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30 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2013 - 449 BIS Foie et autoimmunité Vincent Mallet a, *, Marion Corouge a , Philippe Sogni a a Service d’hépatologie Groupe hospitalier Cochin – Saint-Vincent-de-Paul (AP-HP) 27, rue du Faubourg Saint-Jacques 75679 Paris cedex 14 Institut Cochin – CNRS (UMR 8104) – INSERM U-1016 Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité * Correspondance [email protected] 1. Introduction Les hépatopathies auto-immunes représentent un groupe hétérogène de maladies du foie englobant classiquement la cirrhose biliaire primitive, l’hépatite auto-immune et la cholangite sclérosante primitive même si pour cette dernière, aucune cible antigénique ni aucun anticorps spécifique n’a été mis en évidence (tableaux I et II). On rattache à ce groupe de maladies les syndromes de che- vauchement ou « overlap syndromes ». On peut également y adjoindre les hépatites granulomateuses en raison de la physiopathologie de la formation des granulomes et de la grande variété des maladies intra- et extra-hépatiques en cause. Les manifestations systémiques associées aux © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés. Tableau I – Hépatopathies auto-immunes. Prédominance du type d’atteinte hépatique Atteinte hépatocytaire Atteinte mixte Atteinte biliaire Hépatites auto-immunes « Overlap syndrome » ou syndrome de chevauchement Cirrhose biliaire primitive Cholangite sclérosante primitive Tableau II – Diagnostics différentiels. Maladies Clinique et biologie Auto-anticorps Anatomo-pathologie Hépatites auto-immunes Femme, transaminases et γ-globulines élevées Anti-nucléaires, - muscle lisse, -LKM, - cytosol Atteinte hépatocytaire, inflammation péri-portale, infiltrat lymphoplasmocytaire portal et lobulaire Cirrhose biliaire primitive Femme, prurit, Ph.Alc. élevées Anti-mitochondries (M2) Atteinte des petites voies bilaires, infiltrat lymphoplasmocytaire péri-canalaire Cholangite sclérosante Homme, associé à RCH (ou Crohn), imagerie + (CPRE ou bili-IRM) Non Atteinte des grosses voies biliaires, fibrose biliaire en «bulbe d’oignon», prolifération ductulaire, risque de cholangio-carcinome Sarcoïdose hépatique Ph.Alc. élevées, atteinte thoracique Non Hépatite granulomateuse Hépatite médicamenteuse cholestatique Prise médicamenteuse, atteinte aiguë Non (rares) Infiltrat inflammatoire péri-portal (éosinophiles), atteinte lobulaire, paucité des voies biliaires Ph. Alc. : phosphatases alcalines ; LKM : liver and kidney microsome ; RCH : recto-colite hémorragique ; CPRE : cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique ; IRM : imagerie par résonance magnétique. hépatites virales comme les vascularites cryoglobuliné- miques associées au virus de l’hépatite C ou la périartérite noueuse associée au virus de l’hépatite B n’entrent pas dans ce cadre nosologique. 2. La cirrhose biliaire primitive C’est une maladie rare (incidence annuelle de 5 à 10 par million) touchant à 90 % la femme entre 35 et 60 ans. Il s’agit cependant de la maladie des voies biliaires intra-hépatiques la plus fréquente. La maladie peut res- ter asymptomatique pendant plusieurs années et être découverte fortuitement par des anomalies du bilan hépatique. Les premiers symptômes sont souvent un prurit et une asthénie précédant de plusieurs mois ou années l’ictère. Les tests hépatiques sont précoce- ment perturbés avec une augmentation des phospha- tases alcalines et de la γGT. Les transaminases sont normales ou modérément élevées. Il s’y associe une augmentation du cholestérol et des IgM. Au début de l’évolution, la bilirubine est normale. L’échographie du foie montre l’absence d’anomalies des voies biliaires intra-hépatiques. Les anticorps anti-mitochondries (type M2) sont fréquemment élevés et souvent dès le début de la maladie. Ils ont une spécificité et une sensibi- lité de l’ordre respectivement de 95 % et 90 %. Il s’y asso- cie dans un tiers des cas des anticorps anti-nucléaires. Les patients avec anticorps anti-mitochondrie et bilan hépatique normal sont à risque de développer une cir- rhose biliaire primitive, ceux avec cholestase biologique sans anticorps anti-mitochondrie peuvent présenter une cirrhose biliaire primitive si la biopsie hépatique retrouve une ductopénie, une cholangite destructrice non suppu- rative (hautement suggestif de cirrhose biliaire primitive

