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varia FRANKLIN HUGH ADLER Pourquoi Mussolini fit-il volte-face contre les Juifs ? D URANT L’AUTOMNE 1938, débutait dans l’Italie fasciste une campagne antisémite faisant des Juifs une menace antinationale ; des lois discri- minatoires sévères furent promulguées qui, entre autres interdits, empêchèrent les Juifs de fréquenter les écoles publiques, d’y ensei- gner, de travailler pour le gouvernement, d’être propriétaire de grandes entreprises, de publier, et de pratiquer un grand nombre de professions. Jusqu’à l’été 1938, le gouvernement a nié que de telles mesures puissent être envisagées, voire qu’il existait un « pro- blème juif ». En fait, pendant les seize premières années de son règne de vingt ans, l’Italie fasciste avait persisté dans l’un des comportements le plus philosémite d’Europe. Comme sous les gou- vernements précédents, libéraux, les Juifs occupaient des postes importants dans le gouvernement, l’armée et l’industrie. Aucun principe, ni aucune décision politique du fascisme italien n’était antisémite. À l’instar des autres Italiens, il y avait parmi les Juifs beaucoup de fascistes et d’anti-fascistes, et cette affiliation était fondée sur des facteurs non religieux, comme la classe, la région et la génération. Contrairement à l’Allemagne, la France et l’Autriche, l’Italie avait été relativement épargnée par l’antisémitisme et la for- mation, à la fin du 19 e siècle, de mouvements et de partis antisé- mites. Aussi n’y a-t-il pas eu de tentative de redéploiement de tra- ditions antisémites plus anciennes pouvant servir de base contemporaine à la mobilisation sociale. L’antisémitisme qui Raisons politiques,n o 22, mai 2006, p. 175-194. © 2006 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

Franklin Hugh Adler - Pourquoi Mussolini Fit-il Volte-face Contre Les Juifs

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Fascisme et judaïsme.

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  • varia

    FRANKLIN HUGH ADLER

    Pourquoi Mussolini fit-il volte-facecontre les Juifs ?

    DURANT LAUTOMNE 1938, dbutait dans lItaliefasciste une campagne antismite faisant desJuifs une menace antinationale ; des lois discri-minatoires svres furent promulgues qui, entre autres interdits,empchrent les Juifs de frquenter les coles publiques, dy ensei-gner, de travailler pour le gouvernement, dtre propritaire degrandes entreprises, de publier, et de pratiquer un grand nombrede professions. Jusqu lt 1938, le gouvernement a ni que detelles mesures puissent tre envisages, voire quil existait un pro-blme juif . En fait, pendant les seize premires annes de sonrgne de vingt ans, lItalie fasciste avait persist dans lun descomportements le plus philosmite dEurope. Comme sous les gou-vernements prcdents, libraux, les Juifs occupaient des postesimportants dans le gouvernement, larme et lindustrie. Aucunprincipe, ni aucune dcision politique du fascisme italien ntaitantismite. linstar des autres Italiens, il y avait parmi les Juifsbeaucoup de fascistes et danti-fascistes, et cette affiliation taitfonde sur des facteurs non religieux, comme la classe, la rgion etla gnration. Contrairement lAllemagne, la France et lAutriche,lItalie avait t relativement pargne par lantismitisme et la for-mation, la fin du 19e sicle, de mouvements et de partis antis-mites. Aussi ny a-t-il pas eu de tentative de redploiement de tra-ditions antismites plus anciennes pouvant servir de basecontemporaine la mobilisation sociale. Lantismitisme qui

    Raisons politiques, no 22, mai 2006, p. 175-194. 2006 Presses de la Fondation nationale des sciences politiques.

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  • mergea la fin de 1938, organis par ltat, tait une chose tota-lement nouvelle, base moins sur lide de prserver le pass quesur lespoir daider la ralisation dun projet davenir radicalementalternatif : une nouvelle nation italienne impriale, un nouvelhomme, un uomo fascista.

    Comment peut-on expliquer cette rupture apparente avec lepass ? Il est surprenant que cette question spcifique nait bn-fici que de peu dattention critique, bien quelle ait t abordedans des analyses historiques plus comprhensives concernant lefascisme italien et les Juifs. Les deux tudes classiques celles deRenzo De Felice, Storia degli ebrei sotto il fascismo publie en 1961,et celle de Meir Michaelis, Mussolini and the Jews publie en 1978 1

    saccordaient pour dire que ce changement abrupt de politiquetait d des facteurs extrieurs, savoir la consolidation dunealliance stratgique avec lAllemagne nazie. Le travail de rechercheet la logique taient impeccables dans ces deux ouvrages. Commentsinon donner un sens cette discontinuit spectaculaire, qui nesurgit quen 1938 ? En effet, si lantismitisme avait t unecomposante interne du dveloppement fasciste, et non pas uneaccommodation pragmatique lgard de lAllemagne, pourquoi,avant cette date, Mussolini aurait-il nomm des Juifs des postesimportants, lou maintes reprises les contributions juives la vieitalienne, ridiculis les excs racistes dHitler et fait de lItalie unrefuge ou un point de transit pour les Juifs allemands qui fuyaientla perscution aprs 1934 ?

    Quand De Felice revint sur ce sujet en 1981, il avait publitrois volumes de sa biographie monumentale sur Mussolini et touteune nouvelle gnration de recherches sur le fascisme italien taitapparue. Dans le volume Mussolini il Duce : Lo Stato Totalitario1936-40 2 De Felice apporta des clairages nouveaux, des approchesoriginales et le savoir quil avait accumul au cours de ses propresrecherches sur le fascisme. Surtout, il attira lattention sur les dif-frences entre le fascisme des annes 1920, au moment o loppo-sition avait t limine et un nouvel ordre institutionnel cr, et

    1. Renzo De Felice, Storia degli ebrei sotto il fascismo, Turin, Einaudi, 1961 ; MeirMichaelis, Mussolini and the Jews, Oxford, Clarendon Press, 1978.

    2. R. De Felice, Mussolini il duce, vol. 2 Lo Stato totalitario 1936-1940, Turin, Einaudi,1981.

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  • le fascisme de la seconde moiti des annes 1930, captes superbe-ment dans le titre vocateur du premier chapitre de 150 pages, Ilregime di fronte al proprio futuro : il totalitarismo fascista ( lergime face son propre avenir : le totalitarisme fasciste ). cette priode, le projet fasciste ne se limitait plus liminer loppo-sition et oblitrer la distinction librale entre ltat et la socitcivile en remplaant ltat traditionnellement libral par une dic-tature solide et autoritaire. Dans le nouveau projet totalitaire,contrairement au fascisme des annes 1920, le but de ltat ntaitpas seulement de contenir ou de discipliner la socit dans sa formedalors, mais de crer une socit entirement nouvelle et de trans-former les Italiens eux-mmes 3. La politique raciale tait un aspectde ce dveloppement et sur ce point le racisme italien tait trsdiffrent du racisme allemand. Alors que ce dernier tait essentiel-lement biologique et cherchait prserver la puret de la racearyienne, le premier tait surtout culturel et anthropologique : ilvoulait crer une nouvelle race en liminant la race contentieusedes serviteurs et des joueurs de mandoline, comme la bourgeoisiegoste, quil souhaitait remplacer par une socit homogne faitede citoyens-soldats impriaux. Les Juifs, comme nous le verrons,taient des obstacles ce projet pour deux raisons. Dabord, plusque personne dautre, ils taient associs historiquement ltatlibral grce auquel ils avaient obtenu leur mancipation et leur trsvisible mobilit sociale. Ensuite, ils taient perus comme lincar-nation vivante de lesprit bourgeois , antithtique toutes lesvaleurs impriales qui allaient marquer le Nouvel Homme Fasciste.

