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Finances publiques : politique budgétaire et droit financier

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FINANCES PUBLIQUES

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@ 1975, by Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Paris. I.S.B.N. 2-275-01384-9.

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FINANCES

PUBLIQUES 9 POLITIQUE BUDGÉTAIRE ET DROIT FINANCIER

Jean CATHELINEAU' Professeur à la Faculté de Droit

et des Sciences Economiques de Limoges

1 9 7 5

LIBRAIRIE GÉNÉRALE DE DROIT ET DE JURISPRUDENCE

R. PICHON & R. DURAND -AUZIAS 20 et 24, rue Soufflot, 75005 Paris

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INTRODUCTION

Les opérations financières des personnes publiques imprègnent de plus en plus la vie quotidienne des citoyens et provoquent, d'ailleurs assez souvent, des mouvements d'indignation de leur part : au nom de la justice fiscale, pour protester contre le retard mis à réaliser des équipements collectifs ou, au contraire, pour dénoncer l'impor- tance des dépenses militaires. C'est que les finances publiques tra- duisent à la fois l'emprise de l'Etat mais aussi les choix essentiels effectués par les pouvoirs publics dans les sociétés contemporaines. Les systèmes financiers peuvent être, ainsi, plus ou moins élaborés et contraignants, selon le degré d'intégration des institutions politi- ques et la conception économique ou sociale dominante.

1. — FINANCES PUBLIQUES ET INSTITUTIONS POLITIQUES

Si la science des finances publiques est assez fréquemment perçue comme un ensemble de règles et de principes ésotériques et com- plexes, cet aspect technique ne peut dissimuler le fait que les finances publiques entretiennent des relations, aussi bien avec les structures politiques, qu'avec l'action politique.

1. — STRUCTURES POLITIQUES ET POUVOIR FINANCIER

Le pouvoir financier apparaît le plus souvent comme un élément essentiel de l'affirmation d'une autorité politique autant sur le plan international qu'au niveau étatique.

C'est ainsi que les efforts de construction européenne sont notam- ment marqués par les accords et décisions des 21 et 22 avril 1970 qui ont pour effet d'attribuer des ressources propres (rempla-

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çant les contributions financières des Etats membres) aux Commu- nautés européennes à partir du 1er janvier 1975. Cette initiative en faveur d'une autonomie financière a été, et continue d'être consi- dérée, comme une des étapes politiques les plus importantes que les Communautés aient franchies depuis leur création. De la même façon on peut rappeler que la CECA est qualifiée d'institution « supra-étatique » essentiellement en raison de la prérogative dont dispose la Haute Autorité, depuis 1953, de percevoir directement des prélèvements sur les entreprises de production de charbon et d'acier des Etats membres.

Les relations entre les structures politiques et le pouvoir financier sont encore plus nettement marquées si l'on envisage l'Etat. Le roi exerçait, sous l'Ancien Régime un pouvoir monocratique sur le plan politique et, parallèlement, ne partageait avec aucune autre autorité le pouvoir financier dans l'Etat (les biens du monarque et les deniers publics furent longtemps confondus). La Révolution française rompt avec le passé à la fois en instituant un nouveau système politique fondé sur la séparation des pouvoirs et en consacrant le principe du consentement à l'impôt au profit des citoyens (art. 13 et 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen). Les révolutionnai- res ont pris, à cet égard, beaucoup de précautions lors de la rédaction de l'article 14 pour que le contrôle des crédits publics soit aussi complet que possible : « Tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants la nécessité de la contribu- tion publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée 1. » Par la suite, sous la pression conjuguée de nouvelles forces sociales et des exigences politiques le régime représentatif intégrera progressive- ment les éléments du régime parlementaire. Au xixe siècle, au terme de cette lutte contre le pouvoir royal, la bourgeoisie, qui a acquis une prépondérance indiscutable dans les Chambres grâce au suffrage censitaire parviendra à obtenir, sous la Restauration et la Monarchie de Juillet, non seulement le droit de consentir l'impôt mais également celui de contrôler les dépenses de façon très précise et détaillée. En 1835, les grands principes d'orthodoxie budgétaire (unité, annualité, universalité, spécialité), que nous connaissons encore à l'heure

1. Le principe du consentement des représentants des contribuables à l'impôt est apparu beaucoup plus tôt en Angleterre puisqu'il date de la grande charte de 1215. Les monarques essayèrent d'échapper à cette règle mais la Pétition des droits de 1628 renforça le principe. Le Bill des droits de 1689 consacre l'autonomie des finances publiques et la périodicité annuelle de l'autorisation parlementaire en matière de recettes (le roi s'interdisait de lever des impôts sans le concours du Parlement).

