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    Antiquits nationales

    M. Christian GOUDINEAU, professeur

    I. COURS

    En raison de lindisponibilit partielle de lamphithtre Marguerite de Navarre,les cours ont t donns lUniversit Etvs Lorand de Budapest. Accueilli parle Professeur Miklos Szabo, nous avons repris et continu ltude philologiqueet archologique de lemploi des termes Celtique et Celtes , Galatie etGalates , Gaule et Gaulois . Nous lavons largie au problme de la Germanie

    et des Germains, cest--dire lespace et aux populations que Csar affirmehabiter lEst du Rhin.

    Le dossier concernant les Germains et la Germanie demande tre mani avecprcision. Contrairement ce quon fait couramment, il faut distinguer la datehistorique laquelle ils sont cits par tel auteur comme participant tel ou telvnement et, dautre part, la date laquelle cet auteur crivait. Autrement dit,ledit auteur na-t-il pas t influenc par les Commentaires de Csar, na-t-il pasutilis le mot Germain ou Germanie pour traduire en langage moderne un terme que ses sources lui donnaient sous une autre forme ?

    La migration des Cimbres et des Teutons, on lavait vu lan pass, ne futconsidre comme germanique que bien aprs Csar. Les auteurs du Ier sicleavant J.-C., comme Salluste et Cicron, voyaient en eux des Galli.

    Certains commentateurs attribuent au Grec Posidonios la premire mentiondes Germains, dans la premire moiti du Ier sicle avant J.-C., mais la preuvemanque. La premire citation explicite concerne la guerre des esclaves, menepar Spartacus en 73-71 avant J.-C., elle nous est donne par la Periocha 97 deTite-Live :

    Crassus remporte une premire victoire sur le corps darme des esclaves, qui taitcompos de Gaulois et de Germains (quae Gallis Germanisque constabat), trente-cinqmille hommes et leur chef Gavanicus restent sur le champ de bataille.

    Mais les Periochae (les Abrgs) de Tite-Live furent ralises une poqueindtermine (au IIe sicle ?), sans doute partir dun premier rsum plus

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    ancien ! Le texte original utilisait-il le mot Germani? Peut-tre, mais, de toutefaon, il est postrieur celui de Csar.

    A propos des mmes vnements, Salluste (qui avait employ le terme deGalli pour les Cimbres et les Teutons) emploie les deux mots Galli et Germani,mais il prcise quils sont de la mme nation : gentis ejusdem Gallis atqueGermanis (Hist., III, 77). Rappelons que Salluste crit peu aprs la mort deCsar, il mourut lui-mme en 35 avant J.-C. La prcision quil apporte a un sens :il tient indiquer que, si telle ou telle source distingue Gaulois et Germains, ilsagit en ralit de la mme natio au sens romain (tout en hsitant traduirepar mme race , on peut estimer que cest bien ce que voulait dire Salluste).

    Lapparition du mot Germanidans le vocabulaire romain est donc rcente. Auplus tt, il remonterait aux environs de 70 avant J.-C., mais la distinction entreGalli et Germani nest vritablement ne quavec Csar. Un sicle et demi plustard, dans son ouvrage ddi prcisment la Germanie, Tacite crit que lenom de Germanie est rcent : Germaniae vocabulum recens et nuper additum( moderne, ajout depuis peu ). Mais il est pass dautant plus rapidement dansla langue politique que, ds lpoque dAuguste, furent crs des districts deGermanie le long du Rhin, puis, partir de Domitien, les deux provinces deGermanie Suprieure et de Germanie Infrieure qui, dailleurs, mordaient largement sur la Gaule csarienne. Pour les administrateurs, nul problme : il y

    avait des provinces, des limites, des Germains romaniss, et ceux, au-del dulimes, qui ne ltaient pas.

    Mais il faut aussi se mettre la place des scientifiques , gographes, ethno-graphes, qui essayaient de dcrire le monde de leur temps en se rfrant auxsources disponibles. Le constat est simple : ils ny comprenaient plus rien, carCsar avait tout chamboul. Auparavant, la Keltik (ou la Galatia) quivalait la Gallia (pour nous, le monde celtique). Csar avait affirm que la Gallia taitlimite par le Rhin. Comment sen tirer, comment concilier ces informationscontradictoires ? En jouant sur le vocabulaire.

