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8 | La Lettre du Gynécologue n° 367 - décembre 2011 TRIBUNE Folie de l’acide folique : billet de mauvaise humeur (La supplémentation préconceptionnelle en folates ou pourquoi l'échec du concept depuis 15 ans dans l’Hexagone !) Pregnancy, folic acid, neural tube defects: spina bifida, prevention Thierry Harvey* À quoi servent les recommandations ? À rien pour certaines, nous sommes d’accord. Cependant, lorsqu’un geste aussi simple que la supplémentation en acide folique a démontré une réduction des anomalies de fermeture du tube neural (AFTN) de 40 à 80 % (figure 1) [1], on a le droit de s'étonner que la France se place en dernière position en matière de prévention. Quel bonheur d’avoir la lanterne rouge !… (figure 2). Que faire ? Réexpliquer inlassablement... La prévalence des AFTN (le plus souvent un spina bifida ou une anencéphalie) est estimée en France à 1 pour 1 000 naissances vivantes (figure 3) et, en Europe, cette malformation représente en moyenne 4 500 cas par an (2, 3). L’amélioration du statut en folates des femmes en âge de procréer, notamment en cas de désir de grossesse, fait partie des 9 objectifs spécifiques du Programme national nutrition santé 2011- 2015 repris dans la loi de santé publique avec comme objectif : “Folates dans l’alimentation : diminuer l’incidence des AFTN” (4). La Société française de pédiatrie et le Collège national des obstétriciens et gynécologues de France ont émis des recommandations sur la prévention des AFTN en 1995 et en 1997, inci- tant à la supplémentation médicamenteuse en période périconceptionnelle par 4 à 5 mg par jour chez les femmes avec un antécédent obstétrical d’AFTN et de 200 μg par jour chez les femmes sans antécédent (5). En 2000, la direction générale de la Santé tente de donner une information claire aux professionnels de santé. Ces recommandations reprenaient la dose de 5 mg par jour pour les femmes avec un antécédent obstétrical d’AFTN et celles qui sont traitées par certains médicaments antiépilep- tiques, mais augmentaient la dose à 400 μg par jour pour les femmes sans antécédent. Récemment, le Centre de recherche sur les agents tératogènes (CRAT) a établi dans son rapport que les traitements anti-épileptiques ne modi- fiaient plus le métabolisme de l’acide folique et a conclu : “La supplémentation périconceptionnelle en acide folique est inefficace, quelle que soit sa posologie (0,4 ou 5 mg/j), chez les femmes trai- tées par antiépileptiques, y compris ceux qui sont responsables d’anomalies de fermeture du tube neural (carbamazépine et acide valproïque).” La supplémentation redevient donc pour ces femmes épileptiques celle de la population générale (6). Le système nerveux se forme à partir de l’ébauche primitive de la peau, neuroblaste et épiblaste au 17 e jour. La fermeture du tube neural se fait entre le 21 e et le 28 e jour du développement embryon- naire, soit 5 et 6 semaines d’aménorrhée. On comprend bien l’absence totale d’intérêt d’une supplémentation à but préventif une fois le diagnostic de grossesse posé. Une semaine de retard de règles, c’est avant qu’il fallait y penser ! Inutile de se donner bonne conscience, il n’y a pas de supplémentation de rattrapage !... Le lien avec les folates a été supposé il y a plus de 40 ans. Le premier essai randomisé contrôlé en double aveugle a été réalisé en 1981 (7), puis plusieurs études observationnelles ont évalué le lien entre la prise d’acide folique et le risque de récur- rence ou de premier épisode d’AFTN. Toutes sauf * Maternité, GH Diaconesses, Croix Saint-Simon, Paris. 453 906 1 360 1 813 (200) (400) (600) (800) Folates érythrocytaires, nmol/l (ng/ml) 0 2 4 6 8 10 12 Risque AFTN pour 1 000 naissances Le risque de survenue d’une anomalie de la fermeture du tube neural est directement corrélé au statut maternel en folates dans la période préconception- nelle et diminue avec l’augmentation du taux de folates érythrocytaires Figure 1. Anomalies de fermeture du tube neural et statut maternel en folates (d'après Daly et al.). Femmes (%) 0 20 20 Norvège Royaume-Uni Pays-Bas Irlande Danemark Finlande Pologne Croatie Malte Espagne Autriche Suède Italie Allemagne France < 6 % Figure 2. Pourcentage de femmes ayant eu une supplémentation préconceptionnelle en acide folique : quel que le pays, c'est une minorité et les pays ayant les apports optimaux sont ceux dans lesquels il y a une politique d'éducation (d'après Eurocat special report, mai 2003). LG 2011-12.indd 8 16/02/12 08:55