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actuelle, sont mis en place et consacrent, pour plus d'un siècle, le pouvoir financier primordial du Parlement qui est l'institution centrale du système politique libéral. Pouvoir politique et pouvoir financier sont deux pouvoirs difficilement dissociables.

2. — ACTION POLITIQUE ET MECANISMES FINANCIERS

Depuis la proclamation célèbre du baron Louis, ministre des Finances sous la Restauration, déclarant : « Faites-moi de la bonne politique et je vous ferai de la bonne finance », de multiples liens se sont tissés entre l'action politique et les mécanismes financiers.

La vie politique interne révèle qu'avant les élections, les partis politiques présentent, assez souvent, un programme financier ou fiscal qui correspond à une option fondamentale de leur plate-forme (projet réformateur par exemple). A la limite une formation politique peut demander dans son programme électoral l'abolition totale ou partielle des impôts : l'importance du prélèvement fiscal en Norvège a eu pour effet, lors des élections législatives de 1973 dominées par les problèmes fiscaux, d'entraîner la constitution d'un parti anti- impôts. De son côté le parti du Progrès qui a connu un relatif succès au Danemark lors d'élections récentes s'était donné comme objectif la suppression de l'impôt sur le revenu.

Une fois le scrutin intervenu, les finances publiques permettent la traduction dans les faits de la politique définie par le Gouverne- ment (cf. l'importance du rôle joué par la fiscalité dans le système suédois pour réaliser l'égalisation des revenus). L'étude des institu- tions financières permet à bien des égards de démonter et d'expli- quer le mécanisme de l'action politique. Dans les Etats fédéraux, par exemple, ce sont en partie les exigences financières qui ont conduit à une centralisation au profit des institutions fédérales (le budget fédéral des Etats-Unis est passé de 3 milliards de dollars en 1914 à 103 milliards en 1944).

Les événements politiques ont d'ailleurs souvent une origine finan- cière. On peut évoquer ici les nombreuses révoltes de l'Ancien Régime, les très importantes causes financières de la Révolution fran- çaise ou, encore, plus près de nous, le mouvement politique du poujadisme qui, amorcé en 1953, permettra à ce mouvement d'ob- tenir aux élections de 1956, 9,2 % des voix et 52 députés. Il est difficile de ne pas mentionner également la résistance de ce que l'on a appelé « le mur d'argent » et le changement politique imposé après la victoire du cartel des gauches aux élections de 1924.

La vie internationale est tout autant imprégnée de considérations financières. Les relations internationales peuvent se traduire en obli-

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gations financières (le régime des réparations prévu par le Traité de Versailles). A l'époque contemporaine du reste, les problèmes financiers ont pris une telle place dans les relations entre Etats qu'ils ont entraîné la création de nouvelles institutions originales. U en est ainsi notamment du Fonds Monétaire International qui tend à promouvoir la stabilité des relations monétaires internatio- nales ou de la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement qui cherche, au moyen de son capital souscrit par les états membres, à aider les investissements productifs dans les pays dévastés ou insuffisamment développés. De même, la mobilité des personnes et des capitaux dans le monde moderne soulève des difficultés dont la solution ne peut être trouvée sur le plan interna- tional que grâce à des notions ou des techniques spécifiques (béné- fice mondial, convention fiscale internationale).

Dans d'autres cas, par contre, les questions financières sont direc- tement à l'origine de problèmes nouveaux. C'est ainsi que des diffi- cultés importantes sont apparues, à partir de 1962, dans le fonction- nement de l'organisation des Nations-Unies : elles résultaient du refus opposé par plusieurs pays (notamment l'U.R.S.S. et la France) de contribuer aux frais des opérations des casques bleus au Congo et au Moyen-Orient et de l'impossibilité pratique de mettre en œuvre, comme le souhaitaient les Etats-Unis, l'article 19 du Statut de l'O.N.U. qui permet de retirer le droit de vote à ceux des membres qui n'acquittent pas leur quote-part des dépenses de l'organisation.

