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Fête de l ʼ Épiphanie La lumière du Christ resplendit Nous célébrons lʼÉpiphanie cʼest-à-dire la manifestation de Jésus : au-delà dʼIsraël, la lu- mière du Christ brille sur toutes les peuples, pour apporter le Salut au monde. Ces peuples étrangers sont symbolisés par la visite à Bethléem des Mages venus dʼOrient (Mt 2). Isaïe avait déjà entrevu ce mystère des nations païennes qui marchent vers la lumière de Jé- rusalem (Is 60). À lʼécoute de la Parole Un enfant est né à Bethléem : il ne parle pas encore, il dort blotti contre sa mère, le silence l'enveloppe. Pourquoi les Mages viennent-ils jusquʼà lui ? Quelles sont ces ténèbres qui en- veloppent Jérusalem ? Où trouver les signes de sa Présence, ces étoiles dont nous avons besoin pour cheminer ? Voir lʼexplication détaillée Méditation : Suivre les étoiles pour rencontrer le Christ Les Mages sont en voyage vers Jérusalem : ils sont animés par un désir profond de rencon- trer le Seigneur, le même désir qui habite tout homme et qui fait de lui un « chercheur de Dieu » (1). Mais la lumière peut être étouffée par les ténèbres, comme la ville de Jérusalem sous lʼemprise dʼHérode (2). Pourquoi Dieu se cache-t-il si souvent, pourquoi cette longue quête vers lui ? (3) Enfin, nous recevons du Seigneur une multitude de signes : à nous de savoir les recevoir (4). Voir la méditation complète Pour aller plus loin Les chercheurs continuent à sʼinterroger sur le phénomène astronomique – comète ou con- jonction de planètes – qui a pu se produire à lʼépoque du Christ et que les Mages ont pu ob- server. La question serait à poser aux jésuites, depuis longtemps engagés dans lʼastronomie: voir le site officiel de lʼobservatoire du Vatican (Specola vaticana), quʼils ont construit et continuent dʼanimer. Profitons aussi de lʼoccasion pour réfléchir sur le rôle des miracles dans la formation de notre foi. Est-elle un saut irrationnel dans lʼinconnu, ou bien est-elle basée sur des signes ? Un passage du Catéchisme, intitulé « la foi et lʼintelligence » (nº156-159), éclaire cette question. En voici un extrait : « Les miracles du Christ et des saints, les prophéties, la propagation et la sainteté de lʼÉglise, sa fécondité et sa stabilité sont des signes certains de la Révélation, adaptés à lʼintelligence de tous, des ʻmotifs de crédibilitéʼ qui montrent que lʼassentiment de la foi nʼest ʻnullement un mouvement aveugle de lʼespritʼ (Concile Vatican I). »

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Fête de lʼÉpiphanie

La lumière du Christ resplendit Nous célébrons lʼÉpiphanie cʼest-à-dire la manifestation de Jésus : au-delà dʼIsraël, la lu-mière du Christ brille sur toutes les peuples, pour apporter le Salut au monde. Ces peuples étrangers sont symbolisés par la visite à Bethléem des Mages venus dʼOrient (Mt 2). Isaïe avait déjà entrevu ce mystère des nations païennes qui marchent vers la lumière de Jé-rusalem (Is 60).

À lʼécoute de la Parole Un enfant est né à Bethléem : il ne parle pas encore, il dort blotti contre sa mère, le silence l'enveloppe. Pourquoi les Mages viennent-ils jusquʼà lui ? Quelles sont ces ténèbres qui en-veloppent Jérusalem ? Où trouver les signes de sa Présence, ces étoiles dont nous avons besoin pour cheminer ?

Voir lʼexplication détaillée Méditation : Suivre les étoiles pour rencontrer le Christ Les Mages sont en voyage vers Jérusalem : ils sont animés par un désir profond de rencon-trer le Seigneur, le même désir qui habite tout homme et qui fait de lui un « chercheur de Dieu » (1). Mais la lumière peut être étouffée par les ténèbres, comme la ville de Jérusalem sous lʼemprise dʼHérode (2). Pourquoi Dieu se cache-t-il si souvent, pourquoi cette longue quête vers lui ? (3) Enfin, nous recevons du Seigneur une multitude de signes : à nous de savoir les recevoir (4).

Voir la méditation complète Pour aller plus loin Les chercheurs continuent à sʼinterroger sur le phénomène astronomique – comète ou con-jonction de planètes – qui a pu se produire à lʼépoque du Christ et que les Mages ont pu ob-server. La question serait à poser aux jésuites, depuis longtemps engagés dans lʼastronomie: voir le site officiel de lʼobservatoire du Vatican (Specola vaticana), quʼils ont construit et continuent dʼanimer.

Profitons aussi de lʼoccasion pour réfléchir sur le rôle des miracles dans la formation de notre foi. Est-elle un saut irrationnel dans lʼinconnu, ou bien est-elle basée sur des signes ? Un passage du Catéchisme, intitulé « la foi et lʼintelligence » (nº156-159), éclaire cette question. En voici un extrait : « Les miracles du Christ et des saints, les prophéties, la propagation et la sainteté de lʼÉglise, sa fécondité et sa stabilité sont des signes certains de la Révélation, adaptés à lʼintelligence de tous, des ʻmotifs de crédibilitéʼ qui montrent que lʼassentiment de la foi nʼest ʻnullement un mouvement aveugle de lʼespritʼ (Concile Vatican I). »

