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5 L ’histoire architecturale de la fortification des Croisés au Proche-Orient, remarquablement introduite par le baron Rey au XIX e siècle, puis par Paul Deschamps au XX e siècle, demeure aujourd’hui balbu- tiante : les travaux de ces illustres prédé- cesseurs, irremplaçables, ont cependant été dépassés par l’évolution des connais- sances, ainsi que par les nouveaux champs de recherche – essentiellement en Terre sainte, sous l’impulsion des archéologues d’Israël, et des écoles d’archéologie asso- ciées, en particulier britannique. Esquisser une synthèse de l’architec- ture fortifiée au temps de Saint Louis dans ces régions peut sembler, dès lors, une gageure. Une première raison en est que le temps de Saint Louis au Proche-Orient se réduit à quatre années passées par le roi lui-même de 1250 à 1254 en Terre sainte – il ne semble pas qu’il soit jamais sorti des limites strictes du royaume de Jérusalem. Que signifient, dès lors, d’arbitraires limites de temps fournies par le commen- cement et la fin d’un règne en France, aussi important qu’il soit, alors que le Proche-Orient était soumis à des com- plexes réseaux d’influence dépassant large- ment le contexte « français » de l’époque, son architecture se nourrissant de ces confrontations et échanges ? Plus profondément, l’histoire de l’ar- chitecture civile, et plus encore celle de l’architecture fortifiée, n’ont jamais été véritablement explorées et synthétisées pour le XIII e siècle ; dans leurs ouvrages, le baron Rey et Paul Deschamps ont trop souvent antidaté les ouvrages qu’ils analy- saient, pour les faire apparaître comme les résultats positifs d’un processus de colonisation, refusant inconsciemment de reconnaître comme telles des construc- tions manifestement musulmanes, ou tout simplement ignorant des sites majeurs comme ceux de Terre sainte. Réattribuer à chacun sa part dans les forteresses qu’ils ont étudiées est, en soi, un premier travail de remise en cause passionnant, mais non achevé aujourd’hui ; prendre en compte les sites qu’ils ne connaissaient pas est un autre préalable. Enfin, encore faudrait-il pouvoir caractériser la masse de construc- tions de second ordre qui ont été fouillés et inventoriés – en particulier en Terre sainte 1 ; c’est encore bien loin d’être le cas. Aussi le présent travail est-il seulement une contribution à une meilleure connais- sance de l’architecture fortifiée du second tiers du XIII e siècle, fondée sur les travaux connus à ce jour, et sur les investigations menées depuis plusieurs années par l’équi- pe du CESCM de Poitiers, qui ont débou- ché sur plusieurs publications 2 . LE CHAMP DE L ÉTUDE Du nord au sud des anciennes princi- pautés, la liste des sites où peut être iden- tifiée aujourd’hui une activité de fortifica- tion due aux Croisés au XIII e siècle n’est pas considérable. Comme on le sait, l’es- sentiel des places de l’arrière-pays avait été enlevé dès la fin de la décennie 1180-1190 par Saladin dans sa marche conquérante d’après Hattin, entraînant un repli dans les zones côtières. Les anciens possesseurs ou leurs familles étaient le plus souvent hors de capacité d’engager une reconquête – ou, lorsqu’ils étaient encore en posses- sion théorique de leur bien, étaient inca- pables de les remettre en état de défense, loin des bases constituées par la zone côtière et ses villes-ports. Les principaux constructeurs furent donc, durant tout le XIII e siècle, les ordres militaires : le Temple avec Chastel-Pèlerin (‘Atlit, Israël), Saphet (Safed, Israël), Chastel-Blanc (Safitha, Syrie), Tortose (Tartus, Syrie) ; les Hospitaliers avec le Crac (Qal‘at al-Hosn, Syrie), Margat (Qal‘at al-Marqab, Syrie), Coliath (Qulei‘at, Liban), Chastel-Rouge (Castrum rubrum, Qal‘at Yahmur, Syrie) ; les Chevaliers Teutoniques avec Montfort (Qal‘at al-Qurain, Israël). Mais ces travaux furent, le plus souvent, des agrandisse- ments ou des renforcements de fortifica- tions préexistantes, si l’on excepte par exemple Montfort, château neuf des Teutoniques bâti à partir de 1226 3 . De l’activité des princes (Tripoli, Antioche), l’on ne sait rien dans leurs capitales ; quant aux seigneurs petits ou grands, il n’en est guère qui aient défrayé la chronique par la mention de construction ou de renforce- ment de châteaux. Pourtant, malgré cette lacune de sources historiques ou architec- turales, des fouilles réalisées par les équipes israéliennes depuis une vingtaine d’années ont révélé un site remarquable, celui d’Arsur (Apollonia, Israël), construit à neuf par Jean d’Ibelin à partir de 1241 4 . Cet exemple vient prouver qu’il put y avoir des campagnes de fortification dans des fortifi- cations aujourd’hui disparues : Joinville ne mentionne-t-il pas que le comte de Jaffa avait considérablement renforcé son châ- teau avant même que Saint Louis ne vien- ne construire ici une enceinte urbaine ? L’activité des rois de Jérusalem fut limitée – ne serait-ce que par la perte de leur capitale, remplacée par Acre. C.N. Johns avait identifié cependant des travaux à la tour de David attribuables à l’administration de Frédéric II, pendant l’intervalle où Jérusalem redevint capitale, entre 1227 et 1239 ; ces travaux sont LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT Jean MESQUI Bulletin Monumental Tome 164-1 • 2006 Fortification St louis.qxd 18/04/2006 16:12 Page 5

Fortification St louis - Mesqui · Fortification St louis.qxd 18/04/2006 16:12 Page 5. difficilement identifables, noyés dans les constructions postérieures, mamelouk et ottomane,

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    L’histoire architecturale de lafortification des Croisés auProche-Orient, remarquablementintroduite par le baron Rey auXIXe siècle, puis par Paul Deschamps auXXe siècle, demeure aujourd’hui balbu-tiante : les travaux de ces illustres prédé-cesseurs, irremplaçables, ont cependantété dépassés par l’évolution des connais-sances, ainsi que par les nouveaux champsde recherche – essentiellement en Terresainte, sous l’impulsion des archéologuesd’Israël, et des écoles d’archéologie asso-ciées, en particulier britannique.

    Esquisser une synthèse de l’architec-ture fortifiée au temps de Saint Louis dansces régions peut sembler, dès lors, unegageure. Une première raison en est que letemps de Saint Louis au Proche-Orient seréduit à quatre années passées par le roilui-même de 1250 à 1254 en Terre sainte– il ne semble pas qu’il soit jamais sorti deslimites strictes du royaume de Jérusalem.Que signifient, dès lors, d’arbitraireslimites de temps fournies par le commen-cement et la fin d’un règne en France,aussi important qu’il soit, alors que leProche-Orient était soumis à des com-plexes réseaux d’influence dépassant large-ment le contexte « français » de l’époque,son architecture se nourrissant de cesconfrontations et échanges ?

    Plus profondément, l’histoire de l’ar-chitecture civile, et plus encore celle del’architecture fortifiée, n’ont jamais étévéritablement explorées et synthétiséespour le XIIIe siècle ; dans leurs ouvrages, lebaron Rey et Paul Deschamps ont tropsouvent antidaté les ouvrages qu’ils analy-saient, pour les faire apparaître commeles résultats positifs d’un processus decolonisation, refusant inconsciemment dereconnaître comme telles des construc-

    tions manifestement musulmanes, ou toutsimplement ignorant des sites majeurscomme ceux de Terre sainte. Réattribuer àchacun sa part dans les forteresses qu’ilsont étudiées est, en soi, un premier travailde remise en cause passionnant, mais nonachevé aujourd’hui ; prendre en compteles sites qu’ils ne connaissaient pas est unautre préalable. Enfin, encore faudrait-ilpouvoir caractériser la masse de construc-tions de second ordre qui ont été fouilléset inventoriés – en particulier en Terresainte 1 ; c’est encore bien loin d’être le cas.

    Aussi le présent travail est-il seulementune contribution à une meilleure connais-sance de l’architecture fortifiée du secondtiers du XIIIe siècle, fondée sur les travauxconnus à ce jour, et sur les investigationsmenées depuis plusieurs années par l’équi-pe du CESCM de Poitiers, qui ont débou-ché sur plusieurs publications 2.

    LE CHAMP DE L’ÉTUDE

    Du nord au sud des anciennes princi-pautés, la liste des sites où peut être iden-tifiée aujourd’hui une activité de fortifica-tion due aux Croisés au XIIIe siècle n’estpas considérable. Comme on le sait, l’es-sentiel des places de l’arrière-pays avait étéenlevé dès la fin de la décennie 1180-1190par Saladin dans sa marche conquéranted’après Hattin, entraînant un repli dansles zones côtières. Les anciens possesseursou leurs familles étaient le plus souventhors de capacité d’engager une reconquête– ou, lorsqu’ils étaient encore en posses-sion théorique de leur bien, étaient inca-pables de les remettre en état de défense,loin des bases constituées par la zonecôtière et ses villes-ports.

    Les principaux constructeurs furentdonc, durant tout le XIIIe siècle, les ordresmilitaires : le Temple avec Chastel-Pèlerin(‘Atlit, Israël), Saphet (Safed, Israël),Chastel-Blanc (Safitha, Syrie), Tortose(Tartus, Syrie) ; les Hospitaliers avec leCrac (Qal‘at al-Hosn, Syrie), Margat(Qal‘at al-Marqab, Syrie), Coliath(Qulei‘at, Liban), Chastel-Rouge (Castrumrubrum, Qal‘at Yahmur, Syrie) ; lesChevaliers Teutoniques avec Montfort(Qal‘at al-Qurain, Israël). Mais ces travauxfurent, le plus souvent, des agrandisse-ments ou des renforcements de fortifica-tions préexistantes, si l’on excepte parexemple Montfort, château neuf desTeutoniques bâti à partir de 1226 3. Del’activité des princes (Tripoli, Antioche),l’on ne sait rien dans leurs capitales ; quantaux seigneurs petits ou grands, il n’en estguère qui aient défrayé la chronique par lamention de construction ou de renforce-ment de châteaux. Pourtant, malgré cettelacune de sources historiques ou architec-turales, des fouilles réalisées par les équipesisraéliennes depuis une vingtaine d’annéesont révélé un site remarquable, celuid’Arsur (Apollonia, Israël), construit à neufpar Jean d’Ibelin à partir de 1241 4. Cetexemple vient prouver qu’il put y avoir descampagnes de fortification dans des fortifi-cations aujourd’hui disparues : Joinville nementionne-t-il pas que le comte de Jaffaavait considérablement renforcé son châ-teau avant même que Saint Louis ne vien-ne construire ici une enceinte urbaine ?

