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 L E KRACH AGRICOLE GÉOÉCONOMIE REVUE TRIMESTRIELLE - ÉTÉ 2008

Géoéconomie Agriculture la nouvelle donne mondiale

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LEKRACHAGRICOLE 

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Sommaire

Éditorial 5

Entretien

Les enjeux de la présidence française de l’Union européenne 9Pascale JOANNIN 

Dossier

Le krach agricole

Propositions pour une nouvelle vision de l’agriculture 19Jacques CARLES 

Marchés agricoles en ébullition : diagnostic et évaluation des risques

pour l’économie mondiale 35Thierry POUCH 

Agriculture : la nouvelle donne mondiale et les perspectives à moyenet long termes 61

Bruno PARMENTIER 

Ne pas sacrifier l’agriculture française 87

Christian PÈES Les biocarburants : un engagement responsable 95 Xavier BEULIN 

 Varia

Le réchauffement climatique :un dilemme du prisonnier aux conséquences catastrophiques 109

Jean-Paul MARÉCHAL 

Iran : l’émergence d’une puissance régionale 129Barry RUBIN 

Lectures 147

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En matière d’agriculture, on dira probablement dans quelques annéesque le XXIe siècle a commencé en 2007.

2007. Grâce à la Politique agricole commune, la population européennedispose, depuis des années, de nourritures abondantes, régulières et bonmarché, permettant ainsi de limiter les hausses salariales et de préserver la compétitivité des entreprises françaises. Cela fonctionne tellement bienque la majorité des Européens en vient à considérer cette politique commeun anachronisme. Il est prévu de la changer, au plus tard en 2013, et defaire un premier bilan dès 2008 pour précipiter les choses… Après l’électionprésidentielle en mai 2007, on se demandait même s’il y aurait encore unministre de l’Agriculture en France. Les classes moyennes de la planète, quifont état de plus en plus de problèmes d’obésité et d’inquiétudes, souventinfondées pour leur santé n’ont plus aucune angoisse de manquer Seule

Agriculture : la nouvelle donne

mondiale et les perspectives à

moyen et long termes

Bruno PARMENTIER Directeur général du groupe ESA d’Angers, auteur de Nourrir l’humanité (éditions La

Découverte 2007, prix Terra 2008).

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infondées, pour leur santé, n ont plus aucune angoisse de manquer. Seule

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Bruno PARMENTIER 

demeure une vague honte face aux 850 millions de gens qui ont faim, et aumilliard supplémentaire qui mange mal. La peur de manquer, une grandeconstante dans l’histoire de l’humanité, semble définitivement vaincue.

Soudain, au cours de cette période prospère s’opère un spectaculaireretournement de tendance. Les prix agricoles, qui ne cessaient de baisser depuis des décennies, repartent à la hausse avec une étonnante vigueur (céréales, pain, riz, lait, viande, etc.). Des pays traditionnellement exportateursdoivent fermer leurs frontières pour garder leurs récoltes pour eux. Lesspéculateurs s’en donnent à coeur joie. De nombreux pays importateurs sontle cadre d’émeutes de la faim, en Amérique, en Afrique, et en Asie. Dans les

pays riches, le pouvoir d’achat revient au cœur des préoccupations et oncraint désormais les pénuries ponctuelles et la réapparition de la faim danscertains secteurs fragiles de la population. Ce renversement de la donnemondiale aura des conséquences pendant des années. On se rend comptemaintenant que cette nouvelle impression de sécurité n’aura probablementété qu’une double parenthèse historique et géographique : historique parcequ’elle n’aura duré que quelques dizaines d’années, et géographique parcequ’elle n’aura concerné qu’un tiers de l’humanité.

On tentera, dans cet article introductif, de se poser les questions de base :comment évolue la planète et la demande alimentaire ? Disposons-nous destechniques suffisantes pour résoudre les problèmes ? L’organisation actuelledu monde agricole et alimentaire est-elle à la hauteur des enjeux ?

Rappelons en préambule des caractéristiques essentielles des marchésagricoles :

- Pour survivre, les humains (et les animaux) souhaitent s’alimenter tousles jours, quoi qu’il arrive, et même si possible plusieurs fois par jour. Ils nemangent pas vraiment davantage quand les prix baissent (on ne se remetpas à table juste après en être sorti, même si le repas n’a pas coûté cher),mais entendent bien continuer à manger même si les prix montent. On peutimaginer se priver quelques mois de chaussures ou de téléphones portables,mais de nourriture, jamais ! Dès que cette dernière vient à manquer, on estprêt à tout : immigrer dans un bidonville sordide ou un camp de réfugiésprécaire lorsqu’on est à la campagne, ou participer à des émeutes lorsqu’onest en ville. Quand on est rassasié, on se découvre des dizaines de problèmesexistentiels, plus ou moins fondés, mais quand on a faim, on n’en a plusqu’un, omniprésent et propice à la paralysie ou à la colère. Ventre affamén’a pas d’oreille.

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- Le résultat de l’activité agricole est très aléatoire, prend beaucoup de temps

et dépend de multiples facteurs externes, en particulier de la météo. Lorsque

l’on sème un champ de blé, on ne sait jamais exactement combien on récoltera

car beaucoup d’événements imprévus peuvent se produire : sécheresse,

inondations, tempêtes, maladies, invasions d’insectes, conflits...

- Le résultat de ces deux caractéristiques – demande impérative et

offre aléatoire – entraîne une très grande volatilité des cours. Des baisses

spectaculaires lorsqu’il y a un peu de surplus précèdent des hausses vertigineuses

lorsqu’on commence à manquer. De tout temps, les gouvernements ont donc

tenté de réguler ce marché, au moins en ce qui concerne l’approvisionnement

des grandes villes, et surtout, celui des capitales où les foules affamées onten fait tomber historiquement plus d’un !

Comment évolue la planète ?

Mauvais temps en perspective

2007 a été l’année de la prise de conscience de la réalité du réchauffementclimatique et des immenses menaces qu’il fait courrir à l’humanité à partir du XXIe siècle et pour les siècles suivants.

Des événements qui était auparavant placés de façon un peu fataliste à larubrique « pas de chance » ou « mauvaise année » ont maintenant tendanceà être requalifiés en « nouvelle donne météorologique mondiale ». Exemples,parmi d’autres :

- L’Australie a connu cinq années successives de sécheresse : retrouvera-t-elle un jour suffisamment de pluie pour devenir à nouveau un grand paysproducteur de céréales et de viande ? Produira-t-elle encore seulement du

 vin ?

- Le Bangladesh a connu deux inondations dans la même année 2007 :une inondation traditionnelle au printemps, à la fonte des neiges, plus unedeuxième à l’automne due à un ouragan. Ces deux inondations ont affectéprès de 40 % du territoire, tout le delta du Gange et du Brahmapoutre. Cepays de 140 millions d’habitants devra-t-il très bientôt se vider purementet simplement d’un tiers de son territoire ? Même question pour la Birmanie

 voisine et de son delta de l’Irrawaddy, qui produit 65 % du riz, 80 % del’aquaculture et 50 % de l’élevage du pays…

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- Plusieurs îles des Caraïbes ont été dévastées par un ouragan qui a détruitles bananeraies. À terme, aura-t-on le temps de récolter des bananes dansces régions, entre deux ouragans ?

Les experts prévoyaient que les changements climatiques vont engendrer au moins 150 millions de réfugiés climatiques dans les prochaines années.D’autres prévisions, plus pessimistes encore, estiment maintenant que si leclimat se dégrade « vraiment », ce chiffre pourrait se rapprocher du milliard.Quelles que soient les hypothèses, il s’agira d’un phénomène majeur qui vaprovoquer de grandes tensions internationales. Car en effet, où iront-ils,ces réfugiés ? Dans les pays vides, comme la Russie ? Dans ceux qui ont

particulièrement contribué au réchauffement climatique, comme les États-Unis ? Ou, plus probablement, dans les pays voisins, pauvres eux-aussi,entraînant des déstabilisations en chaîne, en particulier dans la péninsuleindienne, en Asie tropicale et en Afrique Sahélienne ?