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À lʼécoute de la Parole

Le choix des lectures sʼexplique facilement par le thème principal de lʼÉvangile du jour. Lʼapparition dʼune étoile attire les Mages dʼabord à Jérusalem, à la recherche dʼun roi, puis à Bethléem, pour trouver un simple enfant. La liturgie y voit lʼaccomplissement de lʼoracle dʼIsaïe (Is 60) qui dépeint la ville sainte resplendissante de la lumière divine, attirant à elle les Nations. Mais ce passage du Prophète ne mentionne pas de roi ; le Psaume 72, en re-vanche, présente un portrait du souverain idéal, supérieur aux autres rois par son sens de la justice. Saint Paul, enfin, médite sur le mystère auquel il consacre sa vie : la vocation des païens à faire partie du Peuple élu (Ep 3). Cʼest, comme le rappelle le Catéchisme, le sens de la fête de lʼÉpiphanie :

« Leur venue [des Mages] signifie que les païens ne peuvent découvrir Jésus et lʼadorer comme Fils de Dieu et Sauveur du monde quʼen se tournant vers les juifs et en recevant dʼeux leur promesse messianique telle quʼelle est contenue dans lʼAncien Testament. LʼÉpiphanie manifeste que ʻla plénitude des païens entre dans la famille des patriarchesʼ (S. Léon le Grand) et acquiert la Israelitica dignitas. »1

Après avoir fêté la Nativité de Jésus, puis la sainte Famille, nous contemplons donc la mani-festation précoce du Christ aux Nations, avant de passer à sa vie publique, avec lʼépisode de son baptême, la semaine prochaine. En méditant la liturgie, laissons la Parole nous indiquer le chemin, comme jadis les signes cosmiques guidaient les Mages dociles. Cʼest Benoît XVI qui nous y invite :

« Chers frères et sœurs, laissons-nous guider par lʼétoile, qui est la Parole de Dieu, suivons-la dans notre vie, en marchant avec lʼÉglise, où la Parole a planté sa tente. Notre route sera toujours illuminée par une lumière quʼaucun autre signe ne peut nous donner. Et nous pour-rons nous aussi devenir des étoiles pour les autres, reflet de cette lumière que le Christ a fait resplendir sur nous. »2

La première lecture : Debout, Jérusalem ! (Is 60)

La première lecture, tirée dʼIsaïe 60, nous offre une splendide vision de la Jérusalem escha-tologique. Imaginons une vieille femme, abandonnée de tous, qui sent la mort approcher. Ainsi était le désespoir de Jérusalem à lʼépoque du Prophète, lorsque lʼobscurité recouvrait la terre. Le Seigneur la relève : « Debout ! Resplendis ! Elle est venue, ta lumière… »

Dieu montre à son épouse la splendeur des derniers temps, lorsquʼelle resplendira de la lumière du Seigneur qui la visitera. Elle recevra une nouvelle fécondité : « tes fils re-viennent de loin » (v.4), alors quʼelle les croyait morts. Bien plus : elle reflètera la gloire du Seigneur et sera ainsi un point de ralliement, non seulement pour les Juifs, mais aussi pour tous les peuples de la terre qui viendront de loin avec leurs offrandes exotiques et pré-cieuses. Tous seront unis dans la louange du Seigneur et lui offriront leurs richesses.

Le texte fait de cet événement un grand rassemblement liturgique : « ils monteront à mon au-tel en sacrifice agréable, et je glorifierai ma maison de splendeur » (v.7). La ville de Jérusa-lem est donc assimilée au Temple qui est en son sein : les peuples accourent pour y ren-contrer Dieu, comme les Mages. La vision dʼIsaïe offre donc lʼintuition du nouveau culte inauguré par le Christ.

1 Catéchisme, nº528, disponible ici : http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__P1I.HTM 2 Benoît XVI, Homélie en la solennité de lʼÉpiphanie du Seigneur, 6 janvier 2011. http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2011/documents/hf_ben-xvi_hom_20110106_epifania.html

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Isaïe contemplait de loin ce temps de gloire sans en mesurer toute la portée. Avec la venue de Jésus, son oracle prend un double relief : dʼabord une description messianique, puisque Jérusalem nʼest plus une modeste capitale du monde antique, mais devient pour tous les peuples le lieu où sʼopère leur salut, en Jésus-Christ. Ensuite, une dimension eschatologique proprement chrétienne, encore à venir : à la fin des temps, tous les cœurs bien disposés se tourneront vers le Christ au sein de la Jérusalem contemplée par saint Jean : « Je vis la Cité sainte, la Jérusalem nouvelle, qui descendait du ciel, de chez Dieu ; elle s'est faite belle, comme une jeune mariée parée pour son époux » (Ap 21,2).

Le Psaume 72 : En ces jours-là, fleurira la justice

Le Psaume 72 est une grande prière qui célèbre la figure du Roi idéal. Il exerce une justice parfaite, une prérogative quʼil reçoit de Dieu, le seul Juste. Cette justice se manifeste par lʼattention aux faibles et aux pauvres du peuple : « Quʼil fasse droit aux malheureux ! » (v.2).

Mais le texte mentionne aussi une domination universelle, avec des expressions dési-gnant le monde entier (de la mer à la mer…). Le Roi recevra des hommages dʼautres souve-rains de terres lointaines. « Roi des rois » était dʼailleurs le titre préféré de lʼempereur de Perse.

