementsapostureentantquesexuellementoffensive.Samainsuituncheminjusqu’àmonvisage,sapoitrineressorttoutensepenchantversmoietellemurmureenfaisantondulersalangue :

– Unleader,dominantetimpartial.

Dèsquesesdoigtstranspercentlalimitedemonespaceintime,jel’arrêteenlaretenantparlepoignet.Jem’apprêteàrépliquerlorsquej’entendslesonfamilierdesbottinesdeDylancontrelesol.Surprisparsaprésence,jemelèved’unbond.Cequin’estpasuneexcellenteidéepuisquejepasseàprésentpourl’énormeconquiaquelquechoseàsereprocher.

Elles’arrêtesurlepasdelaporteetsesyeuxvertsdétaillentetévaluentlascènequisejouedevantelle.

– Dylan,commencé-jeavantquemonsoufflenesoitbalayéparunventélectrique.– Onpeutvousaider,peut-être ?l’attaqueÉmilie,mauvaisejusqu’aubout.

Dylan cesse d’analyser, me foudroie violemment du regard, et l’interprétation qu’elle se fait de lasituationmeparalyse.Ellepivotesurelle-mêmeetsedirigeverslesascenseurs.Jenevaispaslaperdreànouveauàcaused’Émilie,çanon.Jemelèveetl’aperçoisquirevient.

– Enfait,si,vouspouvezm’aider,lance-t-elle.

Sacolèrerefroiditleslieuxinstantanémentetsamenacedem’arracherlescouillesprendvieaufuretà mesure de son approche bestiale. Elle plante fermement ses deux pieds entre Émilie et moi, mecommunique,d’unregardobscur,toutesafureur.Troissecondesdesilencedéfilent,ellehochelatêteetpivotesurÉmilie,quiécarquilleimperceptiblementlesyeux.Jen’aipasletempsd’ouvrirlabouchequelaclaquequeDylanluiflanques’envoledanslesairs.

38.Lelangagedessignes

DYLAN

Quelquesheuresplustôt.

Mamansortdemasalledebainsetpousseunsifflementadmiratif.JefourremesmainsdansmondospourluidissimulerlesemballagesdecapotesvidesqueGaspardapourmaniedebalancern’importeoùdanslefeudel’action.

– Çaal’airderoulerpourtoiavec…

Gaspard ?Plutôt,oui.

– MajorMusic,luirappelé-je.

Elle acquiesce au ralenti et, quand elle fait un petit pas vers la cuisine où je conserve quelquesbouteillesd’alcoolpour lessoirées, je luibarre lechemin.Laconnaissant,elleseraitcapabledemevolerendouce.

– MajorMusic,répète-t-ellesansvraimentavoirl’airdesavoircequec’est.

Jelaregardedéambulerdansmonappartementcommesiellevisitaitunmusée,toutenluirestreignantl’accèsàmesplacardsdecuisine.Sonparfumhabitueld’alcooladisparu,nelaissantplusquel’irritanteodeurdutabac.Àchaquemouvement,ilfouettel’airquejerespire.

– Commentvas-tu ?questionné-je.

Onestloin,tellementloin,demondélicieuxréveilavecGaspard,quej’ail’impressionqu’ils’agissaitd’unrêveetquemavraiematinéedébuteavecmaman.

– Jefaisaller,marmonne-t-elle.

Ellefaitaller.Quelleironie.Jesuisprêteàmettremamainàcouperqu’ellen’estpasicipourmevoir.

– Ilsm’ontvirée,m’apprend-elledansunreniflementaffreux.

Qu’est-cequejedisais ?

– Alors,j’aiperdul’appartementaussi,tusais.J’aiplusrien,Dylan.Enfin,tuestoutcequimereste.Mapetitefille.

Ilyabienlongtempsquejen’attendsplusd’affectiondesapart.

– Est-cequetuasessayéPôleEmploi ?

Ellefaitrapidementnondelatêteetsedéfileàtraversuneautreexcuse.

– Jemesoigne,Dylan.Tusais,commeunecurededésintoxicationquejenepaieraispas.

Jesecouelatête,nepréférantpascroirequ’ilexisteunmondeoùmamèrechercheàallermieux.Ellen’ajamaisfaitd’efforts ;elleaimesavied’alcoolique,avecousansargent.

– J’aivutoncopainenentrantdansl’immeuble.

Gaspard.

Matêteseredressebrusquementetmoncorpss’élancesurmamère,prisd’uninstinctdeprotectionmaternellequinem’avaitjamaistraverséeauparavant.LemêmequejeressenspourStéphanie.

– Qu’est-cequetuluiasdit ?

Forcément elle m’a discréditée. Elle a été lui dire que je suis une insolente, une fille facile, uneinsubordonnéequineluiapporteraquedesennuis.

– Rien,rien.– Tuneluiasriendit ?grincé-jeentremesdentsetmespoingsserrés.

Elleetsagrandegueuleàl’haleinealcoolisée ?Impossible.S’ilafuiàcaused’elle,jejurequejenerépondspasdecequemesmainsferont.

– Ilmontaitdanssavoitureetjevoulaisrentreravantquelaportedel’immeubleneseferme.N’oubliepas,Dylan.Tuesquelqu’und’ambitieuxetavoirréussisavieneluidonneaucundroitsurlatienne.– Ilyalongtempsquetuascessédesavoirquiouquoiestbonpourmoi,maman.– Ilestcommetonpère,mecrache-t-elle.Cequej’essaiedetedire,c’estquetuaurasàpeineletemps

det’attacher,qu’ilseseraenfui.Et il iracherchercedont ilabesoin.Unefilleplusbelle,plusriche,plus…docile,prêteàexécutertouteformedesoumission,prêteàvendresonâmepouravoirlecorpsde

tonchéri.Tout–absolumenttout–cedonttoituesincapable.

Elles’approchedemoietl’odeurdetabacfroidmerépugne.

– Jet’aifaitDylan,jeteconnais.

Samainsèchepassesurmajoue,l’autres’enrouleautourdemontatouageetjefrissonned’horreur,lagorgecrispéeparsonapprocheindésirable.

– Toutcequejesouhaite,c’esttonbonheur.Maissitudécidesquecegarçonestbonpourtoi,alorsd’accord.

Jehochelatêtesanssavoiràquoijerépondsréellement.Sonbeaudiscoursm’interpelle-t-iloubiensuis-jeentraindechercheràdéfendremarelationavecGaspard ?Mamanestdéfinitivementdouéepourça : semer le doute dansma tête.Malgrémon envie de prendremes distances avec elle, elle réussittoujours à s’immiscer d’une manière ou d’une autre et, contre ma volonté, je finis toujours par luiaccorderlebénéficedudoute.

– Cen’estpastrèsgrand,maistupeuxrestersituledésires.

M’abaissantauxpiedsdemonplacard,jem’emparedesquatrebouteillesàdemi-pleinesetlesvidesdansl’évier.Mamanlouchevivementdessusavantdemelancerunsourirerassurant.

***

Charlie ouvre grand les bras lorsqu’ilm’aperçoit devant l’immeuble du studio d’enregistrement cetaprès-midi.

– Laplusbelle !

Ilmeserrecontrelui,puismetendunsacdeviennoiseries.

– J’aipenséàtoi,jet’aiprisdeschouquettes.

Jeleremercieetmejettedessus.Ceweek-endm’aépuiséeetj’aibesoinderéconfort.

– Çatedérangesionpassechezledisquaire,d’abord ?

Jesucelesucredeschouquettessurmonpoucetoutenleregardantetmoncœurfaituntriplesautdansmapoitrine.Lapaniqueenvahitmoncorpsetj’agrippeladoudounedeCharliedetoutesmesforces.

L’hommeque j’aiaperçu lesoirde la fusilladeestdenouveaudansmonchampdevision.Assisauvolantd’unevoiturenoir et le lookaussi sombreet inquiétantque ladernière fois, il regardequelquechosesursonportable,l’airimpassible.Unevraiebête.Jesuiscomplètementfigéeparlapeur.

– Quic’est ?demandeCharlie,quiasuivimonregard.– J’ensaisrien !Maislesoirdelafusillade,ilétaitdevantchezmoi,Charlie.Tucroisquejedevrais

appelerlesflics ?

Ilsecouevigoureusementlatête,m’intimeàresteroùjesuiset,entroissecondes,ilestdéjàprèsdel’hommeenquestion.Jeretiensmonsoufflealorsqu’ilcognecontresavitrepourl’interpeller.Ilquittesavoitureenmelançantunregardnoir.Charlieenprofitealorspour le frapper.Coupquiest rapidementstoppépar l’hommedansunréflexe impressionnant. IlmaîtriseCharliecontresavoitureenunriendetemps.Unevaguedefoliemepropulseverseux.Jelâchesachetdegourmandisesetétuiàguitare,sautesurlebarbareetplantemesonglesdanssonvisage.

– Lâchez-le,salebrute !

Ilgrognecommeunmonstreettournepourquejecessedeluifoutredescoupsdepoingssurlecrâneetdescoupsdegriffessurlevisage.

Chacune de mes attaques est bloquée et, avec une finesse et une intelligence remarquable, lebonhomme réussit àme faire descendre de son dos. Charlie s’empresse deme ramener derrière luilorsqu’ilsortquelquechosedesapoche.Cependant,cen’estpasunearme :ils’agitd’unecarteavecsaphotoettroisgrosseslettresengras,« S.P.P. ».Iltapotedudoigtsonprénometnousinviteànouspencherdessus.

– RonyLefèvre,« ServicedeProtectiondesParticuliers »,énonceCharlieàvoixhaute.

LeditRonyacquiescevivement,etjeprendslacartedesmainsdemonami.

– Jesaisqueçanesefaitplustropmais…Est-cequec’estunecaméracachée ?

Rony commence à faire non de la tête, s’interrompt, pousse un grognement de frustration et inspireprofondément, comme s’il s’apprêtait à faire un sketch sur scène. Puis ses doigts s’agitent et dansentlentementsousnosyeux.

– Ilestsourd,murmureCharlie.

Ronyremuel’indexdegaucheàdroitepuistapotesabouche.

– Muet ?

Ilserreseslèvresd’unairprofessionneletlèvesonpouce.

Maisiln’apasbesoindeparlerpourquej’assimilelaraisondesaprésence.

C’estungardeducorps.Mon gardeducorps.

– Gaspard,grogné-je.

Cettefois,Ronyhochefièrementlatête.

***

MaréchalCommunityetsabellefaçadehaussmanniennenem’avaitpastantmanquéqueça,finalement.C’estsûrementparcequechaquefoisquej’ymetslespieds,peuimportesij’ytravailleounon,jesuistoujoursdansunétatdecolèredifférent.

– Bonjour,MademoiselleSavage !s’exclameleréceptionnistealorsquejedébarquedanslehall,Ronydanslespattes.

Jem’arrête etme tournevers le jeunehommequim’a snobéeet ignorée tout au longdemon stage.Quandilcroisemonregardetqu’il lit toutes lespenséesrancunièresque je formuleàsonattention, ilredevientsérieux.

– MonsieurMaréchalaanticipévotrevenueetpourlafaciliteràl’avenir,ilvousafaitfaireunpass.

Ilmeglisselacartesurlecomptoir.Jenemerappellepasdecettephoto.PuisjereconnaislepullquejeportaispouralleràNew-York.Ill’aprisedansl’avion !Moncœursegonfled’unsentimentchaud,untourbillondefrétillementsseformedansmonventreetje…

Non !JesuisénervéecontreGaspard !Énervée,etriend’autre.Dansl’ascenseur,jemeconcentresurcesentimentnégatif.M’assignerungardeducorps,nonmaisàquelleépoquevit-on ?

– BonjourElizabeth !Gaspardest-ildanssonbureau ?Neleprévenezpas,enchainé-je.

LaBritanniquequiestauservicedeMaréchalCommunitydepuisdesannéesmaintenantseprécipite,medevanceetfaitbarragedesoncorps.

– Non !MonsieurMaréchalesttrèsoccupé,voussavez,avecleremplacementdesononcle…

Jefroncelessourcils.Elizabethestlegenred’assistantedévouéeàsonpatron,maissurtout,elleestaucourantdetoussespetitssecrets.Siellesejetteainsipourgardercetteportefermée,c’estqu’ellesaitquel’und’entrenousneserapasheureuxdedécouvrirl’autre.

– Quiestlà-dedans ?

Pitié,pasÉmilie…

– LafemmedeMonsieurMaréchal,jelecrains,grimaceElizabeth.

Detouteévidence,ellesaitquejefricoteavecsonpatronetelleestdésoléed’êtrecellequim’apprendquejesuissa« maîtresse ».Maisseulementparcequ’elleignorequelamantereligieusen’estpasetn’ajamaisétélafemmedemonGaspard.Jejetteuncoupd’œilpar-dessusmonépaulepourconstaterqueRony s’est adapté à l’environnement. Debout près de l’ascenseur, il adopte l’attitude caméléon en setenantaussidroitquelemur.

JecontourneElizabeth,ouvrelaporteetmefigelorsquejedécouvreleurproximité.

L’espaceconfinéetintimedubureaudeGaspard,lachose quiacouchéavecsonpère,sapositiondeprostituéefaceàmonhomme.Toutça,c’estbientrop.Etjemerappellelesmotsdemamère :« Unefilleplusbelle,plusriche,plusdocile. »

Jefaisdemi-tour,nesouhaitantpasassisteràcettescèneunesecondedeplus. 

Mais trèsvite, jemerendscomptequemonattitudeestbien troppuérile.Gaspardmériteque jemebattepour lui, que jeprenne les armesquand il lesoublie, et que je fasse souffrir cettepétassequi aprofitédesafamille.

Jecroisquejemarmonnequelquechoseenrevenantdanslebureau,monespritbouillonnantcommedela lave. De mon petit corps, je défends mon territoire en me plaçant entre mon petit ami et son exsaloperiedecopine.C’estuneimage,pourluidireclairementqu’ilfaudraqu’ellemepassesurlecorpspourl’obtenir.

JepivoteversÉmilieet,niunenideux,jefouettesajouedemapuissantemaingauche.

– Maisvousêtesdingue !hurle-t-ellelevisagerouge,nonàcausedeladouleurmaisdel’humiliation.

Dingue ?ElleabaisélepèredeGasparddansledosdecedernier ;elleaeuunenfantdeluietalaisséGaspard croire que c’était le sien ; elle m’a menacée et a été à l’origine de notre séparation ; etaujourd’huielleosesepointerdanssonbureaupourposersesmainssalesdepétassesur mon Pépito.Je

fulmine.Jeboue.Jebrûle.Etj’explose !

SaisissantÉmilieparlesépaules,j’enfoncemesonglesdanssachairetlaplaquebrutalementcontrelepremier mur. Gaspard répond immédiatement à l’appel au meurtre qu’elle m’inspire. Son grand brasm’attrapeletourdetailleet tentedemetirerenarrièremais,ancréeausolcommejelesuis,c’estungesteinutile.

– LaprochainefoisquevoustouchezàGaspardouàsafamille,jevousferaisubirmillesouffrances.– Ehmagrande,lâche-la.

LasecondemaindeGaspardattrape lamienne,posée sur l’épauled’Émilie.Savoixmeparvientdeloin,maisréussitàpercerlesnuagesnoirsau-dessusdematête.Jereprendspossessiondemonbonsensetlebrouillarddevantmesyeuxs’estompepourlaisserplaceàuneÉmilieapeuréeetclairementenétatdechoc.Moncœurmartèledansmapoitrine,désirantluiaussisebattreàmescôtéscontrecettegarce.

Peuàpeu,lecalmerevientetjelâcheenfinprise.

– Émilie,jecroisquetuconnaislechemindelasortie.

Lajeunefemmenecrachepassur l’opportunitédes’enfuiretviresonculdubureau.Maisavantdepasserlaporte,elleseretourne,hargneuseetmefoudroieduregard :

– Jen’arrivepasàcroirequevouspuissiezaccepterunmonstrepareildansvotrevie !– C’esttoilemonstre,pétasse !

MoncorpsrepartversellemaisestretenuparlegrandbrasdeGaspard.Ilmefaitreculerd’ungestefluideetseretournesurmoi.Sesyeuxbleusmetranspercent,m’obligentàmecalmersur-le-champ.Dèsquelaportesefermederrièreelle, la tensionqu’elleaprovoquéeenmois’évacuesouslaformed’unlongsouffle.Mesyeuxseposentsurleplatdemesdoigtstordusparlacrispation.Gênéed’avoireuuntelcomportementbarbaredevantGaspard, l’hommeclasseetmaîtredelui-même,jerougisdehonteetreculed’unpas.Samain se refermeautourdemonpoignet et ilme ramènecontre lui.Leboutde sesdoigtsfrôlemapaumequimedémangeencore.

– SicetteÉmilie…– C’estlachoselaplussexyqu’onaitfaitepourmoi,murmure-t-iltoutendéposantunbaiseraucreuxde

mamain.

Sesprunelles accrochent lesmiennes alors que ses lèvres rejoignentmon tatouage au creuxdemonpoignet.

– Tellement, tellement sexy.

Ilsepenchepar-dessussonbureau,prendletéléphoneetcomposeduboutdel’indexunnuméro.Sansmequitterduregard,ilportelecombinéàl’oreilleetdemande :

– Elizabeth,qu’est-cequej’aideprévudansl’heurequivient ?Trèsbien,déplacezlegroupeLaurodyàdix-septheuresetconfiezlaconférencedepresseàYannetNathalie.Merci.

Ilraccrocheensouriantetsefocaliseànouveausurmoi,plantantsonregardsensueldanslemien.

– Malionnesexy,murmure-t-ilcontremeslèvresavantdem’embrasser.

Jeme perds un instant dans son baiser, repousse à des kilomètres lesmauvaises énergies et nemeconcentreplusquesurmonamantendiablé.Lasurfacedemes jouescommenceàpicoter,puiscommebranchéeàundéfibrillateur,jemeremémorelaraisondemavenueetrepousseGaspard.

– Necroispasquetuvast’entirercommeça !– Tuétaisbeaucoupplusdocilequeçacematin,metaquine-t-il.

« Docile ».Encorecemot…

– Ungardeducorps,Gaspard ?Est-cequetuplaisantes ?

Sonsourirebadins’évanouitbrusquementetsestraitsdurcissent,sesépaulessetendentettoutsoncorpss’immobilise.

– Oui.Onpeutnégociersurtoutcequetudésires,Dylan,maispassurcequiconcernetasécurité.– Masécurité ?Tunepeuxpasprendrededécisioncommeçaàmaplace !Jegèremavietrèsbien,

j’aipasbesoindel’aided’unmilliardaireparanoïaque.

Àprésent,ilbouelittéralementderageàsontour.Bien !Commeçaonestdeux,encoremieux.

– Ilyaeuunefusillade,bordeldemerde,Dylan !hurle-t-il.Commentpeux-tucomparercelaàdelaparanoïa ?– Etpourquelleraisonserai-jelacibled’unmectaréavecunflingue ?– Parceque je suisprispourcible !Parceque tuesmapetiteamie !Parceque je t…je tiensà toi,

rajoute-t-ilpluscalmement.Énormément.– Moi,tapetiteamie ?Jeviensàl’instantdetesurprendreaveccellequetonassistanteappelleta« 

femme ».Displutôtquejesuista « petiteàlit ».

Samainessaiedereprendrelamienneet,quandjel’évite,lemusclenerveuxdesajouetressaute.

– Nefaispasça :teconvaincrequetun’esrienpourmoi.C’estaberrant.– Tusaiscequiest aberrant ?Toiquiprendsdesdécisions sansmeconsulter,qui contrôleschaque

aspectdemaviecommesitusavaiscequiestmeilleurpourmoimieuxquequiconque.

Etçametuedel’avouer,maismamanavaitraison.Sousprétextequ’ilalepouvoirsurtoutcequ’iltouche,ilpensepouvoirfairedemêmeavecmaproprepersonne.

Sesyeuxbleusseplissentetneformentplusqu’unelignedelongscilsnoirs.

– Jeterépètequejediscuteraidetout,absolumenttoutcequetuveux,maisjenecéderaipaspourça.– Tunecéderaspas ?Parcequetupensesquejetefaisuncaprice ?m’écrié-je.– Jenetecontrôlepas,Dylan.Lapreuve,tuesbienparvenueàquitterMaréchalCommunity,raille-t-

il. – Parcequetesmensongesm’yontpoussée !contré-je,choquéequ’ilpuissem’entenirrigueuraprès

toutcetemps.

Quandjesensunliquidechaudfaireirruptiondansmesyeux,jepincemeslèvrespourleravaleretmeforceàtenir.

– L’entretien,levoyageàNewYork,tonavocatetJérémy…

Qu’est-cequej’aipuêtrecon.J’ai laissé toutpasser, le laissantcroirequeçanemedérangeaitpasalorsquej’auraisdûposermeslimitesdèsledébut.Etaufinaljeterminecommecettefillequ’adécritemamère : prête à toute sorte de soumission,même celle qu’elle ne voit pas ; donnant son corps pourobtenirl’âmeinaccessibledecethomme.

– Jérémy ?s’égosille-t-il.Jet’enprie,commentpeux-tuencoreledéfendre ?– Ilétaitmonseulamiici,murmuré-je,àboutdeforceàcausedenotredispute.Etparlafautede…– Il ne voulait pas t’embaucher Dylan ! articuleméchamment Gaspard. Jérémy, ton « ami », refusait

qu’unepetiteblondinetteinapprivoisableetsans« éducation »mettelespiedsàMaréchalCommunity.Cesontsesmots.– Jenetecroispas,soufflé-je.– Demande-lui.Vas-y.Maisétantdonnéquec’esttoujoursuneenflureetunmenteur,tuperdraspluston

tempsqu’autrechose.

Jeserrelesdentsetexpireunboncoup.

– Vatefairevoir,Gaspard !

Jeluiadresseundoigtd’honneuretquittesonbureausansmeretourner.

39.CadeaudeNoël

DYLAN

QuandlevigiledeMajorMusichochelatêteàl’attentiondeRonyaprèsavoirvérifiésacarte,jepousseungrognementd’exaspération.MalgrémadisputeavecGaspard,ilapourordredemesuivreetçacommenceàbienfaire.

– Votrecarte-là,çavousdonneaccèsàtout ?C’estcomme…Passe-PartoutdansFortBoyard ?

Samoues’accentue,sonépaulesesoulèveetilsemblerépondre :« Sionveut. »

– Hum,ronronneParissequisortdustudioavecunedémarcheféline.

SesyeuxdétaillentRonyde la têteauxpiedsalorsqu’elleenroule sescheveux rougesautourdesondoigtetpassesalanguesurseslèvres.

– J’aimeraisbiensavoir,moi,sivotre« carte » passevraiment« partout ».

Jegrimaceetsecouelatête,refusantd’approfondirlessous-entendusdemameilleureamie.

– Rony,voiciParisse, une accro au sexeque j’ai recueilliepour fairebaisser son tauxd’hormones.Mais,commevouslevoyez,j’ailamentablementéchoué.

ParissemedonneunmauvaiscoupdecoudedanslescôtesetprofitedemadouleurpourseprésenteràRonyenluitendantsamain.

– Enchantéedefairevotreconnaissance,Rony.

Illuiprendlamainetlasecouedefaçontropprofessionnellepourlevaginambulantqu’estParisse.Troubléeparledétachementdeleurprésentation,elleenremetunecouche.

– J’espèrequevousêtesplusbavardenprivéqu’actuellement.– Ilestmuet,Parisse…

Et en voilà un cas intéressant.Deux opposés complets se croisant.Une qui ne sait pas garder sanslanguedanssabouche(danstouslessensduterme)etunqui,deparsonboulot,faitpreuvederetenueetdesérieux.

– Oh !Oh,pardon !s’écrie-t-elleenparlantsubitementtrèslentement.Jenesavaispas.– T’esconoutulefaisexprès ?Ilestmuet,passourd.– Alors…Voussignez ?

Lepoingfermé,iltoquedanslevideavantdeserappelerquenousnecomprenonspas.Alorsillèvelepouceetnoussourions.

– Je vois. Donc vous devez être vraiment très, très habile de vos doigts… sous-entend-elle en lereluquantànouveau.

Jelèvelesyeuxaucieletlatireverslestudioavantd’avoiruneréactiondelapartdeRony.

– Lui,estdouédesesdoigts,moi,aveclalangue.Jecroisqueçapourraittrèsbienlefaire…

J’entredanslestudio,sansécouterlasuitedesonraisonnement.

Depuis la cabine,Maya travaille avec le coachvocalnotre titrephareNuitBrune.Celui qui nous feraconnaîtreauprèsdugrandpublic.Publicquiignoreraquecettechansonn’estpasunélogeàunebrunecroiséesurlesquaisdeSeine,maisàunbonlitredebièrebrune,descenduparCharlieunsoird’Halloween.

Thibaultestauxcommandessurlatabledemixageet,àsescôtés,Charliepapoteaveclasecrétaire.Bizarrement,cettefillen’ajamaisdetravailenattentequandnoussommesdanslesparages.

– T’esarrivée !s’exclameThibault.Franckt’attendait.

Avec ses cheveux longs et sapetitebarbichette tressée,Thibault est lemembredu staff avecqui jem’entendslemieux.Iln’estpastrèsbeau,maisilaungoûtpourlemétal,lerocketlesfringuesquivontavec,quejepartageetadmire.C’estmon« moi »masculin.

– C’estquilemecquitesuitcommetonombre ?– Songardeducorps,répondParisse.– Tulouesunappartementdebonneettuasungardeducorps ?J’ailoupéquelquechose ?– Tuveuxdire,àpartunefusilladeaugaladeMaréchalCommunity ?rétorqueParisse.– Certes,maisvous,dit-ilendésignantlerestedugroupe,vousnevousbaladezpasavecungardedu

corps.– Disonsquej’aiuncopainauxtendancesparanoïaques,coupé-je.