    Sans renoncer la prminence des impratifs diplomatiquespour expliquer le volte-face de 1938, De Felice suggrait que lana-lyse devait tenir compte du dveloppement idologique et institu-tionnel du rgime fasciste. Dans lintroduction dune nouvelle di-tion de son livre sur les Juifs dans lItalie fasciste, De Felice signalaitles limites initiales de son analyse et de celle de Michaelis qui avaientni, de faon polmique, limportance de toute causalit interne.Pour De Felice, Michaelis rduisait la politique juive du rgimefasciste un vnement de politique trangre , ignorant :

    3. La rcente historiographie franaise sur le fascisme italien a adopt cette priodisation,en considrant la fin des annes 1930 et la Deuxime Guerre mondiale comme destmoins dune distincte radicalisation du rgime . Voir Pierre Milza,Mussolini, Paris,Fayard, 1999, p. 718-757. Voir aussi Marie-Anne Matard-Bonucci et Pierre Milza(dirs.), LHomme nouveau dans lEurope fasciste, Paris, Fayard, 2004.

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  • (...) tout autre aspect de la politique raciale italienne, ce quiaboutit brouiller et dissimuler les diffrences plus profondes entrelattitude des gouvernements libraux envers les Juifs et celle durgime fasciste avant le milieu des annes 1930, la ralit et lesrouages internes du fascisme lui-mme, et la faon dont ils ontchang par la suite, autant que les rpercussions que ces change-ments ont eu sur lattitude envers les Juifs et sur le processus dedveloppement autonome dun antismitisme italien de la part dufascisme en gnral, et de Mussolini en particulier 4.

    Comme De Felice le suggre, la position de politique tran-gre et ce que jappellerai la position de transformation totali-taire 5 ne doivent pas tre considres comme contradictoires, maisplutt comme des approches complmentaires pour comprendre lapolitique raciale fasciste. Toutefois, la position de transformationtotalitaire a deux avantages notables. Premirement, elle permetdexpliquer pourquoi une politique trangre imprialiste a tmeneau pralable par lItalie, ce queMichaelis ne prend pas la peine dinter-roger. Or, avant la fin de lalliance de lAxe, lItalie avait dj envahilthiopie, elle tait intervenue dans la guerre civile dEspagne et avaitquitt la Ligue des Nations, indpendamment des buts de la politiquetrangre allemande qui, parfois, sopposaient ceux de lItalie (cf. lecas de lAutriche en 1934). Deuximement, cette position aborde ledveloppement idologique et institutionnel du rgime fasciste, unaspect galement admis en tant que tel dans la position de politiquetrangre ou trait comme un fait tabli en 1938.

    Aussi, si je reconnais limportance de la position de politiquetrangre, je souhaite nanmoins explorer la position de

    4. R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, trad. de litalien par Robert L. Miller et KimEnglehart, New York, Enigma Books, 2001, p. xxxvii. Voir M. Michaelis, Mussoliniand the Jews, op. cit. Michaelis dfend sa position antrieure dans M. Michaelis, Lapolitique fasciste envers les Juifs italiens , in Ivo Herzer (dir.), The Italian Refuge,Washington, Catholic University Press of America, 1989, p. 34-72. Pour une excel-lente rflexion sur les problmes historiographiques poss par le fascisme et lantis-mitisme, voir Mario Toscano, Ebraismo e Antisemitismo in Italia, Milan, Franco Angeli,2003.

    5. Cette position ne doit pas tre confondue avec lapproche totalitaire dveloppe aprsla Deuxime Guerre mondiale par Carl Friedrich, Zbigniew Brzezinski, Hannah Arendtet dautres pour comparer lItalie fasciste, lAllemagne nazie et lUnion Sovitique.Renzo De Felice et Emilio Gentile prcisent quils se rfrent seulement lItalie et ce qui avait t un but exprim par le rgime fasciste lui-mme, et non pas un para-digme gnral des sciences sociales.

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  • transformation totalitaire comme un point de dpart plus fruc-tueux. Au-del des remarques de De Felice sur ce sujet, fragmen-taires et dveloppes de faon secondaire au cours de sa narration,je voudrais insister sur les contributions dEmilio Gentile qui advelopp la position de transformation totalitaire plus en profon-deur dans deux livres, Il mito dello Stato nuovo et La Grande Italia 6.Selon lui, les racines du projet de transformation totalitaire peuventtre trouves dans les dix annes de nationalisme radical(1912-1922) durant lesquelles ont eu lieu la guerre de lItalie enLibye, la Premire Guerre mondiale, la crise de laprs-guerre et laMarche fasciste sur Rome. Cest Enrico Corradini qui a exprimavec le plus de truculence le thme de lexpansion impriale et quia dfendu largument clbre selon lequel lItalie tait une nationproltarienne en lutte contre les nations ploutocratiques . Deplus, ce qui manquait lItalie en termes de ressources financirestait compens par un fort potentiel dmographique, essentiel poursoutenir des guerres et conqurir des territoires sur le long terme.Le thme de la nation proltarienne resurgit sous le rgime fasciste,surtout pendant la seconde moiti des annes 1930 ; dabord, pen-dant le soi-disant virage social (svolta sociale) et, plus dramati-quement, dans la dclaration de guerre de Mussolini au nom de lItalie proltarienne et fasciste , une guerre des pauvres contreceux qui monopolisaient la fortune du monde, la guerre dun peuplejeune et fcond contre un pouvoir strile en dclin. La guerre,disaient les Futuristes, dont les sentiments taient proches de ceuxdes nationalistes bien que leurs vues politiques fussent distinctes,tait lhygine du monde. La paix et le pacifisme ntaient que pourles faibles et les couards. Un autre thme nationaliste fondamentaltait le rejet total de la corruption librale et de la dcadence enfaveur dun nouvel tat autoritaire suppos tre le promoteur durenouvellement de la nation, et non pas simplement son grant.Ceci refltait une plus large dsaffectation envers ltat libral dela part des intellectuels et de tout le spectre politique. Mazzini avaitconu le Risorgimento comme un renouvellement national, et nonpas seulement une unification gographique. linverse, ltatlibral apparaissait faible, corrompu, ayant perdu le contact avec lItalie relle et donc indigne de gouverner. Le Risorgimento, entant que rivoluzione mancata ( rvolution manque ), trouvait un

    6. Emilio Gentile, Il mito dello Stato nuovo : dal radicalismo nazionale al fascismo, Rome,Laterza 1990 et La Grande Italia, Milan, Mondadori, 1999.

