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Frèdelin Leroux fils MOTS DE TêTE [bis]

Frèdelin Leroux fils...à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletin 9. Dix ans plus tard, le Multidictionnaire 10 (1988) vient nous rappeler qu’il

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Frèdelin Leroux fils

Mots de tête[bis]

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Mots de tête [bis]

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Du MêMe auteur

Mots de têteÉditions David, 2002.

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Mots de tête [bis]

Nouvelles chroniques impertinentes sur la langue

Frèdelin Leroux fils

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Les Éditions David remercient le Conseil des Arts du Canada, le Secteur franco-ontarien du Conseil des arts de l’Ontario, la Ville d’Ottawa et le gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada.

Les Éditions David Téléphone : 613-830-3336 335-B, rue Cumberland Télécopieur : 613-830-2819 Ottawa (Ontario) K1N 7J3 [email protected] www.editionsdavid.com

Tous droits réservés. Imprimé au Canada. Dépôt légal (Québec et Ottawa), 1er trimestre 2013

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada

Leroux, Frèdelin, 1941- Mots de tête (bis) [ressource électronique] : nouvelles chroniques impertinentes sur la langue / Frèdelin Leroux fils.

Comprend des références bibliographiques et un index. Monographie électronique en format PDF. Publié aussi en format imprimé. ISBN 978-2-89597-393-5

1. Français (Langue) — Mots et locutions. 2. Français (Langue) — Fautes. 3. Français (Langue) — Idiotismes. I. Titre.

PC2460.L452 2013 448.2 C2013-900105-0

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Avant-propos

Simenon a mis une quarantaine d’années à écrire plus de deux cents romans. et autant de nou-velles, je crois. Dire qu’il m’en aura fallu une trentaine pour accoucher de moins de quatre-vingt-dix chroniques !

Malheureusement, ce n’est pas l’ensemble de ces chroniques * que vous trouverez dans le recueil que vous avez entre les mains. C’est le second, qui n’en contient que trente-neuf. Si vous voulez vous « délecter » des cinquante pre-mières, vous devrez vous procurer le premier recueil, paru ** il y a deux lustres (allez, sortez votre petit Robert). Vous ne le regretterez pas… parole d’auteur !

* elles sont parues dans L’Actualité langagière, revue trimestrielle du Bureau de la traduction, de septem-bre 2002 à mars 2012.

** aux Éditions David, bien sûr.

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J’ai expliqué dans l’avant-propos de ce pre-mier recueil d’où vient le titre Mots de tête. Je ne vais donc pas me répéter ici. Je me conten-terai de dire que c’est une affaire de coquille… Par ailleurs, je ne crois pas inutile de vous dire en quoi consistent ces chroniques. et pourquoi je me suis échiné à les écrire, alors que j’aurais pu mieux utiliser mon temps à lire quelque bon livre. ou à écrire mes mémoires, encore.

Pour tout dire, c’est la faute des défenseurs du « bon français ». et essentiellement, ceux de chez nous. tôt ou tard, c’est par les fourches caudines des gardiens de la langue que rédac-teurs, traducteurs ou réviseurs sont obligés de passer. Je dis « obligés », mais c’est souvent par choix qu’ils s’y soumettent. après tout, personne ne veut mal écrire ou mal parler sa langue. et la seule façon de savoir que telle façon de dire est à éviter, c’est de compulser l’un ou l’autre des nombreux recueils de fautes qui poussent chez nous comme le pissenlit. il faudrait avoir la science infuse pour faire autrement.

Vient un moment pourtant où il faut savoir remettre en question certains des interdits pro-noncés par les auteurs. Mais comment faire, me demanderez-vous ? après tout, ce sont eux les spécialistes. et ce n’est quand même pas par plai-sir, ou pour nous enquiquiner, qu’ils nous met-tent en garde contre un faux ami, par exemple.

