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UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX – MARSEILLE FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS L’INTRODUCTION DE LA FAUTE INEXCUSABLE EN DROIT DU TRANSPORT TERRESTRE INTERNE DE MARCHANDISES. Mémoire pour l’obtention du Master 2 Professionnel Droit des Transports Terrestres Par Anastasia BEX Sous la direction de M. le Professeur Cyril BLOCH Année universitaire 2011-2012

Faute inexcusable terrestre

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Page 1: Faute inexcusable terrestre

UNIVERSITE DE DROIT, D’ECONOMIE ET DES SCIENCES D’AIX – MARSEILLE

FACULTE DE DROIT ET DE SCIENCES POLITIQUES

CENTRE DE DROIT MARITIME ET DES TRANSPORTS

L’INTRODUCTION DE LA FAUTE INEXCUSABLE EN DROIT DU TRANSPORT TERRESTRE INTERNE DE MARCHANDISES.

Mémoire pour l’obtention du Master 2 Professionnel Droit des Transports Terrestres

Par

Anastasia BEX

Sous la direction de M. le Professeur Cyril BLOCH

Année universitaire 2011-2012

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« LE MALHEUR DES UNS FAIT LE BONHEUR DES AUTRES »

« CANDIDE » DE VOLTAIRE

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REMERCIEMENTS

Je voudrais exprimer ma sincère reconnaissance à Monsieur Le Professeur Cyril Bloch,

pour m’avoir permis de faire partie de cette aventure au sein du CDMT, pour sa

confiance et son enseignement précieux.

J’adresse mes sincères remerciements à tous les intervenants du CDMT qui ont toujours

su nous transmettre leurs passions et leurs savoirs, essentiels pour notre réussite.

A Marjorie Vial, pour son écoute et son amitié très chère qui m’ont permis d’avancer

toute l’année.

Je souhaiterais transmettre toute ma gratitude à Plamena Encheva, Marie-Hélène Pèpe

et Marie-Pierre Herblot pour leur motivation, leur aide et leur présence tout au long de

mon mémoire.

A mon père et à ma mère, en gage de mon amour filial et en modeste hommage de ma

reconnaissance infinie. Sans eux rien n’aurait été possible.

A mes sœurs en témoignage de mes sentiments fraternels.

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SOMMAIRE

TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES ...................................................... 6

INTRODUCTION....................................................................................................................... 7

PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE .......... ............................................ 17

CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE I NEXCUSABLE...... 18

SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE IN EXCUSABLE ........ 19

SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE........................................................................................................................ 23

CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN FAUTE INEXCUSABLE..................................................................................................................................................... 29

SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE.................................................................................................................................... 32

SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA NOTIO N DE FAUTE LOURDE.................................................................................................................................... 38

PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE...... ........................................ 44

CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE ......................................................................................................... 45

SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE ...................................................................... 46

SECTION II : LE DEPLAFONNEMENT DES LIMITATIONS DE R ESPONSABILITE..................................................................................................................................................... 50

CHAPITRE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE INEXCUSA BLE SUR LES AUTRES ACTEURS DU TRANSPORT TERRESTRE....................................................... 55

SECTION I : L’IMPACT SUR LE COMMISSIONNAIRE DE TRAN SPORT ................ 56

SECTION II : L’IMPACT SUR LES ASSUREURS............................................................. 59

CONCLUSION.......................................................................................................................... 62

RESUME.................................................................................................................................... 63

ABSTRACT............................................................................................................................... 64

TABLEAU RECAPITULATIF ............................................................................................... 65

ANNEXES.................................................................................................................................. 67

BIBLIOGRAPHIE.................................................................................................................... 77

Page 6: Faute inexcusable terrestre

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TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES

Av. J.-C. Avant Jésus-Christ

BTL Bulletin des transports et de la logistique

Bull. Civ. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation

CA Cour d’appel

Cass. Cour de cassation

Cass. Civ Chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Com Chambre commerciale de la Cour de cassation

C. aviation Code de l’aviation civile

C. Civ. Code civil

C. Com. Code de commerce

C. Transports Code des transports

CMNI Convention relative au contrat de transport de

marchandises en navigation intérieure

CMR Convention sur le contrat de transport international

de marchandises par route

D. Recueil Dalloz

DMF Revue Droit Maritime Français

DTS Droit de Tirage Spéciaux

Juris. Jurisprudence

Obs. Observation

RCA Responsabilité Civile et Assurances

RD transp. Revue de droit des transports terrestre, maritime et

aérien

RGDA Revue générale du droit des assurances

RTD Civ. Revue trimestrielle de droit civil

RTD Com. Revue trimestrielle de droit commercial

T. com. Tribunal de Commerce

Page 7: Faute inexcusable terrestre

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INTRODUCTION

1. – Historique de la création du transport. – Le transport est par essence lié à

l’Homme. Depuis le début de l’existence de la civilisation et l’invention de

l’agriculture en Mésopotamie vers le VIIIème Millénaire av. J.-C., l’Homme n’a

cessé de découvrir de nouvelles techniques permettant de faciliter sa tâche de

travail. C’est ainsi qu’il a imaginé différents moyens de transport, afin de faire

circuler des denrées d’un point à un autre en échange de nouvelles richesses.

2. – Découverte des différents modes de transport. – Les premiers modes de

transport étaient archaïques (comme le portage humain). Puis, avec l’invention

de la roue et des routes1, sont nées les toutes premières formes de Commerces.

Mais qu’en est-il du transport maritime ? En effet, à côté de l’apparition des

premiers transports terrestres, l’Homme a toujours été attiré par un élément

mystérieux et dangereux : l’eau. Cela lui a permis d’imaginer les toutes

premières embarcations rudimentaires, dès la Préhistoire, comme les pirogues

creusées dans un tronc d’arbre ou les canoës en peau. Toutefois, ce n’est qu’avec

les peuples méditerranéens, à partir de 2500 av. J.-C., qu’ont été construit les

premiers navires de mers2, capables de réaliser de plus longues distances. Ce

mode de transport, toujours perçu comme risqué, a alors permis l’essor du

Commerce comme au XVIIIème siècle avec le « Commerce triangulaire » entre

l’Europe, l’Afrique et les Amériques. La découverte de l’hélice 3 au XVIème

siècle et la Révolution Industrielle au XIXème siècle, engendrent de grands

changements dans le monde des transports. Le bateau à vapeur remplace le

bateau à voile. La locomotive remplace les chevaux. L’automobile voit le jour

avec l’invention du moteur à explosion et des pneumatiques. A cela s’ajoute

l’étude des engins volants, et au XXème siècle les premiers avions commencent

à voler. Aussi, l’Homme a découvert trois modes de transport distincts tout au

1 Nous prenons pour exemple : la voie Appienne qui fut une voie romaine commencée vers 312 av. J.-C. et la Route de la soie qui fut un réseau routier chinois dès le XIème siècle av. J.-C., la plus longue du monde pendant deux mille ans. 2 Comme les illustres chantiers navals des Phéniciens et les galères grecques et romaines ou encore les premiers navires égyptiens. 3 Découverte par Léonard de Vinci.

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long des siècles avec le transport maritime, aérien et terrestre, ce dernier faisant

l’objet d’une répartition tripartite avec le transport routier, ferroviaire et fluvial.

3. – Développement du transport. – Le transport est avant tout un moyen

permettant le déplacement des marchandises d’un endroit à un autre contre le

paiement d’une somme d’argent. Aussi, toutes ces découvertes favorisent le

développement des échanges économiques et culturels. On se déplace plus vite,

plus loin et on transporte plus de marchandises. A ces échanges, il faut trouver

un moyen d’éviter les conflits entre les différents acteurs économiques. C’est

pourquoi, il semble nécessaire de réglementer de manière importante ces

différents modes de transport. Toutefois, étant apparus et ayant évolué à des

rythmes différents, les transports ont un cadre juridique qui n’est pas toujours

unifié.

4. – Évolution du cadre juridique vers l’unification du droit des transports. –

Le cadre juridique dans lequel s’inscrivent les transports a fait l’objet de

nombreuses adaptations, étant donné les changements massifs que ces transports

ont subis. Néanmoins, encore aujourd’hui, les transports évoluent

continuellement, entrainant l’élaboration de règles plus claires et prévisibles

pour les utilisateurs. Cela se vérifie avec la loi du 8 décembre 2009 relative à

l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et portant diverses

dispositions relatives aux transports. En effet, cette loi, qui met en évidence la

substitution de la faute lourde au bénéfice de la faute inexcusable en cas de

responsabilité du transporteur terrestre, a notamment pour objet l’unification des

règles des différents modes de transport. Pourtant, que signifie ce changement de

faute ?

5. – Hiérarchie des fautes dans le système juridique français. – Le droit des

transports est un droit faisant l’objet d’une réglementation particulière.

Toutefois, il reste soumis aux principes généraux du droit commun et en

particulier à la théorie générale des contrats et des obligations. Un contrat,

conclu entre deux ou plusieurs personnes, crée des obligations, plus ou moins

essentielles, à l’encontre des parties à ce contrat. Si ces obligations ne sont pas

remplies, on pourra engager la responsabilité de la partie qui n’a pas exécuté ces

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9

engagements. Il s’agira, ici, d’une responsabilité contractuelle, où la faute est

recherchée afin que la partie lésée obtienne réparation de son préjudice du fait de

l’inexécution de ses obligations par l’autre partie, à l’inverse de la responsabilité

délictuelle, où seule l’étendue du dommage compte pour obtenir réparation,

insensiblement à toute gravité de faute. Le droit commun a, dès lors, mis en

place une hiérarchie des fautes, de la moins à la plus intense, graduant, ainsi, la

responsabilité des parties au contrat. Il y a cinq catégories de fautes : la faute

légère, la faute lourde, la faute inexcusable, la faute intentionnelle et le dol. La

faute en son sens générique est l’« attitude d’une personne qui par négligence,

imprudence ou malveillance ne respecte pas ses engagements contractuels »4.

La faute légère peut-être vue comme un manque de diligence sans conséquence

importante, ou comme ne pas se conduire comme l’aurait fait « un bon père de

famille » dans la même situation. Ainsi, celle-ci n’entrainera presque jamais de

droit à réparation pour le créancier de l’obligation inexécutée.

La faute lourde va s’analyser comme un « acte grave, une négligence grossière

que l’homme le moins averti ne commettrait pas »5. Celle-ci, considérée comme

équipollente au dol jusqu’au 8 décembre 2009 en droit des transports terrestres,

donne droit à réparation à son auteur s’il prouve l’existence de cette faute

lourde.

La faute inexcusable est définie dans l’article L.133-8 C. com. comme « la faute

délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son

acceptation téméraire sans raison valable ». Cette définition est particulière au

droit des transports terrestres. Néanmoins, l’idée motrice reste la même dans

tous les domaines où elle est retenue. En droit des transports, cette faute

inexcusable permet de faire tomber les plafonds de limitations de responsabilité.

En effet, le transporteur faisant l’objet d’une obligation de résultat, la

réglementation a mis en place des limitations de responsabilité afin de

rééquilibrer l’étendue des responsabilités entre les parties aux vues de leurs

obligations respectives.

Enfin, la faute intentionnelle et la faute dolosive se rejoignent dans la notion de

mauvaise foi. Elles vont permettre de neutraliser les limitations de responsabilité

prévues par le transporteur à l’encontre des autres parties au contrat de transport.

4 Lexique des termes juridiques, 15e édition, Dalloz. 5 Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.35, n°57.

Page 10: Faute inexcusable terrestre

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La faute intentionnelle est vue comme une faute délibérée commise avec

l’intention de nuire, l’idée de causer un dommage à quelqu’un. Le dol ou faute

dolosive est quant à lui défini comme un comportement malhonnête avec l’idée

de sciemment manquer à ses obligations.

Ces différentes fautes sont apparues au fil des siècles et leur terme définitif s’est

développé en droit français par le biais du Code civil et de la Jurisprudence.

6. – Naissance de la notion de la faute inexcusable en droit français. – La

qualification de faute inexcusable est propre à certains régimes spéciaux de

responsabilité, la faute lourde étant plus répandue en droit commun des contrats

et des obligations. Cette faute va jouer dans trois domaines : les accidents du

travail, les accidents de la circulation et le droit des transports6. Toutefois, la

faute inexcusable a pénétré dans l’ordre juridique français par l’entremise de la

loi du 9 avril 1898 sur l’indemnisation des accidents du travail. Après avoir

longtemps hésité entre une approche subjective, la rapprochant de la faute

intentionnelle, et une approche objective, la rapprochant de la faute lourde, la

Cour de cassation a défini la faute inexcusable le 15 juillet 1941 comme suit :

« la faute d’une gravité exceptionnelle dérivant d’un acte ou d’une omission

volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de

l’absence de toute cause justificative et se distinguant par le défaut d’un élément

intentionnel de la faute visée au paragraphe 1 de la loi du 9 avril 1898 ». Cette

définition jurisprudentielle met en avant des aspects subjectifs et objectifs,

permettant ainsi de graduer la faute inexcusable entre la faute lourde et la faute

intentionnelle. Toutefois, depuis une trentaine d’année, la jurisprudence a

progressivement atténué l’aspect subjectif de la faute inexcusable, la

rapprochant, dorénavant, de la faute lourde de droit commun. L’article L 452-1

du Code de la Sécurité Sociale dispose que la faute inexcusable de l’employeur

ou de ses substitués donne à la victime de l’accident, la possibilité de recevoir

des indemnisations plus élevées7. En effet, en l’absence de faute inexcusable ou

intentionnelle, la victime ne recevra qu’une réparation forfaitaire, l’idée étant

que l’accident constitue un risque de la profession. Toutefois, si l’employeur

6 C. Larroumet, Les obligations, Le contrat, Economica, Tome III, 6ème éd., p. 679, n°624 ; Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.35, n°58. 7 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.

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commet une faute inexcusable ou intentionnelle, alors la réparation sera

intégrale. D’ailleurs, des arrêts très récents, du 4 avril 2012 rendus par la

deuxième chambre civile de la Cour de cassation, permettent d’avoir un tableau

des différentes indemnités venant s’ajouter aux prestations, mentionnées dans le

livre IV du Code de la Sécurité Sociale, au bénéfice de la victime elle-même,

pour les accidents du travail ordinaires8. Désormais, l’employeur commet une

faute inexcusable à l’égard du salarié s’il manque à son obligation de sécurité de

résultat, c’est-à-dire lorsqu’il ne prend pas les mesures nécessaires pour

préserver son employé d’un danger dont il avait conscience. La Cour de

cassation instaure ainsi une sorte de « présomption de faute inexcusable » qui

aboutit à faire de l’exception (la réparation intégrale), le principe.

C’est de cette évolution jurisprudentielle que le droit du transport s’est inspiré

depuis que cette faute inexcusable est devenue la cause de déchéance du

transporteur de son droit à limiter sa responsabilité.

7. – Apparition de la notion de la faute inexcusable en droit des transports. –

Les Conventions Internationales, régissant la responsabilité civile du

transporteur aérien ou encore du transporteur maritime, ont adopté la notion de

faute inexcusable et par là-même, ont contraint la France à retenir cette notion

comme équipollente au dol privant son auteur de la possibilité de se prévaloir

des atténuations ou exonérations de responsabilité. C’est avec le Protocole de La

Haye de 1955 modifiant la Convention de Varsovie de 1929, pour l’unification

de certaines règles relatives au transport aérien international, que la notion de

faute inexcusable est apparue pour la toute première fois en droit des transports.

La notion va être reprise en droit maritime avec la Convention de 1961 sur le

transport maritime de passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de

marchandises9. Le Droit des transports terrestres, le plus tardif, va reprendre

cette notion avec la loi du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la

régularisation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives

aux transports. Depuis 2009, tous les modes de transports vont vers une

unification du principe de responsabilité du transporteur, tant sur le plan national

que sur le plan international. Toutefois, reste encore à appréhender quel mode

8 Responsabilité civile et assurances – Revue mensuelles LexisNexis Jurisclasseur – juin 2012. 9 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 298, n°430.

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d’interprétation va être choisi, en droit interne, pour chacun de ces modes de

transport10. Étudions brièvement la notion de faute inexcusable en droit aérien,

en droit maritime puis en droit des transports terrestres.

8. – La faute inexcusable en droit du transport aérien. – La notion de faute

inexcusable est apparue le 28 septembre 1955 avec le protocole de La Haye. Ce

protocole définit cette notion de manière très précise afin d’éviter que les

tribunaux de chaque État partie à la Convention de Varsovie et au Protocole de

La Haye interprètent la faute « équivalente au dol » différemment. Ainsi, cette

définition proposée par le major Beaumont et le doyen Chauveau, a pour objectif

de mettre fin aux discussions et divergences d’application antérieures. En effet,

l’idée première était de viser une faute particulièrement grave. Néanmoins,

chaque juridiction des États parties avait sa vision de la « faute particulièrement

grave ». Il a donc fallu préciser, de manière à favoriser l’unification du principe

de responsabilité du transporteur du point de vue international, la notion de

« faute particulièrement grave » afin de rendre son interprétation plus prévisible

pour les parties, quel que soit le tribunal qui se saisit de l’affaire. Il en ressort

alors que « les limites de responsabilité ne s’appliquent pas s’il est prouvé que

le dommage résulte d’un acte ou d’une omission du transporteur ou de ses

préposés fait, soit avec l’intention de provoquer un dommage, soit

témérairement et avec conscience qu’un dommage en résultera probablement ».