Il ne faut pas croire que ces évolutions climatiques ne vont toucher queles pays pauvres et tropicaux. Les experts prévoient qu’en 2050, il fera letemps de Nice à Angers et le temps d’Alger à Nice. S’ils ont raison, cela veut

dire qu’il n’y aura plus d’agriculture efficace sans irrigation dans la moitiénord de la France… et très peu d’agriculture efficace tout court dans le Sud-Est. De gros investissements agro-environnementaux seront indispensablestrès rapidement, même en France.

De moins en moins de terres à cultiver

Les bonnes terres cultivables, sur lesquelles il pleut régulièrement, sont une

denrée rare sur la planète. En fait on ne cultive (hors prairies et forêts) que1,5 milliard d’hectares, soit 12 % des 13,1 milliards d’hectares immergés (laFrance, avec plus d’un tiers du territoire cultivé, faire figure d’exception).

Sur le plan mondial, il existe encore des réserves disponibles, maiselles sont pour l’essentiel situées dans les forêts tropicales des bassins del’Amazonie, du Congo et du Sud-Est asiatique, particulièrement en Indonésieet en Malaisie. Les mettre en culture présente un vrai risque d’aggravationdu réchauffement de la planète et de désertification relativement rapide deces régions écologiquement sensibles (n’oublions pas qu’un jour le Sahara aété, lui aussi, une forêt vierge). C’est pourtant ce que nous faisons, à raisonde 140 000 km² chaque année et sachant que l’on ne replante que la moitiéen forêt. Malheureusement cela ne suffit pas pour augmenter la superficietotale de la « ferme-monde », car, année après année, nous perdons plus deterres que nous n’en gagnons En effet l’érosion et l’urbanisation gagnent du

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terres que nous n en gagnons. En effet, l érosion et l urbanisation gagnent du

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Agriculture : la nouvelle donne mondiale 

terrain à une vitesse préoccupante. Même en France, déjà très bien pourvueen équipements, les constructions de logements principaux et secondaires,

 voies de transport, parkings de supermarchés et autres terrains de golf conduisent à perdre l’équivalent d’un département agricole tous les dix ans.En Chine, où s’installent chaque année 15 à 20 millions de ruraux en ville,ce sont 1 million d’hectares cultivés qui s’envolent chaque année.

C’est ainsi qu’en 1960, chaque habitant de la planète disposaitpotentiellement de 0,43 ha de terres cultivables. Aujourd’hui, il n’y en aplus que 0,25 ha. À ce rythme, les terriens de 2050 n’en auront plus que0,15 ha. Sur un hectare cultivé, au lieu d’être 4 à manger, nous serons 6.

Plus assez d’eau pour irriguer

De tout temps, les hommes ont tenté de s’affranchir des aléas de la nature. Au XXe siècle, on a ainsi largement investi dans l’irrigation, pour compenser les irrégularités de la pluie. La planète compte actuellement 200 millionsd’hectares irrigués, soit approximativement un champ sur sept. On sait d’oreset déjà que l’on ne peut pas doubler cette surface ; les 44 000 barrages

qui ont déjà été construits ont tous besoin d’entretien (ils s’ensablent, sefissurent, etc.). Les nouveaux ouvrages vont coûter beaucoup plus cher puisqu’ils seront situés dans des endroits plus difficiles d’accès ou moinsfavorables au stockage de l’eau (forte évaporation, par exemple).

 Autre frein à l’irrigation : la baisse des nappes phréatiques. C’est unproblème considérable sur l’ensemble de la planète car on pompe l’eaubeaucoup plus vite qu’elle ne se régénère. Exemples : les 200 000 puits

de la nappe de l’aquifère de l’Ogallala au centre sud des États-Unis en ontdéjà épuisé près de la moitié ; celui de la vallée du Gange a diminué de60 mètres ; on observe des baisses rapides de niveau des nappes, de 2 à3 mètres par an dans des pays aussi divers que le Mexique (Guanajuato),la Chine (Hebei), le Pakistan (Baloutchistan) ou l’Iran (Chanaran).

Les rivières, actuellement très chargées en été grâce à la fonte accélérée desglaciers – ce qui permet de pomper largement pour l’irrigation –, commencentà s’assécher l’été les unes après les autres, sur tous les continents. Denombreux lacs et mers intérieures disparaissent purement et simplement,comme le lac Tchad, la mer d’Aral ou le lac Owens. Au XXIe siècle, l’accès àl’eau sera à coup sûr une source de conflits majeurs, sur tous les continents,en particulier au Moyen-Orient et en Asie.

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Bruno PARMENTIER 

 Au total, irriguer ses cultures risque de devenir une entreprise beaucoupplus compliquée au XXIe siècle qu’au XXe. Les experts estiment que le niveaumaximum de surfaces irriguées dans le monde pourrait tourner autour de240 millions d’hectares, soit seulement 20 % de plus qu’aujourd’hui. Destravaux pharaoniques sont entrepris, comme ceux autour du barrage desTrois-Gorges en Chine, le plus grand du monde. Outre la régulation du débitdu Yang Tsé et la prévention des inondations, son objectif est d’amener l’eau en excès du Sud de la Chine vers le Nord, qui a désespérément soif,

 via trois canaux de 1 300 km de long. La mise en eau du lac de 660 km delong a déjà nécessité le déplacement de 1,8 millions de personnes. De lamême manière, on verra probablement d’ici la fin du siècle de gigantesques

canaux amener l’eau des grands lacs du Nord des États-Unis vers les Étatsdu Sud du pays.

Inévitablement, on sera conduit à faire de gros efforts pour économiser l’eau (les pertes en ligne des systèmes d’irrigation et d’eau potable sontaffligeantes), et pour trouver le moyen de se nourrir avec des plantes quien consomment moins. Rappelons qu’en moyenne, il faut 1 tonne d’eaupour produire 1 kilo de céréales, et qu’un Européen moyen consomme

indirectement plus de 4 tonnes d’eau « virtuelle » par jour (l’eau virtuelleétant la quantité d’eau nécessaire pour produire et acheminer tout ce qu’ila dans son assiette).

Le commerce international de produits alimentaires risque de se fairede plus en termes d’équivalent, eau suivant le principe : « si vous n’avezpas d’eau, importez votre viande ou vos céréales ! ». Depuis la fin desannées 1980, le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont acheté en moyenne

40 millions de tonnes de céréales par an ; en termes d’eau virtuelle, celareprésente 40 milliards de tonnes, soit plus que la quantité utilisée pour l’agriculture dans toute l’Égypte.

Plus assez de pétrole pour produire de la nourriture

Nous arrivons au bout d’une longue période facile où l’énergie étaitabondante et bon marché. Les techniques agricoles, comme toutes lestechniques inventées dans cette période, sont particulièrement énergétivores.Dans les agricultures hautement mécanisées et à forts intrants (fertilisants,pesticides, etc.), il faut actuellement plusieurs centaines de litres d’équivalentpétrole pour produire 1 tonne de blé.

Les 28 millions d’agriculteurs de la planète qui possèdent un tracteur (ettout ce qui va avec : semences sélectionnées engrais pesticides irrigation

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tout ce qui va avec : semences sélectionnées, engrais, pesticides, irrigation,

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Agriculture : la nouvelle donne mondiale 

assistance technique, possibilités de stockage, etc.) ont actuellement unavantage comparatif important par rapport aux 250 millions d’agriculteursqui en sont restés la traction animale (bœufs, zébus, ânes, chameaux, mulets)et à des techniques souvent rudimentaires, et un avantage considérablepar rapport au milliard d’agriculteurs qui ne disposent que de leur propreforce physique et souvent aucun accès à ces améliorations techniques. Maisavec un pétrole à 200 $ le baril, voire bientôt 200 et plus, nous devrons,comment on le détaillera ci-dessous, réinventer entièrement les techniquesmodernes d’agriculture.

Pour commencer, il faudra beaucoup moins labourer, diminuer l’utilisation

des engrais de synthèse, arrêter de chauffer les serres l’hiver et relocaliser une partie importante de la production agricole au plus près des zones deconsommation.

Cette situation est aggravée par le fait que, tant qu’on ne sait pas bienstocker l’énergie, tous les véhicules auront durablement besoin de carburantpour se déplacer (sauf les rares véhicules qui peuvent accéder en permanenceà une source d’énergie, les trains, métros et tramways). Dans ce contexte, les

600 millions d’automobiles et les 200 millions de camions de la planète, dontle nombre devrait doubler dans cette première moitié du siècle, risquent dedevenir des concurrents redoutables pour l’accès aux ressources végétales,comme on le verra ci-dessous.

