204
GESTION DURABLE DE LA FORÊT BORÉALE : VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE L’ÉQUILIBRE Avis du Forestier en chef Déposé à M me Nathalie Normandeau, ministre des Ressources naturelles et de la Faune, le 7 décembre 2010

GESTION DURABLE DE LA FORÊT BORÉALE: VISION GLOBALE

Embed Size (px)

Citation preview

  • GESTION DURABLEDE LA FORT BORALE:

    VISION GLOBALE ETRECHERCHE DE LQUILIBRE

    Avis du Forestier en chef

    Dpos Mme Nathalie Normandeau,

    ministre des Ressourcesnaturelles et de la Faune,

    le 7 dcembre 2010

  • GESTION DURABLEDE LA FORT BORALE:

    VISION GLOBALE ETRECHERCHE DE LQUILIBRE

    Avis du Forestier en chef

    Bureau du forestier en chef845, boulevard Saint-JosephRoberval (Qubec) G8H 2L6

    Tlphone : 418 275-7770Tlcopieur : 418 275-8884Courriel : [email protected]

    mailto:[email protected]

  • Cette publication est mise en lignedans le site Internetdu Forestier en chef ladresse :http://www.forestierenchef.gouv.qc.ca/decisions-avis-recommandations/avis-au-ministre/

    Gouvernement du Qubec 2010Dpt lgal 2010Bibliothque et Archives nationales du QubecBibliothque et Archives Canada

    ISBN 978-2-550-60656-7 (imprim)ISBN 978-2-550-60657-4 (PDF)

    Direction, coordination et rdactionLucie Bertrand, ing.f., Ph.D.Pierre Levac, ing.f., M.Sc.

    Collaboration la prsente publicationBureau du forestier en chef

    Danielle Leblanc, ing.f., analyse des bases de donnesRichard Tremblay, tech.f., production des cartesGabriel Roy, ing.f., Ph.D, collaboration la rdactionMichel Douville, ing.f., collaboration la rdaction

    Remerciements particuliers toutes les personnes qui ont contribu de prs oude loin la rvision des diffrentes versions du texte.

    Rvision linguistique et grammaticaleCorrection/Rvision [email protected]. : 418 997-7036

    Ralisation graphiquevolution Graphique

    RfrenceBertrand, L. et P. Levac (2010). Gestion durable de la fortborale : vision globale et recherche de lquilibre,Roberval (Qubec), Bureau du forestier en chef, 204 pages.

    Cette publication a t ralise avec la collaboration de nombreux experts et appuye sur des rsultats derecherche recueillis parmi une large communaut scientifique.

    Les donnes prsentes dans cet Avis, sauf indication contraire, font tat dobservations, danalyses et decompilations de donnes scientifiques effectues par et pour le Forestier en chef.

    Fruit dune longue rflexion, cet Avis contient des recommandations dans le but dclairer et dinspirer les dcideurset dtre utile la mise en place du rgime damnagement durable du territoire forestier qubcois.

    mailto:[email protected]://www.forestierenchef.gouv.qc.ca/decisions-avis-recommandations/avis-au-ministre/http://www.forestierenchef.gouv.qc.ca/decisions-avis-recommandations/avis-au-ministre/

  • GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    MOT DU FORESTIER EN CHEF

    Dans le cadre de larticle 47 de la Loi sur lamnagement durable du territoireforestier, il est spcifi que le Forestier en chef conseille la ministre sur toute questionqui appelle lattention ou laction gouvernementale. En considration de cet articlede la Loi, je vous fais parvenir un Avis du Forestier en chef, que je rends galementdisponible au public, pour des raisons de transparence, dans le site Internet duForestier en chef.

    Cet Avis a t prpar la suite des ractions partages qua suscites la publication,en novembre 2008, de lavis scientifique sur les vieilles forts, que javaiscommand au Centre dtude de la fort (CEF). Ces ractions mont amen alors prendre la dcision danalyser globalement cette problmatique complexe, souslangle de la gestion durable de la fort borale qui constitue un enjeu prpondrantpour la socit qubcoise, tant des points de vue environnemental, conomiqueque social. La fort borale compte pour plus du tiers de la superficie totale duQubec, reprsentant lcosystme forestier le plus important de la province. Cesconsidrations ainsi que le virage entrepris par la Loi sur lamnagement durabledu territoire forestier mont incit approfondir la rflexion, sur des basesscientifiques, afin de contribuer dvelopper une vision globale de la gestiondurable de la fort borale.

    Le prsent Avis intitul Gestion durable de la fort borale : vision globale etrecherche de lquilibre traduit les rsultats de cette rflexion. Ces rsultatsdcoulent de lanalyse de donnes forestires, dune importante revue de littraturesur lamnagement forestier durable et sur la lutte aux changements climatiques,de mme quils dcoulent dune valuation de la squestration du carboneatmosphrique par la fort borale. Par consquent, ces rsultats traduisent lacontribution de plusieurs chercheurs, dans une optique dintgration de lexpertiseet de la connaissance. La dmarche amne proposer quelques avenues de solutionspour assurer la conservation et la mise en valeur de la fort borale, et suggre desmesures visant faciliter son adaptation aux nouvelles conditions quengendrerontvraisemblablement et progressivement les changements climatiques.

  • IV

    Sur la base des constats mis en lumire par cet Avis, ladaptation de la fort boralepasse invitablement par un renforcement de lamnagement forestier, dont lacceptabilitsociale dpend de la comprhension des enjeux, expliqus sur des fondementsscientifiques. La fort borale a la capacit de produire beaucoup plus de richesse et debnfices pouvant profiter lensemble des citoyens du Qubec. cet gard, il est importantde rappeler toutefois, en termes dapproche, quaucune dimension du dveloppementdurable nest plus importante que les autres, la finalit rsidant dans la recherche dunquilibre entre les valeurs environnementales, sociales et conomiques.

    Lanalyse globale de cette problmatique, particulirement complexe, amne spcialement mettre en lumire certaines divergences entre les actions qui devraient permettrede rencontrer les critres damnagement forestier durable et certaines optionsdamnagement actuellement envisages au Qubec.

    LAvis contient un certain nombre de recommandations et est suffisamment documentpour alimenter la poursuite de la rflexion en vue de recadrer certaines ides etperceptions vhicules dans le milieu forestier et sur la place publique depuis plusde dix ans.

    Lapproche de dveloppement durable interpelle le gouvernement et la collectivit poser des gestes, ainsi qu convenir de choix clairs et quilibrs entre lesconsidrations environnementales, conomiques et sociales. Cela implique de larigueur, une dmarche de conciliation, des compromis, des investissements et desactions appropries.

    Cet Avis est le fruit dune longue rflexion qui sest voulue englobante, rigoureuse etobjective, sur un des principaux enjeux damnagement du territoire du domaine deltat qubcois, notamment la gestion durable de lcosystme forestier boral. Cetterflexion est appuye sur nombre dexpertises et de rsultats de recherche recueillisparmi une large communaut scientifique.

    laube de mon dpart, cet Avis constitue le tout dernier que je rendrai titre depremier Forestier en chef du Qubec. Je souhaite quil puisse clairer et inspirer lesdcideurs et tre utile la mise en place du rgime damnagement durable duterritoire forestier qubcois.

    Veuillez recevoir, Madame la Ministre, lexpression de mes meilleures considrationset de mes salutations distingues.

    Le Forestier en chef

    Pierre Levac, ing.f., M.Sc.

  • V

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    SIGNATURE DU FORESTIER EN CHEF

    La dmarche et les recherches qui ont conduit la production de cet Avis ont tralises par Mme Lucie Bertrand, ing.f., Ph.D, sous ma supervision et conformment mes instructions. Je me suis assur quelle soit empreinte de rigueur et dobjectivit enplus de respecter les valeurs qui me sont chres et auxquelles adhre lorganisation duBureau du forestier en chef. De plus, dans le but de respecter le code de dontologie delOrdre des ingnieurs forestiers du Qubec, jai demand Mme Lucie Bertrand, conseillrescientifique au Bureau du forestier en chef, quelle soit cosignataire du prsent Avis.

    En ce mois de dcembre 2010, la parution et la suite de la diffusion de ce prsentAvis portant sur la Gestion durable de la fort borale : vision globale et recherchede lquilibre , je vous confirme que japprouve et endosse entirement son objet etson contenu.

    Lucie Bertrand, ing.f., Ph.D.Conseillre scientifique au Bureaudu forestier en chef

    Pierre Levac, ing.f., M.Sc.Forestier en chef

  • VI

    TABLE DES MATIRES

    INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1

    1. CONSIDRATIONS PRLIMINAIRES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3

    1.1 Le dveloppement durable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31.2 La gestion durable de la fort borale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.3 La recherche de lquilibre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

    2. DES FAITS PROPOS DE LA FORT BORALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

    2.1 Quest-ce que la fort borale ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112.2 La fort borale du Qubec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 122.3 La fort borale de la Cte-Nord et du Saguenay-Lac-Saint-Jean . . . . . . . 14

    3. LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX EN FORT BORALE . . . . . . . . . . . . . . . . . 16

    3.1 La conservation de la diversit biologique (Critre 1) . . . . . . . . . . . . . . . . . 163.1.1 Quelques rflexions sur le concept de diversit biologique . . . . . . . 173.1.2 propos des vieilles forts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203.1.3 Combien reste-t-il de vieilles forts primaires ? . . . . . . . . . . . . . . . . 213.1.4 Enjeux de composition et de structure des peuplements . . . . . . . . . 28

    3.2 Le maintien et lamlioration de ltat et de la productivitdes cosystmes forestiers (Critre 2) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313.2.1 La dynamique naturelle de la pessire mousses de lEst . . . . . . . . 323.2.2 valuation de louverture du couvert forestier . . . . . . . . . . . . . . . . . 373.2.3 Importance des landes forestires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 403.2.4 Impacts de la tordeuse des bourgeons de lpinette . . . . . . . . . . . . 413.2.5 Impacts des feux de fort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

    3.3 La conservation des sols et de leau (Critre 3) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44

  • VII

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    4. LA FORT BORALE ET LES CHANGEMENTS CLIMATIQUES . . . . . . . . . . . . . . . 46

    4.1 Le maintien de lapport des cosystmes forestiersaux grands cycles cologiques (Critre 4) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 464.1.1 Ce que dit la science climatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 474.1.2 Le Protocole de Kyoto . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 504.1.3 Le Sommet de Copenhague . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 524.1.4 Les diffrents rles de la fort et du bois . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 534.1.5 La fort borale : puits ou source de carbone ? . . . . . . . . . . . . . . . . . 554.1.6 Les vulnrabilits de la fort borale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58

