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EPS INTERROGE HISTOIRE GEORGES DUBY PROFESSEUR AU COLLEGE DE FRANCE Le Médiéviste Georges Duby suggère que les traits dominants delà « mentalité sportive » d'aujourd'hui trouvent quelques ressemblances avec les comportements et attitudes des Chevaliers du XII e siècle. Le sport, généralement identifié à partir d'une rupture historiquement datée, la révolution industrielle anglaise, aurait forgé certaines de ses dispositions dans une plus « longue durée : au sein de l'histoire humaine. Georges Duby ne nous engage-t-il pas dès lors à étudier le sport, non seulement à partir de développements événementiels ou de périodes temporellement datées, mais également dans ses rapports de continuité avec cette histoire qui se transforme lentement, presque insensible aux turbulences des événements quotidiens ? EPS Interview préparée et réalisée par J.-M. Mehl, Maître de conférence en histoire à la faculté de Strasbourg. G. Vigarello, Professeur en Sciences de l'Education à la faculté de Paris. J. Collot-Laribe, pour la Revue EPS. 6 Revue EP.S n°202 Novembre-Décembre 1986 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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EPS INTERROGE

HISTOIRE

GEORGES DUBY PROFESSEUR

AU COLLEGE DE FRANCE

Le Médiéviste Georges Duby suggère que les traits dominants delà « mentalité sportive » d'aujourd'hui trouvent quelques ressemblances avec les comportements et attitudes des Chevaliers du XIIe siècle.

Le sport, généralement identifié à partir d'une rupture historiquement datée, la révolution industrielle anglaise, aurait forgé certaines de ses dispositions dans une plus « longue durée : au sein de l'histoire humaine.

Georges Duby ne nous engage-t-il pas dès lors à étudier le sport, non seulement à partir de développements événementiels ou de périodes temporellement datées, mais également dans ses rapports de continuité avec cette histoire qui se transforme lentement, presque insensible aux turbulences des événements quotidiens ?

EPS

Interview préparée et réalisée par J.-M. Mehl, Maître de conférence en histoire à la faculté de Strasbourg. G. Vigarello, Professeur en Sciences de l'Education à la faculté de Paris. J. Collot-Laribe, pour la Revue EPS.

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DES TOURNOIS AU SPORT MODERNE... EPS - « Championnat », « saison spor­tive », « match », « équipe », etc., sont des termes qui reviennent souvent dans votre dernier ouvrage « Guillaume le Maré­chal ». S'agit- i l d'une simple concession de style ou d'une volonté affirmée de mettre en parallèle les exercices militaires du Moyen Age et les sports contempo­rains ? En un mot, peut-on parler de sport au Moyen Age ? On connaît la réponse plutôt négative des spécialistes du sport contemporain (historiens ou sociologues). Quelle est celle du médiéviste ? Georges Duby - C'est très volontairement que j 'ai choisi le vocabulaire de « l'équipe », à un certain moment, pour décrire les tournois. Parce qu'il y a dans mon esprit un parallélisme évident, peut-être une filiation, allez savoir ! avec des différences bien sûr, mais il y a quand même des rencontres qui sont tout à fait saisissantes. J'ai surtout souli­gné le fait que ces matches avaient le même caractère qu'aujourd'hui comme polarisant une conscience nationale, une volonté de défendre les couleurs de son propre pays. J'ai parlé d'équipes qui étaient constituées par des représentants de certaines formations politiques de l'époque, des équipes qui portaient la gloire de ces formations. Elles étaient constituées comme aujourd'hui par des gens qui n'étaient pas forcément du pays, mais qui jouaient sous la banière de celui qui représentait cette patrie. C'est une équivalence qui me paraît tout à fait importante. Je pense aussi qu'il y a une autre raison peut-être plus pro­fonde, c'est que le tournoi finalement s'est développé dans une époque où les Etats commençaient à avoir assez de force pour discipliner le désordre. Ils ont été une façon d'encadrer la turbulence, la véhémence corporelle de la « jeu­nesse », comme on disait à cette épo­que ; c'est-à-dire de ces hommes de guerre, adultes mais non mariés, non installés, et qui constituaient un facteur de troubles, d'insécurité, de désordre à l ' intérieur de la société. Lorsqu'on voit par exemple le Comte de Flandre au début du XII e siècle emme­ner tous les étés la Chevalerie de son pays pour des rencontres amicales, c'était pour lui une façon d'abord d'exal­ter la gloire de la Flandre, on revient à la première proposition que je faisais tout à l'heure, mais c'était aussi une façon de débarrasser la Flandre des trublions. Voilà donc deux équivalences à peu près évidentes. Il y en a d'autres : le fait que ces rencontres étaient réglées, qu'il y avait une périodicité, et une publicité.