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  • cho dans les journaux intellectuels et littraires de la priode, enparticulier La Voce dans lequel Mussolini publiait de temps autreet o il alimentait certainement sa maigre ducation culturelle.Jajouterais que pendant la guerre de Libye, lantismitisme fit sur-face dabord politiquement bien que de faon marginale et sansjamais susciter une mobilisation gnrale. Quelques nationalistesattaqurent le sionisme et les loyauts doubles dont les Juifs italienstaient accuss, bien que le sionisme ait eu un nombre limit dadh-rents et quil ait t considr comme une expression de solidaritavec les Juifs perscuts en Russie et ailleurs, et non pas un enga-gement personnel pour la Palestine, ni un rejet de lidentit ita-lienne. Surtout, il ne sagissait pas dune rupture avec le patriotismefroce en faveur de la madre patria qui avait marqu la communautjuive depuis lpoque du Risorgimento. En dehors du sionismemergea aussi le thme de la finance juive internationale et despuissants banquiers juifs hostiles lItalie. Ces deux thmes taientprsents jusqu la priode fasciste, y compris pendant les annes1920, mme si on a toujours fait la distinction entre la juiverieinternationale et la finance juive internationale dune part, et lesJuifs italiens dautre part.

    Pour les besoins de cet essai, je naborderai pas tous les thmesqui ont caractris la transformation totalitaire, et je me concen-trerai uniquement sur ce que De Felice a appel la rvolution cultu-relle de Mussolini, et ce que Gentile dsigne plutt comme unervolution anthropologique. Ce que ces deux visions ont encommun est la notion dun tat totalitaire produit par une socitnouvelle ou, dans le cas qui nous occupe, un tat fasciste totalitairequi fabrique une socit future fasciste : un tat qui cre non seu-lement de nouvelles institutions, mais aussi des sujets nationauxnouveaux, voire des hommes nouveaux et une nouvelle race. Cequi nest pas trait directement ici est la faon dont la politiquetotalitaire est parvenue dpolitiser les Italiens qui, dans leur majo-rit, taient opposs la campagne raciale, lalliance avec lAlle-magne, et la Deuxime Guerre mondiale 7. Bien que la campagneraciale ait t impopulaire et quelle ait engendr une vaste empathiepour les Juifs (un phnomne embarrassant que le rgime appela

    7. Nous savons ceci daprs des rapports de police, une srie dautres documents et lesjournaux intimes de leaders fascistes tels que Galeazzo Ciano, Giuseppe Bottai et DinoGrandi.

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  • pitisme par drision), il ny a eu aucune manifestation doppo-sition ou de solidarit avec la communaut juive. De mme, onnote peu de dmonstrations hroques de courage civique en rac-tion aux serments obligatoires de loyaut, suivies plus tard par ledevoir des fonctionnaires de dclarer leur statut de non-Juif, ycompris les professeurs duniversit ; il ny eut pas non plus, chezces derniers, dhsitation remplacer les professeurs dont les postesavaient t rendus vacants par la lgislation raciale. Seulement 15 %de la population juive italienne prit dans lHolocauste, lun desplus bas chiffres enregistrs dans les pays occups par les Allemands.Contrairement ce qui sest produit en Europe de lEst, en Italieaucun Juif qui cherchait de laide pour chapper aux partisans armsdu rgime ne fut rejet ni abattu dans le dos, comme cela fut ledestin de Leibl Fehlhandler 8, lun des leaders de la rvolte des campsde la mort qui russit se sauver avant dtre tu par des partisanspolonais. Les Italiens ne furent jamais mobiliss par ltat contreles Juifs comme ce fut le cas en Allemagne et dans beaucoup depays occups 9. Cependant, en 1938, les effets du gouvernementtotalitaire et le consensus inconfortable si bien dcrit par De Feliceavait sap la volont de rsister ou de sopposer la politique deltat, mme si les Italiens ressentaient un malaise face au traitementrserv leurs collgues, amis ou voisins juifs.

    La communaut italienne juive

    Au moment de la campagne raciale de 1938, il y avait environ47 000 Juifs en Italie, soit un millime de la population, concentrsdans quelques villes comme Rome, Trieste, Livourne, Milan,Venise, Turin, Florence, Gne et Ferrara. La vague de migrationdEurope de lEst est passe ct de lItalie ; les seules autres partiesde lEurope o vivaient un nombre plus rduit de Juifs taientlIbrie et la Scandinavie. Les Juifs dItalie parlaient italien, et nonhbreu, yiddish ou ladino. Ils taient compltement intgrs lavie italienne comme en tmoigne le pourcentage de mariage mixtes de 30 %, le plus lev dEurope (11 % en Allemagne en

    8. Paul Bookbinder, Italy in the Context of the Holocaust , in I. Herzer (dir.), TheItalian Refuge, op. cit., p. 105.

    9. Mon point de vue ici est ncessairement comparatif. De toute faon, lantismitismeexistait dans toutes les socits chrtiennes et les tats-nations. Si on considre lItalie

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  • 1934, 14 % en Hongrie en 1932 10). Les Juifs avaient vcu en Italiedepuis lpoque de Csar, comme Mussolini le rappelait lui-mmeen 1929, loccasion du Concordat avec le Vatican :

    Les Juifs ont habit Rome depuis le temps des Rois, peut-treque ce sont eux qui ont fourni des vtements aprs le viol desSabines. Ils taient 50 000 du temps dAuguste, et ils ont demand pleurer sur le cadavre de Jules Csar. Ils resteront ici en paix 11.

    Les Juifs italiens firent lexprience de lmancipation pendantle Risorgimento. Comme Arnaldo Momigliano et Antonio Gramsci