    4.2 Le Qubec et les changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 664.3 Utiliser la fort et le bois pour lutter contre

    les changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 684.3.1 La rduction des missions de GES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 694.3.2 Les mesures de mitigation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 704.3.3 La substitution des produits . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 734.3.4 Ladaptation des forts aux changements climatiques . . . . . . . . . . . 77

    5. LES ENJEUX SOCIOCONOMIQUES EN FORT BORALE . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80

    5.1 Le maintien des avantages socioconomiques multiplesque les forts procurent la socit (Critre 5) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 805.1.1 Le secteur forestier au Qubec . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 815.1.2 Les produits forestiers non ligneux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 855.1.3 Les activits rcrotouristiques lies la faune et au plein air . . . . 885.1.4 La valeur environnementale de la fort . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 895.1.5 Des apports conomiques mconnus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90

    5.2 La prise en compte, dans les choix de dveloppement, des valeurset des besoins exprims par les populations concernes (Critre 6) . . . . . . 90

    6. CONSTATS DU FORESTIER EN CHEF . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93

    6.1 Les vieilles forts primaires ne sont pas en perdition en fort borale . . . . 936.2 Une importante dforestation naturelle est observe . . . . . . . . . . . . . . . . . 966.3 La ralit de la fort borale lue travers une problmatique

    de perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 976.4 Une nouvelle pidmie de TBE en dveloppement... . . . . . . . . . . . . . . . . . . 996.5 La fort borale est trs vulnrable aux changements climatiques . . . . . 1016.6 La cration de valeurs pour la socit provenant de la fort

    peut tre amliore . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1026.7 Un rel dfi pour les acteurs rgionaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1036.8 LAvis du CEF en rapport aux agrments de rcolte

    dans des peuplements en dgradation ou susceptiblesde dsastres naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104

  • VIII

    7. QUE FAIRE POUR LA FORT BORALE? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107

    7.1 propos des aires protges . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1077.2 propos de la protection des vieilles forts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1087.3 Lapproche cosystmique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110

    7.3.1 Quelques dfinitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1107.3.2 La variabilit naturelle historique : une rfrence reconsidrer . . . 1127.3.3 Un changement de paradigmes simpose

    par rapport lquilibre cologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1137.3.4 Des difficults conceptuelles dapplication . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1147.3.5 Lapproche cosystmique : lment dune stratgie

    damnagement durable en fort borale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1167.4 Des stratgies damnagement davantage diversifies en fort borale . . 117

    7.4.1 Lintrt et les limites de la CPRS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1187.4.2 Plus de plantation, notamment pour contrer un phnomne

    de dforestation naturelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1187.4.3 La coupe partielle, limite des fins spcifiques . . . . . . . . . . . . . . 1217.4.4 Prendre en compte les perturbations naturelles . . . . . . . . . . . . . . . 123

    7.5 Mettre profit la fort borale pour luttercontre les changements climatiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 124

    7.6 Grer la fort borale en tenant compte des changements climatiques . . 1277.7 Quelques lments de gouvernance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 130

    CONCLUSION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 131

    RFRENCES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 134

    ANNEXE 1 - VALUATION DE SCNARIOS DAMNAGEMENT POUR LUAF 024-52 . . 153

    1. Description de lUAF 024-52 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1532. valuation des scnarios damnagement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156

    2.1 Les possibilits forestires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1582.2 La prsence de vieilles forts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1602.3 La disponibilit dun habitat favorable

    pour le caribou forestier et lorignal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1622.4 La variation du stock de carbone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1632.5 La contribution de la rcolte forestire lconomie rgionale . . . 164

    ANNEXE 2 - COMPLMENTS DINFORMATION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 167

    ANNEXE 3 - ACRONYMES UTILISS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191

  • 1

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    INTRODUCTION

    Bien que beaucoup ait t dit et crit depuis la sortie du film LErreur borale en 1999,la polmique entourant la gestion et lamnagement de la fort borale perdure. Il demeuredifficile de se faire une opinion claire, reposant sur des assises scientifiques, alorsque les groupes de militants ont gnralement tendance prner le dveloppement durablesur la base plus ou moins exclusive de la conservation de la diversit biologique, endemandant la protection de ce qui reste de fort borale intacte .

    cet gard, dans le but de rtablir quelque peu les faits, le Forestier en chef rendaitpublique, en septembre 2007, une fiche dinformation intitule Distinction entre la fortborale et la fort publique sous amnagement *. Les constats suivants y taientmentionns :

    La fort borale continue couvre au Qubec une superficie de lordre de 550000 km(55000000 ha).

    La proportion de la fort borale continue comprise lintrieur des unitsdamnagement forestier (UAF) est de lordre de 58%, soit une superficie dunpeu plus de 320000 km (32000000 ha).

    La proportion de la fort borale continue rellement destine lamnagementforestier telle que considre dans le calcul des possibilits forestires (CPF)2008-2013, est toutefois de lordre de 36%, reprsentant une superficie dun peumoins de 200000 km (20000000 ha).

    Les activits damnagement ralises par lindustrie forestire affectentannuellement moins de 1% de la fort publique sous amnagement, soit moinsde 2000 km (200000 ha) ou 0,36% de la fort borale continue.

    Ainsi, dans le rgime actuel, environ 350000 km (35000000 ha) de fort boralecontinue (prs de 64%) sont dj exclus de la production forestire commercialepour plusieurs raisons (exclusions territoriales pour des motifs de conservation,de contraintes biophysiques, dententes particulires ou de non-productivit dessites par exemple). En pratique, ces superficies contribuent notamment au maintiende lhabitat du caribou forestier et la conservation de la diversit biologiquede lcosystme boral.

    * Les numros en exposant rfrent des complments dinformation (annexe 2).

  • 2

    Ladoption du projet de loi 39 en dcembre 2007, Loi modifiant la Loi sur les forts etdautres dispositions lgislatives, a eu, entre autres implications, de demander dsormaisau Forestier en chef dvaluer la disponibilit de volumes de bois considrs en perditionet pouvant tre attribus en agrments de rcolte par le ministre. Il en a dcoul, lpoque, des protestations qui ont conduit le Forestier en chef commander un avisscientifique sur les vieilles forts au Centre dtude de la fort (CEF, 2008). Cet Avis at rendu public en novembre 2008.

    De l, des complments dinformation, des ractions et des critiques lui ont t transmis(CEF, 2009; Ct et al., 2009a). Le Forestier en chef a alors entrepris dlaborer unerflexion globale sur la situation de la fort borale du Qubec. Cette rflexion fait lobjetdu prsent Avis au ministre. Cet Avis sinscrit dans les responsabilits du Forestier enchef qui a le devoir dalerter le ministre sur tout sujet qui appelle lattention ou lactiongouvernementale.

    La rflexion dcoule de lanalyse de donnes forestires, dune importante revue delittrature sur lamnagement forestier durable, sur la lutte aux changements climatiqueset dune valuation de la squestration du CO2 atmosphrique par la fort borale; elletraduit la contribution de plusieurs chercheurs. Par le prsent Avis, lintention est dedvelopper une vision globale et une rflexion documente propos de la gestiondurable de la fort borale.

    LAvis vise galement proposer quelques avenues pour en assurer sa conservation,sa mise en valeur et son adaptation aux nouvelles conditions cres par les changementsclimatiques. Lanalyse de cette problmatique particulirement complexe amne mettreen lumire certaines divergences entre les actions qui devraient permettre de rencontrerles critres damnagement forestier durable (AFD) et les options damnagementactuellement envisages au Qubec. Mentionnons, en terminant, que les conclusionset les recommandations du Forestier en chef lgard de la gestion de la fort boralepermettent de questionner nouveau et de recadrer certaines ides et perceptionsvhicules sur la place publique depuis plus de dix ans.

  • 3

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    1. CONSIDRATIONS PRLIMINAIRES

    Visant faire le point sur la gestion et lamnagement de la fort borale au regard dessix critres damnagement forestier durable (AFD), cet Avis cherche dfinir unquilibre entre les dimensions environnementale, conomique et sociale et orienterla gestion durable de la fort borale dans le contexte des changements climatiques.

    1.1 LE DVELOPPEMENT DURABLE

    Certains extraits dune importante revue de littrature permettent de circonscriresuccinctement le concept de dveloppement durable.

    La dfinition la plus courante du dveloppement durable se base sur la cohabitation de troispiliers (social, conomique et environnemental) (Morin, 2009). Selon Gendron (2005),lenvironnement est une condition, lconomie un moyen et le dveloppement socialune fin. Le dveloppement durable exige lutilisation responsable des ressources et supposele traitement quitable des individus, dans un contexte de croissance conomiqueviable (Morin, 2009). En fonction des interactions entre les trois piliers, cette dfinitiontripolaire peut prendre une dimension plus conservatrice ou plus sociale. La notion dedveloppement durable implique que lon se soucie de la qualit de la croissanceconomique et de la durabilit environnementale en maintenant lintgrit des cosys-tmes et lquit sociale (OCDE, 2001).

    Il faut remonter lorigine mme de la notion de dveloppement durable pour encomprendre le vritable sens (UICN, 1980). Le dveloppement durable rfrait alors un mode de dveloppement appliqu la croissance et reconsidr lchelle mondialeafin de prendre en compte les aspects cologiques et culturels gnraux de laplante . Il sagit, selon la dfinition propose en 1987 par la Commission mondialesur lenvironnement et le dveloppement (Rapport Brundtland) (CMED, 1988), dundveloppement qui rpond aux besoins des gnrations du prsent, sans compromettrela capacit des gnrations futures rpondre aux leurs. Ainsi, deux concepts sontinhrents cette notion : le concept de besoins et plus particulirement des besoinsessentiels des plus dmunis, qui il convient daccorder la plus grande priorit, et lidedes limitations que ltat de nos techniques et de notre organisation sociale imposesur la capacit de lenvironnement rpondre aux besoins actuels et venir 2.

  • 4

    Tel quillustr la figure 1, le dveloppement durable doit se situer la confluence desproccupations environnementale, sociale et conomique, dites les trois piliers dudveloppement durable .