Jetantuncoupd’œilpar-dessusmonépaule, jeconstatequeRonynoussurveilleetnousécoute.Cen’estpasparcequ’ilsignequejedoisoublierqu’ilpeutm’entendredénigrersonemployeur.

– Uncopainauxtendancesgrosportefeuilleaussi,commenteThibault.– Et y’a pas que le portefeuille qui est gros, si jeme reporte à un certain récit sur une virée new-

yorkaise !enrajouteParisseenappuyantsesproposd’unclind’œilexagéré.Entoutcas,moi,sij’avaisun garde du corps, je serais plus occupée à faire la version pour adulte de Body Guard qu’à m’enplaindreconstamment.

Cetteenfantestirrécupérable…

Mayaquitte lacabineavec lecoachquiagitesamainpoursignalerquec’estàretravailler.Encore.Pourlamillionièmefois.

– Ah !LesNoLimits,vousêtesaucomplet !

Franckpénètredanslestudio.Iltientdansunemainundossierrougevifetdel’autresontéléphone.

– J’aieuMaréchalCommunity,cetaprès-midi.Etpasn’importequi !LeurnouveauP.-D.G.,GaspardMaréchal,annonce-t-il,commes’ilavaitgagnéauloto.

Mes poils se hérissent à nouveau. Gaspard s’incruste encore dans ma vie ! Je croise les bras,prétendantnepasvoirleregarddemesamistournésversmoi,etmeconcentrepournepasfairedérapermacolèreànouveau.

– Ilaétéimpressionnéparvotreprestation,lesoirdugala,etvoulaits’excuserpourlafusillade.– Jecroyaisquevousn’aviezpaseuletempsdejouer,s’étonneThibaultenregardantMaya.

Cettedernièrenousfusilleduregardetdevientécarlate.

– Vousavezchantésansmoi ?

Jemeprépareànier,quandCharliemedevance.Il faitunpasannonciateurdesaprisedeparoleetdéballeàtoutevitesse :

– Onnedevaitpaspasser,maisl’organisatricenousatrouvéuncréneauàladernièreminute.

Maisoui…Leplan« renvoyerMaya ».Francktournesonregardconfussurlestroistraîtresquenoussommes.

– Nous n’avons fait qu’honorer notre accord avec Maréchal Community, Franck, renchérit Parisse,faussementinnocente.

NotremanagerpassesalanguesursesdentsenréfléchissantetThibaultmurmure :

– QuiachantésiMayan’étaitpaslà ?Vousn’avezfaitquedel’instru’ ?– Non,s’empressededireCharlie.Dylanétaitauchant,commeaudébutdugroupe.

LevisagedeMayasedécomposealorsqu’ellecomprendleplandontelleestlavictime.

– Doncc’esttoiquiafaitdel’effetàGaspardMaréchal ?s’enquitFranck.– Absolument,acquiesceavecsérieuxParisse.

Pour une fois qu’elle ne trouve pas de tournure déplacée, je ne peux queme taire et l’en féliciter.Thibaultpivoteversmoietmelanceunsourireunpeuétrange.

– Çatediraitd’enregistreruneversiondeNuitBrune ?m’interroge-t-il.

JemeforceànepasobserverMaya,malgrél’énergiemeurtrièrequ’elledégage.Jedevraismesentircoupable,maislaperspectivedemettresurunepistemavoixetnonpasmaguitarem’excite,sibienquejenerefusepas.

Danslacabine, lecoachvocaléchauffemavoix,mecollequelquesexercicesridicules,maisutiles.Monventrefrémitd’enthousiasmeetdepeur,commelapremièrefoisquejesuismontéesurscène.Mesdeux amism’encouragent derrière la vitre.Quand le coachme quitte, j’enfile le casque et un silenceredoutablepèsedanslacabine.Thibaultdonneletopdépartetquelquessecondesaprès,j’entendslesondelaguitares’éleverdansmesoreilles.Lerythmedelabatteriesuitetmegalvanise.Lepianovientsemêleràtoutça.Jeressenstrèsvitechaquepercussion,chaquepoésiederrièrelamélodiequim’emporte.Lachansonquej’aivuCharlieécriredansunétatd’ébriétéàenfairepâlirdecraintelesfabricantsdebière brune, coulent entre mes lèvres. Les mots dansent sur ma langue, s’accordent à ma voix,m’enveloppentdansleurmonde.C’estcommeunehistoiredontchaquepause,chaqueintonation,chaquephrase, a sonpropreuniversàconstruireet à transmettre.Et lemien tourne subitementautourdeNuitBrune.

Lamusiques’arrêteet,del’autrecôté,Thibaultlèvesesmainsau-dessusdeluietlescroisederrièresa tête, époustouflé.Maya gobe desmouches au goût amer.Charlie et Parisseme contemplent commes’ilsavaienttoujourssuquecelaarriveraitunjouroul’autre.

C’estdinguecommechanterm’avaitmanqué.

Alors,Franckétablitlecontactentrelacabineetlarégiepourdéclarer :

Onbouclecetteversion,etonl’envoieauxradios !

***

Charliepassesonbrasautourdemesépaulesetmesecoue.

– Ma belle Dylan, dans quelques jours on sera sur toutes les radios de France, et après, celles dumondeentier.Terends-tucompte ?

Jerigolehautetfort,lapressionredescendantd’uncoup.LessecoussesdumétrocontrelesrailsfontvibrermonrireetCharliem’accompagne.

– Onsortfêterçacesoir,c’estcertain.– LasecrétairedeMajorseralà ?letaquiné-jeenlevoyantrépondreàuntexto.– LasecrétairedeMajors’appelleCharlotte.Ellen’estpassupercanoncommemesex,maiselleest

plutôtrigolote,tusais.– Ah,maisnotretombeuralebéguin !

Utilisantmesdeux indexcommearme, jememetsà le tamponner sur leszoneschatouilleuses. Il sedéhanchepourm’éviteretpouffe.

– Commentallons-nousnousvendre,sinotrebeaugosseestencouple ?– IlnousrestetoujoursParisse,s’amuse-t-il.– Jeparledevendrenotreimage,pasnotrecorps.

Nousrionstouslesdeux.

– TudevraisinviterGaspardànotrepetitefête.Aprèstout,ilnousadonnéunboncoupdepouceavecMaya,sansmêmes’enrendrecompte.

Lanotedeculpabilitéquirésonneàmonoreilleesttropaiguëpourquejelasupporte.

– Jesaispastrop.Ons’estdisputéassezviolemmenttoutàl’heure.– Pourquelleraison ?

Jesecouelatêteavecévidence.

– Euh…Peut-êtreàcauseduBigBrotherqu’ilacollésousmonnez ?

Je montre du pouce Rony qui, à quelques mètres de nous, vient de céder sa place à une belle

demoiselleenceinte.

– Nesoispastropdureaveclui,Dylan.

Dixitl’hommequiétaitprêtàluifoutresonpoingdanslagueule.Jesuisentrainderêver !Dansquelmondemonamidéfend-ilmonpetitami ?

– Nemeregardepascommeça,soupire-t-il.Gaspardestloind’êtremonmeilleuramimaisc’estclairqu’ilessaiedefairedesonmieux.AvectoicommeavecStéph.N’oubliepasquenouslesmecs,onnepensepasvraimentdelamêmefaçon.Cequivousparaîtinsignifiantnoussemblegrosetviceversa.Jeteconnaisdepuistoujours,Dy.Tuasuncaractèredecochon,sourit-il.Grâceauquelcertainespersonnestesuiventetàcauseduquellesautrestedétestent.Enplusdeça,tupensestoujoursavoirraison.

– C’estbon !râlé-jeenroulantdesyeux.J’aicomprisquejen’étaispasuncadeauduciel !

Il relève le menton pour regarder à quelle station nous sommes puis baisse les yeux sur moi. Sesmèchesdecheveuxblancstombentsursesyeux,quiseplissentsoussonsourire.

– Terappelles-tunotrechanson CadeaudeNoël ?

Jemeretiensdegrogner.Meprendreparlessentiments,c’estrageant.

– Cen’estpasparcequ’iln’étaitpassurtalistequ’ilnepeutpasêtremeilleurquelesautres. 

***

En arrivant chez moi, quelques minutes plus tard, j’ai la surprise de trouver ma mère derrière lecomptoirdelacuisine.Uninstant,jepaniqueàl’idéedeluiavoirlaisséunebouteilled’alcool.

– J’aiprisvingteurosquitraînaientpourfairequelquescourses,j’espèrequeçanetedérangepas.

C’estunrêve :mamère,sobre,quicuisine.Ilyaanguillesousroche.Elleconstatequejenebougeplusetsonsourires’élargit.

– Nedisrien,jesais.Jeneresteraipasicilongtemps,promis.C’estjustepour…– Non,l’interromps-je.Prendsletempsqu’ilfaudra.Onpeutpartagerlelit,çameconvient.Parcontre,

jen’aiqu’uneclé.– Ehbien,çameforceraàchercherdutravailquandtuserassortie !– Jevaiscourir,luiréponds-je.

Courirmechangelesidées,merelaxe.Dansdesmomentscommecelui-ci,oùj’aidumalàfairelapartdeschoses, j’aibesoindem’aérer,demedéconnecter.Jemechangeenvitessedanslasalledebains,enfilemesvêtementsdesportetquittelamaisonlaissantmespasdéciderdeladirection.

J’aimeraisqu’ellevoieGasparddelamêmefaçonquemoi.Nonpasqu’ellelecompareàl’hommequiluiabrisélecœur,j’ainommé :monpère.

Auboutdetroisquartsd’heure,jesuisperduedansmespenséesetjem’arrêtebrusquementdecourirenpleinmilieud’unpont.LavoituredeRony,quimesuitdeprès,ralentitet,quandjeregardeàtraverssonpare-brise,jemerendscompteàquelpointjesuisinsensible.Gaspardaperdusesparents.S’ilestaussi surprotecteur, c’est parce que leur mort brutale et subite l’a rendu ainsi. Je m’approche de lavoiture,ouvrelaportièreetm’installeauxcôtésdeRony.

– Je sais que vous n’êtes pas mon chauffeur attitré, mais est-ce qu’on peut aller à MaréchalCommunity ?

Ilmimeungestedelamain.

– Çaveutdire« oui »,ça ?

Ilacquiesceetjesouris.

Lacirculationétantplutôtmauvaise,nousarrivonsdevantMaréchalCommunityversdix-huitheures.PresséederetrouvermonbeauettoutnouveauP.-D.G.,jebondisdelavoituresansattendrequ’ellesoitcomplètementàl’arrêtetcoursrapidementdansl’entréemarbrée.Jemontedansl’undesascenseursdansunétatdesurexcitationincroyable.Lesétagesdéfilentsurl’écrannumériqueàvitessed’escargot.Enfin !LedernierétagesonneetElizabethécarquillelesyeuxenmedécouvrantdansunetenuepareille.

– Heu, monsieurMaréchal est en salle de réunion, murmure-t-elle alors que je me dirige vers sonbureau.

Jechangeimmédiatementdedirection,sansprendreencomptelefaitque,siGaspardestensallederéunion,c’estparcequ’ilestenréunion.

Voilàpourquoi,unefoislesportespoussées,jemeretrouvedevantunevingtainedetêtesd’inconnusmefixantavecstupéfaction.

– Oh,merde.Jeveuxdire,pardon.

Je fixeGaspard en espérant quemes yeux expriment à quel point je suis désolée.Assis en bout detable,ilseredressesursonsiègeetsespupillesd’unnoirdangereuxglissentsurtouteslescourbesde

moncorps,s’assombrissent,etsaboucheinsolentesecrispe.

Oh,merde.

– Mesdamesetmessieurs,voiciDylanSavage,ma…Quelest le termeque tuasemployédéjà ?mequestionne-t-il,l’airsongeur.

Horsdequestionquejelelaissemedémontersansmebattre.

– Tapetiteamie,corrigé-jeenposantlesmainssurleshanches.

Ses sourcils s’arquent et je mords ma joue pour me réprimander de le trouver, malgré moi,incroyablementsexyenpatronarrogantetjoueur.

– Non,cenesontpaslesmotsjustes.

Savoix fouette la distancequi nous sépare, et je frissonne sous son regard imperturbable, ancré aumien.

– Puisquevoussemblezavoirréponseàtout,MonsieurMaréchal,devinezcequejesuissurlepointdefaire.– Dylan.

Sontonrudemeprévientdenepasmettreàexécutioncequej’aientête.

Jetournepourtantlestalonsetm’apprêteàpartir.

– Laréunionestfinie,gronde-t-il.

Alorsquejepasselaporte,j’aperçoislevisagecatastrophéd’Elizabethquimesouffle« courage ».LamaindeGaspardserefermefermementautourdemonbraset ilme transportedanssonbureauensignalantqu’ilnedoitpasêtredérangé.

– OùestRony ?– Quelquepart,entrel’immeubleetdehors.C’estluiquim’aaccompagnée,siçapeutterassurer.

Ilmedétailleànouveaudansmatenuemoulante,lescheveuxenbatailleaprèsmacourseàpieds.Lahonte.Sescollègues–mesancienssupérieurs–m’ontvuedansunétatpitoyable.

– Jenesuispascertainqueçameplaisequ’ilt’aitvuainsi.

C’estuneblague ?

– Ilestmuet,pasaveugle,répond-ilenlisantsurmonvisage.

Jemordsmalèvreinférieureetdevienstoutàcouptimide.Ilfaitdurerlemomentmaisnoussavonstouslesdeuxquelaraisondemavenueseramisesurlatable.

– TuesmoncadeaudeNoël,Gaspard,murmuré-jeduboutdeslèvres.

Ilmeregarde,commesijedélirais,etj’explique :

– Tu n’étais pas prévu, encoremoins voulu, et pourtant quand je t’ai vu…Bon sang, on dirait unegosse…– Continue,commande-t-ild’unevoixrauque.– Personnen’a jamaisprisautantsoindemoiquetoi.Sur tous lesaspects, tues là.Etc’est intense,

inhabituel.Cequ’ilyaentrenous,çamedépasse.– Parlemoinsvite,magrande.Respire.

Jusqu’àcequ’ilmecoupe, jen’avaispasconsciencequejeretenaiscarrémentmarespiration.Je leregardedanslesyeux,plongedanscettemerbleueetbrillante,m’ynoieetreprends,pluslentement :

– Tout est arrivé si vite, si fort, la puissance demes sentimentsm’effraie. J’ignore comment gérer.C’estcommesijechantaisunechansonetquejeperdaislefildesparolesetdelamusique.Jepanique,j’aienviedefuirlascène,etjenemerendspascomptequeleconcertsepoursuittoujoursparcequetuascontinuélamusiqueàmaplace.Parcequetucouvresmesarrières.Parcequetueslà,avecmoi.Alorsmerci.Mercidenepasmepermettredetoutgâcher.

Il inspire profondément, approche lentement, et je dois m’y reprendre à deux fois pour ne pasm’évanouir.

– Tudistoujoursquejesuistapépited’or.Maisc’estseulementparcequetuignoresque,sanstoi,jenebrillepas.Sanstoi,jenesuisqu’uncailloucommeunautre.

Sesmainschaudesetdoucesemprisonnentmonvisageetsesyeuxcommuniquenttoutcequejeressens,danslesmoindresdétails.Jesuiscertainequesij’avaisfaitunpeuplusattention,j’auraiscomprisbienplustôt.

– Dylan Savage, murmure-t-il, le front contre le mien. Je ferme les yeux et il poursuit comme s’ilpensaitàvoixhaute.J’espèrepourmoiquevousn’êtespasfarouchementattachéeàvotrenomdefamille.

40.Poolparty

GASPARD

Dèsquemaboucheseferme,jesaisquemesmotsaurontdesconséquencesirréversibles.Écartantmonfrontde celuideDylan, je l’observe écarquiller sesgrandsyeuxverts et arrondir sabouchepulpeusesousl’effetdelasurprise.

Est-cequejeviensréellementde…

Merde…

– Dylan,soufflé-je.

Dylanquoi ?« Jeregrette » ?Ceseraitmentir.

Àvingt-sept ans, il est normal que je pense à l’engagement sous un angle plus officiel…Dylan estdevenue, comme elle le dit, vite et fort, tout pourmoi. La passion qui nous lie est si intense que jen’arriveraispasàm’enséparer,mêmesijelevoulais.Ellemecolleàlapeau,ellemefaitvibrer,ellemesuffitetce,chaquejourdavantage.

– Jedoisyaller,detoutefaçon,medit-elleens’arrachantàmesmains.

Ellenepeutpasmelaisserainsi,j’aibesoind’elle.

– Mamèreapréparéàmanger,elledoitsedemanderoùj’aibienpupasser.

Ça,c’estleprétexteleplusnazeetleplusabsurdequej’aipuentendre.Mêmesijevoulaislacroire,jenelepourraispas.Ilestclairquel’und’entrenousestentraind’éviterl’autre.

– Dylan,répété-je.

Elleagitesamain,l’airderien.

– Çavaaller !Elleestlàjustepourunpetitmoment.Letempsqu’elletrouveduboulotetunnouvel…– Attendsuneminute,l’intercepté-jeenattrapantleboutdesesdoigts,etjem’accrocheàceminuscule

espoirpournepascéderaudésespoirdemabourde.Tamèreestcheztoi ?Vraiment ?

Mauvaise approche. Ilme fallait un sujet de conversation quime permettrait de l’empêcher de fuirencoreplusvite,etjetrouvequoi ?Samèrealcoolique.

– Oui.Etellem’attend.Jefile.

Elleplaqueunbécotsurmajoue.Pasunbaiserniunbisou.Un« bécot ».Legenrequiprouvequej’aiànouveaumerdé…

Mesfessesrejoignentàpeinemonsiègequ’Elizabethmesonne.

– Lepôlesécuritésurlaligne3,monsieur.Ilsdisentquec’estimportant.– Bonsoir,monsieur, entends-je subitement à l’autre bout du fil.Unhommeà l’accueil prétendvous

connaîtreetdésirevousvoir,maisilrefusededéclinersonidentité.Nousvousavonsenvoyésonportraitparmail.

Quandj’ouvrelemessageetquejedécouvreleportraitdel’inconnu,lasurprisemecoupelesouffle.

– Faites-lemonter.

***

– MonsieurMaréchal ?

Elizabethmetiredemespenséesetfaitentrerl’hommequejenepensaisjamaisvoir.Encoremoinsvivant :lepilotedemonpère.

– MonsieurMaréchal,mesalue-t-il.

Jechancellelégèrementenmelevant,surprisderencontrerunhommeprésumémort.

– Jecroisquec’estmoiquevouscherchez.

Ilmetendlamainpar-dessusmonbureauet,stupéfait,jeluirendsunepoignéemolle.

– MaximeGutt,seprésente-t-il.

Je secoue la tête, sous le choc, etme rendscompteque je ledévisageavec tropd’insistance. J’aiépluchédefondencombleledossierdelapoliceet,pasuneseulefois,ilnemesembleêtretombésurcenom.Safemme,qu’ilalaisséeveuve,neported’ailleurspluslenomGutt,maisLeBreton.

– C’estmanouvelleidentité,précise-t-il.

Jel’inviteàs’asseoiretouvrefinalementlaboucheaprèsavoirencaissélasurprise.

– Vousavezchangédenom ?– Onm’yaaidé,oui.J’ignore les raisonsquivontontpousséàenquêtersur lescirconstancesde la

mortdevotrepère…– Jedésireseulementdécouvrirlavérité,l’interromps-jefroidement.– MonsieurMaréchal,dit-ilenparlantdemonpère,n’ajamaisvouluétalersesproblèmespersonnels.

Ilétaitdugenreàtoutgarderpourluietàpenserquec’étaitmieuxainsi.Parconséquent,jen’aijamaisréellementsucequisepassait.Jusqu’aujourdesamort.

Maximecrispesonvisageetremuesursonsiège,malàl’aise.

– Jemetsmavieendangerpourvousapportercesinformations.Ilvoussurveille,toutcommeill’afaitpourvotrepère.– Quiest« il » ?– Jel’ignore.Jenel’aivuqu’uneseulefois…– S’agit-ildecethomme ?demandé-jed’untonsec.

Je lui montre la photo de mon oncle sur mon portable. Il fronce longuement les sourcils avant desecouerlatête.

– Votreoncle ?Seigneur,non ! Ildevaitvoyageravecvotrepèrecesoir-là,maisMonsieur–commes’ilavaitpressenticequiallaitsepassercettenuit–l’aempêchédevenir…

Paul-Antoineestinnocent…Ladonnechangeànouveau,pourl’enquêtecommepourmoi.D’uncôtéilyamononclequis’avèrenepasêtrelemeurtrierquejepensaisqu’ilétait,del’autrelafusilladequiaeulieu.D’uncôté,ilyalavérité,del’autre,lasécuritédeceuxquej’aime.J’ignoresij’ailaforcedecontinuersansparveniràlesdissocier.

Sicettefusilladen’étaitpasuncoupmonténiun« oneshot »,alorsilrecommencera,tantquejeseraitoujourssurcetteaffaire.

Jenesaispassimenercetteenquêtejusqu’àsontermeestconseillé.Toutcelavabeaucoupplusloin.

QuandjepensequemasœurouDylanauraitpuêtretouchées, j’enai lanausée.Nepasinterromprecettehistoirerisquedemeforceràredoublerdevigilance,enplusdetoutcequivaavec.

– Pourquoin’êtes-vouspasmontédansl’avion ?

– Chaquefoisquenousvoyagionsàl’étranger,jepréparaistoutàl’avance.Monsieuraimaitquetoutsoitpropre,quetoutsoitvérifiéenamont.Quandjesuisarrivécesoir-là,monchef-pilotem’asignaléquejenevoleraispascettenuit,etquejedevaisrentrerchezmoi.JetrouvaiscechangementdedernièreminuteétrangedelapartdeMonsieur,siconsciencieuxetroutinier.Alorsj’aicherchéàcomprendre…tout était flou au début, puis son regardm’a tout révélé. Je n’avais aucune idée de qui était dans lavoiture,mais il auraitmieux valu pourmoi que je ne la vois jamais. Je savais qu’il allait se passerquelquechosedontjenedevaispasêtretémoin.Etpourtantjesuisrestésurletarmac.L’avionadécolléet,unefoisdanslesairs,satrajectoireachangé,fonçanttoutdroitverslesol.

Aufuretàmesuredesonrécit,lesimagesdelascènesedessinentdansmatête.Unepeuridentiqueàcellequimesaisitchaquefoisquejeprendsl’avionfaitsonapparitionaucreuxdemonventre.

– Dèsquel’explosionaeulieu,jesuispartivoirl’avocatdevotrepère.MaîtreGesbert.

Le père deQuentin est donc au courant. Et, soit le filsm’a délibérément caché des éléments, soit,commemoi,ilaunpèrecachottier.

– Ilachangélatotalitédemonidentitéetm’aditque,sijevoulaisvivre,jedevaispartirettoutlaisserderrièremoi.Mafemme,monfils,mavie…

Sonvisage,àl’imagedesadouleur,sedécomposeetjepeuxressentirl’intensitédesapeine.

– Votrefemmeetvotrefils ?murmuré-je.

Ilvit,depuistoutcetemps,enretraitdeceuxqu’ilaime ?Sansjamaislesvoirnileurparler ?C’estdelatorture.Commentunehistoireentredeshommessimalsainsetmafamillepeut-ellefaireautantdedégâtsdanslaviedesautres ?

– C’étaitlaseulechoseàfaire.M’éloignerpermettaitd’écarterledanger.Jepréfèrevivreloind’euxquevivresanseux.

« Vivre loin d’eux plutôt que vivre sans eux », pour protéger sa famille, passer pour mort. C’esttragiquementpoétique.Jeprendsuneprofondeinspirationetluidéclareavectoutlesérieuxdumonde :

– Jel’arrêterai,Maxime.Jevousprometsdetoutfairepourqu’unjour,vous,votrefemmeetvotrefils,soyezànouveauréunis.

Ilselèvedefaçonsolennelleetjemedresseautomatiquementsurmespieds.

– Prudenceestmèredesûreté,MonsieurMaréchal.

Jehochefermementlatêteet,toutenluiserranténergiquementlamain,àlafoispourluidiremercietaurevoir,jeluitendsmacarte.

– Sivousvoussouvenezdequoiquecesoitàproposdecettenuit-là,n’hésitezpas,Maxime.

Unefoisqu’ilpasselaporte,jemecharged’informerlepostedesécuritéenleurdemandantd’escortersoigneusementcethomme,quim’aapportétantderéponses,maisaussidenouvellesinterrogations.

***

Ilestprèsdevingt-et-uneheureslorsquemonpremierjourentantqueprésidentdirecteurgénéraldeMaréchal Community et ses emmerdes prend fin. Tant bien quemal, je lutte pour ne pas envoyer demessageàDylan.Jeneveuxluimettreaucuneformedepressionparrapportàcequim’aéchappétoutàl’heure.Malgrécela, j’aibesoindesavoirque toutvabienpourelleetmoi.Aujourd’huiestvraimentimportant.Aprèsleweek-endmouvementéauquelnousavonseudroit,nousavonstouslesdeuxbesoinde surmonter cettejournée.Autantpournousquepournotrecouple.

Monportabletremblesurlebureauetmonétatm’amèneàpenseràmabellelionne.Saufquec’estlenomdel’hôtelquis’afficheetl’espoirretombe.

– MonsieurMaréchal,icilasécuritédel’hôtel.Nousavonsunlégerproblème,vousdevriezvenir.

***

Lapiscinede l’hôtelestunespaceoù lesartsgréco-romainetcontemporainsemélangent.Le longdesmurs s’élèvent des fresques incroyables peintes à lamain, et le sol est recouvert deminusculesmosaïquesquiformentunparterreélégant.Àlafois très luxueuxet trèsdécalé,c’estunpetitparadisaquatiqueréservéuniquementauxclientsdel’hôtel.