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en principe, c’est dans le but d’améliorer « notre » français, de tenter de l’aligner sur le français dit standard.

il ne s’agit certes pas de mettre en doute les bonnes intentions de ces auteurs, mais plutôt le bien-fondé de leurs condamnations ou mises en garde. Car le jour où une expression incri-minée apparaît sous des plumes autres que les nôtres, on commence à se poser des questions. Comment ne pas sursauter lorsqu’on ren contre un anglicisme comme « arguer que » chez andré Gide ? ou lorsqu’on découvre que « possible-ment » est dans le dictionnaire ? ou encore, lorsqu’on constate qu’une tournure comme « sous l’impression que », bel exemple de faux ami s’il en est, est en usage chez nous depuis 175 ans ! et que Louis Fréchette, olivar asselin, Jacques Ferron, et combien d’autres, n’ont pas hésité à l’employer.

on se met donc à scruter à la loupe chaque nouvelle édition des recueils de nos fautes, pour voir si l’auteur aurait enfin reconnu que telle faute, que tout le monde commet, dont on ne peut pas plus se passer que le fumeur de sa ciga-rette, est tout à fait légitime. Qu’il n’y a plus lieu de la condamner. autrement dit, qu’elle est entrée dans l’usage. Car s’il est vrai comme le dit anatole France que « les idées de la veille font les mœurs du lendemain », ne pourrait-on pas en

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dire autant des fautes de la veille, qui font l’usage du lendemain ?

et bien sûr, on garde aussi à l’œil les dic-tionnaires français. Chaque édition suscite des espoirs. Surtout quand on voit les québécismes qui y font leur entrée d’une année à l’autre. Qu’ont fait cupcake, blender, lousse, woh ou dans le prélart pour avoir l’honneur de figurer dans les colonnes du Larousse ou du Robert ? alors que marcher des milles, en d’autres mots, à l’an-née longue, partisanerie, à travers les branches ou à-plat-ventrisme rongent leur frein depuis des années ? C’en est parfois désespérant.

Mais assez déblatéré contre les lexicographes. À leur place, je ne ferais sans doute pas mieux. Mais justement, je n’y suis pas, à leur place, et c’est pourquoi je me permets de les critiquer.

Pour revenir à mon propos, chaque chro-nique tente donc — tant bien que mal — de démontrer que tel terme ou tour de phrase, considéré comme fautif par certains défenseurs du français, de chez nous ou d’ailleurs, est tout à fait légitime. Que cette façon de dire, condam-née depuis des années, voire depuis plus d’un siècle parfois, n’est pas, n’est plus, ou n’a jamais été fautive… Pour les raisons que j’ai évoquées plus tôt : nos meilleurs auteurs l’emploient, et depuis fort longtemps dans bien des cas ; ou

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encore elle est en usage dans d’autres pays fran-cophones (Belgique, Suisse, afrique) ; ou bien elle se rencontre sous la plume des Français eux-mêmes… voire dans les dictionnaires.

Vous vous demandez sans doute comment un spécialiste de la langue peut continuer de condamner une expression admise par les dic-tionnaires courants, ceux que vous consultez quotidiennement. À première vue, ça semble inexplicable. Mais en réf léchissant, on se dit qu’il doit s’agir d’un oubli : sur les quelques centaines de termes ou d’expressions recensés dans son recueil, qu’il ait oublié de vérifier si l’un ou l’autre figure dans les dernières éditions des dictionnaires, c’est quasi pardonnable. Mais ce qui l’est beaucoup moins, c’est quand l’auteur se refuse à dédouaner une expression, malgré la caution répétée du dictionnaire. et sous quel prétexte ? qu’elle porte l’étiquette, « infamante » à ses yeux, de canadianisme ou québécisme, de régionalisme, d’archaïsme, ou que sais-je ?

Comme vous le verrez, je ne suis pas tou-jours chaud partisan de chaque expression que j’examine. on n’est pas traducteur durant qua-rante ans impunément. on garde malgré soi un petit fond de purisme. (J’ai bien du mal, par exemple, à employer « en autant que » ou « en charge de »…)

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Mon but premier est donc de faire le point sur l’emploi de l’expression et, le cas échéant, de vous inviter à ne pas hésiter à l’employer.

et comme but plus lointain, je fais le vœu que les rares gardiens de la langue qui pourraient être amenés à me lire… se montrent plus nuan-cés dans leurs condamnations. Mais je rêve sans doute en couleurs *…

Bonne lecture !