    Figure 1. Illustration du concept de dveloppement durable2

    Linterprtation qubcoise du concept de dveloppement durable se doit dtreconforme celle vhicule lchelle internationale et partage par lensemble desparties concernes, quil sagisse des gouvernements, dorganisations non gouverne-mentales (ONG) ou dacteurs rgionaux (utilisateurs du milieu forestier, dcideurs locaux,promoteurs conomiques, etc.). Bien que beaucoup dimportance ait t accorde la dimension environnementale au cours des dernires annes, en raction au passo la recherche de la croissance de la structure industrielle tait priorise, il apparatquaucune dimension du dveloppement durable nest plus importante que lesautres, la finalit rsidant dans un quilibre; ce dernier restant dfinir. SelonReeves (2009) Beaucoup de gens relient le dveloppement durable lcologie. Maiscest une vision rductrice, car ce sont bien trois piliers qui sont difier galit pourviser le maintien dans lavenir de la qualit de vie de notre espce Homo sapiens surnotre chre et unique plante .

    durablequitable

    Social

    vivable

    viable

    Environnement

    conomique

  • Au Qubec, le dveloppement durable sappuie sur une vision long terme qui prenden compte le caractre indissociable des dimensions environnementale, sociale etconomique des activits de dveloppement (Gouvernement du Qubec, 2010a). Ledveloppement durable est issu de cette ide que tout ne peut pas continuer commeavant, quil faut remdier aux insuffisances du modle de dveloppement ax sur laseule croissance conomique en reconsidrant nos faons de faire compte tenu denouvelles priorits. Il faut donc :

    Maintenir lintgrit de lenvironnement pour assurer la sant et la scurit descommunauts humaines et prserver les cosystmes qui entretiennent la vie;

    Assurer lquit sociale pour permettre le plein panouissement de toutes lesfemmes et de tous les hommes, lessor des communauts et le respect de ladiversit;

    Viser lefficience conomique pour crer une conomie innovante et prospre,cologiquement et socialement responsable (MDDEP, 2010).

    Lhumain occupe donc une importante prpondrance dans la mise en uvre du conceptde dveloppement durable qui prconise de combler ses besoins en tenant compte desconditions et des contraintes environnementales ainsi que des opportunits conomiques,tout en se souciant de laisser un hritage de qualit pour les gnrations futures. Ladiscussion labore par Francesco di Castri 3 en 2005, propos du dveloppement durable,apporte un clairage trs contributif ce sujet :

    Le mot dveloppement voque lesprit dentreprise et dinitiative qui doitcaractriser, au-del des ensembles de lindustrie, du commerce et des services,chaque individu tout au long de sa vie sil veut rester digne. [] Le qualificatifdurable recouvre les espaces de participation et de solidarit avec les autres,proches et lointains, connus et inconnus, les gnrations futures, la nature. Cestlaspiration scuritaire et identitaire, la prvoyance et la dfense du patrimoinenaturel et culturel. [] Le patrimoine culturel et naturel nest pas considrcomme une entit fige protger, mais comme llment essentiel valoriserpour pouvoir sadapter chaque fois des changements successifs. Il ny aura pointde durabilit par une culture de la maintenance, de la rsistance ou du refus duchangement. Cest seulement par ladaptation aux changements que la durabilitest possible. [] Pour maintenir un pouvoir adaptatif, cette culture du changement,tout en restant enracine dans sa propre identit, devra tre largement ouverteaux mille diversits des autres, aux mille sentiers de lavenir; elle devra tre uneculture de la diversit (Di Castri, 2005).

    5

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • Huybens (2007) affirme que ce serait une faute thique de rduire le dveloppementdurable une ou deux de ses composantes, en oubliant les autres. Il faut renoncer placer le bien dans une dcision optimale monocritre. Ce qui est de lordre dubien , du juste ou du bon , ce sont les dcisions faisant place lensemble desenjeux des diffrents acteurs, donc lensemble des besoins humains, dans le respectde lenvironnement. Ce sont les besoins humains dans la nature que nous devonssatisfaire de manire durable, cest--dire en respectant les capacits des cosystmes soutenir la vie.

    Les dcisions de dveloppement durable sont conues avec lhomme au sein descosystmes pour inclure son existence dans les cosystmes naturels et en respecterles processus (Huybens, 2007). Lquit intergnrationnelle nous oblige galement considrer lavenir dans les choix qui doivent tre faits.

    Le dveloppement durable est le fruit de concertations et de compromis entre lesdcideurs politiques et conomiques et les organisations non gouvernementales (ONG)gnralement acquises aux causes environnementales. Selon Claval (2006), contrairementaux ides gnralement vhicules, ce sont les ONG qui se sont autoproclamesporte-parole de la population, sous prtexte quelles taient les seules comprendre et connatre ses besoins et surtout sa ralit quotidienne. Les ONG incarnent le tierssecteur , car elles ne poursuivent pas, thoriquement , de but lucratif, ni lobjectif degouverner, do une certaine forme de lgitimit apparente (Tellenne, 2005). SelonMorin (2009), cette faon de lgitimer le dveloppement durable et den assurer lapopularit dans la socit civile constitue un facteur supplmentaire de confusion dansson application.

    Au Qubec, le gouvernement a pris des engagements fermes en matire de dvelop-pement durable par la mise en uvre de la Stratgie nationale sur la fort (CCMF, 1998),de la Stratgie qubcoise sur la diversit biologique 2004-2007 (Gouvernementdu Qubec, 2004a) et de la Stratgie gouvernementale de dveloppement durable2008-2013 (Gouvernement du Qubec, 2007). Comme les autres provinces canadiennes,le Qubec a mis sur pied des programmes visant maintenir les processus cologiquesqui assurent la sant des forts. Depuis 2008, le gouvernement du Qubec a rsolumentacclr son virage environnemental, entre autres, par :

    La Loi affirmant le caractre collectif des ressources en eau et visant renforcerleur protection (2009)4;

    Le projet de loi 42 : Loi modifiant la Loi sur la qualit de lenvironnement et dautresdispositions lgislatives en matire de changements climatiques (2009)5;

    Le Qubec et les changements climatiques : un dfi pour lavenir : plan daction2006-20126;

    Vers la valorisation de la biomasse forestire : un plan daction (2009)7;

    La Stratgie dutilisation du bois dans la construction au Qubec (2008)8.

    6

  • De plus, tous les ministres et les organismes lis au gouvernement du Qubec ont dproduire, pour le 31 mars 2009, un plan daction de dveloppement durable, linstardu ministre des Ressources naturelles et de la Faune9 et du Bureau du forestier enchef (BFEC)10. Le Qubec agit donc en chef de file en dmontrant quil est concrtementengag dans la voie du dveloppement durable. Par ladoption du projet de loi 5711, Loisur lamnagement durable du territoire forestier, engendrant une rforme profonde durgime forestier et par le projet de Stratgie damnagement durable des forts (SADF)12

    actuellement en consultation publique, le gouvernement du Qubec assure la continuitde ses engagements dans le milieu forestier.

    Sur le plan des changements climatiques, le Qubec a pos un geste important lchelle nord-amricaine en se joignant en avril 2008 la Western Climate Initiative(WCI)13. Finalement, lors du Sommet de Copenhague, en dcembre 2009, le premierministre du Qubec prenait lengagement de rduire nos missions de gaz effet deserre (GES) de 20% sous les niveaux de 1990, dici 202014.

    1.2 LA GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE

    En Europe, la Confrence ministrielle sur la protection des forts15 a dvelopp unedfinition spcifique de la gestion durable des forts qui a t adopte par lOrganisa-tion des Nations Unies pour lalimentation et lagriculture (FAO) : La gestion durabledes forts signifie la gestion et lutilisation des forts et des terrains boissdune manire et une intensit telles quelles maintiennent leur diversitbiologique, leur productivit, leur capacit de rgnration, leur vitalit etleur capacit satisfaire, actuellement et pour le futur, les fonctionscologiques, conomiques et sociales pertinentes aux niveaux local, nationalet mondial, et quelles ne causent pas de prjudices dautres cosystmes .

    La gestion durable des forts, fondement mme dun dveloppement durable du secteurforestier, vise au sens large assurer un approvisionnement continu en bois et enproduits non ligneux, ainsi que la disponibilit des services cologiques, sociaux etculturels assurs par les forts et les cosystmes forestiers (FAO, 2001). De mme, dfinir la gestion durable des forts en termes de priorits nationales et locales,actuelles et futures, et traduire les principes agrs en mesures concrtes afindexploiter et de soutenir la gamme complte des valeurs de la fort, constituent unenjeu majeur (FAO, 2001).

    Les avantages apports par les critres et les indicateurs pour la gestion durable desforts doivent tre compris et apprcis tous les niveaux (national et rgional).Lengagement politique est ncessaire pour les mettre entirement en uvre. La mesureet la surveillance des indicateurs fournissent des informations sur les changementsobservs qui devraient reflter les impacts des politiques, des mesures et des pratiques.

    7

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • 8

    Des valuations rgulires devraient contribuer une meilleure prise de dcision. Cestun processus dynamique o les indicateurs sont continuellement amliors pour rpondreaux demandes du public, aux nouvelles informations scientifiques, lexprience croissante lintrieur des pays et lchange des expriences entre eux (Ahlafi et al., 2007).

    La gestion durable des forts est donc un mode de gestion qui fixe des critres, desindicateurs et des objectifs sociaux et environnementaux en plus de ceux caractreconomique gnralement associs la gestion forestire traditionnelle. Ces lmentspermettent dapprcier latteinte des rsultats et dapporter les correctifs approprisaux oprations de planification et dexploitation forestires de faon sassurer queles forts remplissent adquatement leurs fonctions cologiques, conomiques et sociales.Cette dfinition sous-entend que les forts gres font lobjet dinterventions humainespriodiques ou permanentes16 et se rapproche du sens plus gnral de la dfinition de forest management .

    Au Qubec, on observe une certaine confusion terminologique autour du terme amnagement forestier , ce qui induit une problmatique entourant lexpressionamnagement forestier durable . En pratique, le terme amnagement forestier at traduit de langlais forest management lequel rfre plutt la notion degestion forestire quaux actions damnagement pratiques sur le terrain. Ainsi, leDictionnaire de la foresterie (OIFQ, 2000 et 2003) donne deux dfinitions pour lexpressionamnagement forestier :

    Force est de constater que notre dfinition lgale (L.R.Q., chapitre A-18.1 Nov. 2010 Loi sur lamnagement durable du territoire forestier) dnature lessence mme delamnagement forestier tel quil est compris et vhicul dans le reste du monde. AuQubec, le concept damnagement forestier a t ax sur des moyens plutt que surdes principes, des programmes, des stratgies et ultimement, des actions. Le termeamnagement forestier durable (AFD) apparu la fin des annes 90 est maintenantremplac, au Qubec, par amnagement durable des forts (ADF) , tandis que la tendanceinternationale soriente vers la terminologie gestion durable des forts (GDF) quisavre conceptuellement beaucoup plus large et signifiante.

    1. Application pratique des principes de biologie, de physique, danalyse quanti-tative, de gestion, dconomie, de sciences sociales et des politiques largnration, lamnagement, lutilisation et la conservation des forts,de faon atteindre des buts et des objectifs prcis tout en maintenant laproductivit forestire (Helms, 1998).