Il faudra changer radicalement de manière de comptabiliser la productivitéagricole, sachant que lorque l’on produit ou qu’on achète un produit,on produit ou on achète le monde qui va avec. La science économique

nous a appris que le plus rare de tous les facteurs de production doit êtresauvegardé au maximum. Par exemple l’argent (d’où le concept de rentabilitédu capital investi), le travail (productivité par unité de travail humain), oula terre (productivité à l’hectare). En ce début du XXIe siècle, nous allonsprogressivement devoir ajouter à ces raisonnements des éléments nouveauxcomme la productivité par litre d’eau ou par litre d’équivalent pétrole, oupar litre de gaz carbonique envoyé dans l’atmosphère, puisque ces troisfacteurs deviennent fondamentaux ; les deux premiers étant trop rares etle dernier trop abondant. Qui sait vraiment parmi les agriculteurs combiende litres d’eau ou d’équivalent pétrole il utilise aujourd’hui pour produireun quintal de blé, ou combien il rejette de gaz à effet de serre ? Sans cesinformations dorénavant essentielles, comment faire des choix réellementcitoyens et à la hauteur des enjeux de l’époque ? Voilà de nouveaux chantiersà défricher, et l’Europe devrait être moteur en ce domaine.

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Bruno PARMENTIER 

Comment évolue la demande alimentaire ?

La simple hausse de la population oblige à augmenter de 1,2 % par an laproduction agricole (80 millions de personnes sur 6,5 milliards). C’est sanscompter le changement de régime alimentaire et le gâchis lié au stockage,au transport ou aux déchets, qui font que la demande augmente en faitde près de 2 % par an. Au total, le défi auquel doit faire face l’agriculturemondiale est simple : doubler la production agricole mondiale d’ici à 2050.Mais avec des disparités considérables suivant les continents. Il faudraitmultiplier par cinq la production agricole en Afrique et même « seulementpar trois » si les Africains restent « végétariens » (la population va doubler,

et déjà 30 à 50 % ne mange pas à sa faim). C’est pratiquement irréalisable.En Asie, il faut multiplier la production par 2,3, un autre défi considérablecompte tenu de la grande productivité actuelle et du manque de terres, eten Amérique latine par 1,9. Examinons de plus près le détail de l’évolutionde cette demande.

2,5 milliards de bouches supplémentaires à nourrir

La population mondiale augmente de plus de 200 000 personnes par jour,et près de 80 millions par an. Autant de consommateurs en plus.

Il est compliqué d’évaluer très précisément combien nous serons sur laplanète en 2050 et a fortiori en 2100. On peut cependant remarquer quepartout où le niveau de vie augmente, la natalité diminue. On peut égalementobserver les effets d’une politique très volontariste de diminution de lanatalité telle qu’elle a été appliquée en Chine depuis plusieurs décennies : elle

n’a pas pu empêcher que la population passe malgré tout de 700 millions à 1,3milliards d’habitants. En l’absence de politique de diminution de la natalité,il est donc inéluctable que la population africaine augmente massivement aucours de ce siècle, provoquant malheureusement une nouvelle augmentationde la mortalité (par maladies, famines, guerres, etc.).

Les prévisions les plus solides conduisent à imaginer une populationmondiale autour de 9 milliards d’habitants en 2050, avec une certainestabilisation dans la deuxième moitié du siècle, ce qui veut dire qu’il faudraaccueillir au moins 1,1 milliard d’Asiatiques, 800 millions d’Africains et 400millions de Latino-Américains supplémentaires. La population européenne,elle, devrait diminuer (il ne reste plus que deux pays au-dessus du seuilde renouvellement de la population, l’Irlande et la France). Mais il estprobable qu’on assistera, malgré toutes les proclamations sur la fermeture

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Agriculture : la nouvelle donne mondiale 

des frontières, à une immigration massive, ne serait-ce que pour maintenir à peu près la population active.

On peut être optimiste et observer qu’on a fait beaucoup mieux auXXe siècle, lequel a démarré avec 1,8 milliard d’habitants et terminé avec6,3 milliards, soit 4,5 milliards d’habitants supplémentaires. Comme il y a àpeu près autant de gens qui ont faim aujourd’hui qu’il y a cent ans (autour de 850 millions), on a bel et bien réussi ce tour de force au XXe siècle denourrir 4,5 milliards de bouches en plus.

Mais on peut également être pessimiste, en observant que c’est le plus facile

qui a été fait (produire plus de nourriture avec beaucoup plus d’intrants :plus de terres, plus d’eau, plus d’énergie et plus de chimie) et que le défidu XXIe siècle va être beaucoup plus compliqué à relever : cette fois-ciil faudra produire plus avec moins : moins de terres, moins d’eau, moinsd’énergie et moins de chimie. On touche concrètement aux limites de laplanète, et il faudra beaucoup d’intelligence et de mobilisation collectivepour arriver à franchir le cap.

Beaucoup plus de gens qui mangent de la viandeSous toutes les latitudes et dans toutes les cultures, on observe un

phénomène absolument universel : quand des populations qui ont manqué denourriture pendant de nombreuses générations accèdent à un peu d’aisancematérielle, elles se précipitent pour acheter et consommer des sucres, desgraisses et d’une manière générale des produits animaux (viande, lait, œufs).C’est ce qui s’est passé en France au XXe siècle : depuis 1950, on est passé de

44 à 85 kilos de viande par an et par habitant, de 5 à 18 kilos de fromage,de 10 à 25 kilos de poissons, de 5 à 14 kilos d’huile. En revanche on adiminué de plus de moitié la consommation de pain et de pommes de terre.On observe désormais ce phénomène dans les classes moyennes des paysémergents, en particulier Chine (pour la viande) et Inde (pour le lait). Onparle là de centaines de millions de personnes. Et encore on n’a pas vu lepire : imaginons que les ouvriers chinois, qui peuvent maintenant mettre uneaile de poulet dans leur riz, se mettent en plus à consommer du fromage, etque les employés indiens, qui boivent davantage de lait, arrêtent de croireà la réincarnation et se mettent à manger aussi de la viande…

Il faut en moyenne 4 kilos de protéines végétales pour produire unkilo de poulet. Ce rapport est de 6 pour 1 pour le porc et de 12 pour 1

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Bruno PARMENTIER 

pour le bœuf 1. Les populations qui auparavant étaient bien obligées d’être végétariennes et qui deviennent carnivores augmentent donc très fortementles ponctions sur les ressources de la planète, en particulier surtout ce qui

 va manquer : terre, eau et énergie.

Si la surpopulation mondiale est un phénomène inquiétant, n’oublions pasun autre fait : la vraie surpopulation, c’est celle du bétail. Le poids cumulédes 1,4 milliard de bovins est actuellement supérieur à celui des 6,5 milliardsd’humains sur la planète. 80 % de l’alimentation animale provient de culturesqui conviendraient également à la consommation humaine : maïs, blé,soja, colza, etc. Les animaux d’élevage accaparent à eux seuls 44 % de la

production mondiale de céréales. Un végétarien consomme en moyenne 180kilos de grains par an et un consommateur de viandes 930 kilos par an.

Il est fort peu probable qu’on empêchera les classes moyennes du monded’acheter davantage de produits d’origine animale. La politique la plusréaliste consiste donc à accélérer autant que possible l’évolution naturelle,qui fait qu’après plusieurs générations d’abondance, de gâchis et d’obésité,les générations deviennent plus raisonnables et finissent par manger moins

de viande et plus de fruits et légumes, pour mincir à nouveau. On pourraitalors partiellement compenser l’augmentation de la consommation desclasses moyennes dans le tiers monde par une diminution de celle desclasses aisées du monde occidental. Mais on ne voit pas très bien quellespolitiques mettre en place pour accélérer le processus.