II. — FINANCES PUBLIQUES ET STRUCTURES ECONOMIQUES

A l'heure actuelle l'Etat dispose, avec le budget, d'un moyen très efficace pour orienter le jeu des forces économiques. Il y a, à cet égard, une situation radicalement différente entre le xixe siècle et le xxe siècle.

1. — L'ETAT LIBERAL DU XIXe SIECLE

Dans le système d'économie libérale du siècle dernier, en effet, les personnes publiques devaient avoir des activités aussi réduites que possible, se limiter aux tâches administratives essentielles sans empiéter sur le secteur des particuliers. Le rôle de l'Etat était seule- ment d'assumer la responsabilité des services publics (police, défense nationale, justice) correspondant à des fonctions de souveraineté

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et d'ordre (d'où la qualification d'Etat-gendarme). En matière éco- nomique la puissance publique s'abstenait systématiquement. Cette abstention de l'Etat était liée à la croyance en des mécanismes natu- rels et harmonieux de l'économie, dans « les lois du marché » que l'Etat et les collectivités publiques ne devaient pas venir troubler. Toute ingérence des pouvoirs publics dans les circuits économiques n'aurait pu, en conséquence, que provoquer des distorsions. Cette abstention correspondait également à une opinion qui n'a pas com- plètement disparu (elle est émise lors des controverses qui sont centrées sur les difficultés financières des entreprises nationalisées) selon laquelle les personnes publiques sont mal préparées à la conduite des entreprises industrielles ou commerciales et sont d'au- tant plus de mauvais gestionnaires qu'elles sont liées par des obliga- tions de service public. Le non-interventionnisme de l'Etat était lié enfin à une idée qui s'effacera lentement dans la jurisprudence et dans la pratique administratives à savoir qu'il y a un domaine naturel d'activité de l'Administration (c'est la théorie du service public par nature qui est consacrée encore au début du xxe siècle). Deux secteurs apparaissaient ainsi nettement distincts : le secteur administratif pris en charge à titre principal par l'Etat, et le secteur économique laissé à l'initiative des particuliers.

Les implications financières de l'Etat libéral étaient les suivantes : les dépenses publiques étaient d'un montant limité (en 1913 elles représentaient seulement 9,5 % du Produit National Brut) et avaient un caractère homogène (les dépenses étaient uniquement de nature administrative). La conception des finances publiques était une conception neutraliste et juridique. La science des Finances de l'époque libérale se présente, selon l'expression de Gaston Jeze comme « l'étude des moyens par lesquels l'Etat se procure les ressources nécessaires à la couverture des dépenses publiques et en répartit les charges entre tous les citoyens ». En d'autres termes les problèmes financiers de l'Etat se ramenaient à couvrir les dépenses publiques jugées indispensables (en évitant tout déséqui- libre budgétaire qui pouvait perturber les mécanismes économiques) et à répartir les charges entre tous les citoyens de façon égalitaire.

2. — L'ETAT INTERVENTIONNISTE DU XXe SIECLE

Les structures politiques et économiques ont été profondément modifiées, bouleversées depuis le début du xxe siècle sous l'influence des guerres, des crises économiques, de l'instabilité monétaire. La philosophie libérale du siècle dernier a dû céder le pas à des idéo- logies (solidarisme, socialisme) et à des politiques accordant à l'Etat

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une place beaucoup plus importante dans l'organisation de la vie de la nation du fait de la transformation des demandes sociales. Cette extension des attributions de la puissance publique a eu des conséquences directes sur le domaine et le rôle des Finances (publiques.

a ) L 'extension du domaine des finances publiques.

Les collectivités et personnes publiques ont élargi considérable- ment leur champ d'activité à l'époque moderne.

L'Etat, plus particulièrement, a multiplié et diversifié ses interven- tions depuis plus d'un demi-siècle. C'est ainsi que la puissance publi- que, pour des raisons économiques et politiques, s'est faite indus- trielle et même commerçante en créant des services publics et des établissements publics à caractère industriel et commercial (offices puis entreprises nationalisées). Si dans le secteur de l'énergie les nou- velles responsabilités de l'Etat se sont manifestées essentiellement par la création de personnes publiques (Electricité, Gaz de France, Houillères, Commissariat à l'énergie atomique), dans le domaine des transports la puissance publique a développé ses interventions par des participations, le plus souvent majoritaires, dans des sociétés d'économie mixte (Air-France, S.N.C.F., Compagnie générale Trans- atlantique...). Les pouvoirs publics exercent dans ces deux domaines une action d'autant plus déterminante qu'ils lancent et financent également des programmes de recherche (recherche pétrolière et nucléaire, programme spatial...).