* L’expression figure aujourd’hui dans les petits Robert et Larousse (mais sans « s » dans le Robert…).

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« être à son meilleur »

À son meilleur, un comédien russe est le meilleur du monde.

Véra Murray, Le Devoir, 13.10.92

il y a plusieurs lustres de cela, il m’arrivait de croiser un collègue qui rentrait au bureau, deux cafés en équilibre précaire dans une main et sa mallette de l’autre. un jour, en guise d’excuse ou d’explication, il me dit que ce n’était qu’après deux ou trois cafés qu’il était à son meilleur. il ne pouvait pourtant pas ignorer que c’était un anglicisme, ayant, comme nous tous, longue-ment compulsé son Daviault 1, ou son Dagenais 2 encore.

Pierre Daviault ne parle pas expressément de calque. Mais s’il prend la peine — et ce, dès 1941 3 — de proposer deux façons de rendre « to be at one’s best », qu’on trouve déjà dans les

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dictionnaires bilingues, c’est peut-être qu’à son meilleur commençait à se répandre. Quoi qu’il en soit, la paternité de la première condamna-tion reviendrait plutôt à Gérard Dagenais, ou au Comité de linguistique de radio-Canada, dont une première fiche date vraisemblablement de 1967. ils seront immédiatement suivis de Victor Barbeau 4 (1968), avec Gilles Colpron 5 non loin derrière (1970), qui devance à peine robert Dubuc 6 (1971), irène de Buisseret 7 (1972) et Louis-Paul Béguin 8 (1974). Le Comité reviendra à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletin 9.

Dix ans plus tard, le Multidictionnaire 10 (1988) vient nous rappeler qu’il n’est pas prévu de péremption pour les fautes de langue. en 1999, dans une somme impressionnante de nos usages et « mésusages », Lionel Meney 11 pro-pose une bonne vingtaine d’équivalents d’à son meilleur. enfin, il y a un an à peine, un conseiller linguistique 12 de radio-Canada fait paraître un recueil de pièges de la langue, pour bien s’assurer que nous n’avons pas oublié. Bref, à son meilleur est condamné depuis presque 40 ans — ou huit lustres, si vous préférez.

Dans le chapelet de solutions retenues par ces auteurs, c’est l’idée de forme qui revient le plus souvent : être en (pleine) forme, au plus haut de sa forme, au meilleur de sa forme. et voici pêle-

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« être À SoN MeiLLeur »

mêle diverses propositions : exceller, donner toute sa mesure, être à son avantage, se montrer sous son meilleur jour, être dans tous ses moyens, être à son sommet, être à son plus haut niveau, etc. Dagenais et Barbeau — reste de galanterie de l’époque ? — n’oublient pas les femmes : être en beauté et n’avoir jamais été aussi belle.

on pourrait croire que les possibilités d’équi-valents ont été épuisées, mais les dictionnaires en ont trouvé d’autres. après un chassé-croisé qui nous fait sauter de best à forme en passant par mieux pour aboutir à top, on obtient le bilan sui-vant : la plupart donnent au mieux de sa forme. Le Harrap’s et le Robert-Collins ajoutent être en train, de toute beauté, être dans une forme à tout casser, du meilleur (Dickens, par ex.). Dans le Grand Robert de 2001, à une entrée qui ne sau-rait être plus française — top —, on trouve être au top, avec comme équivalent être au meilleur de sa forme.

Cette dernière tournure m’amène à ouvrir une parenthèse.

D’après la seconde fiche de radio-Canada, au meilleur de sa forme serait fautif. et pour-tant, trois dictionnaires l’enregistrent (Harrap’s, Larousse bilingue, Grand Robert). De mon côté, j’ai rencontré ce « fautif » plusieurs fois dans Le Monde 13, dans une traduction 14, un guide des oiseaux 15, un roman 16. Je vois difficilement

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comment le Comité de linguistique pourrait maintenir sa condamnation.

