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Ghosts Mémoire Alexia Roch Maîtrise en arts visuels Maître ès arts (M. A.) Québec, Canada © Alexia Roch, 2015

Ghosts - Université Laval · L’inquiétante étrangeté et l’aura du ghost 34 Conclusion 41 Bibliographie 43. VII Liste des figures 1-Maurizio Anzeri. Yvonne. Broderie sur impression

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Ghosts

Mémoire

Alexia Roch

Maîtrise en arts visuels

Maître ès arts (M. A.)

Québec, Canada

© Alexia Roch, 2015

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III

Résumé

La photographie argentique est receleuse de traces et de mémoire. C’est dans cette optique que j’ai travaillé avec des clichés de mon passé et que j’ai choisi de les altérer afin de les décharger de leur cette charge affective et de cette notion de passé qui leur étaient reliées. Comme dans un rite funéraire, je crée des masques mortuaires pour chacune des mes photographies en utilisant tulle et broderie, pour ensuite insérer le masque selon différents moyens : par empreinte superposée à la photo et par ajout concret sur une forme découpée. Le masque apparaît alors sur l’image. Il se confond dans les traits et les détails de cette dernière et y fait apparaître un fantôme ; forme fantasmagorique qui fait état de survivance, entre le passé et le présent. La nature intrinsèque du cliché est changée, elle n’est plus trace d’un passé et le cliché passe d’image à œuvre.

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V

Table des matières

Résumé III

Table des matières V

Liste des figures VII

Remerciements IX

Avant propos XI

Introduction 1

Chapitre 1 : Photographie 3 1.1. Photographie et mémoire personnelle 3 1.2. L’impossibilité du Temps en photographie 8

Chapitre 2 : Altération 11 2.1. La nécessité de l’altération 11 2.2. Création des masques 12

2.2.1. Le recours à la monstruosité 16 2.2.2. L’ornementation dans le masque 18

Chapitre 3 : Insertion et apparition 23 3.1. Apparition du fantôme 23 3.2. Insertion dans la photographie 24

3.2.1. L’insertion par empreinte 24 3.2.2. L’insertion par évidement 29

3.3. L’inquiétante étrangeté et l’aura du ghost 34

Conclusion 41

Bibliographie 43

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VII

Liste des figures

1-Maurizio Anzeri. Yvonne. Broderie sur impression. 25x19,5 cm. 2011 p.13

2-Maurizio Anzeri. Yvonne. Broderie sur impression. 25x15,5cm. 2011 p.13

3-Hilton III. Photographie argentique. 28x35 cm. 2013 p.20

4-Bresse I. Photogrpahie argentique. 21x27cm. 2013 p.21

5-Melissa Zexter. Schoolgirls. Impression, fil. 50,8x60,96 cm. 2013 p.21

6-Lyon I. Photographie argentique. 12x20cm. 2014 p.27

7-Hilton I. Photographie argentique. 12x20cm. 2014 p.28

8-Vue d’exposition Ghosts. Galerie Visual Voice, Montréal. 2014 p.30

9-Serraval V. Photographie argentique et tulle brodé. 60x80cm. 2014 p.32

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Remerciements

Je tiens à remercier Nicole Malenfant qui dirigea mes études et m’apporta son appui

durant ces recherches.

Ainsi que la galerie Visual Voice et Bettina Forget sans qui cette exposition n’aurait pas

été possible.

Et enfin, je tiens à remercier Antoine Lortie et Anne Joëlle Roch pour leur soutien, leur

patience et leur investissement.

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XI

Avant propos

Partir et mieux se départir. Faire des choix qui en impliquent d’autres. Se dépayser

pour mieux se retrouver. Au départ, il y a un voyage, des découvertes, tant de nouveautés

qu’elles entrainent un sentiment de perte de tout le reste et demandent une nouvelle

construction ou une reconstruction de soi. Il est important de mentionner que cette

maîtrise s’est effectuée loin de mes repères habituels en France. Loin de chez moi, je ne

pouvais que me questionner sur ce que j’avais perdu, sur ce qui me restait là-bas et sur ce

que j’avais emporté avec moi. Les souvenirs étaient la seule voie pour me ramener vers

mes proches, pour vivre et revivre encore avec eux. Mais ici, je n’ai plus le contexte, les

objets ni les lieux qui puissent être les moteurs de ces projections. Partagée entre deux

cultures, deux pays donc, d’autres nouveautés sont également apparues ; comme passer

d’une formation technique à un milieu théorique en arts visuels. Au travers de tout ceci, je

ne pouvais que proposer un travail hybride, entre l’avant et le maintenant, entre ce qu’il

me restait et ce que je pouvais faire avec. Entre ces clichés que j’avais pris

compulsivement et leur signification. L’altération des photographies s’est donc vite

imposée au gré des expérimentations. Rajoutons à cela la transformation que subit la

photographie depuis quelques années. La disparition de la photographie argentique au

profit du numérique « change fondamentalement l’acte de la prise photographique. 1» Une

autre perte est à considérer. Les images ici permettent de dire au-revoir ; non pas pour

oublier mais pour officialiser leur inadéquation avec cette nouvelle vie. Détruire pour mieux

survivre.

« There can be no image that is not about destruction and survival, and

this is especially the case in the image of ruin. We might even say that the

image of ruin tells us what is true of every image: that it bears witness to

the enigmatic relation between death and survival, loss and life,

destruction and preservation, mourning and memory. 2

1 Béchet, Jean Christophe In Regarder Voir : Où s’arrête la photographie ? Brigitte Patient. France

Inter, 2013

2 Cadava, Eduardo. "Lapsus Imaginis: The Image In Ruins(*)." October 96 (2001): 35. Academic Search Complete. En ligne. Consulté le 18 Mar. 2014

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1

Introduction

« Where artists do still wield cameras, there’s certainly a sense that merely

taking photography is no longer enough, with the artist’s hand continually

intervening to go beyond the traditional image and photography taking a

materialist turn’ (…) to create a fresh tensions between image and object. Art

photography is not dead but it is being hybridized.3 »

La photographie arrive dans certains cas à une sorte d’impossibilité. Elle capture la

réalité, sans nous restituer tout à fait le vécu, l’instant. Elle se situe souvent dans un entre-

deux, entre le passé et le présent, entre le souvenir et l’oubli. C’est dans cet espace qu’il

convient de se questionner. Subissant moi-même ce fossé avec mes différentes vies,

différentes pratiques, ces deux approches se conjuguent en moi mais laissent aussi un

horizon, infra-mince, sorte d’entre deux dans lequel je me partage, je subis

alternativement l’écart entre ces deux mondes. Les souvenirs, mes souvenirs, ceux de

chacun des deux côtés de cet océan, me ramènent alternativement à l’une comme à

l’autre de ces réalités. Il faut alors trouver des solutions, des voies pour que la

photographie devienne autre chose, non plus juste un témoignage, mais un hommage à

ce passé, afin de lui donner une autre forme, transcender son esthétique pour arriver à

une nouvelle réalité.

Photographie et mémoire sont pour moi intrinsèquement liées. Mes photographies

sont pour moi des actes de mémoire. Traces, souvenirs, et bien plus encore, l’image

originelle issue de mon quotidien, est gardienne de parties de ma vie. Elle se donne

comme la base du projet tout comme la surface du souvenir à oublier, à laisser derrière

soi.

Suivant la piste de l’hybridation, j’ai trouvé par l’ornementation une voie possible…

un masque funéraire créé pour chacune d’entre elles… Altérer mes photographies pour

enlever cette mimésis qui me dérangeait, pour soustraire la photographie au temps. Une

ornementation textile qui insuffle une nouvelle vie à ces photographies ainsi qu’une

3 Shore, Robert. « Postphotography : The unknown ». Elephant. N. 13 Hiver 2012-2013. Cité p. 68

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nouvelle réalité, pour qu’elles ne soient plus ces témoins du passé, mais les porteuses

d’une mémoire voilée.

Voilée, car en effet, le masque pose son empreinte sur le cliché. Il annihile des

bribes de réalité. Fin de mon rite d’adieu, l’insertion fait apparaitre une esthétique

particulière, sorte de fantôme, parce que l’image appartient avant tout au passé mais se

donne comme hors du temps, puisqu’une fois altérée elle n’est plus tout à fait ce passé.

Une image hybridée par différentes pratiques, et dans laquelle se retrouvent entremêlés le

temps et l’espace.

Le fruit de ce travail est cet hommage à l’écart, à l’incohérence des temps qui

m’empêche d’être des deux côtés à la fois ; et aussi un hommage au souvenir des instants

passés, aimés et chéris dans une vie antérieure. D’une vie à l’autre, d’un continent à un

autre, d’une pratique à l’autre ; soustraire ces images d’instants vécus au continuum

temps tout en leur rendant hommage, leur dire au-revoir tout en les transformant en

œuvres.

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Chapitre 1 : Photographie

1.1. Photographie et mémoire personnelle

« J’ai la mémoire de toutes mes photos, elles forment le tissu de ma vie… 4».

