100

Église et politique

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Église et politique
Page 2: Église et politique

Égliseetpolitique

Page 3: Église et politique

SousladirectiondeBernardDumont,MiguelAyuso,DaniloCastellano

Égliseetpolitique

Changerdeparadigme

PhilosophiepolitiqueArtège

Page 4: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 5: Église et politique

dansl’amour,c’est-à-diredansledondesoi»(Jean-PaulII,VS87;CDSE143).L’hommelibérépeutsetournerverslasociétéetlalibéreràsontourdesmauxsociauxenrendantpossibleleRègne de Dieu sur terre : « Rendre justice aux pauvres,affranchir les opprimés, consoler les affligés, rechercheractivement un nouvel ordre social qui offre des solutionsappropriéesàlapauvretématérielleetquipuisseendiguerplusefficacement les forces qui entravent les tentatives des plusfaiblesàsortird’uneconditiondemisèreetd’esclavage.Quandcelaseproduit,leRègnedeDieuestdéjàprésentsurcetteterre,bienqueneluiappartenantpas»(CDSE325)34.

La charité en appelle à la libération en agitant cet élantransformateurquisetrouvedanslecœurdetouthommeetquidépasselematérielpourchercherunau-delà,unefinultérieure,intérieure,quisetrouvedansladignitédelapersonnehumaineet qui est le guide pour l’instauration d’un authentiquehumanisme(CDSE197,318)35.

Lapolitiquedelacharitéaspireàcequele«dondesoi»dechaquepersonnecréeunesociétésolidairequines’opposepasàladémocratieetàl’Étatdedroit,l’Égliseadmettantlalégitimeautonomiedesstructuresdumondemoderne.Ilnes’agitpasdechanger les institutions existantes, mais de les enrichir parl’apportoriginalducatholicisme: lacharité, l’appeldeDieuàl’homme,pourlebiendel’hommeetdumonde.Cettedirection,confirmée par Jean-Paul II, allègue que l’« Église respectel’autonomielégitimedel’ordredémocratique»etqu’«ellen’apas qualité pour exprimer une préférence de l’une ou l’autresolution institutionnelle ou constitutionnelle », mais que sacontribution«estjustementcelledesaconceptiondeladignitéde lapersonnequi apparaît en touteplénitudedans lemystèreduVerbeincarné»(CA41,47;CDSE47).

Page 6: Église et politique

Cetteconceptionéthiquedeladémocratieremonteàl’après-concile.«Ladémocratie[quel’Église]approuveestmoinsliéeàunrégimepolitiquedéterminéqu’auxstructuresdontdépendentlesrelationsentrelepeupleetlepouvoirdanslarecherchedelaprospéritécommune.»Etcelaparceque«celle-cisupposeunesociété de personnes libres, égales en dignité et jouissant dedroits fondamentaux égaux, ayant conscience de leurpersonnalité,de leursdevoirsetde leursdroitsdans le respectdelalibertéd’autrui36.»

Selon lamêmeconception,Égliseetdémocratiecoïncidentsurlacentralitédelapersonnehumaine,ladignitédeshommeset la défense de leurs droits, même si, dans le pluralisme desgrandesconceptionsexistantdanslessociétésactuelles,l’Églisesesoumetàladialectiquedeladiversitédesexpériencesvitalesdansl’espoirconfiantquesadoctrineresplendisseparsavéritéintrinsèque (CA 24 ; CDSE 558). Outre la reconnaissance dufondementéthiquedeladémocratie,l’Églisemontrequ’ellemetenapplicationdesmécanismesdeparticipationquiconstituentlavoielégitimeofferteàl’activitépolitiquedescatholiques37 ;elleadhèreainsiàl’Étatdedroit,àlasouverainetédelaloi,àladivision des pouvoirs, à la représentation politique, au régimedes partis et à toutes les structures en vigueur dans lesdémocratiesactuelles(CDSE408-416).

Dansunmondeglobalisé,l’Églisepromeutaujourd’huiunedémocratisation à échelle universelle, car l’absence dedémocratieauniveauinternationalfaitobstacleàl’humanisationdu système global. L’économie d’un monde interconnecté,orientéversledéveloppementintégraldelapersonnehumaine,afait observer à Benoît XVI que le message évangélique del’humanité unie n’est pas en voie de réalisationmais est déjàréalisé. Puisqu’il en est ainsi, force est de passer de l’unité

Page 7: Église et politique

économique à l’unité politique, parce que la mondialisation« réclame certainement une autorité, puisqu’est en jeu leproblème du bien commun qu’il faut poursuivre ensemble »(CIV 57), constituée sur la subsidiarité comme modèle degestiondubiencommunplanétaireetlasolidaritécommecritèrevalorisant. La solidarité, qui nous pousse à considérerl’humanité comme une seule famille, est l’apport de la foichrétienneaudéveloppementcommunautaireetplanétaire(CIV38, 59). La subsidiarité met en place un gouvernementpolyarchique (CIV57)quigarantira laprotectionde ladignitéhumaine, les droits personnels et la délégation de missionsparticulières, conférant la légitimité démocratique augouvernement mondial, sur le mode des théories de lagouvernanceglobaledémocratique38.

Attachons-nousmaintenantà ladoctrinepolitique issueduConcile.

Lapolitiquedelapersonne

Lemagistère traditionnelenmatièrepolitiqueaffirmaitquela personne était la fin de la société politique, condamnantl’erreur qui la considérait comme un moyen du systèmepolitique, soulignant ainsi que la société est accidentelle et lapersonnelasubstancedans laquellea lieu laviesociale ; ilenétaitconcluquelebienpersonnelfaisaitpartiedubiencommunetquecelui-ciétaitlefondementdel’ordrepolitiquejuste39.Àcette époque, la doctrine sociale de l’Église a égalementcommencé à fairemention des droits de l’homme dans un butsimilaire : récuser la doctrine totalitaire qui, en niant la loinaturelle, méconnaît ces droits. Telle est la portée del’affirmationdePieXII:«L’origineetlebutessentieldelavie

Page 8: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 9: Église et politique

effort personnel et collectif pour élever la condition humaine,surmonter les obstacles toujours renaissants sur notre route »,nous préparant à participer à la plénitude du Christ qu’Il atransmise à son Église, « tandis que le péché, qui sans cessenous poursuit et compromet nos réalisations humaines, estvaincuetrachetéparla“réconciliation”opéréeparleChrist(cf.Col1,20)» (CDSE327 ;SRS31)80.Cequipourrait signifierque l’histoire a une finalité immanente – celle d’élever lacondition humaine – même si par la foi nous nous préparonstous(déjàrachetés)àlavieéternelle;pendantquelamissiondudéveloppement personnel et social se réalise historiquement,l’Église lutte contre le péché qui compromet la réalisation denosobjectifssociaux.

«La“grandecharte”deladignitéhumaine»

Gaudium et spes, pièce fondamentale dumagistère actuel,est depuis le Concile le cœur de la doctrine politique, parcequ’elle trace le visage d’une Église « intimement solidaire dugenre humain et de son histoire », qui chemine avec toutel’humanité et qui est sujette, avec le monde, au même sortterrestre,toutenétant«lefermentet,pourainsidire,l’âmedela société humaine appelée à être renouvelée dans leChrist ettransformée en famille deDieu ».C’est laMagnaCarta81 del’humanisme catholique où « tout est considéré à partir de lapersonne et en direction de la personne » queDieu veut pourelle-même ; où est élaborée la société dans le but de« développe[r] les qualités de la personne » ; et où estmanifestéepourlapremièrefois«lapréoccupationpastoraledel’Églisepour lesproblèmesdeshommeset ledialogueavec lemonde»(CDSE96;GS1et40).

Page 10: Église et politique

Comme l’adit JosephRatzinger, la cléde l’herméneutiqueconciliaire se trouve dans l’humanisme ; et comme l’a répétéBenoîtXVI,cethumanismecatholiquedemeurecommeaxedelecture du Concile et des signes des temps, s’agissant de« préserver et de renouveler un humanisme qui possède desracineschrétiennesetquel’onpeutdéfinircomme“catholique”,c’est-à-dire universel et intégral. Un humanisme – nous dit lePape–quiplaceen soncentre la consciencede l’homme, sonouverturetranscendanteetenmêmetempssaréalitéhistorique,capable d’inspirer des projets politiques diversifiés, mais quiconvergentdanslaconstructiond’unedémocratiesolide,fondéesurlesvaleurséthiquesenracinéesdanslanaturehumaineelle-même82.»

Enadoptantladoctrinedumonde,humaniste,démocratique,l’Église s’est retrouvée sans doctrine politique propre. « Iln’existe pas de politique chrétienne en tant que conceptionpolitique absolue, déterminée avec exactitude et capabled’exiger la foi chrétienne. La politique chrétienne – affirmeBrüggermann – doit être comprise comme la responsabilitéchrétiennefaceàlatâchepolitique83.»Lapolitiquecatholiqueconsisteencequelecatholiquetémoigneparsoncomportementcaritatifetsolidairedesvéritésauxquellesilcroit.«Lapolitiqueneseformepasàpartird’unechristianisationdumondemaisàpartir d’uncomportement chrétien84. »Lapolitique catholiques’est dissoute dans le discours des droits de l’hommeoudansl’artdutémoignagedelafoielle-même,lanaturedelapolitiqueayant été préalablement niée ou reléguée à l’ordre moralindividuel.Aborderlesthèmesdoctrinauxàpartirdelanouvellethéologie politique, teintée d’existentialisme et/oud’historicisme, implique l’abandon de la métaphysiquecatholique85.

Page 11: Église et politique

Eneffet,siladignitédel’hommeestprésentedanssalibertéet que celle-ci se traduit dans l’autonomie personnelle et desréalités humaines, il devient impossible de soutenir le conceptd’ordre politique, la primauté de la personne autonomeconduisantaurelativismeetaupositivisme.Unechoseestsûre,l’homme a besoin d’être ordonné : par la religion, à sa finsurnaturelle;parlamorale,àlavievertueuse;parledroit,àlajustice;etparlapolitique,aubiencommun.Silelienentrelesurnatureletlenaturelestlapersonnelibre,ilestalorsdifficilede concevoir l’ordre du créé dans sa pleine dimension sanstomber dans l’anthropocentrisme. L’Église aujourd’hui estimpuissanteàexposerl’ordredelacréationdanslepolitique,sice n’est en le réduisant à des sous-concepts personnalistes :liberté, autonomie, relationnalité, droits de l’homme, etc. Unefoisévacuéleconceptd’ordre,ilnerestequelacentralitédelapersonne qui, étant à l’image de Dieu et rachetée depuisl’Incarnation du Christ dans tous les hommes, vide de sasubstancelamissiondel’Église,laréduisantàlaproclamationquotidiennedelavéritédel’homme.

Le P. Congar a prétendu que l’Église sortie du Concilen’exercerait plus d’autorité juridictionnelle sur les hommes,parce que son autorité serait, dès lors, « prophétique86. »QuellessontlesprophétiespolitiquesduConcile?Gaudiumetspes a lu les signes des temps en termes de liberté humaine,d’expressiondeladignité;d’unitédelacommunautéhumaineuniverselle;dedialogueavecl’homme,lemonde,lesreligions;d’un irrépressible dynamisme humain, preuve de sa créativité.Et, en termesnégatifs – signesd’une crisede croissance–, cetexte a attiré l’attention sur l’athéisme, l’inégalité humaine etéconomique,lesformesd’oppressiondeladignitéhumaine,etc.Ces impressions se sont transformées en inspiration d’une

Page 12: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 13: Église et politique

qu’ilconvientcependantdedistinguerpourmieuxlesanalyser.Il s’agit,d’unepart,de ladoctrinede la liberté religieuse,

qui comprend à la fois le fondement, la nature, l’objet et lalimite du droit à la liberté religieuse ; d’autre part, laDéclaration suggère une doctrine de la laïcité de l’État quicontientunenouvelleconceptiondesrelationsentrel’Égliseetl’Étatetdudroitpublicexternedel’Église.Àstrictementparler,cette doctrine n’est qu’implicite et sous-jacente dans laDéclaration. Ce n’est qu’après le Concile qu’elle a étéexplicitée,dedeuxmanières:parl’herméneutiqueducontexte,qui a relié la signification partielle deDignitatis humanae àcelle de l’ensemble des documents conciliaires, en particulierGaudiumetspes(GS);etparl’herméneutiquedeladynamiqueconciliaire, qui a permis d’interpréterDH selon les nécessitésprésentes. Ces deux herméneutiques sont contenues, pourl’essentiel,danslemagistèredeJean-PaulIIetdeBenoîtXVI,auquelnousrenvoyonsdoncpourcequiconcerneladoctrinedela laïcité de l’État. Nous nous limiterons ici à l’analyse de ladoctrinedelalibertéreligieuse.

Dignitatishumanae est le schémaconciliairequiacomptéle plus de rédactions préliminaires : si l’on voulait calculerl’ensembledesprojets examinéspar leSecrétariat pour l’unitédes chrétiens (SUC), organe chargé de sa rédaction, on encompteraitenvironquarante2.Cetétatdechosesasansdouteétéprofitableaubonordrefinaldecetexte.

Il n’est cependant pas possible d’en dire autant de soncontenu.Le document renferme en effet des passages imprécisqui ne facilitent pas le travail si l’on veut exposer sa doctrinesans tomber dans des interprétations où l’on ne sait plus trèsbienquelleestlalimiteentrecequeletexteditetcequ’onluiattribue. À cela il faut ajouter que ses enseignements sur la

Page 14: Église et politique

liberté religieuse impliquent des conséquences sur le droitpublicchrétienquinesetrouventpasdanslaDéclarationmaisseulement dans certains passages d’autres documents duConcile.Letravailconsistantàintégrercesconséquencesestluiaussicomplexe,parcequ’ellesaltèrentd’unecertainemanièrelenoyaucentraldesignificationquel’onavouluattribuerautexteen accord avec la structure interne du document. Maisl’herméneutique conciliaire implique que l’on fasse ce travaild’intégration3.

L’étude in extenso deDignitatis humanae déborderait ducadre de ce chapitre. Ici, notre attention se concentreraessentiellement sur la doctrine de la liberté religieuse qui setrouve concentrée dans les paragraphes 2 et 7. Les autresparagraphes seront pris en considérationdans lamesureoù ilsserontutilespourprécisercesthématiques:DH3,entantqu’ilapprofonditlefondementdel’immunitédecoaction;DH4et5parcequ’ilsdélimitentlesujetactifdudroitenquestion,etDH6parcequ’ils’étendausujetpassifetàsesdevoirs.Danscetteperspective,lechapitreII,deportéethéologico-biblique,neserapas abordé, même si quelques points de DH 10, 13 et 14 nemanquent pas d’intérêt, de par leur capacité à définir plusclairement lescontoursdudroità la liberté religieusefaceauxautreslibertésenmatièredereligion:lalibertédel’actedefoietlalibertasEcclesiae.

Lepréambuleetl’effortdecontinuité

Une donnée fondamentale souvent oubliée est que ladoctrine de la liberté religieuse énoncée dans laDéclaration aétéélaboréedans l’effervescencedudébatquieut lieuausujetde sa continuité avec le Magistère pontifical précédent. Dans

Page 15: Église et politique

DH 1, 3 est signalée l’intention du Concile d’être fidèle à latradition catholique et de consacrer la doctrine de la libertéreligieuse comme un développement du magistère pontificalrécent. Mais cette affirmation a donné lieu à de nombreusescontroverses.

Leparagrapheenquestionpeut êtredivisé en fonctiondesaffirmationssuivantes:

1.Ledevoirdechercherlavéritéreligieuseetd’yadhérerseréaliseensuivantsapropreconscience.

2.Lavéritéengénéraletlavéritéreligieuseenparticuliernepeuvent s’imposer à la conscience de l’homme, si ce n’est endouceur,parlaforcedelavéritéelle-même.

3.Lalibertéreligieuseestnécessaireàl’accomplissementdel’obligation de rendre un culte à Dieu selon sa propreconscience.

4.Lalibertéreligieuseapourobjet l’immunitédecoactiondanslasociétécivile.

5. La liberté religieuse ayant cet objet, et ne faisant pasdirectement référence au droit de pratiquer n’importe quellereligion, ne touche pas à l’intégrité de la doctrine catholiquetraditionnelledudevoirmoraldeshommesetdessociétésenverslavéritablereligionetl’uniqueÉgliseduChrist.

6. L’intégrité (aspect négatif) de la doctrine catholiquetraditionnelle concernant le devoir moral envers la véritéreligieuse est conservée par laDéclaration, qui développe enoutre (aspect positif) la doctrine des derniers pontifes sur lesdroits inviolables de la personne humaine et surl’ordonnancementjuridiquedelasociété.End’autrestermes,laDéclaration amplifie la doctrine de la liberté religieuse etaccueilleleconceptdelaïcitédel’Étatetdelasociétépolitique.

Page 16: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 17: Église et politique

d’enseignementetdeprosélytisme)etdenaturecommunautaire,en vertu desquels la société catholique doit en justice auxcommunautés religieuses non catholiques et aux incrédules, ycompris de mauvaise foi, indépendamment de la question devéracité,laprotectiondeleurcapacitéderépandreleurcroyanceet leur morale. L’ambivalence entre un droit qui se définitcomme négatif et les droits dérivés au contenu clairementaffirmatifesttranchéeenfaveurdecesderniers.

