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16 Le magazine des Livres
mandĂ©, dialoguant avec moi sur ce site,pourquoi je ne les rĂ©unissais pas en vo-lume. Jâai mis onze ans Ă exaucer sonsouhait. LâĂ©tĂ© dernier je suis allĂ© les relireĂ la BibliothĂšque Nationale, et jâavoueque relisant, tant dâannĂ©es aprĂšs, cestextes oubliĂ©s, jâai beaucoup ri. Cela adonnĂ© ce florilĂšge que jâai intitulĂ© La SĂ©-quence de lâĂ©nergumĂšne. Pourquoi ?Parce que le titre choisi pas Henry Cha-pier pour ces chroniques Ă©tait La SĂ©-quence de Gabriel Matzneff et que,furieux de lâinsolence que jây dĂ©ployais,un gros ponte de la tĂ©lĂ© sâĂ©tait un jour ex-clamĂ© : « Il faut museler cet Ă©nergu-mĂšne ! »
â Comment Ă©tiez-vous arrivĂ© Ă Com-bat ?Lors de mon premier voyage Ă Venise,lâĂ©tĂ© 1962, jâĂ©crivis un bref texte sur mesimpressions vĂ©nitiennes et, fidĂšle lecteurde Combat depuis la classe de philo,câest tout naturellement que je le postaiĂ mon journal de prĂ©dilection. Le 31 aoĂ»tle texte parut Ă la une du journal. Jâen fusstupĂ©fiĂ© et fou de joie.Quelques semaines plus tard, je reçois uncoup de tĂ©lĂ©phone de Philippe Tesson quime dit quâil aimerait me rencontrer. Nousavons bu un verre dans le cafĂ© qui faitlâangle de la rue Montmartre et de la ruedu Croissant, lĂ oĂč fut assassinĂ© JaurĂšs.Combat Ă©tait rue du Croissant, dans unextraordinaire immeuble balzacien quisemblait tout droit sortir des Illusionsperdues, avec un vieil escalier⊠et lestypos Ă©taient en dessous. Plus tard, je lesverrai travailler, je les bombarderai dequestions. CâĂ©tait captivant, une am-biance du XIXe siĂšcle. Ils Ă©taient tous Ă laCGT, connaissaient le latin et le grec,possĂ©daient la science des caractĂšres, deslettrines, de la typographie, du plomb !
De 1963 Ă 1965, Gabriel Matzneff a livrĂ© une chronique quasiquotidienne sur la tĂ©lĂ©vision au journal Combat, alors mĂȘmequâil nâavait pas de tĂ©lĂ©viseur⊠Il a aujourdâhui la bonne idĂ©ede les proposer en recueil. Voici venir un livre drĂŽle, dĂ©calĂ© maisaussi prĂ©monitoire de ce quâest devenu « lâart » tĂ©lĂ©visuel.
âââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââââ
PROPOS RECUEILLIS PAR JOSEPH VEBRET
â Dans ce nouveau livre vous reprenezdes chroniques, que vous avez Ă©critespour le journal Combat, et qui nâĂ©taientpas « piquĂ©es des hannetons ».En 1962, Philippe Tesson, rĂ©dacteur enchef du quotidien Combat, mâavait offertune chronique hebdomadaire. Jâavaischoisi le jeudi, qui Ă©tait Ă lâĂ©poque le jourdes Ă©coliers. Et tous les jeudis, en pageune, je donnais une chronique trĂšs per-sonnelle de ton, soit politique, soit phi-losophique, soit dâhumeur. Je les ai dĂ©jĂ quasi toutes reprises dans cinq recueilsde textes(1).Un an plus tard, en octobre 1963, HenryChapier qui dirigeait les pages cultu-relles, artistiques, de Combat, eut lâidĂ©ede me confier une chronique de tĂ©lĂ©vi-sion, alors quâil savait que je nâavais pasde tĂ©lĂ©viseur, que je nâavais jamais re-gardĂ© la tĂ©lĂ©vision. Ă Combat, un jour-naliste professionnel sâoccupait de latĂ©lĂ©vision, mais Chapier voulait quelquechose de diffĂ©rent, dâintempestif. Meschroniques de premiĂšre page avaientbeaucoup de succĂšs, et en outre, ayantbesoin dâargent, je lui avais demandĂ© deme trouver quelque chose qui mettrait dubeurre dans mes Ă©pinards. Et il a donc eucette idĂ©e. Cette chronique, je mâen suis