    aprs son unification, il est frappant de constater quel point lantismitisme a peucaractris ou mme pntr la socit, la culture et la politique. En raction au mythepopulaire daprs-guerre faisant des Italiens des bonnes gens (Italiani brava gente)qui nont jamais soutenu lantismitisme officiel du rgime, quelques chercheurs ontrcemment exagr lantismitisme italien, arguant que les thmes antismites ntaientjamais absents de la culture italienne, quelle soit leve ou populaire. Voir LynnM. Gunzberg, Strangers at Home: Jews in the Italian Literary Imagination, Berkeley,University of California Press, 1972, et, encore plus partial, Wiley Feinstein, TheCivilization of the Holocaust in Italy, Teaneck, New Jersey, Fairleigh Dickenson Uni-versity Press, 2005. Ceci nest pas vraiment une rvlation, car il serait difficile detrouver une nation occidentale totalement dnue dantismitisme. La question doittre comparative : dans quelle mesure lantismitisme tait-il reprsentatif ou caract-ristique, et quel impact ceci a-t-il eu sur la socit, la culture et la politique ? DanslItalie unifie, les Juifs ne sont jamais devenus les cibles de mouvements sociauxantismites. Il ny a pas eu non plus dobstacles leurs remarquables mobilit socialeet succs professionnel. Si la culture italienne avait t antismite, comme le suggrentGunzberg et Feinstein, comment expliquer la place importante occupe par les Juifsdans la socit italienne avant la lgislation raciale de 1938, ou les efforts hroquesdploys pour les sauver des rafles nazies aprs la chute de Mussolini ? De manireplus polmique, on pourrait se demander comment des chercheurs juifs amricains,sans aucune introspection apparente, ont pu qualifier lItalie dantismite tant donnla nature autrement plus pntrante de lantismitisme amricain dans les annes 1930.Jusqu la lgislation raciale de 1938, les Juifs italiens ne furent jamais exclus desprofessions, ni sujets des quotas luniversit ou restreints dans le logement. Plusironiquement, au moment mme o des diplomates italiens et des officiers militairestaient en train de sauver des Juifs des mains des Allemands dans les territoires occups,le United States Department of State faisait tout son possible pour empcher les Juifseuropens en fuite dentrer sur le sol amricain. Sous Roosevelt, Breckinridge Long,le principal responsable des affaires concernant les rfugis dEurope, un antismitebien connu, navait aucun quivalent au plus haut chelon du corps diplomatiqueitalien. Gunzberg et Feinstein auraient bien fait de consulter David S. Wyman, TheAbandonment of the Jews: America and the Holocaust, New York, Pantheon, 1984, avantdcrire sur lantismitisme en Italie. Une littrature volumineuse existe sur les effortsdes Italiens pour sauver des Juifs dans le sud de la France et en Yougoslavie. Lunedes meilleures tudes rcentes est celle de Jonathan Steinberg, All or Nothing: the Axisand the Holocaust, Londres, Routledge, 2002.

    10. R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 7-11.11. Cit dans M. Michaelis, Mussolini and the Jews, op. cit., p. 53.

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  • lont chacun not, les Juifs sont devenus italiens au mmemoment que les habitants de Milan, Florence, Turin et Gnes, aussileur participation au Risorgimento fut-elle gnreuse et ouverte. Lestrois pres de lItalie moderne, Cavour, Mazzini et Garibaldi, taienttous les trois philosmites. Comme Susan Zuccotti la signal, deuxJuifs sont devenus conseillers municipaux de Rome en 1870, aus-sitt que le ghetto fut dissous ; trois Juifs ont t lus au premierparlement dune Italie presquunie en 1861, neuf ont servi avant1870 et onze avant 1874. Ernesto Nathan devint maire de Romeen 1907, seulement trente-sept ans aprs louverture du ghetto 12.Michaelis a certainement raison de dclarer : Aussi tard quen1848, il ny avait pas en Europe un pays o les restrictions imposesaux Juifs fussent plus odieuses ; vingt-deux ans aprs, il ny avaitpas un endroit dans le monde o la libert du culte ft plus relle,ou les prjugs religieux si minimes 13.

    LItalie a nomm le premier Premier ministre juif dEurope,Luigi Luzzatti, vingt-six ans avant que Lon Blum occupe cettefonction en France, et le premier ministre de la Dfense, GiuseppeOttolenghi, qui avait dj t le premier gnral juif en 1888. Cin-quante gnraux juifs servirent dans la Premire Guerre mondiale,y compris Emanuele Pugliese, le gnral le plus dcor de larmeitalienne. Plus dun millier de Juifs gagnrent des mdailles de cou-rage. Le plus jeune gagnant de la mdaille dor de la nation, RobertoSarfatti, a t tu au combat lge de 17 ans ; le plus g taitGiulio Blum 14. plusieurs occasions, avant 1938, Mussolini avoqu le courage des Juifs pendant la guerre, ce qui peut sur-prendre tant donn quaprs le dbut de la campagne raciale, lesJuifs furent dpeints comme des gostes, des couards, des incarna-tions vivantes du dtestable esprit bourgeois.

    Les Juifs ont rapidement obtenu des postes importants dansles affaires, le milieu de ldition et luniversit, une ascension lar-gement due leur niveau dtudes suprieures (en 1909 le tauxdanalphabtisme tait de 49,9 % pour les Italiens, alors que parmi

    12. Susan Zuccotti, The Italians and the Holocaust, New York, Basic Books, 1997,p. 16-17.

    13. M. Michaelis, Mussolini and the Jews, op. cit., p. 3.14. S. Zuccotti, The Italians and the Holocaust, op. cit., p. 17-18.

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  • les Juifs il tait de 5,7 %) 15. Ds 1930, 8 % des professeurs duni-versit taient juifs, comme deux romanciers italiens distingus,Italo Svevo et Alberto Moravia 16. En fait, ds 1938, la prominencejuive dans la vie professionnelle, en dpit de leur petit nombre, taitdevenue un sujet important du journalisme antismite, commectait le cas ailleurs en Europe. Le 5 aot 1938, Informazione Diplo-matica annona que la participation des Juifs dans la vie gnralede ltat devrait tre rduite un ratio correspondant leur pro-portion dans la population :

    Discriminer ne veut pas dire perscuter. Ceci doit tre dit auxtrop nombreux Juifs en Italie et dans dautres pays qui adressentdinutiles lamentations aux cieux, passant, avec lagilit qui leur esttypique, de lingrence et la fiert la dmoralisation et la paniqueinsense. Comme cela avait t not dans le no 14 de InformazioneDiplomatica, et comme cela est rpt aujourdhui, le gouvernementfasciste na aucun projet particulier de perscuter les Juifs eux-mmes. Il soccupe dautres choses. Il y a 44 000 Juifs dans les villesitaliennes, selon les donnes statistiques juives, qui devront cepen-dant tre confirmes prochainement par un recensement spcifique ;la proportion est suppose tre dun Juif pour 1 000 habitants. Ilest clair qu partir de maintenant, la participation des Juifs dans lavie gnrale de ltat devra tre, et sera, adapte ce ratio 17.

    Jusquen 1938 toutefois, la participation juive la vie natio-nale navait jamais t un problme pour le gouvernement, niladhsion au mouvement fasciste et plus tard au Parti fasciste. Aumoins cinq Juifs taient parmi les 119 fondateurs du mouvementfasciste la Piazza San Sepolcro Milan en mars 1919 ; trois Juifsmoururent en martyrs fascistes dans les confrontations violentesavant la Marche sur Rome laquelle 200 Juifs participrent. AldoFinzi, qui comptait parmi les neuf Juifs lus au parlement en mai1921, devint sous-secrtaire au ministre de lIntrieur et membredu Grand Conseil fasciste. Maurizio Rava fut vice-gouverneur deLibye, gouverneur de Somalie, et gnral dans la milice fasciste. Ilservit comme magistrat jusqu ce quil soit forc de prendre saretraite. Giorgio Del Vecchio, un minent professeur de droit

    15. Michele Sarfatti, Gli ebrei nellItalia fascista, Turin, Einaudi, 2000, p. 6.16. S. Zuccotti, The Italians and the Holocaust, op. cit., p. 18.17. Cit dans R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 682-683. Pour le texte

    de Informazione Diplomatica, no 14, voir Luigi Preti, Impero fascista, africani ed ebrei,Milan, Mursia, 1968, p. 248-249.

