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Nathalie AUGER, Université Paul-Valéry - Montpellier 3
L'enseignement-apprentissagede la langue françaiseen France
Perspectives sociolinguistique et didactique
LANGAGE, LANGUES ET ENSEIGNEMENT
L'enseignement-apprentissage
de la langue française
en France Dé-complexifier la question
on objet sera ici, en tant que linguiste,
sociolinguiste et didacticienne des
langues, sur le terrain et à l'université,
de montrer que la question de la
langue française et de son
enseignement-apprentissage est un sujet
complexe, complexe au sens d'Edgar Morin,
c'est-à-dire mettant en jeu une multiplicité
d'idées de différents niveaux (social,
pédagogique, idéologique, politique,
didactique...) sur ce que peut être une langue et
son enseignement-apprentissage.
Je tenterai donc d'opérer une mise au point sur un
certain nombre de notions (langue, langue
française, langage, norme, hétérogénéité,
enseignement-apprentissage) et sur le lien qu'elles
ont entre elles et qu'elles entretiennent avec
d'autres paradigmes (parlers jeunes, outrance
verbale, mai de vivre, identité, enfants migrants,
plurilingue, égalité/inégalité des chances) qui
participent de cette réalité complexe. On peut
espérer offrir ainsi des réponses concrètes à la
problématique.
La description de ces notions relèvent de
différentes disciplines des sciences humaines
que j'ai eu l'occasion de traverser de diverses
manières lors de ma formation, de mes
recherches universitaires et de ma pratique
concrète en tant qu'enseignante et conceptrice
de programmes en français langue non
maternelle, en France et. à l'étranger.
Il est difficile de comprendre les enjeux de la langue
française et de son enseignement-apprentissage sans
avoir un regard distancié. Les débats sont si
passionnés, passionnants, qu'ils entraînent souvent les
locuteurs à généraliser des représentations fortement
marquées par la subjectivité et les affects ; d'autant
mieux que les débatteurs n'ont pas toujours
conscience des constructions sociales qui sous-tendent
ces représentations.
LE FRANÇAIS, UNE LANGUE COMME LES AUTRES
La parole est un signal qui peut être matérialisé sur un écran
d'ordinateur par un tracé 7 voilà ce que l'on peut percevoir
sur un sismogramme la retranscrivant. Une langue n'est
donc ni bonne, ni mauvaise. Elle est langue. La langue,
retranscrite par un tracé, peut être ou pas une langue
grammaticalisée (un linguiste l'a décrite ou pas, sous forme
de livres de grammaire, de dictionnaires), peut être
institutionnalisée en tant que langue ou pas, par des
politiques nationales, ou éducatives... Cela ne regarde pas le
linguiste. Impartial, le linguiste étudie les évolutions du
lexique, de la syntaxe, de la prosodie, des registres de
langue... Il décrit les langues, il analyse les discours,
historiquement ou synchroniquement. Pour lui, les langues
ne sont ni plus riches, ni plus pauvres qu'avant, elles sont en
mouvement; mouvements qui retracent une histoire des
locuteurs, l'histoire de leurs déplacements, de leurs
rencontres avec d'autres langues, avec d'autres façons de
parler. Le linguiste ne juge pas. Et observe cet ensemble de
langues,
M
parlers, paliures qui sont autant de lettes qui forment le
langage. Le linguiste est un scientifique. S'il opérait
autrement, il serait politicien Si l'on pose au linguiste la
question " Qu’est-ce que la langue française ?», le
linguiste racontera une histoire, décrira un système en
contact avec d'autres idiomes, en transformation. Cette
langue ne sera ni plus ni moins prestigieuse qu'une autre.
Elle sera. Simplement.