Un gâchis proprement scandaleux

Entre 10 % et 15 % des récoltes mondiales sont perdues, avec des pointesallant jusqu’à 50 % dans certaines zones. Dans le cas des céréales, les causessont multiples : perte de grains avant ou pendant la récolte, chute des tiges,pourrissement lors du stockage, attaque des oiseaux, des insectes ou desmoisissures, envol pendant le transport ou le battage, etc. Il y a là un énorme

1. Le cas des boeufs est plus complexe que celui des poulets ou des porcs, car la majoritéd’entre eux broutent l’herbe de champs qui peuvent difficilement servir à produire des

céréales, et on peut estimer qu’ils entretiennent ainsi la nature et les paysages. Il consommenteux aussi très souvent des compléments céréaliers, mais à raison en moyenne de 3 kg par kilo de viande. Donc vu sous cet angle, c’est finalement le meilleur rapport consommation-production, tant qu’on ne décide pas d’augmenter massivement la production. Car si on lefait, soit on va épuiser les pâturages et les transformer en désert (c’est ce qui se passe auSahel ou en Mongolie par exemple), soit on va revenir à une alimentation artificielle etdonc retomber dans un prélèvement de ressources planétaires insupportables… Mais par ailleurs ils ont une fâcheuse propension à sécréter et éructer du méthane quand ils ruminent

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ailleurs ils ont une fâcheuse propension à sécréter et éructer du méthane quand ils ruminent

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Agriculture : la nouvelle donne mondiale 

gisement à exploiter au XXIe siècle, sur le modèle de ce qu’ont par exempleréalisé les pays européens ; des investissements importants dans le stockagesont notamment indispensables dans de nombreux pays du Sud.

Mais les pays riches occidentaux et en transition ont également leurspropres problèmes de gâchis, qui se sont déplacés de la production vers laconsommation. Les quantités de nourriture jetées à la poubelle, à tous lesstades, sont phénoménales, depuis les supermarchés dont les salariés disentsouvent que « leur plus gros client, c’est la benne à ordure », jusqu’auxrestaurants et cantines dont les normes sanitaires empêchent de resservir lesrestes de nourriture, en passant par les particuliers. Depuis les récentes crises

sanitaires, il devient même de plus en plus difficile de récupérer les restesdes restaurants et autres boulangeries pour approvisionner les porcheries.

De plus, la tendance est à l’augmentation de la taille des portions servies,particulièrement aux États-Unis (les portions nord-américaines sont 30 à40 % plus abondantes que les portions européennes dans des restaurantscomparables), ce qui augmente à la fois l’obésité et la taille des poubelles. Il ya actuellement 850 millions de gens qui ont faim dans le monde, à comparer 

aux 1 100 millions de gens en surpoids (dont près de 400 millions sontobèses). Et ces chiffres augmentent très rapidement. Selon l’Organisationmondiale de la santé, l’obésité constitue la première épidémie non infectieusede l’histoire de l’humanité.

Sans oublier le poids considérable des emballages alimentaires (la plupartdu temps non consignables et peu recyclables), les kilomètres effectués en

 voiture pour aller faire ses courses au supermarché, et la fâcheuse habitude

prise par les Occidentaux de consommer de tout 12 mois par an. Manger des tomates en janvier, c’est d’abord manger du pétrole, soit celui qui a faitfonctionner l’avion qui les a livré depuis un pays du Sud, soit celui qui achauffé la serre près de chez nous. Tout cela représente un gaspillage qui

 va bientôt apparaître « d’un autre siècle ».

800 millions de nouveaux consommateurs

Comme on l’a vu ci-dessus, tant qu’on n’a pas trouvé de moyens efficaces destocker l’énergie ni d’énergie transportable alternative bon marché, la voracitédes 800 millions de véhicules, dont les propriétaires sont tous solvables,représentent une menace considérable d’augmentation de la demande deproduits agricoles. Si elle se concrétise, elle provoquera immanquablementdes conflits majeurs entre l’assiette des pauvres et le réservoir d’essence desriches Dans l’état actuel des techniques des agro-carburants de première

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riches. Dans l état actuel des techniques des agro carburants de première

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génération, 1 hectare de colza permet à une voiture diesel de rouler 25 000km et 1 ha de betteraves à sucre permet à une voiture à essence de rouler ledouble. Sans compter qu’il faut actuellement environ 1 tonne d’équivalentpétrole pour arriver à produire 3 tonnes d’équivalent diester ! Pour arriver à faire rouler toutes les voitures françaises aux agrocarburants avec lestechnologies actuelles, il faudrait y consacrer la totalité des surfaces agricolesdu pays. Mais alors que mangerions-nous ?

La première génération des agrocarburants, à base de céréales etd’oléagineux, représente donc une véritable erreur historique. On n’enpensait que du bien : ils allaient soutenir les cours défaillants, lutter contre

l’effet de serre, créer des emplois, contribuer à l’indépendance énergétiquenationale. Cruelle déception : ils provoquent des pénuries graves et ont uncoût écologique prohibitif, à tel point qu’on commence à se demander si,au bout du compte, ils n’aggravent pas l’effet de serre. On n’a durablementpas assez de céréales et d’oléagineux, et choisir d’en brûler dans les moteursne saurait représenter une solution durable.

Cette erreur est, toute proportion gardée, comparable à celle qui a conduit

au scandale des abattoirs de la Villette. Beaucoup de gens ont honnêtementpensé que pour garantir la sécurité alimentaire à Paris, il fallait y amener les animaux vivants et en bonne santé et les abattre sur place. À peinele gigantesque abattoir terminé, on s’est aperçu qu’il y avait une failledans le raisonnement, que les transports incessants et massifs d’animaux

 vivants présentaient eux-mêmes de nombreux risques sanitaires, et qu’il étaitpréférable d’abattre les animaux au plus près les élevages et transporter la

 viande dans des camions réfrigérés. Finalement, on a transformé cet abattoir 

en musée. Il est probable que nous devrons faire la même chose pour lesquelques usines de bioéthanol et de diester de la première génération ;heureusement, nous n’en avons pas construit beaucoup en Europe,contrairement aux États-Unis qui en ont, eux, réalisé 170. Comme nous le

 verrons plus loin, ce pays réserve ses excédents de maïs à la fabricationl’essence, au détriment du ravitaillement alimentaire du Mexique. Si lesEuropéens persistent dans cette politique, ils risquent de devenir égalementdes « affameurs de la planète ».

La feuille de route est simple en la matière : il faut trouver, sur le modèlede ce qui se passe au Brésil avec la canne à sucre, des plantes qui fournissentbeaucoup de biomasse en nécessitant peu d’énergie (donc probablement desplantes pérennes), qui consomment le moins possible d’eau (puisqu’elle vamanquer), et qui poussent ailleurs que dans les champs déjà utilisés pour produire de la nourriture (puisqu’il n’y en a pas assez) C’est le défi des

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produire de la nourriture (puisqu il n y en a pas assez). C est le défi des

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agrocarburants de deuxième génération, et on doit s’y investir rapidementet efficacement pour diminuer les délais annoncés de dix ans pour leur miseau point. Tenter d’accélérer le processus en mettant au point de nouvellesplantes par génie génétique semblerait indiqué.

Quelles nouvelles techniques pour satisfaire cette demande ?

Une bonne part des techniques agricoles productives qui sont appliquéesaujourd’hui, et qui ont permis de nourrir 4,5 milliards d’habitants de plus sur la planète, ont été inventées dans la deuxième moitié du XXe siècle, au cours

de ce qu’on a appelé la révolution verte. Les succès ont été remarquables etdurant les cinquante dernières années, la production agricole a été multipliéepar 2,6.

Malheureusement le progrès n’est pas un long fleuve tranquille, et onarrive au bout d’un cycle de plusieurs dizaines d’années d’augmentationde la productivité. Un champ de blé français a déjà progressé de 20 à 80quintaux à l’hectare en moyenne, et on ne voit pas très bien comment ces

mêmes techniques permettront dans les prochaines années de passer à 150quintaux à l’hectare. De même, on est passé de 2 à 3 000 litres/an de laitpar vache à 10 000, et on ne se voit pas passer à 20 000. Nettement plusgrave est la situation en Asie. La révolution verte y a accompli des miracleset permis d’approcher les 4 milliards d’habitants. Néanmoins la productivitéa recommencé à y stagner depuis une quinzaine d’années.