Folie de l’acide folique : billet de mauvaise humeur · grossesse, fait partie des 9 objectifs spécifiques du Programme national nutrition santé 2011- ... certaines cardiopathies

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8 | La Lettre du Gynécologue • n° 367 - décembre 2011

TRIBUNE

Folie de l’acide folique : billet de mauvaise humeur(La supplémentation préconceptionnelle en folates ou pourquoi l'échec du concept depuis 15 ans dans l’Hexagone !) Pregnancy, folic acid, neural tube defects: spina bifida, prevention

Thierry Harvey*

À quoi servent les recommandations ? À rien pour certaines, nous sommes d’accord. Cependant, lorsqu’un geste

aussi simple que la supplémentation en acide folique a démontré une réduction des anomalies de fermeture du tube neural (AFTN) de 40 à 80 % (figure 1) [1], on a le droit de s'étonner que la France se place en dernière position en matière de prévention. Quel bonheur d’avoir la lanterne rouge !… (figure 2).

Que faire ? Réexpliquer inlassablement...La prévalence des AFTN (le plus souvent un spina bifida ou une anencéphalie) est estimée en France à 1 pour 1 000 naissances vivantes (figure 3) et, en Europe, cette malformation représente en moyenne 4 500 cas par an (2, 3). L’amélioration du statut en folates des femmes en âge de procréer, notamment en cas de désir de grossesse, fait partie des 9 objectifs spécifiques du Programme national nutrition santé 2011-2015 repris dans la loi de santé publique avec comme objectif : “Folates dans l’alimentation : diminuer l’incidence des AFTN” (4). La Société française de pédiatrie et le Collège national des obstétriciens et gynécologues de

France ont émis des recommandations sur la prévention des AFTN en 1995 et en 1997, inci-tant à la supplémentation médicamenteuse en période périconceptionnelle par 4 à 5 mg par jour chez les femmes avec un antécédent obstétrical d’AFTN et de 200 μg par jour chez les femmes sans antécédent (5). En 2000, la direction générale de la Santé tente de donner une information claire aux professionnels de santé. Ces recommandations reprenaient la dose de 5 mg par jour pour les femmes avec un antécédent obstétrical d’AFTN et celles qui sont traitées par certains médicaments antiépilep-tiques, mais augmentaient la dose à 400 μg par jour pour les femmes sans antécédent. Récemment, le Centre de recherche sur les agents tératogènes (CRAT) a établi dans son rapport que les traitements anti-épileptiques ne modi-fiaient plus le métabolisme de l’acide folique et a conclu : “La supplémentation périconceptionnelle en acide folique est inefficace, quelle que soit sa posologie (0,4 ou 5 mg/j), chez les femmes trai-tées par antiépileptiques, y compris ceux qui sont responsables d’anomalies de fermeture du tube neural (carbamazépine et acide valproïque).” La supplémentation redevient donc pour ces femmes épileptiques celle de la population générale (6).Le système nerveux se forme à partir de l’ébauche primitive de la peau, neuroblaste et épiblaste au 17e jour. La fermeture du tube neural se fait entre le 21e et le 28e jour du développement embryon-naire, soit 5 et 6 semaines d’aménorrhée.On comprend bien l’absence totale d’intérêt d’une supplémentation à but préventif une fois le diagnostic de grossesse posé. Une semaine de retard de règles, c’est avant qu’il fallait y penser ! Inutile de se donner bonne conscience, il n’y a pas de supplémentation de rattrapage !...Le lien avec les folates a été supposé il y a plus de 40 ans. Le premier essai randomisé contrôlé en double aveugle a été réalisé en 1981 (7), puis plusieurs études observationnelles ont évalué le lien entre la prise d’acide folique et le risque de récur-rence ou de premier épisode d’AFTN. Toutes sauf

* Maternité, GH Diaconesses, Croix Saint-Simon, Paris.

453 906 1 360 1 813(200) (400) (600) (800)

Folates érythrocytaires, nmol/l(ng/ml)

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Le risque de survenue d’une anomalie de la fermeture du tube neural est directement corrélé au statut maternel en folates dans la période préconception-nelle et diminue avec l’augmentation du taux de folates érythrocytaires

Figure 1. Anomalies de fermeture du tube neural et statut maternel en folates (d'après Daly et al.).