LA NORME ET/EST LA VARIATION: UN
SIGNE DE DISTINCTION
Pour le sociolinguiste, objectif, cartésien, la variation est
la norme, en quelque sorte. Ce qui va à l'encontre du sens
commun et des débats passionnés sur « la langue
française », si difficile à réformer ; cependant que l'on
peut voir, dans les vitrines américaines, le mot nuit (night)
orthographié de différentes manières sans qu'aucun
locuteur ne s'en émeuve. Outre-Atlantique, la
transcription à l'écrit peut se faire de différentes manières
: « So, who cares, ? »1 En France, le moindre écart à la
norme et les locuteurs sortent leur stylo pour corriger le
panonceau, comme j'ai pu le noter dans une file d'attente
au remonte-pente d'une station de ski où l'on pouvait voir
écrit: « Dernière remonté à 17 heures». Personne ne
s'offusquerait aux États-Unis, puisque la langue anglaise
domine dans le monde, qu'elle représente le pouvoir
économique, langue démiurge au pouvoir absolu.
C'est justement l'objet d'étude du sociolinguiste, qui
analyse les attitudes face aux langues, leur hiérarchisation
sur le marché linguistique où les idiomes seraient cotés
comme à la bourse (Bourdieu, 1982). Évidemment, la
langue n'y est pour rien ; ce sont les locuteurs, leur pays et
les politiques qui y ont cours qui fixent la cotation.
Certaines langues ne sont pas cotées, certaines ne sont
même pas considérées comme langues : «Pas d'armée, pas
de pays, ce n'est pas une langue», s'amuse le
sociolinguistique. En somme, au politicien de décider de
la légitimité d'une langue.
Les variations sur une langue, considérées comme moins
prestigieuses que la langue enseignée à l'école, sont
souvent perçues comme néfastes (SMS, " chats », parlers
des banlieues), sans parler des langues régionales ou des
«langues de la maison » différentes du français... Le
sociolinguiste analyse ces couples dominant/dominé,
norme/variation, où le standard revêt généralement la
forme du politique, de l'école et des médias.
1 Et alors, quelle importance ?
Certains linguistes formalistes analyseront de la
même manière l'oral et l'écrit, le lexique en
banlieue ou dans la presse, ils ne feront pas de
distinction (à prendre aussi au sens de Pierre
Bourdieu, en tant que signe distinctif). Le
sociolinguiste parlera d'hétérogénéité, le
linguiste dira homogénéité. Ils ont tous deux
raison : toutes les langues ont des formes
récurrentes, des universaux ; d'où cette notion
d'homogénéité : on retrouve la syntaxe, le
lexique, le mimo-gestuel, la gestion des
interactions verbales, etc. quelles que soient les
manières de parler. Cependant, le sociolinguiste
étudie les différentes actualisations et les
commentaires, les réactions, les implications
que ces manières de dire ont dans le social:
parlers stigmatisés ou parlers de l'élite,
communautaires ou véhiculaires...
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE:
UNE QUESTION DE RELATIVITÉ
Le didacticien, et après lui le formateur ou
l'enseignant, est bien en peine de trouver une
posture. Il est censé agir en linguiste, en
instructeur de la forme décrite ; et, en même
temps, en tant que locuteur, il perçoit les
marchés linguistiques et mesure l'écart qui
existe entre les pratiques de ses apprenants et la
norme à enseigner (qui est en fait une variation
comme une autre, celle qui a été choisie comme
référence, tout simplement). Le didacticien aura
d'autant plus de difficultés si ces parlers se sont
constitués plus ou moins consciemment contre
cette norme (voir les descriptions de Goudailler,
par exemple, sur le parler des banlieues).
Ainsi, le pédagogue peut se sentir en échec face
à la norme à enseigner - « comment enseigner
une maîtrise du français ?» - et tenir les autres
variations linguistiques pour responsables. Or il
y a là un paradoxe : pourquoi dire que la
maîtrise de la langue française (entendu celle
enseignée à l'école) mène à l'égalité des chances,
alors même que ceux qui ne la maîtrise pas sont
en dehors du système scolaire ? Pourquoi dire
que les variations de la norme ou que les autres
langues (parlées à la maison,
dans la cour) sont néfastes, alors que plus de
cent cinquante études, sur trente ans,
démontrent l'inverse (Cummins), à savoir: plus
on connaît de langues (variations), plus on
peut en apprendre d'autres facilement ?