Dans les autres secteurs de l'économie (intéressant aussi bien le tourisme ou l'artisanat que la production industrielle) les modalités de l'aide financière de l'Etat sont variées. C'est ainsi que des sub- ventions, des primes, des allégements fiscaux, des prêts sont accordés pour faciliter la décentralisation, la reconversion ou l'expansion des entreprises 2. Des accords, qui se traduisent par une participation publique plus ou moins importante, ont, par ailleurs, été passés ,avec certaines activités privilégiées : sidérurgie (Convention de 1966), informatique (plan calcul de 1967).

Au niveau des collectivités locales, des constatations semblables peuvent être faites. En partant, au début du siècle, d'un interven- tionnisme de crise — le socialisme municipal — les communes ont été amenées, devant la croissance des besoins collectifs, à élargir leur champ d'activité d'une façon constante. Le développement des

2. De 1969 à 1973, 2 260 opérations d'implantation ou d'expansion ont été engagées avec l'aide de primes et ont entraîné la création de 215 000 emplois industriels.

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attributions des collectivités locales dans le domaine économique 3 est lié à des innovations jurisprudentielles du Conseil d'Etat à partir de 1930, mais aussi à deux textes importants : le décret-loi du 28 décembre 1926 qui permet aux communes d'exploiter directe- ment des services publics à caractère industriel et commercial, et le décret du 20 mai 1955 qui admet pour la première fois que les prises de participation des communes dans les sociétés d'économie mixte peuvent être majoritaires.

En outre, les pouvoirs publics ont pris en charge — depuis la fin de la deuxième guerre mondiale — l'essentiel des responsabilités en matière d'aide et d'assistance. Le budget, instrument de transferts tou- jours plus importants, essaie de compenser les inégalités que mul- tiplie l'Etat moderne par un système de protection et d'aide qui s'adresse à des catégories toujours plus nombreuses (aux femmes et aux enfants sont venus s'ajouter les vieillards, les handicapés, les anciens combattants, les chômeurs, les petits salariés, les étudiants, les immigrés, les rapatriés, les artisans, etc.). Les transferts de revenus représentent plus du quart des charges publiques inscrites dans la loi de Finances.

Finalement l'Etat assume, à l'époque actuelle, moins une protection de l'individu (correspondant au schéma classique du contrat social), qu'une responsabilité collective qui le fait agir par des techniques globales (planification, aide et sécurité sociale, fonds de solidarité, aménagement du territoire) sur les structures économiques et sociales, en assurant des niveaux de satisfaction correspondant aux exigences, de l'époque (il s'agit d'un phénomène général : d'après l'O.C.D.E., le pourcentage moyen des dépenses de transfert des Etats-membres qui représentait 6 % du P.N.B. en 1955-1957, s'élevait à 8,5 % en 1967-1969).

b) L'aspect économique des finances publiques.

L'interventionnisme des collectivités publiques dans le secteur éco- nomique au xxe siècle a eu, notamment, pour effet, de modifier la conception initiale — exclusivement juridique — des finances publi- ques. Etant donné l'aspect qualitatif du budget moderne (l'apparition de dépenses d'intervention économique, de dépenses de transfert) et sa dimension quantitative (les 50 milliards ont été atteints en 1956, les 100 milliards dépassés en 1965 et le budget de 1975 est supé- rieur à 250 milliards) 4 il n'est plus possible de considérer les dépenses de l'Etat comme un phénomène sans importance, extérieur à la vie

3. Sur un plan général la masse des dépenses d'investissement est celle qui, dans les budgets locaux, augmente le plus rapidement à l'époque actuelle.