Pourtant, même si la justice du Christ est appelée à gagner le monde entier, cʼest une domi-nation toute autre que va établir Jésus, qui reçoit dès sa naissance la vénération des Mages, sans aucune manifestation de puissance. « Ma royauté nʼest pas de ce monde… » (Jn 18, 36). Il se présente dans lʼÉvangile avec la fragilité dʼun enfant blotti contre sa mère…

Lʼépître : saint Paul écrit aux Ephésiens (Ep 3)

Un thème traverse toutes les lectures du jour : la fascination pour lʼOrient. Dans la culture biblique du bassin méditerranéen, on était fasciné par ces peuples lointains, qui fournissaient à la table des épices multicolores, et à lʼesprit des légendes exotiques. Dʼoù la mention dans le psaume des « rois de Saba et de Seba », et dans la prophétie dʼIsaïe des « chameaux de Madiane et dʼÉpha », ces fameuses caravanes qui traversaient les déserts : il viennent de lʼArabie du Sud (Seba, Saba) et du Nord (Madiane, Epha), et apportent lʼor et lʼencens.

La ville dʼEphèse, dans la Turquie actuelle, où vivaient les lecteurs auxquels sʼadresse Paul dans la lecture du jour, était elle aussi située à lʼorient de lʼEmpire Romain, comme capitale des religions à mystères, où lʼon venait volontiers se faire initier. Les Mages viennent donc naturellement dʼOrient, et ont vu eux-mêmes apparaître lʼétoile à lʼOrient. Le Soleil levant quʼest le Christ met donc en mouvement tout cet imaginaire.

Passionné par sa mission auprès des païens, saint Paul transmet aux Ephésiens (Ep 3) son émerveillement face au mystère qui se déploie devant ses yeux : dans le Christ, lʼélection dʼIsraël sʼest étendue à tous les peuples. Paul a beaucoup voyagé parmi ces peuples, aux mœurs parfois étranges, aux langues diverses, aux superstitions enracinées… il les a vus accueillir le message chrétien mieux que ses propres frères.

Il emploie ici le concept de mystère (μυστήριον – mystèrion, vv.3.4), familier aux habitants dʼune ville comme Ephèse avec ses multiples cultes ; rappelons-nous lʼépisode des troubles autour du temple dʼArtémis (Ac 19)… Un mystère était alors un secret religieux, possédé seulement par des initiés, qui leur permettait dʼatteindre la divinité. Les apôtres ont reçu la révélation dʼun grand mystère quʼils proclament ouvertement au monde, à la différence des sectes ésotériques.

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Paul explique que le dessein divin dʼaccueillir tous les peuples dans une même foi était aupa-ravant caché, et que le Christ lʼa révélé aux apôtres et accompli en sa personne, par la Croix. En lui, le mystère divin est révélé à tous et devient source de Salut. Ainsi, tous les hommes, en accueillant lʼÉvangile, reçoivent lʼhéritage des promesses faites aux Patriarches. Les Mages sont les prémices de cette grande récolte.

LʼÉvangile : lʼadoration des Mages (Mt 2)

Cette page de lʼévangile de Matthieu (Mt 2) est construite en deux tableaux successifs. Poussés par lʼétoile, les Mages recherchent le roi dʼabord à Jérusalem, puisque cʼest la capitale, et auprès des responsables politiques et religieux du pays. Ils parcourent ainsi un premier itinéraire, depuis le monde païen jusquʼau Peuple saint. Mais à Jérusalem, la décep-tion les attend : ils trouvent le « roi Hérode le Grand » qui ne sait rien du nouveau roi.

En réalité, la place est déjà prise, Hérode est un usurpateur, de souche Iduméenne : son père sʼest converti au judaïsme par opportunité politique ; il est lui-même très éloigné de la Loi de Dieu et dʼune telle cruauté quʼil nʼhésite pas à faire assassiner ses fils pour garder le pouvoir. Matthieu a expliqué dans son premier chapitre que Jésus est, à lʼinverse, le véri-table fils de David, lʼhéritier légitime.

Dʼoù la double émotion suscitée par la question candide des Mages : « où est le roi des Juifs qui vient de naître ? » : Hérode sʼinquiète dʼun rival dangereux – « Hérode fut bouleversé », et tout le système politico-religieux qui lʼentoure aussi – « et tout Jérusalem avec lui ». La prophétie messianique de Michée sur Bethléem (Mi 5) et la manifestation cosmique de lʼétoile sont utilisées pour localiser lʼenfant « avec précision », sous couvert de piété (pour que jʼaille moi aussi me prosterner devant lui), en réalité pour le supprimer.

Mais lʼhistoire sainte nous rappelle que Jérusalem nʼa été adoptée comme capitale par David que tardivement, après quʼil lʼeut conquise aux Jébuséens, et pour réaliser lʼunité entre les tribus du Nord et du Sud (cf. 2Sam 5). Lui-même est né à Bethléem.

Les Mages réalisent alors un deuxième chemin, du Peuple saint jusquʼà son Messie : un chemin que les autorités ne daignent pas entreprendre. Avec une simplicité décon-certante, lʼétoile désigne lʼendroit, Marie présente lʼenfant, et, sans questions superflues, les Mages se prosternent devant lui. Cʼest un mouvement similaire que lʼon trouve chez Luc, lorsque les bergers viennent voir lʼEnfant (Lc 2), sur les indications des anges.

Nous voyons alors comment les évangiles de Matthieu et de Luc sont complémentaires : Luc relate la naissance de Jésus au sein du Peuple juif, à la suite de celle de Jean-Baptiste, et la joie de tous les fidèles du Seigneur que sont Zacharie, Elisabeth, Syméon, Anne, et bien sûr Marie et Joseph.

Matthieu part de lʼélection dʼIsraël, puisque Jésus est fils de David, fils dʼAbraham (Mt 1,1), mais avec lʼépisode des Mages il élargit la perspective vers les Nations et les invite à la même joie. Il indique déjà ce qui se réalisera pleinement dans les Actes des Apôtres. Lʼétoile est un signe cosmique qui manifeste la participation de tout lʼunivers à cet événement, qui concerne toute chose créée.