Foie et autoimmunité

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30 // REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2013 - 449 BIS

Foie et autoimmunitéVincent Malleta,*, Marion Corougea, Philippe Sognia

a Service d’hépatologieGroupe hospitalier Cochin – Saint-Vincent-de-Paul (AP-HP)27, rue du Faubourg Saint-Jacques75679 Paris cedex 14Institut Cochin – CNRS (UMR 8104) – INSERM U-1016Université Paris Descartes – Sorbonne Paris Cité

* [email protected]

1. Introduction

Les hépatopathies auto-immunes représentent un groupe hétérogène de maladies du foie englobant classiquement la cirrhose biliaire primitive, l’hépatite auto-immune et la cholangite sclérosante primitive même si pour cette dernière, aucune cible antigénique ni aucun anticorps spécifique n’a été mis en évidence (tableaux I et II). On rattache à ce groupe de maladies les syndromes de che-vauchement ou « overlap syndromes ». On peut également y adjoindre les hépatites granulomateuses en raison de la physiopathologie de la formation des granulomes et de la grande variété des maladies intra- et extra-hépatiques en cause. Les manifestations systémiques associées aux

© 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.

Tableau I – Hépatopathies auto-immunes.

Prédominance du type d’atteinte hépatique

Atteinte hépatocytaire Atteinte mixte Atteinte biliaire

Hépatites auto-immunes

« Overlap syndrome » ou syndrome de chevauchement

Cirrhose biliaire primitiveCholangite sclérosante primitive

Tableau II – Diagnostics différentiels.

Maladies Clinique et biologie Auto-anticorps Anatomo-pathologie

Hépatites auto-immunesFemme, transaminases et γ-globulines élevées

Anti-nucléaires,- muscle lisse, -LKM, - cytosol

Atteinte hépatocytaire, inflammation péri-portale, infiltrat lymphoplasmocytaire portal et lobulaire

Cirrhose biliaire primitive Femme, prurit, Ph.Alc. élevéesAnti-mitochondries(M2)

Atteinte des petites voies bilaires, infiltrat lymphoplasmocytaire péri-canalaire

Cholangite sclérosanteHomme, associé à RCH (ou Crohn), imagerie + (CPRE ou bili-IRM)

NonAtteinte des grosses voies biliaires, fibrose biliaire en «bulbe d’oignon», prolifération ductulaire, risque de cholangio-carcinome

Sarcoïdose hépatiquePh.Alc. élevées, atteinte thoracique

Non Hépatite granulomateuse

Hépatite médicamenteuse cholestatique

Prise médicamenteuse, atteinte aiguë Non (rares)Infiltrat inflammatoire péri-portal (éosinophiles), atteinte lobulaire, paucité des voies biliaires

Ph. Alc. : phosphatases alcalines ; LKM : liver and kidney microsome ; RCH : recto-colite hémorragique ; CPRE : cholangio-pancréatographie rétrograde endoscopique ; IRM : imagerie par résonance magnétique.

hépatites virales comme les vascularites cryoglobuliné-miques associées au virus de l’hépatite C ou la périartérite noueuse associée au virus de l’hépatite B n’entrent pas dans ce cadre nosologique.

2. La cirrhose biliaire primitive

C’est une maladie rare (incidence annuelle de 5 à 10 par million) touchant à 90 % la femme entre 35 et 60 ans. Il s’agit cependant de la maladie des voies biliaires intra-hépatiques la plus fréquente. La maladie peut res-ter asymptomatique pendant plusieurs années et être découverte fortuitement par des anomalies du bilan hépatique. Les premiers symptômes sont souvent un prurit et une asthénie précédant de plusieurs mois ou années l’ictère. Les tests hépatiques sont précoce-ment perturbés avec une augmentation des phospha-tases alcalines et de la γGT. Les transaminases sont normales ou modérément élevées. Il s’y associe une augmentation du cholestérol et des IgM. Au début de l’évolution, la bilirubine est normale. L’échographie du foie montre l’absence d’anomalies des voies biliaires

intra-hépatiques. Les anticorps anti-mitochondries (type M2) sont fréquemment élevés et souvent dès le début de la maladie. Ils ont une spécificité et une sensibi-lité de l’ordre respectivement de 95 % et 90 %. Il s’y asso-cie dans un tiers des cas des anticorps anti-nucléaires. Les patients avec anticorps anti-mitochondrie et bilan hépatique normal sont à risque de développer une cir-rhose biliaire primitive, ceux avec cholestase biologique sans anticorps anti-mitochondrie peuvent présenter une cirrhose biliaire primitive si la biopsie hépatique retrouve une ductopénie, une cholangite destructrice non suppu-rative (hautement suggestif de cirrhose biliaire primitive

THÉMATIQUE À TAPER

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2013 - 449 BIS // 31

55es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR55es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR

Tableau III – Maladies extra-hépatiques associées à

la cirrhose biliaire primitive.