JesorssurlaterrassequisurplombelapiscineetdécouvreenbasDylanetStéphanie,quitempêtentcontrelesdeuxgaillardsdelasécurité.Mesprunellessontirrémédiablementattiréesparmapépiteetsessous-vêtementsmouillésdelamarqueJolieMômes,qu’elleexposedevantceshommes.Aumoins,masœur a eu la décence de mettre un maillot de bain une pièce qui couvre bien son corps. Mais ladifférence,c’estquesoncorpsnem’appartientpas.Savoirque lespartiesquemalionnem’offredansl’intimitésontvisibles…j’enperdslaraisonetnetardepasàrejoindrelepetitgroupe.Nonsansattraperuneservietteaupassage.

– Jeconnaismesdroits,s’insurgeDylan.Etsivousvoulezmetraînerdeforceàl’extérieurdevotrehôtelenor,j’exigequecesoitunefemmequimetouche.

Stéphanieacquiescefermement.

Je n’apprécie pas vraiment cette proposition. Je suis le seul à pouvoir la toucher.Absolument riend’autre,sicen’estcetensemblededessouscoquins.Elleposesesmainssurseshanchesetjedrapelaserviettesursesépaules.Ellesursauteenmêmetempsquelesemployésdel’hôteletFafa.

– Gaspard ?s’étonnemasœur.– MonsieurMaréchal !s’écriel’hommeencostumenoir.J’étaisjustemententraind’expliqueràvotre

sœurqu’elleétaitendroitd’userdel’espacebaignade…

L’écoutantvaguement, jefroncelessourcilsà l’attentiondeDylanenl’enveloppantdans laservietteimpriméedel’hôtel.

– Puisqu’elleestclientedenotrehôteletmembreexclusifdenotreclub.

Dylanpince les lèvres,outréeparmonattitudepresquemaladive,maisellenebronchepaset jemetourneversleshommesenprenantsoinquemoncorpsladissimuleàleursregards.

– Maiscettejeunefille…– …Estmapetiteamie,poursuis-jesansmelaisserdémonter,cequisemblesurprendreStéphanie.

Nesachantpasquoirajouter,l’hommeencostumenoirbégaieetjeluidécocheunsourireencoin.

– Considérezcelacommeduparrainage.– Bienentendu,MonsieurMaréchal.

Jeleverraispresquemefaireunerévérencealorsqu’ilreculed’unpas,armédesonvigile.

– Mêmeencequiconcernelesautresindividus,monsieur ?

Il regarde par-dessusmon épaule et jeme tourne pour voir une dizaine de personnes entassées auniveaudubar.Jereconnaisvaguementl’amiauxcheveuxblancetParissedanslelot.Alorscommeça,ilsétaiententraindefairelafêtedanslapiscinedemonhôtel.

Dylanmordsalèvre,coupable,etcegesteinvolontaire,sisensuelleetsexymefaitbaisserlesarmes.

Jesuisunhommefaible.

– Metteztoutsurmanote,soupiré-je.

UneexplosiondejoieretentitalorsdanstoutelapiscineetjesurprendsStéphaniequilèvelespouces

enl’airendirectiondesesamis.Deuxsecondesplustard,toutlemondesejetteàl’eauetlafêtereprendsesdroits.

– Merci« Mistergroszizi »,lâcheParisseenpassantàcôtédemoiavecunebouteilledevodkadanslesmains.

Stéphaniegrimaceetsecouelatête.

– Jeneveuxriensavoir,s’empresse-t-ellededire.Maisjesuiscontentequevoussoyezofficiellementensemble,vousdeux !Ilétaittemps.– C’estpascommesitunenousavaispasmisdebâtonsdanslesroues,nepeuts’empêcherderailler

Dylan.

Masœurluitirelalangueetparts’occuperdesesquelquesinvités,melaissantfinalementseulavecmabelleinsubordonnée.

– Onpeutparler ?

Ellepasselapointedesalanguesurlecoindeseslèvresetretirelaserviette,quitombeausolaveclemêmeaircoquetqu’elleadoptequandellesedéshabillepourmoi.

– Tusaisoùmetrouver,lâche-t-elleenmetournantledos,selaissanttomberdansl’eauenbouchantsonnez.

Voilàdesannéesàprésentquejen’aiplusmislespiedsdansunepiscine.Nil’amusementnil’intérêtn’étaientlà.Et,endeuxsecondes,Dylanestparvenueàravivercesdeuxsentiments.Ellearenduuntrouremplid’eauetdecloreattractif,rienqu’enyplongeantunorteil.Cettefilleestunesorcière.

Ellenagecommeunedéessedel’autrecôtédubassin,sedétournedélibérémentdurestedesesamisdanslebutquejelasuive.TelUlyssequiétaitattiréparlechantdessirènes,jemesurprendsàretirermes vêtements couche par couche, mon corps ne désirant rien d’autre que retrouver la chaleur et ladouceurdusiendansl’eau.Ellesecaledanslecoindelapiscine.Seulesatêteémergedel’eau,lerestedesoncorpseffectuantdegrandsmouvementspourflottersurplace.Sespupillesvertesetbrillantesàcause de l’eau de la piscine s’assombrissent tandis qu’elle observe intensémentmes doigts ouvrirmabraguette.

Jesensquejevaisviteregretterdenepasavoirvirétoutlemonde…

Monpantalon rejointmesvêtements et elle remonte légèrementpourme laisser entrevoir sabouchepulpeuse.Salangueglissesur lescourbesdesalèvresupérieure,déjàhumide,et les imagesérotiquesqu’elle m’inspire enflamment mon esprit. Je n’irai pas me coucher sans avoir baisé cette bouche

insolente.

Quandmonérectioncommenceàtirersurletissudemoncaleçon,jeplongedansl’eaudelapiscinechauffée, la tête la première, en directiondemabelle. Je reviens à la surface pour la repérer et notel’inspirationvivequi la saisit lorsquenos regards secroisent ; elleaussiest complètementexcitée. Jenageànouveauet, lesyeux fixés surelle,medirigevers sonpetit espace.Mamainest lapremièreàl’atteindre,puismonbras l’enveloppeet je la tourne, ledos contremon torse et ses fesses contremaqueue.

Quelledélicieusesensation !

– Cessezdemematerainsi,MissSavage.Oujemeverraidansl’obligationdevoustraînerdeforceàl’intérieurdemachambre.

Elleritcontremoietlesourirequim’affecteestplanant.Jenageàreculons,matêtecontrelasienne,l’emportedoucementavecmoiet,enivréeparlalégèretédecemoment,ellelaisseallersesbrasetsesjambes.

– J’aichantéaujourd’hui.Lepremiersingledenotrealbum,celuiquipasseraàlaradio,auramavoix,chuchote-t-elle.– Jesuisfierdetoi,Pépita.Tulemérites.

Ellesetourneavecunsourirebéatsurleslèvres.Bordel,elleestsibelleàcetinstantqueçametue.

– Moiaussi, jesuisfièredemoi.Maintenant, lance-t-elleenmeprenantparlesépaulespourlaissersesjambesflotter,ilvafalloirquej’essaiedenepasmetransformerendiva.Tusais,àforced’entendremavoixàlaradio,çapeutmemonteràlatêtecegenredetruc,plaisante-t-elle.

Amuséparsavisiondeschoses,j’agitelatêtedegaucheàdroite.Ellemecontempleet,voyantqu’ellen’arrivepasàs’exprimer,jeprendssamaindanslamienne.

– Jet’attendrai,Dylan.Quecelaprenneun,dixoucentans.Jet’attendrai.

JerepenseàmaconversationavecMaxime,àsondésirderesterloindecellequ’ilaime,etjerajoute :

– J’aiessayédet’éloignerdemoietdemeserreurs.J’aipassédeuxansàfuir,Dylan.Jusqu’àcequejetombesurunechoseàlaquelleonnepeutpassedérober :leDestin.Jusqu’àcequejecomprennequejenepeuxpasévitercequetumefaisressentir.Tumedonnesenviederester,demebattrepourcequej’ai.Tumefaisprendreconsciencedelavaleurdelavie,delaliberté,del’amour…J’attendraiquetusoisprêteàportermonnometmesenfants.Peuimporteletempsqueçateprendra,jesaisqu’iln’yaurapasd’autresissuespossiblespournousquel’union.

Sesyeux s’écarquillent légèrementde surprise et, émuepar la sincérité avec laquelle j’ai prononcémes mots, elle plonge droit sur mes lèvres. Ses mains agrippent ma nuque et sa langue partimmédiatementàlarecherchedelamienne.

Passionné,notrebaisermonteentempérature.Sesjambessenouentautourdemoi,ellefaitondulersoncorpscontrelemienet,enpauvrehommequejesuis,jenepeuxmeretenirdebandercommeunfou.Mesmusclessetendentparanticipationetmonmembresemetàrêverdesondouxcocon,oùilrêved’êtreengloutijusqu’àlajouissanceultimequeseulecettefemmeestcapabledeluiarracher.

– Jevaisjouirdansmoncaleçonsitucontinues,Pépita.

Salanguemoitedansecontrelamienneàunrythmedeplusenpluseffrénéetsamainglisseentrenous,verslecentredenotredésir.Jelasenssecaresseruncourtinstant,frémirviolemmentetgémirentremeslèvres.Riensurterren’estplussexyqu’uneDylanquicherchesonpointdenon-retour.

Jeserrelesdents,grogneetattrapesonpoignetpourcontrecarrerceplanquinem’inclutpasvraiment,bienqu’ilsoitcruellementdéclencheurd’orgasmelui-même.Ellepousseungeignementanimaletfrustré,quirelèvelescoinsdemabouche.Mapriseseraffermitet,sanslaquitterdesyeux,j’amènesesdoigtsversmes lèvres afinde les lécher, de les sucer, deprendre songoût et de lemélanger aumien.Étantdonnél’eaudelapiscine,c’estpurementsymbolique.Maisvulerosequimonteauxjouesdemalionne,çasuffitàfairecrépiterl’instant.

– Maintenant,touche-toietimaginequecesontmesdoigtsquitefontjouir.

Jeguidesamainànouveausousl’eau,mêlenosdoigtsetlesglissedanssaculotte.Dèsquenotrebutestatteint,ellefermelesyeuxetgémitdeplaisir.Mêmedanslapiscine,aumilieudetoutcebeaumonde,elleestbrûlanteetmoite.Iln’yaaucunebarrièreàsonplaisiretj’adoreça.Beaucouptrop.

Nouschangeonsdepositiondefaçonàcequejetourneledosàtoutlemondeetqu’onpuissepenserque nous ne faisons que nous peloter. Alors qu’en réalité, je vais la faire jouir en public sans quepersonnenes’endoute.

– Tume sens,Dylan ? Titiller ton bouton avecmon pouce, taquiner l’entrée de ton vagin avecmesdoigts ?

Sarespirationsebloqueunpetitmoment,unspasmelafaittrembleretellesereprend.

– Oui,souffle-t-elle.Oui,jetesens…

Nerésistantpasàl’appel,meslèvrespartentsuçoterlapeaudesamâchoireàsoncou,jelagoûteet

m’endélecte,luisoutirantdessoupirsd’extasesaccordésàlamontéeenpuissancedel’orgasmequ’elles’offre.Àlahauteurdeseshanches,mesdoigtss’enfoncentdanssachairetj’attrapeseslèvresentrelesmiennes,pourconstaterqu’elleestencorepluschaudequetoutàl’heure.Discrètement,ellejouitcontremoi,dansmabouche,vibrecontremoncorps.Sesonglesviennentseplanterenhautdemanuqueetelleseserreencorepluscontremoi.

– Gas… !

C’est tout ce qu’elle réussit à prononcer, car l’orgasme la percute de plein fouet et la happeviolemment, s’empare de tous ses moyens et la capture avec une férocité redoutable. Le début d’unhurlementanimalfranchitseslèvresetjemeprécipitepourl’embrasseravantdel’entraînerbrusquementsousl’eau.

Horsdequestionquel’undesescopainsassisteàça !

Lasuiteetfinsepassedanslemondesous-marin.Telleunebombedeplaisir,elleexplosedansmesbrassousformedevaguesqui,petitàpetit,perdentdeleurintensitéalorsquemalionneretrouvesonétatnormal. Ses bras enlacent fortement mon cou, ses baisers n’en finissent pas et, sous l’eau, noustournoyonsetfestoyonscommelesdeuxamantsespièglesetlibertinsquenoussommes.

Nous remontons à la surface et continuons de nous bécoter. De vrais adolescents aux hormones enébullition. Elleme griffe le visage, repoussemes lèvres etm’adresse un regard plein de sauvagerie,presquepossessif.

– Merci.

Jemordssesdoigtsetellegémit.Seigneur,ellepourraitjouirunenouvellefoissansaucunedifficulté.

– Mercid’êtrepatientavecmoi.

Jemerapprochedeseslèvresetmurmurecontreelles :

– Mercid’avoirdébarquédansmacuisinepourmevolerdesPépito.

Sesyeuxmesourientaumomentoùungarçonenshorthawaïenm’interpelle.

– Ehmec !Leportabledanstapochen’arrêtepasdesonner.

Justeavantde la laisser,Dylanmemordille l’oreille,etc’estavecunsourireniaisque jedécrochesansregarderl’interlocuteur.

– Gaspard !s’écriegrand-mèreNinonavec,enfond,unCyrusquipleure.Elleestpartie !Elleaditquetum’expliqueraisetelleestpartieenlelaissantlà !

Lesinfosqu’ellemeprésentesontunvraifoutoiretn’arriventpasàtrouverdelienlogiquedansmatête.

– Quoi ?– Lamère de Cyrus ! s’égosille grand-mère. Elle est partie, Gaspard ! Et elle l’a laissé là ! Elle a

abandonnéCyrus !

Prudenceestmèredesûreté,c’estcertain.

Émilie,parcontre…

41.StarWars

DYLAN

D’après certains docteurs, quitter le lit au petit matin est l’équivalent émotionnel d’un nourrissonquittantleventredesamère.C’estlaraisonpourlaquelleilchiale.

Mais quand on quitte Gaspard Maréchal, l’arrachement est multiplié par cent. Un Gaspardcomplètementnu ?Multipliépardeuxcents.UnGaspardcomplètementnuauxabdominauxsaillantssouslafaiblelumièredujourquiselève ?C’estunactesuicidaire.

Jecontemplemonbeaumâleendormietmepenchesursonvisage.Reposé,ilestadorable.Iln’yanientreprise ni malade mental qui tente de tuer sa famille ni ex-copine-mère-de-son-petit-frère portéedisparue.Justelui,etlapaix.

– Bonnejournée,Pépito,murmuré-jeendéposantuntendrebaisersurleborddeseslèvres.

MonP.-D.G.abesoindetoutessesminutesdesommeil,c’estpourquoijeneleréveillepasetdécideque je luienverraiunmessagedans lamatinée.Monpied tenteuneexcursionendehorsdudrapmais,brusquement,moncorpsestrapatriésurlelit.Jemeretrouveséquestréeentrelesbrasdemonpetitamietlematelasplusqueconfortabledesachambreprésidentielle.

– Jepeuxsavoiroùvousvousrendezainsi,MissSavage ?

Sesyeuxbleusauxtraitsfatiguésmedévisagentavecamusementtandisqu’unsourireespièglenaîtsursonvisage.

– J’allaisprendreunedouche,dis-je.– Neprendspasdedouche,marmonne-t-ileneffleurantmeslèvresdessiennes.

Sonnezchatouillemoncou,ilinspirelonguementetsesdoigtspincentlebasdusweat-shirtqu’ilm’aprêtépourlanuit.

– Tusenslesexed’hiersoir,ronronne-t-ilenmerenvoyantdesimagestorridesdenoscorpsondulantsousladouchepuissouslacouette.Tusensmoi.Tusensbon.– J’allaisrentrerchezmoi,continué-je.

Sa langueme lèche le long du cou, jusqu’àma joue,me faisant frissonner de plaisir. Il termine en

m’infligeantses« mords-bisous »dontluiseulalesecret,etjegémissansaucuneretenue.

– Celit,c’estcheztoi,dorénavant,grogne-t-ilaveccetonpossessifquimerendniaise.

Sa langue folle plonge dansma bouche, se déchaîne etm’enchaîne. Je réponds à ce baiser par desondulations suggestives, involontaires de ma part. C’est juste la logique des choses. J’appartiensphysiquement à cethommeet, que je le souhaiteounon, je suis esclave, abrutiepar sa« sexpertise ».C’estdonclecorpsenfeuetlarespirationfébrilequenousnousdétachonsl’undel’autre.Ils’étalesurledosetlovematêtedanslecreuxdesongrandbrassécurisantetrobuste.

– Qu’est-cequemalionnefaitgénéralementlorsqu’elleselève ?

Ilcapturedesmèchesdemescheveuxetlesdégagedemonvisageuneàune.

– Hum,ehbien,j’aimeallumerlaradioàfondetécouterdumétaletdel’indie.

C’est unparadoxemusical, je conçois,mais ce sont lesdeuxgenresquim’attirent etm’inspirent leplus.Àlafoisdouxetsauvage,larecettedusuccèsdesNoLimits.

Ilsourit.Samainsefaufilesousmonsweatetilcaressemescuissesduboutdesdoigts.

– Ensuite ?– Jemedouche,jemeprépare,etpuisjeprendslepetit-déjeunerdevantlatélé.– Devantlatélé,répète-t-il,distraitparlescaressesqu’ilm’inflige.C’estdéconseillé,MissSavage,

vouslesavez,n’est-cepas ?– C’estlaseulequimetientcompagnie,murmuré-je,mesdoigtsseperdantsurlesbossesforméespar

sesabdos.

Ilnefallaitpascomptersurmamèrepourmepréparerlepetit-déjeuner,oumêmepourêtreréveilléeàl’heure.Latélévisionmepermettaitdemesentirmoinsseuleetaufildutemps,j’aiprisl’habitudedemeleveravec.

– Etqu’est-cequemalionneaimeprendreaupetit-déjeuner ?

Direquej’aimesespetitesquestionsmatinalesestuneuphémisme.

Jelesadore.

Il essaie degrappiller où il peut, quand il le peut, sans jamais être trop intrusif ou trop indifférent.C’estexactementàl’imagedenotrenouvellerelation :endouceur.

– J’aime bien lesMiel Pops avec du chocolat chaud, pouffé-je, me sentant incroyablement gamineauprèsdemonbeauP.-D.G.– Restepourlepetit-déjeuner.

Ilronronnedansmoncoucommeungrosmatoucontentetjeluttepournepasfondre.

– Non !m’écrié-je.Toiettafamille,vousavezbesoindeparler.

Ilasurtoutbesoindeleurdirelavérité.Hiersoir,aprèsavoirdécouvertlachambrevided’Émilie,MadameMaréchal a simplement regardé Gaspard et décidé qu’ils mettraient les choses au clair lelendemain.

D’uncôté,jebrûled’enviederesterlàpourluietStéphaniemais,del’autre,jesuisconvaincuequejen’aipasmaplaceàcetteréunion.

– Nebougepas,medit-iltoutsimplement.

Ilm’enserredanssesbraspours’enassureretattrapeletéléphonedel’hôtelsurlatabledenuit.

– Bonjour,Ernst,commence-t-ilaprèsavoircomposéuncourtnuméro.VouspouvezallermechercherdesMielPopsetlesrajouterauplateau,s’ilvousplaît ?Merci.

Ilraccrocheetmeregarde,lesyeuxpétillantsdemalice.

– Gaspard !Etpuis,jen’aimêmepasdevêtementsprésentables !Tagrand-mèrevamedétesterencoreplus !

Rien que d’imaginer le jugement qu’elle portera sur moi lorsqu’elle me verra avec lui, dans desvêtementsdepremierprix–etceuxde laveille,enplus–medonnedescrampesà l’estomac.Si j’ail’intentiondefairepartiedelaviedesespetits-enfants,jedoisluiprouverquejelemérite.

– DepuisquandDylanSavageutilise-t-ellelemot« présentable » ?– Depuisqu’auxyeuxdeDylanSavagenousdeuxc’estimportant !luiavoué-jeenhaussantlavoix.

Maboucheresteouverte,choquéed’avoirlaissééchapperdesproposaussiofficielspourunepersonned’aussidésillusionnéequemoi.Jepiqueunfardetmemordslalèvreavantdemeressaisir.Luietmoi,c’estsérieux,etilvafalloirassumernotrerelationaugrandjour.Jesuisprêtepourça.

Jesuisprêtepourlui.

Gaspardfixemeslèvrescommesimadéclarationétaitinscritedessus.

– Tuesplusqueprésentable.Etgrand-mèreNininetedétestepas.Elleteteste.

Ilmordilleleboutdemonnez,sortsouslacouetteet,nucommeunver,sedirigeverslasalledebainsprivéedelachambre.Jepivoteetmemetsenappuiesurmoncoudepourlemateràvolonté.Leslignesde sondos, lapeau tenduede ses fesses, le jeude sesmusclesqui se relaient, qui s’accordent et quidansentsoussesmouvements.

Quemonhommeestsexy…

– Tumerejoinsoujelanceunappeld’offrepoursavoirquiveutpassersousladoucheavecmoi ?

Quandilseretourne,mesyeuxsontimmédiatementattirésparsonérection.Moncorpss’enflammeetmabouches’assèche.Unechaleurfamilières’emparedemoietserépanddélicatemententremescuisses.Jedoismefaireviolencepourqu’ilneremarquepasàquelpointilmerendpantelante.

– Il faudra que quelqu’unm’explique comment c’est possible qu’on ait tout le temps envie l’un del’autre.

Jegloussecommeunegrandeenfant,memetsdeboutsurlelitetbondisdanssesbras.Ilmerattrapeavecfacilitéetnousenfermeàdoubletourdanslasalledebains. 

– Tufaisdusport ?

D’ungestedelamain,Gaspardeffacelabuéesurlemiroir,àlafoiscrééeparnosjouissancesetparl’eauchaudedeladouchequenousavonspartagée.Ici,ilyadeuxlavabos,unebaignoireassezgrandepourêtreappelée« piscine »,unedoucheà l’italienne fabuleuse,dessurfacesenmarbre,des lumièreséclatantes, des produits chers… C’est un excès de luxe auquel je ne suis vraiment pas coutumière.Cependant, auxcôtésdeGaspard, ladécorationnem’intimidepas. Jeme sentiraispresqueà l’aise sinousn’étionspasdansunhôtelaunombred’étoilesconcurrentàceluidelagalaxie.

– Detempsàautre.Uneàdeuxheuresparsemaine,quandleboulotmelepermet.

Jeretiredemabouchelabrosseàdentsqu’ilm’agentimentprêtéeetreplacecorrectementlaserviettequiretientmescheveux.

– Ensalle ?– J’aiuncoachsportif,Dylan.

Ildéclarecelaavecuneévidencefoudroyante.Commesiàlanaissance,onnenousattribuaitpasunprénom mais un coach sportif. « Félicitations, vous avez une fille, quel coach avez-vous finalementchoisi ? »

– Etiltefaitfairedesabdos ?

Avecunsourireinsolent,quej’aimeraispouvoircapturer,ilmerépond :

– Unpeu.Sinon,ilmeconfiedesexercicesàfairequotidiennement.Mais,dernièrement,jecompenseaveclesportenchambre.Danscedomaine,jesuisplutôtdugenremaîtreYoda,situvoiscequejeveuxdire,alorsjen’aipasbesoindelui.Justed’uneexcellenteetjeunepadawan.

Sonclind’œilàtraverslemiroirmefaitéclaterderireetjemanquedem’étoufferaveclamoussedudentifrice.Jemedépêchederincermaboucheetmeredressetoujoursenriant.

– MonsieurMaréchal !VousvenezdeciterStarWarsoujerêve ?– Vousnerêvezpas,MissSavage.

Ilrassemblesesmainsetplissantlesyeux,ilrétorque :

– Untrèsgrandfan,vousavezlà.Lessixépisodes,parcœurjeconnais.

SonutilisationdudialecteàlamaîtreYodaestunpurbonheur.J’explosederireetmerapprochedeluieneffleurantsesabdos.

– EnprincesseLeia,voudrais-tumevoirdéguisée ?l’imité-je.

Ilgrimaceetlâche :

– Jenesuispascertainquelacoupe« casqueaudio »desannées1980t’ailleàravir.

Jemedressesurlapointedemespiedsetmerapprochedecesalléchanteslèvresourlées.

– Hum,etquedis-tud’unecapedeJedi,sansrienendessous ?– Là,onpeutnégocier.

***

LesvêtementscommandésparGaspardm’attendentsagementsurlelitetj’esquisseunsourire.

Jelève,àhauteurdemonvisage,unejolierobepourpre.Mesyeuxtombentsurl’étiquette,surlaquelleestinscrit« YvesSaintLaurent »etjeretiensinvolontairementmonsouffle.C’estdémesuré.Jemeseraiscontentéed’unerobedansmesmoyenset,sincèrement,jem’yseraissentieplusàl’aise.

MaisquandGaspardetmoinousprésentonsdanslasalleàmanger,jenoteimmédiatementlesourireémerveillédeNinonMaréchal.

– YvesSaintLaurent,Dylan !J’approuve !Venez-vousasseoirpourmanger.

Gaspardmepresselahancheet,commesinousétionsaurestaurant,iltiremachaise.Unpetit-déjeunerchezlesMaréchalsetransformeendînerdeprestige.

Enfin,pendantuncourtinstant…

– Têtedevache !

Cyrus,quiestenboutdetabledansunechaisehaute,mepointedudoigtetmeregardeavectoutelahaine dont son petit corps est capable. Je tente de ne pas y prêter attention même si j’aimerais luirépliquerqu’ilaunesaletronche,maisceseraitmentir.C’estunjolipetitgarçonquialesyeuxdesongrandfrère.Jemedemandebiensic’estuntraitgénétiqueauquelonnepeutéchapper.

– C’esttoi,latêtedevache !rétorqueStéphanieenprenantplaceauxcôtésdesagrand-mère.

Laprésencedemameilleureamiemerassureetjemesensunpeumoinsétrangèreàcettetablée.Ellemesouritdetoutessesdentsettirelalangueaubambin.