4. Pour les seules opérations du budget général.

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de la Nation. Bien au contraire, les finances publiques renforcent sans cesse leurs liens avec l'économie. Le budget fait partie d'une politique économique globale qui comprend également la politique monétaire, la politique des prix, etc. Le volume et la structure du budget sont adaptés à la conjoncture économique pour essayer d'en corriger certains effets. On peut remarquer d'ailleurs que les gouvernants accordent un rôle de plus en plus déterminant au budget pour assurer la réalisation de la politique économique et lui donner le plus de cohérence possible. La primauté de ces considéra- tions s'est répercutée sur l'organisation du Ministère des Finances qui a progressivement diversifié et rénové ses services pour, à la fois, assurer la direction de l'économie (secteur public mais aussi secteur privé) et réaliser une coordination de l'action économique et de la politique budgétaire. En quelques années ainsi le Ministère des Finances s'est transformé en Ministère des Finances et des Affaires économiques auquel a succédé le Ministère de l'Economie tet des Finances.

La question se pose de savoir si, actuellement, les finances publi- ques ne sont pas plus proches de la science économique que des sciences juridiques lorsqu'on constate que des notions nouvelles, telles que celles de comptes économiques de la Nation ou de budget éco- nomique, occupent une place toujours plus importante dans l'étude des sciences financières. On peut alors être tenté de répondre qu'il y a eu passage — sans transition — de la législation financière du XIX8 siècle (centré sur les seuls problèmes juridiques et comptables) à l'économie financière du xxe siècle. Il est certainement excessif de schématiser de façon aussi simple l'évolution des finances publiques mais il n'en reste pas moins vrai que celles-ci ont acquis, à l'époque contemporaine, une dimension économique qu'il est difficile de méconnaître.

III. — LE PARTICULARISME DES FINANCES PUBLIQUES

Si les finances publiques présentent désormais un aspect économi- que qui permet de faire des rapprochements et d'esquisser des comparaisons avec les méthodes du secteur et du droit privé, elles constituent, cependant, une discipline dont le particularisme tient à la nature même de son objet.

1. — FINANCES PUBLIQUES ET FINANCES PRIVEES

A un premier examen il ne semble pourtant pas qu'il y ait de différences fondamentales entre les problèmes financiers qui se

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posent aux particuliers, ou aux sociétés, et ceux qui se posent à l'Etat. En effet, comme toute personne raisonnable, l'Etat doit pré- voir ses dépenses et ses recettes, établir un budget, faire des choix. De même, comme un simple particulier, l'Etat peut emprunter ou, éventuellement, se faire prêteur. A bien des égards aussi, la situation financière d'une personne privée ou publique est le meilleur moyen de mesurer le degré de liberté, d'autonomie de cette personne. Enfin on peut observer que, de plus en plus, l'Etat gère des entre- prises, utilise des formes comptables (Plan comptable) voisines de celles utilisées dans le commerce et l'industrie, alors que dans ces secteurs, inversement, les notions de programmation, de prévision et de contrôle budgétaires, empruntées à la terminologie des spécia- listes des finances publiques, sont aujourd'hui usuelles.

Cependant les finances publiques diffèrent des finances privées sur plusieurs points importants. Un élément de divergence essen- tiel tient tout d'abord dans le fait que l'Etat est au service de la col- lectivité, remplit des fonctions d'intérêt général, gère des services publics. Dans ces conditions la personne publique n'a pas, comme un particulier, à dégager des ressources supérieures à ses dépenses, à tirer un profit de son activité. Un autre élément de différenciation entre finances publiques et finances privées apparaît dans la dispro- portion des moyens juridiques utilisés et des masses budgétaires con- sidérées. Les finances publiques, contrairement aux relations finan- cières d'ordre privé qui se situent sur un plan d'égalité, mettent en œuvre des prérogatives exorbitantes du droit commun. Une bonne illustration est donnée par l'impôt qui est un prélèvement obligatoire et forcé. Pour son recouvrement, l'administration du Trésor dispose d'un privilège et peut utiliser des moyens de contrainte tels que la saisie ou, éventuellement, la vente des biens. Il existe également une disproportion spectaculaire entre les moyens financiers des personnes publiques et des personnes privées. Les collectivités publiques, et notamment l'Etat, disposent de masses budgétaires sans commune mesure avec celles sur lesquelles agissent les particuliers. On peut relever, dans ce sens, que l'Etat est, par les marchés qu'il passe, le plus gros entrepreneur de la Nation : le montant des paiements effectués en 1971 (au titre des marchés et avenants conclus la même année ou antérieurement) représentait 27 326 millions. De la même façon l'Administration est, de très loin, l'employeur qui a le plus de salariés (fonctionnaires, agents publics et privés) dont le nombre est en augmentation constante (le nombre total des agents de l'Admi- nistration est passé de plus de 1300 000 en 1950 à environ 3 500 000 en 1972).