L’affaire est de toutemanière complexe, car d’un point devue conceptuel le droit à la liberté religieuse professé par laDéclarationn’apas été conçucommeune licencepour lemal,mais comme l’exercice d’une liberté dérivée du droit àrechercherlavéritéreligieuseselonsapropreconscience,auvude la dignité de l’homme en tant qu’être intelligent, libre etresponsable (DH 2, 2). D’où le fait que, sans résoudrecomplètement le problème, les défenseurs de Dignitatishumanaesoutiennentquelapossibilitédetomberdansl’erreurou de commettre des actes répréhensibles en faisant usage dudroit à la liberté religieuse n’est qu’une conséquence peraccidens. Cette solution est cependant incomplète, car elle nerépond pas au fait que laDéclaration consacre réellement desdroits au contenu affirmatif. Ce qui remet en question lapossibilité future (et la légitimité de la réalité passée) d’unechrétientépolitiquementassumée.

Lalibertédeconscience

LanaturedelalibertéreligieusedeDignitatishumanaeestelle aussi problématique. Les interprètes du documentexpliquentque la libertéreligieuseacommeprincipe la libertépsychologiqueoulibrearbitre,s’appuyantencelasurDH2,2.

Page 18: Église et politique

Cars’iln’estpaspossibleàuntiersdes’approprierdirectementl’acteinterned’unepersonne,ilpeutenrevanchefaireobstacleàsamanifestationextérieure,aumoyendelacoaction,etdelasorte affecter la liberté psychologique en empêchant quel’homme soit la source de son propre acte extérieur. Enconsacrant la liberté religieuse comme liberté sociale et civile,comme libertas a coactione, la Déclaration protègeindirectementlalibertépsychologiqueenmatièredereligion24.

Leproblèmeestque la libertéhumaineconsidérée en elle-mêmeneconnaîtpasdesolutiondecontinuitéentresonaspectinterne et son extériorisation. La liberté religieuse comprisecommeimmunitédecoactionconstitueununumaveclalibertépsychologiquequiestàsasource.Maiscettevoienousmèneànouveauàunecontroversedéjàévoquée.Jusqu’àquelpointestréelle la délimitation de la liberté religieuse de Dignitatishumanae commeundroit au contenuessentiellementnégatif ?Si le droit à la liberté religieuse existe pour protéger par unezonedesécuritélalibertépsychologiqueenmatièredereligionpourquecelle-cis’exprimepleinement,cedroitn’est-ilpasl’undesesinstruments?Peut-onalorspenserqu’enréalitéledroitàla liberté religieuse fait partie de la liberté interne, comme unbrasquiestl’auxiliaireexternedenosdécisionslibres?Maissil’ons’aventuredanscettevoie,nefinira-t-onpasparconfondrelecontenunégatifdudroitàlalibertéreligieuseaveclalibertéaffirmativequienestlasourceetleguide?

QueDignitatishumanaeréduiseénonciativementl’objetdudroitàlalibertéreligieuseàl’immunitédecoactionneconstituepas, comme nous l’avons vu, un obstacle majeur. Mais lesjardins ont non seulement des fleursmais aussi des semences.Les documents magistériels ne comportent pas seulement desidées explicites, mais aussi des présupposés et des idées

Page 19: Église et politique

implicitesquelalogiqueimpliquedetirerauclair.Etsil’onsuitcette voie, on se retrouvera sans difficulté sur le plandangereux – dangereux dans la perspective magistériellecatholique–delalibertémoraleoududroitàl’erreurquel’onatantvouluéviter.

À ce sujet, il a été affirmé demultiples fois que la libertéreligieuse de la Déclaration n’était pas une liberté morale ausens moderne du terme, une liberté sans relation avec la finultime de l’homme qui est en Dieu qui exige d’être connu etaimé de ses créatures25. Cette liberté suppose la libération detouteobligationmoraleobjective,de toute loinaturelle,divinepositive ou éternelle, considérée par la modernité politiquecomme les chaînes que l’homme doit briser pour devenirvéritablementlibre.Lalibertémoderneestl’absencedeliens,decharges,d’obligationhétéronome,ycomprisnaturelle.Personnen’atantfaitl’élogedecettelibertéqueNietzscheouSartre,nuln’aaussibienposésesfondementsanthropologiquesqueKant.Orune telle libertémorale est cellequi se trouve à labasedetoutes les consécrations internationales, communautaires etconstitutionnellesdelalibertéreligieuse26.

DH 15, 3 fait l’éloge de telles consécrations qu’elleconsidèrecommedes«signesfavorablesqu’offrenotretemps».Alors que pourtant la liberté qu’elle consacre elle-même n’estpas une libertémorale au sensmoderne du terme, si l’on s’entientàDH1,2-3;2,2;3,1etauxrelationsduSUC.

Quoiqu’ilensoit,etau-delàmêmedessubtilitésthéoriquesdesdifférentesinterprétationsauxquellesdonnelieuletextedeDignitatishumanae, les conséquencespolitiques sont claires :lalibertéreligieusedelaDéclarationreconnaîtundroitdanslasociété temporelle fondé sur ladignitéhumainepourpratiquerdesreligionsobjectivementerronéesauregarddelaloidivineet

Page 20: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 21: Église et politique

conceptquidonnesensauxpartiesformantlacité,àceàquoielleestsubordonnéeetauxprocessusqu’ellemanifeste9.

Au-delàdecepatrimoinedoctrinaldelasagessechrétienne,onpourraconstaterqu’àl’époquecontemporainelemagistèredel’Égliseacherchéàtraiter(surunmodejusqu’alorsinhabituel)dequestionsd’ordrepolitique,culturel,économico-social,etc.,pour nous présenter tout un corpus de doctrine centré sur laproclamation du Règne du Christ sur les sociétés humaines,comme condition unique de leur juste organisation, de leurprogrès et de leur vie en paix. C’est ce corpus qui a étédénomméDoctrinesocialedel’Égliseet,deparsonintentionderégulation de l’ordre social, Droit politique chrétien – cettedernièreterminologieétantcependanttombéeendésuétudeàlasuitedeschangementsévoquésici.

Ilsembledoncutiledes’interrogersurlelienentrecesdeuxdomaines,celuidelascience(ouphilosophie)delapolitiqueetcelui de la doctrine sociale de l’Église. L’Évangile rapportecomment leChrist (parceque cela lui a étédonné)disposede«toutpouvoirdanslecieletsurlaterre».Etlecommandementqu’ildonneensuiteàsesdisciples:«Allezdonc;detouteslesnationsfaitesdesdisciples,lesbaptisantaunomduPèreetduFilsetduSaint-Esprit,etleurapprenantàobservertoutcequejevousaiprescrit»(Mt,28,18-19).L’enseignementdispenséenvertu de la mission divine comporte en lui-même une doubledimension sans laquelle ne pourrait s’accomplir le dessein desalut en vue duquel le magistère a été institué : la vérité« spéculative », qui doit être professée pour elle-même, et lavérité«pratique»,quidoitêtresauvegardéeetaccomplie.Cettedouble dimension, cependant, ne concorde pas avec les deuxdomaines dans lesquels le magistère se distingue par soncontenu, c’est-à-dire le noyau premier et essentiel du mystère

Page 22: Église et politique

révélé et lesvéritésqui lui sont liées (commedesprésupposésou des conclusions spéculatives et pratiques). Ce qui signifiequelesvéritésdelafoinesontpasnécessairementspéculatives,et que les vérités connexes (qui de ce fait ne sont pasnécessairement pratiques) peuvent voir s’exercer sur elles lemagistèredel’Églisedemanièreinfaillible.

Des vérités de foi divine et catholique (comme cellecontenue dans l’Écriture sur l’origine divine du pouvoir)concernent la vie sociale – même si l’expression « doctrinesocialecatholique»estréservéeàl’ensembledel’enseignementdel’Églisedansledomainedesvéritésliéesàcequiaétérévélésur les dimensions de la vie humaine. Cette doctrine est decaractère « pratiquement pratique » (à la différence de laphilosophiepratique,«spéculativementpratique»)mêmesilesdocuments qui la développent énoncent aussi des vérités decaractère théorique sur la nature de la société et des actionshumaines, sans exclure dans leur accomplissement le choixsingulier et prudent qui se doit de prendre en considérationtouteslescirconstancesparticulières10.

Onconstatedoncquelaphilosophiesocialeoupolitiquenecoïncidepasexactementavecladoctrinesocialedel’Église.Laphilosophiechrétiennedoitcertesbeaucoupàl’Église,maiscelane signifie pas pour autant que cette dernière a pour fonctiond’édifier une philosophie chrétienne ; de même, les papes(depuisLéonXIII)quiontcontribuéàélaborerunephilosophiesociale ne l’ont pas fait dans ce but unique, mais bien pourcomblerunvideetaffermirlesbasesdel’actiond’unemissioncivilisatriceetévangélisatrice11.

Malgrétoutceci,larépartitionentrelesdeuxdomainesn’apas toujours été incontestée. L’ampleur du problème, laprésentation fréquentede ladoctrinepar lebiaisde jugements

Page 23: Église et politique

«prudentiels»(inévitablementhistoriques),unelectureparfoisexcessivement«dévote»etmêmelechococcasionnelentrelesdeuxn’ontpasfacilitéladistinction12.

Au cours du XXe siècle et plus particulièrement après leconcileVaticanII,desdifficultéssontvenuess’ajouteràcellesdéjà existantes, issuesdumélangede cette traditiondoctrinaleavecdesprincipesétrangersàceuxde laphilosophiepolitiqueet de la doctrine sociale catholiques, enoutre avecun langagebeaucoupplusvague,unstyleplusdiffusetl’introductionàundegrébienplusélevédeconsidérationsdetypesociologique.

Pour donner un exemple très significatif, l’« exposépréliminaire»delaConstitutionpastoraleGaudiumetspesduIIe concile du Vatican est consacré à la description de lasituation de l’homme dans le monde d’aujourd’hui. Y sontpassés en revue en premier lieu les « espérances » et les« angoisses », puis les « changements profonds » (aussi biendansl’«ordresocial»quedanslesdomaines«psychologique,moraletreligieux»),sansoublierles«déséquilibresdumondemoderne », par contraste (ceux-ci et ceux-là) avec les«aspirationsdeplusenplusuniversellesdugenrehumain».

Onyconsidèreque«legenrehumainvitaujourd’huiunâgenouveau de son histoire, caractérisé par des changementsprofonds et rapides s’étendant peu à peu à l’ensemble duglobe13. » Des phénomènes – pour résumer – comme lacroissance économique, un plus grand niveau de bien-être,l’allongement de la durée de vie humaine, la réduction del’effort dans le travail, l’arrivée de la femme dans la vieprofessionnelle, la création (et la satisfaction) de nombreuxbesoinsnouveaux,quiontpureprésenterquelques-unsdesdéfisdu grand progrès social réalisé dans de nombreux pays cesdernières années.Mais en même temps, de tels facteurs (bien

Page 24: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 25: Église et politique

démophilie ou action bénéfique en faveur du peuple55, onentendit ce commentaire : « Il a avalé le nom, il avaleral’idée56.»Est-cebiencequiestarrivé?Laréponseestàlafoisouietnon.

C’est de l’intérieur que des incohérences tactiques oustratégiques(etparfoismêmedavantage57)ontfaitobstacleàla«contestation»émiseparl’Églisefaceaumondemoderne,quiétait à l’origine lamarque de la doctrine sociale catholique58.OnciteranotammentleRalliement(oupeut-êtrelesralliements,car il n’y en a pas eu seulement en France, mais aussi parexemple enEspagne et enBelgique) deLéonXIII ; la sociétéfaceàl’État(plusdesociété,moinsd’État)etlechoixeffectuéenfaveurd’unedémocratiecontrelelibéralisme,danslecasdesaintPieX; lacondamnationde l’Actionfrançaise, l’abandondes Cristeros mexicains et la faiblesse face à la Républiqueespagnole avec Pie IX ; l’acceptation de la Constitutionitalienne de 1947, et avec elle du consensus social-démocrateimposé par les vainqueurs de la SecondeGuerremondiale, enEspagnesouslesignedictatorial(franquiste),avecPieXII;etlerenoncement à l’État catholique par Paul VI et sessuccesseurs… Cependant, au-delà de nombreuses paroleséquivoques, il ne semble pas que l’on trouve une entièreacceptationdeladémocratie59.

La démocratie comme forme de gouvernement se distinguede la démocratie comme fondement du gouvernement. Danscertains cas la première peut être considérée comme classique,par rapport à la seconde que l’on qualifie de moderne60.L’Égliseacoutumede rejeterclairement la seconde, toutes sesdéclarations favorables concernant seulement la première.Lorsdoncquelesformesdegouvernementsontlégitimes,c’est-à-direen accord avec les principes naturels et chrétiens, l’Église les

Page 26: Église et politique

admet,sansémettredepréférencepourl’uned’elles.Demême,elle rejette demanière égale toute forme de gouvernement quin’estpasconforme61.

Léon XIII, que nous avons déjà cité, a rejeté l’idée quel’autoritéviennedupeuple, tout enaffirmantque le choixdesgouvernantsnetransgressepasledroitdecommander62.PieXareconnulavaliditédesdiversesformesdegouvernement,toutenrefusantdeconsidérerladémocratiecommeunrégimemeilleuretencondamnantlaprétentiondelierl’Égliseàuneconceptionpolitiquedéterminée (ladémocratiemoderne), surtout lorsqu’ils’agit d’une conception dont les fondements doctrinaux sonterronés63. Pie XII a parlé d’une « saine démocratie » enaffirmant très clairement par ailleurs que celle-ci devait sefonder« sur les principes immuablesde la loi naturelle et desvérités révélées64. » Mais en soutenant aussi qu’elle étaitcompatible avec d’autres formes de gouvernement, il laissaitentendre qu’en réalité il la reliait à la participation à la viepolitique,requise(sousdifférentesmanièrespossibles)partouteforme légitime. Ce que l’on retrouvera chez Jean XXIII, quiparle d’un droit de choisir les gouvernants, sans le rattachertoutefois à la forme démocratique, mais en affirmant sacompatibilité avec tout régime authentiquement démocratique,c’est-à-dire représentatif, et rejetant l’idée selon laquelle lasourcedupouvoirsetrouvedanslavolontédechaqueindividuoudecertainsgroupes65.Précautionqui apparaîtramêmechezPaulVIqui,lorsqu’ilabordelesujetdeladémocratie,évoqueànouveau laparticipationdescitoyenssanspourautantaffirmerqu’ilspuissentêtrelasourcedupouvoir66.Jean-PaulIInes’estpasécartédece schéma67, pasplusqueBenoîtXVI,quidanssesdeuxpremièresencycliquesnementionnepasladémocratiemaisaffirmeaucontraireque«lajusticeestlebutetdoncaussi

Page 27: Église et politique

lamesure intrinsèque de toute politique68 » et que « le trésormoralde l’humanitén’estpasprésentcommesontprésents lesinstrumentsquel’onutilise69.»Onremarquerapourtantdanssadernière encyclique un pas en arrière, avec la requête d’uneautoritémondialesouscouvertdegouvernancedémocratique70.

Cependant, au vu de tout ceci notamment, on ne pourradissimuler le fait que ce langage du magistère pontifical, etecclésiastiqueausenslarge,surtoutaprèsleconcileVaticanII,sedifférencienettementdeceluiquileprécédait.Àladiffusionduprincipe(etdulangage)démocratiques’ajouteeneffetaussila question de la liberté religieuse. Même si cette questiondélicate n’est certes pas encore complètement éclaircie,l’affirmation du droit à la liberté religieuse ne laisse pas desoulever des difficultés qui ne sont pas anodines dans laperspectivedecemagistèretraditionnel.Etce,mêmesil’onn’yprétend que comme un droit civil, et même si l’on affirmeaujourd’hui que la déclaration conciliaire « ne porte aucunpréjudice à la doctrine catholique traditionnelle au sujet dudevoir moral de l’homme et des sociétés à l’égard de la vraiereligionetde l’uniqueÉgliseduChrist»dontelle fait en faitdépendrelelibreexercicedanslamesureoù«demeuresaufunordrepublicjuste71.»

Malgré les graves problèmes qu’elle pose, l’interprétationlibéraledelalibertéreligieuseestlaplusdiffuséeetsansdouteaussi (en apparence tout au moins) la plus conforme àl’«intentionconciliaire72.»

Venons-en à une conclusion sur le lien entre legouvernement et sa représentation et le bien commun. Laréalisationdecedernierdépenddulégitimeexercicedupouvoirpolitique et de l’inclination pour lui inscrite en chacun descitoyens,desortequ’ilnes’agitpasd’uneconventionoud’un

Page 28: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 29: Église et politique

encausesousl’effetdefacteursdivers,apartoutprécédélafindesîlotsdechrétientéquisubsistaientdansuncadreterritorial(commeleQuébec2,lePaysBasque3,laCatalogne4,laVendée5

ou la Bretagne6) ou encore dans un cadre social (le mondecatholique rural français, et notamment le monde fémininencadrépar la JACF,par exemple7, ouencore lesmouvementsde la démocratie-chrétienne8). L’incapacité d’une partie de lahiérarchiedel’Égliseàfourniruneréponsepratique,entermesstructurels, aux causes et effets du monde moderne(matérialisme, déracinement,massification, etc.) est à l’originedes disparitions, brusques, soudaines, de régions entières, àl’identitéchrétiennepourtantenracinée.

Pareil effondrement suscite des réflexions sur leurscaractéristiquescommunesetaideàcomprendreladésertionduchamppolitique, autant par ignorancequeparméconnaissancedesenjeux.