LesyeuxdeCyruss’agrandissentcommedessoucoupesetilobservesilencieusementsagrandesœurs’asseoir.

– Gaspard,commenceMadameMaréchal.EllesoulèveleboldeMielPopsetgrimace.Qu’est-cequec’estqueça ?Ilssesonttrompésdanslacommande.– C’estàmoi,lancé-je.Cesontdescéréales.– Çan’enapasl’air,commenteMadameMaréchalenreposantlebol.Vousnedevriezpasmangerça,

Dylan.

Encompagnieden’importequid’autre,j’auraishaussélesépaulesavantdemeservir.MaisMadameMaréchal refrène mon effronterie innée. C’est pourquoi je me contente d’un pain au chocolat enpromettantdemevengerdèsquejeseraideretourchezmoi.

– Moi,jeprendslerisque !

GaspardverselesMielPopsdanssonlait,devantlesyeuxhorrifiésdesagrand-mèreetceux,amusés,deStéph.Jemeretiensderirequandilprendunebouchéeetqu’ilcherchelegoûtexceptionnelquej’ytrouve.

– Délicieux,déclare-t-ilenmelançantunclind’œil.

Jesaisqu’ilnelepensepasmais,commepourlesprésents,c’estlegestequicompte.

La grand-mère Maréchal soupire bruyamment et se tourne vers moi en regardant ma tenue avecenthousiasme.

– Gaspard devrait vous emmener au prochain match de son ami Tommy Cavalier ! Vous seriezravissantedansunerobeensoiedemousselineàsonbras,etlesjournalistescesseraientdespéculeràtoutva !

J’ai bien peur que cette apparition publique soit plus qu’une sortie entre tourtereauxmais plutôt unsubterfuge pour l’officialisation du mariage que je n’ai pas accepté. Et puis, Gaspard est ami avecTommyCavalier ?Quandcomptait-ilm’informerqu’ilfréquentelejoueurdetennislepluscélèbreetleplusperformantdeFrance ?ParisseetCharlievontêtredingueslorsqu’ilsl’apprendront.IlsnemanquentjamaisunmatchdujoueurpréférédesFrançais.

– Grand-mère,soupireGaspard.– TuconnaisTommyCavalier ?– Nousavonsfaitdutennisensemble,m’apprend-il.– Ilsétaient aulycée ensemble,préciseMadameMaréchal.

JedevineGaspardroulerdesyeuxetilgrogneànouveau« Grand-mère »,afinqu’ellecessedevantersesmérites.

– CommentvaonclePaul-Antoine ?

Uncoupd’œildanssadirectionm’indiquequ’ilestapeuréàl’idéededevoirs’expliquerausujetdeCyrus.

– Aucuneidée.Ilestsortidel’hôpitalhieret,toutcequej’aieu,c’estunmessagedesonamiLaurent,quidisaitdenepass’inquiéter.– Grand-mèreNini,marmonneStéph.Tu sais queLaurent n’est pas qu’un simple ami d’oncle Paul-

Antoine.

MadameMaréchalétireseslèvresetévitelesujetenleremplaçantimmédiatementparunautre.

– Gaspard,tudevraispenseràinscrireCyrusdèsmaintenantàl’école.Lesplacespourleprivépartenttrèsvite !

MonamielèvelesyeuxaucieletsetourneversGaspard.

– Sap,lapremièrechosequetudevraisfaire,c’estapprendreàtonfilscomments’adresserproprementàunefemme.

Elle me lance un clin d’œil et je ris doucement. Soudain, ma nourriture passe de travers quandj’entendsGaspardlâcher :

– JenesuispaslepèredeCyrus.

MadameMaréchalsecouelatêteensouriant.

– Quoi ?C’estlachoselaplusridiculequej’aientendu.Cyrusestleportraitcrachédetonpèrequandilétaitpetit.– C’estparcequepapaestlepèredeCyrus.

Lescouvertss’arrêtentbrusquementdanslesplats.Unsilencedeplombtombedanslasalleàmangeretsurnosépaules.GaspardfixelesdeuxfemmesMaréchalavantd’entamerl’histoire.Alorsquelesmotsontdumalàpasserseslèvres,jemerendscomptequec’estlaraisonpourlaquelleilvoulaitquejesoislà.Sansmoi,ilseseraitsentiemprisonnésurunterrainoùpersonnen’estdanssoncampetlemomentseseraitavéréencoreplusdifficilepour lui.Sapeurbleuedeperdrelesderniersmembresdesafamillen’aideenrien.

Mesdoigtsviennentalorstimidements’entremêlerauxsienset,mêmes’ilestfocalisésursesparoles,je luienvoie toutmonsoutien.Lecontrasteentrenosdeuxmainsm’étonneratoujours ; lamienneestsipetite,comparéeàlasienne.Cecontactestjuste…parfait.

Sesdoigtsserefermentautourdesmiensenexerçantunepressionlégèrementtremblante,ilsramènentnosmainssursacuisse.

Letempsdequelqueslonguesminutes,toutlemondel’écoute,mêmelemômequinedoitcomprendrequ’unmotsurdix.

Quandl’histoiresetermine,lesangadésertémamaintantGaspardlaserrefort.Leslèvrespincéesetlesépaulesvoutées, il attendune réactionquelconque, se forgeunearmureet seprépareà recevoir lescoupsqu’ilneméritepas.Uninstinctdeprotectionmebouleverseetmepousseàemprisonnersamain,prêteàmebattrepourlui.

– Est-cequetuasfaituntestdepaternité ?demandeStéphd’untonbourru.– Stéphanie !s’indignesagrand-mère.

Mesyeuxseplissentpourréprimandermonamiedesonmanquedefinesse.Mais,tropabsorbéeparlacolèrequ’ellevoueàsonfrère,ellenemelancepasunseulregard.Commes’ilavaitpudéciderqueCyrussoitleurfrère…

– Qu’est-cequetuinsinues ?rétorqueGaspard,suruntonquim’indiquequelaréflexiondesasœurleblesseplusqu’ilnelepensait.

Oui,qu’est-cequ’ellesous-entend ?

Que,parsonattitude,GaspardapousséÉmilieàletromperavecsonpère ?Commentpeut-elleseliguercontresonproprefrèreaprèstoutlerécitqu’ilvientdedéballer ?

– Jenepeuxpascroirequepapat’aitfaitça.– Tuneleveuxpas,rectifié-je,horripiléeparsoncomportement.

Stéphanieme foudroiedu regard.MadameMaréchal clignedesyeux, surpriseparmavéhémence. Jecarrelesépaulesetfroncelessourcils.

– Tuneconnaissaispasnotrepère.Tunesaismêmepascequec’estd’enavoirun.Alors…– Stéphanie,articulefroidementGaspard.

Cyrusaunhoquetdesurprise.L’effet« Gaspardencolère »estuniversel.

Ilbaisseletonetordonne :

– Retireçaimmédiatement.

Stéphanieinspirecommeuntaureauausangchaud.C’estcequ’elleest,d’ailleurs,etsijel’adore,jenesupportejamaisquandmapetiteluciolelaisseparlerlapestedesbeauxquartiers.Parcequesielleabienquelquechose,c’estdurépondant.Mélangéàsamalice,celanousdonneuneharpiequiutiliselesfaiblessesdesautrespourfairedumal.

– Tuas raison,dis-je. Jen’aipasconnumonpère,mais,grâceàsonactepassé, jepeuxendéduirequ’iln’estqu’unlâche.

Stéphaniejetteviolemmentsaserviettesurlatableavantdenousquitter,dansunraclementdechaise

théâtral. Énervée, jeme lève àmon tour pour la poursuivre et ignore l’appel deGaspard.Mon amies’enfuitdanslecouloirquimèneàl’ascenseur.

– Stéphanie !– Quoi ?hurle-t-elle.

Ellefaitundemi-toursursestalonsetsesbouclesbrunesbalaientl’air.

– Tun’enaspasmarre,àlafin,detefaireconstammentpasserpourlavictime ?

Ellehausselementonet,auvudesadémarchehautaine,jecomprendsqu’elleneselaisseraembobinerparpersonne.

– C’est luiquiaété trahi !C’està luique tonpèreamenti !C’est luiqu’Émilieamanipuléetà luiqu’elle a aujourd’hui laissé Cyrus. Il gère une entreprise ; prend soin de votre héritage et de votrefamille ;paietesrobesgrifféesettontoit ;etavectoutça,turéussisquandmêmeàluienvouloird’avoirététrompé !Alorsjetelerépète :celatefatiguepasdetefairepasserpourlavictimequetun’espas ?

LeslarmesmontentauxyeuxdeStéphanieetsonnezprenduneteinterougequimepincelecœur.

– Tuessupposéeêtremameilleureamie !Tuessupposéemesoutenirmoi,pasmonfrère !Tunevoispascequ’ilfait ?Ilteretournecontremoi !– Personneneseretournecontrepersonne,Stéphanie.Tonpèreacouchéavecl’ex-copinedetonfrère

etilsonteuungosse !Faisavecetgrandisunpeu,merde !

Ellerenifleetsecouelatêteavecamertume.

– Ilestparvenuàfairedetoiunchienbiendressé,Dylan.Et,àl’inversedevous,j’aidéjàcomprisquevotrecouplenetiendraitpas.

Quandelledit« vous »,unfrissonmeparcourtl’échineetjepivotepourdécouvrirGaspard,quinousobserve.

– Le jour où Dylan et moi nous aurons besoin d’un avis en ce qui concerne notre relation, nousdemanderons celui d’un professionnel. En attendant, nous pouvons nous passer de tes commentairesdésobligeantsetpurementfantasmagoriques.

Stéphanietournelestalonsets’enva,sansunmotdeplus.Unefoisrentréedansl’ascenseur,jecroiseleregardimpassibledeGaspardetdevinequ’unepartiedemaconversationavecsasœurneluiapaséchappé.

– Jedoisyaller,annonce-t-il.J’aiunrendez-vousimportantaubureau.

Jemeprécipiteàsasuiteet le rattrapedanssachambre.Mesdoigtsessaientde lecapturermais ilm’éviteet se concentre sur sesaffairesdebureau,qu’il rassembledans samallette. Je refusequ’il sefermeàmoijusteavantdes’éclipserpourunejournéeentière.Niluinimoineparviendronsàbienlapassersinousnousprenonslatête.Jeprendsdoncsurmoi,commeCharliemel’aconseillé,etluilance :

– Sij’aiditoufaitquelquechosequiauraitputefroisser,jem’enexcuse.Jenevoulaispas…Jenepouvaispaslalaissers’enprendreàtoisansréagir,soupiré-je.– Jesais,souffle-t-il.Jen’appréciesimplementpaslefaitquetusoispriseentredeuxfeux,s’énerve-t-

iltoutentachantdeconserverunminimumsonsang-froid.

Laveineau-dessusdesamâchoirepalpite.C’estplusfortquemoi,jemontesurlelit,meplantedevantlui et l’attrape par les épaules pour l’arrêter. Mes bras l’emprisonnent, et mes mains maintiennentfermementsatête.Jeplongemesyeuxdanslessienset,contretouteattente,ilneromptpaslelienvisuel.

– Ilesthorsdequestionquejechoisisseentretasœuret toi,Gaspard,sic’estcequitetracasse.Jerouleavecvousdeuxàl’arrièreoujeneroulepas.

Ilcomprendquejesuissincère.Lesoulagementquemesparolesluiprocurentselitsursonvisage.Sesyeuxretrouventdeleurbrillance,sesépaulessedétendentetsesbrasmeportentdanslesairs.Salangues’enfoncedansmabouche,caresselamienne,etréveillelabouledechaleurdansmonbas-ventre.Avecdifficulté,jerecule.

– Tuasdéjàeudroitàtaséancedesexematinal,Pépito.Deuxfoissousladouche !ajouté-jeensentantsabouches’ouvrirpourrépliquer.Grâceàmoi,tuserasdebonnehumeurtoutelajournée !

Jepassemonpoucesursa jouepoureffacer la tracedemonbaisermouilléetsouris. Ilboudeetsecontente deme déposer au sol en grognant.Mon corps glisse le long du sien et la jupe dema roberemonteentrenous.Jemesenssoudainementminusculecontrelui,maisridiculementbelledanssesbras.Sinousnousregardionsdanslaglace,nousyverrionsuncouplechic,avecunhommecharismatiqueencostumeetunepetiteblondebiensapéeauxcheveuxélectriques. 

– TumedéposesàMajorMusic,aupassage ?

Ilmeclaquedurementlesfessesetgrogneàmonoreille :

– Enroute,coquine !

Je glousse, tout heureuse, et sautille en rassemblant mes affaires. Il secoue la tête, le regardétrangementdoux,etsegrattelajoue enmurmurant :

– Qu’est-cequ’onneferaitpas,paramour !

Etmonmondecessebrusquementdetourner.

Amour.

Gaspardaprononcélemotamour.

42.L’âne

GASPARD

– Alors, une sorte de super-vilain en veut donc à Maréchal Community depuis des années. Il esttoujourslà,tapidansl’ombre.Etd’aprèstoi,monpèreestaucourant ?

Quentinme dévisage. Il n’a pas touché une seule fois à son plat de frites depuis que j’ai émis dessoupçonssursonpère.C’estMonsieurGesbertquiaenvoyéQuentin,sansoublierqu’iladissimulédesinformations qui auraient pu nous faire gagner un temps considérable.Nous aurions pu également êtredavantagesurnosgardes.Et,surtout,éviterd’accusermononcle.

– Qu’est-cequec’est ?LescénarioduprochainMarvel ?– J’aimeraisbien,luisoufflé-je.Maisnotretémoincléétaitlepilote,Quentin.Cesontsesmots.– Monpèrem’adoncdélibérémentdissimulélavérité.

Ilfroncelessourcilsetréfléchitàtouteallure.J’ignorequoiluidire.MonsieurGesbertn’estsûrementpas un meurtrier, mais pourquoi ne nous a-t-il pas donné cette information quand il a vu que nousenquêtionssurlamortdemonpère ?Quelsecretcebordelcache-t-ilànouveau ?

– J’aiunrendez-vousimportant,s’empresse-t-ild’ajouter.

Jenepolémiquepasetmelèveaveclui.Illaisseunbilletdecinquanteeurossurlatableets’envasansmelaisserletempsdeluiparler.Jequittelerestaurantettraverseenvitesseletorrentdepluiequitouche Paris aujourd’hui. Mes deux gardes du corps sont plutôt discrets, mais je les repère tropfacilement.

Je regagnemonétagecinqminutesplus tardetmonportablevibre.UneadorablephotodeDylanetCyrus,accompagnéed’unmot,apparaîtàl’écran :

Dylan :[Jesuisrestéeunepetiteheure,cematin,avecluiettagrand-mère.Ilm’appelleLane(oul’âne,commetupréfères) !Maisonestsuperpotes,maintenant !]

Elleveutmetuer.D’abord,ellenerépondpasàmademandeenmariageet,maintenant,ellem’envoiecegenredemessage.

[Objection,votrehonneur],luiréponds-je.[Saufsitumedisoui],rajouté-je.[Dis-moiOUI],etjene

peuxm’empêcherdeluienvoyer,finalement.

Unebulledeconversationselèveetjereçois :

Dylan :[N’est-cepascequejecrieàchaquefoisquetuvasetviensenmoi ?]

Maqueuefrétilleetjelaforceàsecalmer.Bellefaçondecontournerlesujet,pensé-jeavantdemepencherau-dessusdubureaud’Elizabeth.

– Elizabeth,quelrestaurantgastronomiqueditàunefemme…Peuimporteleprixdecettesoiréeoudeceverredevin,tuvauxtellementplusàmesyeux.Tuvauxtout.

Elizabethclignedesyeux,surprise.

– LapetiteDylan ?

Çafaitincroyablementpédophile.Maisjesourisquandmêmecommeunidiot.

– Je m’occupe de votre agenda de la soirée, s’enthousiasme-t-elle, et je vous envoie un mailrécapitulatif.Pourquelleheuresouhaitez-vousêtreparti ?– Dix-huitheures,j’airendez-vousavecmonagentimmobilier.– Entendu.LesproducteursdeMajorsontdansvotrebureau,commevousl’avezdemandé.

Je prendsune légère inspirationpourmedonner du courage et gagnemonbureau.Deuxhommes selèventàmonarrivéeetmetendentlamain.

– MonsieurMaréchal.FranckCohen, je suis lemanagerdesNoLimits.Nousnoussommesparléautéléphonehier.

Ouf, cet homme n’est pas du tout le genre de Dylan. Il a dans les yeux un « je ne sais quoi » quim’empêche de le classer dans la catégorie des personnes honnêtes. J’irai même jusqu’à dire qu’ilressembleàquelqu’undevicelard,cequidoitsûrementrepoussermalionne.

– EtjevousprésenteVirgil.Ils’occupedesrelationspressesetpubliquesdugroupe.Virgilestunpeuplusjeunequemoimais,malgrésonstatut,ilal’airréservéetpeuconfiant.Pasdu

toutlegenredepersonnalitéquis’accordeàDylan.

Jemereconcentresurlaraisondecetteréunion–plutôtqued’évaluerleshommesavecquitravaillemapépite–leurserrefermementlamainetprendsplacederrièremonbureau.

– Heureuxquevousayezpuvouslibérer.Jevaisallerdroitaubutavecvous,messieurs.FaitesdesNoLimitsdesstarsdelamusiquemais,enéchange,jeveuxquecesoitmonentreprisequis’occupedeleurimagepublique.

LeVirgil en question blêmit car il s’agit là de son rôle. SiDylan n’était pas dans le groupe, je lelaisseraisgérer,maiscen’estpaslecas.Elleestl’essencemêmedesNoLimits,etc’estsavoixquiseraprésentéeàtoutelaFrance,dansquelquestemps.

– Avectoutlerespectquejevousdois,monsieur,nousnousoccuponsdéjàdeleurimage.

Jestoppelegarçond’unregardglacial,meredressesurmonsiègeetlesconsidèreàtourderôle.

– Je me suis mal exprimé, reprends-je. Laissez-moi vous expliquer comment nous allons procéder.MaréchalCommunitypossèdequatrestationsderadio,dixchaînesdetélévisionnationales,etcontrôleàpeuprès toutcequi toucheà lapublicité.Ceseraitdommagequ’unmalentenduavec ladirectionvousbloquel’accèsàcertainsdeceséléments.

LesdeuxemployésdeMajorMusiccillent,échangentunregard,puismeconsidèrent.

– Messieurs,c’estunplaisirdetravailleravecvous.

***

– DesnouvellesdeStéphanie ?interrogegrand-mèreNiniquandjefranchitlaportedelasuite.

Elle est assise sur le canapé, un livre à la main, son verre d’eau et ses médicaments sur la tabled’appoint. Cyrus court tout autour, en lançant ses jouets par terre, sans raison valable. Je regarde lachambred’hôteloùj’ailogécesdernierstempsetl’impersonnalitédesadécoration.Unedurejournéedeboulotestatténuéeparunchezsoi.Maisici,riennechangemonressenti.

– Pasdirectement,réponds-jeendesserrantmacravate.Dylanm’aditqu’elleséjournaitchezParisse,unedeleurstrèsprochesamies.Netefaispasdesouci.

Ellem’observelonguementetj’arqueunsourcil.Ellem’éclairealors :

– Jene saurais comment l’expliquermais, quandelle est là, c’est comme si tuvivais ànouveau. Jet’entendsrire,jetevoissourire,jetesenslibre.Troischosesquetut’étaisinterditaprèslamortdetesparents.

Ellemarqueuntempsd’arrêt,puislâched’unetraite :

– Jel’appréciebeaucoup !Voilà,c’estdit.

Jenepeuxm’empêcherdesourirecommejamais.Ellebalaiedelamainmonairimbécileetretrouvesacontenancechic.

Dès qu’elle entame son speech sur les évènements mondains dans lesquels je devrais faire uneapparitionavecDylan,jemedéconnecte.Paul-Antoineadisparudelacirculationetjemeretrouveaveccelle qui l’a élevé. Même si j’adore grand-mère Nini, je connais aussi son besoin maladif de toutcontrôler.Dylancomprenddequijetiensça,maintenant.

– Passons, j’aiuneamiequim’aconseillédesnourricesauCVirréprochable.Ellesarriventdemainpourpasserunentretien.Penses-tuêtreprésent ?

Jecroisluirépondrenon,mespenséesplanantàdeskilomètresdelà.Ellecontinuedeparler,alorsquejemechangedansmachambreet faisunbrinde toilette.Mamontreaffichevingtheures.J’allumemonordinateur,consultemesmailsetsuisinterrompuparuneagitationàmespieds.

– Jeveuxmoncadeau,déclareCyrusentirantsurmonpantalon.

Debout à mes pieds, il est minuscule. Comme toujours, ses yeux bleus me regardent avec uneintimidation et une admiration que j’ai dumal à comprendre, et quimemettentmal à l’aise. Pour luifaciliterlatâche,jeposeungenouausol.

– Toncadeau ?

Ilhochelatête.

– Les cadeaux, bonhomme, c’est quand on fête son anniversaire. Or, aujourd’hui, ce n’est pas tonanniversaire.

Ilfroncelessourcils,mécontent.

– Maisquandjesuissagetoutàl’heure,défend-ilavecuneutilisationtrèsnaïvedestempsverbaux,l’âneaditquelepapaNoëldescendduciel.

Jevois.L’âneadûachetersonsilenced’unemanièreoud’uneautre.Jenepeuxpaslablâmer.

– Tun’auraspasdecadeau,Cyrus.– Si !– Cen’estpasNoël.

– Si,c’estNoël.

Il fulmine, prêt à sortir les armes et àm’abattre si j’oseme dresser contre lui. J’ouvre la bouche,inspireprofondémentetmejette :

– Non.Cen’estpasNoël.Etmêmesic’étaitlecas,tuviensdemeprouverquetuneméritespasdecadeaux.Répondreauxadultes,c’estimpolietçamériteunepunition.Pourl’instant,jedoisdîneravecmachérie,maissoissûrquejeréfléchiraiàunefaçondetepunir,bonhomme.

Ilsetait.Nerétorquepas.Nerespiremêmepas,surprisetchoquéparletondemavoix.

– Laissetongrand-frèretranquille,Cyrus,luiintimegrand-mère.

L’enfantsecalmeimmédiatement–commeça,enunclaquementdedoigt–etredevientunangedanslesbrasdesagrand-mère.

Ellel’attrapeparlatailleetleporte.Sesyeuxparcourentrapidementmachambreavantdeseposersurmoi.Unsourirechaleureuxéclairesonvisagepâle,marquéparlesannées.

– Turessemblestantàtonpère.

Effectivement. La façon dont j’ai remis mon petit frère en place est typique de la façon dont secomportaitpapa.Fermeetdirect.ÇamarchaittoujoursavecFafaetmoi.

– Jeneteretienspaspluslongtemps.Passeunebonnesoirée.

***

Impatient,monchauffeurtapotelevolantdelavoiture.Jelèvemonregarddemonportableetlasentapprocheravantmêmedelavoir.Dylanpousselesportesdesonimmeubleetsortsouslapluie.

Captivante.

Ellechercheoùjesuis.Jesorsdelavoitureenrangeantmonportabledanslapochedemonmanteauetouvremonparapluie.Elleatroquélarobedecematinpourretrouverleconfortdesesvêtements.tee-shirtMetallicarentrédansunejupeencuirbordeauxet–douxJésus–desbasnoirsendentelle,ainsiquedesbottinesàtalon.Nosregardssecroisent,ellemesourit,seprécipiteversmoietsauteàmoncou.Lebonheurdelaprendrecontremoiaprèsunelonguejournéeestindescriptible.J’aimeraisressentirçachaquejourdemavie.

– Oùesttonmanteau ?grogné-jeenreniflantl’odeurfamilièredesescheveuxélectriques.

– Bonsoiràtoiaussi,murmure-t-elleavecunsouriredansmoncou.– Bonsoir,magrande !

Ellem’embrassesurlamâchoireengloussantcommeunepetitefilleet je luiouvrelaportière.Elles’installe immédiatement pour fuir les gouttes d’eau. Le parapluie rangé, le chauffage de l’habitacleallumé,lasoiréepeutcommencer.

Nousparcourons lesbordsdeSeine jusqu’aupointde rendez-vous.Elizabethasorti legrand jeuetnousaréservéunepetitepéniche,unchefcuisinier,desserveursetunecroisière,quidémarredupontdesArtsetremontejusqu’àlatourEiffel.NousconnaissonsdéjàleslumièresdeParisetsesquais,maisnouspromenerainsitouslesdeuxpourlapremièrefoisestuneredécouverte.Nousnégligeonspratiquementlamoitiédudînerpouradmirernotreville,nousbécoteretnoustaquiner.Lapeaudesacuissenueestunappelauxcaresses ; lesbaiserssous l’oreilleque je luioffrenesont jamaissuffisants ; lamusiqueesttropfortequandellemurmureprèsdemeslèvres,tropfaiblelorsqu’ellegémitsousmesmots.

Monpouceluieffleurelementonetjefantasmesurcettebouchedemalheurquisaitmedonnertantdeplaisir.

– Commentsepassel’enregistrementdel’album ?

Ellemordlachairdemonpouceetdéclenchelalevéedemaqueue.

– Incroyable.Jen’arrivepasàcroirequejesuisréellemententraindevivremonrêve.– Ettrèsbientôt,tuenvivras !

Elleagitelatêtededroiteàgauche,incrédule.

– SituvoyaiscequeThibaultfaitavecnotreson.C’estvraimentmagique !Ilestsidouéquejemedisquec’estimpossiblequenotrepublicn’aimepas.

Jegrogneàsonoreilleenentendantl’élogesursonThibault,resserremonbrasautourdesatailleetl’embrassedanslecou.Ellesentterriblementbon.

– Jesuisjaloux,marmonné-je.MaréchalCommunityestjaloux.Tun’auraisjamaisdûnousquitter.

Jelèchelapeaudesoncouetronronne.Cetteodeurqu’elledégage…

– Dis-moicequ’ilfautquejefassepourtefairerevenir !

