90
GRAFI GÉO 2007-32 Collection mémoires et documents de l’UMR PRODIG JAFFNA ET LE CONFLIT INTERCOMMUNAUTAIRE A SRI LANKA Delon MADAVAN

GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

GRA

FIG

ÉO

2007-32Col lect ion mémoires et documents de l ’UMR PRODIG

JAFFNA ET LE CONFLIT INTERCOMMUNAUTAIRE A SRI LANKA

Delon MADAVAN

Page 2: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

JAFFNA ET LE CONFLIT INTERCOMMUNAUTAIRE A SRI LANKA

Page 3: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

■ La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturelpar Maud Lasseur (Grafigéo 1997-1)

■ La géographie tropicale allemandepar Hélène Sallard (Grafigéo 1997-2) épuisé

■ Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte. Territoires et mobilité au Vanuatupar Patricia Siméoni (Grafigéo 1997-3)

■ B. comme Big ManHommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998-4, )

■ Siem Reap – AngkorUne région du Nord-Cambodge en voie de mutationpar Christel Thibault (Grafigéo 1998-5)

■ La colonisation mennonite en BolivieCulture et agriculture dans l’Orientepar Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999-6)

■ Retour du refoulé et effet chef-lieu : analyse d’une refontepolitico-administrative virtuelle au Nigerpar Frédéric Giraut (Grafigéo 1999-7)

■ Transition malienne, décentralisation, gestion communalebamakoisepar Monique Bertrand (Grafigéo 1999-8)

■ Le « Grand Mékong » : mirage ou futur miracle ?par Sophie Adam (Grafigéo 2000-9)

■ Transformations environnementales dans le monde malaispar François Spica (Grafigéo 2000-10)

■ Quatre mille ans d’histoire hydrologique dans le delta du Rhône.De l’âge du bronze au siècle du nucléairepar Gilles Arnaud-Fassetta (Grafigéo 2000-11)

■ Littoral mauricien et tourisme • Quelles perspectives dedéveloppement et de gestion intégrée pour le sud-est de l’îlepar Hélène Pébarthe (Grafigéo 2000-12)

■ Transactions et conflits fonciers dans l’Ouest duBurkina Fasopar Juliane Baud (Grafigéo 2001-13) épuisé

■ Des inondations et des hommes • Le cas du Val de Loirepar Sylvain Rode (Grafigéo 2001-14)

■ Visages de l’Ouest Burkinabé. Dynamiques socio-spa-tiales d’un ancien front pionnier par Bernard Tallet (sousla direction de)(Grafigéo 2001-15)

■ Marchés et commerce des produits vivriers (Région deBouaké, Côte d’Ivoire)par Jean-Louis Chaléard (Grafigéo 2001-16)

■ Etude géographique d’un patrimoine urbain en Afriquede l’Ouest Le cas de Saint-Louis du Sénégalpar Céline Dufour (Grafigéo 2002-17)

■ Le Nord de Grande-Terre, un paradis raté ?Espaces ruraux et mutations sociales en Guadeloupe par Marie Redon (Grafigéo 2002-18)

■ Risque et gestion cyclonique en Nouvelle-Calédoniepar Fabrice Fussy (Grafigéo 2002-19)

■ Conflit pour l’usage de l’espace central. Le cas descamelots de São Paulopar Céline Dernoncourt (Grafigéo 2002-20)

■ Les rapports Ville/État en Mauritanie. Le cas de Nouakchottpar Armelle Choplin (Grafigéo 2003-21)

■ Les enjeux d’un enrichissement pétrolier en Afrique centrale • Lecas du Tchadpar Géraud Magrin (Grafigéo 2003-22)

■ Analyse des formes d’occupation de l’espace autour des lacs Fitriet de Léré (Tchad)par Erwan Bibens (Grafigéo 2003-23)

■ La Presqu’île et la Baie de Dakhla • Dynamique margi-no-littorale et évolution du trait de côte par KarimSelouane (Grafigéo 2003-24)

■ De la mise en valeur des marais littoraux Les marais de Fialho entre activités et environnement (RiaFormosa, Portugal)par Miguel Padeiro (Grafigéo 2003-25)

■ La vigne et ses hommes • Trois exploitations viticoledans la région de Stellenbosch en Afrique du Sud parAmandine Menguy (Grafigéo 2004-26)

■ Géographie d’une crise sanitaire. L’épidémie de choléra àMadagascar. Le cas de Tuléarpar Johanna Lévy (Grafigéo 2004-27)

■ Les perceptions de l’environnement au Laos. Images comparées d’un projet de développement dans la province du Nord par Marianne Blache (Grafigéo 2004-28)

■ Nouméa : creuset de la citoyenneté calédoniennepar Alice Loury (Grafigéo 2005-29)

■ Le Brésil : géopolitique et environnement actuelssous la direction de Francisco Mendonça et Frédéric Bertrand (Grafigéo 2006-30)

■ Pouvoirs et dynamiques terriorialesContributions de doctorants de PRODIG

Coordination de Marie Morelle (Grafigéo 2006-31)

A paraître

■ Le Géographe Emannuel de Martonneet l’Europe centrale par Gaëlle Hallair

Dans la même collection(ISSN 1281-6477)

Page 4: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

JAFFNA ET LE CONFLIT INTERCOMMUNAUTAIRE A SRI LANKA

Delon MADAVAN

Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique

UMR 8586 • CNRS, Paris 1, Paris IV, Paris 7, ephe2 rue Valette75005 Paris

Version remaniée d’un mémoire de Maîtriseeffectué sous la direction de Christian Huetz de Lemps

• 2006 •

Page 5: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION

Jean-Louis Chaléard

DIRECTEUR FONDATEUR DE LA COLLECTION

Joël Bonnemaison (1940-1997)

DIRECTEUR DE LA COLLECTION

Jean-Marie Théodat

COMITÉ ÉDITORIAL

Gérard BeltrandoFrédéric Bessat

Jean-Louis ChaléardMarie-Françoise Courel

Christian Huetz de LempsRoland Pourtier

© PRODIG. 2007ISBN 2 901560 73 3

ISSN 1281-6477

Photographie de couvertureDelon Madavan

Maquette et mise en pageMaorie Seysset

Cartographie Michèle Ducousso

Traitement photographiqueThierry Husberg

Page 6: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

L’ OUVRAGE qu’on va lire est d’unebrûlante actualité. La situation àSri Lanka, l’ancienne Ceylan,

constitue l’un de ces points chauds quipèsent d’autant plus sur la paix du mondequ’on ne voit pas s’esquisser vraiment deperspectives d’apaisement. On a eul’espoir d’une pacification lorsqu’enfévrier 2002, les belligérants ont accepté,sous la médiation de la Norvège, un cessez-le-feu. On a espéré aussi que le malheurcommun des destructions et des milliers demorts causées par le tsunami du 26décembre 2004 allaient rapprocher dansune commune affliction les frères ennemis,comme cela semblait se passer de l’autrecoté de l’océan, à Aceh (nord-ouest deSumatra), elle aussi déchirée par la guerrecivile. Mais il a fallu très vite déchanterlorsque les deux camps se sont disputés surla répartition et la gestion de la très géné-reuse aide internationale. L’année 2006 aété marquée par une reprise de combatsintenses, et par des massacres qui ont tou-ché même des employés d’une ONG interna-tionalement reconnue comme Action contrela faim : 16 d’entre eux ont été assassinésdébut août. Par dizaines de milliers, lescivils ont cherché à fuir les zones de com-bat.

L’intérêt et l’originalité de la démarchede M. Madavan tiennent d’abord à ce qu’ilest par ses origines et ses liens familiaux unTamoul de Jaffna, mais un Tamoul de ladiaspora qui n’est venu à Sri Lanka quetrès récemment. Cette situation, par cer-tains cotés un peu ambiguë, a le doubleavantage de le situer à la fois dedans – ilparle la langue et peut vraiment mener desenquêtes de terrain, et plus profondément ilcomprend les réactions, les comportementsculturels et les aspirations des commu-nautés et des individus – et dehors, ce quilui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à unacteur totalement engagé dans le combat.Ce qui guide M. Madavan, c’est la volontéde comprendre la situation dans toute sacomplexité, loin du manichéisme qui pré-vaut dans chacun des deux camps. Ladémarche historique permet déjà de mon-trer que tout ne se résout pas à un choc bru-tal entre Cingalais et Tamouls. Certes, lesCingalais constituent une forte majorité(74% de la population du Sri Lanka). Maisen face, les Tamouls ne forment pas un blochomogène. Dans le Nord et l’Est de l’île, ily a les Tamouls « historiques », ceux quise réclament d’une très ancienne immigra-

5Grafigéo 2007-32

Préface

Page 7: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

tion et se réfèrent aux royaumes tamouls,notamment à celui de Jaffna, prospère etpuissant dès le XIIIe siècle. Ces « enfantsdu sol » sont bien différents des Tamouls «de plantation » ou « indiens », venusbeaucoup plus tard, au XIXe siècle, sousl’égide des colonisateurs britanniques pourtravailler dans les exploitations de thénotamment. Localisés dans la partie cen-trale de l’île, ils ont des aspirations biendifférentes de celles des Tamouls histo-riques, et redoutent par-dessus tout unepartition de l’île qui les laisserait isolés ausein d’une entité territoriale presque totale-ment cingalaise. Et puis, il y a aussi lesMusulmans (7,6 % de la population),d’origines variées, mais qui ont constituéune minorité parfois persécutée, voirechassée de Jaffna par les Tigres Tamoulsentre 1993 et 2000, sans compter les trèspetits groupes, Burghers (métis de colons,économiquement importants) et Veddas(aborigènes, premiers occupants de l’île,en voie d’assimilation). Les clivages eth-niques et religieux ne sont pas les seuls :chez les Tamouls, qu’ils soient hindouistesou chrétiens, les castes continuent à pesercomme facteur de discrimination, sur lesmariages notamment, même si elles ont étéen théorie abolies et interdites par lesTigres. Ce sont peut-être les jeunes généra-tions, avec la lente érosion de l’endogamie,qui en réduiront peu à peu les pesanteursencore très présentes parmi les personnesplus âgées.

Un autre intérêt du travail deM. Madavan vient de ce que, au-delà desgénéralités, il s’est concentré sur un terrainbien délimité et particulièrement significa-tif, la ville de Jaffna, capitale historique dela communauté tamoule, mais occupéemilitairement par les troupes cingalaises. Iln’était certes pas facile de travailler dansune ville encore traumatisée par plus devingt ans de troubles et d’occupations mili-taires opposées, entre militaires gouverne-mentaux et Tigres Tamouls (notammententre 1990 et 1995), sans compter l’épisodecalamiteux du contrôle de la ville par lestroupes de la force indienne d’interposition

(1987-1990). Certes, depuis la trêve établieen 2002, on a pu mieux respirer et mieuxcirculer. Mais en fait, les plaies restentbéantes, tant sur le plan matériel que dansles esprits et les cœurs, et même dans lecourt répit avant la reprise actuelle desaffrontements, les tensions et les méfianceslimitaient beaucoup la liberté d’enquête duchercheur, entre le refus de répondre et lestentatives de s’annexer la recherche en enfaisant un instrument de propagande. Ilimportait donc, au-delà des slogans anta-gonistes, de démêler les fils qui ont conduità cette situation apparemment inextricable.

M. Madavan nous livre les clés de cetengrenage mortel : pour schématiser,Cingalais et Tamouls vivaient en à peu prèsbonne intelligence sous l’autorité du colo-nisateur britannique, et à Jaffna notam-ment, les élites tamoules instruites bénéfi-ciaient de postes intéressants dans l’admi -nistration coloniale de l’ensemble de l’île.Mais avec l’indépendance (1948) etl’application d’un système démocratique,le poids de la majorité cingalaise se révélavite écrasant pour la minorité tamoule. En1956, l’adoption d’une nouvelle mesurelégislative faisait du Cingalais la seulelangue officielle du pays, et en 1972, le nommême de l’Etat devenait Sri Lanka. Cettepolitique remettait en cause la sauvegarded’une identité tamoule, en même temps queles avantages dont bénéficiait la bourgeoi-sie de Jaffna. Les Tamouls réagirent alorscontre les mesures d’assimilation par descampagnes de désobéissance civile, etobtinrent finalement que le Tamoul futreconnu langue nationale dans la constitu-tion de 1978. Mais la radicalisation desTamouls était déjà en marche, et desgroupes de militants armés commencèrentdès le début des années 1970 à revendiquerl’indépendance des provinces Nord et Estde l’île, devant constituer un « Eelam » àmajorité tamoule. Ce fut le début del’engrenage ; interdiction des Tigres en1978, état d’urgence en 1979, attaque ter-roriste meurtrière contre des militaires cin-galais à Jaffna en 1983, suivie de pogromsanti-tamouls à Colombo, fuite des Tamouls

Préface

Page 8: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

vers les provinces Nord et Est… d’où parti-rent de nombreux Cingalais terrorisés, etc.Le cycle de la violence ne s’arrêta plusréellement malgré les espérances demédiations internationales et l’éphémèrecessez-le-feu de 2002. C’est que les extré-mistes des deux bords ne voient en réalitéaucun avantage à la paix, alors que lapoursuite de la guerre leur garantit un pou-voir discrétionnaire sur des populationsciviles apeurées et victimes des combats etdes exactions qui les accompagnent.

C’est également l’intérêt de ce travailque de ne pas se limiter à un simple constatamer et abstrait, mais d’essayer aussi deproposer des solutions. Compte tenu del’histoire dramatique de ces cinquante der-nières années, il apparaît bien que seuleune solution d’un Etat fédéral avec une

large autonomie accordée aux provincesNord et Est serait susceptible de restaurerla paix, à condition que les parties en pré-sence fassent de considérables efforts pouraccepter « l’autre » et renoncent à unecertaine tentation totalitaire. C’est en toutcas la condition même de la renaissance deJaffna, capitale tamoule solidement tenuepar les forces cingalaises, et que fuientaujourd’hui les jeunes Tamouls, notammentles cadres les plus dynamiques et les étu-diants les plus prometteurs, qui vont cher-cher à l’étranger à la fois sécurité, espoir,et moyens pour aider leurs familles restéessur place. Il y a là un danger majeur dedévitalisation de la société de Jaffna, quirisque de constituer le plus grave obstacleà la renaissance de la ville lorsque lesconditions d’une paix durable seront réu-nies, si elles peuvent l’être.

Christian Huetz de Lemps,Professeur à l’Université de Paris IV-Sorbonne

Eric MeyerVice-Président et professeur

à l’INALCO

Titre du chapitre

Page 9: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 10: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Préface de Christian Huetz de Lemps et Eric Meyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Chapitre 1 • Jaffna, étendard de la communauté tamouleà Sri lanka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

UN E V I L L E F I È R E D E S O N I D E N T I T É . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23La capitale historique des Tamouls de l’î le . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23Naissance et développement de la ville de Jaffna sous les dominations européennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24Jaffna ou la capitale culturelle des Tamouls de Sri Lanka . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25

UNE VILLE MARQUÉE PAR LES DIFFÉRENCES CULTURELLES ET SOCIALESENTRE SES HABITANTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

Jaffna ou la cohabitation religieuse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28Une société régie par l’ordre des castes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

JA F F N A, P R I N C I PA L R E M PA RT À L A C I N G A L I SAT I O N Q U E T E N T ED ’ I M PO S E R L’ÉTAT S R I L A N K A I S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34

Les griefs des Tamouls . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 34La radicalisation des Tamouls . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36

Chapitre 2 • Une ville blessée par la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

JA F F N A : L E T H É Â T R E D E L A G U E R R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39L’opération Libération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39L’intervention indienne dans le conflit inter-communautaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39La péninsule de Jaffna sous contrôle du LTTE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40La reconquête de la ville par les forces gouvernementales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

UN E V I L L E D É VA ST É E PA R L A G U E R R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41UN E S O C I É T É É B R A N L É E PA R L A G U E R R E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

Le bilan humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42

9Grafigéo 2007-32

Sommaire

Page 11: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Les traumatismes psychologiques de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42Les déplacements de la population civile . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43

LE S BA S E S D E L A S O C I É T É T R A D I T I O N N E L L E JA F F N A I S ER E M I S E N CAU S E PA R L E C O N F L I T . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

Chapitre 3 • La renaissance de Jaffna : entre espoirset inquiètudes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

UN E V I L L E D O N T L E R AYO N N E M E N T E ST C O N S I D É R A B L E M E N T E N TA M É E . . . . . . . . . 47Jaffna n’apparaît plus légitime pour représenter les Tamouls . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47La lassitude de la guerre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48

UN E V I L L E Q U I S E T R A N S F O R M E T R È S V I T E D E P U I S L E C E S S E Z-L E-F E U . . . . . . . . . 50Le retour des Jaffnais déplacés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50La reconstruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51Un fragile renouveau économique et commercial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

LE N O U V E AU V I SAG E D E S C O M M U N AU T É S S O C I O R E L I G I E U S E SDA N S L A V I L L E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

La place des communautés religieuses à Jaffna depuis le cessez-le-feu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57Le système de caste : résurgence ou fin proche ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59Le rêve d’Occident ou une dévitalisation inquiétante de la société jaffnaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63

Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67Planches photographiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .87

Page 12: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Avant-propos

ISSU DE LA DIASPORA, Jaffna, la ville natale de mesparents, n’a été longtemps pour moi, qu’un nomvague, sans aucune réalité, jusqu’à mon tout pre-

mier séjour dans l’île en 2003. La découverte d’uneville, qui portait encore en elle les marques de laguerre et la présence impressionnante de militaires, aété un choc qui m’a donné envie de mieux connaîtreson histoire, celle de ses habitants et, d’une certainefaçon, la mienne.

Ce sont avant tout, les cours de Licence intitulés« Crises et Violences en Asie Pacifique » et les sémi-naires qui les ont accompagnés qui m’ont inspiré cesujet de mémoire. J’aimerais commencer à remerciermes professeurs de Licence Mme Giraud, M. Huetz deLemps et M. Sevin pour m’avoir inspiré ce sujet. Jevoudrais tout particulièrement remercier M. Huetz leLemps qui a bien voulu me prendre sous sa direction,pour sa disponibilité et ses conseils durant toutel’année qui vient de s’écouler. Je souhaiterais égale-ment exprimer ma reconnaissance à M. Meyer qui, àtravers ses cours à l’INALCO et le partage de sonexpérience et de sa connaissance de la société sri lan-kaise, a été une source d’enseignement précieuse.

Même s’il y a peu de chance qu’ils aientl’opportunité de le lire, j’aimerais chaleureusement

saluer toutes les personnes qui ont pris le temps derépondre aux questionnaires ou qui m’ont accordédes entretiens enrichissants. Parmi ces personnes, jesouhaiterais remercier en particulier les enseignantsde l’université de Jaffna et les employés des diffé-rentes administrations auxquels j’ai eu à faire pouravoir si gentiment essayé de m’aider à me procurerdes cartes ou des sources statistiques.

J’embrasse mes parents et mes sœurs, ainsi quema famille au Sri Lanka pour leur aide si précieusesur le terrain. Je souhaite saluer tous mes amis quim’ont également beaucoup soutenu à travers leursencouragements.

Je suis très reconnaissant à l’UMR PRODIG pourm’avoir donné la chance de publier ce mémoire et dem’avoir aidé pour la mise en forme finale de cetouvrage. Je souhaiterais particulièrement remercierMme Ducousso pour m’avoir si patiemment aidé dansla réalisation des cartes de mon mémoire,Mme Seysset pour la maquette et la mise en page etM. Husberg pour le traitement des photographies.

Je finirai par remercier encore une fois toutes lespersonnes qui m’ont aidé d’une façon ou d’une autreet je vous dédie ce mémoire en espérant ne pas tropvous décevoir.

Page 13: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 14: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Adimai : regroupe les castes qui vivent dulabeur de la terre ou d’activités considéréescomme impures. On les considérait souventcomme des esclaves.

Brahmane : membres de la caste sacerdota-le hindouiste

Caste : division hiérarchique traditionnelledans les sociétés indiennes selon la pureté denaissance de tel ou tel groupe d’individu qui sedistinguent par leur activité et leur religion.

Ceylan : ancien nom de Sri Lanka, toujoursutilisé en tamoul

Chetyar : caste des marchands

Cingalais : personne de langue maternellecingalaise et qui s’identifie comme faisant par-tie de peuple

Cingalisation : action de cingaliser lesrouages du pouvoir central, la culture de l’îlede Ceylan puis Sri Lanka et l’installation depaysans cingalais dans la province Est de l’île, historiquement à majorité tamoule.

Katchcheri : siège du district de Jaffna

Kudimai : regroupe les castes d’artisants etd’employés de maisons des vellalar

LTTE : principal mouvement rebelle tamoulqui lutte pour la création d’un Etat tamoul indépendant à Sri Lanka

Nalavar : caste des extracteurs de toddy

Pallar : caste des porteurs d’eau, serviteurs etouvriers agricoles

Swabhasha : loi qui oblige chaque enfant àavoir une éducation dans une seule langue.

Tamoul : personne dont la langue maternel-le est le tamoul et qui se reconnaît comme appartenant à ce peuple.

Tamil Eelam ou Eelam : surnom donnépar les LTTE à l’Etat indépendant tamoul qu’ilsveulent créer et qui doit regrouper les pro-vinces Nord et Est de l’île, qui sont histori-quement à peuplement majoritaire tamoul

Tamil Nadu : Etat tamoul du Sud de l’Inde,dont la capitale est Chennai

Tigres : surnom donné aux membres duLTTE

Vellalar : caste traditionnellement des rizi-culteurs, ce groupe social domine la pyramide sociale à Jaffna et qui tire son autorité de lapossession foncière

13Grafigéo 2007-32

Lexique

Page 15: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 16: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

SRI LANKA évoque dans l’opinion inter-nationale, un conflit intercommunautai-re opposant une minorité tamoule, que

l’on dit souvent représentée et défendue parles militants du Libération Tigers of TamilEelam (LTTE), à la persécution des Cingalaismajoritaire dans l’île. Cet intérêt croissant, enparticulier de l’opinion occidentale, s’expliqueen grande partie par le rôle joué depuis ledébut des années 1980 par la diaspora tamou-le. L’ampleur du nombre des exilés tamouls deSri Lanka est telle que cette communauté aréussi à atteindre une visibilité assez impor-tante pour que les habitants des paysd’accueils prennent en sympathie ces hommeset ces femmes qui ont dû fuir, à cause de laguerre, une île aux traits pourtant paradi-siaques. D’un autre coté, les différents atten-tats perpétrés par les Tigres depuis plus devingt ans, les rapports accablants de la Liguedes Droits de l’Homme ou d’AmnestyInterna tional dénonçant notamment le recrute-ment d’enfants par le LTTE ou des atrocitéscommisent par des militants tamouls, interpel-lent les citoyens du monde sur la situation géo-politique dans l’île et le rôle joué par les diffé-rentes communautés dans le conflit.

L’étude des ouvrages scientifiques sur leSri Lanka révèle à quel point la situation poli-tique est bien plus complexe que le simple

affrontement entre deux communautés mono-lithiques : d’un coté les Cingalais auxquelsferaient face les Tamouls. L’insularité de cepays de près de 20 millions d’habitants a favo-risé le visage cosmopolite que présente encoreaujourd’hui Sri Lanka alors que l’Histoire aconsolidé au fil du temps des identités com-munautaires très marquées.

Avec près de 74 % de la population de l’île,la communauté cingalaise est de loin la popu-lation majoritaire dans le pays. On a pour habi-tude de distinguer, à l’intérieur de cette com-munauté, les Cingalais Kandyens du centre dupays, des Cingalais côtiers du Sud et de l’Estde l’île. A la différence des régions côtières,qui sont passées dès le XVIe siècle sous lecontrôle des Européens, le royaume de Kandy,dans la partie montagneuse de l’île, a résistéjusqu’ au début du XIXe siècle et reste bienmoins marqué par l’influence occidentale.

La population tamoule, qui regroupe 18 %de la population totale à Sri Lanka, est la prin-cipale minorité dans le pays. Comme pour lacommunauté majoritaire, le groupe tamoul estscindé en deux ensembles : les Tamoulsautochtones (sri lankais) et les Tamouls desplantations (anciennement Tamouls indiens)qui ont un statut et des intérêts très différents.Plusieurs différences majeures contribuent àdissocier ces deux communautés. La présence

15Grafigéo 2007-32

Introduction

Introduction

Page 17: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

des Tamouls « sri lankais », bien avant lacolonisation aux côtés des Cingalais, leurdonne le sentiment d’être, tout comme ces der-niers des « enfants du sol » et non des immi-grés. À ce titre, ils considèrent avoir lesmêmes droits que la communauté majoritairede l’île et sont les plus farouches opposantsaux tentatives de cingalisation du pays. LesTamouls « indiens » sont arrivés au XIXe siè -cle, sous la domination britannique, com memain-d’œuvre afin de travailler dans les plan-tations du centre du pays, enclavées dans desrégions à forte majorité cingalaise. CesTamouls, plus récemment arrivés dans le pays,appartiennent à des castes inférieures à cellesdes Tamouls autochtones et ont longtemps étéconsidérés comme des étrangers.

Avec près de 7,6 % de la population del’île, la communauté musulmane est la deuxiè-me minorité du pays. L’origine de sesmembres est très diverse. Certains sont des-cendants d’une union mixte entre un Arabe etune femme indigène, d’autres, plusnombreux, d’immigrants venus d’Inde ou duPakistan et enfin les Malais arrivés sur l’îlelors de la domination par les Hollandais decertaines parties côtières de Ceylan.

Enfin, il faut évoquer deux derniersgroupes qui tiennent de plus en plus un rôlemarginal dans le pays à cause de la faiblessenumérique de leurs membres. Les Burghers,qui sont descendants de colons ou d’une unionmixte entre un colon et une femme originairede l’île ont, dans leur majorité, préféré quitterl’île pour les grands États membres duCommonwealth suite à la politique de cingali-sation menée par le gouvernement deColombo au début du conflit intercommunau-taire. Les quelques Burghers qui restent dansl’île jouent un rôle plus important dansl’économie de l’île que sur la scène politique.Enfin les Veddas, premiers habitants de l’îlevivant dans les forêts, ne représentent plus quequelques milliers de personnes et tendent àperdre leur identité.