Saint Jean, quant à lui, invitera dans son Prologue à contempler Jésus comme Verbe, Dieu qui entre dans le monde. Saint Basile exprime bien comment la naissance de Jésus a une portée universelle :

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« Les étoiles accourent du haut du ciel, les mages quittent les nations païennes, la terre offre son accueil dans une grotte. Personne n'est indifférent, personne n'est ingrat. Nous-mêmes, fêtons le salut du monde, le jour de naissance de l'humanité. »3

On note, de plus, chez Matthieu, une connotation liturgique marquée : il sʼagit dʼhonorer lʼEnfant, à travers le geste de lʼoffrande des présents et de se prosterner devant lui (προσκυνέω, proskuneô), un acte rituel mentionné trois fois (vv.2.8.11). Il sʼagit bien de re-connaître la présence divine en Jésus, et de se comporter en conséquence. Jésus uti-lisera ce terme contre le démon : « Cʼest le Seigneur ton Dieu que tu adoreras [προσκυνήσεις], et à lui seul tu rendras un culte » (Mt 4,10).

Discrètement, le texte inflige une humiliation à Hérode, puisque les Mages lui désobéissent et se retirent sans même observer le protocole le plus élémentaire : « ils regagnèrent leur pays par un autre chemin » (v.12). Sa figure est bien pâle, voire ténébreuse, devant lʼAstre qui vient de se lever.

La lumière du Christ a brillé dès sa venue à Bethléem, et nous le reconnaissons grâce à la foi, en attendant le jour où nous le contemplerons pleinement au Ciel, comme lʼexprime la liturgie :

« Aujourdʼhui, Seigneur, tu as révélé ton Fils unique aux nations, grâce à lʼétoile qui les gui-dait ; daigne nous accorder, à nous qui te connaissons déjà par la foi, dʼêtre conduits jusquʼà la claire vision de ta splendeur. Par Jésus Christ… »4

Epiphanie (Rupnik, Washington DC)

3 Saint Basile le Grand, Homélie sur Noël 2, PG 31, 1472, disponible ici : http://www.clerus.org/clerus/dati/2001-05/29-

6/AnneeA.html . Voir tout le paragraphe : « Cette fête est commune à toute la création : elle accorde à notre monde les biens qui sont au-

delà du monde, elle envoie des archanges à Zacharie et à Marie, elle constitue des chœurs d'anges qui proclament : Gloire à Dieu au plus haut des cieux, paix sur la terre, bienveillance aux hommes (Lc 1,14). Les étoiles accourent du haut du ciel, les mages quittent les nations païennes, la terre offre son accueil dans une grotte. Personne n'est indifférent, personne n'est ingrat. Nous-mêmes, fêtons le salut du monde, le jour de naissance de l'humanité. On ne peut plus dire maintenant : Tu es poussière, et tu retourneras à la poussière (Gn 3,19), mais : Rattaché à l'homme céleste (cf. 1Co 15,48), tu seras élevé au ciel. On n'en-tendra plus dire : Tu enfanteras dans la souffrance (Gn 3,16), car bienheureuse celle qui a enfanté l'Emmanuel, et les mamelles qui l'ont allaité. Un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l'insigne du pouvoir est sur son épaule (Is 9,6). »

4 Prière Collecte de la messe de lʼÉpiphanie.

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Méditation : Suivre les étoiles pour rencontrer le Christ Les Mages sont en voyage vers Jérusalem : ils sont animés par un désir profond de rencon-trer le Seigneur, le même désir qui habite tout homme et qui fait de lui un « chercheur de Dieu » (1). Mais la lumière peut être étouffée par les ténèbres, comme la ville de Jérusalem sous lʼemprise dʼHérode (2). Pourquoi Dieu se cache-t-il si souvent, pourquoi cette longue quête vers lui ? (3) Enfin, nous recevons du Seigneur une multitude de signes : à nous de savoir les recevoir (4).

« Lumen requirunt lumine » : le désir de Dieu « À la vue de lʼastre, ils se réjouirent dʼune très grande joie » (Mt 2,10) : lʼévangéliste ne nous explique pas la raison précise de cette joie des Mages. Lʼétoile avait-elle cessé de briller, et sʼétaient-ils perdus ? Avaient-ils eu peur des ténèbres épaisses et menaçantes qui régnaient dans le palais dʼHérode, ce roi corrompu ? Ou bien est-ce la simple joie dʼavoir enfin trouvé ce quʼils avaient longtemps cherché ? En réalité, lʼétoile reflète surtout la lumière qui ha-bite leur cœur, elle symbolise cette recherche du Sauveur, le désir de Dieu. Elle mène à la rencontre avec celui qui est la source de toute joie. Une hymne liturgique de lʼépiphanie exprime cela en trois simples mots : « Lumen requirunt lumine » : les Mages cherchent la Lumière à lʼaide dʼune lumière5. Le catéchisme exprime ainsi cette lumière intérieure quʼest le désir de Dieu :

« Le désir de Dieu est inscrit dans le cœur de lʼhomme, car lʼhomme est créé par Dieu et pour Dieu ; Dieu ne cesse dʼattirer lʼhomme vers lui, et ce nʼest quʼen Dieu que lʼhomme trouvera la vérité et le bonheur quʼil ne cesse de chercher. »6

Le pape Benoît XVI voit ce désir à lʼœuvre chez les Mages dont il nous offre ce beau portrait:

« Les hommes qui partirent alors vers lʼinconnu étaient, en tout cas, des hommes au cœur inquiet. Des hommes poussés par la recherche inquiète de Dieu et du salut du monde. Des hommes en attente qui ne se contentaient pas de leur revenu assuré et de leur position so-ciale peut-être reconnue. Ils étaient à la recherche de la réalité la plus grande. Ils étaient peut-être des hommes instruits qui avaient une grande connaissance des astres et qui pro-bablement disposaient aussi dʼune formation philosophique. Mais, ils ne voulaient pas seu-lement savoir beaucoup de choses. Ils voulaient savoir surtout lʼessentiel. […] Ils étaient des hommes qui cherchaient Dieu et, en définitive, ils étaient en marche vers lui. Ils étaient des chercheurs de Dieu. »7

Sommes-nous comme les Mages ? Notre désir de Dieu se maintient-il vivant et dérangeant, ou sommes-nous plutôt repus et bien installés ? Si nous ne sentons plus ce désir fondamen-tal, demandons-le dans la prière ; travaillons à nous défaire de ce qui nous tient lieu de véri-té, de ce roi usurpateur qui, comme Hérode à Jérusalem, prend dans nos cœurs la place de Dieu. Si, en revanche, nous ressentons ce désir, demandons-nous si nous sommes vraiment en marche, ou si, comme le clergé de Jérusalem, la présence du Roi des rois à nos portes ne nous met plus en mouvement. Reprenons la route, encore une fois.

Si, enfin, nous marchons à la clarté dʼune étoile, sachons, comme les Mages, nous réjouir et rendre grâce lorsquʼelle brille plus intensément : dans la prière, dans la méditation ou lʼétude,

5 Hymne A solis ortu cardine, dʼun poème de Sedulius (+450). Voir la strophe : « Ibant magi, qua venerant / stellam se-

quentes praeviam, / lumen requirunt lumine, /deum fatentur munere. » (Les Mages allaient, suivant lʼétoile qui les précédait à cet endroit, ils cherchent la Lumière par une lumière, ils proclament Dieu par leur offrande). Pour le texte complet, voir ici :

https://en.wikipedia.org/wiki/A_solis_ortus_cardine 6 Catéchisme, nº27, http://www.vatican.va/archive/FRA0013/__PA.HTM 7 Benoît XVI, Homélie du 6 janvier 2013, http://w2.vatican.va/content/benedict-xvi/fr/homilies/2013/documents/hf_ben-

xvi_hom_20130106_epifania.html

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ou encore dans le service des frères. Autant dʼétoiles qui nous indiquent la présence du Sei-gneur.

La Lumière qui brille dans les ténèbres La ville de Jérusalem, aux mains du tyran Hérode, ne se réjouit pas… La peur, lʼattachement au pouvoir avec ses privilèges et sa corruption, lʼempêchent de participer à ce mouvement universel vers la joie. Benoît XVI lʼexplique ainsi :

« Celui qui nʼa pas reconnu [le Christ], cʼest Hérode, qui ne comprit rien quand on lui parla de lʼenfant mais qui se laissa aveugler par sa soif de pouvoir et la folie de persécution quʼelle entraine. Celui qui ne le reconnut pas, ce furent les docteurs, les biblistes, les spécialistes de lʼherméneutique qui connaissaient précisément le passage de la Bible et cependant ne com-prenaient rien […]. Mais quʼen est-il de nous ? Sommes-nous si éloignés de lʼétable parce que nous sommes trop raffinés et trop intelligents pour cela ? […] Ne sommes-nous pas trop enfermés à « Jérusalem », au palais, en nous, dans notre superbe, ou dans notre peur de la persécution ? »8

Des ténèbres épaisses, celles du péché et du refus de Dieu, maintiennent lʼhumanité aveugle, et inconsciente de son propre aveuglement, ce que saint Jean décrira dans son Prologue : « Le Verbe était la lumière véritable, qui éclaire tout homme ; il venait dans le monde ; il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne lʼa pas reconnu… » (Jn 1,9-10). Le pape François décrit ainsi ces ténèbres :

« Hérode se montre soupçonneux et préoccupé par la naissance dʼun Enfant fragile quʼil ressent comme un rival. […] Le roi et ses conseillers sentent craquer les structures de leur pouvoir, ils craignent que soient retournées les règles du jeu, démasquées les apparences. Tout un monde édifié sur la domination, sur le succès et sur lʼavoir, sur la corruption, est re-mis en cause par un Enfant. »9

Mystère du mal, de la résistance à Dieu : un mystère dʼiniquité qui nʼest pas réservé aux « grands pécheurs», mais qui traverse le cœur de chacun dʼentre nous. Mystère des té-nèbres intérieures qui peuvent nous maintenir sous lʼemprise dʼHérode et nous empê-cher dʼaccueillir la vraie joie, dʼaller vers Jésus. Ténèbres intérieures qui peuvent faire de nous un obstacle entre nos frères et Dieu. De quelle lumière brillons-nous et quel témoi-gnage de Dieu donnons-nous à ceux qui ne sont pas issus de la foi chrétienne, et qui vien-nent auprès de nous chercher confusément un signe de sa présence ? Nos paroles et nos actes leur indiquent-ils la route ?

Les Mages qui étaient, comme Hérode, membres de lʼélite de leur temps et issus dʼune civili-sation autrement plus brillante que celle du modeste royaume de Juda, se mirent à la re-cherche de ce roi étranger. Mieux encore, ayant trouvé un enfant au lieu dʼun roi, ils ne furent ni déconcertés ni déçus mais « tombèrent à genoux devant lui ». Leur cheminement inté-rieur est plus admirable encore que leur long périple à travers lʼOrient. Pour recon-naître le Sauveur, une seule voie donc : acquérir un cœur humble et ouvert à la vérité, qui se laisse mener par la beauté dʼune étoile, et qui soit capable dʼadorer.