    L’activité des rois de Jérusalem futlimitée – ne serait-ce que par la pertede leur capitale, remplacée par Acre.C.N. Johns avait identifié cependant destravaux à la tour de David attribuables àl’administration de Frédéric II, pendantl’intervalle où Jérusalem redevint capitale,entre 1227 et 1239 ; ces travaux sont

    LA FORTIFICATION DES CROISÉSAU TEMPS DE SAINT LOUIS

    AU PROCHE-ORIENTJean MESQUI

    Bulletin Monumental Tome 164-1 • 2006

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  • difficilement identifables, noyés dans lesconstructions postérieures, mamelouk etottomane, qui ont donné à la citadelleson aspect actuel 5. En fait, il faut atten-dre l’arrivée de Saint Louis, qui ne futjamais roi de Jérusalem, mais joua de faitce rôle pendant ses quatre années auProche-Orient, pour ressentir les effetsd’une véritable politique de fortification :dès le mois de mai 1250, selon Joinville, ilavait fermé le faubourg de Montmusard àAcre, mais les historiens modernes s’inter-rogent sur la nature même des travauxréellement effectués en raison de la pré-sence d’une enceinte préexistante 6 ; en1251 et au commencement de 1252, il fitconstruire des enceintes urbaines à Haïfaet Césarée, cette dernière seule conservée.Puis, de mai 1252 à la fin juin 1253, ils’installa à Jaffa pour entourer le bourgurbain d’une solide muraille aboutissantdes deux côtés à la mer, flanquée de 24tours et défendue par un double fossé. Lamême année, le roi avait envoyé sonmaître des arbalétriers Simon deMontcéliard pour fortifier la ville deSidon (Saïda, Liban), la Sagette desCroisés ; à peine le maître avait-il com-mencé le chantier qu’une razzia musul-mane entraîna un repli en panique sur lechâteau de mer, et un épouvantable mas-sacre, la population n’ayant pu s’y abriter.Après cette débâcle, Saint Louis vint enpersonne pour « fermer la citée de hausmurs et de grans tours » 7.

    Le roi fut apparemment extrêmementsensible à la situation des populationsciviles : dans chacun des cas mentionnés,il s’agit d’enceintes urbaines, destinées àmettre à l’abri les populations habitanthors des enceintes existantes, ou deschâteaux, des razzias musulmanes. Il nesemble pas qu’il ait fait construire, voirerenforcer, une seule forteresse – si l’onexcepte Sidon, avec bien des réservesquant à l’attribution des campagnes deconstruction. Il n’empêche que le roi dutdonner une impulsion majeure dans toute

    la Terre sainte en vue d’une remise en étatet d’une amélioration des fortificationsexistantes, lui-même s’occupant des popu-lations civiles, alors que d’autres, pluspuissants et plus riches, à commencerpar les ordres chevaleresques, pouvaientprendre en charge leur propre défense.

    Ce court intermède royal français nefut cependant que peu de chose par rap-port à trois quarts de siècle où, naturelle-ment, ces forteresses accrurent leursdéfenses pour résister à des armées enne-mies de mieux en mieux organisées.

    LES GRANDES TENDANCES DEL’ARCHITECTURE FRANQUE DU

    XIIIe SIÈCLE AU PROCHE-ORIENT

    Dans les territoires métropolitainss’imposait, dès la fin du XIIe siècle, sousl’impulsion de Philippe Auguste et desrois Plantagenêt, une architecture caracté-risée par le recours systématique à destracés géométriques, flanqués de tours àarchères aux formes cylindriques oudérivées ; l’essor du modèle « philippien »,fortement normalisé, ainsi que la floraisonde l’innovation « Plantagenêt », furentconsidérables sur les territoires franco-anglais, permettant le déploiement d’unnombre important de châteaux et d’en-ceintes urbaines recourant aux mêmesstandards d’usage 8.

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    Jean MESQUI

    Fig. 1 - Crac des Chevaliers, vue de la seconde enceinte et de son glacis, par Paul Deschampsvers 1930.

    Fig. 2 - Chastel-Pèlerin, restitution simplifiée du front d’attaque (J. Mesqui).

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  • La situation est plus diversifiée auProche-Orient. Deux exemples sensible-ment contemporains, et pourtant antino-miques, le montrent bien. Le Crac desChevaliers, après une première phase deconstruction reposant sur une enceintepolygonale flanquée de tours rectangu-laires, fut renforcé au début du XIIIe sièclepar un corset partiel reposant sur un glacisconsidérable d’où jaillisaient quatre tourscirculaires à archères, manifestementissues des modèles métropolitains « phi-lippiens » (fig. 1 et 27). En ce début duXIIIe siècle, sous l’impulsion desHospitaliers, le Crac devenait ainsi unparfait exemple d’importation des stan-dards développés en France.

    À l’inverse, Chastel-Pèlerin, construitpar les Templiers à partir de 1218, offreune vision radicalement différente : troisenceintes successives y forment le frontd’attaque, dont une est la contrescarpe for-tifié du fossé, et les deux autres sont flan-quées par de puissantes tours rectangu-laires aux murs quasi aveugles si ce n’est auniveau du chemin de ronde (fig. 2 et 25).

    Influencée par des châteaux antérieursproche-orientaux, en particulier le châteauHospitalier de Belvoir (Kokhav Ha-Yarden, Israël) construit dans les années1170 9, la conception de cette forteressefut certainement marquée par la réfé-rence à des théoriciens antiques de la

    fortification, comme le remarquait déjàT.E Lawrence au siècle dernier 10. En par-ticulier, l’organisation du deuxième frontà trois tours, chacune d’entre elles pour-vue de deux poternes latérales diamétrale-ment opposées, est une application fidèledes doctrines de Philon de Byzance 11.

    Ces deux exemples mettent en éviden-ce les deux grands courants de la fortifica-tion de la première moitié du XIIIe siècleau Proche-Orient : l’une, incarnée parChastel-Pèlerin, est celle d’une continuitéde traditions mélangeant les acquis de lafortification antique, mâtinés d’usagesoccidentaux, qui a constitué l’essentielde la fortification des Croisés durant leXIIe siècle ; l’autre, incarnée par le Crac,est celle de l’ouverture à des formes etdes modes développés depuis peu enOccident, faisant la part belle à la tour cir-culaire à archères. On peut caractériser lesconstructions du XIIIe siècle en fonctionde ces deux grandes typologies.

    Le premier groupe : fortificationd’influence métropolitaine

    Dans le premier groupe, celui des châ-teaux influencés par l’architecture métro-politaine, on classera les sites suivants, quifont l’objet de notices dans l’Annexe :

    - le Crac (Hospitaliers), pour sa troi-sième enceinte, flanquée de tours semi-circulaires à archères régulièrementimplantées et relativement standardisées(fig. 27) ;

    - Margat (Hospitaliers), tant pour sonenceinte urbaine, que pour le château, oùl’on trouve une tour maîtresse de plan cir-culaire, et des tours flanquantes régulière-ment espacées, pourvues d’achères (fig. 29et 30) ;

    - Montfort (Teutoniques), avec sacurieuse tour maîtresse curviligne, peut-être inspirée de Margat, et les tours flan-quant l’enceinte de basse-cour (fig. 32).

    - Sidon (château de mer), avec la tourmaîtresse semi-circulaire accolée à unmassif trapézoïdal, peut-être attribuable àSaint Louis en 1253 (fig. 1 et 35).

    À ces fortifications bien connues, ilfaut ajouter celle, révélée dans ce volume,d’Arsur, construit à partir de 1241 parJean II d’Ibelin d’Arsur, bayle deJérusalem de 1247 à 1254 et de 1256 à1268, fils de Jean Ier, le fameux « VieuxSire de Beyrouth » (fig. 3).

    Cet édifice bien daté (Joinville leconsidérait comme un chastel « moultfort » en 1253) a fait l’objet d’une concep-tion soignée par un architecte de talent,

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    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    Fig. 3 - Arsur, plan du château (dessin J. Mesqui d’après I. Roll et B. Arubas).

    Fig. 4 - Margat, vue de la tour G, avec la tourconcentrique formant fausse-braie.

    Cl. J. Mesqui.

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    Jean MESQUI

    tant son plan traduit une recherche inté-grant l’ensemble des acquis de l’époque.

    Adossé à la mer, il présente de ce côté unensemble de bâtiments résidentiels coupéen deux par une « tour-maîtresse » rectan-gulaire se prolongeant par une chapellepolygonale. Du côté de la terre, cet en-semble est précédé par une enceinte polygo-nale à tours circulaires flanquantes, deuxd’entre elles encadrant la porte d’entrée. Lamoindre des particularités n’est sans doutepas la réalisation d’un véritable corset pourcette enceinte, en forme de trèfle, formantune terrasse défensive à double but : celuid’offrir une surface d’assise pour unedéfense lourde par des engins ; celui derendre bien plus difficile le travail de sape etde mine, celles-ci ne pouvant toucher direc-tement le cœur de la forteresse.

    On chercherait en vain des inspira-tions directes à cet ouvrage remarquable,car il paraît bien être une synthèse entreles acquis de la fortification philippienne(enceinte géométrique flanquée de tours),des usages palatiaux plutôt orientaux(palais à deux grandes ailes rectangulairesséparés par un corps principal perpendi-culaire servant de passage à la base), desconcepts utilitaires également orientaux(bâtiments en halle longeant les cour-tines), enfin des concepts défensifs peuusités (terrasse remparée en trèfle).

    Ce dernier concept est cependant pré-sent dans un autre site au Proche-Orient :celui de Margat, où l’une des tours circu-laires à archères (tour G), est ainsi corsetéepar une terrasse dont la partie supérieurepermet la présence d’un chemin-de-ronde(fig. 4 et 29). Mais l’usage qui en est faitici n’a nullement l’ampleur d’Arsur.

    En fait, il n’est guère qu’un site que jeconnaisse pour présenter des dispositionssimilaires : situé en France, il s’agit de l’an-cien château des sires de Coucy à Saint-Gobain, bâti dans les années 1230. Ici,l’enceinte du château, à quatre toursd’angle circulaires et une tour rectangu-laire, est corsetée dans une terrasse pour-vue d’autant de lobes que de tours circu-laires, fournissant un espace supérieur decirculation autour de la forteresse. Dans cechâteau, les concepteurs allèrent plus loinencore, puisque sous le niveau de terrassefut aménagée une gaine continue de cir-culation défensive, pourvue de nom-breuses archères 12 (fig. 5 et 6).

    Fig. 5 - Saint-Gobain, restitution du château par I. Peiches.

    Fig. 6 - Saint-Gobain, le « socle » du château et sa gaine (restitution J. Mesqui).

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    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    Il n’est bien sûr pas question d’affir-mer qu’il y eut une relation d’influencedirecte entre l’un et l’autre de ces châ-teaux ; leur caractère contemporainmontre qu’à des milliers de kilomètres dedistance, les architectes pouvaient trouverdes solutions équivalentes à la question dela protection des bases contre la sape et lamine. On reviendra plus loin à cet aspectde la protection des bases.

    Une autre fortification franque, révéléepar Paul Deschamps dans le troisièmevolume de sa trilogie, est celle de Cursat(Qal‘at az-Zau, Turquie) 13. Ce château,qui appartenait aux patriarches d’Antioche,fit l’objet d’une campagne de fortificationdans les années 1256 : à la suite de VanBerchem, P. Deschamps avait considérécomme relevant de cette campagne deuxtours semi-circulaires à bossages, pourvuesde gaines de circulation à archères courantdans leurs murs (fig. 7 et 8).