Associations fréquentes Associations rares (cas rapportés)

Scérodermie et CREST syndromeSyndrome sec (Sjögren)Polyarthrite et arthropathiesOstéopénieHypothyroïdieXanthélasma et hyperpigmentationLichen planAcidose tubulaire rénaleHypercholestérolémieMaladie cœliaqueSyndrome de malabsorption

OstéomalacieHyperthyroïdieLupus cutanéPemphigusDermato-polymyositeDermatite herpètiformeLupus érythémateux aigu disséminéPneumopathie interstitielleMaladie de BiermerRectocolite hémorragiqueMaladie de CrohnPancréatite chroniqueDéficit en vitamine ENeuropathie périphériqueAnémie hémolytique auto-immuneThrombopénie auto-immuneHyperéosinophilie

Tableau IV – Caractérisation des hépatites auto-immunes.

Caractéristiques Type 1 Type 2 Type 3

Fréquence chez l’adulte (10 % inclassables) 80 % 5 % 5 %

Age habituel de diagnostic 30-45 ans 2-15 ans 15-70 ans

Pourcentage de femmes 70 % 90 % 90 %

Maladies auto-immunes associées 20 % 40 % ?

Anticorps anti-muscle lisse positifs 70 % 0 % 35 %

Anticorps anti-nucléaires positifs 60 % < 5 % 0 %

Anticorps anti-LKM1 positifs 5 % 100 % 0 %

Anticorps anti-SLA positifs 10 % 0 % 100 %

IgA sériques diminués Non Oui Non

Réponse aux corticoïdes 70 % Oui 100 %

Risque de cirrhose 40 % 80 % ?

Echec du traitement /rechute Rare/variable Fréquent ?

Nécessité d’un traitement au long cours variable ≈ 100 % ?

5b – Score simplifié.

Paramètres Critères Score

Anticorps anti-nucléaires ou anti-muscle lisse + ≥ 1/40° + 1

Anticorps anti-nucléaires ou anti-muscle lisse + ouanti-LKM* + ouanti-SLA +

≥ 1/80° ou≥ 1/40° oupositifs

+ 2

Taux des IgG≥ limite supérieure de la normale≥ 1,1 x limite supérieure de la normale

+ 1+ 2

Biopsie hépatiqueCompatible avec une hépatite auto-immuneTypique d’une hépatite auto-immune

+ 1+ 2

Hépatite virale OuiNon

0+ 2

* : Liver and kidney microsome

Score ≥ 6 points : hépatite auto-immune probableScore ≥ 7 points : hépatite auto-immune affirmée

D’après [7].

5a – Score original révisé en 1999.

Paramètres Score

Sexe féminin + 2

Phosphatases alcalines (x LSN*) / transaminases (x LSN*)< 1,51,5 – 3> 3

+ 20

- 2

Gammaglobulines ou IgG (x LSN*)> 21,5 – 21 – 1,5< 1

+ 3+ 2+ 10

Anticorps anti-nucléaires, -muscle lisse ou -LKM**> 1/80°1/80°1/40°< 1/40°

+ 3+ 2+ 10

Anticorps anti-mitochondries positifs - 4

Marqueurs d’hépatite viraleOuiNon

- 3+ 3

Prise récente de médicaments potentiellement hépatotoxiquesOuiNon

- 4+ 1

Consommation d’alcool< 25 g/j> 60 g/j

+ 2- 2

Biopsie hépatiqueHépatite d’interfaceIInfiltrat lympho-plasmocytaire prédominantCellules en rosettesAucun des signes ci-dessusAtteinte biliaireAutre anomalie significative

+ 3+ 2+ 1- 5- 3-3

Autres maladies auto-immunes chez la personne ou chez un parent au premier degré + 2

Autres critères optionnels si auto-anticorps négatifsAutres auto-anticorps positifsHLA DR3 ou DR4

+ 2+1

Traitement immunosuppresseurRéponse au traitementRéponse au traitement et rechute à l’arrêt

+ 2+ 3

* Limite supérieure de la normale. ** Liver and kidney microsome.