Le droit français, qui avait repris la Convention de Varsovie de 1929 pour

l’élaboration de son Code de l’Aviation Civile, a proposé une définition de la

faute assimilable au dol comme « Est inexcusable la faute délibérée qui

implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation

téméraire sans raison valable » ; le protocole de La Haye n’étant pas encore

entré en vigueur et ne modifiant pas encore l’article 25 de la Convention de

Varsovie. Dès lors, l’article L 321-4 C. aviation, est plus stricte car il ajoute

deux éléments de preuve supplémentaires pour anéantir les limitations de

responsabilité du transporteur : la « faute délibérée » et l’absence de « raison

10 Appréciation in concreto ou in abstracto ; Nous étudierons cette question au cours de la Partie I, Chapitre I de ce mémoire.

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valable »11. La Convention de Montréal du 28 mai 1999, entrée en vigueur le 4

novembre 2003 et le 28 juin 2004 en France, exclut les plafonds de limitation de

responsabilité du transporteur de marchandises en cas de faute inexcusable et

augmente ces plafonds afin que les États-Unis, qui les trouvaient bien trop

faibles à l’époque de la Convention de Varsovie, restent dans le système

international en matière d’aviation. Le transporteur ne peut pas se prévaloir de

limitations conventionnelles de réparation en dessous de 113 000 DTS12, sauf en

cas de faute de la victime. Toutefois, pour tout dommage supérieur à 113 000

DTS, il peut limiter ou exclure sa responsabilité sauf en cas de faute

inexcusable. Ainsi, en cas de décès ou de blessures graves, la victime ou ses

ayants-droit bénéficieront d’une indemnisation de 113 000 DTS, si l’accident se

produit pendant le vol ou pendant les opérations d’embarquements et de

débarquements, et s’il n’est pas causé par un fait de la victime.

Le droit aérien a permis d’ancrer la notion de faute inexcusable pour la première

fois en droit des transports car, peu de temps après l’élaboration de la définition

de cette faute par le protocole de La Haye, le droit maritime a suivi.

9. – La faute inexcusable en droit du transport maritime. – Le droit maritime

comme les autres droits des transports a toujours été préoccupé par

l’établissement de la faute inexcusable dans le régime de responsabilité du

transporteur. C’est avec la Convention de 1961 sur le transport maritime de

passagers et avec le Protocole de 1968 sur le transport de marchandises que la

dénomination de la faute inexcusable apparaît en droit des transports maritimes.

L’institution de la faute inexcusable permet à la victime de bénéficier de

l’exclusion des plafonds de limitation de responsabilité mis en place légalement

pour le transporteur, ou conventionnellement par le transporteur afin de rendre

plus équitable le contrat entre les parties, sachant que le transporteur, une fois

11 Ph. Delebecque, « limitation de responsabilité et faute inexcusable du transporteur aérien », RD transp., Mars 2007, p. 75 (obs. sous l’arrêt de la CA Paris du 16 novembre 2006). 12 DTS : droit de tirage spécial, le Fond Monétaire International (FMI) a élaboré une monnaie internationale qui reprend le cours de 4 monnaies (dollar, euro, livre sterling, yen) afin de déterminer le montant des indemnisations.

Page 14: Faute inexcusable terrestre

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qu’il prend la garde de la marchandise, dispose d’une obligation de résultat13 de

déplacer la marchandise au lieu prévu par le contrat.

Aussi, la première convention maritime, la Convention de Bruxelles du 25 août

1924 portant sur l’unification de certaines règles en matière de connaissement,

n’avait pas prévu la possibilité de faire échec au principe de limitation de

responsabilité des transporteurs maritimes. Dès lors, le droit interne, qui reprend

les principes dictés par la Convention de 1924, ne fait référence qu’au dol

comme moyen pour faire basculer les limites en matière de responsabilité du

transporteur maritime. Ainsi, ce n’est seulement qu’avec le protocole du 23

février 1968 qu’il est fait référence à la faute inexcusable en matière de transport

maritime de marchandise. Ce protocole a pour particularité de modifier la

grande Convention de Bruxelles de 1924, et de permettre à la faute inexcusable

de s’ancrer définitivement dans l’institution des règles de responsabilité en droit

maritime international. En droit français, la notion de faute inexcusable apparaît

plus tardivement. Il faut attendre la loi du 23 décembre 1986 pour que le droit

interne se rallie à l’ordre juridique international. On arrive à une harmonisation

du droit interne et international en transport maritime comme avec le droit

aérien. Qu’en est-il en droit du transport terrestre ?

10. – La faute inexcusable en droit du transport terrestre. – Pendant très

longtemps, le droit du transport terrestre est resté la seule branche du droit des

transports qui se référait à la faute lourde comme équivalente au dol, à l’inverse

du droit aérien et maritime qui préconisait la faute inexcusable comme

équipollente au dol, comme nous l’avons vu précédemment. La loi du 8

décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports

ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, a opéré cette

harmonisation en remplaçant la notion de faute lourde par la notion de faute

inexcusable en droit des transports terrestres interne et international. L’article

13 L’obligation de résultat est une obligation en vertu de laquelle le débiteur est tenu d’un résultat précis. Le transporteur de marchandise s’engage envers le créancier à déplacer la marchandise d’un endroit à un autre. « L’existence d’une telle obligation permet au créancier de mettre en jeu la responsabilité de son débiteur par la simple constatation que le résultat promis n’a pas été atteint, sans avoir à prouver une faute ». Ainsi, si le transporteur ne respecte pas ses obligations prévues par le contrat de transport alors, le créancier de ces obligations pourra engager la responsabilité du transporteur sans qu’aucune faute n’ait besoin d’être prouvée. Néanmoins, pour que ce créancier bénéficie de l’exclusion des limitations de responsabilité, prévues par ce même contrat, il faudra qu’il prouve une faute dolosive ou équivalente au dol comme la faute inexcusable.

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L.133-8 C. Com. énonce désormais que « Seule est équipollente au dol la faute

inexcusable du voiturier ou du commissionnaire de transport. Est inexcusable la

faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son

acceptation téméraire sans raison valable. Toute clause contraire est réputée

non écrite. ». Notre étude a pour mission de comprendre cette substitution de

concept : dans quelle mesure le changement de la faute lourde en faute

inexcusable en droit des transports terrestres va-t-il avoir un impact sur la

responsabilité du transporteur et ces limitations de responsabilité ?

11. – Contrat de transport. – On peut évidemment transporter des marchandises

mais aussi des personnes, et ce déplacement va faire l’objet d’un contrat. Le

contrat de transport de marchandises est un contrat commercial, matérialisé par

un document, qui varie selon les modes de transports, puis selon les types de

marchandises transportées. Ces différents documents de transport ont été mis en

place afin de faire la preuve de l’existence du transport et des parties

contractantes ; des obligations vont naître à l’encontre des parties à ce contrat

synallagmatique à titre onéreux. Il peut s’agir d’un contrat bipartite ; toutefois,

pour le transport de marchandises, il s’agit la plupart du temps, d’un contrat

tripartite entre l’expéditeur, le transporteur et le destinataire14. Le transporteur

fait l’objet d’une responsabilité de plein droit qui est atténuée par la mise en

place de plafonds de limitations de responsabilité sauf en cas de dol ou de faute

inexcusable de sa part.

12. – Délimitation du sujet. – Notre étude consiste à l’introduction de la faute

inexcusable en droit du transport terrestre interne de marchandises et de ce fait,

le transport de voyageurs ne sera pas envisagé. Pour expliquer convenablement

cette notion nous nous attacherons principalement au transport routier interne de

marchandises en évoquant seulement très brièvement le transport ferroviaire et

fluvial sachant que les règles sont similaires pour ces deux autres modes de

transport terrestre et en étudiant rapidement les distinctions en droit

international. De plus, la prescription, les moyens de preuve et la non

rétroactivité de la loi du 8 décembre 2009 seront entendus tout au long de ce

14 Article L 132-8 du Code de Commerce.

Page 16: Faute inexcusable terrestre

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mémoire mais ne feront pas l’objet d’une étude complète. Enfin, les causes

exonératoires de responsabilité telle que la force majeure, le vice propre de la

marchandise et les faits de l’expéditeur ou du destinataire ne seront pas

envisagées dans la mesure où il s’agit pour le transporteur d’échapper à sa

responsabilité. En effet, le transporteur titulaire d’une obligation de résultat fait

l’objet d’une responsabilité de plein droit très lourde aussi, pour rétablir

l’équilibre contractuel celui-ci bénéficie de limitations de responsabilité. Ce

n’est qu’en cas de faute inexcusable du transporteur qu’il y aura un

déplafonnement de ces limitations de responsabilité entraînant alors une

réparation intégrale du préjudice. Mais qu’elle est cette faute inexcusable

capable d’exclure ces plafonds de réparation ?

13. – Plan. – La faute inexcusable s’est substituée à la faute lourde en droit des

transports terrestres. Par conséquent, pour comprendre cette notion et son impact

sur la responsabilité du transporteur nous allons diviser notre étude en deux

parties.

Dans une première partie, nous allons nous intéresser à la notion de faute

inexcusable qui est une nouveauté en droit des transports terrestres (PARTIE I).

Plus précisément, nous allons étudier les éléments constitutifs de la faute

inexcusable et les deux appréciations judiciaires dont elle peut faire l’objet

(CHAPITRE I) ainsi que l’effet possible que va entraîner cette mutation de la

faute lourde en faute inexcusable (CHAPITRE II).

Dans une seconde partie, nous analyserons les conséquences de la mise en place

d’une telle notion (PARTIE II) et, plus particulièrement, ses effets sur la

réparation du dommage (CHAPITRE I) et sur les acteurs autres que le

transporteur en droit des transports terrestres (CHAPITRE II).

Page 17: Faute inexcusable terrestre

17

PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE

14. – Appréhension de la notion de faute inexcusable. – La victime de

l’inexécution d’une obligation essentielle du contrat devra prouver l’existence

d’une faute inexcusable du transporteur pour que celui-ci soit privé des plafonds

de limitations de responsabilité qui s’appliquent normalement. L’inexécution

d’une obligation essentielle et la faute par son auteur sont ainsi désolidarisées en

matière de responsabilité contractuelle du transporteur depuis les arrêts

Chronopost15. Dès lors, le simple fait que le transporteur n’exécute pas son

obligation essentielle n’entraîne pas pour celui-ci la privation de ses limitations

contractuelles de responsabilité. Il faut, en effet, apprécier l’existence d’une

faute du transporteur et seule la faute inexcusable aura l’effet escompté par la

victime de supprimer les limitations de responsabilité. En effet, depuis la loi du

8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des transports

ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports, nous

constatons une harmonisation de la responsabilité des transporteurs quelque soit

le mode de transport. Ainsi, la faute lourde qui permettait l’exclusion des

limitations de responsabilité du transporteur terrestre se voit remplacer par la

faute inexcusable. Il s’agit alors, dans un premier temps, d’apprécier la notion de

faute inexcusable (CHAPITRE I) pour comprendre, dans un second temps,

l’effet possible que ce changement de faute va entraîner sur les acteurs du droit

des transports terrestres (CHAPITRE II).

15 Jurisprudence Chronopost : La Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 est appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le débiteur de l’obligation et le créancier de l’obligation d’un contrat-type transport de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de cassation, pour rendre son attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites. En effet, selon le droit commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors, les clauses limitatives de responsabilité sont facilement réputées non écrites. La doctrine annonce immédiatement son opposition à cette décision, arguant qu’il s’agit d’un contrat type de messagerie, c’est-à-dire un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie générale des obligations mais de la LOTI (loi pour l’organisation des transports intérieurs du 30 décembre 1982). La Chambre Mixte du 22 avril 2005 opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui énonce que les clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites que si l’obligation essentielle n’est pas exécutée ET qu’il y a une faute lourde (c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le débiteur n’est pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La Chambre Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute lourde de nature à mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue par le contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du comportement du débiteur ». Ainsi, il est dorénavant bien plus difficile de faire échec aux limitations de responsabilité prévues dans les contrats-type en droit des transports, et d’autant plus depuis la loi du 8 décembre 2009 qui remplace la faute lourde par la faute inexcusable du transporteur terrestre.

Page 18: Faute inexcusable terrestre

18

CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE

INEXCUSABLE

15. – Généralité sur l’appréciation de la faute inexcusable. – Le transport est

une science en plus d’être un moyen de commerce. Il y a des règles et des

applications. Aussi, comme le disait François Rabelais dans son illustre ouvrage

« Pantagruel » : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». De la

même manière, exercer un transport sans respecter les consignes, conduit à

l’accomplissement d’une faute inexcusable. Celle-ci fait l’objet d’une définition

particulière en droit français. Ainsi, il s’agit de mettre en lumière les éléments

constitutifs de la faute inexcusable (Section I), afin de comprendre la difficulté

d’appréciation des juges (Section II).

Page 19: Faute inexcusable terrestre

19

SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE

INEXCUSABLE

16. – Le lien causal entre la faute et le dommage. – En droit des transports

comme en droit commun des contrats, il faut qu’il existe un lien de cause à effet

entre la faute et le dommage, c’est-à-dire que le dommage doit résulter de la

faute du débiteur. Ce lien causal entre les deux éléments est souvent très difficile

à prouver. Toutefois, sans cela, il n’y a aucun droit à réparation. Le créancier

aura donc le devoir de prouver ce lien de causalité par tout moyen (puisque le

contrat de transport est un contrat commercial où la preuve est libre) pour réussir

à faire « sauter » les limitations de responsabilité contractuelle et obtenir la

réparation intégrale de son préjudice. En droit des transports terrestres, le

créancier devra établir l’existence d’une faute inexcusable depuis la loi n° 2009-

1503 du 8 décembre 2009 relative à l’organisation et à la régularisation des

transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports.

L’article L.133-8 du C. Com. énonce par conséquent que : « Seule est

équipollente au dol, la faute inexcusable du voiturier et du commissionnaire de

transport. Est inexcusable la faute délibérée qui implique la conscience de la

probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable ». On

déduit de cette définition quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable que

nous allons étudier l’un après l’autre : la faute délibérée (« je décide de faire ma

coupure ici »), l’existence de la probabilité du dommage (« je peux me faire

voler dans cette rue obscure »), l’acceptation téméraire (« après tout, on verra

bien ») et l’absence de raison valable (« c’est près de ma maison »)16.

17. – La faute délibérée. – La faute délibérée implique une intention et apparaît,

dès lors, plus grave qu’une simple faute lourde. Cependant, la faute inexcusable

n’est pas une faute intentionnelle : elle comporte simplement un élément

intentionnel, c’est-à-dire que le débiteur a connaissance de l’inexécution de son

obligation sans pour autant vouloir, du fait de cette inexécution, nuire

intentionnellement au créancier ; il n’a pas l’intention de créer un dommage. Le

16 Marie Tilche, « sans raison valable », BTL n°3336, 2010.

Page 20: Faute inexcusable terrestre

20

débiteur commet une faute délibérée en se sens qu’il n’exécute pas son

obligation ou qu’il prend un risque engendrant la possibilité qu’il ne puisse plus

exécuter son obligation. Prenons l’exemple d’un vol de marchandises. Un

chauffeur laisse son camion rempli de marchandises dans une rue sans aucune

surveillance afin de rentrer chez lui. Le lendemain, la marchandise a disparu et il

se voit incapable d’exécuter son obligation de livraison de marchandises. Nous

savons pourtant que le transporteur est gardien de la marchandise tout au long de

son obligation contractuelle dès lors qu’il a pris en charge cette marchandise. Il

en découle que le transporteur a le devoir de délivrer la marchandise dans le

même état et dans la même quantité que lors de sa prise en charge. Aussi, suite

au vol de cette marchandise, le transporteur a commis une faute en prenant un

risque délibérée (il a pris la décision de laisser le camion sans surveillance) de ne

pas pouvoir livrer la marchandise conformément à son obligation contractuelle.

Encore faut-il que le créancier prouve que le débiteur avait conscience de la

probabilité du dommage.

18. – La conscience de la probabilité du dommage. – Le créancier doit prouver

que le débiteur avait conscience qu’un dommage pouvait résulter de

l’inexécution de son obligation. C’est l’idée selon laquelle le débiteur avait

connaissance des risques qu’il pouvait y avoir du fait de cette inexécution.

Toutefois, comment prouver ce dont un Homme a conscience ou non ? On ne

peut que la supposer ! C’est à ce moment précis qu’interviennent les juges. En

effet, cet élément constitutif de la faute inexcusable est sans aucun doute le plus

difficile à apprécier. Les juges, pour ce faire, vont soit opter vers une approche

subjective (c’est-à-dire qu’ils vont tenir compte des aptitudes personnelles du

débiteur sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal d’une

personne prudente et réfléchie), soit vers une approche objective (c’est-à-dire

que les juges tiennent uniquement compte de ce qu’aurait fait un bon père de

famille dans la même situation)17. Aussi, cette conscience de la probabilité du

dommage s’appréciera au cas par cas en tenant également compte des autres

éléments constitutifs.