Les fidèles de Jérusalem étaient très proches, géographiquement et culturellement, de lʼEnfant Jésus ; mais ce sont des étrangers, venus de loin, qui lʼont honoré. Ne courrons-nous pas le même risque, habitués que nous sommes à la proximité de Jésus, alors que les

8 Cardinal Ratzinger, La grâce de Noël, Parole et Silence 2011. 9 Pape François, Homélie, 6 janvier 2014, https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2014/documents/papa-

francesco_20140106_omelia-epifania.html

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ténèbres peuvent grandir dans notre cœur ? Il nous faut supplier de ne pas perdre lʼétoile en chemin, comme le faisait humblement le Padre Pio :

« Parce qu'il se fait tard et que le jour décline, la vie passe, la mort, le jugement, l'éternité approchent. Je crains les ténèbres, les tentations, les sécheresses, les croix, les peines. Oh ! Combien j'ai besoin de Vous dans cette nuit de l'exil ! Que la Communion eucharistique soit la lumière qui dissipe les ténèbres, la force qui me soutienne, et l'unique joie de mon cœur. Restez avec moi, Jésus ! »10

Le Dieu caché Les lectures de ce dimanche sʼinscrivent toutes dans une même dynamique : le jeu entre une réalité cachée et son dévoilement par la foi. La conversion des païens est ainsi pour saint Paul un mystère qui est demeuré longtemps voilé mais qui « vient dʼêtre révélé mainte-nant à ses saints apôtres et prophètes, dans lʼEsprit » (Ep 3,5). De même, la Jérusalem dé-crite par Isaïe est comme une ville enfouie dans la nuit de lʼhistoire, que les rayons du matin – la gloire du Seigneur – viennent illuminer. Matthieu joue aussi avec cette opposition : lʼétoile apparaît et disparaît ; la présence du vrai Roi est cachée au tyran quʼest Hérode mais dévoilée aux Mages. Ce thème parcourt, en fait, toute lʼhistoire du Salut : Dieu se révèle, mais il demeure un Dieu caché (Is 45,15). Pascal a bien saisi la raison de cette profonde réalité :

« Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il nʼy aurait point de mérite à le croire ; et, sʼil ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux quʼil veut engager dans son service. »11

La fête de lʼÉpiphanie est une des expressions culminantes de ce paradoxe : Dieu choisit de sʼincarner dans une famille humble et cachée, loin du bruit du monde, dans le petit village de Nazareth. Le réalisme de son Incarnation est une façon de « cacher » sa divinité der-rière son humanité. Le pape François lʼexprime avec ce terme de périphérie quʼil aime tant :

« LʼÉvangile de saint Luc nous présente Marie, une jeune fille de Nazareth, petite localité de la Galilée, à la périphérie de lʼempire romain, et aussi à la périphérie dʼIsraël. Un petit village. Et pourtant, cʼest sur elle, cette jeune fille de ce petit village lointain, cʼest sur elle que sʼest posé le regard du Seigneur, qui lʼa choisie pour être la mère de son Fils. »12

Par contraste, la fête de ce jour révèle non plus seulement un enfant mais un roi ; et plus quʼun roi, la présence de Dieu même dont le règne est destiné à sʼétendre aux nations païennes les plus lointaines, représentées par les Mages. Saint Léon décrit ainsi le con-traste:

« Sans doute [Dieu] avait-il choisi le peuple dʼIsraël et, dans ce peuple, une famille, pour y prendre la nature commune à toute lʼhumanité ; cependant il ne voulut pas borner aux

10 Saint Padre Pio de Pietralcina, Prière après la communion, dans B. Peyrous – C. Loyer, Prières pour cheminer dans la

vie spirituelle, Emmanuel 2008, p. 28. Disponible ici : https://books.google.co.il/books?id=LsFoJQy-ICsC&printsec=frontcover&hl=it#v=onepage&q&f=false 11 Pascal, 4º lettre à mademoiselle de Roannez, Pléiade p. 30. Il continuait ainsi sa réflexion : « Cet étrange secret, dans

lequel Dieu sʼest retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusques à lʼIncarnation ; et quand il a fallu quʼil ait paru, il sʼest encore plus caché en se couvrant de lʼhumanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il sʼest rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse quʼil fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusquʼà son dernier avènement, il a choisi dʼy demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de lʼEucharistie. Cʼest ce sacrement que saint Jean appelle dans lʼApocalypse une manne cachée ; et je crois quʼIsaïe le voyait en cet état lorsquʼil dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. »

12 Pape François, Angélus du 8 décembre 2013. https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/angelus/2013/documents/papa-francesco_angelus_20131208.html

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étroites limites de la maison maternelle les prémices de son avènement ; il voulut aussitôt se faire connaître à tous, lui qui daignait naître pour tous. »13

Cʼest bien ce cheminement de la foi et ce passage de la réalité visible à la vision surna-turelle quʼincarnent les Mages en se prosternant devant lʼEnfant. Saint Hilaire explique ainsi le sens de leurs trois cadeaux :

« Lʼoffrande des présents a exprimé lʼêtre du Christ dans toute sa signification, en recon-naissant le roi dans lʼor, le Dieu dans lʼencens, lʼhomme dans la myrrhe. Et, par la vénération des Mages, se réalise pleinement la connaissance de lʼensemble du Mystère, de la mort chez lʼhomme, de la résurrection chez Dieu, du pouvoir de juger chez le roi. »14