L'approche de la langue
par la didactique
du français langue étrangère
Réfléchir sur l'enseignement du français en
France après l'avoir enseigné en tant que
langue étrangère (plus exactement, langue non
maternelle - dénomination qui permet de
rendre compte de la diversité des publics, que
ce soit en France ou à l'étranger, qu'il s'agisse
d'enfants ou d'adultes, de professionnels ou/et
de migrants) permet une prise de distance face
à la situation franco-française du système
éducatif. Ainsi, les Formateurs de français
langue non maternelle sont tous initiés sur le
plan national (dans les diplômes de licence et
les masters) à une didactique de l'interculturel
qui propose une réflexion pratique sur la
relation à l'altérité et à la différence (voir des
auteurs comme Abdallah-Pretceille, Zarate,
Ouellet ou Lafortune).
Cette didactique permet une prise de distance
par rapport à ses propres pratiques des langues
et de leur enseignement-apprentissage, aide à
relativiser sa/ses norme(s) en même temps
qu'elle favorise la prise de conscience des
universaux linguistiques et, plus largement,
humains.
Ainsi, grâce à ces cours, les futurs enseignants
de français langue non maternelle voient leurs
représentations évoluer. Par exemple, ceux qui
sont issus du système français se découvrent
plurilingues alors qu'ils se représentaient
majoritairement monolingues, même s'ils ont
tous suivi plusieurs années de cours de langues
vivantes. Ils argumentent en décrivant leur
niveau comme « très bas ». Cependant, ils ont
une compétence plurilingue, même s'il s'agit
d'un niveau de survie (décrit comme Al dans le
Cadre européen commun de référence), Autre
exemple, ces étudiants ont majoritairement peu
conscience de leurs connaissances et
pratiques des variations. Pourtant, selon les contextes et les
interlocuteurs, selon les types de relations (relations
symétriques entre pairs, ou asymétriques, comme dans les
échanges patient/médecin, enseignant/enseigné...), ils
parlent/écrivent très différemment.
Les approches interculturelles
La relation oral/écrit peut également être perçue autrement
grâce aux approches interculturelles. Beaucoup d'étudiants,
futurs formateurs, disent dans nos relevés de corpus que,
lorsqu'ils voient de l'oral retranscrit, ils trouvent que «les
gens parlent mal». Or ces oraux transcrits sont issus... de
cours de français! Les enseignants ne parlent pas mal il
s'agit de la norme utilisée habituellement en cours; mais,
comme les étudiants assimilent l'oral à l'écrit (qu'ils
instaurent en norme de référence), la transcription de l'oral
semble être, à leurs yeux, du « mauvais français ».
L'approche interculturelle provoque alors une prise de
conscience de ces phénomènes et leur relativisation.
Cette approche permet aussi une mise à distance des
processus d'enseignement-apprentissage ainsi que des
systèmes éducatifs, ce qui est d'un intérêt majeur, puisque les
publics auxquels ces étudiants vont enseigner peuvent avoir
connu différentes modalités éducatives: culture plutôt orale ou
écrite des apprentissages, méthodes traditionnelles ou
communicatives (voir Beacco, Chiss, Cicurel et Véronique,
2005). Il importe peu, finalement, de savoir quelle est la
meilleure méthode, mais plutôt de comprendre la relativité du
système éducatif dont le formateur est lui-même issu afin que
ce dernier ne reproduise pas son vécu. Il s'agit donc de prendre
en compte les différents paramètres : publics, diagnostic initial
de ces publics et objectifs du système éducatif, afin de choisir
les pratiques de classes les plus adéquates.