Fem

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(%)

0

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Norvège

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Pays-Bas

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France

< 6 %

Figure 2. Pourcentage de femmes ayant eu une supplémentation préconceptionnelle en acide folique : quel que le pays, c'est une minorité et les pays ayant les apports optimaux sont ceux dans lesquels il y a une politique d'éducation (d'après Eurocat special report, mai 2003).

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Résumé

une ont mis en évidence une diminution du taux d’AFTN avec une prise d’acide folique entre 0,4 et 1 mg par jour commencée au moins 1 mois avant la conception (8).Pour que la supplémentation soit efficace, encore faut-il qu’elle soit appliquée durant les 4 semaines précédant la conception et poursuivie pendant 8 semaines. Or, toutes les grossesses ne sont pas programmées !Comme pour la contraception d’urgence, l’informa-tion doit se faire avant. Anticipation ne rime plus avec science-fiction. La consultation préconceptionnelle doit être individualisée ou intégrée au suivi gynécologique, en particulier l'arrêt de la contraception et, pourquoi pas, intégrer ce programme avant l'arrêt lors de cette consultation.

Quelle posologie ?

Quatre cent à 800 µg par jour seul ou en association à une formule multivitaminique ? D’autres malfor-mations congénitales plus tardives (fentes labio-palatines, uropathies obstructives, omphalocèles, certaines cardiopathies et anomalies des membres) ont été associées à une carence en acide folique. Aux Pays-Bas, le rôle de l’acide folique dans la prévention des malformations congénitales est évoqué devant une diminution de 20 % en cas de supplémentation (9, 10). Dans l’étude de Czeizel (11) en Hongrie, le risque de malformations congénitales est de 22,9 pour 1 000 sans acide folique et chute à 13,3 pour 1 000 chez les femmes recevant de l’acide folique (12).

Quels besoins, pour qui et quelle carence ?Les apports alimentaires quotidiens conseillés pour les femmes adultes sont de 300 µg par jour, et de 400 µg par jour en cas de grossesse ou d’allaitement maternel. En réalité, les apports alimentaires moyens rapportés par les enquêtes sont de 249,3 µg par jour dans l’enquête de l’Institut national du cancer (INCa) conduite en 1998-1999 par l’Institut de veille sanitaire et l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (Afssa), répétée tous les 5 ans. En 2004, la moyenne des apports en folates est de 262 µg par jour chez 600 patientes, 75 % des femmes en âge de procréer ont des apports alimentaires en folates insuffisants. On compte moins de 60 % des apports conseillés chez un tiers des 18 à 39 ans.

Que faire ?

Émettre des recommandations ? Les recommandations officielles en Angleterre existent depuis 1992, et ce n’est qu’en 1998 que Mathews et al. (13) ont montré que seules 21 % des femmes avaient une supplémenta-tion adaptée. Les facteurs associés à la prise adéquate étaient l’âge, le nombre de grossesses antérieures et le caractère programmé ou non de la grossesse…Certains États ont opté pour une supplémenta-tion collective, par enrichissement en vitamine B9 d’un vecteur alimentaire courant et peu onéreux. Le problème éthique peut se poser en ces termes : choisir entre ne pas enrichir l’alimentation, en sachant perti-nemment que la supplémentation réduit de façon “indiscutable” l’incidence des AFTN, et imposer à toute la population l’aliment enrichi, éventuellement, avec une variante de produits non enrichis. L'adjonction de B12 doit permettre d'éviter le risque théorique de masquer des carences chez les personnes âgées, sans oublier que la vitamine B12 est impliquée dans le méta-bolisme des folates et… sa carence isolée est retrouvée comme facteur de risque d’AFTN.La difficulté de faire supporter par les personnes plus âgées d'éventuels effets indésirables, en l'absence de bénéfice direct démontré est affaire de solidarité entre générations, mais disparaît d'elle-même si d'autres bénéfices de santé étaient définitivement prouvés.La toxicité de l’acide folique est faible. Aucun effet

!

Europe totalUkraine

UK (vallée de la Tamise)Suisse

Espagne (Barcelone)Portugal

Pologne*Norvège

Pays-Bas (partie nord)Italie (Toscane)

Irlande (Dublin)**Hongrie

Allemagne (Saxon-Anhalt)France (Paris)

DanemarkCroatie

Belgique (Anvers)Autriche

0 5 10 15 20 25

Taux pour 10 000 naissances

Figure 3. Pourcentage de femmes ayant eu une supplémentation préconceptionnelle en acide folique : quel que le pays, c'est une minorité et les pays ayant les apports optimaux sont ceux dans lesquels il y a une politique d'éducation (d'après Eurocat, mai 2003).