On constate que l’Église est apparue comme une force detransition pour de nombreuses communautés à l’identitépourtantmarquée,àpartirdeladeuxièmemoitiéduXXesiècle.Passant d’une doctrine de défense et de préservation desidentités nationales sans compromission avec le nationalismemoderneauxprémisses rationalistes etpositivistes, l’Églisedunouveau cours bascule progressivement dans la sémantique etles actes d’une neutralisation accentuée. Les cas basque etquébécoisl’illustrentbien:àl’origine,l’idéed’unnationalismeaffirmé,d’unevirtuositéidentitaireclairementreconnue,cèdelaplaceàunesortedefonctionnalisme,devantàtermedébouchersurla«politiquedesbonnesintentions»etl’idéesous-jacented’uneneutralisationde l’espacepublic,d’unedépolitisationetd’une édulcoration du discours social catholique, cultivée parsouci d’apaiser les conflits à leur racine.Dans l’ordre, donc :

Page 30: Église et politique

processus de sécularisation, puis de modération ; enfin deneutralisation. D’autre part, la déclaration conciliaire sur laliberté religieuseDignitatis humanae a contribué à neutraliserl’incitationfaiteàlasociétéàrendreuncultepublicàDieu,etcelle de l’État à soutenir la mission religieuse vis-à-vis de lasociété. Tout cela a finalement induit chez les catholiques duvingtièmesièclefinissantl’idéequ’unÉtatpouvait,voiredevait,êtreneutre,c’est-à-direramenéàl’ordredelatechnique.

Lescatholiquess’accommodentainsiprogressivementdelasécularisation et entrent dans le courant général dedévalorisation de la fonction politique, puis de destitution desnations chrétiennes formées par l’histoire. L’exemple basquecitéprécédemmentvoituneÉglisepassantparétapesdustatutde référence apostolique à celui de médiatrice d’une identitécommunautaire. Ce rôle conduit tout droit, même si lecheminementestprogressif, au relativisme religieuxpuisque lafonctionpremièren’estplusassumée.

Ledramepour les catholiquescontemporainsdeVatican IIestque,mêmesiunMarcelGauchetqualifielechristianismede«religiondesortiedelareligion»,celan’exclutcependantpasqu’il soit « totalement délesté de sa prégnance sur le plancognitif ou de sa capacité à constituer un pourvoyeur deréférences9 » ; les mots « pas totalement » tout autant que«pourvoyeur»,pourpeuélégantsqu’ilssoientenl’occurrence,n’enexprimentpasmoinsunchoix,uneorientationconformeaunouveaucoursecclésialsuggérédanslaquestionsurl’influencedureligieuxensituationdesécularisation:«L’observationdeseffetsqu’ilcontinueàproduireconduitàconsidérerlareligionaussicommeunsystèmeculturelqui,mêmelorsqu’ilconnaîtunmouvement de recul, d’éloignement ou de déprise, continue àdonnerpourpartieauxreprésentationsetauxpratiquessociales

Page 31: Église et politique

leurportéeetleursignification.Lareligionétabliticiunliendefiliationqui,fût-cedefaçonimplicite,raccordeàlatradition,ditlesensdel’engagementetconstruitl’actiond’unecommunauté,souventpartagéeentreattestationetprotestation.Lecasbasqueestuneclaire illustrationde cemoded’influencede la culturecatholique ; plus généralement, en Europe occidentale, lesreligions chrétiennes ont certes perdu de leur pouvoir derégulationdescroyancesetdeprescriptiondespratiques,maisellescontinuentdecontribueraufaçonnageduvivre-ensemble.»En unmot, « la fonctionmatricielle de la religion survit à safonctionproprementmagistérielle10.»

Ce constat a valu pour d’autres petites chrétientés qui ontsuivi la voie de la normalisation. Jacques Grand’Maisonconfirmeeneffetlemêmedramepourunautreespacenational,leQuébec:«Lesdiagnosticssurl’affaiblissementdesstructureset des pratiques religieuses et sur la marginalisation ducléricalisme ne rendent pas compte des dimensions culturellesdu fait religieux. Cela nous semble très grave, puisque leQuébecvitunerévolutionpolitiquesurtoutd’ordreculturel.Untype de catholicisme a marqué profondément les fondementsmêmes de notre culture canadienne française. […] L’influencereligieuse est sans doute absente dans le champde consciencedelaplupartdesQuébécois,maiselle joueprofondémentdansl’inconscient individuel et collectif11. » La médiation par lechampreligieuxcontribueàaccentuerdemanièretoujoursplusévidentelasécularisation.

Lamédiationdel’Actioncatholique

Avec l’Action catholique le tournant sécularisé desmouvements de jeunesse est assumé et revendiqué.On perçoit

Page 32: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 33: Église et politique

Deuxprocessusagissentcommeuneclefd’explicationdelagénéralisation, comme d’une évidence, de l’idée libérale cheznombre d’ecclésiastiques et de fidèles qui, eux se donnant lesmoyens de détenir les leviers, sont restés au sein de l’appareilecclésiastiqueetd’animationparoissiale.Ilyad’unepartl’idéequelescatholiquesoffrentàladémocratie,avecleurconceptionde l’absolutisation de la liberté moderne, le caractèreparadigmatique qui manquait tant à un nouveau cléricalismequ’aux fidèles tentés par le modérantisme. D’autre part,l’accentuation de la participation des catholiques au systèmedémocratiquedansdiverspaysd’EuropeetdesdeuxAmériquesrésulted’uneactionen tenailledescatholiques libérauxetdesdémocrates-chrétiensqui,chacundansleurssphèresrespectives,influencentlarévolutionculturelle–philosophique,spirituelle,morale–maisaussipolitique,dumondecatholique.

Ainsi libéralisme et démocratisme (de l’indifférence del’Égliseenmatièrepolitique«pourvuquelebiencommunsoitassuré » à la légitimation exclusive de la démocratie) sontofficiellemententérinés,entreautresdansleCompendiumdelaDoctrinesocialedel’Église39.Letournantdecetteconsécrationdu système occidental date de l’encyclique de Jean-Paul IICentesimus Annus (1er mai 1991), n° 850. À partir de là,l’analyse critique demeure ouvertemais seulement comme unerecherche d’amélioration ou de freins à opposer à ses dérivesaccidentelles40. Un texte, parmi une multitude de documentsproposés aux fidèles par les conférences épiscopales, l’illustrebien:Catholiquesetprésentsdanslasociétéfrançaise.FoienDieuetdémocratie41deMgrClaudeDagens,oùl’onpeutlireàpropos des catholiques français : « Ils ont mis du temps àcomprendre et à accepter les changements considérables qu’aentraînés avec elle l’émergence d’un État républicain, puis

Page 34: Église et politique

laïc.»Plusloin,l’évêqued’Angoulêmeemprunteàunconfrèreune interprétation intéressante : « Mgr Éric de Moulins-Beaufort montre que les évolutions de l’Église catholique àl’égardde la démocratie tiennent à des raisons essentiellementthéologiques,etnonpaspolitiques»(p.51);maisneserait-cepas l’inverse, les changements théologiques venant conclurecertainespratiquespolitiquesantérieures?

1.V.LaurenceVANYPERSELEetAnne-DolorèsMARCELIS (dir.),Rêvesde chrétienté. Réalités du monde. Imaginaires catholiques, Paris, Cerf,Louvain-la-Neuve,UCL,2001.2. Michael GAUVREAU, Les origines catholiques de la Révolutiontranquille,Montréal,Fides,2008etnotrerecension:«NouveauregardsurlaRévolution tranquille québécoise »,Catholica, n° 102, hiver 2008-2009,pp.92ss;3. Xabier ITÇAINA, Les Virtuoses de l’identité, préf. Jacques Palard,Rennes,PUR,coll.Sciencesdesreligions,2007etnotrerecension:«Lejeucroisé des identités politique et religieuse. Autour d’une thèse sur le Paysbasque»,Catholica,n°100,été2008,pp.79ss.4.Cf.VicenteCÁRCELORTí,LaIglesiaylatransiciónespañola,Valence,Edicep, 2003 ; Jorge SOLEY CLIMENT, « La sécularisation de laCatalogne»,Catholica,n°83,printemps2004,pp.43-53.5.AlainGÉRARD,«EnVendée,lafindesvocations?», inDescurésauxentrepreneurs : la Vendée au XXe siècle. Actes du colloque tenu à LaRoche-sur-Yonles24,25et26avril2003,LaRoche-sur-Yon,CVRH,2004,pp.425-497.6. Yves LAMBERT,Dieu change en Bretagne. La religion à Limerzel de1900ànos jours, préf.DanièleHERVIEU-LéGER,Paris,Cerf, 1985, rééd.2007 et notre recension : « Sociologie religieuse de la Bretagne. Limitesd’uneméthode»,Catholica,n°99,printemps2008,pp.126ss.7. Cf. Marie-Thérèse LACOMBE, Pionnières ! Les femmes dans lamodernisation des campagnes de l’Aveyron de 1945 à nos jours, éd. duRouergue, Rodez, 2009 et notre recension : « Monographie d’unesécularisation»,Catholica,n°106,hiver2009-10,pp.105ss.8.Jean-MarieMAYEUR,Despartiscatholiquesàladémocratie-chrétienne

Page 35: Église et politique

XIXe-XXe siècle, Paris, Armand Colin, 1980 ; Roberto Papini,L’internationale démocrate-chrétienne 1925-1986, Paris, Cerf, 1988 ;Charles DELAMARE, Francis OLIVIER, L’Europe, incarnation de ladémocratie-chrétienne, un dialogue, Paris, L’Harmattan, 2003 ; Jean-LouisCLÉMENT, « Europe fonctionnaliste et démocratie chrétienne : histoired’une ambiguïté fondamentale », in Jean CHOLVY (dir.), L’Europe, sesdimensionsreligieuses,VeUniversitéd’histoirereligieuse,juillet1997;J.-L.CLÉMENT,LaDémocratiechrétienneenFrance.Unpariàhautrisquede1900 à nos jours, Paris, F.-X. de Guibert, 2005 ; Marc LE DORH, LesDémocrates-chrétiens français face à l’Europe 1944-1957, Paris,L’Harmattan,2005.9. Jacques Palard, dans sa préface à l’ouvrage de Xabier ITÇAINA, LesVirtuosesdel’identité,op.cit.10.Ibid.11. Jacques GRAND’MAISON, Nationalisme et religion, t.2, Religion etidéologiespolitiques,Ottawa,Beauchemin,1970,p.36.12.YvonTRANVOUEZ,op.cit.13. Jean CHELINI, La ville et l’Église. Premier bilan des enquêtes desociologiereligieuse,Paris,Cerf,1958,p.173.14. « La paroisse, ce haut lieu d’accueil et d’envoi »,Masses Ouvrières(Paris),184,avril1962,pp.4-5.15. FRANCIS CONNAN, Jean-Claude BARREAU, Demain, la paroisse,Paris,Seuil,1966.16. René METZ,« La paroisse en France à l’époque moderne etcontemporaine, du concile de Trente à Vatican II. Les nouvellesorientations »,Revue de l’histoire de l’ÉglisedeFrance, 166, janvier-juin1975, p. 15 ; Hervé QUEINNEC, Mission ou liturgie ? Les débatsthéologiquessurl’institutionparoissialeenFrancede1933à1965,Master1 d’Histoire,Université deBretagne occidentale, Brest, 2006 (chapitreVI :«VaticanIIetlaparoisse»)cit.inYvonTRANVOUEZ,op.cit,p.106.17.AbbéFrançoisHOUTARD,«Implicationsetsignificationsreligieusesduphénomène urbain » in L’homme et la révolution urbaine. Citadins etrurauxdevantl’urbanisation.52esessiondesSemainessocialesdeFrance,Brest1965, Lyon,Chronique sociale de France, 1965 etMgrMATAGRIN,« Orientations, animation et coordination de la pastorale urbaine »,conférence aux évêques de la région apostolique de l’Ouest, session depastorale urbaine, Pontmain, 30 mars, 1965 (archives de l’évêché deQuimper,3B1),citéinibid.,p.104.

Page 36: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 37: Église et politique

del’Évangile.NousdevonsremarquerquelapréfaceduMisseldePaulVI

reproduitcelleintroduiteparPieXI,demêmequel’antiennedecommunion.Maiscen’estpaslecasdelapostcommunion.

Voici celle de Pie XI : « Après avoir reçu l’alimentd’immortalité, nous vous demandons, Seigneur, nous qui nousglorifions de combattre sous les étendards du Christ-Roi, quenous puissions avec Lui, régner à jamais dans les cieux, Luiqui…»

Et lapostcommuniondumisseldePaulVI :«Aprèsavoirpartagélepaind’immortalité,noustesupplions,Seigneur:nousmettonsnotregloireàobéirauChristRoidel’univers,faisquenouspuissionsvivreavecLui,éternellement,danslademeureduciel.Luiqui…»

Nous pouvons tout d’abord dire que la postcommuniondePie XI, avec son style militant, évoque magnifiquement laméditationdesDeuxÉtendardsdesExercicesspirituelsdesaintIgnacedeLoyola.D’uncôté, l’étendardduChrist,notregrandCapitaine et Seigneur, de l’autre celui de Lucifer, l’ennemimorteldenotrenaturehumaine.LapostcommuniondePaulVIconserve quelque chose de cet esprit militant quand elle dit«nousmettonsnotregloireàobéirauChristRoidel’univers»,maissansarriveràproduirelemêmeeffet.Ensuite,lademande« sub Christi Regis vexillis militare gloriamur » est uneréférenceàl’unedesplusbelleshymnesdubréviaire,leVexillaRegis,quel’onchanteaumomentdelaPassion.

Mais dans l’Office divin, on trouve également deschangements notables. L’hymne Te saeculorum Principem estsupprimée, que l’on chantait aux premières et aux deuxièmesvêpres.Orenvoicilesdernièresstrophesavantladoxologie:

Puissentleschefsdespeuplesvousrendreuncultepublic,

Page 38: Église et politique

maîtres,juges,voushonorer,lesloisetlesArtschantervotregloire!Quelesemblèmesdesprincestrouventleurgloireàvousêtredédiés,àvotreempirededouceursoumettezlapatrieetlefoyerdescitoyens!Le désir de voir les dirigeants et gouvernants des nations

vivre publiquement en conformité avec la Loi du Christ estparfaitement connaturel à une vision constante de la foicatholique. Remiser ce type d’implorations revient à admettrequelasécularisationdumondeestunechosepositive,cequiestcomplètement faux. En comparaison de ces changements dansl’Office divin, on ne peut que voir avec satisfaction ce queBenoîtXVIdéclaraitdanssonmotupropriodu7 juillet2007,Summorum Pontificum (§9-3) : « Tout clerc dans les ordressacrésaledroitd’utiliserleBréviaireRomainpromulguéparlebienheureuxJeanXXIIIen1962.»

L’Églisenecélèbrepas la royautéduChristque lorsde lafête dont il vient d’être question. Elle le fait aussi lors dudimanchedesRameaux.CelaestsiévidentquelorsquePieXIamanifesté son intentiond’établirune fête spéciale, certains s’ysont opposés en disant que la royauté du Christ était déjàcélébrée à cette occasion12. À l’encontre de cet argument, onpouvait répliquer qu’il y avait eu le précédent historiquede laFête-Dieu, alors que le Jeudi Saint, avec la messe in CoenaDomini,oncélèbrel’institutiondel’eucharistieetdusacerdoce.Cependant cette grande fête est dans une certaine mesuremasquéepar lacommémorationde laPassionetde laMortduSeigneurlejoursuivant,leVendrediSaint.Onpeutdoncdirelamêmechosede lacélébrationde la royautéduChristendébutdeSemaineSainte,c’estpourquoil’instaurationdesdeuxfêtes

Page 39: Église et politique

spéciales peut être considérée comme un acte de sagessepastorale.

NouspouvonsexaminerplusieursélémentsdelaliturgiedesRameaux à la suite des modifications effectuées par Pie XII.Dans le Missel de 1962, qui incorpore ces réformes, lacérémonie de ce dimanche est divisée en deux parties, labénédiction et la distribution des rameaux, puis la messe. Lenom liturgique de la procession est «De solemni PalmarumProcessioneinhonoremChristiRegi»–Processionsolennelleen l’honneur duChrist-Roi.Bien que dans de nombreux paysméditerranéens on ait coutumed’utiliser des rameauxd’olivierplutôt que des palmes, il demeure de grande importance quecette cérémonie s’appelle la Procession des Palmes, car lespalmes,danslatraditionchrétienne,signifientletriompheoulavictoire, comme on le voit dans l’Apocalypse. Au cours de ladistribution des rameaux, on chante l’antienne PueriHebraeorum13quicomportedespassagesdespsaumes24et47,qui sont des psaumes royaux. Leur message liturgique estmanifeste:c’estlafêtedelaroyautéduChristquiestcélébrée.L’évangilequiestutiliséavant laprocessionestunpassagedesaint Matthieu (21, 1-9) qui s’achève par la description del’acclamationduChristcommeFilsdeDavidetcommeEnvoyédeDieu.Cettedoubleacclamationsouligne lanature royaleetmessianiquedeJésus.Laprocessioncommenceavecl’hymnedeThéodulfe,leGlorialaus14.Lesrubriquesdumisselde1962ledésignent comme « Hymne au Christ-Roi ». Les mêmesrubriques,dansunsagesoucid’encouragerlaparticipationdesfidèles, indiquent que les personnes qui suivent la processiondoivent répéter l’antienne constituée par les premières phrasesde l’hymne : « Gloria laus et honor tibi sit, Rex ChristeRedemptor, Cui puerile decus prompsit Hosanna pium ». La

Page 40: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 41: Église et politique

païen des théories postérieures sur la dignité humaine. Onpourraalorsdistinguerdeuxgrandesapprochesdeladignitédel’homme:lapremière,celledesPèresdel’Égliseausenslarge,qui se fonde surtout sur le commentaire desSaintesÉcritures,mais d’oùn’est pas absent nonplus un certain échod’auteurspaïens. La deuxième, métaphysique, qui ajoute à la traditionpatristique les conceptsde laphilosophie aristotéliciennepourexposeretcompléterlamêmedoctrine.