Une majorité de chercheurs, qui sont sur-tout des politologues ou des historiens, abor-dent le conflit intercommunautaire comme unaffrontement politique entre le gouvernementcingalais et les Tigres tamouls (surnom donnéaux militants LTTE) à l’échelle de l’île, alors

qu’il est appréhendé différemment par leshabitants de l’île selon la région où ils vivent.La carte de la répartition des communautés(figure 1) nous permet de distinguer desespaces dans lesquels l’une des communautésreprésente à elle seule plus de 80 % de la popu-lation. C’est notamment le cas de l’extrêmeNord de l’île qui présente la particularité d’êtrela seule zone où les Tamouls autochtones sontmajoritaire à plus de 80 %. Ce poids démogra-phique et le prestige de Jaffna, ville capitale dece district, ont incité les Jaffnais à se porter à latête des mouvements de contestation àl’encontre des différentes mesures qui ébran-lent la place des Tamouls et plus encore la leurdans la société sri lankaise. L’inefficacité desdémar ches politiques et la montée des tensionsentre les représentants cingalais du pouvoircentral et des militants tamouls ont favorisél’émergence d’un sentiment communautaristedans cette partie de l’île. La décision politiquede Colombo de régler militairement le problè-me tamoul a largement aidé les extrémistestamouls à emporter le soutien des civils dansune région où la majorité de la population n’ajamais rencontré de Cingalais avant l’assaut del’armée. Pendant près de quinze ans, le districtde Jaffna devient le principal théâtre de la guer-re. Le conflit armé renforce le soutien descivils aux Tigres et leur volonté de créer unÉtat tamoul indépendant : le Tamil Eelam. Al’inverse, les régions du Sud, de l’Ouest et duCentre Nord du pays sont très largement peu-plées par des Cingalais. Bien qu’elles se trou-vent loin du front, le manque d’échange et decontact avec la communauté tamoule rend leshabitants qui y vivent plus sensibles aux dis-cours extrémistes. La perte d’enfants morts aufront et les discours de propagande anti tamoul,qui tentent de créer un amalgame entre lesTigres et les Tamouls, nourrissent le conflit etla haine de l’autre. Le manque de contact entreles différentes communautés dans ces régionsest un facteur non négligeable dansl’assimilation aussi facile des discours de pro-pagande, pourtant manichéens, par la popula-tion.

Dans les autres régions du pays, la com-munauté majoritaire cohabite avec un ou deuxgroupes minoritaires non négligeables. Toute -fois les rapports entre les communautés diffè-

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3216

Page 18: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

17Grafigéo 2007-32

Introduction

Figure 1 : La répartition des communautés à Sri Lanka

N

Trincomalee

Batticaloa

MataraGalle

Colombo

Mannar

Jaffna

Anuradhapura

Kandy

Nuwara Ellya

0 50 km

Zone à majorité cingalaise (> 80%)

Zone à majorité tamoule (> 80%)

Zone à majorité cingalaise avec d' importante minorité tamoule et musulmane

Zone à majorité tamoule avec une importante minorité cingalaise

Zone tricommunautaire

source : Meyer ( 2001) MADAVAN

Légende

Page 19: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

rent selon la province. La capitale, Colombo,est en quelque sorte le véritable creuset de lasociété sri lankaise où les trois langues dupays (le cingalais, le tamoul et l’anglais) sontemployées. Les trois principales commu-nautés de l’île s’y côtoient dans un cadremoins tendu. Bien que la minorité tamoule yrencontre des tracas administratifs et descontrôles de police fréquents, les différentescommunautés réussissent à vivre sans heurtset tissent même des liens intercommunau-taires.

Dans les régions du Centre, qui sont cellesdes plantations, on constate que les Cingalaiskandyens vivent avec une importante commu-nauté de Tamouls des plantations qui sontmême majoritaires dans certains districts. Lesconditions de vie de ces Tamouls sont très dif-ficiles et la lutte sociale reste constante mais, àl’inverse des Tamouls du Nord ou de l’Est,ceux des plantations voient d’un très mauvaisœil l’éventuelle création d’un Tamil Eelam.Enclavés dans des territoires cingalais, ils nepourraient faire partie de cet État et craignentd’être encore plus marginalisés par la commu-nauté cingalaise. Dans ces circonstances, lesTamouls des plantations sont plus favorables àl’instauration d’un Etat fédéral.

La province Est peut être considéréecomme la véritable poudrière de l’île. En effet,dans cette province Tamouls, Musulmans etCingalais vivent côte à côte ou dans des vil-lages à proximité les uns les autres. La présen-ce cingalaise continue à être perçue par lesTamouls comme une colonisation de terreshistoriquement tamoules. Dans le mêmetemps, les musulmans de cette province, bienque tamoulophones, craignent cette volontétamoule de créer un Etat indépendant quiséparerait la communauté musulmane de l’îleen deux. Les Musulmans redoutent aussi laperspective de se retrouver dans le statut deminorité dans un Etat qui pourrait être dirigépar le LTTE. Le mouvement rebelle a déjàrejeté à plusieurs reprises l’idée de considérerles Musulmans comme une communauté àpart entière, bien distincte des Tamouls. Pouréviter la création d’un Tamil Eelam. les politi-ciens musulmans se sont rapprochés desCingalais afin d’envisager une solution fédé-rale, attisant en même temps l’animosité des

extrémistes Tamouls. Cette région a connudans le passé de nombreux raids meurtrierscontre des villages isolés qui ont souvent étésuivis de représailles de la part de la commu-nauté qui en a été victime. Les extrémistes desdifférentes communautés ont réussi à installerdans la province, le cercle vicieux de la vio-lence qui a poussé certains civils à créer desmilices pour se protéger d’éventuellesattaques. L’analyse de la situation de cette pro-vince permet de s’apercevoir que le conflit neconcerne pas uniquement les Tamouls et lesCingalais mais également les Musulmans.

Le conflit sri lankais a largement été étudiéà l’échelle nationale afin d’analyser en pre-mier lieu l’affrontement qui oppose les Tigresau gouvernement. Le temps est peut-êtrearrivé de tenter de voir quel a été l’impact duconflit sur les populations civiles à l’échelled’une région ou d’une ville. La ville de Jaffnaa été longtemps réputée pour être le tradition-nel homeland des Tamouls de Sri Lanka et, àce titre, avoir joué un rôle important dans ladéfense des droits des Tamouls. Mais lors deces deux dernières décennies, elle a surtoutconnu les horreurs de la guerre et la sociétéjaffnaise en est sortie totalement transformée.Le choix de travailler sur Jaffna s’est imposédu fait que l’on considère que les Jaffnais ontété à l’origine du mouvement de la résistancedes Tamouls face aux différentes mesures dis-criminatoires prises par les autorités deColombo. Toutefois, il se pose très vite le pro-blème des limites de l’espace étudié. En effet,Jaffna désignant aussi bien la ville principaledu district du même nom, les Tamoulsemploient indistinctement ce terme pour dési-gner les habitants du Municipal Council deJaffna (JMC) et de l’agglomération. Il est doncnécessaire de définir l’échelle sur laquelle vaporter cette recherche et préciser les limites del’espace étudié. La carte de localisation du dis-trict de Jaffna (figure 2) permet de le situer àl’extrémité Nord du Sri Lanka. Cette unitéadministrative est bordée au Nord par leDétroit de Palk, qui constitue une frontièremaritime avec l’Inde, l’Océan Indien à l’Est etle lagon de Jaffna au Sud. Au Sud Est, lesDivisional secretary divisison (DS) deThenmaradchi et Vadamadchi marquent lalimite terrestre avec le district de Killinochchi

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3218

Page 20: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

19Grafigéo 2007-32

Introduction

pour le premier et celui de Mullativu pour ledeuxième. On peut distinguer trois espacesdistincts dans le district. À l’Ouest, les espacesinsulaire du district, au Centre, la région jaff-naise qui comprend la ville de Jaffna ainsi queson agglomération. L’étude de la carte de 1966du district de Jaffna permet en effet de consta-ter qu’il n’existe pas de limites nettes entre laville et son agglomération et que l’habitaturbain, qui est relativement dense sur la côtedu lagon de Jaffna, tend, au fur et à mesure quel’on s’approche de la côte Nord, à devenirsemi-urbain. Les cinq DS les plus orientauxprésentent une certaine unité car sont bien plusruraux et s’individualisent, à ce titre, del’agglomération jaffnaise. La préférence dudistrict et sans doute plus encore del’agglomération jaffnaise, comme terrain derecherche, aurait pu être privilégiée du faitqu’elle permet de mettre véritablement enrelation la ville avec son arrière-pays rural. Cechoix semble également conforté par l’étudedes quelques cartes mentales réalisées parquelques Jaffnais du Municipal Council. Dansla majorité des cas, ces personnes tracent leurquartier ainsi que les lieux de sociabilité qu’ilsfréquentent, notamment les lieux de cultes quidiffèrent selon la religion de la personne. Laméconnaissance du JMC est telle que l’onretrouve des erreurs de localisation de rue oude polarisation. La seule carte exacte a été réa-lisée par le chauffeur d’un taxi van qui al’habitude d’aller chercher sesclients dans toute la ville. Lesfemmes, qui sont généralement aufoyer, n’ont qu’une connaissancetrès vague de la ville, qui se limiteà quelques repères comme l’édificereligieux qu’elles fréquentent,l’école des enfants, le centre villeou quelques monuments symbo-liques de la ville comme la biblio-thèque, ou le Clock Town. Leshommes sont en général capablesd’indiquer quel ques axes qu’ils ontsans doute plus l’occasiond’emprunter, sans que pour autantl’emplacement donné soit exact.En fait, la sélection du JMC est dis-cutable, car les habitants de la villesemblent eux-mêmes accorder plus

d’importance au quartier et au district qu’auJMC. La réalité administrative ne semble pascorrespondre à la réalité quotidienne des habi-tants. Dès lors on peut s’interroger sur la per-tinence du JMC comme limite spatiale à cesujet. Le choix de la ville s’est en partieimposée pour des questions de contrainte detemps, de coût et de moyens. Par ailleurs, laville présente l’avantage d’être un symboleimportant qui a incité les différents belligé-rants à s’affronter pour son contrôle. La villede Jaffna, dont la superficie est de 20,2 km2,fait partie des treize villes du pays qui ont eul’honneur d’être élevées au statut deMunicipal Council. Elle se divise en 23 quar-tiers (tableau 1) et comptait en février 2005plus de 80 000 habitants. Le cessez-le-feu de2001 et la fin de l’isolement de la péninsule deJaffna, qui a traversé quinze ans de conflitarmé, est une opportunité sans précédent pourétudier les conséquences du conflit intercom-munautaire sur le Municipal Council de Jaffnaet ses habitants. Le but de cette étude est defaire une analyse des causes et des consé-quences de ce conflit pour la ville et ses habi-tants depuis le début des années 1980, maiségalement de comprendre l’évolution du rôlejoué par les Jaffnais dans celui-ci. Il n’est pasinutile, dans un premier temps, de rappelerquelle a été la place de Jaffna dans l’île et laréalité de la société jaffnaise avant que leconflit armé ne débute. Puis on tentera de voir

Tableau 1 – Liste des quartiers de Jaffna

10

Page 21: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

quelles sont les conséquences immédiates dela guerre, dans quelle mesure la ville et lasociété jaffnaise ressortent totalement boule-versées du conflit intercommunautaire.

Pour réaliser cette recherche, une étudeapprofondie de la bibliographie existante a éténécessaire et facilitée par la possibilité deconsulter les ouvrages dans trois grandscentres d’étude sur le Sri Lanka. L’InstitutNational des Langues et Civilisations Orien -tales (INALCO) et la School of Oriental andAfrican Studies (SOAS) à Londres, qui possè-dent chacun une importante collectiond’ouvrages sur le Sri Lanka, ont particulière-ment facilité l’accès à ceux-ci.

Cette recherche bibliographique a été com-plétée, dans un second temps, à Colombo,dans les bibliothèques du Social ScientistsAsso ciation (SSA) et de l’International Centrefor Ethnic Studies (ICES) qui ont permisl’accès aux ouvrages récemment publiés parles chercheurs de l’île. Malheureusement, iln’a pas été possible de poursuivre cetterecherche à Jaffna : les ouvrages sont publiésen tamoul, leur tirage est limité et souvent des-tinés aux étudiants de la faculté de Jaffna.Quarante-cinq jours ont été consacrés sur leterrain pour obtenir des cartes et des statis-tiques du Municipal Council et réaliser enparallèle des cartes mentales, des entretiens etl’enquête sur le terrain.

Réaliser une recherche sur une ville quivient à peine de sortir de près de vingt ans deguerre pose un certain nombre de problèmesLe premier d’entre eux est de pouvoir accéderaux sources statistiques et cartographiques, sitoutefois elles existent. La quasi-totalité descartes que possédait le Survey Office de la villea été détruite et l’armée a interdit jusqu’en2002 toute réalisation de carte du district deJaffna qui était l’un des enjeux majeurs descombats. Durant les périodes de conflits, il aété impossible d’élaborer des statistiques etc’est seulement depuis 2003 que le MunicipalCouncil essaie d’en réaliser.

Dans ces conditions, trouver une carte duMunicipal Council s’est avéré difficile. Latotalité des cartes de la ville ont été détruites,exceptée celle de 1963. Le département degéographie de l’université de Jaffna et leSurvey Office sont les seuls à disposer d’un

exemplaire qui n’est plus réédité, les géo-graphes travaillent en vue d’en réaliser unenouvelle. Ainsi, il a fallu, s’appuyer sur lesdifférentes parties de la carte photocopiée parles employés du Survey Office. La recherchede bases statistiques a également été laborieu-se : le Municipal Council lui-même préfère,pour le moment, se servir des travaux réaliséspar les services statistiques du district. Bienqu’étant d’une aide précieuse, il est difficiled’avoir accès à ces sources et de les utiliserpour un travail sur le Municipal Council. Eneffet, le district de Jaffna réalise ses études sta-tistiques à l’échelle des D.S. Division ce qui al’inconvénient d’incorporer le Nord de la villede Jaffna dans le D.S. de Nallur et non Jaffna.Dans ces conditions il était impossibled’utiliser ces sources. La rencontre avec unemployé du Municipal Council préparant uneétude universitaire sur la ville de Jaffna et quiavait fait les recherches nécessaires pour dis-tinguer la population de la ville se trouvantdans le D.S. de Nallur a été d’un secours nonnégligeable pour la réalisation de nombreusescartes du mémoire. Certaines sur la localisa-tion traditionnelle des castes et des religionsdans la ville, peuvent être critiquables : ellesn’ont pas été réalisées en s’appuyant sur dessources statistiques mais par la confrontationdes témoignages de différents Jaffnais appar-tenant à l’administration du MunicipalCouncil ou de simples habitants de la cité. Laconvergence des réponses obtenues méritecependant que l’on prenne la peine de réaliserces cartes.

L’enquête sur le terrain a également étéinfluencée par le contexte d’instabilité quicontinue à régner à Jaffna. En effet, la présen-ce militaire reste omniprésente dans la ville etparmi la population. Bien que sous l’autoritédu gouvernement, les habitants de la ville crai-gnent d’être dénoncés comme traîtres à lacause tamoule par des informateurs du LTTE.La question des castes est également très diffi-cile à aborder : c’est devenu un sujet tabou.Dans ces conditions, il est apparu préférablede réaliser une enquête aléatoire, en face à faceet en tamoul, en abordant dans différents quar-tiers de la ville, des passants, commerçants oumembres de l’administration qui y résidaient.Malgré le refus de certaines d’entre elles, qua-

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3220

Page 22: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

rante-cinq personnes ont accepté de répondreau questionnaire. L’enquête, qui comportaitessentiellement des questions ouvertes, devaitavant tout permettre d’obtenir un certainnombre de données sur les principaux mauxque connaît la population civile et la façondont elle perçoit les mutations entraînées parla guerre. Le fait d’être issu de la diaspora etd’avoir expliqué que le mémoire avait pourbut essentiel de mettre en avant les principalesmutations provoquées par le conflit, a beau-coup contribué à inciter ces Jaffnais àrépondre. Les résultats de ce questionnairesont très discutables du fait que l’on ne peutréitérer cette enquête dans le temps et l’espace,les personnes interrogées, l’ayant été anony-mement.

Le degré d’incertitude de cette enquête est,pour toutes ces raisons, particulièrementimportant. Toutefois, cette étude a étél’occasion pour beaucoup de Jaffnais de pou-voir témoigner anonymement à l’étranger deleur situation aussi bien pendant le conflitarmé que depuis le cessez-le-feu de 2001.Certains d’entre eux ont notamment acceptéde prolonger l’entretien pour me parler de pro-blèmes plus spécifiques. Ces échanges ont étéd’une aide précieuse pour aborder la questiondes castes ou parfois, à l’inverse, ont étél’occasion de témoignages spontanés sur leurcrainte des Tigres ou de l’armée. Il est parailleurs intéressant de signaler que, dans lecadre de ces entretiens, le siège des Tigres àKilinochchi a refusé de répondre aux ques-tions d’une personne si elle n’était pas connuecomme sympathisante du mouvement. Demême, il a été impossible de communiqueravec le moine du temple bouddhiste de Jaffnaqui ne parlait ni tamoul ni anglais et semblaitparticulièrement gêné d’une telle demande. Lerefus des Tigres et du moine illustre combien

la situation politique reste confuse et expliquepourquoi beaucoup de Jaffnais préfèrent éviterde montrer en public leur conviction.

A la fin du travail de recherche, il s’avèrenécessaire de faire une autocritique.

La principale peut être d’avoir fait le choixd’un sujet très large. Le séjour sur le terrain aété une source de renseignements importantedans des domaines très différents qui touchentaussi bien l’impact psychologique de la guer-re, la situation économique de la ville ou leproblème de castes. Lors de la rédaction, lemanque de connaissance des outils propresaux économistes ou psychologues s’est parti-culièrement fait sentir. Toutefois, l’étuded’une zone qui sort de longues années deconflits impose que l’on essaye, malgré noslacunes, de s’intéresser à des domaines quitouchent des disciplines voisines de la nôtre etqui s’intéressent comme nous à l’Homme.Cette entreprise est notamment positive en cequi concerne le système de castes à Jaffna.Plusieurs sociologues ont réalisé d’excellentsouvrages sur le sujet, mais aucun d’eux n’apensé à spatialiser cette réalité. Bien que lacarte réalisée dans ce mémoire soit loin d’êtreirréprochable, elle a l’avantage de montrer unereprésentation simplifiée de sa répartition dansla ville et montre l’intérêt qu’il y a d’aborderde façon différente un même sujet. Parailleurs, le fait que le problème de castes soitdevenu un sujet tabou, empêche les cher-cheurs jaffnais, pourtant bien plus compétentssur la question, d’aborder le sujet sans provo-quer des réactions hostiles.

Enfin, le manque de temps et le fait que lesprincipaux outils essentiels aux géographesque sont les outils statistiques et surtout lescartes qui commencent à peine à être réalisées,constituent un obstacle important dans

Introduction

Page 23: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 24: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

23Grafigéo 2007-32

UNE VILLE FIÈRE DE SON IDENTITÉ

La capitale historique des Tamoulsde l’île

Jaffna, capitale de la province du Nord,occupe dans le cœur des Tamouls de SriLanka une place particulièrement importante,du fait qu’on voit en elle le foyer d’origine dupeuple et de la culture tamoule à Ceylan. Lacité doit en partie sa prépondérance sur lesautres villes tamoules à l’existence dès leXIIIe siècle du royaume tamoul de Jaffna.Bien que la présence des Tamouls à Ceylansoit bien antérieure, on ne compte jusque-làaucun royaume tamoul en tant que tel maisdivers royaumes avec, à leur tête, des roistamouls ou cingalais.

Jusqu’au XIIIe siècle, les différentes com-munautés de l’île vivent ensemble et mélan -gées, comme au Nord-Ouest de Ceylan auRajarata, dont la principale capitale estAnuradharapura. A la fin du XIIIe siècle, suiteà l’invasion par des souverains originairesd’Inde, le Rajarata, qui était le principal foyerde peuplement de Ceylan, est abandonné parses habitants. Ceux-ci fuirent cette zone deve-nue insalubre suite à la destruction des bar-rages par les envahisseurs, à la propagation dupaludisme et à la difficulté de mettre les terresen culture. Dès lors, on assiste à une migration

vers des zones plus propices. Les Cingalaisbouddhistes s’installent vers le Sud-Ouestalors que les Tamouls, chez qui le culte deShiva commence à s’imposer, se dirigent versle nord de l’île, dans la péninsule de Jaffna,comme le dit M. Meyer

« Le déclin de la civilisation Rajarata entraînaune modification des équilibres internes de l’île,la majorité cingalaise de la population migrantvers le Sud-Ouest humide ... tandis que seconstituaient des pôles de peuplement septen-trionale de Jaffna, face au continent tamoulhomogène dans la péninsule et sur la côte orien-tale. »(2001, p.16)

Le développement d’une identité tamouledans ce royaume est également favorisé parl’existence d’un véritable no man’s land dansla région de Wanni, qui lui permet de jouird’une certaine indépendance. L’émergence dece royaume se traduit notamment par laconstruction de plusieurs temples hindous,dont le temple princier de Kandaswamy (oude Nallur), qui s’impose comme l’un descentres religieux majeurs de l’île. La péninsu-le de Jaffna est devenue le véritable foyer depeuplement tamoul dans laquelle l’identité etla culture tamoule n’ont cessé de s’affirmer etde s’épanouir avant même l’arrivée desEuropéens sur l’île. C’est l’existence de ce

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Chapitre 1 • Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Page 25: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3224

royaume qui légitime, pour les Tamouls, leurrevendication de préserver leur exception cul-turelle et de se considérer, tout comme lesCingalais, comme des ‘son of soil’ avec lesmêmes droits. Bien que la ville moderne deJaffna doive plus sa physionomie actuelle à lapériode coloniale, elle n’en reste pas moinsl’héritière du royaume de Jaffna pour lesTamouls sri lankais et, à ce titre, apparaîtcomme la capitale historique des Tamouls.

Naissance et développement de la ville de Jaffna sous les dominations européennes

L’arrivée des Européens sur la péninsule etleur domination sont à l’origine de la naissan-ce de la ville moderne de Jaffna. En effet, aussibien sous la domination portugaise, hollandai-se que britannique, Jaffna ne va pas cesser dese développer, au point de s’affirmer commeune place éminemment importante pour lesdifférents administrateurs.

En 1619, lorsque les Portugais tentent deconquérir le royaume de Jaffna, ils s’emparentdes villages de pêcheurs sur la côte. Pour faireface à la résistance tamoule, ils décident deconsolider leur assise et de construire un portet un fort autour desquels se créent de nou-veaux quartiers. Après un an de lutte, le der-nier roi Tamoul Sangiliyan est finalementvaincu. En 1624, l’officier Filipe de Oliverapréfère faire de la zone côtière, près du fortplus facile à ravitailler et à défendre, le nou-veau centre de la ville et la capitale de la pro-vince du Nord, au détriment de l’ancien centredes rois de Jaffna situé à Nallur, à l’intérieurdes terres. A leur capitulation en 1658, lesprincipaux édifices que laissent les Portugaisdans la ville, le fort mis à part, sont religieux.Leur volonté de christianiser la population vales conduire à construire des églises, un hôpi-tal, des couvents et des collèges catholiques,en se servant parfois des pierres de templeshindouistes ou de mosquées qu’ils ont détruits.Sous la période hollandaise, on assiste à uneextension de l’urbanisation à l’extérieur desmurailles du fort et à la construction d’églisesprotestantes, ainsi que de temples hindouistes.Mais c’est surtout pendant la période britan-

nique que Jaffna va s’affirmer comme étantl’une des principales cités de Ceylan.

On dispose, grâce à la volonté britanniquede recenser la population de l’île, de bases sta-tistiques sur l’évolution de la population àJaffna. Passant, entre le premier recensementde 1871 et le dernier avant l’indépendance en1946, de 33 684 à 62543 habitants, la crois-sance de la population de la ville (cf. tableau 2)fait apparaître que celle-ci a presque doublé.Elle est le fruit notamment des efforts britan-niques pour améliorer la situation sanitairedans la ville et de l’ouverture en 1902 d’uneligne de chemin de fer qui passe par Jaffna etqui relie, en 1905, la ville à la capitale,Colombo. Toutefois, la croissance de la villereste étonnante ; ainsi, Jaffna perd le quart desa population dans la dernière décennie duXIXe siècle et, bien que les recensements ulté-rieurs montrent que la population de la ville necesse de croître, ce dynamisme apparaîtcomme très irrégulier, avec de véritablespériodes de ralentissement. C’est finalement ledernier recensement, au lendemain de laSeconde Guerre mondiale, qui marque ledébut d’une importante croissance de la ville,

Tableau 2 – Croissance de la population de Jaffna(1871-2004)

Source: Department of Census1981, Divi -sional Secretary Jaffna and Nallur 2002,2003 et 2004

Page 26: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

25Grafigéo 2007-32

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

et par là-même, une augmentation de la popu-lation de plus d’un tiers. Le développementd’un commerce régional, d’institutions sco-laires de très grande qualité, de rues etd’administrations, transforme la physionomieet le statut de Jaffna. Les Britanniques établis-sent officiellement le siège administratif de laprovince du Nord à Jaffna et la ville devient en1923 un Urban District Council, avant dedevenir en 1949 la quatrième ville de l’île àêtre élevée au rang de Municipal Council. Cestatut, qui concrétisent la croissance démogra-phique et l’essor urbain de la ville, permet à lacité de se doter de toute une séried’équipements (une bibliothèque, un bureaude poste, une gare ferroviaire ou encore plu-sieurs théâtres) qui renforcent sa prééminenceau niveau provincial et la hissent au rang dedeuxième ville de l’île après Colombo.

Par conséquent, Jaffna doit tout autant sonstatut de capitale historique des Tamouls auprestige du royaume de Jaffna qu’à la volontédes Européens de faire d’elle l’une des princi-pales villes de l’île.