17 Ces deux approches sont étudiées plus en détail dans la Section II de ce même chapitre.

Page 21: Faute inexcusable terrestre

21

19. – L’acceptation téméraire. – Cet élément se déduit du précédent. En effet, il

faut que le débiteur ait conscience du risque et qu’il l’accepte. C’est-à-dire que

le débiteur décide en connaissance de cause de contrevenir à son obligation

malgré le risque qui peut en résulter. Le débiteur consent au risque

imprudemment : « l’obstination du transporteur à agir de telle manière qu’il en

découlera un dommage, alors qu’il pouvait ou devait avoir conscience du

danger »18 . Prenons un exemple concret pour expliquer cette notion

d’acceptation téméraire. Un pilote d’avion exerce un trajet de courte distance

entre deux îles. Le temps est orageux et ses instruments de bord ne sont pas aussi

fiables qu’à l’ordinaire. Il décide de perdre de l’altitude pour descendre en

dessous des nuages et se retrouve dans l’eau suite à un mauvais calcul. On

imagine bien qu’il avait connaissance, en sortant de sa ligne et de l’altitude

recommandée, du risque de se retrouver en face d’un élément incontrôlable et

pourtant il décide quand même de descendre en dessous des nuages sans savoir

ce qui l’attend. Il a bien accepté témérairement un risque alors qu’un dommage

pouvait arriver. C’est cette preuve qu’il faut que le créancier établisse.

20. – L’absence de « raison valable ». – Il s’agit alors, une fois les autres éléments

démontrés, de prouver que le débiteur a pris un risque sans raison valable. C’est-

à-dire que pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que le débiteur ait eu

le choix de prendre ou non ce risque. En effet, si le débiteur s’est retrouvé dans

une impasse, comme en cas de force majeure, alors celui-ci n’aura pas commis

de faute. Néanmoins, s’il prend le risque de manière illégitime et sans que cela

soit nécessaire, alors il commet une faute. L’ignorance de la nature de la

marchandise ou encore l’ignorance des dangers que peuvent engendrer certains

stationnements peut être une raison valable pour un chauffeur routier de s’arrêter

afin de respecter les règlementations de temps de conduite et de repos de sa

profession19. Le créancier aura donc la tâche difficile d’apporter les éléments de

preuves permettant de justifier que le débiteur a agit sans raison valable.

21. – L’association des éléments constitutifs de la faute inexcusable. – Ces

quatre éléments que nous venons d’expliquer sont le fondement même de la

18 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°366, p. 272. 19 Bulletin des Transports et de la Logistique – n° 3336 – 18 octobre 2010 p. 590.

Page 22: Faute inexcusable terrestre

22

définition de la faute inexcusable. Ils sont indissociables les uns des autres et

doivent tous être démontrés pour que la faute inexcusable soit retenue devant les

juridictions. En effet, le créancier doit apporter la preuve de la faute inexcusable

en prouvant l’existence de ces quatre critères, toutefois, c’est au juge que revient

la lourde tâche d’apprécier ces éléments afin de retenir ou non la faute

inexcusable et les conséquences que celle-ci va provoquer sur les limitations de

responsabilité du transporteur. Le juge pourra soit étudier ces éléments selon une

approche objective (in abstracto) soit selon une approche subjective (in

concreto).

Page 23: Faute inexcusable terrestre

23

SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN

CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE

22. – Etude des deux notions. – Dès que l’on parle de faute, il est fait référence à

l’appréciation « in concreto » et à l’appréciation « in abstracto ». La faute

inexcusable n’échappe pas à la règle. Tandis que l’une des appréciations fait

pencher la notion de faute inexcusable vers une équivalence de ses effets à ceux

de la faute dolosive (« in concreto »), l’autre appréciation la fait pencher vers

une équivalence de ses effets à ceux de la faute lourde (« in abstracto »). Mais

que signifient réellement ces deux notions ?

§1 : Vers l’étude de l’appréciation « in abstracto »

23. – Définition de l’appréciation « in abstracto ». – Avec l’appréciation

objective, on ignore tous les aspects personnels de l’auteur de la faute pour ne

consacrer qu’une analyse comparative de son comportement à celui qu’aurait du

avoir un bon professionnel dans les mêmes circonstances20. Dès lors, la faute

inexcusable aura un champ d’application bien plus large, puisqu’on ne

s’intéressera pas seulement au fait que la personne responsable a conscience de

la probabilité du dommage et qu’elle l’accepte témérairement mais on

s’intéressera aussi à ce qu’elle aurait du faire en tant que bon professionnel.

24. – Appréciation plus favorable pour l’ayant-droit à la marchandise. – De

cette analyse, on comprend qu’il sera alors plus simple de la part du créancier de

l’obligation de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges

s’attacheront à deux critères. D’abord à la conscience qu’aurait dû avoir le

transporteur puis, à ce qu’aurait fait un bon professionnel dans les mêmes

circonstances. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus facilement

admise, entraînant alors le déplafonnement des limitations de responsabilité du

transporteur, qui se verra contraint de réparer le préjudice de l’ayant-droit à la

marchandise dans son intégralité.

20 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431.

Page 24: Faute inexcusable terrestre

24

25. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport

maritime. – Il semble que les juges tendent, depuis un arrêt du 5 décembre

1967, vers une conception objective de la faute inexcusable. En effet, dans cet

arrêt, la Cour de cassation relevait que cette faute « devait être appréciée

objectivement »21. Dès lors, la jurisprudence est constante et apprécie la faute

par rapport à ce qu’aurait fait une personne normalement avisée et prudente.

Prenons l’arrêt « Teleghma » du 7 janvier 1997 : « attendu que l’arrêt constate...

que la tempête essuyée par le navire était prévue, puisque les services

météorologiques faisaient état de risques de vents de force 11 sur la Provence et

donc de risques pouvant être localement supérieurs en mer, que le matériel de

« saisissage », même correctement utilisé, n’excluait la possibilité d’un

désarrimage que pour des vents de force 8 à 9, à condition de faire des choix

parfaitement judicieux de route et de vitesse en fonction des circonstances ;

qu’ainsi, ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait ignorer

les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat, la Cour d’appel a

suffisamment caractérisé, au regard des critères légaux, la faute ne permettant

audit transporteur d’invoquer ni la clause contractuelle exonératoire ni la

limitation de responsabilité prévue par l’article 28 de la loi du 18 juin 1996 »22.

Dans cet arrêt, la Cour de cassation met bien en avant la conception objective de

la faute inexcusable, puisqu’elle prend clairement en compte ce qu’un bon

professionnel aurait dû faire dans les mêmes circonstances pour appuyer sa

décision « ayant en outre retenu que le transporteur maritime ne pouvait

ignorer les conditions dans lesquelles il avait exécuté le contrat ». Dès lors, le

transporteur maritime se voit strictement sanctionné, cela l’empêchant de

bénéficier des limitations de responsabilité mises en place dans le contrat. En

droit maritime, l’armateur ou le transporteur maritime doivent toujours respecter

les règles nautiques et agir en toute sécurité, car même s’ils n’avaient pas

complètement conscience de la probabilité du dommage, les juges considèrent

qu’aux vues des éléments entrainant le dommage, ils ne pouvaient pas ignorer le

risque. Ainsi, on étudie plus le comportement que la psychologie du

21 P. Bonnasies et C. Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, 2010, p. 299, n°431. 22 G. de Monteynard « Responsabilité et limitation en droit des transports », Rapport, Cour de cassation, Documentation française, 2002, p. 247.

Page 25: Faute inexcusable terrestre

25

transporteur, ce qui est évidemment bien plus simple et moins protecteur pour

celui-ci.

26. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport

aérien. – En droit aérien, comme vu précédemment pour le droit maritime, les

juges ont une approche objective de la faute inexcusable. Dans un arrêt de la

Chambre commerciale de la Cour de cassation du 14 mars 1995, il s’agit d’un

problème de remise de colis de devises à son destinataire, transporté par voie

aérienne. La Cour d’appel a ainsi écarté la faute inexcusable du transporteur

aérien : « le service Fret d’Orly, qui a été informé de la présence de valeurs en

soute, a pu légitimement penser que celles-ci avaient été retirées en dessous de

l’avion par la société de protection, comme c’est l’usage et comme cela aurait

dû se passer, si la société expéditrice avait correctement rempli sa mission,

qu’aucune faute grave ne peut être reprochée à Air Inter à l’arrivée de l’avion

dans la zone de vérification du fret, disposé en vrac dans des chariots tractés

vers le poste de coordination, lui-même situé dans une zone protégée ». En effet,

la Cour de cassation estime que : « alors qu’elle relevait qu’à l’arrivée de

l’avion, aucune mesure de sécurité n’avait été prise par la société Air Inter pour

assurer la conservation du colis sur la valeur duquel son attention avait été

spécialement attirée, ce dont il résultait que ce transporteur aérien ne pouvait

ignorer le dommage probable qu’il faisait courir au colis en le traitant comme

un colis ordinaire, la Cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses

constatations et a violé le texte susvisé ». Pourtant, même si le transporteur

aérien connaissait la valeur de la marchandise, avec une approche subjective les

juges auraient tenté de s’assurer de la conscience du transporteur qu’un

dommage arrivera certainement. Le fait que l’usage ait toujours été le même et

qu’aucun autre dommage n’ait été constaté aurait sans doute joué en faveur du

transporteur. La déclaration de la valeur du colis et la prévisibilité du dommage

ont néanmoins été des éléments moteurs de l’appréciation objective des juges de

cassation, permettant de retenir une faute inexcusable. Toutefois, les

transporteurs étant presque continuellement responsables d’une faute

inexcusable, la jurisprudence revient peu à peu vers une approche subjective.

Page 26: Faute inexcusable terrestre

26

§2 : Vers l’étude de l’appréciation « in concreto »

27. – Définition de l’appréciation « in concreto ». – Avec l’appréciation

subjective, on s’attache essentiellement à tous les aspects personnels de l’auteur

de la faute, c’est-à-dire sans référence à ce qu’aurait été le comportement normal

d’une personne prudente et réfléchie. Dès lors, la faute inexcusable aura un

champ d’application bien plus restreint puisqu’on s’intéressera seulement à la

certitude que la personne responsable a conscience de la probabilité du

dommage et qu’elle l’accepte témérairement.

28. – Appréciation plus favorable pour le transporteur. – De cette analyse, on

comprend qu’il sera alors plus complexe de la part du créancier de l’obligation

de prouver l’existence de la faute inexcusable, puisque les juges ne s’attacheront

qu’au critère de la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation

téméraire par le transporteur. La faute inexcusable du transporteur sera ainsi plus

difficilement admise, permettant alors la continuité du plafonnement des

limitations de responsabilité du transporteur, qui se verra seulement demander

de réparer le préjudice de l’ayant-droit de la marchandise à hauteur de ces

limites prévues dans le contrat.

29. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport

maritime. – Récemment, la Cour de cassation a tenu compte dans sa décision de

la témérité et de la conscience de la probabilité du dommage à travers un arrêt de

la chambre commerciale du 7 février 2006, dit « Touggourt », nous conduisant à

considérer que la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. En

l’espèce, le transporteur maritime était incapable d’expliquer les circonstances

de la disparition du conteneur qu’il n’a pas pu livrer et dont il avait pris la

charge. La Cour de cassation estime que la seule perte de la marchandise durant

le transport n’est pas une faute inexcusable privant le transporteur des

limitations de responsabilité prévues dans le contrat : « le transporteur bénéficie

de la limitation dès lors qu’il n’a pas été établi que son comportement procède

d’un acte ou d’une omission qui a eu lieu témérairement ». On ne peut toutefois

s’empêcher de remarquer que la Cour de cassation garde un point de repli en

Page 27: Faute inexcusable terrestre

27

gardant la notion du « comportement » dans son attendu. La doctrine reçoit ce

changement avec enthousiasme23 ou ahurissement24. Ici, le doute bénéficie au

transporteur, permettant de penser qu’il sera plus difficile de faire « sauter » les

limitations de responsabilité prévues dans le contrat de transport en matière

maritime. Mais qu’en est-il du droit aérien ?

30. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport

aérien. – Là encore, récemment, la Cour de cassation, dans un arrêt de la

chambre commerciale du 21 mars 2006, opère un revirement de jurisprudence

de la conception de la faute inexcusable en matière aérienne comme elle l’a

aussi fait en matière maritime. En l’espèce, il s’agit d’une société (expéditeur)

qui confie un pli contenant son offre pour la construction de différentes

structures autoroutières à une société spécialisée de messagerie rapide

(transporteur) pour l’acheminement de ce pli par avion. Ce pli est remis un jour

après la date limite de dépôt des offres au destinataire. L’expéditeur assigne le

transporteur en réparation du préjudice résultant de la perte d’une chance

d’obtenir le marché. La Cour de cassation est alors amenée à se prononcer sur la

constitution ou non d’une faute inexcusable du transporteur. Dans son attendu, la

Cour adopte une approche subjective dans l’interprétation de la faute

inexcusable du transporteur tenant compte de la preuve que le transporteur avait

certainement conscience ou non de la probabilité du dommage : « n’était pas

prouvé par la lettre de voiture ou tout autre document que la société DHL

International savait qu’un retard de livraison d’une journée priverait la société

Gallego de la possibilité de participer à l’appel d’offre et lui causerait le

préjudice dont cette dernière demande réparation… ». Pour le moment, la Cour

de cassation semble revenir peu à peu vers une approche subjective. Toutefois,

le revirement ne sera complet qu’une fois que les juges cesseront de tenir

23 RTD com. 2006, p. 521, obs. P. Delebecque. 24 DMF 2006, p. 516, obs. M. Remoud-Gouilloud : « Bien que la disparition du conteneur litigieux « ne permette pas la qualification de comportement téméraire » de la part du transporteur, l’arrêt d’appel, respectueux de la jurisprudence consacrée, n’en relève pas moins que ce fait démontre une inorganisation de sa part, la disparition « pouvant s’expliquer par un acte frauduleux des personnes dont il répond, ou par une livraison à un autre destinataire ». Du coup l’on vient à s’interroger sur l’impunité bénéficiant à la négligence grossière d’un professionnel témoignant « d’une incapacité à remplir sa fonction ». On voit mal, du reste, pourquoi l’accumulation, négligences et imprudences, n’est pas sanctionnée à ce titre, alors qu’elle seule explique l’inorganisation dommageable ». Sur ce point nous ne rejoignons pas l’avis de M. Remoud-Gouilloud qui apparaît comme contraire au principe selon lequel en cas d’absence de preuve ou ne peut punir un individu pour une faute qu’il n’a pas commise.

Page 28: Faute inexcusable terrestre

28

compte du comportement que le débiteur aurait dû avoir et privilégieront le côté

psychologique du transporteur.

31. – L’étendue des deux appréciations possibles en droit des transports

terrestres. – Le problème avec l’appréciation objective, c’est que l’on n’essaie

pas de savoir si le transporteur avait conscience de la probabilité du dommage

comme le confère la loi et le retient l’approche subjective. En effet, les juges

s’appliquent seulement à constater que les transporteurs auraient dû avoir

conscience qu’un dommage en résulterait probablement. Or, les deux approches

sont diamétralement différentes. Pour l’une, il s’agit concrètement d’apporter la

preuve de la connaissance certaine du dommage par le transporteur, tandis que

pour l’autre, il s’agit simplement d’apporter la preuve de l’hypothèse de la

connaissance du dommage par le transporteur. Il est donc primordial, d’avoir en

tête cette distinction, les décisions étant alors plus ou moins protectrices pour le

transporteur. C’est essentiellement ce que nous allons tenter de mettre en

lumière dans l’étude de cette seconde section quant au droit des transports

terrestres et au changement qui vient d’intervenir avec la loi du 8 décembre 2009

passant d’une faute lourde vers une faute inexcusable. Ainsi, les juges vont-ils

être tentés d’interpréter la faute inexcusable d’une façon objective, ne

l’éloignant que très peu de la notion de faute lourde, ou bien vont-ils prendre le

risque de s’aventurer vers une interprétation subjective de la faute inexcusable

entrainant alors un revirement complet dans la matière ?

Page 29: Faute inexcusable terrestre

29

CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE

LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN

FAUTE INEXCUSABLE

32. – L’enjeu du changement de notion. – Pour bien comprendre l’enjeu d’un tel

changement, il faut savoir qu’en matière de transport, le transporteur a une

obligation de résultat à l’encontre des autres parties au contrat. Dès lors qu’il

réceptionne la marchandise, il en a la garde jusqu’à sa livraison avec la bonne

quantité, en bon état, au bon endroit, au bon moment et au bon destinataire. Sa

tâche est très lourde ; ainsi pour rendre la charge des obligations des parties

acceptable, la loi a mis en place des plafonds de limitations de responsabilité

permettant au transporteur de supporter plus équitablement le risque qu’il

encourt. Si l’ayant-droit de la marchandise estime que la nature de la

marchandise est trop importante pour ce contenter des plafonds de limitations de

responsabilité prévus par la loi, alors il aura le choix de faire une déclaration de

valeur ; celle-ci aura pour effet de permettre l’augmentation de l’indemnité de

l’ayant-droit en cas de manquement du transporteur sur la marchandise. Si elle

n’est pas prévue, en cas de manquement du transporteur à son obligation de

résultat, la victime de cette inexécution devra prouver la faute inexcusable de

celui-ci pour faire obstacle aux plafonds de limitations de responsabilité et se

faire rembourser l’intégralité de son préjudice. Avant 2009, la faute lourde était

la référence pour écarter les limitations de responsabilité prévues

conventionnellement ou règlementairement entre le transporteur terrestre et

l’ayant-droit de la marchandise. Avec l’arrivée de la faute inexcusable en droit

des transports terrestres, harmonisant alors tous les modes de transports, les

juges ont la tâche difficile d’interpréter cette faute de la manière la plus juste

possible. C’est pourquoi, il est important de voir l’effet possible qu’aura un tel

changement en matière de transport terrestre puisqu’une appréciation subjective

protégera plus le transporteur qu’une approche objective bien que dans les deux

cas sa protection sera renforcée.