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2. — FINANCES PUBLIQUES ET DROIT PUBLIC En réalité, il existe des liens naturels entre la science des finances

et le droit public, qui peuvent aller jusqu'à une. véritable intégration aux règles constitutionnelles ou aux principes du droit adminis- tratif. Ainsi peut-on constater qu'actuellement les procédures finan- cières sont soumises aux techniques prévues par la Constitution (art. 40 à 47 de la Constitution du 4 octobre 1958), alors même qu'au xixe siècle la législation financière a constitué, pendant long- temps, l'un des chapitres des manuels de droit administratif. Il faut surtout remarquer que l'étude des finances publiques est de plus en plus indispensable pour effectuer une analyse réaliste du fonc- tionnement des pouvoirs publics et des institutions administratives. En effet, la mise en œuvre des mécanismes financiers agit sur l'équilibre des pouvoirs publics (aussi bien dans les relations entre les assemblées et le Gouvernement qu'à l'intérieur de la formation gouvernementale au profit du ministre de l'Economie et des Finances qui dispose de moyens d'action privilégiés par rapport aux autres ministères). La discussion budgétaire qui a lieu tous les ans au Par- lement est, de son côté, le moyen d'établir un dialogue entre la majorité et l'opposition, et reste, malgré tout, l'un des procédés essen- tiels de contrôle de l'action gouvernementale. Enfin, le fonctionne- ment des institutions administratives ne peut être vraiment cerné et appréhendé si l'on néglige les processus financiers qui décri- vent leurs activités : il y a notamment, assez souvent, une opposition marquée entre l'affirmation d'un principe d'autonomie juridique et l'existence d'un phénomène de dépendance financière des collectivités publiques infra-étatiques à l'égard de l'Etat dont seule l'étude des finances publiques permet de rendre compte.

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PLAN

PREMIERE PARTIE : LES MOYENS D'ACTION BUDGE- TAIRES ET FINANCIERS DES PERSONNES PUBLIQUES (Budget, Politique budgétaire, Activités financières).

DEUXIEME PARTIE : LE DROIT FINANCIER (Droit budgé- taire, Droit de la comptabilité publique).

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R a t i o n a l i s a t i o n des c h o i x budgéta i res .

R e v u e d e science f inanc iè re .

R e v u e d u Trésor .

S ta t i s t iques e t E t u d e s f inanc iè res .

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PREMIERE PARTIE

LES MOYENS D'ACTION BUDGÉTAIRES ET FINANCIERS

DES PERSONNES PUBLIQUES

Traditionnellement l'étude des finances publiques comporte essen- tiellement, sinon à titre exclusif, une (analyse des mécanismes politi- ques et comptables, créés et mis en œuvre pour assurer la régularité du processus budgétaire dans ses différentes phases (préparation, autorisation, exécution, contrôle). 'Le droit financier qui regroupe le droit budgétaire et le droit de la comptabilité publique, permet notamment d'assurer, depuis le début du XIXe siècle, un contrôle strict de certaines institutions (Parlement, Cour des Comptes) sur les dépenses et les recettes publiques étatiques.

Or, à l'époque contemporaine, le déclin du Parlement, mais aussi révolution et 'la transformation des attributions de l'Etat et des personnes publiques justifient que l'on envisage les finances publi- ques en dépassant le seul éclairage donné par l'examen des techni- ques juridiques. Les moyens d'action budgétaires et financiers des personnes publiques se sont, en effet, considérablement développés et doivent être étudiés autant au niveau des tiens qui unissent les finances publiques à l'économie qu'à celui des relations que les personnes publiques entretiennent entre elles.

Il sera alors sans doute plus facile d'appréhender la diversité des activités budgétaires et financières publiques et d'apprécier le pou- voir financier respectif des différentes collectivités publiques :

Chapitre I : Les notions de loi de finances, budge t e t comptes publics.

Chapitre II : La poli t ique budgé ta i re de l 'Etat. Chapitre III : Les activités f inancières des collectivités publi-

ques.