Jaffna ou la capitale culturelle des Tamouls de Sri Lanka

En plus d’être la capitale historique desTamouls et un siège administratif importantde l’île, la ville est également réputée pour êtrela capitale culturelle des Tamouls. En effet,Jaffna est à la fois un pôle d’excellence pourl’apprentissage de l’anglais et un centre émi-nent de la défense de la culture traditionnelletamoule.

Pour favoriser la christianisation desTamouls, les Portugais créèrent des écolesassociées à une église, où le professeur étaitsouvent un missionnaire. Sous l’ère hollandai-se, l’enseignement, assuré en hollandais et entamoul, devient ouvert à tous, sans distinctionreligieuse, mais obligatoire pour les enfants del’élite tamoule.

Au XIXe siècle, les Anglais vont s’efforcerd’établir à Jaffna de grandes écoles dispensantun enseignement de qualité. Dès 1817, lesBritanniques créent l’école de Wesleyan, quideviendra la très prestigieuse Jaffna CentralCollege. Cette école, où l’enseignement dis-pensé est très proche de celui de la Grande-

Bretagne, doit contribuer à former les futuresélites de la ville. Au fur et à mesure du déve-loppement urbain, la cité se pare d’un réseaud’écoles dont l’excellence de l’enseignementen anglais assure à la bourgeoisie jaffnaise unepromotion dans la fonction publique colonia-le. L’obligation scolaire en 1911 et la gratuitéde l’enseignement du primaire au supérieurfavorisent l’alphabétisation de la population,notamment celle de certaines basses castes, entamoul, voire en anglais pour les plusbrillants. Logiquement, l’école devient pourune majorité de Jaffnais, le principal instru-ment d’ascension sociale et de valorisation,comme le montre bien Mr Lamballe

« ...en 1921, le nombre de diplômés del’université est relativement plus important chezles Tamouls ceylanais que chez les cinghalais.Grâces à leur éducation de bon niveau, incité audépart par la faiblesse des ressources du solingrat, les Tamouls ceylanais essaimèrent dansles grands centres urbains du reste de l île ou ilstrouvèrent sans difficulté des emplois lucratifsdans la fonction publique et privée...Dans laplupart des administrations et des professionslibérales, on trouve en 1921 autant de Tamoulsque de Cinghalais. En 1946, la fonctionpublique comprenait, dans son ensemble,presque toujours autant de Tamouls que deCinghalais et, dans l’administration judiciaire,on trouvait deux Tamouls pour troisCinghalais.» (1985, p. 26)

La réputation des établissements de la villeest telle que les élèves Tamouls les plusbrillants de la province de l’Est, dépourvusd’un réseau d’écoles aussi performant,essaient de poursuivre leurs études dans l’unedes grandes écoles jaffnaises. Très vite, Jaffnaacquiert le statut de grand centre scolaire del’île et ses habitants, la réputation d’être lesTamouls les plus éduqués de l’île.

L’excellent niveau de l’enseignement enanglais pousse les Britanniques à favoriser lerecrutement de Jaffnais dans l’administrationcoloniale, autant dans le reste de l’île que dansd’autres colonies britanniques telles que laMalaisie ou l’Afrique du Sud. Le haut degréd’éducation des Jaffnais est à l’origine d’uneimportante émigration de travail et Jaffnaapparaît comme le homeland d’une véritablediaspora qui n’hésite pas à s’expatrier, afin de

Page 27: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3226

éche

lle a

ppro

xim

ativ

e

0

1000

mN

22

23

16

1512

21

2019

1817

1411

10

8

7

6

53

2

19

13

4

Tem

ple

hind

ouis

te

Eglis

e ch

rétie

nne

Mos

quée

Tem

ple

boud

hist

e

Lége

nde

MA

DA

VAN

sour

ce: M

ap o

f Jaf

fna

Mun

icip

al C

ounc

il, 19

63

Fig

ure

3 –

Les

édi

fices

rel

igie

ux à

Jaf

fna

Page 28: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

27Grafigéo 2007-32

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

éche

lle a

ppro

xim

ativ

e

0

1000

mN

Lége

nde M

ajor

ité h

indo

uist

e

Maj

orité

chr

étie

nne

Maj

orité

mus

ulm

ane

Mix

te h

indo

uist

es,c

hrét

iens

et

mus

ulm

ans

Mix

te h

indo

uist

es e

t ch

rétie

ns

sour

ce :

MA

DA

VAN

22

23

16

1512

21

20

19

18

17

1411

10

8

7

65

3

2

1

913

4

Fig

ure

4 : R

épar

titi

on

des

com

mun

auté

s re

ligie

uses

à J

affn

a pa

r qu

arti

er

Page 29: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

subvenir aux besoins de la famille restée aupays, et revenir passer sa retraite à Jaffna.

Jaffna doit en partie son statut de grandcentre intellectuel à la volonté européenne d’yétablir un réseau d’écoles de tout premierchoix, capables de former en anglais l’élitetamoule et d’essayer par la même, de leur faireassimiler le modèle, la culture et les valeursoccidentales. Même si l’élite jaffnaise voitdans l’apprentissage de l’anglais un moyennon négligeable de réussir socialement et de sedistinguer, elle n’entend pas pour autant sacri-fier sa culture et son identité. Dans ce souci dedéfendre l’identité tamoule et l’hindouismecontre la culture chrétienne et européenne, onassiste au XIXe siècle à un véritable renouveauqui va définitivement faire de Jaffna le grandcentre de la culture traditionnelle tamoule àCeylan et, par extension, à Sri Lanka. Unhomme va particulièrement contribuer à fairede Jaffna le centre indiscutable de la culturetamoule dans l’île, ainsi que le remarqueM. Meyer

« Chez les Tamouls hindous de Jaffna se déve-loppa, dès le milieu du XIXè siècle, un mouve-ment de renaissance religieuse shivaïte animéArumuga Navalar qui avait , à ses débuts ,colla-boré avec les missionnaires protestants à unetraduction de la Bible en tamoul. Célébrant letamoul ancien comme le langage sacré deshymnes shivaïtes au même titre que le sanskritpour les hymnes védiques, il entreprit de trans-crire en prose moderne les grands textes sacrés.Il contribua à la naissance d’une dévotion lin-guistique que religieuse… » (2001, p.28-29)

L’autorité culturelle de Navalar Arumugaest même reconnue jusqu’en Inde, où il estinvité pour parler de grammaire. Le tamoulparlé à Jaffna commence à être considéré, ycompris par les Tamouls d’Inde, comme leplus pur, remarquable et proche du tamoullittéraire. Ce personnage est aussi à l’originede la création d’une imprimerie et de l’HinduCollege de Jaffna. En rassemblant des textesimportants des littératures tamoule et hindoue,il contribue également à la création, à Jaffnad’une grande bibliothèque, qui deviendra vitepour les Tamouls de l’île, l’âme de la culturetamoule et renforcera la ville dans son statut decapitale culturelle des Tamouls. L’importance

de cette bibliothèque est notamment soulignéeen 1974 par le président de la République duSri Lanka, W. Gopallawa, dans les vœux defélicitation qu’il transmet à la municipalité deJaffna pour le jubilé d’Argent de la naissancedu JMC.

« Jaffna is the home of a people who have inhe-rited a rich literature and culture and in keepingwith the aspiration of the people, it has beenpossible for the Municipal Council to erect andequip perhaps one of the best Municipal libra-ries in the country. » (JMC, 1974, pas de numé-rotation)

L’importance de la place que tient la cultu-re pour les Jaffnais apparaît aussi dans lesréponses obtenues sur le terrain. Lorsque l’oninterroge les habitants de la ville sur ce qui lesdistingue des autres Tamouls de l’île, il estintéressant de constater que les réponses lesplus fréquentes sont dans l’ordre : leurmeilleure éducation (à vingt reprises), lapureté du tamoul de Jaffna, plus littéraire (àquinze reprises) et enfin le respect des tradi-tions et des valeurs tamoules à Jaffna (à douzereprises). Ainsi, Jaffna, constitue véritable-ment un centre où cohabitent deux cultures,l’une occidentale et chrétienne, apportée parles Européens et l’autre qui s’appuie surl’identité tamoule et hindoue dont la ville seveut la gardienne à l’échelle de l’île entière.

UNE VILLE MARQUÉE PAR LESDIFFÉRENCES CULTURELLES ETSOCIALES ENTRE SES HABITANTS

Jaffna ou la cohabitation religieuse

Il existe à Jaffna une longue tradition detolérance et de cohabitation entre différentesreligions. Déjà, à l’époque de la dominationdes rois tamouls, des récits de voyageurs occi-dentaux évoquent la présence de Musulmansvivant sans heurts avec la population indigènemajoritairement tamoule. Avec les colonisa-tions européennes, une nouvelle communautéreligieuse voit le jour, grâce aux effortsacharnés des missionnaires chrétiens aussibien catholiques que protestants.

Cette coexistence des différentes religions

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3228

Page 30: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

29Grafigéo 2007-32

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

se traduit par une véritable répartition spatia-le des communautés religieuses.

Dès la deuxième moitié du XIXe siècle, laville de Jaffna semble avoir trois zones biendistinctes : les quartiers côtiers, la villeeuropéenne et la ville hindoue commel’explique bien M. Balasundarampillai :

«The European part of the town, “Paran -kitheru” had European residential areas warehouses, the administrative area developed withthe establishment of katchcheri. The Chundikuliwas brought under this area. This part had largehouses with verandahs, courtyards and com-pounds. Roads were constructed on grid modelswith high internsity. The costal area consisted ofKaraiyoor, Pasayoor and alupanthi, fishingboat building; boat repairing and port activitieswere confined to this area. The Western part ofthe town was known as “Hindu Town” ofVannarponnai. English educated people ofhindu origin and the affluent trades folk mainlyinhabited this area. (JMC, 1974, pas de numé-rotation)

L’auteur distingue avant tout, deux princi-pales zones culturelles : l’une chrétienne,regroupant les zones côtières énumérées parl’auteur et la « ville européenne», et l’autrehindoue. Toutefois, il apparaît nécessaire decompléter cette description, car la physiono-mie de la ville semble avoir beaucoup changé.L’augmentation de la population jaffnaise et ledéveloppement urbain qui en résulte ont cer-tainement été à l’origine de la transformationde la ville. Il apparaît nécessaire de ne distin-guer non pas deux, mais trois zones culturellesdistinctes à Jaffna : les zones musulmane,chrétienne et hindoue. Pour distinguer cestrois zones, on va s’appuyer sur la carte desédifices religieux de la municipalité de Jaffna(cf. figure 3).

L’islam s’est implanté très tôt à Jaffnaavec l’établissement de marchands arabes duMoyen-Orient, attirés par le commerce deperles et qui se sont mariés avec desTamoules. Après l’installation des Européens,ce sont surtout des Musulmans indiens quiviennent renforcer cette communauté quioccupe traditionnellement une place impor-tante dans le secteur commercial de la ville.Bien que partageant le tamoul comme languematernelle, les Musulmans jaffnais, comme

ceux du reste de l’île, considèrent que la reli-gion est le marqueur identitaire qui doit pré-valoir contre la langue. Ainsi, même s’il règneune coexistence pacifique avec les autrescommunautés, qui se traduit notamment parl’élection à plusieurs reprises de mairesmusulmans à la tête de la municipalité, cettecommunauté refuse d’être considérée commetamoule. La reconnaissance de l’existenced’une zone culturelle musulmane dans la villeapparaît dans le nom officiel donné aux deuxquartiers musulmans: New Mosque et OldMosque et à la présence de six collègesmusulmans dont le plus réputé est l’OsmanianCollege dans le quartier de Old Mosque.

Cette présence mu sul mane ne se limite passeulement à ces quartiers, comme le prouve lalocalisation des mosquées dans la ville. Ainsi,sur les sept mosquées dénombrées à Jaffna,toutes situées dans la partie occidentale de laville, on peut noter que quatre d’entre elles ontété érigées dans le quartier de Navan thura quisemble être le seul quartier, dont la composi-tion religieuse est véritablement mixte. Ledernier quartier, dans lequel on retrouve unemosquée, est le quartier commercial nomméBazar dans lequel les marchands musulmansoccupent traditionnellement une belle place.

La deuxième zone culturelle, que l’on peutdistinguer sur la carte de la composition reli-gieuse de Jaffna (cf. figure 4), est la partiechrétienne que l’on retrouve majoritairementdans le Sud de la ville. La christianisationd’une partie de la population ne peuts’expliquer que par la volonté descolonisateurs d’évan gé liser les indigènes.Cette évangélisation de la population a prisdifférentes formes. Ainsi, les premièresconversions, principalement de pêcheurs, réa-lisées par les Portugais, sont réputées pouravoir été effectuées sous de la menace. LesHollandais, puis les Britanniques, vont favori-ser les conversions en accordant des facilitéset des avantages aux convertis. P. Balasun -darampillai distingue dans la partie chrétien-ne, les quartiers côtiers, qui correspondentpour lui aux quartiers de pêcheurs chrétiens de“la ville européenne”, et les quartiers résiden-tiels et administratifs façonnés par lesOccidentaux. Cette partie de la ville a été for-tement influencée par la présence occidentale.

Page 31: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Le port et le fort constituent en quelque sortel’épicentre à partir duquel les Européens ontcréé la ville moderne de Jaffna et commencé àconvertir les pêcheurs qui s’y trouvaient.Ainsi, il n’est pas étonnant de constater quec’est dans cette zone chrétienne, dont le centreest Main Street, que l’on retrouve les princi-paux édifices érigés par les colonisateurs : lefameux fort hollandais, autour duquel les prin-cipales routes de la ville convergent, la majo-rité des édifices chrétiens comme la cathédra-le de Jaffna, des théâtres et des administrationscomme le Katchcheri qui doit servir de siègeau district de Jaffna. Cette partie de la villeabrite le grand hôpital de Jaffna et le principalquartier de commerce. Cet espace, comporteles six quartiers de la ville européenne, aux-quels on peut rajouter les quartiers dont le peu-plement a été développé dans un second tempspar les colonisateurs et qui ont une populationmixte. L’urbanisation de la municipalité secaractérise par une nette opposition de densitéd’habitat entre la zone chrétienne et les autresparties de la ville. En effet, la densité de bâti,très importante, renforce le caractère urbain dela zone chrétienne et contraste véritablementavec une zone semi-urbaine, où la densité del’habitat tend à devenir plus lâche au fur et àmesure que l’on s’approche du centre de la‘ville hindoue’ dans le quartier deVannarponnai au Nord-Est de la municipalité.

Cela nous amène à parler de la fameuse« ville hindoue » de Jaffna dont le centre est letemple de Kandaswamy (ou Nallur). L’essordu culte de Shiva à Jaffna va de pair avecl’avènement et l’épanouissement du royaumede Jaffna. Plusieurs temples hindouistes datentainsi du temps des rois de Jaffna, qui ont bâticelui de Kandaswamy, seul temple princier del‘île. Ce lui-ci, desservi par un brahmane dehaut rang, contribue à faire de Jaffna le grandcentre religieux hindou de l’île. La carte desédifices religieux dans le Municipal Councilde Jaffna permet d’observer l’importance de lacommunauté hindoue dans la municipalité deJaffna. En effet, les temples hindous représen-tent, encore aujourd’hui, près des trois-quartsdes édifices religieux de la ville. Cette villehindoue, qui regroupe les quartiers du Nord etde l’Est de la municipalité, est considérée parles habitants comme le véritable centre origi-

nel de la cité. L’élite hindouiste tend à ydéfendre le culte shivaïte comme élément fon-damental de l’identité tamoule face à l’effortde chritianisation de la population par lesEuropéens. C’est dans ce souci de défendrel’identité hindoue que sont créés de nouveauxtemples et des écoles hindoues commel’Hindhu College qui doit rivaliser avec lesgrands établissements scolaires chrétiens.

La municipalité de Jaffna voit ainsi cohabi-ter trois communautés religieuses qui mar-quent l’espace qu’elles occupent. Toutefois, ilest important de noter que ces démarcationsn’ont rien d’absolu et qu’à l’intérieur de quar-tiers dits à majorité chrétienne ou hindouiste,on peut trouver une minorité non négligeablede l’autre religion. On peut parler, en ce quiconcerne Jaffna, d’une véritable coexistenceinter-religieuse sans heurt, qui s’est égalementmanifesté par la présence, jusque dans lesannées 1980, d’une communauté cingalaisebouddhiste, disposant d’un temple à l’intérieurde la ville, avant que celui-ci ne soit détruit en1987 par les Tigres pour des raisons politiques.

Une société régie par l’ordre des castes

L’hindouisme tient, comme on l’a vu, uneplace historique considérable dans la civilisa-tion tamoule et explique l’importance decastes chez les Tamouls. Le système des castesest réputé particulièrement rigide dans lapéninsule de Jaffna et présente un certainnombre de particularités. En effet, le groupequi domine la pyramide sociale de Jaffna estcelui des riziculteurs appelés vellalar, qui tirenttoute leur autorité de la possession de la terre.Cette caste, qui a longtemps été numérique-ment la plus importante de la ville, est égale-ment à la tête du culte shivaïte. La faibleimportance des brahmanes dans l’île les faitapparaître comme des employés des vellalar,qui sont souvent patrons de temples qu’ils ontaidé à construire et qu ils subventionnent lar-gement. Ainsi, les vellalar se considèrentcomme les garants légitimes de l’existence decette société hiérarchisée selon la pureté de telou tel groupe d’individus. Il est particulière-ment difficile d’établir le nombre de castes

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3230

Page 32: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

31Grafigéo 2007-32

existant à Jaffna, bien que le gouverneur hol-landais Thomas Van Rhee en dénombre 41 en1687. En effet, les divisions de castes se font,comme le montre le tableau simplifié descastes à Jaffna, par métier mais également parreligion ; on distingue ainsi les charpentiershindous de leurs collègues chrétiens. De plus,à l’intérieur d’un même groupe partageant unmême métier et une même religion, on dis-tingue des sous-divisions selon leur provenan-ce géographique. Ainsi, les différents quartiersde pêcheurs chrétiens du Sud de la ville possè-dent des identités bien distinctes qui se tra-duissent par des alliances matrimoniales leplus souvent à l’intérieur des mêmes quartiers.

Dans cette pyramide des castes, on a long-temps distingué en dessous des vellalar troisgroupes : les kudimai, les adimai et enfin lescastes de pêcheurs. Les castes kudimairegroupent celles des artisans et des employésde maisons des vellalar. Bien que consi -dérées comme basses castes, par rapport auvellalar ou au chetyar, elles ont tout de mêmeune certaine indépendance financière, les fai-sant presque apparaître comme une clientèledes vellalar. Cela explique qu’elles disposentde droits et de devoirs qui ne peuvent êtremonnayés.

A l’inverse, les personnes adimai, quiregroupent surtout les castes qui vivent du tra-vail de la terre ou d’activités considérées

comme impures, sont assimilées à desesclaves. Elles ont longtemps vécu à part dansdes huttes et étaient maintenues dans leurcondition d’infériorité par des humiliations etdes discriminations. Ainsi, les vellalar interdi-saient aux personnes de castes impures l’accèsaux grands temples de la ville comme celui deNallur.

Les pêcheurs, par la nature de leur activité,sont véritablement indépendants des vellalar àqui ils ne doivent aucun service et dont ils nesont pas, à la différence des kudimai, lesclients. Cette relative indépendance a amenéles vellalar à marginaliser cette communautéqui pouvait se passer d’eux.

Sous la domination européenne, on vaassister à d’importants changements sans quecela remette en question l’existence de cettehiérarchie. La conversion par les Portugaisdes communautés de pêcheurs concrétisedéfinitivement leur émancipation de la sociétéde castes des vellalar. La stratégie desHollandais, puis des Britanniques, consistantà inciter la population indigène à se convertiren échange d’une possibilité d’ascensionsociale, favorise l’évangélisation de certainescastes adimai telles que les pallar ou les nala-var mais également de quelques vellalars quisouhaitent préserver leur privilèges. L’im pactoccidental n’est pas négligeable sur cettesociété de castes. Sous la domination bri-

tannique, les vellalarvont, grâce à leurexcel lente éducationen anglais, voir leurrôle s’accentuer sur leplan politique, écono-mique et culturel, aussibien à Jaffna que dansle reste de l’île.

Le développementdu capitalisme permetaux artisans des’enrichir. La décisionbritannique d’interdireen 1844 toute formed’esclavage met défi-nitivement un terme àla distinction entrekudimai et adimai,

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Source : E. Meyer (modifié)

Tableau 3 – Tableau simplifié des castes de Jaffna

Page 33: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3232

éche

lle a

ppro

xim

ativ

e

0

1000

mN

Lége

nde C

aste

vel

lala

r

Cas

te t

atch

er

Cas

te p

éche

ur

Cas

te n

alav

ar

Cas

te p

aray

ar

Mus

ulm

ans

Mix

te

Fig

ure

5 : L

oca

lisat

ion

trad

itio

nnel

le d

es c

aste

s pa

r qu

arti

er d

ans

le J

.M.C

sou

rce

: MA

DA

VAN

22

23

1615

12

21

2019

1817

1411

10

8

7

6

53

2

1

9

13

4

Page 34: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

33Grafigéo 2007-32

même si ces derniers restent toujours, auxyeux des vellalar, des intouchables. Toutefois,l’accès à l’éducation a permis à certaines deces castes de connaître une importante ascen-sion sociale. Ainsi, la communauté des nala-var du quartier de la cathédrale s’est convertieen majorité au christianisme et a abandonné,dans l’ensemble, l’activité traditionnellequ’elle pratiquait. Cette caste a su profiter dutremplin scolaire pour s’affranchir de sonancienne image et accéder à des postes dansl’administration ou l’éducation. A l’inverse,d’autres castes, bien qu’également convertiesau christianisme, n’ont pas réussi à se débar-rasser de leur étiquette, n’ont guère profité desopportunités apportées par la scolarisation etont continué à souffrir d’humiliations et dediscriminations.

La conversion d’une partie non négli-geable de la population au christianisme et lapromotion sociale de certaines castes n’ontpas marqué le glas de la hiérarchie des castes.Au contraire, à l’intérieur même de la com-munauté chrétienne, les considérations decastes n’ont pas disparu. Le témoignage d’unchrétien de quarante ans, de caste pallar, surson enfance illustre parfaitement les discrimi-nations auxquelles sa communauté, a dû faireface. Deux éléments de son discours souli-gnent particulièrement le climat dans lequelcet homme et, par extension, sa communauté,ont pu vivre, au moins jusque dans les années1980. Le premier exemple montre combien,dans la vie de tous les jours, les personnesappartenant à cette caste ont pu être publique-ment mises au ban de la société. Ainsi, cethomme a tenu à me dire qu’à cette époque, lespersonnes de sa caste, même dans les quartierschrétiens, devaient, lorsqu’ils allaient dansune échoppe de thé, non pas boire dans unverre comme tout le monde mais dans uneboite de conserve qui leur était réservée. Dansson deuxième exemple, plus intime, cethomme a évoqué le souvenir douloureux d’unentretien d’embauche auquel il s’est rendu surla recommandation d’une sœur catholique.Lors de cet entretien auquel étaient présentsquatre autres candidats, le recruteur a prié lesautres personnes de s’asseoir, puis s’est tourné

vers cet homme et lui a dit “get out”, en décla-rant qu’il n’était pas possible d’envoyer despersonnes de ce quartier, et donc de cettecaste, se présenter à un entretien de travail.Face à une telle humiliation, cet homme detrès basse caste a eu, l’espace d’un moment,envie de tuer ce recruteur et, surtout, de reje-ter cette société jaffnaise qui le méprisait tant.Cet exemple montre à quel point la hiérarchiedes castes est restée ancrée dans la mentalitéde la majorité des Jaffnais. Même chez leschrétiens qui se sont souvent convertis pour sesoustraire à leur statut d’infériorité par rapportà d’autres castes, on a paradoxalement gardé àl’esprit la supériorité de caste que l’on pouvaitavoir sur une autre communauté, même sicelle-ci est également chrétienne.

L’importance des castes dans la sociétéjaffnaise est largement perceptible à traversles mariages, qui sont très majoritairementarrangés et dans lesquels l’endogamie decastes est strictement respectée. En effet, leprincipal souci des parents est souvent de pré-server l’honneur et la respectabilité de lafamille, en évitant à tout prix toute mésallian-ce, qui entraînerait une exclusion de la famil-le par les autres membres de la caste et se tra-duirait par la rupture d’un des liens desolidarité et de sociabilité de la société jaffnaise.

L’importance du système de castes sereflète également dans l’organisation del’espace de la ville en différents quartiers decaste. Toutefois, il faut reconnaître que lalocalisation très subtile des castes dansl’espace de la ville mériterait d’être étudiée àl’échelle des rues à l’intérieur de chaquequartier. L’absence de données statistiquessur les castes à Sri Lanka nous empêche mal-heureusement d’adop ter une telle démarche.Néanmoins, il est très aisé de connaître lacomposition, par caste, des différents quar-tiers de la ville. Pour cela, on peut s’appuyersur les rares cartes encore disponibles de lapériode antérieure au conflit armé. Cetterépartition des castes à l’intérieur de la villeest explicite, à travers le nom que portaientplusieurs quartiers se référant à la caste quil’occupait majoritairement. Ainsi, lorsquel’on consulte la carte du district de Jaffna de

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Page 35: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

1966 et que l’on recherche le quartier deMathews à l’intérieur de la municipalité deJaffna, on peut constater que celui-ci est alorsconnu comme Karaiyur, c’est-à-dire le villagedes pêcheurs. Chaque quartier de la ville estconnu pour être habité par des personnes detelle ou telle caste.