En tant que photographe, j’accorde une importance particulière à l’instant, à ce

présent qui me surprend et qui me donne envie de le faire passer à la postérité par une

photographie. Ce réel fait de toutes choses qui nous entourent, ce tissu sensible qui

enrobe la vie de tous les jours dans une continuité ineffable, est ainsi appelé à être

tronqué en photographie, cette dernière restituant un petit bout de vécu, de réalité

capturée à un instant donné. La vie, ma vie, est faite de ces multiples instants. Et, comme

l’a dit Walter Benjamin, mon seul rôle a été celui du chirurgien qui vient découper dans ce

grand corps céleste pour n’en extraire que ce qui me paraissait l’essentiel, la substance du

vécu.5

« Faire de l’expérience vécue une proie pour l’objectif.6 » Comme Walter Benjamin

nous le dit mon expérience est à la base de mes photographies. Ces dernières ont toutes

été découpées dans le tissu du réel, ce tissu qui enveloppe toutes choses, ce continuum

perpétuel de la vie qui dessine, au gré de moments clés d’instants décisifs, des jeux de

lumières différents selon le déroulement des différentes saisons, des heures de la

journée, mais également enrichis, transcendés, par une vie, une identité. Alors que le

temps chronologique rythme la vie du commun des mortels, en tant que photographe je

4 Ronis, Willy. Ce jour là… St Amand Montrond : Mercure de France, Coll. Folio, 2011. Cité p. 146

5 Benjamin, Walter. . L’œuvre d’art à l’époque de la reproductibilité technique. Paris : Editions Allia, 2012. Cité p. 68

6 Benjamin, Walter. Petite histoire de la photographie. Paris : Editions Allia, 2012. Cité p.49

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subis le tempérament de la lumière, de ses différents spectres qui m’amènent et me

conduisent à prendre ces différents clichés. Simultanément à ce chrono météorologique,

entrent aussi en compte une part d’émotion, un ensemble de circonstances, une attitude

envers l’instant ; le moment de la photo où interagissent un ou plusieurs sentiments qui

porteront l’envie, le désir plus fort que tout d’appuyer sur le déclencheur. Comme Robert

Doisneau l’exprime si bien : « la photo pour moi, ç’a été ce moment de bonheur, on est

dilaté devant ce qui vous entre par les yeux, on veut le conserver.7 »

Il convient tout d’abord de définir ce qu’est la photographie. Le mot désigne autant

le procédé que la pratique. En grec, photographie signifie écriture de la lumière (du préfixe

photo = lumière et du suffixe graphie = écriture). Cette étymologie a son importance : par

la lumière vient se graver sur une surface sensible des traits, des formes qui sont autant

de visages, de paysages. Ce que nous obtenons alors est une véritable empreinte du réel.

Capter des instants de réalité revient à les transcrire sur un support. Ils s’impriment d’eux

même par le biais du procédé photographique. Cette notion de trace, d’empreinte joue un

rôle essentiel. À la lecture de ces traces, c’est une archéologie du passé qui se donne à

lire.

Le critique Roland Barthes a beaucoup réfléchi sur la photographie. Pour lui, elle n’est

que passé. Elle ne révèle qu’un instant, déjà révolu au moment même où la photographie

est prise. Elle atteste de ce qui s’est passé, le « ça a été » étant en quelque sorte son

emblème selon Barthes. De fait, on parle de quelque chose qui n’est plus, mais qui se

conjugue à l‘infini dans les limbes d’une mémoire. Pour lui, la photographie est même

synonyme de mort. En devenant spectre sur la pellicule, chacun vit comme « une micro

expérience de la mort.8 »

7 Doisneau, Robert. In Cazenave, Agnès. 1994. « Doisneau, la fin d’un monde », La Vie. [En ligne].

N°2537. < http://www.lavie.fr/archives/1994/04/14/doisneau-la-fin-d- un-monde,1026803.php> (Consulté le

12 avril 2013).

8 Barthes, Roland. La chambre claire : note sur la photographie. Paris : Gallimard, Cahiers du cinéma, 1980. Cité p. 30

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Cependant, Barthes venait d’une époque déjà elle aussi révolue. Le critique et son

livre, La chambre claire, appartiennent en effet au siècle passé. Force est de constater

que l’évolution technique a rendu caduque cette conception de la photographie. Avec

l’avènement de la photographie numérique cette notion de traces n’existe plus. On a

maintenant affaire à un système d’équations, de données, de formules mathématiques

obscures qui sont autant de différentes reproductions du réel. C’est pourquoi, je choisis

d’opérer avec la photographie argentique, car cette dimension de traces, de réel capturé,

imprimé, présent sur la photographie, est dominante dans mon travail. Les nouvelles

technologies ont tout à fait dépassé les méthodes dites artisanales de la photographie

argentique ; il est donc intéressant de remarquer que, à l’heure où j’explore la sensation

de passé, de nostalgie, de souvenir en photographie, le médium de la photographie

argentique est lui-même en devenir d’être relégué au passé.

Mes photos sont les témoins d’instants aussi divers, aussi courts les uns que les

autres. Leur seul véritable point commun est la passion qui a animé leur prise, la volonté

de possession de cet instant précis, l’expérience que l’on veut éternité. Prendre une

photographie est ici une façon de se souvenir. C’est une action de mémoire. Les

photographies sont un peu comme des archives affectives. Un point de repère, un pic

ancré qui permet de ne pas totalement oublier, une surface qui sert à se remémorer.

Garder et agrémenter ces images joue le même rôle qu’une bibliothèque au sens large du

terme sur une courbe espace-temps. Même dans la pratique, chaque image est un négatif

qui côtoie les autres instants capturés cette même journée, cette même semaine… Les

négatifs sont référencés (date, jour etc.). Chaque image se range à une place, un endroit

précis ; pour ne pas oublier, emmêler ; pour pouvoir retrouver plus facilement ; mais aussi

pour se remémorer. La conception de la mémoire de Walter Benjamin est décrite ici par

Didi-Huberman et se donne comme une sorte de fouille archéologique, où l’objet trouvé

est toujours référencé au lieu où on l’a découvert :

Walter Benjamin comprenait la mémoire non pas comme la possession

du remémoré– un avoir, une collection de choses passées–, mais

comme une approximation toujours dialectique du rapport des choses

passées à leur lieu, c’est-à-dire comme l’approximation même de leur

avoir-lieu. Décomposant le mot allemand du souvenir, Erinnerung,

Benjamin dialectisait alors la particule er – marque d’un état naissant ou

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d’une arrivée au début– avec l’idée de l’inner, c’est dire de l’intérieur, du

dedans profond. Il en déduisait (…) une conception de la mémoire

comme activité de fouille archéologique, où le lieu des objets découverts

nous parle autant que les objets eux-mêmes. 9

Les différentes photographies sont une accumulation de traces, traces de ce passé

qui n’est plus. Comme un journal intime de ces différents instants d’autrefois, immortalisés

par la prise compulsive des photographies, je range, je garde, me constituant un musée

des instants de ma vie.

Chaque cliché deviendra le cœur d’un souvenir, un support sur lequel me projeter

pour retrouver un peu de cet autrefois. Mais toutes ne seront pas utilisées pour le projet. Il

va falloir choisir, garder et rejeter. Les photographies avec lesquelles j’ai décidé de

travailler, d’ornementer, sont des photographies « fortes » pour moi, qui me parlent, qui

possède une densité nostalgique, tant par le contexte que ce qui est présent. Le choix est

indéniable, je ne travaille qu’avec ce qui me touche émotionnellement, ce qui est capable

de me projeter, de me ramener des bribes de ce passé, de cet autre quotidien. Je dis

autre en raison de mon déplacement de France au Québec dans le cadre de mes études,

me faisant opérer un changement de vie radical. Ces photographies sont donc, en grande

partie, celles de cet « avant » en France. En outre, c’est grâce à la distance émotionnelle

et affective avec le moment de la prise de photo que je peux les retravailler en les

modifiant et ainsi m’en détacher. En effet, la distance face au « choc » qui a initialement

généré la prise de la photographie permet de se remettre de ce choc pour enfin

comprendre le cliché :

« The camera gives the moment a « posthumous shock ». In linking the

experience of shock to the structure of delay built into the photographic

event, he (Walter Benjamin) suggests what for him is the latency of

experience ; namely the distance between an event and our experience or

understanding of it.10

9 Didi-Huberman, Georges. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Paris : Editions de Minuit, 1992. Cité p.130

10 Cadava, Eduardo. Octobre 2001"Lapsus Imaginis: The Image In Ruins(*)." dans Academic Search

Complete. [En ligne]. N. 96 <http://web.b.ebscohost.com.acces.bibl.ulaval.ca/ehost/detail?sid=574ada9b-

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En effet, une photographie prise la veille me serait impossible à dénaturer, parce

que trop proche de moi dans le souvenir, dans les gestes et dans le temps. Mon travail

ayant pour but de me délester de la charge émotive, et d’exprimer un ultime au-revoir, je

choisis des photographies prises pour la plupart il y un an ou plus. En effet, je ne suis

prête à cet au-revoir que pour un passé plus lointain, et surtout qui se démarque de mon

quotidien actuel. Travailler sur l’image d’un lieu ou d’une personne que je vois tous les

jours serait hautement perturbateur, dans le sens où je ne voudrais, ni ne pourrais déjà lui

« dire au-revoir ». C’est donc à ce moment que la conception de « l’avoir-lieu » de Walter

Benjamin citéé plus haut, prend une autre dimension. Cette conception se retrouve

notamment dans mon travail avec le titre des œuvres, chacune correspondant au lieu où

elle a été prise. Ainsi une fois la transformation complétée, le titre de l’œuvre restera le

seul indice pour me souvenir ; le chemin de lieu à temps qu’il me faudra parcourir pour me

remémorer.

Ces photographies d’un ailleurs sont donc la voie vers ma mémoire.

La photographie reste comme dans la citation qui suit. Patrick Vauday évoque :

L’image est un reste, étymologiquement, du latin restare et stare, ce

qui s’arrête, demeure, et tient debout : arrêt devant quelque chose

qui retient l’intérêt et force le regard, trace qui demeure fidèle à

l’événement de cette rencontre, monument dressé à la verticale du

temps. 11

Comme des vestiges, mes photographies demeurent un passage à emprunter

pour faire un retour vers moi-même, mes origines. Pour retrouver au mieux ce passé, pour

le reconstruire… La réminiscence est ici activée entre autres grâce à l’effet du punctum

8c1e-4712-8432-

c17dc8a26696%40sessionmgr115&vid=1&hid=114&bdata=JnNpdGU9ZWhvc3QtbGl2ZQ%3d%3d#db=aft&A

N=504934936> (Consulté le 10 Mar. 2014)

11 Vauday, Patrick. La matière des images : poétique et esthétique. Paris : L’Harmattan, 2001. Cité p. 9

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que nous décrit Barthes comme un appel qui excite et questionne plus loin que le simple

cliché. « Le punctum est un peu comme une sorte de hors champs subtil comme si l’image

lançait le désir au delà de ce qu’elle donne à voir.12 » Le punctum, c’est cette piqure que

provoque en nous une photo. Cet élément saisissant, qui, tel une longue pique que l’on

vient de nous lancer en plein cœur, vibre et permet de remonter jusqu’à la mémoire. Ce

punctum est capable, en nous atteignant, de nous faire revivre l’instant, de ramener en

nous un souvenir très clair, limpide de réalité. Par le jeu de la mémoire volontaire qui nous

démontre ses réseaux et ses associations, je suis capable de faire émerger le souvenir.