La première fiche du Comité donne un exemple fautif à corriger, « ces tomates sont cueillies lorsque leur saveur est à son meilleur », et propose à la place à son mieux. La nouvelle fiche recommande plutôt « lorsqu’elles sont le plus savoureuses ». C’est qu’entre-temps on s’est rendu compte qu’à son mieux ne se dit pas (v. l’article de C’est-à-dire). C’est pourtant l’expression que proposait Louis-Paul Béguin dans son Mot du jour. et Dagenais et Colpron recommandaient une formule assez voisine, être au mieux. Mais les dictionnaires ne connaissent ni à son mieux, ni être au mieux dans ce sens. on n’y trouve qu’au mieux de sa forme.

Fermons la parenthèse et revenons à notre mouton noir (ou brebis galeuse, si vous préférez).

Malgré toutes ces mises en garde et condam-nations, la popularité d’à son meilleur est loin de s’essouffler. un professeur de philosophie 17, dans sa présentation d’un dossier sur le Frère untel, l’emploie :

Il n’est vraiment à son meilleur qu’en un cercle réduit d’ invités.

ainsi qu’un de nos grands romanciers, Jacques Ferron 18 :

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« être À SoN MeiLLeur »

Je m’ imagine que tous exilés sur une banquise […], nous serions à notre meilleur.

1992 aura été une année presque faste, j’y ai relevé trois exemples : un défenseur des droits de l’homme, Maurice Champagne (La Presse, 22.09.92), et deux journalistes, Véra Murray (citée en exergue) et Lysiane Gagnon :

[Mulroney] est à son meilleur dans un contexte d’ intense partisanerie 19.

Vingt ans après le dossier que lui consacrait le collège de Cap-rouge, le Frère untel suit l’ exemple de son présentateur :

Les médias sont à leur meilleur et la commu-nication, à son pire 20.

on ne voit pas souvent être à son pire, mais on le trouve dans un ouvrage 21 paru il y a une dizaine d’années ; l’étonnant, c’est qu’être à son meilleur n’y figure pas…

Je ne vais pas égrener tous les exemples que j’ai relevés, mais je tiens à signaler encore quel-ques cas, dont celui d’un bon romancier québé-cois, robert Lalonde (Le Devoir, 31.08.97), et de journalistes ou critiques littéraires sérieux : Guylaine Massoutre (09.09.00), Jean aubry (27.10.00), Gabrielle Gourdeau (29.08.01) et Louis Cornellier (13.10.01), tous du Devoir. Lise

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Bissonnette, à l’époque où elle était rédactrice en chef de ce même journal, emploie une légère variante :

Au moment où la « diplômation » du secon-daire atteignait son meilleur 22.

et depuis un certain temps déjà, il se trouve même des Français pour fréquenter cet anglo-québécisme peu fréquentable. en 1990, le directeur du Nouvel Observateur 23 s’en sert sans sourciller* :

Notre président était dimanche soir à son meilleur…

une journaliste du Monde n’a pas plus d’états d’âme que Jean Daniel :

Des acteurs […], débutants, amateurs, profes-sionnels, unis, à leur meilleur 24.

un autre journaliste, du Point cette fois, écrit :

C’est Sydney Pollack à son meilleur 25.

il eût été pourtant facile d’écrire « du meilleur Sydney Pollack »…

* après pareille allitération, racine peut aller se rhabiller.

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« être À SoN MeiLLeur »

enfin, j’ai rencontré l’expression sur deux sites internet — du journal Dernières Nouvelles d’Alsace et de la Coupe du monde de la FiFa.