Ce seront cependant les auteurs de la Renaissance qui enferontexplicitementlethèmefondamentaldeleursréflexionsetdeleursouvrages13.Laparticipationhumaineàladivinitédontparle Epictète14 et la doctrine chrétienne de l’homme créé àl’imageetàlaressemblancedeDieuontalorsétéexagéréesaupoint d’octroyer à l’homme les attributs de la divinité. Enconcevant l’homme comme une créature privilégiée, dépourvuedenaturedéterminéeetcapabledesecréerelle-même,PicdelaMirandole15 se fait l’antécédent de la théorie kantienne de ladignitédelapersonne,précieuseenvertudesonautonomie.Cestransformations hypertrophiques qui dans le courant modernen’attribuentplusladignitéàl’hommeentantqu’ilsesoumetàl’ordre de la nature ou à l’ordre divin,mais à lui-même, parceque l’ordremoral et religieux surgit de sa propre spontanéité,constituentunchangementprofondparrapportà laconceptionclassiqueduchristianisme.

Onl’adit,pourlechristianisme,l’authentiquedignitéestladignitéactuelledelapersonnequiareçulagrâcedubaptême;ilnes’ytrouveaucunetracedelasupposéedignitédelanaturehumaine,àmoinsqu’onnelaconsidèrecommepotentiellementcapable de recevoir cette grâce. Il faut cependant nuancer cesaffirmations,même faites avec l’excellente intentiond’affaiblirla conceptionmoderne de la dignité humaine et des droits de

Page 42: Église et politique

l’homme, car la dignité « de la personne comme membre del’Église » n’est pas, si l’on s’en tient aux auteurs ducatholicisme classique, la seule manière, ni la plus élevée depenserladignitédel’homme.

Les études des Pères de l’Église sur la dignité s’appuientgénéralementsurlerécitdelaCréationdanslaGenèseoudelaNativité du Christ16. Lorsqu’ils parlent de l’Incarnation, ilssoulignentenparticulierladignitédel’hommeracheté,telLéonle Grand qui s’exclame : « Reconnais, chrétien, ta dignité,devenuparticipant de lanaturedivine17. »Dans lemême senssaint Augustin disait dans son sermon 371 In NativitateChristi:«VousêtesappelésfrèresduChrist,vousêtesappeléshéritiers du Christ. Que chacun de vous considère donc sapropredignité.»Mais,lorsquementionestfaitedelaCréation,une autre dignité apparaît, qui n’est pas celle du baptisémaiscelle de l’homme tout court, sans référence à la Rédemption,même potentiellement. SaintGrégoire leGrand, dans un autresermon sur laNativité, adresseune exhortation similaire, cettefois non au chrétien mais à l’homme : « Réveille-toi donc, ôhommeetreconnaisladignitédetanature.Souviens-toiquetuasétécréeàl’imagedeDieu,imagequi,bienquecorrompueenAdam, a été restaurée dans le Christ18. » La dignité est iciattribuée avant tout parce que nous sommes image de Dieu,imagequiéchoitànotrenaturebienquecelle-cisetrouvedanslesdiversétatsquiprocèdentdelaCréation,delaChuteetdelaRédemption.

L’exaltationdeladigniténaturelledel’hommeenraisondel’élévation de ses potentialités, déjà présente chez les auteurspaïens,aétérepriseparlesPèresdel’Égliseetréinterprétéeàlalumière de la Révélation. Saint Augustin déclare ainsi que«parmileschosescréées,lanatureraisonnableestunechosesi

Page 43: Église et politique

excellentequ’aucunbiennepeutlarendreheureusesicen’estDieu19 », soulignant ainsi notre raison ; et s’attachant aupouvoir de l’homme sur le monde, saint Jean Chrysostomemontre à quel point Dieu a honoré notre nature en créant cemonde, nous attribuant la dignité de Roi sur tout ce qui estvisible20.

À propos de cette dignité naturelle de l’homme, mentionparticulièredoit être faitede l’écrit faussementattribuéà saintAmbroise,dontletitreprécisestDeladignitédelaconditionhumaine,quifaitl’élogedelaconditionounaturedel’homme,image de Dieu en lui-même : « De même que Dieu est tout,toujours et partout, l’âme régit, gouverne et vivifie le corps. »Maisuneautreimagesetrouveenl’âme,celledelaTrèsSainteTrinité,«cardemêmequeduPèreestengendréleFilsetqueduPèreetduFilsprocèdel’Esprit-Saint,ainsidel’entendementestengendrée la volonté et des deux procède la mémoire », ce àquoi ilajoute,poussantplus loin lacomparaison,qu’à l’imagede la sainte Trinité « l’âme est intellect, l’âme est volonté etl’âmeestmémoire,sanspourautantqu’ilyaittroisâmesdanslecorps21.»

Ces citations de divers auteurs montrent sans laisser deplace au doute que l’attribution d’une dignité naturelle àl’essence même de l’homme, indépendamment aussi bien dupéchéoriginelquede lagrâcebaptismalequi la régénère,étaitcommunément acceptée depuis les premiers siècles duchristianisme.Cequin’empêchepasquecettemêmenotionaitété employée de différentes manières. Au sein de la traditionpatristique, qui considère les Saintes Écritures commeprincipale source d’inspiration, c’est sans doute chez saintBernard de Clairvaux, dénommé par certains « le dernier desPères22 », que l’on retrouve le mieux les divers sens de la

Page 44: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 45: Église et politique

Cesdroitsontétécompriscommedesfacultésoupouvoirsinnésqu’a en soi le sujet individuel, sans référence à aucun typedelégalité antérieur. Une telle notion est étrangère à la penséejuridique classique comme à celle de saint Thomas39 ; ce quin’empêchepasque l’onpuisseparlerde«droit subjectif » ausensde la facultéconféréeàunsujetparunordre juridiqueetquidépenddecetordre,ouestpostérieuràcelui-ci.Direqu’unhomme«aundroit»ouestsujetdedroitsnesignifiedans laperpective thomiste que l’expression d’une relation juridique ;demanièreidentique,direquequelquechoseest«grand»n’estpas un prédicat absolu mais bien l’expression d’une relationquantitative par rapport à autre chose. Saint Thomas nous ditque«lajusticeproprementditeexigeladiversitédessujets,etiln’yadejusticequed’unhommeparrapportàunautre40.»Lesdroitsdel’homme,enrevanche,nesontpasdesrelations,maisse conçoivent dès leur origine comme des facultés ou deslicences absolues d’agir, qui déterminent une sphère ou unespaced’actionpropre à chaque individudans l’état de natureet, seulement dans un second temps, se limitent ou serelativisentenfonctiond’unpacteoucontratsocial.

Ces quelques précisions terminologiques faites, reste àconnaîtrelecritèrededéterminationdudroit,c’est-à-diredecequiestdûàl’autre.Uneréponseimplicitesetrouvedéjàdanslefaitquelajustice,dontl’objetestcequiestjuste,estunevertu.L’habitudede faire lebienestunevertu ; et lebien supérieur,quiconstituelafinetlaperfectiondel’homme,consistedanslaréalisationde sescapacités.Cependant l’étudede lanotiondeloi ainsi que du caractère pratique de ce savoir que nousnommonsdroitnousaideront sansdouteà saisirmieuxencorecommentconnaîtrecequiestjuste.

C’est en considérant la nature des choses41 que l’on

Page 46: Église et politique

connaîtralaloi,quin’exprimequ’unecertaineidéedecequiestjuste ; c’est en effet d’elle que l’on tire des préceptes trèsgénéraux tels « il faut chercher le bien » ou « il faut éviter lemal », grâce à la faculté intellective des premiers principespratiques que l’on nomme syndérèse, par laquelle l’hommeparticipe, d’une certaine manière, à la raison divine. Cespréceptes très généraux constituent le droit naturel. Endécoulent, dans un deuxième temps, les préceptes quiconstituentledroitdesgens42,quiexprimentcequiestadéquat,équitableoujustepourtousleshommes,enprenantencompteleurnatureraisonnableetlafinouperfectionàlaquelleilssontdestinés,auregarddecettemêmenature43.Àcela,legouvernantajouteles loispositivesenprenantprudentiellementencompteles circonstances et les coutumes, sans jamais perdre de vuequ’elles doivent mener au bien commun de la société et del’universqui,ultimement,setrouveenDieu.

Sur ce sujet, saint Thomas fait la distinction entre loiéternelle,loinaturelleetloipositive44.Laloiéternellerenfermedans l’esprit du divin Créateur l’ordre total de l’univers, ellen’est pasune certaine idéede cequi est juste, elle le contientparfaitement et en totalité. En revanche, la loi naturelle necontient que les préceptes très communs que nous venonsd’évoquer. La loi positive, quant à elle, est promulguée par legouvernant légitime et contient des préceptes qui se doiventd’êtreenconsonanceaveclaloinaturelle,ainsiqued’autresquirestentàladiscrétionouprudencedulégislateur,lequelétablitdifférentesnormesenfonctiondescirconstances,maistoujoursenvuedubiencommun.Cesloispositivespeuventdoncvarierselonleslieux,lestempsetlescoutumes,maisjamaiscontredirelaloinaturellesanscesserd’êtredeslois.

Que la source de la connaissance de la loi se trouve dans

Page 47: Église et politique

l’essenceounatureimmuabledeschosesnesignifiepasqueledroit est une science spéculative ayant pour objet ce qui estnécessaireoucequinepeutêtred’uneautremanière45.Ledroitestaucontraireunartouunsavoirpratiquevisantàdéterminerce qui est juste et ce que par conséquent l’homme peut faireéquitablement,chosenécessairepardéfinition.Cequel’onpeutfaire fait partie du contingent, qui est ce qui n’est pasnécessaire.

Certesl’hommepeutconnaîtrecequiestnécessaire,commele mouvement des astres ou les lois mathématiques ouphysiques,maisilnepeutpasletransformer.Commentdoncledroitpeut-ilsefondersurlanatureimmuabledeschosesetêtre,cependant,unarttouchantàcequiestchangeantetcontingent?Cette difficulté apparente disparaît si l’on considère ce qui sepasse dans les autres arts, comme l’architecture par exemple.L’architectedéterminecomment réaliseruneconstruction–quipeutêtreounon,etquin’estdoncpasnécessaire–maisillefaitenprenantencomptelesloisdelaphysique,delarésistancedesmatériauxetdelagéométrie,dont l’objet, lui,estnécessaireetnonopérable.Delamêmemanièrelejuristeenseignecequiestjustedanschaquecas,maisenconsidérantd’unepartlanaturedel’homme,dontlafinpropreestimmuable,etd’autrepartlesacteshumainsetleurscirconstances,entantqu’ilsenaffectentd’autres;actescontingentsetaccidentels,commelesontaussiles résultats. Dans une maison, les pierres et le bois ont uncaractèreessentiel,etaccomplissent les loisphysiquesenétanttoutefois placés de telle manière ou de telle autre, ce qui estaccidentel à elles-mêmes. Sur un mode similaire, les actesréalisés par l’homme dans le monde externe, qui affectent lesautres hommes et dont la rectitude est tranchée par le droit etobjet de législation, lui sont accidentels ainsi qu’à sa nature,

Page 48: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 49: Église et politique

26.S.T.,I,q.29,art.3,ad2.27.Latendanceàextrapolerlesnotionsdelathéologiethomistepourdonnerplus d’autorité à la religion humaniste qui a pénétré de nombreuxmilieuxecclésiastiques est assez fréquente. Un autre exemple : les études de saintThomas sur l’amour divin transformées par l’humanisme chrétien en unethéoriedithyrambiquedel’amourpurementhumain,presquedivinisé.28.C’estlorsqu’iltraitedelacréation(S.T.,I,q.93),etdelavertuetdelagrâce (S.T. I-II q. 110, art. 3, co) que saint Thomas expose la doctrine del’imageetdelaressemblance.29.S.T.,Iaq.5,art.1,co.30.S.T.,Iaq.6,art.3,co.31.S.T.,I-II,q.110,a3,co.32.S.T.,Ia-IIaeq.110,art.3co;Iaq.73,art.1co;SuperSententias,IIId.27,q.2,art.1,ad9.33.Cf.A.HUERGA,SantoTomásdeAquino,teólogodelavidacristiana,Madrid,FundaciónUniversitariaEspañola,1974,chap.III,2-4.34.Cettedernièredignité, à son tour, est soit acquise, si l’on se réfère auxvertus naturelles, soit infuse, lorsqu’il s’agit de vertus venant de la grâcesurnaturelle(libertédupéchéchezsaintBernard)etdontl’accomplissementoulaperfectionestlabéatitude(libertédemisère,chezsaintBernardaussi)oùl’hommeatteintsadignitélaplusgrande.35. Elle a été remise à l’honneur par Leopoldo Eulogio PALACIOS (LaPersonaHumana,op.cit.,2)àpartird’untextedesaintTHOMASquelquepeuoublié:DeVeritateq.XXI,a.5,r.36.Ibid.Cetordredeprioritésmériteuneattentionparticulièreaujourd’hui,parce que l’on a souvent eu recours à la convertibilité de l’être et du bienpourdéfendrecommeunedoctrineclassiquelefaitquel’homme,parleseulfaitd’êtreunepersonne,possèdeunedignitéquilerendsujetdesdroitsqui,parlefaitmême,sonthumains.37.Sansfairecasdel’étymologienidel’évolutionsémantiquedutermequi,bienqu’utile leplussouvent,neferait iciquecompliquer leschoses.Parceque ce que nous appelons « droit » se disait en latin « ius », en lien avecd’autres termescommeceuxde« iustitia»,« iustus»et« iustum»,cequin’est pas le cas du terme « droit ». En revanche, il est intéressant dedéterminerquelleestlachosepremièreenvertudelaquelletouteslesautresquis’appellentdroitontreçucenom.38.Cf.S.T.II-II,q.57,art.1;J.B.VALLETDEGOYTISOLO,«ElOrdenNaturalyelDerecho»,inEntornoalDerechoNatural,Madrid,Sala,1973,6-11et«ElHombre,SujetodelaLiberación»,op.cit.,8.L’œuvredeMichel

Page 50: Église et politique

VILLEYa fait renaître cette idée classique du droit.On pourra trouver unrésumé de ses contributions dans G. AUGÉ, « El Derecho Natural en laFrancia del s. XX », in AA. VV,El Derecho Natural Hispánico, Madrid,Escelicer,1973,3,pp.250ss.39.«La jurisprudence romaineneconnaissaitpas lanotioncontemporainededroitsubjectif.Danstouteconsidérationjuridiqueestnécessairelaréalitédudroitcommepouvoir,maispourlesjuristesromanisteslafacultéestuneréalitéextra-juridique,unfas–quelquechosedeliciteoupermis–,nonunius.Lepropredelajurisprudenceétaitcequiestdûobjectivement(lanotionde devoir ou d’obligation passe au premier plan, mais non celle deprérogativeoudepouvoir)»(F.CARPINTEROBENÍTEZ,loc.cit.).Cf.A.F.UTZ,ÉticaSocial,Barcelone,Herder1964, t. I,p.236.Uneprésentationde la question et une attitude différente sur le rôle du droit subjectif chezsaintThomaspourrontêtre luesdans l’introductiondeTeófiloURDÁNOZ,o.p.,àlaII-II,q.57,dansSumateológica,Madrid,B.A.C.,1956,tomeVIII,pp.196ss.40.S.T.,II,II,q.58,art.2,co.41.Cf.J.B.VALLETDEGOYTISOLO,Metodologíade ladeterminacióndelDerecho II,vol.1,Madrid,CentrodeEstudiosRamónAreces,1996, I,III,pp.133ss.42.Cf.S.RAMÍREZ,ElDerechodeGentes,Madrid,Studium,1955,12A.43. «Oportet quod lexmaxime respiciat ordinem qui est in beatitudine »(S.T.,I-II,q.90,art.2,co).44.S.T.,I-II,q.90à95.45.Cf.J.B.VALLETDEGOYTISOLO,Metodologíade ladeterminacióndelDerecho,op.cit.,200.46.S.T.,II,II,q.64,art.2,ad3.47.S.T.,II,II,q.64,art.3,ad2.48.S.T.,II,II,q.64,art.6.49.S.T.,II,II,q.65,art.3.50.PALACIOS,op.cit.p.489.51.DeVeritate,q.21,art.5,co.déjàcité.Cf.aussiS.T.,I,q.5,art.1,ad1.52.S.T.,II-II,q.58,art.11,co.53. D’autres peut-être seraient unis à la dignité de la personne ou del’individuhumaincommetel.Parexempleceluid’êtrejugéindividuellementetnonpascollectivement,aumoinsdanscertainscas.54.SummacontraGentiles,l.3,chap.129.55.Cf.J.B.VALLETDEGOYTISOLO,op.cit.,pp.31et201.56.C’est dans le livre IVde l’Essai sur l’entendement humain queLocke

Page 51: Église et politique

essaiederépondreàcettequestion,maisdemanièrequelquepeuconfuseetincohérente.57.Lemythedu«bonsauvage»aétéravivéàpartirduXVIIesiècleparlaculturecosmopolitequi lisaitavecavidité les livresdevoyagesicourantsàl’époque(cf.DANIEL-ROPS,L’Églisedestempsclassiques,Paris,ArthèmeFayard,1958,tomeII).58.Secondtraitédugouvernementcivil,II,4.59.Ibid.,chap.V.60.IX,128.61.IX,123.62.Ibid.136.63.«Enconsidérantlaconditiondel’hommenouspouvonsabstrairetouteslesdéterminationsquiproviennentd’unesociétéconcrète,ounouspouvonsleconsidérerenelles.Danscederniercasils’agitdel’étatsocialdel’hommeet dans le premier de son état naturel, qui s’oppose à l’autre […].Dans ledroitnatureletdansl’Éthiquenousentendonsparétatnatureldel’hommelestatut individuel, telque l’onpeut l’observerenchaquehommesingulier»(G.BAUMGARTEN,IusNaturae,HalaeMagdeburgicae,1763,I,1et4).64. Ainsi dénommé, de manière assez absurde, parce qu’il place en unhommenaturelfictifl’originedetoutdroit.65.Abstraitparcequ’ilfaitabstractiondelaconditionsocialedel’hommeetréel parce qu’il est toujours singulier. En définitive, il s’agit d’une entitéinexistante,commeununiverselavecunetête,untroncetdesextrémités,oucomme l’homme simple que Diogène cherchait parmi les humains sans letrouver.66.D.CASTELLANO,RacionalismoyDerechoshumanos, op. cit. pp. 25ss.67.J.MARITAIN,L’hommeetl’État,Paris,PUF,1953,chap.IV.68.R.M.WILTGEN,ElRindesembocaenelTiber,Madrid,CriterioLibros,1999,p.185[1eéd.fr.:LeRhinsejettedansleTibre,Paris,Cèdre,1973].69. N. GÓMEZDÁVILA,Escolios a un texto implícito, Girona, Atalanta,2009,p.116.