Ce punctum est le signal du chemin à emprunter puisque je suis touchée, puisque mes

plaies sont à vif. Le labyrinthe du temps peut ainsi se parcourir. Barthes voyait dans le

punctum l’inadéquation avec le temps qui passe. « Le punctum n’est pas seulement le

détail. C’est le Temps, c’est l’emphase déchirante du noème “ça-a-été”, sa représentation

pure.13 »

1.2. L’impossibilité du Temps en photographie

Mais le Temps, voilà le problème qui s’impose à nous. Car le cliché originel en tant

que tel ne fait que souligner encore plus que le temps passe, qui file toujours plus loin et

nous échappe. La photo nous démontre son incessante course et nous rappelle cette

emprise du temps sur nous. Ce simili-passé qu’est la photographie ne se conjugue pas

totalement dans mon présent. C’est d’ailleurs ce que précise Eduardo Cavada : « But what

we call time is precisely the image’s inability to coincide with itself.14 » Bref et momentané,

tel est le souvenir évoqué par la photographie. Ancré dans le passé, il ne peut venir se

12 Barthes, Roland. La chambre claire : note sur la photographie. Paris : Gallimard, Cahiers du cinéma, 1980. Cité p. 93

13 Ibid. Cité p. 148 14 Cadava, Eduardo. Octobre 2001"Lapsus Imaginis: The Image In Ruins(*)." dans Academic Search

Complete. [En ligne]. N. 96 <http://web.b.ebscohost.com.acces.bibl.ulaval.ca/ehost/detail?sid=574ada9b-

8c1e-4712-8432-

c17dc8a26696%40sessionmgr115&vid=1&hid=114&bdata=JnNpdGU9ZWhvc3QtbGl2ZQ%3d%3d#db=aft&A

N=504934936> (Consulté le 10 Mar. 2014)

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déployer totalement, ni me donner une vraie reviviscence de l’instant, dans l’atmosphère

et le contexte du moment avec tout ce qui l’entourait.

C’est que le bonheur que j’éprouvais ne venait pas d’une tension

purement subjective des nerfs qui nous isole du passé, mais au

contraire d’un élargissement de mon esprit en qui se reformait,

s’actualisait ce passé, et me donnait, mais hélas ! momentanément,

une valeur d’éternité. J’aurais voulu léguer celle-ci à ceux que

j’aurais pu enrichir de mon trésor. 15

Dans cette citation, Marcel Proust nous parle de cet état que procure le souvenir,

mais également de son caractère bref et succinct. On sent dans la citation ci-dessus ce

sentiment que le souvenir se perd, s’échappe et refait surface. La reviviscence dont il

nous parle est le fait de revivre pleinement un instant, un moment précis, dans le présent,

lorsque les deux temporalités, présent et passé, peuvent parfaitement se juxtaposer. On

l’expérimente par exemple dans le cas du souvenir involontaire tel que Proust l’a si bien

décrit. Francis Ponge nous parle très bien de ce paradoxe de la photographie. Après le

décès de son père, il ne supportait plus de voir les photographies de ce dernier :

C’était parce que cela ne me paraissait correspondre à rien de réel.

À ce propos, il me semble qu'il ne serait pas mal de continuer à

photographier après la mort, de photographier le cadavre

proprement dit, de photographier la suite. Ce n'est pas très drôle, il

y a un mauvais moment, le moment de la décomposition, mais

après cela il y a un petit long moment, quand les vers se chargent

de nettoyer tout très bien, et ensuite cette image : quand les os sont

dans la boîte, bien propres, il ne me semble pas que ce soit une

image intolérable. Pour moi, je la juge beaucoup plus rassurante,

pour l'esprit de celui qui la regarde, qu'une ancienne photographie.

Cela, c'est vrai, et n'est pas intolérable. 16

La photo en effet reste figée, prise à un moment donné, elle est fixée dans le temps et elle

a également figé le temps, telle une empreinte de l’instant, comme un masque mortuaire

15 Proust, Marcel. Le Temps retrouvé. Paris, Gallimard folio, 1989. Cité p. 179 16 Francis Ponge, Tentative orale, in Le Grand Recueil, Méthodes, Paris, Gallimard, 1961. Cité p. 240-241.

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de ce moment. A l’instant même de l’action de photographier, la photographie est un déjà-

passé, non-encore dévoilé, mais déjà témoin d’un moment révolu. Comme dans un futur

présent, elle ne sera non plus vraiment ce passé qu’elle évoque, la photographie se situe

dans un espace-temps dichotomique ne pouvant nous rejoindre tout à fait dans le présent

pour se révéler. Serge Tisseron en parle ici de cette impossibilité à retrouver le passé en

photographie. «L’image photographique est signe et référence à un passé devenu

inaccessible.17 »

Toujours dans un imparfait-passé, le temps ne cesse de se dérober sous mes

pieds, la photographie pure n’est que la surface aride qui ne peut plus coïncider avec les

variations auxquelles je suis soumise, avec celles que le temps fait subir à mon souvenir,

à ce qu’il impose à mon autre vie en France, qui n’est plus vraiment d’actualité depuis que

je vis maintenant ici au Québec.

« The image testifies not only to its own impossibility but also to the disappearance

and destruction of testimony and memory (…). If the past is experienced in terms of loss

and ruin, it is because it can never be recovered.18 »

17 Serge Tisseron, Le mystère de la Chambre Claire: photographie et inconscient. Paris: Flammarion, 2008. Cité p.165

18 Cadava, Eduardo. Octobre 2001"Lapsus Imaginis: The Image In Ruins(*)." dans Academic Search

Complete. [En ligne]. N. 96 <http://web.b.ebscohost.com.acces.bibl.ulaval.ca/ehost/detail?sid=574ada9b-

8c1e-4712-8432-

c17dc8a26696%40sessionmgr115&vid=1&hid=114&bdata=JnNpdGU9ZWhvc3QtbGl2ZQ%3d%3d#db=aft&A

N=504934936> (Consulté le 10 Mar. 2014)

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Chapitre 2 : Altération

2.1. La nécessité de l’altération

Ainsi je ne suis plus, cette personne de là-bas, d’autrefois. Et afin de pouvoir

avancer, il faut me délester de la charge affective que j’entretiens avec ces photos et la

faire évoluer. Moi aussi, il me faut grandir, aller vers l’avenir. Anéantir le passé, lui dire

définitivement au-revoir.

Pour ce faire, je choisis l’altération. C‘est une manière de nier la photographie en

elle-même, de lui arracher son rôle de témoin, de détruire sa fonction d’être et son

adhérence au passé. L’altération c’est avant tout effacer la ressemblance, la véracité. Le

but de mes photographies est de ne plus être indexicales. Selon Barthes l’indexicalité

« pointe un certain vis à vis19 », la réalité, la vérité. Or la photo tronquée, découpée

redevient juste une image qui ne doit donc plus partager exactement les mêmes éléments

avec l’instant de la photographie d’alors. « The process of cutting, pasting and layering

(…) images creates yet another juxtaposition : that of contemporary reality with a distant,

magical past.20 » Dans cette citation, Laura Allsop nous parle de la possibilité de cet

entremêlement des temps dans la photographie abîmée. L’image détériorée n’est plus que

le simulacre d’un souvenir, d’un passé. Elle peut alors devenir autre chose. Mais alors que

l’altération me permet de me détacher de la photo pure, de mon passé et des instants qui

y sont liés, je décide de les endommager en les sublimant ; de leur rendre un dernier

hommage. L’altération se donnera donc comme élogieuse. La mort par l’hommage. Je

vois mon intervention comme un rite funéraire. La nouvelle vie comme la mort de ces

photographies ; j’envisage la mort de ces photographies pour leur donner accès à une

19 Barthes, Roland. La chambre claire : note sur la photographie. Paris : Gallimard, Cahiers du cinéma, 1980. Cité p. 16

20 Allsop, Laura. 2008. "Ghost in the Machine: Christopher Orr." Art Review. No.22. P. 28.

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nouvelle réalité. Le cliché a besoin dans mon travail de dépasser son rôle pour devenir

œuvre.

Alors que la photographie argentique est déjà considérée par certains penseurs

comme une sorte de masque mortuaire21, je choisis de renforcer cette conception en

venant appliquer moi-même ma trace, mon empreinte sur le cliché en créant mon propre

masque mortuaire. Dans les traditions funéraires, ce dernier sert à mouler le visage des

morts, le mien vient surtout l’ornementer. C’est un véritable masque carnavalesque qui

vient cacher et travestir les contours du visage. Il décore, pare et déguise ce qui est

dessous. Il sert de paravent à la lecture de l’image, la dévie. Il filtre la lumière de

l’agrandisseur pour changer fondamentalement la nature et l’identité du cliché. Il deviendra

œuvre par altération de ce cliché originel.

C’est donc par et pour l’altération que l’exposition peut se concevoir comme les

funérailles de chacune de ces images. Les interventions sur les diverses photos sont

autant de masques mortuaires destinés à fixer ces instants, ces personnes, ces lieux très

précis. Vie et mort liées ensemble. Ou plutôt la mort pour une renaissance.