    Le deuxième groupe : fortificationproche-orientale sui generis

    Dans le deuxième groupe prennentplace les fortifications suivantes, qui fontl’objet de notices en Annexe :

    - Chastel-Pèlerin (Templiers) [fig. 25] ;

    - Tortose (Templiers), dont les encein-tes furent bâties au cours de la premièremoitié du XIIIe siècle (fig. 36) ;

    - Chastel-Blanc (Templiers) [fig. 24].

    Même si ces trois forteresses eurentpour maître d’ouvrage commune l’Ordre

    des Templiers, le recours aux formes clas-siques, comprenant l’usage systématiquede la tour rectangulaire, ne fut pas l’apa-nage des chevaliers du Temple. L’enceinteurbaine de Giblet (Jbail, Liban), com-prend des flanquements rectangulaires àarchères qui peuvent être attribuées à cetteépoque ; plus généralement, on peut pen-ser que les enceintes urbaines mises enœuvre un peu partout en Terre sainte uti-lisèrent ce genre de flanquements, neserait-ce que par sa facilité et sa rapidité demise en œuvre.

    Aussi, lorsque l’on examine le cas deCésarée, enceinte urbaine construite par leroi Saint Louis dans un temps exception-nellement bref, en 1253, on ne peut queconstater l’extraordinaire divergence entreles œuvres réalisées en métropole, mar-quées par l’usage systématique de la tourcirculaire à archères, et cette enceinteremarquable, toute entière flanquée demassives tours rectangulaires dont l’usageaurait paru, en France, anachronique,voire décalé (fig. 9).

    Césarée, comme sans doute l’enceintedu faubourg de Montmusard à Acre, celledu faubourg de Jaffa, ou encore celle deSaïda, furent des ouvrages marqués par lanécessité d’aller vite en utilisant au maxi-mum les compétences existant sur le ter-rain. L’usage de la tour rectangulaire était,dès lors, le mieux adapté, dans la mesure

    Fig. 7 - Cursat, vue de l’une des deux toursajoutées à partir de 1256.

    Fig. 8 - Cursat, vue intérieure d’une gainedéfensive.

    Fig. 9 - Césarée, vue de la porte septentrionale, avec son talus remarquable.

    Cl. M.-P. Baudry.

    Cl. N. Faucherre.

    Cl. M.-P. Baudry.

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  • où il nécessitait moins de tailleurs depierre spécialisés et d’appareilleurs.

    Ainsi l’enceinte royale de Césarée uti-lisa-t-elle presqu’exclusivement des élé-ments défensifs d’inspiration régionale,alors que, paradoxalement, la mise enœuvre de canons architecturaux « métro-politains », intimement liés à la fortifica-tion royale française, fut réservée auProche-Orient à des châteaux… nonroyaux.

    LA TOUR MAÎTRESSE DANSLE PROGRAMME

    Le XIIIe siècle a vu, dans les forteressesfranques du Proche-Orient, s’imposer leconcept de tour maîtresse, totalementinconnu dans la fortification byzantine oumusulmane. Parmi d’autres, les tours maî-tresses rectangulaires de Giblet, Smar Jbail(Liban), Beaufort (Qal‘at ash-ShaqifArnun, Liban), Saône (Sahyun ; Qal‘atSalah ad-Dîn, Syrie), Tortose, voire mêmel’église-tour maîtresse de Chastel-Blanc,sont les témoins de la façon dont lesCroisés acclimatèrent en Orient l’élémentfondamental traduisant leur modèle socialen architecture 14.

    Durant le XIIIe siècle, les occasionsfurent moindres de transposer ce modèle,d’autant qu’il ne correspondait plus à laréalité vécue, le système féodal ayant laisséplace à un autre modèle social, de guerre,reposant sur les armées constituées desOrdres. Ainsi, au Crac des Chevaliers, latour maîtresse primitive laissa-t-elle laplace à un ensemble constituant le « don-jon », au sens médiéval du terme, compre-nant l’ensemble des fonctions supérieures– logis du commandant (F), salle de com-mandement (G), dortoir des chevaliers

    (H), formé par les trois tours regardant lesud et les bâtiments adossés (fig. 1 et 10).

    À Margat, les Hospitaliers ressentirentnéanmoins la nécessité de construire, dansles années 1230 vraisemblablement, unetour maîtresse circulaire formant prouedevant un bâtiment à deux étages abritantles dortoirs des moines chevaliers (fig. 11et 29). Il est intéressant de noter que cettetour fut construite sur un diamètre de25 m, légèrement supérieur à celui de latour circulaire d’Aigues-Mortes (22 m),mais inférieur à celui de la tour de Coucy(32 m), toutes deux édifiées dans lesannées 1230-1240. Pour autant, cettetour maîtresse de Margat ne ressemble enrien à ces tours « philippiennes » conçuespour être indépendantes du corps de placeet marquer le pouvoir de leur possesseur ;intérieurement, elle accueille de trèsgrandes et hautes salles carrées pourvuesd’espaces de vie (latrines, garde-robes) quilui assuraient la fonction de résidence dugrand maître, au bout du bâtiment desdortoirs, et fonctionnant de concert.

    La tour maîtresse de Montfort, œuvredes Teutoniques, fut édifiée dans uncontexte de programme différent (fig. 32).L’examen du plan de cette forteresseconstruite à partir de 1227 environ, n’estpas sans rappeler celui de Burgen germa-niques plaçant les bâtiments résidentielsderrière le bouclier d’un Bergfried, le toutsur l’étroit plateau sommital d’un éperonrocheux ; une enceinte de basse-cour com-plétait l’ensemble. Au plan du program-me, on peut ainsi mettre en parallèle

    10

    Jean MESQUI

    Fig. 10 - Crac des Chevaliers, plan des tours du front sud au niveau résidentiel (J. Mesqui).

    Fig. 11 - Margat, vue de la tour maîtresse.

    Cl. J. Mesqui.

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    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    Montfort avec un château tel quel’Ortenberg, en Alsace – sans bien sûrqu’il y ait eu aucune relation entre deux.Toute l’ambiguïté de la tour maîtresse deMontfort repose sur le fait qu’elle possèdeun diamètre externe de 24 m, qui en fai-sait l’équivalent de Margat, tout en n’of-frant intérieurement qu’une minusculepetite salle semi-circulaire révélant peut-être un premier parti moins ambitieux.

    Le cas de Sidon est encore bien diffé-rent (fig. 12, 33 et 35). La constructionprimitive, lancée en 1227-1228, vit la réa-lisation de deux tours rectangulaires ; lorsd’une phase ultérieure, l’une des tours futdétruite pour laisser place à une enceinte,alors que l’autre était intégrée dans unmassif trapézoîdal pourvu d’une excrois-sance semi-circulaire. Il est probable quel’on peut voir dans le changement de partil’effet de la campagne de reconstructionmenée sous Saint Louis après la catastro-phique razzia musulmane de 1253 ; pourautant, l’architecture visible de cette tourà partir de son premier étage est entière-ment attribuable à des reconstructionspostérieures, musulmanes, voire otto-manes, de telle sorte qu’on doit resterprudent sur l’attribution définitive.

    ÉDIFICES RÉSIDENTIELS, CHAPELLES

    Grandes salles et résidences

    Durant le XIIIe siècle furent édifiées desgrandes salles impressionnantes, qu’on peutle plus souvent mettre en relation avec lesbesoins des ordres chevaleresques. Onconnaît bien la grande salle du Crac, tantelle a été publiée en même temps que lechâteau-vedette : bâtie au dehors de la« halle sans fin » primitive, elle offre troistravées de voûtes d’ogives retombant sur demagnifiques chapiteaux ornés de feuillesqui proviennent directement de la sculpturegothique d’Île-de-France. De plus, elle estprécédée d’une superbe galerie de cloîtreégalement voûtée d’ogives, mélangeantheureusement les influences gothiques etles influences orientales (fig. 13). Cettesalle fut, selon toute vraisemblance, bâtie àl’époque même où le roi était en Terresainte – dans le but de l’accueillir ?

    Une autre grande salle mérite l’intérêt,celle de Tortose, contemporaine ou légère-ment antérieure, avec ses travées voûtéessur ogives formant une salle sur rez-de-chaussée servant de cellier, et ses grandesfenêtres géminées gothiques donnant surla place intérieure du château desTempliers (fig. 14).

    Le château de mer de Sidon offre, luiaussi, une grande salle qu’on peut attri-buer aux Templiers, comme la pré-cédente : elle prenait place sur un rez-de-chaussée voûté d’ogives, dont quelquestravées demeurent, la salle noble ayant mal-heureusement disparu, en même temps

    que la chapelle sur laquelle on va revenir(fig. 15 et 35).

    À Chastel-Blanc, la grande salle futédifiée sur l’une des portes de l’enceinte ;il en demeure seulement un mur goutte-reau, montrant qu’elle était pourvue devoûtes d’ogives retombant sur de curieuxchapiteaux dont un au moins était ornéd’une boule à la base. Peut-être s’agit-il icide l’agrandissement du château attribuépar un chroniqueur arabe à Saint Louislui-même – attribution personnelle quiparaît assez douteuse (fig. 16 et 24).

    Toutes ces grandes salles avaient pourbut essentiel de permettre la réunion des

    Fig. 13 - Crac des Chevaliers, galerie de cloître de la grande salle.

    Fig. 12 - Sagette-Sidon-Saïda, vue du Château de Mer depuis le quai. À gauche, la « tour maîtresse »avec sa saillie semi-circulaire. À droite, l’enceinte tardive des Templiers.

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    moines chevaliers assemblés dans ces for-teresses dans un décorum moins fonction-nel et sombre que ne l’avaient été, ausiècle précédent, les salles voûtées, parci-monieusement éclairées, longeant lesmurailles des édifices. On retrouve lemême souci à Montfort, avec une grandesalle à deux niveaux qui fut voûtée dans lesannées 1250.

    Elles ne furent pas les seuls édificesrésidentiels bâtis à cette époque. Leréaménagement de l’espace résidentiel duCrac, et tout particulièrement de la tourcirculaire F, montrent que les maîtresd’ouvrage se souciaient également de s’of-frir des espaces de vie somptueusementdécorés (fig. 17). À vrai-dire, cependant,ces exemples sont rares – on ne trouve pasl’équivalent à Margat, par exemple, dansles nouveaux dortoirs des moines et latour maîtresse – mais il est vrai qu’unegrande salle joliment voûtée avait été édi-fiée à côté de la porte d’entrée parée d’unebelle fenêtre géminée à la fin du XIIe ou audébut du XIIIe siècle. Le cas de la « grandesalle » de la tour sud de Chastel-Pèlerin estde la veine de la grande architecture duCrac, avec ses voûtes d’ogives retombantsur des chapiteaux remarquables, vraisem-blablement conçue pour être le logis de lareine de France plutôt que d’être unegrande salle à proprement dit (fig. 26).