Les Français finiront-ils par l’adopter ? ils l’ont fait pour une autre tournure avec meilleur qui date de 1910 et qui est encore aujourd’hui considérée comme fautive par pas mal de monde. Avoir/prendre le meilleur sur (son adver-saire, par ex.), empruntée au vocabulaire sportif, est habituellement suivie de la mention « emploi critiqué », « calque » ou « anglicisme » (v. le Grand Robert de 2001). Mais le Hanse 26 (1983) et le Dic-tionnaire universel francophone, paru en 1997, se contentent d’indiquer que c’est un terme de sport. Le rey-Chantreau 27 (si je puis l’appeler ainsi) reconnaît qu’il s’agit d’un anglicisme, mais précise que cela se disait en ancien français (au xiie siècle), dans le même sens. Comme on pou-vait s’y attendre, l’expression a fini par sortir des stades, et depuis assez longtemps : le Trésor de la langue française donne un exemple de Jean Giraudoux qui date de 1943, où il est question de femmes qui ont le meilleur sur leur mari…

en terminant, j’aimerais signaler un autre calque que nous aimons bien et qui est encore plus exécré par les gardiens de la langue, au meilleur de ma connaissance. Condamné depuis belle lurette — depuis 1896 28 —, ce tour fut pendant longtemps une sorte de chasse gardée

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québécoise, mais je constate que ce n’est appa-remment plus le cas, puisque le Hanse 29 le signale, avec la mention « traduction de l’anglais » toute-fois. et ce n’est pas tout, dans sa dernière édition, le Grand Robert donne un deuxième équivalent à être au top — être au meilleur de ses capacités. Cette tournure est condamnée chez nous depuis au moins trente ans (par Colpron, notamment).

Décidément, meilleur n’a pas fini de faire des ravages… Pour le meilleur ou pour le pire ? L’avenir nous le dira.

(L’Actualité langagière, septembre 2002.)

NOTES

1.  Pierre Daviault, Langage et traduction,  Imprimeur de  la Reine, 1963. 

2.  Gérard Dagenais, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, Éditions Pedagogia, 1967. 

3.  Daviault, Notes de traduction, 3e série, Éditions de l’Action canadienne-française, 1941. 

4.  Victor  Barbeau,  Cahiers de l’Académie canadienne- française, vol. 12, 1968. 

5.  Gilles Colpron, Les anglicismes au Québec, Beauchemin, 1970. 

6.  Robert Dubuc, Objectif : 200, Leméac, 1971. 

7.  Irène de Buisseret, Guide du traducteur, Association des traducteurs et interprètes de l’Ontario, 1972, p. 33 (Deux langues, six idiomes, 1975). 

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« être À SoN MeiLLeur »

8.  L.-P. Béguin, Le mot du jour, Office de la langue française, 1974. 

9.  C’est-à-dire, vol. IX, no 6, p. 7. 

10.  Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire des difficultés de la langue française, Québec/Amérique, 1988. 

11.  Lionel Meney, Dictionnaire québécois-français, Guérin, 1999. 

12.  Camil Chouinard, 1 300 pièges du français parlé et écrit au Québec et au Canada, Libre Expression, 2001. 

13.  Le Monde, 25.9.83, 12.12.86, 19.12.86, 19.12.87. 

14.  Brendan Behan, Encore un verre avant de partir, Gallimard, 1970, p. 121. (Traduit par Paul-Henri Claudel.) 

15.  Michel Van Havre, Observez les oiseaux, Marabout, 1980, p. 266. 

16.  Dan  Franck  et  Jean  Vautrin,  Les Noces de Guernica,  Presses Pocket, 1995, p. 512. 

17.  Rosaire Bergeron, préface au Dossier Untel, Éditions du Jour, 1973, p. xxxi. 

18.  Jacques Ferron, Une amitié particulière, Boréal, 1990, p. 182 (lettre du 2 mars 1982). 

19.  Lysiane Gagnon, La Presse, 02.11.92. 

20.  Jean-Paul  Desbiens,  Journal d’un homme farouche, Boréal, 1993, p. 307. 

21.  André Dugas et Bernard Soucy, Le Dictionnaire pratique des expressions québécoises, Éditions Logiques, 1991. 

22.  Lise Bissonnette, Le Devoir, 14.12.91. 

23.  Jean Daniel, Le Nouvel Observateur, 04-10.01.90. 

24.  Danièle Heymann, Le Monde, 21.05.91. 

25.  Marie-François Leclère, Le Point, 12.11.99. 

26.  Joseph Hanse, Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, Duculot, 1983. 

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MotS De tête [BiS]