2.2. Création des masques

Pour exemple, l’artiste Maurizio Anzeri qui ramène ses sujets à la vie. « Anzeri

brings the anonymous subjects of his pieces back to life by weaving them into a new story

for our modern-day consumption.22 » Il est en effet bien question d’une sorte de

renaissance.

21 Sontag, Susan. La Photographie. Paris : Seuil, 1979. Cité p. 182. 22 Chalmers, Jamie. « The Altered Image ». Surface Design Journal. Ete 2012. Cité p. 28

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Maurizio Anzeri

Round Midnight

Broderie sur impresion

2009

62x45cm

Maurizio Anzeri

Yvonne

Broderie sur impression

2011

25x19,5 cm

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Maurizio Anzeri est un artiste d’art actuel qui travaille avec cette altération des images. Il

récupère des images dans divers marchés aux puces et autres sources et il les retravaille

afin d’en changer l’essence. Son intervention est de venir broder sur la photographie

même. L’artiste travaille principalement aves des portraits. Il fait passer ses portraits

retravaillés à la postérité, mieux à l’éternité, employant même les appellations de dieux et

déesses pour ces sujets. « Anzeri turns ordinary people into works of fiction as though

they were god and godesses.23 »

En brodant directement sur ces photographies, l’artiste opère une altération

physique sur l’image. Les trous laissés par le passage de l’aiguille témoignent de cet acte

d’altération directe. Les personnages sur les photographies sont amenés dans un univers

fictionnel. Il explique que son point de départ est généralement l’œil du personnage qu’il

entoure et remet en valeur, pour ensuite construire son dessin sur le visage du

personnage. « It’s like a mask-not a mask you put on, but something that grows out of

you.24 »

C’est un peu de la même façon que je vois mes masques prendre forme. Masque

qui grandit autour et à l’intérieur du personnage pour envahir petit à petit le cliché. Mais

alors que Maurizio Anzeri brode son masque sur la photo, les miens sont des confections

en broderie sur tulle qui recouvrent les différents clichés. Ils s’imposent, prennent place,

cachent, détruisent le passé, l’image, le vécu, pour créer et recréer.

Pour organiser de belles funérailles, il faut avoir aimé ; c’est donc un hommage

que l’on vient rendre. Le mien est graphique. Le masque est travaillé en fonction de

chaque image avec chaque fois un rapport fond/forme. Il se compose de lignes fortes, qui

concentrent et re-soulignent les traits figuratifs des clichés. Le dessin préalable se

compose des formes dites globales. Arabesques, entrelacs, elles se concentrent tout

d’abord autour du punctum affectif de l’image, ce qui excite mes sens, mes émotions,

comme le dit ici Barthes : « car punctum, c’est aussi piqûre, petit trou, petite tache, petite

coupure - et aussi coup de dés. Le punctum d’une photo, c’est ce hasard qui me point

23 Ibid

24 Ibid

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(mais aussi me meurtrit, me poigne).25 » Le punctum est donc directement rattaché au

souvenir. C’est donc par le souvenir que le dessin commence. Comme Bergson le

prétend, la somme de nos souvenirs nous accompagne dans tout et dans toutes choses,

et c’est par la perception que l’on se souvient:

Nos perceptions sont sans doute imprégnées de souvenirs, et

inversement un souvenir, comme nous le montrerons plus loin, ne

redevient présent qu’en empruntant le corps de quelque perception

où il s’insère. Ces deux actes, perception et souvenir, se pénètrent

donc toujours, échangent toujours quelque chose de leurs

substances par un phénomène d’endosmose. 26

Le cliché original est la surface sur laquelle venir projeter ces instants

d’autrefois. C’est une façon d’y replonger tête baissée. Le rapport émotif au cliché et à ce

qui s’y trouve refait surface et me permet de revisiter mon passé. C’est le reste de l’image,

à entendre comme le contexte, qui va m’envahir. Patrick Vauday nous en parle en

introduction de son livre, La matière des images, où il évoque Stendhal qui, se

promenant dans Rome et dans ses anciennes ruines, fait renaître en esprit la Rome

d’alors.

Le reste de l’image peut s’entendre au sens de la ruine qui porte à

imaginer l’ensemble disparu, ainsi que fait Stendhal dans ses

Promenades dans Rome, moins comme on pourrait s’y attendre, pour en

entretenir la nostalgie que pour le faire renaître de ses ruines encore

“chaudes” et en célébrer dans le présent la puissance éternelle. 27

Car il est clairement question de mémoire ici. C’est même tout le propos. C’est par

la mémoire que l’intervention se fait. Dans cet élan de souvenir pour finalement se

détacher, lorsque la métamorphose sera complète. Chaque image a son histoire, son

25 Barthes, Roland. La chambre claire : note sur la photographie. Paris : Gallimard, Cahiers du cinéma, 1980. Cité p. 48-49.

26 Bergson, Henri. Matière et Mémoire : essai sur la relation du corps à l’esprit. Paris : Presses Universitaires de France, 1982. Cité p. 60

27 Vauday, Patrick. La matière des images: Poïétique et esthétique. Paris: L’Harmattan, 2001. Cité. p.9

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contexte. Et le dessin veut faire ressurgir ces émotions. Dans les visages (les portraits

sont nombreux), l’attention est souvent donnée à l’œil. Ce dernier recèle énormément,

communique avec l’appareil photographique. Il raconte, nous parle. Les formes sont donc

souvent amenées à l’entourer, le mettre en valeur, le faire ressortir. Et, petit à petit, les

formes s’imposent, laissent l’œil ouvert, recouvrent le nez, soulignent la bouche, la racine

des cheveux, s’échappent de ma main et de mon contrôle, redescendent, traversent le

cou, se confondent dans les plis des vêtements. Le dessin suit les traits vestimentaires,

s’insère dans les éléments du décor, les cache, en rehausse d’autres. Il s’évade. Il est fin,

précis. Son but premier est vraiment de mettre en valeur certains éléments essentiels de

la photographie au détriment d’autres. C’est un peu comme une sculpture. Je redessine le

visage, les lieux, les éléments du cliché. Gaston Bachelard nous dit dans son livre, La

Terre et les Rêveries de la volonté 28que les mains des sculpteurs font « un modelage où

les émotions coulent en quelques manières dans la pâte modelée et donnent des

croissances que le contrôle des formes par la vue réduirait. La monstruosité formelle peut

être une vérité dynamique. » C’est un peu cela que je recherche, la vérité dynamique,

celle qui rendra au mieux hommage au personnage, le déguisant, le déformant, pour

arriver à une autre lecture. Le monstre, créé par les diverses lignes qui viendront agrandir

les éléments formels du visage, participe de la vérité parce que le dessin est lié au

contexte du cliché. La création du masque se fait dans la nostalgie du souvenir, sculpté

pour l’honorer.

2.2.1. Le recours à la monstruosité

Des monstres. La déformation des lignes du corps et du visage, la sculpture que

j’opère sur les traits, sur l’apparence générale, peut donner à la transformation un

caractère monstrueux. Monstres par des visages non-identifiables, ravagés par les lignes

et ornementations, par ces formes qui prolongent, accentuent, empêchent la lecture du

visage. Des lieux sont également représentés. Et leur altération procède des mêmes

interrogations; l’absorption du réel pour contrer la mimesis, le retour au souvenir pour

créer le masque. Le monstre est créé et apparait en fonction des divers éléments présents

sur le cliché original pour le dénaturer.

28 Bachelard, Gaston. La terre et les Rêveries de la volonté. Paris : J. Corti, 1961. Cit.p.104

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Etymologiquement, monstre vient de monstrum en latin qui lui même vient de

monere. « Mais monere c’est aussi, de manière tout aussi inattendue, et dans un sens

apparemment contradictoire, conserver le souvenir, la trace, la mémoire.29 » nous dit

Jean Clair. C’est donc par le jeu de la mémoire qu’on arrive à la monstruosité comme

nous l’avons vu plus haut. Parce que le rappel du souvenir participe à créer cette

monstruosité. Monstrueux parce qu’hybride. Parce que non-reconnaissable. Parce

qu’inconnu.

« Le “ monstre “ désigne d’un point de vue subjectif un être dont le statut perceptif

est instable et inacceptable. Il reste entre l’humain et l’inhumain entre la forme familière et

l’informe.30 » Manuel Didier évoque cet impossibilité perceptive du monstre qui le met

dans une position d’entre-deux, entre deux statuts, entre deux « formes ». Les masques

apportent cette qualité de l’informe, parce que non-reconnaissables. Ils se perdent dans

les traits pour détruire l’apparence physique. C’est uniquement dans cette considération

de l’informe que cette comparaison prend valeur. L’irrégularité des traits, la perception

difficile, due au procédé semblable à la solarisation, dans une grande partie des travaux,

l’attention que le spectateur doit porter à l‘image pour percevoir les détails, appréhender et

essayer de deviner, s’il le veut, la personne en dessous. Car il faut un ancrage dans le

réel, le spectateur doit pouvoir deviner qu’il s’agit d’une personne, le personnage que

cela a été avant.

« Si l’excès va au delà de toute reconnaissance possible, il n’y a plus de

monstruosité.31 » Manuel Didier souligne ici cette distinction. Il faut reconnaître le monstre

pour lui attribuer ce qualificatif, si la forme est impossible à reconnaître elle devient autre.

En effet, il faut que certains éléments puissent ramener le spectateur dans une certaine

29 Clair, Jean. Hubris : La fabrique du monstre dans l’art moderne : Homoncules, Géants et Acéphales. Paris : Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 2012. Cité p. 9.

30 Manuel, Didier. La figure du monstre : phénoménologie de la monstruosité dans l’imaginaire contemporain. Sous la direction de Didier Manuel. Nancy : Presses Universitaires de Nancy, Coll. Epistémologie du corps, 2009. Cité p. 25.