Ellerigole,medit :« Vienspar-là »,prendmonvisageentresesmainsetm’embrassegénéreusement.

J’inspireprofondément enprolongeant leplus longtempspossible cebaiserquinourritmoncœur, legonfled’amouretdepaix.

– Putain,jepourraist’embrassersansjamaismelasser.

Ellelèvelesyeuxversmoi,monpoucefrôleleborddesaboucheet,délicatement,ellelesucesansdéviersespupillesdesmiennes.Jeplongesurseslèvresetmêlemalangueàlasienneetàmondoigt.Sonhaleinefraîcheneparvientpasàcalmerlefeuqu’elleprovoqueenmoi.Ellesedétachebientropvite,inspireprofondémentetouvresespaupièresalourdiesparledésir.

– Ettajournéeàtoi ?medemande-t-elle.– Chargée,réponds-je,frustré.

Lamèchequitombesursonfrontmedérange.Jelarepousseavecmesdoigtsetprofitedeladouceurdesapeau.

– J’airencontrélesgarsdeMajor.

Sesyeuxs’écarquillent.

Quiestsurlepointdemettrefinàcettesibellesoirée ?

– Pourquoi ?Pourquoi,Gaspard ?

Moi…

– Parcequetuesmapetiteamie.Jeveuxqu’ilssachentoùilsmettentlespieds.Siontoucheàtoi,c’estdemoiqu’ilfaudrarépondre.

Ellesemord la lèvreet je lisenelle la luttequ’ellemènepournepasmebalancer sonopinionenpleinegueule.

– Jepeuxmedéfendretouteseule.– Nousneparlonspasdecoupsdepoingsoudejurons,maisd’uncontratquipeutdétruire tavieet

cellesdetesamis.

Seslèvressefermentetellelesmordilleenréfléchissant.

– Tonavocatn’avaitpasarrangéça ?– Leschosesontchangélorsqu’ilsontdécidédefairedetoilastardugroupe.

Naïve,ellesecouelatête.

– Ilsn’ontpas…– Dylan.Àmoinsquetunedisparaisses,MajorferadetoilanouvellechanteusedesNoLimits.L’ego

deMayalapousseraàquitterlegroupeettuvasteretrouvertouteseuleentêted’affiche.Àcemoment,ilsferontdetoiuneMileyCyrusouune…– Jecroisquej’aicompris,murmure-t-elle.– Jefaisdesefforts,Dylan.D’habitude,j’auraisdéjà…Jenesuispasréellementrentrédanstasphère

professionnelle…J’aijuste…soufflé-jeavantdemeressaisir.Ilvafalloirquetut’habituesàcequejesoislà.

Pointàlaligne !

Elledéposesaservietteet,parréflexe,jelaretiensparlepoignetavantdevoirsoncorpsgrimpersurmesgenoux.Elleseblottitcontremoietenfouitsonnezdansmescheveux.

– Net’arrêtejamaisdeprendresoindemoi,Pépito.

Elleposeseslèvressurlesmiennes,mevolequelquesdouxbaisersetenroulesesbrasautourdemoncouavantdes’ycacher.

Lacomplicitéquinouslieestsinaturellequ’ellemedonnel’impressiond’êtrenéetd’avoirfaittoutcecheminpourmeretrouverlàcesoir.Leschoix,leserreurs,toutcequej’aientreprisdansmaviem’aguidésurcettevoie,celledeDylan.Jecontemplesesyeuxverts,quiflamboientsouslesilluminationsde la capitale, sa bouche qui se serre en signe de timidité, ses joues rougies par notre bouteille deGrand-Échézeaux et, tout à coup, je comprends. Je suis amoureux, comme je ne l’ai jamais étéauparavant.C’estàlafoisunfeud’artificeetlenéant.Unbonheuretunmalheur.

***

– Gaspard,gémit-elleenenfonçantsesonglesdansmoncou.

Pitié.

Jemordillesamâchoire,remontesurseslèvresetfrottemaqueuecontresaculotte.Soncorpschauffesousmesmains,sarespirationaccélèreetc’estuneguerreintérieurequejel’entendsmener.Melaisse-t-elleentrer–chezelleetenelle ?

– Oui,medit-elle.Non !Oui.Rah,non !

Elleposesesmainssurmesépaulesetmerepousse.Elleremetsontee-shirtdanssajupeetarrangesescheveux.

– Tuasvingt-septans,Gaspard !Ettutecomportescommesituétaisunadolescentenrut.– Fais-moirentrer.Promis,jeseraisage.– Mamèrenevapastarderàarriver !

J’adorelafaçondontsoncorpsseglissesousmesbras,secalecontremontorse,s’étirepourgagnerdelahauteur.Monnezs’enivreduparfumaphrodisiaquedesoncou.Mesmainspalpentsesfesses,sapeaudevelours…

Un bruit dans les escaliers nous arrête.Une femme au visage similaire à celui deDylanmonte lesétagessurlapointedespieds.Samère.Instinctivement,jemebraqueetsorslesgriffespourprotégermalionne de toute attaque. Notamment parce que je sais. Les mots d’Émilie, l’autre fois, m’ont dévoiléquelleschosesimmondeselleafaitpourdel’alcool.Dylanlesavues,ceschoses.Ellelesavécues,etmoi…Restersansrienfaire ?Non !

D’aprèsmapépite, elle est sobre,mais ellem’a l’air en piteux état.Elle est plus pâle qu’unmort,sûrementl’undeseffetsdesadésintoxclandestine.

Jenemanquepasleregardméprisantqu’ellemelanceavantdesourireàDylan.

– Tueslà !s’écrie-t-elle.Jenevoulaispasvousdéranger.Jepensaisquetunerentreraispascesoir.– C’estchezelle,rétorqué-je.

Dylanmepinceetsetournefaceàmoi.Lescilsrassemblésenunelignesombre.

– Gaspard,voicimamère :Teresa,articule-t-elle.Maman,jeteprésenteGaspard.Ilétaitsurlepointdepartir.– Ettuviensavecmoi,annoncé-jeenluirenvoyantlemêmeregardqu’elle.

Jeglissemesdoigtsdanssamainetlatireversmoi.Ellem’arrêteetabaisselementon.Bordel,jeneveuxpasmedisputermaiscettesituationmerendfou.

– Gaspard…

Ellemelanceunénièmeregard,mesuppliantdecomprendrequ’ils’agitdesamère,etmoncœurcèdeàcontrecœur.

Douces comme de la soie, ses lèvres se posent sur les miennes pour atténuer notre mésentente

silencieuse. Je guette sa mère du coin de l’œil avant de glisser ma main sur sa nuque. J’empoignerudementsescheveux,inclinesatêteetluidonnedescoupsdelanguesendiablés,presqueobscènes.Prisàmonproprejeu,moncaleçondevienttropétroit.Dylangémit,prendconsciencedecequisepasseetrecule.Samèreestrentréedansl’appartementmaisalaissélaporteouverte,commepourrappeleràsafilleoùestsaplace.

– Donne-moiunebonneraisondenepastebalancersurmonépauleetdenepast’embarquerdeforce.

Elle joue avec sa lèvre inférieure, glousse puis, sousmes yeux, elle retire sa culotte et la balancedevantmonnez.

– Situessage,susurre-t-elleàmonoreille,jet’enverrailaphotoetlemessagebrûlantquivontavec.

Elleglisselemorceaudedentelleentremesdoigtsetposeunchapeletdebisousvoluptueuxdemonoreilleàmeslèvres.

Bordel !Quej’aimecettefille.

43.Refusd’obtempérer

DYLAN

– Croissantoupainauchocolat ?

Monventregargouillerienqu’àl’énonciationdel’unetl’autre.Ilestseptheuresetdemiedumatin,etGaspardaproposédem’accompagneràMajorMusicavantd’allertravailler.

– Croissant !

Ilmetendunpaquetet,quandjel’ouvre,c’estunpainauchocolatquejetrouve.Jepenseuninstantqu’ils’esttrompé,jusqu’àcequejel’aperçoivecroquerdansmoncroissantavecarrogance.

Jeposemesmainssurmeshanchesetilessuiesaboucheaveclaserviettedelaboulangerie.

– C’estquoiça ?– Ledébutdemavengeance.Pournepasm’avoirlaissérentrercheztoi,l’autrenuit.– C’étaitilyaunesemaine !m’écrié-jeenpinçantsonmanteaupourmerapprocherdelui.– Vienspar-làquejetedonneunpeudecroissant,rit-il.

Ilplaquesagrandemaindanslebasdemondos,mepressecontresontorsesolideetsepencheafindemedonnerunbaiseràlafoissucréetbeurré.

– Si tu me disais oui, Dylan, murmure-il chaudement contre mes lèvres tout en m’observantintensément.Toutcequiestenmapossessiondeviendraittapossession.

Samainlibrecaressemoncou,sonpoucepressedélicatementmajugulaireetilinclinetendrementmatêteenarrière.Moncœurs’emballeunpeutropbrusquement.Unsentimentd’excitationetdecraintemesaisitàlagorgelorsquelesparolesdeGaspardfontmouche.Ilpossèdeunegrandeentreprise,aumoinstroisvoitures,desgardesducorps,logedansunhôtelcinqétoiles,fréquenteletennismanlepluscélèbredeFrance,asonproprejetprivéetuncompteenbanquesansfond.Maissisonbutétaitdem’amadouer,ilvientd’échouer.

– Ycomprismoncroissant,badine-t-il.

Sesdentstaquinentmalèvreinférieure,raflentmajoueetremontentjusqu’àmonoreille,oùilsusurre

d’unevoixsuave :

– Ycomprismoncorps.

Lachaleurmonte.Jedéglutis faiblementet ignore le renflementauniveaudesabraguette,qui titillemonventre.

– Gaspard.

Ilredressemonmentonetplongesonregarddanslemien.

– Tupossèdestellementdechoses.– Etunjour,ceseraàtoi,merenvoie-t-il.

Un fil invisible amène ses lèvres aux miennes. Envoûtée, je me perds avant même qu’elles ne sejoignent.

– Àtoi,etànosenfants.

Un grognement sourd m’échappe et, tandis que mes mains emprisonnent son col, je l’oblige à secourberpourl’embrasser.

– Arrête,gémis-je.Pitié,arrête.

Ilmeregardeavecinsistanceet jem’acharneànouveausurseslèvres,quimepromettentuneviesibelleetsiparadisiaque.Ilestmonrêveéveillémaisj’aicettedouleurdéchirantedanslapoitrine,unepeurfracassantequeças’arrête.Parconséquent,jesuisdansl’incapacitédeluidonneruneréponse.Jeveuxtout,jeleveuxlui,avecousansargent,maissijamaisunjourilymettaitfin,jesaisqu’alorsjenepourraisplusrespirer.

– Jeteprometsquejeterépondrai,lâché-jeàboutdesouffle.Maissachequecen’estpasunnon.Çaneleserajamais.

Il grogne commeun ours enme portant dans ses bras, lorsqu’une voix familière pénètre dans notrebulle.

– Euh,miss ?

JemeretourneetcroiseleregarddeSteve,l’undesamisdemamère.

– Ah.Salut,Steve !

Ildésignel’entréedemonimmeubleetjeluidonnelecode.Ilentreenmeremerciantdelamain.

– C’estquoi,ça ?mequestionneGaspard,inquiet.Unnouveauvoisin ?

Àtraverslavitredelaporte,l’ombredeStevedisparaît.Jesourisetexplique :

– C’estSteve.Mamanl’arencontréauxalcooliquesanonymes,lasemainedernière.– Tamèrevaauxalcooliquesanonymes ?

Sonairétonném’agace.Iln’apasenvied’ycroire,maismoi,si.

– Ilétaitpatrond’uneboîtedetransport,maisilatoutperduàcausedel’alcool.Et,commemaman,ilessaiedesereconstruire.– Ehbien,tuenconnaisunpaquetsurlecopainalcoolodetamère,raille-t-il.– Iln’estplusalcoolique.– Ah. Il a été en centre comme ta mère ? Ah non, pardon, il n’a pas bu devant toi et donc il est

officiellementsoigné.C’estpourçaque,lui,tulel’autorisesàrentrercheztoi ?Tutiensunfoyerpourles« A.A. » ?

Qu’est-cequ’ilpeutêtremauvaisquandilleveut,c’estinsupportable.

– Mercipourlepainauchocolat,luidis-jed’unevoixneutre.Pourlasuite,jemedémerderai.

Jetournelestalonsetcommenceàmarcherverslapremièrestationdemétro.Lacapuchedemacapesur la tête, lesbrascroiséspourmeprotégerdufroid, jemeconcentreuniquementsur lebruitdemesbottinessurlesol.

Mamann’apas touchéàunegoutted’alcooldepuisqu’elleestavecmoi.Parfois,c’estdur,carellepète lesplombset jedoisnousenfermerdans l’appartementavantde la foutre sous l’eau froidede ladouchepourcalmersesnerfs.Cependant,elleessaieetsicen’estpasfacilepourmoi,çal’estencoremoins pour elle. Savoir qu’elle a un autre soutien que lemien lui redonne de la détermination et del’espoir.Quiplusest,Stevecomprendmieuxquequiconquecequ’elletraverse.C’estungarssympa.Jel’airencontrédeuxjoursauparavant.Dumoins,jel’aisurprisdansl’appartementenrentrant.Ilbuvaitdel’eaucitronnéeavecmamanetiln’apashésitéàseprésenter,lesépaulesrelevéesetlementondroit.Ilm’atoutdesuitepluetfaitbonneimpression.AudiablelaméfianceinnéedanslaquelleGaspardbaigneetfiniraparsenoyer !

– Dylan !

J’accélère le pas et me surprends à courir dans le but de lui échapper. Il n’a sûrement pasd’abonnementauxtransportsencommun,cequiluibloqueral’accèsaumétro.

– Dylan,arrêtetoutdesuitedemefuir,jeneplaisantepas.

Seschaussuresadoptentunrythmeplusrapidederrièremoietl’adrénalinepulsedansmesveines.Samainserefermesurmonbrasetagrippeaupassagemacape,sifortqu’ilpourraitpresqueladéchirer.

– Tumefaismal !crié-jeassezfortpourinterpellerlespassantsautourdenous.Gaspard,arrêteoujehurleauviol !

L’oragequiéclatedanssesyeuxfontvirersesirisaunoir.Lecontrasteavecsapeau,devenueblême,mecoupelesouffledepeur.

– Montedanslavoiture.– Jevaisprendrelestransports.

Il inspire lentement,profondément, jetteuncoupd’œilautourdenousetmepermetdeconstaterqueRonyetsesdeuxgardesducorpssontsurlequi-vive.Ilstoisentchaquepassanttoutennousgardantàl’œil et, soudain, je me sens lasse de tout ça. Ne pas prendre les transports parce que ce n’est pasprudent.Vivrecommeunrobotpourma« sûreté ».Jen’aiaucunelibertédemouvement.

Sortiravecmesamis ?Uniquementsic’estdansunendroitfermé.Alleraucinéma ?Paspourl’instant.MangerunMcDo ?Depréférencesic’estàemporter.Fairedushopping ?Enligne,c’estpasmal,aussi !MebaladersurlesquaisdeSeine ?Pasenpleineheuredepointe.

– Montedanslavoiture,oujetefousdedansmoi-même.Etjet’assurequejeseraitout,saufdélicat.

Jeledévisage,furieuse.

– Monte.Dans.Cette.Voiture,répète-t-il.

Jedégagemonbrasdesapriseettournelesyeuxverslaberlinenoire.Aprèsdeuxpetitessecondesderéflexionidiote,jefinisparmehisseràl’intérieur.Gaspardmesuitdetrèsprès.Avecagilité,ilposesesfessessur lecuirnoiretbrillantdessiègesetordonnevivementauchauffeurdedémarrer,aprèsavoirclaquébruyammentlaportière.

Et là, il fait quelque chose à laquelle je nem’attendais pas. Il appuie sur unboutonqui dresse unecloisonentrelessiègesavantetl’arrièredelavoiture.Surprise,j’observelechauffeurdisparaître.

L’enfoiré !Nousnoussommescaressésplusd’unefoissansquejamaisilnel’utilise.Jem’apprêteàrépliquerlorsque,d’unetraite,ilmetire,mesoulèveetmeretournesurlesiège,ventreetjouecontrelecuir,lesfessesenl’air.Larudessedesesgestesm’émoustille ;jepeuxsentirlapressionchaudedesesgrandsdoigts et les tracesqu’ils vont laisser.Mais je nepeuxpas lui permettre de s’en tirer avec saqueue.Dèsquesamainglissesurmonventreets’approchedemafermetureéclair,jeremueetl’empêched’allerplusloin.

– Gaspard !Lâche-moi !

Commes’ilavaitpeurquejem’échappe,sapriseserefermeautourdemataille.

Jemedébats,poussesurmesgenouxetmesmains.Montaloncognedanslevideavantderentrerencontactaveclajambequ’ilaposéesurleplancher.Cecoupmepermetdemeretournersurledos.Matêtecoincéecontre laportière,mescheveuxemmêlésdansmacapuche, lecœurbattant à tout rompre.Mesyeuxsontattiréspar labossequidéformesonpantalonet jemerappellequ’iladorequandonsedisputeetquejedeviensviolente.

Sonairimpassibleetimpénétrablemefaitvaciller.Etdirequ’ilyaquelquesminutesnousétionsentraind’échangerdesbanalitésàproposdecroissants,depainsauchocolatetdemariage.C’estdurdel’admettre,maisj’aicommel’impressionquenotrerelationn’estbaséequesurcegenred’actions :desdisputesetdesréconciliationstorrides.Jenesuispascontrelesecond,maislepremiercommenceàêtrelassant.

– Lâche-moi !

Soncorpsprendlemiend’assautetilparvientàm’immobiliser.Sespaumesenvoientuncourantfraissurmapeau,cequimefaitfrissonner.Letourbillonfamilierdansmonbas-ventres’échappeentremescuissesetcrispemesparois tandisquematête tombelourdement.MonDieu, jesuis trempéededésir.Commentfait-ilça ?

Une chaleur se propage dans mon corps, me détend et m’émoustille encore plus à l’idée de fairel’amourdanscettevoitureenmarche,malgré lacolèreque je ressensaprès lesproposqueGaspardatenussurmamèreetSteve.

Ilgrogne, tiremonpantalonetmaculotte jusqu’àmeschevilles. Ilôtesonmanteauet savesteavecsouplesse,prendsonportefeuilleetensortunecapote.

– Lesmainscontrelaportièreetnullepartailleurs,sousaucunprétexte.

Je lève lesmains en l’air et les plaque sur la portière.Mes sens en émoism’amènent à fermer lespaupières,j’entendsGasparddéfairesaceinture.D’ungestesouple,ilsoulèvemeshanchesetplacesonmanteauenboulesousmoncorps,pourmepositionner.Monsangbouillonne,moncœurtambourine.Etpuis,monmondecessedetournerquandilplongebrutalementenmoi.Leplaisirquejeressensmecoupe

larespiration.

Iltoucheunpointdélicieuxaufonddemoiettoutmoncorpssecontractesubitement.

OhmonDieu.Lepoint« Gaspard ».

– Bordel.Tuvasjouir ?

Jesecouelatêtepoursignifierouietnonàlafois.Jenesaispas,jenesaisplusrien.Ilenlacemesmollets d’un bras,mes cuisses de l’autre, et continue d’aller et venir à un rythme soutenu.Le spasmerevientetjecrie.Jelesensenmoi,àchaquefoisqu’ilpousse,qu’ilfrottecettezonesensible,latouche,lacaresse,latitille,m’arrachedescrisd’unplaisirdouloureux.Ilsentquejesuissurlepointdecraquercarilgardelecap,lemêmeangle,lemêmetempo.Sesdentssepressentcontremesmolletsetilmordfortpoursecontenir.

– Toutcequejefaisetdis,Pépita,c’estdanslebutdeteprotéger.– J’aibesoin…Jet’appartiens !hurlé-je.

Il s’accroche àmes jambes, àmes hanches, et donne des coups de reins secs, précis et directs. Jegémis,mecrispeautourdeluiet,aumomentoùjem’apprêteàexploser,ilquittemoncocon.Lachuteestdéconcertante, elle m’étourdit et je mets un moment avant de me reconnecter au monde. Mes yeuxs’ouvrentpourlechercher.Illâchemescuisses,monteàcalifourchonsurmoietsepenchesurmeslèvrespourlesembrasser.

– Tamain,Pépita.

Il la saisit et l’amène jusqu’àsaqueueénormeetardente,quiaperdu touteprotectionen latex.Sesdoigtsenroulentlesmiensautour,puisilpousseungrognementguttural,commesimontouchéétaitsonsalut.Soncorpsseraiditau-dessusdumienetdesveinesapparaissentsursoncou.

– Baise-moi,m’ordonne-t-il,saboucheprèsdelamienne,samainremontantendouceurmonpullpourexposerlapeaudemonventre.Fort.

Jememordslalèvre,memetsenappuiesurlecoudeetagitelepoignetdanssonsens.Ilm’embrassesauvagement,unemaindansmoncou tandisque l’autre retiremonpull etdécouvremonsoutien-gorgeivoire.

Sarespirationenfeumebrûledel’intérieur,ilgémit,cessedeculbutermalangueetbaisseleregardsurcequejefais.

– Malionne,faisjouirtonlion,vas-y.

Je nem’arrête pas, avalema salive pour hydraterma bouche asséchée, et le regarde jouir.Un râlebestialvibreenlui,résonneenmoiet,lesyeuxrivésauxmiens,ilserépandchaudementsurmonventrenu.

Jeregardeavecfascinationledésirquiledéchiredetoutepart,leconsumejusqu’àcequ’ilsoitvide.Labeautédesestraitscrispésfaitdurcirmesseins,etlecœurquibatdesrecordsdevitesseentremesdoigtsappelleceluientremesjambes.

Seigneur, qu’est-ce que c’est sexy de le contempler avoir un orgasme de cette violence. J’ail’impressiond’êtreunereineayantoffertunprésentàsonserviteur.

Gaspard finit par soupirer, il grogne et observe son œuvre avec des yeux enflammés par le désir,l’admiration et lapossession.Le rougememonte aux joues alorsqu’il doit resterunebonneminute àcontemplermonventreetsasemence.Sonpoucecaressemeshanches,seslèvressedéposentàcôté.Jemesensroyaleetchoyée.

– Situsavais,dit-ild’unevoixprofonde.Jerêvedetefaireceladepuislapremièrefoisquejet’aivu.– Danstacuisine ?

Ilgrogneànouveau,excitéparcequ’ilvoitethochelatête.Ilaspirebrusquemententrelesdents.

– Nebougepas.

Il prend sa veste et trouve à l’intérieur unmouchoir en soie brodé. Il le passe doucement surmonventre,entremescuissesetdéposeunbisousurleboutdemonnezquandilafini.Ils’assied,remontemonpantalonetmaculotteetcommenceàserhabilleràsontour.Mesyeuxsortentdeleursorbitesetjel’interromps,àgenouxprèsdelui,enleretenantparlebras.

– Etmoi,alors ?

Ilsouritetrentresachemisedanssonpantalon.

– Toi,riendutout.C’esttapunition.

Ilmeprived’orgasme !L’enfoiré.

– Etonpeutsavoirpourquelmotif ?m’énervé-je.– Biensûr,lance-t-iltoutenremontantsabraguette,refusd’obtempérer.Àplusieursreprises,quiplus

est.

Pardon ?

– Pourqu’il y ait refusd’obtempérer, attaqué-je, lesbras croisés, il faudrait déjàque tu soisune« autorité ».Jenecroispasquecesoitlecas.

Jeluifaisundoigtd’honneur,regagnemoncôtéetbouclemaceinture.

– C’esttrèsmalélevé,megronde-t-ilenpianotantsursonportable.J’espèrequetun’apprendraspascelaànosenfants.

Jecroiselesbrasetl’ignoreenmeconcentrantsurl’avenuequenoustraversons.

LerestedutrajetestoccupéparlesappelsprofessionnelsdeGaspard, lesmoteursdesscooters, lessonnettesdevéloetlesklaxonsdevoiture.Laprécipitationdesoccupantsdelavillememanque.Voirlespersonnessebousculer,sesnoberetsedépasserlesunslesautresmemanque.

JemetourneversGaspard,quim’observe.Prisederemords,jelefixeetluidemande :

– L’enquêteavance ?

Soncorpssetendbrusquement.Unfroidenvahitl’habitacleetilmedemanded’untonbrut :

– Quit’enaparlé ?– Personne.Mais j’endéduisquesi tuas faitappelàdesagentsdeprotection,c’estparcequ’ilya

dangerdepuislafusillade.Non ?

Sesmuscless’assouplissent.

– Si…Si, répète-t-il, plutôt lointain. Eh bien, tu connais les flics en France, plaisante-t-il. Ils sontencoreàlaversionWindows98.– J’espèrequeceserabientôtrésolu.Commeça,onpourrasebaladertranquillement !chantonné-je.Et

tuarrêterasd’êtreaussiméfiant.

***

Àl’intérieurdustudio,uncalmeplatrègne.FranckdiscuteàvoixbasseavecThibaultenmâchantunchewing-gumaveclamêmebrutalitéqu’unepersonneenétatdestress.Vite,bruyamment,etsansaucuneéducation.Quandilmevoit,sesyeuxcillentetilm’interroge :

– Mayaestavectoi ?

Jesecouelatêteetmedébarrassedemonmanteau.ParisseetCharliemefontuneplacesurlecanapéetlesecondsautesurmonpainauchocolat.

– Touchepasaucroissant,c’estàmoi.

J’aidûnégocierdurpourqueGaspardnerepartepasavec.Maisnousavonsrendez-vouscesoir.Undînersurprise,àvingt-et-uneheures,àl’adressequ’ilm’enverra.

– SalutRony !s’écrieParisse.

Mongardeducorpsmuetluifaitsignedepuislecouloiroùilsetient.Elleagitesesmains,hésitante.Charlieetmoil’observonsenétatdechoc.Est-cequ’elleestentraindesigner ?

