FLB - Unknown

Embed Size (px)

Citation preview

2

Mille mercis tous ceux qui mont aid me retrouver parmi les mandres des courants idologiques de ces F.L.B. Penses toutes particulires pour Per LOQUET et Michel HERJEAN (Skoazell Vreizh), Bernard LE NAIL (Skol-Uhel ar Vro - Institut Culturel de Bretagne), Denez RIOU (Emgann), pour le professeur Jacques CHEVALLIER (Paris II) qui a dirig le mmoire de D.E.A. dont est issu cet ouvrage, et pour Yann FOUR et Morvan LEBESQUE qui ont veill ma bretonnit.

3

Mlie et sa coiffe.

4

Lhrosme est irremplaable car il nest pas donn beaucoup : mais lhrosme peut lui-mme rester vain sil nveille pas dcho, sil ne provoque pas ladmiration et la fiert en restant incompris. Yann FOUR, La patrie interdite.

5

Abrviations et sigles: A.C.R.. : Action Rgionaliste Corse A.F.P.: Agence France Presse A.N.P.E. : Agence Nationale Pour lEmploi. A.R.B.: Arme Rpublicaine (ou Rvolutionnaire) Bretonne B.N.P.: Banque Nationale de Paris Bzh : pour BreiZH, Bretagne C.A.P.E.S. : Certificat dAptitude au Professorat de lEnseignement du Second degr C.F.D.T.: Confdration Franaise Dmocratique du Travail C.G.T.: Confdration Gnrale du Travail C.N.B.L.: Comit National de la Bretagne Libre C.O.D.E.R.: Commission de Dveloppement Economique Rgional C.O.G.E.M.A. : COmpagnie GEnrale des MAtires nuclaires C.R.B.: Comit Rvolutionnaire Breton C.R.S. : Compagnie Rpublicaine de Scurit C.S.E.: Cour de Sret de ltat C.U.A.B. : Comit pour lUnit Administrative de la Bretagne D.D.E. : Direction Dpartementale de lEquipement D.D.A. : Direction Dpartementale de lAgriculture D.E.U.G. : Diplme dEtudes Suprieures Universitaires Gnrales E.D.F. : Electricit De France E.T.A.: Euzkadi Ta Azkatasuna (Pays Basque et Libert) F.L.B.: Front de Libration de la Bretagne F.L.N.: Front de Libration Nationale (algrien) F.L.N.C. : Front de Libration Nationale Corse F.L.N.K.S.: Front de Libration National Kanak et Socialiste F.S.A.B. : Front Socialiste Autogestionnaire Breton I.N.L.A.: Irish National Liberation Army ( Arme de Libration Nationale Irlandaise ) I.R.A.: Irish Republican Army ( Arme Rpublicaine Irlandaise ) J.E.B: Jeunesse Etudiante Bretonne

6

J.O. : Journal Officiel de la Rpublique Franaise L.N.S.: Libration Nationale et Socialiste M.O.B.: Mouvement pour lOrganisation de la Bretagne O.A.S.: Organisation Arme Secrte O.R.T.F.: Organisation de Radiodiffusion et Tlvision de France P.C.B.: Parti Communiste Breton P.C.F.: Parti Communiste Franais P.N.B.: Parti Nationaliste Breton P.O.B.L. : Parti pour lOrganisation dune Bretagne Libre P.S. : Parti Socialiste P.S.U.: Parti Socialiste Unifi R.N.B.: Rseau Nationaliste Breton S.A.B. : Stourm Ar Brezhoneg (Le Combat de La Langue bretonne) S.A.V. : Strollad Ar Vro (Parti du Pays) U.D.B.: Union Dmocratique Bretonne U.N.E.F. : Union Nationale des tudiants de France U.R.B. : Union Rgionaliste Bretonne U.R.S.S.A.F.: Union de Recouvrement des cotisations de Scurit Sociale et dAllocations Familiales.

8

SOMMAIRE :

PREMIRE PARTIE: Lmergence (1966 - 1969). Dans la continuit du courant nationaliste traditionnel.

20

CHAPITRE 1 : La progressive structuration du mouvement. CHAPITRE 2 : La lutte contre loccupant franais .

22 39

DEUXIME PARTIE: La confrontation (1971 - 1981). Laffirmation dune ligne politique. CHAPITRE 1 : Les versions socialistes de la Libration de la Bretagne. CHAPITRE 2 : Vers un dfinitif ancrage gauche.

53 55 66

TROISIME PARTIE: Laccalmie (1981-1996). Quelle place pour un mouvement arm aujourdhui ? CHAPITRE 1 : Les avances sur le terrain lgal. CHAPITRE 2 : Vers de nouveaux fronts de lutte ?

79 82 99

9

La Bretagne est une Terre de lgendes, hritage de son pass celtique pour certains. Chaque gnration de Bretons est ainsi nourrie de contes fabuleux, o se croisent des korrigans malicieux, des paysans qui deviennent rois, ou mme la Mort personnifie, lAnkou. Mais parmi tous ces rcits raconts lors des veilles, il y en a un qui a toujours veill ma curiosit plus que tout autre. Ses hros y avaient troqu leurs pes et leurs armures tincelantes contre du boued, de la dynamite, et ils ne combattaient non pas quelques dragons ou gants, mais un adversaire plus terrible encore : lEtat franais, source de tous les maux pour la Bretagne... Trois lettres restaient marques dans les esprits le conte termin : F.L.B. En grandissant un peu, on apprend que, non, ce nest pas quune lgende, des Bretons ont rellement poser des bombes pour librer la Bretagne . Le conte traditionnel se transforme alors en polar. Comment ne pas reconnatre que ces bombes suscitent un certain romantisme chez tout adolescent qui se politise et se dcouvre des affinits avec lemsav 1 ? On suit les exploits de ces plastiqueurs tmraires, on en parle dans les cafs, parfois en dsapprouvant en bloc de telles actions, mais aussi et le plus souvent avec une certaine sympathie: le F.L.B. bnficie dun capital motionnel vident. Pourtant, passer ce stade, le commun des Bretons ne sait que trs peu de choses sur ce Front de Libration de la Bretagne.

Cet ouvrage espre sortir le F.L.B. de la bibliothque du conte pour ternels enfants ou de la srie noire. Il ne sagit pas ici de dmythifier cote que cote le Front de Libration de la Bretagne, ou au contraire dentretenir sa lgende ; mais de se concentrer sur les sries dattentats et de communiqus venant les justifier qui ont marqu son parcours, pour comprendre le pourquoi et le comment de son existence, 1

Emsav, prononcer [ emzao ], signifie selon les cas rveil, rsurrection, ou soulvement, mouvement (politique). Ce mot dsigne traditionnellement le mouvement breton en gnral, recouvrant des ralits trs diffrentes, du groupe de pression breton vocation conomique lassociation culturelle. Sil est trs potique, il a justement linconvnient de cacher cette grande diversit, voulant laisser prsager une unit l o il ny en a pas forcment, sujet sur lequel nous reviendrons largement dans cet ouvrage.

10

travers une analyse de son discours politique. 1966-1998 : ce sont plus de trente ans qui ont vu le mouvement clandestin faire parler la poudre. Pour les uns, il est encore trop tt pour analyser cette priode, argument avanc par les services de police, de la S.R.P.J. de Rennes au Ministre de lIntrieur, qui ont refus de sexprimer sur le sujet lors des recherches. Pour les autres, sattarder sur le phnomne F.L.B. ne prsente aucun intrt, car sagissant dune priode rvolue du mouvement breton. Certains interlocuteurs rencontrs au cours des recherches ont eux estim que le Front de Libration de la Bretagne doit tre laiss dans le placard des lgendes. A cela, ils objectent deux raisons : dabord, il ne faut pas que le mouvement arm, mme sil suscite lgitimement la curiosit, devienne un nouvel objet folklorique , le poseur de bombes remplaant Bcassine 2, faisant trop dombre au mouvement breton lgal. Ensuite, peut-tre le F.L.B. nest-il effectivement quun mythe, judicieusement entretenu, et absolument pas lorganisation clandestine quon veut bien croire. On a parfois souri en apprenant mon intention dtudier le phnomne F.L.B. : Quel phnomne ? Le F.L.B. na jamais t le fait que de quelques joyeux drilles qui, aprs une soire bien arrose, ont dcid de librer la Bretagne . Pur mythe ? On peut certes imaginer que les organigrammes dvoils dans des rapports confidentiels du Ministre de lIntrieur sont de la pure intox orchestre par une poigne de militants, pour faire croire une vritable arme de libration. Seulement, lEtat franais se serait-il laiss aussi facilement berner ? Aurait-il engag autant de moyens pour dmanteler les F.L.B. successifs, aurait-il pris la dcision - importante - de soumettre des militants devant la Cour de Sret de lEtat, sil ne sagissait que dune lgende ? Il est clair quune organisation clandestine de libration de la Bretagne a exist (et existe encore, bien que sous une forme plus anecdotique) ; quelle ait t marque par le sceau de lamateurisme, par les carences organisationnelles, et par labsence dune ligne politique prcise, cela ne fait aucun doute, et cest mme prcisment ce que nous allons tcher de mettre au clair ici. Car cest ltude du F.L.B. travers ses textes, bien plus qu travers ses bombes, que nous tenterons de raliser ici. Mais pour cela, une srie dcueils doit tre vite.

2

LE DANTEC (Jean Pierre), Bretagne, renaissance dun peuple, Ed. Gallimard, 1974, (330 pp.), p. 322

11

Tout dabord, analyser le discours politique des F.L.B., puisque cest de cela dont il sagit, nentrane pas les mmes mthodes de recherches quun historien, un commissaire de police ou un journaliste. Eviter de se cantonner un pur descriptif historique, ou de tomber dans le romanesque , voil qui est parfois difficile

travaillant sur un sujet aussi excitant que le F.L.B.. Et puis, une analyse scientifique demande de lobjectivit. Si peu douvrages concernent strictement le F.L.B., bon nombre parmi eux voient leur contenu passablement dulcor, car rdigs par des militants convaincus. Cest de bonne guerre mais, il ne sagit pas ici de contenter de faire le procs de lEtat franais, ou loppos, celui du F.L.B..

Ensuite, seconde limite possible ltude de lorganisation clandestine, se pose lvident problme des sources, justement parce que le Front est clandestin, et parce que des militants continuent laction arme aujourdhui3 . Les informations utilises ici proviennent de sources trs diverses : croisant celles recueillies au gr des ouvrages traitant du mouvement breton, des coupures de presse, et surtout des tracts et communiqus de lorganisation4; les documents de police5 ; et les tmoignages de diffrentes personnalits du mouvement breton ou danciens membres du F.L.B.. Laccueil de ces derniers a t particulirement chaleureux, et mme si je pouvais craindre lorigine des rticences (on ne sait jamais... Les R.G. sont partout !), ils mont finalement ouvert leur porte avec la plus grande sympathie. Quils en soient encore remercis ici. Enfin, un troisime problme sest pos pour cette tude, tenant au fond mme : pour analyser le discours politique des diffrents F.L.B. depuis 1966, il fallait des repres politiques . Il sera finalement fait rfrence ici un classique dcoupage

3

Durant lanne 1996, dernires manifestations du F.L.B.-A.R.B., on peut dnombrer une dizaine dattentats : gendarmerie de Louvign-du-Dsert (35) le 10 fvrier; Trsor Public de Rennes le 16 avril; Compagnie Gnrale des Eaux de Morlaix (29) et de Crach (56), et Lyonnaise des eaux de Fouesnant (29), le 23 mai; plusieurs installations E.D.F en juin; et surtout contre la Cit Judiciaire de Rennes, le 5 septembre.4

Certains proviennent du Centre Rennais dInformation sur la Bretagne (C.R.I.B.), mais la majorit a t fournie par danciens militants.5

Au cours de cet ouvrage, un Rapport du Ministre de lIntrieur sera souvent cit. Il sagit dun document rdig par la Direction Gnrale de la Police Nationale loccasion du procs devant la Cour de Sret de lEtat de 1975, qui fait le point sur une bonne partie des informations dtenues cet poque par les services de police ; fourni par Per LOQUET, Prsident de Skoazell Vreizh, il ma t dune grande aide pour llaboration de lhistorique de lorganisation.