Page 30: Faute inexcusable terrestre

30

33. – Interprétation de la faute lourde. – La faute lourde est une notion datant du

droit romain. A cette époque déjà, les romains avaient considéré que la faute

lourde était équipollente au dol : « culpa lata dolo aequiparatur ». Cette notion,

tout comme la faute inexcusable, peut-être interprétée objectivement ou

subjectivement. Aussi, la faute lourde va être retenue, dans une approche

objective, par le simple fait que le débiteur ne remplit pas son obligation

essentielle. On s’attache alors à la conscience que l’auteur aurait dû avoir de la

cause du dommage par rapport au caractère essentiel de l’obligation25. Pour bien

comprendre l’étendue d’une telle interprétation, prenons l’exemple de la

Chambre Commerciale de la Cour de cassation le 22 octobre 1996 qui est

appelée à statuer sur le retard d’un colis Chronopost faisant l’objet entre le

débiteur de l’obligation et le créancier de l’obligation d’un contrat-type transport

de messagerie de moins de trois tonnes. La Cour de cassation, pour rendre son

attendu, s’appuie sur la théorie générale des obligations qui dispose que toutes

clauses qui contreviennent à une obligation essentielle sont réputées non écrites.

En effet, selon le droit commun, la faute lourde est retenue du seul fait qu’on

n’exécute pas son obligation essentielle. Dès lors, les clauses limitatives de

responsabilité sont facilement réputées non écrites. Toutefois, dans une approche

subjective, comme le rappel la Jurisprudence Chronopost de 2005, la faute

lourde va être retenue en appréciant la gravité du comportement de l’auteur,

c’est-à-dire qu’on va s’attacher à sa conscience effective26. En effet, la doctrine

annonce immédiatement son opposition à la décision rendue par la Cour de

cassation le 22 octobre 199627 , arguant qu’il s’agit d’un contrat type de

messagerie, c’est-à-dire d’un contrat très spécial qui ne relève pas de la théorie

générale des obligations mais de la LOTI (loi pour l’organisation des transports

intérieurs du 30 décembre 1982). Ainsi, la Chambre Mixte du 22 avril 200528

opère un revirement de jurisprudence et applique les dispositions de la LOTI qui

énonce que les clauses limitatives de responsabilité ne sont réputées non écrites

que si l’obligation essentielle n’est pas exécutée ET qu’il y a une faute lourde

25 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°382, p. 280. 26 A. Sériaux, La faute du transporteur, préf. P. Bonassies : Economica, 2ème éd., 1998, n°382, p. 280. 27 Cass. Ch. Com, 22 oct. 1996, n° 93-18.632, Bull 1996 IV n° 261, p. 223. 28 Cass. Ch. Mixte, 22 avr. 2005, n° 02-18.326 et 03-14.112, JCP G 2005 II, 10066, obs. G. Loiseau ; RDC 2005, p. 681, obs D. Mazeau et p. 753, obs P. Delebecque ; Dr & patr. 2005, n°141, p. 36, obs. G. Viney ; JCP E 2005, n°40, p.1446, obs. Paulin Ch. ; H. Kenfack, « Droit des transports, juillet 2005 – juin 2006 », D. 2007, p. 111.

Page 31: Faute inexcusable terrestre

31

(c’est-à-dire une faute d’une particulière gravité relevant que le débiteur n’est

pas un professionnel digne de ce nom) ou une faute dolosive du transporteur. La

Chambre Mixte adopte une conception subjective de la faute lourde : « la faute

lourde de nature à mettre en échec la limitation d’indemnisation prévue par le

contrat-type ne saurait résulter du seul manquement à une obligation

contractuelle, fût-elle essentielle, mais doit se déduire de la gravité du

comportement du débiteur ». On retient alors qu’il est dorénavant bien plus

difficile de faire échec aux limitations de responsabilité prévues dans les

contrats-types en droit des transports.

34. – Généralité sur l’effet possible de la modification de la notion de faute

lourde en faute inexcusable. – Il est facile de comprendre qu’en matière de

transports terrestres, les juges retiennent la conception « in concreto » de la faute

lourde pour faire échec aux plafonds de limitation de responsabilité ; aussi, il

s’agit d’étudier la jurisprudence relative à cette faute et d’envisager ces

illustrations à la lumière de la faute inexcusable pour nous permettre d’apprécier

si un changement significatif va affecter la matière. Ainsi, cette interprétation de

la faute inexcusable peut aller, soit vers une prorogation de la notion de faute

lourde (Section I), soit vers une amplification de la notion de faute lourde

(Section II).

Page 32: Faute inexcusable terrestre

32

SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA

NOTION DE FAUTE LOURDE

35. – Premier effet possible du changement de notion. – La notion de faute

inexcusable, comme nous l’avons vu précédemment, s’attache à quatre éléments

constitutifs telle la faute délibérée (1), impliquant la conscience de la probabilité du

dommage (2), son acceptation téméraire (3), sans raison valable (4). Aussi, on en

déduit que si les juges penchent vers une approche « in abstracto » de la faute

inexcusable alors il n’y aura pas de réel changement dans la matière puisqu’ils

s’intéresseront essentiellement à la possibilité que l’auteur ait eu conscience de la

probabilité dommage qu’il a causé et qu’il l’a acceptée témérairement. Pour cela, les

juges se réfèreront à ce qu’aurait dû faire un bon professionnel dans la même

situation comme en matière de faute lourde. Dans cette hypothèse, les juges

éloigneront très peu leurs jugements de ceux déjà rendus en matière de faute lourde.

Toutefois, il y a un risque que les juges continuent à penser comme ils le faisaient

auparavant avec la faute lourde, entraînant conséquemment un amalgame entre les

éléments constitutifs des deux notions de faute lourde et inexcusable. L’arrêt de la

Cour d’appel de Paris du 15 mars 201229en est un exemple. Dans cette affaire, un

expéditeur fait appel à un voiturier pour la prise en charge de sa marchandise de

moins de trois tonnes. Lors du déchargement, la marchandise tombe causant des

avaries. La faute inexcusable du commissionnaire et du voiturier est retenue, le

premier n’ayant pas averti le second des dimensions de la machine et le second

n’ayant prévu aucun moyen de manutention adapté lorsqu’il a pris en charge la

marchandise, alors que dans les envois de moins de trois tonnes, le chargement et le

déchargement de la marchandise sont à la charge du transporteur. Il y a deux

critiques dans cette décision rendue par les juges de second degré. La première étant

que la faute inexcusable ait été évoquée et retenue alors même que les faits étaient

antérieurs à la loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif30. La

seconde étant le mélange de notions de faute lourde et de faute inexcusable. En

effet, dans la décision, les juges parlent d’incurie du transporteur et du 29 Arrêt de la Cour d’appel de Paris, Pôle 5, ch. 5, du 15 mars 2012, Transports Petit contre Panalpina, BTL 2012 n°3406. 30 Article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ».

Page 33: Faute inexcusable terrestre

33

commissionnaire et retiennent, de ce fait, la faute inexcusable : « Que le défaut de

moyen de déchargement adapté aux caractéristiques de la marchandise confiée

démontre l’incurie tant du commissionnaire qui, d’une part, a été informé des

caractéristiques du chargement et les a dûment constatées et qui, d’autre part, a

néanmoins eu recours à un autre transporteur sans prévoir de prestation annexe

pour le déchargement, que de ce dernier qui, également professionnel du transport,

a accepté de le réaliser sans avoir de moyens adaptés ; Qu’il s’ensuit que tant le

commissionnaire que le voiturier ont chacun commis une faute inexcusable excluant

l’application des clauses limitatives de responsabilité ». Comme nous l’avons

précédemment indiqué, la faute inexcusable, pour être retenue, doit faire l’objet de

la preuve des ses quatre éléments constitutifs définis par l’article L 133-8 du Code

de Commerce. Or, ici les juges se servent du critère de la faute lourde (l’incurie)

comme élément de preuve de la faute inexcusable. Néanmoins, il ne faut pas faire

d’un arrêt une généralité et il faut espérer que les juges de cassation ne feront pas les

mêmes erreurs. La jurisprudence en matière de faute inexcusable étant presque

inexistante, il s’agit de mettre en lumière les solutions qui pourraient prochainement

voir le jour en transposant à la faute inexcusable les exemples jurisprudentiels déjà

proclamés pour des cas de faute lourde.

36. – Transposition de notions. – La jurisprudence relative à la faute lourde est très

abondante. En matière de contentieux, depuis la loi du 8 décembre 2009, elle se

déplace sur le terrain de la notion de faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus

grave que la faute lourde, devrait entraîner une diminution des cas où la faute du

transporteur sera retenue pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité.

Il est néanmoins possible que les juges retiennent des décisions presque semblables

à celles qu’ils développaient jusqu’à présent en matière de faute lourde. Essayons de

comprendre cette hypothèse en imaginant ce que pourrait être l’interprétation

objective de la faute inexcusable par les juges, en analysant cette faute au regard des

illustrations jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes :

Page 34: Faute inexcusable terrestre

34

a. Dans l’affaire exposée à la cour d’Appel d’Orléan le 10 juin 201031, un

expéditeur confie l’acheminement de sa marchandise à un

commissionnaire, qui lui-même la confie à un transporteur. En l’espèce,

il s’avère que le transporteur choisi par le commissionnaire est « un

chauffeur intérimaire inexpérimenté toxicomane et connu des services de

police ». Le chauffeur se fait voler la marchandise sous sa garde et avoue

par la suite avoir laissé le camion sans surveillance avec les clés sur le

contact. Les juges retiennent l’incurie du transporteur et du

commissionnaire puisque la cherté de la marchandise ne pouvait être

ignorée et qu’aucun renseignement sur le chauffeur intérimaire n’avait

été demandé avant que le commissionnaire ne lui confie l’acheminement

de la marchandise. De quelle manière les juges pourraient-ils interpréter

les quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable, du point de vue

de l’appréciation « in abstracto », dans cette affaire ?

Pour ce qui est du critère de la faute délibérée, si on se met à la place du

chauffeur, il est aisé d’imaginer que les juges retiendront ce premier

critère à l’encontre du transporteur, dans la mesure où il a laissé son

véhicule sans surveillance et en laissant les clés sur le contact. On peut

facilement comprendre qu’il a eu connaissance de l’inexécution de son

obligation dans cette hypothèse.

Concernant les critères de la conscience de la probabilité du dommage et

de son acceptation téméraire, le fait que le transporteur ait laissé son

véhicule sans surveillance avec les clés sur le contact permettrait aux

juges de conclure que celui-ci aurait du avoir conscience du dommage

qui pouvait résulter de son acte, et qu’il a accepté celui-ci témérairement.

Toutefois, d’un point de vue subjectif, on imagine aisément que les juges

auraient retenu que le chauffeur était un intérimaire inexpérimenté, ne

pouvant vraisemblablement pas avoir une telle connaissance,

anéantissant dès lors la certitude qu’il avait conscience de la probabilité

du dommage.

31 CA Orléans, 10 juin 2010 ; SA TAT Express et HG Transport contre Sté Chartis Europe, BTL 2010 n°3330.

Page 35: Faute inexcusable terrestre

35

Enfin, quant au critère de l’absence de raison valable, il semble évident

que le fait de livrer une marchandise sur la voie publique n’oblige en

aucun cas le chauffeur à laisser les clés sur le véhicule.

En l’espèce, les juges auront certainement tendance à accepter

l’existence des éléments constitutifs de la faute inexcusable, sachant

qu’il s’agissait de matériel Hi-fi vidéo très convoité et de grande valeur.

b. La cour d’Appel de Rennes du 29 novembre 201132 se voit confier une

affaire relative à l’acheminement de parfums de luxe. En l’espèce, le

transporteur stationne durant la nuit sur la bordure d’une route nationale

sans verrouiller son camion. Les juges du fond retiennent la faute lourde,

alors même que le chauffeur s’était endormi à bord (ce qui peut paraître

sévère), en estimant qu’en dormant celui-ci ne pouvait pas garder

convenablement son véhicule. Que pourrait-il en être au jour de la faute

inexcusable ?

Si on examine les critères de la faute inexcusable, l’absence de

verrouillage du véhicule et de stationnement protégé nous amène à

penser que les juges auraient facilement retenu le critère de la faute

délibérée. De plus, le chauffeur ne pouvait ignorer qu’un vol de

marchandise pouvait résulter de son absence de précaution. Dans tous les

cas, il aurait dû avoir conscience de la probabilité du dommage et

pourtant, il prend quand même ce risque : il accepte témérairement ce

danger sans prendre en compte le risque encouru par la marchandise de

valeur. Enfin, le critère de l’absence de raison valable peut toutefois être

invoqué à décharge, sachant que le droit des transports routiers fait

l’objet d’une réglementation sociale très stricte quant aux temps de

conduite et de repos des transporteurs. Néanmoins, il est aisé d’admettre

qu’un transporteur a l’occasion de trouver un endroit plus sûr qu’une

bordure d’autoroute pour prendre son repos quotidien de onze heures. Il

est donc possible que les juges retiennent la faute inexcusable dans une

situation similaire.

32 CA Rennes, ch. 3, 29 nov. 2011 ; Covéa Fleet et a. contre Axa Corporate, BTL 2012 n°3395.

Page 36: Faute inexcusable terrestre

36

c. La Cour d’appel de Dijon du 29 mai 201233 est saisie d’une affaire de vol

de bijoux dans des entrepôts. En l’espèce, alors que le dernier chauffeur

quitte son service, des malfaiteurs entrent dans les locaux et dérobent une

partie de la marchandise entreposée. Ils entrent sans commettre

d’effraction et sans déclencher le système d’alarme, ce qui laisse

supposer que les malfaiteurs étaient dûment renseignés sur les systèmes

de sécurité mis en place dans l’entrepôt. De plus, cette situation met en

lumière des circonstances aggravantes puisque des vols avaient déjà été

commis et le donneur d’ordre avait demandé la mise en place de

techniques de sécurité plus élaborées. Or, le transporteur s’était

seulement contenté de remplacer les clés de l’entrepôt, ce qui n’était

effectivement pas suffisant en de telles circonstances. Les juges du fond

retiennent la faute lourde du transporteur dans la mesure où il s’est fait

voler la marchandise à deux reprises dans ses locaux sans avoir remédié

aux systèmes de sécurité obsolètes n’ayant pu déjà empêcher le

précédent vol. Comment pourrait-on juger cette affaire sous l’empire de

la faute inexcusable ?

Le fait que le site était mal protégé et qu’aucune mesure n’ait été mise en

œuvre pour y remédier démontre naturellement que le transporteur a

commis une faute délibérée. De plus, le fait que le site ait déjà été visité

une première fois par les malfaiteurs permet de démontrer que le

transporteur aurait dû avoir conscience qu’une seconde visite était

probable ; et en ne prenant pas de mesure adéquate pour y remédier, on

peut penser qu’il a accepté témérairement ce risque. Enfin, le

transporteur n’avait aucune raison valable de ne pas protéger le site de

manière plus soutenue. Aussi, il est fort probable que dans une hypothèse

similaire, les juges du fond, avec une approche objective, tendraient à

reconnaître la faute inexcusable.

37. – Conséquences de l’interprétation « in abstracto » de la faute inexcusable

par les juges. – On sait que la loi du 8 décembre 2009, qui a intensifié la notion

de faute du transporteur en changeant la faute lourde en faute inexcusable, avait

33 CA Dijon, 29 mai 2012 ; SA MATY contre SAS TCS ; BTL 2012 n°3419.

Page 37: Faute inexcusable terrestre

37

pour but d’unifier tous les modes de transports et de restreindre les cas où les

transporteurs seraient privés des plafonds de limitations de responsabilité. Aussi,

une approche objective de la faute inexcusable par les juges amoindrirait

l’avantage qu’ont les transporteurs de garder leur limitation de responsabilité

intacte, puisque les critères constitutifs de la faute inexcusable seraient plus

facilement admis. Aussi, un impact moins fort rejaillira dans la matière des

transports terrestres dans la mesure où les victimes d’une faute d’un transporteur

ne verront pas disparaître leur chance de faire « sauter » les limitations de

responsabilité du jour au lendemain. C’est ce que montrent les exemples ci-

dessus de faute lourde puisqu’on remarque qu’il y a de forte chance pour qu’une

faute inexcusable soit également reconnue par les juges qui exerceraient une

approche objective. Il s’agit maintenant de savoir quelles seraient les

conséquences d’une approche subjective de la faute inexcusable par les juges ?