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  • international, devint le premier recteur fasciste de luniversit deRome en 1925 18. Guido Jung fut nomm ministre des Financesen 1932 ; Mussolini fit remarquer un ami intime quil fallait unJuif au ministre des Finances 19.

    Mussolini lui-mme na jamais t un antismite la faondHitler. Il avait de nombreux associs et amis juifs, et mme unematresse juive clbre, Margherita Sarfatti, qui dirigeait la pagedart et de littrature du journal de Mussolini, Popolo dItalia. Elleco-dita la revue mensuelle du Parti fasciste, Gerarchia, et crivitune biographie autorise du dictateur 20. Quand le jeune fils deMargherita Sarfati, un hros de guerre, fut tu au combat dix-septans, Mussolini crivit lui-mme une commmoration mouvantedans Popolo dItalia :

    Il y a, en vrit, quelque chose de religieux, de potique, et deprofond dans le sacrifice de ces jeunes hommes. La voix de leurPatrie doit rsonner dans leurs mes avec des accents et des rythmesdont nous ne savons rien... Un garon qui a encore peine acquisune connaissance, rien pris de la vie, a tout donn : le prsent etle futur, ce qui est et ce qui aurait pu arriver. Ceci signifie quil doity avoir en lui cette vraie volont de renoncement qui est le secretet le privilge dun grand amour 21.

    linstar dautres nationalistes, Mussolini a critiqu le sionismealors quil avait rencontr des leaders importants de ce mouvementdans son effort pour contrler linfluence britannique au

    18. S. Zuccotti, The Italians and the Holocaust, op. cit., p. 25-26.19. R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 493.20. Parmi les nombreuses matresses de Mussolini, Marghetia Sarfatti ntait pas la seule

    Juive. Il a eu une aventure avec Angelica Balabanoff, et un enfant avec une autreJuive russe, Fernanda Ostrovski. Sarfatti, toutefois, fut considre comme la reinenon couronne de lItalie dans les annes 1920. Ctait une figure majeure de lartet de la culture italiennes lpoque, et son salon a accueilli des clbrits commeColette, George Bernard Shaw, Sinclair Lewis, Ezra Pound, Andr Gide, Andr Mal-raux et Josephine Baker. Amie de Filippo Marinetti et dArturo Toscanini, Sarfattiprotgea dans les annes 1920 la culture italienne dminentes brutes fascistes, commeRoberto Farinacci qui voulait remplacer le modernisme juif et internationaliste par du kitsch nationaliste. Il est dailleurs devenu lun des notables fascistes les plusphilo-nazis dans les annes 1930, mme sil a tent dpargner sa secrtaire juive, JoleFo, de la discrimination. Pour une biographie de Sarfatti extrmement riche etnuance, voir Philip V. Canistrano et Brian R. Sullivan, Il Duces Other Woman, NewYork, William Morrow, 1993.

    21. Cit dans M. Michaelis, Mussolini and the Jews, op. cit., p. 11.

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  • Moyen-Orient. Dans une runion de 1934 avec NahumGoldman ilalla mme jusqu se dclarer sioniste, et fit la promesse de chercher persuader le chancelier autrichien Dollefus de ne pas tablir deschangements constitutionnels qui restreindraient les droits desJuifs 22. En 1932, dans une conversation avec Emil Ludwig, Musso-lini dit La race ! Cest un sentiment, non une ralit ; 95 %, aumoins, est un sentiment. Personne ne me fera jamais croire que desraces purement biologiques peuvent exister aujourdhui. Aprsavoir attaqu lantismitisme allemand, Mussolini dclara : Lanti-smitisme nexiste pas en Italie... Les juifs italiens se sont toujourscomports en bons citoyens, et ils se sont battus avec courage pendantla guerre. Ils occupent des positions la tte des universits, danslarme, dans les banques. Beaucoup sont des gnraux 23. Jusquen1937, environ un an avant le passage de la lgislation raciale, Musso-lini dit lditeur de Il Progresso Italo-Americano, Generoso Pope :

    Vous tes autoris signaler que les Juifs dItalie ont reu,reoivent et continueront recevoir le mme traitement que celuiaccord tout autre citoyen italien, que je nai en tte nulle formede discrimination raciale ou religieuse, et que je reste fidle lapolitique dgalit devant la loi et de la libert de culte 24.

    Aprs 1938, en priv, Mussolini a ridiculis lide de puretraciale, concdant que unpetit peude sang juif, finalement, na jamaisfait de mal personne . Avec ddain il a dcrit le Manifeste Racialcomme un essai allemand consciencieux crit en mauvais italien 25 .

    Plutt quun antismite de principe, Mussolini, au fond, taitun opportuniste cynique qui a utilis lantismitisme de manireinstrumentale. Nul doute que ses relations avec les Juifs se sontdtriores pendant les annes 1930 ; il a rompu ses relations per-sonnelles et professionnelles avec Margherita Sarfatti en 1932. Il envoulait aux anti-fascistes italiens, en Italie et ltranger, alors quenralit il y avait plus de non-Juifs que de Juifs dans lopposition 26.

    22. On peut trouver un extrait de cette rencontre dans R. De Felice, The Jews in FascistItaly, op. cit., p. 636-646.

    23. Cit dans M. Michaelis, Mussolini and the Jews, op. cit., p. 29.24. Cit dans R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 183.25. Cit dans Aaron Gillette, Racial Theories in Fascist Italy, Londres, Routledge, 2002,

    p. 73.26. Les premires attaques dans la presse fasciste, au-del de la question du sionisme,

    sont apparues en mars 1934, quand seize membres du groupe anti-fasciste Giustizia

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  • Lattaque du rgime contre les Juifs a servi deux fins complmen-taires : dun point de vue diplomatique, elle a aid surmonterlisolement de lItalie et solidifier lalliance stratgique avec lAlle-magne ; lintrieur du pays, elle a contribu fabriquer le mythedu Nouvel Homme Fasciste. Ici, le Juif imaginaire reprsentait la fois un obstacle la nouvelle Italie et lmergence des nouveauxItaliens. Ce Juif imaginaire tait fatalement li lItalie librale et la bourgeoisie que Mussolini dtestait viscralement ; en fait, dansle Juif imaginaire, ces phnomnes quelque peu abstraits se sontconcentrs et concrtiss. Pour Mussolini, ctait rarement le vraiJuif qui tait un problme, mais plutt cette projection (le Juifimaginaire ) qui, entre les mains de ses subordonns, et dans lecontexte dun rgime totalitaire, prit une vie propre, loigne nonseulement des Juifs italiens ordinaires mais aussi de lopinionpublique italienne 27. Pour la plupart des Italiens, malgr une pro-pagande rptitive, les Juifs nont jamais constitu une menacecrdible.