donnĂ© Ă cĆur joie. Je lâai tenue de fin oc-tobre 1963 Ă dĂ©cembre 1965 â et il y ena une dâadieu en fĂ©vrier 1966. Cela re-prĂ©sente donc plus de deux annĂ©es. Je mesuis beaucoup amusĂ©. Le directeur deCombat, Henry Smadja, que tout lemonde appelait Papa, Philippe Tesson etHenry Chapier avaient un trĂšs grand res-pect de la libertĂ© dâexpression. Tout desuite, jâen ai usĂ©, et abusĂ©. Je parlais detout, rarement de tĂ©lĂ©vision, celle-cinâĂ©tait quâun prĂ©texte, puisque je nâavaispas de tĂ©lĂ©viseur⊠et la drĂŽlerie estquâaprĂšs plus dâun an, un fabriquant depostes rĂ©cepteurs a fini par mâen offrirun. Je parlais de politique, de religion, dephilosophie, de beautĂ©... CâĂ©tait une tĂ©-lĂ©vision balbutiante, une seule chaĂźne ennoir et blanc, soumise au pouvoir poli-tique de maniĂšre absolue (au cours de celivre, on voit naĂźtre la deuxiĂšme chaĂźne,arriver la couleur) et je me battais contrele dĂ©cervelage des masses, la bĂȘtise et lavulgaritĂ© des divertissements quâon leurimposait. Jâavais oubliĂ© ces textes. Un de mes lec-teurs, devenu un ami, Frank Laganier, acrĂ©Ă© un site Internet sur moi, www.matz-neff.com. En 2001, un jeune internautequi en avait entendu parler, mâa de-
Gabriel MatzneffLâĂ©nergumĂšne
Des types merveilleux, amoureux de leurbeau mĂ©tier. Et donc, ce jour-lĂ , PhilippeTesson me dit que mon petit texte sur Ve-nise les a beaucoup frappĂ©s, lui, HenryChapier et Marcel Claverie, qui, Ă Com-bat, Ă©tait spĂ©cialiste de la musique, delâopĂ©ra. Ils trouvaient que jâavais uneplume, un ton, un style. Et câest commeça que Philippe Tesson mâouvrit la porte.Je nâavais alors rien publiĂ© (mon premierlivre, Le DĂ©fi, paraĂźtra en mars 1965), jenâĂ©tais quâun inconnu, un simple Ă©tu-diant. Ce fut Combat qui me mit le piedĂ lâĂ©trier. Il faut toujours croire Ă sonange gardien, Ă sa bonne Ă©toile.
â Lorsque vous Ă©tiez lycĂ©en, vouliez-vous devenir journaliste, Ă©crivain ?Je me passionnais surtout pour les che-vaux, les concours hippiques. Je ne pen-sais rien faire dâautre que monter Ă cheval, mener une vie de cavalier. Mais
ma famille a Ă©tĂ© ruinĂ©e, et en rentrant demon service militaire, jâai dĂ» liquidermes chevaux â je ne serais peut-ĂȘtre pasdevenu lâĂ©crivain que je suis si je nâavaispas Ă©tĂ© contraint de les vendre, dâaban-donner mes habitudes de jeunesse dorĂ©e.Il nây avait plus de concours hippiques,plus de grands appartements, plus de do-mestiques⊠DĂšs lors, jâai menĂ© une viede bohĂšme.TrĂšs jeune, jâĂ©tais obsĂ©dĂ© par le suicide,comme le savent ceux qui ont lu monjournal dâadolescence, Cette camisole de
flammes, que jâai commencĂ© dâĂ©crire Ă 16 ans. JâĂ©tais un lecteur de Byron, deSchopenhauer⊠Jâavais une vision tra-gique de la vie, que jâai dâailleurs conser-vĂ©e â mais lâexpĂ©rience de la vie mâaappris quâil y a aussi des choses trĂšsagrĂ©ables, et jâai aujourdâhui moins enviede me suicider que lorsque jâavais17 ans.Ce fut au service militaire que je com-mençai Ă Ă©crire ce qui sera mon premierroman, LâArchimandrite. LĂ , je comprisque jâĂ©tais fait pour Ă©crire, que câĂ©tait laseule chose que jâavais envie de faire.Mais je nâai jamais eu de plan de car-riĂšre. Par exemple, jâĂ©tais passionnĂ© parlâantiquitĂ© grĂ©co-romaine, et câest pourcela que jâai voulu faire des Ă©tudes clas-siques Ă la Sorbonne⊠mais Ă aucun mo-ment je nâai eu lâintention de passerlâagrĂ©gation et dâenseigner. CâĂ©tait seu-lement pour ĂȘtre avec mes chers Ro-mains, mes chers Grecs. Un de mes