12

gauche-droite, reprenant lchiquier politique franais . Ce choix soulve certes les tolls de ceux qui vivent encore sur les bases dun mouvement breton uni dans le patriotisme breton , parfaitement monolithique. Mais sil est bien un mythe au sein de lemsav, cest bien celui-ci. Que ce soit en abordant lautonomisme en armes ou le mouvement politique lgal, le mot-cl est celui de diversit ; ou pour mieux dire, celui de diversification. On ne peut tudier les F.L.B. en vase clos. Le plan chronologique de cet ouvrage dbute avec le milieu des annes soixante. Or, cette date correspond un changement extrmement important au sein de lemsav de laprs-guerre : le M.O.B., Mouvement pour lOrganisation de la Bretagne, seul reprsentant politique du mouvement breton, clate. Les contradictions internes sont trop grandes : fin 1963, une large partie des militants, en majorit des tudiants et des universitaires, sengagent gauche, et crent lU.D.B., lUnion Dmocratique Bretonne. La sacro-sainte unit du mouvement breton daprs-guerre est brise : dsormais, on peut tre sentimentalement Breton et se dire politiquement de gauche6 ! Cest le fameux na gwenn, na ruz, Breton hepken... 7 - ni blanc, ni rouge, juste Breton - qui est contredit. Ceux qui sy attachent aprs 1964, M.O.B., puis Strollad Ar Vro et aujourdhui P.O.B.L. sont ironiquement vus par les militants bretons de gauche , non pas comme des na gwenn, na ruz , mais comme des ni gauche, ni gauche , autrement dit les reprsentants droitiers du mouvement politique.

Prenons un schma simpliste de loffre politique franaise, o une gauche, une extrme gauche, et loppos, une droite et une extrme droite, sont spares par un centre .

Extr. Gauche

Gauche

Centre

Droite

Extr. Droite

Les divisions idologiques qui interviennent depuis les annes soixante au sein

6

Le Parti Autonomiste Breton des annes vingt avait lui aussi vu, sur des bases similaires, le dpart de ses lments gauchisants en 1930, laissant le parti aux mains des nationalistes intgraux qui creront le Parti National Breton en 1932.7 Au

dbut du sicle, les Rouges taient les socialistes, les Blancs les conservateurs clricaux.

13

de lemsav font de ce schma une grille de lecture possible du mouvement breton. Mais sa limite apparat rapidement : elle ne rend pas compte des revendications relatives au statut de la Bretagne lui-mme. Tous les militants politiques bretons ne sont videmment pas des indpendantistes . Au sein de lemsav, on peut dgager - schmatiquement encore - quelques grands courants: - le rgionalisme, le plus modr ; - lautonomisme, plus ou moins pouss ; - un courant fdraliste, la marge du prcdent ; - et lindpendantisme, ou nationalisme, le plus radical.

Les diffrents mouvements politiques Bretons depuis le dbut du sicle sinscrivent dans cette division horizontale. Notre schma sen trouve complexifi, figurant un vritable chiquier :

Extr. Gauche Rgionalisme. Autonomisme. Fdralisme. Indpendantisme.

Gauche Centre Droite X X X X

Extr. Droite

Retenons quelques partis qui ont marqu lemsav depuis le dbut du sicle, pour mettre lpreuve ce tableau : - lanctre du mouvement politique breton est lUnion

Rgionaliste Bretonne (U.R.B.), cre en 1898. Ce parti est conservateur, et a pour mot dordre lanti-socialisme. On le classera donc plutt droite. Mais son discours est encore trs modr, faisant de lui un mouvement rgionaliste ; - le Parti National Breton (P.N.B.) de Fransez DEBAUVAIS et dOlier MORDREL de 1931, a vu ses leaders collaborer avec les occupants nazis. Son discours est radicalement indpendantiste-nationaliste et dextrme-droite, singeant parfois celui du IIIe Reich ; - le M.O.B., premier mouvement politique breton daprs-

14

guerre, regroupe globalement des fdralistes et des autonomistes modrs, et est plutt conservateur , marqu droite ; - lU.D.B., scission du M.O.B., se situe clairement gauche, et dun discours assez radical au dbut, est arriv a un programme autonomiste trs modr ; - le P.O.B.L.-Dmocratie Bretonne (cr en 1982) se rclame du nationalisme, et est plutt class droite, comme un hritier politique du M.O.B.; - Emgann (cr en 1983) est un mouvement socialistervolutionnaire et indpendantiste.

Le classement de ces divers mouvements nous donne le schma suivant :

Extr. Gauche Rgionalisme. Autonomisme. Fdralisme. Indpendantisme.

Gauche U.D.B. U.D.B.

Emgann

Centre Droite Extr. Droite X U.R.B. X M.O.B. X M.O.B. X P.O.B.L. P.N.B.

Voil qui montre combien le mouvement politique breton est largement diversifi. Une tude des F.L.B. doit tenir compte de cet lment : lhypothtique unit idologique au sein du mouvement arm est tout aussi illusoire quau niveau politique lgal . Rsolument nationalistes et indpendantistes, les F.L.B. successifs opteront selon les cas pour un discours plus ou moins traditionnel , ou plus ou moins socialiste . Cest cette problmatique qui sera au coeur de cet ouvrage : quelles analyses politiques ont caractris les diverses branches des F.L.B. ? Si lvolution se fera dans le sens dun gauchissement, dans un contexte franais et breton marqu par le gauchisme triomphant de la fin des annes soixante, les divers courants clandestins resteront cependant marqus par une division entre courant traditionnel droitier et courant socialiste rvolutionnaire. Ce ne sera dailleurs pas

15

toujours de faon trs heureuse quune problmatique de la lutte de classes sera insuffle par ces derniers celle dune libration nationale.

Devant la diversit des courants politiques au sein des F.L.B., une autre question est sous-jacente, et concerne la fonction mme du F.L.B. au sein du mouvement politique breton : chercher la cohrence ou non des analyses politiques des F.L.B. nocculte-t-il pas un autre problme ? En effet, peut-tre ne revient-il absolument pas au F.L.B. de traduire politiquement les problmes en Bretagne ? Pass son rle dveilleurs de conscience sur lequel nous reviendrons longuement, appartient-il au F.L.B. de rallier la population bretonne ? Ou bien est-ce plutt l le rle dun vritable parti breton, qui a toujours fait dfaut ? Le F.L.B. serait plus par l le rvlateur dune carence de la politique en Bretagne, que des problmes bretons eux-mmes...

Avant daborder ces questions, un rapide rappel historique de lindpendantisme breton simpose, certaines thses des F.L.B. faisant directement rfrence cet hritage8 . Arm ou non, clandestin ou lgal, lindpendantisme breton existe depuis que la Bretagne nest - justement - plus indpendante. Maintes ouvrages historiques relatent parfaitement cette perte dindpendance, et nous nous contenterons ici den rappeler les grandes lignes, pour mmoire et pour y chercher les origines idologiques du F.L.B..

Cette perte de souverainet est conscutive de lEdit du Plessis-Mac de septembre 1532, ngoci entre Franois Ier et les Etats de Bretagne, qui fixe les conditions dunion du Duch de Bretagne au Royaume de France. Le principe de ce trait est quen compensation de la perte de son indpendance, la Bretagne voit respecter ses privilges, comme par exemple la souverainet du Parlement de Bretagne et de la Justice9 ; les Etats de Bretagne doivent dans le mme esprit donner explicitement leur accord tout changement des institutions ou des coutumes de Bretagne (comme

8

Un rsum historique (ANNEXE I), tir de deux rfrences bibliographiques historiques, prsente succinctement le mouvement breton, de ses origines aux annes cinquante, date partir de laquelle dbute notre tude (cration du C.E.L.I.B.).9 Ainsi,

un Breton devait tre jug par des juges bretons, devant des juridictions bretonnes, et en Bretagne.

16

une fiscalit nouvelle...). La France va rapidement violer ces clauses du contrat, par lintermdiaire de ses monarques successifs et finalement des Etats Gnraux qui destiturent le Parlement de Bretagne lors de la fameuse nuit du 4 aot 1789 (sans son accord, videmment...). Voil pourquoi certains militants revendiquent encore aujourdhui la validit ce Trait, estimant quil a t illgalement viol mais quil nest pas frapp de caducit pour autant. Ainsi, des accuss-F.L.B. devant la Cour de Sret de lEtat en 1972 ont invoqu comme argument lincomptence de ce tribunal franais, sigeant Paris... Cest lune des revendications-phare de lindpendantisme breton traditionnel . Quoiquil en soit, ce trait de 1532 entendait mettre fin aux guerres qui opposaient la Bretagne la France depuis toujours. Mais depuis cette annexion, des Bretons continuent la lutte, le F.L.B. ntant au fond quun hritier de cette tradition rvolutionnaire en Bretagne, une Rvolte des Bonnets Rouges , mais transpose trois cents ans plus tard.

En 1675, COLBERT entend introduire de nouvelles fiscalits, entre autres sur le papier timbr et sur la vaisselle dtain. En violation des clauses du trait dUnion, cet impt est tendu la Bretagne, alors que le climat y est dj trs tendu, du fait de plusieurs annes agricoles dsastreuses. En quelques semaines, toute la Bretagne se soulve. Les insurgs se nomment selon les clans les Bonnets Rouges ou les Bonnets Bleus, mlant marins, paysans, nobles, recteurs... Le 2 juillet 1675, les rvolts exposent leurs revendications dans un Code Paysan, adopt la Chapelle de Notre-Dame de Trminou (actuel Finistre), qui slve contre les violations de la libert armorique10 , nostalgie du temps de la Duchesse Anne [o ] on ne nous traitait pas ainsi ! 11. Ajoutez ce Code une dose de lutte de classes, la dialectique de la colonisation de la Bretagne par la France, et troquez les fourches pour des pains de plastic et vous aurez une premire ide de ce qui fait le F.L.B.12...

10 11 12

BREKILIEN (Yann), Histoire de la Bretagne, Ed. France-Empire, 1993, (390 pp.), p.235. BREKILIEN (Yann), op. cit., p.236.

Patrick MONTAUZIER, un des deux plastiqueurs du chteau de Versailles (juin 1978), a dclar lors de son procs devant la Cour de Sret de lEtat que nous avons perptu le combat des Bonnets rouges en gratignant ce symbole du jacobinisme franais. (Ouest-France du 02.08.1978).

17

Nous ne reviendrons pas sur tous les soulvements populaires qui ont marqu la Bretagne. Retenons seulement quun tat latent de violence semble tre ancr dans la Province travers les sicles. A chaque nouveau soulvement, ce nest pas tant la France que Paris qui est dsign comme lennemi ; ou plutt la conception quon se fait du pouvoir dans la Capitale : le centralisme. Pour le F.L.B., ce sera au fond la mme analyse.