D’après [6].

Tableau V – Scores diagnostiques des hépatites auto-immunes.

Avant traitement

Score > 15 : diagnostic certainScore 10 – 15 : diagnostic probable

Après traitement

Score > 17 : diagnostic certainScore 12 – 17 : diagnostic probable

Tableau VI – Maladies extra-hépatiques

associées aux hépatites auto-immunes.

Associations fréquentes Associations rares (cas rapportés)

Hypo- et hyperthyroïdiePolyarthrite et arthropathiesRectocolite hémorragique*Rash cutané

Diabète insulinodépendantSyndrome sec (Sjögren)Lupus érythémateux systémiqueSAPLDermatite herpètiformeMaladie cœliaqueMaladie de BiermerVitiligoAnémie hémolytique auto-immuneThrombopénie auto-immuneNeutropéniePleurésiePéricarditePneumopathie interstitielleMyasthénieNeuropathie périphériqueGlomérulonéphriteAcidose tubulairePyoderma gangrénosumPsoriasisUrticaireUvéïteMyositeSclérose en plaquesDéficit en IgA

* : voir texte

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Tableau VII – Maladies extra-hépatiques

associées à la cholangite sclérosante primitive.

Associations fréquentes Associations rares (cas rapportés)

Rectocolite hémorragique

Maladie de Crohn

Cancer recto-colique*°

Hypo ou hyperthyroïdie

Maladie cœliaque

Sarcoïdose

Pancréatite*

Cancer du pancréas*

Spondylarthropathie°

Polyarthrite rhumatoïde

Fibrose rétropéritonéale

Pyoderma gangrenosum

Dilatation des bronches

Histiocytose X

Pseudotumeurs inflammatoires

Acidose tubulaire rénale

Syndrome sec (Sjögren)

Vascularites

Sclérose en plaques

Porphyrie cutanée tardive

Hyperéosinophilie

Purpura thrombopénique idiopathique

Anticoagulant circulant

Syndrome des anti-phospholipides

Xanthomatose cutanée

Syndrome de MacDuffie

Myasthénie

Anémie hémolytique auto-immune

Amylose AA

Syndrome de Raynaud

Pemphigus

Entéropathie exsudative

Gastroentérite à éosinophiles

Myélome multiple

Syndrome polyglandulaire de type 3

* : voir texte ; ° : associés aux maladies inflammatoires chroniques intestinales.

mais non spécifique puisqu’on peut la voir dans l’hépatite autoimmune, la cholangite sclérosante primitive, le lymphome, l’hépatite C, l’hépatite E) ou une inflammation portale. Une étude comparant la présentation clinique de 5 805 patients ayant une cirrhose biliaire primitive avec anticorps anti-mitochondrie versus sans rapporte que les patients anti-corps anti-mitochondrie négatifs développent plus de maladie auto-immune [1], tout comme une autre étude de population en Angleterre [2]. En cas de négativité des anticorps anti-mitochondries par immunofluorescence indirecte, une technique par Western-Blot peut être employée ou d’autres anticorps spécifiques (mais moins sensibles) comme les anti-GP210 ou anti-sp100 peuvent être recherchés. La biopsie du foie, non indispen-sable au diagnostic dans les formes typiques, permet en revanche d’évaluer la sévérité de la maladie en appréciant notamment le degré de fibrose [3]. Les tests non-invasifs de fibrose sont en cours d’évaluation dans cette indication. Les maladies extra-hépatiques associées à la cirrhose biliaire primitive sont présentées dans le tableau III.

3. L’hépatite auto-immune

(HAI)

C’est une maladie rare (incidence annuelle de 20 à 170 par million) qui prédomine chez la femme et qui évolue par poussées de cytolyse. Trois types ont été décrits avec des critères clinico-biologiques particuliers. Le type 3, non accepté par l’ensemble des auteurs, est caractérisé par la positivité des anticorps anti-SLA/LP et est non distinguable clinique-ment du type 1 [5] (tableau IV). Le diagnostic est parfois difficile à faire. Il repose sur l’association de critères clinico-biologiques, de critères histologiques (atteinte hépatocytaire avec inflammation portale, péri-portale et lobulaire lympho-plasmocytaire associée à une fibrose de gravité variable) et de la réponse au traitement immuno-suppresseur [6] (tableau Va). L’association de maladies auto-immunes est également évocatrice. Récemment, un score simplifié a été créé, incluant les anticorps, le dosage d’IgG sériques, l’histologie hépatique et l’absence d’hépatopathie virale [7] (tableau Vb). Malgré une spé-cificité de plus de 95 % et une sensibilité de plus de 80 % pour un cut off au-delà de 7 points, son utilisation conduirait à l’exclusion des cas atypiques [8, 9]. Les maladies systémiques associées aux hépatites auto-immunes sont présentées dans le tableau VI.