LIENS ET AMALGAMES ENTRE LA
LANGUE, SA MAÎTRISE ET LES LOCUTEURS
Chacune des approches scientifiques de la langue, ou des
langues, détient sa part de vérité. Seule une vue d'ensemble
peut cependant aider a mesurer les enjeux de
l'enseignement-apprentissage de la langue française en
France, notamment dans les domaines de «la maîtrise de la
langue française de la conception souvent négative des
autres langues » autres parlers et, de là, des apprenants
en échec scolaire.
Que signifie « maîtriser la langue » formule en circulation
récurrente dans nos corpus d'enseignants et de formateurs,
vivre», et associés à certains types de locuteurs
dont la représentation est assez négative, dans
les médias notamment : « des jeunes de
banlieue »», les « enfants de migrants »... Ce
lien, voire cet amalgame, renforce les
stéréotypes négatifs, la peur de l'autre et le
sentiment d'échec. L'autre langue ou variation,
l'autre également en tant que locuteur et
apprenant est mis à distance, représentant par
trop l'échec de l'intégration, du système
scolaire.
Alors, comment réussir à enseigner la langue, â
établir la communication avec ces élèves ?
VERS UNE DIDACTIQUE DE L'ÉCART,
POUR TISSER LES LIENS Alors que le linguiste explique qu'au-delà des
langues et des variétés il existe des
universaux, que le sociolinguiste pointe les
questions de hiérarchisation, qui sont autant
de constructions sociales reflétant notre
histoire, le didacticien tente lui de réduire
l'écart. Cet écart peut être signe
d'éloignement, d'écartement, de décalage, de
déviation, d'opposition voire d'errement ;
mais il peut aussi mettre en valeur la distance
dans le sens de l'espace restant à parcourir, un
intervalle, un voisinage, une déclinaison. Ce
terme de « déclinaison » est particulièrement
intéressant : la variation de l'école ou de la
rue sont des actualisations, des déclinaisons
de la langue, la langue étant cette
construction linguistique somme de toutes les
variations.
Le dictionnaire évoque aussi le terme d'écart
en tant que rayon. Cette image peut permettre
de visualiser les choses de la manière suivante:
au centre, l'objectif visé qui est la langue de
l'école, et, autour, les variations, que l'on peut
analyser en fonction de ce centre. Que les
apprenants soient des élèves nouvellement
arrivés (ENA) ou issus de l'immigration et
parlant d'autres langues à la maison ou bien
encore pratiquant des variétés éloignées de la
norme scolaire, la démarche de mise en
proximité est la même, le degré de distance
étant différent selon le niveau linguistique en
question (prosodie, lexique, syntaxe...)
et qui a également une réalité dans les programmes
officiels ? Du point de vue linguistique, cette formulation
peut être contestable. Une sorte de flou entoure le terme de
« maîtrise ». Heureusement, le Cadre européen commun de
référence pour les langues permet de mesurer ces degrés de
maîtrise, en distinguant bien l'oral de l'écrit, le dialogal du
monologal, la production de la compréhension. Cependant,
les enseignants ont encore des difficultés à s'approprier
l'outil, plus connu des enseignants de langues étrangères.
On constate fréquemment dans nos corpus que l'oral, après
le primaire, est considéré comme acquis (du moins est-il
passé sous silence) et que la compréhension écrite se
mesure souvent en même temps que la production écrite, ce
qui fausse les mesures de maîtrise de la langue. Par
exemple, un apprenant peut très bien avoir compris une
consigne mais ne pas avoir les outils langagiers nécessaires
pour formuler sa réponse. Il est donc important d'évaluer le
plus finement possible les degrés de maîtrise pour que cette
formule ait un sens.