Page 38: Faute inexcusable terrestre

38

SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA

NOTION DE FAUTE LOURDE

38. – Second effet possible du changement de notions. – Si les juges penchent

vers une approche « in concreto » de la faute inexcusable, alors il y aura un réel

changement dans la matière puisqu’ils ne relèveront pas la faute inexcusable du

transporteur tant qu’ils n’auront pas la certitude que celui-ci avait conscience de

la probabilité dommage et qu’il l’a accepté témérairement. Dans cette

hypothèse, les juges s’attacheront à l’essence même du texte juridique,

favorisant la protection des transporteurs jusqu’alors trop facilement

condamnables sous l’empire de la faute lourde à payer l’intégralité du préjudice.

En prenant des exemples jurisprudentiels déjà proclamés de la faute lourde, nous

allons nous essayer au jeu de la transposition avec la faute inexcusable afin de

voir quelles seraient les conséquences d’une interprétation subjective des juges.

39. – Transposition de notions. – Pour éviter l’excès des « forum shopping »34 et

protéger la responsabilité des transporteurs trop fréquemment jugés responsables

de la commission d’une faute lourde35 entraînant la réparation intégrale de tous

les préjudices justifiés, même non prévisibles, la loi sévit en imposant le preuve

d’une faute inexcusable du transporteur par l’ayant-droit de la marchandise. En

matière de contentieux, la loi se déplace alors sur le terrain de la notion de la

faute inexcusable. Celle-ci, théoriquement plus grave que la faute lourde, devrait

ainsi entraîner une diminution des cas où la faute du transporteur sera retenue

pour anéantir les plafonds de limitations de responsabilité. Essayons d’imaginer

34 Les « forum shopping » correspondent à la « Possibilité pour une partie de saisir les tribunaux des pays appelés à rendre la décision la plus favorable à son intérêt ». Aussi, les transporteurs avaient tendance à saisir les tribunaux des pays qui retenaient la notion de faute inexcusable pour éviter de voir exclure leur limitation de responsabilité alors que les ayants-droit à la marchandise avaient plutôt tendance à choisir les tribunaux des pays que reconnaissaient la notion de faute lourde comme équipollente au dol pour faire échec à ces plafonds de responsabilité des transporteurs. 35 La notion de faute lourde est trop facilement admise (8 fois sur 10). Le stationnement dans des parkings non sécurisés, le vol de produits coûteux et l’irrespect de la règlementation sociale sont autant d’éléments ayant entraîné la volonté de changer la notion de faute lourde en faute inexcusable. En effet, l’équation entre les marchandises coûteuses et le vol, qui entraînait à coup sûr la reconnaissance de la faute lourde du transporteur victime, était devenue trop injuste.

Page 39: Faute inexcusable terrestre

39

cette hypothèse et ce que pourrait être l’interprétation subjective de la faute

inexcusable par les juges en analysant cette faute au regard des illustrations

jurisprudentielles abondantes de fautes lourdes :

a. La Chambre Commerciale le 10 juillet 201236 a retenu la faute lourde du

transporteur qui s’est assoupi au volant de son véhicule entraînant un

manquant et des dommages sur la marchandise. Du matériel scientifique

doit être acheminé de Lyon à Wissenbourg. Le donneur d’ordre demande

au transporteur de livrer la marchandise dans un temps déraisonnable et

celui-ci l’accepte. Ayant effectué un repos insuffisant, celui-ci s’assoupit

et perd le contrôle de son véhicule entraînant le renversement de la

marchandise. La Cour de cassation retient l’incurie du transporteur, en

s’attachant à l’origine du comportement du conducteur. En effet, celui-ci

n’aurait pas dû accepter des délais déraisonnables. Envisageons par

simulation l’arrêt au jour de la faute inexcusable :

Pour que la faute inexcusable soit retenue, il faut que la victime prouve

les quatre éléments constitutifs de cette faute.

Aurait-il pu y avoir faute délibérée du transporteur ? On peut en douter

dans la mesure où le transporteur a reçu la consigne d’acheminer la

marchandise dans un temps record, sans que cela ne relève de sa volonté.

Aurait-il pu avoir conscience de la probabilité du dommage ? Là encore,

selon une approche subjective, il n’y a aucune certitude que le

transporteur ait eu cette conscience. En effet, n’ayant commis aucune

infraction à la réglementation sociale, on ne peut prouver

raisonnablement la certitude de la conscience du transporteur qu’il allait

s’assoupir. Quant à l’acceptation téméraire du risque par le transporteur,

celle-ci est impensable aux vues de l’espèce.

Enfin, le transporteur aurait-il pu avoir une raison valable de ne pas se

reposer suffisamment ? Il semble que le transporteur avait en effet une

raison valable de ne pas se reposer suffisamment, puisque la marchandise

devait être acheminée dans un délai très court sur demande du donneur

36 Cass. Com., 10 juillet 2012, Sté Transal contre DHL Holding et a., BTL 2012 n°3423.

Page 40: Faute inexcusable terrestre

40

d’ordre. Le transporteur aurait évidemment pu refuser ce délai ; toutefois

il aurait pu perdre un client.

Que ce manque de diligence relève de la faute lourde se conçoit, mais

qu’il relève de la faute inexcusable, sûrement pas au regard de

l’appréciation subjective. Aussi, la faute inexcusable va certainement

permettre, au grand soulagement des transporteurs et de leurs assureurs,

d’amoindrir les cas où la faute de transporteur sera reconnue pour faire

sauter les plafonds de limitations de responsabilité.

b. Le Tribunal de Commerce de Nanterre le 7 décembre 200937 énonce

que : « commet une faute lourde le transporteur qui, connaissant la

valeur de la marchandise et la facilité d’accès des zones de livraison,

laisse le véhicule en charge sans le verrouiller ». En l’espèce, un

transporteur est chargé d’acheminer des caméras. Pour effectuer une

livraison en centre commercial, celui-ci s’arrête un bref instant et la

moitié de la marchandise est volée pendant ce bref instant. Le

transporteur n’avait pas verrouillé le rideau du véhicule alors qu’il

connaissait la valeur de la marchandise et que la zone de livraison n’était

pas sécurisée. Quelle aurait été la solution sous l’empire de la faute

inexcusable ?

On ne peut vraisemblablement pas parler de faute délibérée du

transporteur en tant que telle. En effet, le transporteur devant effectuer

une livraison en cours de chemin, on imagine plutôt que celui-ci n’a pas

pris les mesures nécessaires par simple imprudence. Quant à la

conscience effective de la probabilité du dommage, le seul élément de

preuve recevable serait la connaissance de la valeur de la marchandise

par le transporteur. Toutefois, en aucun cas la certitude de la conscience

de la probabilité de créer un tel dommage par le transporteur, nécessaire

comme élément de preuve aux regards de l’interprétation subjective des

juges, ne paraît plausible. De plus, la rapidité de l’arrêt et la fermeture du

rideau même non verrouillé démontrent bien que le transporteur n’avait

pas accepté témérairement le risque de pouvoir se faire dérober la

37 TC Nanterre, 7 déc. 2009 ; Sté Canon Europa contre Transports Express de Seine ; BTL 2010 n°3315.

Page 41: Faute inexcusable terrestre

41

marchandise. Pour que cet élément soit recevable par les juges, il aurait

fallu que le transporteur ne ferme pas le rideau. Enfin, les livraisons des

transporteurs en cours de chemin sont fréquentes et, celles-ci devant être

rapides, les transporteurs ne prennent pas forcément le temps de

verrouiller le véhicule puisqu’ils savent que la livraison sera très brève.

Aussi, en l’espèce, on peut parler de raison valable dans la mesure où la

livraison devait être rapide. Là encore, pour que cet élément soit

recevable par les juges, il aurait fallu que le transporteur se soit arrêté

dans le centre commercial pour des raisons personnelles et non pas pour

la livraison de la marchandise du donneur d’ordre.

c. La Cour d’appel de Paris le 3 février 201038 est appelée à rendre sa

décision sur l’affaire d’un transporteur qui entrepose temporairement des

cigarettes et se les fait voler pendant l’heure du déjeuner. Le personnel

étant absent et le système d’alarme désactivé, la Cour retient que le

transporteur a commis une faute lourde. Qu’en est-il au regard de la faute

inexcusable ?

Les entrepôts du transporteur se trouvant près des quais, et l’absence de

personnel pendant l’heure du déjeuner étant « pratique courante dans la

profession »39, il est peu probable que les juges retiennent la faute

délibérée du transporteur. De plus, ce n’est pas parce que le transporteur

a laissé l’alarme éteinte que cela signifie qu’il avait conscience de la

probabilité du dommage qu’il encourait, et encore moins qu’il a accepté

témérairement le risque. En effet, les juges, dans leur interprétation

subjective, s’assureront de la certitude d’une telle conscience. Enfin,

dans la mesure où la messagerie implique des allers et retours fréquents,

cela suppose qu’il avait des raisons valables d’agir ainsi, cet élément

pouvant néanmoins être discuté. Dans cette affaire, la faute inexcusable

n’aurait certainement pas été retenue selon une approche subjective.

Quelles vont être les conséquences probables d’une interprétation

subjective de la faute inexcusable par les juges ?

38 CA Paris, 3 fév. 2010, Zurich Insurance et a. contre SAS Agility et a., BTL 2010 n°2226. 39 Marie Tilche, 10 questions sur la faute inexcusable, BTL n°3305, 2010.

Page 42: Faute inexcusable terrestre

42

40. – Conséquence de l’interprétation « in concreto » de la faute inexcusable

par les juges. – Avec une approche subjective de la faute inexcusable, les juges

recherchent la preuve des quatre éléments constitutifs de la faute inexcusable,

sans qu’un seul doute ne puisse subsister sur le comportement du transporteur.

En effet, si un des éléments n’est pas certain, mais seulement probable, alors les

juges auront tendance à protéger le transporteur en lui laissant le bénéfice des

plafonds de limitations de responsabilité. Aussi, cela aura pour conséquence que

le transporteur jusqu’alors facilement condamnable soit dorénavant très

difficilement condamné sous l’empire de la faute inexcusable.

41. – Solution la plus probable. – Le Tribunal Correctionnel de Bobigny le 23

novembre 201040 est saisi d’une affaire dans laquelle un transporteur reçoit

l’instruction de rouler en double équipage pour acheminer des marchandises de

Rome à Paris dans un cours délai. En l’espèce, même s’il y avait bien deux

personnes dans le camion, l’une d’entre elles n’était pas conductrice. Dès lors, le

chauffeur avait violé la réglementation sociale applicable en matière de droit des

transports routiers en falsifiant les données de son chrono-tachygraphe41. De

plus, il s’est endormi au volant causant un accident et des avaries. Le Tribunal

retient la faute inexcusable du transporteur alors que les faits sont antérieurs à la

loi du 8 décembre 2009 et que la loi n’a pas d’effet rétroactif. Pourtant il ne fait

aucun doute que « les ingrédients » de la faute inexcusable sont présents. En

violant la réglementation routière, le chauffeur fait preuve de la commission

d’une faute délibérée. Les dangers de la fatigue au volant sont bien connus, le

Tribunal retient la conscience du transporteur de la probabilité du dommage et

son acceptation téméraire du risque en conduisant seul, alors que le donneur

d’ordre avait donné l’instruction de recourir à un double équipage. De plus, le

transporteur, même si les délais étaient impératifs, n’avait aucune raison valable

de ne pas recourir au double équipage. Dans cet arrêt, les juges tendent vers une

approche objective de la faute inexcusable dans la mesure où l’élément de la

conscience de la probabilité du dommage par le transporteur n’a pas été

recherché avec certitude, mais plus par rapport au comportement qu’aurait dû

40 TC Bobigny, 23 novembre 2010, Sté Ace Insurance et a. contre Exp’Air Transit et a., BTL 2011 n°3353. 41 Appareil de contrôle des temps de conduite et de repos en matière de transport routier.

Page 43: Faute inexcusable terrestre

43

avoir un bon père de famille dans les mêmes circonstances : « Attendu que le

chauffeur a falsifié les disques tachygraphes, n’a pas respecté les temps de

repos obligatoires et a pris le risque d’un accident causé par la fatigue {…},

c’est donc une faute inexcusable ». Il est donc fort probable que les juges

retiennent une approche objective toutefois, tant que la Cour de cassation n’a pas

encore donné son avis sur ce sujet, toutes solutions restent hypothétiques.

42. – Conclusion de la notion de la faute inexcusable. – La loi du 8 décembre

2009 modifie la faute lourde du transporteur par la faute inexcusable. L’intérêt

marchandise devra prouver les quatre éléments constitutifs de la faute

inexcusable, ce qui sera évidemment plus contraignant. Toutefois, dans quelle

mesure ce changement de notion va-t-il affecter la matière des transports

terrestres ? Pour cela, il faudrait savoir si les juges vont retenir une interprétation

objective ou subjective de la faute inexcusable. Nous avons vu qu’avec une

approche objective des juges, la faute inexcusable serait plus difficile à prouver

que la faute lourde, bien que les juges auront sans doute tendance à calquer leur

décision sur celles auparavant rendues en matière de faute lourde. Cette

approche n’entraînera pas de conséquences importantes dans la matière des

transports terrestres, simplement un changement de détermination. On ne peut

toutefois ignorer que, comme les quatre éléments constitutifs de la faute

inexcusable devront être avérés pour qu’une telle faute soit retenue, les

transporteurs seront tout de même moins condamnés que sous l’empire de la

faute inexcusable. Néanmoins, un réel changement dans la matière s’effectuerait

si les juges retiennent une approche subjective. En effet, avec cette approche, la

faute inexcusable sera bien plus difficile à prouver puisque les juges

s’attacheront à la conscience même du transporteur. Tous les critères constitutifs

de cette faute inexcusable devront être prouvés avec certitude pour que les juges

condamnent le transporteur à renoncer à ses plafonds de limitation de

responsabilité. Ainsi, le transporteur fera beaucoup moins l’objet de

condamnation et le donneur d’ordre ne pourra plus aussi facilement obtenir la

réparation intégrale de son préjudice. En attendant que les juges consacrent enfin

leur choix entre les deux interprétations possibles de la faute inexcusable, nous

allons nous attacher aux conséquences sur le transporteur du déplafonnement

des limitations de responsabilité.

Page 44: Faute inexcusable terrestre

44

PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE

43. – Introduction du régime de la faute inexcusable. – Le droit du transport

terrestre se divise en trois branches : le transport routier, ferroviaire et fluvial.

Ces trois modes de transport sont régis principalement en droit interne par le

Code du Commerce, la LOTI42 et le Code des Transports. A l’international, il

existe des Conventions différentes pour chacun de ces modes. En effet, en

transport routier, la Convention de Genève de 1956 dite CMR43 s’applique pour

tout conflit à l’international ; en transport ferroviaire, c’est la Convention de

Bernes44 de 1890 ; et en transport fluvial, c’est la Convention de Budapest de

2000 dite CMNI45. Comme nous l’avons vu dans la partie précédente, il faut que

l’ayant-droit de la marchandise prouve la faute inexcusable du transporteur

terrestre pour que celui-ci soit contraint à la réparation intégrale. En droit interne

comme à l’international, la règle est la même. Toutefois, en matière de

prescription, le droit interne prévoit que le donneur d’ordre aura un an pour

intenter une action contre le transporteur, alors qu’en droit international, en cas

de faute inexcusable, la prescription passe à trois ans. Compte tenu de la rapidité

de l’extinction de la prescription, l’intérêt marchandise devra intenter une action

contre le transporteur dans les plus brefs délais. On peut alors se demander

quelles incidences va avoir le fait que les juges retiennent la faute inexcusable

contre le transporteur ? Quel est le régime de cette faute inexcusable ? Dans un

premier temps, nous étudierons l’étendue de la réparation du dommage en cas de

faute inexcusable (Chapitre I), pour nous attacher dans un second temps, aux

conséquences de la faute inexcusable sur les autres acteurs du transport terrestre

(Chapitre II).

42 LOTI : Loi d’Orientation des Transports Intérieurs du 30 décembre 1982. 43 Modifiée en 1978. 44 Révisée en 1933, 1952, 1961, 1970, 1980 et 1990. 45 Ratifiée en 2007 par la France.

Page 45: Faute inexcusable terrestre

45

CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE

EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE

44. – Ouverture sur la réparation. – Selon René Savatier : « le propre de la

responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre

détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se

serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit »46. On comprend

alors que la réparation du dommage a pour but de rendre ce qui a été perdu, de

sorte que la victime soit indemnisée. Aussi, seul le préjudice sert de mesure pour

déterminer l’étendue de la réparation ; il doit être intégralement réparé. En droit

des transports terrestres, le principe de la réparation intégrale est mis à mal avec

l’agencement de plafonds de limitations de responsabilité. C’est en cas de faute

inexcusable du transporteur que s’en suit un déplafonnement des limitations de

responsabilité (Section II). Toutefois, la réparation intégrale ne s’applique

qu’une fois que le dommage réparable est déterminé (Section I).

46 Ph. Malaurie, L. Aynès, Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, Défrenois, 3ème éd., 2003, p.135, n°240.