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« Je me battais contre le décervelage des masses,
la bĂȘtise et la vulgaritĂ© des divertissements quâon
leur imposait. »
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professeurs Ă la Sorbonne me dit alorsque jâaurais dĂ» choisir « la voie royale delâĂcole Normale » (sic). Pour moi, ilnâen Ă©tait pas question, car lâĂcole Nor-male, câĂ©tait continuer le lycĂ©e, le bacho-tage⊠alors quâĂ lâĂ©poque, Ă laSorbonne, il nây avait pas de contrĂŽlecontinu, on se prĂ©sentait aux examens enjuin, et le reste de lâannĂ©e, on Ă©tait libre.On allait au jardin du Luxembourg, dansles bistrots, au cinĂ©ma⊠Jâai sans doutepassĂ© plus de temps dans les salles obs-cures du quartier Latin que sur les bancsde la fac. Et aussi Ă la librairie Vrin, oĂčle cher vieux monsieur Vrin mâavait Ă labonne et me laissait flĂąner pendant desheures dans lâarriĂšre-boutique. Cela dit,Ă la Sorbonne, jâai eu de grands profes-seurs : Pierre Grimal, dont le cours surTibulle Ă©tait extraordinaire, PierreBoyancĂ© et son inoubliable cours sur Ci-cĂ©ron. Jây ai aussi suivi le cours dâAn-toine Adam sur Baudelaire, celui deGĂ©rald Antoine sur Racine, celui de Jac-queline de Romilly sur Thucydide⊠JâaiadorĂ© le cours de Vladimir JankĂ©lĂ©vitchsur la mort et lâimmortalitĂ©, celui de JeanWahl sur Nietzsche. Jâai encore les notesprises au cours sur Kant de Gilles De-leuze, qui Ă©tait alors maĂźtre assistant.Vous voyez, jâĂ©tais bien pouponnĂ© par debons maĂźtres ! Pour autant, je nâai jamaisvoulu ĂȘtre un universitaire. En fait, jâĂ©tais persuadĂ© que jâallais mou-rir trĂšs jeune. JâĂ©tais rĂ©voltĂ©, inapte Ă lavie adulte â dans laquelle je ne voulaispas entrer. JâĂ©tais un anarchiste et je lesuis restĂ©. La SĂ©quence de lâĂ©nergumĂšneest un livre dâanarchiste. Je revendiquecet esprit dâanarchie qui a toujours Ă©tĂ© lemien et me permet de rester jeune,Ă©veillĂ©, passionnĂ©, malgrĂ© le sable du sa-blier qui sâĂ©coule, inexorable⊠TrĂšsjeune, jâai compris que je demeurerais unrebelle, un outlaw, que jamais je nâau-rais ma place dans cette sociĂ©tĂ©, et simul-tanĂ©ment jâai toujours eu confiance dansmon destin. Câest contradictoire, maiscela est. Ce fut grĂące Ă cette foi dans mondestin que jâai, comme homme, commeĂ©crivain, surmontĂ© les difficultĂ©s, que jeles surmonte encore. Si lâon croit dans leDieu de lâĂvangile, ce Dieu qui vousaime et vous protĂšge, avoir confiance en
son ange gardien est facile. Si lâon croitau dieu dâĂpicure, lointain, indiffĂ©rent,qui se fiche du malheur des hommes, onse sent peut-ĂȘtre un peu plus seul. Mais,curieusement, la lecture du De rerum na-tura de LucrĂšce, dans mes moments dif-ficiles, mâinsuffle le mĂȘme rĂ©confort quecelle des Ăvangiles. Câest trĂšs diffĂ©rent,mais, au fond, câest la mĂȘme chose.Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, je pense que leBouddha, Ăpicure et le Christ nous en-seignent la mĂȘme chose : apprendre Ă ĂȘtre insouciant, Ă vivre dans lâinstant etne pas sâinquiĂ©ter du lendemain. Il y adans lâEvangile selon saint Matthieu uneparabole merveilleuse, celle des oiseauxdu ciel et des lis des champs, oĂč le Christnous donne ce prĂ©cieux conseil : « Nevous inquiĂ©tez pas du lendemain, car lelendemain sâinquiĂšte pour lui-mĂȘme. »Cet enseignement du Christ, câest le« Vivez dans lâinstant » du Bouddha,câest le Carpe diem de lâĂ©picurien Ho-race.