Le «circuit court»
Les pédagogues, psychologues et même neurologues
disent que les locuteurs, sous l'emprise d'une émotion,
émettent un jugement pour évacuer leur stress. Le sujet se
met en « circuit court » (Favre), cherchant un bouc-
émissaire, stigmatisant ce qu'il perçoit être la source de
son mal-être. Le stress est tel qu'il ne peut pas pour le
moment chercher de solutions, ni décomplexifier ou
prendre du recul face à la situation. I1 dira, dans nos
corpus «C'est la faute des autres langues/autres parlers, ces
pratiques freinent l'apprentissage du français » (circuit
court), plutôt que « que faire pour faire évoluer les choses
? » (circuit long) en prenant le temps et la distance
nécessaires à l'analyse. Un apprenant en échec maîtriserait
donc «mal» la langue ; ce qui est, de plus,
linguistiquement erroné, puisque d'autres idiomes ou
d'autres parlers forment bien des langues, peu importe
qu'ils soient reconnus ou non. Comme nous l'avons dit
plus haut, une langue comprend du lexique, une syntaxe...
Renvoyer la faute, même aux SMS, ne correspond pas à la
réalité, les SMS obéissent aussi à des régularités (voir
Anis, 2001).
Chacun sait que plus l'on pratique de langues, plus il est
facile cognitivement d'en apprendre d'autres. Il en va
également de même pour les variétés. Lorsque l'on
stigmatise des langues ou des variétés communicatives, on
catégorise également les locuteurs qui les emploient. Ces
parlers seront taxés d’ «outrances verbales » reflétant un «
mal de - ' tl
NOUVELLES PRATIQUES EN
PLACE: ACCUEILLIR ET S'APPUYER
SUR LE PLURILINGUISME On s'étonne encore que les ENA accusent en
France un retard de plus de deux ans par rapport
aux résultats des autres pays de l'Union
européenne (UE). Mais, dans les autres pays de
l'UE, la représentation de l'écart est davantage
vécue sous le signe de l'acceptation du
plurilinguisme. Par exemple, de nombreuses
expériences ont lieu en Catalogne, région déjà
diglosse. Les résultats sont très positifs. La
langue des ENA y est beaucoup moins
stigmatisée. En Allemagne, des classes
d'allemand langue seconde fonctionnent avec
un enseignant d'allemand et un autre de langue
d'origine (italien ou turc le plus souvent), même
quand il s'agit d'une discipline particulière
(mathématiques...). L'accueil de la langue de
l'autre, comme appui, favorise les
apprentissages. Les locuteurs ont cette capacité
de jouer avec les langues, les variations, et cela
leur permet de conserver leur intégrité en tant
que locuteur, sans sentir une part d'eux-mêmes
mise à l'écart. Les enquêtes de Biliez ne disent
pas autre chose. Les jeunes en insertion
professionnelle, ayant des difficultés avec la
langue scolaire, perçoivent très bien les écarts à
la norme et sont mêmes capables, quand ils ont
un statut spécifique (enquêteurs), de se
rapprocher de la norme attendue. L'utilisation
des langues et variations peut donc être
proposée en classe selon une observation de la
langue demandée dans les programmes
scolaires sous l'appellation ORL (observation
réfléchie de la langue) ou « étude de la
langue ». (Auger, 2005).
L'utilisation d'outils de mesure fiable permet
aussi de mesurer le véritable écart entre la
compétence de l'apprenant et celle qui est visée.
Cette évaluation permet de se focaliser sur le
but à atteindre sans négliger les compétences de
départ (y compris en langue maternelle ou dans
les compétences métalinguistiques acquises par
la pratique de diverses variations langagières).
Des erreurs encore trop fréquentes sont visibles
dans les évaluations,
ou la compréhension écrite se mesure souvent en même
temps que la production écrite, ce qui fausse l'estimation
du degré de maîtrise de la langue. Autre erreur trop
courante un apprenant a compris la consigne mais n'a pas
les outils langagiers nécessaires pour formuler sa réponse:
on considérera qu'il a également des difficultés de
compréhension.