    Denys dHalicarnasse crit :

    Dun ct du Rhin (= lest), la rgion limitrophe des Scythes et des Thraces estappele Germanie (...). Lautre rgion (= louest) qui entoure le golfe Galate sappelleGalatie. Les Grecs dsignent lensemble par un terme gnral : la Celtique.

    Donc, il distingue dsormais entre la Celtique (lensemble) et la Galatie, quicorrespond la Gallia csarienne, louest du Rhin.

    Apeu prs la mme poque (vers le changement dre, cinquante ans aprsCsar), Strabon prend une autre position.

    Au nord de lIstros (le Danube), on trouve les pays qui stendent au-del du Rhin etde la Celtique, dabord ceux qui sont habits par des Gaulois et des Germains et quiont pour limites les Bastarnes, les Tyrgtes et le fleuve Borysthne, puis tous ceux quisont compris entre le Borysthne, le Tanas et les bouches du Marais-Motide et qui,baigns dun ct par le Pont-Euxin, stendent vers lintrieur des terres jusqu lOcan.

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    Au sud de lIstros, cest, jusqu la Grce, le pays des Illyriens, des Thraces et de toutesces populations de race celtique ou autre qui se sont mles eux.

    Commenons par la partie qui est au-del de lIstros, elle prsente moins de complexitque lautre.Les territoires que lon trouve immdiatement aprs la Celtique au-del du Rhin en tirantvers lest, sont habits par des Germains.Ceux-ci diffrent un peu des Celtes ; ils ont des murs plus sauvages, ils sont plusgrands et plus blonds mais se rapprochent deux pour tout le reste : apparence extrieure,coutumes, genres de vie rappellent tout fait le portrait que nous avons trac des Celtes.Aussi me semble-t-il que les Romains, en leur donnant ce nom, ont voulu signifier quilstaient dauthentiques Galates ; dans la langue des Romains en effet Germani veut direauthentiques. (VII, 1, 1-2).

    Pour Strabon, donc, lensemble ancien tait la Galatie. A louest du Rhin, setrouvent la Celtique et les Celtes, lest des Germains (mais aussi des Galates).Surtout, il insiste sur la parent troite entre les Celtes et les Germains, allantjusqu supposer que ce nomgermanisignale cette proximit (les frres germaniavaient le mme pre, contrairement auxuterini qui venaient de la mme mre).

    Denys dHalicarnasse et Strabon taient des intellectuels, dont les uvres ont(partiellement) survcu par une chance exceptionnelle. Il faut se les reprsenteressayant de concilier des sources contradictoires. Parmi elles, les crits de Csar,du dieu Csar, dont la parole ne saurait tre mise en doute. Leur dsarroi semanifeste dans les solutions diffrentes quils ont choisies pour tenter de sentirer. Pour le premier, autrefois, il y avait un vaste espace appel Celtique pourle second, cest Galatie. Ensuite, louest du Rhin (la Gallia de Csar), pourDenys cest la Galatie, pour Strabon cest la Celtique ! On ne saurait mieuxtraduire lcartlement de deux savants face une impossibilit, mais ils nepeuvent contredire le dieu Csar soit parce quils nosent pas, soit parce quilscroient quil a raison, la dernire ventualit tant la plus probable. Ajoutonsque les analyses de ces savants neurent pratiquement aucun cho, sinon confi-dentiel, les thses ou plutt la description de Csar ayant t considres

    comme vridiques. Dailleurs, la Gaule ne fut jamais une entit administrative,il y eutlesGaules,les Germanies. La Gaule de Csar na jamais exist que dansles Commentaires et... dans lhistoire plus rcente, comme on verra.

    On peut tre tonn des contorsions dauteurs comme Denys dHalicarnasseou Strabon. Ce serait tort. Outre que les journaux ou priodiques nous en offrentpresque chaque jour des exemples (qui sy retrouve dans les pays dAfrique oules anciennes rpubliques de lURSS ?), lutilisation des textes antiques peutencore demeurer... sujette caution.