La différence tient au public et il est difficile de se le représenter à partir des textes. Il n'était sans doute pas aussi nombreux que ceux que l'on rassemble dans les stades aujourd'hui. Pour des raisons, je crois, essentiellement prati­ques, le terrain n'avait pas de limites précises et l'on ne pouvait pas, par conséquent, y installer de larges tribu­nes. En fait, il y en avait, car des femmes sont là comme spectatrices ; on voit également des non combattants, c'est-à-dire des gens des villes ou des paysans qui sont là comme spectateurs.

EPS - Est-ce qu'on a une idée du nombre de ces tournois, a-t-on pu en dresser un inventaire ? G. D. - Non. Au X I e / X I I e siècle, toute statistique est impossible, on manque de documents. Mais, d'après les textes que j 'ai utilisés, j 'ai l'impression qu'il y a quand même des rencontres « interna­tionales » et des rencontres plus locales. Les grands « shows » se répétaient de quinzaine en quinzaine, sinon de se­maine en semaine pendant une saison qui occupait presque toute l'année, même en période hivernale, sauf pen­dant les temps de pénitence imposés par l'Eglise. On se rend compte qu'ils avaient là une périodicité très serrée dans le calendrier sportif.

EPS - Les tournois sont une chose, lors­qu'on parle de jeux ou d'exercices physi­ques traditionnels au Moyen Age, vous l'avez rappelé tout à l'heure, on en parle surtout aux XIV e/XV e siècles. Est-ce qu' i l y a des jeux sportifs dans la période X e/XIII e siècles, à côté des tournois ?

G. D. - Là, je dois avouer mon igno­rance, car je n'ai pas tout lu ; mais dans les documents que j'estime utilisables, avant le XII I e siècle, il n'y a pas de mention de ce qu'on pourrait définir comme étant un jeu sportif. Il y a évi­demment des exercices d'entraînement. La formation de chevalier exige un ap­prentissage de cavalier et d'escrimeur à l'épée. Je crois que dans la cérémonie qui introduit le chevalier, c'est-à-dire le jeune homme dans la catégorie des guer­riers professionnels, il y a une phase qui se rapprocherait des exhibitions sporti­ves, c'est ce que l'on appelle le jeu de quintaine (1). Le jeune homme doit prouver sa compétence aux yeux de tout le monde et d'une assemblée d'experts. Il est probable aussi qu'il y a compéti­tion ; dans ces démonstrations, la valeur physique des jeunes gens devait certai­nement compter pour beaucoup, car il fallait, pour avancer dans la vie, gagner l'amitié, comme cela se disait. Non pas tellement de la dame, parce que l'amour courtois me paraît être quelque chose de plaqué sur une relation beaucoup plus importante qui est l'amitié entre les hommes. Pour conquérir l'amitié ou

« LA VALEUR PHYSIQUE DES JEUNES GENS DEVAIT CERTAINEMENT COMPTER POUR BEAUCOUP »