On n’est pas sûr que les progrès de la génétique conduisent à trouver 

des plantes qui produisent encore beaucoup plus. De plus, ces variétésà haut rendement se révèlent extrêmement sensibles : elles n’exprimentpleinement leur potentiel que lorsque les conditions optimales de température,d’humidité, de protection et de pratiques culturales sont réunies. Les excèsd’épandage d’engrais, d’herbicides, d’insecticides et de fongicides ont fini par polluer les terres, puis les nappes phréatiques, et poser de réels problèmesde santé humaine. La destruction d’une part importante de la biodiversité,la surexploitation des nappes phréatiques, la salinisation accélérée dessols, l’érosion puis la désertification des régions entières seront des priximportants à payer. Les changements climatiques font que ce qui était vraihier en matière de pratiques culturales risque de ne plus l’être demain.

La demande sociale de produits plus sains, plus variés, plus naturels etcontenant moins de produits chimiques, devient de plus en plus forte ; larupture de confiance entre les consommateurs urbains et les producteurs

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rupture de confiance entre les consommateurs urbains et les producteurs

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ruraux devient préoccupante. Les nourrisseurs de l’humanité ne peuventpas impunément prendre le risque de paraître ce qu’ils ne sont pas, desempoisonneurs.

Les solutions alternatives actuelles, type agriculture biologique sansaucun produit chimique, sont certes prometteuses, mais malheureusementnettement insuffisantes puisqu’elles ne produisent pas assez, dans unepériode où il devient crucial de produire davantage.

 Au total, le « cocktail technologique » actuel ne pourra probablementpas nourrir correctement 9 milliards d’habitants. Et encore moins répondre

en plus à toutes les autres demandes désordonnées de la société : stocker le carbone, régénérer l’eau et l’air, produire de l’énergie et des matièrespremières industrielles, entretenir une campagne accueillante, etc.

Une nouvelle agriculture écologiquement intensive

On a donc un besoin urgent d’une nouvelle révolution agronomique« doublement verte », et d’une agriculture « écologiquement intensive ». L’idée

de base et qu’il faut remplacer rapidement la plupart des apports artificielspar des apports naturels, faire faire par les plantes et les animaux auxiliairesde culture ce qu’autrefois on confiait à la machine et à la chimie.

Les progrès attendus sont immenses, et il convient pour cela de dépasser les clivages actuels entre ceux qui veulent produire mieux et ceux qui

  veulent produire plus, les deux restant malheureusement largementantinomiques jusqu’à aujourd’hui : la quasi-totalité des agriculteurs qui

passent à l’agriculture biologique produisent moins. Ce qui était une qualitélorsque, très provisoirement, on avait trop de production en Europe, devientproblématique alors même que les pénuries s’installent dans le monde. D’unautre côté, l’agriculture dite productiviste n’a pu vraiment se développer,comme la plupart des techniques du XXIe siècle, que parce qu’elle a privatiséla production et socialisé ses inconvénients en termes d’environnement oude santé publique.

Deux grandes cultures intellectuelles doivent trouver maintenant lesmoyens de travailler ensemble : celle des agronomes, culture de l’action, etcelle des écologues, culture de l’observation. Il faut à la fois comprendre etagir, pour trouver les clés de l’agroécologie, qui permettra de produire à lafois plus et mieux, avec moins. Il faut également dépasser le clivage entreles chercheurs et les agriculteurs pour fonder une nouvelle recherche dans

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le dialogue local entre les théoriciens et les praticiens. Au total, une triplealliance entre les sciences agronomiques, sociales et écologiques.

Parmi les pistes à explorer, toutes celles qui permettent d’améliorer naturellement la fertilité des sols, ce qui va bien au-delà de retourner lessols avec des charrues de plus en plus agressives. Il est même probable qu’on

 va labourer de moins en moins, puisque cette technique n’est plus réellementadaptée au XXIe siècle (elle consomme beaucoup d’énergie, expose les

 vers de terre à la voracité des oiseaux, tasse les sols, favorise l’érosion etla remontée des pierres à la surface, offre les restes d’engrais aux vents del’automne et les transforme en gaz à effet de serre, etc.). Il faudra apprendre

à tirer le meilleur parti des vers de terres, des bactéries, des champignons,de l’humus, et de tout ce qui peut améliorer la fertilité des sols.

Une autre idée consiste à dire que nous n’avons plus les moyens degâcher les rayons du soleil qui arrivent sur une terre nue ; on doit tous lesfaire capter par des feuilles qui les utilisent pour stocker du carbone par le biais de la photosynthèse ; on fait déjà deux récoltes par an dans lespays tropicaux, il faut absolument en faire deux également dans les pays

tempérés : une l’hiver pour nourrir la terre avec des plantes qui fixent enparticulier le carbone et l’azote, permettant ainsi d’économiser des engrais,et une l’été pour nourrir les hommes.

 Autre tendance, l’exploration systématique de toutes les associations de variétés et d’espèces différentes sur un même champ, de façon à nourrir et protéger les plantes de façon plus naturelle, dont les systèmes agro-forestiers qui associent certaines espèces d’arbres permanents avec des

cultures annuelles. L’idée est de combiner de façon optimale différentesfonctions spécifiques de certaines plantes : pompage des éléments nutritifs,fixation de l’azote, répulsion des insectes, résistance aux maladies, accueildes auxiliaires de cultures, résistance au vent, conservation de l’humidité,enrichissement du sol, etc.

Tout ce qui permettra d’économiser l’eau et de l’utiliser au maximumpendant toute l’année, sera également le bienvenu, ainsi que les techniquesindispensables de drainage : travaux et couvertures des sols, techniquesd’infiltration, de captage et de stockage, utilisation de variétés moinsgourmandes en eau, etc.

Il faudra également faire des progrès décisifs dans le contrôle moinsagressif des maladies et des ravageurs. Les techniques de lutte biologiques

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ont été très largement délaissées au profit des techniques de lutte chimique.Il est temps d’inverser les priorités.

Le programme est vaste. Il s’agit d’un effort collectif volontariste etdurable comparable à celui qu’ont fait les Américains et les Russes pour gagner la course à la lune. Il reste à espérer que les crises alimentaires desannées 2007 et 2008 auront suffisamment frappé les esprits pour mettre ceprogramme de recherche et d’expérimentation au coeur des stratégies desdifférents gouvernements, en particulier en Europe. L’avenir de l’humanitéest certainement encore plus dépendant du succès de ce programme que decelui des recherches en informatique, électronique et télécommunication.

Mais il faudra aussi changer d’état d’esprit et non plus chercher une seule

solution valable pour tous, mais un éventail de solutions, chacune valable

micro-localement, au niveau du village voire même du vallon ! Une agriculture

ultra diversifiée, localisée, à très grande intensité intellectuelle locale.

Des progrès possibles grâce à la maîtrise de la génétique

Le défi qui est posé pour nourrir l’humanité au XXIe siècle est tellementgrave et important, qu’il paraît fou de se priver de l’un des progrèsdéterminants du XXIe siècle la maîtrise plus complète de la génétique.Cette science est vieille comme l’humanité. Elle se base sur la sagessepopulaire « bon sang ne saurait mentir ». Elle a conduit par sélectionssuccessives à améliorer considérablement les variétés et les races, tant enmatière végétale qu’animale.

Le tournant du XXIe

siècle, c’est la compréhension de ces phénomènesà partir du décryptage du génome. On ne se contente plus de constater que telle variété végétale ou telle évolution d’une race animale est plusproductive, on commence à comprendre pourquoi. Il devient alors tentantde sélectionner les seuls individus qui possèdent le gène recherché pour sesqualités intrinsèques, puis de transférer ce gène à un groupe d’individusde façon à obtenir un ensemble homogène possédant la caractéristiquerecherchée. On en est au tout début de cette science, et les premiersorganismes génétiquement modifiés du début du XXIe siècle feront souriredans 50 ans, lorsqu’il y en aura des milliers utilisés couramment.

Croire que quelques gènes sauveront l’humanité semble simpliste à l’heureoù tout va devenir plus complexe, plus diversifié, plus adapté aux conditionsécologiques locales. Les réponses aux défis que posent l’alimentation à

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l’échelle mondiale ne peuvent être que locales et multiples et toute réponseglobale et unique devient par nature suspecte.