4. La cholangite sclérosante

C’est une maladie rare (prévalence de 10 à 40 par million) survenant habituellement chez l’homme jeune.

Il s’agit le plus fréquemment d’une cholangite scléro-sante primitive associée ou non à une maladie inflam-matoire chronique intestinale (MICI). Plus rarement, il s’agit d’une cholangite secondaire dont les causes sont multiples : calculs intra-hépatiques, sténoses biliaires, cancers, médicaments, infections, anomalies congéni-tales, toxiques. Habituellement, une asthénie progres-sive associée à un prurit suivi d’un ictère conduit au diagnostic (tableau II). Plus rarement, des symptômes de cholangite associant douleur de l’hypochondre droit, ictère et fièvre peuvent survenir. Biologiquement, il existe le plus souvent une cholestase fluctuante et les transaminases sont modérément augmentées. Les pANCA sont présents dans 50 à 75 % des cas de cho-langite sclérosante primitive mais leur spécificité est faible. À l’imagerie (cholangiographie rétrograde par voie endocopique ou bili-IRM), il existe une atteinte des grosses voies biliaires intra- et extra-hépatiques. Plus rarement il n’existe qu’une atteinte intra- ou extra-hépatique. À la biopsie hépatique, on retrouve une prolifération ductulaire, une fibrose péri-ductulaire (« en bulbe d’oignon ») avec une réaction inflammatoire,

REVUE FRANCOPHONE DES LABORATOIRES - FÉVRIER 2013 - 449 BIS // 33

55es JOURNÉES DE BIOLOGIE CLINIQUE NECKER – INSTITUT PASTEUR

Tableau VIII – Etiologies des hépatites granulomateuses (liste non exhaustive).

Infections

Mycobactéries Tuberculose, M. avium, lèpre

Bactéries BCG, brucellose, tularémie, yersinia, Whipple…

Spirochètes Syphilis, maladie de Lyme

Champignons Histoplasmose, cryptococcose, blastomyces, cococcidioides

Protozoaires Leismaniose, toxoplasmose

Métazoaires Schistosomia, Toxocara

Rickettsies Fièvre Q, fièvre boutonneuse

Virus Hépatite C, CMV, Epstein-Barr

Xénobiotiques

Produits chimiques Beryllium, cuivre, talc

Médicaments

Aspirine, allopurinol, amiodarone, amoxycilline, carbamazépine, chlorothiazide, chlorpromazine, clofibrate, diazepam, erythrocine, glibenclamide, hydralazine, isoniazide, methyldopa, nitrofurantoïne, phénylbutazone, phénytoïne, procarbazine, quinidine, ranitidine, sulphonamides, sulphonylurées, tolbutamide…

Maladies immunologiquesSarcoïdose, maladie de Crohn, RCH, cirrhose biliaire primitive, hypogammaglobulinémie, lupus, polyarthrite rhumatoïde, sida…

Déficits enzymatiques Maladie granulomateuse

Cancers Lymphomes, carcinomes

Autres Cholestase

une oblitération ductulaire et de la fibrose pouvant aboutir à une cirrhose biliaire. L’aspect de cholan-gite fibreuse oblitérante, caractéristique de la cho-langite sclérosante, n’est retrouvé que dans moins de la moitié des cas et ne permet pas de différencier le caractère primitif ou secondaire de la cholangite. En cas de cholestase biologique associée à une irré-gularité des voies biliaires avec sténoses-dilatations à la bili-IRM, la biopsie hépatique n’est pas néces-saire au diagnostic. Elle sera réalisée en cas d’IRM normale, à la recherche d’une cholangite sclérosante primitive des petits canaux biliaires ou si présence d’anticorps antinucléaires, anti-muscle lisse, d’aug-mentation des IgG ou des transaminases faisant sus-pecter une hépatite auto-immune associée. Vingt-cinq à soixante et onze pour cents des patients ayant une cholangite sclérosante primitive ont une ou plu-sieurs maladies auto-immunes associées [10, 11]. Les maladies inflammatoires chroniques intestinales sont les maladies extra-hépatiques les plus fréquem-ment associées (tableau VII) ; parmi les autres maladies extra-hépatiques, les plus fréquentes sont la sarcoïdose, les maladies thyroïdiennes et le diabète de type 1 [11].