    2. Au Qubec, au sens de la Loi sur les forts, ensemble des activits comprenantlabattage et la rcolte de bois, limplantation et lentretien dinfrastructures,lexcution de traitements sylvicoles, y compris le reboisement et lusage dufeu, la rpression des pidmies dinsectes, des maladies cryptogamiques etde la vgtation concurrente, de mme que toute autre activit ayant un effetsur la productivit dune aire forestire (Gouvernement du Qubec, 1998).

  • 9

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    La voie trace par la gestion durable des forts et la mise en uvre dune stratgiedamnagement forestier en fort borale, telle que prvue par la Loi (L.R.Q., chapitreA-18.1)11, impliquent quune portion apprciable du territoire forestier soit ddie laprotection de la diversit biologique. En Ontario17, par exemple, le gouvernement a annoncson intention de protger de manire permanente au moins la moiti des terres du GrandNord de la province, soit environ 225000 km (22500000 ha). Au Qubec, le gouvernementa annonc quil hausserait la reprsentativit des aires protges 12% dici 2015 etque 38% du territoire couvert par le Plan Nord sera soustrait de toute activit industrielle(forestire, minire, nergtique)18. lheure actuelle, le Qubec protge 8,12%19 duterritoire de faon intacte, principalement en accord avec les catgories I, II et III delUICN (2008).

    1.3 LA RECHERCHE DE LQUILIBRE

    La gestion durable des forts (GDF) implique que lon doive trouver lquilibre entreplusieurs valeurs et intrts concurrents. Dans le contexte des changements climatiques,la complexit de lamnagement forestier augmente. Il faut prendre en compte nonseulement le rle des forts dans la squestration du CO2 atmosphrique, mais aussileurs ractions aux changements climatiques. Les forts devront tre amnages nonseulement pour contrer ces changements par la squestration du CO2 mais galementpour en faciliter lvolution et ladaptation au climat de lavenir. Il ny aura pas de solutionssimples. Faire face ces questions demande des analyses scientifiques rigoureuses,des consultations auprs des parties concernes et des actions guides par des faitsscientifiquement prouvs (Kurz, 2008a) ainsi que prendre certains risques face lincertitude.

    Plusieurs mesures ont t mises en place par le gouvernement du Qubec au cours desdernires annes (limite nordique dattribution, aires protges, objectifs de protectionet de mise en valeur des ressources du milieu forestier (OPMV), refuges biologiques,cosystmes forestiers exceptionnels, etc.) pour protger et maintenir la diversitbiologique au sens mme du premier des six critres dAFD du Conseil canadien desministres des forts (CCMF, 1997), lesquels avaient t enchsss dans le prambule dela Loi sur les forts. La rcente rvision du rgime forestier sest aussi base sur lAFDet prvoit ladoption dune stratgie damnagement durable des forts (SADF) tabliesur la base dune approche cosystmique et dune gestion intgre des ressources(GIR) du territoire.

  • Il convient cependant de rappeler que plusieurs des mesures vocation de conservationont t introduites la suite dpisodes mdiatiques dimportance quant la gestionforestire au Qubec. Sans chercher prsumer ou porter des jugements sur le pass,le gouvernement a pris, en pratique, une srie de dcisions de protection et de conser-vation alors que limpact global de ces actions ne pouvait tre valu car les capacitsdanalyse ntaient pas toujours disponibles. De mme, lquilibre avec les autrescritres dAFD reconnus internationalement ne pouvaient tre pris en considration defaon adquate et claire. Il est maintenant devenu ncessaire de soupeser davantagela rflexion et de valoriser limportance de ces critres dans la balance du dveloppementdurable.

    Les six critres dAFD du CCMF20 (1997) encadrent un amnagement de la fort qui doitconcourir la fois la conservation de la diversit biologique (Critre 1), au maintienet lamlioration de ltat et de la productivit des cosystmes forestiers (Critre 2), la conservation des sols et de leau (Critre 3), au maintien de lapport des cosystmesforestiers aux grands cycles cologiques (Critre 4), au maintien des avantages socio-conomiques multiples que les forts procurent la socit (Critre 5) ainsi qu la priseen compte, dans les choix de dveloppement, des valeurs et des besoins exprims parles populations concernes (Critre 6).

    Il est important de raliser que quatre des six critres du CCMF (1997) concernent ladimension environnementale, le quatrime tant de porte plus plantaire, si lon penseau cycle du carbone, laugmentation des gaz effet de serre (GES) et leur rle dansles changements climatiques. La dimension conomique est couverte par un seul critreet la dimension sociale est assure par limplication des parties concernes dans leschoix de dveloppement.

    Au sens mme des fondements de lAFD, ces six critres sont dimportance gale etdoivent tous tre pris en compte dans les dcisions et les orientations damnagementforestier. Suite aux recherches du Forestier en chef, il appert que dans aucunengagement gouvernemental ou international, ni mme dans aucun documentscientifique, il nest question dune prpondrance dun critre sur les autresdans la recherche de lquilibre. La position dquilibre est videmment conjoncturelleet se doit dtre dfinie en tenant compte des priorits tablies partir des valeurssociales, conomiques et environnementales. Cette position pourra tre redfinir avecle temps mais elle devra tre tablie dans un souci dthique irrprochable, en toutetransparence et aprs avoir valu les consquences des actions envisages.

    Afin dtablir une vision globale sur la prise en compte des six critres dAFD qui sont la base du rgime forestier qubcois, le Forestier en chef sest attard en valuerles diverses dimensions.

    Une revue de la littrature rcente, des analyses, des rencontres et de nombreusesdiscussions avec des spcialistes ont servi alimenter la rflexion prsente dans cedocument en ce qui concerne la gestion durable de la fort borale. Cette rflexion sinspiregalement des grandes politiques internationales et du contexte des changementsclimatiques.

    10

  • 2. DES FAITS PROPOS DE LA FORT BORALE

    2.1 QUEST-CE QUE LA FORT BORALE?

    La zone borale circumpolaire constitue une des zones biogoclimatiques les plusimportantes du monde et comprend une bonne partie des forts, des milieux boiss,des terres humides et des lacs de lAmrique du Nord et de lEurasie (figure 2). Ellergularise le climat, agit comme rservoir de diversit biologique et gntique, joue unrle dans les cycles biogochimiques et fournit des ressources renouvelables, deshabitats et des opportunits rcratives (Brandt, 2009).

    Figure 2. Rpartition subarctique de la zone borale (Larsen, 1980)

    La zone borale est majoritairement compose de forts dpinettes, de sapins, de pins,de mlzes, de peupliers et de bouleaux qui peuvent tolrer les conditions climatiquesdes hivers rigoureux et une saison de croissance relativement courte (SCF, 2009a).

    Cest une zone caractrise par un rgime climatique permettant des associationsvgtales borales typiques de pousser, compte tenu des conditions locales. Cettergion occupe un vaste territoire contigu dont la limite change de latitude entre lesglaciations (Rowe et Payette, sd). Elle se dplace vers le nord depuis des milliersdannes, cest--dire depuis la dernire glaciation, et continuera de le faire sous leffetdes changements climatiques (Payette et al., 2001). Il y a peine 21000 ans, lapogede la glaciation du Wisconsin, la moiti nord du continent tait presque entirementcouverte de glace. Depuis, les associations vgtales varient continuellement, apparaissantet disparaissant avec le temps (SCF, 2009a).

    La fort borale regroupe divers stades de succession. On peut y retrouver des peuplementsrcemment rgnrs tout comme des peuplements mrs. La fort borale canadienne(figure 3) est rgie par des perturbations qui ont pour effet de remplacer les peuplements.Elle se renouvelle principalement de faon naturelle, par lincidence du feu et desinfestations dinsectes quon y retrouve. Ces perturbations sont caractristiques de lafort borale, tout comme les essences de longvit relativement faible (moins de

    11

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • 12

    250 ans) qui la composent (SCF, 2009a). En raison de laction rgulire des perturbationsnaturelles, il existe peu darbres trs vieux dans la zone borale et seulement unepetite partie du paysage est non perturbe (SCF, 2009b).

    Figure 3. La fort borale canadienne

    2.2 LA FORT BORALE DU QUBEC

    Faisant partie de la zone borale, la fort borale continue reprsente 36,4% (551400 kmou 55140000 ha) de la superficie totale du Qubec (figures 4 et 5). Elle comporte deuxdomaines bioclimatiques : la sapinire bouleau blanc et la pessire mousses. En 2002,ltablissement, par le gouvernement du Qubec, de la limite nordique dattribution desfins de protection a soustrait des oprations forestires une partie apprciable, de lordrede 100000 km (10000000 ha), du domaine de la pessire mousses (Gagnon, 2008;Gagnon et al., 2004).

    Ainsi, prs de 58,2% de la fort borale continue (soit 320694 km ou 32069399 ha)est localis lintrieur des units damnagement forestier (UAF) cres par le ministredes Ressources naturelles et de la Faune (MRNF) aux fins de la gestion de la fortpublique sous amnagement. Nanmoins, dans sa fiche dinformation Distinction entrela fort borale et la fort publique sous amnagement 1 de septembre 2007, le Forestieren chef prcisait quune proportion de 35,9% (197868 km ou 19786819 ha) de la fortborale continue est vritablement destine la production forestire en raison desnombreuses exclusions territoriales.

  • 13

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Figure 4. Territoire destin lamnagement forestier par rapport la fort borale continue

    En 2007, le Forestier en chef concluait que les activits damnagement ralises parlindustrie forestire affectent annuellement moins de 1% de la fort publique sousamnagement, laquelle soutient, de faon dominante, lactivit conomique des rgionsde la Cte-Nord, du SaguenayLac-Saint-Jean, de la Mauricie, de lAbitibi-Tmiscamingueet de la Gaspsie. Il convient de rappeler que les superficies rcoltes en fort publiquesont obligatoirement remises en production, conformment aux exigences de la Loi surles forts (chapitre F-4.1) .

    Figure 5. Reprsentativit de la fort borale continue lchelle duQubec (graphe de gauche) et de la portion effectivementdestine la production forestire (graphe de droite)

    Toundra forestire14,3%

    Toundra arctique15,6%

    Destine la productionforestire dans les UAF

    35,9%

    Exclue de la productionforestire dans les UAF

    22,3%

    En dehors des UAF41,8%

    Fort feuillue7,3%

    Fort mlange6,5%

    Taga19,8%

    Fort borale continue36,4%

  • 14

    Daprs les rsultats dposs par le Forestier en chef en dcembre 2006 concernant lespossibilits forestires des 74 UAF du Qubec pour la priode 2008-2013, il a t concluquon ne peut prtendre la surexploitation des forts du domaine de ltat et encoremoins de la fort borale . Cette affirmation sen est trouve confirme par la suite parle Bilan damnagement forestier durable au Qubec 2000-2008 (BAFD) (BFEC, 2010).