31 Ibid. Cité p.28.

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réalité afin qu’il ait une base pour « comprendre » ces images. C’est pourquoi les œuvres

mélangent photo et tissage sur tulle, et c’est pourquoi je parle de masques. Masques qui

filtrent et déguisent les images, mais qui laissent percevoir certains éléments ; qui

annihilent le concept même de la photographie-témoin, mais laissent apparaitre d’autres

traits des visages, d’autres éléments des lieux. Le masque, comme tout masque dans la

plupart des cultures, travestit le personnage, le dénature. En partie du moins, étant donné

qu’ici le masque est créé en fonction de la réminiscence du moment. Et le masque, tissé/

brodé sur tulle recouvre tout en dévoilant une dimension profonde. Il vient comme une

seconde peau définir une nouvelle apparence physique à mes personnages.

2.2.2. L’ornementation dans le masque

Le dessin se forme en deux temps ; les formes globales et les motifs de

remplissage. Les formes dites globales, sont inspirées par et reliées au souvenir qui

entoure ces photographies. Elles inscrivent la photographie dans un autre contexte, la

remodèlent, lui donnent une autre portée. Les formes dans Hilton III rejouent cette

journée si particulière où Sébastien m’emmena à Evian, où le soleil nous incitait à

l’insouciance et à la naïveté éphémère que tout était possible. Les formes globales nous

donnent un dessin aérien, ailé, tout en finesse, qui, pour moi, rejoint ce moment d’extase.

Ce portrait ne peut se lire qu’en rapport avec cette après midi précise.

Dans Bresse I, Chloé est adossée à cette ancienne maison en pierre, me regarde

sans me voir, happée dans ses rêveries. Elle est surprise par l’appareil, se sent gênée,

n’aime pas beaucoup les photos. Elle se laisse néanmoins faire, alors que nous fumons

tranquillement en cette matinée. La soirée de la veille encore en tête, et la pensée du

départ qui approche. Un peu d’appréhension: il va bientôt falloir se dire au revoir et se

quitter. Le dessin laisse son œil expressif libre. Une forme entoure sa tête, joue dans ces

cheveux, remonte sur le nez qu’il recouvre, redresse son sourcil bien rond, remonte

encore pour s’évader dans le décor de la rue, s’en emparer tout tranquillement. Ce dessin

illustre bien ce moment de détente matinal, les pensées qui s’évadent, le retour du

dimanche en perspective, la fatigue, la tête farcie de nouveaux souvenirs du week-end qui

se termine plein la tête.

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Puis les formes se remplissent tout doucement. Elles doivent cependant laisser place au

support, être présentes mais discrètes et fines. Les motifs viennent asseoir les formes,

leur donner une consistance. Il est important qu’ils n’altèrent pas leur lecture ; les formes

sont rondes, les ornementations intérieures vont donc jouer sur de fins traits, pour

contraster. Les motifs agrémentent juste les formes, en les chargeant picturalement, ou à

l’inverse les laissent plus pures. Et pour que les ornementations ne prennent pas trop le

dessus sur la photographie, je choisis la répétition de motifs, l’accumulation, pour que la

multiplicité soit moins dérangeante pour l’œil. L’artiste Ellen Hove parle de répétition pour

la totalité car elle unifie le tout en débarrassant de sens les éléments qui seuls prendraient

une valeur différente. « Repetition is debasing. It empties things of meaning. A figure that

is multiplied automatically loses its unique identity, its value. …. in some strange way

repetition also has an idealizing and unifying effect.32 »

Dans cette photographie Bresse I, trois sortes de motifs sont utilisées. L’un

composé de lignes, plus strictes, couvrent la base du nez, la bouche, descendent dans

l’écharpe et remontent sur le côté de la tête. Puis de petits arcs de cercles empilés

dessinent le nez, le front et s’évadent du visage pour arriver au troisième motif, plus

pointu, fait de brindilles en tous sens qui dépassent le cadre de la porte et sortent dans le

décor. Les différents motifs ne signifient rien et signifient tout. Par cette même

reviviscence, ils viennent d’eux-mêmes, ou plutôt dirigés par mes pensées, s’inscrire dans

la totalité. C’est une sorte de cosmologie personnelle, mue par la nécessité d’ornementer

ces photos. C’est ce que disait Vishner, qui nous parlait de cette volonté interne de faire

apparaître notre vie intérieure par l’ornementation.

« In order to account for those forms which represent nothing, yet Vishner

felt exhibited beauty, he developed a special theory of symbol which he

defined as that process in which « following an inner necessity of the

nature of our soul, we attribute a mental disposition to the abstract forms

of appearance (…) so that our inner life appears to meet us in them.33 »

32 Hove, Ellen. 2010 « The magic of repetition ». Ceramics: Art & Perception. No. 80. P. 103

33 Morgan, David. 1992. « The idea of abstraction in German theories of the ornament from Kant to Kandinsky » Journal of Aesthetics & Art Criticism. Vol. 50. été 1992). Cité p.233.

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20

Hilton III Photographie argentique 28x35cm. 2013

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21

Bresse I Photographie argentique. 21x27cm. 2013

Mélissa Zexter

Schoolgirls

Impression, fil

50,8 x 60,96 cm

2013

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La texture du tulle permet l’hésitation entre broderie et tissage. L’entrelacement

des fils et de la membrane, le dessin qui se forme, c’est un peu comme tisser ses

souvenirs. Un peu comme la Pénélope d’Ulysse. Tisser le récit, les émotions de ces

journées, de ces instants, dans la durée, repasser, ressasser et revivre pendant le tissage

dans le but de ne pas oublier. « Tisser la trame des récits pour échapper au rigor

mortis. »34 Car, en effet, une fois le masque terminé et la transformation de l’image

achevée, c’est la mort de l’image en tant que surface de projection au souvenir qui

s’impose. Tisser enfin, tâche dont la lenteur permet de dire au-revoir, de relier ensemble

les souvenirs comme les synapses du cerveau. Etablir les connexions, recréer par le

masque une nouvelle apparence aux choses. Le tulle, comme un immense filet, capture à

la fois l’image et le souvenir. Jean Clair, en parlant de cette Pénélope nous dit : « Elle

rappelle ce que le mot français regarder veut dire, une réitération, un retour en arrière, une

rétrospective vers un regard antérieur.35 » Regarder vers le passé. L’introspection est

lente, due à la complexité de la tâche, aliénante parce que presque machinale et, par

dessus tout, méditative. L’artiste Melissa Zexter travaille elle aussi avec des images

brodées (cf figure 5 p. 24). Elle considère que par la lenteur de la tâche, c’est le temps lui-

même qui s’en trouve altéré, que cela lui permet de revivre et de se repositionner par

rapport à cette photographie. « Hand sewing alters the time. It allows me to react to a

moment-the photograph and alter and adjust the memory.36 »

C’est bel et bien un au-revoir. Le masque est terminé, la métamorphose vient à

son terme. Il va falloir l’insérer, dernière étape de ce processus. Le cliché originel va

pouvoir ré-apparaître sous nos yeux, transcendé par ce masque qui vient le cacher et le

travestir. Transformé, il va renaître, devenir œuvre et fantôme.

34 Clair, Jean. Hubris : La fabrique du monstre dans l’art moderne : Homoncules, Géants et Acéphales. Paris : Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 2012. Cité p.24.

35 Ibid

36 Zexter, Melissa. In Dessanay, Marguerita « Art and Craft :an embroidered web : Following the thread ». Elephant. N.9. Hiver 2011. Cité p. 86.

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Chapitre 3 : Insertion et apparition

Phantosia phainomnai ; il s’agit, chez les Grecs, d’image et d’imagination,

mais il s’agit aussi de représentation. L’un et l’autre terme parlent de venir

à la lumière, de mettre au jour, de faire paraître à la lumière, d’apparaître

au jour, de rendre visible, présent à l’œil et à l’esprit, ce qui d’ordinaire

reste caché. C’est un fantôme, une apparition, dont on ne sait trop si ce

qui se manifeste est vu ou bien imaginé. 37

3.1. Apparition du fantôme

Apparition en effet puisqu’ il est vrai que quelque chose d’autre apparaît sur

l’image. L’addition du masque sur le cliché révèle une autre présence : le masque

déforme les traits, s’insère, prend son ampleur, marque l’image de son sceau et par là, en

propose une nouvelle lecture. Il permet de voir différemment puisqu’il anéantit ce côté de

« miroir du réel » que le cliché porte en lui.

C’est pourquoi l’étape finale du processus en vient à « tuer », détruire l’image de base qui

se retrouve au-delà du souvenir, détachée de l’instant initial. Le lot affectif n’est plus

présent de la même manière lorsque l’on regarde l’image finale. De « base mémorielle »

elle est devenue œuvre.

Mais elle est aussi devenue une sorte de fantôme. Tout d’abord, un fantôme d’elle-

même car elle n’est plus l’image-témoin. Son rôle a été annihilé. Fantôme aussi, parce

qu’elle est ici d’un autre temps, puisque le cliché est toujours rattaché au moment où il a

été pris. Fantôme encore, parce que ces lieux et personnages ne sont plus, ne se

reconnaissent plus en tant que tels. Fantôme enfin dans l’apparition de cette nouvelle

forme qui se dessine sur l’image. Alors que cette dernière cherche à s’affranchir du

Temps, passé et présent confondus, et de sa charge affective, le paradoxe ici est qu’elle

se fait détruire pour renaître, avec une nouvelle fonction pour une nouvelle vie dans un

37 Clair, Jean. Hubris : La fabrique du monstre dans l’art moderne : Homoncules, Géants et Acéphales. Paris : Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 2012. Cité p.9

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nouveau monde. Le fantôme est la résurgence de l’image. L’image a dû mourir,

disparaître. Le fantôme représente ce qu’il en reste.