Il faut attendre les annes trente pour que cette violence se traduise par lapparition dune arme de libration clandestine , sous une forme assez similaire celle du Front de Libration de la Bretagne des annes soixante. Cest lpope du Gwenn-ha-Du 13. Le 7 aot 1932, ce groupuscule revendique lattentat contre le monument symbolisant lunion de la Bretagne la France14 , Rennes. Le contexte est alors celui des crmonies qui doivent avoir lieu Vannes, en clbration du quatrime centenaire de cette union, sous la prsidence dE. HERRIOT, prsident du Conseil. Le Gwenn-ha-du, qui se prsente comme la branche arme officieuse du Parti National Breton, poursuit durant quelques mois ses actions terroristes . Un Kuzul Meur, Grand Conseil , semble secrtement faire son apparition cette poque, runissant des reprsentants du P.N.B., du Gwenn-ha-Du et du Bleun Brug (association catholique de dfense de la langue bretonne). On retrouvera un autre Kuzul Meur lorsque sera tudi lorganigramme du F.L.B.-A.R.B. de 1966-1969.

Partant dune mme inspiration - des attentats le plus souvent symboliques Gwenn-ha-Du et F.L.B. ont deux audiences totalement diffrentes : lorganisation des annes trente est loeuvre dune petite poigne de militants extrmistes coups de la

13

Gwenn-ha-du, Blanc et noir, est le nom donn au drapeau breton, dessin dans les annes vingt par Morvan MARCHAL. Ce drapeau comporte neuf bandes horizontales - cinq noires pour les cinq vchs gallo de Haute-Bretagne, et quatre blanches pour les quatre vchs bretonnants de Basse-Bretagne - et un cusson blanc portant des queues dhermines, symbole du Duch de Bretagne.14

Ce monument reprsente, comble du bon got, la duchesse Anne de Bretagne genoux devant Charles VIII.

18

population bretonne, voir maudits par elle, tandis que le F.L.B. est un mouvement beaucoup plus populaire, recrutant dans toutes les couches sociales. Pour Morvan LEBESQUE, Gwenn-ha-Du, honni de la population, oprait en desperado, conomisait ses attentats et fuyait une police peu nombreuse qui ne russit jamais le dcouvrir ; le F.L.B., lui, tlphonait pratiquement ses coups dans un pays quadrill par les Renseignements.15

Aprs la seconde guerre mondiale, le mouvement Breton paie cher la drive de quelques leaders du P.N.B. qui ont directement collabor avec loccupant nazi. Aussi doit-il globalement se borner des activits purement culturelles, toute expression politique bretonne tant interdite. Mais mme ces activits culturelles doivent faire face une rpression anti-bretonne : un militant breton ne saurait tre quun pro-nazi, un collabo .... Cela suscite un vritable complexe chez de jeunes militants, et explique sans doute la surenchre gauche qui caractrisera un courant du Front de Libration de la Bretagne, sur quoi nous reviendrons. Cest par une voie dtourne - lconomie - que lemsav va pouvoir tre rhabilit.

Le 22 juillet 1950, Joseph MATRAY fonde le Comit dEtudes et de Liaison des Intrts Bretons (C.E.L.I.B.), Quimper. Runissant les diffrents milieux socioprofessionnels ainsi que la quasi totalit des lus bretons, il devient le premier Comit Rgional dExpansion conomique, selon les termes du dcret de dcembre de 1954, et obtient ce titre de nombreux avantages. Il sera financ par les conseils gnraux et les cotisations des collectivits adhrentes. Sous la IVe Rpublique, le C.E.L.I.B. dfend efficacement les intrts de la rgion. Mais lavnement de la Ve Rpublique change ce climat. Michel DEBR, premier ministre, nentend pas laisser se constituer de tels groupes de pression rgionaux, phnomne attentatoire lunit nationale ses yeux. La cration des prfets de rgion, en 1964, assists dorganismes consultatifs, les C.O.D.E.R., prive les Comits Rgionaux dExpansion Economique de

15

LEBESQUE (Morvan), Comment peut-on tre Breton ? Essai sur la dmocratie franaise, Ed. du Seuil, 1970, (235 pp.), p. 210.

19

toute reprsentativit officielle, le C.E.L.I.B. voyant sa lgitimit reprise par ces services dconcentrs.

Il est vrai que le climat social en Bretagne est plus que contestataire lpoque, sans doute trop aux yeux des dirigeants parisiens. Dailleurs, les manifestations paysannes offrent une occasion inespre ceux qui veulent reprendre la lutte arme : en soutenant la colre sociale, un mouvement clandestin peut rapidement gagner la sympathie de la population. Cependant, le voyage du Gnral DE GAULLE calme pour un temps les esprits16 en septembre 1960. Pourtant, les troubles reprennent ds le printemps 1961 : dans la nuit du 7 au 8 juin, quatre mille manifestants semparent de la sous-prfecture de Morlaix. Lun des leaders, Alexis GOURVENEC, est emprisonn et devient un vritable symbole. En Bretagne, routes, voies ferres, lignes tlphoniques sont pris pour cible. LEtat va tre contraint de ngocier avec le C.E.L.I.B., seul interlocuteur accept par les agriculteurs. En 1962, de nouvelles manifestations paysannes dgnrent.

Cest justement en 1962 que Michel DEBR refuse de raliser un programme conomique favorisant le dveloppement cohrent de la Bretagne. Devant ce refus, le C.E.L.I.B. va tout simplement se substituer aux pouvoirs publics et laborer sa loiprogramme, lors de son assemble gnrale du 13 juin 1962. Le C.E.L.I.B. fait ensuite pression pour que le gouvernement la prenne en considration. Le nouveau premier ministre, Georges POMPIDOU, dans une conjoncture politique dlicate, fait adopter par le Parlement une lettre rectificative au IVe Plan, prvoyant quau cours de lanne 1963, une loi-programme soit effectivement prsente au Parlement pour chaque rgion.

Mais les lections parlementaires de novembre 1962, ayant suivi la dissolution de lAssemble, entranent un raz-de-mare gaulliste. G. POMPIDOU ayant ds lors une forte majorit, le rapport de force tant dsormais en sa faveur, il tire un trait sur ces

16

Le Gnral de Gaulle entreprend les 8 et 9 septembre 1960 son voyage dans la rgion. A cette occasion, il dclare : Il y a des devoirs de la Bretagne vis--vis de la France, mais aussi des devoirs de la France vis--vis de la Bretagne... La Bretagne doit avancer : La France doit ly aider.

20

ventuelles lois-programmes. Les leaders du C.E.L.I.B. ont ds lors compris que le vent a tourn. Lalternative est simple : soit se retirer, soit se soumettre. En acceptant les fauteuils proposs la C.O.D.E.R. de Bretagne, J. MARTRAY comme secrtaire gnral, R. PLEVEN comme prsident, le sort du C.E.L.I.B. est entendu.

Lpope du C.E.L.I.B. pendant ces treize ans a eu un effet qui dpasse le domaine socio-conomique : le combat pour les intrts de la Bretagne a reu une nouvelle source de lgitimit. Mme si le C.E.L.I.B. na jamais rien eu voir avec un quelconque projet autonomiste, le mouvement autonomiste a lui au contraire largement profit des activits du C.E.L.I.B., car lorganisme lui a permis de sortir de lombre, propice au retour du courant nationaliste modr. Mais plus encore que permettre ce retour du mouvement politique lgal, cest lchec mme du C.E.L.I.B. qui a une autre consquence : utilisant le ressentiment lgard des pouvoirs publics qui en dcoule, la dception, le terrain est galement favorable la reprise du mouvement clandestin...

En 1956, une campagne de signatures est lance en faveur dun Programme dOrganisation de la Bretagne, qui demande une dcentralisation instituant une assemble rgionale lue. Devant le succs remport par le C.E.L.I.B., les initiateurs de cette ptition dcident de former le Mouvement pour lOrganisation de la Bretagne, M.O.B., en 1957. Mais il doit lui mme reconnatre quil constitue plus un mouvement quun parti, tant sa composition est htrogne idologiquement. Il y a un conflit de gnrations entre les anciens de lemsav, conservateurs, face de nombreux jeunes, inspirs par des ides de gauche. Lalignement mou du M.O.B. sur le C.E.L.I.B. fait que la disparition du Comit entrane le M.O.B. dans sa chute : de l, une grande partie des militants, constatant linefficacit dune action politique modre, se radicalise, avec pour toile de fond lexemple de lAlgrie qui smancipe au terme dune lutte anticolonialiste. Dcolonisation et socialisme internationaliste, lutte de classes : lexemple des pays en voie de dveloppement marque alors le mouvement breton. Survient alors la scission dj voque, fin 1963, qui voit la cration de LUnion

21

Dmocratique Bretonne. Le contexte de cette scission est dterminant, puisquil aura des consquences directes sur lapparition dun mouvement clandestin.

Cest alors le terrorisme de lO.A.S. qui marque lactualit de la politique franaise. Durant lanne 1963, la branche gauchiste du M.O.B. entend publier un communiqu signifiant la dsapprobation du mouvement lgard de telles pratiques terroristes. Or, la mollesse du texte, impose par des lments droitiers, est pour beaucoup dans le dpart de certains militants pour crer un parti de gauche. Il ne sagit pas de dire que les lments droitiers taient pro-O.A.S., mais que parmi eux, certains taient favorables la pratique terroriste. Cest juste aprs cette scission que le F.L.B. fait son apparition. Or, lU.D.B. a immdiatement condamn les attentats de lorganisation clandestine bretonne. On peut ds lors reconstruire le puzzle suivant, comme la justement fait J.P. LE DANTEC17: il ne semble pas trop htif de voir dans le F.L.B. une initiative dlments droitiers du mouvement breton, sans doute pour une bonne part dentre-deux des nostalgiques du courant Breiz Atao18 davant-guerre. Pour preuve : cest galement en 1963 que lI.R.A. entre dans une nouvelle campagne dattentats, la violence limite ; cette occasion, Yann FOUR, militant trs actif de lemsav (dont nous aurons largement reparler dans le cadre de ses supposes activits au sein du F.L.B.), parmi les leaders du M.O.B., fait alors lloge dun tel terrorisme la celte . O.A.S., I.R.A., climat de crise sociale, scission au sein du mouvement politique breton : psychologiquement, tout contribue ce que le dbat dune reprise de laction directe trouve sa place, point de dpart de cet ouvrage.

Cest autour de trois priodes marques par des intensits et des discours politiques diffrents que nous articulerons cette tude. Comme nous lavons indiqu, ce17 18

LE DANTEC (Jean Pierre), op. cit., p. 322.

Breiz Atao, Bretagne Toujours, est le titre dune revue mythique du mouvement breton. A la base, il sagissait de lorgane du Groupe Rgionaliste Breton fond en 1918. Le premier numro date de janvier 1919. Il deviendra ensuite lorgane du Parti National Breton de 1932, tant interdit en juillet 1939. Un nouveau Breiz Atao verra le jour pendant un temps avec la cration dun second P.N.B. fin 1943. Breiz Atao incarne le courant nationaliste breton radical (certains ces rdacteurs ayant t des sympathisants nazis sous lOccupation (Mordrel, Debauvais, Delaporte, Lain, Guyesse...), donnant parfois au Breiz Atao une connotation ambigu). Mais ce Bretagne toujours ! est devenu un cri, un slogan traditionnel pour lemsav.

