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Le Soir mai 2013 2 REPORTAGE Des jeux vidéo pour apprendre : Le jeu vidéo se la joue sérieux L’ESSENTIEL Le jeu vidéo au service de l'information, de l'éducation et de la formation du joueur. C'est le nouveau pari des « serious games » (jeux sérieux). Tous les secteurs les utilisent : santé, politique, écologie, défense, éducation ou encore économie. Fishing Cactus est le plus gros studio de création de jeux vidéo en Wallonie. Depuis 2010, il crée des « serious games ». Nous les avons rencontrés. L es jeux vidéo ont bien souvent mauvaise presse. Ils sont trop violents, débilitants ou addictifs. Pourtant, un nouveau concept de jeu vidéo se développe depuis quelques années en Belgique, et ailleurs. Et il pourrait bien réconcilier la société avec les jeux vidéo. Il s'agit du « serious game » ou « jeu sérieux » : un jeu hybride qui met le côté ludique du jeu vidéo au service de l'information, de l'éducation et de la formation de l'utilisateur. Il représente un nouveau marché, encore relativement peu couvert en Belgique, mais plein d'avenir. Fishing Cactus est le plus gros studio de création de jeux vidéo en Wallonie. Crée en 2008, il s'établit depuis 2010 comme la référence en Belgique francophone dans le domaine de pointe des « serious games ». C'est dans un hangar montois d'une centaine de mètres carrés, aménagé de multiples ordinateurs, que tout se passe. Ici, une trentaine de jeunes travailleurs (le doyen a 35 ans) imaginent et créent de nouveaux jeux vidéo. L'ambiance y est studieuse mais détendue et joyeuse. Les travailleurs papotent de leur week-end avant de se remettre au travail. « Tu veux un café Guillaume ? ». Guillaume Bouckart est designer de jeu chez Fishing Cactus. Posté devant ses deux écrans, car ici tout le monde travaille sur deux, voire trois ordinateurs, Guillaume développe le concept des jeux vidéo et en établit les règles du jeu. Le « serious game » constitue, depuis 2010, une de ses nouvelles attributions. « La plus grosse part de notre chiffre d'affaire provient des jeux vidéo de divertissement. Mais cela ne nous a pas dissuadé d’élargir nos activités au développement de serious games. C'est déjà bien présent aux Etats- Unis et en France. En Belgique c'est un marché à conquérir ». Ces produits sont crées sur demande et s’adressent exclusivement aux entreprises, collectivités ou services publics. Actuellement, Guillaume travaille sur Algo-Bot pour trois centres belges des technologies de l'information, tenus secrets pour le moment. « C'est un serious game qui permet d'apprendre les logiques derrière la programmation informatique ». Guillaume nous en montre le fonctionnement. Vous êtes aux commandes d’un petit robot officiant dans une usine de traitement de déchets nucléaires. Pour lui permettre de se déplacer ou d'exécuter diverses actions, vous devez apprendre les principes de base de la programmation : algorithmes, variables, fonctions, boucles logiques. Ce nouveau jeu est sur le point d'être finalisé. Guillaume et ses collègues y ont travaillé pendant six mois. Après l'idée du concept, vient le travail des programmateurs et des artistes. Dans une petite salle de réunions, située à l'étage, on imagine le produit fini. On discute budget, design, attractivité. « Il faut créer un contenu valable avec le budget alloué. On veut la didactique la plus f idèle et on accorde une grande importance à la qualité des images », déclare l'une des dessinatrices. Les travailleurs de Fishing Cactus sont polyvalents. L'organisation est bien pensé : les employés sont placés par projet l'un à côté de l'autre. « Nos équipes sont diversifiées. Il n'y a pas les designers de jeux d'un côté, les programmateurs de l'autre. Cela soude l'équipe », explique Guillaume. Des « serious game » pour des patients atteints de lésions cérébrales Les domaines d'application des « serious games » sont multiples : santé, défense, finance, politique, écologie, etc. Chez Fishing Cactus, on développe les "serious games" depuis 2010. Ses jeunes créateurs travaillent dur et avec passion. © Océane Fégé Fishing Cactus peut se vanter d'avoir parmi ses clients de grands noms tels que Dassault Aviation (France), la Fédération des Maisons de la laïcité, l'Hôpital académique Erasme de l'ULB, ou