    Le château d’Arsur vient, de ce pointde vue, apporter à nouveau un contre-point : le plan de ce château traduit, sansl’ombre d’un doute, l’essence majeure dugrand bâtiment formé par le « donjon » telque nommé par nos confrères israéliens, etles deux ailes adjacentes malheureusementexcessivement ruinées. Je pense que, con-trairement à l’interprétation « militaire »

    des auteurs, il faut interpréter cetensemble majeur comme un ensemble àvocation civile, accueillant au-dessus d’unrez-de-chaussée utilitaire, une grande salleet une chapelle perpendiculaire – ce typede programme n’étant pas très différent decelui qui s’exprimait, des siècles plus tôt,au palais byzantin de Qasr Ibn Wardan,en Syrie. Et, sans chercher aussi loin, ilpourrait aussi se retrouver dans le pro-gramme de la grande salle de Coucy, enFrance, avec sa chapelle perpendiculaire,au-dessus d’un rez-de-chaussée utilitaireservant de passage.

    Les chapelles

    On vient d’évoquer l’exemple d’Arsurpour signaler le cas d’une chapelle vrai-semblablement intégrée au programmerésidentiel, structurant celui-ci à la ma-nière de Coucy. Dans la plupart des casde châteaux fortifiés ou refortifiés au XIIIe

    siècle, une chapelle existait dès le XIIe

    siècle ; c’était le cas des grandes forteressestelles que le Crac ou Margat ; à Chastel-Blanc existait même une église fortifiéeservant de tour maîtresse, à vrai-dire peut-être édifiée seulement au début du XIIIe

    siècle, après le grand séisme de 1202(fig. 24, 27 et 29).

    Fig. 14 - Tortose, la grande salle dans son état des années 1920 (relevé B. Jusserand publié parC. Enlart).

    Fig. 15 - Sidon, vue de l’ensemble résidentiel, depuis la tour maîtresse. De gauche à droite, la voûtedu niveau inférieur de la grande salle, puis le passage de la porte, la salle voûtée qui supportait lachapelle, et la salle voûtée surmontée par une mosquée ottomane.

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    Il demeure cependant un certainnombre de sites où la chapelle futconstruite, ou reconstruite durant le XIIIe

    siècle. Un bel exemple existe à Tortose, oùcette chapelle templière demeure, avec sesvoûtes d’ogives, comme une cour de jeuxpour les immeubles avoisinants qui laregardent à travers son chevet éventré ; ellefut édifiée de façon indépendante de lagrande salle évoquée ci-dessus, vraisem-blablement à la même époque, comme entémoignent les moulures de son portail(fig. 36).

    À Sidon, la chapelle, monumentale,est identifiable au-dessus des tours C et D,flanquant la porte regardant la mer. Il n’endemeure que les bases des murs, ainsi quede certains piliers engagés avec leurs baseset leurs faisceaux de colonnes : elle était

    formée par deux travées voûtées d’ogivesaux chapiteaux du milieu du XIIIe sièclequ’on peut raisonnablement attribuer à laréoccupation templière du site après1260, et non à la courte période de pré-sence de Saint Louis à Sidon. Quoi qu’ilen soit, cette chapelle était manifestementconçue, dans son programme, pour êtreconnectée à la grande salle, deux passagespratiqués au-dessus de la voûte du passaged’entrée les reliant (fig. 15 et 18).

    Une autre chapelle qui mérite d’êtreévoquée est celle qui fut édifiée à Chastel-Pèlerin, également au milieu du XIIIe

    siècle, alors même qu’était surélévée l’unedes grandes tours pour accueillir la « grandesalle » : cette chapelle fut édifiée sur plandodécagonal, et pourvue de trois absi-dioles, deux d’entre elles, sur plan circu-laire, encadrant la troisième de plan rec-tangulaire (fig. 25).

    Enfin, l’on n’oubliera pas, bien sûr, lachapelle d’Arsur, déjà évoquée ci-dessus,que I. Roll propose de situer au-dessus dupassage d’entrée perpendiculaire au grandbâtiment résidentiel ouest, pourvue d’uneabside semi-octogonale.

    LES ÉLÉMENTS DE LA DÉFENSE

    Talus et gaines basses : la défense contre la sape

    On a déjà eu l’occasion d’aborder cesujet en évoquant Arsur, avec son corsetremparé formant une enceinte extérieure.

    D’une façon bien plus générale, le pro-blème de la protection des bases contre lasape était résolu au Proche-Orient pard’importants talus de base, dont l’un desexemples les plus anciens, dans la fortifi-cation franque, est celui du Crac desChevaliers ; dans son épaisseur court unegaine de circulation à archères basse (fig. 1et 27). Le même concept fut retenu àCésarée, dans l’enceinte construite parSaint Louis, pourvue d’un talus d’escarpeconsidérable (fig. 9).

    Ces protections des bases des fortifica-tions n’ont pas leur équivalent enOccident en ce qui concerne leurs dimen-sions, même si le talus de base y était qua-siment la règle. On met parfois en avant lalutte contre les séismes pour en expliquerl’origine et l’ampleur ; on ne peut l’exclu-re, tout en notant que la rigidité supplé-mentaire apportée de cette façon auxmonuments n’allait pas nécessairementdans le sens d’une meilleure capacité derésistance aux séismes. Plus fondamentale-ment, il me semble que ces talus consti-tuaient une réponse à une capacité de plusen plus grande des armées adverses à pra-tiquer la sape et la mine. Il n’est que derelire le récit du siège du Crac en 1271, oude celui de Margat en 1285, pour réaliserà quel point les armées musulmanesavaient développé l’art de la sape, pratiquépar des équipes spécialisées travaillant surplusieurs fronts à la fois pour déstabilisertout à la fois les murailles et les défenseurs.Ce sentiment se renforce lorsque l’onconstate que le talus du Crac fut pourvude galeries défensives permettant d’assurerune fonction de contre-mine.

    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    Fig. 17 - Crac des Chevaliers, chapiteaux de la tour F.

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    Fig. 16 - Chastel-Blanc, chapiteau et ogive dela grande salle.

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    On n’oubliera pas que, dans la majo-rité des cas, ces talus n’ont de massif queleur aspect extérieur : le plus souvent, ilsconsistent en une simple peau de maçon-nerie revêtant l’escarpe taillée dans lerocher, comme au Crac, ou dans la terre,comme à Césarée. La fortification ayyou-bide fut grande utilisatrice du procédé, lesarchitectes des souverains n’hésitant pas àrevêtir les flancs entiers des tells suppor-tant leur forteresses, comme par exemple àAlep et à Harim 15.

    Les talus de Césarée, sans doute lesplus développés de la fortification franqueau XIIIe siècle, résultent sans doute du pro-cessus constructif retenu lors du chantierd’urgence mené par le roi Saint Louis.Celui-ci fit édifier d’abord l’enceinte avecses tours en fondation superficielle, sans sepréoccuper de creuser les fossés ; dès lorsque l’enceinte fut close, on commença decreuser les fossés au-devant de l’enceinte.Les revêtements de pierre des escarpes nevinrent dès lors que s’appuyer aux tours et

    aux courtines : leur statique était indépen-dante. Ceci répondait-il à un souci demeilleure défense, ou tout simplement à unphasage nécessaire en raison de l’urgence ?Quoi qu’il en soit, la formule retenue àArsur n’est, en soi, pas si différente, si cen’est que l’espace laissé entre l’enceinte prin-cipale et sa protection basse, ici une véri-table enceinte remparée, était plus large.

    La formule mise en place à Tortosed’une galerie basse à archères ceinturant labase de l’ouvrage, en l’occurrence la tourmaîtresse, sans qu’il y soit prévu d’épais-sissement par un glacis plein, prouve bienque le souci majeur était d’écarter l’as-saillant et de lui interdire d’accéder aunoyau de la forteresse, ou à l’ouvrage pro-prement dit (fig. 19 et 36).

    Les portes et leurs défenses

    Paul Deschamps avait consacré, ausiècle dernier, un article à la défense desportes dans les châteaux francs 16 ; on doitmalheureusement revenir sur bien despoints de cet article, où l’auteur, dans sonenthousiasme pour l’œuvre des Croisés,avait attribué à ceux-ci la plupart desouvrages reconnaissables aujourd’hui,alors qu’il sont dûs à des reconstructionspostérieures. En particulier, son détermi-nisme concernant l’« adextrement » desentrées et la disposition des couloirs d’en-trée en coude, ne saurait être aujourd’huirepris comme un fait démontré. Il sembleau contraire que la construction franqueau XIIe siècle a aménagé des portes assezclassiques, pratiquées soit dans des tours-portes, comme à Saône, soit entre deuxtours ou tourelles (Crac des Chevaliers),reprenant ainsi des usages plus anciens.

    Les entrées des châteaux construits ourefortifiés au XIIIe siècle sont tout aussivariées dans leur mise en œuvre, celle-cidépendant souvent de la topographie del’enceinte dans laquelle elles sont prati-quées. On a vu qu’à Chastel-Pèlerin, iln’existe aucune entrée majeure, mais seu-lement des poternes dans les tours-portesde l’entrée, qui semblent répondre à descritères de fortification inspirés del’Antiquité ; en revanche, chacune d’entreelles était protégée par une herse et unassommoir (fig. 25).

    Fig. 18 - Sidon, chapiteaux du château de la Mer, dessinés par Camille Enlart.

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    Au Crac, les portes pratiquées auXIIIe siècle l’ont été dans une tour-porte(tour A), voire directement dans l’encein-te, sans protection (porte d) ; dans chacundes cas, une herse protégeait le passagedroit (fig. 21 et 27). À Margat, la tourd’entrée commune au château et à labasse-cour, construite dans la secondemoitié du siècle, pourvue de herse etbretèche, offrait un passage perpendiculai-re menant de part et d’autre au château età la basse-cour (fig. 29).

    À Sidon, la porte principale (porte deMer), est le fruit d’une accumulation dedéfenses qui résultent de l’histoireconstructive du château ; dans son étatfinal, cette porte, située entre deux sailliesrectangulaires, présentait des défensesconstituées par la succession d’un assom-moir, d’une première herse, d’un secondassommoir, puis d’une seconde herse, etsans doute de deux paires de vantaux aurevers. Mais on ne saurait évidemment enfaire un paradigme, cette « sur-fortifica-tion » résultant de l’histoire (fig. 33).

    Les portes de Tortose et de Césaréerévèlent, en revanche, des spécificitésqui les font relever de la théorie deP. Deschamps. À Tortose, il s’agissaitd’une tour-porte rectangulaire, le grandaxe perpendiculaire à la courtine ; la portesituée dans le flanc gauche était protégéepar une herse et un assommoir, donnant

    dans une grande salle voûtée sur ogivesretombant sur des consoles murales,défendue vers l’extérieur par des archères àniche. L’entrée dans la ville s’effectuait parle petit mur de fond, ayant obligé l’en-trant à suivre un coude pour pénétrer dansla forteresse (fig. 20, 21, 36 et 37).

    Le même parti a été retenu dans deuxdes portes de Césarée, construites parSaint Louis, si ce n’est que le grand axe desportes était parallèle à l’enceinte, et nonperpendiculaire comme à Tortose. Ici

    également, une herse et un assommoirprotégeaient l’entrée, conduisant à unegrande salle voûtée d’ogives retombant surdes chapiteaux dont beaucoup sont con-servés ; il fallait marquer un coude pourpénetrer ensuite dans l’enceinte, aprèsavoir franchi des vantaux (fig. 21).