Enfin, par la prise de conscience des représentations qui
ont cours autour du mono- ou du plurilinguisme, de ce
qu'est l'objet langue, du lien que les usages entretiennent
avec les représentations et la notion d'identité, les pratiques
de classes et les résultats des apprenants peuvent évoluer.
Il s'agit donc de renforcer les actions d'information et de
formation initiale et continue des différents acteurs de
l'enseignement.
QUELQUES REMARQUES SYMPTOMATIQUES
DES ENJEUX DE L'ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE
DE LA LANGUE FRANÇAISE
«Arrêtez de parler arabe dans la cour », « leur SMS leur
fait faire des fautes à l'écrit», «il faudrait essayer de parler
français à la maison-, «ma bonne résolution pour 2007, ne
plus parler wolof en classe », «parle correctement «quelle
mauvaise maîtrise du français !», « les jeunes parlent de
plus en plus mal, surtout dans les quartiers <, ces parlers
sont agressifs »...
Depuis 2004, nous enregistrons ces remarques ordinaires
qui témoignent de raccourcis (circuit court) bien
compréhensibles vu la situation. Que peut-on faire quand
on est formé à une didactique du monolinguisme. de
l'homogénéité ? Nous fonctionnons, selon les
commentaires ci-dessus, comme si les langues et les
parlers étaient étanches, comme si nous-mêmes ne
modifions pas les éléments de notre lexique, de notre
syntaxe, de notre prosodie... selon les situations, les
personnes auxquelles nous nous adressons, à l'oral ou à
l'écrit. Pourtant, nous le faisons, comme en témoigne par
exemple l'écart énorme entre le petit mot laissé aux enfants
sur le réfrigérateur et la lettre a la Trésorerie générale. Car
la langue est la somme de ses variations. Un jeu
passionnant pour qui veut bien jouer avec elle. Passer d'une
variation a une autre, comprendre les enjeux des différents
contextes dans une didactique de l'écart, du plurilinguisme
assumé, est dynamisant et correspond à une réalité.
Au-delà des débats émotionnels sut ce qui est bon ou
mauvais, sur la faute ou l'échec, le beau ou le laid, il existe
une possibilité que nous pratiquons à chaque seconde et qui
est la « variation ». Cette variation, il s'agît de la connaitre,
de la comprendre. I1 ne s'agit pas d'amener la banlieue à
entrer dans le texte littéraire ou de la circonscrire dans des
activités de slam. Il s'agit d'embrasser le tout, le complexe
des pratiques et de la langue. Cela demande du temps, et
une atténuation de la charge émotionnelle de celui qui se
sent en échec. Les remarques ordinaires, les commentaires
«anodins» minent en quelques secondes la dé-
complexication des enjeux. C'est la raison pour laquelle
Bourdieu (1996) ne voulait plus s'exprimer à la télévision,
faute de temps pour développer sa pensée : il est tellement
plus spectaculaire de fonctionner avec les émotions, de
provoquer des circuits courts chez l'interlocuteur.
La fréquence des commentaires disqualifiant les
«mauvaises» langues dans nos corpus ainsi que l'habitude
que nous avons de les entendre les banalisent. Il est
toujours plus difficile de prendre de la distance, du recul,
pour analyser la situation. La catégorisation de l'autre, de
ses pratiques langagières, de ses performances scolaires
nous permet d'éviter une surcharge émotionnelle bien
compréhensible: comment le/la faire entrer dans la langue
scolaire ? Car son échec est lié à mon échec, à ma
perception de moi-même en tant qu'enseignant,
formateur...
L'information, la dé-complexification restent seules
possibles pour dépassionner les débats, imaginer des
propositions concrètes et pouvoir les mettre en œuvre.1
NATHALIE AUGER est maître de conférences en
sciences du langage à l’université de Montpellier III.
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