3.2. Insertion dans la photographie

3.2.1. L’insertion par empreinte

La dernière étape du processus, l’insertion, est créatrice de cette apparition. Dans

ce travail, j’ai utilisé deux méthodes différentes pour ajouter le masque dans le cliché. La

première se fait par empreinte. Le masque est ici mis en contact avec le papier afin de

laisser sa trace s’imprimer au moment de la révélation. Le masque laisse donc son

empreinte sur le cliché. C’est en cachant, ôtant certaines parties de la photographie

originelle à la lumière de l’agrandisseur, et donc à la révélation, qu’il prend sa place. Il

laisse ainsi certaines parties du papier vierges et donc blanches. C’est une impression en

négatif comme en négation. Un témoin de réalité peu fiable, occultant des bribes

d’instants. Le masque altère le cliché par sa présence.

« L’empreinte est donc prédatrice, elle garde ce que nous perdons, elle nous isole,

et même, nous déchires de notre ressemblance. 38 » nous dit Didi-Huberman. Le masque

vient apposer son empreinte en négatif, dans cette photographie tirée en positif. En se

déposant, il occulte certaines parties de réel. Ces dernières ne sont donc pas présentes

sur l’œuvre finale. Le négatif, laisse des marques blanches, en creux. L’empreinte est

double ; empreinte de réel par la photographie, mais empreinte par photogramme du

masque.

Et pour que le masque s’inscrive encore mieux dans la photographie, que sa

marque, son empreinte soit encore plus visible, et que parallèlement, la photographie

originelle rompe avec son statut de témoin, de la ligne espace/temps à laquelle elle

appartenait, j’inverse les tonalités par le biais d’un effet similaire à la solarisation dans une

38 Didi-Huberman, Georges. La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte. Paris : Editions de Minuit, 2008. Cité p. 139

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logique d’empreinte/contre-empreinte, ce qui donne de la profondeur à cette empreinte.

Cette dernière se fige alors en faisant évoluer la photographie autour d’elle. Au moment où

il devrait rester dans le noir, le cliché est amené à la lumière. Les tons, les contours, la

photo se muent peu à peu. Un voile dense apparaît sur l’image et les différents tons de

gris, suivant leur densité, s’éclaircissent ou s’assombrissent. La balance de l’image s’en

trouve changée et l’empreinte du masque passe de blanc à noir, remplissant ces bouts de

papier vierges par le noircissement. L’empreinte devient figure, s’inscrit dans ce qui est

maintenant devenu une œuvre. C’est à ce moment-là que le fantôme apparaît. Le

photogramme prend forme petit à petit en se revêtant de noir. Il s’incarne. Il se mêle au

cliché. Cet effet rend plus imperceptibles les différents détails de l’image. En posant son

voile de noirceur sur l’image, il change complètement son apparence, joue avec les

différentes nuances de gris et plonge le spectateur dans une réelle interrogation devant

ces images si denses.

Dans Lyon I, la couleur de fond est plutôt grise. La photo a été prise à contre-jour

et cela apparaît lors de cet ultime changement. La silhouette d’Héloïse s’est couverte de

ce même gris, un peu plus foncé toutefois. La pièce du fond, elle, s’est parée d’une teinte

de blanc. On aperçoit même la fenêtre d’où provenait le rayon de lumière.

Mais les éléments sont difficilement reconnaissables… que ce soit le personnage,

Héloïse, ou bien le décor. Tout semble figé, arrêté, recouvert par ce voile de nuances de

gris qui redessinent les formes de l’image ; on distingue un petit liseré blanc tout autour

du personnage, qui renforce sa présence, nous donne une sorte de perspective. Le

masque quant à lui, s’étale, prend sa place. Les formes enlacent la silhouette, s’étirent

vers le plafond. Les traits sont noirs, dans de multiples teintes. Certains sont plus

présents, ressortent sur le cliché, alors que d’autres encore se fondent, se cachent

dedans, se confondent avec lui dans cet effet de solarisation. Mais surtout, la membrane

prend son ampleur. La texture du tulle se fait ici blanche, elle contraste donc

particulièrement bien. On voit la trame du tissu qui s’étire, se recroqueville parfois, se

pose; les plis du tissu, ces mouvements sont perceptibles, comme au sommet de la photo

où l’on se rend compte de l’ondulation dans la matière. Le spectateur ressent cet aspect

du recouvrement, cette chose délicate qui a posé son voile sur le cliché, qui cache, ou qui

peut avoir l’air de protéger, tant les traits sont fins. Et même s’il a du mal à deviner qu’il

s’agit de broderies, il peut sentir l’apposition, la texture. Il résulte de ces clichés comme un

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aspect matériel. Le masque funéraire enveloppe le cliché de sa trame, et le décore,

l’embellit pour le métamorphoser en fantôme.

Il est à noter que, suivant les photographies, j’ai quelquefois décidé de laisser un

bout de texture s’égarer dans l’image ; pour d’autres, j’ai choisi de couper autour des

formes globales du masque, de centraliser la lecture de l’image, afin que l’œil ne se perde

pas dans cette membrane. C’est le cas dans Hilton I. C’est la vue intérieure/extérieure

d’une piscine. Le masque s’insère en bas à droite de la photographie. Il devient, il incarne

une forme, et le fait de ne pas laisser la membrane apparente autour d’elle permet de

rediriger le regard sur cette forme qui a l’air de sortir de l’eau pour venir se fondre dans le

décor, puis dans les arbres au loin. Ne pas laisser de membrane alentour permet à la

forme de mieux exister, de n’être plus qu’elle même.

La photographie n’est plus ce « ça a été, » elle a évolué en « cela » (elle a

évolué). Elle existe parallèlement à nous. Le fantôme y a fait son apparition et se

manifeste à nous. Dans cette série que j’appellerais par « empreinte », (comme l’image a

été transformée par contact, par empreinte) ne reste du masque que sa trace. L’œuvre est

donc plane, en deux dimensions. Elle existe en tant qu’image et photographie dans le

sens où le résultat est de composante photographique ; papier photographique tiré par

l’action de la lumière. Ce qui renvoie à l’étymologie de photographie (cf partie 1).

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Lyon I

Photographie argentique

13x18cm

2013

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Hilton I Photographie argentique. 12X20cm. 2014

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Ces fantômes se retrouvent dans l’exposition « Ghosts » présentés à la galerie

Visual Voice sous une forme de mosaïque. La présentation choisie les propose comme

une grande constellation. Chaque photographie existe par elle-même tout en faisant

partie d’un ensemble ; elle vient réalimenter de ce fait cette sorte de mythologie

personnelle, faite d’altération de vécu, de transformation de souvenirs, de mutation de

« ça a été ».

Dans la salle de la galerie, deux des murs sont alloués à cette fresque fictionnelle mais

également commémorative, au sens de son attachement initial à mon passé. Les images

se dispersent et se regroupent sur ces deux murs comme un pôle d’attraction/répulsion

sous une forme elliptique. Cette dernière cherche à retrouver l’intime, la rondeur qui

rappelle le nid, le confort, la chaleur et le rapprochement que j’entretiens avec tous ces

instants. Cette notion d’intimité est très forte au sein de l’installation, sous forme

d’invitation lancée au spectateur pour rentrer dans mes fictions personnelles, venir jouer

avec et déjouer les embrouillages transformatifs apposés aux photographies. Cela se

retrouve notamment dans le petit format de la majorité des œuvres qui, tant par leurs

sujets que par leur taille, ne se prêtent pas facilement à la lecture et renforcent ce

caractère du cocon, cette impression d’entrer dans une sphère intime et privée.

De même, c’est dans cet esprit qu’il m’a semblé important de jouer avec la mise en

lumière de cette installation. En effet, pour rajouter au côté intimiste et fragile, j’ai encadré

chaque photographie de plexiglas, et, en créant une distance au mur, j’ai pu jouer avec un

éclairage dirigé qui a permis d’ornementer chaque photographie de sa propre ombre.

Cette ombre vient rehausser chaque image, lui attribuant une place précise au sein de

cette mythologie, lui redonnant son importance, soulignant sa singularité au milieu de cet

agglomérat

de souvenirs. Ce phénomène d’attraction/répulsion de chaque photo face à l’ensemble,

rend bien à mon sens la pluralité des Ghosts et de chaque fiction, chacune avec son

histoire propre au sein de cette fresque, elle-même reflet de l’histoire qu’ont été ma vie,

mon expérience de maitrise et cette exposition au Québec.

Le spectateur se trouve face à cet enchevêtrement de souvenirs, chacun ayant sa propre

force, et pouvant se lire de façon singulière autant que dans sa globalité. Afin de lui

faciliter l’appréhension de chaque photo, des seuils de lecture lui ont été aménagés. Les

cadres bénéficient d’une distance au mur pour favoriser la formation des ombres, mais

ces distances ont été réalisées chacune différemment, afin que certaines photos soient

exposées plus en avant que d’autres, créant ainsi un système de décalages. Cette

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accumulation de souvenirs, qui apparait comme « désordonnée » tant par les différents

paliers de lectures et la mise en relief au mur que par les différences de tailles et de

formats tendent à redonner à chaque image sa place au sein de cette constellation,

soulignant l’aura de chaque oeuvre, sa propre vie, sa propre histoire, tout comme l’ode à

sa transformation.

Dans cette installation intimiste chaque photo « brille » par sa noirceur en guise

d’hommage à la Photographie et à mon passé.

Vue d’exposition Ghosts

Galerie Visual Voice, Montréal,

2014

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3.2.2. L’insertion par évidement

La deuxième méthode est inverse. Elle utilise l’évidement. Ici le masque vient

remplacer différents éléments de la photographie. La technique consiste à découper dans

la photographie originelle et à insérer le masque dans ces béances. Découper une

photographie peut paraître une hérésie. Surtout pour moi qui décide de laisser ce fameux

cadre noir autour de chacune d’elle afin d’attester, à la manière de Henri Cartier Bresson,

que je n’y retouche pas, que le cliché est tel qu’il a été pris, authentique donc. Venir jouer

dans l’image même pour en ôter certaines de ses parties est venu d’une nécessité de la

tuer. Je le répète : tuer l’image pour mieux la ressusciter. Et, alors que ce cadre noir

atteste de l’instant, je choisis de venir jouer avec les éléments formels au cœur de la

photographie. Le cliché, amputé de certains éléments, est alors la chair à vif. Découper

une photographie est un acte fort. Un peu comme se scarifier, renier son passé, trancher

dans la chair. Armée du cutter, oser trancher dans cette image, dans mon image et dans

mon passé. Inciser, découper, tel un chirurgien je procède dans ce témoin de réel. La

découpe se fait selon les formes « globales ». Dans la même intention que celle du dessin

décrite plus haut, j’ai imaginé les formes globales pour qu’elles viennent jouer avec les

traits de l’image. Le cliché originel joue donc le rôle de moule. Il y a une notion de positif

et de négatif ; le cliché, positif du développement argentique, qui devient moule, pour faire

renaitre une forme en tulle , préalablement tracée selon le négatif du cliché originel, donc

négatif qui redevient positif en s’y insérant.