    Ce type de dispositifs, où l’entrée n’estpas ménagée directement dans la courtineou dans la face frontale d’une tour-porte,mais percée dans la face d’une tour flan-quant la courtine de façon à être cachée,était déjà présente au château Hospitalierde Belvoir, dans la tour-porte d’entrée, dèsles années 1170 17 ; on peut classer danscette catégorie la tour-porte A bâtie audébut du XIIIe siècle au Crac desChevaliers (fig. 21).

    Le développement des tours-portes deTortose et de Césarée, soit longitudinale-ment, soit perpendiculairement, en faitdes exceptions dimensionnelles dans lafortification franque du XIIIe siècle, à vrai-dire extrêmement proches dans leurconception des entrées des châteauxconstruits par les Musulmans à l’époqueayyubide depuis la fin du XIIe siècle,comme la porte de la citadelle de Damas,ou celle d’Alep, celle de Bosra et tantd’autres encore (fig. 21). Il va de soi quececi ne signifie en aucune façon qu’il y aiteu influence réciproque, d’autant que,dans la majorité des cas, les MusulmansFig. 19 - Tortose, vue intérieure de la galerie ceinturant la tour maîtresse.

    Fig. 20 - Tortose, vue intérieure de la porte principale, aujourd’hui transformée en mosquée.

    Cl. C. Enlart, début XXe siècle.

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  • allaient jusqu’à bâtir des tours symétriquesautour d’un passage fictif, comme dans lafortification traditionnelle, mais plaçaientl’entrée dans une face non vue. LesCroisés, à Tortose et Césarée, se contentè-rent de tours-portes ; on en trouve l’équi-valent, de bien moindre dimension, à lafin du XIIIe siècle à la porte Saint-André deCarcassonne.

    Mais, plus généralement, de cetteévocation des portes du XIIIe siècle auProche-Orient, on retiendra aussi quel’utilisation de la formule, classique depuisPhilippe Auguste en Occident, de portessituées entre deux tours semi-circulaires àpassage axial fut extrêmement peu prati-quée – Arsur doit en être l’un des raresexemples 18. Que doit signifier cette diver-gence notable ?

    J’ai déjà eu l’occasion de noter que lafortification franque du XIIe siècle n’avaitpas encore pris en compte la « mode » dupassage coudé, avec accès dans un flancperpendiculaire à la courtine. Ainsi, laporte originelle du Crac est située entredeux petites tours rectangulaires, avecpassage axial non coudé. D’ailleurs cecicorrespondait également à l’usage antiqueprésent dans ces territoires, la plupartdes enceintes byzantines présentant desportes encadrées de deux tours à passageaxial non coudé. C’est bien au XIIIe siècleque se produisit, au Proche-Orient, lamutation conduisant, dans les châteauxfrancs, à privilégier la tour-porte à pas-sage coudé ; au point que dans uneenceinte urbaine royale comme Césarée, iln’est fait aucune référence au paradigme« continental ».

    Le manque d’enthousiasme évidentdes Croisés pour l’utilisation de la formuledes portes axiales à deux tours au XIIIe

    siècle quasiment de règle en Europe, nepeut s’expliquer que par cet engouementpour l’usage du passage coudé qui rendaitl’usage des deux tours semi-circulaires peufonctionnel et peu utile ; il est amusantainsi de constater que, dans l’enceinte duCaire construite par Saladin dans lesannées 1180, les portes à deux tours sontun faux-semblant, cachant derrière le pas-sage axial entre les deux tours une véri-table tour-porte d’axe perpendiculaire 19.

    Cette spécificité proche-orientale duXIIIe siècle fait de la porte d’Arsur un véri-table cas à part, seul exemple d’applicationdans la fortification franque d’utilisationd’une porte de modèle continental. Àvrai-dire, ceci ne fait que confirmer l’im-portance de la découverte du site par noscollègues israéliens, dont nous avons déjàremarqué plus haut les spécificités.

    Quant aux poternes desservant lesfossés, on a déjà eu l’occasion des les évo-quer à Chastel-Pèlerin, où elles sont unélément constitutif du dispositif de défen-se de la forteresse. Ici encore, l’idée n’étaitsans doute pas neuve : dès le XIIe siècle, enen trouve des exemples, comme à Giblet(Jbail, Liban), dans les tours carrées flan-quant le château, ou à Belvoir. À Césarée,de façon régulière, de telles poternes sontpercées perpendiculairement à l’enceinte.Elles étaient sans doute conçues pour desbuts défensifs, autorisant les sorties, voire,dans un cas très élaboré comme Chastel-Pèlerin, des successions de sorties et derentrées dans la forteresse. Mais on nepeut exclure, plus prosaïquement, qu’ellesaient été liées également à l’usage civil deces forteresses, afin d’éviter, en temps depaix, de longs trajets pour l’entretien et lecurage des fossés.

    Archères, gaines hautes et chemins de ronde superposés

    Dès le dernier tiers du XIIe siècle, ladéfense active par des archères percéesdans les murs – et non pas seulement dansles hauts de courtines et de tours, avait faitson apparition, dans la fortificationfranque comme dans la fortification

    16

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    Fig. 21 - Plans de portes du XIIIe siècle : en noir, portes de châteaux Croisés ; en gris, porte dechâteaux musulmans (pl. J. Mesqui).

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    musulmane ; on pourrait citer ainsi, parmid’autres, les archères de Belvoir, d’un côté,ou celles du Caire, de l’autre. Dès cetteépoque, les archères musulmanes étaientpratiquées au fond de niches améliorantl’accessibilité de la fente de tir pour letireur et sa protection, alors que les quel-ques proto-types d’archères franques del’époque semblent avoir été ménagées avecdes ébrasements triangulaires simples ;encore faut-il nuancer cette affirmation, sil’on examine les archères de Saône.

    La fortification franque, dès le débutdu XIIIe siècle, reprit à son compte lesarchères sous niche, au demeurant cou-ramment pratiquée en Occident dans lafortification Plantagenêt. Paul Deschampsavait correctement déduit de son étudedes forteresses que seules les archèresfranques furent, en général, pourvues defentes à plongée ; peut-être les archersmusulmans jugeaient-ils superflus cegenre d’aménagements. Il en va de mêmede l’usage des étriers à la base des fentes detir, qui relèvent de la même volonté d’op-timiser l’usage de l’archère pour la protec-tion des bases des tours ou des courtines :ce genre de dispositifs fut extrêmement

    rarement utilisé dans la fortificationproche-orientale 20.

    Dans les grandes forteresses où ils sontidentifiables (Crac, Margat, Sidon,Tortose) [fig. 28, 31, 34 et 38], ces étriers,triangulaires, carrés ou rectangulaires,paraissent bien constituer une sophisti-cation attribuable à la seconde moitiédu XIIIe siècle – ceux de Chastel-Pèlerin(fig. 22) étant peut-être plus anciens etattribuables à la première campagne de1218 ; leur rareté, comparée à leur fré-quence en Occident à la même époque,tant dans la fortification Plantagenêt dèsla fin du XIIe siècle que dans la fortifica-tion d’inspiration philippienne à compterdes années 1230, montre à quel point lesphénomènes de mode furent prédomi-nants dans l’architecture dite militaire 21.

    Dans certains cas, ces archères sontdesservies par des galeries voûtées intra-murales appelées « gaines ». Le concept enest ancien, puisqu’on le relève fréquem-ment dans l’architecture byzantine, voirehellénistique ; le but était sans doute toutà la fois défensif, améliorant la mobilité desdéfenseurs, et de confort dans des pays où

    le soleil et la chaleur étaient omniprésents.On a déjà identifié de telles gaines danscertains talus de base ; il en a existéd’autres, superposées, dans les courtines,comme par exemple au Crac. À Césarée,les tours-portes possédaient de telles gale-ries d’archères en entresol sur le niveaud’accès, de grandes baies permettant desurveiller celui-ci ; certaines tours, commela tour nord-est, possèdaient également detelles galeries en entresol. Ce type de dis-positifs est beaucoup plus fréquent auProche-Orient qu’en Occident ; pour au-tant, il en existe quelques exemples con-temporains et remarquables en France(Le Coudray-Salbart en est le plus repré-sentatif ) 22.

    Une autre caractéristique de la défenseactive par archères est l’utilisation systéma-tique des chemins de ronde superposés. Ilsapparaissent dès le XIIe siècle au sommetdes tours (Saône, Chastel-Blanc), où le che-min de ronde classique à créneaux et mer-lons percés d’archère court sur un niveaud’archères à niches. Il est plus rare de lestrouver dans les courtines des châteauxfrancs, alors que ce fut quasiment un élé-ment obligé de la fortification musulmane ;on remarque cependant à Tortose, dans lacourtine la plus récente (courtine G), undouble niveau de circulation à archères toutà fait remarquable (fig. 23).

    Fig. 22 - Chastel-Pèlerin, archères à étriers, hourds et bretèches (dessin C.N. Johns).

    Fig. 23 - Tortose, vue des deux chemins deronde superposés de la courtine G.

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    Bretèches de chemins de ronde

    Un dernier aspect intéressant concer-nant les modes défensifs propres auProche-Orient est la façon dont lesconstructeurs mirent en œuvre le tirfichant depuis le haut des courtines. Onsait qu’en Occident, celui-ci était assurépar le biais de hourds de bois continus,dont on relève fréquemment la trace grâceaux trous de boulin destinés aux poutresde support.

    La fortification du Proche-Orient nesemble pas avoir utilisé le hourd – en toutcas, les traces d’une telle utilisation sontquasi inexistantes, si l’on excepte peut-êtrel’exemple fourni par C.N. Johns concer-nant Chastel-Pèlerin (fig. 22). Enrevanche, comme Paul Deschamps l’avaitparfaitement remarqué au Crac, on voitapparaître au XIIIe siècle une utilisation dela bretèche en encorbellement sur deux àtrois consoles permettant l’utilisation dumerlon à couvert pour le tir fichant. Trèsutilisée au Crac, ce type de défenses le futégalement à Chastel-Pèlerin ; pour autant,la disparition – ou le remplacement àl’époque musulmane – de très nombreuxcouronnements de courtines et de tours,empêche de connaître la diffusion de telsdispositifs.

    *

    * *

    En guise de conclusion à ce rapidesurvol, on ne peut manquer d’insistersur le caractère très peu normatif de la

    fortification proche-orientale au XIIIe

    siècle, qui se nourrit d’influences trèsdiversifiées, sans que l’on puisse y décelerune présence prédominante de l’influence« métropolitaine », pour autant que cetadjectif ait un sens dans le contexte. Il estamusant, de ce point de vue, de constaterque la seule enceinte construite par SaintLouis dont il demeure quelques restes soit,à l’exception des voûtes d’ogives et deleurs chapiteaux, entièrement marquéepar des courants exclusivement proche-orientaux, alors que c’est dans un château« privé », celui d’Arsur, déjà achevélorsque le roi arriva en Terre sainte, ques’affirme le plus l’influence de modèlesoccidentaux.

    Si l’on cherche à caractériser les diffé-rences majeures qui purent exister entre lesforteresses du Proche-Orient et leurshomologues occidentales, on peut retenir :

    - la prégnance des talus de base, con-çus comme d’énormes surfaces de maçon-nerie ;

    - la conception des portes, privilégiantles entrées perpendiculaires à la courtineet les passages coudés ;

    - la multiplication des galeries dedéfense à archères, permettant une des-serte rapide de celles-ci.