    e Libert, dont quatorze taient juifs, furent arrts Ponte Tresa pour leurs activitssubversives. La presse fasciste mentionna seulement les anti-fascistes juifs , ce quia abouti la cration par les fascistes juifs du journal hebdomadaire La Nostra Ban-diera. Cet incident est relat dans tous les rapports courants de la priode, mais pourun article de journal particulirement perspicace, voir Joel Blatt, The Battle ofTurin, 1933-1936: Carlo Rosselli, Giustizia e Libert, OVRA and the origins ofMussolinis anti-Semitic campaign , Journal of Modern Italian Studies, vol. 1, no 1,1995, p. 22-57. la suite de ces vnements, dautres articles antismites ont rgu-lirement t publis dans la presse fasciste, mais de manire ni constante ni soutenuejusqu la campagne anti-juive de 1938, officielle, sanctionne par le gouvernement,qui doit tre considre comme un seuil qualitativement distinct de ce qui staitproduit plus tt.

    27. Ceci est visible si on regarde liconographie des Juifs dans la revue officielle du racismefasciste, Difesa della Razza. Pratiquement tous les dessins de Juifs, horriblement laidset clairemement trangers dans leur apparence, montrent des Juifs non-italiens,gnralement dEurope de lEst. Quelques unes des photos viennent directement dufilm nazi, produit par Fritz Hippler, Der ewige Jude. Le seul numro qui montre desJuifs italiens est celui du 20 juin 1942, pour lequel ont t photographis des Juifsromains en plein travaux forcs le long du Tibre. trangement, aucun deux neressemble, mme de loin, aux Juifs trangers typiques qui avaient toujours rempliles pages de Difesa della Razza ; ils ressemblent des Italiens ordinaires. De plus,alors que Difesa della Razza attaquait rgulirement les Juifs trs en vue dAllemagne,dAngleterre, de France, et des tats-Unis (e. g. : Hore Belisha, Walter Rathenau,Albert Einstein, Herbert Lehman, Fiorello La Guardia, Bernard Baruch, SigmundFreud... et mme John David Rockefeller qui a t identifi de faon rrone commele Juif le plus riche du monde), jamais un Juif italien qui avait occup une placeimportante dans la socit pendant le 20e sicle, que ce soit avant ou aprs la montedu fascisme, ne fut vis de la mme manire.

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  • La crise de lgitimation, svolta sociale et le Nouvel Homme Fasciste

    Dans le courant des annes 1920, le rgime fasciste taitpresque exclusivement concentr sur llimination des sourcesdopposition et ltablissement dun ordre institutionnel autoritairesuppos supplanter lordre libral. Les aspirations autoritairesavaient t freines par les compromis que Mussolini avait choiside faire avec les lites traditionnelles, avec les industriels en parti-culier, de faon sassurer leur soutien 28. Ces lites librales, quiespraient prserver au maximum le status quo ante, taient constam-ment la cible de fascistes intransigeants et impatients d'tablir sansdlai un nouvel ordre. Au dbut des annes 1930, une dictatureavait t instaure, mais sans quaucun projet visible ne semble issude la dcennie prcdente. Non seulement une dictature avait ttablie, mais les lites traditionnelles avaient t affaiblies, leur auto-nomie encore plus rode par la Grande Dpression qui les renditdavantage dpendantes du soutien de ltat. Le capitalisme, sinonla socit industrielle elle-mme, tait en crise, peut-tre terminale.Comme Mussolini le dit alors, la crise dans le systme tait devenu

    28. Sur les conflits de Mussolini avec les industriels, voir Franklin Hugh Adler, ItalianIndustrialists from Liberalism to Fascism, New York, Cambridge University Press,1995. Confindustria, puissant syndicat industriel patronal, tait dirig par un Juif,Gino Olivetti, dont la judit fit de lui lobjet de suspicions, et parfois dattaquesdirectes, de la part de leaders fascistes qui taient dailleurs en dsaccord sur dautressujets. Mme un soi-disant modr comme Bottai en voulait Olivetti pour sonhabilet troublante djouer les plans des syndicats fascistes et des partisans de larforme corporatiste, contribuant ainsi prserver jusquen 1934 lautonomie tout fait exceptionnelle de lindustrie. Bottai se rfre lui dans son journal intime comme le Juif Olivetti . En fvrier 1934, Mussolini a contraint tous les chefs des associa-tions demployeurs et demploys la dmission, ce qui constituait probablementune tape dans son effort pour donner de llan la nouvelle structure corporatiste.On a dit que le motif premier de cette dcision tait dcarter Olivetti, sans pourautant donner limpression dattaquer directement la Confindustria, ou le secteurindustriel dune manire gnrale. ltranger quand le dcret fut annonc, Olivettifut reu son retour par un collgue de la Confindustria qui lui dit : pour assujtirun Juif ils ont tu dix chrtiens (cit par F. H. Adler, Italian Industrialists, op. cit.,p. 434). Olivetti a t aussi attaqu par Giovanni Preziosi, le plus infme des anti-smites alors en vue, qui le dsignait comme lincarnation vivante des Protocolesdes Sages de Sion . Il a galement t trait danti-fasciste nigmatique par dessyndicalistes et des intransigeants, eux-mmes souvent en dsaccord avec des modrs tels que Bottai. En consquence, on peut se demander si Gino Olivetti,ce Juif perspicace que divers fascistes avaient tendance mpriser, naurait pas t lemodle du Juif bourgeois peru comme irrconciliable avec le nouvel ordre et leNouvel Homme Fasciste. Peu aprs linstitution en 1938 des lois raciales, GinoOlivetti, ainsi que dautres Juifs Italiens importants, migra en Argentine.

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  • une crise du systme. Dans ces circonstances, les anciens compromisavec llite librale ne sappliquaient plus et, soumise aux contraintesde lautarcie, lItalie sest rapidement transforme en une conomieplanifie (command economy). Par ailleurs, pendant les annes 1920, lexception de lincident de Corfu en septembre 1923, aucuneinitiative dimportance ne fut prise dans le domaine de la politiquetrangre. Mussolini, parfaitement conscient des contraintes aveclesquelles il devait oprer, ne fit aucune tentative dexpansion oudimprialisme. Il sest montr trs responsable lors des ngociationsdu Pacte de Locarno, du Plan Briand et de lUnion des Douanesaustro-allemandes, et il a t largement lou pour son savoir-fairediplomatique. Ds le milieu des annes 1930, nanmoins, Musso-lini sest trac un itinraire imprial travers linvasion de lthiopie,ltablissement par la suite dun empire et laspiration ouverte defaire de lItalie la puissance mditerranenne dominante (la mdi-terrane perue comme mare nostrum). Le soutien idologique cette entreprise drivait des discours radicaux nationalistes quiavaient prcd la Marche sur Rome : lItalie, une nation prolta-rienne, utiliserait sa force dmographique pour saffirmer face auxnations ploutocratiques, dmographiquement striles et en tat dedclin ; et, plus important, lItalie sortirait matriellement et spiri-tuellement rajeunie de cette entreprise impriale, elle deviendraitune manation moderne de la Rome antique. Cette transformationtotalitaire tait la mise en pratique du projet non formul, contenu,qui avait fait dfaut dans les annes 1920.