    Dion Cassius est n vers 160 en Bithynie. Ce fut un trs haut personnage,snateur de Rome, deux fois consul, gouverneur dAfrique et de Dalmatie. A lafin de sa vie, dans un contexte politique trs agit, il se retira pour crire (engrec) une Histoire Romaine en 80 livres, qui allait des origines jusquen 209aprs J.-C. Nous en avons gard plusieurs livres, notamment ceux qui couvrent

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    les annes 68 10 avant J.-C. Ils nont pas t encore traduits en franais, sinonpartiellement. Nous allons donc citer la traduction qui fait rfrence, celle de

    ldition anglaise Loeb. Le premier passage concerne lan 58 avant J.-C., il sesitue au moment o Csar vient de vaincre les Helvtes prs de Bibracte. Desdlgus gaulois viennent le supplier de les aider en les dbarrassant desGermains dArioviste.

    Such was the first war that Caesar fought, and Outw men dh ton prw5 ton polemon ohe did not remain quiet after this beginning ; Kai5sar epolemhsen, arxaheno~ deinstead, he at the same time satisfied his own eei5en ou c h sucasen, a ll au to~ tedesire and did the allies a favour. For the to e autou5 boulhma ama a peplhrwseSequani and Aedui, who had marked his desire ai toi5~ summacoi~ e carisato. oi te

    and had noticed that his deeds corresponded gar Shouanoi ai oi Aidauoi thn tewith his hopes, were willing at one stroke to e piumian autou5 idonte~ ai ta ergabestow a benefit upon him and to take ven- omologou5nta tai5~ elpisin aisomenoi,geance upon the Germans, who were their eeinwt te eu ergesian ama ataesaineighbours. The latter had at some time in the ai tou~ Keltou~ tou~ o mocwrou~remote past crossed the Rhine, cut off portions siai timwrhsasai melhsan. tonof their territory, and rendered them tributaries, gar Rh5non palai pote diabante~ th5~taking hostages from them. And because they te cwra~ autwn tina paretet mhntohappened to be asking what Caesar was ai autou~ upotelei5~ epepoihnto,anxious for, they easily persuaded him to assist o mhrou~ aw5 n econte~. ai e tugcanonthem. gar deomenoi wn wregeto, ratdiw~ autonNow Ariovistus was the ruler of thoseGermans. a nepeisan e oiourh5 saisisin.

    5Hrce men gar Arioouisto~ tw5 nKeltw5n eeinwn.

    (Dion Cassius, XXXVIII, 34)

    On reste interloqu : l o Dion Cassius crit Celtes , le traducteur crit Germans . Notre collgue britannique sest trouv dans la mme situation quenombre dauteur antiques : Csar a dit quArioviste tait le chef des Germains,donc, si Dion Cassius voque des Celtes, il se trompe, ou plutt il faut que lelecteur comprenne celui qui a lu les Commentaires de Csar. Combien deces lecteurs iront vrifier le mot grec employ par Dion ?

    Dion Cassius lui-mme crit ceci (XXXIX, 49) :

    Le Rhin provient des Alpes celtiques (...) et, se dirigeant vers lOuest, spare la Galatieet ses habitants sur la gauche, et, sur la droite, les Celtes (...). Trs anciennement, depart et dautre de ce fleuve, les habitants taient appels Celtes .

    Autrement dit, il reprend exactement la thse de Denys dHalicarnasse. Lim-portant tient ce que cet historien consciencieux, qui a consult nombre dar-

    chives et de rcits, nemploie pas le mot Germains pour cette poque. Onpeut concevoir que des contemporains de Csar aient t tents de suivre sesconceptions, mais, trois sicles plus tard, tout enjeu de cette sorte avait disparu.Dailleurs, Dion Cassius, grand dfenseur de lEmpire, considrait Csar commeun ambitieux gure estimable. Peu infod au conqurant des gaules, il a consult

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    et exploit des sources qui ne nous sont pas parvenues. Lesquelles indiquaientclairement que les Germains taient ... des Celtes !