Page 46: Faute inexcusable terrestre

46

SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE

45. – Etendue du préjudice réparable. – L’article 1149 du Code civil énonce

que : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte

qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-

après ». Cet article exige que l’ensemble des préjudices subis fasse l’objet d’une

réparation quelle que soit leur nature. Aussi, le débiteur pourra se voir imposer

la réparation d’un préjudice corporel, matériel, industriel et/ou moral subi par le

créancier. Ainsi, selon la règle de droit commun, tous les préjudices justifiés

sont susceptibles d’être indemnisés. En effet, le « damnum emergens » (perte

subie) et « lucrum cessans » (gain manqué) sont indemnisables dès lors qu’ils

sont prévisibles et en relation directe et certaine avec l’inexécution du contrat de

transport47. En droit international, dans toutes les Conventions CMR, CMNI et

RU-CIM, la règle est différente puisque le transporteur n’est tenu au

remboursement que du simple dommage matériel48. Voyons d’abord à quoi

correspond le préjudice direct du dommage (a), pour ensuite nous attacher au

préjudice prévisible (b) et à son évaluation (c).

a. Préjudice direct. – L’article 1151 du Code civil énonce que : « Dans le

cas même où l’inexécution de la convention résulte du dol du débiteur,

les dommages et intérêts ne doivent comprendre, à l’égard de la perte

éprouvée par le créancier et du gain dont il a été privé, que ce qui est

une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention ». Du

texte, on comprend que le litige doit découler directement du fait

générateur. Cette condition semble procéder de l'idée générale selon

laquelle un lien de causalité doit exister entre la faute et le dommage. La

victime de l’inexécution d’une obligation de moyen ou de résultat doit

donc établir l’existence d’un lien de causalité direct et immédiat entre

l’inexécution ou la mauvaise exécution du contrat de transport et le

dommage ; et ce peu importe la gravité de la faute ou encore la nature de

47 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010. 48 Convention de Genève : article 23 CMR ; Convention de Bernes : article 30 RU-CIM ; Convention de Budapest : article 19 CMNI.

Page 47: Faute inexcusable terrestre

47

l’obligation violée49. En droit des transports plus particulièrement, un

arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 11 mai

197650 nous indique que « un préjudice est direct lorsqu’il découle

normalement de l’avarie litigieuse, sans interposition d’aucune cause

étrangère ». Il s’agit donc bien d’un problème de cause à effet entre le

litige et le préjudice ; aussi, à titre d’exemple, la Cour d’appel de Paris le

18 mai 198951 a jugé que consistait en un dommage direct le supplément

de prix de transport qu’un expéditeur a dû acquitter à une autre entreprise

du fait de l’inexécution de l’entreprise dont il avait initialement fait

appel52. Cette notion est en lien direct avec celle de dommage prévisible,

en ce qu’il semble évident que plus le dommage est indirect et moins

celui-ci est prévisible. Attachons nous alors à la notion de dommage

prévisible.

b. Préjudice prévisible. – L’article 1150 du Code civil énonce que : « Le

débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou

qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que

l’obligation n’est pas exécutée ». La prévisibilité du dommage se justifie

puisque le contrat ne naît de deux consentements valables que s’ils ont

été donnés librement et en pleine connaissance de cause. Il en découle

qu’une partie ne peut être tenue de ce qu’elle n’a pas consenti, et elle ne

peut consentir à ce qu’elle n’a pas prévu. Dès lors, le transporteur

professionnel n’a pas à réparer des dommages qu’il n’a pas pu envisager

au moment de la formation contractuelle. Cet article nous informe que ce

qui doit être prévisible, c’est l’étendue du dommage et non pas celle de

la réparation. Aussi, il faut déterminer la nature et le type de dommage

réparable par référence au contrat, son importance, et non son évaluation.

Toutefois, seul le dommage dont la quotité est prévisible est réparable.

Dès lors, le transporteur ne remboursera que la valeur dont il a pu avoir

connaissance en cas de perte de la marchandise confiée, sauf s’il y a dol.

La prévisibilité va s’apprécier au moment de la conclusion du contrat.

49 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010. 50 Cass. Com., 11 mai 1976, n°75-10.152, BT 1976, p. 329. 51 CA Paris, 18 mai 1989, BT 1989, p. 577. 52 Lamy, Droit des transports, Tome I, édition 2012.

Page 48: Faute inexcusable terrestre

48

Néanmoins, si les parties ont prévu que le dommage serait évalué au jour

de la liquidation, alors les variations de valeur entre la conclusion du

contrat et l’évaluation du préjudice seront à la charge du débiteur53.

N’oublions pas qu’en droit des transports, le créancier doit déclarer la

valeur de la marchandise jointe aux clauses de limitations de

responsabilité, ce montant constituant le dommage prévisible pour le

transporteur et l’indemnité se trouve alors limitée à due concurrence.

Néanmoins, il arrive que le transporteur ne soit pas informé de la valeur

de la marchandise. Dans tous les cas, de quelle manière ce préjudice va-

t-il être évalué ?

c. Evaluation du préjudice. – L’article 1142 du Code civil énonce que :

« Toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et

intérêts, en cas d’inexécution de la part du débiteur ». Le transporteur ne

peut donc se voir réclamer que des dommages et intérêts sous forme

d’une somme d’argent dans la mesure où il est débiteur d’une obligation

de faire envers les autres parties au contrat de transport. En effet, on ne

pourra le condamner à remplacer la marchandise en nature, ni le charger

de la remise en état des objets avariés, sauf si un « accord-litiges » relatif

à l’indemnisation du dommage a été conclu entre l’expéditeur et le

transporteur54. Les dommages justifiés, c’est-à-dire prévisibles et directs,

à la mauvaise exécution du contrat de transport sont les seuls à pouvoir

faire l’objet d’une réparation. Ces dommages comprennent la perte subie

et le gain manqué. L’évaluation de ces dommages sera faite au jour de la

décision de justice en tenant compte de la hausse des cours ou de la

dépréciation monétaire, de manière à rétablir la valeur du bien sans

appauvrissement, mais également sans enrichissement du propriétaire ;

l’indemnité ayant pour but de replacer la victime dans la situation où elle

se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit. On

s’attachera alors, pour calculer cette indemnité, au prix de vente ou au

coût de remplacement de la marchandise détériorée ou perdue et non au

prix de revient de celle-ci. Enfin, c’est au réclamant de justifier

53 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010. 54 Lamy, Droit des transports, Tome I, édition 2012.

Page 49: Faute inexcusable terrestre

49

l’existence et l’importance du préjudice invoqué tant pour les préjudices

matériels qu’immatériels.

46. – Résumé des règles de réparation des préjudices. – Toutes ces règles de

droit commun doivent néanmoins prendre en compte les plafonds de limitations

de responsabilité du transporteur pour évaluer le montant de son préjudice

prévisible et certain une fois celui-ci justifié par le réclamant. Toutefois, si

l’article 1151 du Code civil est applicable en cas de dol ou de faute équivalente,

il n’en est pas de même pour l’article 1150 du Code civil précédemment cité.

Aussi, on comprend qu’en cas de faute inexcusable, le préjudice direct prévisible

et imprévisible pourrait être réparé. Essayons de mettre en lumière les

incidences qu’il peut y avoir sur l’indemnité réparatrice due par le transporteur

en cas de faute inexcusable.

47. – Etendue du préjudice réparable en cas de dol ou de faute inexcusable. –

Seuls les préjudices justifiés, c’est-à-dire prévisibles et directs à la mauvaise

exécution du contrat de transport, sont réparables au sens de l’article 1149 du

Code civil. Toutefois, l’article 1150 du Code civil dispose qu’en cas

d’inexécution dolosive, la réparation s’étend même aux dommages non

prévisibles. Mais qu’est-ce qu’un dommage imprévisible ? C’est un préjudice

que le transporteur n’a pas pu imaginer lors de la conclusion du contrat et pour

lequel il n’a pas pu s’assurer. Dès lors, le transporteur qui commet une faute

dolosive ou une faute inexcusable, se verra contraint de réparer intégralement

tout préjudice direct, prévisible et imprévisible, sans tenir compte des plafonds

de limitations de responsabilité. Un dommage peut être certain et imprévisible

lorsque la perte d’un colis renfermant des valeurs non déclarées est imputable à

la faute du transporteur. En effet, l’étendue du dommage n’est pas prévisible.

Par conséquent, en cas de faute inexcusable, le transporteur voit sa

responsabilité alourdie et est contraint au remboursement intégral du préjudice

qu’il a causé. En droit international, l’existence d’une faute inexcusable permet

l’exclusion des plafonds de limitations de responsabilité et entraîne une

réparation des préjudices mêmes non matériels. Mais à quoi correspondent ces

plafonds de limitations de responsabilité et quel réel impact leur exclusion va-t-

elle avoir sur le transporteur ?

Page 50: Faute inexcusable terrestre

50

SECTION II : LE DEPLAFONNEMENT DES LIMITATIONS DE

RESPONSABILITE

48. – Régime légal de responsabilité du transporteur. – L’article L.133-1 du

Code de commerce dispose que : « Le voiturier est garant de la perte des objets

à transporter, hors les cas de force majeure. Il est garant des avaries autres que

celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de la force majeure. Toute

clause contraire, insérée dans toute lettre de voiture, tarif ou autre pièce

quelconque, est nulle ». Cet article expose le principe de la responsabilité du

transporteur et nous informe, par le biais du terme « garant », que celui-ci est

tenu d’une obligation de résultat. Ce régime, quelque peu sévère, engendre une

présomption de responsabilité du transporteur qui ne parviendra à la renverser

qu’en apportant la preuve d’une cause étrangère qui ne lui est pas imputable

(force majeure, vice propre de la marchandise, fait de l’expéditeur ou du

destinataire). La responsabilité contractuelle du transporteur fait l’objet de trois

règles principales : le transporteur est présumé responsable dès lors que

l’existence du dommage est avérée ; il engage immédiatement et

automatiquement sa responsabilité. Pour se dérober à cette responsabilité, le

transporteur devra prouver l’une des trois causes exonératoires de responsabilité

sans que la démonstration de l’inexistence d’une faute de sa part ne puisse jouer

pour y parvenir ; sinon, il sera contraint de réparer le préjudice causé selon les

règles étudiées précédemment. Enfin, le doute joue contre le transporteur. En

effet, la responsabilité de celui-ci reste engagée tant que la cause du dommage

n’a pas été élucidée. Aussi, pour rééquilibrer les obligations des parties au

contrat de transport et pour atténuer rapidement la présomption de responsabilité

du transporteur, le législateur lui a permis de bénéficier de plafonds de

limitations de responsabilité. Quels sont leurs avantages et en quoi consistent-t-

ils ?

49. – Principe des limitations de responsabilité en droit des transports

terrestres. – Des clauses particulières permettent l’aménagement de la

responsabilité contractuelle comme c’est le cas des clauses limitatives et des

Page 51: Faute inexcusable terrestre

51

clauses exonératoires de responsabilité. Pour ces dernières, elles sont

expressément proscrites en droit du transport terrestre routier depuis la loi

Rabier du 17 mars 1905, reprise par l’article L.133-1 alinéa 3 du Code de

commerce qui dispose que « toute clause contraire insérée dans une lettre de

voiture, tarif ou autre pièce quelconque, est nulle ». Ainsi, la clause qui tendrait

directement ou indirectement à exonérer par avance le transporteur de sa

responsabilité, pour les pertes et les avaries de la marchandise, doit être déclarée

nulle de plein droit55. Cela ne vaut pas pour la responsabilité du voiturier en cas

de retard puisque l’article L.133-2 du Code de commerce56 ne fait pas référence

à une quelconque nullité en cas de clauses contraires. Dès lors, des clauses de

non-responsabilité peuvent être prévues conventionnellement entre les parties au

contrat de transport pour le retard de la marchandise ; la plupart du temps, ce

seront des clauses limitatives de responsabilité qui seront prévues car la validité

de ces clauses exonératoires de responsabilité en cas de retard ne vaut que pour

les « expressistes »57 selon la jurisprudence. Pour ce qui est des clauses

limitatives de responsabilité, celles-ci sont valables et reconnues par la loi et la

jurisprudence58, tant pour les pertes et avaries de la marchandise que pour le

retard de celle-ci, en vertu du principe de l’autonomie de la volonté. Ces clauses

permettent de fixer un plafond d’indemnité qui ne pourra pas être dépassé

lorsque la responsabilité du transporteur sera présumée, c’est-à-dire qu’elles

établissent le maximum de dommages et intérêts que le créancier pourra

recevoir. Ces clauses résultent soit de l’application de clauses propres à certains

contrats de transport c’est-à-dire par le biais des conventions passées entre les

parties (a), soit de dispositions règlementaires, c’est-à-dire par le biais des

contrats types (b).

a. Validité des clauses conventionnelles limitatives de réparation. – En

absence de plafonds légaux de réparation, comme c’est le cas en

55 Prohibition des clauses de non-responsabilité : Com. 3 avr. 1968, JCP 1968. II. 15575, note Rodière énonce que toute clause qui exonère le transporteur de sa responsabilité est réputée non écrite. 56 Article L. 133-2 C. com : « Si, par l'effet de la force majeure, le transport n'est pas effectué dans le délai convenu, il n'y a pas lieu à indemnité contre le voiturier pour cause de retard ». 57 Les expressistes sont des spécialistes de transport pour les envois de moins de 3 tonnes de type messagerie (pour une meilleure référence voir la jurisprudence Chronopost précitée). 58 Civ. 12 juill. 1923, DP 1926. 1. 229 décide que la prohibition des clauses de non-responsabilité, édictée par l’article L. 133-1, al. 3 C.com, ne s’entend pas aux clauses limitatives de la responsabilité qui demeure licite.

Page 52: Faute inexcusable terrestre

52

transports terrestres internes, le transporteur a la possibilité de stipuler

dans le contrat de transport que son obligation de réparation ne pourra

excéder tel montant. Ces clauses sont valables tant qu’elles sont connues

et acceptées par le donneur d’ordre (le contractant) au moment de la

conclusion du contrat, et que les montants d’indemnisation ne sont pas

dérisoires (interdites car sinon elles équivaudraient à des clauses

exonératoires de responsabilité). Si toutefois aucune stipulation n’est

prévue dans le contrat de transport, alors les limitations de responsabilité

prévues dans les contrats types s’appliqueront à titre supplétif.

b. Validité des clauses réglementaires limitatives de réparation. – Des

plafonds d’indemnisation sont prévus par les contrats types et

s’appliquent de plein droit, à moins qu’ils n’aient été écartés ou modifiés

par le biais d’une stipulation contractuelle. Ces limitations prévues dans

les contrats types vont jouer automatiquement, même si elles ne sont pas

inscrites sur le document de transport et que le donneur d’ordre les

ignore, puisque ces limitations sont censées être connues de tous, sachant

qu’elles font l’objet d’une publication au Journal Officiel (« nul n’est

censé ignorer la loi ») ; elles sont opposables de plein droit à toute

personne susceptible d’agir sur le fondement du contrat de transport. Les

limites indemnitaires pour pertes et avaries instituées dans un contrat

type garantissent la réparation de tous les dommages justifiés dont le

transporteur est légalement tenu pour responsable59. Aussi, ces limites

couvrent tant les dommages matériels qu’immatériels. N’oublions pas

que seuls les biens faisant l’objet du contrat de transport seront soumis à

une indemnisation plafonnée. Dès lors, pour les envois de moins de 3

tonnes, les montants de réparation ne pourront être supérieurs à 23 euros

par kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées

pour chacun des objets compris dans l’envoi, pour un maximum de 750

euros par colis ou palette. Pour les envois de plus de 3 tonnes, les

montants de réparation ne pourront être supérieurs à 14 euros par

kilogramme de poids brut de marchandises manquantes ou avariées pour

59 Lamy, Droit des transports, Tome I, édition 2012.

Page 53: Faute inexcusable terrestre

53

chacun des objets compris dans l’envoi, sans pouvoir dépasser une

somme supérieure au produit du poids brut de l’envoi, exprimé en tonnes

multiplié par 2300 euros60 ; la plus faible des deux limites étant retenue.

En cas de retard, les contrats types prévoient que la réparation du

préjudice prouvé ne pourra excéder le prix du transport (voir annexes).

Ces limites sont vraiment un avantage pour le transporteur puisqu’elles

lui permettent de bénéficier d’un plafond de réparation avec des

montants plus intéressants. C’est pourquoi le donneur d’ordre, pour voir

son préjudice intégralement réparé, va tenter de prouver que le

transporteur a commis une faute inexcusable ayant entraîné la perte ou

l’avarie sur la marchandise. En effet, si le créancier démontre que le

débiteur a commis une faute dolosive ou inexcusable, alors la limitation

vole en éclat ; les clauses sont inefficaces et la faute fait échec à leur

application. Quelles vont être les conséquences d’un tel renversement ?

50. – Conséquence de la faute inexcusable sur les plafonds de limitations de

responsabilité. – L’article L.133-8 du Code de commerce, tel que créé par la loi

du 8 décembre 2009 dispose que seule la faute inexcusable du voiturier ou du

commissionnaire est équipollente au dol. En cas de faute inexcusable du

transporteur, celui-ci sera contraint à une réparation intégrale de l’ensemble des

préjudices justifiés, même imprévisibles ; il ne pourra invoquer la limitation de

la réparation aux préjudices seulement prévisibles de l’article 1150 du Code

civil, ni même une clause limitative de responsabilité ou les plafonds prévus par

les contrats types. Le transporteur ne pourra s’exonérer qu’en prouvant une

cause exonératoire (vice propre de la chose transportée, force majeure, fait de

l’expéditeur ou du destinataire), sinon il sera contraint de réparer intégralement

les dommages subis par la marchandise. Qu’est-ce que cette réparation intégrale

va entraîner comme incidences sur le transporteur ?