    Cest surtout la conqute de lthiopie qui a cr la ncessitdune politique raciale parce quelle marquait le dbut dune grandecolonie italienne en Afrique. Les rapports des conqutes sexuellesdes soldats italiens sur place et la perspective dune prognituremtisse a abouti lentre en vigueur dune politique dapartheidqui sparait les races institutionnelles et prvoyait des punitionssvres dans les cas de relation sexuelle entre individus de racesdiffrentes, punitions qui sabattaient exclusivement sur les trans-gresseurs italiens. Bien quil ny ait pas eu de relation directe entrela situation des Noirs thiopiens et celle des Juifs italiens, LuigiPreti, Enzo Collotti et dautres ont avanc largument que cettenouvelle conqute coloniale aurait veill une sensibilit raciale lar-gement absente auparavant : la politique raciale qui visait la popu-lation coloniale, notamment en thiopie, serait devenu applicablede la mme faon en Italie mtropolitaine, et aurait contribu

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  • abaisser le seuil de discrimination lencontre des Juifs italiens ; lapolitique raciale envers les thiopiens serait donc devenue dans lesfaits un cheval de Troie grce auquel le racisme antismite a pusintroduire en Italie 29. Toutefois la conqute de lthiopie jouitdun soutien populaire immense et marqua sans aucun doutelapoge de la popularit de Mussolini.

    Lintervention de lItalie dans la guerre civile dEspagne, et lesgraves consquences matrielles que la Grande Dpression et lesmesures politiques autarciques ont eu sur les Italiens, ont abouti unecrise de lgitimation dans les trois ans qui suivirent. Les rformessyndicalistes et corporatistes adoptes en fanfare vers la fin des annes1920 et le dbut des annes 1930 taient aux yeux de leurs promoteursmmes, mortes-nes. Lintrication bureaucratique du rgime attirades critiques de toutes parts, en particulier des syndicats et des organi-sations de jeunes, engags dans une nouvelle srie de protestations, quitaient hostiles au capitalisme et exigeaient que les travailleurs jouentun rle nouveau et unifi. Cest dans ces circonstances que Mussolinia lanc la campagne appele anti-borghese (anti-borghese) qui pro-mettait de dlivrer trois coups au ventre de la bourgeoisie : ladop-tion du passo romano, version italienne du pas de loie, propos duquelMussolini insistait sur lorigine romaine ; la campagne anti-lei contrelusage du pronom italien dont Mussolini disait quil tait non seule-ment archaque mais anti-populaire ; enfin, la lgislation racialecontre les Juifs, principaux reprsentants de lesprit bourgeois . Ontrouve lexpression la plus claire de la position anti-borghese dans undiscours deMussolini auConseil national du Parti Fasciste en octobre1938, alors que la campagne raciale officielle venait de commencer : lennemi de notre rgime a un nom : borghesia 30 . La borghesiantait pas tant une catgorie conomique quune catgorie politico-morale, pessimiste, goste et parasite. Lesprit bourgeois tait unobstacle au dveloppement venir ; il devait tre isol et dtruit 31 .Il ne sagissait pas dune diatribe isole, comme en tmoignent lejournal intime deGiuseppe Bottai et celui deGaleazzoCiano, dont denombreuses notes relatent les multiples et intempestives fulminationsde Mussolini contre la bourgeoisie. Ces deux journaux intimes

    29. Luigi Preti, Impero fascista, Milan, Mursia, 2004 ; Enzo Colloti, Il Fascismo e gli ebrei,Bari, Laerza, 2003.

    30. Le texte est reproduit dans L. Preti, Impero Fascista, op. cit., p. 285-296.31. Ibid.

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  • voquent Mussolini disant que, sil avait rellement compris ce que labourgeoisie signifiait quand il tait encore un socialiste, il aurait menune rvolution tellement impitoyable que celle du CamaradeLnine serait apparue comme une plaisanterie innocente 32.

    Une fois la confusion entre les Juifs et la bourgeoisie acheve,les attaques contre cette dernire se sont transformes, de faonrhtorique, en attaques contre les premiers. Il sensuivit un jeu dis-cursif dans lequel lhostilit envers le capitalisme et les capitalistesse reporta sur les Juifs et leurs sympathisants, les pitistes . SelonDe Felice, en novembre 1938 aucun journal ne sest retenu datta-quer le pitisme de sorte que pendant des semaines la lutte contreles Juifs a sembl avoir cd la place celle dirige contre les pro-Juifs, les soi-disants filogiudi (philosmites) et les btards moraux (moral mongrels). Pour les membres de la gauche fasciste, en parti-culier les leaders travaillistes, ctait le seul moyen dtendre le cam-pagne anti-borghese des Juifs la classe bourgeoise. Ctait dj trsvisible dans un article que le leader travailliste Luigi Fontanellicrivit dans Il Lavoro Fascista, le 4 septembre 1938, o il affirmait : Il est juste quon ait crit que non moins dangereux que les Juifssont les amis des Juifs. Dans une attaque peine voile contre labourgeoisie en gnral, et non pas uniquement les Juifs, Fontanelliessaya, selon lui, de remplir les zones grises :

    Le problme de la race, et particulirement lindispensable atti-tude antismite du fascisme qui en rsulte, est un excellent agentractif pour isoler non seulement les Juifs mais toutes ces zonesgrises o sous le couvert de lesprit le plus petit bourgeois ces reprsentants de la vieille classe gouvernante se cachaient et dontla devise pourrait tre : Jai chang mon badge parce que ctaitpratique, rien dautre. Cest donc trs bien qu travers le problmede race, le fascisme rvolutionnaire redouble sa vigilance incessantesur ces lments qui nourrissent lesprit individualiste, blessant etcorrosif, qui est anti-fasciste... Les cercles qui montrent peu de sen-sibilit envers le problme de la race sidentifieront intimement avecceux qui sont insensibles lesprit collectif impos par une civilisa-tion suprieure, qui ne croient pas au corporatisme, le rduisant un systme imagin pour viter ou temporiser la solution des plusgrands problmes sociaux de nos temps... La rvolution ne perd pas

    32. Giuseppe Bottai,Diario 1935-44, Milan, BUR, 2001, p. 237. Galeazzo Ciano,Diario1937-43, Milan, BUR, 2000, p. 486.

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  • de temps avec ces lments et ces surfaces grises reprsentant lesvestiges de cette mentalit extrmement obstine de lItalie orgueil-leuse, vide, intellectuelle et fourbe qui tait utile tout le monde etne faisait peur personne... Maintenant il dcouvriront que centait pas seulement un clair : il pleut et il continuera pleuvoir 33.