Dans Serraval V, il fallait jouer avec les doigts de la main qui s’entrelaçaient. Les

traits sont confondus avec les phalanges avant de remonter découper la lèvre supérieure,

le nez et laisser un œil apparent. Cette forme tout en rondeur vient redessiner la

physionomie de Julien, dans cette idée de monstruosité. La technique du découpage a

donc consisté à recréer cette forme pour revenir jouer avec l’image. Julien ainsi

raccommodé n’est plus reconnaissable. De même le paysage a subi des coupes, bribes

de cet instant perdues à jamais, reléguées au passé.

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Serraval V

Photographie argentique et tulle brodé

60x80 cm

2014

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Le masque se substitue alors à certains éléments de l’image. Il prend corps dans

la photographie, la transcende. Les ornements se déploient au cœur de l’image, s’étirent

et s’incarnent. Il s’ensuit un travail de couture à l’intérieur des béances laissées par

l’évidement et que le masque vient combler ; il faut l’étirer, pour qu’il prenne place et

s’adapte correctement ; puis raccorder. Comme un chirurgien, j’effectue des petits points

de sutures pour panser les plaies, refermer les blessures. L’aiguille pique de part et

d’autres de la découpe, assemble le masque au cliché. L’image est raccommodée, entière

à nouveau. Négatif et positif à nouveau assemblés par ce petit travail de couturière, visant

à réparer. L’image est ainsi parée de ses nouveaux attraits. Elle renaît, ressuscite, habitée

par le fantôme qui joue avec les traits du cliché original. Le masque fait partie de l’œuvre,

y fait son nid pour changer la lecture de l’image.

Mais cette dernière a maintenant un verso, puisque la membrane laisse apparaître

ce qu’il y a de l’autre côté (le derrière de l’image). L’intégration du masque par évidement

lui donne une autre profondeur et une autre dimension. L’œuvre n’est plus plane comme

dans la première série. Ici, l’image se rapproche de la sculpture. Les questions de moule,

forme et contre-forme nous y renvoient. De plus, l’image a une autre matérialité que les

images par empreinte. Elle devient objet concret. Le verso « agrandit » l’image, joue avec

les concepts de transparence et de perspective. D’autant plus que l’œuvre n’est pas

simplement accrochée au mur, elle est décalée, laissant un jour, un espace entre le mur et

elle, qui va donner au masque l’utilité de sa transparence, lui réaffirmer son statut d’œuvre

en trois dimensions tout en laissant parler sa matérialité. Cette double-matérialité devrais-

je même dire. L’œuvre combine en elle, en effet, la matérialité du motif, comme la

matérialité du cliché photographique, lisse, et faisant référence à une autre réalité que la

sienne propre. Chacune appartient à des espaces temps différents qui se retrouvent

entremêlés pour l’éternité ; le passé dans le présent pour s’offrir, chacune se donnant au

regard de deux façons différentes. L’intégration du masque, non par contact, mais dans sa

totalité, donne envie de toucher, suscite la curiosité. Le fantôme est hybride, résultat de

deux procédés.

Dans les deux séries, les oeuvres sont hybrides, faites de textile brodé et de

photographies. Les deux procédés communiquent et se rejoignent ; la photo, pour la base,

le souvenir, et l’altération comme affirmation du présent de l’oeuvre. Dans l’exposition, les

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deux séries se répondent et dévoilent à elles-deux l’intégralité du processus. Alors que

dans la série des empreintes le masque n’est qu’apparent, il se dévoile entièrement dans

la série par évidement. Au spectateur maintenant de comprendre le processus, de deviner

ce qui a été pour l’une, ce qui manque pour l’autre.

3.3. L’inquiétante étrangeté et l’aura du ghost

Au travers de ces explications, j’emploie, et c’est par cette citation que je nomme

l’exposition, la formule de Marcel Duchamp : A Guest + A Host = A Ghost. Ici nous avons

explicitement le « Guest », ce souvenir du passé, le cliché originel, et le « Host » qui vient

s’y insérer, s’octroyer sa place pour détruire la photographie, les deux réunis donnant

naissance au ghost. Ghost car apparition ; mais le Ghost n’est possible que parce que

l’image s’est trouvée détruite, est décédée. Didi Huberman nous l’explique dans son livre

La ressemblance par contact, en nous parlant du travail de Marcel Duchamp et de sa

conception de l’apparition qui donnait alors au jeu de mots une toute autre ampleur :

Quand il écrit : A Guest + a Host = a Ghost, il nous parle strictement - et

dialectiquement - d’une opération visuelle, puisque recevoir et être reçu

donnent en cette logique apparaître (tel un fantôme). Cela pourrait être

une définition de l’aura. Mais Duchamp, comme on le sait, nommait

l’apparition un moule, « natif » et « négatif » : l’aphorisme nous parlait

donc de la réversibilité de l’empreinte.39

Réversibilité de l’empreinte en effet. Dans ces deux séries, il est question de

remaniement de formes, qui de positifs en négatifs et inversement, amène l’incertitude et

pour finir l’apparition dans la dissolution de ce qui est montré.

Dans la première série tout d’abord où empreinte de réel et empreinte du masque se

trouvent confondues, le cliché devenant une sorte de négatif, alors que le photogramme

devient positif par la solarisation. Réversibilité de l’empreinte également dans la deuxième,

où c’est par inversement des moules (et donc par empreinte renversée d’une certaine

façon) que le masque vient s’insérer et prendre sa place dans le cliché, pour que le

fantôme nous apparaisse. De négatif en positif, l’image est métamorphosée, subissant

39 Didi-Huberman, Georges. La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de l’empreinte. Paris : Editions de Minuit, 2008, Cité p. 149.

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transformations d’apparence et d’identité. Il en résulte une œuvre où la lisibilité ardue des

images questionne si ce qui est montré, exposé est le négatif ou effectivement bien le

positif.

En effet, les images déformées possèdent ce caractère qui renvoie à l’étrange. Les

images sont difficiles à appréhender, on se perd rapidement dans ce jeu de lignes

complexes et pour beaucoup imperceptibles. Alors que l’image d’origine n’est pas donnée

à la compréhension, le spectateur se voit pris dans le labyrinthe de ces entrelacs que sont

les masques. Les visages comme les lieux sont empiétés, pris en otage sous cet amas de

fils. L’incompréhension suscitée rejoint ce que Freud appelait l’inquiétante étrangeté,

quand ce que nous voyons ne nous fait pas accéder à une compréhension immédiate

alors que nous distinguons des éléments que nous sommes susceptibles de reconnaître :

« L'inquiétante étrangeté sera cette sorte de l'effrayant qui se rattache aux choses

connues depuis longtemps, et de tout temps familières.40 » Il s’agit d’un état d’inconfort qui

oppose le fait de connaître à cette curiosité de quelque chose qui ne nous rappelle rien.

Ces images en sont un exemple pur. Parce que le cliché, facilement identifiable, a été

« vandalisé » pour qu’il ne le soit plus, l’œuvre amène le spectateur à se confronter à des

images d’un style nouveau en proposant ces fantômes, nous montrant leur nouvelle vie

dans le monde de l’onirique et du fantastique. Et donc hors de notre réalité.

« L’étrangement familier crée (…) une réalisation de l’imaginaire, une extension du réel au

delà de ses limites ordinaires.41 » Freud nous le dit ici: le recours est alors permis à

l’imaginaire par cet effet d’inquiétante étrangeté, par cette difficulté de « voir ». Problème

de perception, difficulté de raisonner devant ces différents clichés habités qui ne se

laissent voir que couverts de leur masque, vêtus, déguisés non-identifiables. De plus, il va

sans dire que la solarisation et la « noirceur » omniprésentes dans la première série

procurent un sentiment inconfortable, renforcent cette idée de monde onirique, d’étrange.

Elles ont jeté leur voile sur la plus grande partie, et laissent planer le mystère autour

d’elles. Qui sont ces personnages, ces lieux ? Que nous disent-ils ? Les photos

40 Freud, Sigmund. « L’inquiétante étrangeté » dans Essais de psychanalyse appliquée. Paris : Gallimard, Idées, 1976. Cité. p. 165.

41 Freud, Sigmund. In Ancet, Pierre. Phénoménologie des corps monstrueux. Paris : Puf, Science, histoire et société, 2006. Cité p. 86.

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paraissent à la limite de l’informe, entourées de ce halo qui empêche une lecture directe,

facile. Le spectateur doit se concentrer pour « voir ». L’image se présente comme un tout,

personnages et masques entremêlés, traces et empreintes, positif et négatif, et interroge

à la fois sur le processus et sur la lecture. Intrigué, le spectateur peut aller d’une image à

l’autre, pour appréhender les différents fantômes, et sentir cet univers fantastique.