Mais croire qu’on peut se passer d’un pan entier de la science pour alimenter 9 milliards d’habitants en 2050 semble tout aussi angélique. Sil’on trouvait des plantes qui poussent en consommant moins d’eau parceque, comme celles qui arrivent à pousser dans le désert, elles ferment leursstomates et arrêtent de transpirer lorsqu’il fait trop chaud, cela pourraitreprésenter un progrès décisif pour l’humanité, surtout en cette périodede réchauffement climatique. De même si l’on augmente la résistance decertaines plantes au froid, au chaud, à l’altitude, au sel, à l’eau stagnante,

au pourrissement. Ou si l’on trouvait des plantes plus riches en protéines,en vitamines, en antioxydants, en oméga 3, en acides aminés, etc., ou quicontiennent moins d’éléments allergènes ou difficiles à digérer. Ou desplantes qui fourniraient de l’énergie à bon compte pour nos voitures, etc.Les champs de recherche sont immenses.

On voit ainsi que les deux applications des premiers OGM mis sur lemarché – la résistance à un herbicide et la répulsion de certains insectes –

seront certainement marginales à l’horizon 2050, sans compter qu’il s’agitd’OGM à fonction destructive (mort d’insectes ou de mauvaises herbes), etdonc chargés symboliquement pour ceux qui les mangent. La plupart desdécouvertes à venir devraient concerner des progrès perçus comme positifspar les agriculteurs et les consommateurs, des « OGM de vie ».

Se décourager sur la base des premiers OGM, certes imparfaits, et del’environnement social, juridique et économique imposé par la première

entreprise qui s’est lancée dans cette activité semble velléitaire. De même quel’informatique a démarré sa vie dans un modèle plus ou moins militariste etdirigiste dont le représentant principal était une grosse société américaine(IBM) avant que ce modèle n’explose, la recherche sur les OGM a été marquéepar les conditions de son démarrage par une grande société privée américaine(Monsanto) à laquelle les pouvoirs publics américains ont tout passé :laxisme juridique avec la privatisation du vivant et des homologations sur la foi d’essais non indépendants et non contradictoires, protection de la

 justice contre toute velléité d’action indépendante des agriculteurs etc. Les Américains continuent sur le modèle qui avait été théorisé il y a quelquesdécennies par le slogan « ce qui est bon pour la General Motors est bonpour les États-Unis » (et, sous-entendu, pour le reste du monde). Ils n’ontfait que remplacer General Motors, un peu démodé, par Monsanto, plusmoderne !

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L’autre grand pays agricole mondial, la Chine, s’est aussi lancé dans cettecourse à la connaissance, avec ses propres valeurs et ses propres habitudes

 juridiques, sociales et économiques du type « parti communiste », sansgrande transparence non plus.

L’Europe a donc son mot à dire sur ce dossier, différent de ceux desÉtats-Unis et de la Chine, avec ses valeurs, ses priorités, sa manière de faire,et son environnement juridico-socio-économique ; il est temps qu’elle lefasse, au lieu de se contenter de réagir à l’action des autres. En particulier en lançant des grands programmes de recherche publics ou financés par le public, sur des priorités débattues démocratiquement, avec son propre

équilibre entre innovation et précaution, et avec une autre politique quecelle de la privatisation du vivant…

Quelle organisation efficace du monde agricole

et alimentaire ?

Il ne suffit pas de produire, encore faut-il être bien organisé pour quela nourriture produite dans le monde arrive régulièrement et à un prixacceptable à tous les consommateurs, où qu’ils habitent.

Historiquement, la plupart des grands pays sont intervenus pour réguler les marchés alimentaires, au moins dans les grandes villes, pour compenser les aléas de la production due aux conditions météorologiques ou sanitaires(le prix du pain à Paris a été fixé par le gouvernement de 1268 à… 1986).

Les foules révolutionnaires qui partent chercher à Versailles, en 1789 etpleine disette, « le boulanger, la boulangère et le petit mitron » montrent àquel point, pour le peuple, le premier rôle du roi, sa principale légitimité,était de fournir du pain au peuple.

 À première vue, c’est en développant les campagnes et l’agriculture qu’ona le plus de chances d’approvisionner régulièrement les villes. Mais à la findu XXe siècle où le prix des transports a fortement chuté, compte tenu dela proximité de la plupart des capitales et métropoles des grandes voies decommunication terrestres ou des ports, et au vu de la constante incertitudeconcernant les récoltes, nombre de responsables politiques trouvent plussimple de s’approvisionner sur le marché mondial, qui est souvent nettementmoins cher que le marché local. D’autant plus qu’ils en profitent pour prélever sur ce commerce des ressources, publiques ou privées.

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Du volontarisme au libéralisme en matière agricole

 Après la Seconde Guerre mondiale, en même temps qu’on installe lesNations unies à New-York, on installe à Rome la FAO (Food and AgricultureOrganisation), chargée de prévenir la guerre en faisant en sorte que chacunpuisse manger à sa faim, tellement il paraissait évident que les deux allaientde pair.

Plus tard, on a assisté à un transfert de la responsabilité de l’organisationde l’agriculture mondiale de la FAO à l’Organisation mondiale du commerce(OMC). La théorie sous-jacente était que ce qui avait bien marché dans

l’industrie (privatisation, libéralisation des échanges et spécialisation dechaque pays là où il a le plus d’avantages comparatifs) devait égalementmarcher dans l’agriculture.

 Apparemment, la formule était magique : le retour à une concurrenceouverte ne pouvait que tirer vers le bas les prix mondiaux des produitsalimentaires. Cela devait permettre aux urbains des pays pauvres d’acquérir de la nourriture, réduisant sensiblement le problème de la faim dans le

monde. Les agricultures compétitives prospéreraient, et les paysans du tiersmonde vendraient mieux leur production, qui serait moins concurrencée par les produits subventionnés des pays occidentaux. Le marché unique devaittout régler, beaucoup mieux que l’action désordonnée et contradictoire desdifférents gouvernements.

Physiquement, les experts des grandes institutions financières se sontdonc retirés des campagnes du tiers monde, en particulier des campagnes

africaines. Ils les fréquentaient beaucoup dans la période de la décolonisation,où l’on avait l’impression que la dynamique de l’indépendance rendaittout possible. On avait alors lancé dans les années 1950 à 1970 de grandsprogrammes de développements ruraux sur la base de la révolution verte. Cesprogrammes ont donné des résultats positifs en Asie et plus ponctuellementen Afrique (périmètres irrigués, net accroissement de la production et de laproductivité du travail dans certaines zones cotonnières grâce à la tractionanimale et à des crédits d’équipements). Toutefois, sans prendre en compteque le développement rural demande de la persévérance et que chaqueétape se mesure en décennie(s), et sans suffisamment chercher à corriger leserreurs commises, le changement d’orientation des années 1980 et 1990 aconduit à réduire drastiquement les prérogatives des États africains et à nelaisser sur le front du développement rural que des ONG, fonctionnant avecdes financements limités et de courte durée (3 à 5 ans) et changeant tropfréquemment d’orientation au gré des modes de leurs bailleurs de fonds

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fréquemment d orientation au gré des modes de leurs bailleurs de fonds.

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Les experts de ces mêmes institutions ont demandé aux États de réduirefortement les programmes de soutien au secteur rural, arguant du fait qu’ilsétaient inefficaces et engendraient fonctionnarisation, bureaucratisationet corruption, et que le modèle de développement asiatique centré sur l’industrie et les services fonctionnait mieux. Chaque fois qu’un pays avaitdes difficultés pour rembourser sa dette, le Fonds monétaire internationalet la Banque mondiale ont fait de ce désengagement une condition de leursaides : arrêt du soutien à l’agriculture vivrière, coûteuse et qui ne rapporterien ; les seuls soutiens acceptés étaient ceux dirigés vers les productionsexportables tropicales et donc sans concurrence au Nord (café, cacao,arachide, coton, etc.), qui devaient permettre d’obtenir des devises, et donc

de rembourser les dettes.

Le cycle a duré plusieurs dizaines d’années. On continuait à avoir faimsur la planète, mais essentiellement dans les campagnes silencieuses (il ya autant de personnes malnutries en 2008 qu’un siècle plus tôt, en 1900,soit 850 millions de personnes, mais elles vivent sans faire de bruit à lacampagne et sont devenues minoritaires à l’échelle mondiale). L’ensemblede la population des pays riches se nourrissait, ainsi que la majorité des

populations des grandes villes du tiers monde (en partie grâce aux excédentsagricoles vendus à bas prix).