    Contrairement Hitler, Mussolini navait aucune intentionde crer des ghettos, dorganiser des pogroms ou dexterminer lesJuifs. Apparemment, il esprait les expulser de lItalie tranquille-ment au rythme dun par jour. Ce plan fut mis de ct avec lentreen guerre de lItalie, mais il ne plaa aucun obstacle lmigrationdes Juifs et on proposa ceux-ci un taux de change montaire pluslev que le taux officiel 34. Seulement 6 000 Juifs ont quitt lItalie ;les autres ont support encore trois annes de discrimination sousle rgime fasciste ; ensuite, lHolocauste fit son entre en Italie avecleffondrement du rgime de Mussolini et loccupation allemandedu Nord en septembre 1943.

    Lexpulsion des Juifs de la vie publique na pas signal unetransformation, elle a seulement lev un obstacle lhomognit fabrique que Mussolini avait lesprit. Comme le note DeFelice, lobsession relle de Mussolini tait les Italiens. Dune racedesclaves il voulait crer une race de seigneurs . Parlant Ciano,Mussolini dit : La rvolution doit maintenant avoir un effet surles habitudes des Italiens. Ils doivent apprendre tre moins ami-caux, sendurcir, tre implacables, odieux. En dautres mots :tre des matres 35. En priv, contrairement ces discours publics,Mussolini avait une opinion dfavorable des Italiens, une opinionencore plus ngative ds lors quil devint clair quils montraient peudinclination devenir durs, imprieux et instinctivement belli-queux. LItalie restait un pays qui gesticulait, bavardait, superficielet carnavalesque 36 . Un jour o il visitait Naples, Mussolini dit Bottai quil tait ncessaire de lancer une marche sur la ville et dese dbarrasser, dun coup de balai, de tous les guitaristes, les joueursde mandoline, les violonistes et les chanteurs de ballades 37. Quand

    33. Cit dans R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 381-82 ; R. De Felice,Mussolini il duce : Lo Stato totalitario, op. cit., p. 250-251.

    34. R. De Felice, The Jews in Fascist Italy, op. cit., p. 241.35. Ibid., p. 242.36. A. Gillette, Racial Theories in Fascist Italy, op. cit., p. 53.37. G. Bottai, Diario, op. cit., p. 115.

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  • Naples fut bombarde intensment en juin 1941, il dit Ciano : Je suis ravi que Naples ait eu des nuits si svres. La race sendur-cira. La guerre les transformera en un peuple du Nord 38. Plustard il remarqua que les Italiens se montraient peine dignes delItalie, ou, en tous les cas, de mon Italie 39 . Ds janvier 1940, ilavait demand Ciano : Avez-vous dj vu un lapin devenir unloup ? La race italienne est une race de moutons. Dix-huit ans, cenest pas assez pour la transformer. Cent quatre-vingts ans serontncessaires pour cela, ou peut-tre mme cent quatre-vingts si-cles 40. En juin Mussolini se plaignit Ciano : Cest le matrielqui manque. Mme Michel-Ange avait besoin de marbre pour faireses statues. Sil navait eu que de la glaise, il naurait t quunfabricant de modles 41.

    Dans cet essai, jai essay douvrir une nouvelle ligne derecherche autour du subit retournement antismite doctobre 1938. lencontre du point de vue conventionnel qui rduit loffensivede Mussolini contre les Juifs la consquence dexigences externes,et plus particulirement une consolidation de lalliance stratgiqueavec lAllemagne, jai avanc une thse complmentaire, base surle dveloppement du fascisme italien lui-mme pendant sa phasetotalitaire, un processus qui commena bien avant lalliance italo-allemande. Beaucoup de travail reste faire ce sujet, savoir nonseulement une analyse focalise sur la campagne antismite de 1938,son volution et son dveloppement ultrieur, mais aussi, ncessai-rement, une rflexion qui doit continuer autour de la question plusvaste de lantismitisme et du fascisme italien.

    Traduit de langlais par Marie-Hlne Adler

    Franklin Hugh Adler, De Witt Wallace Professeur de sciences poli-tiques au Macalester College, aux tats-Unis, est lauteur de Italian Indus-trialists from Liberalism to Fascism. The Political Development of the

    38. Ibid., p. 533.39. E. Gentile, La Grande Italia, op. cit., p. 176.40. G. Ciano, Diario, op. cit., p. 391.41. Ibid., p. 444-445.

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  • Industrial Bourgeoisie, 1906-34, Cambridge/New York, Cambridge Uni-versity Press, 1995, ainsi que de nombreuses annotations dans le Dizio-nario del Fascismo (sous la direction de Victoria De Grazia et S. Luzzato,Turin, Einaudi, 2002-2003) ; une bauche de Why Mussolini turnedon the Jews ? , a paru dans Patterns of Prejudice, vol. 39, no 3, septembre2005, p. 285-300 ; cet essai fera prochainement lobjet dun ouvrage.

    RSUM

    Pourquoi Mussolini fit-il volte-face contre les Juifs ?

    La volte-face abrupte de Mussolini en faveur du racisme, particulirement lalgislation antismite de 1938, est conventionnellement attribue des proccu-pations de politique trangre, notamment lalliance stratgique de lItalie fascisteavec lAllemagne nazie. Ce type dexplication externe, toutefois, ne russit pas rendre compte du degr de ce retournement raciste qui tait aussi une cons-quence du dveloppement fasciste italien lui-mme, surtout pendant sa dernirephase radicale. Franklin Adler situe ce volte-face raciste dans le contexte desaspirations totalitaires de Mussolini labores pendant la deuxime moiti desannes 1930. Parmi celles-ci se trouvait le projet dune rvolution anthropolo-gique travers laquelle une nouvelle socit et un nouveau sujet historique (LeNouvel Homme Fasciste) devaient tre forms par ltat : obissant, agressif etproltarien. Les Juifs taient des obstacles ce projet dans la mesure o ils taientconsidrs comme inexorablement bourgeois et lis historiquement cet ordrelibral, trs corrompu, dcadent, que le fascisme avait pour but dentirementsurpasser.

    WhyMussolini turned on the Jews?

    Mussolinis abrupt turn towards racism, specifically the anti-Semitic legislation of1938, is conventionally attributed to foreign policy concerns, notably Fascist Italysstrategic alliance with Nazi Germany. Such an external explanation, however, failsto account for the degree to which the racist turn was as well a consequence of Italianfascist development itself, especially during its last radicalized phase. Franklin Adlersituates the Italian turn towards racism within the context of Mussolinis totalitarianaspirations elaborated, during the second half of the 1930s. Included in these was aprojected anthropological revolution through which a new society and a new historicalsubject (New Fascist Man) would be formed by the State: obedient, aggressive andproletarian. Jews were obstacles to this project in so far as they were viewed asinexorably bourgeois and bound historically to that very corrupt, decadent liberalorder which fascism aimed to totally supersede.

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