« La fantasmagorie est étymologiquement l’ “art de faire parler les fantômes“.42 »

Ou encore l’art de faire parler les morts, voire l’art de parler au-delà de la mort à ceux qui

survivent. L’instant en question n’est plus. Il est mort. Il est devenu autre. Il est passé

dans un monde métaphorique, passé et présent confondus. Le masque est venu apposer

son empreinte sur l’image et l’a délivrée, lui a ouvert une nouvelle porte. C’est le proche et

le lointain réunis. La question de l’aura. « Qu’est ce à dire que l’aura ? Un étrange tissu

d’espace et de temps : l’apparition unique d’un lointain, aussi proche soit-il.43 » Walter

Benjamin nous soutient qu’un instant précis, la vue d’un paysage, et les sentiments qui s’y

rattachent, ne sont pas reproductibles ; que c’est donc cette impossibilité de la

reproduction qui fait la spécificité de l’œuvre d’art. Ici, par l’empreinte, le contact du cliché

original avec les masques, j’ai donné cette impossibilité de reproduction à mes œuvres.

Oui, la photographie passe par la reproduction technique, mais en rajoutant la matière

textile, j’ai annihilé cet effet. L’aura telle que décrite par Walter Benjamin est présente

dans l’œuvre et par l’œuvre. Elle réunit lointain et présent ; c’est même son but et son

processus. Mais surtout, elle en devient unique. S’il en va de soi pour le tulle intégré par

évidement, le masque intégré par empreinte pourrait questionner il est vrai : pourquoi ne

serait-il pas reproductible ? Cependant, la solarisation, cette toute dernière étape du

processus est une technique instable, et la reproductibilité du tirage n’est pas acquise. Didi

Hubeman, quant à lui, nous parle de l’importance du contact, que c’est par lui que l’aura

est toujours possible.

Voilà peut être ce que Walter Benjamin n’a pas su voir dans son fameux

texte sur la reproductibilité des images : que l’élément du contact

42 Clair, Jean. Hubris : La fabrique du monstre dans l’art moderne : Homoncules, Géants et Acéphales. Paris : Gallimard, Coll. Connaissance de l’inconscient, 2012. Cité p.147.

43 Benjamin, Walter. Petite histoire de la photographie. Paris : Editions Allia, 2012. Cité. p.39.

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demeure une garantie d’unicité, d’authenticité et de pouvoir -donc d’aura-

par delà sa reproduction même. 44

Cette empreinte, ce contact présent dans les deux méthodes d’insertion, est une

garantie de cette aura, qui se lit, se vit et finalement qui donne à penser que c’est

« l’image qui lève les yeux sur nous.45 » Qu’elle nous divulgue son savoir, son secret.

Auratique(…)serait l’objet dont l’apparition déploie, au-delà de sa propre

visibilité, ce que nous devons nommer ses images, ses images en

constellations ou en nuages, qui s’imposent à nous comme autant de

figures associées, surgissant, s’approchant et s’éloignant pour en

poétiser, en ouvrager, en ouvrir l’aspect autant que la signification, pour

en faire une œuvre de l’inconscient. Et la mémoire bien sûr sera au temps

linéaire ce que la visualité auratique est à la visibilité “ objective “: c’est-à-

dire que tous les temps y seront tressés, joués et déjoués, contredits et

surdimensionnés. 46

Didi-Huberman nous dit ici que cette image non reproductible est à la frontière du temps.

En elle, les temporalités existent toutes. L’image se dresse face au continuum,

anachronique. Comme ces images mortes puis revenues à la vie et qui survivent

autrement. Cette notion de survivance est hors du temps, parce que tout le temps

présente mais renvoyant à d’autres époques. Edgar Wind rapporté ici par Didi Huberman47

nous la définit :

Lorsque nous parlons de la « survivance » de l’Antiquité » nous

entendons par là que les symboles créés par les Anciens ont continué

44 Didi-Huberman, Georges. La ressemblance par contact : archéologie, anachronisme et modernité de

l’empreinte. Paris : Editions de Minuit, 2008. Cité p. 72-73.

45 Ibid. Cité p.80

46 Didi-Huberman, Georges. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Paris : Editions de Minuit, 1992. Cité p.105.

47 Didi Huberman, Georges. L’image survivante ; Histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby

Warburg. Paris : Editions de Minuit, Paradoxe, 2002. Cité. p. 92.

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d’exercer leur pouvoir sur des générations successives. (…) » Et Wind

d’indiquer que la survivance suppose tout un ensemble d’opérations où

jouent de concert l’oubli, la transformation de sens, la retrouvaille

inopinée, etc…

La survivance est donc selon Wind cette capacité à exister au-delà du temps de son

époque, comme ici de l’Antiquité, pour palier à l’oubli. La survivance est un embrouillage

des temps, parce que présente partout à la fois. Ici, Il y a donc le passé, le Host (le cliché

en son entier qui accueille), le présent, le Guest (le masque mortuaire qui se crée aussi à

un instant précis, prend forme, s’esquisse, se brode, se vit et s’invite sur l’image. Et enfin

l’adjonction des deux avec tout ce qui est caché plus ses lignes, ses courbes qui relient les

deux temps tout en les reniant pour ne se concentrer que sur sa survivance ; mêlant

présent au passé renié, absous et anachronique pour nous offrir un fantôme, telle une

renaissance.

« Parce qu’elle est tissée de longues durées et de moments critiques, de latences

sans âges et de brutales résurgences, la survivance finit par anachroniser l’histoire. Avec

elle, en effet, s’effrite toute notion chronologique de la durée.48 » La survivance parce

qu’elle est issue d’un passé oublié, pour ressurgir à un moment propice, unique se trouve

donc sans attaches avec l’histoire. Didi Huberman nous en parle ainsi, elle ne suit pas

l’histoire, elle s’en détache par sa capacité à réapparaitre. Les images passent d’archives

affectives à fantômes. Initialement référencées à leur date et leur emplacement, les

œuvres se retrouvent dans un entre-deux. Elles n’ont plus vraiment de temporalité. De

clichés, les images deviennent œuvres, qui, au terme de ce processus visuel comme

introspectif, se retrouvent délivrées de ces questions affectives et temporelles. Elles

existent pour et par elles-mêmes, authentiques, uniques. Elles sont la mort et la vie à la

fois, retour sur soi comme la volonté de s’en défaire. Paradoxales, elles réunissent

plusieurs entités, plusieurs concepts qui se jouent les uns des autres. C’est ce qui fait leur

complexité mais qui leur donne aussi une âme. Ce sont des photographies, originellement,

et aussi des sentiments. Une nostalgie mais aussi l’envie de se défaire de ce passé.

Est-ce cela la photographie aujourd’hui ? L’envie d’avancer dans la sphère de l’art,

d’exister en tant qu’art (car depuis sa création, le médium a des relations mitigées avec ce

48 Ibid. Cité p.87.

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domaine), en essayant de se débarrasser du poids de son passé, de son discours, de sa

véracité ? Tout en tenant tête à la numérisation absolue, où tout est happé par

l’ordinateur, reproductible à l’infini, sans contrôle et envahissant. Ici, l’œuvre se veut

sensible, touchante, mais aussi inquiétante, angoissante même. L’œuvre survit, ou du

moins essaye, dans ce monde alentour oppressant d’images. Elle se veut une sorte de

réponse à la question sur la raison d’être de la photographie aujourd’hui mais aussi une

sorte d’hommage au passé, celui de la photographie argentique, et aussi le mien.

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41

Conclusion

L’image originelle se trouve dans ce travail, sacrifiée, scarifiée pour qu’une nouvelle réalité

surgisse. L’apparition de ce ghost, de cette esthétique particulière qui transcende le

souvenir, fait de ce travail un immense rite funéraire à tous ces instants passés dans une

vie antérieure.

Mon approche a été de renouer avec le côté traditionnel de la photographie en utilisant le

médium argentique, en travaillant d’après des images de mon propre vécu tout en

essayant de le renier, de faire évoluer le côté personnel et affectif relié à ces images. En

élaborant un protocole de développement photographique, j’ai voulu donner à ces photos

un hommage : hommage à ces instants passés, aux sujets de ces photographies, en les

amenant dans le monde de l’art, tout en leur disant un dernier au-revoir. Par le jeu de

soustraction, par la destruction de la réalité photographique, les images acquièrent l’aura

propre à l’œuvre d’art tout en étant délivrées de cette attache particulière au continuum

temps. De la prise photographique machinale et compulsive comme base du souvenir à

l’altération par l’ornementation des photographies au travers des différents masques

confectionnés, l’image s’est trouvée transformée dans mon travail pour échapper au

temps qui passe, pour devenir une œuvre à part entière. Les différents masques en

broderie, créés par et pour l’altération de l’image, s’insèrent par empreinte et par

évidement afin se fondre dans la photographie, fusionner avec elle et déjouer le temps,

en faisant apparaître ce « ghost », mélange de cet attachement au passé et d’une

nouvelle réalité. Le cliché devient œuvre au terme de ce processus ; il est une des

nouvelles voies possibles de la photographie actuelle, alors que cette dernière cherche à

se sortir de sa liaison trop étroite avec la réalité.

« La photographie doit se libérer de ce carcan de réel. La photographie ne dit pas le vrai,

elle fait croire au vrai. 49»

Les diverses manipulations que l’on peut opérer sur une photographie, en numérique

comme en argentique, répondent à ce besoin de dévoiler des images « hors-normes ».

49 Delsaux, Cédric In Regarder Voir : Où s’arrête la photographie ? Brigitte Patient. France Inter, 2013.

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L’image photographique devient hybride. Elle vient se mélanger à d’autres medias,

d’autres méthodes pour proposer une version de réel.

“En supprimant la vérité, nous atteindrions les images. » 50 Que ce soit à la main ou par

ordinateur, les diverses interventions sont autant d’altération comme de nouvelles

propositions, de nouvelles possibilités de notre quotidien en contraste total avec ce qui fut

autrefois la photographie. Sommes-nous rentrés dans le monde de la post photographie ?

50 Marzo, Jorge Luis. 2014. « Supprimez les images » dans Camouflages, Joan Fontcuberta. [en ligne]. Paris : Maison Européenne de la photographie. < http://www.soymenos.net/Supprimez_les_images%20.pdf> (Consulté le 31 mars 2014).

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