â Vous avez adoptĂ© ce prĂ©cepte tout aulong de votre vie. Lorsquâon lit votre jour-nal, il y a tout de mĂȘme eu des pĂ©riodestrĂšs difficiles ; le lendemain mettait dutemps Ă arriver.Ces pĂ©riodes sont, hĂ©las, plus actuellesque jamais. Lorsquâon vit de ses droitsdâauteur, câest trĂšs difficile. On peut ĂȘtreun Ă©crivain trĂšs connu et avoir de petitesventes. Les chĂšques des Ă©diteurs sontalors de petits chĂšques.Il ne se passe malheureusement pas pourles Ă©crivains ce qui se passe pour lespeintres. Si jâĂ©tais peintre, en Ă©tant aussiconnu que je le suis en tant quâĂ©crivain,je serais riche, parce que mes toiles sevendraient trĂšs cher. Alors quâavec les li-vres, quel que soit le degrĂ© de notoriĂ©tĂ©,si on en vend peu, on gagne des clopi-nettes. La cĂ©lĂ©britĂ©, la grande notoriĂ©tĂ©ĂŽtent tout souci financier Ă un peintre ouĂ un sculpteur. Ce nâest pas le cas pourun Ă©crivain.
â Vous faites en outre partie de cesgrands Ă©crivains qui nâacceptent aucunecompromission. Vous ne voulez pasĂ©crire de livres de commandeâŠ
Je ne lâai jamais voulu. Jâai un exempletrĂšs prĂ©cis. Lorsque jâai publiĂ©, en 1984,La DiĂ©tĂ©tique de lord Byron, qui a Ă©tĂ© unbeau succĂšs, aussi bien dâaccueil critiqueque de librairie, un de mes amis qui tra-vaillait dans lâĂ©dition mâa demandĂ© pour-quoi je nâavais pas plutĂŽt Ă©crit unebiographie de Byron, ce qui mâauraitpermis de gagner beaucoup plus dâargentquâavec cet essai trĂšs personnel et pas-sionnĂ©. Je lui ai rĂ©pondu quâil existait detrĂšs bonnes biographies de Byron, dontune anglaise, en trois gros volumes, duprofesseur Lesly Marchand, qui faisaitautorité⊠et que si un Ă©diteur françaisvoulait la faire traduire et la publier, libreĂ lui. Bref, je lui ai expliquĂ© quâil y avaitbeaucoup de biographies de Byron, alorsque mon livre Ă©tait unique, quâil nây enavait jamais eu avant comme ça et quâilnây en aurait jamais aprĂšs. Câest le livreque je voulais Ă©crire, celui que jâavaisdans mon cĆur depuis lâĂąge de 15 ans,lorsque jâai dĂ©couvert Byron, qui a Ă©tĂ© ledieu de mon adolescence avant mĂȘmeque je dĂ©couvre DostoĂŻevski, Nietzsche,Dumas, Schopenhauer, Montherlant,Chestov, et dâautres. TolstoĂŻ disait queseuls valent les livres que lâon Ă©crit avecle sang de son cĆur. Eh bien moi, quâilsâagisse de mes romans, de mes poĂšmes,de mes essais, de mon journal intime,jâĂ©cris mes livres avec le sang de moncĆur, sinon je nâĂ©cris pas : je vais au ci-nĂ©ma, je vois mes amis, je me tape lacloche, je fais lâamour, je voyage⊠ou jene fais rien. Jâadore ne rien faire.