Page 52: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 53: Église et politique

d’undesélémentsessentielsduprogrammedeL’Avenir.Selon ce raisonnement, l’avenir de l’humanité devra être

caractérisé par l’initiative collective des peuples. Ceux-ci sontprésentés comme rédempteurs de l’humanité – une rédemptionimmanentisée– instrumentsutilisésparDieupour réaliser sonroyaume sur cette terre41. À l’ordre politique devra succéderl’ordre social, qui devra se transformer à son tour enunordreadministratif. Ainsi, la politique doit se restreindre àl’administrationdeschosesmatérielles,passantdurapportentrelessujets–quiestlepropredelapolitique–aurapportavecleschoses–quiest lepropredel’administration42.Ladissolutiondel’Étatquiseprofileestenréaliténonseulementlanégationde l’artificialité de l’État moderne, mais aussi l’extinction del’autoritépolitiqueentantquetelle(ilnesemblepasqu’ilfailleen conclure que l’adversaire deLamennais soit l’État né de laRévolution, étant donné que c’est précisément l’héritage de laRévolution, avec le libéralisme, qu’il apprécie et partage). Seprésente ainsi une vision basée sur l’opposition conflictuelleentre lasociétéet l’Étatqui, toutenayantenvue lacritiqueàl’égard de l’Étatmoderne, emprunte les termes de l’antinomiedialectique de la modernité elle-même et se transforme en unfacteur d’accélération de la logique interne au rationalismepolitique.

La vision mennaisienne débouche, en continuité avec sesprémisses,d’unepartsurunesortederéductiontemporelledelasotériologie chrétienne – assimilant quasiment l’Église à unparti – et d’autrepart enunmessage seprétendant capablederégénérer l’Église elle-même, selon une dynamiqued’humanisationdudivinetdedivinisationdel’humaintypiquedelasécularisationmoderne43.Decettemanière,l’eschatologiese transforme en futurologie, et « l’illumination » du

Page 54: Église et politique

messianismehistoricisteprétend réaliser la« régénération»detoutesociété44.Ledestindelafoiestl’idéologieetletempsseprésente comme le critère de l’éternité. La conséquence en estégalement la transformationdusensde l’universelenespritdeparti et l’attribution d’un rôle spécifique à une « minoritééclairée» chargéedemettre enœuvre le salut pour tous45. Eneffet, sid’uncôté l’histoirecontientet réaliseunesotériologieimmanente – comme c’est le propre de toute forme deprogressisme – l’Église devrait la seconder et s’associer auxforcesd’accélérationde l’avenir.D’unautre côté, l’avenir lui-même devrait constituer le critère absolu permettant dereformuler la foi et la morale et de donner une nouvellesubstance,afind’infusercettevienouvellesanslaquelleriennepeutvivre.Àpartirde là, adoptantune trajectoireconséquenteavecelle-même,Lamennais,unefoisterminéechezluilaphasedu catholicisme libéral (celle de la publication L’Avenir),passeraàl’égalitarismedémocratiqueàconnotationsocialiste,àpartirdeParolesd’uncroyant (1834)46, jusqu’auxAffaires deRome (1836), Le livre du peuple (1837) et Esquisse d’unephilosophie (1840-1846) – avant de terminer, poursuivant lalogiquedel’immanentisme,dansl’apostasie.

Lelibéralismeenjugement

Aprèsavoirchargéunecommissiond’examinerlesthèsesdeLamennais exposées dans ses œuvres les plus significatives,commissionquiavaitconclu(23avril1832)suruneCensuredequelques propositions47, Grégoire XVI prit position dansl’encycliqueMirarivos(15août1832)surlestextesqu’ilavaitpubliésdansL’Avenir,en lesréprouvant trèsclairement.Par lasuite, dans l’encyclique Singulari nos (1834), il réfuta les

Page 55: Église et politique

positions mennaisiennes exprimées dans le pamphlet Parolesd’uncroyant.

Dans la vision du Pape telle qu’elle se présente dans cesdeuxdocuments,leproblèmedelaliberté,danssasignificationmoderne, tientuneplaceessentielle.Cen’estpasunproblèmepurement sociologique ou historique, ni une question depratiqueoudeméthode,etilnepeutpasresterconfinédansledomaine de l’opinion. C’est une question de principe de typephilosophique et théologique. Le problème apparaît dans uncontexte de mouvements révolutionnaires naissants qui tirentleurs racines de grandes prémisses théoriques puis passentensuite à la pratique. Le document pontifical voit dans cesprémisses l’origine des mutations révolutionnaires, marquées,commeillesouligne,parunecommunehostilitéantichrétienne,etparlacrisedel’exercicedel’autorité.

Mirarivoscommenceparrejeterlathèsedelanécessitédelarégénérationdel’Égliseet,aprèsavoirconsidérélaquestionducélibatecclésiastique–pourenconfirmerlavaleur–etcellede l’indissolubilité du mariage – en rappelant qu’il n’est paspossible de revenir sur ce point –, l’encyclique abordel’approchelibéraledelaliberté.

Siunerégénérationdel’ordredelafoietdelamoraleétaitindispensable – voire une mutation radicale allant jusqu’à enmodifierprofondémentlasignification–,ledivinseraitréduitàl’humain, la transcendance à l’immanence, le permanent audevenir.Prétendrecantonnerautemporellavoied’accèsausalutéternel signifie réduire cette voie à un projet passager,potentiellementdéfectueuxet,decefait,intrinsèquementcaduc.End’autres termes, laprétenduerégénérationde l’Église–quiconsisterait dans l’adhésion au rationalisme moderne – reviendrait objectivement à nier sa vérité. Selon la mêmelogique, la régénération – avec la subordination à l’esprit du

Page 56: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 57: Église et politique

l’affaire Lamennais est rassemblée dans M. J. LE GUILLOU, L. LEGUILLOU(dir.),LacondamnationdeLamennais,Paris,Beauchesne,1982;sur ce sujet, unouvrage important est aussi :P.DUDON,Lamennais et leSaint Siège (1820-1834) d’après des documents inédits et lesArchives duVatican,Paris,PerrinetCie,1911.2. Cf. entre autres P. PASCHINI, Lezioni di storia ecclesiastica, vol. III,Turin, Società editrice internazionale, 1951, p. 473 ; F. J. MONTALBAN,Historia de la Iglesia Catolica. Edad moderna, Madrid, La EditorialCatólica[B.A.C.],1953,pp.508-509;J.LEFLON,Lacriserévolutionnaire(1789-1846),A.FLICHE,V.MARTIN(dir.),Histoiredel’Églisedepuislesoriginesjusqu’ànosjours,t.XX,Paris,BloudetGay,1949.3.Rappelons que l’autorisation étatique a été retirée à laCongrégation desmissionsetqued’autrescongrégationsontétéexpulsées.Lesévêquesontétéexclus du Conseil d’État, de la Chambre des Pairs et du Conseil del’Instruction publique, la loi sur le sacrilège a été abrogée. Les boursesd’étudedont lesordonnancesde1828avaientdoté lespetitsséminairesontétéannulées.4. La forme originaire de son nom est : de LaMennais. Pour des motifsidéologiques, celle-ci fut modifiée et privée de sa particule nobiliaire, laforme«démocratique»Lamennaisétantretenueàpartird’environ1834.5. G. VERUCCI, Félicité Lamennais. Dal cattolicesimo autoritario alradicalismodemocratico,Naples,IstitutoitalianopergliStudistorici,1963,p.174.6.Ibid.,pp.174-175.7.Ibid.,p.175.8.Ibid.9.Cf.Ibid.pp.155-156.10.Unetelledistinctionpeutêtrecomparéedemanièreanalogiqueàcellequiprévaut entre une laïcité « dure » (selon lemodèle français) et une laïcité« ouverte » (version américaine). Voir Danilo CASTELLANO, « Lamodernitéest-elledivisible?»,chapitreVIIIinfra.11.G.VERUCCI,FélicitéLamennais…,op.cit.,p.186.12.Cf.F.R.DELAMENNAIS,«LaChambredesPairs»,L’Avenir,23mai1831.13. Sur les débuts de cette « école », on peut notamment se référer à :A.RICARD,Lamennais et son école, Paris,Didier, 1881 ;G. PIOVANO, Lascuola lamennaisiana, Monza, Artigianelli, 1912 ; F. MOURRET, Lemouvement catholique en France de 1830 à 1850, Paris, Bloud & Gay,1917.

Page 58: Église et politique

14. Il n’est pas sans intérêt de constater que les thèses de Lamennais sontconsidérées comme annonciatrices du modernisme philosophico-théologique.À ce sujet, voir les considérations deE.BUONAIUTI, StoriadelCristianesimo, vol. III, Milan, Corbaccio – DALL’OGLIO, 19512, pp.401-424 ; P. PIRRI, « L’Enciclica “Pascendi” e il “Modernismo” dopoventicinqueanni»,LaCiviltàCattolica,1932,vol.IV,pp.521-536.15.Cf.G.VERUCCI,op.cit.p.222.16. C’est à cette phase de la pensée de Lamennais qu’est consacrée laprésenteanalyse,quinepeutnéanmoinséviterdefaireallusionauxpremièreettroisièmeétapesdesonélaborationthéorique.17.Lamennaisécritquelevrailibéralismeimpliquequelalibertésoitégalepourtous,soitn’estgarantiepourpersonneetquelescatholiquesyontdroitautantqueceuxquiontd’autrescroyances(cf.L’Avenir,16octobre1830).18.G.VERUCCI,op.cit.,p.190.19. Cf. F.R. DE LAMENNAIS, « La condition de l’Église en France »,L’Avenir,6janvier1831.20. Cf. Id., « De la liberté religieuse », L’Avenir, 30 août 1831. PourLamennais, tout ce que veulent les libéraux sincères ne pourra jamais êtreréalisécomplètementqu’aumoyenducatholicisme(eod.loc.).21.Ibid.22. Lamennais affirme, de manière rationaliste, que la vérité est toute-puissante.Cequiretardesontriomphe,c’estavanttoutl’appuiquelaforcematériellechercheàluidonner(«Surlaséparationdel’Égliseetdel’État»,L’Avenir, 18 octobre 1830). En ce sens, tout emploi de la force apparaîtcommenégatifenlui-même.23.«Erreursdanslapolitiquedugouvernement»,L’Avenir,27janvier1831.24.Ibid,16octobre1830.25.Cf. «Les doctrines de l’Avenir »,L’Avenir, 7 décembre 1830 ; «De laRépublique»,ibid.,9mars1831.26.Ibid.,31ottobre1830.27.«Lesdoctrinesdel’Avenir»,loc.cit.,7décembre1830.28.«Laconditiondel’ÉgliseenFrance»,ibid,6janvier1831.29.Ibid.,28juin1831.30.SelonLamennais, l’uniquesystèmesocialpossibleestaujourd’huiceluiqui se fonde sur le développement de la liberté individuelle (L’Avenir, 17ottobre1830).31.Lamennaispenseque laRépublique,dans sa significationmoderne,estinévitable(L’Avenir,9mars1831).

Page 59: Église et politique

32. La réalité est ainsi assimilée à l’effectivité, la donnée accidentelleconsidéréecommeuneentitésubstantielle,etlamutationsociologique(vraieouprésupposée)commeunemutationanthropologique.33.Cf.«Lapositiondugouvernement»,L’Avenir,17ottobre1830.34.L’histoire seraitmarquéepar lanécessitéd’uneévolutionobligatoireaupoint que toute opposition contre l’invincible force du principedémocratique serait inutile (« La Chambre des Pairs », L’Avenir, 23 mai1831.Cf.enoutre,L’Avenir,30octobre1830).35. Ibid.Lamennais pense entrevoir les destinées futures du genre humain(cf.«L’avenirde la société»,L’Avenir, 28 juin1831), dont les révolutionsconstituent lavoieet l’annonce.Lescatholiquesdevraient selon luidonnersonsensvraiàl’espritdesrévolutionsetlesporteràleuraccomplissement.36.Lettre àBenoit d’Azy,20 juillet 1829,A.P.LAVEILLE,UnLamennaisinconnu.LettresinéditesdeLamennaisàBenoitd’Azy,Paris,Perrin,1898,p.237.37. Lettre au baron Vitrolles, 11 mai 1830, E. FORGUES (dir.),Correspondance inédite entre Lamennais et le baron de Vitrolles, 1819-1853,Paris,Charpentier,1886,p.199.38.Cf.L’Avenir,27janvier1831.39.Ibid.,28juin1831.40.Cf.«L’oppressiondescatholiques»,ibid.,26novembre1830.41.Ibid.,12février1831.42.Ibid.,28et30juin1831.43. Lamennais présente une forme de joachimisme immanentisé, avec sonannonced’une èrenouvelle du christianisme (F.R.DELAMENNAIS, « Lepape»,L’Avenir,22décembre1830),lieud’uneseconderégénération.Pourunapprofondissement,dansunessaicritique,d’autresaspectsanaloguesdela vision deLamennais, cf. J.H.NEWMANN, « Fall of deLaMennais »,Essayscriticalandhistorical,vol.I,Londres,MontaguPickering,1872,pp.102-142.44.Decettevisiondériveen substance leprojetdeconstitutionde«partischrétiens»etlaprétentionàréformerl’Égliseàpartird’uneapprochebaséesurle«programme»d’unparti(ausensmoderneduterme).45. La cause catholico-libérale, alimentée sur le fond par le mythe duprogrès,entenducommedéveloppementqualitatifdel’histoireestidentifiéeparLamennaisausalutdelareligion(cf.L’Avenir,7avril1831).46. Cf. Félicité DE LAMENNAIS, Paroles d’un croyant, Paris, Agora-Pocket, 1996. L’auteur y théorise, avec des tonalités messianico-progressistes, commebut finalde l’histoire atteintpar l’actiondespeuples,

Page 60: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 61: Église et politique

accomplie à travers une mutation révolutionnaire qui atransforméunenationordinaire,lesÉtats-Unis,enunereligionuniverselle,évangéliqueetrédemptrice.

La notion de l’Amérique considérée comme une religionrédemptrice a vu le jour avec le projet des Pilgrim FathersdésireuxdefuirunevieilleEuropequ’ils jugeaientcorrompue,afin de construire une nouvelle Jérusalem qui éclairerait lemonde.Lesnombreuxpuritains,quiparlasuiteperdirentlafoidans le Dieu des chrétiens, la reportèrent sur le système depensée des Lumières modérées, voyant l’œuvre divine dans lanaissance du nouveau régime américain. Abraham Lincolnrenforça considérablement ce processus de divinisation de lanation en réitérant avec insistance l’appel, lancé à plusieursreprises auparavant, à la création d’une religion civile quisoulignerait le caractère sacré de l’expérience américaine.LincolnaspiraitàconserverlesouvenirdesPèresFondateursetles documents fondateurs, c’est-à-dire la Déclarationd’IndépendanceetlaConstitution,dansdestemplesséculiersoùbrûleraienten leurhonneurdes flammeséternelles.Sa religioncivileprêchaitlemessageselonlequelàtraversl’AmériqueDieuetlesFondateursavaientréalisé«l’ultimeetleplusbelespoirde l’humanité » d’un ordre social pacifique et de libertéindividuelle5.

Malheureusement,lafoidansl’Amériquedissimulaitlefaitquel’ordresocialqu’elleétablissaitavantageaitlesindividusetlesfactions lesplusdominantset lesplusrésolusaudétrimentde ceux qui continuaient de respecter les règles prétendumentinchangées du « sens commun » que le système prétendaitdéfendre.Onconciliait la libertéet lapaixmaisenmettantenplaceunpseudoordrequiassuraitenfaitletriomphedufortsurle faible. Les plus puissants, qui pouvaient toujours changer,

Page 62: Église et politique

interprétaient comme ils l’entendaient la volonté desFondateurs, l’« intention originelle » des « écritures »fondatrices, ainsi que, pour apaiser le sentiment religieuxtoujours ancré chez les Américains, la volonté de Dieu elleaussi.