» À quoi sert de prévenir ? La fréquence des anomalies de fermeture du tube neural peut diminuer, sans disparaître, par une supplémentation préconceptionnelle en acide folique individuelle à défaut de collective. La France détient la lanterne rouge malgré des recommandations des sociétés savantes et des instances sanitaires.

» Pourquoi ? Sous-information, méconnaissance, oubli, incrédulité devant la rareté de la pathologie ? Toutes ces explications s’additionnent. La consultation préconceptionnelle formalisée ou intégrée à la consultation de gynécologie pourrait être une des solutions en informant les patientes de la nécessité d’une supplémentation en acide folique de 400 µg par jour au moins 1 mois avant la conception et 2 mois après.

Mots-clésGrossesseAcide foliqueFolatesAnomalies fermeture tube neuralSpina bifidaPréventionConsultation préconceptionnelle

HighlightsWhy preventing? Despite recommendations, the failure of the periconceptional folic acid supplementation policy leads to Neural Tube Defects (NTD) .In France less than 10 % of pregnant women have a folic acid supplementation. Why? Low information of professionals and women? Bad knowledge? NTD could be prevented if folic acid supplements (400 µg of folic acid) were given one month prior to conception and 8 weeks after conception.

KeywordsPregnancy

Folic acid

Neural tube defects

Spina bifida

Prevention

Prenatal diagnosis

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TRIBUNE

1. Haute Autorité de santé. Commission de transparence. Avis de la commission (http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/ct031338.pdf). 2. Khoshnood B, Lelong N, Vodovar V et al. Registre des malformations congénitales de Paris. Surveil-lance épidémiologique et diagnostic prénatal des malformations : évolution sur 27 ans (1981-2007).Paris : Inserm U953.3. Eurocat. Prevention of neural tube defects by peri-conceptional folic acid supplementation in Europe (Updated version December 2009). http://www.eurocat-network.eu/4. Programme national nutrition santé 2011-2015. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/PNNS_2011-2015.pdf5. Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Supplémentation au cours de la grossesse. Recommandations de la pratique clinique. http://www.cngof.asso.fr/D_PAGES/PURPC_03.HTM6. CRAT. Pas d’intérêt de l’acide folique chez les femmes enceintes traitées par anticonvulsivants (épileptiques ou non). http://www.lecrat.org/article.php3?id_article=8847. Laurance KM, James N, Miller M, Tennant GB, Camp-bell H. Double-blind randomised controlled trial of folate treatment before conception to prevent recur-rence of neural tube defects. Br Med J 1981;282:1509-11.8. MRC vitamin study research group. Prevention of neural tube defects: results of the Medical research council vitamin study. Lancet 1991;338:131-7.9. Bakker MK, Blom HJ, Den Heijer M, De Walle HEK, Kapusta L, Van Beynum IM. Protective effect of periconceptional folic acid supplements on the risk of congenital heart defects: a registry-based case-control study in the northern Netherlands. European Heart J 2010;31:464-71.10. Aneren G, Armstrong B, Busby A et al. Folate en période périconceptionnelle et prévention du risque de fente oro-faciale : rôle des apports alimentaires en France. Rev Epidemiol Sante Pub 2005;4:351-60.11. Czeizel AE. Prevention of congenital abnormalities by periconceptional multivitamin supplementation. BMJ 1993;306:1645-8.12. Boog G. Supplémentation en folates durant la grossesse. Real Gynecol Obstet 2005;106:11-4.13. Mathews F, Yudkin P, Neil A. Folates in the peri-conceptional period: are women getting enough? Br J Obstet Gynaecol 1998;105:954-9.14. Jacques PF et al. The effect of folic acid fortification on plasma folate and total homocysteine concentra-tions. N Engl J Med 1999;340:1449-54.15. Homocysteine Studies Collaboration. Homocysteine and risk of ischemic heart disease and stroke: a meta-analysis. Jama 2002;288:2015-22.16. Wald DSL, M. Morris JK. Homocysteine and cardio-vascular disease: evidence on causality from a meta-analysis. BMJ 2002;325:1202-8.17. Cochrane collaboration. Periconceptional supple-mentation with folate and/or multivamins for preven-ting neural tube defects. Disponible sur http://apps.who.int/rhl/reviews/CD001056.pdf