    En complment dinformation, on se souviendra que la baisse des possibilits forestires2008-2013, annonce par le Forestier en chef en dcembre 2006, a t attribue plusieurs facteurs dont la diminution de la superficie destine la production forestire.Elle sexplique, pour environ les deux tiers de limpact global, par les mesures de protectiondu territoire et de la biodiversit introduites au cours de la priode 2000-2008, soit lalimite nordique dattribution, les aires protges, les refuges biologiques, les mesuresde protection des habitats fauniques, les mesures de dispersion des interventions, dontla coupe mosaque (CMO), etc. Pour le tiers restant de limpact global, la baisse estattribue lintroduction et la prise en compte de connaissances nouvelles ou plus prcisessur les pentes fortes, les bandes et les cotones riverains, les chemins, les dnudssecs et humides, les rendements forestiers, les territoires faible productivit, etc.

    2.3 LA FORT BORALE DE LA CTE-NORDET DU SAGUENAYLAC-SAINT-JEAN

    Afin dobtenir un portrait plus prcis des superficies vocation forestire de la fortborale, des analyses particulires ont t produites par le Bureau du forestier en chefpour 10 UAF couvrant presque lensemble des rgions de la Cte-Nord et du SaguenayLac-Saint-Jean (lUAF 095-51 na pas t analyse). Il sagit dun vaste territoire chantillonstendant jusqu la limite nordique dattribution et jusquau territoire couvert parlEntente Cris-Qubec sur la foresterie (Paix des Braves) au Nord-Ouest (figure 6 ettableau 1). Ce territoire, situ dans les sous-domaines de la sapinire bouleau blancde lEst et de la pessire mousses de lEst, a t choisi en raison de sa reprsentativitet de sa relative uniformit du point de vue de lcologie, de mme quen raison de sonimportance sur le plan du dveloppement conomique.

  • 15

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Figure 6. Localisation des UAF analyses

    Tableau 1. Portrait sommaire des UAF analyses21

    * Excluant leau

    Les analyses ont t produites partir des donnes du CPF 2008-201321 et de celles destrois inventaires dcennaux en fort publique qubcoise22 dans le but de documenter,entre autres, la reprsentativit des vieilles forts, la situation des landes forestiresau Qubec et la nature des superficies protges. Les rsultats de ces analysesapparatront dans les sections suivantes.

    UAF Superficietotale (ha) Eau (ha)

    Superficie*destine laproduction

    forestire (ha)

    Superficie*destine laproduction

    forestire (%)

    023-52 1041617 91420 817726 86,1

    024-51 1198150 151630 761302 72,7

    024-52 1168744 136766 826949 80,1

    025-51 2753789 224741 2029365 80,2

    027-51 1273774 93848 903728 76,6

    093-51 2242077 273098 1263816 64,2

    093-52 1314201 252870 579854 54,6

    094-51 1483006 132929 631155 46,7

    094-52 976834 107735 596075 68,6

    097-51 1549774 150850 952702 68,1

    Total 15001966 1464257 9 362672 Moyenne : 69,2

  • 16

    3. LES ENJEUX ENVIRONNEMENTAUX EN FORT BORALE

    Cette section traite des trois premiers critres de lAFD du CCMF (1997) qui se rapportent la dimension environnementale du dveloppement durable : la conservation de ladiversit biologique (Critre 1), le maintien et lamlioration de ltat et de la productivitdes cosystmes forestiers (Critre 2) et la conservation des sols et de leau (Critre 3).

    3.1 LA CONSERVATION DE LA DIVERSIT BIOLOGIQUE(CRITRE 1)

    Le premier des six critres dAFD porte sur la conservation de la diversit biologique. LeMRNF a adopt une stratgie en trois volets pour rencontrer ce critre : la protectionintgrale de certains cosystmes par la mise en place dun rseau daires protges;ladoption de stratgies damnagement et de pratiques sylvicoles qui visent le maintiende la biodiversit des territoires amnags et lapplication de mesures de protectionparticulires pour les espces fauniques et floristiques menaces ou vulnrables. Pourvaluer ltat de la biodiversit des forts qubcoises, le ministre a mis au point neufindicateurs23 qui concernent la diversit des cosystmes forestiers, la diversit desespces qui y vivent et la diversit gntique. Pour linstant, deux seuls indicateurs sontmesurs par le MRNF, soit la protection des cosystmes forestiers exceptionnels et laprotection des espces menaces ou vulnrables.

    Au Qubec, dans les zones sous amnagement, les enjeux de biodiversit sont surtoutlis la perte ou la simplification dattributs naturels importants. Les travaux derecherche mens jusqu maintenant permettent didentifier les principaux enjeux debiodiversit qui se manifestent sous diffrentes formes dans chacune des rgions duQubec. Ces enjeux de biodiversit sont : la rarfaction des forts mres et surannes,la rarfaction du bois mort, la modification de lorganisation spatiale des forts, lasimplification de la structure interne des peuplements, la modification de la compositionvgtale des forts, les espces ncessitant une attention particulire pour assurerleur maintien et lintgrit des milieux riverains, humides et aquatiques (CERFO, 2009).

  • 17

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Parmi ces enjeux, il est ncessaire de distinguer les lments qui doivent tre traits auniveau stratgique de ceux qui ne peuvent qutre abords sur le plan oprationnel.Comme les responsabilits du Forestier en chef se situent au niveau stratgique, cestlors de la ralisation du CPF que ce type denjeux doit tre pris en compte. Deux enjeuxstratgiques seront intgrs par le Forestier en chef lors de la ralisation du CPF 2013-2018 :la rarfaction des forts mres et surannes et lorganisation spatiale des forts. Lepremier sera discut dans les sections suivantes alors que le second reprsente unenjeu important dans la pessire. Lors du CPF 2008-2013, lorganisation spatiale a tprise en compte dans le cadre de lOPMV 5 comme tant une mesure alternative lacoupe mosaque (CMO) instaure en 2001 visant la dispersion des coupes par unitterritoriale de rfrence (UTR). Puisquil est dsormais possible au BFEC de traiterlinformation rfrence spatiale dans les outils de calcul, le CPF 2013-2018 utiliseraun modle de dispersion des coupes.

    3.1.1 Quelques rflexions sur le conceptde diversit biologique

    Les enjeux lis la conservation de la diversit biologique identifis par CERFO (2009)ciblent particulirement les zones forestires sous amnagement. Mais quen est-il dela situation des zones qui ne sont pas sous amnagement, qui reprsentent pourtant prsde 64% de la fort borale ? Il nest pas possible de lestimer pour linstant, les donnesdu CPF 2008-2013 nayant pas t prvues cette fin. Cette partie de la fort boralequi nest pas sous amnagement est compltement ignore, bien quelle contribue, elleaussi, la protection de la diversit biologique, que ce soit dans les UAF (zonesdexclusion territoriale) ou non. Pour le CPF 2013-2018, la situation sera partiellementdiffrente car il sera alors possible de considrer lensemble de linformation gogra-phique caractrisant les UAF. Par ailleurs, peu dinformations sont disponibles sur lafort situe au nord de la limite nordique dattribution.

    Dautre part, le concept de diversit biologique possde plusieurs dimensions, tellesque la diversit des cosystmes, la diversit des espces et la diversit gntique23.Marcot (2007) rapporte quen 1998, Baydack et Campa avaient recens 19 dfinitionsde la biodiversit. Toutefois, toujours selon Marcot (2007), la plus gnrale vient deNoss et Cooperrider (1994), soit la varit de la vie et de ses processus . La Conventionsur la diversit biologique dfinit la biodiversit comme la variabilit des organismesvivants de toute origine y compris, entre autres, les cosystmes terrestres, marins etautres cosystmes aquatiques et les complexes cologiques dont ils font partie (OCDE, 2002).

  • 18

    Depuis que lcosystme forestier boral sest install, il y a quelques milliers dannes peine, relativement peu despces y sont prsentes, comparativement aux milieuxsitus plus au sud (figures 7 et 8 et tableau 2). Il faut se rappeler que la dglaciation duterritoire qubcois est survenue il y a environ 10000 ans (Rowe et Payette, sd). Mmesil est possible que certaines forts de la zone borale chappent durant de longuespriodes (plus de 500 ans) aux perturbations naturelles contribuant au remplacement despeuplements, les vieilles forts ne sont pas caractristiques de la zone borale. DanslEst du Canada, les forts ont gnralement moins de 200 ans (SCF, 2009b).

    Figure 7. Diversit spcifique dans les zones de vgtationdu Qubec (Tardif et al., 2005)

    Au Qubec, le facteur climatique est de premire importance pour la diversit biologiquequi samoindrit du sud vers le nord, autant pour les espces animales que vgtales(figure 7). En Californie, territoire refuge pour les espces dplaces par la glaciation,se rencontrent deux fois plus de taxons quau Qubec (vgtaux vasculaires et animauxvertbrs), malgr une superficie quatre fois moindre (figure 8). Plus importante encoreest lvidente diffrence du nombre despces endmiques, cest--dire dont laire dedistribution naturelle (ne rsultant pas du transport par lhomme) ne stend pasau-del des limites du territoire (Tardif et al., 2005).

    Diversit spcifique dans les zones de vgtation du Qubec(source : Muse Redpath, 1999)

  • 19

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Figure 8. Biodiversit compare du Qubec et de la Californie(Tardif et al., 2005)

    Daprs le bilan provisoire de la biodiversit quil a tabli pour le Qubec24, le professeurAndr Francoeur mentionne que la biodiversit quon retrouve lchelle de notreterritoire offre mme un avantage marqu par rapport celle dune fort tropicale. Cheznous, les populations sont beaucoup plus gigantesques que dans la fort tropicale(tableau 2). Cest pourquoi, lorsquon dtruit une parcelle de cette fort, les probabilitsde faire disparatre jamais certaines espces sont normes, ce qui nest pas le casdans le nord . Bien entendu, cest dans les forts tropicales quon trouve le plus grandnombre despces, puisquil sagit de milieux stables depuis des millions dannes, orgnent des conditions climatiques favorables longueur danne. Un tel milieu favorisela grande spcialisation des organismes, de sorte que, sur un quelconque kilomtrecarr, on y trouve souvent des espces uniques au monde. Ainsi, lorsquon procde une coupe blanc dans une fort qubcoise, les espces qui disparaissent en mmetemps finissent par revenir .