Démasquer les différentes influences souvent contra-dictoires derrière cette victoire exige une étude doctrinale,philosophique, historique, sociologique et psychologiquecomplexeet approfondie.Lescitoyens«véritablement» libressubissaientunepressionqui lesempêchaitdese livreràuntelexamen.Nonseulementlesporte-paroledelanouvellereligioncivile la condamnaient-ils comme une entreprise déloyale ethostileàl’égarddelapatrie,mettantendanger«l’ultimeetplusbel espoir de l’humanité »,mais ils insistaient sur le fait quecelaétait intrinsèquement irréalisable.Carune foisdeplus,cen’étaitpaspardesétudesspirituellesetindividuellesporteusesde division que l’on pourrait parvenir à la paix sociale et auxbienfaitsde la libertéets’assurer labénédictiondeDieu,maisseulementparunedémarchepragmatique6.

Ce fut au cours des années 1890 que l’entreprise« missionnaire » consistant à apporter « l’évangile » de cettereligion américaine civile pragmatique s’est développéeconsidérablement. Les déclarations du président WoodrowWilson en 1917-1918 lors de la Première Guerre mondialeconcernantledesseinquel’Amériqueentretenaitenintervenantdans le conflit rendirent la réalité de cette « volontéévangélisatrice » évidente même à ceux auxquels elle avaitéchappéauparavant.Ilestvraiquecetteentreprisemission-nairefaiblitdanslesannéesvingtettrente,principalementparcequele pays entendait éviter toute contagion qui aurait pu êtrecontractée lors de son engagement au côté d’une Europe

Page 63: Église et politique

révolutionnaireetimpiedéchiréeparlaguerre.Maislasituations’étaitmodifiéelorsqueéclatalaSecondeGuerremondiale,etlepeuple américain prit à son compte et assuma cette « œuvremissionnaire»,l’Amériqueétantleguidedel’universetdevantapporter la lumière jusqu’aux endroits du monde les plusobscursetlesplusreculés.

Dorénavant,denombreuxhabitantsduvieuxmondeanéantisemblaientpensereuxaussiquelemessagedel’Amériqueétaitincontournable. Après tout, pour la plupart des hommes, lavictoiresuffitpourdissipertouslesdoutessubsistantquantàlasupérioritédetoutconquérant.Deplus,ceconquérantaméricainvenaitaveclesoutienenthousiastedesescitoyens,dontcertainsétaient de fervents chrétiens et cette nation avait la réputationd’apporter l’ordre, la liberté et une prospérité sans limite aux« épuisés, aux déshérités, aux masses blotties, aux pauvres,rejetés,éprisdeliberté7.»

Lecatholicismeetlecredopluralisteaméricain

LesthéoriesdesLumièresmodéréesontexercéuneprofondeinfluence sur le catholicisme auXVIIIe siècle, et beaucoup dedirigeants politiques furent convaincus qu’il convenaitd’abandonner les querelles doctrinales et d’adopter une piétéfondée sur un sens commun prétendument issu de l’héritagemoral chrétien de l’Europe8. CependantRome ne salua pas lesystèmemisenplaceenAmériquecommelasolutionuniversellequi allait mettre fin à tous les troubles sociaux et politiques.Elle y était d’autant moins disposée qu’elle fit preuve d’unregainderigueursurlesquestionsconcernantledogmeaucoursdu XIXe siècle. Le Saint Siège était certainement satisfait deconstater que la Constitution américaine lui garantissait la

Page 64: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 65: Église et politique

accusations sont irrationnelles, ces catholiques se trouventcondamnés pour leur naïveté, leur cynisme et leur manque depragmatisme et se voient dénoncés par les inquisiteurs dumagistère pluraliste qui n’hésitent pas à recourir contre eux àtoutes lesarmesqu’ilsontà leurdisposition.Ilestévidentparexemplequeremettreencauselesystèmeaméricainconstituedeleur part une atteinte au patriotisme. On peut également lesdénoncercommedesennemisduseuletuniquesystèmegarantdelapaixetdelaliberté,donccommedesfauteursdetroubles,comme des fascistes, des antisémites, des fomenteurs degénocide, des terroristes, ou tout simplement commedes fous.Peudecatholiquessemontrentasseztémérairespourcontinuerde se battre dans de telles conditions et ceux qui le fontdécouvrent que le matérialisme encouragé par ce systèmepluralisteleurrendlatâchebiendifficile,etmêmelesopposantsles plus déterminés s’y épuisent.Dans un système de ce type,résister demande déjà une telle persévérance pour survivre quemêmedetelsopposantsnetrouventpaslaforcedecritiquer lepluralismeetlareligioncivile.

L’impasseetl’issue

LapratiquepastoralevoulueparleConcileainévitablementcontribuéàaffaiblirl’autoritédel’Égliseainsiqu’àredéfinirladoctrine et la tradition pour les adapter à la « volonté » desforces politiques dominantes que ce soit aux États-Unis, ouailleurs. Cette « volonté » a pris un caractère de plus en pluslibre,criminelet idéologique, toutàlafoisdansl’Ancienet leNouveauMonde.Commeilétaitprévisible,letriomphedecette«volonté»s’estaccomplilorsquel’avènementd’unnouvelâgede la raison, de la liberté et de la spiritualité catholique a été

Page 66: Église et politique

proclamé. Et comme on pouvait le supposer, les mesures« pragmatiques » et « pastorales » qui permettaient aux plusdéterminésd’imposerleurvolontéontprisvaleurdedogmes.

Selon lemoded’actionde ladoctrinepluralisteaméricaineclassique rendue d’autant plus forte qu’elle s’appuie sur unerhétorique personnaliste, cette victoire désastreuse du point devue pastoral, d’individus irrationnels et passionnés et decommunautés partisanes étrangères au catholicisme, estconsidéréecommelesignedelavolontéduSaint-Esprit.Touteanalyse critique de cette affirmation et de ce qu’a pu faire leConcile, ou de ce qui en a résulté, a été rejetée commenaïve,manquantderéalisme,voirecommecynique,impieetfolle.Demêmetoutevelléitédecomprendrecequiestarrivéàl’ÉgliseduChristaétérendueimpossibleparlefidéismedestenantsdeladoctrine pluraliste. Ils ont exigé que le catholicisme remplaceuneréflexionsérieuseparlessloganshabituelsdenécessité,depragmatisme,depaix,delibertéetd’ouverture.Ilsnepermettentpasquesoientapportésdesélémentspermettantdecomprendrela véritable autorité du Concile ou de le placer dans laperspective historique offerte par les Pères de l’Église, par deprécédentesréunionsœcuméniques,parlesjugementsdespapesaucoursdepresquedeuxmillénairesoupar levénérabledroitcanon.Ilspermettentaumieuxquel’onregrettequelevéritablepluralisme n’ait pu s’épanouir pleinement. Mais pour quetriomphe sa volonté, le pluralisme exige partout et toujours lesuicidecultureletreligieux.

Les personnalistes actifs durant le Concile ont peut-êtreœuvrédeconcertaveclespartisansdusystèmeaméricain,maisen réalité, ils ont préféré utiliser la liberté qu’ils leurpromettaientpoursoutenir les«mystiques»marxisteset tiers-mondistes dans la construction de l’Église postconciliaire. Detelles«mystiques»ontétéfavoriséescarlespersonnalistesqui

Page 67: Église et politique

neprônaientpasdirectementl’individualismeradicaldumodèleaméricain voyaient plutôt l’œuvre du Saint-Esprit dans lescommunautésfortes.Pourtant,lespersonnalistesontpropagélevirus de l’individualisme révolutionnaire. Ils portaient en euxcette vision prophétique héritée de l’abbé de Lamennais etsouhaitaient inspirer ces mouvements en faveur desquels ilsprétendaient se contenter de témoigner.Malheureusement poureux,ilssesontaffrontésàl’oppositionfarouched’apparatchiksmarxistesetdedictateursdutiers-monde,etàcelleencoreplusfortedemusulmans,depaïensetdebiend’autresencore16.

Pendantce temps-là, lespartisansdumodèleaméricainontprisdeplusenplusconfianceeneux.Celaestvraipourtoutesles « écoles»depenséede sa théologie civile, qu’elles soientconservatrices, libérales, néoconservatrices ou libertariennes,toutes ayant débattu de la nature précise de la paix et de laliberté pragmatique que ses dogmes apportaient.Le pluralismeaméricain avait rendu le catholicisme impuissant, mais il aconvaincul’Égliseuniversellequ’un«CatholicMoment»,une« heure du catholicisme », selon le terme employé par leRévérendJohnNeuhaus,étaitvenued’adopterlesprincipesdesLumièresmodérées.Ilavaitconvertilesapparatchiksmarxistesàune forme de matérialisme plus lucratif en leur trouvant desnichesdanslesfirmesmultinationalesetdanslecrimeorganisé.Désormais,lespartisansdumodèlepluralisteaméricainsesontenthousiasmés à l’idée que la défaite de l’islampermettrait demettreuntermeàtoutespritdedivisionetdetoutintégrerdansun Empire mondial culturel où règnerait la paix. L’aube d’unjouroùtoutlemondeauraitoubliéqu’ilexistaitautrechosequele message de libération de l’Amérique approchait. La fin del’histoirearrivait.

On ne s’étonnera donc pas du fait que les personnalistes

Page 68: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 69: Église et politique

Commeonl’aévoquéplushaut,c’estautempsdupontificatdePieXquefutélaboréeunestratégiequiprévoyaitlerecoursàla société civile pour combattre l’État moderne. En d’autrestermes, on eut recours à la démocratie pour combattre lelibéralisme. À cette époque-là, la société civile des différentsÉtatseuropéensétait(encore)profondémentcatholiqueetl’État(qui ne jouait alors qu’un rôle de gendarme) n’était pas enconditiondeladominer.Onpensaparconséquentavoirrecoursaux peuples pour combattre l’État. Pour atteindre un tel but,cependant, il fut nécessaire d’utiliser un instrument de lamodernitépolitique (ladémocratie),pourcontenir leseffetsdela modernité politique elle-même, c’est-à-dire du libéralisme.Mais, ce faisant, un message s’est répandu, dont lesconséquences ne furent visibles que postérieurement : ladémocratie,àlaquelleconduitnécessairementledéveloppementdulibéralisme,apparutcommeuneconquête,autrementditunevaleur à poursuivre et, une fois atteinte, à défendre. Lesdistinctions faites à ce propos par lemagistère –LéonXIII etsaintPieXlui-même–sontrestéespeuconsidérées.Lesécritsdes intellectuels (comme, par exemple, Giuseppe Toniolo) necontribuèrentpasàclarifierlaquestion.Distinguantdémocratieetdémocratie, ilsaffirmèrent,danslesillagedel’enseignementde Léon XIII, que la démocratie n’avait pas à être considéréecomme un concept politique mais devait être seulementappréhendée comme une action chrétienne au bénéfice dupeuple.Cequiestrestéaétéexactementcequ’onnevoulaitpaset qui, sous le pontificat de Pie X, avait été explicitementcondamné.

Pie XII, pour sa part, a dirigé l’Église à un moment del’histoire particulièrement difficile. La Seconde Guerremondiale, menée comme une croisade pour imposer ladémocratie (il suffit de penser auxœuvres « américaines » de

Page 70: Église et politique

Maritain), a signé lavictoirede laculturepolitiquedematriceprotestante, intrinsèquement moderne. L’américanisme seprésentaitalorscommeunemodernitéàvisagehumain,commeunrégimequiaccordait–aumoinsenapparence12–undroitdecitéàtous,àtouslesmouvementsetàtouteslesÉglises.C’étaitun peu comme l’œuf de Colomb : après tant de conflits etd’oppositions (y compris à l’intérieur des États), après lesidéologies fortes,une solution indoloreétait àportéedemain,permettant d’éviter des guerres civiles transformées en guerresreligieuses, comme cela avait été le cas quelques annéesauparavantenEspagne.PieXIIsoutenaitencorel’Étatchrétien,c’est-à-dire reposant sur un ordre juridique fondé sur le droitnaturelclassiqueet,decefait,respectueuxdecelui-ci.Le«casitalien » et la tentative répétée et désespérée d’obtenir uneconstitution catholique pour la nouvelle République italienne(1946)en sont lapreuve13.Le projet ayant échoué,PieXII sereplia sur une stratégie moins ambitieuse qui se révéleradésastreusedanslesfaits,quecesoitdupointdevuereligieuxousurleplancivil.Eneffet,ellefavorisal’illusiondepouvoirinfluerdemanièredéterminante sur les choixduParlement et,enparticulier,surlesmodalitésd’applicationdelaconstitutionlibérale de la République italienne, en ayant recours au partiuniquedescatholiques,laDémocratiechrétienne,soutenuparleclergé comme s’il était le parti catholique par excellence. Lamêmestratégieéduquaprogressivementmaisinéluctablementlescatholiquesaurelativismelibéralselonlequellecatholicismeetlemême droit naturel classique constituent une opinion parmidenombreusesautrespossibles.

Le zèle du clergé et, plus généralement, des catholiquesitaliensenarrivaàcensureretàprétendrecorriger lemagistèrepour « l’adapter » à la nouvelle situation et aux exigences de

Page 71: Église et politique

celle-ci.Unemaisond’éditioncatholique telleque leséditionsPaoline considéra comme opportun de faire précéder d’unavertissement la publication de l’encyclique de Léon XIIIGraves de communi, sur la démocratie, affirmant quel’enseignement de Léon XIII ne devait plus être considérécomme valide14. La démocratie moderne, c’est-à-dire ladémocratie politique ou la démocratie comme fondement dugouvernement,devaitdésormaisêtreconsidéréecommel’uniquerégime légitime. L’exemple montre que le passage descatholiquesavecarmesetbagagesàlamodernitéétaitdésormaisfaitaccompli,principalementcommefruitde l’actionpolitiqueduSaint-Siège,laquellefutcertainementdéterminéesurlabasede la distinction (employée et promue par les jésuites) entrethèse et hypothèse mais qui a tout simplement fini partransformerl’hypothèseenthèse.

Les intellectuels catholiques ont contribué de manièredéterminanteàcettetransformation.Certainsd’entreeuxsesontsentisappelésà« justifier»pardesargumentsoudespseudo-argumentsl’effectivité,autrementditdeschoixdéjàfaitsoudessituationsde fait.Qu’on songe,par exemple, à la contributionde ces intellectuels qui, en Italie, s’engagèrent pour justifierl’opération Sturzo de 1919 et l’opération Montini/Pacelli de1946/1948;ouencore,àl’opposé,àceuxquitentèrent,surtoutaprès 1929, d’inciter les catholiques à « lire » le fascismecommeunretourauMoyenÂge.Certains,commeparexempleMaritain, tentèrent en apparence de prévenir l’effectivité, ens’attachant à élaborer des théories qui ont pu servir à créer denouvellessituations.Au-delàdesintentionssubjectives,iln’yapasdedoutequelamajoritédesintellectuelscatholiques(àderaresexceptionsprès)firentpreuvedansl’unetl’autrecasd’uncomportement«clérical»,sil’oncomprendpar«cléricalisme»

Page 72: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 73: Église et politique

celle-cisoit–enapparencedumoins–celledel’américanismepolitiqueoucelledeladoctrinepolitologiquequiperçoitl’Étatcomme un processus. Dans l’un et l’autre cas, cependant,apparaissentdescontradictionsetdesapories.Ilestparexempledifficilepourlesenscommundecomprendrecommentonpeutparler devaleurs lorsque celles-ci dépendent uniquement de lavolonté de la personne. Tout choix personnel serait-il unevaleur?Sioui,lesvaleursseraientautantdeflatusvocis.Onnepourrait pas parler, entre autres, de valeurs non négociables.Autrequestion : comment l’ordre juridiquepourrait-ilprotégeret garantir toutes les croyances ? Il ne serait pas à proprementparlerunordre,ilseraitmêmeunecontradictiondanslestermes,sefaisantlegarantdel’anarchiecommevaleur.C’estpourcelaque la laïcité positive serait la garantie assurée du nihilismeéthique et politique puisqu’on lui demande de ne pas êtreporteusedequelqueordre identifié sur leplan théorétiquequecesoit.

On peut comprendre la genèse de cette proposition si l’onpensequelaculturecatholiquea(justement)combattulalaïcitéforte de l’Étatmoderne.Cependant, confondre le succédanéetlaréalitéestuneméprise.La laïcitéforte,eneffet,aeueta laprétentiondecréerl’ordreàpartirdusystèmejuridiqueformel.Ellea refuséet refusede fairede l’ordre juste laconditiondusystèmejuridique.

La théorie de la nouvelle laïcité (cardinal Scola) est pluscomplexe. Elle semble faire sienne avant tout et en dernièreanalyse une définition de la démocratie comme fondement dugouvernement. La démocratie serait une méthode, mais seraitsurtoutlasource(dupointdevuedelaméthode)delalégitimitédans l’exercice du pouvoir considéré comme politique. Lapolitique,ainsi,neseraitpaslascienceetl’artdubiencommun,mais le pouvoir exercé sur la base de règles « partagées ».