    Ces différences tiennent aux contextestrès différents qui prévalaient en Europe etau Proche-Orient. Sans vouloir caricatureroutre mesure, on pourrait dire que plusle temps avançait dans le XIIIe siècle enEurope, moins le château avait à s’y

    confronter à un contexte guerrier perma-nent, et à y subir des sièges lourds ; aucontraire, plus le temps avançait auProche-Orient, et plus le château devenaitun fort occupé par une garnison spécia-lisée soumis à un risque quasi permanentde siège par des troupes aguerries etredoutablement efficaces.

    Cette mise en relation entre les archi-tectures déployées de part et d’autre de laMéditerranée incite à revisiter avec plus deréalisme la question des sophisticationsintroduites progressivement durant le XIIIe

    siècle en Europe, tout spécialement enFrance et en Grande-Bretagne. Si l’évolu-tionnisme positiviste conduit souvent àmettre ces sophistications (recherche deplans novateurs polygonaux, en éperonsou en amande, complexification des sasd’entrée, étriers d’archères, etc.) en rela-tion directe avec une évolution de l’art dela guerre, la réalité de la fortification duProche-Orient invite à relativiser cetteinterprétation trop directe, et à réintro-duire des aspects plus subjectifs liés à lasymbolique du pouvoir.

    Le château d’Arsur montre clairementl’assimilation entre un type d’architecture– l’architecture « philippienne » déployéeen Europe, et une symbolique de pouvoirdirect de type féodal, voire même d’essen-ce royale ; Jean d’Ibelin, en construisant cechâteau hors normes au Proche-Orient, avraisemblablement voulu affirmer sa puis-sance de grand seigneur et grand officierroyal, alors que les ordres de Chevaliersconstruisaient des casernes enfermées dansdes carapaces militaires.

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    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    Chastel-Blanc (Safitha, Syrie) [fig. 16 et24]

    Le château de Chastel-Blanc a été étu-dié par le baron Rey et par PaulDeschamps dans le dernier volume de satrilogie 23. Ce dernier auteur considéraitque le site dut passer en possession desTempliers vers 1170, après le séisme quiravagea toute la Syrie du nord ; il était, entout cas, en leur possession en 1228, 1241et 1243. Le géographe Ibn Shaddad rap-porte que le roi Saint Louis fit augmenterles défenses du site, qu’il jugeait de super-ficie trop réduite, en particulier dans sapartie méridionale ; on peut s’interrogercependant sur cette attribution, le roin’ayant jamais franchi les limites du strictroyaume de Jérusalem, tout en retenantcependant le fait que le site fut agrandi àcette époque 24.

    Le château a été totalement absorbédans l’urbanisation de toutes époques, detelle sorte qu’il n’est plus facile de recon-naître les vestiges sur la totalité de leurétendue, comme le baron Rey les avaitconnus – déjà gagnés par l’urbanisationottomane. L’enceinte ovoïdale comportedes restes non négligeables, conservant la

    base de murs à glacis marqués de sailliesrectangulaires plus ou moins prononcées ;pour autant que l’on puisse en juger, cesmurailles en appareil à bossages pour-raient dater de la seconde moitié duXIIe siècle.

    Au centre du château, demeure l’égli-se-tour maîtresse rectangulaire (A) quiconstitue un unicum au Proche-Orient,présentant un rez-de-chaussée dénivelé surciterne accueillant l’église castrale, unniveau voûté d’arêtes percé d’archères,au-dessous d’une terrasse à double niveaude chemin de ronde. Paul Deschampsconsidérait cette tour comme un édificedu dernier tiers du XIIe siècle, notant, àla suite de Camille Enlart, qu’il auraitpu faire l’objet d’une reconstruction àl’identique après le grand séisme de 1201-1202 25.

    Un second élément attire aujourd’huil’attention du visiteur, puisque situé sur lechemin d’accès moderne au château : ils’agit du reste de la grande salle B, située àl’est de la forteresse, dont ne subsiste mal-heureusement que le mur intérieur. Cebâtiment rectangulaire très irrégulierenjambait un des deux passages d’entrée à

    la forteresse, dont demeure la porte inté-rieure située au rez-de-chaussée. Il se com-posait de deux niveaux voûtés d’ogivesretombant sur des culots, et sa salle supé-rieure était éclairé par de vastes fenêtres entiers-point du côté intérieur de la place.L’une de ces consoles du premier étage aété heureusement conservée ; elle datesans l’ombre d’un doute du milieu du XIIIe

    siècle et permet d’attribuer la constructionde cette grande salle à l’époque de SaintLouis.

    Chastel-Pèlerin (Athlit, Israël) [fig. 2, 22,25 et 26]

    Chastel-Pèlerin a été superbementpublié par C.N. Johns en 1947, après plu-sieurs campagnes de fouilles 26. On saitqu’il a été construit en un temps très bref,en 1218-1219 – au moins était-il défen-dable en 1219, puisque Al ‘Adil renonça àl’assiéger tant il apparaissait imprenable.L’entreprise fut entamée par un chevalierflamand, Gauthier d’Avesnes, qui y consa-cra d’importants deniers personnels, parles chevaliers Teutoniques et les Templiers,ainsi que par de nombreux pèlerins à quiil dut son nom ; dès 1218, l’essentiel deses défenses à l’est était achevé, ainsi que lacour haute qui dessine un quadrilatèreabrité par les murailles orientales.

    Il est probable que les nombreuseshalles voûtées situées à l’arrière de la forte-resse, côté mer, ne furent construites queprogressivement, comme celles qui for-mait le front nord au devant de la courintérieure. Camille Enlart jugeait ainsique les quelques vestiges de sculpture de lacurieuse chapelle circulaire A dataientvraisemblablement du milieu du XIIIe

    siècle, et C.N. Johns était tout aussi affir-matif 27 ; il reste utile de rappeler que lareine Marguerite de Provence s’y retira en1250-1251 pendant que Saint Louis étaità Acre, et qu’elle y accoucha de Pierre deFrance, comte d’Alençon.

    Le front majeur, à l’est, était défendupar deux enceintes coupant la presqu’île.L’enceinte externe était flanquée par troistours rectangulaire (C-C-C) à deuxniveaux voûtés en berceau, sous terrasse

    ANNEXESNotices sur certains sites présentant des constructions du XIIIe siècle.

    Fig. 24 - Chastel-Blanc, plan, d’après Coupel (dessin J. Mesqui).

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    crénelée ; elle était précédée par un fosséqui servait de chemin d’accès. En effet,deux rampes descendantes venant de laterre ferme y conduisaient, chacuned’entre elles protégée par une porte à barrecoulissante. La particularité des tours estde posséder chacune deux poternes dansleurs flancs, protégées par une herse et unassommoir ; elles constituaient les accès àla lice depuis la terre ferme et le fossé,alors que la lice elle-même était accessiblepar deux autres portes au nord et au suddepuis la mer.

    La seconde enceinte était défendue pardeux massives tours rectangulaires (B-B)dont Olivier le Scholastique indiquequ’elles possédaient deux niveaux, voûtésen berceau brisé ; le seul accès à cetteenceinte se situait au nord, et un largecouloir voûté en berceau brisé desservaitl’arrière de ces deux tours.

    La tour sud fut surélevée d’un étagetrès haut, ce qui doubla quasiment sonélévation, contenant une seule salle cou-vertes d’une double voûte octopartite

    retombant sur un pilier central ; elle esttrès ruinée, mais conserve encore unensemble de chapiteaux remarquablementsculptés, deux têtes humaines de dimen-sion colossale, et un groupe de trois têteshumaines plus petites. Cette sculpturedate du milieu du XIIIe siècle.

    Cette « grande salle », comme on l’ap-pelle généralement, n’avait pas, malgré sahauteur, les dimensions nécessaires à unegrande salle de Chevaliers, comme il s’enbâtit au Crac ou à Tartous ; bien plus vrai-semblablement, il s’agit d’une « grandechambre », et son décor permet de penserqu’elle fut créée dans le contexte de pré-sence royale sur le lieu.

    Au plan des éléments défensifs, bienpeu demeure, en raison de la destructionsystématique de tous les hauts du château.On note cependant que les étages infé-rieurs étaient, suivant une tradition romanebien établie et conservée encore en 1218,très peu adaptés à une défense active.C.N. Johns a fourni, en revanche, les élé-vations d’archères de couronnement, pra-tiquées sous des niches, et, fait plus inté-ressant encore, supportant un niveau dechemin de ronde au-dessus des voûtesprofondes de ces niches. Plus intéressantencore, il a noté les vestiges, dans la pre-mière enceinte, de fentes d’archèrespercées d’étriers à la base en bèche auxangles supérieurs arrondis.

    Le Crac des Chevaliers (Qal‘at al Hosn,Syrie) [fig. 1, 10, 17, 27 et 28]

    L’identification des différentes phasesde construction du Crac des Chevaliers auXIIIe siècle nécessite une relecture critiquecomplète du château, que j’ai menée dansles années 1994-2000 28. Cette relectureconduit à une révision drastique des pro-positions de datation de Paul Deschamps,avec des attributions plus tardives quecelles qu’il proposait en son temps.

    L’évolution continue de cette forte-resse au long des années 1160-1270 recèleplusieurs grandes époques. La première,celle de la fondation, consiste dans lenoyau central de la forteresse, constituépar un château « à double peau », ditencore à « halle sans fin » (endlose Halle,suivant le terme inventé par ThomasBiller), achevé à la fin des années 1180

    Fig. 25 - Chastel-Pèlerin, plan du château (dessin J. Mesqui d’après C.N. Johns).

    Fig. 26 - Chastel-Pèlerin, vue de la tour B nord.

    Cl. C.N. Johns.

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    avec sa tour maîtresse et sa chapelle flan-quantes.

    Dans une second phase, probablementaprès le séisme de 1202-1203, ce noyaufut considérablement renforcé par lefameux glacis qui garnit ses faces ouest etsud, d’où émergent quatre tours circu-laires à archères.

    Dans une troisième phase seulement,les Hospitaliers lancèrent la constructiond’une enceinte extérieure : c’est cettephase qui nous intéresse ici. On sait, grâceaux travaux de Paul Deschamps, que deuxindices corroborent l’existence d’un grandchantier de fortification dans les années1255-1265 : l’inscription de Nicolas

    Lorgne qui concerne la partie nord del’enceinte (tours 11 et 12), et l’exemptionde dîmes en 1255 en raison des impor-tantes charges de construction.

    Selon toute probabilité, le chantier sedéroula dans le sens inverse des aiguillesd’une montre, depuis la porte sud (porte d)en direction des tours 7, 8, 9, 10 qui sonttrès homogènes dans leur facture. SousNicolas Lorgne, dans une nouvelle étape,furent construites les tours 11 et 12 ;l’enceinte fut probablement complétéeensuite sur sa face est par les courtines àgaines de circulation superposées dontPaul Deschamps pensait, un peu injuste-ment, qu’elles étaient le résultat d’une

    construction réalisée à la hâte, en raisonde leur appareil moins soigné, alorsqu’elles témoignent incontestablementd’un souci de conception très pointu.