La foi est donc la réponse de lʼhomme à ce Dieu caché qui se révèle : Il donne à tous la pos-sibilité de le trouver réellement, à travers tant de signes cachés ou manifestes. Prions donc pour obtenir le don de la foi, pour lʼentretenir et le faire grandir. Nous pouvons re-prendre, pour cela, cette belle prière de saint Jean-Paul II à Marie :

« À toi, Mère des hommes et des nations, en toute confiance, nous remettons lʼhumanité en-tière, avec ses craintes et ses espoirs. Veille à ce que la lumière de la vraie sagesse ne lui fasse pas défaut. Guide-la dans la recherche de la liberté et de la justice pour tous. Conduis ses pas sur le chemin de la paix. Fais que tous et chacun trouvent le Christ, lui, le chemin, la vérité et la vie. Soutiens, ô Vierge Marie, notre marche dans la foi, et obtiens-nous la grâce du salut éternel. Ô clémente, ô miséricordieuse, ô douce Mère de Dieu et notre Mère, ô Ma-rie ! »15

Les signes qui nous indiquent Jésus Mais comment Jésus se manifeste-t-il aujourdʼhui ? Où le trouver, où le montrer, comment le transmettre à nos frères ? Isaïe, dans le texte de ce jour, nous donne alors ce conseil : « Lève les yeux, regarde ! » (Is 60,3).

Pour recevoir pleinement la manifestation de Jésus, il faut donc éduquer notre regard. De-venir un veilleur qui attend lʼaurore en scrutant les cieux. Comme un amoureux qui est sensible à tous les signes que lui adresse sa bien-aimée, nous découvrons alors la présence du Dieu caché.

Une première étoile qui nous guide vers Dieu est la méditation de sa Parole. Matthieu insiste pour montrer que la naissance de Jésus est l'accomplissement des prophéties : Be-thléem est le lieu indiqué par Michée, et l'épisode des Mages accomplit l'oracle d'Isaïe de la première lecture. De fait, toute lʼÉcriture parle du Christ. Nous pouvons reprendre notre Bible et relire, par exemple, lʼhistoire de ces grandes préfigurations du Christ que furent Joseph, fils de Jacob, ou Moïse. Relire aussi Isaïe et les chants du Serviteur souffrant16. Laissons le

13 Saint Léon le Grand, Premier sermon pour lʼépiphanie du Seigneur (SC 22, p. 189). Voir tout le passage : « Le genre

humain tout entier était intéressé à ce que lʼenfance du Médiateur de Dieu et des hommes fût révélée à lʼunivers dès les temps où il était encore caché dans une bourgade ignorée. Sans doute avait-il choisi le peuple dʼIsraël et, dans ce peuple, une famille, pour y prendre la nature commune à toute lʼhumanité ; cependant il ne voulut pas borner aux étroites limites de la maison ma-ternelle les prémices de son avènement ; il voulut aussitôt se faire connaître à tous, lui, qui daignait naître pour tous. Trois mages des pays de lʼOrient voient apparaître une étoile dʼune clarté nouvelle plus brillante, plus belle que les autres astres, elle attire aisément les regards et captive les cœurs de ceux qui lʼobservent ; ils comprennent dʼemblée quʼune chose si extraordi-naire nʼest pas sans portée. Celui qui suscite ce signe en donne lʼintelligence à ceux qui le voient ; ce quʼil leur fait comprendre, il les fait chercher, et il les fait chercher pour se laisser trouver. »

14 Saint Hilaire, In Matthaeum, chapitre 1 nº5, SC254, p. 99. 15 Saint Jean-Paul II, Prière pour lʼannée mariale, dans B. Peyrous – C. Loyer, Prières pour cheminer dans la vie spirituelle,

Emmanuel 2008, p. 61-62. Disponible ici : https://books.google.co.il/books?id=LsFoJQy-ICsC&printsec=frontcover&hl=it#v=onepage&q&f=false 16 Is 42,1-4 ; 49,1-6 ; 50,4-9 ; 52,13-53,12. Consulter par exemple ce commentaire assez simple :

http://www.mariedenazareth.com/index.php?id=9441

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souffle puissant de ces textes inspirés nous imprégner ; émerveillons-nous de la continuité de lʼœuvre de Dieu et de sa pédagogie.

Prenons le temps de nous retirer et de faire silence chaque jour. Descendons en nous-mêmes où Dieu habite, et parlons-lui. Nous éprouverons peu à peu sa présence. Notre monde est imperméable à la foi parce quʼil ne sait pas faire silence et trouver le calme sans lesquels Dieu ne peut absolument pas parler. Souvenons-nous de lʼexpérience dʼElie dans sa caverne (1R 19), lorsque Dieu se manifeste non dans le vacarme, mais dans le murmure dʼune brise légère…

Prenons aussi le temps de redécouvrir la beauté de la nature et des êtres qui nous en-tourent. En fin de journée, arrêtons-nous pour voir comment Dieu sʼest manifesté à nous : par quel frère, par quelle parole, par quel événement. Nous pourrons alors dire comme Ja-cob : « Le Seigneur est là et moi, je ne le savais pas ! » (Gn 28, 16). Plus nous nous exerce-rons à cela, plus nous verrons concrètement la présence de Dieu et nous le reconnaîtrons au cœur même de nos journées.