    De ce survol des textes, on conclura que Csar a opr un coup de forceextraordinaire. Non seulement politique et militaire, mais aussi scientifique. Ausein dun trs vaste ensemble, qui allait de lAtlantique Budapest, que lesGrecs appelaient Celtique ou Galatie (habit par les Celtes ou Galates : mmechose) et que les Romains appelaient Gallia (habite par les Galli), il a cr,par le droit du conqurant, une entit qui navait jamais exist, regroupant unesoixantaine de peuples (sur les cent cinquante ou davantage qui constituaientla Celtique ou la Gaule). Surtout, il leur a donn un nom collectif (Gallia),

    une frontire orientale (le Rhin), puis une administration. Conduite typique duconqurant : lpoque moderne en a vu didentiques avec les colonisations oules partages aprs les guerres mondiales. Dfinitions arbitraires de territoires,indiffrence envers les ralits ethniques, etc.

    On pourrait considrer beaucoup lont fait que les consquences nefurent pas tragiques dans la mesure o le systme romain, avec son organisationen civitates, conserva peu prs les anciennes nationes gauloises, leur laissantune autonomie thorique. Deux remarques cependant. Dabord, la Gallia csa-rienne laissa rapidement la place une autre organisation en trois provinces (les

    Galliae : lAquitaine, la Belgique, la Lyonnaise, ces deux dernires ultrieure-ment rorganises pour faire place aux Germanies Suprieure et Infrieure).

    Laffirmation csarienne quil avait exist une Gaule limite par le Rhincompte moins par ses consquences durant lAntiquit que par lexploitation quien a t faite des poques plus rcentes. Son succs a t renforc par lathorie des frontires naturelles dcides par la Providence, vieille ide sto-cienne applique par Posidonios la Celtique entire et quon transfra laGaule csarienne et donc... la France. Lextraordinaire fortune quont connue

    les Commentaires sur la guerre des Gaules le plus grand succs de librairieaprs la Bible jusqu une poque rcente, le livre de chevet de la plupart desRois de France cette fortune explique que trois certitudes se soient ancresds la fin du Moyen Age : 1) la France, autrefois, ctait la Gaule ; 2) la Gauledisposait de frontires fixes par la Providence (ou la Nature), notamment celledu Rhin ; 3) la France avait vocation retrouver son ancien territoire.

    Nous ne citerons pas ici les innombrables textes dhistoriens ou de responsablespolitiques qui se sont appuys sur la Guerre des Gaules. Juste un petit florilgeque nous avons propos au public hongrois qui a, lui aussi, connu des problmes

    didentit nationale, un florilge qui pourrait saccrotre linfini.

    Premire srie: La Gaule, cest la France (et inversement), un thme apparuds le XVIe sicle.

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    Le but de mon ministre a t de rendre la Gaule les frontires que lui adestines la nature, de rendre aux Gaulois un roi gaulois, de confondre la Gaule

    avec la France, et partout o fut lancienne Gaule dy rtablir la nouvelle. ( Testament de Richelieu )

    Le Rhin est retourn ses anciens matres qui, depuis la seconde race denos rois, lavaient perdu par leurs dissensions et leurs guerres civiles.

    (Le prince de Cond, aprs les batailles de Rocroy,Thionville et Fribourg-en-Brisgau, 1644)

    Du ct de lOrient, la France na dautres limites que celles de sa modrationet de sa justice [i.e. : La France pourrait se lancer dans des guerres de conqute].

    LAlsace et la Lorraine, dmembres de lEmpire [=de Charlemagne], ont reculles bornes de la domination des Francs. Il serait souhaiter que le Rhin ptcontinuer [i.e. : aprs cette interruption] faire la lisire de leur monarchie.

    (Frdric-le-Grand, roi de Prusse, 1738)

    Il nest que de prendre en main une carte gographique pour se convaincreque les bornes naturelles de cette monarchie [franaise] semblent stendre jus-quau Rhin, dont le cours parat form exprs pour sparer la France de lAlle-magne.

    (Idem, 1740)

    La France est un tout qui se suffit elle-mme, puisque partout la Naturelui a donn des barrires qui la dispensent de sagrandir, en sorte que nos intrtssont daccord avec nos principes.