â NĂ©anmoins, vous tenez votre journalquotidiennement ! Ă ce sujet, vous aviezdit que Les Demoiselles du Taranne, quicouvre lâannĂ©e 1988, Ă©tait votre derniervolume et que vous ne publieriez plusvotre journal de votre vivant. Par la suite,vous avez tout de mĂȘme publiĂ© les an-nĂ©es 2007-2008. Allez-vous publier lesannĂ©es manquantes ?Jâai rĂ©cemment achevĂ© de dactylogra-phier les annĂ©es inĂ©dites. Quel soulage-ment ! CâĂ©tait ma grande angoisse. Jevoulais mettre mon journal au clair avantma mort. Mes amis peuvent en tĂ©moi-gner : je ne parlais que de cela. Mes
pattes de mouche sont dĂ©jĂ difficiles Ă lire dans mes lettres⊠mais les carnets,oĂč jâĂ©cris Ă la diable, sur un coin de table,dans un restaurant, un avion ou un train,parfois debout en marchant ou en atten-dant lâautobus, ce sont trop souvent devrais hiĂ©roglyphes ! Les dix-huit annĂ©esinĂ©dites (du 1er janvier 1989 au 31 dĂ©-cembre 2006) sont Ă prĂ©sent tapĂ©es,prĂȘtes Ă la publication. Qui les publiera ?Pour lâinstant, je ne sais pas. AntoineGallimard ? LĂ©o Scheer ? Lâun des deuxsans doute, ou les deux en coĂ©dition.Mais je ne suis pas pressĂ©. Pour moi,lâessentiel est que ce journal intimeexiste et soit en sĂ©curitĂ©. Quâil paraissede mon vivant ou aprĂšs ma mort, câestsecondaire.
Aujourdâhui, je publie cette SĂ©quence deLâĂ©nergumĂšne, un livre trĂšs juvĂ©nile, par-fois naĂŻf dans ses indignations commedans ses enthousiasmes, mais oĂč je suisdĂ©jĂ moi-mĂȘme et oĂč les idĂ©es fixes quinourriront mon Ćuvre Ă venir montrentle bout de leur nez.
â On vous y retrouve effectivementâŠtout comme on vous retrouvait lorsquâen2010 vous avez publiĂ© vos mails, LesĂ©miles de Gab la Rafale.Un vĂ©ritable Ă©crivain est lui-mĂȘme danstout ce quâil Ă©crit, quâil sâagisse dâunepage de roman, dâune chronique, dâunpoĂšme ou dâune lettre. Dans la moindrede ses lignes on retrouve sa musique, sonunivers. Jâai baptisĂ© Les Ă©miles de Gab
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« En fait, jâĂ©tais persuadĂ© que jâallais mourir trĂšs jeune.
JâĂ©tais rĂ©voltĂ©, inapte Ă la vie adulte â dans laquelle
je ne voulais pas entrer.JâĂ©tais un anarchiste et je le suis restĂ©. »
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Gabriel Matzneffs
la Rafale « roman Ă©lectronique ». Lâex-pression de « correspondance Ă©lectro-nique » serait sans doute plus juste, maisje lâai appelĂ© ainsi en souvenir des MĂ©-moires de mon pauvre ami HervĂ© Gui-bert, que lâon a appelĂ©s « roman », alorsque ce nâest nullement un roman au sensclassique du terme, ce sont des souve-nirs. Voici un service que nous ont rendunos aĂźnĂ©s du Nouveau Roman, Robbe-Grillet, Michel Butor, Nathalie Sarraute :avec eux, la notion de « roman » sâest as-souplie, Ă©largie. En un certain sens, toutest roman. On pourrait trĂšs bien dire quela Correspondance de Flaubert est sonmeilleur roman.