    Les trois campagnes de construction,assez nettement différenciées, se caractéri-sent de la façon suivante :

    - Campagne 1 : tours 7 à 10 et cour-tines intermédiaires. Tours circulaires à unétage voûté en berceau ouvert à la gorge,pourvues d’archères sous niche pourvuesd’étriers triangulaires à la base ; le cheminde ronde des terrasses était garni debretèches protégeant les créneaux, desarchères à étrier perçant les merlons.

    - Campagne 2 : tours 11 et 12. La tour11, du même modèle que les précédentes,la courtine 11-12 et la tour 12, rectangu-laire, possèdent des archères pourvues d’é-triers semi-circulaires ou rectangulaires.Cette tour 12 avait pour objet de flanquerla petite porte g, sans doute reconstruite àl’époque musulmane alors que la tour elle-même était renforcée par un appendice enarc de cercle.

    - Campagne 3 : courtines 13-1 etsaillant 3-4. Lors de cette campagnefurent construites des courtines présen-tant trois à quatre niveaux de gaines decirculation superposées, toutes pourvues

    Fig. 27 - Crac des Chevaliers, plan général (plan d’après Anus et relevés J. Mesqui).

    Fig. 28 - Crac des Chevaliers, relevé desarchères (campagnes XIIIe siècle franques)[relevés J. Mesqui].

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    d’archères à étriers semi-circulaires, voiremême circulaires ou ovoïdaux ; commedans les ouvrages des campagnes 1 et 2, lescréneaux étaient garnis de bretèches surdeux consoles.

    Les constructions menées au Cracdurant la période considérée ne se limitè-rent pas au champ de la fortification. Eneffet, les Hospitaliers construisirent à neufla grande salle du Crac, avec sa fameusegalerie de cloître, et remodelèrent latour F et le logis adjacent pour aménagerune résidence somptueusement décorée.Paul Deschamps, et après lui Henri-Paul

    Eydoux, ont mis en exergue ces réalisa-tions comme de superbes exemples d’ar-chitecture et de sculpture gothiques d’Île-de-France – non sans influences orientalesdans le décor des moulurations.

    Margat (Qal‘at al Marqab, Syrie) [fig. 11,29, 30 et 31]

    Le Margat a été étudié par PaulDeschamps dans le troisième et derniervolume de sa trilogie, de façon assez som-maire sur le plan archéologique 29. Malgréla nouvelle analyse que j’ai menée sur ce

    site, il mériterait une étude nouvelledétaillée, d’autant que des travaux dedégagement récents, menés sans sur-veillance archéologique, ont révélé, etrévèlent peut-être encore, des élémentssusceptibles de remettre en cause les hypo-thèses actuelles 30.

    Le site comprenait un château et uneenceinte urbaine dont la séparation n’estplus aujourd’hui très marquée, l’ensembleoccupant un plateau de forme triangulaire.Le château lui-même, qui est placé à lapointe du triangle, a été entièrementreconstruit à partir de l’acquisition du sitepar les Hospitaliers en 1186 ; comme leCrac, il a fait l’objet de campagnesd’agrandissement progressif par construc-tion de bâtiments successifs dont la chro-nologie n’est pas facile à mettre en évidence,tant les maçonneries basaltiques se ressem-blent de bâtiment à bâtiment.

    On peut néanmoins identifier une pre-mière série de bâtiments formant uneenceinte en losange irrégulier pourvued’une tour carrée placée en poupe du côtéde la ville, comprenant en particulier lachapelle, la belle porte d’entrée et la grandesalle, tous édifiés dans la dernière décenniedu XIIe siècle au plus tôt, si l’on en juge parles détails d’architecture 31 ; ces bâtimentsétaient entourés par une enceinte externedont certains élements encore identifiablesdatent sans doute de la fondation de la for-tification franque, après 1140. Cetteenceinte se continuait dans l’enceinteurbaine ceinturant l’ensemble du promon-toire ; une section antérieure à la prise depossession par les Hospitaliers demeure àl’ouest (courtine 10-11).

    Les travaux attribuables au XIIIe sièclefurent considérables. La presque totalitéde l’enceinte urbaine fut reconstruite etflanquée par des tours semi-circulaires (1 à4, 8 à 13) dont les salles voûtées en ber-ceau étaient ouvertes à la gorge ; elles ontété flanquées intérieurement, à l’époquemusulmane, d’une large galerie voûtéed’arètes dont subsistent des élémentsrécemment dégagés à l’est. Ces tourspossèdent des archères à niche dont lesfentes, dotées de plongées, sont garniesd’étriers triangulaires à la base.

    Dans le château proprement dit, unpuissant ensemble constitué d’une salle Xet d’une tour maîtresse Y fut construit à laFig. 29 - Margat, plan général du site (plan d’après Coupel et relevés J. Mesqui).

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    pointe de l’éperon, formant proue. Il avaitpour vocation d’abriter deux étages dedortoirs au-dessus d’une citerne, la tourmaîtresse ayant vraisemblablement pourfonction d’abriter les logis du dirigeant dela communauté de moines-soldats. Latour maîtresse, d’un diamètre considé-rable de près de 25 m (par comparaison, la

    tour maîtresse circulaire d’Aigues-Mortesa un diamètre de 22 m), conserve deuxgrands salles carrées voûtées en berceau,dotées de cabinets d’aisances, d’unefenêtre et d’archères ; il existait, au-dessusdes deux cabinets d’aisance, une petitechambre d’observation dont le but étaitd’offrir un observatoire.

    À la même époque, le château fut flan-qué à l’ouest par une tour semi-circulaireG enchassée sur le tiers de sa hauteur dansune fausse-braie en continuité avec l’en-ceinte urbaine.

    Aucune référence historique ne fournitd’indices quant à la datation de cetensemble ; les simitudes avec le Crac ten-dent à penser néanmoins que sa construc-tion fut réalisée dans le courant de la pre-mière moitié du XIIIe siècle, sans que l’onpuisse avoir la moindre autre certitude. Laprésence d’une tour maîtresse considé-rable, supérieure en diamètre à toutes lesréalisations « philippiennes », voire à latour maîtresse d’Aigues-Mortes, permet depencher pour une réalisation contempo-raine des grandes tours maîtresses métro-politaines dont Coucy fut l’archétype,dans le second quart du siècle au plus tôt.

    Montfort (Qal‘at al-Qurain, Israël)

    Le château de Montfort en Israël a faitl’objet de fouilles dans les années 1980-1990, qui ont permis de redécouvrir cechâteau peu connu des chevaliersTeutoniques 32. L’Ordre avait commencé,dès 1226-1227, de construire un châteauen ce lieu, chantier qui se poursuivitjusqu’au printemps 1228 avec l’aide deCroisés allemands. Après une interruptiond’un an, la construction reprit avec l’aidefinancière de Bohémond d’Antioche, etl’appui du Pape Grégoire IX. Dès 1240,le château servait de centre administratifmajeur des chevaliers en dehors d’Acre.

    R. Frankel et D. Pringle ont identifiédeux phases principales dans la construc-tion. Dans un première phase futconstruite l’enceinte externe, flanquée aumoins par deux tourelles à archères,entourant un ensemble allongé à laproue duquel se trouvait la puissante tourmaîtresse B. Celle-ci, avec son plan en Uet son diamètre de près de 24 m, rap-pelle celle, sans doute contemporaine,de Margat ; cependant, l’examen deson plan irrégulier tendrait à penserqu’elle résulte d’un changement de parti, àpartir d’une tour d’un diamètre moindre.À la différence de Margat, la salle inté-rieure visible est de fort petite taille, cor-respondant justement à un plan plusreserré.

    Fig. 30 - Margat, vue des tours 1, 2, 3 et suivantes.

    Fig. 31 - Margat, relevé des archères (campagnes XIIIe siècle franques) [relevé J. Mesqui].

    Cl. J.Mesqui.

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    Dès cette première phase, peut-êtrecelle des années 1226-1228, une enceintehaute fut édifiée, ainsi qu’un ouvraged’accès au plan semi-ovoïdal pourvud’une tour-porte A. Ce n’est que dansune seconde phase que l’ensemble futadapté pour accueillir de vastes espacesrésidentiels, tant par le voûtement, surdeux niveaux, du grand espace C, que parla construction d’un bâtiment adjacentqui comprenait également deux étagesvoûtés sur un niveau de caves voûtées enberceau. L’ensemble est aujourd’hui trèsruiné.

    Aucune datation objective n’est pos-sible pour cette seconde phase qui, en toutétat de cause, est antérieure à 1271, datede la prise par Baybars ; on peut penserque cette construction d’espaces de rési-dences fut menée à partir de 1229, afind’accueillir les Chevaliers.

    Sidon (Saïda, Liban) [fig. 12, 18, 33, 34 et35]

    Le château de mer de Sidon est sou-vent mis en relation avec Saint Louis, caril fut le théâtre d’épisodes dramatiques en1253. Le roi avait envoyé son maître desarbalétriers Simon de Montcéliard pourconstruire une enceinte urbaine ; celle-cin’était pas encore construite, qu’une razziamusulmane vint semer la panique etentraîna un carnage, la population n’ayantpu trouver refuge sur l’île. On sait, grâce àJoinville, que le roi vint s’installer en per-sonne à Saïda après cette débâcle ; « il fistvenir ouvriers de toutes pars et se remis àfermer la citée de haus murs et de granstours » 33.

    Le château de la Mer a été publié parle baron Rey, puis par Paul Deschamps 34 ;mais l’article le plus important est celui deHaroutune Kalayan publié après les déga-gements considérables du château parl’administration libanaise, et après laremarquable anastylose pratiquée sur l’en-ceinte extérieure du site dans les années1970 35.

    Comme la plupart des forteresses de larégion, le château de la Mer de Saïda est la

    résultante de campagnes successives trèsrapprochées. H. Kalayan avait mis enévidence le noyau de cette forteresse,construite par des croisés français, anglaiset espagnols entre le 11 novembre 1227et le 2 mars 1228, formée de deux tours(A, B) réunies par une muraille : cesCroisés choisirent d’implanter cette nou-velle fortification sur l’île contrôlant leport, faute de pouvoir fortifier la villetrop étendue 36.

    Une seconde étape de la fortificationmodifia profondément le site originel.Celui-ci fut transformé en une placepourvue de deux portes : l’une regardait laterre ferme et le quai dont ont étéretrouvés les substructions, alors quel’autre était une porte de mer, accessiblepar bateau. Des deux tours originelles,l’une (A) fut absorbée dans une construc-tion massive polygonale pouvue d’uneexcroissance en forme de tour semi-circulaire, alors que l’autre (B) était raséepour laisser la place à la porte de terre.Quant à la porte de mer, elle était flan-quée par une tour trapézoïdale C ouverteà la gorge.

    Fig. 32 - Montfort, plan du château (dessin J. Mesqui d’après D. Pringle).

    Fig. 33 - Sidon, plan du château au rez-de-chaussée (dessin J. Mesqui d’après Kalayan).