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CHAPITRE PREMIER

LES NOTIONS DE LOI DE FINANCES, BUDGET ET COMPTES PUBLICS

Les institutions financières étaient centrées jusqu'à une date récente sur la notion de budget. Celui-ci était un document unique qui prévoyait et autorisait toutes les recettes et les dépenses de l'Etat. La diversification des interventions de l'administration, notam- ment après la deuxième guerre mondiale, s'est traduite par une multiplication des comptes publics qui a entraîné à la fois le dépas- sement et l'éclatement du budget de type classique.

Pour prendre en considération les objectifs nouveaux de caractère économique et financier, et retracer les différentes actions de la puissance publique, un cadre nouveau, plus large, la loi de finances, s'est progressivement substitué à la notion comptable et étroite de budget.

Le principe de l'unité budgétaire, qui avait été remis en question au milieu du xxe siècle, a pu être ainsi reconstitué. Le budget et les différents comptes publics de l'Etat ont été regroupés dans la loi de finances. Par contre, les budgets et comptes des collectivités locales et des établissements publics restent extérieurs à la loi de finances.

Section 1

LE PRINCIPE DE L'UNITE BUDGETAIRE ET SON EVOLUTION

Le xixe siècle a mis en évidence le principe de l'unité budgétaire, c'est-à-dire la règle selon laquelle « l'ensemble des recettes et des

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dépenses de l'Etat doit être présenté dans un seul document ». G. Jèze a notamment souligné les caractéristiques et avantages de ce principe, dont on peut voir les justifications et l'évolution.

§ 1. — LES JUSTIFICATIONS DU PRINCIPE DE L'UNITE BUDGETAIRE

Historiquement le principe de l'unité budgétaire s'est justifié pour deux séries de raisons :

10 Des raisons techniques d'abord : l'unité budgétaire rend possible une présentation claire des recettes et des dépenses de l'Etat : par le jeu de deux additions, on obtient le total des dépenses et des recettes. C'est également une règle de sincérité qui veut interdire les dissimulations et un éventuel déséquilibre budgétaire. Enfin, la présentation simultanée des crédits est le moyen d'effectuer une com- paraison de l'utilité relative des dépenses, et d'établir un ordre de préférence ou d'urgence.

0 Des raisons politiques ensuite : le XIXe siècle est le siècle du développement du parlementarisme. Or le principe de l'unité budgé- taire rend efficace la surveillance du Parlement sur le gouverne- ment. La réunion des comptes publics dans un seul document permet aux représentants de la Nation d'avoir une connaissance à la fois globale et précise du budget de l'Etat. Les choix et arbi- trages effectués par les autorités gouvernementales en matière de dépenses publiques sont soumis au contrôle politique des assem- blées qui jugent aussi de l'effort demandé aux citoyens pour assurer la couverture des charges nationales.

On peut considérer que les conditions d'existence et de maintien du principe de l'unité budgétaire ont été à peu près réunies jusqu'à la première guerre mondiale. A ce moment-là, commence en effet le processus de dégradation du principe de l'unité budgétaire.

§ 2. — L'EVOLUTION DU PRINCIPE DE L'UNITE BUDGETAIRE

A vrai dire, le principe de l'unité budgétaire n'a jamais été inté- gralement respecté. Dès le xixe siècle lui-même, apparaissent à côté du budget ordinaire, des budgets extraordinaires qui retracent deux catégories d'opérations. Dans certains cas, les budgets extraordi- naires correspondent à l'exécution de travaux publics (il en est ainsi sous la Monarchie de Juillet de 1837 à 1840, pendant le

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Sous-section I. — Les contrôles de l'administration des finances 183

§ 1. — Le contrôle exercé par des corps spécialisés : Contrôleurs financiers et Inspection des Finances. 184

§ 2. — Le contrôle exercé par la voie hiérarchique . . . 190 Sous-section II. — Les contrôles effectués par des juri-

dictions 192

§ 1. — La Cour des comptes 193

§ 2. — La Cour de discipline budgétaire 200

> Sous-section III. — Les contrôles effectués par le Parle- ment 203

§ 1. — Le contrôle en cours d'exécution de la loi de finances 203

§ 2. — Le contrôle a posteriori : la loi de règlement . . 205

ANNEXE : Ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209

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