51. – Réparation intégrale du préjudice, incidences sur le transporteur. –

Comme nous l’avons précédemment évoqué, le transporteur ne pourra plus se

prévaloir de ces limitations de responsabilité contractuelles ou réglementaires, ni

60 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010.

Page 54: Faute inexcusable terrestre

54

même du bénéfice de la simple réparation des préjudices prévisibles prévus par

l’article 1150 du Code civil. Toutefois, si la faute inexcusable fait échec aux

clauses limitatives de réparation, l’existence de celle-ci ne rend pas nul le contrat

de transport, permettant la continuité d’application de la prescription annale. En

droit des transports international, la reconnaissance de la faute inexcusable du

transporteur modifiera la prescription initialement annale en prescription

triennale. Aussi, on remarque que toutes ces conséquences sont néfastes pour le

transporteur. Néanmoins, nous avons remarqué que la faute inexcusable n’est

retenue par les juges du fond que si le donneur d’ordre prouve l’existence des

quatre éléments constitutifs de cette faute. Or, cela est beaucoup moins évident à

démontrer que l’était la preuve de la faute lourde précédemment retenue pour

faire échec à ces plafonds de limitations de responsabilité.

La réparation alimente l’essentiel de la jurisprudence rendue en matière de

transport. Elle constitue le domaine de prédilection des contentieux, tant pour les

commissionnaires que pour les transporteurs ou encore les assureurs. Elle

permet principalement de déterminer l’étendue des pertes et avaries, l’évaluation

des préjudices et l’application des limitations conventionnelles et

règlementaires. Le créancier va invoquer la faute inexcusable du transporteur

terrestre pour faire échec à ces plafonds comme nous l’avons vu précédemment.

Mais une question se pose : est-ce que cette faute inexcusable aura un impact sur

d’autres acteurs des transports terrestres ?

Page 55: Faute inexcusable terrestre

55

CHAPITRE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE

INEXCUSABLE SUR LES AUTRES ACTEURS DU TRANSPORT

TERRESTRE

52. – Acteurs des transports terrestres autres que le transporteur sujets à la

faute inexcusable. – Le changement de la faute lourde en faute inexcusable en

droit des transports terrestres va entraîner des conséquences sur le transporteur,

comme nous avons pu le voir précédemment. Toutefois, le transporteur n’est pas

le seul à être sujet de ce changement. En effet, la loi du 8 décembre 2009,

relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et

portant diverses dispositions relatives aux transports, énonce que la faute

inexcusable vaut pour le transporteur, mais aussi pour le commissionnaire de

transport. Aussi, nous allons nous attacher à l’impact de cette faute sur le

commissionnaire (Section I). De plus, il est fortement conseillé aux parties d’un

contrat de transport de souscrire une assurance. Cela aura pour but d’assurer la

marchandise si quelque chose se produit durant le transport. Sachant que les

assureurs sont sollicités pour la réparation des préjudices causés sur la

marchandise, la faute inexcusable risque certainement d’avoir des incidences sur

leur appréciation du risque (Section II).

Page 56: Faute inexcusable terrestre

56

SECTION I : L’IMPACT SUR LE COMMISSIONNAIRE DE

TRANSPORT

53. – Définition jurisprudentielle du commissionnaire de transport. – La notion

de commissionnaire de transport est une spécificité française. C’est la

jurisprudence qui définit concrètement cette notion dans un arrêt de la chambre

commerciale de la Cour de cassation du 16 février 1988 : « La convention par

laquelle le commissionnaire s’engage envers le commettant à accomplir pour le

compte de celui-ci les actes juridiques nécessaires au déplacement de la

marchandise d’un lieu à un autre, et qui se caractérise par la latitude laissée au

commissionnaire d’organiser librement le transport par les voies et moyens de

son choix, sous son nom et sous sa responsabilité, ainsi que par le fait que cette

convention porte sur le transport de bout en bout »61. Il en découle que le

commissionnaire de transport est un prestataire de service qui organise et fait

exécuter librement et indépendamment un transport de marchandise sous sa

responsabilité et en son nom propre. Le critère qui fait la différence entre le

contrat de transport et le contrat de commission de transport, c’est que le

transporteur exécute un transport alors que le commissionnaire organise le

transport qui sera exécuté par quelqu’un d’autre. Le commissionnaire est alors

un intermédiaire entre le donneur d’ordre avec qui il va conclure un contrat de

commission de transport, et le transporteur avec qui il va conclure un contrat de

transport. Ce qui différencie le contrat de transport au contrat de commission

c’est l’intention des parties au contrat. C’est en réalité le juge qui choisit entre

telle ou telle qualification en fonction des intérêts en jeu. On remarque aussi que

le commissionnaire de transport est tributaire d’une obligation de résultat, tout

comme le transporteur, avec les mêmes conséquences qui en découle. En effet,

les articles L.132-4 à L.132-6 du Code de commerce énoncent notamment qu’il

ne peut se libérer de cette obligation qu’en apportant la preuve d’un cas de force

majeure, d’un vice propre de la marchandise ou d’une faute du contractant. De

plus, le commissionnaire de transport a une responsabilité étendue du fait qu’il 61 Com., 16 février 1988, Bull. civ. IV, n°75 ; RTD com. 1988. 682, obs. Hémard et Bouloc.

Page 57: Faute inexcusable terrestre

57

répond personnellement et pour autrui des dommages causés à la marchandise.

Que signifie cette double responsabilité ?

54. – Responsabilité du commissionnaire de transport. – Le commissionnaire de

transport assume une responsabilité personnelle et une responsabilité du fait

d’autrui. Il assume une responsabilité personnelle en tant qu’organisateur du

transport (a), puis il assume une responsabilité du fait d’autrui en ce qu’il confie

la réalisation effective de l’opération nécessaire au déplacement de la

marchandise à un tiers (b).

a. Responsabilité personnelle du commissionnaire de transport. – Pour

le Professeur Philippe Delebecque62, la responsabilité personnelle du

commissionnaire de transport serait régie par une obligation de résultat

atténuée, lui permettant ainsi de se dégager de sa responsabilité par la

preuve qu’il n’a commis aucune faute, en plus des cas d’exonération par

les causes étrangères habituelle63. Toutefois, les obligations personnelles

du commissionnaire de transport sont nombreuses ; aussi, cette lourde

responsabilité qui pèse sur lui pourra être diminuée par le jeu des clauses

contractuelles. Le régime de responsabilité du commissionnaire de

transport n’est pas d’ordre public64 , il peut donc aménager sa

responsabilité dans les conventions qu’il stipule avec les autres acteurs

du transport. Par conséquent, on comprend que le commissionnaire a la

possibilité de recourir aux clauses élusives de responsabilité et aux

clauses limitatives de réparation (fixant un plafond au montant de la

réparation ou prévoyant que seuls les dommages matériels justifiés

seront réparables)65. Dans tous les cas, celles-ci ne seront opposables que

si elles sont connues et acceptées par le contractant au moment de la

conclusion du contrat. Aussi, si elles sont valables, le seul moyen pour le

62 Ph. Delebecque, « La responsabilité personnelle du commissionnaire de transport », RJDA 3/1996, p. 220, Spéc. n°8. 63 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010. 64 Cela démontre une distinction avec le droit des transports et plus particulièrement avec l’article L.133-1 C. com qui dispose que toutes clauses prévoyant une responsabilité différente du transporteur que celles permises par la loi seront nulles de plein droit. L’article L. 132-5 C. com quant à lui prévoit expressément que la responsabilité personnelle du commissionnaire peut être aménagée par les parties sans que la loi ne s’y oppose. 65 Droit des transports, I. Bon-Garcin, M. Bernadet, Y. Reinhard, Précis Dalloz, 1ère édition, 2010.

Page 58: Faute inexcusable terrestre

58

commettant de les exclure, en vue d’obtenir une réparation intégrale de

son préjudice, sera d’apporter la preuve que le dommage est dû au dol ou

à la faute inexcusable du commissionnaire de transport. On comprend

alors que la faute inexcusable aura le même impact sur le

commissionnaire de transport que sur le transporteur. En effet, la faute

inexcusable entraîne le déplafonnement des limitations de responsabilité

du commissionnaire de transport et emporte alors la réparation intégrale

du préjudice par la victime. Attachons-nous maintenant à la

responsabilité du commissionnaire de transport pour le fait d’autrui.

b. Responsabilité pour le fait d’autrui du commissionnaire de

transport. – L’article L. 132-6 du Code de commerce énonce que le

commissionnaire de transport « est garant du fait du commissionnaire

intermédiaire auquel il adresse la marchandise ». Il est admis que cette

disposition s’impose également aux transporteurs puisque le

commissionnaire est garant de leurs faits dès lors qu’il les a choisis. Il

pèse sur le commissionnaire une responsabilité de plein droit. Aussi, le

demandeur n’aura qu’à prouver l’existence de son préjudice pour que la

responsabilité du commissionnaire soit engagée ; tout comme celle du

transporteur. Le commissionnaire de transport, qui a conclu des contrats

pour le compte d’autrui, assume les conséquences de l’inexécution de ces

contrats vis-à-vis de son donneur d’ordre ; il ne sera pas plus tenu

responsable que son substitué ne le sera légalement, et il pourra

bénéficier et opposer à son commettant les limitations de réparations

légales ou règlementaires dont peut se prévaloir son substitué. Toutefois,

le commissionnaire ne pourra pas invoquer la faute de son substitué pour

se dégager de toute responsabilité, sauf s’il a prévu dans le contrat qu’il

s’exonérait de la responsabilité du fait d’autrui ; les clauses élusives de

responsabilité étant permises. Dans le cas inverse, la faute du substitué

ricochera sur le commissionnaire, entraînant le déplafonnement des

limitations applicables à son substitué et la perte du bénéfice de ses

propres limitations. Si ce substitué est un transporteur, alors il faudra

qu’une faute inexcusable soit prouvée par le commettant entraînant, là

encore, l’obligation de réparer intégralement le préjudice.

Page 59: Faute inexcusable terrestre

59

SECTION II : L’IMPACT SUR LES ASSUREURS

55. – Les différents types d’assurance transport. – Un transporteur ou un

commissionnaire de transport va pouvoir recourir à deux types d’assurances

différentes. Elles se distinguent par leur objet et par leur portée66. D’une part,

l’assurance peut porter sur la marchandise aussi appelée « assurance faculté » ou

« assurance ad valorem ». Cette dernière assure les pertes et avaries susceptibles

de survenir pendant l’acheminement de la marchandise par le transporteur.

L’assureur devra ainsi, vérifier que le sinistre s’est produit et qu’il est conforme

aux conditions prévues par la police. Dans l’affirmative, l’assureur indemnisera

le bénéficiaire de l’assurance sans avoir besoin de s’interroger sur la

responsabilité de l’entreprise de transport. Les limitations de responsabilité du

transporteur ou du commissionnaire de transport ne vont pas être prises en

compte dans le calcul du montant de l’indemnité dans la mesure où l’assuré a le

devoir de déclarer la valeur et le risque de la marchandise à son assureur.

D’autre part, l’assurance peut porter sur la responsabilité du transporteur ou du

commissionnaire. On ne s’attache plus à garantir la marchandise mais les

conséquences pécuniaires de sa responsabilité engagée. L’assureur règle à la

place du transporteur ou du commissionnaire les indemnités dont ils pourraient

être tenus du fait de la mauvaise exécution de leur contrat, ou en cas de faute

inexcusable de l’un d’entre eux. Toutefois, l’assureur n’indemnisera la victime

que si le transporteur ou le commissionnaire font l’objet d’une réclamation et

qu’ils sont reconnus responsables. Cette indemnisation sera calculée uniquement

dans les limites de cette responsabilité. Ceci étant exposé, il s’agit de

comprendre le mécanisme du contrat d’assurance avant de s’intéresser à

l’impact de la faute inexcusable.

56. – Mécanisme du contrat d’assurance. – Pour bénéficier d’une garantie auprès

d’un assureur, le transporteur devra conclure un contrat avec celui-ci ; il devient

alors assuré. En échange de cette assurance, l’assuré devra payer des primes67. Si

66 Lamy, Droit des assurances, édition 2012. 67 Lamy, Droit des assurances, édition 2012.

Page 60: Faute inexcusable terrestre

60

le transporteur veut être garanti de façon optimale contre tous les risques

assurables, ces primes peuvent s’avérer élevées, aussi l’augmentation du

montant de la franchise sera le seul remède lui permettant d’abaisser le montant

de ces primes. Ces primes peuvent changer à chaque renouvellement annuel,

notamment en fonction de l’évolution de la sinistralité. L’assureur va émettre

une attestation d’assurance inscrivant les grandes lignes des obligations des

parties et les montants et risques assurés au titre du contrat d’assurance. Ces

montants font l’objet d’un plafond général de couverture par véhicule, sinistre,

événement ou année d’assurance. En théorie, le transporteur et le

commissionnaire de transport devront s’assurer de manière à être complètement

couverts en cas de sinistre. Dès lors, si la marchandise fait l’objet d’avaries et de

pertes pouvant entraîner une faute inexcusable du transporteur engageant sa

responsabilité, on peut se demander si le changement de la faute lourde en faute

inexcusable aura un impact sur le contrat d’assurance, et si les assureurs

accepteront de garantir une telle faute ?

57. – Garantie de la faute qualifiée et conséquence sur les primes d’assurance.

– En droit des assurances, le dol et la faute intentionnelle sont exclus du fait de

l’inexistence d’aléas68. Lorsque la faute lourde permettait d’exclure les plafonds

de limitations de responsabilité, la question de la couverture d’une telle faute

dans les polices d’assurance s’est posée. La Cour de cassation le 5 décembre

200069 précise que « la faute lourde n’est pas exclusive de l’assurance de

responsabilité ». Aussi, la faute lourde, n’excluant pas l’aléa70 nécessaire dans

les contrats d’assurance, est couverte par l’assureur. Il en est de même pour la

faute inexcusable car, même si actuellement les assureurs n’ont pas encore

réellement conscience de l’impact que la faute inexcusable pourrait avoir (la

jurisprudence étant trop faible), ils l’ont pour la plupart incluse dans leurs

68 Article L.133-1 C. ass qui dispose que : « les pertes ou les dommages occasionnés par des cas fortuits ou par la faute de l’assuré sont à la charge de l’assureur sauf exclusion formelle et limitée. Ne sont pas couverts les sinistres provenant d’une faute dolosive ou intentionnelle ». 69 Cass. 1ère civ., 5 déc. 2000, n°98-13.296. 70 Dans un contrat d’assurance, l’assureur s’engage à indemniser l’assuré en cas de sinistre en échange du paiement d’une prime par ce dernier. Il faut comprendre que l’assuré peut payer des primes toutes sa vie sans jamais avoir besoin de faire appel à son assureur, néanmoins en cas de dommage, il sera indemnisé. Il s’agit bien d’un aléa car soit l’assureur devra indemniser soit il ne le devra pas, tout dépend de la probabilité de survenance d’un sinistre. Aussi, la faute intentionnelle et le dol sont exclus puisque le dommage est réalisé volontairement dans l’intention de nuire à la victime. On comprend qu’aucun n’aléa ne peut résider avec cette idée.

Page 61: Faute inexcusable terrestre

61

conditions générales ou particulières d’assurances (voir annexes). Toutefois, les

assureurs sont souvent tentés de renforcer les montants de la franchise71 afin de

limiter le montant de l’indemnité qu’ils devront verser en cas de faute

inexcusable. Ainsi, il est recommandé au transporteur et au commissionnaire de

faire preuve d’attentions particulières sur ce point lorsqu’ils prennent

connaissance des conditions de la prise en charge par les assureurs. La faute

inexcusable faisant perdre au transporteur le bénéfice de ces limitations de

réparation, celui-ci devra essayer d’obtenir de ses assureurs qu’ils la garantissent

intégralement jusqu’à concurrence du plafond par sinistre prévu au contrat

d’assurance (sans excès de franchise) et non pas simplement à hauteur des

limites de la réglementation applicable72. Pour le moment, les trois polices types

couvrant la responsabilité du transporteur prévoient que l’assureur s’engage à

garantir l’assuré des sommes mises à sa charge si une décision de justice lui

enlève l’octroi de ses limitations de responsabilité, permettant alors à l’assuré

d’obtenir une garantie à concurrence du plafond de la police en cas de perte et

avarie garanties. Toutefois, la faute inexcusable étant proscrite en assurance de

transport maritime, il est possible, avec le temps et les prochaines

jurisprudences, que les assurances de transports terrestres l’excluent également.

71 La franchise est une somme qui reste à la charge de l’assuré, il ne recevra des indemnités de l’assureur qu’au dessus de ce montant franchisé. 72 Lamy, Droit des assurances, édition 2012.