22

sont partir des textes laisss par lorganisation, tracts et communiqus, que nous approfondirons cette tude. Mais si ce sont bien les idologies des divers F.L.B. qui seront la trame de fond de cet ouvrage, une multitude de facettes sera aborde partir delles : historique de lorganisation ; organigrammes ; accueil de la population, des mdias, des partis politiques ; lien avec dautres mouvements clandestins ; attentats marquants, rpression policire et procs des militants etc.

De 1966 1969, lorganisation, influence par des membres fidles au courant nationaliste traditionnel, va poser ses bases et perptrer une premire srie dattentats pour la plupart symboliques , et sinscrivant dans une lecture purement nationalitaire des problmes bretons : cest la priode de lmergence.

De 1971 1981, en parallle de ce premier courant, un F.L.B., largement influenc par le gauchisme triomphant de lpoque, insufflera cette lecture nationaliste une idologie socialiste-rvolutionnaire. La quadrilogie dont il sinspire est alors la suivante : socialisme, anticapitalisme, autogestion et rvolution. A ct de ces changements, les attentats prennent une ampleur considrable : cest la priode de la confrontation.

De 1981 1996, lactivit clandestine sest considrablement affaiblie, lorganisation ayant largement t branle par les vagues darrestations de la fin des annes soixante-dix. Mais au del de ce problme interne, il faut aussi sinterroger sur les autres possibles raisons dun tel dclin, annonant une rflexion sur le mouvement breton actuel et sur la place dun mouvement clandestin aujourdhui : cest la priode de laccalmie.

Emergence, confrontation et accalmie : ce sont sur ces trente ans daction arme, avec pour toile de fond les mutations de la Bretagne et de la France, que nous allons nous pencher maintenant ; trente ans qui ont vu ces militants perptuer le combat progressiste et rvolutionnaire que chaque gnration de Bretons a entrepris pour la

23

libert de la Bretagne et pour le droit des Bretons de rejeter le statut colonial afin de se gouverner eux-mmes librement...

24

Premire partie : Lmergence ( 1966-1969 ). Dans la continuit du courant nationaliste traditionnel.

De 1966 1969, date de son premier dmantlement, le F.L.B. a parcouru bien du chemin : dabord, sur le plan organisationnel, de simple rle de fil conducteur entre des initiatives isoles, il est devenu une organisation clandestine structure; ensuite, sur les plans matriels et humains, son efficacit sest considrablement accrue, passant des cocktails molotov de ses prmices la destruction complte dune caserne de C.R.S.; constitu par une poigne dhommes lorigine, le dmantlement de janvier 1969 a conduit linterpellation dune cinquantaine de militants ; enfin, sur le plan idologique, ct de ses slogans-choc , des communiqus fournissant une analyse politique plus fournie se sont dvelopps. Pourtant, les premires apparitions du sigle pouvaient faire croire un canular ! Prcisment, la premire apparition des trois lettres mythiques remonte la nuit du 25 au 26 octobre 1963, Pontivy (56) : des inscriptions - Non au dsert breton F.L.B. ; Loi-cadre - F.L.B. ; Breiz Atao - F.L.B. - sont peintes sur la chausse. Cela reste encore anecdotique, pour lopinion publique comme pour les services de police. Ce nest qu partir de 1966 que le F.L.B. lance ses manifestations plus violentes. Des initiatives individuelles sorganisent, formant lembryon de ce qui deviendra quelques mois plus tard une vritable organisation clandestine. La premire de ces actions violentes est perptre par trois jeunes militants (MM. ARVOR, COCHER et GACHET), tous trois originaires de Saint-Nazaire (44), qui incendient le 6 mars 1966 des drapeaux franais hisss sur des tablissements publics. Ils rcidivent le 11 mars en lanant cette fois des cocktails molotov dans les jardins de la Sousprfecture de Saint-Nazaire. Pour ces actes, ils recevront du tribunal correctionnel une peine de prison couverte par la dtention prventive, ce qui minimise laffaire. Certes, le sigle F.L.B. napparat alors pas, mais chacun saccorde pour voir l les premires manifestations dune organisation clandestine qui se cherche. Ce nest que quelques

25

mois plus tard quelle prend des contours plus prcis. La rptition du sigle sur les lieux de ces premiers attentats ne signifie pas encore une quelconque unit au sein de lorganisation, la rgle restant limprovisation et labsence de coordination. Cest sur cette base imprcise que des hommes vont construire une structure paramilitaire , pour constituer une arme bretonne de libration . La structuration de lorganisation clandestine sera progressive, car runir les militants et les moyens techniques ncessaires la lutte de libration nest pas chose aise. Cette tape termine, elle lancera sa premire srie dattentats, quelle viendra justifier par une ligne politique encore ltat dbauche.

26

CHAPITRE 1 : La progressive structuration du mouvement.

Le 17 juin 1966, le sous-sol de la perception de Saint-Brieuc (22) est incendi, premire manifestation fort retentissement du F.L.B.. Lors de lenqute, si les auteurs nont pas t identifis, une correspondance entre Emile LECOQ, autonomiste bien connu, et Yann GOULET, figure de pointe du sparatisme breton est mise jour.==================== - LECOQ Emile, n le 12 janvier 1899, Brest (29). Coiffeur Saint-Brieuc, autonomiste des annes trente, nostalgique de Breiz Atao, il est reconnu depuis comme tant lauteur de ce premier attentat marquant du F.L.B. contre la perception de Saint-Brieuc. - GOULET Yann, n le 20 aot 1914, Saint-Nazaire. Il tait la tte des Bagado Stourm (groupes de combat) pendant lOccupation, milice concde par les nazis la Bretagne. Il se rfugiera en Irlande la Libration, chappant la justice franaise, pour y lire domicile et devenir une des figures du F.L.B. naissant, ayant le rle dintermdiaire et de botes-aux-lettres , comme nous le verrons bientt. Son rle auprs des Bagado Stourm fait de lui un personnage ambigu, mais plusieurs tmoignages sont venus prendre sa dfense , pour appuyer sur le fait quil ntait pas un pro-nazi. Ce ne sera pourtant pas lopinion des groupes gauchistes du F.L.B. qui nauront cesse de prendre leur distance avec un GOULET jug bien gnant pour leur image.

On y apprend le dsir de ce dernier de reprendre la lutte arme : Je voudrais refaire notre organisation sur des bases semblables celles que nous avions en 1943-1944. Tiens moi au courant galement des ractions des uns et des autres, car malgr ma bonne volont, je ne puis rien faire sans votre appui 19. La rfrence 1943-1944 rappelle une priode bien trouble pour lemsav, comme nous lavons dj expliqu, et la seule prsence de Yann GOULET est embarrassante pour ce F.L.B. naissant. Cest dailleurs une des raisons principales qui explique les scissions rapides au sein de lorganisation. Aussi sommes-nous devant un pur produit du vieux mouvement nationaliste breton 20 . Des droits issus du Trait dUnion de 1532 au celtisme ml deuropanisme, les thses les plus classiques du sparatisme breton sont repris par le F.L.B.. Il essaie cependant de les mettre au got du jour en les intgrant dans les problmatiques originales de la lutte contre le colonialisme et de la lutte de classes, pas toujours de faon trs heureuse dailleurs. Limpuissance du mouvement nationaliste19 20

cit dans le Rapport du Ministre de lIntrieur LE DANTEC (Jean-Pierre), op. cit., p. 323.

27

lgal met daccord un petit groupe dhommes sur la ncessit de reprendre la tradition de lautonomisme arm. Tant quil sagira ainsi dagir, les dissensions idologiques ne se feront pas trop sentir. Mais passer le stade de laction, lorsquil sagira de penser, les querelles intestines branleront lorganisation.

Durant lt 1966, des slogans fleurissent sur les murs de Rennes, Guingamp et Brest : F.L.B. - non aux bases atomiques des Franais ; Etat Breton libre en 1970 ... Cest partir de cette date que lorganisation se structure, amplifiant ses actions jusqu son premier dmantlement en 1969. En juillet 1966, lAvenir de la Bretagne publie un communiqu du F.L.B. qui pose les jalons de la ligne politique du mouvement : Las des atermoiements du pouvoir franais, de ses promesses jamais tenues lgard de la Bretagne, tmoins de son mpris lgard de ses intrts conomiques, de notre dveloppement social, de notre langue et de notre culture, convaincus que ce pouvoir ne reculera que devant lintimidation et la force de nos armes, nous avons dcid une premire srie daction contre les btiments administratifs, symbole de la puissance occupante en Bretagne. Nous reprenons le combat progressiste et rvolutionnaire que chaque gnration de bretons a entrepris pour la libert de la Bretagne et pour le droit des Bretons de rejeter le statut colonial afin de se gouverner eux-mmes librement. Nous frapperons aux jours et lieux que nous avons choisis. Notre lutte ne devra sarrter quavec sa victoire... . Le verbe est haut au regard de lintensit des attentats (ce communiqu revendique lincendie de la perception de Saint-Brieuc du mois de juin, premier attentat sortant de lanecdotique au yeux de lopinion publique) et de la quasi-inexistence structurelle de lorganisation. Quant au choix du journal lAvenir de la Bretagne , il annonce une priode pendant laquelle celui-ci fera office de tribune pour le F.L.B.. Son directeur de publication est alors Yann FOUR. Figure marquante du mouvement breton, militant du fdralisme europen, lEurope aux cent drapeaux , il aura galement des liens plus ou moins directs ? - avec lorganisation clandestine, comme nous le verrons bientt.==================== - FOUR Jean-Adolphe, dit Yann FOUR, n le 26 juillet 1910, Aignan (Gers). Rfugi en Irlande la Libration, o il sest install comme mareyeur, il est lun des militants bretons les plus farouches, actif

28

depuis les annes trente, et auteur de trs nombreux ouvrages. Citons - entre autre - dans son parcours que nous ne pourrons que sommairement rsumer ici tant il est imposant, la cration dAr Brezhoneg er Skol (La langue bretonne lcole) en 1934, son action en faveur du Comit Consultatif de Bretagne en 1942, puis du M.O.B. (Mouvement pour lOrganisation de la Bretagne) cr en 1957 ; il a t directeur de nombreuses revues successives (dont La Bretagne (1941) ; lAvenir de la Bretagne (cr avec le M.O.B.) etc.) Sa bibliographie impressionnante comporte autant de classiques : La Bretagne cartele (1962) ; lEurope aux cent drapeaux (1968 et 1976) ; En prison pour le F.L.B. (1977) ; Histoire rsume du Mouvement Breton (1977) ; Ces droits que les autres ont... (1979) ; sa biographie, La patrie interdite (1987) et La maison du Connemara (1995) etc. On ne peut lui coller la mme tiquette que les militants du P.N.B. qui ont collabor sous lOccupation. Yann FOUR est de droite, il ne la jamais cach, mais serait plutt un dmocrate-chrtien . Ce courant politique est incarn par le M.O.B., puis par le Strollad Ar Vro ( S.A.V.), Parti du Pays , cr en 1972, et maintenant le P.O.B.L.; les premiers membres du F.L.B. sy reconnaissaient pour une grande majorit.

Lanalyse organisationnelle du F.L.B.-A.R.B., Arme Rpublicaine Bretonne, de la priode 1966-1969, nous amnera tudier tout dabord sa gense, ensuite son organisation interne stricto sensu, et enfin les moyens, matriels et humains, dont il dispose fin 1968 .