Il est donc possible de réaliser une cartede la répartition traditionnelle des castes àJaffna à l’échelle des quartiers, en recoupantles réponses de différents Jaffnais qui ontaccepté de parler des castes et de leur réparti-tion dans la ville. La cohérence des réponsesobtenues a favorisé l’élaboration d’une carte(cf. figure 5) qui nous aide à mieux appré-hender l’organisation de la ville. On peutainsi distinguer, les quartiers musulmans misà part, quatre espaces bien distincts. Ainsi, onretrouve dans le Nord de la ville, près dutemple sacré de Nallur, les quartiers vellalar.Ceux à proximité des côtes apparaissentcomme étant principalement investis par lespêcheurs. Entre ces deux espaces, il semble-rait qu’il en ait sans doute existé un occupépar les clients de vellalar, comme les tatcherou des castes dépendantes des vellalar.Toutefois, ce dernier espace semble avoirconnu une évolution suite à l’arrivée desEuropéens, même si l’on retrouve toujours àl’Est de la ville ces quartiers où habitent descastes traditionnellement clientes ou dépen-dantes des vellalar. Par contre, les quartiersdu Centre-Ouest, c’est-à-dire celui du fort etdes trois quartiers au Nord du fort (Bazaar,Hospital, Station) créés et développés sousl’impulsion européenne, ont une plus grandemixité des castes. En effet, cet espace, qui estdevenu le centre de la ville européenne, aattiré aussi bien des commerçants musul-mans, des artisans que des vellalar qui sou-haitaient bénéficier du dynamisme et de laprospérité créés par les Européens.

Pendant des siècles, les solidarités de casteet de religion ont dominé à tel point la sociétéjaffnaise traditionnelle que ces divisionssociales se sont traduites matériellement dansla composition spatiale de la ville. L’ascensionsociale de certaines basses castes grâce àl’enseignement ou au développement du capi-talisme n’a pas pour autant ébranlé la pré-pondérance socio-économique des vellalar

dans la société jaffnaise. Toutefois, au niveaunational, les mesures discriminatoires prisespar les autorités centrales, mettent en danger leprincipal débouché d’emploi de la jeunesse dela bourgeoisie jaffnaise. C’est au nom de ladéfense de leurs acquis et de leur poids poli-tique à l’échelle nationale de l’île que l’élite deJaffna dirige l’opposition des Tamouls face àla cingalisation de l’île voulu par l’État central.

JAFFNA, PRINCIPAL REMPARTÀ LA CINGALISATION QUE TENTED’IMPOSER L’ETAT SRI LANKAIS

Les griefs des Tamouls

La période coloniale britannique a été pourles Tamouls une période d’épanouissementdurant laquelle l’élite jaffnaise a connu unrayonnement à l’échelle de l’île grâce à laplace prépondérante qu’elle occupait dansl’administration coloniale. Bien qu’étant déjàtrès fière de son identité, il n’a jamais été ques-tion à cette époque de se distinguer des autrespopulations et de revendiquer auprès del’Angleterre qu’elle administre de façon dis-tincte les territoires à majorité tamoule du restede l’île. Comment expliquer, dans ces condi-tions, que les tensions inter-communautairesaient pris une telle ampleur ? La situationactuelle à Sri Lanka peut se comprendre à lalumière de la définition que fait M Thual desconflits identitaires :

« Les conflits identitaires semblent pouvoir êtredéfinis non pas seulement comme des conflits derevendications d’un territoire, d’une population,d’une ressource mais bien plutôt par la percep-tion collective d’une menace...ce qui donne unsens à la crise identitaire...c’est la certitude plusou moins consciente de la “victimisation” dugroupe. » (1995, p. 160)

A Sri Lanka aussi, le conflit s’explique parla perception de la minorité tamoule d’êtremenacée dans son essence par les décisionspolitiques des gouvernements dominés par lesCingalais. Cette idée « perception collectived’une menace » est encore plus forte chezl’élite jaffnaise qui est la principale victimedes décisions gouvernementales remettant en

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3234

Page 36: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

35Grafigéo 2007-32

causes leurs acquis et leur rayonnement sur lascène nationale. Le conflit inter-communau-taire sri lankais s’explique, en grande partie,par la peur de l’élite de perdre ses privilèges etde voir l’ethnie majoritaire de l’île tenter decingaliser l’ensemble des institutions du pays.On peut comprendre ainsi pourquoi la popu-lation jaffnaise, sous impulsion de son élite, varassembler l’ensemble des Tamouls de l’îlederrière elle afin de s’élever contre le proces-sus de cingalisation des institutions étatiquesvoulu par le pouvoir de Colombo et défendreles droits légitimes des Tamouls autant que ledroit à l’exception culturelle des Tamouls.

Cette fameuse cingalisation, dénoncée parles Tamouls et qui met à mal l’unité nationale,favorise au contraire le développement senti-ment communautariste dans l’île, et se nour-rit de trois grands problèmes : le choix institu-tionnel pour le pays, la remise en cause desprincipaux privilèges de l’élite de Jaffna etsurtout la défense de l’identité et de la cultu-re tamoules.

Le choix du régime institutionnel léguépar les Britanniques est, en quelque sorte, àl’origine des tensions à Sri Lanka : faire élireau suffrage universel les membres du parle-ment ceylanais sans distinguer les différentescommunautés ne fait pas l’unanimité. Déjà,quelques Tamouls, réunis dans le parti duTamil Congres (TC), craignent que les droitsdes communautés minoritaires ne soient pasrespectés, le choix du suffrage universel don-nant une prépondérance indiscutable à la com-munauté cingalaise, majoritaire dans l’île avecprès de soixante-dix pour cent des habitants del’île. Le leader du Tamil Congres Ponnam -balam propose, sans succès, de garantir lesprivilèges et les droits des minorités encréant une double chambre composée, dansl’une, de la majorité cingalaise alors que ladeuxième regrouperait les différentes mino-rités du pays.

Par la suite, les décisions souvent discrimi-natoires, adoptées par les gouvernementsdirigés par les Cingalais, tendent à créer denouveaux problèmes et à amplifierl’inquiétude des Tamouls qui radicalisentleurs positions. L’adoption en 1956 d’unenouvelle Constitution par le Parlement ceyla-nais, faisant du cingalais la seule langue offi-

cielle du pays, va mettre à mal l’unité natio-nale. Les Tamouls s’érigent contre cette déci-sion du Parlement ; le problème linguistiquepossède en effet une double dimension : lapremière, socio-économique, concerne labourgeoisie jaffnaise alors que la seconderegroupe, derrière le Federal Party, l’ensembledes communautés tamoules de l’île dans ladéfense de la langue et de la culture tamoules.

L’élite jaffnaise est naturellement la pre-mière à s’élever contre ces mesures parlemen-taires qui mettent en danger le principaldébouché d’emploi de la bourgeoisie tamoule.En effet, le choix du cingalais comme seulelangue officielle entraîne l’obligation pour lesfonctionnaires et futurs prétendants de le maî-triser, ce qui évince les jeunes Tamouls deJaffna qui ignorent très souvent cette langue.Ainsi, alors que pendant longtemps l’élite deJaffna était réputée pour son excellence dansla maîtrise du tamoul et surtout de l’anglaisqui lui ouvrait les portes de l’administrationde l’île, pour la première fois, la languedevient une barrière.

A ce problème s’ajoute le choix du gou-vernement d’instaurer un barème de notesdifférent pour les étudiants Cingalais etTamouls au lieu du système basé jusque-làuniquement sur le mérite. Ce nouveau systè-me pénalise ouvertement les étudiantsTamouls qui doivent avoir des résultats plusimportants que leurs condisciples Cingalaispour réussir. Cette mesure contribue à baisserla part des étudiants admis à l’université etporte un coup important au principal ascen-seur social des Jaffnais.

Le problème linguistique possède égale-ment une dimension culturelle qui regroupe,derrière les Jaffnais garants de la culturetamoule dans l’île, l’ensemble des Tamouls.En effet, le choix du cingalais comme seulelangue officielle du pays est perçu par lesTamouls comme une menace à leur identité età leur civilisation. En donnant la prééminenceau cingalais sur le tamoul, les politiciens cin-galais se dotent de l’outil législatif qui doitfaciliter, à leurs yeux, la cingalisation desminorités de l’île. C’est dans le domaine sco-laire que la lutte semble s’engager avec unechute de l’enseignement en anglais dans l’îleet l’adoption du principe de swabhasha qui

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Page 37: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

oblige chaque enfant à avoir une éducationdans une seule langue. Cette stratégie a connuun relatif succès dans le Sud de l’île, à majo-rité cingalaise, où beaucoup de Musulmansont préféré inscrire leurs enfants en cingalais.Le gouvernement a également adopté lamême stratégie dans les territoires tamouls ;celle-ci n’a cependant pas connu le mêmesuccès comme l’explique M. Paul :

« L’école est un des autres enjeux des relationsentre les deux communautés. De 1960 à 1961,une grande partie des écoles chrétiennes sontnationalisées surtout dans la région de Jaffna.Ainsi, le gouvernement peut plus facilementimposer la langue cingalaise comme langued’enseignement. Aussi, de février à avril 1961, leF.P mène-t-il une campagne de désobéissancecivile dans les provinces du Nord et de l’Est pourprotester contre toute cette politique. LesTamouls créent leur propre service postal. C’estl’une des premières manifestations du désird’autonomie. En 1963, une nouvelle campagneet menée pour l’emploi du tamoul dans toutes lescorrespondances avec le gouvernement. »(1997, p. 21)

Face aux tentatives du pouvoir centrald’assimiler les Tamouls, ces dernierss’efforcent de défendre leur identité et leursdroits en réaffirmant qu’ils sont, tout commeles Cingalais, « des fils du sol », et que leroyaume tamoul de Jaffna est a l’origine de lacivilisation dans le Nord de l’ île. Le fait d’être« des enfants du sol », à la différence desTamouls des plantations arrivés seulement auXIXe siècle, justifie aux yeux des Jaffnais, leurdroit à ne pas être dirigés par les membres dela majorité ethnique et à être traité en égaux.Face à cette menace d’acculturation, les intel-lectuels tamouls réaffirment la grandeur desécrits tamouls et surtout du royaume tamoulde Jaffna. A coté de cela, les Tamouls mettenten avant l’existence historique d’un espace àmajorité tamoul sur île qu’ils appellentl’Eelam et qui regroupe les provinces Nord etEst et dénoncent la colonisation par des Cinga -lais de ces espaces que favorise le gouverne-ment et qui remet en cause l’équilibre ethniquedans les villes de la province Est.

La radicalisation des Tamouls

Pour protester contre cette politique du

pouvoir central, les Tamouls organisent desmanifestations pacifiques spectaculaires pourmarquer leur opposition. A plusieurs reprises,les leaders politiques tamouls lancent des cam-pagnes de désobéissance civile. Ainsi, en1963, ceux-ci demandent à la population den’utiliser que le tamoul dans les correspon-dances avec le gouvernement, en opposition àcelui-ci qui refuse de reconnaître l’emploi dutamoul dans leurs deux régions à majoritétamoule. Les représentants Tamouls tententégalement à plusieurs reprises de parvenir à uncompromis avec le gouvernement en place. Adeux reprises, le leader du Federal Party (FP)Chelvanayakam s’accorde avec le gouverne-ment pour faire du tamoul la langue adminis-trative du Nord et de l’Est du pays. Mais, àchaque fois, le président Banda ra naike en1958, puis le président Sen nayake en 1965,cèdent aux pressions conjuguées del’opposion et des extrémistes. Les Tamoulsconstatent amèrement que, malgré les pro-messes des leaders des deux principaux partispolitiques cingalais, leurs doléan ces n’ont pasété entendues et que, pire encore, les dirigeantscingalais ont préféré ne pas perdre l’électoratextrémiste cingalais plutôt que de promouvoirl’harmonie sociale et communautaire dansl’île. Les Tamouls devront attendre l’adoptiond’une nouvelle Consti tution en 1978 pour voirreconnaître au tamoul le statut de langue natio-nale et son utilisation au Parlement, dansl’enseignement, l’administration et les tribu-naux, en particulier dans les provinces Nord etEst. Cette décision symbolique et si longtempsattendue atténue le mécontentement desTamouls qui se voient officiellement recon-naître leur droit à la différence. Toutefois, onassiste, dans le même temps, à une certaineségrégation. En effet, en faisant du tamoul lalangue administrative et d’enseignement dansles provinces Nord et Est, le gouvernementassure aux Tamouls l’accès aux postes defonctionnaires au niveau provincial mais auniveau national, leur méconnaissance du cin-galais réduit leur chance de pouvoir prétendreà un poste plus important. La radicalisationdes positions tamoules semble inexorableaussi bien au niveau des dirigeants politiquesque de la population.

Les mesures discriminatoires adoptées par

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3236

Page 38: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

le gouvernement de Colombo ont conduit leFP à réclamer la création d’un Etat fédéralpour garantir les intérêts tamouls. Par la suite,les principaux partis politiques tamouls se réu-nissent dans le Tamil United Liberation Frontet réclament, lors des résolutions deVaddukodai, la création d’un Etat tamoulindépendant pour assurer la sécurité, préserverl‘identité tamoule et assurer une économieprospère et viable pour les territoires tamouls.Très vite, l’action des leaders tamouls au seindu Parlement va être décrédibilisée : ils n’ontpas le moyen de peser véritablement et lesaccords passés avec les formations au pouvoirne sont pas respectés. L’espoir d’arriver poli-tiquement à une solution au problème com-munautaire s’amenuise au sein de la commu-nauté et, de plus en plus, la jeunesse jaffnaisepenche pour des actions plus violentes. Audébut des années 1970 naissent dans la pénin-sule du Jaffna de nombreux groupes militantsarmés tamouls qui choisissent l’action violen-te pour la création d’un Eelam indépendant.L’apparition de ces groupes militants marquele début dans la province Nord des sabotageset surtout des attentats à l’encontre des forcesgouvernementales ou d’hommes politiquestamouls, comme l’assassinat en 1975 dumaire de Jaffna, A. Duraiyappah, considérécomme traître à la cause tamoule.

Face à leur action violente, le gouvernementdécide d’interdire le groupe des Tigres en 1978

et, l’année suivante, il proclame l’étatd’urgence dans la province. En 1981,l’incendie criminel de la bibliothèque Jaffnarenforce le sentiment d’hostilité jaffnais àl’égard du gouvernement. L’attaque, en 1983,d’une unité de l’armée à Jaffna, est à l’origined’émeutes raciales anti-tamoule à Colombo,qui font plus d’un millier de morts. Ces vio-lences entraînent des mouvements de popula-tion qui contribuent à éloigner dans de nom-breuses villes les deux communautés quicohabitaient ensemble. Ainsi, alors que70 000 Tamouls fuient les régions à majoritécingalaise pour gagner les provinces du Nord etde l’Est de l’île, à Jaffna ce sont quelques mil-liers de Cingalais qui préfèrent quitter la pro-vince du Nord de peur de subir des représaillesde Tamouls en colère. Cet évènement marquele véritable début du conflit inter-communau-taire à Sri Lanka et, à Jaffna, la fin de coexis-tence entre Tamouls et Cingalais.

Le gouvernement sri-lankais, qui a contri-bué à faire naître ces groupes militants arméspar son refus d’entendre les doléancestamoules, a discrédité la classe politiquetamoule qui se retrouve dépassée par la jeu-nesse tamoule prête à prendre les armes pourconquérir son indépendance, quelqu’en soit lecoût. Face à la multiplication des attentats et àla remise en cause de son autorité et del’intégrité territoriale de l’île, la classe poli-tique cingalaise fait le choix de régler définiti-

Jaffna, étendard de la communauté tamoule

Page 39: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 40: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

39Grafigéo 2007-32

JAFFNA : LE THÉÂTRE DE LA GUERRE

L’opération Libération

Depuis le pogrom anti-tamoul de 1983, lapéninsule est devenue le fief des seuls Tigresqui se sont imposés aux autres mouvementsarmés et les ont chassés de la région en 1986.Dans le même temps, l’armée est mise à malpar les Tigres. Les autorités officielles sri-lan-kaises décident d’envoyer l’armée pourrésoudre définitivement le problème tamoul àJaffna grâce à l’opération Libération.

Le 26 mai 1987, cette grande offensivequi mobilise les forces navales, aériennes etterrestres, doit permettre de venir définitive-ment à bout du mouvement rebelle. Cetteattaque marque une nouvelle étape dans leconflit inter-communautaire à Sri Lanka, avecdes bombardements qui touchent notammentl’hôpital et un théâtre à Jaffna. En autorisantl’emploi de la force, qui met en danger la viede civils, le gouvernement contribue à nourrirle sentiment d’oppression des Jaffnais etconfirme l’idée qu’ils ne comptent pas auxyeux de la classe politique cingalaise.

Cette opération, qui devait anéantir lesgroupes militants tamouls, est pour le gouver-nement une victoire militaire, l’armée gouver-nementale ayant pris le dessus sur ses adver-

saires. Toutefois, cette victoire va vite se trans-former en défaite politique. En effet, cetteopération, qui est ressentie comme une agres-sion gratuite, consolide la position des mili-tants tamouls et leur revendication d’unEelam dans l’opinion publique tamoule. Ilapparaît évident pour beaucoup de Jaffnaisque la création d’un Etat souverain tamoul estla seule solution pour assurer la sécurité etl’épanouissement des Tamouls. Dans le mêmetemps, cette opération provoque une désap-probation internationale et l’ingérence del’Inde dans le conflit.

L’intervention indienne dans le conflit intercommunautaire

L’Inde, par sa volonté d’affirmer son rangde puissance régionale et le soutien des habi-tants de l’Etat du Tamil Nadu en faveur desTamouls de Sri Lanka, joue dans le conflit unrôle important. En effet, les différents groupesmilitants tamouls de l’île ont été soutenus parl’Etat de Madras et disposent d’un appui enarmement et même de camps d’entraînementsdans cet Etat. L’Inde condamne officiellementl’offensive et les bombardements de la pénin-sule par l’armée sri lankaise qui affectent enpremier lieu les civils. Elle viole l’intégritéterritoriale de Sri Lanka en parachutant des

Une ville blessée par la guerre

Chapitre 2 • Une ville blessée par la guerre

Page 41: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

vivres aux Jaffnais. En juillet 1987, le gouver-nement indien de Rajiv Gandhi et le gouver-nement sri-lankais de Jayewardene décidentde faire de l’Inde le médiateur officiel dans leconflit. Les deux gouvernements s’accordentsur la création d’une province Nord-Est auto-nome. L’Inde se porte garante de l’intégritéterritoriale du Sri Lanka et du maintien del’ordre dans les régions à majorité tamoulegrâce à l’envoi d’une force d’interpositionindienne pour la paix (IPKF) et doit obtenir ledésarmement des militants tamouls.

L’IPKF doit très vite faire face à la mauvai-se volonté du gouvernement et des groupesrebelles tamouls, en particulier les Tigres. LeLTTE ne va remettre symboliquement auxforces indiennes qu’une partie de son arsenalalors que le gouvernement, malgré son enga-gement, continue d’attiser les tensions enpoursuivant la colonisation dans la provinceEst. En septembre, le LTTE dénonce, à traversla grève de la faim de son chef de la branchepolitique Thileepan qui en mourra, la partialitéde l’ IPKF qui ne fait pas respecter par le gou-vernement les clauses de l’accord.

Au début du mois d’octobre, le suicide dedouze militants emprisonnés, qui refusaientd’être transférés à Colombo, est à l’origined’une vague de représailles des Tigres quiassassinent des prisonniers cingalais et s’enprennent à des civils cingalais à Batticoloa.Dès lors, le gouvernement indien décide defaire accepter par la force le traité de paix auLTTE et lance l’opération Pawan. Les forcesindiennes, mal préparées et connaissant mal leterrain, doivent faire face à une guérilla urbai-ne. Dans ces conditions, la Bataille de Jaffnaconstitue un piège pour l’IPKF qui doit faireface à des militants Tigres qui se fondent dansla population et n’hésitent pas à utiliser lescivils comme bouclier humain. La popularitédes troupes indiennes est au plus bas auprèsdes Jaffnais, après les nombreuses atrocitéscommises par les militaires indiens. Lesauteurs du Broken Palmera (Hoole, 1990) necessent, tout au long de leur ouvrage,d’exposer des exemples de viols ou de mas-sacres perpétrés par ces forces venues, enthéorie, maintenir la paix. La présence del’armée indienne est de plus en plus malperçue par l’ensemble des communautés de

l’île, aussi bien cingalaise que tamoule. Lenouveau président sri lankais Premadasademande à l’Inde de retirer ses troupes et pro-pose au Tigres de reprendre le contrôle deJaffna après le départ de l’IPKF.

L’Inde, qui a voulu s’imposer comme lemédiateur et surtout la puissance providentiel-le pour résoudre le conflit sri lankais, repartpar la petite porte. Les Jaffnais, qui voyaienttraditionnellement en Inde une grande alliée àleur cause ressortent meurtris de l’interventionet placent désormais leur destinée dans lesmains du LTTE.

La péninsule de Jaffna sous contrô-le du LTTE

De 1990 à 1995, le LTTE se réinstalle, avecl’accord du gouvernement sri-lankais, enmaître de Jaffna pour réaffirmer sa prééminen-ce, en éliminant de la province les groupesmilitants qui les avaient combattus au coté del’IPKF. Le mouvement LTTE profite de saposition pour mettre en place une administra-tion parallèle qui doit servir d’embryon à unfutur Etat libre tamoul. Il installe ainsi dans laprovince le Haut commandement militaire dumouvement et Jaffna devient la capitale desTigres. Pour asseoir son pouvoir, le mouve-ment s’octroie les prérogatives d’un Etat. Ilcrée une justice et une police chargée de fairerespecter l’ordre dans la région. L’organisationde la ville pendant cette période est en quelquesorte surprenante car, malgré l’embargo quefait peser le gouvernement sri lankais sur lapéninsule, celui-ci prend à sa charge le fonc-tionnement de la ville comme le rapporte l’U.SComittee for refugees

« Le LTTE contrôle la ville de Jaffna mais le gou-vernement est présent et est responsable du fonc-tionnement quotidien de la ville de Jaffna. C’estune situation très inhabituelle et délicate qui ade nombreux avantages pour le LTTE. Ils peuventcritiquer le gouvernement et être plus exigeant àson égard s’ils ne sont pas satisfait. Ils n’ont pasla responsabilité des écoles, routes, postes, etc.,aussi ils peuvent concentrer leur effort sur laguerre. Ils collectent des taxes auprès de lapopulation jaffnaise, mais non pas pour les uti-liser pour assurer les services urbains. Le gou-vernement peut affirmer qu’il contrôle Jaffna etqu’il ne vit pas avec un mini Etat tamoul sur son

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3240

Page 42: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

41Grafigéo 2007-32

sol mais doit non seulement supporter le coût del’alimentation de la population, mais aussiassurer les multiples fonctions d’ un gouverne-ment, c’ est un prix élevé. (Paul, 1997, p218)

Les Tigres réussissent donc habilement àcontrôler dans les faits la province tout en sedéchargeant du coût de fonctionnement surgouvernement sri-lankais, consacrant sesfonds à la conquête de la province orientale.Malgré un cessez-le-feu conclu au début de1995 avec la nouvelle présidente sri-lankaiseChandrika Kumaratunga, les militants rom-pent les négociations et reprennent les hosti-lités. Le gouvernement décide alors de lancerune nouvelle offensive nommée opérationRayon de Soleil.

La reconquête de la ville par les forces gouvernementales

L’objectif du gouvernement est de contrô-ler de nouveau la ville de Jaffna. L’armée, quia mobilisé 20 000 hommes, réussit àreprendre pied dans la péninsule que lesrebelles abandonnent. Les succès militairesque connaissent les Tigres de 1997 à 2000 etne leur permet de reconquérir une partie duterrain cédé en 1995. Ils ne réussissent pas àreprendre le contrôle de la capitale provincia-le. A la fin de l’année 2001, la Norvège réus-sit à faire accepter aux deux belligérants,épuisés par la guerre, une trêve pour parvenirà une négociation. La situation est à la norma-lisation des rapports : le cessez-le-feu permetla réouverture de la route A9 qui relie le nordde l’île à la capitale du pays et l’embargoimposé par le gouvernement sur la péninsuleest enfin levé. La situation géopolitique restetoutefois compliquée à Sri Lanka. En effet, lesTigres sont maîtres de la quasi-totalité de laprovince Nord, la péninsule de Jaffna excep -tée ; les Jaffnais se retrouvent donc en porte-à-faux. Par ailleurs, même si la mobilité desJaffnais entre la zone gouvernementale etcelle des Tigres est facilitée depuis le cessez-le-feu, ils doivent tout de même passer lespostes frontières des deux forces. De plus, lasituation dans la province orientale, où les ten-sions restent très importantes, inquiète lesJaffnais qui ont peur d’en être les premièresvictimes si le conflit reprend.

UNE VILLE DÉVASTÉE PAR LA GUERRE

La ville a été défigurée par le conflit armé.Aucun édifice de la cité n’est épargné. Lesbâtiments les plus symboliques de l’armatureurbaine sont des cibles. Le fort hollandaisdevient pour les combattants l’édifice symbo-lique qu’il faut contrôler afin d’affirmer saprééminence dans la ville. Pour défendrecette place stratégique, les différents combat-tants vont s’efforcer, lorsqu’ils contrôlent lefort, de miner la zone qui l’entoure afin deralentir l’avancée de leur adversaire.

Beaucoup d’autres monuments de la ville,pourtant moins stratégiques militairement, ontété détériorés lors des affrontements. Ainsi, laCour de justice a été totalement rasée par lesbombardements et les bâtiments administra-tifs du Municipal Council et du Katchcheriont subi des dommages considérables. La pri-son, la bibliothèque ou encore le fameuxTown Hall ont également subi d’importantsdégâts. Les édifices religieux, ainsi que lescamps de réfugiés installés dans le MunicipalCouncil en 1987, sont victimes des bombar-dements et des assauts de l’armée commel’évoquent les auteurs du Broken Palmera :

« Many civilians sought refuge at temples andschools as advised by the Indian Army. Thesesame temples and schools were shelled, resul-ting a large number of civilian deaths. It was atragedy that even refuge camps such as KokuvilHindu College, Chundikuli Girl’s College,Railway Station, Inuvil Pillayar Kovil andKaramban Roman Catholic Church turned outto be death troops.» (Hoole, 1990, p. 283)

Les grands monuments de la ville sontainsi tous, d’une manière ou d’une autre, mar-qués par les affrontements et les différentsmoyens de communications ne sont pas épar-gnés. En effet, la gare de Jaffna est bombardéeet la liaison ferroviaire qui relie la ville àVavunia est interrompue. Dans le mêmetemps, l’état des routes se dégrade très vite etla péninsule du Nord se retrouve isolée dureste de l’île depuis que la principale routeA9, qui relie Jaffna au Sud du pays, devientl’un des enjeux pour lequel les belligérants secombattent. Les Jaffnais sont ainsi obligés demarcher plusieurs dizaines de kilomètres oupour les plus chanceux pédaler afin de fuir les

Une ville blessée par la guerre

Page 43: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

combats et tenter de se mettre à l’abri. Dansces conditions, il est moins dangereux, pour laCroix Rouge Internationale, d’évacuer les vic-times civiles par voie maritime jusqu’àTrincomalee.