Page 62: Faute inexcusable terrestre

62

CONCLUSION

58. – Finalité sur l’introduction de la faute inexcusable. – La substitution de la

notion de faute lourde en faute inexcusable par la loi du 8 décembre 2009

relative à l’organisation et à la régularisation des transports ferroviaires et

portant diverses dispositions relatives aux transports n’a aucune conséquence

nouvelle sur l’application du régime de responsabilité du transporteur à l’heure

actuelle. En effet, au lieu de prouver la faute lourde pour exclure les limitations

de réparation, le donneur d’ordre devra démontrer l’existence des quatre

éléments constitutifs de la faute inexcusable ; cela entraînera les mêmes

incidences. La réparation des préjudices justifiés, prévisibles et imprévisibles,

matériels ou immatériels sera intégrale sans qu’aucun plafond ne puisse interagir

sur le montant. L’unique doute subsistant suite à cette substitution est

l’interprétation que les juges vont privilégier pour apprécier les éléments

constitutifs de cette faute. L’interprétation objective sera plus avantageuse pour

le donneur d’ordre, alors que l’interprétation subjective le sera plus pour le

transporteur : « Le malheur des uns fait le bonheur des autres »73. Dans tous les

cas, ce qu’il peut être retenu c’est que les transporteurs seront moins condamnés

sous l’empire de la faute inexcusable puisque ses éléments constitutifs sont bien

plus délicats à prouver. L’issue positive d’un tel changement pour les

transporteurs est indéniable dans la mesure où ces derniers se trouvaient trop

souvent condamnés par le truchement de la faute lourde. Comme nous avons pu

le voir avec l’arrêt du Tribunal Correctionnel de Bobigny le 23 novembre 201074

les juges ont tendance à privilégier l’interprétation « in abstracto » de la faute

inexcusable. Toutefois, le Tribunal utilise la notion de faute inexcusable pour

rendre sa décision alors que les faits étaient antérieurs à la loi du 8 décembre

2009. Ainsi, cette solution sera certainement cassée par les juges de Cassation

mais permet d’annoncer le futur courant de cette notion. Avec le temps et les

prochaines jurisprudences, l’impact de la faute inexcusable va certainement

évoluer pour ensuite se stabiliser.

73 Citation de Voltaire dans son illustre ouvrage « Candide ». 74 TC Bobigny, 23 novembre 2010, Sté Ace Insurance et a. contre Exp’Air Transit et a., BTL 2011 n°3353.

Page 63: Faute inexcusable terrestre

63

RESUME

La loi du 8 décembre 2009 apporte de nouvelles perspectives au droit de la réparation

intégrale du préjudice recherchée par le propriétaire de la marchandise face à la

responsabilité du transporteur. En effet, avant cette loi, seule la faute lourde était en

mesure d’exclure les plafonds de limitations de responsabilité. Depuis cette date, la

faute inexcusable a remplacé la faute lourde pour le déplafonnement des limitations de

réparation permettant alors la réparation intégrale du préjudice.

Une telle substitution de notion a des conséquences pratiques sur le transporteur. D’une

part, la faute inexcusable est bien plus difficile à prouver que la faute lourde. D’autre

part, les juges du fond seront moins enclins à caractériser la faute inexcusable que la

faute lourde, que leur approche soit objective ou subjective. De ce fait, les transporteurs

seront beaucoup moins souvent appelés à réparer intégralement le préjudice de la

victime.

Page 64: Faute inexcusable terrestre

64

ABSTRACT

The Act dated December 8th, 2009 brings new perspectives to the right to find full

indemnification of a prejudice incurred by owners of goods facing the liability of a

carrier. Indeed, prior to this Act, a gross negligence was the only way to waive

limitations, which were caping, the amounts to be paid by a professional found liable.

As from the same date, the use of reckless fault replaced the use of gross negligence to

uncap those limitations allowing full compensation of the prejudice.

Such a substitution in legal notions has practical outcomes for the transportation

professionals. On one hand, a gross negligence is far less difficult to be evidenced than

a reckless fault. On the other hand, a French judge would always be reluctant to

characterize a reckless fault despite the use of the two so-called ‘objective’ and

‘subjective’ approaches. Thus, despite their liability, carriers are now less likely to pay

full coverage to the plaintiffs.

Page 65: Faute inexcusable terrestre

65

TABLEAU RECAPITULATIF

Page 66: Faute inexcusable terrestre

66

Tableau Récapitulatif- Faute lourde et Faute inexcusable

Faute lourde Faute inexcusable Éléments constitutifs • Grosse Négligence

• Conscience effective • Comportement d’un

bon professionnel dans les mêmes circonstances

• Faute délibérée • Conscience de la

probabilité du dommage • Acceptation téméraire • Sans raison valable

Interprétation par les juges « In concreto » (depuis JP Chronopost 2005)

Encore indéterminée (en attente de JP : appréciation « in concreto » ou « in abstracto » ?) Tendance vers l’interprétation

objective Principe de réparation Plafonds de limitations de

responsabilité (pour les dommages directs,

prévisibles, matériels et immatériels)

Plafonds de limitations de responsabilité (pour les dommages

directs, prévisibles, matériels et immatériels)

Réparation en cas de faute inexcusable du transporteur

Réparation intégrale des préjudices justifiés

(prévisibles ; imprévisibles ; directs ; matériels et non

matériels)

Réparation intégrale des préjudices justifiés (prévisibles ;

imprévisibles ; directs ; matériels et non matériels)

Commissionnaire de transport Même situation que le transporteur

Même situation que le transporteur

Assureur transporteur Reconnue dans les contrats d’assurance transports avec

insertion d’une clause spécifique dans les

Conditions Générales

Reconnue dans les contrats d’assurance transports avec

insertion d’une clause spécifique dans les Conditions Générales ou

Conditions Particulières (les assureurs n’ont pas encore

d’idée sur l’impact réel qu’aura la faute inexcusable sur la matière des

transports terrestres) Prescription annale annale Effectivité Pour tout dommage

antérieur au 10 décembre 2009

Pour tout dommage postérieur au 10 décembre 2009

Conséquences sur le transporteur

Transporteur souvent condamné par le juge

d’avoir commis une faute inexcusable

Pas encore de solution nette pourtant, la faute inexcusable étant plus difficile à démontrer, le transporteur sera certainement moins condamné par les juges.

Page 67: Faute inexcusable terrestre

67

ANNEXES

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68

Annexe 1 : Tableau récapitulatif – limitations en transport routier de marchandises en France

Page 69: Faute inexcusable terrestre
Page 70: Faute inexcusable terrestre
Page 71: Faute inexcusable terrestre

71

Annexe 2 : Conditions Générales et Conditions Spéciales d’Assurance Gan Eurocourtage (ex-Groupama Transport)

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75

Annexe 3 : Conditions Particulières d’Assurance AXA Corporate Solutions, France

Page 76: Faute inexcusable terrestre
Page 77: Faute inexcusable terrestre

77

BIBLIOGRAPHIE

Traités, dictionnaires et ouvrages généraux

• Code civil

• Code de commerce

• Code des transports

• Droit des transports, Isabelle Bon-Garcin, Maurice Bernadet, Yves Reinhard,

Précis Dalloz, 1ère édition, 2010

• La faute du transporteur, Alain Sériaux, Economica, 2ème édition, 1998

• Les obligations, Le contrat, Christian Larroumet, Economica, 6ème édition, 2006

• Les obligations, Ph. Malaurie, L.Aynès, Ph. Stoffet-Munck, Défrénois, 3ème

édition, 2003

• Lexique des termes juridiques, Dalloz, 15ème édition

• Lamy, Droit des transports, Tome I, édition 2010-2011-2012

• Lamy, Droit des transports, Tome II, édition 2010-2011-2012

• Lamy, Droit des assurances, édition 2012

• Traité de droit maritime, Christian Scapel/Pierre Bonassies, L.G.D.J, 2ème

édition, 2010

Mémoires

• La faute inexcusable de l’armateur et le principe de la limitation de

responsabilité, 2008, Stavrakidis Triantafyllos.

Articles et Chroniques

• Marie Tilche, Face à l’assurance RC, BTL n°3415, 2012

• Marie Tilche, Interprétation anticipée, BTL n°3328, 2010

• Marie Tilche, Les quatre critères, BTL n°3322, 2010

• Marie Tilche, 10 questions sur la faute inexcusable, BTL n°3305, 2010

Page 78: Faute inexcusable terrestre

78

• Marie Tilche, Limitations d’indemnité, BTL n°3319, 2010

• Marie Tilche, Dol et faute équivalente, BTL n°3328, 2010,

• Marie Tilche, Faute inexcusable (mise au point), BTL n°3406, 2012

• Marie Tilche, « sans raison valable », BTL n°3336, 2010

• Marie Tilche, Faute inexcusable (recadrage), BTL n°3344, 2010

• Philippe Delebecque, Limitation de responsabilité et faute inexcusable du

transporteur aérien, RD transp., 2007

• Philippe Delebecque, La faute inexcusable en droit maritime français, JPA 2005

• Philippe Delebecque, Droit maritime et régime général des obligations, DMF

2005

• Hubert Groutel, L’indemnisation consécutive à une faute inexcusable de

l’employeur : mise en ordre après la décision du Conseil Constitutionnel du 18

juin 2010, RCA juin 2012

• Stéphane Choisez, Faute inexcusable de l’employeur, La tribune de l’assurance,

juillet-aout 2012, n°171

Jurisprudences utilisées

• Cass. 2ème civ., 15 juillet 1941.

• Cass. 1ère civ., 4 avril 2012.

• Cass. Com., 22 octobre 1996.

• Ch. Mixte, 22 avril 2005.

• Cass. Com., 7 janvier 1997.

• Cass. Com., 5 décembre 1967.

• Cass. Com., 14 mars 1995.

• Cass. Com., 7 février 2006.

• Cass. Com., 21 mars 2006.

• CA Paris, Pôle 5, ch. 5, 15 mars 2012.

• CA Orléans, 10 juin 2010.

• CA Rennes, ch. 3, 29 nov. 2011.

• CA Dijon, 29 mai 2012.

• Cass. Com., 10 juillet 2012.

• TC Nanterre, 7 déc. 2009.

Page 79: Faute inexcusable terrestre

79

• CA Paris, 3 fév. 2010.

• TC Bobigny, 23 novembre 2010.

• Cass. Com., 11 mai 1976, n°75-10.152.

• CA Paris, 18 mai 1989.

• Civ. 12 juill. 1923, DP 1926. 1. 229.

• Com. 3 avr. 1968, JCP 1968. II. 15575.

• Com., 16 février 1988, Bull. civ. IV, n°75.

• Cass. 1ère civ., 5 déc. 2000, n°98-13.296.

Sites Internet

• www.legifrance.fr

• www.courdecassation.fr

• www.amaxasysteme.fr

• www.wikipédia.fr

• www.lexisnexis.fr

• www.lamyline.fr

• www.dalloz.fr

Page 80: Faute inexcusable terrestre

80

TABLE DES MATIERES

TABLE DES ABREVIATIONS ET DES ACRONYMES.......................................... 6

INTRODUCTION .......................................................................................................... 7 1. – Historique de la création du transport. ......................................................... 7 2. – Découverte des différents modes de transport.............................................. 7 3. – Développement du transport ..........................................................................8 4. – Évolution du cadre juridique vers l’unification du droit des transports ... 8 5. – Hiérarchie des fautes dans le système juridique français. ........................... 8 6. – Naissance de la notion de la faute inexcusable en droit français .............. 10 7. – Apparition de la notion de la faute inexcusable en droit des transports.. 11 8. – La faute inexcusable en droit du transport aérien..................................... 12 9. – La faute inexcusable en droit du transport maritime ................................ 13 10. – La faute inexcusable en droit du transport terrestre ............................. 14 11. – Contrat de transport ................................................................................. 15 12. – Délimitation du sujet ................................................................................. 15 13. – Plan. ............................................................................................................ 16

PARTIE I : LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE .......... ............................... 17 14. – Appréhension de la notion de faute inexcusable..................................... 17

CHAPITRE I : L’APPRECIATION DE LA NOTION DE FAUTE INEXCUSABLE ........................................................................................................... 18

15. – Généralité sur l’appréciation de la faute inexcusable ............................ 18

SECTION I : LES ELEMENTS CONTITUTIFS DE LA FAUTE IN EXCUSABLE........................................................................................................................................ 19

16. – Le lien causal entre la faute et le dommage............................................. 19 17. – La faute délibérée. ..................................................................................... 19 18. – La conscience de la probabilité du dommage ......................................... 20 19. – L’acceptation téméraire ............................................................................ 21 20. – L’absence de « raison valable »................................................................ 21 21. – L’association des éléments constitutifs de la faute inexcusable............. 21

SECTION II : L’APPRECIATION IN ABSTRACTO OU IN CONCRETO DE LA FAUTE INEXCUSABLE............................................................................................. 23

22. – Etude des deux notions..............................................................................23 §1 : Vers l’étude de l’appréciation « in abstracto »........................................ 23

23. – Définition de l’appréciation « in abstracto »............................................ 23 24. – Appréciation plus favorable pour l’ayant-droit à la marchandise ....... 23 25. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport maritime ................................................................................................... 24 26. – Cas d’application de l’appréciation « in abstracto » en droit du transport aérien.. ...................................................................................................... 25

§2 : Vers l’étude de l’appréciation « in concreto »......................................... 26 27. – Définition de l’appréciation « in concreto »............................................. 26

Page 81: Faute inexcusable terrestre

81

28. – Appréciation plus favorable pour le transporteur ................................. 26 29. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport maritime ................................................................................................... 26 30. – Cas d’application de l’appréciation « in concreto » en droit du transport aérien.. ...................................................................................................... 27 31. – L’étendue des deux appréciations possibles en droit des transports terrestres.................................................................................................................... 28

CHAPITRE II : L’INTERROGATION SUR L'EFFET POSSIBLE DE LA MODIFICATION DE LA NOTION DE FAUTE LOURDE EN FAUTE INEXCUSABLE ........................................................................................................... 29

32. – L’enjeu du changement de notion............................................................ 29 33. – Interprétation de la faute lourde.............................................................. 30 34. – Généralité sur l’effet possible de la modification de la notion de faute lourde en faute inexcusable...................................................................................... 31

SECTION I : UNE INTERPRETATION PROROGEANT LA NOTION DE FAUTE LOURDE ........................................................................................................ 32

35. – Premier effet possible du changement de notion .................................... 32 36. – Transposition de notions........................................................................... 33 37. – Conséquences de l’interprétation « in abstracto » de la faute inexcusable par les juges............................................................................................................... 36

SECTION II : UNE INTERPRETATION AMPLIFIANT LA NOTIO N DE FAUTE LOURDE ........................................................................................................ 38

38. – Second effet possible du changement de notions .................................... 38 39. – Transposition de notions........................................................................... 38 40. – Conséquence de l’interprétation « in concreto » de la faute inexcusable par les juges............................................................................................................... 42 41. – Solution la plus probable .......................................................................... 42 42. – Conclusion de la notion de la faute inexcusable...................................... 43

PARTIE II : LE REGIME DE LA FAUTE INEXCUSABLE...... ........................... 44 43. – Introduction du régime de la faute inexcusable...................................... 44

CHAPITRE I : L’ETENDUE DE LA REPARATION DU DOMMAGE EN CAS DE FAUTE INEXCUSABLE ...................................................................................... 45

44. – Ouverture sur la réparation. .................................................................... 45

SECTION I : LE PREJUDICE REPARABLE ......................................................... 46 45. – Etendue du préjudice réparable............................................................... 46 46. – Résumé des règles de réparation des préjudices .................................... 49

SECTION II : LE DEPLAFONNEMENT DES LIMITATIONS DE RESPONSABILITE..................................................................................................... 50

48. – Régime légal de responsabilité du transporteur ..................................... 50 49. – Principe des limitations de responsabilité en droit des transports terrestres.................................................................................................................... 50 50. – Conséquence de la faute inexcusable sur les plafonds de limitations de responsabilité ............................................................................................................ 53 51. – Réparation intégrale du préjudice, incidences sur le transporteur ...... 53

CHAPITRE II : LES CONSEQUENCES DE LA FAUTE INEXCUSA BLE SUR LES AUTRES ACTEURS DU TRANSPORT TERRESTRE.................................. 55

Page 82: Faute inexcusable terrestre

82

52. – Acteurs des transports terrestres autres que le transporteur sujets à la faute inexcusable....................................................................................................... 55

SECTION I : L’IMPACT SUR LE COMMISSIONNAIRE DE TRAN SPORT ... 56 53. – Définition jurisprudentielle du commissionnaire de transport............. 56 54. – Responsabilité du commissionnaire de transport................................... 57

SECTION II : L’IMPACT SUR LES ASSUREURS ................................................ 59 55. – Les différents types d’assurance transport ............................................. 59 56. – Mécanisme du contrat d’assurance.......................................................... 59 57. – Garantie de la faute qualifiée et conséquence sur les primes d’assurance…............................................................................................................ 60

CONCLUSION............................................................................................................. 62 58. – Finalité sur l’introduction de la faute inexcusable ................................. 62

RESUME....................................................................................................................... 63

ABSTRACT .................................................................................................................. 64

TABLEAU RECAPITULATIF................................................................................... 65

ANNEXES..................................................................................................................... 67

BIBLIOGRAPHIE ....................................................................................................... 77

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