Section prliminaire : Les premiers balbutiements, du F.L.B. au F.L.B.-A.R.B.Durant le second semestre 1966, deux incendies sont perptrs, Carnac (56) et Lorient (56), signs du F.L.B.. Aprs quelques mois de silence, lorganisation refait parler delle, mais cette fois, ses actions semblent mieux organises. En effet, le Front se constitue alors en une vritable arme de libration, sur le schma dune organisation paramilitaire. Cette volution va se drouler en plusieurs tapes. Succdant aux actions dorigine individuelle de 1966, deux courants mieux structurs vont se constituer en parallle durant lanne 1967 : celui de lA.R.B. (Arme Rpublicaine Bretonne) cr par Lucien DIVARD, qui couvre fin 1967 la Loire-Atlantique et les Ctes du Nord ; et celui du F.L.B. (Front de Libration de la Bretagne) de Ren VAILLANT, dont laction se sectorise dans la Bretagne-sud. Fin 1967, une runion se droule Ploemeur (56) qui rpartit la comptence territoriale de chacune de ses branches. Puis, en 1968, un Etat-major mixte F.L.B.-A.R.B. se constitue, qui utilise comme bote aux lettres un Comit National de la Bretagne Libre (C.N.B.L.) situ en Irlande, et dont le secrtaire gnral nest autre que Yann GOULET.

29

1- Cration de lArme Rpublicaine Bretonne : le groupe DIVARD .

A la suite dun attentat lexplosif contre la sous-prfecture de Saint-Nazaire (44) davril 1966, Lucien DIVARD dcide dentrer son tour dans la lutte arme, quil estime seule efficace au regard des limites de laction politique lgale.==================== DIVARD Lucien, dit le Major , n le 8 fvrier 1937, Brest (29). Cest un ancien sergent-chef de la base arienne de Tours.

Il va pour cela regrouper autour de lui plusieurs autonomistes de tendance dure . Au nombre de ses premiers adhrents, on compte son frre, Lionel, dit Ker Mario , alors membre du M.O.B. ; lui-mme va recruter deux autres amis nantais. Ce sont finalement ces quatre hommes qui forment le premier commando , futur A.R.B.. Ne voulant pas limiter son action la seule Loire-Atlantique, il contacte Emile LECOQ (dj cit) en juin 1966, auteur dun nouvel attentat contre la mairie de Saint-Brieuc (22), qui devient le cinquime homme du groupe DIVARD . Il rencontre galement Yann FOUR, toujours Saint-Brieuc en 1966, ce dernier lui assurant son soutien moral et son aide dans la recherche de financement. Le 8 fvrier 1967, le groupe DIVARD organise une premire runion dEtatmajor Gumn-Penfao (44), donnant naissance un semblant darme , qui par analogie avec lIrish Republican Army prend donc le nom dArme Rpublicaine Bretonne. Lloquence du vocabulaire militariste est relever (Etat-Major, arme de libration etc.) : cest trs pompeusement quune poigne dindividus sautoproclament arme de libration , mais le symbolisme joue ici au maximum. Leffet de rhtorique du discours est une constante de ce premier mouvement arm breton. LA.R.B. agit pour la premire fois fin mars 1967, Tremusson (29), en tentant de voler des explosifs dans une carrire, mais sans succs. Le 13 juillet 1967, La Paquelais, prs de Vigneux-de-Bretagne (44), Lucien DIVARD pose une bombe contre un btiment P.T.T.. Il signe son action par un Bzh , clin doeil linterdiction du moment de coller ce signe lemplacement de la plaque internationale larrire des voitures.

30

Le 24 juillet 1967, Trefflean (56), un btiment de lE.D.F. est pris pour cible, mais pas par des membres de lA.R.B. ; Lucien DIVARD dcide donc den identifier les auteurs isols. Or, au mme moment, un autre homme, Ren VAILLANT, est lui aussi la recherche de ces poseurs de bombe-mystre...

2- Cration du Front de Libration de la Bretagne : le groupe VAILLANT .

En 1966, Ren VAILLANT, rentre du Canada aprs une longue absence. Il y tenait une agence de voyages, et est fondateur de lUnion des Bretons Montral. Il sinstalle dabord Le Poulou, puis Ploemeur (56) en juillet 1968. Il noue contact avec Pierre LEMOINE, lui exposant son intention dentrer dans laction directe. Au cours de ces voyages, Ren VAILLANT a en effet rencontr en Irlande danciens membres des Bagado Stourm de Yann GOULET, qui agissaient comme agents recruteurs : ce sont eux qui le mettent en relation avec dautres autonomistes convaincus en vue de crer un commando. Parmi eux, on compte Erwan TYMEN.

==================== - VAILLANT Ren, dit Gourel ou le Canadien , n le 2 novembre 1929, Langonnet (56), propritaire dune agence de voyages au Canada21 . - LEMOINE Pierre, dit Antoine Pierre , n le 4 aot 1944, Mael-Carhaix (22), architecte Quimper. On le retrouve aux origines du M.O.B. et est un militant trs actif (il a ainsi t un temps rdacteur en chef de lAvenir de la Bretagne). - TYMEN Erwan, n le 13 septembre 1946, Villeneuve-Saint-Georges (91), paysagiste Queven.

Fin 1966, Ren VAILLANT dispose dun groupe de trois hommes, instruits par TYMEN. Leur premire action consiste en le vol de deux cents kilos dexplosifs au dpt des Etablissements CODAREC Queven (56). Puis, le 10 novembre, VAILLANT et un complice tentent dincendier le btiment des contributions directes Lorient (56). Certes, ce sera un chec, mais lessentiel est russi : laction fait grand bruit dans la presse locale. Ren VAILLANT labore une Charte , vritable programme pour les futurs membres sengageant dans la lutte arme, et fait imprimer au Canada des milliers dautocollants

21

Nous indiquons ici, comme ce sera le cas dans les encarts biographiques suivants, la profession la date qui nous intresse en lespce...

31

aux slogans-choc : Dbarrassons la Bretagne du fisc franais avec le F.L.B. , Combattons les abus des fonctionnaires franais en Bretagne avec le F.L.B. ou encore Pour une Bretagne Libre, combattons loccupation franaise avec les commandos F.L.B. ... Quelques semaines plus tard, la bombe de Trefflean amne VAILLANT, comme on la dit, en chercher lauteur. Ce qui est loccasion pour lui de rencontrer DIVARD. On peut noter que lauteur de lattentat de Trefflean ne sera jamais officiellement dcouvert. Ce nest que bien plus tard quErwan TYMEN prtendra en tre lauteur solitaire. Pour lheure, VAILLANT et DIVARD vont cumuler leurs efforts pour continuer la lutte arme.

3- Fusion du F.L.B.-A.R.B.

VAILLANT mne une enqute dans les cercles folkloriques bretons pour identifier lauteur de Trefflean, recrutant par l mme de nouveaux sympathisants. Il rencontre finalement un membre de lA.R.B. de DIVARD, qui les met tous deux en contact en aot 1967, Muzillac (56). Mais rien nest encore clairement dcid. Par la suite, DIVARD reprend contact avec Yann FOUR, Rennes, lui faisant part de son intention de runir au sein dune seule A.R.B. tous les groupes autonomistes arms bretons. Yann FOUR lui assure son soutien. Plusieurs runions ont ensuite lieu pour effectivement voir la fusion du F.L.B. et de lA.R.B.. Fin novembre 1967, dans les galeries souterraines de Ploemeur22, VAILLANT et LEMOINE se rencontrent sous la prsidence de Yann FOUR. Il y est dcid : la fdration des rseaux clandestins, la constitution dun Etat-Major mixte F.L.B.-A.R.B., la rpartition des zones daction, et la cration dun organisme de direction en Irlande, entendant regrouper tous les patriotes bretons partisans dune Bretagne indpendante . Pendant les troubles de mai 1968, le F.L.B.-A.R.B. en cours de structuration interrompt ses activits, cherchant viter toute confusion dans lopinion publique : son combat ne22

On ne peut vrifier que cette rencontre a effectivement eu lieu dans dobscures galeries, comme des militants le prtendent, et comme des documents du Ministre de lIntrieur le reprennent. On pourrait imaginer quil y a une bonne part de fabulation dans ce genre danecdotes, destines entretenir le mythe...

32

saurait tre que breton, et breton seulement, un communiqu prcisant que le combat pour la libration de la Bretagne que nous avons entrepris ne saurait se confondre avec les agitations parisiennes... . Une autre explication peut tre avance : les militants cits jusqu prsent sont plutt des hommes de droite, et nont peut-tre gure de sympathie pour les troubles gauchistes qui secouent la capitale. Cest au dbut du mois daot 1968 qua lieu le colloque de Camaret (29). Ici encore, lappellation de Colloque peut paratre un peu exagre, mme si rien nempche dappeler colloque la rencontre de quatre personnes... Runissant LEMOINE, VAILLANT et les frres DIVARD, on y dcide cette fois : la fusion complte du F.L.B. et de lA.R.B. au sein dun unique F.L.B. ; le maintien de ce sigle devenu familier pour le public ; limplantation de lorganisation en Bretagne-ouest et en rgion parisienne ; et la reprise des oprations militaires afin de frapper lopinion publique, le choix des objectifs tant laiss linitiative des chefs de Kevrenn, sous leur responsabilit. Une dernire rencontre a lieu Bannalec (29) en novembre 1968, runissant lEtat-Major et Yann FOUR de passage en Bretagne, afin de prciser lorientation politique donner au mouvement (cela va se concrtiser par le Manifeste de dcembre 196823, dont nous reparlerons dans le second chapitre). La prochaine runion est alors fixe pour fvrier 1969, mais elle naura pas lieu, le F.L.B.-A.R.B. tant dmantel en janvier 1969.

Section 1 : Organigramme du F.L.B.-A.R.B.Au jour de son dmantlement, le premier F.L.B.-A.R.B. est une organisation clandestine assez bien structure, sachant se doter des moyens ncessaires ses activits ; la sympathie quelle suscite lui permet en outre de rapidement gonfler le nombre de ses effectifs. Mais elle prsente dvidentes carences organisationnelles : elle est ainsi rapidement noyaute par les services de police, ds les premiers attentats de 1966, ce qui entrane son invitable dmantlement en janvier 1969.23

voir ANNEXE II.

33

Deux organes constituent la charpente du F.L.B.-A.R.B. : son Etat-Major, la direction politique officielle ; et le Comit National de la Bretagne Libre (C.N.B.L.), le canal irlandais de Yann GOULET. Une question demeure : est-ce que cette structure tait relle, ou ntait-ce quun leurre, la ralit consistant en une autonomie totale des commandos ? Les informations suivantes sont de sources principalement policires, confirmes par des militants. Selon dautres tmoignages, cela tient de la pure fabulation, entretenue par la mythomanie de quelques individus. Les mythes ont la vie dure...

1- LEtat-Major et ses ramifications.

La supervision des actions du F.L.B. est confie un Etat-Major, constitu de quatre majors , en fait les hommes lorigine du F.L.B.-A.R.B.. Lucien DIVARD y est charg des questions militaires ; Ren VAILLANT, des questions financires ; Pierre LEMOINE de linformation et de la communication ; et Yann FOUR est reprsentant du F.L.B. auprs du C.N.B.L. et des autres armes de libration interceltique . Ce sont eux qui doivent dfinir la ligne politique de lorganisation, leur travail tant cens sarrter l. Le choix des cibles sont laffaire des chefs de Kevrenn. Aux chelons infrieurs, on trouve en effet les Kevrenno (Divisions), se divisant elles-mmes en Bagado (Groupes), dirigs par des lieutenants ; puis en Strollado (Commandos), dirigs par des caporaux . Un commando est en gnral constitu de trois cinq individus. La cration de dix Kevrenno est ainsi envisage, mais seulement cinq seront dmanteles en 1969 (soit les autres ont chapp la rpression, soit - et cest le plus probable - elles ntaient pas encore fonctionnelles ) se rpartissant ainsi :

- Kevrenn 1, sud du Finistre, commande par LEMOINE; - Kevrenn 2, nord du Morbihan, commande par VAILLANT; - Kevrenn 4, Ctes-du-Nord, commande par Jean OLLIVIER - Kevrenn 8, Loire-Atlantique, sous la responsabilit des frres DIVARD;

34

- Kevrenn 10, Rgion parisienne, organise par VAILLANT, et commande par Jean BOTHOREL.