Les Jaffnais ont perdu à plusieurs reprisesleurs biens privés. Outre les dégâts causés auxhabitations par les bombardements ou lesaffrontements entre les rebelles tamouls etleurs opposants, les Jaffnais ont dû quitter pré-cipitament leur demeure et leurs biens, ne pre-nant dans leur fuite que le strict minimum. Aleur retour, ils retrouvent souvent des maisonspillées jusqu‘aux câbles électriques. Lareconstruction des habitations est très labo-rieuse : le ciment est rationné et donc très cherjusqu’en 2001. Chacun s’efforce de parer auplus pressé en bricolant au jour le jour. LesJaffnais doivent vivre dans des conditions trèsprécaires, sans électricité ou moyen de com-muniquer avec l’extérieur. Les habitants de laville voient ainsi leur mobilité particulière-ment réduite et vivent en réseau fermé, laCroix Rouge Internationale étant, pendant desannées, leur seul intermédiaire pour envoyerou recevoir des messages de leurs proches duSud de l’île ou de l’étranger.

UNE SOCIÉTÉ ÉBRANLÉEPAR LA GUERRE

Le bilan humain

Le bilan des pertes en vies humaines lorsdes tensions inter-communautaires à SriLanka, est, comme on peut s’en douter, parti-culièrement important. Selon M. Meyer,

« Les conflits armés dans l’ensemble de l’îleauraient fait au moins 50 000 morts et 30 000disparus ainsi que des centaines de milliers deblessés. Un million d’habitants ont perdu leurmaison. Environ 600 000 personnes déplacées, àl’intérieur du pays, dépendent de l’assistancegouvernementale. Au moins 500 000 personnes,en majorité Tamouls, ont quitté le pays en raisonde la guerre » (2001, p.118)

En ce qui concerne Jaffna, il est difficiled’établir un bilan précis du nombre de mortsou de blessés parmi les habitants du fait de lagrande mobilité de la population au cours des

différentes offensives. Bien qu’il n’existe pasde statistiques fiables sur la question, on sedoute que le bilan a été très lourd : les forcessri-lankaises ou indiennes se sont peu souciéesde distinguer les civils des militants tamouls,ces derniers n’hésitant pas à utiliser les civilscomme bouclier humain lors d’attentats en semêlant à la foule. Les conséquences de cespertes humaines sont terribles pour la sociétéjaffnaise qui voit périr, en premier lieu, lesjeunes générations qui s’engagent auprès desgroupes militants pour défendre la commu-nauté. En effet, le nombre de veuves,d’orphelins et de familles endeuillées ne cessed‘augmenter. Il est intéressant de noter que lequart des personnes qui ont répondu au ques-tionnaire sur le terrain affirme avoir au moinsun membre de leur famille mort à cause de laguerre. A ces pertes humaines dramatiquess’ajoute un impact psychologique importantsur la population.

Les traumatismes psychologiquesde la guerre

Les conséquences psychologiques de laguerre se manifestent de diverses façons.

L’impact psychologique des différentesoffensives, qui pèsent énormément sur lapopulation civile, explique l’option politiqueque vont retenir les Tamouls. En effet, le choixdu gouvernement sri-lankais d’utiliser la solu-tion armée pour en finir définitivement avec leproblème des militants tamouls, sans tenircompte du sort de la population civile tamou-le, porte un coup fatal à l’espoir des modéréssri-lankais d’apporter une solution politique auproblème intercommunautaire. Face à un gou-vernement, qui les considère davantagecomme des terroristes à éliminer que commedes citoyens srilankais à protéger, les civilesjaffnais n’ont d’autre alternative que de soute-nir les militants tamouls qui semblent seulscapables de les défendre.

Les atrocités perpétrées par les forcesindiennes amplifient encore plus l’adhésiondes civils à la cause des militants du LTTE. Eneffet, la population jaffnaise, qui les avaientaccueillies en sauveur, est choquée par la bru-talité dont elles font preuve. Après les exac-tions commises par la soi-disant force de

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3242

Page 44: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

43Grafigéo 2007-32

maintien de la paix indienne, se développechez les Tamouls un profond sentiment devulnérabilité qui va renforcer, chez certains, lavolonté de fuir le pays mais surtout chezl’ensemble de la communauté un soutien sansfaille aux Tigres qui semblent être les seuls àencore se battre pour les Tamouls.

Les habitants de la capitale historique desTamouls doivent faire face à un quotidien trèsdifficile de privations et surtout à un environ-nement dans lequel la violence est omnipré-sente. Dans cette guerre, la population civileest confrontée à un état de non-droit où règneune barbarie totale. La peur de voir lesfemmes violées ou un membre de la famillesuspecté d’être partisan d’un groupe militantet surtout de voir des proches tués lorsd’assauts des belligérants, a un impact psy-chologique important sur la population jaff-naise. Ainsi, la mère d’un Jaffnais quadragé-naire est morte d’une crise cardiaque, enapprenant que son fils était emmené au campmilitaire de l’armée gouvernementale car onle soupçonnait d’être un militant Tigre.

La mort de personnes aimées a été àl’origine d’une grande crise existentielle chezla population civile, comme l’évoque l’un desnombreux témoignages recueillis par lesauteurs du Broken Palmera aprèsl’intervention des forces indiennes :

« A middle aged engineer, whose three childrenand mother-in-law had been pulled out of theirhome and shot dead on the street for no appa-rent reason, developed a severe grief reactionwith secondary alcoholism. He spent his days indeep sorrow with attacks of crying spells, thepangs of grief buffeting him like waves. Hismind was preoccupied with thoughts of his chil-dren. He complained of loss of purpose in lifewith suicidal ruminations. His nights were par-ticularly bad with recurrent nightmares abouthis daughter. The soldier had lifted up her frockand shot her through the groin. She could notwalk and had to drag herself along the road andfinally bled to death for lack of adequate medi-cal attention. This picture kept recurring in hismind… His wife too was inconsolable and heexpressed a fear that she would cry herself todeath. They felt that without their children, lifehad lost its meaning. » (Hoole, 1990, p.293)

La perte subite et brutale de membres de lafamille a conduit beaucoup de personnes à

s’interroger sur le sens de leur vie. En effet,beaucoup ont préféré abréger leur souffrance,considérant que la vie n’avait plus aucun sens,privés des êtres tant aimés. Ceux qui ont eu lecourage de vivre, ont le plus souvent étéhantés par les souffrances dans lesquellesleurs proches ont été tués. La population civi-le ressort gravement affectée psychologique-ment d’un conflit qui pousse la majorité desJaffnais à quitter leur demeure.

Les déplacements de la populationcivile

Face aux atrocités de la guerre, de nom-breux Jaffnais se sont exilés ou ont été obligésd’abandonner leur domicile pour gagner deszones moins risquées. En étudiant le déplace-ment des Jaffnais, on peut distinguer troisespaces de refuge bien distincts : les régionsproches de Jaffna, la capitale du pays,Colombo, et l’étranger.

Les affrontements armés ont poussé beau-coup de civils à fuir leurs habitations afin derejoindre des camps de réfugiés ou de lafamille dans le district de Jaffna, ou lesrégions à proximité, en espérant être enfin ensécurité. En effet, la majorité des Jaffnaispréfèrent se mettre à l’abri non loin de leurdemeure de façon à pouvoir revenir rapide-ment à la fin des conflits. Toutefois, le com-portement des civils et leur choix diffèrent aucours des conflits qui se succèdent.L’évolution de la population dans les divisio-nal secretariat divisions de Jaffna etThenmarachchy à l’intérieur du district deJaffna (de 1981 à 2003) permet de constaterque les mouvements de population àl’intérieur du district ont été particulièrementimportants (cf. figure 6).

On peut observer sur le graphiquel’importance des opérations militaires dans lamobilité des civils qui fuient les fronts pourdes zones plus sûres. On constate ainsi pour1995 que l’on ne dispose pas de données sta-tistiques pour le DS de Jaffna. En effet, suite àl’assaut de l’armée sur la ville de Jaffna, laquasi-totalité des habitants déserte la ville ettente de suivre les rebelles dans les jungles deWanni. Selon les auteurs du Brocken Palmera,

Une ville blessée par la guerre

Page 45: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna ne comptait plus guère que 2 000 habi-tants, principalement des personnes âgées oudes blessés qui ne pouvaient pas quitter laville. Dans le même temps, le DS deThenmarachchy voit plus que quadrupler sapopulation qui passe de 84 766 habitants en1993 à 374 866 habitants en 1995. Thenma -rachchy devient le principal refuge des habi-tants du district et abrite plus de la moitié de sapopulation alors que, deux ans plus tôt, seul unhabitant sur dix du district vivait dans ce DS.L’importante augmentation de la populationdans ce DS s’explique par le fait queThenmaratchy est le passage obligé, pour leshabitants de la péninsule, pour se rendre dansles Wanni encore contrôlés par les Tigres.Mais, très vite, l‘armée s’efforce d’empêcherles déplacements de civils vers ces zones et demaintenir la population dans le district. Dèsl’année suivante, on assiste au retour d’unepartie des déplacés dans leur demeure. Ainsi,le DS de Jaffna compte à cette date plus de38 000 habitants alors que celui deThenmarachchy voit sa population retomber à78 101 habitants. En 2000, les Tigres tententde reprendre le contrôle de la péninsule et leDS de Thenmarachchy devient également unenjeu majeur pour les belligérants. La violen-ce des affrontements est telle que le Then -marachchy ne compte même plus 700 habi-tants alors que celui de Jaffna perd la moitié desa population, qui retombe à 22 958 habitants.L’analyse de l’évolution de la population per-met de constater que la mobilité est en partieliée à la proximité ou non des affrontements.Toutefois, l’étude des répon ses obtenues sur leterrain, sur la localisation de ces personnes en

1987 pendant les affrontements qui ont opposéles rebelles tamouls à IPKF, puis en 1995 lorsdes déplacements de population, permet demettre en avant d’autres facteurs qui expli-quent la mobilité de la population civile de lamunicipalité au cours du conflit. Lors desincidents de 1987, la moitié des Jaffnais inter-rogés est restée dans la municipalité et, sur les45 personnes consultées, 36 n’ont pas quittéle district. La majorité de la population préfè-re encore à cette époque s’abriter dans lescamps de réfugiés qui se trouvent dans lamunicipalité ou dans le district, dans unerésidence secondaire ou chez de la famille.

Peu de Jaffnais décident de quitter le district etil est intéressant de noter que parmi lesquelques personnes hors de la péninsule, lamoitié était déjà exilée en Inde. Ainsi, en 1987,les déplacements des Jaffnais ont été peuimportants et surtout limités à l’intérieur dudistrict.

Les déplacements de population de 1995,suite à la reconquête de la ville par l’armée,semblent avoir une tout autre logique : aucu-ne des personnes interrogées n’est restée dansla ville et les déplacements de civils semblentplus organisés. On constate que les Jaffnais sesont avant tout réfugiés dans des espacescontrôlés par le LTTE. Sur les 21 personnes quirestent dans le district, 18 se sont enfuies àChavatchcheri qui est la grande ville du DS deThenmaratchchy et se sont retrouvées blo-quées dans cette ville par les barrages et lesraids de l’armée. Parmi les 24 personnes quiont quitté le district, 20 d’entre elles ont rejointdes territoires restés sous le contrôle des LTTE.Ainsi, les déplacements de civils en 1995s’expliquent en partie par la peur des Tamoulsd’être victimes de violences de la part del’armée considérée comme une force hostile.Mais la logique de ces déplacements s’entendsurtout par la volonté des Tigres de préserverleur statut de seul représentant légitime desintérêts tamouls. Dans cette optique, les Tigresincitent les civils à les suivre afin de pouvoiraffirmer que les civils tamouls rejettentl’autorité de Colombo. Ainsi, on a assisté àune évolution dans la logique des déplace-ments des civils qui, dans un premier temps,restaient dans la municipalité ou le district deJaffna afin de regagner assez rapidement leur

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3244

Figure 6 – Population des D.S. de Jaffnaet Thenmarachchy

Page 46: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

45Grafigéo 2007-32

demeure. Mais, depuis 1995, de nombreuxJaffnais on fait le choix de s’installer, parconviction et solidarité avec le mouvementindépendantiste, dans des territoires contrôlépar les Tigres et attendent la reconquête par leLTTE de la péninsule pour revenir à Jaffna. Ledistrict et le DS de Jaffna n’ont pas réussi àretrouver le niveau démographique de 1993.On peut en partie expliquer ce phénomène parle refus d’un certain nombre de Jaffnais derevenir dans une ville sous contrôle du gou-vernement mais également par l’expulsion en1993 des Musulmans de Jaffna par les Tigres.L’instal lation d’une partie des Jaffnais àColombo et l’émigration de nombreuxJaffnais sont aussi des facteurs importants quiexpliquent la chute de la population aussi biendans la ville que dans le reste de la péninsule.

La capitale du pays, Colombo, est ledeuxième espace refuge des Tamouls. Eneffet, avec la montée des tensions dans la pro-vince Est et les opérations armées dans celledu Nord, la capitale, qui compte une partimportante de Tamouls, peut apparaîtrecomme un espace relativement plus sûr et sur-tout vital économiquement pour de nom-breuses familles jaffnaises. Les déplacementsvers Colombo sont limités par les Tigres quicraignent un exode massif des habitants de lapéninsule. Le LTTE justifie ainsi sa décisionde limiter les mouvements de population parl’intermédiaire de son porte-parole politiqueBalasingham :

« … depuis la guerre n° 2 de Eelam, nous avonsdu imposer certaines restrictions sinon beau-coup de Tamouls partiraient à Colombo, iraientdans différentes ambassades se plaindraient desatrocités commisses par le LTTE et des condi-tions de vie à Jaffna. Nous ne voulons pas d’unexode massif sans raison concrète. » (Paul,1997, p. 220)

Les Tigres, pour préserver leur image etsurtout leur statut de représentant desTamouls, instituent qu’un seul membre parfamille peut quitter la province pour étudierou travailler. Beaucoup de familles envoientainsi l’un des leurs trouver un emploi et lessoutenir grâce à l’argent gagné. Ce soutienfinancier est d’autant plus important quel’activité économique à Jaffna est paralysée

par la guerre. La capitale du pays est égale-ment importante du fait qu’elle apparaîtcomme la principale porte de sortie versl’étranger.

Depuis l’adoption par les gouvernementssri-lankais de mesures discriminatoires quirendaient plus difficiles aux Tamouls l’accès àl’administration et à l’université, de nombreuxjeunes de l’élite jaffnaise ont préféré quitter lepays pour tenter leur chance à l’étranger. Lesémeutes de 1981, et plus encore les opérationsarmées qui se déroulent dans la péninsule deJaffna, accélèrent l’exil de nombreux Jaffnaisqui obtiennent l’asile politique dans de nom-breux pays ou bien tentent de passer clandes-tinement en Europe, en Amérique du Nord ouen Australie. Il est intéressant de constater queles deux tiers des personnes interrogées lorsde l’enquête ont au moins un membre de leurfamille exilé et que les principales raisons decette expatriation ont été avant tout politiqueset économiques. Les Tamouls exilés devien-nent vite un soutien indispensable pour lafamille restée au pays en leur envoyant del’argent et en essayant de favoriser la sortied’autres membres de la famille hors de l’île.Cette diaspora s’efforce également de soutenirfinancièrement les militants armés et tented’alerter l’opinion publique internationale surle sort de la communauté tamoule à Sri Lanka.Très vite, la diaspora tamoule joue un rôleéminemment important par son soutien finan-cier à la société jaffnaise et à la lutte pourl’indépendance.

LES BASES DE LA SOCIÉTÉTRADITIONNELLE JAFFNAISEREMISES EN CAUSE PAR LE CONFLIT

Les Tigres, par leur attitude et leur prise deposition, vont contribuer à bouleverser l’ordretraditionnel jaffnais. En effet, dans le souci defédérer tous les Tamouls de l’île autour de leurmouvement, les leaders du LTTE vont mettreen avant la nécessité pour l’ensemble de lacommunauté d’être unie contre l’oppresseurcingalais. Dès lors, les cadres du mouvement,Prebakharan en tête, se déclarent ouvertementhostiles au système de castes et affirment vou-loir faire tout leur possible pour éradiquer cemal. Cette prise de position attire une certaine

Une ville blessée par la guerre

Page 47: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

sympathie en faveur du mouvement paramili-taire chez bon nombre de basses castes alorsque beaucoup de vellalar voient dans cettetentative des Tigres une manière d’amoindrirencore plus l’influence des anciens dirigeantsde la société jaffnaise. Cette prise de positiondu mouvement peut paraître très progressisteet leur engagement dans la lutte contre lesystème de castes a contribué à remettre encause son existence. Dans les zones sous soncontrôle, le LTTE a réussi à abolir toutes dis-tinctions de castes et à en faire un sujet taboupour l’ensemble de la communauté tamoulede l’île. Cet engagement du mouvement LTTEa fortement contribué, grâce à son autorité et àla peur qu’il inspire à la population, à faire dis-paraître les marques d’humiliations qui exis-taient encore dans les années 1980.

Les Tigres refusent toute distinction reli-gieuse qui risquerait d’éloigner du mouvementLTTE les fidèles de telle ou telle communautéreligieuse. C’est dans ce contexte qu’ils doi-vent faire face à la volonté des Musulmansd’affirmer qu’ils sont une communauté à partentière et qu’ils doivent avoir leurs propresreprésentants. Face à cette position dissidentedes Musulmans pourtant en majorité tamoulo-phones et la volonté des Musulmans du Sud etde l’Est de l’île de s’allier au gouvernementcingalais, les Tigres décident, pour des raisonspurement politiques, d’exclure en 1993 toutela population musulmane de la province Nord,qui reçoit un ultimatum l’obligeant à quitter la

province de Jaffna. Le choix d’expulser unepopulation, qui vit depuis des générations àJaffna, provoque un grave traumatisme. LesMusulmans qui, dans leur grande majorité, neparlent pas le cingalais et considèrent Jaffnacomme leur mère-patrie, sont contraints detout abandonner du jour au lendemain, lamajorité tamoule n’osant manifester sondésaccord par peur de représailles des mili-tants du LTTE.

La création par le gouvernement d’untemple bouddhiste dans la ville en 1997 a éga-lement été à l’origine d’importantes tensions.Les habitants de la ville ont perçu sa construc-tion comme une provocation du gouverne-ment. A leurs yeux, l’érection de cet édificereligieux ne semblait nullement justifiée dufait qu’il ne servirait qu’aux militaires del’armée gouvernementale et non à la popula-tion et apparaissait ainsi plus comme un édifi-ce de colonisation culturelle que religieux.Cette tension politique autour du temple apoussé l’armée gouvernementale à faire del’édifice et de ses alentours une zone de hautesécurité.

De façon ambivalente, la société de Jaffnaa été profondément bouleversée par le conflitpolitique. Les Tigres tentent en effet d’user detoute leur autorité pour venir à bout du systè-me de castes. Dans le même temps, les ten-sions politiques contribuent à mettre à mall’idéal de tolérance religieuse qui a longtemps

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Page 48: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

47Grafigéo 2007-32

UNE VILLE DONT LE RAYONNEMENTEST CONSIDÉRABLEMENT ENTAMÉ

Jaffna n’apparaît plus légitime pourreprésenter les Tamouls

Jaffna, qui avait longtemps été considéréecomme la capitale des Tamouls à Sri Lanka, aperdu ce statut depuis qu’elle a été reprise parles forces gouvernementales. Malgré lesefforts des Tigres pour reconquérir la ville, lapéninsule de Jaffna est restée aux mains del’armée sri lankaise, ce qui a contribué àl’isoler des territoires restés sous le contrôledu LTTE. Face à cet état de fait, les dirigeantsTigres ont préféré mettre en avantTrincomalee ou Kilinochchi comme capitalepossible d’un futur Tamil Eelam.

Le choix de ces deux villes répond avanttout à des considérations politiques. En pro-clamant vouloir Trincomalee comme possiblefuture capitale, les dirigeants du LTTE affi-chent leur ambition de préserver leur autoritésur le port le plus stratégique d’Asie du Sud etd’en faire le poumon économique du futurEtat tamoul. Le choix de Kilinochchi, qui estl’actuelle capitale des Tigres, se comprend parle fait que les militants LTTE ont dû dévelop-per une nouvelle ville à l’intérieur de la zonequ’ils contrôlent. Pour conforter Kilinochchi,

le mouvement rebelle y a concentré ses prin-cipaux sièges administratifs à partir desquelsil contrôle l’ensemble de la zone sous sonautorité. Depuis le départ des forcesindiennes, le mouvement des Tigres s’estimposé comme le seul représentant possibledes Tamouls et s’est efforcé d’éliminer toutepersonne ou organisation qui tenterait deremettre en cause ce leadership. Dès lors, cen’est plus Jaffna qui est à la tête des Tamouls,mais bien le LTTE et on comprend mieuxpourquoi Jaffna passe du statut d’anciencentre incontestable à celui de périphériedepuis qu’elle est aux mains de l’armée.

Jaffna a également perdu son statut degrand centre éducatif et culturel qui contri-buait à assurer sa prééminence sur les autresvilles tamoules. Outre les dégâts matérielsqu’ont subi les principales écoles de la ville,ce sont bien deux générations d’étudiants quiont vu leur scolarité perturbée par ce conflit.En effet, les écoliers ont souvent eu à partagerun livre pour quatre quand ils avaient la chan-ce d’en avoir un. Beaucoup ont préféré renon-cer à leurs études pour prendre les armes oualler à Colombo gagner de l’argent pour aiderla famille restée à Jaffna. Les conditions detravail des universitaires et des chercheurs res-tent aujourd’hui encore très précaires. Ainsi,interrogé sur ce sujet, R. Antony, lecturer de

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Chapitre 3 • La renaissance de Jaffna,entre espoirs et inquiètudes

Page 49: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

géographie à l’université de Jaffna, déploraitle manque de fonds et d’outils fondamentauxpour pratiquer la discipline. L’absence desources statistiques et de matériaux de hautetechnologie et surtout la destruction de laquasi-totalité des cartes de Jaffna posent degrands problèmes. Par ailleurs, les géographesjaffnais, qui évoluent dans un contexte parti-culièrement délicat, préfèrent privilégier lapratique de la géographie physique plutôtqu’aborder les bran ches humaines de la disci-pline qui pourraient s’approcher du domainepolitique et leur poser des problèmes.L’université de Jaffna a de plus en plus de mal,dans ce contexte, à concurrencer les autresuniversités de l’île. Les enseignants, qui ontété uniquement formés en tamoul, n’ont pas lapossibilité de faire publier leurs travaux enanglais et la pensée d’un grand nombred’universitaires reste ainsi cantonnée à Jaffnaet inaccessible au non-Tamoul. La nécessité deredévelopper l’enseignement en anglais appa-raît indispensable pour beaucoup de péda-gogues et certaines écoles, comme CentralCollege, commencent à ouvrir des classes.Mais cet effort reste encore insuffisant et beau-coup de Jaffnais préfèrent poursuivre leursétudes à Colombo, d’autant plus qu’on assistedepuis le cessez-le-feu de 2001 au départ d’uncertain nombre d’enseignants jaffnais vers lacapitale. L’éducation reste une valeur impor-tante chez les Jaffnais car le systèmed’admission à l’université est très sélectif. Eneffet, seuls deux pour cent des élèves quiobtiennent leur Advance Level accèdent à uni-versité. L’éducation reste dans les mentalitésun moyen de réussir et une source de fiertépour la famille. Toutefois, la formation univer-sitaire ne semble pas répondre entièrementaux besoins de la population et beaucoup dejeunes diplômés sont confrontés au chômageet préfèrent souvent quitter la ville pour lacapitale.

La lassitude de la guerre

Alors que pendant longtemps les Jaffnaisétaient à la tête du mouvement de résistancetamoul, la population civile s’est progressive-ment laissée déposséder de son rôle politiquepar les Tigres. Le domaine politique étant

confisqué par les Tigres, qui ont réussi à fairede leur doctrine la seule que tout Tamoul doitsuivre, les Jaffnais n’aspirent plus qu’à la paix.Lorsque l’on interroge les habitants de la villesur le régime qu’ils souhaiteraient pour lepays, près de 40 % d’entre eux se déclarentfavorables à un Tamil Eelam indépendant. Lesprincipales raisons évoquées, pour justifier cechoix, sont les atrocités commises par lesCingalais, les cicatrices qui en résultent et lasolidarité avec le combat du LTTE. Toutefois, ày regarder de plus près, l’adhésion incondi-tionnelle que prétendent avoir obtenue lesTigres auprès des civils semble largementcontestée à l’étude des résultats obtenus. Eneffet, 28,9 % des Jaffnais se prononcent enfaveur d’un système fédéral car ils tiennent àl’unité de l’île, qui leur semble être la seulesolution économiquement viable pour Jaffna.Cette aspiration à la paix transparaît notam-ment dans les réponses de 26,7 % des indivi-dus qui ont déclaré spontanément que seule lapaix compte et que, finalement, la structure dusystème politique leur est égale, tant qu’onassure aux régions tamoules une large autono-mie et à ses habitants leurs libertés fondamen-tales. Seul le système actuellement en placed’une République centralisée, qui est en partieà l’origine du conflit, semble véritablementrejeté par la population.