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    Lors de la troisième phase d’agrandis-sement, le château fut modifié de façonplus importante encore que la première ;cette transformation consista en l’ajoutd’une grande salle à deux niveaux de lon-gueur considérable sur le front maritime,au nord, connectée à une chapelle bâtieau-dessus de la tour C, prolongée par uneextension rectangulaire D symétrique dela saillie de la grande salle.

    Une quatrième strate d’aménagementintervint, toujours avant la prise du sitepar les Musulmans en 1291 : il s’agitd’une enceinte située au sud et à l’est,pourvue d’une porte mise en connectionavec le pont de pierre bâti pour relier l’îleà la terre ferme, entièrement reconstituéepar anastylose avant 1973 à partir despierres retrouvées dans les dégagements del’époque. Dans cette dernière phase, lesconstructeurs firent disparaître la fonc-tionnalité d’accès dédoublé entre porte deterre et porte de mer. Cette enceinte par-ticulière fut flanquée par une tour circu-laire à son angle sud-est, les espaces situésentre son périmètre et celui de l’ancienchâteau étant couverts de voûtes d’arêtesinsérées dans les maçonneries préexis-tantes.

    On passera sur les phases ultérieures,dues aux longs siècles durant lesquels lechâteau fut la base des armées des sultanssuccessifs, de quelque origine qu’ils soient.La tour A fut reconstruite, ou achevée,offrant dans ses étages supérieurs destémoins d’une architecture mamelouk,voire postérieure ; les tremblements de

    terre eurent raison de la grande salle, desbâtiments furent construits dans l’enceintepour abriter des magasins à poudre jusquedans le XIXe siècle, et, comme tous lesmagasins à poudre dignes de ce nom, ilsexplosèrent un jour…

    Ainsi la forteresse visible actuellementprésente-t-elle des vestiges attribuables,

    pour l’essentiel, à quatre campagnes deconstruction attribuables aux années1228-1291. La première campagne, cellede la fortification spontanée des chevalierscroisés, n’a laissé que des éléments en planqui ne permettent guère de la caractériserarchitecturalement.

    La seconde campagne, avec les deuxportes pourvues de herse, l’une vers laterre, l’autre vers la mer, n’est pas sansrappeler les programmes d’architectureroyale développés en territoire métropoli-tain, basés sur le concept « philippien » dudouble accès au secteur maître de la forte-resse. Il n’est pas impossible de cetteseconde campagne ait été menée après lesévénements sanglants de la razzia de 1253,et que l’on puisse y voir l’effet du souciroyal de fortifier tous les sites côtiers.Cependant, on ne peut manquer dedemeurer circonspect sur cette attribu-tion : Joinville, dans ses écrits, ne men-tionne jamais que la fortification de l’en-ceinte urbaine par Saint Louis, et, bienque ceci ne puisse être considéré commepreuve, ne met jamais en scène le roi dansle château de la Mer, évoquant plutôt le

    Fig. 34 - Sidon, vue de la courtine sud-est et de la tour flanquante, appartenant à la dernièrecampagne, avec les archères à étriers en bêche.

    Fig. 35 - Sidon, plan du château de Mer au premier étage (dessin J. Mesqui d’après Kalayan).

    Cl. J. Mesqui

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    camp royal qui aurait pu n’être qu’un éta-blissement provisoire.

    Quant à la troisième campagne, cellede la construction d’une grande salle àdeux niveaux, connectée à une chapellebâtie en flanquement de la porte, il semblequ’elle a été attribuée à tort à Saint Louis– on ne prête qu’aux riches 37 ; on peutpenser au contraire qu’elle a été bâtie pourrépondre aux besoins des Templiers, quifurent mis en possession du château aprèsl’expédition suicidaire de Julien de Sagettecontre les troupes mongoles de Kitbuqa,en 1260. Les éléments architecturaux sub-sistants, mis au jour par H.Kalayan, qu’ils’agisse d’éléments d’ogives, ou de chapi-teaux, montrent clairement que cetterestructuration du site intervint au milieudu XIIIe siècle, à la décennie près ; ilsappartiennent à une campagne de réoccu-pation du site fondée sur des critères destabilité qui n’eussent guère convenus à unroi en perpétuel mouvement, toujourssoucieux de respecter le partage des pou-voirs.

    Enfin, la quatrième phase, celle de lafortification ultime, ne peut être que laconséquence du grave conflit qui opposaen 1278 les Templiers à Bohémond VII

    d’Antioche, comte de Tripoli, dont lesquinze galères vinrent aborder au châteaude Mer, y faisant prisonniers des cheva-liers. La refortification du site, consistanten la construction d’une enceinte proté-geant les accès – et supprimant l’accèsdirect côté mer, dut être une conséquencedirecte de cette action.

    Que peut-on retenir de ce site pour cequi concerne les caractères de l’architec-ture franque au XIIIe siècle ? Certes, l’onne peut tirer aucune conclusion de la pre-mière forteresse, édifiée par des chevaliersen peine d’activité, laissés à eux-mêmes enattendant l’intervention de l’Empereur,roi de Jérusalem, qui menait ses propresnégociations peu transparentes avec le sul-tan. La seconde phase offre, pour seulscaractères architecturaux, ses deux portes àherse.

    L’architecture déployée en troisièmephase est plus intéressante : la sculpturedéployée dans la grande salle, conservéeseulement à son niveau bas, et dans la cha-pelle, sont les témoins d’un art gothiqueparfaitement conforme aux usages métro-politains au milieu du XIIIe siècle. De plus,l’ajout d’une extension de la porte de Merpourvue d’une herse transformait cette

    porte en un ouvrage à deux herses et sasintermédiaire bien conforme aux usagesprévalant dans la fortification métropoli-taine à cette époque 38. Il est intéressant deconstater que les maîtres d’œuvre, tout enutilisant ce vocabulaire d’architectureintérieure, eurent recours extérieurementà des modes de parement très orientaux,alternant les bossages rustiques et les fûtsde colonnes antiques récupérés et placésen boutisse.

    La dernière phase, certainement datéedes années 1278-1291, constitue unmagnifique exemple de la fortificationtemplière tardive. Les appareils à bossagesont ici d’une parfaite stérétotomie, tanten intégrant des fûts de colonne antiquesen boutisse ; de belles archères à niche,pourvues de fentes à étrier en bêcheallongée, perçaient de façon régulière cetteenceinte. La porte de l’enceinte, vers laterre, était ornée de claveaux sculptésreprésentant un chevalier et un lion.

    Tortose (Tartus, Syrie) [fig. 14, 19, 20, 23,36, 37 et 38]

    Le château et la ville de Tortose ontconstitué l’un des hauts-lieux du comté deTripoli, d’autant que la cathédrale du lieuétait un centre de pèlerinage important.Siège d’une seigneurie particulière, ellepassa vers 1170 aux mains des Templiers,et fut le dernier site franc du Proche-Orient, dont ils s’échappèrent en 1291vers l’île d’Arwad, à quelques milles aularge. Si sa cathédrale et ses bâtimentsd’apparat ont été bien étudiés, la fortifica-tion reste encore terra incognita, malgréune récente campagne menée par MichaëlBraune qui apporte un éclairage totale-ment nouveau sur le site 39.

    Le château Templier occupait le nord-ouest du site, contrôlant le port. Il étaitconstitué par deux enceintes concen-triques dont le diamètre commun nord-sud était bordé par la mer. Au milieu de cefront se trouvait la tour maîtresse bâtie enbossages (A), sans doute le premier élé-ment construit par les Templiers en bos-sages tabulaires ; les Chevaliers ne tardè-rent pas à l’entourer d’une chemise – enfait un glacis réservant une gaine àarchères, soit après le siège de la ville et duchâteau par Saladin, soit après le séisme de

    Fig. 36 - Tortose, plan du château, d’après Michaël Braune, le baron Rey et les observations de JeanMesqui.

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    LA FORTIFICATION DES CROISÉS AU TEMPS DE SAINT LOUIS AU PROCHE-ORIENT

    1201-1202 40. Cette chemise basse voûtéefut, peu après, pourvue de deux appen-dices protégeant ses accès, voûtés de lamême façon que les couloirs de la chemise,en demi-berceau brisé.

    La première enceinte, flanquée detours rectangulaires également en bossagestabulaires, pourvue d’archères à nichessans plongée, est sans aucun doute celleque Wilbrand d’Oldenburg vit en1212 41 : le voyageur signale une enceinteà onze tours, et indique que si le chiffresacré de douze n’est pas atteint, l’une desonze tours, construite par le roi de France,en vaut bien deux. De fait, l’enceintecomptait dix tours, en y comprenantcelles de l’entrée mises au jour parMichaël Braune ; la tour maîtresse formaitla onzième, et le commentaire deWilbrand semble aujourd’hui parfaite-ment justifié. Cette enceinte était bordéeintérieurement par des « halles dans fin »que le baron Rey avait pu voir encore enétat au XIXe siècle ; il en demeure quelquessections voûtées en berceau brisé.

    La chapelle castrale (F) et la grandesalle (E), furent édifiées postérieurement ;

    la seconde a été superbement relevée parl’architecte R.Jusserand, ces relevés ayantété publiés par C. Enlart dans sesMonuments des Croisés. On n’y reviendrapas ici, si ce n’est pour insister sur la qua-lité architecturale de ces constructionscivile et religieuse. Les éléments de décorprésentés par Enlart, tout particulière-ment les chapiteaux des ogives de la gran-de salle, permettent sans l’ombre d’undoute d’avancer une datation dans lesecond quart du XIIIe siècle.

    La seconde enceinte, bâtie en énormesblocs à bossage rustiques qui pourraientparaître dater des premières années desTempliers, présente une série de tours rec-tangulaires peu flanquantes, pourvuesd’archères sous niche. La particularité decette enceinte est de posséder une tour-porte rectangulaire remarquable : la porte,pourvue d’assommoir et herse, s’ouvraitdans un mur latéral épais de 4,35 m placésous la surveillance directe de la courtinevoisine. Elle donnait dans une grande sallevoûtée de deux travées sur ogives retom-bant sur des culots, et obligeait l’entrantà tourner à droite pour poursuivre sa

    progression. Des archères sous niche nom-breuses faisaient de cette porte un organefondamental de la défense. Il est probableque cette seconde enceinte a été bâtie dansle second tiers du XIIIe siècle.

    Enfin, tous les auteurs ont noté un élé-ment défensif également remarquable,situé à l’angle sud-ouest de la premièreenceinte (G). Il s’agit d’une surélévationde la courtine primitive sur deux niveaux,dans un superbe appareil à bossages tabu-laires ; à chacun de ces deux niveaux, lechemin de ronde est porté par un encor-bellement à deux ou trois assises formantun tiers de berceau. Les murs sont percésde superbes archères à bêche longue rec-tangulaire, qui rappellent celles présentesau Crac des Chevaliers dans sa dernièrephase ; les sommets des fentes sontsommés de petits arcs brisés finementdélardés dans les bossages. Cette suréléva-tion paraît bien constituer le dernier actedes Templiers sur le site.

    Cl. J.Mesqui.

    Cl. J.Mesqui.

    Fig. 37 - Tortose, vue de la porte de la seconde enceinte, transformée en mosquée.

    Fig. 38 - Tortose, les archères à étrier en bêchede la courtine.

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    Jean MESQUI

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