==================== - OLLIVIER Jean, dit Goulven , n le 5 octobre 1936, ouvrier Saint-Brieuc (22). Il est, avec Yann FOUR et Pierre LEMOINE lun des initiateurs du M.O.B. - BOTHOREL Jean, n le 12 mai 1940, Plouvien (29), journaliste et auteur dun pamphlet La Bretagne contre Paris , Ed. de la Table Ronde, 1969, 120 pages. Cest dans cet ouvrage quil avoue sa stupeur davoir appris lorsquil fut inquit pour son activisme, faire partie dun organigramme dont la tutelle reviendrait selon les services de police GOULET, quil ne porte pas spcialement dans son cur...

Un certain autoritarisme interne marque lorganisation, influence de DIVARD marqu par son pass militaire. Le sort rserv la nouvelle recrue va dans ce sens, le nouvel arrivant devant se soumettre cette discipline militaire : prter serment sur le Gwennha-du, puis recevoir une formation de commando, et endoss un pseudonyme et un numro de matricule ports sur un registre. Un Code dHonneur est mme cr par DIVARD, qui prvoit des sanctions pour manquement la discipline. Par la suite, cette extrme militarisation va diminuer, les effectifs augmentant et devenant de plus en plus htrognes. Une autre rgle est dailleurs celle du secret, un cloisonnement strict ne permettant normalement lEtat-Major de ne connatre que le nom des seuls responsables de Kevrenno, ces derniers conservant linitiative de leurs Bagado et Strollado. Tout cela a pour but de limiter les risques en cas de rpression policire, ce qui ne se rvlera pas vraiment efficace comme la suite des vnements va le montrer.

2- Le C.N.B.L., Comit National de la Bretagne Libre.

Yann GOULET adresse ainsi une circulaire aux partisans du sparatisme breton, ainsi quau quotidien Le Monde24 , suite au voyage du Gnral DE GAULLE au Qubec en juillet 1967 : Des circonstances aussi favorables doivent tre utilises, mais tous les militants bretons qui, dune faon ou dune autre, se sont trouvs mls aux vnements de ces derniers temps peuvent affirmer que le bnfice de ces circonstances

24

Le Monde du 01.08.1967

35

exceptionnelles ne pourra tre rcolt que sil se forme immdiatement une union de toutes les organisations qui se dclarent ouvertement nationalistes bretonnes. Le temps o chacun se croyait plus digne de son voisin de parler au nom du Mouvement Breton est dsormais prim et ne saurait plus jamais rapparatre. Leffort doit tre collectif car laide qui pourrait nous tre apporte ne saurait tre fragmentaire. Elle ne sadressera pas divers reprsentants dune infinit de chapelles. Le destinataire ne peut tre quune seule organisation qui reprsentera toutes les tendances, sans aucune exclusive, et dans laquelle toutes les tendances pourront tre reprsentes... En consquence, un certain nombre de patriotes bretons appartenant diverses organisations nationales ont dcid la formation immdiate dun Comit National de la Bretagne Libre dont tous les buts seront daider la libration de la Bretagne par tous les moyens en son pouvoir. Pour faciliter les contacts lchelon international, le sige du Comit a t fix Dublin. Chaque mouvement ou organisation desprit national breton, et dont le but est de travailler la libration politique, conomique, sociale et culturelle du peuple breton, est invit dsigner un reprsentant dment accrdit pour siger ce Comit. La composition de ce dernier restera secrte si les organisations et mouvements qui y participent le dcident ainsi. Seul le nom du ou des secrtaires et ladresse du sige social seront communiqus au public... Les Organisations nationales bretonnes sont donc invites se mettre en rapport avec le Secrtaire Provisoire du Comit National de la Bretagne Libre : Yann GOULET. Cet organisme est comme on la vu en formation ds la runion de Ploemeur du 26 janvier 1968, Yann GOULET intervenant dj en tant que Secrtaire Gnral du C.N.B.L. auprs de diverses ambassades, suite aux attentats contre les prfectures de Saint-Brieuc et de Quimper du 11 janvier 1968. A la demande du F.L.B., Yann GOULET adresse une lettre au Prsident de la Rpublique Franaise pour revendiquer les attentats commis en Bretagne. Les communiqus ultrieurs adresss la presse par le F.L.B. sont ds lors signs Pour le F.L.B., le Chef dEtat-Major de lA.R.B., sign : LE GOFF. , pseudonyme marquant lempreinte de Yann GOULET. Comme nous lavons dit, cest Yann FOUR qui est dsign lors du colloque de Camaret pour reprsenter le F.L.B.-A.R.B. auprs du C.N.B.L.. Ce Comit permet vraisemblablement

36

au F.L.B. davoir des contacts avec lIrish Republican Army, lArmy Free Ulster, Army Free Walles etc... afin dobtenir des armes, du matriel divers, mais surtout davoir une dimension interceltique et non pas un cadre isol. Seulement, des tmoignages de dissidents rvlent un autre aspect du C.N.B.L. : dune part, cest un organisme fantoche, qui ne reprsente gure que Yann GOULET lui-mme ; dautre part, ce dernier tire simplement profit de sa situation dintermdiaire (les tracts, communiqus etc. tant imprims Dublin pour une majorit dentre-deux) pour marquer de son empreinte chaque dclaration du F.L.B., et tenter dinfluencer lorientation de lorganisation. Certains militants sen accommodent, Yann GOULET tant leurs yeux un individu tout fait honorable, dvou la cause bretonne, et absolument pas le collaborateur nazi quon veut faire croire. Mais pour dautres, la prsence de ce personnage est inadmissible, trop marqu par son rle sous lOccupation, qui le met dans le mme panier quOlier MORDREL, Clestin LAIN et leurs acolytes. Un seul lment est certain : Yann GOULET est prsent en 1966 lorsque un groupe clandestin breton voit progressivement le jour, mais son influence reste limite. Sil a t pendant un temps le porte-parole de lorganisation, sorte dambassadeur du F.L.B., son rle sarrte l. Alors, le C.N.B.L. est-il une pure chimre, fruit de la mythomanie dun individu ? Pour Yann FOUR, Yann GOULET est un passionn de laction clandestine 25, mais qui tient ce que le monde entier sache quil sen occupe . Quant au lien que le C.N.B.L. entretient avec lI.R.A., le mystre reste entier. Que lI.RA. soit linspirateur du F.L.B.-A.R.B., il ny a aucun doute. Mais est-ce que cela est all plus loin ? Le mythe en la matire a pour nom interceltisme . Cest au nom de cette tradition interceltique que des membres du mouvement breton se sont rfugis en Irlande la fin de la guerre, fuyant la vague de rpression qui sabattait alors sur lemsav, toutes tendances confondues, des purs et durs nationalistes du P.N.B. aux placides membres dassociations culturelles. Yann GOULET sexprime en ces termes : Jai choisi lIrlande, dabord parce que de tout temps, nous les nationalistes de Breiz Atao, y avions des contacts et que je savais

25

Four (Yann), En prison pour le F.L.B., N.E.L., 1977, (190 pp.), p 23.

37

que nous aurions retrouv des frres de combat... Jai choisi lIrlande parce que cest un pays o une condamnation mort pour crime de patriotisme est considre, non pas comme une tare honteuse, mais comme la plus haute et la plus honorable des dcorations... Jai choisi lIrlande parce que jtais sr que notre combat y aurait t compris et quil maurait t possible de le continuer en toute libert. 26 Le soutien moral existe sans doute ; mais que lI.R.A. ait fourni une aide technique au F.L.B., cela est beaucoup plus douteux. Cest en analysant les moyens - effectifs des militants et moyens matriels - dont dispose lorganisation, que nous reviendrons sur la question dune aide des patriotes irlandais ...

Section 2 : Des moyens pour agir.Pour mener bien sa lutte de libration, sur le terrain, les besoins dune organisation comme le F.L.B. sont de deux ordres. Le premier recouvre une dimension humaine : il lui faut certes des militants convaincus pour constituer ses effectifs, le recrutement tant dautant plus difficile que tout se fait dans la clandestinit ; mais il lui faut aussi bnficier dun soutien au sein de la population, en dehors des militants. Quoi de pire que de lutter pour la libration dun peuple qui se moque royalement dtre libr ou non ? Le second concerne les aspects matriels : il faut se procurer les explosifs, avoir les moyens techniques pour les utiliser ; mais il faut aussi les moyens logistiques et surtout financiers - ternel nerf de la guerre - pour mener toutes ces actions directes.

1- Le F.L.B.-A.R.B. face la population bretonne.

Lampleur du phnomne F.L.B. est lui seul un sujet intarissable : du fait de quelques illumins totalement coups de la population aux dires des uns, au vritable soulvement populaire breton pour les autres, la question de limpact du F.L.B. sur la26

Lorient-Hebdo du 22 mars 1974.

38

population bretonne est source de toutes les controverses. Il faut mettre au clair ces rapports ambigus du F.L.B. et des Bretons, sous ses deux aspects : lun concerne le recrutement de volontaires pour grossir une arme de libration bretonne ; lautre concerne les rapports plus globaux de lorganisation avec la population bretonne dans son ensemble.

A) Lhtrognit du recrutement.

Les membres de lorganisation sont recruts sur un critre unique : la conviction quune lutte arme est ncessaire pour librer la Bretagne. Ce sont dans les lieux o se retrouvent des militants dj engags dans le mouvement breton que le F.L.B. recrute : cercles folkloriques ou celtiques, association culturelles et/ou politiques, etc., sont autant de viviers de nouvelles recrues pour ce premier F.L.B.-A.R.B.. Les plus jeunes militants ont t attirs par le romantisme ml daventurisme de cette lutte arme. Pour dautres, cest le constat de limpuissance du mouvement breton lgal qui les amne, plus froidement, entrer au F.L.B.. Une telle htrognit est la fois une force et une faiblesse pour lorganisation. Une force, car pour une organisation qui se proclame conscience du Peuple Breton , cela est un avantage indniable. Ici encore, le Gwenn-ha-Du des annes trente soppose au F.L.B. comme lexplique Morvan LEBESQUE27 : Alors que Gwenn ha Du ne comportait ... quune poigne dtudiants extrmistes, le F.L.B. chantillonnait toutes les classes sociales, paysans, ouvriers, commerants, industriels, journalistes, universitaires - tudiants et professeurs - et mme prtres ruraux28 . Une faiblesse, car cest aussi ici que les carences organisationnelles pointent, et cela plusieurs niveaux. Tout dabord, en recrutant sur une base aussi large, le F.L.B.-A.R.B. va se trouver dans lincapacit de dfinir une ligne politique qui puisse satisfaire tout le monde ; ensuite, en recrutant du lycen lagriculteur, lorganisation na pu viter

27 28

LEBESQUE Morvan, op. cit., p. 210.

Il y a cette anecdote fameuse qui raconte que des prtres ont cach des kilomtres de mche pour explosifs dans leur presbytre.