Le rayonnement moins important de laville s’explique aussi par le fait que les Jaffnaissont las de ce conflit dont ils se retrouvent pri-sonniers. En effet, depuis que l’armée a reprisle contrôle de la ville, les civils se retrouvententre deux feux. Lorsque l’on demande auxhabitants du Municipal Council comment ilsdécrivent la vie à Jaffna, la majorité exprimeson impression d’être entre deux états, quin’est ni la guerre ni la paix. Ce sentimentd’ambiguïté, malgré le cessez-le-feu,s’explique par celui des Jaffnais de se retrou-ver encore une fois entre les forces gouverne-mentales et les militants rebelles.

L’armée contrôle la ville et les civils dénon-cent le fait que, malgré le cessez-le-feu, deszones importantes de la ville, tel que le fort oule littoral de Jaffna, sont maintenues en zone dehaute sécurité et que les mouvements des civilsy sont limités quand ils ne sont pas tout simple-ment interdits. De plus, la présence ostentatoire

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3248

Page 50: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

49Grafigéo 2007-32

de militaires armés, de postes de contrôle etsurtout la réquisition d’habitations et de terrainsappartenant à la population civile dansl’ensemble du Municipal Council sont particu-lièrement mal perçus. Cette présence militaireest ressentie par 86,7 % des Jaffnais commeune force d’occupation dont la présence estsource de problèmes. D’une part, le fait quel’armée s’approprie certains terrains privéspour installer ses hommes empêche une partiedes déplacés de revenir dans la ville. D’autrepart, la présence de militaires dans leur voisina-ge est souvent source de désagrément pour lesriverains qui voient leur liberté de circulationlimitée par des couvre-feux.

Le fait de laisser le contrôle de la ville àl’armée et non aux seuls policiers est ressentipar beaucoup de Tamouls comme un moyende pression psychologique sur la population.Bien que les Jaffnais reconnaissent être plustranquilles depuis le cessez-le-feu, ils redou-tent que l’attitude des soldats à leur égard nechange si le contexte devient plus tendu dansle pays. En effet, les deux tiers des personnesinterrogées pensent qu’il y a de sérieuxrisques que le conflit reprenne et les Jaffnaisont de plus en plus le sentiment, selon leurpropre dires « d’être dans une prisonouverte ». Cette peur d’un nouvel affronte-ment est à l’origine du rejet par une grandemajorité des habitants de la présence del’armée dans la ville.

De même, malgré le soutien incondition-nel au mouvement rebelle affiché en publicpar les Jaffnais, beaucoup évoquent en privéleur crainte des Tigres et le dangerd’apparaître comme des dissidents aux yeuxdu mouvement séparatiste. Bien que Jaffnasoit effectivement sous le contrôle du gouver-nement, les représentants politiques du princi-pal mouvement rebelle restent très présentsdans la ville. S’y ajoute le réseaud’informateurs des LTTE qui reste encore trèsredouté par les Jaffnais, lesquels préfèrentsouvent faire très attention à leurs propos etprises de positions en public. En effet, pourrenforcer son hégémonie et sa dominationdans la communauté tamoule, le mouvementséparatiste s’est efforcé d’apparaître commeétant le seul représentant possible pourdéfendre les intérêts de la communauté. Dans

le but d’imposer, puis de préservé cette hégé-monie, le LTTE n’a pas hésité à éliminer lespersonnes ou les groupes qui émettaient desopinions divergentes et risquaient de devenirdes rivaux potentiels, amoindrissant ainsi leurinfluence auprès de la population et donc dansle conflit. C’est pour éviter d’avoir à partagerson autorité avec un quelconque rival que leLTTE a délibérément éliminé en 1989 l’un desco-auteurs du Broken Palmera pour avoirécrit une œuvre qui remettait en cause le rôledu mouvement des Tigres dans le conflit etporté au plein jour la volonté de liberté et dedémocratie des Tamouls. En 1993,l’expulsion des Musulmans répond à la mêmelogique : en imposant leur ultimatum, les diri-geants du mouvement séparatiste ont vouluégalement affirmer leur refus d’accepterl’instauration d’une politique tamoule plura-liste. Pour assurer définitivement leur hégé-monie sans partage, les Tigres se sont efforcésde présenter les événements de façon trèsmanichéenne. Ainsi, les dirigeants du mouve-ment indépendantiste réclament une unionsacrée de tous les Tamouls derrière la banniè-re des Tigres et tous ceux qui ne le font passont considérés comme des traîtres qu’il fautéliminer. Dès lors, il est très facile pour lemouvement rebelle de tenir par une poigne defer la population civile ; grâce à un véritableautoritarisme, le mouvement réussit à priverde liberté, de démocratie et d’autonomiel’ensemble de la communauté. On comprendaisément que les civils de Jaffna, bien quejouissant de plus de liberté que les Tamoulsrestés en territoire LTTE, continuent à faire trèsattention aux éventuels informateurs Tigres etpréfèrent souvent réaliser dans l’ombre unerésistance à leur autoritarisme. Cela expliquele manque de cohésion sociale et politique desdifférentes personnes et mouvements qui tra-vaillent en secret en raison de la menace desTigres.

Cette mainmise du LTTE sur le politiqueexplique en grande partie l’intérêt des civils àfavoriser l’accès aux facilités matérielles quine peut être possible qu’en temps de paix.D’une certaine façon, à l’inverse des Tamoulsdans les territoires Tigres, les Jaffnais qui ontabandonné l’espoir d’avoir un poids politiquedans le conflit, tendent, depuis le cessez-le-feu

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Page 51: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

et l’accès aux facilités matérielles, de plus enplus à souhaiter une paix durable qui leur per-mette de vivre en sécurité et surtout des’équiper et s’enrichir. Cette attitude desJaffnais, de préférer l’épanouissement person-nel à la lutte engagée par les Tigres, est malvue par les dirigeants du mouvement qui utili-sent ce constat pour justifier la préférencequ’ils accordent aux Tamouls de Wanni, restésfidè les à lutte pour l’indépendance, endésignant Kilino chchy comme capitale del’Eelam. Bien que le mouvement LTTE resteincontestablement très populaire chez lesJaffnais, il n’en reste pas moins que les habi-tants commencent dans l’ombre à exprimerleur craintes de voir leurs libertés individuellestotalement étouffées par l’autoritarisme desTigres. De même, les Jaffnais expriment enprivé une voie qui est différente de celle vou-lue par les Tigres en souhaitant avant tout lapaix, exprimant par là-même leur volonté des’émanciper du contrôle qu’exerce sur eux lemouvement séparatiste.

La volonté de faire la paix avec lesCingalais s’explique également par le faitqu’un certain nombre de Jaffnais a eul’occasion d’en côtoyer. Il est notamment inté-ressant de constater que, bien que la majoritédes Tamouls interrogés ne parlent que letamoul et que, lorsque les Jaffnais apprennentune deuxième langue leur choix se porte surl’anglais, treize des quarante cinq Jaffnaisinterrogés déclarent parler ou avoir desnotions en cingalais qu’ils ont acquises soit aucours de leurs études à Colombo, soit, dans lamajorité des cas, lors de leur exil dans la pro-vince Est ou dans la capitale. Beaucoup deJaffnais ont côtoyé, lors de leur exil, des voi-sins ou des collègues de travail cingalais quisont parfois devenus des amis. Les plusanciens se souviennent d’avoir vécu sans heurtavec des Cingalais à Jaffna même, avant queles incidents intercommunautaires n’éclatenten 1983 à Colombo. Bien que les Jaffnaisn’aient plus confiance dans la classe politiquecingalaise pour résoudre le conflit, la popula-tion civile, qui a eu l’occasion de côtoyer lacommunauté cingalaise, persiste à considérerles civils cingalais comme des frères ou desamis et non comme des ennemis à près de95,6 %. Le fait d’avoir pu rencontrer des

Cingalais et de vivre avec eux a permis à beau-coup de Jaffnais de réaliser que, dans leurmajorité, ils sont loin d’haïr les Tamouls. Cetteexpérience de vie commune avec des Cinga -lais explique les liens qui se sont créés avec uncertain nombre de Jaffnais moins perméablesà certains discours de Tamouls extrémistes quitentent de faire croire que tous les Cingalaissont par nature antitamoul. C’est sans doute cequi explique que ces Jaffnais, à la différencedes Tamouls des Wanni restés sous le contrôledes Tigres et qui n’ont pas cohabité avec desCingalais, soient plus favorables àl’installation d’une fédération plutôt qu’à unEtat indépendant qui entraînerait une ruptureimportante dans les relations entre les deuxpeuples.

UNE VILLE QUI SE TRANSFORME TRÈSVITE DEPUIS LE CESSEZ-LE-FEU

Le retour des Jaffnais déplacés

Le retour des Jaffnais déplacés a com-mencé dès 1996 et se poursuit encore aujour-d’hui. Dans un premier temps, ce sont ceuxbloqués à Tenmarachchy qui rebroussent che-min afin de retrouver leur demeure. LesJaffnais, qui avaient réussi à gagner les Wannicontrôlés par les Tigres, ont dû faire face à laréticence des rebelles qui acceptaient mall’idée de voir des civils abondonner les Wanniafin de se rendre dans une ville retombée sousl’autorité de l’armée. C’est principalementl’entente des belligérants pour un cessez-le-feu à la fin 2001 qui permet à beaucoup deJaffnais en territoire Tigre de regagner leurville. L’importance du cessez-le-feu dans leretour des Jaffnais déplacés en zone LTTE estparticulièrement perceptible. En effet, lorsquel’on considère la provenance des personnesqui sont revenues s’installer, on constate que lagrande majorité d’entre elles revient principa-lement de territoires qui étaient sous l’autoritédes rebelles (Vavuniya, Mannar, Mullaitivu etKilino chchi). Le cessez-le-feu a égalementpermis à certains Musulmans, qui s’étaientréfugiés notamment à Puttalam, de revenirdans leur ville. Par contre, il est intéressantd’observer que la part des déplacés revenant

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3250

Page 52: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

51Grafigéo 2007-32

de la capitale semble assez marginale : lagrande majorité des Tamouls qui avait réussi àse réfugier à Colombo a souvent préféré y res-ter. Les facilités matérielles, scolaires et sur-tout les opportunités de trouver plus facile-ment un emploi mieux rémunéré poussent cesJaffnais à demeurer dans la capitale mêmes’ils profitent d’une plus grande mobilité pouraller voir leur famille restée à Jaffna. Le retourdes Jaffnais déplacés se fait donc par vaguessuccessives. Les premiers à s’être réinstallés àJaffna sont ceux restés dans le district, notam-ment à Chavakachcheri. Depuis le cessez-le-feu, une grande partie des déplacés qui setrouvaient dans les Wanni ou dans des campsde réfugiés en Inde sont revenus dans leurdemeure. Enfin, on assiste à l’arrivée timidede nouveaux venus, les Musulmans.

Toutefois, on assiste depuis le recensementde 2004 à un tournant important avec, pour lapremière fois, un fléchissement de la popula-tion dans le Municipal Council, qui perd2 198 habitants en un an. Cette situation appa-raît paradoxale, du fait que tous les déplacésne sont pas rentrés chez eux. L’étude com-parée des recensements de 2001 et 2004 duMunicipal Council de Jaffna (cf. figure 7) per-met de constater que ce fléchissement deschiffres de la population ne concerne que cer-tains quartiers. La carte de la dynamique desgrama sava (ou DS Division) dans leMunicipal Council de Jaffna (cf. figure 8)nous permet de constater que ce sont surtoutles quartiers nord-hindouistes de la ville qui sedépeuplent alors qu’à l’inverse, les quartiersdu sud chrétiens voient leur population aug-menter régulièrement. En mettant en relationcette carte avec la carte de localisation tradi-tionnelle des castes dans le Municipal Councilde Jaffna, force est de constater que ce sontsurtout les quartiers occupés traditionnelle-ment par des vellalar qui sont concernés et quiont perdu, le plus souvent au moins 500 habi-tants en 3 ans. La communauté vellalar, acommencé à quitter très tôt, grâce à cesmoyens financiers, la péninsule pour se mettreà l’abri dans le Sud ou en Occident. On peutpenser que les accords de cessez-le-feu de2001 n’ont fait que faciliter l’exode d’unebonne partie des vellalar, grâce à la plus gran-de facilité de circulation, pour regagner le

Sud. De plus, cette communauté étant cellequi maîtrise le mieux l’anglais, on peutémettre l’hypothèse qu’une partie des vellalar,qui n’avaient pas voulu ou réussi à quitterJaffna, a saisi l’opportunité de cette trêve pours’exiler, aidée certainement par la famille déjàinstallée à l’étranger. Finalement, on assiste àun double mouvement migratoire à Jaffna. Onnote le retour des Jaffnais les plus modestes,appartenant aux castes de pêcheurs, desparayar ou encore de certains Musulmans.Ces familles profitent d’un contexte politiqueplus favorable pour revenir progressivementdans leur demeure et essayer de reconstruireleur vie dans la ville. A l’inverse, se poursuit,l’exode des Jaffnais, ainsi les vellalar ou lesnalavars, profitent de la paix pour quitter laville. Ils semblerait que Jaffna connaisse unecertaine paupérisation, accueillant des reve-nants qui n’ont presque rien, alors que leshabitants appartenant à des groupes sociauxplus aisés continuent de façon importante à laquitter pour s’installer dans la capitale ou àl’étranger, où les conditions de vie sont plusattrayantes.

Le retour des Jaffnais s’effectue parvagues successives et reste très dépendant descapacités d’accueil. En effet, la réhabilitationdes bâtiments est laborieuse, l’armée interditl’accès à un certain nombre d’espaces dans lacité, empêchant le retour des habitants.

La reconstruction

Le compromis entre les Tigres et le gou-vernement a permis de mettre un terme àl’embargo qui pesait sur la péninsule de Jaffnaet de rouvrir en avril 2002 la route A9, qui relieJaffna à Colombo, restée fermé pendant douzeans. La ville dévastée par la guerre a pu, dansun contexte de détente entre les belligérants,entreprendre sa reconstruction grâce au cimentet autres matériaux de construction qui ont denouveau été expédié à Jaffna. Toutefois, enco-re aujourd’hui, on peut constater que celle-cise fait à plusieurs vitesses et de manière diffé-rente selon qu’il s’agit de bâtiments privés oupublics et selon les quartiers.

On constate une grande hétérogénéité dansla réhabilitation entre les différents quartiersde la ville. Cette différence s’explique en par-

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Page 53: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3252

échelle approximative

échelle approximative

N

légendeDensité (hab/km2)

10000 et plus7500 à 99995000 à 74992500 à 49990 à 2499

N

légendeDensité (hab/km2)

10000 et plus7500 à 99995000 à 74992500 à 49990 à 2499

0 1000 m

0 1000 m

J/109

J/67

J/93

J/63

J/62

J/92

J/107

J/91

J/95

J/98

J/61

J/94

J/65

J/100

J/102

J/104 J/106

J/66J/75

J/108

J/78

J/73

J/105

J/77

J/70

J/68

J/64

J/74J/76

J/71

J/69

J/72J/96

J/99

J/88

J/85

J/84

J/97

J/87

J/86J/82

J/101

J/83

J/103

J/80

J/81

J/79

Figure 7 : Densité de population à Jaffna

Densité de population en 2001

J/109

J/67

J/93

J/63

J/62

J/92

J/107

J/91

J/95

J/98

J/61

J/94

J/65

J/100

J/102

J/104 J/106

J/66J/75

J/108

J/78

J/73

J/105

J/77

J/70

J/68

J/64

J/74J/76

J/71

J/69

J/72 J/96

J/99

J/88

J/85

J/84

J/97

J/87

J/86J/82

J/101

J/83

J/103

J/80

J/81

J/79

Densité de population en 2001

Sources : recensement population D.S. Jaffna du D.S. /A.G.A Division Nallur de 2001et 2OO4 MADAVAN

Page 54: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

53Grafigéo 2007-32

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

éche

lle a

ppro

xim

ativ

e

0

1000

mN

1500

et

plus

1000

à 1

499

500

à 99

9

0 à

499

-1 à

- 5

00

-500

à -

1000

-100

1 et

moi

ns

Lége

nde

Evol

utio

n du

nom

bre

d’ha

bita

nts

Fig

ure

8 : D

ynam

ism

e de

s gr

ama

seva

Sour

ces

: rec

ense

men

t po

pula

tion

D.S

. Jaf

fna

du D

.S. /

A.G

.A D

ivis

ion

Nal

lur

de 2

001e

t 2O

O4

M

AD

AVA

N

J/109

J/67

J/93 J/6

3

J/62

J/92

J/107

J/91

J/95

J/98

J/61

J/94

J/65

J/100

J/102

J/104

J/106 J/6

6

J/75

J/108

J/78

J/7

3

J/105

J/77

J/70

J/68

J/64

J/74

J/76

J/71

J/69

J/72

J/96

J/99

J/88

J/85

J/8

4

J/97

J/87

J/86

J/82

J/101

J/83

J/103

J/80

J/8

1

J/79

Page 55: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

tie par le fait que l’armée conserve encore cer-tains endroits stratégiques de la ville en zonede haute sécurité et empêche le retour deJaffnais déplacés comme à Nedunkulam(J/61). A ces zones, il faut ajouter le quartier dufort qui fut l’un des principaux enjeux des bel-ligérants et qui a été dévasté et miné. Cinq ansaprès les négociations, certaines zones à proxi-mité du fort n’ont toujours pas été déminées etla majorité des maisons y restent désespéré-ment vides. Néanmoins les équipes de démi-nage font leur possible pour améliorer la situa-tion comme peuvent en témoigner lesphotographies d’un espace déminé (photos 1,2, 3, 4).

Les quartiers musulmans font égalementpartie des quartiers peu réhabilités et une gran-de partie des quelques milliers de Musulmansqui se sont réinstallés dans leur demeurevivent dans des conditions précaires et ontbeaucoup de mal à réhabiliter leur maison(photos 5 et 6). Malgré l’insalubrité des habi-tations, qui ont totalement été pillées etdétruites, les Musulmans les réinvestissent enessayant d’aménager une ou deux pièces poury vivre.

Tous les Jaffnais ont reçu du gouvernementdes sacs de ciment et de l’argent. Cette aide estloin d’être suffisante et ce sont essentiellementles ONG et la diaspora qui ont permis aux habi-tants de reconstruire leur maison. Toutefois,c’est avant tout grâce à l’aide financière demembres de leur famille établis en Occidentque beaucoup de Jaffnais ont pu effectuerd’importants travaux de rénovations permet-tant ainsi dans certains quartiers, d’effacer lestraces laissées par le conflit. L’impor tance del’aide financière de la diaspora varie selon lesquartiers et surtout les castes qui les occupent.Ainsi, dans les quartiers occupés par les vella-lar ou les nalavar, on constate que c’est avanttout la solidarité familiale qui entre en jeu etque la famille exilée envoie régulièrement del’argent à celle restée au pays, lui permettantde financer les travaux. Par contre, on observeune particularité dans les quartiers depêcheurs, où, en plus des liens de solidaritéfamiliale, s’ajoutent les liens communautaires.En effet, les membres de la diaspora issus deces quartiers se sont regroupés dans les paysoù ils ont émigré, afin de créer dans leur quar-

tier natal une maison de France et d’Alle -magne qui doivent financer, grâce aux dons,la restauration de bâtiments collectifs tels queles écoles ou les églises.

A l’opposé, les basses castes comme lespalar, qui n’ont pas réussi à envoyer desmembres de leur communauté à l’étranger,connaissent d’importants problèmes pourréhabiliter leur quartier. C’est principalementgrâce à l’aide d’ONG, comme le GermanTechnical Cooperation (GTZ) ou Caritas, quiont reconstruit en dur les petites maisons entôle des pallar, que les conditions de vie decette communauté se sont améliorées.

La réhabilitation des bâtiments privés estde manière générale plus rapide que pour lesbâtiments collectifs à de rares exceptions. Lesaides accordées par le gouvernement auMunicipal Council restent insuffisantes pourréaliser tous les travaux nécessaires. LeMunicipal Council a pu compter sur le soutiendes ONG comme GTZ qui a notamment permisde créer des puits pour satisfaire les besoins eneaux des habitants et de soutenir l’action derestauration engagée par les instancespubliques du pays. L’Etat et la cité se sontefforcés de réhabiliter d’urgence les écoles etla bibliothèque. En effet, la quasi-totalité desgrandes écoles de la ville recommencent àfonctionner normalement grâce à l’aide del’Etat et surtout des dons des anciens étudiantsde ces établissements. Seul l’OsmanianCollege, à l’image de l’ensemble des équipe-ments de la communauté musulmane, sontmoins bien restaurés. En effet, le seul collègemusulman ouvert est toujours privé d’eau,d’électricité et de toilettes, ce qui contrasteavec l’état des autres collèges de la ville quisont restaurés. Le délabrement des équipe-ments musulmans s’explique, il est vrai, enpartie, par le fait que cette communauté com-mence tout juste à revenir à Jaffna. Les édi-fices religieux ont également été, dansl’ensemble, très rapidement réhabilités. Lesdeux grandes communautés confessionnellesde la ville se sont efforcées de les réparer grâceà l’aide des fidèles. Ainsi, on peut noter que lacommunauté de pêcheurs de Passayoor aoffert à plusieurs reprises les recettes d’unejournée de pêche de la communauté à l’église

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3254

Page 56: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

55Grafigéo 2007-32

de leur quartier. D’autres aident bénévolementà la réédification de leur sanctuaire religieux.Leur reconstruction est en partie financée pardes aides du gouvernement sri-lankais maissurtout par les fidèles de la diaspora qui col-lectent de l’argent à l’étranger.

Pour le reste, la majorité des bâtimentspublics sont soit en chantier, comme la courde justice, soit en projet. La ville a l’ambitionde détruire l’actuel hôpital central pour lereconstruire totalement. Le projet prévoit l’érection de cinq bâtiments dotésd’équipements modernes. Le Japon s’est déjàengagé à construire l’un d’eux mais le finan-cement des quatre autres n’est pas assuré.

Enfin, l’état des infrastructures de trans-port marque une fois de plus la différence quiexiste entre l’initiative publique et privée. Eneffet, depuis 1990, il n’y a plus de liaison fer-roviaire entre Jaffna et Vavuniya et la gare dela ville est totalement dévastée (photos 5 et 6).Aucun projet ne semble envisager pour lemoment la réhabilitation de la liaison ferro-viaire. La gare de Jaffna est totalement laisséeà l’abandon. De même, les routes demeurenten très mauvais état alors que le trafic desvéhicules motorisés ne cesse d’augmenter. Eneffet, même si les voitures restent rares enville, le cessez-le-feu a permis la réouverturede lignes d’autobus entre Jaffna et les princi-pales villes de l’île. A coté de cela, de nom-breux Jaffnais ont investi l’argent envoyé parla diaspora dans l’acquisition de van afin dedevenir taxi et relier Jaffna au reste de l’île. Cesont surtout les scooters et les motos, dont lenombre ne cesse de croître dans la cité, quiaugmentent considérablement le trafic dans laville.

La cohabitation entre les piétons, cyclisteset véhicules motorisés devient de plus en plusdélicate dans une ville où aucun panneau oufeu de signalisation ne régule la circulation.Les accidents de circulation redouble en villeet sont généralement dus à des excès de vites-se ou à une mauvaise maîtrise du véhicule pardes conducteurs n’ayant aucun permis.

Un fragile renouveau économique et commercial

L’économie et le commerce à Jaffna onttotalement été paralysés par le conflit. Lapéninsule de Jaffna s’est retrouvée, dès ledébut du conflit, isolée du reste de l’île.L’embargo imposé par le gouvernement a misà mal la vie économique de la ville. Face à lafermeture des principales usines et àl’impossibilité d’exporter les produits agri-coles ou de la pêche, il s’est développé uneéconomie de survie dans laquelle les Jaffnaisont dû composer avec le rationnement desproduits de première nécessité et se passer detout ce qui n’était pas vital.

Les négociations entre les Tigres et le gou-vernement ont abouti en 2001 à la réouvertu-re de la route A9 marquant la fin de l’embargoque Colombo avait imposé sur la péninsule.Les Jaffnais, qui avaient vécu si longtempsdans la pénurie et le rationnement, voientenfin arriver du Sud les ciments et matériauxde construction, ainsi que l’électroménagerjusque-là inaccessibles. Ils s’efforcent de pro-fiter de cette accalmie politique pours’enrichir. Les artisans et les commerçantsvont être les principaux bénéficiaires de lapaix. En effet, dans une ville fortementravagée par le conflit armé, la réouverture dela route A9 permet aux habitants d’acheter leciment indispensable pour restaurer leurdemeure grâce à l’aide financière du gouver-nement et surtout de la diaspora. Cette pério-de de reconstruction profite en premier lieuaux charpentiers, maçons et électriciens qui nemanquent pas de travail.

L’économie de la ville va être particulière-ment stimulée grâce aux solidarités familiales.Les Jaffnais exilés aident leurs proches àJaffna à redémarrer leur activité traditionnelleou à s’établir professionnellement, à leurcompte, en ouvrant un commerce ou en ache-tant un van. L’aide de la diaspora va jouer unrôle important dans l’évolution de l’économieet de la société à Jaffna. L’espoir de voirs’installer une paix durable favorisel’investissement dans de nouveaux secteursd’activités. Ainsi, alors qu’au début du cessez-le-feu, on voit ouvrir, avant tout, des épiceries

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Page 57: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

dans la municipalité, très vite, on investit dansdes magasins de télécommunications (taxi-phone, Internet), puis dans le transport (taxivan, bus privé) et, enfin, dans l’assurance. Lenouveau développement économique de laville, grâce à l’argent de la diaspora, a contri-bué à porter un coup au système de castes tra-ditionnel.

Trois ans après l’ouverture de la route A9, lasituation économique de Jaffna reste très pré-caire malgré l’engouement des investisseurs del’ensemble de l’île et de la diaspora. Le déve-loppement économique de la ville est freiné etmenacé par un certain nombre de limites. Eneffet, bien que les Tigres et le gouvernementsoient arrivés à un compromis, celui-ci restefragile. La possibilité de voir le conflitreprendre et, par conséquent, de perdre l’argentinvesti pour ouvrir les différents commerces,est une importante source d’inquiétude chez lamajorité des Jaffnais qui souhaitent d’autantplus voir s’établir une paix durable sur l’île.