    (Abb Grgoire, 1792)

    Je dis que cest en vain quon veut faire craindre de donner trop dtendue la Rpublique !... Ses limites sont marques par la nature. Nous les atteindronstoutes, des quatre coins de lhorizon : du ct du Rhin, du ct de lOcan, duct des Alpes. L doivent finir les bornes de notre Rpublique, et nulle puissance

    ne pourra nous empcher de les atteindre. (Danton, 31 janvier 1793)

    Telle est la constitution physique de la France, la seule rgion continentaledont les traits soient assez fortement marqus, pour quon puisse la dcrire sansavoir prononc une seule fois son nom ni le nom daucune de ses parties. Telest ce corps dont la forme accomplie inspira jadis une si vive admiration augnie hellnique, ce gnie de lharmonie qui retrouvait, dans des proportionssi belles, laccord cleste des sphres et la musique des nombres. Il y a dix-huit

    sicles et plus, que le grand gographe de lantiquit, le Grec Strabon, saisidune sorte desprit prophtique, scriait que laspect seul de la Gaule prsageait ce pays les plus clatantes destines, et suffisait prouver lexistence de ladivine Providence.

    (Henri Martin, Histoire de France, 1837)

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    La France, notre patrie, tait, il y a bien longtemps de cela, presque entire-ment couverte de grandes forts. Il y avait peu de villes, et la moindre ferme de

    votre village, enfants, et sembl un palais. La France sappelait alors la Gaule. (Le Tour de France par deux enfants, 1877)

    Il y a deux mille ans, notre pays sappelait la Gaule. (Manuel scolaire Lavisse, 1884)

    Deuxime srie: Nos anctres les Gaulois , thme dvelopp au XIXe sicle(mais dj prsent auparavant dans quelques ouvrages rudits.

    Descendants des soldats de Brenn et de Vercingtorix, des citoyens de Carnu-

    tum et de Gergovie, des snats de Durocortorum et de Bibracte, navons-nousplus rien de nos pres ? Ce type si fortement empreint sur les premires gnra-tions, le temps la-t-il effac des dernires ? Peuple des socits modernes, lacivilisation, ce costume des races humaines, a-t-elle transform chez nous enmme temps que recouvert le vieil homme ? Et si nous nous examinions biendans quelquune de ces crises o les peuples, brisant toutes les conventionssociales, se remontrent, pour ainsi dire, dans la nudit de leur nature, serait-ilimpossible de dcouvrir quelque signe de cette parent de vertus et de vices ?Je ne sais ; mais, en traant les rcits de ce long ouvrage, plus dune fois je mesuis arrt dmotion ; plus dune fois jai cru voir passer devant mes yeux

    limage dhommes sortis dentre nous ; et jen ai conclu que nos bonnes etnos mauvaises dispositions ne sont point nes dhier sur cette terre o nous leslaisserons.

    (Amde Thierry, 1828)

    Les premiers hommes qui peuplrent le centre et louest de lEurope furentles Gaulois, nos vritables anctres ; car leur sang prdomine de beaucoup dansce mlange successif de peuples divers qui a form notre nation, et leur espritest toujours en nous. Leurs vertus et leurs vices, conservs au cur du peuplefranais, et les traits essentiels de leur type physique, reconnaissable sous la

    dgnration amene par le changement des murs et par le croisement despopulations, attestent encore cette antique origine.

    (Henri Martin, 1837)

    Il est trange que, dans notre propre pays, la plupart ignorent les vritableslimites du sol quont occup les Gaulois nos aeux. [Car les Gaulois taient]unis, non pas seulement par le patriotisme et la solidarit dintrts, mais par lescroyances religieuses, par un tat social uniforme et un degr gal de civilisation,par tous les traits du caractre, par un type moral, que Csar a peint [...] et danslequel nous pouvons nous reconnatre encore.