27.  Alain Rey et Sophie Chantreau, Dictionnaire des expres-sions et locutions figurées, Les dictionnaires Robert, 1984. 

28.  Raoul Rinfret, Dictionnaire de nos fautes contre la langue française, Cadieux et Derome, 1896. 

29.  Hanse, op. cit. 

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Table des matières

avant-propos ...................................................... 7

« être à son meilleur » ........................................ 13un adverbe qui se fait rare ................................ 23Vous avez dit animisme ? ................................... 32Siéger à, dans ou sur ? ........................................ 43L’art de se tirer (une balle) dans le pied ............. 52« être (ou ne pas être) sorti du bois » .................. 60un événement qui tourne à la manifestation ....... 68L’inclusion pour tous ......................................... 78« supposément » ................................................ 87Le nez qui voque .............................................. 96arguez, arguez, il en restera peut-être quelque chose ................................................. 104« incidemment » .............................................. 112« en rapport avec » (prise 2) ............................. 120« comme étant » .............................................. 128un « barbare » au Palais-Bourbon .................... 137Différend sur la différence .............................. 145

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« à l’année longue » .......................................... 153« une table à mettre » ....................................... 160« faire (du) sens » ............................................. 168Marcher des milles ou faire des kilomètres à pied ? ........................................................... 176« être familier avec » ........................................ 184endosser, un verbe qui se porte bien ................ 192Dévoiler à tout vent ........................................ 200un mot qui sème la division ........................... 208trente ans après .............................................. 216« en tout et partout » ....................................... 226un imposteur dans la maison ......................... 234« à même » ...................................................... 242« à ou ou ? » ..................................................... 250« ajouter l’insulte à l’injure » ............................ 258L’opportunité fait-elle le larron ? ..................... 266« en autant que » ............................................. 274« sous l’impression que » .................................. 282« mon nom est » .............................................. 290« en charge de » ............................................... 297De vigne en branche ....................................... 305Peut-on manger dans la main de quelqu’un avec une cuiller d’argent dans la bouche ?........ 312Deux mal aimés .............................................. 319entre taille et grandeur ................................... 326

index ............................................................. 335

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Photographie de l’auteur : Jonathan Lorange-MilletteMise en pages : anne-Marie Berthiaume

achevé d’imprimer en février 2013 sur les presses de Marquis imprimeur

Montmagny (Québec) Canada

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50 % de fibres vierges certifiées FSC, accrédité Éco-Logo et fait à partir de biogaz.

Page 27: Frèdelin Leroux fils...à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletin 9. Dix ans plus tard, le Multidictionnaire 10 (1988) vient nous rappeler qu’il
Page 28: Frèdelin Leroux fils...à la charge en 1977, avec une nouvelle fiche et un article dans son bulletin 9. Dix ans plus tard, le Multidictionnaire 10 (1988) vient nous rappeler qu’il

Ce recueil de chroniques fait suite à Mots de tête paru en 2002 aux Éditions David. Comme dans ce premier recueil, il y est question d’expressions condamnées par les défenseurs de la langue, certaines depuis plus de cent ans (en autant que), d’autres depuis moins de vingt ans (se tirer dans le pied). Dans la plupart des cas, elles ne méritent pas la condamnation qui pèse sur elles. Soit parce que de bons auteurs – de chez nous ou d’ailleurs – les emploient, soit parce qu’elles figurent – à l’insu des censeurs ? – dans les dictionnaires, ou encore parce que leur âge vénérable vaut prescription. Le but de ces chroniques est de tenter de les réhabiliter.

Après le succès de Mots de tête, Frèdelin Leroux récidive avec la suite de ces savoureuses et souvent impertinentes chroniques sur la langue française.

Franco-Ontarien de naissance, avec un quart de sang américain, Frèdelin Leroux fils est traducteur et réviseur depuis toujours (ou presque). Adolescent, il rêvait de devenir basketteur. Sa taille, modeste, l’a vite ramené à la réalité. Depuis quelque trente ans, il essaie plutôt de déjouer la vigilance des cerbères de la langue.

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Nouvelles chroniques impertinentes sur la langue