Page 74: Église et politique

Celles-ci,àleurtour,neseraientpasdesrèglesàpartagerentantquerèglesmaisneseraientdesrèglesqueparcequ’ellesseraientpartagées. Le consensus, entendu en un sens moderne commeadhésion commune à un projet quelconque – la référence à laconstitutionen tantquecritèreultimeestsignificative–,seraitlasourcequilégitimelepouvoir.Pourêtreencoreplusclair,ladémocratieseraitensoietpoursoisourced’unevéritéquiseraitpurement relative et provisoire : la décision de la volontépopulaireseraitàconsidérercomme«rationnelle»nonpassurle fondement d’arguments mais sur la base de l’identitésociologique ou bien, si cela n’est pas possible, sur l’égalecompositiondesdifférences.

Lanouvellelaïcitésemblefairesiennela théoriedel’ordrecommerésultatd’uneconfrontationet,parfoisetmêmesouvent,d’une lutte. L’ordre, en d’autres termes, serait le produitprovisoiredelasuspensionmomentanéeduconflit.Lesdroitsetdevoirs,parconséquent,neseraientpas ladéterminationdecequi est juste, mais seraient au contraire ouverts de manièremouvanteàlavolontédel’identité(critèredel’unanimité)ouaucompromis entre les différences (critère de la majorité). Ilsseraient caractérisés par un historicisme sociologique rendupositifàtraverslesnormes,comprisescommesimplevolontédupeuple et rendues effectives par la puissance de l’État. Pourcomprendre la ratio de cette théorie et pour saisir lesnombreusescontradictionsqu’ellefavorise, le«casespagnol»est un exemple particulièrement utile. L’Espagne, en effet, àpartirde1978,auneconstitutionquireconnaîtexplicitementaupeuple la souveraineté (le pouvoir de décider en suivant uneméthode démocratique dans le cadre d’une démocratieimmanente) et assigne formellement à l’État le devoir de«servir» lepeuple,enassurantunemiseenœuvreeffectiveàsesdécisions.Onpeutalorsposerlaquestion:lesdécisionsdu

Page 75: Église et politique

peupleespagnolont-elles toutesété«rationnelles»?Divorce,avortement, « mariage » entre homosexuels, etc., sont-ils desdécisions ou des compromis acceptables rationnellement ?Commeonlevoit,lathèseselonlaquellel’arbitreducompromiscommeloisuprêmedel’actionpolitiquenepeutêtreendernièreanalysequelepeuple,commel’écritlecardinalScola40,estuneaffirmation qui pose de nombreux problèmes. Elle apparaîtcaractériséeparunirrationalismesubstantielquiprétendaccéderau rang de la rationalité en vertu d’une procédure totalementinadaptéeàtransformersanature.

Lanouvelle laïcité semble êtreun instrumentutilisépar ladémocratiemodernepoursubordonnerlasociétécivileàl’État,vu nécessairement comme État moderne. Elle ne prendaucunementencompteleproblèmedelacommunautépolitique(quipeutprendreladénominationd’Étatdemanièreimpropre).Cequiapparaît,parconséquent,c’estl’abandonpotentiellementdéfinitif de l’approche de la politique comme une scienceéthique. Il en découle une attitude négative à l’égard nonseulementdel’État(cequiestcompréhensibledanslatraditionculturelle politique catholique, à cause de la modernitépolitique) mais aussi et surtout de la politique commeinstrument pour conduire les hommes au bien. Cette attitudenégative est un obstacle majeur pour faire de la communautépolitique l’instrument de l’affirmation du droit commedétermination de ce qui est juste. En d’autres termes, cetteattitude ferme toute possibilité de penser à un ordre éthique àdécouvriretàrespecteret,parconséquent,unefoisdécouvert,àgarantirégalementparlebiaisdel’ordrejuridique.Lanouvellelaïcité,contrairementàcequedisentcertainesanalyses,estuneformedenihilismepositif.

Page 76: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 77: Église et politique

diversité,commemanifestantuneprétention théocratique,estapriori totalement paradoxal. Pourtant, on voudrait montrer icique,deJ.B.MetzàRadicalOrtodoxy,enpassantparlacritiquede toute théologie politique affirmée par Erik Peterson, c’estbien, du moins en arrière-plan, une conception erronée desrapports entre ordre théologique et politique qui se dessine,conception qui n’est pas si éloignée du marcionisme qui a sifortement imprégné la version schmittienne de la théologiepolitique6.Unetelleaffirmationméritequelqueexplication,quipasseraparunrapidedétourparMetzetPeterson.

Metzprendcommepointdedépart ladéprivatisationde lareligion : il récuse en effet la distinction, voulue par lelibéralisme et poussée à son extrêmepar lemarxisme, entre lepublic et le privé, dont la religion ne devrait pas sortir7. Lesconséquencesqu’iltiredecetteaffirmationsontcependanttrèsambiguës. D’une part, il est affirmé que le processus desécularisation constitue paradoxalement la victoire, sous uneformeparticulière,duchristianisme ; ainsi lamodernité aurait,tout en le déniant, étendu considérablement l’application desnotionschrétiennes–manifestantainsi,par-delàl’émancipationthéorique, la subordination pratique de la politiquemoderne àl’ordrereligieux.D’autrepart,JohannBaptistMetzanettementune conception « pan-politique » de la religion, consistant àaffirmer que c’est l’ensemble des activités et organisationshumainesqui sont, de fait et non seulementdedroit, irriguéesparl’ordrereligieux.Plusexactementilveutaffirmerquetoutethéologieesteffectivementpolitique:sonsujet«esttoujoursunêtre politique par son enracinement dans l’histoire et lasociété8. » Mais il reste sur le seuil : l’enracinement« politique » de la foi ne signifie pas que sa « réalisation »politique relève du moment présent, mais qu’elle est toujours

Page 78: Église et politique

dansunetensioneschatologiquequiempêchedeconsidérerquele Royaume de Dieu puisse coïncider avec une quelconqueorganisation politique, par essence provisoire, qui seraitchrétienne.Si,commelevoulaitsoninsertiondansuncontextepolitiqueetthéologiquequiapparaîtaujourd’huitrèsdaté,cetteappréciation visait d’abord, comme Maritain quoique sur unautreregistre,àrécusertoutepossibleréalisationpolitiquedelaChrétienté, cette option théorique de Johann Baptist Metzempêchede laqualifier réellementde théologiepolitique,maisamèneplutôtàlarangerparmilacatégoriedumoralismesocial,à défaut pour son auteur de pousser son raisonnement à sonterme,quil’amèneraittoutdroitdansl’ordredelathéocratie9.Ilyaeneffet,chezMetz,uneambiguïtéquirévèle,aufond,unenostalgie certaine du cléricalisme : bien qu’affirmant le rôle« politique » de la théologie, il cantonne la religion au rôled’instance critique. Cette position de retrait, justifiée parcontraste avec les théologiens souhaitant uneinstrumentalisation de la religion dans les luttes politiques(spécialementdanslecontextedelathéologiedelalibération),l’amène ainsi à séparer les légitimités : celle de la pratiquepolitique,quinepeutêtrequestionnéedirectementmaisdontlareligion doit se tenir à distance ; celle de la religion, dont lecaractère pratiquement politique est également affirmé, sur unregistrequinecroisedoncpaslapolitiquepratique.

Ceraisonnementestpousséplusavantchezcertainsauteursde Radical Orthodoxy10. La théologie politique de ce courantanglo-saxon,apparuàlafindesannées1990,estenfaitunpan-théologisme, absorbant toute réalité sociale : ce ne sont plusseulementlesconceptspolitiques,maisl’ensembledessciencessociales qui seraient la sécularisation des conceptsthéologiques11. Résolument postmoderne, Radical Orthodoxy

Page 79: Église et politique

est aussipost-séculier : la sécularisation serait l’héritèred’unethéologiedévoyée12,etcen’estqu’enreplaçantlathéologieaucentre, parce que « pleinement consciente de sa responsabilitésociale13 », qu’il serait possible de la dépasser. Maisl’affirmation du rôle social de la théologie, et plus encore del’actionliturgique14,amènelesauteursdeRadicalOrthodoxyàunecritiquethéologique(radicale)dupolitique,etenl’absencede toute réflexion réelle sur le caractère propre de l’identitépolitique, à l’affirmation de l’hégémonie du théologique surl’ensemble de la vie sociale – et in fine à la négation de lapolitique:la«théocratie»n’estpasloin.

La conception du rapport entre théologie et politiquedéveloppée, à la fin des années 1930, par Erik Peterson estincontestablement plus mesurée, tout en conservant unradicalisme à l’égard de l’annexion politique de la théologiedéfendue par Carl Schmitt. Théologien d’origine protestantemais converti au catholicisme au tout début des années 1930,amideCarlSchmitt,ilsuitunevoieopposéeàlasiennelorsquele nazisme arrive au pouvoir : alors que le juriste se rallie aunouveau régime, Peterson critique la collusion entre leschrétiens et le nazisme et se réfugie en Italie. Ce contextespécifiqueestindispensablepourcomprendresonpropos:plusqueladéconstructionduconceptdethéologiepolitique,c’estlacollusion entre le christianisme et les autorités politiquesillégitimes qui est l’objet de son argumentation. Mais il fautbienavouerquePetersonaparfoistendanceàforcerletrait,aupoint que la critique peut sembler viser toute relationinstitutionnelleentreordrepolitiqueetordrereligieux.

Pour Peterson en effet, la collusion entre le pouvoir etl’Égliseconstitueunesortedeparenthèsehistorique.Contreladivinisationde l’Empereur,et lecultequidevait luiêtre rendu

Page 80: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 81: Église et politique

13.FranckDAMOUR,loc.cit.,p.802.14.William T. CAVANAUGH, Eucharistie et mondialisation, Genève, AdSolem,2001.L’auteurreprend,enl’inversant,laméthodedelathéologiedelalibération,tendantàconfondrelaréalitésacramentelle(lefruitsurnaturel,la«res»del’eucharistieétantlaconstitutionduCorpsmystiqueduChrist)etlaréalitésocialenaturelle,unifiéeparl’ordrejustepermettantd’atteindrelebien commun propre à chaque communauté, et tendant au Bien commununiversel. Il en tire une sorte de mixte théologico-politique, uneinstrumentalisation des communautés chrétiennes locales transformées enmicro-sociétéspolitiquesconfessantes.15. Erik PETERSON, Le monothéisme, un problème politique, Paris,Bayard, 2007, p. 120-121. Peterson ajoute, au terme de l’ouvrage : « Ladoctrine de la monarchie divine ne pouvait que se heurter au dogmetrinitaire, et l’interprétation de laPax Augusta à l’eschatologie chrétienne.Ainsi se trouve non seulement réglée la question théologique dumonothéismecommeproblèmepolitique,etlafoichrétiennelibéréedesonlien à l’Empire romain,mais aussi fondamentalement accomplie la ruptureavec cette “théologie politique” qui abusait du message chrétien pourlégitimerunesituationpolitique.»16.ErikPETERSON,Témoindelavérité,Paris,AdSolem,2007.17.Ibid.p.100.18.DidierRANCE,IntroductionàTémoindelavérité,op.cit.,p.50.19. Didier RANCE, ibid., p. 42, développant l’opposition entre Schmitt etPeterson.OntrouveuneapprochesimilairechezleCalJosephRatzinger,enréférence explicite à Peterson. « Le monothéisme chrétien […] devaitrevendiquerpubliquementuneidentitéjuridique,fût-elleseulementnégative.End’autrestermes,ildevaitréclamerledroitderefuserlecaractèrereligieuxdu droit public en vigueur. En ce sens, aussi restreint qu’ait pu être àl’originelenombredesesfidèles,lechristianismearevendiquédèsledébutunesituationdedroitpublicets’estétabliàunniveaujuridiquecomparableà celui de l’État. Pour cette raison, la figure du martyr se situe dans lastructure intérieureduchristianismemême» (JosephRATZINGER,Église,œcuménismeetpolitique,Paris,Fayard,2005,pp.280-281).20.ErikPETERSON,op.cit.,p.84.21.Ibid.,pp.122-123.22.Voir en particulier JürgenHABERMAS,Entre naturalisme et religion.Les défis de la démocratie, Paris, Gallimard, 2008, et Charles TAYLOR,L’âgeséculier,Paris,éd.duSeuil,2011.

Page 82: Église et politique

23. Pour une présentation rapide de ce thème, voir Myriam REVAULTD’ALLONES, « Sommes-nous vraiment “déthéologisés” ? Carl Schmitt,Hans Blumenberg et la sécularisation des temps modernes », Les étudesphilosophiques,n°68,2004,p.25-37.24.Aurisquedeprendreunraccourciforcémentcaricatural,onpourraitdirequelepost-sécularismeestlapost-modernitédelasécularisation:commentprendreacteàlafoisdel’échecdelamodernitéàreléguerlareligionaurangdesvestigesdupassé, toutenne lui redonnantpas laplacequ’ellepouvaitavoiravantsonrejetdanslasphèrepersonnelle?EnEurope,cedébataprisunreliefparticulier,après lesdiscussionsautourdesracineschrétiennesducontinent, depuis l’adoption du Traité sur le fonctionnement de l’Unioneuropéenne, dont l’art. 17-3 affirme l’exigence d’un « dialogue régulier,ouvertettransparentaveclesÉglises,lescommunautésreligieusesainsiquedesorganisationsphilosophiquesetnonconfessionnelles».VoiràcesujetlecolloqueL’Europeetsesreligions.Impliquerlesreligionsdansledialogueeuropéen,Nantes,14-15mars2013(actesencoursdepublication).25. Voir par ex. Jacqueline LAGRÉE et Philippe PORTIER (dir.), Lamodernité contre la religion ? Pour une nouvelle approche de la laïcité,Rennes, PUR, 2010 ; Micheline MILOT, Philippe PORTIER, Jean-PaulWILLAIME(dir.),Pluralismereligieuxetcitoyenneté,Rennes,PUR,2010;etsurtoutJean-ClaudeMONOD,Laquerelledelasécularisation.Théologiepolitiqueetphilosophiesde l’histoiredeHegelàBlumenberg,Paris,Vrin,2002.26.V.enparticulierYves-CharlesZARKA,(dir.),CarlSchmittoulemythedu politique, Paris, PUF, 2009. Voir également Jean-Claude MONOD,« Schmitt et le problème du Léviathan : de la théologie politique à lamythologie antisémite », Critique, nov. 2003, pp. 803-811, même si,contrairementàY.-C.Zarka,J.-C.Monodnes’interditnullementdeprendreausérieuxl’œuvredeCarlSchmitt.27. Carl SCHMITT,Théologie politique, I (1922), trad. fr. J.-L. Schlegel,Paris,Gallimard,1988.28.Ibid.29.Jean-ClaudeMONOD,Laquerelledelasécularisation,op.cit.30.HansBLUMENBERG,La légitimitédesTempsmodernes (1966), Paris,Gallimard,1999.31.Ibid.,p.135.32.Ibid.,p.136.33. Karl LÖWITH,Histoire et Salut. Les présupposés théologiques de laphilosophiedel’histoire[1953],Paris,Gallimard,2002.

Page 83: Église et politique

34.Ibid.,p.21.35.Ibid.,p.90.36.Ibid.,p.41-42.37.Desdifficultésavec laphilosophiede l’histoire [1973],Paris,2002,éd.delaMaisondessciencesdel’homme.38.Op.cit.,p.6.39.Ibid.,p.9.40.Ibid.,p;10.41.Ibid,pp.4-5.

Page 84: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 85: Église et politique

lui-même consacré, c’est-à-dire à la personne humaine. Lacommunauté perd sa vraie nature et n’est plus un bien sitôtqu’elle cesse de se dévouer tout entière à la personne et à sesdroits. La communauté personnaliste est une communauté dedroitsetnonplusunecommunautédebien:cesontdesdroitsdont ses membres ont en commun de jouir chacun pour soi-même,nonunbienauquel ilsœuvrentensemblecommeà leurfincommune.SiDieuestaucentredel’homme,iln’estpasaucœurdelasociété.

Maritain n’est pas l’inventeur de la liberté de conscience,mais il apuissammentcontribuéà sonessordurant la secondemoitié du siècle passé. Elle est, bien entendu, le premierimpératif de la société pluraliste et démocratique qu’il appellede ses vœux et qu’il qualifie de « vitalement et réellementchrétienne».«Parcequel’objetimmédiatdelacitétemporelle,écrit-il, est la vie humaine avec ses activités et ses vertusnaturelles, et le bien communhumain, non la vie divine et lesmystèresdelagrâce,unetellesociétépolitiquenerequerraitpasde sesmembresuncredo religieuxcommun22. »«Dans laviesociale, insiste-t-ilparailleurs, il imported’affirmeravecforcece qu’on a coutume de désigner sous le terme de liberté deconscience.L’adhésionà la religionestunactedeconscience,qui doit se soumettre aux dictées de la raison et aux lumièresdivines23. » L’absolue dignité de la personne s’assortitnécessairement de l’absolue dignité de la conscience, et latranscendancedelapersonneestcontreditesil’onnereconnaîtla conscience souveraine dans le choix des fins. La personnetranscende la société parce qu’à l’image de Dieu elle estesprit24. Écouter sa conscience c’est écouter l’image du verbedivin.Detellemanièreque«ceuxquinecroientpasenDieuouquineprofessentpaslechristianisme,sicependantilscroientà

Page 86: Église et politique

la dignité de la personne humaine, à la justice, à la liberté, àl’amourduprochain,peuventcoopérereuxaussiàlaréalisationd’unetelleconception[personnaliste]delasociété,etcoopéreraubiencommun[…]25».