encore Technogym (Italie). En 2010, Fishing Cactus développe le premier « serious game » thérapeutique utilisant la technologie Kinect, une console qui détecte les mouvements humains. En collaboration avec Microsoft et des chercheurs de l'Hôpital Erasme de l'ULB, le jeu R.O.G.E.R s'adresse aux patients atteints de lésions cérébrales. Plongés dans un monde 3D, ils doivent effectuer plusieurs actions, comme défaire une valise par exemple. Guillaume, le designer de jeu, nous précise : « le but est de réapprendre les gestes du quotidien ». Le programme évalue l’état du patient et donne aux spécialistes les outils nécessaires à l’élaboration d’un programme de rééducation. « Nous avons également travaillé sur Expli-city Democratie pour la Maison de la Laïcité. Le jeu permet d'apprendre les bases du système démocratique belge », dit Guillaume. A l'écran, le but est de créer sa propre commune tout en respectant les lois en vigueur. Il faut répondre à une série de questions, comme celle qui nous est posée : « en quelle année a été instauré le vote capacitaire ? ». Les « serious games » occupent 20 à 35 % de l'activité quotidienne du studio, selon la période. Une part moindre face aux jeux vidéos distractifs. Mais les projets dans ce domaine sont assez conséquents. « Le Serious Game existe depuis peu, mais rencontre un franc succès. Il se pourrait donc qu'il prenne de plus en plus d'ampleur », explique Bruno Urbain, le studio manager de Fishing Cactus. « Une équipe jeune, très créative ». À Fishing Cactus la proximité des équipes joue un rôle clé. C'est perceptible, l'ambiance est au beau fixe, les travailleurs interagissent et ont un bon feeling. En seulement cinq ans, la société a fait du chemin. Ils étaient quatre amis en 2008. Ils sont aujourd'hui une trentaine, à vivre de leur passion. Fishing Cactus exporte en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. En 2012, elle remporte le Grand Prix Wallonie à l'Exportation dans la catégorie Tremplin. Ce qui fait le succès de Fishing Cactus « c'est d'abord beaucoup de travail et de la motivation », dit Guillaume, le designer de jeu. Ce que confirme Bruno Urbain, le studio manager : « c'est une équipe jeune, très créative ». Le bémol en terme de « serious games » c'est que le phénomène n'est pas encore suffisamment mis en valeur en Belgique. « Les choses bougent mais nous sommes encore loin du niveau des Etats-Unis et même de la France », dit Guillaume. « C'est un milieu encore méconnu, on ne réalise pas les budgets ». Chez Fishing Cactus, il faut compter entre 20 000 et 100 000 euros pour un « serious game », « ce qui reste bas comparé à ce qu'on peut trouver dans le reste de l'industrie. Heureusement le marché est en train de s'ouvrir et on accède doucement à des budgets plus conséquents ». À Fishing Cactus, comme dans d'autres studios belges de création de jeux vidéo, on ne bénéficie pas d'aides du gouvernement. « Les politiques ont une méf iance générale envers les jeux vidéo. Ils n'imaginent pas qu'on puisse apprendre à travers eux. Dès qu'on aura une plus grande ouverture et compréhension de ce média, la suite logique sera de comprendre qu'il y a du potentiel derrière les serious games. Il y a surtout un manque d'intérêt en Belgique ». Les concepteurs de jeu vidéo qui reçoivent des aides font passer leur projet à travers des aides cinématographiques, notamment à travers le fond wallon St'art. Les « serious games » avancent en Wallonie. Fishing Cactus participe à leur dynamisme. Ce que l'équipe espère pour la suite : avoir un meilleur suivi des utilisateurs, pour voir si l'apprentissage est effectif et s'il suit les objectifs de départ. Et atteindre des budgets plus conséquents. En quittant les lieux, nous remarquons un cactus à l'entrée du studio. Un cactus qui se réfère au nom de la société : Fishing Cactus. Et d'ailleurs, pourquoi ce nom ? Nous n'en saurons rien, « les créateurs de la boîte en garde l'origine secrète. Eux seuls en connaissent la signif ication », nous dit M. Derudder, le secrétaire. OCEANE FEGE L'équipe de Fishing Cactus est jeunes, motivés et très créatrices. © Fishing Cactus Guillaume Bouckart finalise Algo-Bot, un "serious game" pour apprendre les logiques de la programmation. © Océane Fégé La signification du logo est tenue secrète. © Océane Fégé