5. Les granulomes

Ce sont des lésions focales correspondant à l’accu-mulation de macrophages. Ils sont l’expression d’une réaction d’hypersensibilité retardée et leur régulation est sous le contrôle de lymphocytes de type TH1 et de cytokines pro-inflammatoires (IL-1, IL-2, TNF-alpha et interféron-gamma). La présence de granulomes sur une biopsie du foie varie de 2 % à 15 % [12]. Les étiologies

sont nombreuses (tableau VIII) mais la présence de granulomes sur une biopsie du foie reste encore sou-vent inexpliquée. Dans une étude occidentale récente combinant les méthodes anatomopathologiques, sérolo-giques et de biologie moléculaire, 36 % des cas restent sans cause retrouvée [12]. Les étiologies dépendent également de l’origine des patients, des facteurs de risque et des biais de recrutement. Classiquement, la tuberculose et la sarcoïdose représentent entre 50 et 75 % des causes de granulomes hépatiques, les autres principales étiologies étant les hépatites B et C et les médicaments [13]. À l’inverse, dans une étude allemande récente, la tuberculose ne représentait que moins de 1 % des cas, la sarcoïdose 8 %, les médi-caments 2 % et la cirrhose biliaire primitive 49 % [12]. Les signes cliniques dépendent de la maladie causale. Le plus fréquemment, il existe une fièvre, une altération de l’état général et un gros foie mousse. Biologiquement, il existe le plus souvent une augmentation des phos-phatases alcalines alors que les transaminases restent subnormales. La bilirubine est habituellement normale. Les autres anomalies biologiques sont le plus souvent en rapport avec la maladie causale. Dans les formes anciennes évoluées, il peut exister une hypertension portale sans insuffisance hépatocellulaire. Inversement, 35 à 50 % des patients atteints de sarcoïdose ont des perturbations du bilan hépatique [14, 15]. L’atteinte la plus fréquente est le granulome (24 – 78 %), compli-qué dans 3 % d’hypertension portale [13]. L’atteinte hépatique peut être isolée : 13 % des 180 patients de la série de Kennedy [14]. Enfin d’autres lésions ont été observées : cholestase intra-hépatique, dilatation sinusoïdale, hyperplasie nodulaire régénérative et cir-rhose biliaire primitive.

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Figure 1 – Hépatopathies auto-immunes

et syndromes de chevauchements.

Hépatite auto-immune auto-im

Cirrhose biliaire

primitive

mmunem

Cholangite sclérosante

primitive

5-15 % 6-8 %

6. Les syndromes

de chevauchement

Ils correspondent à la survenue, soit de façon conco-mitante, soit de façon successive de deux pathologies (figure 1). Le syndrome de chevauchement le plus habituel est celui associant cirrhose biliaire primitive et hépatite auto-immune. Les critères diagnostiques sont encore discutés. De manière simple, le diagnostic pourrait être retenu si au moins 2 des 3 critères suivants sont trouvés pour chacune des pathologies [16]. Pour la cirrhose biliaire primitive les critères utilisés sont : 1) phosphatases alcalines ≥ 2 N et/ou γGT ≥ 5 N ; 2) anticorps anti-mitochondries ≥ 1/80 ; 3) histologie hépatique montrant une cholangite destructrice lymphocytaire. Pour l’hépatite auto-immune, les critères utilisés sont : 1) ALAT ≥ 5 N ; 2) IgG ≥ 2 N et/ou anticorps anti-muscle lisse ≥ 1/80 ; 3) histologie hépatique montrant des lésions inflammatoires périportales et lobu-laires marquées [16]. Les séries rétrospectives rapportent habituellement une fréquence de 5 à 15 % de survenue d’un overlap syndrome au cours du suivi de malades atteints de cirrhose biliaire primitive ou d’hépatite auto-immune [17-19]. Des formes de chevauchement ont été décrites entre la cholangite sclérosante primitive et l’hépa-tite auto-immune. Des tableaux très évocateurs d’hépatite auto-immune, mais avec des anomalies de l’imagerie des voies biliaires intra-hépatiques évocatrices de cholangite

sclérosante soit simultanées soit survenant dans le suivi ont été décrits, notamment chez l’enfant ou l’adulte jeune [20, 21]. L’existence d’un syndrome de chevauchement entre cirrhose biliaire primitive et cholangite sclérosante primitive reste à démontrer.

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de

conflits d’intérêts en relation avec cet article.