    (Maximin Deloche, Du principe des nationalits, 1860)

    Les Gaules ne sont pas dtruites, puisque la France est debout ! La victoirede Csar, la longue domination romaine nont jamais laiss dempreinte sensiblesur notre caractre national. Quon lise les descriptions que les auteurs latins et

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    grecs ont faites de nos pres ! On sera frapp de voir que tous les traits rapportspar eux sappliquent encore merveille nous autres Franais. Ce que nous

    tenons de Rome, cest la bureaucratie, lamour des places et des administrationssavantes et compliques, les monopoles, tous les abus enfin dont se dbarrassentles tats dmocratiques.

    (Bosc et Bonnemre,Histoire nationale des Gaulois sous Vercingtorix, 1882)

    Rome et la Germanie, la premire surtout, influrent sans doute sur notredveloppement historique mais elles ne firent de nous videmment ni des Italiensni des Allemands. [...] Ce qui nous distingue depuis si longtemps de nos voisinsdu sud et de lest provient donc dlments qui existaient dj. [...] Nous sommesfoncirement gaulois.

    (Revue des Deux Mondes, 15 aot 1877)

    On doit videmment rapporter les origines de notre peuple lantiquitceltique, au moment o elle sort de la priode prhistorique pour entrer danslHistoire (...). Les apports successifs de population ont peine modifi le fondde notre race, nous pouvons nous reconnatre dans les Celtes davant la conquteromaine (...). Physiquement et moralement, le peuple franais demeure lhritierdu peuple celte dont les caractres sont encore bien reconnaissables chez nous.

    (Rgine Pernoud, Histoire du Peuple franais, t. I, 1952, rd. 1988)

    Troisime srie : Lide nationale, la notion de patrie remonte la guerre desGaules, elle sexprime lors de linsurrection de 52 avant J.-C., elle sincarnedans la figure de Vercingtorix.

    A mes yeux, cest en lui que se personnifie pour la premire fois notreindpendance nationale ; et sil tait permis de comparer un hros paen avecune vierge chrtienne, je verrais en lui, au succs prs, comme un prcurseur deJeanne dArc. Laurole du martyre ne lui manque mme pas : six ans de captivitet la mort (...) valent bien le bcher de Rouen. (...) Et quand il se dvoue au

    salut de ses compagnons, je salue en lui le premier des Franais .(Duc dAumale, Alsia, 1859)

    Notre histoire comme celle de tous les peuples se divise en trois poques,bien distinctes ; et au sommet de chacune delles apparat une grande figure quidomine toutes les autres : Dans lAntiquit, Vercingtorix ; au Moyen A ge,Jeanne dArc ; dans les temps modernes, Napolon. Le patriotisme, la foi, lagloire Et comme tout ce qui est grand se complte par ladversit, commetoute illustration a son calvaire Vercingtorix, une mort barbare dans lescachots de Rome ; Jeanne dArc, le bcher de Rouen ; Napolon, la

    captivit Sainte-Hlne. (A. Bran, Vercingtorix, 1864)

    Vercingtorix est pour nous plus quun brave guerrier, ayant su tenir tte Csar. Il a dj la physionomie toute franaise. (...) Car il se battit et mourut,

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    non pour un canton, non pour un suzerain, non pour une dynastie mais propatria, pour la patrie gauloise, qui est toujours la ntre.

    (A. Rville, Revue des Deux Mondes, 1877)

    Il y a incontestablement un air de famille qui rapproche travers les siclesnos grands librateurs, ceux en qui sest incarne la grande ide de la patrie.Vercingtorix, Du Guesclin, la sainte martyre de Rouen, nos hros les plus pursde la Rvolution, Adolphe Thiers (...) sont de mme sang, de mme race, demme foi nationale.

    (M. Deloche, ibid.)

    Vercingtorix est pour nous le Christ national. Entre le dernier jour du fils

    de Marie, et le dernier jour de ce jeune Brenn de trente ans, ny a-t-il point delanalogie ? Tous deux nont-ils point mont au calvaire au milieu des insultesde la foule ?

    (Bosc et Bonnemre, ibid., 1882)

    Qui pourra dire ce que dut souffrir le noble vaincu, le grand Vercingtorixen qui battait le cur de la Gaule ! Qui jamais pourra mesurer limmensit desa douleur ! Et cependant cette heure terrible il fut au-dessus de son infortune.Gloire lhumanit !