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Le Soir mai 2013

2 reportage Des jeux vidéo pour apprendre : bienvenue aux « serious games »

Le jeu vidéo se la joue sérieux L’ESSENTIEL

● Le jeu vidéo au service de l'information, de l'éducation et de la formation du joueur. C'est le nouveau pari des « serious games » (jeux sérieux). ● Tous les secteurs les utilisent : santé, politique, écologie, défense, éducation ou encore économie.● Fishing Cactus est le plus gros studio de création de jeux vidéo en Wallonie. Depuis 2010, il crée des « serious games ». Nous les avons rencontrés.

L es jeux vidéo ont bien souvent mauvaise presse. Ils sont trop violents,

débilitants ou addictifs. Pourtant, un nouveau concept de jeu vidéo se développe depuis quelques années en Belgique, et ailleurs. Et il pourrait bien réconcilier la société avec les jeux vidéo. Il s'agit du « serious game » ou « jeu sérieux » : un jeu hybride qui met le côté ludique du jeu vidéo au service de l'information, de l'éducation et de la formation de l'utilisateur. Il représente un nouveau marché, encore relativement peu couvert en Belgique, mais plein d'avenir.

Fishing Cactus est le plus gros studio de création de jeux vidéo en Wallonie. Crée en 2008, il s'établit depuis 2010 comme la référence en Belgique francophone dans le domaine de pointe des « serious games ».

C'est dans un hangar montois d'une centaine de mètres carrés, aménagé de multiples ordinateurs, que tout se passe. Ici, une trentaine de jeunes travailleurs (le doyen a 35 ans) imaginent et créent de nouveaux jeux vidéo. L'ambiance y est studieuse mais détendue et joyeuse. Les travailleurs papotent de leur week-end avant de se remettre au travail. « Tu veux un café Guillaume ? ». Guillaume Bouckart est designer de jeu chez Fishing Cactus. Posté devant ses deux écrans, car ici tout le monde travaille sur deux, voire trois ordinateurs, Guillaume développe le concept des jeux vidéo et en établit les règles du jeu. Le « serious game » constitue, depuis 2010, une de ses nouvelles attributions. « La plus grosse part de notre chiffre d'affaire provient des jeux vidéo de divertissement. Mais cela ne nous a pas dissuadé d’élargir nos activités au développement de serious games. C'est déjà bien présent aux Etats-Unis et en France. En Belgique c'est un marché à conquérir ». Ces produits sont crées sur demande

et s’adressent exclusivement aux entreprises, collectivités ou services publics. Actuellement, Guillaume travaille sur Algo-Bot pour trois centres belges des technologies de l'information, tenus secrets pour le moment. « C'est un serious game qui permet d'apprendre les logiques derrière la programmation informatique ». Guillaume nous en montre le fonctionnement. Vous êtes aux commandes d’un petit robot officiant dans une usine de traitement de déchets nucléaires. Pour lui permettre de se déplacer ou d'exécuter diverses actions, vous devez apprendre les principes de base de la programmation : algorithmes, variables, fonctions, boucles logiques.

Ce nouveau jeu est sur le point d'être finalisé. Guillaume et ses collègues y ont travaillé pendant six mois. Après l'idée du concept, vient le travail des programmateurs et des artistes. Dans une petite salle de réunions, située à l'étage, on imagine le produit fini. On discute budget, design, attractivité. « Il faut créer un contenu valable avec le budget alloué. On veut la didactique la plus f idèle et on accorde une grande importance à la qualité des images », déclare l'une des dessinatrices.

Les travailleurs de Fishing Cactus sont polyvalents. L'organisation est bien pensé : les employés sont placés par projet l'un à côté de l'autre. « Nos équipes sont diversif iées. Il n'y a pas les designers de jeux d'un côté, les programmateurs de l'autre. Cela soude l'équipe », explique Guillaume.

Des « serious game » pour des patients atteints de lésions cérébrales

Les domaines d'application des « serious games » sont multiples : santé, défense, finance, politique, écologie, etc.