    Tableau 2. valuation du nombre despces daprsle Bilan provisoire de la biodiversit au Qubec24

    Qubec(1)

    CanadaBiosphre

    (2)

    Importancerelative (%)

    (1 p/r 2)

    Vertbrs 638 1856 42580 1,5

    Invertbrs 22100 39500 987400 2,2

    Plantes 3350 5010 248430 1,3

    Champignons 2150 6200 46900 4,6

  • 20

    Au Qubec, daprs la littrature scientifique, il semble quon ne puisse associer ladisparition dune espce quelconque aux coupes forestires (Gagnon, 2008). SelonlUnion internationale pour la conservation de la nature et de ses ressources (UICN)25,il ny aurait pas de menace en cours sur le plan de la diversit biologique au Qubec,incluant la fort borale continue, alors que la portion nord de la province serait dansun tat stable. Dautre part, Tardif et al. (2005) mentionnent que la fort borale duQubec est beaucoup moins riche que la fort tempre nordique au point de vue de ladiversit biologique. Nanmoins, pour ce qui est des espces dclares en danger ouvulnrables telles que le caribou forestier, des mesures importantes sont prises par legouvernement du Qubec pour les protger26.

    3.1.2 propos des vieilles fortsLa conservation de la diversit biologique, particulirement en ce qui a trait aux fortsmres et surannes, a t largement documente dans la littrature scientifiquequbcoise et a fait lobjet dune attention constante de la part des mdias lors depressions exerces par des groupes environnementaux ces dernires annes. Dans lelangage courant, ces forts sont gnralement dsignes sous lappellation de vieillesforts . Ce sujet a t abondamment trait dans lavis du CEF (2008), particulirementen ce qui a trait leur rarfaction; un des enjeux de biodiversit identifis au Qubec.Le Forestier en chef na pas lintention de prsenter une nouvelle revue de littratureconcernant le sujet, les avis du CEF (2008 et 2009) prsentent une documentationrelativement complte sur la question.

    La dfinition exacte dune vieille fort nest pas tablie clairement par la communautscientifique, laquelle devrait convenir dun consensus sur le sujet. Par del les nuances,le BAFD (BFEC, 2010) prcise que le stade de vieilles forts correspond au momento lon observe le dbut de la mortalit dans une strate initiale issue de perturbations,accompagne dun recrutement de nouvelles tiges en sous-tage. Les vieilles forts se caractrisent entre autres par la prsence de chicots, de dbris ligneux au sol etdune structure verticale plus tage, compose surtout despces tolrantes lombre.

    Huybens (2010) a dvelopp des dfinitions conceptuelles permettant des distinctionsintressantes propos des reprsentations de la fort :

    La fort primaire est une fort naturelle pratiquement non influence parles activits humaines. Elle peut avoir fait lobjet de perturbations naturellesimportantes. Les forts primaires peuvent tre jeunes, en plein dveloppementou matures .

    La fort naturelle est une fort qui a volu et sest renouvele naturellement partir dorganismes dj sur place et sur laquelle lactivit humaine na pas eudeffet majeur. Cette dfinition issue du Dictionnaire de la foresterie (OIFQ, 2000)introduit une confusion avec la fort primaire. Nous ajouterons donc llmentsuivant pour les distinguer : suite des perturbations anthropiques de grandeenvergure, les forts naturelles sont celles qui se sont rgnres delles-mmes,ce qui est le cas pour 80 % de la superficie coupe au Qubec, mais elle nesera plus jamais primaire .

  • 21

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    La fort ancienne ou vieille fort est constitue darbres dont lge dpassece que lon retrouve habituellement ailleurs. Les vieilles forts peuvent treprimaires, naturelles ou issues de plantation .

    La fort plante est une fort artificielle : elle existe grce laction delhumain qui a plant des arbres l o il en avait prlevs ou bien l o il ny enavait pas ou plus .

    Oliver (2009) est venu prciser quant lui quil ny a pas quune seule dfinition parceque les conditions cologiques et les perspectives sociales sont trop diverses. Du pointde vue de lcologie, une vieille fort est gnralement dcrite comme tant dans lesderniers stades de dveloppement, avec une complexit de structures et une htrognit.Mais, la fort doit tre vue comme un systme continu qui change constamment.

    Les scientifiques canadiens ne considrent pas la fort borale comme ancienne, car ellefait lobjet de perturbations naturelles continues qui font partie dun cycle cologiquecontribuant, thoriquement , son renouvellement (SCF, 2009b). Nous verrons plus loinque ces perturbations peuvent galement entraner une dforestation naturelle.

    Huybens (2010) note que Greenpeace (et probablement les autres groupes qui seportent la dfense de la fort borale) se bat pour les forts intactes auxquelles ondonne les attributs des vieilles forts, en fait comme si toutes les forts primairestaient vieilles .

    Le Forestier en chef nadhre pas entirement aux distinctions labores par Huybens(2010) et conclut que la polmique se situe particulirement au niveau de la protectiondes vieilles forts dites primaires. Afin davoir une meilleure vision de cet cosystme,des analyses ont t ralises pour deux rgions o une bonne proportion de la fortborale peut tre qualifie de vieille et de primaire. Historiquement, les UAF analysesdans les rgions de la Cte-Nord et du SaguenayLac-Saint-Jean ont t relativementpeu perturbes par lhomme par rapport aux rgions plus mridionales si bien quelon peut juger que ces forts sont plutt issues, du moins en trs grande partie, deperturbations naturelles.

    3.1.3 Combien reste-t-il de vieilles forts primaires?Limportance relative des superficies des peuplements mrs et suranns dans la fortpublique sous amnagement est demeure relativement stable lchelle de la provincedepuis le premier inventaire dcennal damnagement ralis dans la dcennie 1970(figure 9) (MRNF, 2009a). La composition de ces peuplements sest toutefois modifiedans le temps. Pour ce qui est de la portion de la fort borale qui nous intresseparticulirement, la figure 10 montre que limportance relative de la superficie despeuplements mrs et suranns est demeure stable depuis le premier inventairedcennal pour le sous-domaine de la sapinire bouleau blanc de lEst. Toutefois,une diminution de 8% est observe depuis le premier inventaire dans le cas dusous-domaine de la pessire mousses de lEst (figure 11).

  • 22

    Figure 9. Rpartition des superficies prsentes par stadesde dveloppement subdiviss en types de couvert, de lafort publique sous amnagement. Comparatif entre les3 premiers inventaires dcennaux damnagement(dcennie 1970 aux annes 2000) (MRNF, 2009a)

    Figure 10. Rpartition des superficies prsentes par stadesde dveloppement subdiviss en types de couvert, de lasapinire bouleau blanc de lEst (SaBbE). Comparatifentre les 3 premiers inventaires dcennaux damnagement(dcennie 1970 aux annes 2000) (MRNF, 2009a)

  • 23

    Figure 11. Rpartition des superficies prsentes par stades dedveloppement subdiviss en types de couvert, de lapessire mousses de lEst (EEE). Comparatif entre les3 premiers inventaires dcennaux damnagement(dcennie 1970 aux annes 2000) (MRNF, 2009a)

    Linformation forestire disponible partir des inventaires damnagement forestier estla meilleure que le Forestier en chef soit en mesure dutiliser ce jour, laquelle sajoutentde nouvelles connaissances issues du milieu de la recherche. Dans ce contexte, pourdiscuter des vieilles forts, les classes dge de la cartographie forestire reprsententlinformation la plus fiable disponible actuellement. Le Forestier en chef considre queles superficies des classes dge de 90 ans et plus (des peuplements darbres de plusde 80 ans) en fort borale, correspondant aux forts mres et surannes, constituent, dfaut dune meilleure information, la meilleure reprsentation de la situation des vieilles forts borales (Pinna et al., 2009; Comit dexperts sur les solutions, 2009;Table des partenaires, 2009).

    Le Forestier en chef a cherch connatre ce quil en est rellement de la situation desvieilles forts en exploitant les informations disponibles. Des analyses ont t ralisespour chacune des 10 rgions administratives du MRNF, ainsi quau niveau provincial(tableau 3). De plus, lexercice a t ralis lchelle de 10 UAF situes en fortborale, dans les rgions de la Cte-Nord et du SaguenayLac-Saint-Jean (tableau 4).

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • 24

    Portraits rgionaux

    Sur le plan de la composition forestire, les donnes du CPF 2008-2013 permettent dedistinguer les types de couvert et les proportions de forts rsineuses qui sont associsaux classes dge dtermines lors de la cartographie du dernier inventaire dcennaldisponible, ce qui peut varier en fonction des rgions et/ou des UAF. On constate queles proportions de forts ges de 90 ans et plus varient significativement selon lesrgions du Qubec (tableau 3).

    Tableau 3. Types de couvert et vieilles fortsselon les rgions administratives du MRNF(Source : donnes du CPF 2008-2013)

    Le tableau 3 montre que six rgions sont composes de forts dominance de rsineux,dans des proportions variant entre 52,4 et 90,8%. La proportion de forts rsineusesges de plus de 90 ans quon y trouve se situe entre 5,9 et 55,2% alors que celle deplus de 70 ans varie entre 21,0 et 61,2%. Les rgions du Bas-Saint-Laurent (01) et dela Cte-Nord (09) reprsentent les extrmes observs. Les proportions minimales sontassocies la rgion du Bas-Saint-Laurent (01) dont les forts rsineuses ont tfortement affectes par limportante pidmie de tordeuse des bourgeons de lpinette(TBE) des annes 1980 en raison de la forte proportion de sapin, ainsi quen raisonde la ralisation dimportants travaux de rcupration de bois qui sen est suivie. Paropposition, les proportions maximales de vieilles forts se retrouvent sur la Cte-Nord.

    RgionsMRNF

    Feuillus(%)

    Mlangs(%)

    Rsineux(%)

    Rsineux90 + (%)

    Rsineux70 + (%)

    Toutesessences90 + (%)

    Toutesessences70 + (%)

    01 15,4 32,2 52,4 5,9 21,0 11,6 45,3

    02 8,0 18,1 73,9 33,0 42,5 37,7 55,3

    03 8,7 41,8 49,5 8,9 18,0 20,4 47,3

    04 21,7 40,0 38,3 8,1 20,5 24,7 60,1

    06 32,5 43,3 24,1 6,2 12,4 40,7 70,6

    07 38,8 36,5 24,7 10,6 15,2 51,6 77,4

    08 13,4 24,9 61,7 19,2 31,9 35,4 58,5

    09 0,5 8,7 90,8 55,2 61,2 57,3 65,6

    10 0,6 8,7 90,7 39,6 50,5 42,1 54,8

    11 6,4 17,6 76,0 12,7 31,2 39,6 50,5

    Qubec 11,9 22,4 65,7 27,3 37,1 38,9 59,3

  • 25

    Paradoxalement, lanalyse permet aussi dobserver que les rgions o les quantitsde vieilles forts rsineuses (classes de 90 ans et plus, selon lge cartographique) sontles plus importantes sont le SaguenayLac-Saint-Jean (02), la Cte-Nord (09) et leNord-du-Qubec (10), soit trois grandes rgions de la fort borale, laquelle est au curde lactuel dbat environnemental sur la rarfaction des vieilles forts. Dans le cas delAbitibi-Tmiscamingue (08), autre grande rgion de la fort borale, le pourcentage devieilles forts est beaucoup moins lev, quoique galement important, que dans lestrois rgions prcdentes, probablement en raison de la frquence et de limportance desfeux de fort quon y rencontre.