En parcourant les lectures de la messe de ce jour, nous découvrons également lʼimportance du mystère de lʼÉglise. Isaïe a centré sa prophétie sur Jérusalem, qui est une figure de lʼÉglise : il suffit dʼavoir assisté à une grande cérémonie sur la place saint Pierre à Rome pour voir vivre cette Cité sainte vers laquelle les fils reviennent de loin : com-bien de langues y sont parlées ! Elle se tient au milieu de lʼobscurité qui recouvre la terre – lʼindifférence et la violence de ce monde – mais avec la gloire du Seigneur qui brille sur elle, par la beauté de la liturgie. Cʼest, en effet, par lʼÉglise que se réalise pleinement la royauté universelle du Christ entrevue par le Psaume 72: lorsque les peuples se conver-tissent au culte de Jésus, « tous les rois se prosternent devant lui et tous les pays le ser-vent » ; par ses œuvres de miséricorde, « il délivre le pauvre qui appelle, et le malheureux sans recours ».

En nous unissant à la célébration eucharistique, nous écoutons lʼannonce de la Bonne Nou-velle. Nous trouvons Jésus dans lʼÉglise et nous le contemplons avec amour, caché dans les espèces eucharistiques comme il lʼétait à Bethléem. Nous lui offrons lʼhommage de notre adoration. Bien plus : nous pouvons lʼoffrir lui-même au Père dans le sacrifice de la messe, comme lʼexprime la liturgie :

« Regarde avec bonté, Seigneur, les dons de ton Église qui ne tʼoffre plus ni lʼor, ni lʼencens, ni la myrrhe, mais Celui que ces présents révélaient, qui sʼimmole et se donne en nourriture : Jésus, le Christ, notre Seigneur. Lui qui règne avec toi dans lʼunité du Saint Esprit pour les siècles des siècles. »17

Encore une autre étoile : le sacrement du pardon. Qui nʼa pas éprouvé cette grande joie pai-sible après le passage de la miséricorde de Dieu ?

Toutes ces manifestations de Jésus transforment peu à peu notre âme. Nous avons reçu sa vie divine par le baptême, au sein de lʼÉglise, et les ténèbres du péché ont été vaincues par la splendeur de sa grâce. Nos yeux se sont ouverts aux beautés de la Création, comme au-tant dʼétoiles qui désignent leur auteur. La lumière de sa Parole nous accompagne et nous montre le chemin vers le Père. Ce chemin est un pèlerinage que nous effectuons en compa-gnie de tous les saints, issus de toutes les nations, au long de lʼhistoire de lʼÉglise. Et lorsque nous adorons Jésus présent dans lʼEucharistie, nous levons notre regard vers le Soleil qui resplendit depuis sa Résurrection : Il nous attire vers cette contemplation sans fin qui sera

17 Prière sur les offrandes de la messe de lʼÉpiphanie.

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notre joie parfaite au paradis. Cʼest le mystère de lʼÉpiphanie qui se déploie dans nos vies, comme lʼexprime dom Columba Marmion, ce grand bénédictin promoteur du Mouve-ment liturgique :

« Heureuse lʼâme qui vit de foi et dʼamour ! Il se produira en elle une manifestation toujours nouvelle et toujours plus profonde du Christ Jésus ; le Christ la fera entrer dans une compré-hension toujours plus intime de ses mystères. »18

Cʼest ainsi que le mystère de lʼÉpiphanie nous invite à voir, à travers les apparences de ce monde, dans notre histoire personnelle et notre situation actuelle, les signes de la présence de Dieu dans nos vies ; à percevoir ces innombrables étoiles que Dieu nous envoie pour nous signaler la présence cachée de son Fils ; à nous mettre en route vers lʼadoration sans fin que nous pourrons lui offrir dans le Ciel. Écoutons pour cela lʼexhortation finale de ce grand pasteur que fut saint Léon :

« Mes bien-aimés, élevez donc vos esprits, animés par la foi, vers la grâce étincelante de la lumière éternelle, vénérez des mystères qui ont acheté le salut du genre humain, dirigez vos actions selon ce qui a été accompli pour vous. […] Apprenez à goûter les réalités dʼen haut, et non celles de la terre (Col 3,2) ; progressez constamment dans la voie de la vérité et de la vie ; que les soucis terrestres ne vous arrêtent pas, puisque les biens célestes vous sont préparés par notre Seigneur Jésus-Christ qui, avec le Père et lʼEsprit Saint vit et règne dans les siècles des siècles. Amen. »19

18 Dom Columba Marmion, le Christ dans ses mystères, Maredsous, p. 165. Voir tout le passage : « LʼÉpiphanie se conti-

nue aussi dans lʼâme fidèle quand son amour devient plus fervent et plus stable. La fidélité aux inspirations de la grâce - cʼest Notre Seigneur lui-même qui nous le dit - devient la source dʼune illumination plus vive et plus éclatante : Qui diligit me… mani-festabo ei meipsum [celui qui mʼaime… je me manifesterai à lui, Jn 14,21]. Heureuse lʼâme qui vit de foi et dʼamour ! Il se pro-duira en elle une manifestation toujours nouvelle et toujours plus profonde du Christ Jésus ; le Christ la fera entrer dans une compréhension toujours plus intime de ses mystères. LʼÉcriture sainte compare la vie du juste à une ʻvoie lumineuse qui va de clarté en clartéʼ (Pr 4,18), jusquʼau jour où tous les voiles tombent, où toutes les ombres sʼévanouissent, où apparaissent, dans la lumière de la gloire, les splendeurs éternelles de la divinité. Là, dit saint Jean, dans son livre si mystérieux de lʼApocalypse où il nous décrit les magnificences de la Jérusalem dʼen haut, là il nʼest pas besoin de lumière, parce que lʼAgneau, cʼest-à-dire le Christ, est lui-même la lumière qui éclaire et réjouit les âmes de tous les élus (Ap 21,23; 22,5). Ce sera lʼÉpiphanie céleste. »

19 Saint Léon le Grand, Premier sermon pour lʼépiphanie du Seigneur (SC 22, pp. 193-195).