Chez Fishing Cactus, on développe les "serious games" depuis 2010. Ses jeunes créateurs travaillent dur et avec passion. © Océane Fégé

Fishing Cactus peut se vanter d'avoir parmi ses clients de grands noms tels que Dassault Aviation (France), la Fédération des Maisons de la laïcité, l'Hôpital académique Erasme de l'ULB, ou encore Technogym (Italie).

En 2010, Fishing Cactus développe le premier « serious game » thérapeutique utilisant la technologie Kinect, une console qui détecte les mouvements humains. En collaboration avec Microsoft et des chercheurs de l'Hôpital Erasme de l'ULB, le jeu R.O.G.E.R s'adresse aux patients atteints de lésions cérébrales. Plongés dans un monde 3D, ils doivent effectuer plusieurs actions, comme défaire une valise par exemple. Guillaume, le designer de jeu, nous précise : « le but est de réapprendre les gestes du quotidien ». Le programme évalue l’état du patient et donne aux spécialistes les outils nécessaires à l’élaboration d’un programme de rééducation.

« Nous avons également travaillé sur Expli-city Democratie pour la Maison de la Laïcité. Le jeu permet d'apprendre les bases du système démocratique belge », dit Guillaume. A l'écran, le but est de créer sa propre commune tout en

respectant les lois en vigueur. Il faut répondre à une série de questions, comme celle qui nous est posée : « en quelle année a été instauré le vote capacitaire ? ».

Les « serious games » occupent 20 à 35 % de l'activité quotidienne du studio, selon la période. Une part moindre face aux jeux vidéos distractifs. Mais les projets dans ce domaine sont assez conséquents. « Le Serious Game existe depuis peu, mais rencontre un franc succès. Il se pourrait donc qu'il prenne de plus en plus d'ampleur », explique Bruno Urbain, le studio manager de Fishing Cactus.

« Une équipe jeune, très créative ».

À Fishing Cactus la proximité des équipes joue un rôle clé.

C'est perceptible, l'ambiance est au beau fixe, les travailleurs interagissent et ont un bon feeling.

En seulement cinq ans, la société a fait du chemin. Ils étaient quatre amis en 2008. Ils sont aujourd'hui une trentaine, à vivre de leur passion. Fishing Cactus exporte en Europe, aux Etats-Unis et en Asie. En 2012, elle remporte le Grand Prix Wallonie à l'Exportation dans la catégorie Tremplin.

Ce qui fait le succès de Fishing Cactus « c'est d'abord beaucoup de travail et de la motivation », dit

Guillaume, le designer de jeu. Ce que confirme Bruno Urbain, le studio manager : « c'est une équipe jeune, très créative ».

Le bémol en terme de « serious games » c'est que le phénomène n'est pas encore suffisamment mis en valeur en Belgique. « Les choses bougent mais nous sommes encore loin du niveau des Etats-Unis et même de la France », dit Guillaume. « C'est un milieu encore méconnu, on ne réalise pas les budgets ». Chez Fishing Cactus, il faut compter entre 20 000 et 100 000 euros pour un « serious game », « ce qui reste bas comparé à ce qu'on peut trouver dans le reste de l'industrie. Heureusement le marché est en train de s'ouvrir et on accède doucement à des budgets plus conséquents ».

À Fishing Cactus, comme dans d'autres studios belges de création de jeux vidéo, on ne bénéficie pas

d'aides du gouvernement. « Les politiques ont une méfiance générale envers les jeux vidéo. Ils n'imaginent pas qu'on puisse apprendre à travers eux. Dès qu'on aura une plus grande ouverture et compréhension de ce média, la suite logique sera de comprendre qu'il y a du potentiel derrière les serious games. Il y a surtout un manque d'intérêt en Belgique ».

Les concepteurs de jeu vidéo qui reçoivent des aides font passer leur projet à travers des aides cinématographiques, notamment à travers le fond wallon St'art.

Les « serious games » avancent en Wallonie. Fishing Cactus participe à leur dynamisme. Ce que l'équipe espère pour la suite : avoir un meilleur suivi des utilisateurs, pour voir si l'apprentissage est effectif et s'il suit les objectifs de départ. Et atteindre des budgets plus conséquents.

En quittant les lieux, nous remarquons un cactus à l'entrée du studio. Un cactus qui se réfère au nom de la société : Fishing Cactus. Et d'ailleurs, pourquoi ce nom ? Nous n'en saurons rien, « les créateurs de la boîte en garde l'origine secrète. Eux seuls en connaissent la signif ication », nous dit M. Derudder, le secrétaire.