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l'amour de son bienfaiteur, de son sei­gneur ou de celui qui va l'entretenir, le chevalier doit surpasser ses camarades. Donc, il y a là vraiment compétition individuelle, à la différence des tournois qui étaient un sport d'équipe, un sport de groupe. EPS - Sort i de cette classe aristocratique, quelles étaient les pratiques corporelles en vigueur dans le peuple ? G. D. - Je connais un peu la classe populaire, pour autant qu'elle puisse être connue. Dans les dernières années, mes recherches ont porté surtout, pour des études de mentalités et de rapports sociaux, sur l'aristocratie parce que c'est la partie la plus visible de la population à la lumière des documents et des sour­ces. Je suis donc très mal informé sur ce qui se passait dans le peuple. Ce n'est qu'à partir du XII I e siècle qu'on com­mence à avoir des indications sur la foule, sur des jeux populaires, et surtout au XIV e et XV e siècles -davantage d'ail­leurs par les illustrations que par les textes. Les deux auteurs de l'article que vous m'avez transmis (2) arrivent à dis­cerner des choses à partir de 1350 ou 1400. Tout laisse à penser que ces jeux étaient beaucoup plus anciens, mais on n'en a pas la preuve et encore moins la description.

EPS - Peut-on, au-delà même de la prati­que, dire qu' i l y a une sorte d'idéal, de représentation du corps à la fois dans l'attitude et aussi dans la façon de perce­voir la force ? G. D. - Oui, il y a dans les descriptions qui sont données des hommes de guerre un canon de beauté corporelle. On in­siste sur la membrure, sur l'envergure des bras essentiellement car les hommes utilisent la lance et, plus souvent encore, l'épée ; on insiste aussi sur ce que l'on appelle l'enfourchure. c'est-à-dire la qualité de ces muscles qui font les bons cavaliers. Çà, c'est incontestable. Il y a aussi la force physique : dans les chan­sons de gestes, le héros pouvait, d'un seul coup d'épée, trancher un adversaire, ce qui est absolument impossible. Enfin, il y a une part d'imaginaire dans la représentation d'un guerrier idéal qui serait capable, par la seule force de ses muscles, de terrasser un adversaire gi­gantesque. Il y a donc une exaltation de la force, c'est incontestable.

EPS - Ce type idéal de force est différent des autres idéaux qui viendront par la suite et qui seront davantage centrés sur l'adresse ou sur la prestance ? G. D. - Oui, je le pense ; c'est plutôt de

l'envergure et de l'enfourchure qu'ils parlent car ce sont essentiellement des hommes de cheval. Ensuite, ils paradent à pied et, progressivement, l'on voit s'élargir la part d'ostentation. A ce mo­ment-là, d'autres qualités apparaissent, qui sont d'ailleurs des qualités fémini­nes. Il est intéressant de voir qu'au début du XI I e siècle, les modes masculines changeaient, il y avait une évolution évidente dans la chevelure, mais aussi les

souliers à la poulaine (3), les longues robes, qui manifestent que l'homme était soucieux d'apparaître dans sa vigueur corporelle, sa force de guerrier, mais avec une certaine élégance. Les moralis­tes ecclésiastiques condamnent ces cho­ses-là comme impudiques, mais surtout comme transgressant la frontière abso­lue entre le masculin et le féminin. Ils reprochent la féminisation du type phy­sique de l'homme.

« L'HOMME ETAIT SOUCIEUX D'APPARAITRE DANS SA VIGUEUR CORPORELLE... MAIS AVEC UNE CERTAINE ELEGANCE »

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EPS - Pourrions-nous dire qu'au niveau de l ' imaginaire corporel, i l y a les repré­sentations des chevaliers, puis l'idéal ec­clésiastique qui est différent ? G. D. - Oui, mais les ecclésiastiques parlent très peu de leur corps : ils l'éli­minent. Je pense que s'il y a dans les descriptions de saints des traits mis en évidence, ce n'est pas la virilité mais ce qui se traduit dans le corps par l'ascé­tisme. EPS - Vous avez déjà évoqué la place de la femme dans l'imaginaire ; dans quelle mesure la femme joue-t-elle ? G. D. - Très peu de réponses existent ; dans les rencontres, les femmes dansent, et, dans une certaine mesure, ces danses peuvent être qualifiées de sportives car elles ont des rapports avec les danses traditionnelles comme celles des Bal­kans, par exemple, où les danseuses donnent beaucoup de leur corps. Il y a l'agileté mais aussi l'endurance. Il se peut que dans les qualités féminines une part soit faite à cette grâce qui s'exprime dans la danse ; mais, il existe très peu d'écrits où le corps lui-même soit représenté, détaillé ; en outre, il n'est décrit que ce qui est visible, c'est-à-dire le visage, avec une retenue sur ce qui pourrait être une appréciation sur la corporalité féminine. Il y a une très grande pudeur par rapport à ce que nous trouvons dans d'autres civilisations ou à d'autres étapes de notre propre civilisa­tion.