Du coup, trois phénomènes – excédents agricoles dans un certain nombrede régions comme l’Europe, les États-Unis, l’Australie, le Brésil ; baisse desprix sur les marchés internationaux ; croissance asiatique – ont occulté tousles autres et en particulier les phénomènes émergents comme la croissancede la demande alimentaire en Asie, l’épuisement des ressources naturelles, la

dégradation du climat sur la planète, la fin des effets de l’actuelle révolutiontechnologique agricole.

Mais cette situation était fragile car elle reposait sur la capacité durabled’un certain nombre de pays à produire des excédents bon marché, etsur la capacité à transporter de façon sûre et peu onéreuse d’énormestonnages de produits périssables à travers le monde. De plus, nourrir les

 villes de cette façon, c’est aussi indirectement grossir les bidonvilles oùarrivent les paysans ruinés, obligés de quitter leurs champs pour s’approcher physiquement des sources d’approvisionnement. Le phénomène s’estemballé avec la croissance démographique : on a ainsi constaté que plusla population d’un pays est importante, moins celui-ci importe de grainspar habitant (car il n’a plus d’argent), mais plus il privilégie le marchémondial par rapport au marché local. Seuls subsistent alors les producteurs

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de fruits et légumes autour des villes, les produits frais restant difficiles àtransporter massivement d’un continent à l’autre.

De plus, le commerce international des produits alimentaires ne porteactuellement que sur 15 % de la production mondiale et moins de 10 %des échanges de marchandises dans le monde (de l’ordre de 700 milliardsde dollars en 2003 sur un total estimé d’environ 7 500 milliards de dollars).Les céréales, produit indispensable et des plus échangé dans le monde,ont été exportées en 2004 à hauteur de 275 millions de tonnes, sur uneproduction totale de 2 200 millions de tonnes. En cas de problèmes, les paysexportateurs commencent par garder pour eux leur production et sacrifient

d’abord la petite part qu’ils exportent (c’est ce qu’on a vu en 2008 avec lesinterdictions d’exporter qu’ont édicté plusieurs pays producteurs de riz).Les pays qui ont négligé les agriculteurs et sont devenus très dépendantsdes importations se retrouvent donc du jour au lendemain avec des villesaffamées, et des émeutes de la faim.

Le Gabon importe 86 % de ses céréales et l’Algérie 82 %. Recréeront-ilsune agriculture lorsqu’ils n’auront plus de pétrole pour payer ? Et que penser 

de la situation de pays à très faibles ressources comme Haïti, qui importe70 % de ses céréales, le Sénégal (61 %) et la Colombie (56 %) ?

Le Sénégal, par exemple, a laissé chuter sa production céréalière de 20 %entre 1995 et 2002, alors que ses importations de céréales progressaientde 68 %. Il achète à bas prix de la brisure de riz thaïlandaise, ce qui ruineles riziculteurs de la région du fleuve Sénégal, lesquels ne bénéficient pasdes mêmes conditions climatiques ni de production (résultat : en 2005,

la production nationale n’a atteint que 200 000 tonnes, contre 900 000importées). Il importe également du blé – largement subventionné – enprovenance de l’Union européenne et des États-Unis. Les Sénégalais ontainsi changé leurs habitudes alimentaires et consomment de plus en plus depain ou autres produits alimentaires issus du blé, alors que leur climat neleur permettra jamais d’en produire de façon significative. La dépendancede l’étranger ne cesse de croître, dans un pays dont la vocation industrielle,qui permettrait de générer durablement des devises pour importer une partiede ses produits alimentaires, semble bien hypothétique.

Le Mexique, qui a signé l’accord de libre-échange avec les États-Uniset le Canada, a bénéficié d’un développement important de son industriede montage (usines dites « maquiladoras »). Ce pays exporte à lui seuldavantage que l’ensemble des autres pays latino-américains et à hauteur de89 % vers les États-Unis Le commerce entre ces deux pays représente à lui

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89 % vers les États Unis. Le commerce entre ces deux pays représente à lui

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tout seul 10 % de l’ensemble des échanges internationaux du monde. Maisdu côté de l’agriculture, les choses se sont déroulées bien différemment.La productivité du travail agricole est 18 fois plus forte aux États-Unis,les conditions climatiques et de sols y sont nettement plus favorables etles rendements moyens du maïs quatre fois plus élevés. Sans compter quel’agriculture mexicaine est deux fois moins subventionnée que l’américaine(en 2000, le secteur du maïs américain a reçu 10 milliards de dollars desubventions, soit dix fois la totalité du budget agricole du Mexique). Quand,début 2007, les États-Unis ont décidé de consacrer leurs surplus à fabriquer de l’éthanol pour leurs voitures au lieu de l’exporter (le Mexique achète30 % de son maïs chez son voisin) les prix de la tortilla, galette de maïs à

la base de l’alimentation mexicaine, ont augmenté de 50 %, et le niveaude vie de l’ouvrier mexicain a baissé d’un seul coup de 18 %.

On voit bien que les émeutes qui ont touché plus de 30 pays dans le mondedébut 2008 ne sont pas un phénomène ponctuel isolé mais la conséquenced’une stratégie d’organisation mondiale de l’agriculture dont le moins qu’onpuisse dire est qu’elle était très risquée. Il est urgent d’en changer, et par exemple de remettre en selle la FAO au détriment de l’OMC.

Pour développer l’agriculture il faut la soutenir et la protéger

La quasi-totalité des grandes agricultures du monde s’est développéeà l’abri de frontières soigneusement contrôlées et de politiques publiquesd’aide à la modernisation de la production agricole et de régulation desmarchés. En particulier pour trois des plus grandes agricultures du monde,celles de la Chine, des États-Unis et de l’Europe.

En fait, ce que l’on a nommé « politique agricole » a d’abord été partout une« politique de l’alimentation ». Méprisés à toutes les époques et sous toutesles latitudes, les paysans n’ont guère été au cœur des préoccupations des roisni des gouvernements républicains, même s’ils furent un temps majoritairesdans le corps électoral. Et lorsqu’on se préoccupait d’alimentation, c’étaitsurtout de celle des citadins, dont la possibilité d’un soulèvement représentaitun vrai danger. Le souci de l’alimentation est donc à la base des politiquesde sécurité collective. Dans les périodes de vaches grasses, on a souventobservé les pays négliger leur agriculture en comptant davantage sur lesimportations (par exemple l’Europe coloniale), alors que chaque crise estsuivie rapidement d’une nouvelle politique agricole, par exemple en Europeaprès 1929 ou 1945.

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Beaucoup des débats qui ont agité à la fois le monde et l’Europe depuisplusieurs dizaines d’années tournaient autour de l’opportunité et lesconditions de ces aides à l’agriculture. On en était venu, comme on l’a vuplus haut, à préconiser l’abandon pur et simple des soutiens. La crise de2007-2008 risque de remettre en perspective ces débats. Au XXIe siècle, iln’y a rien de plus urgent et le plus important que l’indépendance alimentaire,et pour cela, le libéralisme apparaît relativement inadapté.

On peut observer que dans cette crise de 2008, les pays qui ont soutenuleur agriculture mangent tous, alors que pratiquement tous les pays quiont connu des émeutes de la faim sont des pays où on avait arrêté de la

soutenir. Le soutien à l’agriculture, c’est comme l’assurance, ça ne coûtecher que quand tout va bien ; lorsque le pépin arrive, on est bien contentde s’être assuré !

Il n’est plus temps de disserter sur l’arrêt des soutiens aux agricultures,il faut au contraire généraliser ces soutiens, et dans chaque cas et soustoutes les latitudes, réinventer de nouvelles politiques de soutien adaptéesà la situation locale, même si leurs principales caractéristiques resteront

constantes, derrière les particularités locales.