OCEANE FEGE

L'équipe de Fishing Cactus est jeunes, motivés et très créatrices. © Fishing Cactus

Guillaume Bouckart finalise Algo-Bot, un "serious game" pour apprendre les logiques de la programmation. © Océane Fégé

La signification du logo est tenue secrète. © Océane Fégé

Page 2: Fege oceane

Le Soir mai 2013

reportage 2Des jeux vidéo pour apprendre : bienvenue aux « serious games »

« Avec eux, on apprend plus facilement et plus efficacement »

Benjamin François est directeur artistique chez Belle Productions. Une société de développement de jeux vidéo. Une référence en Wallonie. Chez Belle Productions, le « serious game » (jeu sérieux) représente 80% de l'activité. Le point sur cette nouvelle branche du jeu vidéo.

Qu'est ce qu'un serious game ?Le jeu vidéo, ce n'est pas seulement du divertissement. Comme le monde de l'audiovisuel a ses documentaires, le jeu vidéo a aujourd'hui du jeu vidéo sérieux. On s'en sert pour former le personnel d'une entreprise, pour simuler des situations diff iciles à organiser, pour informer, recruter, faire de la publicité ou encore sensibiliser à une cause. Nous avons, par exemple, crée un serious game pour sensibiliser les jeunes aux personnes handicapées. On utilise le jeu vidéo pour embellir le contenu informatif, pour en faire quelque chose de plus digeste.

Les serious games vise donc un très large public ?Oui. Le serious game, comme le jeu vidéo, se développe sur Internet, le public s'élargit. Aujourd'hui, on s'adresse aussi d'avantage aux adultes. Tous les secteurs d'activité peuvent utiliser ce nouvel outil : les institutions publiques, la formation professionnelle, la santé, l'industrie, la vente, la défense. Il faut compter entre 30 000 et 500 000 euros pour un serious game. C'est un budget assez conséquent, car le serious game s'adresse à un public très ciblé et son temps de jeu est court, contrairement à un jeu vidéo classique.

Pourquoi communiquer via un serious game ? Quels sont les avantages ?C'est un moyen de communication très moderne et son côté ludique lui donne toute son eff icacité. La simulation est essentielle. Elle permet au joueur de s’immerger dans le monde qui lui est proposé. Grâce au jeu vidéo, on peut recréer des environnements proches du réel, concevoir des scénarios complexes, placer les joueurs dans des jeux de rôle ou de collaboration. Et les parties peuvent être rejouées et évaluées. Avec eux, on apprend plus facilement, et peut-être plus eff icacement, qu'en lisant ou en assistant à une conférence.

En Belgique, le serious game n'est pas encore très reconnu, contrairement à l'Angleterre ou à la France...C'est pour cela que nous sommes co-organisateur de l'événement SeriousGame.be. L’initiateur du projet est Marc Meurisse, notre administrateur délégué. Il est allé voir les autres sociétés belges pour leur expliquer, qu'en faite, elles faisaient du serious game sans s'en rendre compte. Nous leur avons dit « et si on se rassemblait tous ?». Car, à chaque fois qu'elles recherchent du serious game, les entreprises belges vont en France. Elles pensent qu'ici, le marché est inexistant. Lors de cet événement, on se réunit tous, on dit qu'on existe. On commence à être reconnu.

La reconnaissance, c'est important pour obtenir des aides du gouvernement. En France, un budget de 20 millions d'euros a

spécialement été débloqué pour les serious games

en 2010. En Belgique, on accuse un retard ?Il n'y a pas d'aides d'état à proprement dit pour le serious game chez nous. On travaille régulièrement

par subsides car nous avons des commandes de la Région wallonne ou d'asbl qui veulent parler d'une thématique particulière. L'aide se fait alors par

rapport aux thématiques et non par rapport aux serious games. On aimerait que cela évolue. Wallimage (fonds d'investissement wallon dans l'audivisuel, NDRL) commence à aider le serious game avec sa ligne trans-media. Il y a aussi des fonds européens où on rentre pas mal de projets, mais c'est à chaque fois tributaire de la thématique.