39

lcueil dun certain amateurisme dans laction 29. Un tmoignage explique que pour beaucoup, le F.L.B. ntait pas une affaire trs srieuse. A trop exalter le romantisme, lorganisation a recrut des personnes certes motives ... mais qui ne savaient pas toujours tenir leur langue ! Des commandos ont ainsi t dmantels parce quun de leurs membres stait un peu trop vant de faire partie de lorganisation. Aussi, si on ne pouvait entrer dans le F.L.B. comme dans un moulin , la police a eu le loisir de noyauter rapidement lorganisation.

B) Le soutien de la population.

Quen est-il du phnomne de sympathie de la population bretonne pour ce premier F.L.B.-A.R.B. dont on parle souvent ? Pour Marie-Pierre BONNET 30, probablement par manque de rigueur politique et faute dinitiative originale, le F.L.B. nest pas parvenu convaincre une majorit suffisante du peuple quil entend librer, de la justesse de ses ides. Pourtant, il bnficie lpoque dun vritable courant de sympathie en Bretagne. . Les vagues darrestations, entre dcembre 1968 et janvier 1969, ont eu un impact certain sur la population bretonne, justement parce quelles rvlaient lhtrognit des membres du F.L.B.. Tous ntaient pas des poseurs de bombe, beaucoup stant limit un soutien logistique : telle personne aura aid pour une planque, telle autre travaillant dans ladministration aura donner des renseignements, telle autre encore aura servi de botes-aux-lettres ou aura prt son appartement pour une runion dont lobjet restera inconnu etc. Sans laide ponctuelle de ces personnes, le F.L.B. naurait pu agir aussi efficacement. Au dbut, cause des limites techniques, un poseur de bombe na pas toujours le loisir de sloigner suffisamment du lieu de lexplosion pour chapper la police qui quadrille rapidement le primtre. Aussi devait-il

29 30

NICOLAS (Michel), Le sparatisme en Bretagne, Ed. Beltan, 1986, (320 pp), p 39. BONNET (Marie Pierre), Bretagne 79, des annes de poudre, Ed. Egina, 1989, (145 pp.), p. 96

40

forcment trouver refuge chez un habitant proche. Un vaste mouvement de soutien fait son apparition, dont la traduction immdiate consiste en la cration de Skoazell Vreizh, le Secours Breton : cette association31 cre sous limpulsion de Gwenchlan LE SCOUEZEC, Xavier GRALL et Yann CHOUCQ, a pour but daider les familles des inculps, moralement et financirement, ainsi que les inculps ... en les aidant dans la recherche dun avocat 32 par exemple. Laction de Skoazell Vreizh est permanente depuis sa cration (du fait des nombreuses affaires bretonnes quil a pris en charge : les chques en breton de Skol an Emsav, le goudronnage des panneaux non-bilingues par Stourm ar Brezhoneg, et plus rcemment, lhbergement de militants basques...), ct des comits de soutien qui eux apparaissent ponctuellement. Mme des gendarmes versent de largent lassociation !

2- Le F.L.B-A.R.B. face aux ncessits matrielles.

Les ressources dont disposent lorganisation, tant pour les moyens techniques que pour le financement, sont en fait assez minces.

A) Les moyens techniques.

Tout le matriel que doit se procurer le F.L.B. provient donc dune source principale : le vol, justement par faute de moyens financiers ! Classiquement, le nouveau militant doit effectuer quelques premires petites actions, qui si elles manquent a priori dclats, sont pourtant essentielles, car elles assurent la maintenance . Comme lexplique un ex-membre, lorsquune opration - le vol (frquent) de dynamite dans une carrire - ncessite par exemple une pince-coupante ou tout autre outil ... on lemprunte dans un magasin. Rien dexaltant ici, il est vrai. Et si cela offre lavantage de ne rien coter, cela prsente aussi le risque dtre interpell pour ce simple vol. Distribuer des documents internes, confectionner de petites

31 32

J.O. du 24.01.1969 brochure de prsentation de Skoazell Vreizh du 22.05.1997.

41

planques pour les explosifs dans la campagne etc. Cest le labeur de la jeune recrue : on ne pose pas une bombe du jour au lendemain. De 1966 1969, les moyens techniques sont assez peu volus, et ne ncessitent pas de connaissances particulires. La meilleure cole pour apprendre manier les explosifs reste ... le service militaire franais ! Les militants qui ont fait partie de larme franaise finissent de former les commandos. Avec les annes soixante-dix, lorsque le matriel sera de plus en plus sophistiqu, la formation sera plus difficile (ce qui expliquera peut-tre la mort de deux militants qui ont saut avec leur bombe). En ce qui concerne les armes, soit elles sont drobes dans les casernes militaires (ainsi deux membres de la Kevrenn de Paris sont arrts le 23 janvier 1969, dans la caserne de Nevers, o ils tentaient une telle action), soit elles sont dorigine personnelle (de nombreuses armes proviennent de la Rsistance). Peut-tre des dtonateurs trangers seront fournis par lintermdiaire de Yann FOUR, mais il est plus plausible que tout cela tienne plus du mythe quautre chose, ce mythe de linterceltisme . Quen est-il de ce lien du F.L.B. avec le mouvement irlandais ? Dans ce domaine, la prcaution simpose. Des liens existent depuis toujours entre la Bretagne et les cousins irlandais. Mais un tmoignage rapporte que, dans le cadre du F.L.B.- Arme Rvolutionnaire Bretonne (qui nous retiendra dans la seconde partie), certains membres du F.L.B. ont accueilli des Irlandais ou ont effectu des petits stages en Irlande, pour tre forms techniquement. Cest vraisemblablement alors plus avec lI.N.L.A. (Irish National Liberation Army) quavec lI.R.A. que ce genre de contacts sera tiss33. Quant aux liens avec le mouvement basque, il semble avoir t de la mme nature : rien dofficiel, mais... Depuis 1992, des problmes concernant lhbergement de militants33

Une anecdote a ici sa place : sous lOccupation, certains militants du P.N.B. avaient constitu une organisation paramilitaire, le Service Spcial, en vue de prparer un coup dEtat au moment o la France serait affaiblit devant lattaque nazie. Clestin LAIN en prend la tte. Lide est de reproduire une Rvolte irlandaise de pques 1916 en Bretagne. Mais lI.R.A. ne serait pas que linspiratrice aux dires de certains : en juillet 1939, un chargement darmes est fourni au groupe Lain par le mouvement irlandais, au terme dun rocambolesque dbarquement via un bateau, le Gwalarn. Selon toute vraisemblance, il sagirait en fait darmes allemandes, lI.RA. ntant quun intermdiaire. Maintenant, on peut raisonnablement se demander pourquoi diable lAllemagne aurait pris la peine de faire traverser la Manche ses armes pour les refaire dbarquer ensuite sur les ctes bretonnes ! Quelle complication ! Evidemment, on ne vit jamais la couleur de ces armes, parce que, selon Yann FOUR, le Reich optant pour la Collaboration, il demanda la restitution de celles-ci dans lanne... (FOUR (Yann), La Bretagne cartele, N.E.L., 1976, 195 pp, p 191).

42

basques par des Bretons sont lorigine de nombreuses interpellations. Que viennent donc faire des Basques en Bretagne ? Cest peut tre htif, mais on peut imaginer quil sagit l de la manifestation la plus visible de contacts plus anciens entre les mouvements basque et breton. Mais il est certainement exagr de parler de relle solidarit entre tous les mouvements europens de libration nationale.

B) Les moyens financiers.

A loppos dautres mouvements de libration similaires, le F.L.B.-A.R.B. semble ne jamais avoir tourn au banditisme. Selon un Rapport du Ministre de lIntrieur, des impts auraient t perus, au besoin sous la menace, ce que les militants rencontrs considrent comme une pure fabulation. Certes, lide de braquer une banque a circul au sein de lorganisation, mais il a vite t compris que cela naurait pu que desservir son image. En fait, les quelques moyens financiers proviennent avant tout de cotisations volontaires, des membres ou de sympathisants. Cette rserve dargent sert ddommager les militants qui auraient eu dpenser certaines sommes dargent (billets de train ou autres...) au cours dune action. Selon certaines sources, quelques grands patrons dentreprise auraient parfois vers des sommes un peu plus importantes, mais jamais une quelconque structure de collecte de fonds na t organise34 . Les militants les plus optimistes ne le regrettent pas : dabord parce que cela a vit toute drive mafieuse (le cas corse est difiant ce sujet) ; ensuite, parce qu quoi bon acheter ce que lon peut facilement drober ? Et puis comment le F.L.B. aurait-il pu acheter des explosifs ou des armes sans se faire remarquer ? Dj, certains membres, lectriciens de profession, ayant fourni des systmes de dtonateurs, ont vite t reprs par la police.

34

BONNET (Marie Pierre), op. cit., p. 122. On notera aussi que dans les annes soixante-dix, certains individus nappartenant pas lorganisation, collecteront frauduleusement de largent en rgion parisienne, au nom du F.L.B..

43

Pour dautres militants, les responsables surtout, ce manque de moyens a au contraire t la plus grosse faiblesse de lorganisation, au point quils estiment quil aurait fallu y penser pralablement. Mais la question financire, bassement matrielle , ne vient que trs peu lesprit de militants totalement dvous la cause bretonne, et accapars par le dsir daction.

Laction : cest ce dont il va tre question maintenant, en tudiant les attentats perptrs par le F.L.B.-A.R.B. de 1966 1969. Mais laction doit saccompagner dune explication politique. Or, si chacun saccorde sur le besoin de passer laction directe pour tre entendu, il va tre beaucoup plus difficile de se mettre daccord sur le discours que le F.L.B. devra faire entendre. La lutte contre loccupant franais devra faire face ces dbuts de contradictions.

44

CHAPITRE 2 : La lutte contre loccupant franais .

Dans une lutte de libration, un mouvement clandestin dispose de deux moyens : la propagande, qui dfinira sa ligne politique et les buts quil sest donns ; et laction directe, puisque son analyse le conduit considrer la violence comme le seul moyen daccder son but dfini par sa ligne politique. Sil se contente de dfendre un discours politique de libration nationale sans utiliser laction directe, alors ce nest plus, par dfinition, une arme de libration, mais plutt une forme de parti nationaliste (lgal ou non). Mais si, loppos, il entre dans laction directe sans justifier ses actes par un discours politique prcis, qui lui permet dtre compris des autorits politiques ou de lopinion publique, alors il entre dans la spirale dune violence aveugle. O se situe le F.L.B.-A.R.B. de 1966-1969 dans un tel schma ? A priori, il a su viter ces deux cueils. Pourtant, il faut poser deux limites importantes.

En premier lieu, lorganisation clandestine souffre ds ses dbuts dune faiblesse qui va contribuer tout au long de son existence laffaiblir, diminuant sa crdibilit : ses premiers communiqus ne montrent pas danalyse politique prcise. Pire, les multiples tendances idologiques internes vont parfois se lancer dans des guerres de communiqus contradictoires, ayant pour incidence la perplexit de lopinion publique. Lorsquun F.L.B. lgal fait son apparition immdiatement aprs le dmantlement de son inspirateur clandestin, celui-ci met la problmatique de la lutte de classes au coeur de son discours. Le F.L.B.-A.R.B. clandestin ne lavait fait quen filigrane, prfrant mettre laccent sur une lutte de libration de type nationaliste . Et ce mlange lutte nationaliste-lutte de classes ne se fait pas sans ambigut.