Les agriculteurs ont besoin d’une politique d’assurance face aux troisgrands risques climatiques, sanitaires, et financiers. Le pays qui n’aide pas sesagriculteurs après une sécheresse ou une inondation catastrophique risquede les voir regagner les grandes villes et cesser purement et simplement leur activité. Il en serait de même en cas d’épidémie nécessitant par exemplel’abattage des troupeaux. Les dégâts provoqués par une chute brutale des

cours mondiaux, sur lesquels la plupart des cours intérieurs sont alignés, sontde même ordre : ruine des agriculteurs et expansion rapide des bidonvilles.Les risques et les enjeux liés à ce type d’événement sont tels que les systèmesd’assurance privés ne suffisent pas, même dans les pays riches. A fortioriévidemment dans les pays, très nombreux, où les agriculteurs vivent dansune grande pauvreté et pour lequel le moindre incident les fait basculer dans la faim.

Les agriculteurs ont également besoin d’investir (matériels, produitschimiques, semences sélectionnées, formation aux nouvelle techniques,etc.) et de bénéficier d’investissements collectifs (en particulier l’hydrauliqueet la communication). Le simple jeu des forces du marché ne suffit pasà généraliser ces investissements, et l’action des pouvoirs publics estindispensable et décisive en la matière. On a vu dans de nombreux cas quele simple micro crédit peut aussi transformer une région entière

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le simple micro crédit peut aussi transformer une région entière.

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Bruno PARMENTIER 

Les consommateurs ont besoin, eux, d’avoir un approvisionnementrégulier et bon marché. Cela passe également souvent par des systèmesde régulation des marchés et de contrôle des importations, mais aussi desubventions données au maillon le plus faible. Ce dernier est très souventl’agriculteur local, mais il peut aussi être le distributeur ou l’importateur,

 voire le transformateur puisqu’une part croissante de l’alimentation dumonde provient de produits transformés et non plus de produits bruts del’agriculture.

Les consommateurs ont également besoin d’une politique de santépublique, qui les protège en amont de façon à ce qu’ils ne mangent pas de

produits nocifs pour leur santé. Des contrôles sanitaires à tous les maillonsde la chaîne alimentaire restent absolument indispensables. Et il y amalheureusement bien peu de pays sur la planète qui disposent d’un corpsnombreux et compétent de vétérinaires non corrompus ! De plus, un des plusgrands fléaux de la planète est actuellement le développement de l’obésité, etles gouvernements ne peuvent plus s’abstenir d’agir sur ce terrain. Enfin lademande sociale de produits sains permettent de vivre longtemps en bonnesanté est en forte croissance ; pour la satisfaire, l’intervention publique

restera longtemps nécessaire.

Une politique d’aménagement des territoires s’avère tout aussi nécessaire.Pour prendre un exemple caricatural, si l’on veut pouvoir skier dans les

 Alpes ou se promener dans le Massif central, il faut y maintenir uneactivité d’élevage, forcément beaucoup moins rentable qu’en Normandie.La répartition homogène de l’agriculture sur l’ensemble du territoire nécessitede mettre en place une politique de compensation entre les coûts moyens de

production des zones de plaines riches et les zones de montagnes isolées.

Une politique de contrôle de l’environnement nécessite également l’actiondes pouvoirs publics pour compenser la tendance naturelle des marchés àproduire davantage et moins cher au détriment de la planète. Si on veutencore de l’eau potable, de la biodiversité, des paysages, etc., il faut mettreen oeuvre les politiques incitatives ou réglementaires qui vont avec.

On voit bien que les défis énormes de l’époque n’indiquent pas qu’il faillearrêter d’investir dans l’agriculture mondiale. Bien au contraire, il n’y a riende plus urgent que de réorienter les priorités des différents gouvernements enfaveur d’un soutien résolu à l’agriculture, aux agriculteurs et à la rechercheen agriculture. Quitte à refermer des frontières pour que chaque granderégion du monde puisse se nourrir avec une certaine sécurité.

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Agriculture : la nouvelle donne mondiale 

Mettons en place simultanément un nouveau plan Marshall pour développer l’agriculture vivrière dans les pays du Sud, en particulier africains, et un plan de recherche aussi ambitieux que celui de la conquêtede la lune, pour inventer et mettre en place une agriculture à haute intensitéenvironnementale.

Résumé

En 2007, plusieurs facteurs ont amené une prise en considération de la question alimentaire

  jusqu’ici délaissée, notamment en Occident : catastrophes climatiques, hausse des prix 

agricoles et du pétrole, effritement croissant de la superficie des terres arables malgré la

 forte augmentation de la population mondiale, stress hydrique, modifications des habitudes

des consommateurs, gâchis alimentaire, etc. Ces déterminants vont amener des changements

 profonds dans la future gestion de la question agricole. Par conséquent, pour relever ces défis,

Bruno Parmentier propose une révolution verte, basée sur la nature et la génétique, amenant 

une agriculture écologiquement intensive. Concomitamment, une nouvelle régulation mondiale

de l’agriculture est nécessaire visant à mieux la soutenir et la protéger.

Abstract

In 2007, food issues that have been put aside must be taken again into account due to several  factors: climate disasters, agricultural products as well as oil price increase, decrease of 

available cultivable areas in spite of population growth, water stress, changes in consumer diets,

 food waste... These factors will lead to profound changes in the future agricultural management.

To face the challenges of this situation, Bruno Parmentier suggests a green revolution, based

on nature and genetics, leading to an ecologically-intensive agriculture.

Pour aller plus loin sur l’agriculture

Bruno Parmentier, Nourrir l’humanité, les grands problèmes de l’agriculture mondiale au

 XXI e siècle, La Découverte, 2007, prix Terra 2008.Michel Griffon, Nourrir la planète, Odile Jacob, Paris, 2006.La leçon inaugurale prononcée à l’ESA d’Angers par Michel Griffon fin 2007 et éditée par legroupe ESA sous le titre : Pour des agricultures écologiquement intensives et des territoires

à haute valeur environnementale est le premier ouvrage significatif sur l’agriculture à hauteintensité environnementale de l’après Grenelle de l’environnement.Bernard Chevassus au Louis, Biodiversité, un nouveau regard et Refonder la recherche

agronomique, leçon inaugurale du groupe ESA, 2006.Edgard Pisani, Une politique mondiale pour nourrir le monde, Springer 2008Edgard Pisani, Un vieil homme et la terre, Seuil, 2004,

Edgard Pisani, Le monde pourra-t-il nourrir le monde, et l’Europe garder ses paysans ?, leçon inaugurale du groupe ESA 2004.Philippe Collomb, Une voie étroite pour la sécurité alimentaire d’ici à 2050.

Et, plus généralement sur la planète...

Lester R. Brown, Le plan B, pour un pacte écologique mondial, Calmann-Lévy, 2007.G iè F 2030 l K h é l i G t 2008

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Geneviève Ferone 2030 le Krach écologique Grasset 2008

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DOSSIER | LA FINANCE INTERNATIONALE EN ÉBULLITION

Wall Street et le reste des places boursières de la planète dé-vissent depuis la fin de l’été. En cette fin d’année 2008, la crisedes subprimes et l’effondrement de l’empire bancaire améri-cain dessinent une nouvelle géopolitique internationale.

La crise est internationale, mais contrairement aux discourspar trop optimistes, le tsunami financier guette d’abord lavieille Europe. Comprendre les ressorts de la crise pour dé-celer les fractures stratégiques, tel est le contenu de cettelivraison de Géoéconomie.

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GÉOÉCONOMIE n°46 | Le krach agricole

Dans une économie mondialisée, l’alimentation est devenue une arme au service de la puissance et de l’influencedes États. Ce numéro revient sur les mutations de l’industrie agricole, plus que jamais au coeur des grands enjeuxéconomiques.

GÉOÉCONOMIE n°45 | Guerre économique. Débat, réalité et perspectivesPour conquérir des marchés extérieurs, protéger leurs sphères dinfluence, élaborer des normes, les États et les

entreprises s’affrontent désormais à visage découvert. Influence , lobbying, déstabilisation par l’information, l’élanmondialiste a accouché de nouvelles pratiques. Ce numéro se penche sur un nouvueau courant d’analyse : la guerreéconomique.

GÉOÉCONOMIE n°44 | Développement durable, les vrais enjeux.Alors que vient de s’achever le « Grenelle de l’environnement », Géoéconomie revient et discute de sujets aussi

essentiels que la lutte internationale contre le dérèglement climatique, la responsabilité sociale des entreprises, le

commerce international équitable ou encore les énergies renouvelables.

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