Ronyluirépond« oui »etelleapplauditavantdenousexpliquer.

– Jeluiaidemandésic’estcommeçaqu’onsignait« baiser ».

Biensûr,c’étaittropbeaupourêtrevrai.Toutefière,ellerépètelegesteetsepenchesurnous.

– Bah,c’estquec’estlegenredechosesquipeutservir,lesgars.– Oui,bienentendu,Parisse,semoqueCharlie.– À quel moment ? lui demandé-je. Celui des présentations ? « Bonjour, tu veux baiser bel inconnu

sourdoumuet ? »

Charlies’esclaffe.Macopinefaitlamoueethausselesépaules,innocente.Leshommespensentavecleurqueue,lesfemmes,avecleurcœur,etParisse,avecsonvagin.

– Jenevoispasoùestlemal.Parfois,êtredirecteavecunmecpeutfairedubien.« Dubien »,répète-t-elleenarticulantcesdeuxderniersmots.

LorsqueCharlottepasse lepasde laporte,Charlie se redresse, le dosbiendroit, et repousse sescheveuxblancsenarrière.Attitudebeaugosseenclenchée.Maiscelle-cineluijettepasunregard.Ilseracle lagorge,gigotesur lecanapéencuir, souffle, siffle.Quelquechosemeditqu’ilyade l’oragedans l’air. Et, contrairement àGaspard etmoi, la tension entre eux n’est pas un jeu à pure vocationérotique.

– LesparentsdeMayaontappelé, informelajeuneréceptionniste.Elleestmalade,etellenepourrapasvenircettesemaine.– Elleestmalade ?s’exclameThibault.

Ilcroiselesbrasets’appuiecontreledossierdesachaise.

– Elleestaucourantqu’elleasignéuncontratavecunemaisondedisque ?Onn’estpasàl’école,là,merde !Ellesaitcombiençanouscoûteuneminutedestudio ?Elleaétévoirlemédecindelaboîte,aumoins ?

Charlottesecouelatête.

– Onferasans,annoncebientropcalmementFranck,lamâchoireserrée.Charlotte,rappelezsafamille,etdîtes-leurquesiMayanepointepassonpetitculd’emmerdeusedemain,lesnégociationspasserontàdixpourcent.

Tout commemoi,Charlie etParisse sont submergéspar l’incompréhension laplus totale.Àquellesnégociationsnotremanagerfait-ilréférence ?

– Jesuissûrequ’elleaétéjouerleschaudièrespouravoirplusdepartsendroitsd’auteur.

MesyeuxsuiventCharlotte,quipassedevantnous,latêtehaute,ignorantcomplètementCharlie.

***

Gaspard :[54,rueduLouvre,Pépita.J’espèrequetuaimesmangeritalien.]

Mesdoigtsdepieds s’agitentdansmesbottines, excitéepar laperspectived’une soirée romantiqueavec mon chéri. À ma gauche, au volant, Rony me jette un coup d’œil intrigué, qui me calmeimmédiatement.

Moi :[Sijeviens,tufinirascequetuascommencédanslavoiturecematin ?]

Gaspard :[Bordel,j’aifabriquéunmonstre.]

Unemainsurlabouche,jemecontrainsànepaspoufferetécris :

[Etsilemonstrenégocieunerobesexy ?]

Aprèsunelongueminutedesilence,ilrépond :

Gaspard :[Tupeuxfairemieux,petitmonstre…]

Moi :[Desporte-jarretellesendentelleferaient-ilsplaisiràMonsieurMaréchal ?]

Gaspard :[Hmm.C’estbon,ça.Très,trèsbon.Continue…]Jel’imaginesetoucherenlisantcemessaged’unevoixgraveettirailléeparledésir.

Moi :[Tuverrasà21 h !]m’empressé-jedetaperensentantleregardinsistantdeRony.

Gaspard :[Hum, Bella,j’aihâtedelécherdelasaucetomatesurtoncorps.]

Moi :[Etmoidonc,Gasparcho ! ;)]

Comme un camion bouche l’accès à la place de parking la plus proche, Rony m’autoriseexceptionnellementàmontersanslui.Jesorsencourantpouréviterlafaiblepluie,avantdereveniretdefrappercontrelavitre.Illabaisseetm’interrogeduregard.

– Comment…Commentdit-onàquelqu’un…

Bonsang,sijeneparviensmêmepasàledireàvoixhauteàquelqu’und’autre,commentpourrais-jeledireàl’intéresséenquestionsansperdremesmoyens.

Ilsouritavecbienveillance,mefaitsavoirqu’ilacomprisoùjeveuxenvenir.Illâchelevolantetmesigne ce que je lui ai demandé. Je mémorise religieusement le geste, les joues roses et le cœur enmontgolfière.Lascèneestonnepeutplusclairedansmatête.Undînerentêteàtête,lebeausouriredemonhommepar-dessuslatable,desrires,desbaiserset,entredeuxmurmures…

Jesuisridicule…

Luidirequejel’aimeenlangagedessignes,c’estidiot.Maisluiavouermetétanise.Jeneréussiraijamaisàprononcerlesmots.Jemecognelatêtecontrelaparoifraîchedel’ascenseur.Peut-êtrequ’untextoferal’affaire.

Demieuxenmieux,Dylan.

Jequittel’ascenseuretmedirigeversmonappartement.Mespiedscessentd’avancerquandjeconstatequemaporteestentrouverte.Dieumerci,noussommesdansunimmeublerespectable.J’entreenappelantmamère,jetteuncoupd’œilcirculaireetunvoilenoirmebloquelavueavantquelechocnemefrappedepleinfouet.

44.Désillusion

GASPARD

LederniermessagedeDylanm’arracheun fou rire comme jen’en ai pas eudepuis longtemps.Lesdiscussionsparmessage avec elle sont lesmoments lesplus rafraîchissantsdemes journées.Avec sanouvellecarrièrequidécolleetmonagendadepatron,c’estàpeinesi je lavois.Ellepasseautantdetempsenstudio,quemoidansmonbureau,etcelacommenceàdevenirpesantpournotrecouple.

– MonsieurMaréchal ?demandeElizabethdanslehaut-parleurdemontéléphone.– Oui,chèreElizabeth ?

Le sourire et la joie dans ma voix sont perceptibles.Mon impartialité de P.-D.G. est mise à rudeépreuveencemoment.Merci,MissSavage,defairedemoiunimbécileheureuxetamoureux.

– VousavezuncertainTommyCavaliersurlaligne9.

Sijem’yattendaisàcelle-ci.Jepariequegrand-mèreNiniyestpourquelquechose…Tommyetmoiavonsgrandiensemble.Sesparents,derichesindustriels,onttoutfaitpourqu’ilsuivelemêmecheminprofessionnel que le leur, dans l’entreprise. Avec intelligence, il s’est dérobé de ses obligationsfamiliales en trouvant refugedans le sport.Le tennis était son échappatoire, et c’est enpartiepour çaqu’ilestchampiontoutecatégorieconfondue.

– Me faire patienter sur du Tchaïkovski, Gaspard, c’est vraiment barbant… et traumatisant. Nonseulement çame donne encore plus envie de raccrocher qu’autre chose,mais en plus, çame rappellel’interminableréveilaupensionnat.

J’éclatederireenrepensantàtouteslesmatinéeshorriblesoù,l’oreillerpressécontrenostêtes,nousinsultionsdetouslesnomslesparentsdesgrandscompositeursdemusiqueclassiquepourlesavoirmisaumonde.

– Commentvas-tu,Tommy ?

Ilinspireprofondément.

– Écoute,jesuisunchampion,alorsjesupposequetoutvabien.

Jerisetnouscontinuonsàparlerdubonvieuxtemps.

– Je ne vais pas te déranger plus longtemps, lance-t-il. Je sais que tu es occupé à troncher tesassistantessurtonbureau.– Enfait,corrigé-je,j’aiunepetiteamie.Etc’estsérieux.DylanSavage,retienscenom.– Savage ?Hum,j’aimecenom.Jepourraisjouirdecenom.Dis-moiquetulefais.– Pastouche,Tommy,oujetelatranchepourtonpetit-déjeunerdechampion.

Ilricaneetjedoisreculerlecombinédequelquescentimètres.

– Bref,jeseraiàParispourpréparerRolandGarros.Monagentimmobilierm’aditquetulogeaisdansl’hôteljusteenfacedechezmoi,alorsonsevoitquandtuveuxavectachérie.– J’organiseçadèsquejepeux.– Est-cequ’elleestaussisauvageaulitquesonnomleprésume ?– Vatefairefoutre !

Sonrires’éloignedutéléphoneetjeraccroche.

Soudain,laportes’ouvreengrandsurQuentin.Monavocatpénètrecommeunefuriedansmonbureau.Il effectue les cents pas, de long en large, lesmains sur les hanches et la bouche serrée en une lignedroite.

– Illesavait.

Jeme lève pour fermer la porte derrière lui et constate qu’il est passé devant lesmembres demaréunionhebdomadairesansaucunegêne.

– Illesavait,répète-t-il.Monpèresavaittout.Pourl’avion,lepilote,etl’hommequis’enprendàcetteentreprise.

Ilestdansunecolèresinoire,quejecrainsqu’ilexplosedevantmoi.Alors,pourlapremièrefoisquejesuisdanscebureau,jetrouvelemomentidéalpourouvrirlebaretnoussersàtousdeuxunebonnequantitédecognac.

– Qu’a-t-ildit ?

Jeprendsappuisurleborddemonbureauetregardemonamiavalerdeuxgrandesgorgéessansciller.Ilselaissetombersurlachaiseet,lesyeuxdanslevague,menarresalonguediscussionavecsonpère.

Pendant des années, monsieur Gesbert et mon père ont cherché à connaître le « bourreau » de mafamille,sansjamaisparveniràmettre lamaindessus.D’aprèslui,c’estunepersonnetrèsorganiséeet

trèsméthodique,quinelaisseaucunetracedesonpassage.

– LegrandGesbertpensaitque j’allaiséchouer,m’apprend-ilà lafindesonrécit.C’estpourcelaqu’ilm’aenvoyé,moietpasmesautresfrères.Ilétaitpersuadéquej’échouerais,répète-t-il,déçu.Quejenetrouveraisaucunefailledanslesdossiers,etquetuabandonneraisl’idéed’unmeurtre.Ilpensaitme« protéger ».

Sonderniermotestpleind’amertumeetilvidesonverre.Cettefois,sonvisagesedéformesousl’effetdel’alcool.

– Putain,c’estfort !– Ilpeut,aprèssoixante-dixansdematuration.

Quentin, d’habitude si professionnel et confiant, est, de toute évidence, en train de douter de sescompétences.C’estpourquoijem’empressedeluidire :

– Tuasfaitdubonboulot,Quentin.Toutcemystèreautourdelamortdemonpèremerongeaitdepuisdenombreusesannées,ettonsoutien,taconfiance,m’ontpermisd’avancerplusquetunelecrois.

Ilesquisseunfaiblesourire.

Nous restons silencieux un instant, épuisés par toutes les recherches que nous avons menées cesderniersmois et par le néant dans lequel nousnous retrouvons aujourd’hui.Certes, nous avons trouvébeaucoupderéponses,maislaplusimportante,concernantl’identitéducriminel,resteinconnueàcejour.Dansnotremutisme,planeuneseuleetdernièrequestion :devons-nouscontinuerou,commeMonsieurGesbertlesouhaite,devons-nousabandonner ?Jesaisquecettehistoireaséparélepilotedemonpèredesa famille.Mais commeme l’a précisé Paul-Antoine, le soir de la fusillade, relancer l’enquête a étécommeouvrirlaboîtedePandore.Sijelareferme,ceseraitpouroubliertoutecettehistoire.Jepourraisenfindormirsurmesdeuxoreilles,cesserdem’inquiéterpourceuxquej’aimeetretirercesgardesducorpsdemonespacevital.

– J’organiseunepetitesoirée,dansquelquesjours.Tudevraispasseravectacopinemannequin.– Elleestavocate,rectifie-t-ilenriantdoucement.S’ilyadesfritesàtafête,jeveuxbien.– Nonmaisvraiment…C’estquoivotretrucaveclamalbouffe ?

Malgrémeseffortspourlatournerversunenourritureplussaineetgoûteuse,DylanestaussiaccroàsescheeseburgersindustrielsqueQuentinàsesfrites.

– Lamalbouffe,commetul’appelles,c’estlavie.

Ildéclarecelaavectantdeconvictionetd’amourquej’enris.

Unmessagearrivesurmonportableetjem’empressedelelireenvoyantlenomàl’écran.

Rony : [L’appartement a été vidé ou cambriolé, je l’ignore.MademoiselleSavage refuse de bouger.J’aijugébondevousprévenirmalgrésademande.]

***

Lorsque j’arrivedevant l’entréede l’appartementdeDylan, jepense avoir changédedimension, letemps de quelques longues secondes. L’appartement si chaleureux qu’elle a meublé avec soin a étédéménagé.Entièrement. Ilne reste riendu tout,sicen’est lecorpsdema lionne.Agenouilléeaubeaumilieudecequiestredevenuétranger,elleestaussifixequesonsacposéausol,exactementcommemel’asignaléRony.

Lecoupd’œilrassurantqu’ilm’ajetéàmonarrivémeditquecelan’arienavoiraveclamenacequiplaneau-dessusdemafamille.J’entrealors toutdoucementetcontourneDylanpourm’asseoirenfaced’elle.Moncœurse torddedouleur lorsque j’aperçoissonvisagepâle, sonregardabsentet sesyeuxverts,glacialsetbrillants.Toutelasauvagerie,toutelagaieté,toutelachaleurquilacaractérisesemblentsiloin…

– Eh,magrande…– Jevaisbien,mecoupe-t-elleavantdeprendredeprofondesrespirationsvibrantes.Je.Vais.Bien.

Elle penche la tête en arrière et rit comme une dingue. Elle ne va pas bien du tout. C’est plusqu’évident. Je le sens. Parce qu’une énorme partie demoi souffre avec elle,me rappelant avec forcequ’elleestmamoitiéetque,siellevamal,moiaussi.

– Jevaisbien,murmure-t-elleànouveauensecalmantetengloussantnerveusement.

Jenel’aijamaisvuedansuntelétat.Mapépiteestdévastée.Complètementretournée.Etdansunétatdechoceffrayant.Ellesesertdurirepourcamouflersadouleuretmeforcer,parlamêmeoccasion,àcroireàsonmensonge.

– Steve…

Parcequ’elleapeurdemedonnerunechanced’entrevoiruneécorchuredanssavoix,elles’esclaffe,encoreetencore.

– Steveavaitunesociétédetransport.Etdedéménagement !Tuycrois,toi ?

Danssesmains,elletripoteunecartedevisite.Jelasaisisdesmainsetlisl’inscription :

« Herbert&Fils,TransportsetDéménagement

SteveHERBERT »

Audosdelacarte,unmotestinscrit :« Désolée ».Samèreaoséécrire« désolée » ?Monpoingserefermebrusquementautourdupapieret jemeforceàprendresurmoipournepas luimontreràquelpointjebouillonne.

– Ilvenaittouslesmatinschezmoipourorganiser…rit-elleànouveau.Ilssesonttouslesdeuxfoutusdemagueule !Avecbrio !J’étais…

Elles’interromptunenouvellefois.Sespenséesdoiventêtredansunbordelpaspossiblepourqu’elleglousseetseforceànepaspleurerenmêmetemps.

– Elleatoutpris,semarre-t-elle.Mêmemesproduitsdebeauté !Jesaispascequiestleplusdrôledanscettehistoire :moi,quimesuisfaiteavoircommeuneconne,oulefaitquemapropremèrepuissepenserquedesglossàmoitiévidespuissentsevendre !

Ellefulminedecolère.Sapeauaprisuneteinterougeetsonregardluitdangereusement.

– Dylan,murmuré-je.

Jeréussismiraculeusementàposermamainsursonbras.Lafureurlafaitvibreretellecrachedel’airbrûlantparsesnarines.

– Tunepouvaispassavoircequetamèreetsonamipréparaient…

Ellebalaiemamain et se lèved’unbond. Je sais que si je la touche encore, ellem’explosera à lafigure.

– Putain,Gaspardjet’interdisde…Avectonairsupérieurde« jesaistout » !Tuvasmedirequoi ?Que tum’avaisprévenue ?Nemeprendspasenpitié !C’estd’ellequ’il fautavoirpitié !Parcequ’enarriver à faire des trucs aussi absurdes, c’est pathétique ! Tu sais quoi ? Je n’ai pas besoin de tacompassion !Jen’aipasbesoindetonaide !Jen’aipasbesoindetoi !Jemedébrouilletouteseule,etce,depuistoujours !

Ses mots me laminent et déchaînent la bête amoureuse que je suis. Je la rejoins et mes mains serefermentsolidementautourdesespetitsbras.

– Dylan,boucle-la,bordel.Arrête !Nemerepoussepas.Nefaispasça.Parcequ’onsaittouslesdeux

comment çava finir. Jene te laisserai pas faire, et tu finiraspar t’envouloir !Alors arrête ça tout desuite !Situeslagrandefillequetudisêtre,comporte-toitellequelle,merde !

Soncorpscompresséentremesbrassedétendetsesyeuxécarquillésm’observentavecstupeur.Ellebaisselatêteetunbruitétranges’échappeentreseslèvrescrispées.Jecroisqu’elles’obligeànepaspleurer et qu’elle vient d’étouffer la vague douloureuse qui lui vient du cœur. Sachant que pour elle,craquerseraitencoreplusdifficileàassumerquetoutautrechose,jelarelâcheetl’embrassesurlefront.

– Onyva.

Contemplerlevidedesonstudiouneminutedeplusn’estpasconseillé.Jel’aideàquitterleslieux.

Dèsque la voituredémarre, je prendsmon téléphonepour envoyerquelquesmessages.Les ruesdeParissontbouchéesmais,heureusement,monhôteln’estpastrèsloin.

– Tuasfaim ?

Elle secoue la tête et enlève sonmanteau et ses chaussures. Je me dirige dans la chambre pour ydéposer ses affaires et elleme suit. Je regarde son tee-shirtAerosmith. Le seul survivant de toute sacollection.Unsentimentdenostalgiemeprendàlagorge.Ceshautsvontmemanquerautantqu’àelle.Elleme tourne ledos,grimpesur le litet s’effondredessus. Je retiensungrognementde frustrationetserresonmanteaudansmespoings.

– Tudevraismanger.Rienqu’unpeu,mabelle.

Ellerenifle,ouvrelabouchepourdirequelquechose,maisdécidefinalementdes’enfermerdanssonmutisme.Unéclairdevulnérabilitéfaitbrillersesyeuxtouttristesetellecachesonvisagedansl’oreillerpourgémir.Parcequegémir,c’esttoujoursmieuxquelarmoyer.

Lorsque la sonnerie de la porte perce le silence et couvre ses lamentations, je l’abandonne et meprécipiteversl’entrée.

– Jesuiscontentquevoussoyezvenues,soupiré-je.

Auseuildemonappartement,unetêteauxcheveuxrougesflamboyantsetuneautre,quimeressemblecommedeuxgouttesd’eau,mefontface.LasulfureusePatriciaestlapremièreàmettrelespiedsdanslehall,sansattendred’êtreinvitée.Danssesmains,elleporteunsacremplidebouteillesdontjerefusedeconnaîtrelecontenu.Siellepensequecelapeutaidermalionne,elleatoutemaconfiance.

– Ehbah ! siffle-t-elleen levant lesyeuxvers lehautplafondde l’entréeet l’étenduede280mètrescarrés.Est-cequ’ilyaunechose,cheztoi,quin’estpasgrandetgros ?

Jeneveuxpaschercheràcomprendre,maislagrimacequetiremasœurestonnepeutplusexplicite.

– Dylanestdanslachambre,aufondducouloir,àgauche.

Elleplisselesyeuxetm’observeintensément.Jeluimontrealorsàtraversunsourirechaleureuxquejeneluiveuxaucunmaletque,bienaucontraire,jelaportehautdansmoncœurpouravoirétéunpilierdanslaviedeDylan.

– Fafa ?

J’attrapemasœurparlepoignetavantqu’ellenemedépasse.Contretouteattente,ellenes’opposepasettournesonvisageversmoi.

– Jesaisquetum’enveuxdet’avoircachélavéritéausujetdeCyrusmais…

Lorsquejevoisqu’elles’apprêteàm’interrompre,jeneluilaissepasd’autrechoixquedem’écouter.Ellemediratoutcequ’elleasurlecœuruneautrefois.

– Pourcesoir,Dylanabesoindetoi.– Non,Gaspard.

Stéphaniemesouritdelamêmefaçonquenotremèrequandjepeinaisàcomprendrequelquechose.

– Elleabesoinde« nous ».Quandellesesentiraprête,elleviendraverstoi.Crois-moi.

Jeleslaisses’engouffrerdanslachambrepourprendresoindemapépite.

Prenantplacesurlecanapédusalon,monseuldevoir,durantlesheuressuivantes,estd’avancersurmontravailenretard.Seulement,l’étatdeDylanoccupepleinementmonespritetm’empêched’avancer.Sijenesuispasàlahauteurcesoir,est-cequejelamériteraipourautantlelendemain ?Commentpuis-jeouvertementladéclarermienne,lademanderenmariage,sijesuisincapabledepansersesblessures ?

Jejuredansmabarbe,fermemonordinateuretmelaisseavalerparmoncanapé.Unelourdechaleurretombesurmesépaulesetmeconduitlentementdanslesbrumesdusommeil.C’estleclaquementd’uneportequimefaitrouvrirlesyeux.Quelqu’unvientdepartir.JemedirigeversmachambreenpriantpourqueDylansoittoujourslà,àportéedevue,maisjemeretrouvefaceàmasœur,quis’apprêteàquitterlachambre.

Stéphaniemesouritetattendsagementquejem’approche.

– Parissevientdepartir.Elles’estendormie,ajoute-t-elleenparlantdeDylan.Ellevaunpeumieux,maiselleestdansunecolèrenoire.– Parfois,ceuxqu’onaimenesontpasceuxqu’ilsprétendentêtre.

Ellepressesesbrascontreelleetmeregardeuninstant.

– J’aifaitétabliruntestdepaternité,Gaspard.Avecl’aidedegrand-mère,nousavons…– Quoi ?

Ellefermelespaupièresetsoupire.

– C’étaitparprécaution,Sap.Tusais,pournotrehéritage.Lasuccessionchangeselons’ilesttonfilsouceluidepapa.Onvoulait justes’assurerqu’Émiliene t’avaitpasbernédans leseulbutd’avoiruncontrôlesurMaréchalCommunity.

Elledéglutitetsesyeuxbleusetlarmoyantscherchentlesmiens.

– Quandj’aivulerésultat,Sap,jen’aipaspenséàpapa,àCyrusouàtoutecettehistoiredefou.J’aipenséàtoi,àladéceptionquetuasdûressentir,àcetteépreuvequetuassurmontéetoutseul.

Elleessuielesquelqueslarmesquitombentsursesjouesetmoninstinctprotecteurprendànouveauuneclaque. Jedéteste cette finde journéeoùmesprincesses craquent lesunes après les autres. Je la serrecontremoietcaressesondos.

– Commentas-tufaitpourpardonneràpapa ?– De la même façon que tu as pardonné mon absence. Tu sais, dans la famille, on a tendance à

commettre certains actes, et àmettre un sacré bout de temps avant de constater que ça s’appelle deserreurs.

Ellerigoleetpassesamainsoussonnezavantdes’enaller.

JetourneleregardversDylanetpénètredanslasuite.Laprofondeurdesa tristesseseressentdanstoutelapièce.Jem’étendslelongdesondosetlapressedélicatementcontremoi.Legestelaréanimeetellepivotepoursemettresurledos.

Je me rapproche d’elle et prends son visage en coupe dans mes mains. Malgré la températureintérieure,elleestgeléeetsesnerfssonttellementsouspressionqu’elletremble.

– Chérie,tuasledroitdenepasallerbien.Tuasledroitdecraqueretdet’effondrer.Jesuislà,etjetetiens.

Ses yeux luisent d’une émotion intense. Elle enregistre mes mots et tente de les digérer. Je peuxdiscernersoncombatetsesinterrogations.

– Gaspard ?sanglote-t-elle.

Jeplongedans son regardet, à cet instant, je comprendsqu’elle est sur lepointdecraquer sous lepoidsdesonmondequis’écroule.

– Elleaprismaguitare.

Elleéclateensanglots.Pour lapremièrefoisdevantmoi,ellebaisse lesarmes,mefaitconfianceets’appuiesurmoi.

– Dylan…Vienspar-là,magrande.

Ellemelaisselatenircontremoietenfouitsatêtedanslecoldemachemise.

– Mestee-shirts,mesCD,ellen’arienlaissé.Quelgenredemèrefaitunechosepareille ?Quelgenredepersonne ?Pourquoi ?Qu’est-cequ’ellevafaireavec ?Jenecomprendspas.Jenecomprendsrien.

Ellesoufflelonguementpouressayerdesecalmer,maisn’yparvientpas.J’essuiesesjouesmouilléesetrosies.Ellealecœurlourdet,pourunefois,c’estsimplementtroppourelle.LacruautédeMadameSavage,doubléeàsonaddictionàl’alcool,l’atransforméeenunemèrevicelardeetodieuse.Jamaisjeneluipardonneraid’avoirfaitsubircelaàmafemme.

– Tamèreestmalade,Dylan.

Mesmainsglissentsursescuisseset je l’attireunpeupluscontremoi.Unefoisqu’elle retrouve lecocondemesbras,elleplongelenezdansmoncouetcontinuedepleurerchaudement.

– Plus de boulot, plus de maison et plus d’argent, ce n’est pas ce qu’on appelle une cure dedésintoxication,Pépita.– Jepensaisque,peut-être,çamarcherait.Cen’estpascequ’ilsfontlesdocteurs ?Priverl’hommede

l’objetdesonaddiction ?