Ladignitédelapersonnehumaine,objetdelaRévélation,etpar suite « l’égalité des citoyens devant le droit et devant lestâches de la vie » nous commandent donc de placer notreespérance dans une « fraternité civique » qui elle-même« suppose non seulement la parenté résultant de notre originecommune,mais aussi, et plus profondément encore, […] cettefraternité où tous les hommes ont été constitués dans leChrist26»,que la foide l’Église,par tropexclusivedesautrescroyancesreligieusesetattitudesdelaconscience,nesuffitpasà fonder. JepuisainsihaïrDieuenmon for intérieur, je reste,pourvuquejecultiveparailleursdebonssentimentsàl’endroitdes êtres qui m’entourent, membre honorable de la citépersonnaliste.L’amitiécivique,commandéepar ladignitéde lapersonne,justifieimplicitementl’ennemiduChrist:etsiellenelejustifiequ’aupointdevuedesfinsnaturelles,cen’enestpasmoinsclairementtenirqueDieun’estpasenlui-mêmeunbiencommunauxmembresdelacitéterrestre.Siceluiquiblasphèmele nom de Dieu peut coopérer au bien commun, dumoins nepeut-il le rechercher comme tel qu’autant que Dieu y estétranger.Ladignitédelapersonneluivenantdecequ’elleestentantquepersonne«enrelationdirecteavecl’absolu»,sonrefusdelatranscendancen’ôterienàlasienne.

Il faut remarquer, à cet égard, le soin queMaritain met àrappeler « la nature proprement humaine du bien commun »,c’est-à-diresoncaractèreétroitementimmanent;«biencommunessentiellementhumain»,«c’estunbienpratique,cen’estpaslebienabsolu»,iln’estunbienquedansl’ordrepolitiquequi,

Page 87: Église et politique

s’il a « Dieu pour premier principe », n’en est pas moinsnaturellement l’œuvre de l’homme. Bien le plus élevé dans lacréationnaturelle,«centremétaphysique[…]enquelquesorteinépuisabled’existence,debontéetd’action», lapersonnenepeutpasnepasêtreenquelque sorte leprincipedubiendontelle bénéficie. « Prise sous l’aspect de sa générosité radicale,écritMaritain, lapersonnehumainetendàsurabonderdanslescommunicationssociales[…]»Ensorteque,sinécessairequesoit la société à la satisfaction des besoins de sa conditionincarnée, si lapersonnedemandeàvivre en société, c’est« enpremierlieuentantmêmequepersonne,autrementditenvertudesperfectionsmêmesquiluisontpropres[…]27»:«C’estàraisonmêmede lapersonnalitécomme telle,etdesperfectionsqu’elle comporte comme tout indépendant et ouvert, qu’elledemandeàentrerensociété;entellesortequ’ilestessentielaubiendu tout social […]de se reverserenquelque façonsur lapersonne de chacun », en vue de « la plus haute accessionpossibledespersonnesà leurviedepersonnesetà leur libertéd’épanouissement, et aux communications de bonté qui à leurtourenprocèdent28. »Autrementdit, lapersonneestbonneetgénéreuseàproportionqu’elleestépanouie,c’est-à-direqu’elleprotepourelle-mêmedelaredistributiondubiencommunquilui-mêmeprocèdedel’épanouissementdespersonnes.C’estence sens que Maritain dit de la personne qu’elle est, dans lasociété,«commeunmiroirdutout29»:letoutprocèdedesesperfections surabondantes et n’est, en somme, que son pâlereflet;laréalitéetlabontédelasociétésontdanslapersonne.Et c’est tout ce qu’il faut entendre dans l’idée que Dieu estprincipedel’ordresocial:pratiquement,lebiencommunn’estque l’effet de la « générosité radicale » de ladivine personnehumaine.

Page 88: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 89: Église et politique

hommesàs’aimerlesunslesautrescommeillesaaimés(c’est-à-direpourl’amourdeDieu),maisdeceque«lesindividusetlesgroupescultivententreeuxlesvaleursmoralesetsocialesetlesrépandentautourd’eux56.»

Dieuayantpourprincipaldésirlebien-êtredel’hommeici-bas,finitparêtrepensécommeimmanentàl’homme:Maritainvoyaitdanscequ’ilyadeplushumaindansl’hommecelamêmequi lerendsemblableàDieu ;à telpointque l’imagedeDieufinissaitparêtreplusadorablequelemodèleéternel;Jean-PaulII lui-même se montre très attaché à l’idée selon laquellel’humanitédel’hommeconstituecequ’ilyadedivinenluietenfaitleprincipeetlafindetoutbiencommun.Silacharitéestle plus souvent sécularisée en solidarité dans l’exposé de ladoctrine sociale de l’Église dont Mgr Minnerath précise, demanière très intéressante, qu’elle « n’est pasconfessionnelle57 », on peut redouter que la grâce ne soitprogressivementpenséecommeétrangèreaubiencommun.«Parsadoctrine sociale, écrit Jean-Paul II, [l’Église]cherche […]àguider leshommespourqu’ils répondent,ens’appuyant sur laréflexion rationnelle et l’apport des sciences humaines, à leurvocation de bâtisseurs responsables de la société terrestre. »C’est dans les sciences humaines qu’il paraît falloir cherchersecours.Sicelanesignifiepasqu’onrelèguetoutàfaitcharitéetprovidencedivine, lapréférencemarquéepour levocabledesolidarité introduit toutefois une certaine ambiguïté, comme sil’amourdel’hommeici-basétaittenupoursuffisant;Jean-PaulIIdit,eneffet,quec’est«aubanquetdelavieauqueltousleshommes sont également invités parDieu58 » sans qu’on saches’il s’agit de la vie future à laquelle tous sont appelés, ou laplénitudedelavied’ici-bastelleque,parhumanité,l’incroyantlui-même l’appelledesesvœux.Lagrâce,nousdit leConcile,

Page 90: Église et politique

«agit invisiblement»dans lecœurde touthomme,quellequesoitsareligion59(ainsilagrâcedeconversion);orJean-PaulIIinsiste:touthommeest«ensonforintérieur,alliéàlasagesseéternelle60. » Faut-il entendre que la grâce est devenuenaturelle?Onpeutenêtretenté,serappelantl’éminentedignitédelaconsciencehumaineselonMaritainquiyvoyaitpourainsidire l’image du Verbe divin. D’ « avant-goût de cetteconnaissancequidoitnousrendreheureuxdanslesièclefutur»,tellequeladéfinitsaintThomas,lafoidevientainsi,suivantlestermesdeMgrMinnerath,«unappelàplacersurunhorizondesens global les efforts pour comprendre ce qui est juste pourchacunetpourtous61»;toutcequ’ilyad’utile,donc,àl’objetde lamission sociale de l’Église, dans lamesure où l’homme,qui semble par ailleurs bénéficier de la Rédemptioninconditionnelle,connaîtencorequelquemisèreici-bas.

Comme Maritain, Jean-Paul II rêve d’un monde d’amour,d’une fraternité terrestre universelle, qui soitinconditionnellement acceptable par les esprits les pluscontraires.Au-delàdel’habillagethéologique,malassorti,quoiqu’onendise,àladoctrinetraditionnelleenlamatière,c’estàuneunitéfondéesurlepluspetitcommundénominateurqu’onarrive, dénaturant paradoxalement la dignité de l’homme etl’idée même de bien commun. S’il ne fallait que trouver sonsemblabledansl’autrepourselerendreaimable,silacommunehumanité, fût-elle divine, suffisait à l’unité et à la paix, onnepourraitques’ébahirdetantdeguerresquiontmeurtrilegenrehumain.ÀcelaMaritainrépond,onl’avu,quelessociétésont« trop souventméconnu lesvraiesbases», évangéliques,de laviecivilisée.Maisilnepeutyavoirdefraternitéuniversellequesitoussereconnaissentd’unmêmePère:l’idéedecommunautéhumaine n’est ici susceptibledeprendre sensquedupoint de

Page 91: Église et politique

vue d’une unique providence reconnue comme souverain biencommun, objet d’une espérance commune, et par là principed’unitéspirituelledugenrehumain.Lacommunautédesfinsnesuffitpasàl’unitédescœurs,etquetouthommesoitappeléàlabéatitudeneveutpasdirequetousysontpromis.Leshommesde la fraternité personnaliste étant unis par leur inaliénableliberté d’indifférence spirituelle, et ne connaissant de biencommunqueleurdignitédetoutsindépendants,ilestclairquela communauté du genre humain objet de sa propre foi est enréalité purement imaginaire et contradictoire dans sonfondementmême.

Retouraubiencommun

Ce qui apparaît par ce qui précède, c’est qu’on ne peutvouloirfonderl’ordresocialnimêmeaucunecommunautédignedecenomsurlalibertédel’individuconçuecommeantérieureabsolument.Nonque la liberté soit contraire au politique ; ceseraitdirequ’iln’yadepolitiquesquelesrégimestotalitaires.Mais prétendre que l’ordre social est issu de la liberté c’estposer en principe qu’il s’ajoute à la nature comme ce qui lacomplèteou l’assistemais luiestoriginairementétranger.Pourceuxquineveulentvoirenl’hommequ’unêtrelibre,lasociéténepeutêtreunbienquenégativement,parcequ’elleestalors,defait,unmalnécessaire.C’estjustementparcequ’onneveutrienconnaître d’originairement commun à l’homme et à la sociétéqu’oninterdittoutvéritablebiencommun.

Aristote voyait dans la cité un fait de nature. Il observemêmequ’elle est« antérieureà la famille et à chacundenouspris individuellement. Le tout, en effet, est nécessairementantérieurà lapartie,puisque lecorpsentierunefoisdétruit, il

Page 92: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 93: Église et politique

changement social aurait dû être ressentie, sans doute, maisdominée. Le renouveau de ferveur aurait victorieusementaffronté la bourrasque. Or c’est l’inverse qui s’est produit, cedont nous mesurons aujourd’hui les dégâts dans tous lessecteurs5. L’argument consistant à imputer à des facteursextérieurs la cause de l’échec est donc réversible : plus on yinsiste, plus on fait apparaître le manque de consistance durenouveau.

D’autrepart,lachronologiemontrequelesavant-gardesduprogressisme, à l’œuvre de longue date et freinées sous lepontificat de Pie XII, ont trouvé une nouvelle légitimation àl’occasion du Concile et n’ont pas attendu mai 1968 pourprovoquer une rupture au sein de l’Église6. Ces avant-gardesprogressistes ont par la suite représenté l’une des principalesforces motrices de l’agitation révolutionnaire7. Les plustapageuses étaient inféodées au marxisme, d’autres, moinsvoyantes,àlamodernitéavancéeengénéral;etcesontcelles-ciquiontfiniparl’emporter,commeunelamedefond.

S’il en fut ainsi, c’est parce qu’une préparation de terrainavait antérieurement eu lieu, ayant pour résultat d’affaiblir lacapacitéderésistancemoraledupeuplechrétien,qu’ils’agissedel’insertionactivedansle«campdesdémocraties»ouceluidumarxisme.Longtempscondamnémaissanscesserenaissant,lelibéralismecatholique,cethybrideentreprincipescatholiquesetprincipesde lamodernité, rencontraenJacquesMaritainunvéritable«passeur8».Nulnecontestequesoninfluenceaitétédéterminante sur les choix politico-religieux antérieurs auConcile, puis au coursmême de celui-ci,même si la tentationmarxiste a éloigné de son mode de pensée la frange la plusséduiteparl’espritrévolutionnaire9.

Contrairement à ce que certains avaient craint dans les

Page 94: Église et politique

dernièresdécenniesdelaGuerrefroide,cen’estpasdanslesensde la révolution communiste que s’est effectuée la grandetransformation politique de l’aile marchante des catholiques,mais dans celui d’un nouveau « ralliement » en faveur de lasociété industrielleavancée,cette«sociétédeconsommation»quefeindradecontesterlemouvementdemai1968,etquisortfinalementtriomphantedelaconfrontation,commeunesortedesynthèse finale10. Ici encore, les choses étaient préparées delongue date, et il est surprenant que le Concile n’y ait prêtéaucuneattention,àmoinsdeconsidérerqu’uncertainnombredesesprotagonistesaienteux-mêmesétéprédisposésà l’accepter,sous leseffetsdecequeJacquesEllulappelait l’idéologieparimprégnation11.

Ceux qui, parmi les catholiques, religieux et laïcs, ontrésolument emprunté la voie qu’avait prônée à l’origineLamennais12, et avec plus de nuances Lacordaire, Ozanam,Montalembert vers la fin du XIXe siècle, ont donc trouvé unencouragement dans l’événement conciliaire. Ils sont entrés deplain-pied dans le processus de réalisation avancée du projetmodernedontmai1968n’aétéqu’unefiguresymbolique.Leurinfluence a alors servi de justification à certaines pratiquesdéviantes. Il s’agit d’un phénomène cumulatif, dans lequel lesavant-gardesmodernisatrices,déjà largementà l’œuvreavantetdurant les sessions conciliaires, ont ensuite joué le rôle demultiplicateurs.

Incidenceslourdesdecertainschoixfondamentaux

Il est possible de voir dans la déclaration DignitatishumanaeetdanslaconstitutionpastoraleGaudiumetSpes les

Page 95: Église et politique

textes fondateurs d’une « politique de Vatican II », même sid’autres textes conciliaires ou para et postconciliaires sontégalement à considérer et si ces documents n’ont pas qu’unobjetpolitique.Unemêmeintentiongénérales’endégage,cellederassemblerlesélémentsd’uneoffrederéconciliationaveclaculture politique moderne, dans une intention bilatérale. Enrevendiquant la reconnaissance légale de la liberté religieusepourtouthomme,leConcilelarequiertaussipoursesmembres.LavieilleformuledeMontalembertreprendalorstoutsonsens,du moins comme expression d’un désir : l’Église libre dansl’État libre. Ce qui avait longtemps été rejeté pour desmotifsthéoriques dans le cadre du « droit public ecclésiastique » afinalementétéaccepté,àsavoirl’intégrationdel’Églisedansledroit commun de la société civile. Le canoniste RolandMinnerath note à ce sujet : « Rien de plus frappant que lechangement apparemment attesté par les concordatspostconciliaires, en ce qui concerne le titre juridique auquell’Égliserevendiquesa liberté.Jusqu’alors,nous l’avonsvu, lesconventions mettaient en relief, conformément au droit publicecclésiastiqueclassique,lanotiondesouverainetéspirituelledela société ecclésiale.Maintenant elles invoquent toutes commenormesuprêmeledroitcivilàlalibertéreligieuse13.»S’ils’agitbien d’un « changement de paradigme dans l’élaborationdoctrinaledesrelationsÉglise-État14»,iln’envapasdemêmedans l’objet visé par cette offre unilatérale, objet qui restestrictement conforme aux objectifs de la politique cléricale laplus classique : « Autonomie interne [de l’institutionecclésiastique], culte public, enseigner, entretenir desinstitutions de perfectionnement religieux, communiquer avecd’autres communautés, construire des édifices religieux,acquériretgérerdesbiens,diffuserl’enseignementpartousles

Page 96: Église et politique

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 97: Église et politique

MIGUELAYUSOTORRESRéforme,rupture,rénovationPolitiqueouphysiquesociale?LerisquedupositivismeBiencommunouordrepublic?L’impératifdémocratiqueLaïcitéversuslaïcisme?

IncidencespolitiquesdesoptionsconciliairesCHRISTOPHERÉVEILLARDÉchecd’unsystèmecléricaliséLamédiationdel’ActioncatholiqueLadémocratiechrétienneetlaconstructioneuropéenneDupluralismeàl’exclusivismedémocratiqueL’entérinement

LaroyautéduChristdanslaliturgieetledogmeUncasd’effetinduit

IGNACIOBARREIROCARÁMBULALasouverainetéduChristsurlessociétéshumainesLeChrist-Roidanslaliturgie:undécalagedesignificationLesraisonsd’unchangementConclusion

DeuxièmePartieArrière-plans

Leconceptdedignitéhumaine

Page 98: Église et politique

JOSÉMIGUELGAMBRAGUTIÉRREZLadignitéLadignitéhumaineetledroitLadignitéhumaineetlesdroits

L’affaireLamennais:lepoidsd’unetraditionGIOVANNITURCOUnévénementemblématiqueLibertédel’ÉgliseetlibéralismeLelibéralismeenjugementL’affaireLamennais,uneproblématiqueessentielle

TroisièmePartieVoiessansissues

LemirageaméricainJOHNRAOExpansiondufidéismepluralisteLecatholicismeetlecredopluralisteaméricainMourirensouriantL’impasseetl’issue

Lamodernitéest-elledivisible?DANILOCASTELLANOQuedoit-oncomprendrepar«modernité»?CulturecatholiqueetmodernitéSurquelquesquestionsessentiellesdelamodernité

Page 99: Église et politique

BrèvedigressionsurlalaïcitéUnicitédelamodernité

L’artificethéologico-politiqueGILLESDUMONTLethéologico-politiqueetlatentationcléricaleLethéologico-politiqueoul’impossiblelégitimitédelamodernitépolitique

QuatrièmePartieOuvertures

RéhabiliterlebiencommunSYLVAINLUQUETLepersonnalismedeMaritain:éloged’uncertainbiencommunLepersonnalismeaprèsMaritain:l’hommedetouslesdroitsRetouraubiencommun

JalonspourunesortiedecriseBERNARDDUMONTEssaid’interprétationd’unprocessusd’échecIncidenceslourdesdecertainschoixfondamentauxUnétatdeparalysieConclusionsintroductives

Page 100: Église et politique

Dépôtlégal:septembre2013ImpriméenFrance

Achevéd’imprimerparLesPressesLittérairesRuedesImprimeurs66240Saint-Estève