En second lieu, on ne peut parler de faon crdible dune arme de libration ou encore moins de terrorisme . La rgle dor du F.L.B.-A.R.B. est dviter tout prix de mettre en danger la vie dautrui, que ce soit celle dun simple passant ou celle dun gendarme. Cest videmment heureux, mais certains se demanderont quest-ce

45

quune arme qui se donne pour consigne rigoureuse de ne tuer personne ? 35 Une seule rponse : ce nest videmment pas une arme. Le F.L.B.-A.R.B. de 1966-1969, le verbe haut, la firement prtendu, mais il sagit l dun pur effet de rhtorique. Laction du F.L.B.-A.R.B. a t principalement symbolique. Evidemment, certains de ses attentats ont t particulirement dvastateurs. Mais, ils ont plus cherch donner un cho retentissant au(x) problme(s) breton(s) - objectif russi - qu rellement librer la Bretagne . Yann FOUR nous livre cette anecdote o un tudiant bulgare, voquant lorganisation Gwenn-ha-du des annes trente, parlait de plaisanterie et denfantillage car elle se contentait de sattaquer symboliquement des monuments, alors que retrouver un beau matin les cinq prfets de Bretagne assassins dans leur lit, a ce serait du terrorisme 36. Il na jamais t question den arriver une telle extrmit par les membres du F.L.B. : ni vritable arme , ni groupe terroriste , les F.L.B. ont voulu se poser avant tout en veilleurs de conscience. Faire couler le sang naurait videmment entran quun immdiat rejet de la part du peuple breton.

Lutter contre loccupant franais passe donc par deux tapes pour ce premier F.L.B. : dfinir clairement lEnnemi ... et faire parler la poudre pour le faire plier . Or, cest la premire tape qui va se rvler la plus houleuse, tant les dsaccords internes vont tre nombreux...

Section 1 : Limpossible unit idologique : lutte nationaliste ou lutte de classes ?Comme on la dj expliqu, le F.L.B. merge alors que le mouvement politique breton se divise, et il devient invitablement un reflet de ces divisions. Certes, comme le dit fort justement Yann FOUR, le rveil dune conscience nationale dpasse ncessairement tous les clivages idologiques et tous les engagements partisans. Essayer35 36

MORDREL Olier, La voie bretonne : radiographie de lEmsav, Ed. Nathan, 1983, p. 96. FOUR (Yann), La patrie interdite, Ed. France-Empire, 1987, p. 132.

46

de le calquer sur un seul de ces derniers ne peut, par la force des choses, que le limiter et, ce faisant, le compromettre et le retarder 37 . Pourtant, en pratique, les querelles intestines vont empoisonner lorganisation. Les plus anciens militants traditionalistes vont subir la pousse dune nouvelle gnration marque gauche, source de divisions.

Deux textes marquent lanne 1969, qui viennent prciser la ligne politique de deux F.L.B. diffrents : le Manifeste du F.L.B.-A.R.B. clandestin, du 31 dcembre 1968 dune part ; le compte-rendu du meeting du F.L.B. lgal du 5 novembre 1969 dautre part. Ce sont ces deux documents qui vont nous retenir maintenant, nous rvlant que si le F.L.B.-A.R.B. de 1968-1969 se cantonne un discours nationaliste somme toute classique (lutte contre loccupation de type coloniale franaise etc...), le discours du F.L.B. lgal sen dmarque. Laccent est mis sur le fait que la lutte engage en Bretagne ne peut tre quune lutte de classes, les traditionalistes entendant la limiter une lutte nationaliste nayant quune vision parcellaire du problme.

1- Le courant nationaliste traditionnel : le F.L.B.-A.R.B..

Les revendications du F.L.B. de la priode 1966-69 sinscrivent dans une large mesure dans le courant des revendications classiques de lemsav. Cependant, si la substance reste la mme, avec une prtention un Etat Breton par le biais dune lutte sur les plans conomiques, sociaux et culturels, deux thmes novateurs viennent la renchrir : dabord, la lutte nationaliste bretonne est une lutte anticolonialiste. Cette problmatique dune Bretagne colonise inscrit ds lors le combat du F.L.B. dans celui des autres minorits perscutes travers le monde, nouvelle source de lgitimit. Ensuite, cette Proclamation du Front de Libration de la Bretagne de dcembre 1968, qui entend prciser ... le sens profond de sa lutte, afin quelle ne soit plus dtourne de sa vritable signification 38, essaie non sans mal de dgager les grandes lignes dun socialisme la bretonne .

37 38

FOUR (Yann), La patrie interdite, op. cit., p. 79. La proclamation du F.L.B. est retranscrite en ANNEXE II.

47

A) La lutte anticolonialiste.

La problmatique de la lutte anticolonialiste sappuie sur une analyse conomique classique, la crise conomique qui frappe la Bretagne des annes soixante et le renouveau de lindpendantisme le plus radical, arm de surcrot, tant invitablement lis. Cest le point de dpart de cette analyse qui reprend la dialectique dune Bretagne colonise par la France39 .

La Bretagne est cette poque en retard conomiquement, nul ne peut le nier. Lagriculture est en dclin, son tissu industriel est dun autre ge (principalement, la conserverie). LEtat va proposer de miser sur le tourisme et sur une relance de lindustrialisation, pas toujours de faon trs heureuse. Le tourisme entrane une conomie de dpendance aux yeux des indpendantistes. Les mouvements de dcolonisation du tiers-monde fournissent donc une base idologique idale : le F.L.N. algrien inspire le F.L.B., comme le feront plus tard le F.L.N.C. corse et le F.L.N.K.S. Kanak. Dailleurs, une bonne partie des membres du F.L.B. faisaient partie de larme franaise en Algrie. Ecoeurement face aux exactions de larme coloniale, similitudes (mpris de la langue, migration massive, exploitation du pays au profit de la France...) : ce seront autant de personnes formes laction paramilitaire qui se nourriront de lexemple algrien. Cest pourquoi la dcolonisation sachve dans une grande partie du monde et nest plus conteste que par les Etats ractionnaires et retardataires 40 aux yeux des premiers membres du F.L.B.-A.R.B.. Selon leur analyse, la domination coloniale qui affecte la Bretagne la prive du pouvoir politique de grer ses affaires. La solution est donc simple : il faut lutter pour quelle

39

A ce sujet, un ouvrage a largement inspir la lutte indpendantiste bretonne : Portrait du colonis, dAlbert MEMMI, Ed. Gallimart, 1957, (165 pp.). Albert MEMMI part de son exprience: il est Tunisien et donc colonis ; mais il nest pas musulman, et a de l un statut de colonisateur dans son propre pays. Son ouvrage met en lumire que colonis et colonisateur sont fondamentalement lis lun lautre, car la colonisation fabrique des coloniss comme elle fabrique des colonisateurs (p. 10).40

Manifeste Politique de 1968. Les citations qui suivent dans ce dveloppement seront galement tirer de ce communiqu.

48

retrouve son indpendance, et pour cela, elle doit ncessairement emprunter les schmas et les mthodes qui ont fait leur preuve dans la lutte anticolonialiste dans le monde. Dans ce cadre, lutilisation de la violence se justifie donc, mais pas nimporte quelle violence : cest ici que le F.L.B.-A.R.B. rejette les vnements de mai 1968 qui symbolisent un romantisme rvolutionnaire et anarchique, dans lequel la violence est larme absolue de la rvolution. Nous ne considrons la violence que comme un moyen et mme un devoir dautodfense, que comme un langage rvlateur de notre volont de lutte, et charg dexprimer notre colre... . Si ce discours anticolonialiste est dans lair du temps, des passages du Manifeste politique de 1968 rappellent cependant que nous sommes en face dun premier F.L.B. encore trs marqu par le courant indpendantiste le plus traditionnel. Les rfrences constantes au temps o la Bretagne tait libre sont nombreuses, alors mme que le dbut du Manifeste nentend pas revenir sur cet accident de lhistoire qui fait que le peuple breton, aprs mille ans dhistoire glorieuse et de luttes pour son indpendance, a t rduit par la force des armes accepter une domination... Pourtant, cest la plus classique nostalgie de ce pass rvolu qui amne ce communiqu dclarer que les Bretons sont brims depuis des sicles , ou quil faut assurer la renaissance et la survie de lEtat souverain que [ la Bretagne ] a t pendant prs de dix sicles... . Ce qui est par contre tout fait nouveau, cest lintrusion dune lutte de classes dans une telle analyse purement nationalitaire.

B) La lutte pour un socialisme breton.

Un problme se pose ici : alors que nous entendons jusquici que les initiateurs du F.L.B.-A.R.B. sont des militants du courant droitier de lemsav, voil que ces mmes initiateurs, rdacteurs du premier communiqu qui explique lorientation politique de lorganisation, y insufflent la problmatique de la lutte de classes. La contradiction avec le nationalisme de ces militants apparat rapidement. Si on pousse un peu la rflexion, on peut peut-tre montrer que ce nest pas quune contradiction, mais peut-tre plus

49

exactement le rsultat dun compromis, qui aurait pu tre assez habile. Des personnages comme Yann FOUR, et peut-tre Yann GOULET, ont certainement marqu de leur empreinte, sinon ce texte prcisment, au moins lidologie du F.L.B.A.R.B. ; et on ne peut les taxer de gauchisme . Cependant, une fois encore, ce qui serait difficilement explicable par une tude en vase clos de lorganisation, peut sclaircir si on sattache au contexte qui entoure la publication du Manifeste Politique, fin 1968. Un militant explique quil y a certainement un souci de plaire dans cette dclaration. Bien quofficiellement rejets dans ce texte, les vnements de mai 1968 ont certainement marqu le mouvement breton, principalement en mobilisant de jeunes militants. Il fallait ds lors prendre en compte ces nouveaux venus, ce qui ne pouvait se faire que dune unique manire : en donnant cho aux revendications socialistesrvolutionnaires dont ils se rclament. On a dj parler du gauchisme triomphant du moment ; les penseurs du F.L.B. ne pouvaient rester compltement impermables ce courant, dautant plus que cela aurait aliment limage dun F.L.B.-mouvement dextrme-droite et hritage de quelques pro-nazis. Ceci est important, puisque cest lamorage du gauchissement du F.L.B., alors mme que ce sont des lments droitiers qui sont les ttes pensantes de lorganisation. Lanalyse adopte est la suivante : Le peuple breton ntant quun peuple proltaire et de proltaires, maintenus volontairement ce stade par les intrts capitalistes matres de lEtat franais, nous ne pouvons donc concevoir notre combat que dans une adhsion aux principes gnreux du socialisme. Seulement, la suite du communiqu essaie non sans mal de montrer que le socialisme choisi ne sera pas le socialisme tatique, bureaucratique, autoritaire et imprialiste, pratiqu jusqualors ; mais quil sera adapt aux besoins du peuple breton et fait sa mesure . Il sera humaniste, coopratiste, fdraliste et communautaire, respectueux de toutes les valeurs humaines, inspir par les traditions de libert et de spiritualisme de notre civilisation celtique... . Un socialisme qui sinspire du spiritualisme celtique ? Voil qui laisse bien songeur ! Un tel discours politique ne peut effectivement que laisser perplexe la population bretonne. Lors de son rquisitoire, lAvocat Gnral du procs devant la Cour de Sret de lEtat de 1972

50

(dont nous parlons dans la deuxime partie) y voit mme une manifestation inquitante du nationalisme socialisme hitlrien41. Le bricolage auquel se livrent les rdacteurs de ce Manifeste ne convaincra mme pas