L’occupation par l’armée de certainsespaces dans la ville et dans les campagnesavoisinantes ralentit la reprise économique dela ville. Ainsi, le maintien du littoral en zonede haute sécurité pèse sur l’activité despêcheurs. Pour prendre la mer, ces derniersdoivent obtenir un pass de l’armée et se plieraux horaires de pêche imposés par l’autoritémilitaire. Dans le même temps, ils ne dispo-sent plus d’assez de place sur terre pour fairesécher leurs filets.

Jaffna apparaît plus comme un grand mar-ché de consommation que de production. Eneffet, une grande majorité de familles dans laville vit de l’aide financière d’un membreétabli à l’étranger. Certains Jaffnais possè-dent ainsi un pouvoir d’achat assez élevé quileur permet de restaurer leur demeure et des’équiper matériellement. L’achat d’unemoto devient de plus en plus un signe exté-rieur de richesse. On assiste à Jaffna à unecertaine course au confort matériel, tout à faitcompréhensible après tant d’années de priva-tions, qui devient également pour les Jaffnaisun moyen de restaurer leur statut social dansla communauté.

Parallèlement, le marché du travail sembleen crise. Les usines restent toujours fermées et

les Jaffnais vivent de petits boulots ou doiventcompter sur l’aide de la famille exilée.

La réouverture et l’installation de nou-velles usines à Jaffna sont compromises par lafragilité de la situation politique, et que lesproduits fabriqués dans la péninsule ne peu-vent être vendus dans le reste du pays. Eneffet, pour exporter vers le Sud, l’industrieldevait ajouter au coût de production le prix dela taxe prélevée par les Tigres sur tous les pro-duits qui passent par la zone qu’ils contrôlent.Dès lors, il est pour le moment impossiblepour un industriel de songer à s’implanter dansla péninsule qui connaît par ailleurs des cou-pures de courant fréquentes.

Dans ces conditions, la vie devient trèsdure pour les habitants de la ville qui n’ont pasde famille établie à l’étranger. Sans aide exté-rieure, leur situation est d’autant plus difficileque la diaspora contribue à augmenter le coûtde la vie à Jaffna. En effet, les membres de ladiaspora ayant acquis la nationalité de leurpays d’accueil, ont profité des négociationsentre les Tigres et le gouvernement pour reve-nir en vacances dans la ville. Ils contribuentpar leur pouvoir d’achat important à créer, àJaffna, une inflation du coût de la vie : enn’hésitant pas à payer deux à trois fois pluscher un artisan pour qu’il vienne en prioritétravailler dans la demeure familiale. La dia-spora contraint les habitants de la ville à payerle même prix, pour voir leurs travaux réalisés.De même, l’investissement de certainsmembres de la diaspora dans le foncier àJaffna contribue à poser un gros problèmepour les Jaffnais qui ne peuvent plus acquérirde terre. Une grande majorité de Jaffnais sonttotalement dépendants de la diaspora et, ledéveloppement économique apparent, est arti-ficiel et précaire : c’est pourquoi il semblenécessaire de développer des activités capa -bles de permettre à la population active de laville de se développer indépendamment. Ilapparaît vital d’encourager le développementd’industrie locale et éviter à tout prix de fairede Jaffna une société totalement dépendantede l’extérieur, ce qui n’est possible qu’avec lagarantie d’une paix durable.

Le cessez-le-feu a permis aux habitants de

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3256

Page 58: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

57Grafigéo 2007-32

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

réinvestir leurs quartiers et d’essayer de rebâ-tir leur vie en oubliant un passé douloureux.Dans ce renouveau du Municipal Council, lescommunautés socio-religieuses tradition-nelles continuent à avoir un rôle plus ou moinsimportant.

LE NOUVEAU VISAGE DES COMMU-NAUTÉS SOCIORELIGIEUSES DANSLA VILLE

La place des communautés religieuses à Jaffna depuis le cessez-le-feu

A Jaffna, comme dans le reste de l’île, leconflit intercommunautaire n’a pas remis encause la foi des fidèles et, au contraire, la fer-veur des différentes communautés religieusesn’en a été que plus grande. La religion a été,pour beaucoup de Jaffnais, le principal vec-teur par lequel ils ont pu faire face aux atro-cités de la guerre et à ses conséquences. Iln’est dès lors pas étonnant de constater que lesdifférentes communautés religieuses jouentun rôle particulièrement important, depuis le

cessez-le-feu, dans la reconstruction de la villeet de la société de Jaffna. L’étude des sourcesstatistiques nous permet de constater que lescommunautés hindoue et chrétienne restentles plus importantes de la cité, rassemblant àelles deux plus de 97 % de la population de laville alors que la communauté musulmanen’en représente plus que 1,27 %.

Le nombre si peu élevé de Musulmans àJaffna s’explique avant tout par l’exil forcéqu’ils ont dû subir, suite à l’ultimatum des

Tigres en 1993. Pendant sept ans, lesMusulmans se sont éloignés de Jaffna. C’estseulement avec la reconquête de la péninsulepar les forces gouvernementales et surtoutl’autorisation de se réinstaller accordée par leLTTE que l’on assiste au retour de quelquesMusulmans. Selon le principal de l’OsmanyiaCollege, 150 familles seulement seraient reve-nues alors qu’elles étaient entre 1500 et 2000avant 1990. Ce sont souvent les familles lesplus pauvres ou bien des commerçants venussans leur famille. La réinstallation de cettecommunauté est d’autant plus difficile que lesquartiers musulmans font partie des zones dela ville les plus détruites. De plus, une partiede ces quartiers musulmans a été investie pardes familles hindouistes qui les transforment enzone de cohabitation mixte. L’importancemoindre de la communauté musulmane àJaffna se traduit également par le fait que quatredes cinq écoles musulmanes de la ville ontfermé. Le retour de ces quelques Musulmansne doit pas cacher la rupture causée par la déci-sion politique des militants Tigres. L’exodeforcé de ces Musulmans a contribué à singula-riser encore plus cette communauté du reste desJaffnais. Ainsi, on peut noter que les lieux où sesont réfugiés les Musulmans et les Tamouls dela ville diffèrent. En effet, alors que les Tamoulsse sont pour la majorité réfugiés en 1995 dansla jungle de Wanni, les Musulmans se sontdirigés le plus souvent, en 1993, dans desrégions à forte concentration musulmanecomme à Puttalam ou Batti co loa. L’attitude desTigres vis-à-vis des Musul mans a suscité unedésolidarisation de fait de cette communauté dureste des habitants de la ville. Il faudra certai-

Figure 8 – Composition religieuse dans le Municipal Council de Jaffna en 2004

Source : Divisional secretary Jaffna and Nallur, 2004.

Source: Divisional Secretary Jaffna and Nallur, 2004.

Figure 9 – Composition religieuse dans le Municipal Council de Jaffna en Pourcentage

Page 59: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

nement du temps pour que toutes les commu-nautés religieuses de Jaffna se retrouvent. Lavolonté des Tamouls, aussi bien hommes poli-tiques que citoyens lambdas, de voir revenir lesMusul mans (injustement chassés selon leurspropres dires) crée une atmosphère favorable àleur retour. Le témoignage des Musul mans déjàréinstallés, qui affirment être revenus car ilsvoient en Jaffna leur seule mère patrie, peut lais-ser espérer le retour d’une partie des membresde cette communauté dans la ville, si toutefoisle contexte politique ne se détériore pas dans lepays.

La tension politique, qui existait autour dutemple bouddhiste, s’est atténuée depuis lecessez-le-feu. Le temple n’est plus déclarézone de haute sécurité même si la présence demilitaires reste importante. Bien que lesTamouls semblent désormais accepter sa pré-sence dans la ville, cet édifice reste encorepour les Jaffnais un corps étranger à la ville.En effet, le choix de confier le temple à unmoine ne parlant que le cingalais et le nombreinfime de bouddhistes jaffnais renforcentl’idée que ce temple reste fermé à l’extérieur etne contribue pas à développer des échangesavec la population et les autres communautésreligieuses de Jaffna.

Les communautés hindoue et chrétienne,qui sont les deux communautés les plus dyna-miques, ont rapidement bénéficié de l’arrêtdes hostilités pour restaurer leurs édifices reli-gieux grâce, notamment, aux dons des expa-triés. De leur côté, les autorités religieuses sesont particulièrement efforcées de rétablir lescérémonies religieuses dans les églises et lestemples et de réorganiser les grandes festivitésinterrompues à cause de la guerre, telles quePâques pour les Chrétiens ou le festival deNallur pour les hindouistes.

L’importance des communautés religieu -ses dans la reconstruction de la ville est parti-culièrement évidente chez les chrétiens. Eneffet, à Sri Lanka, l’Eglise chrétienne est par-ticulièrement paternaliste et tend à encadrer età soutenir les chrétiens de l’île. A Jaffna,l’action de l’Eglise catholique ne se limite passeulement à un soutien spirituel aux fidèlesmais également, par l’intermédiaire del’association Caritas, à un rôle éminemmentimportant dans la reconstruction de la ville en

finançant et en participant à la restauration,voire la construction, de logements pour lesJaffnais les plus démunis ou par le don dematériel et de bateaux de pêche.

Toutes les communautés religieuses de laville tentent de promouvoir la paix dans la citéà travers diverses manifestations cultuelles.L’Eglise catholique de Jaffna n’hésite pas, parexemple, à former des troupes de théâtre ama-teur qui se produisent aussi bien dans le Nordque le Sud de l’île. Cette initiative contribueefficacement à rapprocher les deux peuples enpermettant aux Jaffnais qui, pour la plupart,n’ont jamais rencontré de Cingalais, des’apercevoir que ces derniers sont loin de leurêtre hostiles et que, tout comme eux, ils sontlas de ce conflit insensé.

Cette volonté de défendre la paix a pousséles communautés hindoue, chrétienne etmusulmane à se rassembler dans une associa-tion interconfessionnelle pour promouvoir lapaix et lutter contre le prosélytisme de cer-taines sectes chrétiennes qui se sontimplantées dans la ville depuis le cessez-le-feu. Leur arrivée à Jaffna est à l’origine de ten-sions et de remises en cause des deux princi-pales communautés religieuses de la ville. LesEglises orthodoxes reprochent à ces sectesd’utiliser de l’argent ou d’accorder des faci-lités, notamment aux personnes de bassescastes, afin de les inciter à se convertir.Toutefois, une partie des Chrétiens et desHindous mettent en avant la nécessité pourleur Eglises de changer leur attitude vis-à-visdes basses castes. Ainsi, un pitu hindou, ren-contré au temple de Nallur, a insisté surl’importance d’arrêter de stigmatiser lesbasses castes comme inférieures si l’on veutéviter que ces dernières se laissent séduire parces sectes et qu’il faut peut-être faire évoluerla société hindoue vers plus d’égalité et «donner envie aux basses castes de revenir versl’hindouisme ». Ainsi, la lutte contre le prosé-lytisme de ces nouvelles sectes fait encore unefois pointer du doigt la condition des plusbasses castes à l’intérieur des deux grandescommunautés religieuses de la ville.

Les incidents politiques et l’expulsion parla menace des LTTE de l’ensemble de la com-munauté musulmane de la ville a remis encause la coexistence pacifique entre les diffé-

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3258

Page 60: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

59Grafigéo 2007-32

rentes communautés religieuses jaffnaises. Enoutre, le prosélytisme des nouvelles secteschrétiennes est source de tensions avec lesdeux principales religions de la ville, qui sevoient obligées de reconsidérer leur attitudevis-à-vis des basses castes.

Le système de castes : résurgenceou fin proche ?

Lorsque l’on interroge les Jaffnais sur leproblème des castes à Jaffna, on a beaucoupde chances de se voir répondre qu’il n’est plusd’actualité et qu’il fait définitivement partiedu passé. Cet optimisme affiché par les habi-tants de la ville peut se comprendre par le faitque ce sujet est devenu tabou depuisl’interdiction officielle par le LTTE du systèmede castes. Ainsi, plusieurs puits ou quartiersont vu leur appellation changée, suite à lademande officielle des habitants qui refusaientque l’on garde des noms évoquant une quel-conque appartenance de caste.L’intransigeance du LTTE sur cette question aréussi à faire disparaître dans la ville les prin-cipaux signes apparents de discrimination oud’humiliation qui contribuaient à stigmatiserles basses castes dans leur condition d’impureet d’inférieure. Ainsi, le temple de Nallur estofficiellement ouvert à tous et les Jaffnais debasses castes peuvent désormais, comme toutle monde, utiliser des verres dans les bou-tiques de thé. C’est sans doute cette raison quiexplique qu’une majorité de Jaffnais considè-rent que le système de castes dans la villen’existe plus ou, du moins, n’est plus aussirigide et pesant qu’autrefois. Cette améliora-tion ne doit pas masquer sa persistance, mêmes’il s’est modifié, et qu’il apparaît dans leMunicipal Council moins rigide que dans lereste de la péninsule rurale. En effet, dans unesociété où le poids de la tradition, du respectet de l’honneur familial domine, c’est souventla parole des plus anciens qui prévaut. C’estl’une des raisons qui explique la persistance,voire la résurgence du système de castes dansla ville. En effet, même si par la force deschoses, les anciennes générations ont dû seplier à la volonté des Tigres, en mettant decôté publiquement les distinctions de castes,

ils ont souvent gardé à l’esprit le système dehiérarchie et d’honneurs dans lequel ils ont étéélevés. La persistance de ce système dans lesmentalités se traduit toujours par la difficultépour une personne de s’établir dans le quartierd’une autre caste. Ainsi, un notaire d’une cin-quantaine d’années a confirmé qu’un certainnombre de personnes qui avaient acheté desmaisons de vellalar expatriés, grâce à l’argentenvoyé par des membres de leur famille éta-blis en Occident, ont dû faire face àl’animosité du voisinage mécontent de voirs’installer dans leur rue des gens qu’ilsconsidèrent comme inférieurs. Le voisinages’est le plus souvent employé à tout faire pourpousser les nouveaux arrivants à déménager.Dans ces conditions, peu de Jaffnais décidentde s’établir hors du quartier où la famille vitdepuis des générations. De plus, le fait quechaque caste possède sa propre église de quar-tier contribue à renforcer les liens de solidaritéen son sein et non à en développer avec lescommunautés chrétiennes des autres castes.Dès lors, le simple fait de demander à unJaffnais où il habite, reste encore un moyenefficace de connaître sa caste.

C’est particulièrement la question dumariage qui montre combien le système decastes reste important dans la mentalité desJaffnais. En effet, à Jaffna, où la majorité desmariages restent arrangés, les parentss’efforcent à tout prix de chercher pour leursenfants un conjoint de la même caste et demême religion que les leurs afin d’évitertoute mésalliance et la perte des liens qui lesunit à leur communauté. Dans ce contexte, leshistoires d’amour entre deux personnes dereligions et surtout de castes différentes ren-contrent souvent l’opposition des familles,voire de la société toute entière. C’est notam-ment le cas d’un couple qui s’est rencontré àl’université de Colombo et qui s’aime depuiscinq ans. Le jeune homme, chrétien de lacaste des pêcheurs, s’est installé à Londres oùil a trouvé un travail à la fin de ses études. Lajeune fille, de la caste vellalar et hindouisteest revenue chez sa famille à Jaffna à la fin deses études. En apprenant cet amour, les deuxfamilles respectives s’y sont vivementopposées. La famille de la jeune fille tenait àce qu’elle soit mariée avec un homme de

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Page 61: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

même caste et de même religion ; ils ont donclogiquement refusé cette mésalliance. Lafamille du jeune homme voulait que leurenfant épouse une jeune fille de leur quartier.Face à la détermination du couple de ne vou-loir se marier avec personne d’autre, les deuxfamilles cédèrent sans que tous les problèmessoient pour autant résolus. Alors que, dans unpremier temps, la famille du marié avaitrefusé toute idée de demander une dot, ellefinit par réclamer 500 000 roupies et un ter-rain avec une maison bâtie et insista pour quela future mariée se convertisse au catholicis-me. La famille de la jeune fille âgée de 28 anssouhaitait célébrer rapidement, et en secret, lemariage à Londres et non à Jaffna afin de pré-server le prestige de la famille au sein de lacommunauté vellalar. Face à cette demande,la famille du jeune homme exigea que cellede la jeune fille vienne faire officiellement lademande en mariage à leur maison et que lacérémonie ait lieu dans l’église de leur quar-tier. Malgré leur amour, le couple se retrouvadans une impasse à cause de leur différence dereligion et surtout de caste.

Même si c’est plus rare que dans lesespaces ruraux de la péninsule, le manque derespect de membres d’une caste vis-à-vis deceux d’une autre caste ou encore le fait qu’unjeune homme fasse des avances à une jeunefille d’une autre caste peut être à l’origined’affrontements violents, comme ce fut le casen décembre 2004 entre une caste de pêcheurset une autre de pallars. Ces affrontements ontpris une telle ampleur que l’armée gouverne-mentale a dû prendre position autour des habi-tations des pallars à Tirunagar dans le quartierde la Cathédrale, le temps que les espritss’apaisent.

Interrogé sur le problème des castes àJaffna, M. Raviraj, membre du Parlement srilankais et ancien maire de Jaffna, a déclaré qu’« il s’agit là d’un grand défi pour les hommespolitiques tamouls et qu’il faut cultiver chez lapopulation, l’idée que le système de castes estdépassé. Par ailleurs, il faut surtout laisser fairele temps pour venir progressivement à boutd’une des bases de la société traditionnelletamoule ».

Il serait illusoire de penser que ce problèmen’est plus d’actualité ; toutefois, le système de

castes, qui était plus rigide jusqu’au début desannées 1980, a été fortement bouleversé. Eneffet, suite au conflit armé et àl’affaiblissement de leur influence sociale etculturelle dans la société jaffnaise, beaucoupde vellalars de la cité ont fait le choix de quit-ter la péninsule pour l’étranger. Une partimportante de la caste qui était à la tête de lahiérarchie de castes à Jaffna a ainsi quitté laville. A l’inverse, chez les différentes bassescastes, l’exode à Colombo ou à l’étranger a étéde moindre importance pour des raisons avanttout financières et à cause de l’interdiction desTigres de laisser plus d’un membre par famil-le quitter la province Nord. Ainsi, dans lamajorité des cas, on a le plus souvent essayéd’envoyer un ou deux membres de la familledans la capitale, voire, si les moyens financiersle permettaient, à l’étranger, afin qu’il contri-bue à soutenir financièrement la famille restéeau pays. Là encore, on observe des différencesentre les basses castes qui ont réussi as’émanciper de leur condition avant le conflitarmé et celles, comme les pallars, qui n’ontpas réussi à profiter des opportunités offertespar le capitalisme ou par la scolarisation. Eneffet, alors que les familles nalavars ou les tat-chers ont pu envoyer à l’étranger des membresde leurs familles dès le début des années 1980,les pallars ont, encore aujourd’hui, de grandesdifficultés à y parvenir. Cette évolution dusystème traditionnel de castes, qui voit la citéde Jaffna devenir de plus en plus une ville debasses castes, fait que les problèmes liés auxcastes y sont bien moins importants que dansles campagnes de la péninsule où l’influencevellalar reste prédominante.

La persistance du système de castess’explique en grande partie par le rôle joué parles anciens qui ont été élevés dans ce systèmeet raisonnent encore aujourd’hui en terme decastes, notamment pour les mariages. Toute -fois, cette réalité de castes est de moins enmoins évidente pour les jeunes générations.L’éducation et l’argent envoyé par la diasporapermettent aux Jaffnais de s’affranchir desmétiers qui définissaient leur caste et se trans-mettaient de père en fils. Ainsi, les nalavars nepratiquent plus dans leur grande majoritél’activité d’extracteurs de toddy et occupent

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3260

Page 62: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

des postes dans l’administration municipaleou possèdent diverses boutiques souventfinan cées par les membres de la famille expa-triée.

La part croissante des mariages d’amour,notamment entre personnes de castes diffé-rentes, marque sans doute, malgré les diffi-cultés rencontrées par ces couples, le véritabledébut d’une évolution qui remet en cause dansses fondements, le système de castes dans laville de Jaffna. Ce sont finalement les jeunesgénérations, qui évoluent déjà dans unesociété dans laquelle la profession n’est plussynonyme d’appartenance à une caste, quivont jouer un rôle décisif dans l’existence ounon de ce système. Tout va dépendre de lacapacité de ces jeunes Jaffnais à tenir tête auxplus anciens, qui continuent, notamment pourles mariages, à préserver ces distinctions decastes. C’est certainement par un conflit degénérations qui semble déjà latent que pourranaître une nouvelle société jaffnaise.

Le rêve d’Occident ou une dévitali-sation inquiétante de la sociétéjaffnaise

Jusqu’à la fin des années 1990, beaucoupde Jaffnais émigraient en Occident en espé-rant obtenir l’asile politique sur place, mais,depuis le cessez-le-feu de 2001, il leur estdevenu beaucoup plus difficile de prétendre àce statut. Toutefois, les pourparlers de paixentre les Tigres et le gouvernement n’ont pasmis un terme à l’exil des Jaffnais. Beaucoupd’habitants de la ville voient en l’Occidentl’espoir d’une vie meilleure. L’arrivée depuisle cessez-le-feu de membres de la diaspora,disposant d’un grand pouvoir d’achat, ne peutque consolider la volonté des Jaffnais de ten-ter leur chance hors d’un pays où ils se sententlésés. Ainsi, 48,9 % des personnes interrogéessur le terrain, seraient prêts à envoyer leursenfants à l’étranger si l’occasion se présentait.Même si les raisons politiques, dans le choixdes Tamouls d’émigrer, restent présentes,c’est de plus en plus pour des questions éco-

nomiques qu’ils veulent quitter Sri Lanka.Quitter l’île pour l’Occident est, pour de nom-breux Jaffnais, le meilleur moyen de mettre àl’abri du besoin la famille restée à Jaffna.Beaucoup de parents espèrent envoyer leursenfants en Occident afin de les mettre défini-tivement en sécurité et leur permettre d’avoirune vie meilleure. La réouverture de la routeA9 a entraîné un inquiétant exode vers le Sudou à l’étranger, de médecins, enseignants oucadres. En effet, les salaires plus élevés et sur-tout le confort matériel et les loisirs dispo-nibles à Colombo ou à l’étranger incitentbeaucoup de Jaffnais à préférer exercer leurstalents hors de Jaffna et prive la ville de leurscompétences. Ce phénomène d’exode des tra-vailleurs les plus qualifiés touche égalementles étudiants les plus brillants qui préfèrentpoursuivre la fin de leurs études dans la capi-tale, ou mieux encore, à l’étranger et s’y éta-blir. La volonté de quitter le pays pour gagnerl’Occident, qui semble offrir plus de libertépar rapport à la pesanteur de la société jaffnai-se et plus d’opportunités, poussent même uncertain nombre d’étudiants universitaires às’exiler clandestinement.

Beaucoup de parents sont de plus en plustentés par l’idée de marier leur fille à unJaffnais déjà établi à l’étranger. Cette tendan-ce croissante s’explique par le fait que lesjeunes hommes installés à l’étranger nedemandent en général pas ou peu de dot et,par ailleurs, marier son enfant à l’étranger estune garantie pour les parents que celle-ci seraà l’abri d’un éventuel conflit et qu’il pourraaider sa famille plus aisément qu’en restantsur l’île.

On assiste ainsi à une véritable dévitalisa-tion de la société jaffnaise. En effet,l’incertitude de l’avenir politique, les salaireset surtout les conditions de vie moinsattrayantes poussent une partie des actifs àhaut niveau d’enseignement à s’exiler. Cephénomène est d’autant plus inquiétant queles jeunes étudiants et, de plus en plus, les

La renaissance de Jaffna : entre espoirs et inquiétudes

Page 63: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 64: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

63Grafigéo 2007-32

LA CRISE INTERCOMMUNAUTAIRE est par-ticulièrement difficile à étudier à causede la multitude de réalités et d’intérêts

qui varient selon les communautés et surtoutles régions. Les Jaffnais apparaissaientcomme étant les représentants incontestés dela communauté tamoule à Sri Lanka dont elledevait incarner l’âme. Les mesures discrimi-natoires qu’a tenté d’adopter le gouvernementcentral, en imposant le cingalais comme seulelangue officielle ont été à l’origine du mécon-tentement des Tamouls. Les Jaffnais ont ététout à fait conscients que le gouvernement srilankais a contribué, en agissant ainsi, à priverl’élite jaffnaise de son principal débouchéd’emploi. L’opposition parlementaire et sur-tout des manifestations pacifiques spectacu-laires de désobéissance civile n’ont pas étéprises en compte par le gouvernement deColombo qui a préféré ignorer les doléancestamoules. L’impossibilité de se faire entendredans l’arène politique et le cynisme de cer-tains politiques cingalais ont contribué àconsolider la position des jeunes extrémistestamouls qui ont préféré prendre les armespour défendre leurs droits et obtenir un Etatindépendant. Le durcissement de la situationpolitique et le choix du gouvernementd’envoyer l’armée régler le problème desmilitants tamouls ont fait définitivement bas-

culer l’île dans un conflit armé interminable,dont Jaffna a été l’une des principales victimes.Pendant près de quinze ans, la ville a été l’undes principaux théâtres de la guerre qui aopposé l’armée aux militants rebelles tamouls.L’Inde, en qui la population voyait le sauveurprovidentiel, a quitté le pays sans gloire etperdu la sympathie de celle-ci après les exac-tions criminelles commises par les forces demaintien de la paix indiennes. La populationconsidère, depuis les bombardements et lesassauts répétés de l’armée sri lankaise puis deIPKF, qu’elle ne peut compter que sur lesTigres pour la défendre. Le Municipal Councilde Jaffna, qui était avant le conflit armé ladeuxième ville du pays, est totalement ravagépar les bombardements. La peur de mourir oud’être victime de la barbarie des combattantsrend de plus en plus intenable la situation pourles habitants de la cité. De nombreux Jaffnais,en particulier les plus riches appartenant à lacaste des vellalar, ont préféré s’exiler pour êtreà l’abri. La société traditionnelle jaffnaise estmalmenée par le LTTE qui interdit le systèmede castes et a été expulsé en 1993 lesMusulmans de la province Nord. La popula-tion civile se retrouve prisonnière d’un conflitdans lequel elle doit constamment fuir le front.