    (M. Bonnefoy, Histoire du vieux bon temps, 1884)

    Je voudrais aussi en face de la statue de Vercingtorix celle de Jsus deNazareth, enseignant tous lamour du prochain.

    (E. Richenet-Bayard, Dcouverte dAlsia en Auvergne, 1903)

    Quatrime srie: Au lendemain de la guerre de 1870 (souvent prsente commeune nouvelle guerre des Gaules , les Romains devenant les Allemands, Csaridentifi Bismarck, Alsia compare au sige de Paris, etc.) ; nombre dauteursse rfrent la Gaule vaincue qui a su ressusciter pour devenir la France. Celle-ci, battue, mutile, se relvera comme le fit la Gaule.

    Aussi aprs les malheurs inous des derniers temps de notre histoire, nousreportons-nous volontiers vers les Gaules. Elles sont devenues pour la nationfranaise lobjet dune sorte de culte. (...) Cette histoire, vieille de prs de vingtsicles, renferme des points de ressemblance frappants avec ltat de la Francependant lanne maudite de 1870.

    (Bosc et Bonnemre, ibid., 1882)

    Le nom de Vercingtorix devait fatalement simposer lesprit de celui qui(...) na jamais cess desprer et dattendre la revanche dun jour de malheur.

    Ne devait-il pas tre sduit par cette analogie de situation o, 1 900 ans dedistance, autrefois la Gaule et aujourdhui la France, luttrent jusqu lagoniecontre lenvahisseur ?

    (F. Mahon, Les aventures dun jeune Gauloisau temps de Jules Csar, 1882)

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    Vercingtorix est le hros frre de Jeanne dArc ; comme elle le sera plustard, il est limage visible de la patrie. En le suivant dans ce drame o le pote

    na pas cherch lallusion mais o elle vient delle-mme chaque scne, chaque ligne, on est frapp de la similitude qui saffirme entre les pripties dela guerre des Gaules en lan 46 avant J.-C. et celles de la guerre dont noussaignons encore ; cest que rien na pu tuer en nous lesprit gaulois et que noussentons, pensons et agissons encore comme nos pres.

    (Thodore de Bainville, Le National, 7 juin 1880, propos de la pice de thtre Vercingtorix dEdmond Cottinet)

    La gloire du conqurant ne doit pas nous blouir, pauvres vaincus dhier quenous sommes. Le million de prisonniers gaulois, que Csar vendit aux marchands

    desclaves pour payer les folies et les dbauches de sa jeunesse, nous fait souvenirdu premier versement des cinq milliards Strasbourg o lon pesait les sacs delouis dans des balances, et les trompettes romaines sonnant ironiquement lesmarches gauloises, sous les murs dAlsia, le jour de la reddition de la ville, nousremettent en mmoire la musique de la garde allemande jouant la Marseillaiselesoir de Sedan.

    (Franois Coppe, La Patrie, 28 juin 1880, propos de la mme pice)

    La Gaule ne prira pas ! Une nation aussi a une me et celle-l est bien

    immortelle ! (...) Si long que soit lhiver, oui, durt-il mille ans, ces germesreverront la lumire.

    (E. Cottinet, Vercingtorix, drame, 1880)

    Non, non, la Gaule nest pas morte,Et dans ses transformations,La Gaule un jour sera plus puissante et plus forteAla tte des nations !

    (P. Duza, Vercingtorix, drame, 1892)

    Salut, hros immortel, (...)Vois ce quont fait les Dieux de la Gaule opprime.Laisse au sein du pass tomber le souvenirA laspect triomphal de limmense avenirTa patrie est debout. Superbe elle savance :Le gnie et lhonneur lescortent ... Cest la France.