EPS - Le fait que les jeux physiques soient essentiellement des pratiques corporelles leur donne-t-il, dans votre approche de l'histoire, un statut particulier ? G. D. - Ici encore, je n'évoquerai que la fraction de la société que je connais bien, c'est-à-dire la classe dominante. Nous ne sommes informés sur les autres classes

de la société que par le regard de ces gens-là qui méprisent ceux qui sont d'un rang inférieur. Il est évident que la des­cription physique du vilain, telle qu'elle apparaît dans la littérature chevaleres­que par exemple, souligne le bestial, la brutalité, les gens sont poilus, noirs, terrifiants. L'image du paysan est celle d'une brute redoutable, parce que douée d'une force physique considérable. Pour répondre à votre question, ces pratiques physiques sont-elles valorisées par rapport à d'autres pratiques ? je répondrai oui pour la période féodale, XI e ou XII e siècle, car il semble bien que les gens pensent qu'avoir une activité intellectuelle dégrade le guerrier ; mais, peu à peu cela change. Le Moyen Age, c'est très long, vous

savez. Cette période couvre presque un millénaire ; elle n'est nullement immo­bile. On observe un progrès continu aussi vif, parfois, au XII e siècle que celui de l'Europe au XIX e siècle. Il est donc impossible de traiter du Moyen Age en un bloc. Ici, je parle de la période du XI e , XII e , début du XIII e siècle. Fin du XII e , début du XIII e , les choses commencent à changer et l'on arrive à cette figure que Saint-Louis appelle le Prud'homme et qui constitue l'idéal masculin (4). Elle est une association entre la force physique et la sagesse intellectuelle, la capacité de raisonne­ment, ce qui implique des pratiques nouvelles qui sont des pratiques de dé­bat ; non pas à la lecture, mais savoir discuter, palabrer, connaître le droit, être

« LA FIGURE DU PRUD'HOMME CONSTITUE L'IDEAL MASCULIN; ELLE ASSOCIE LA FORCE PHYSIQUE ET LA SAGESSE INTELLECTUELLE... »

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capable de répondre d'une manière juste à des questions ; donc, dans la formation de l'homme, la part des pratiques qui sont plutôt de l'ordre de l'esprit que de l'ordre du corps devient de plus en plus grande à partir du milieu du XII e siècle. EPS - Les jeux physiques vous parais­sent-ils plus importants au Moyen Age qu'à d'autres époques ? G. D. - Pour le XII e siècle on peut penser qu'ils ont plus d'importance, nettement plus qu'au XIX e siècle, cela est certain : mais, quand il m'arrive de lire des mé­moires du XVII e siècle qui ne soient pas trop sophistiqués, je me rends compte que dans l'existence des contemporains d'Henri IV, de Louis XIII et de Louis XIV, la pratique physique avait aussi une importance considérable par rap­port aux usages de l'esprit. Avec la Renaissance, à partir du XV e

siècle, et en relation avec l'apport de l'Antiquité, il y a une exaltation du corps, une recherche accrue de la beauté corporelle, de l'exhibition du corps beaucoup plus importante qu'au XII e

siècle. Les gens se montrent plus volon­tiers dénudés.

EPS - Puisque votre domaine est celui de la civilisation médiévale, est-ce que celle-ci aurait secrété des éléments qui apparaîtraient encore déterminants de nos jours ?