â Un bon exemple est que les romansprimĂ©s en septembre sont en gĂ©nĂ©ralplus des rĂ©cits autobiographiques quedes romans.Câest le cas du livre dâEmmanuel Car-rĂšre, le seul dâentre eux que jâai lu, unrĂ©cit dont le protagoniste est notre amicommun Edouard Limonov. Jâai bienconnu Limonov lorsquâil vivait Ă Paris.Nous Ă©tions voisins dans les colonnes deLâIdiot international. JâĂ©tais Ă©patĂ© par lamaĂźtrise quâil a du français, quâil parleadmirablement. Câest un type charmant,trĂšs drĂŽle. Nous avons beaucoup ri en-semble. Nous avons aussi beaucoup bu !
Je ne suis pas Ă©tonnĂ© quâEmmanuel Car-rĂšre ait Ă©tĂ© primĂ© et je mâen rĂ©jouis. Jenâai, pour ma part, jamais reçu de prixlittĂ©raire. Il y a des confrĂšres (pour les-quels jâai au demeurant de lâestime), quiont eu plus de prix quâils nâont publiĂ© delivres. Patrick Modiano, chacun de ses li-vres a reçu deux ou trois prix. Il y a aussiun auteur italien dont chaque fois quejâouvre un journal italien, jâapprendsquâil a reçu un prix. Câest un essayistefort respectable nommĂ© Claudio Magris.Je vous assure quâil ne se passe pas uneannĂ©e sans quâil reçoive un prix, soitpour un de ses livres, soit pour un hom-mage Ă sa carriĂšre. Moi, je nâai jamais
En exergue au Sabre de Didi(1986), étincelant recueil dechroniques publiées naguÚre
dans Combat et dans Le Monde,Gabriel Matzneff plaçait cettephrase de lâAbbĂ© Galiani : « Planerau-dessus et avoir des griffes. » Ilpourrait la reprendre telle quellepour le choix dâarticles de CombatoĂč, de 1963 Ă 1965, il tint une ru-brique tĂ©lĂ©visuelle hautement polĂ©-mique, intitulĂ©e « La sĂ©quence deGabriel Matzneff ». Le plus drĂŽleest que le jeune polĂ©miste, « vĂȘtudu probitĂ© candide et de lin blanc »,nâavait jamais regardĂ© la tĂ©lĂ©visionet quâil ne possĂ©dait mĂȘme pas deposte !Sâil crut briĂšvement en la possibilitĂ©â toute thĂ©orique â du pouvoir Ă©du-catif de la tĂ©lĂ©vision, qui Ă©lĂšveraitle niveau moyen des tĂ©lĂ©specta-teurs, il se rendit vite compte quelâORTF, alors monopole de lâĂtatgaulliste, servait surtout Ă endormirles masses et Ă les faire bien voter.Ses sĂ©quences cessĂšrent dâail-leurs avec lâĂ©lection du gĂ©nĂ©ralde Gaulle au suffrage universel etla dĂ©faite de François Mitterrand,pour qui Matzneff avait rompuquelques lances. Matzneff suivit,dieux merci, le bon conseil de Mon-therlant (« Ne vous laissez pasbouffer par le journalisme. Vous
devez rompre avec lâactualitĂ©,prendre le large ») pour aller Ă lâes-sentiel : son premier roman, LâAr-chimandrite (1966).Ces deux annĂ©es de journalismeprofessionnel lui permirent toutefoisdâaiguiser son style et son espritcritique tout en ouvrant les yeux,non sans stupĂ©faction, sur lâuniversde ses contemporains. Rapidement,ses illusions sur la tĂ©lĂ©vision sâĂ©va-nouissent : « Allumer le petit Ă©cran,câest entrer en catalepsie. Son pou-voir est totalitaire, hypnotique, etjâappliquerais volontiers Ă la tĂ©lĂ©visionla dĂ©finition que Platon donne de