    (Pome de M. Douay, 1891)

    Ce cours marque la fin dtudes engages au Collge... il y a dix ans ! Celong parcours historique et historiographique aura permis nous lesprons

    de prendre la mesure de phnomnes que nous ne faisions que pressentir lorsquenous nous y sommes lanc. Ason issue, loin de terminer dans leuphorie ou lasimple satisfaction, nous ne dissimulerons pas notre pessimisme. Il est peu pro-bable que ces thses reoivent autre chose quun accueil poli. Elles heurtent tropdides ancres dans les esprits depuis prs de deux sicles, diffuses par les

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    manuels scolaires auprs de millions et de millions dcoliers, dont nous sommes.Dautre part, les gnrations qui viennent naccorderont probablement plus dint-

    rt ces vieilles lunes quon a tent de rnover en montrant leur lien avec unconqurant (Csar) et avec des mouvements nationaux ou nationalistes qui nont plus gure de sens. Tant pis ou tant mieux.

    II. SMINAIRES

    Les sminaires ont port sur :

    Les fouilles de Nanterre et le problme de Lutce, avec M. Antide V IAND,

    Ingnieur lINRAP. Larchologie urbaine Samarobriva (Amiens), avec M. Didier BAYARD,

    Conservateur au Service Rgional de lArchologie de Picardie.

    Les fouilles rcentes de Lemonum(Poitiers), avec M. Jean HIERNARD, Pro-fesseur lUniversit de Poitiers et Mme Anne-Marie JOUQUAND, Ingnieur lINRAP.

    Vienne antique, avec M. Benot HELLY, Ingnieur au Service Rgional delArchologie de Rhne-Alpes.

    Les campagnes de Gaule septentrionale durant lAntiquit tardive, avecM. Paul van OSSEL, Professeur lUniversit de Paris X-Nanterre.

    Les fouilles rcentes de Burdigala (Bordeaux), avec M. Dany BARRAUD,Conservateur Rgional de lArchologie dAquitaine et M. Christophe SIREIX,

    Ingnieur lINRAP.

    III. RESPONSABILITS, ACTIVITS, MISSIONS

    Le Professeur a t nomm membre du Conseil dAdministration de lInstitut

    National de Recherche Archologique Prventive. Il a prsid le Comit scienti-fique de la Maison de lArchologie et de lEthnographie (Universit Paris X CNRS, Nanterre). Il est membre de celui de la Maison Mditerranenne desSciences de lHomme dAix-en-Provence, de celui de la Carte Archologique dela Gaule (CNRS, MEN, Culture). Pour le Conseil Gnral de Cte-dOr, il prendune part active au projet de mise en valeur dAlsia.

    Dans le cadre de la prparation dun colloque international co-organis par lachaire des Antiquits Nationales et le Centre Archologique Europen de Bibracte qui se tiendra au Collge de France en juillet 2006 , cinq tables rondes se

    sont tenues Bologne, Budapest, Cambridge, Lausanne et Leipzig.

    Le Professeur est all en mission, pour des sminaires, des confrences oudes colloques, Avignon, Autun, Bliesbruck, Cannes, Dijon, Lyon, Martigues,Mondelange, Nantes, Orlans, Paris (Institut National dHistoire de lArt), Rennes,

  • 7/25/2019 Germanie

    12/12

    CHRISTIAN GOUDINEAU686

    Saint-Romain-en-Gal et Toulouse. Il a t invit sur le chantier de fouillesitalien dAlbinia.

    Il a prsid des jurys de thses et celui dhabilitation diriger des recherchesde M. Stphane Verger, Directeur des tudes lcole Franaise de Rome.

    IV. PUBLICATIONS

    LaCollection Hauts lieux de lHistoire dirige par le Professeur a accueilli :

    J. Chausserie-Lapre, Martigues, terre gauloise entre Celtique et Mditer-rane, Errance, 2005.

    J.-P. Petit, avec la collaboration de Ph. Brunella, Bliesbruck, Celtes etRomains en Sarre et en Moselle, Errance, 2005.

    Ouvrages

    Les Empereurs de Rome, dAuguste la Ttrarchie, la collection Jacque-line, Errance, 2004.

    LEnqute de Lucius Valrius Priscus, Actes Sud-Errance, 2004 (fiction). Rdition en livre de poche du Voyage de Marcus, Babel, 2005.

    Contributions

    Lart de la Gaule romaine ,Le Monde de lArt,Encyclopaedia Universa-lis, 2004, pp. 160-162.

    Nombreux interviews ou articles dans la presse crite et audiovisuelle.