Références bibliographiques indésirable n’a été associé à la consommation de doses importantes de folates alimentaires. En 2003, l’Afssa note : “L’enrichissement d’un vecteur alimentaire courant (comme la farine panifiable en France) apparaît comme une stratégie possible. Selon les résultats de simulations effectuées à partir d’enquêtes effectuées par l'INCa, un enri-chissement de 240 μg de vitamine B9 pour 100 g de farine permettrait d’éviter entre 170 et 210 cas par an d’anomalies de fermeture du tube neural sur un total de 800 à 1 000 cas, de réduire de 10 % les événements cérébrovasculaires et de 6 % les événements coronaires chez les adultes de plus de 45 ans. Cependant, une décision d'enrichis-sement doit prendre en compte un ensemble de considérations éthiques et reposer sur les résultats d'un programme pilote sur le terrain, car la simple transposition de l'expérience nord-américaine n'est pas adaptée.”Parmi les bénéfices secondaires de la supplé-mentation en folates, une diminution des pathologies cardiovasculaires (réduction de l’homocystéine plasmatique) a été montrée sur la cohorte de Framingham (14). En compa-rant les périodes avant et après la mise en place de l’enrichissement obligatoire aux États-Unis à 140 μg/100 g de farine, une diminution moyenne de l’homocystéine plasmatique a été observée. Une méta-analyse publiée dans le JAMA (15) indique une réduction du risque estimée à partir des études prospectives de 19 % pour les accidents vasculaires cérébraux (OR = 0,81 ; IC95 : 0,69-0,95) et de 11 % pour les cardiopathies ischémiques (OR = 0,89 ; IC95 : 0,83-0,96). De même, l’augmentation de l’homocystéine plasmatique est associée à une augmentation du risque de thrombose veineuse ; une diminution de 3 μmol/l de l’ho-mocystéine diminue le risque de thrombose veineuse de 25 % (IC95 : 8-38 %) [16]. Sur le plan obstétrical, l’hyperhomocystéinémie est associée à des pathologies gravidiques, telles que fausses couches à répétition, prééclampsie, hématome rétroplacentaire, retards de crois-sance intra-utérins, accidents thromboembo-liques, ainsi que les anomalies de fermeture du tube neural. La supplémentation en folates, en réduisant l’homocystéinémie plasmatique, participerait à une réduction de la survenue de ce type d’accidents.

L’herbe est-elle plus verte ailleurs ?Aux États-Unis (comme au Canada), la supplémentation est obligatoire depuis 1998

(140 µg d’acide folique par 100 g de farine). Les apports ont augmenté de 190 µg par jour et la prévalence des AFTN a diminué de 19 % entre 1995-1996 et 1998-1999. Au Mexique, l’enrichissement est obligatoire depuis 1999 (200 µg par 100 g de farine).En Europe, seule la Hongrie a mis en place un enrichissement depuis 1998 (sur une base volontaire). Quant au gouvernement anglais, il a retardé la mise en application des recommanda-tions pour insuffisance de preuves de l’innocuité de l’enrichissement vis-à-vis du masquage de la carence en vitamine B12, pour non-maîtrise des aspects techniques de l’enrichissement et, argument de poids, le choix du consommateur ne serait pas respecté en cas d’enrichissement généralisé obligatoire.

Conclusion

La grossesse nécessite un bon apport en folates pour prévenir les anomalies de fermeture du tube neural et probablement d’autres patholo-gies vasculaires par le biais de son action hypo-homocystéinémiante, mais aussi pour corriger une carence martiale trop fréquente, elle aussi d’origine alimentaire.L’Organisation mondiale de la Santé, en 2002, donnait 3 options possibles : l’augmentation des apports alimentaires, la supplémentation indivi-duelle et l’enrichissement des farines avec 240 µg par 100 g de farine Aucune option définitive n’a été fixée. Si les bénéfices cardiovasculaires ont été prouvés, la non-supplémentation représenterait une perte de chance, car les effets bénéfiques sont supé-rieurs aux effets adverses potentiels.La place de la consultation préconceptionnelle est ici primordiale en termes de prévention primaire. Rappelons que, si elle est envisagée, la grossesse est souvent non programmée. Alors, que penser d’une contraception contenant la quantité préventive d’acide folique ? Et pour les inconditionnels de l’Evidence-based medicine, la sacro-sainte Cochrane enfonce le clou ! (17).Alors qu’attendons-nous ? La découverte d’une anencéphalie à l’échographie du premier trimestre, d’un spina au deuxième ou au troi-sième trimestre, voire à la naissance ? Que dire du versant médico-légal ?Enfin, cette supplémentation individuelle n’ac-croîtra pas le déficit de la Sécurité sociale, et si on voulait réellement faire des économies… la supplémentation des farines est la solution adoptée ailleurs, mais ailleurs ce n’est jamais nous. ■

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