    Il est important de noter quen considrant les forts rsineuses des classes dge de70 ans et plus (peuplements darbres de plus de 60 ans), les pourcentages de vieillesforts sen trouvent nettement plus levs pour toutes les rgions du Qubec, laissantentrevoir du mme coup que la prsence des vieilles forts pourrait sen trouver plussignificative dans le futur moins que des perturbations dimportance viennent renverserles prvisions.

    Au niveau provincial, cest 27,3% du territoire destin la production forestire lors duCPF 2008-2013 qui est compos de forts rsineuses de plus de 90 ans et 37,1% de plusde 70 ans.

    Selon les donnes disponibles, les rgions de QubecChaudire-Appalaches (03), dela Mauricie (04) et de la Gaspsie (11), composes en partie de fort borale, prsententdes proportions relativement plus faibles de vieilles forts rsineuses probablement enraison de limpact marqu de la dernire grande pidmie de TBE (tableau 3).

    Portrait de 10 UAF de la Cte-Nord et du SaguenayLac-Saint-Jean

    Le Forestier en chef a aussi examin la situation de 10 UAF situes dans les rgions duSaguenayLac-Saint-Jean (02) et de la Cte-Nord (09) o lattention des ONG sembledavantage concentre. Le tableau 4 montre que les 10 UAF cibles sont composes deforts dominance dessences rsineuses, dans des proportions variant entre 67,4 et97,5%. La proportion de forts rsineuses des classes dge de 90 ans et plus se situeentre 23,1 et 84,8% et celles des classes de 70 ans et plus, entre 33,2 et 87,2%. Lesplus faibles pourcentages se trouvent dans lUAF 023-52, dont prs de 70% de lasuperficie est localise dans la sapinire bouleau blanc27 o lge moyen de rvolutiondevrait plutt tre fix autour de 70 ans (longvit plus faible du bouleau blanc parrapport lpinette), ce qui permet dy confirmer galement une importante proportionde vieilles forts.

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • 26

    Tableau 4. Proportions des types de couvert et des vieilles fortsdans les UAF analyses(Source : donnes du CPF 2008-2013)

    Variation dans la composition du couvert forestier (1970-2005)

    Puisque cette information sert de rfrence lapplication du concept damnagementcosystmique, il est opportun de se questionner sur lvolution du couvert rsineuxdans le temps. Une analyse des donnes des trois programmes dinventaire forestier(1970-1977, 1978-1988 et 1992-2005)22 en montre un aperu. Pour les trois inventairesdcennaux, le tableau 5 prsente les pourcentages de couvert rsineux par rapport lasuperficie forestire des UAF. Rappelons toutefois que la rcolte forestire sestvraiment intensifie partir des annes 80, la suite de la dernire pidmie de TBEet consquemment un dveloppement important de la mcanisation de la rcolte enfort ainsi qu lexpansion rapide de lindustrie du sciage.

    Types de couvertVieilles forts

    (classes dge cartographique)

    UAFFeuillus

    (%)Mlangs

    (%)Rsineux

    (%)Rsineux90 + (%)

    Rsineux70 + (%)

    Toutesessences90 + (%)

    Toutesessences70 + (%)

    023-52 9,6 23,0 67,4 23,1 33,2 29,4 50,3

    024-51 5,5 14,2 80,4 48,8 59,1 52,3 71,4

    024-52 3,2 12,9 83,9 46,7 56,4 49,4 65,4

    025-51 5,3 17,7 77,0 31,1 38,5 35,3 46,1

    027-51 5,5 15,9 78,6 33,3 44,2 37,8 54,2

    093-51 0,0 8,8 91,2 46,5 53,4 48,1 56,8

    093-52 0,0 4,5 95,5 66,3 68,7 69,6 72,8

    094-51 0,0 5,2 94,8 70,0 78,0 70,7 80,1

    094-52 0,0 2,5 97,5 84,8 87,2 86,4 89,4

    097-51 2,1 18,6 79,3 27,3 35,6 30,8 45,2

    Moyenne 3,1 12,3 84,6 47,8 55,4 51,0 63,2

  • 27

    Tableau 5. Proportion de couvert rsineux par priodedans les UAF analyses22

    Le tableau 5 illustre la diminution de la superficie du couvert rsineux dans le temps,par rapport au premier inventaire dcennal, lexception du cas de lUAF 094-52. Cettediminution est vraisemblablement due en grande partie la dernire pidmie de TBEqui a caus la mortalit dimportantes quantits de tiges rsineuses, principalementchez le sapin baumier, fournissant ainsi une occasion aux tiges feuillues de prendre laplace dans les peuplements (Duchesne et Ouimet, 2008a et 2008b). Cette substitutiona probablement t accentue par les oprations de rcupration du bois mort oudprissant qui ont suivi cette pidmie. La proportion de couvert rsineux du territoiredestin la production forestire considre dans le CPF 2008-2013 apparat titreindicatif.

    Variation de la proportion des vieilles forts rsineuses (1970-2005)

    Le tableau 6 prsente, pour chacune des UAF analyses, lvolution des superficies deforts rsineuses des classes dge de 90 ans et plus, compiles partir des troisinventaires damnagement forestier22. Prcisons dabord que linventaire de 1970-1977dcrit assez bien la proportion de telles forts avant la priode industrielle dans lapartie nord de la province (Pinna et al., 2009). dfaut dune meilleure information, onpeut comprendre que les donnes de cette priode prsentent la meilleure descriptiondisponible sur la fort pramnage dans le territoire tudi. De plus, elles prsententlavantage de prendre en compte les consquences historiques des pidmies de TBE.On y remarque une grande variation (de 35,1 76,7%) de la proportion des vieillesforts (classes dge de 90 ans et plus) entre les UAF. Encore une fois, lUAF 023-52prsente le plus faible pourcentage puisquelle fait partie, prs de 70%, de la

    UAF1970-1977

    (%)1978-1988

    (%)1992-2005

    (%)Tendance

    1970 2005 (%)CPF

    2008-201328

    023-52 68,6 53,7 53,8 - 14,8 67,4

    024-51 78,3 75,1 72,0 - 6,3 80,4

    024-52 82,8 75,8 75,1 - 7,7 83,9

    025-51 76,2 74,8 69,0 - 7,2 77,0

    027-51 74,9 66,6 64,2 - 10,7 78,6

    093-51 71,5 73,8 69,0 - 2,5 91,2

    093-52 85,6 71,6 76,5 - 9,1 95,5

    094-51 86,4 87,9 85,8 - 0,6 94,8

    094-52 89,5 92,9 93,1 + 3,6 97,5

    097-51 72,8 60,5 56,9 - 15,9 79,3

    Moyenne 78,7 73,3 71,5 - 7,2 84,6

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

  • 28

    sapinire bouleau blanc27 o lge de rvolution moyen devrait se situer vers 70 ans.La proportion de vieilles forts rsineuses du territoire destin la production forestireconsidre dans le CPF 2008-2013 apparat titre indicatif.

    Tableau 6. Variation par priode de la proportion de couvert rsineuxde vieilles forts (classes dge de 90 ans et plus)22

    Pour chacune des UAF, on note une variation de la proportion de vieilles forts dans letemps. Cette dernire peut sexpliquer, dune part, par les perturbations naturelles dontles feux de fort et les pidmies de TBE. Dautre part, elle est aussi attribue lacoupe forestire pratique aprs les annes 1970, mme si, de 1970 1977, le niveaude rcolte se situait autour de 60 70% de la possibilit forestire. Enfin, sans enapprcier pour le moment lincidence, les carts constats entre le premier et letroisime inventaire dcennal dans ces 10 UAF montrent que le pourcentage de vieillesforts rsineuses (classes de 90 ans et plus) a gnralement diminu depuis 1970, saufpour trois UAF de la Cte-Nord.

    3.1.4 Enjeux de composition et de structuredes peuplements

    La structure et la composition dun peuplement forestier sont des paramtres importantsdans la caractrisation de lcosystme. En 2003, le MRNF avait identifi dix enjeux decomposition29 et un enjeu relatif la structure interne des peuplements30 pouvantsappliquer dans les diffrentes rgions du Qubec (MRNF, 2003; Grondin et Cimon, 2003).Les actions prendre dans le CPF 2008-2013 et lors de la mise en uvre de la stratgiedamnagement visant rpondre aux enjeux retenus pour chaque UAF taient aussiprcises dans un document de mise en uvre (MRNF, 2005)31.

    UAF1970-1977

    (%)1978-1988

    (%)1992-2005

    (%)Tendance

    1970 2005 (%)CPF

    2008-201328

    023-52 35,1 25,5 20,2 - 14,9 23,1

    024-51 50,1 49,6 47,4 - 2,7 48,8

    024-52 65,0 55,9 49,5 - 15,5 46,7

    025-51 52,3 43,4 35,7 - 16,6 31,1

    027-51 49,5 41,7 34,7 - 14,8 33,3

    093-51 56,7 53,2 48,1 - 8,6 46,5

    093-52 53,0 66,4 67,9 + 14,9 66,3

    094-51 63,2 61,5 64,3 + 1,1 70,0

    094-52 76,7 79,8 86,4 + 9,7 84,8

    097-51 45,2 37,4 25,2 - 20,0 27,3

    Moyenne 54,7 51,4 47,9 - 6,8 47,8

  • 29

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    En 2004, la Commission Coulombe rapportait que lamnagement forestier des derniresdcennies a provoqu des changements importants dans la structure et la compositionde la fort (CEGFPQ, 2004), en admettant toutefois que les perturbations et la snescencedes peuplements aient pu aussi contribuer ces changements. Ltude de Duchesne etOuimet (2008a et 2008b) rvle plutt que la coupe forestire nest pas la principalecause des changements de composition observs dans les forts. Les auteursmentionnent que la dernire pidmie de TBE, entre 1972 et 1986, est la principaleresponsable des changements de composition remarqus au cours des derniresdcennies et que lenfeuillement du territoire est principalement la rsultante de ladynamique de succession suivant cette infestation.