Qu'est-ce qui bloque ?Il y a une méconnaissance du monde des jeux vidéo. Et son utilité pour former ou faire passer un message sérieux est encore sous estimé. Et puis, il n'y a pas assez de sociétés en Belgique pour que l'Etat s'y intéresse. Il y a aussi les critiques du produit car on ne s'y intéresse pas, on ne connaît pas. Le jeu video, au sens large, doit être reconnu comme un moyen d'expression artistique. Tous les arts ont dû faire face aux critiques. La peinture avec les nus artistiques, la bande dessinée. Puis on les a reconnu. Les jeux vidéos suivront la même voie.

Propos recueillis par OCEANE FEGE

L'événement Serious Game.be 4e édition aura lieu le 14 mai 2013 à l'Acinapolis de Namur.http://www.seriousgame.be/

LA DERIVE Des « serious games » au service des arméesDES MILITAIRES NOURRIS AUX JEUX VIDéO

L es « serious games » (jeux sérieux) sont des

jeux vidéos dont l'objectif n'est pas seulement de divertir mais d'apprendre, de se former. La Défense est un des premiers secteurs à avoir vu dans les jeux vidéo un moyen d'entraînement, mais surtout de propagande. Aux Etats-Unis, il y a une forte assimilation entre l'armée et les « serious games ». En Europe, le phénomène se développe.

C'est l'armée américaine, sous l'ère Bush, la première à investir l'industrie du jeu vidéo. En 2002, elle crée le premier « serious game » militaire : America's Army, un jeu de tir tactique, disponible sur Internet, DVD, consoles et même téléphone mobile. Les joueurs réalisent des exercices d’entraînement militaire et des missions de combat, dans la peau d'un soldat. L'armée américaine y a mis le prix. Le jeu aura coûté plus de 33 millions de dollars depuis ses débuts. Et si elle a tellement investi dans la création et le marketing de ce jeu, si elle l'a d'abord distribué gratuitement, ce n'est pas par amour des joueurs. America’s Army, et ses versions 2

et 3, sont avant tout un outil de propagande et un instrument de recrutement crucial pour l'armée américaine. Les meilleurs joueurs reçoivent un courrier officiel leur proposant d'intégrer les rangs militaires. Attirer un nouveau public, jeune et exalté, c'est aussi un bon moyen pour elle de redorer son blason après les

invasions controversées d'Irak et d'Afghanistan. De sérieux doutes s'élèvent

quant à l'efficacité de tels jeux. D'une part, ils ne montrent pas les horreurs de la guerre. Dans America’s Army 3, la violence est totalement aseptisée. Pas de sang, les impacts de balle font des petits “poufs” assortis d’une vague fumée.

On est loin des bains de sang et des corps démembrés de la réalité afghane ou irakienne. Un choix réfléchi permettant l'accès du jeu aux adolescents. Une manne pour attirer les jeunes dans son sillage. Ces « serious games » militaires, aussi réalistes soit-ils, ne peuvent remplacer la réalité du terrain. Il est impossible de reproduire

à l'écran les rythmes rapides et la confusion qui règnent sur un champ de bataille.

Il n'empêche que le phénomène continue à se développer. L'armée française, suédoise et britannique utilisent à leur tour des « serious games » militaires. Leur usage est moins répandu en Europe et ses objectifs quelque peu différents. Ils

visent d'avantage la coordination tactique que le tir ciblé. L'armée américaine a d'ailleurs elle-même revu les objectifs de ses « serious games ». Il ne s'agit plus d'anéantir l'ennemi mais de travailler en équipe, de faire face à des situations sociales comme de dialoguer avec les civiles par exemple.

Reste que le public visé, des jeunes entre 16 et 24 ans pour la plupart, pose problème. Quel rapport au réel ont ces jeunes, élevés aux jeu vidéo et munis de fusils d'assaut ? La grande polémique du jeu vidéo qui rend violent semble dépassée. Au delà, il est intéressant de remarquer comment une institution - et pas des moindres - s’adresse à son public en choisissant d’y voir des joueurs. Et jusqu'à quel point, elle accepte de se redéfinir en fonction de la vision du monde de ces joueurs. Ces jeux militaires se font par pallier, on récolte des bons points pour finir avec les honneurs. Il y a une sorte de « ludification » du monde qui inquiète.

OCEANE FEGE

ANALYSE

L'armée américaine utilise le jeu vidéo America's Army pour enrôler de nouvelles recrues. © America's Army

ENTRETIEN