Jepinceleslèvres.Dylanestunefilleforte,maisdèslorsqu’ils’agitdesamère,uneformedenaïvetéenfantines’empared’elle,etTeresaSavageprendunplaisirperversàs’enservir.

– Cedontelleavaitbesoin,magrande,c’étaitd’unevraiecure.Dansuncentre.Làoùellen’auraitpasététentée.Làoùlemanqued’alcoolnel’auraitpaspousséàfaire…cegenredeconneries.

Unflashdel’appartementvidemerevient.Lesplacardsdecuisineonteuxaussidisparu,nerestaientquelerobinetetlapauvreampouleauplafond.MadameSavagepourraits’ensortiravecunbeaupaquetàcinqchiffres.Cequim’attriste,c’estdesavoirquec’estavecsonpropreargent,etceluidepersonned’autre,quemalionneavaitachetétoutcequ’elleaperdu.Samèreluiadérobésaconfiance,volésonintimité.Sansaucunrespectniuneonced’amourpoursafille…

– Pourquoimedéteste-t-elleàcepoint,Gaspard ?

Moncœursebriseàcettequestionetjesuisincapabledeluirépondre.

Ellecontinuedepleureretdegrosseslarmesinondentsonbeauvisage.Sonnezrougicoule.Seslèvrestremblent.Elleatoutdemêmelapeaud’unedouceurextrême,maispassermespoucesdessusnesuffitplus.Ma bouche prend la relève, mes lèvres se referment sur chacune de ses larmes, sur la surfaceveloutéedesonvisage,etjelacombledebisoussoigneurs.Elleaungoûttristementdélicieux,commeunerosequiperdraitsespétales.

Ellesemordlalèvreet,enmêmetempsquesoncœursedéchire,savoixsefêlelorsqu’ellem’avoue :

– Çafaitmal.

Jehoche la tête, parcequeoui, ça faitmalde lavoirdans cet état.Sonmoral est saccagé, elle esttotalementbrisée.Enunefractiondeseconde,elleestpasséedutoutaurien,etsansquecelasoitdesonfait.Cen’estpasunascenseurémotionnel,c’estunechute.Ladésillusiondanstoutesabrutalité.

Monimpuissancefaceà lasituationmefrustre.Anticiperdesactions,simulerdesproblèmes, trouverdessolutions,géreruncontexte,organiserl’inconnuafind’éviterlesdérapages,c’estainsiquelemondedel’entreprisefonctionne.C’estainsiquej’aiapprisàgérermavie.Maislà,toutm’échappe.J’aiuneDylandépitéedanslesbras,ettoutcequejepeuxfaire,c’estlaserrercontremoietécoutersonchagrin.Jenepeuxpasleluiôter, jenepeuxpasleluisoutirer.Iln’yaaucunremèdepossible,sicen’estletemps.

– Dylan.

Jesoulèvesonmentonetplongemesyeuxdanslessiens.

– Jeteprometsdetoujoursprendresoindetoi.Tuveuxbienmelaisserfaire ?

Ellehochelatêteets’accrocheàmoiviolemment.

Le cœur au bord des lèvres, je lui prends les mains, me perds dans son regard, et lui déclare

spontanément :

– Putain,Dylan.Jet’aime.

***

DYLAN

OhmyGod!

– Dylan ?

GaspardMaréchal,P.-D.G.de lagrandemultinationaleMaréchalCommunity,vientdemedirequ’ilétaitamoureuxdemoi,DylanSavage,etjesuisdansunétatdepaniquetotale.

Respire,Dylan.Respire.Etdis-luiquetul’aimesaussi.Vas-y !

– Je…

Lesoufflememanquebrusquement.J’observeGasparddanslebleuluisantdesesyeux,etlemuscledansmapoitrinesecontractedebonheur–unbonheurquejecroyaisperdu,quelquesinstantsplustôt.Jesuisamoureusedecethomme,c’estévident,etce,depuisunmomentmaintenant.

– Je ne te demande pas deme répondre,me dit-il avec un sourire triste. Je voulais juste que tu lesaches.– Gaspard.

Jeposemamainsur ses lèvrespour le faire taire, et récupèremespoignets,qu’il tenait fermement.Mesbrasseplient,remuent,etj’essaiedeliredanssesyeuxs’ilacompriscequeRonym’aappris.« Jet’aime »,enlangagedessignes.

– Çaveutdire…

Unéclatsauvagedansleregarddemonhommesuffitàmeréduireausilence.Ildurequelquespetitessecondesdurantlesquellestout,absolumenttout,changeentrenous.Cequiétaituneétoile,devientunegalaxie.JenesuispluslaDylanSavageanéantieetperduedetoutàl’heure.JesuislalionnedeGaspardMaréchal,lareinedesonunivers,safuturefemme,cellequiporterasesenfants.Jesuissontout.Jesuissienne.

– Jet’aimeplusquemaproprevie,Dylan.

Sa bouche plonge à la rencontre de lamienne et vient la dévorer dans une explosion de sensationsincroyables.C’estunbaiserimpitoyable,quimedéchiredel’intérieuretmesecoueàl’extérieur.Jenouemes bras autour du cou de Gaspard, l’enlace pour que, plus jamais, il neme quitte. Il me pince leshanchesdesesgrandesmains,remontemontee-shirtetsedétachedemoiengrognant.

Lefeudanssesyeuxs’embraseet lancedesétincelles.Àboutdesouffle, ilposesonfrontcontrelemien.Ilgémitdansmonoreilleetmemordlamâchoire.

– Dylan,ronronne-t-il.Ilyaunechambreàl’étage.Cours-yetenferme-toiàdoubletour.

Savoixchaudem’excite.Ilabeaumediredem’enfuir,sonintonationm’inviteàmedonneràlui.Labossequiappuiecontremonbas-ventreaussi.– Pourquoi ?– Parceque,sinon,jevaisteprendre.

Jem’esclaffeetluidonneunbaiserquiindiquequejesuisplusquefavorableàcetteproposition.

– Alorsprends-moi.

Ilmontesamainjusqu’àmoncou,passesonpouceentrenosbouchesetmeplaquedurementcontrelematelas.Jegémisetlècheduboutdelalanguelapeaudoucedesondoigt.Sesyeuxbrillent,étincellent,puisexplosent. Ilm’embrassesauvagement,griffe lapulpedemes lèvresavecsesdentset resserresapriseautourdemoncoupourm’immobiliser.

– Bordel,Dylan,grogne-t-ilentreses lèvres,commes’ilétaitencolère.Jenevaispasseulement teprendre. Je vais te faire l’amour.Brutalement.Rudement. Pour que tu te souviennes à jamais de cettesoirée où l’on s’est aimés.Et si je te dis de t’échapper, c’est parce que, si tume laisses faire, je nemettraisaucunecapote.

Faire l’amour. Brutalement. Sans capote. Mes paupières se ferment pour enregistrer ses mots. Ilsagissentcommedesvaguessurmonorganisme.Renversantes,puistellementdoucesàl’arrivée.J’ouvrelesyeuxpourpouvoirregardermonamoureuxetjenepenseplusqu’àlasensationdevidequ’ilvientdecréer.Jeleveuxenmoi,maintenant.J’aiconfianceenlui.Alors,mabraguettesautesousmesdoigtsetj’entameladescentedemonpantalon.Gaspardmarqueuntempsd’arrêtavantdebondirenarrièreetdesedéshabilleràsontour.Enmoinsdevingtsecondes,noussommescomplètementnus.Malgrél’espaceimpressionnant de la chambre, l’air manque puissamment autour de nous. Il fait chaud, vraiment tropchaud.Jememetsenappuisurmescoudesetcroise le regardbrûlantdemonamant. Ilmedévoreduregard.D’abordmonvisage,ensuite,messeinsetmonventre,puismafente.Saqueuedresséedevantmoisemblesavoirquelleestladirectionàprendre.Elleestdéjàprêteàplongerenmoi,aussigonfléequejele suis.Ma bouche s’assèche et je n’ai qu’une envie, c’est de le sucer jusqu’à l’épuisement.Mais letempsn’estpasauxpréliminaires,cesoir.Lasituationesturgente.Nousvoulonstouslesdeuxêtrel’un

enl’autre.Goûterauxsaveursduplaisirsanslatex.

Jetendsmonpiedversluietgrogne.C’estuneinvitationàmerejoindre–vite,immédiatement–pourapaisermafaimdelui.Ilavanced’unpasversmoi.Jereculesurlelit,remontantlacouvertureensoiesurmonpassage.Lorsquelelitsecreusesoussonpoids,jeretiensmonsouffle.

Gaspardgrimpeau-dessusdemoi,plantesonregarddanslemienetm’obligeàmeconcentrersurlui,surnous.Moncœurbatviteetfort.LamaindeGaspardseperdentremeslèvresetm’arracheundouxfrissonquandsesdoigtstrouventmonclitorisetlemasse.

– Tuestoutemouillée,malionne.

Moncorps réagit à sonarroganceet à sacaresseprodigieuse ;mescuisses s’écartentpour recevoirencoreplus.D’intensesvaguesdeplaisirdéferlentenmoi.J’ondulesouslecorpsdeGaspard,subitsadélicieuse torture, quimemènedroit à l’orgasme.Mesdoigtspartent à la rencontredes siens et je leforceàs’enfoncerenmoi,avideduplaisirqueluiseulestcapabledem’offrir.

Un cri s’échappe involontairement de ma bouche lorsque Gaspard entre en moi. À partir de quelmomentsesdoigtsont-ilsdisparu ?Jel’ignore.Leboutdesaqueueforcelepassage.Et je lesens.Lapeauchaudeetpalpitantedesonpéniscaressetoutesmesparois,mepénètremillimètreparmillimètre,remplitlevidepourvenirselogerenmoi.Lasensationest…Ellesurpassetout,absolumenttoutcequej’aidéjàvécu.Jemeresserreautourdelui.Ilgrognesauvagementetnousfaitvibrersifortqu’unspasmed’une force incroyablem’emporte. Ilm’embrasse langoureusement, sans bouger, retient son souffle etgémitàmonoreille.

– Dis-moicommentc’est,luimurmuré-jeenserrantsatêtedansmoncou.

Moncorpsa tellementenviequ’il remueenmoiquemonvagin secontracte tout seul autourde lui,l’absorbeetluiarracheunnouveaugémissement.Jecroisbienqu’ilnevapastenirlongtemps.Iln’arrivemêmeplusàbouger.Soncorpsentieresttendu.Ildécouvreets’adapte.

– C’estaccueillantethumide,justecommeilfaut.Et,putain,c’estétroit.Qu’est-cequec’estétroit.Ettellementbon.Tellementparfait.Toietmoi,c’estparfait.

Ilsemetenappuisursesmains,m’observedansleblancdesyeuxpourm’obligeràfairedemêmeetseretiretoutdoucement,avantderevenird’uncoupsec.Ilmeteste,m’écartèle,s’habitueàsonfoyer.

– C’estextra,Pépita.

Ses lèvres se posent sur lesmiennes et il m’inflige de grands coups de reins, secs et précis.Mesjambessenouentautourdeluietmesmusclessecrispentalorsqu’ilaccélère.Sonsoufflesaccadéme

chatouille les lèvres et le nez, sa languemoite et brûlante dansma bouche se nourrit demes cris deplaisirs.Ilgrognecommeunlionenragésouslesonglesquejeplantedanssesomoplates,etilsevengeenm’infligeantdesondulationsdeplusenplusbrutales.Nospeauxensueurglissentl’unecontrel’autre,se claquent, se percutent dans l’ultimebut d’accéder à la jouissance.Moncorps est prêt à exploser àn’importequelmoment.IlappartientàGaspardet,parconséquent,ilattendsonordre.Maiscederniernesemblepasenavoirfini. Ilécarteunedemescuissesetamènesonpoucejusqu’àmonclitorispour letitiller.Noslèvress’entrechoquentunenouvellefois,mesmainsseperdentdanssescheveuxetjegémiscontresabouche :

– Plusfort.Monlion.Oui.Encore.Oui !– Oh,merde.Dylan !

Je le sens venir enmoi avec une force décuplée et jeme transporte avec lui, àmon tour, dans unhurlementbestial.Mesdoigtsenfoncésdanssoncou,mesjambesliéesautourdelui,jecris,jejouis,jemerefermeautourduliquidechaudqu’ildéverseenmoi.

Petitàpetit,nousredescendonssurTerre.Nosbouchessesoudentànouveaumais,cettefois,dansunedansepluslascive.Nousvenonsdepartagerunmomentuniqueetmagique.C’étaituneunionparfaite.

Noscorpsencoreemboîtéssereposentetilmeprendcontreluipourm’embrassersurlevisage.Pasde« mord-bisou »cettefois,justeunesuitedetendresbaisersmouillésquim’apaisentetmeréconfortent.Jeneregretterien.

– Gaspard ?

Ilronronne,poseundouxbaisersurmeslèvresavantdeplongersonregarddanslemien.

– Sijeterépondais« oui »,là,toutdesuite,qu’est-cequetumedirais ?

45.Mérite

GASPARD

Dylanmordsalèvreetglousse.Elleestsupersexy,commeça,danslachemisedeboulotqu’ellem’apiquée.Elle tire sur le col et inspire l’odeur.Discrètement,mais je le vois. Ses yeux verts fixent lesmiens.Àchaquefoisqu’ellesedéplacedanslesalondelasuite,mesyeuxlasuivent.

– Toutdesuite ?interrogeErnst.

Jeregardel’heuresurl’horloge :septheuresettrente-deuxminutes.Celaauraitpuêtreplustard,maisnousnevoulionsplusattendreuneseuleminuteaprèslaréponsequ’ellem’adonnéeetlabaiseintensedecettenuit.

Oui.Ellem’adit« oui ».Ouiàmoi.Ouiàunevieavecmoi.Malgrémesnombreuxdéfautsettouteslesfautesquej’aipucommettre.

– Toutdesuite,oui.– Bienentendu,MonsieurMaréchal.Ilseralàleplusrapidementpossible.– Merci,Ernst.

Jeraccrocheetbalancemonportablesur lecanapé.Dylanposesesfessessur lefauteuilenfacedemoi.Nousnousobservons,stimulésparcettefaibledistance,désireuxdel’anéantir.Lapetitebraisedanssesyeuxquej’aimetantvoirbrilleintensément.

– Çadoitêtrecool,d’êtretoi.– Oui,etsurtoutdepuisquelquesheures !ris-je.

Elles’esclaffe.Moncœurestjoyeux.Pourlapremièrefoisdepuisdesannées,j’aiprismondestinenmain.Ilestenfacedemoi,plusbeauetplusrayonnantquejamais.

– Ceque je veux dire…C’est que tu passes un coup de fil, peu importe l’heure, et hop ! un artistecréateurjoaillierrapplique.– Tusaiscequ’ondit,Pépita :« impossible »n’estpasfrançais.C’estunmotquinefaitpaspartiede

ladéfinitiond’unMaréchal.Maisça,tulesaurastrèsbientôt…

Ellerougitetramènesesjambescontresapoitrine.Ellelesentoureavecsesbrasetfrottesontatouage.

J’aiapprisàrepérer le ticnerveux.Alors jemelèveetviensauprèsd’elle.Mesdoigtspassentsursajoue. Elle a l’air si vulnérable ainsi. Ma pépite d’or… Je me promets, à cet instant, de toujours laprotéger. J’attrape ses doigts, glisse les miens entre et l’attire vers moi. Mes lèvres caressentdélicatementlessiennes.Unbaisertoutcequ’ilyadeplusonctueuxetpassionnéàpremièrevue,maisaufond,d’unetelleintensitéqu’ilnousébranle.J’effleuresonvisage,samâchoire,etcheminejusqu’àsoncou.Jel’étreinsdoucement.Elleploiesousmesbaisers,s’enremettantàlaforcedenotreunion.Cellequinousdépasseetquiest la raisonpour laquelleelleaacceptédepasser le restantdesavieàmescôtés.

Lorsque, quelquesminutes plus tard, on toque à la porte, nos cœurs battent à l’unisson l’un contrel’autre–unpeuplusrapidement,celadit.Jeluirelèvelementonpourydécelerunequelconquelueurdepeur,maistoutcequejevois,cesontlespetitesétincellesdesonexcitation.

Ilesttôt.Elleetmoisentonsunpeutropfortlemêmeparfum :unmélangedumienetdesexesauvage.Ellealesjouesrosesetdescheveuxsibordéliquesqu’ilfaudraitêtreaveuglepourvoirqu’ellenes’estpasfaite longuementsauter.J’aiencoreunesemi-érectionqui tendmonbasdepyjama.Etputain,noussommessur lepointdechoisirunebaguede fiançailles.Nousneserionspasnoussinous faisions çaautrement.

Unjour,j’aidemandéàmamère :« Quandest-cequel’onsaitqu’onestheureux ? ».Ellem’aréponduclairement :« Quandtun’échangeraispourrienaumondetaplaceavecquelqu’und’autre ».Etjesaisàcetinstantquelejouroùjemetiendraidevantl’autelaveccettefemme,riennipersonnenepourrameretenir.

J’embrasseleboutdesonnez,luipresselesfessesetmordillesonoreille.

– Allezmettrequelquechosededécent,MademoiselleSavage.Jem’occupedel’anneausacré.

Elleexplosederire.

– Maintenant,tufaisréférenceauSeigneurdesAnneaux !Tusaispourquoijet’aiditoui.– Ah ?Paspourlesexegénialissimequejet’aiofferttoutàl’heure ?

Elle rit etmonte à l’étage enme laissant ce joli sondans la tête. Jemets unpeud’ordre dansmescheveux,passemamainsurmonvisageettraverselasuiteendirectiondel’entrée.Ernstestl’hommelepluscompétentquejeconnaisse.J’ouvrelaporteavecmonsourireleplusprofessionnel,unpeudéforméparcetteniaiserieprofondequicrépiteenmoidepuisquelquesheures.

– Tuastoutgâché !annoncelapersonneenfacedemoi.

JemetsunesecondeavantdereconnaîtreLaurent,l’amidemononcle.Etunedepluspourposerunnomsurcequ’iltientdanslesmains :unpistolet.Grisavecunmancheenbois.Pointédansmadirection.Le

temps se fige un instant. Je cesse complètement de respirer. Jeme force à ne pas jeter un coup d’œilderrièremoi,pournepasluiindiquerqueDylanestlà.

– Laurent…– Laferme !

Il me pousse et m’incite à reculer sous la menace de son arme pour pouvoir entrer. Je prends deprofondes et discrètes inspirations, cherchant à trouver une solution.Mebagarrer, ça je peux le faire,seulement,siuncouppartmalencontreusement…

« Mais tu veux mourir. Souhaites-tu mourir, Gaspard ? » m’a-t-on demandé une fois. La réponsenégativeattenduen’étaitjamaisvenue.

Aujourd’hui,jepeuxledirehautetfort :jeneveuxpasmourir,putain.Pasmaintenantquej’aiémergédecetroubéantetsombredanslequelj’étaisenfermétoutescesannées.Toutcequejedésireestàportéedemain.Unnouveaudépartavecmasœur.Unefemmequej’aimeetquim’achoisi.Lasociétédemonpèredontj’aihérité…

Jecontemplel’arme,puisLaurent,quin’estclairementpasdanssonétatnormal.Ilestblanccommeunnavet.Sonregardestencombrédevieuxdémonsquim’habitaientégalementilyaquelquesmoisencore.

– Tucroisquejesuisfou,c’estça ?– Jen’aijamaisditça,réponds-jecalmement.

Iljetteuncoupd’œilcirculairequim’alerteetjem’écrie :

– Pourquoi ?Pourquoi ?– Ila travaillésidurpourenarriver là.Et toi,commetonpère…Voussignezunpapieretvous lui

voleztout !Desannéesdesacrificesetdetravail…

Mesyeuxs’écarquillentetjemefigeencomprenanttoutcequ’ilneditpas.

– Tuastuémonpère.C’esttoiquiapayécefauxpilote…– Bravo,Einstein.Jemedemandaisbienquandtufiniraispartoutcomprendre…– Mononclelesait-il ?– Non.Maisilnem’envoudrapas !C’estpourluiquejefaisça,idiot !– Lafusilladeaussi,c’étaitpourlui ?

C’estpourcetteraisonqu’ilétaitdévastéàl’hôpital.Ilavaitcommisuneerreurquiauraitpuêtrefataleà sonplan.Etdireque,pendant tout ce temps, j’ai accusémononcle alorsque lemeurtrier, c’était cet

hommecomplètementbarge.

– Non !Non !Non !

Il serre lamâchoire, agite son bras armé et je reconnais les signes avant-gardistes d’un pétage deplomb.Cequin’estpasbonpourmoi.

– Ilétaittropprèsdetoietj’ai…Jen’aipasfaitexprès !

Iln’estpluslucide.J’ignores’ilaavaléquelquechosepourêtredansuntelétat,maisilfautquej’ymettefinavantqu’unaccidentnesurvienne.

– Laurent…– Pendantdesannées,Paul-Antoineatravaillédurement.Ilétaitfaitpourreprendrelasociété.C’était

luiquiméritaitdedevenirlegrandchefettulesais,Gaspard.Maistesgrands-parentsnel’entendaientpas de cette oreille. Peu importe qu’il ait fait de grandes et longues études. On ne peut pas être undirigeantetaimerleshommes.Cen’estpasbonpourl’image.Cen’estpasbonpourlechiffre.Cen’estpasbonpourvous,lesMaréchal.

L’exigencedemesgrands-parentsadépassébiendeslimites…Bientropdelimites…Jusqu’àenfairepâtirlebonheurdemononcle…Jusqu’àleplongerdansuneviequ’ilnevoulaitpas.

– Siparfaits,siirréprochables.Etdirequej’airêvédefairepartiedesvôtres…– Vousneleserezjamais !

LavoixdeDylansortdenullepart.Tellementaccaparéparnotreéchange,jenel’aipasvuearriverderrièrelui.Ellebranditlepotdefleursetl’explosecontrelatêtedeLaurent.Soncorpsseprojetteenavantetilhurlededouleur.

– Dylan,pars !crié-je.

Ellen’apas le tempsdebougerqu’il se retourne sur elle.Monsangne faitqu’un tour. Il la claqueviolemment,justeavantquejenesautesurlui.Jeleplaqueausolettentedelemaîtriser.Iltienttoujourssonarmealorsquenoustombonssurlaconsoleduvestibule.Jenevoisqueça :l’armequejedoisluienleverdesmains.Ilrésiste,sedéfendpourm’empêcherdel’attraper.Desbrisdeverrecraquellentsousnoscorpsquibataillent.Nospoingssifflentdansl’air.Ilmecognebrutalementdanslescôtesavantquejeneparvienneà reprendre ledessussur lui. Je lemaintiens au sol, lesmains autourde soncou.Uneombrepassedansmonchampdevision,affaiblieparlacolèrequiboueenmoi.J’entendsDylanmecrierdes choses et d’autres, mais je n’en comprends pas unmot.Mon poing s’écrase contre le visage deLaurent.Mais un coupne suffit pas à faire taire la haineque j’éprouve.Et jemedéchaîne contre lui,l’hommedemédiasdanstoutesasplendeur,quipenseavoirledroitsurlaviedesgens.Uncoup.Deux

coups.Troiscoups…Ilalaminémonexistencedesannéesdurant,dissimulédansl’ombre,commeunratd’égoutsrêvantetsenourrissantuniquementdecequiestpérissable.Ilreprésentetouslescoupsquejen’aipaspudonneret tousceuxquej’aidonnésdansmavie.Jefrappe,encoreetencore.J’alimentelemonstreaveccequ’ilatoujoursvoulu,espérantquelquepartenmoiqueçaluisuffira,etqu’ils’enirapourdebon.Cependant,j’ail’impressionqu’ilnesemanifestepas.Ilestpourtantlà.Ilestforcémentlà !Je ne comprends pas pourquoi il n’apprécie pas ce que je lui offre. Il y a pourtant du sang.Celui del’hommequiacausétoutça…

Je sens mon corps être fermement tiré en arrière. Laurent marmonne, tousse et crache du sang. Leservicedesécurité,accompagnédeRony,s’occupedelui.

– Gaspard !C’estfini…

LesbrasdeDylans’enroulentautourdemoncou.Àboutdesouffle,jelalaissemeprendrecontreelle.Ellemeramènedansl’instantprésent,m’enveloppedesabienveillanceetdesonamour.

– Ilatuémonpère…

Elleprendmonvisageentresesmainsetmesourit.Sesjouessontmouillées.Ellepleure.Salèvreestgonfléeettachéeparsonpropresang.Ellearrivequandmêmeàmesourire.C’estunrayondesoleildanscetrounoir.Monsoleilàmoi.

– Effectivement.Ilatuétonpère.Pastoi.

C’étaitévidentdepuisuncertaintempsdéjà.Mais,d’unecertainefaçon,jenemel’étaisjamaisavoué.Lefaitqu’elleleprononceàvoixhautesembletoutchanger.L’informationsefraieunpassagedansmatêteets’ancrededans.

Jenesuispasresponsabledelamortdemonpère.

Commes’ils’agissaitd’unephrasemagique,toutelapressiondisparaîtetmelibèred’unpoids.Elleglisse le longdemondosets’évapore.Je frémisdans lesbrasdeDylan.Lesyeuxfermés, je laserrecontremoipourluiprendreunpeudeforceetdechaleur.Jesuiscomplètementvidé.Lesévènementsysontpourquelque chose,mais–plus important– jene sensplus lemonstre enmoi. Il n’est pas sortiquandjecognaisLaurant,toutsimplementparcequ’iln’étaitdéjàplusàl’intérieur.

– Tum’assauvé,Dylan.

Ellesouritdansmoncou.

– Jetesauveraitoujours.

46.Libreetsauvage

GASPARD

Unesemaineplustard.

RonyglissesurlatabledusalonlapilededossiersinculpantLaurent.Ilcontienttouslesélémentsdel’enquête,soigneusementrassemblésparQuentin.Lasséetmeurtripartoutecettehistoire,jelesobservesanslestoucherpendantqueJean,lechefdelasécurité,sechargedem’informeroùenestl’affaire.