G. D. - Je pense que nous sommes les héritiers des gens de ce temps-là. Si je fais de l'histoire, c'est aussi pour mon­trer à quel point cet héritage est impor­tant car nous mesurons mal dans nos conduites l'importance d'un certain nombre de valeurs dont quelques-unes sont en train de disparaître, tout en étant encore très fortes. Dans le domaine du sport, l'idée du fair-play, de la loyauté, du respect d'un certain nombre de rè­gles, de ne pas traiter l'adversaire de manière ignoble, tout cela descend direc­tement de la morale du guerrier du XI e siècle. J'en suis absolument per­suadé. De même, la manière de se com­porter envers les femmes a aussi une ascendance qui remonte à cette épo­que-là. Les conduites de courtoisie, aussi bien entre hommes qu'entre femmes, qui perdurent dans notre société prennent racine à ce moment-là, j 'en suis sûr. EPS - Quelles explications voyez-vous au goût très marqué du public pour l'his­toire ? Est-ce une simple promotion mé­diatique réussie ou, au contraire, un phé­nomène qui traduirait l'angoisse de nos sociétés contemporaines ? G. D. - La réponse n'est pas simple et je crois que plusieurs facteurs intervien­nent. Il faut tenir compte du fait que notre civilisation, inconsciemment, se rend compte qu'elle est menacée et qu'elle doit défendre son identité face à d'autres cultures ; donc, retrouver ses racines, regarder du côté du passé, c'est à mons avis un réflexe inconscient de ce

sentiment de fragilité de notre culture européenne. Il y a aussi le besoin, sans doute, d'une sorte d'évasion par rapport au genre de vie un peu terne que nous menons. De même qu'on prend volon­tiers l'avion pour se dépayser, de même certains vivent l'aventure en essayant de comprendre comment on vivait il y a 500 ans... Je pense qu'il y a de cela. Quant au succès très notable du genre historique, il tient aussi à l'évolution générale de la littérature et surtout de la littérature romanesque qui est en perte de vitesse. Le temps du roman est passé, à mon avis, et on en revient à une littéra­ture où l'essai, comme au XVIII e siècle, a beaucoup de place. Les textes des anthropologues, des archéologues, des historiens, fournissent un plaisir à ceux qui aiment lire et qui ne trouvent pas dans la production romanesque actuelle de quoi satisfaire pleinement leur désir.

Notes

(1) Le jeu de la quintaine : Jeu fai­sant partie de l'apprentissage aux armes du jeune chevalier. Il consis­tait, pour ce dernier, à courir avec la lance contre un poteau fiché en terre : dans certains cas, un mannequin mobile y était adapté. Ce mannequin était armé d'un sabre et d'un bouclier qui risquaient de désarçonner le che­valier qui ne frappait pas au bon endroit. (2) Chartier, R., Vigarello, G., Les trajectoires du sport, Revue le Débat, Février 1982. (3) Les souliers à la poulaine : Chaus­sures à l'extrémité allongée en pointe relevée ; ils furent très à la mode aux XIV e et XV e siècles, et en même temps très décriés par les moralistes qui y voyaient le symbole d'un luxe vestimentaire inutile. (4) Prud'homme : Notion qui impli­que à la fois des qualités physique - l'aptitude à combattre - des qualités morales - vaillance et courage - et des qualités intellectuelles - des connais­sances alliées à une certaine modéra­tion, une certaine réserve et une cer­taine sagesse. Dans les « métiers » médiévaux, les prud'hommes étaient ceux à qui l'on reconnaissait une qualité d'expert et de sage et qui, de ce fait, étaient chargés de certaines fonctions : attes­ter en justice, arbitrer, représenter, apprécier la valeur d'un produit, etc...

« L'IDEE DU FAIT-PLAY... DESCEND DIRECTEMENT DE LA MORALE DU GUERRIER DU XIe SIECLE»

Voir bibliographie page 77

Photo : AGENCE ARVIDIA

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