lâespoir : câest le âsonge de lâhommeĂ©veillĂ©â. [âŠ] La tĂ©lĂ©vision, que noussubissons, effleure mais ne pĂ©nĂštrepas. La tĂ©lĂ©vision est lâexpressionla plus poussĂ©e du mal qui, tel uncancer, ronge le monde moderne :la culture gĂ©nĂ©rale. Rien nâest plusfatal Ă lâaristocratie de lâesprit, Ă lahaute vie de lâĂąme, que cette ragede toucher Ă tout, de savoir un peude tout, dâĂȘtre informĂ© de tout. »DatĂ©es de dĂ©cembre 1963, ceslignes disent tout sans avoir pris lamoindre ride. Câest dâailleurs ce quifrappe Ă la lecture de La SĂ©quencede lâĂ©nergumĂšne : la luciditĂ© de
leur auteur, qui use de sa chroniquepour illustrer ses « passions schis-matiques » (lâorthodoxie, le goĂ»t dubonheurâŠ), dĂ©fendre les dissidentsrusses et les embastillĂ©s, saluerses maĂźtres et complices, de LucrĂšceĂ Montherlant.Toute lâĆuvre future de Matzneff seretrouve dans ces sĂ©quences, sou-vent Ă©crites en parallĂšle Ă la chro-nique hebdomadaire de Combat :une magnifique capacitĂ© dâadmira-tion (pour Astruc ou Bouquet, BĂ©artou Bardot, tant dâautres), une allĂš-gre fĂ©rocitĂ© dans la mise en piĂšcesdes fausses gloires et des larbinsdu jour, une indĂ©pendance dâespritalliĂ©e Ă une saine mĂ©fiance pour lapolitique â qui avilit (Mauriac !).Quelle causticitĂ©, quand il brocardeles grosses lĂ©gumes du jour, le Car-dinal en tĂȘte : « soleil de la RĂ©pu-blique, principe vivifiant de la nation,PĂšre NoĂ«l gratuit, obligatoire et per-manent ». Si la plupart de ses tĂȘtesde Turc ont sombrĂ© dans lâoubli, lepolĂ©miste lui demeure, plus vert quejamais, fidĂšle Ă lui-mĂȘme, superbe.Semper idem.La langue est dĂ©jĂ celle du joaillieraccompli : fluide et aĂ©rienne, dâuneprĂ©cision diabolique, bellementponctuĂ©e ; bref, fidĂšle Ă la ligneclaire chĂšre Ă HergĂ©. ChristopherGĂ©rard
LA SĂQUENCE DE LâĂNERGUMĂNE
reçu ni prix, ni hommage Ă ma carriĂšre.Ni un de ces petits prix pour dĂ©butants(le prix du premier roman, le prix RogerNimier), qui font plaisir, ni de grandsprix tels le Goncourt, le Renaudot, quisont de vrais soutiens financiers. Jâai par-fois Ă©tĂ© sur des listes, mais, au derniermoment, patatras ! Deux fois, jâai failliavoir le Renaudot, mais je ne lâai pas eu.Jâai cru pendant une semaine que jâauraisle grand prix du roman de lâAcadĂ©miefrançaise pour Mamma, li Turchi ! NousnâĂ©tions plus que deux en compĂ©tition,mon roman Ă©tait publiĂ© par une maisondu groupe Gallimard, jâavais de trĂšsbonnes chances. Ce fut alors quâun psy-chiatre, prĂ©sident dâune sociĂ©tĂ© pour ladĂ©fense de la vertu des jeunes filles, Ă©cri-
vit contre moi aux acadĂ©miciens une let-tre de dĂ©nonciation, semblable Ă cellesque des ordures Ă©crivaient Ă la Gestapoen 1942 contre les juifs, oĂč il expliquaitquâun libertin, un dĂ©bauchĂ© tel que moine pouvait recevoir le grand prix duroman de lâAcadĂ©mie française. Et jenâeus pas le prix. Ce qui mâĂ©cĆura leplus fut que les journaux publiĂšrent cetteinfĂąme lettre de dĂ©nonciation sans com-mentaire, comme si une pareille abjec-tion Ă©tait un acte normal, sans protester,sans sâindigner ! n
(1) Le Sabre de Didi (1986), Le DĂźner desmousquetaires (1995), Câest la gloire, Pierre-François ! (2002), Yogourt et yoga (2004),Vous avez dit mĂ©tĂšque ? (2008).
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LA SĂQUENCE DE LâĂNERGUMĂNE,Gabriel Matzneff, Ăditions LĂ©oScheer, 368 p., 21 âŹ
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