Laurentapassélesderniersjoursendétentionprovisoireavantd’avouersesfautesetsescrimes.L’image de l’homme sophistiqué et coquet que j’ai connu dans les locaux insalubres de lagendarmeriem’arracheunpetit rictus sardonique, relançant par lamêmeoccasionmadouleur à lamâchoire.Quinzeansderéclusioncriminellepourhomicidevolontaireavecpréméditation.Cinqansde plus pour tentative demeurtre. Sans sursis, sans remise de peine possible.À sa sortie, il auraobligationdes’établiràplusdecinquantekilomètresdemesproches,demapersonnephysique,maismorale également. Autrement dit, il a interdiction d’approcher tout ce qui concerne MaréchalCommunity. Cet enfoiré devra pécher ses informations depuis les villes désertes de France, étantdonnéqueMCetsesfilialessontimplantéesquasimentpartoutdanslepays.

– DesnouvellesdePaul-Antoine ?– Oui,monsieur.Undemesagentssuitlemoindredesesmouvements.Ilaquittéleterritoireavecun

demi-milliond’euros.Jenecroispasquenouslereverronsdesitôt.C’estpourcetteraisonqu’ilvousalaisséça.

Ilmetendlafeuillequ’iltient.Noirsurblanc,dansuneécriturebrouillonne,presquemaladroite,quim’indiquequeledocumentaétérédigétrèsrapidement,Paul-Antoineannoncequ’ilmelègueMaréchalCommunity.Entièrement.Unepagesetourneetunenouvellemefaitface.Maisjenepeuxempêchermoncœurdeseserreràlalecturedecedocument.Enatteignantl’objectifquejem’étaisfixé,j’aiànouveauperdul’undesmembresdemafamille.Espéronsquecenesoitpaspourtoujours…

– Etqu’enest-ildupilotedemonpère ?questionné-je.– Ilaretrouvésafamille,monsieurMaréchal.Ilestonnepeutplusheureux.Safemmeetluivousont

adresséleursremerciements,ainsiquesesfélicitationspourvosfiançaillesavecMademoiselleSavage.

J’aitenumespromesses…Incapabledeleretenirpluslongtemps,jelaissecesourireimbécile,quimepossèdedepuisunesemaine,déformerunefoisdeplusmonvisage.Dylan…Mapépite.Monamour.

***

Il est près de vingt-et-une heures lorsque la porte de la salle de bains s’ouvre surDylan. Ellemerejointdansledressingquiséparelasuiteparentaledelasalled’eau.Soncorpssetourneverslemiroirdelapièceetelles’observeattentivementenpinçantseslèvres.

Elleestextraordinairementbelle.Sensuelleetclassedansunecourteroberougeornéed’uneceinturede soie. Des empiècements en dentelle découvrent des parcelles de sa peau, dont le teint solaireresplendit.Elleadomptésacrinièredelionneenondulantlégèrementsescheveux.Unebarretteretientl’unedesesmèchesenarrière,cequimetenvaleursonvisagerondetdélicat.

Des fois,dans lavie–quandvousévitezde justesseunaccident,quandvous réussissezunexamendifficile,quandledocteurvousditquetoutvabien–vousvousrendezcomptedudegrédechancequevousavez.Ehbien,sachezquecen’estrien,absolumentrien,lorsquevousrencontrezvotreâme-sœuretqu’àchaquefoisquevousposezlesyeuxsurelle,vousentombezdeuxfoisplusamoureuxquelafoisd’avant.Dylanmefaitressentirtoutça.Dylanestmachanceàmoi.

Elle s’empare d’une paire de chaussures, se pose sur la banquette capitonnée, les enfile en un clind’œiletserelèvepourévaluersonrefletdanslemiroir.Àsespieds,desescarpinsbrillants,avecunechaînetteàlacheville,allongentsesjambes.

– Dylan,grogné-je sans levouloirenbaissantmon regardsur ses fessesdemalheuravec lesquellesellemenargueconstamment,inconsciemment.

C’estpourtantmasoirée,maisc’estsurellequelesregardsvontsefocaliser.Tantmieux,sachantquej’ail’intentionsecrèted’officialisernosfiançaillesauxyeuxdetoutParis,cesoir.Grand-mèreNinis’estentièrementchargéedelaréception.Elleaappeléletraiteur,leDJ,lesamisquejen’aipasetmêmeceuxdeDylan, afin de lamettre à l’aise. Je lui ai simplement demandé en retour qu’un journaliste influantvienneetprennenoted’uneseulechose :GaspardMaréchalatrouvéchaussureàsonpiedenlapersonnedeDylanSavage.Etpouréviterqu’onpensequ’elleestunearrivistecommeÉmilie,j’aiprévuunepetitesurprisepourelleenmilieudesoirée.

– BonDieu,tuesbientropdélicieuse.– J’espèrealorsquevousêtesbientropgourmand,MonsieurMaréchal.

Moncorpsréagit « bientrop »violemmentpourquelquespetitsmotsseulement.

– Tuaimesmacoiffure ?cherche-t-elleàsavoir.

J’avancedoucementdanssondosetacquiescesousformedegrognement.

– Tuaimesmarobe ?– Pépita, aimer une robe qui s’enlève aussi facilement qu’elle ne se met, c’est une loi masculine

universelle.

Jel’enveloppedemesbras.Jecaresselescourbesdesoncorpstoutenobservantsaréactiondanslemiroir.Sapeaudouce,sachaleur,sonodeurnaturelle, leparfumdesonshampoing…Monnez inspiretoutcequiconduitaurenflementdemonpénis.

– C’esttagrand-mèrequil’achoisie.

Çanem’étonnemêmepas.Soitgrand-mèreNinipensequejenecouchepasavantlemariageetelleessaiedemedonneruncoupd’accélérateur,soitelleveutdesarrière-petits-enfantsbienavantl’heure.

– Grand-mèreadetrèsbonsgoûts,susurré-jeàsonoreille.

***

LesmainsdeDylanjouantaveclesmiennessontdevenusunrituel.J’ignorecequ’elleaimetantdanscesimplegeste,maisçal’apaiseetladétendtoujoursalorsqu’ilmesuffitd’unregarddanssadirectionpouréloignertouteslesombres.

Ronypousselesportesdurestaurantpournouset,aprèsunsignedumentonaumecderrièrelebar,ilnousconduità l’étage.J’arrêteDylanjusteavant l’entréeetposemesmainssurseshanches.Avecsestalonsetplantéesurunemarcheau-dessusdemoi,ellemedépassedequelquescentimètres.

– Putain,Dylan…

Je suis heureux. Heureux à l’idée que, quand je rentrerai ce soir, ce sera avec elle. Quand je mecoucherai,ceseraauprèsd’elle.Quandjemelèverai,ceserapourelle.

– Jesais.Moiaussi.

Ellesouritetcaressemeslèvresavecsonindex.Sesyeuxbrillentd’amour.Maintenant,jelevoisetjelesais.Çanousesttombédessuscommeça.Telleuneflammedanslapoitrine,auniveauducœur,quiréchauffedanslesmomentsdedoute,quiilluminelorsquetoutestsombre,etquibrûletantc’estbon.

– Usus,fructus…– Etabusus,terminé-jeàsaplace.Commeçaetpasautrement.

Ellesautesurmoietjedoism’appuyersurmajambepournepasdégringolerdanslesescaliers.Ellem’embrasseavec fougue.Sa languepassesurmes lèvresetelledéposepleindepetitsbaisers surmajoue,jusqu’àmespaupières,puisentremessourcils.

Nousentronsdanslasallequiaétéprivatiséepourlasoirée.Destonsclairs,undesignmoderneentreboisetmeublesindustriels,leparfaitéquilibredenosdeuxpersonnalités.LamusiqueduDJestdiscrète,lechefcuisinier,derrièrelebar,préparedesmetsgastronomiquespourlesinvitésetlesdeuxserveursquil’accompagnentserventcocktailsetgrandsvins.

Mapépitesautilleenapplaudissantquandelleaperçoitlesmacarons,lespépitosetlesballons.Monbraspasseautourdesataillepourlamaintenirprèsdemoi,lorsqu’unesilhouettefamilièreentredanslesalon.

Lejournaliste !

D’habitude,j’évitecegenredemédia,sicen’estpourleboulot.Maisl’amourrendcon,démonstratifetcommercial.C’estpourçaquemalanguepartàl’aventuredanslabouchedeDylan,justesouslesyeuxdureporter.

Sesmainsseperdentdansmescheveux.Lasensationdesesdoigtsquis’agrippentàmoi,deseslèvresquisucentlesmiennes,desesgémissementsentredeuxbruitsdesucions…C’estdélicieux.C’estexquis.Aveccegenredebaiser,monsieurlejournalisteauramatièreàpondreunarticle.

– Dylan,grogné-je.Laisse-moitrouveruncoinsympa,quejepuissem’occuperdetoi.

Elles’arracheàmonétreinteetmedécocheunsourirecoquin.

Quentinarriveàsontour,ilmesnoberoyalementetfonceverslebuffetpouréchangeraveclaraisondesavenue : les frites.JediscutealorsavecSvetlanaetapprendque,derrière laplastiquedepoupéequ’elle se trimbale, il y a cinq années d’études de droit, huit langues écrites et parlées, et une bonnepartie de son salaire qu’elle envoie à sa famille polonaise. Entre deux sujets de discussion, nousremarquonsqueDylanarejointmonavocatetque leurpassionpour lamalbouffeenafait leclubdesbutineursdubuffet.

Quelquestempsaprès,c’estautourdeTommydefairesonentrée.Endécalagetotalparrapportàtoutle reste des invités, il est vêtu d’un bermuda, d’un maillot d’une équipe de foot signé, et porte unecasquette qui couvre lamoitié de son regard.Telle une star qui essaie de se cacher des paparazzi. Ildécouvresatêteet,enmêmetemps,merepère.

– GaspardMaréchal !crie-t-il.T’aspaschangéd’unpoildecul !Toujourslamêmetêtedegland !

Nousnousserronschaleureusementlamain.

– Tommy…

Letennismanlèvelamainpourm’interrompreetsetourneversSvetlana.

– DylanSavage,l’éluedupetitcœurtoutfragiledugrandGaspardMaréchal.Ilm’abeaucoupparlédetoi.Etdetasauvagerieaulit.

Le con !Moi qui appréhendais nos retrouvailles, je suis royalement servi.Tommyn’a vraiment paschangé.

– Intéressant,retentitlavoixdelavraieDylan.Ilvousaaussiditquejepouvaisêtretoutaussisauvageendehorsdulitouvousavezbesoind’unedémonstration ?

Nos regards se tournentversmabelle,qui rejointnotregroupe.Mamainpartautomatiquementà sarencontreetjel’attirecontremoi.

– Jevouslaisse,murmurepolimentSvetlana,leregardamusé.

Dylanlasuitd’unregardmalveillantetjerisenl’embrassantsurlatête.Unevraielionnequidéfendtoujourssonterritoire.

– DylanSavage,seprésente-t-elle.– Tommy.– Vousêtesplusbeauàlatélé,dit-elleenchiffonnantsonnez.

Jem’esclaffehautetfort,àlafoisparcequejenem’attendaispasàunetelleréflexion,etàlafoispouragacermonami.

– Salut,Mistergroszizi !

LameilleureamiedeDylandébarqueauprèsdenous.Dansune robemoulantede lacouleurdesescheveux,ellepassesesdoigtsdanslesbouclesdeDylanengrimaçant.

– C’estquoiletrucaveclesPépitoetlesmacarons ?

Dylan roule des yeux et se blottit contre moi en ronchonnant, refusant de confier notre petit secret.Parissesevexeet,danssondos, je remarquequeTommylamatedangereusement.Oh là  !Lessourcilsfroncés,j’essaiedel’interpeller :lesamisdemafiancée,c’estnon.Cegenredechosenefinitjamaisbien.

EtlesconséquencespeuventêtrebienpiresaveclegroupedeDylandéjàsoudécommedel’acier.

– Etc’estquoiletrucavec« Mistergroszizi » ?demandeTommy.

Ilfeintl’innocencemaisc’estloind’êtrelemotquilereprésente.Parissesetournesurluiendouceuret…merde.Lorsqueleursregardssecroisent,jesaisd’avancequemesmisesengardesesontperduesdanslastratosphère.

– Tommy.

Illuitendlamainetelledégagesescheveuxderrièresesépaulescommeunepetiteprétentieuse.

– Jesaisquivousêtes,répond-elle.Jemesuisabonnéeàlachaînesportiveexprèspourpouvoirmetoucherdevantlesgrosplansdevosmatchs.

Dylanexplosederire,attrapelamaindesameilleureamieets’éclipseavecelle.

***

Unpeuplus tarddans la soirée, l’informationque j’attendsdepuisunebonne semainemaintenantmeparvientenfin.Quentins’éclipseavecmoietmemetaucourantdesatechniquequiaserviàattrapernotreproie. Une berline noire nous attend sur le parking, feux allumés etmoteur enmarche.Nous grimponsdedanset,dèsquel’hommeassissurlesiègeenfacemereconnaît,iltentedes’échapper,maisRonyquiestposéàsescôtésl’obligeàserasseoirbrusquement.

– SteveHerbert,meprésenteQuentinenouvrantundossier.DelasociétédedéménagementHerbert&Fils,montéeen1987.Ilsontfaitfailliteilyatroisans,maisaulieudeplongerdansl’alcoolcommeilapulefairecroire,monsieuraplongédanslevandalisme.Vol,escroquerie,ventedeproduitsillicites…Lalisteestencorelongue,maistuvoislegenre.– Pourcombienpeut-ilprendre,avectoutcequetuastrouvésurlui ?– Sioncomptelesdeuxdescriptionsdevolàmainarméedansunebijouterieetunkiosque,ilyatrois

mois…Disonscinqans.EtsiDylandécidedeporterplaintedansquelquesjours,c’estàdirelorsqu’elleaura une certaine notoriété dans toutes les radios du pays, appuie-t-il, je pourrais faire en sorte qu’ilécoped’unepeineexemplaireetmonterjusqu’àhuitans,sanssursis.Çaluiferasoixante-deuxansàsasortieet,étantdonnélesconditionsprécairesdesprisons,ilneluiresteraplusquequelquesannéespourprofiterdesaretraite.Hum,retraitequ’ilnetoucherabienévidemmentpas.– Ilpourrareprendresesactivitésdouteuses,proposé-je.– Avecunecanneetundentier,jenesuispascertainqu’ilpourraallerloin,ricaneQuentin.– Lespersonnesâgéessontfacilesàarnaquer.– Trèsbien,trèsbien !hurleSteveenagitantsesmainsdevantlui.Qu’est-cequevousvoulez ?

– OùestTeresaSavage ?articulé-jefroidement.– Elleattenduneventequialieudansle8earrondissement.

Une grimace de dégoût me fend le visage et je fais signe à Quentin de donner le chèque que j’aipréparé.

– DonnezçaàMadameSavage.Ilya là ledoubled’unsalairemoyenannuel.Prèsdequatreansdeloyerofferts.Enéchange,jeveuxqu’elledisparaissedelacirculation.

Steveregardeleszérosdevantlavirgulecommes’ilvenaitd’êtresubitementilluminé.Cechèquenereprésentequasimentrienpourmoi,sicen’estlebonheuretlatranquillitéd’espritdemafuturefemme.

– Si jamais j’apprends que l’un d’entre vous est dans les parages, je vous envoie tous les deux entaules.Mesuis-jebienfaitcomprendre,MonsieurHerbert ?

Ilhochelatêteetjemepencheverslui.

– Etvousn’avezpasintérêtàjouerauplusmalinaveccechèque.Oubienc’estmoiquimechargeraipersonnellementdevotrecas.

Jemeredresseetserrelamâchoireetlespoings.

– Rony,virez-moiceguignoldemabanquette.Etveillezàcequ’ilfassecequejeluiaiindiqué.

Sansaucunedélicatesse,Ronyexécutemesordreset,quandSteveHerbertdisparaîtdemavue,jesuisbeaucoupplusserein.

– PourquoinepasavoirrécupérélesaffairesdeDylan ?questionneQuentin.– Cen’estpasmonjob.J’ignoresiDylanpardonneraunjouràsamère,maisjenecomptepasfaciliter

leschosesnonplus.

TeresaSavageassumera jusqu’aubout.JeveuxqueDylanseservedecettecolèreetdecemauvaissouvenirpourneplusretomberdanscepiègematernel.

***

Deretouràlaréception,j’ail’impressionquedenombreusesheuressesontécouléesentreledébutde la soirée et maintenant. Stéphanie discute avec Tommy et sa copine rousse. Dumoins, ma sœurdiscuteavecTommyetParisselereluquecommesielleallaitenfairesondîner,soncasse-croûtedeminuit,sonfantasmedelanuitetsonpetit-déjeuner.Et,bienentendu,j’aiassezfréquentécetidiotpour

savoirquel’hommequiboit tranquillementsonverreenécoutantpolimentmasœur,n’estabsolumentpasindifférent.

– Etàprésent,débuteunevoixclairedanslesalon,coupantnetlesconversationsdetoutlemonde.

LeDJestpileàl’heure.Saplaylists’interromptetl’animateurradioprendalorslaparole :

– Vousallezécouteravecnousenexclusivitélepremiertitred’ungroupederock-indiequevousallezadorer !Ilssontfrançais,ilssontjeunes,etleurtubes’appelleNuitBrune.LesNoLimitspourvouscesoir,lesenfants !

DèsquelespremièresnotesretentissentetquelavoixécorchéedeDylanenvahit lesenceintes,unsourire niais flotte surmes lèvres. J’ai déjà entendu la chanson avec le directeur de la radio,maisl’effetestdifférentce soir, car je l’écouteavecdesmilliersd’autrespersonnes.C’estma lionne,mafemme,mabelledejour,quichantepourlaFrance.Etrienaumondenepeutmerendreplusfierencejour.JecontempleDylanqui,lesyeuxécarquillés,s’entendelleaussi.CharlieetParissesont,eux,enétatdechoc.Lesautresinvitésremuentlatêtesurlesonrythmé,agitentleurderrière.Etvoilà,enuninstant, une musique qui n’était connue que de quelques personnes seulement, vient d’entrer dansl’histoire. L’éclat de joie qui transperce le trio couvre la musique un instant alors qu’ils se sautentmutuellementdans lesbras,sepincent,couvrent leursbouchesetsortent leursportablespourappelerleursproches.MasœurprendDylancontreellepourlaféliciter.

– Maiscommentest-cepossible ?s’écrieunefilledansleurcercle.Franckm’aditquevousn’étiezpascenséspasseravantunmois !– Franckestunvraicoquin,danstouslessensduterme,répondCharlieenembrassantlafille.

Dylanseredressebrusquementetcessedes’agiter,commelesautres.Ellepivotesurelle-mêmeetsonregardcapturelemien,anéantissanttouteformedevieautourdenous.Ellefendlafouled’invitésencourantjusqu’àmoi,nedéviepassesyeuxvertsdesmiens,sauteàmoncouetm’embrasse.

– Merci,merci,merci,merci !

Mamains’emparedesescheveuxettiredessuspourlaforceràmeregarder.Unsouriredéformesonvisage,refletdeceluidemoncœur.

– Jeferain’importequoipourvous,MademoiselleSavage,luichuchoté-je.– Jet’aime.

Qu’ellenes’arrêtejamaisdeprononcercestroismots.Jamais.

Je la libère pour qu’elle aille rejoindre ses amis et fêter avec eux leur première.Quentin s’adosse

contre le bar et suit mon regard. Il se marre en constatant que je n’ai d’yeux que pour ma belle etindomptablelionneetsafacilitéàfairedubonheurunemaladiecontagieuse.

– Jevaisl’épouser,avoué-je,sansaucunegêneniappréhension,parcequeleschosesnesedéroulerontpasautrement.

Il secoue la têteetavaleunmacaron. Il lemâcheàpeinequ’ildescenddéjàdanssagorge.Unvraiglouton.

– Contratdemariage ?– C’estpossibled’enfaireunquil’obligeàrester,quoiqu’ilsepasse ?

Ilricaneetjepeuxapercevoirlesdeuxcornesquiluipoussentsurlatête.

– Camarade,jeneseraispasunavocatdel’ombresijeterépondais« non » !– Ehbien,jecroisquelecontratestsigné !Pourça,et…ilmefaudrauntémoin.– Tumeconnais :s’ilyadesfrites,jesuisdelapartie !

QuentinmesouritetjeluirenvoielapareilleavantdemetournerversDylan.EllechanteetdanseavecFafa.Sonregardcroiselemien,s’yaccroche,etnelequittepaspendantqu’ellesedéhanchepourmoi.

Jecapturecetteimaged’elledansmonesprit :libreetsauvage.

Fuir,c’estfacile.Dumomentquenousavonsdespiedsetdesmains,nouspouvonsallern’importeoù.Ilyaunmilliondedestinationspossibles.Maisl’amour,c’estlà,etiln’yenaqu’unseul.C’estcommeunjeu,celuidenotrevie,saufqu’ilsejouedansl’instantprésent.Pasaprès,pasplustard.Maintenant.Etbien sûr que nous avons le choix.Nous avons toujours le choix.Nous pouvons nous coucher, ou nouspouvonssuivre.Nouspouvonsabandonnerfaceàl’adversité,ounouspouvonsresteretdéciderdenousbattre.Battons-nous,putain.Parcequeçaenvaut lapeine.Parcequeriendanslavien’estacquis.Toutpeuts’évaporerd’unmomentàl’autre.Unerouequidérape.Unavionquisecrashe.Unbattementdecils.Unbattementdecœur…Battons-nousjusqu’ànotrederniersouffles’illefaut.

C’estcequejevaisfaireavecDylan :mebattrejusqu’àmonderniersouffle.Jevaisjouer.Etjevaisgagner.

FIN

Remerciements

Toutd’abord,merciàmesproches,àtoimaman,quimelisaisdesromansd’amouralorsquej’étaisdanstonventreetquim’atransmiscettepassionpourlaromance.Merciàmafamille,àmesamisquisonttoujoursprésentspourmoietquicomprennentladifférenceentrecasanieretpassionnée.

Merci à mes chamallows, vous êtes les meilleurs lecteurs du monde, vous donnez vie à mespersonnagesdanstouslessensduterme.UnmercitoutparticulieràElodie,CelineetMiss-Keyquià2heures du matin, m’ont poussée à poster le premier chapitre dePlay & Burn. Merci à Alys-La (maconseillèreendiamant),LaureAubel(lamarraine),Fatou,Eralya,MarionSH,LilyRW,lou4lou4,JoelleBlanc(monchamallowd’or),vousavezétéd’unsoutienincroyable,unesourcedemotivation!MerciàLiyahnaa, Victoire, Aurelben, Marionaa, asoumaglam, Dahbia, Sarah17290, Cans1994, Filipa171204,Twiny-B,Agnes.T,Vivibuell,Tina.R,RohanetAtea,Elodie.Z,Elodie.F,Cindyettesnombreuxmessagesque j’adore, Virginie.T, madlc2b, ma Raveuse, Girly97, AudreyPinel, Bluce, VanessaMickaelKillia,Thisnightingale, QueenSelena, blunicorn, carolinehlt, Tif Fany, CarineSHeck, Helene.D, Jennifer.Bud,ClaireLucieD, Ambre.L, L.Stocklinn, AlizeeGr, moilui, obliviscatur, setoundiaye, alwaysdreamwith,YemimaBlaqkberry,teltel1357…etjen’aimalheureusementpaslaplacepourmettretoutlemonde,maismerci à vous touspour vosmessages, vos commentaires, votre présence !Merci d’avoir été et d’êtretoujourslàmalgrélesmoisd’attente!

À celles qui viennent d’arriver dans mon monde : So Girli, merci d’être aussi gentille etencourageante;merciCharlene,Nel,leslectrices,leschroniqueusesdontj’admireletravailetavecquij’aiprisgoûtàsimplementpapoter!

Merciàmadrunkteam:ParisneseraitpasParissansvousettouscespotinsquel’onpartage.Àmameilleureamie,macolocd’enfer,mapartenairedepoisse,cellequialumespremièreshistoiresenCP,mercidesupportermoncaractèred’auteure-étudiante-fainéante.ÀVictruche,n’arrêtejamaislamusique,n’arrêtejamaisd’êtretoi.ÀLolo,MichmichetSteph,mercid’êtreaussibarjosquejenelesuis.

Çaaétéuneannéetrèsrichepourmoi,etpourPlay&Burnquejen’auraisjamaisimaginévoirdansunemaison d'édition.Alors un énormemerci sans frontière, sans limite, et plein de couleurs àNishaEdition,àtoutel'équipe,pourvotreamabilitéetvotreprofessionnalisme,voussavezmixerlesdeuxavecbrio.MerciàAdeline.Mercid’avoirplacétaconfianceenmoi–enmontexte–enDylanetsesamis.Jeneparlepasbeaucoup,maisj’observeénormémentetcequetuasfaitavecNishaestvraimentadmirable.Tu tires les gens vers le haut et c’est un honneur pour moi d’être auteure chez Nisha. Merci à monéditrice,Laëtitia.Mercipourtapatienceettagentillesse.MercipourtoutletravailextraordinairequetuasfaitsurPlay,c’étaitmagique.Mercid’avoircomprismespersonnagesetGaspard,dem’avoirfreinéeaudépartquandjepartaistroploin,mercid’avoirgommélesimperfectionstoutenenlaissantquelques-unes.

Etpour finir,merciàvous,quivenezde finircettehistoireetqui rentrezdansmonmonde.Sivousavez,neserait-cequ’appréciéuntoutpetitpeucettehistoire,alorsjesuiscomblée.

Auteure:FannyCooper

Suiviéditorial:LaëtitiaHerbaut

NishaEditions

Cognac-la-Forêt

N°Siret51078346700044

N°ISSN:2491-8660