    Les principaux paramtres qui rgissent la dynamique des forts sont la croissance, lamortalit, le recrutement et la rcolte (Duchesne et Ouimet, 2008a). Ces derniers affirmentque la mortalit des arbres cause par la rcolte est 2,6 fois moins importante que celledue des causes naturelles. Dans lensemble de la fort borale nord-amricaine, les feuxde fort et les coupes totales reprsentent les perturbations svres les plus communes(Brassard et Chen, 2010). Cependant, les chablis et les infestations dinsectes sont aussides perturbations majeures courantes entranant le remplacement des peuplementsmais ils ne gnrent pas les mmes dynamiques que les feux de fort. Toutefois,Brassard et Chen (2010) ont observ que les peuplements issus dune coupe totale etceux issus dun feu de fort finissent par avoir la mme structure et la mme compositionen fin de succession. Ceci confirme que la coupe totale est une pratique compatibleavec lapproche cosystmique.

    En ce qui concerne la fort borale, certains enjeux de composition identifis doiventtre pris en compte lors de la dtermination des stratgies damnagement. Cependant,leur interprtation doit tre faite avec prudence et en invoquant les bonnes raisons.Ainsi, laugmentation des feuillus de lumire, phnomne appel plus courammentenfeuillement est attribuable deux perturbations distinctes. Dans un cas, lapparitiondu peuplier faux-tremble est souvent associe aux oprations de rcolte forestire quiperturbent le sol et ouvrent le couvert forestier, crant ainsi des conditions favorables la prolifration de lespce. Une fois install, le peuplier faux-tremble stend rapidementgrce au drageonnement. Les travaux de Fortin (2008) dmontrent clairement que letremble est une espce dont la prsence stend sur le territoire et quelle doit davantagetre considre comme une espce en expansion plutt quune espce de transition.

    Par ailleurs, lenfeuillement a aussi t constat suite la dernire pidmie de TBEen fort borale o des essences feuillues de lumire ont remplac les rsineux (sapinbaumier et pinette blanche) affects par la dfoliation (Duchesne et Ouimet, 2008aet 2008b); ce qui explique probablement aussi lenjeu de composition associ lararfaction de lpinette blanche dans les sapinires borales. L ensapinage oulaugmentation du sapin en fort borale est aussi conscutive lpidmie de TBE.Suite un stress, le sapin semploie produire beaucoup de semences pour se reproduireet les graines trouvent plus facilement un lit de germination adquat que lpinette.

  • 30

    Les deux autres enjeux de composition qui nous apparaissent des plus pertinents enfort borale sont laugmentation des ricaces et lexpansion des milieux ouverts lichens dans le domaine de la pessire mousses. Alors que le premier peut effectivementtre li aux interventions damnagement, il semble, selon la littrature scientifique,que les perturbations naturelles soient aussi en cause, ce qui est rellement le cas pourle second. Bien que reconnaissant que ces deux aspects puissent prsenter des enjeuxde diversit biologique, le Forestier en chef sinquite plutt de leurs rpercussions surle 2e critre dAFD, le maintien et lamlioration de ltat et de la productivit descosystmes forestiers.

    Modification dans la composition du couvert forestier dominant,suite des perturbations

    Dans le sous-domaine de la pessire mousses de lEst, limportance des superficiesde coupes totales en voie de rgnration et des coupes totales rgnres ontbeaucoup augment avec le temps, de mme que celles des interventions partielles etdes plantations (figure 12).

    Figure 12. Superficies des activits damnagement prsentespar types de couvert, de la pessire mousses de lEst(EEE) (MRNF, 2009a)

  • 31

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Les superficies en voie de rgnration dont lorigine est le feu ont augment entre le1er et le 3e inventaire damnagement. Linverse sest produit dans le cas des superficiesrgnres aprs feu. Les superficies affectes par les pidmies modres et graves,qui taient trs faibles au 1er inventaire, ont pris de lampleur au 2e, et encore plus au3e en raison de la dfoliation rpte des arbres par la TBE. Les superficies affectespar le chablis total ont diminu entre le 1er et le 2e inventaire, pour augmenter entre le2e et le 3e. Le mme phnomne sest produit dans le cas des superficies affectes parle chablis partiel, mais les superficies sont plus importantes (figure 13) (MRNF, 2009a).

    Figure 13. Superficies des perturbations naturelles par types de couvert,de la pessire mousses de lEst (EEE) (MRNF, 2009a)

    Les portraits de la fort publique sous amnagement et de la sapinire bouleau blancde lEst apparaissent dans les complments dinformation la note 32.

    3.2 LE MAINTIEN ET LAMLIORATION DE LTAT ETDE LA PRODUCTIVIT DES COSYSTMES FORESTIERS(CRITRE 2)

    Ltat dun cosystme svalue en mesurant les effets et lampleur des perturbationsnaturelles et anthropiques qui laffectent (feux, pidmies, maladies, prcipitationsacides, changements climatiques, coupes, construction de rseaux routiers, activitssylvicoles, etc.). La productivit dun cosystme correspond sa capacit de produirede la biomasse vgtale et animale, la production de bois marchand ne constituantquune fraction de la productivit totale de lcosystme33.

  • 32

    Le maintien et lamlioration de ltat et de la productivit des cosystmes forestiersdpendent de leur capacit rsister et rcuprer aprs des perturbations ponctuellescomme les feux, ou chroniques comme les prcipitations acides. Parfois, les perturbationsaffectent les cosystmes au-del de leur capacit de rcupration (rsilience), ce quimodifie long terme leurs composantes et leurs processus vitaux de renouvellement.Lamnagement durable des forts doit donc tenir compte de tous les facteurs quiinfluencent leur variabilit naturelle33. Le MRNF a identifi neuf indicateurs34 pourvaluer ltat, la rsilience et la productivit des cosystmes forestiers, dont quatresont actuellement mesurs, soit les procds de rcolte et la fertilit des sols, lessuperficies affectes par les feux de fort, les insectes et les maladies ainsi que lesprcipitations acides et les cosystmes forestiers. Quant Grenon et al. (2010), ils nementionnent pas denjeux lis ce critre.

    3.2.1 La dynamique naturelle de la pessire mousses de lEst

    Les travaux de recherche raliss par les quipes du Centre dtudes nordiques (CEN)et de lUniversit du Qubec Chicoutimi (UQAC) sont proccupants en fort borale ola pessire mousses reprsente un cosystme prpondrant, principalement dominpar lpinette noire, espce unique au continent nord-amricain (Heinselman, 1965;Gagnon, 1988; Viereck et Johnston, 1990; Farrar, 1995) et absente de faon naturelleailleurs (Gagnon et Morin, 2001). La pessire noire du Qubec possde trois caract-ristiques principales :

    1. elle est compose de peuplements largement domins par lpinette noire;

    2. ces formations continues couvrent de grandes superficies dun seul tenant et,

    3. ces peuplements naturels sont issus de perturbations, en loccurrence princi-palement dincendies forestiers (Gagnon et Morin, 2001).

    Ltude de Girard et al. (2008a) portant sur un territoire de 112000 km en zone borale(figure 14) dmontre que 9% de la superficie occupe jadis par des forts denses fermesdpinette noire a cd la place des landes forestires. Depuis les 50 derniresannes, la superficie occupe par des forts denses fermes a subi une dcroissancedramatique. [] Le feu est de loin la principale perturbation, rduisant la capacit dela fort ferme de se rgnrer delle-mme, peu importe la latitude. tant donn lepassage dune fort dense ouverte, la partie nordique de la fort dense ferme suitun processus de changement dramatique vers une dominance de landes boisesnordiques (Girard et al., 2008a).

  • 33

    GESTION DURABLE DE LA FORT BORALE :VISION GLOBALE ET RECHERCHE DE LQUILIBRE

    Figure 14. Territoire tudi par Girard et al. (2008a)

    Ds lan 2000, Payette et al. ont observ que la transformation de la pessire mousses, en pessire lichens, semblait attribuable lincidence de deux perturbationsen rafale, cest--dire le passage dun incendie dans une pessire mousses affaibliepar une infestation dinsectes dfoliateurs. Nos donnes soulignent la fragilit cosys-tmique de la pessire mousses, au cur mme de la fort borale commerciale .La figure 15 illustre la dynamique de la transformation de la pessire mousses ferme,en pessire ouverte lichens, dans la fort borale continue, telle que schmatise parJasinsky et Payette (2005).

    Figure 15. La dynamique naturelle des forts dpinette noire(traduite de Jasinsky et Payette, 2005)

    Pessire mousses(fort ferme)

    Pessire mousses

    FeuFeu

    Feu

    Feu

    Feupidmiedinsectes

    pidmiedinsectes

    Feuexploitation forestire

    (deuxime perturbation)

    Rgnrationpar graines

    Rgnrationpar marcottes

    Rgnrationpar marcottes

    Rgnrationrduite

    densit rduite dela rgnration

    densit rduitede la rgnration

    (peut conduire la toundra)

    Climat favorableaugmentation de

    la rgnration

    Climat froiddficience de la rgnration

    Effet du feu

    Effet dune pidmie dinsectes

    Effet de la rgnration

    Possible, mais processus de rgnration non observ

    Pessire lichens

    Pessire lichens

    Pessire lichens(fort ouverte)

    tat alternatifstable

    tat alternatif conditionnpar le climat

  • 34

    La fiche Recommandation du Forestier en chef intitule Remise en production des landesforestires dans le domaine de la pessire35 diffuse en dcembre 2006, instaurait, dansle CPF 2008-2013, ce phnomne douverture du milieu forestier (landes ricaces et lichens, brlis non rgnrs) dans le domaine bioclimatique de la pessire mousses(figure 15). La prsence de tels milieux, au cur de la fort borale continue, rsulte desquences de perturbations provoquant la disparition du couvert forestier et labsenceou la dficience de la rgnration (Ct, 2003 et 2004; Gagnon et Morin, 2001; Payetteet al., 2000). Les connaissances acquises sur ces milieux ont permis de confirmer le po-tentiel de croissance (Ct, 2004), labsence de contraintes hydriques (Hbert, 2004) et ladisponibilit minrale (Girard, 2004), confirmant que ces superficies disposent de toutesles conditions pour supporter une fort.

    Depuis quelques annes, les chercheurs de lUQAC ont dailleurs alert le MRNF cesujet (Gagnon et al., 2002 et 2004). linstar de Girard et al. (2008a et 2008b) et dePayette et Delwaide (2003), ces auteurs ont confirm que le couvert de la pessire mousses ferme souvre et quelle se transforme progressivement en fort ouverte. Il estestim quenviron 30% de la fort borale de la Cte-Nord prsenterait actuellementces caractristiques. Daprs les tudes de Lord et Boucher (2008), une fort ouverte lichens ou ricaces ne se reconstitue pas et il ny a aucune vidence ce jour quellepuisse redevenir une fort ferme, sans intervention humaine. Cette affirmation estillustre la figure 15 o il est clairement indiqu que le processus pourrait tre rversible,mais quil na pas encore t observ (Jasinsky et Payette, 2005). Les phnomnesresponsables d