Le cessez-le-feu de 2001 est un énormeespoir pour les Jaffnais qui ne demandent qu’à

Conclusion

Conclusion

Page 65: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

retrouver une vie normale. Les habitantsdéplacés de la ville reviennent par vagues suc-cessives et se lancent, grâce à l’argent de ladiaspora et à l’aide des ONG, dans la recons-truction des demeures. L’ouverture àl’extérieur s’accompagne d’une course àl’équipement, financée par l’argent de la dia-spora, qui contribue à faire de la ville unimportant marché de consommation dans l’île.Le développement de l’activité économiquene doit pas masquer les problèmes politiquestoujours persistants et les problèmes sociocul-turels apparus depuis 2001. Les habitants de laville sont conscients de la fragilité de la paixétablie entre les Tigres et le gouvernement etcraignent que le conflit ne reprenne à toutmoment. Les Jaffnais, dont la ville est totale-ment occupée par l’armée, savent qu’en cas dereprise des hostilités, Jaffna deviendra de nou-veau l’un des principaux champs de bataillesentre les forces armées. Les communautéssocioreligieuses conservent une influenceimportante dans la vie de la ville. Les commu-nautés religieuses continuent à vivre en bonneharmonie malgré l’arrivée de sectes chré-tiennes qui sont à l’origine de certaines ten-sions dues à leur prosélytisme.

Le système traditionnel de castes a étéébranlé dans la ville, néanmoins il existe tou-jours dans la localisation des habitants et réap-paraît au moment des mariages. Les anciennesgénérations commencent à s’inquiéter del’impact négatif de l’ouverture de la sociétéjaffnaise à l’extérieur et craignent une certaineacculturation des jeunes générations, attiréespar le modèle de vie occidentale, qu’ellentdécouvrent à l’occasion des visites de la famil-le installée depuis des années à l’étranger.Cette attirance de la population vers un ailleursmeilleur, s’est surtout traduite par un exil nonnégligeable depuis 2001 des vellalar, dejeunes, diplômés ou non, et de plus en plus dejeunes filles qui se marient avec un Tamoulissu de la diaspora. L’Occident devient pourune partie des Jaffnais un symbole de libertévis-à-vis du conflit politique et du poids de lasociété traditionnelle jaffnaise, mais l’exil estsurtout le meilleur moyen d’assurer pour soi etsa famille, une vie meilleure. Dans le mêmetemps, on peut se demander comment cetteville, qui doit se reconstruire, va réussir à pan-

ser ses plaies si ses habitants ne rêvent que dela quitter. Il apparaît vital pour la villed’endiguer ce phénomène d’exil, ce qui nepeut être envisagé sans paix durable sur l’île.

L’une des principales raisons de l’exil desJaffnais est due au fait qu’ils ne pensent pasavoir d’avenir à Jaffna et plus généralementdans l’île.

Le gouvernement a une grande responsabi-lité dans le malaise actuel des Tamouls. Enchoisissant d’envoyer l’armée sur Jaffna, en1987, sans se soucier des conséquences sur lescivils, le gouvernement de l’époque a contri-bué à favoriser le repli communautaire desTamouls. Après une telle décision, commentespérer que les tamouls modérés puissentprendre le dessus dans leur communauté etcomment est-il possible de prétendre agir pourl’unité nationale du pays ? Il est de la respon-sabilit des membres du gouvernement actuelde réparer les erreurs de leurs prédécesseurs. Ilapparaît évident que le système de républiquecentralisée n’est pas le régime adapté pourl’île. De plus, les Tamouls des plantations, lesMusulmans, les Cingalais et une partie desTamouls autochtones sont hostiles, à la divi-sion de l’île en deux Etats indépendants. Laproclamation de l’indépendance de l’Eelams’accompagnerait d’importants mouvementsde population et l’on peut imaginer que lesrelations entre les deux peuples nes’amélioreraient pas. L’option fédérale, avecune large autonomie accordée aux provincesNord et Est, semble être la meilleure solution.Une majorité de Sri lankais est favorable àcette solution, qui en théorie, avait étéacceptée dès 1987 lors des négociations avecl’Inde, sans que les clauses de l’accord puis-sent être appliquées. Il faut, pour sortir de cetteimpasse, qu’il fasse sentir aux Tamouls qu’illes considère comme des citoyens à part entiè-re. Il me semble qu’il ne serait pas inutile qu’ilfasse des actions symboliques à l’adresse desTamouls mais également des Musulmans.Ainsi, il faudrait que tous les organes adminis-tratifs possèdent un exemplaire de chaque for-mulaire administratif dans les trois languesparlées du pays. Comment peut-on tolérerqu’un Jaffnais, citoyen sri lankais, se retrouveà Colombo dans le service des passeports,incapable de régler ses affaires administratives

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3264

Page 66: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

65Grafigéo 2007-32

car les seuls formulaires disponibles sont encingalais ou en anglais ? Les autorités admi-nistratives, qui ont eu pourtant la bonne idéede réaliser un formulaire en anglais à l’adressedes touristes étrangers, n’ont semble-il pas crubon de faire preuve du même égard vis-à-visdes citoyens sri lankais tamouls. Pour que lesTamouls se sentent Sri lankais avant d’êtreTamouls, le gouvernement se doit de montrerl’exemple, afin de donner les moyens auxTamouls modérés de défendre la création d’unEtat fédéral plutôt qu’un Etat tamoul indépen-dant. Pour favoriser l’édification d’un Etatfédéral, on pourrait notamment créer unconseil intercommunautaire afin de recréerl’identité sri lankaise. Plus que la naissance-d’un pays indépendant, les Tamouls de l’îleveulent que l’on reconnaisse leur singularité,pouvoir accéder, comme les Cingalais, auxplus hautes charges de l’administration ets’enrichir à l’image des Tamouls deSingapour ou de l’Ile Maurice.

La paix semble difficilement envisageablesans les Tigres. Ce mouvement rebelle a réus-si à obtenir le soutien quasi unanime desTamouls et a favorisé le développement d’unsentiment communautariste. Ce mouvementrebelle, qui est devenu au fil des années unorganisme totalitaire, essaie de contrôler et deguider la société tamoule avec ou sans sonconsentement. L’image, véhiculée par lesorganes de propagande, qui veut faire duLTT.E le représentant unique des Tamouls, estde plus en plus remise en cause. LesMusulmans ont été les premiers à marquerleur singularité et l’épisode qui a vus’affronter Karuna (responsable du LTTE dansla province Est) et Prebakaran (chef historiquedu LTTE) montre les dissidences qui existententre les Tamouls de Jaffna et ceux de l’Est.Le LTTE, déclaré organisation terroriste par uncertain nombre de pays Occidentaux, doitessayer de se réformer s’il ne veut pas conti-nuer à se marginaliser et s’isoler. Il est pri-mordial que les Tigres cessent de considérercomme traîtres à éliminer, tous les Tamoulsqui ne partagent pas à la lettre leur politique.Au contraire, le mouvement rebelle serait bienavisé de travailler avec les modérés Tamoulsfavorables à une solution fédérale, seuleviable. En modérant son discours, le LTTE

pourrait même redorer son image à l’étrangeret favoriser véritablement la cause tamoule.En effet, il est très probable qu’un tel change-ment favoriserait la constitution d’un frontcommun pour la paix, qui rassemblerait véri-tablement tous les Tamouls mais égalementles Musulmans et surtout les Cingalaismodérés. Une telle démarche obtiendrait éga-lement le soutien de la communauté interna-tionale et pourrait faire pression, de façondécisive, sur les groupes cingalais extrémistes,pour régler le problème intercommunautaire àSri Lanka.

Malheureusement, l’évolution du contextepolitique dans l’île a été tout autre. L’élection,en 2005, du nouveau président de la répu-blique Mahinda Rajapakse, a été entachéed’un certain nombre d’incidents. Cetteéchéance électorale a été précédée del’assassinat du ministre des affaires étran gèresd’origine tamoul, Lakshman Kadirga mar. Leboycott imposé par les Tigres dans la provin-ce Nord, avec des grenades jetées dans desbureaux de vote de Jaffna, a considérablementpesé sur les résultats des présidentielles. Cetteattitude a favorisé la défaite du candidat quidéfendait une solution fédéraliste alors qu’ilaurait sans doute récolté les suffrages desTamouls, prêts au compromis. Les positionstout à fait incompatibles, entre le nouveau pré-sident, qui veut préserver un Etat centralisé, etle chef des Tigres, qui rêve d’un Etat tamoulsouverain, n’ont pas tardé à se traduire par destensions. Depuis l’été 2006, l’accord de ces-sez-le-feu a été mis à mal par les belligérants.La destruction d’un navire de la marine par lesLTTE, suite à une polémique sur la souverai-neté maritime respective de chacun, a été sui-vie d’un bombardement et d’atrocités com-mises par des éléments de l’armée àl’encontre de civils tamouls. Depuis la situa-tion n’a cessé de se dégrader avec la fermetu-re de la route A9 qui relie la péninsule deJaffna à la capitale. La population de Jaffnadoit de nouveau faire face à des couvre-feuxqui peuvent durer douze heures. Les Jaffnaisconnaissent une fois de plus une pénurie denourriture, médicaments et pétrole. L’annéescolaire risque même d’être compromise, toutcomme le développement économique.

Conclusion

Page 67: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

De plus, une résolution pacifique de ceconflit s’éloigne avec les assassinats du députétamoul modéré Ketheeswaran à la tête duPeace Secretary au gouvernement et del’ancien maire de Jaffna et parlementairetamoul, proche des Tigres, Raviraj. La margede manœuvre des politiques tamouls, quelleque soit leur sensibilité, est de plus en plusréduite à Sri Lanka et nécessite véritablementl’intervention de l’ONU pour protéger les popu-lations tamoules qui sont en première ligne. Lacommunauté internationale ne peut se per-mettre d’attendre la dernière minute, pourintervenir dans l’urgence.

Plusieurs sujets semblent intéressants àtraiter après la réalisation de ce mémoire, maisun certain nombre d’entre eux restent très dif-ficilement envisageables. L’étude d’un sujetqui mettrait en relation le Municipal Councilavec son agglomération serait une continua-tion logique du travail effectué. La comparai-son entre la façon dont a été ressenti le confliten ville et à la campagne, avec celle des mou-vements migratoires pendant et après le conflitarmé, peut donner lieu à des recherches.

L’étude d’autres grandes villes tamoulescomme Trincomalee ou Kilinochchi est inté-ressante car elles sont toutes deux très symbo-liques. Trincomalee abrite le port le plus straté-

gique d’Asie du Sud et est au cœur des négo-ciations entre les Tigres et le gouvernementpour son contrôle dans le cas d’une éventuellecréation d’un Etat fédéral. Cette ville abriteaussi les trois grandes communautés du paysqui évoluent dans un contexte particulière-ment délicat. Les extrémistes des différentsbords entretiennent dans cette région, les ten-sions entre les communautés en provoquantfréquemment des incidents. Kilinochchi n’aété que récemment développée par les Tigrespour en faire leur nouvelle capitale. L’étudecomparée de Jaffna et Kilinochci et de leursrelations serait un excellent sujet de recherche,mais qui risque d’être compromis parl’attitude des autorités LTTE, peu enclines àvoir des chercheurs travailler sur elles, saufpour faire de la propagande.

Il serait intéressant d’étudier la localisationdes trois communautés dans la capitale, leurinteraction et leur perception du conflit.

Enfin, il serait très enrichissant de compa-rer la situation sri lankaise, avec celle d’unpays comme Singapour, qui a réussi à sur-monter la pluralité communautaire pour forgerune identité nationale sans renierl’appartenance ethnique.

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Page 68: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

67Grafigéo 2007-32

Bibliographie

Bibliographie

ABEYDEERA A., 1995. Trois villes colonialshollandaises à Sri Lanka : Colombo, Galle,Jaffna, dans Clement et al. (sous dir.),Cités d’Asie, Marseille, Parenthèses.

ALI A, (2001), Plural Identities and PoliticalChoices of the Muslim Community,Colombo, Marga Institute.

AMBALAVANAR S, 1996. Politics of TamilNationalism in Sri Lanka, New Delhi,South Asian Publishers.

Amnesty International, Sri Lanka-Le Nord-Est : Violations des droits de l’homme entemps de conflit armé, Document externeseptembre 1991.

Amnesty International, Sri Lanka Difficileéquilibre entre droit de l’homme et sécu-rité, Documentation externe, février 1994.

Amnesty International, Sri Lanka Les auto-rités manquent de fermeté dans leur enga-gement vis-à-vis des droits de l’homme,Document externe, août 1996.

BALASUNDARAMPILLAI P., 2002. Jaffna : Past,Present and Future a Development Pers-pective, dans (Pon Vilha 50) Goldenyear1949-1999, Jaffna, JMC

BOUDJIKANIAN A.K., 1994. Beyrouth 1920-1991 : d’une métropole de croissance auchamp de guerre, dans Kiwan F (sousdir.), Le Liban aujourd’hui, Paris, EditionsCNRS.

BUSHRA A. A., 1997. Geography of SouthAsia, Lahore, Sang-e-Meel Publica-tions.

DELVERT J., 1979. Le Monde Indien :Inde,Pakistan, Bangladesh, Sri lanka, Paris,Encyclopédie Larousse.

DE SILVA K.M., 1999, Sri Lanka: Ethnicconflict, management and resolution,Kandy, International Centre for EthnicStudies (ICES).

DUBOIS C., 2002. La survie libanaise oul’expérience de la différence : un néces-saire élan vers l’harmonie multiconfes-sionnelle, Bruxelles, presses inter universi-taires européennes.

FUGLERUD O., 1999. Life on the outside. TheTamil Diaspora and long-distance Natio-nalism, Londres, Pluto.

GAMAGE S., WATSON J.B., 1999. Conflict andcommunity in contempory Sri Lanka, NewDelhi, Sage.

GTZ (German Technical Cooperation), Nor-thern Rehabilitation Project.

Hoole R et al., 1990. The Broken Palmyra,Claremont.

ICRC Jaffna, Facts & Figures,Year 2001.ICRC Jaffna, Facts & Figures, january-decem-

ber 2002.ICRC Sri Lanka, News Letter, Issue n°15, mai

2000.

Page 69: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

ICRC Sri Lanka, News Letter Issue N°18, mars2002.

ICRC Sri Lanka, News Letter, Issue n°21, mars2002.

ICRC Sri Lanka, News Letter, Issue n°23, jan-vier 2003.

ICRC Sri Lanka, News Letter, Issue n°24, sep-tembre 2003.

ICRC Sri Lanka, News Letter, Issue n° 25, avril2004.

Jaffna Municipal Council, 1974. The JaffnaMunicipal Council Silver Jubilee Souvenir,Jaffna, JMC.

Jaffna Municipal Council, 2002. (pon vilha50) Golden year1949-1999, Jaffna, JMC.

JULIA J.M, Le génocide Tamoul à Sri Lanka,Paris, Cimade.

KEARNEY R.N. MILLER B.D., 1987., Internalmigration and its social consequences,Colorado, Westview Press.

LAMBALLE A., 1985. Le Problème Tamoul àSri Lanka, Paris, L’Harmattan.

LE HOUEROU F., 2000. Ethiopie-Erythee :frères ennemis de la Corne de l’Afrique,Paris, L’Harmattan.

LE LIÈVRE M, 1995, Sur le chemin de la paixavec l’ONU au Salvador, Paris, Desclée deBrouwer.

Ministry of Education Sri Lanka, Investing inour future, septembre 2004.

MANIKKALINGAM R., 1995. Tigerism and otheressays, Colombo, Ethnic Studies Group

MANIKKALINGAM R, 2001, A Unitary state, AFederal State or Two Separate States ?,Colombo, Social Scientist’ Association.

MEYER E., 1977. Ceylan : Sri Lanka et sespopulations, Paris, PUF

MEYER E., 1994. Ceylan-Sri Lanka, Paris,PUF, Que Sais-Je ?

MEYER E., 1995a, Sri Lanka, Pointe de l’Asie,dans Brunet R.. (sous dir.), GéographieUniverselle. Paris, Belin-Reclus

MEYER E., 1995b., Sri Lanka entre intégrationet division, dans Brunet N.(sous dir.), Géo-graphie Universelle. Paris, Belin-Reclus

MEYER E., 2001. Sri Lanka, entre particula-risme et mondialisation, Paris, La Docu-mentation Française : collection Asie Plu-rielle

MEYER E., 2002. Sri Lanka, dans Foucher M.(sous dir.), Asies Nouvelles, Paris, Belin.

MEYER E., 2003. Sri Lanka :Bibliography ofan Island :Between local & global,Negombo, Viator Publications.

MEYER E., PAVEY E., 2004. Les ratés du pro-cessus de paix à Sri Lanka, Critique Inter-nationale n° 22, p. 35-46.

MORRISSON C., 1999. Géography of IndianEmpire & Ceylon, Delhi, Neha PublishingHouse.

NISSAN E., STIRRAT R.T., 1990. The generationof communal identities, dans Spencer J.(sous dir.), Sri Lanka, History of conflict,Londres, Routledge.

NUHMAN M.A., 2004. Undrestanding Sri Lan-kan Muslim Identity, Colombo, ICES.

OBEYSEKERE R, 2001. The Sri Lankan TheatreIn the Past Two Decates, Colombo, MargaInstitute.

PAUL. L., 1997. La question tamoule à SriLanka, Paris, L’Harmattan.

PEIRIS G.H, 1996. Development and change inSri Lanka, geographical perspective,Delhi, Macmillan.

PEIRIS G.H., 1997, Studies on the press in SriLanka and South Asia, Colombo, ICES.

PFAFFENBERGER B., 1982. Caste in Tamil Cul-ture : The religious foundations of Sudra;Domination in Tamil Sri Lanka, New-York, Marxwell School of Citizenship andPublic Affairs Syracuse University

RAJASINGHAM-SENANAYAKE D., 2001., Identityon the Borderline: Multicultural History ina Moment of Danger, Colombo, MargaInstitute.

SAVER N.M, 1996. Jaffna the Land of the Lute,Toronto, Lucky Printer.

Saint John’s College Magazine, XXIV, 2003,Jaffna.

SHANTHIHAM, News Letter, Issue 1, janvier-mars 2000.

SOMASEKARAM T., 1997. Arjuna’s Atlas of SriLanka, Dehiwala.

SUMATHY S., 2001, Militants, Militarism andthe crisis of (tamil) nationalism, Colombo,Marga Institute.

The World Fellowship of Buddhists Sri LankaRegional Centre, (pas de date), Terrorismin North Sri Lanka and racial riots: ananalysis of their causes, Colombo, Sridevi.

THUAL F., 1995. Les conflits identitaires, Paris,Ellipse.

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3268

Page 70: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

VIVEKANANTHAN V., 2003. Tamil MinoritySuperiority Intention for Co-Existence andCo-Habitation, Batticoloa, New KeenPrinters.

WILSON A.J, (2000), Sri Lankan Tamil Natio-nalism, Londres, Hurst.

University Teachers for Human Rights (Jaff-na) with Pax Christi, (pas de date), Specialreport n° 1: The Bombing in Jaffna & Spe-cial report n° 2: Operation Major, Jaffna,University of Jaffna Thirunelveli.

Bibliographie

Page 71: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 72: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

PLANCHES DE PHOTOGRAPHIESEN COULEUR

Page 73: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 74: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

73Grafigéo 2007-32

Photographies en couleur

Espace non déminé à proximité du Fort Hollandais (photo 1).

Zone déminée par des organisations

non gouvernementalesinternationales (photo 2).

Page 75: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3274

Maisons dévastées des quartiers de Old Mosque(photo 3).

Maison réinvestie par une famille musulmane

dans le quartier de Old Mosque(photo 4).

Page 76: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

75Grafigéo 2007-32

Photographies en couleur

Ancien quai de la gare de Jaffna (photo 6)

Façade de la gare dévastée de Jaffna (photo 5)

Page 77: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 78: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

A N N E X E S

Page 79: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 80: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

79Grafigéo 2007-32

Annexes

Page 81: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3280

Page 82: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

81Grafigéo 2007-32

Annexes

Tableau 1 – Liste des quartiers de Jaffna

Tableau 2 – Croissance de la population de Jaffna

(1871-2004)

Source: Department of Census1981,Divisional Secretary Jaffna andNallur 2002, 2003, 2004

Page 83: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3282

Tableau 5 – Population dans le Municipal Council de Jaffna en 2001

• Jaffna D.S. Division

Page 84: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

83Grafigéo 2007-32

Annexes

Sources : recensement population D.S. Jaffna du 18/10/2001 et recensement du D.S. /A.G.ADivision Nallur du 31/10/2001

• DS/AGA Division (Nallur)

Tableau 5 – Population dans le Municipal Council de Jaffna en 2001 (suite)

Page 85: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Grafigéo 2007-3284

Tableau 6 – Population dans le Municipal Council de Jaffna en 2004

• Jaffna DS Division

Page 86: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

85Grafigéo 2007-32

Annexes

Tableau 6 – Population dans le Municipal Council de Jaffna en 2004 (suite)

• DS/AGA Division (Nallur)

Source : Divisional Secratary Jaffna and Nallur 2004

Page 87: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,
Page 88: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

87Grafigéo 2007-32

• FR A N Ç A I S

Les mesures discriminatoires, que tented’imposer le gouvernement central, crispentles relations entre les communautés du pays.L’impossibilité de régler politiquement etpacifiquement le problème entraîne la radica-lisation de certains Tamouls qui prennent lesarmes pour la conquête d’un Etat tamoul indé-pendant. Le choix du gouvernementd’envoyer l’armée régler le problème desrebelles tamouls fait définitivement basculerl’île dans un conflit interminable. Depuis1987, Jaffna est l’un des principaux théâtresde la guerre qui oppose, au milieu des civils,l’armée aux militants du LTTE. Outre la des-truction d’une grande partie des habitations etinfrastructures du Municipal Council deJaffna, le coût humain du conflit armé estconsidérable. Les pertes humaines, l’impactpsychologique et les déplacements voire l’exilde nombreux Jaffnais sont une blessureindélébile.

Le cessez le feu de 2002 a été perçucomme un énorme espoir mais par bien desaspects la société jaffnaise semble inéluctable-ment bouleversée. Bien que la condamnationpar les Tigres ait fait du système de castes unsujet tabou, celui-ci reste d’actualité à traversla localisation des habitants dans la ville et les

alliances matrimoniales. Dépossédée desdécisions politiques par les militants, la popu-lation n’aspire plus qu’à une paix durable afind’accéder aux facilités matérielles. Cettevolonté d’accéder à une meilleure qualité devie s’est renforcée avec les visites de la dia-spora occidentale. Celle-ci a permis par sonfinancement le développement d’un nombreimportant d’activités économiques. Même sil’influence de la diaspora est perçue commeun facteur de perversion de la culture tradi-tionnelle de Jaffna, pour beaucoup d’habitantsde la ville, la réussite matérielle des exilés,souvent surestimée, fait de l’Occident uneldorado où tout s’offre. La situation politiquequi reste toujours sensible renforce l’idéechez de nombreux Jaffnais, que leur avenirn’est plus dans leur propre pays.

• AN G L A I S

Discriminatory measures that the centralgovernment has attempted to enforce damagethe relationships between the various ethnicgroups in Sri Lanka. Difficulty of finding apolitical and peaceful solution to this proble-matic situation led to the radicalisation ofsome Tamils who took up arms against thegovernment to conquer an independent TamilState. Upon the request of the government, the

Résumés

Résumés

Page 89: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

army has been sent to deal with the problem ofthe Tamils rebels, definitively leading to anever-ending conflict in the island. Since1987, Jaffna has become one of the maincentres of the war thus opposing the SriLankan army to the militants of LTTE.Furthermore the destruction of many housesand of the infrastructure are considerable. Thenumber of dead and the psychologicalimpacts, the displacement and even the exileof a numerous of inhabitants are a permanentwound for Jaffneses.

The 2002 Cease-fire agreement is seen as agreat hope but many aspects of the traditionalJaffnese society seem irreversibly disrupted.Although, the Tigers convict the caste systemas a taboo, it is still visible through the geo-

graphical spread of each inhabitant andthrough marriages. Unable to make a politicaldecision because of the militants, the people islonging for a lasting peace, in order to gainaccess to material facilities. Visits of the wes-tern expatriates have reinforced their wish fora better condition of life. This has been pos-sible by the development of economics activi-ties, all financed by the diaspora. Even if theinfluence of the expatriates is considered asperverting the traditional Jaffnese society,many people think that the material success ofthe exiles, often overestimated, makesWestern Word an El Dorado where everythingis possible. As a consequence, the constantinstability of the political situation reinforcedthe idea among many Jaffneses their future is

Jaffna et le conflit intercomunautaire à Sri Lanka

Dépôt légal : juin 2007

Page 90: GÉO - f.hypotheses.org · lui permet de prendre un recul et une hau-teur de vue difficilement accessibles à un acteur totalement engagé dans le combat. Ce qui guide M. Madavan,

La détérioration des relations intercommunautaires à

Sri Lanka a conduit à un affrontement armé entre le

gouvernement central et les Tamouls du LiberationTigers of Tamil Eelam, dans lequel les civils se

retrouvent prisonniers.

Le sort de la ville de Jaffna, au nord de l’île, en est

l’exemple le plus emblématique. C’est de cette capitale

culturelle et historique des Tamouls du pays, qu’est né

le mouvement de résistance aux différentes mesures

discriminatoires adoptées par le gouvernement central.

A partir de 1987, cette ville devient le principal théâtre

et enjeu du conflit armé.

Le cessez-le-feu de 2001 a été une opportunité sans

précédent pour étudier les conséquences de la guerre à

Jaffna. En effet, jusqu’à cette date, il était difficile pour

un chercheur de travailler en sécurité sur ce terrain et

de pouvoir accèder aux outils statistiques et

cartographiques. L’approche historique a permis de

comprendre les causes et l’évolution du conflit

intercommunautaire. L’enquête et les entretiens

obtenus directement auprès des Jaffnais, ainsi que les

cartes réalisées sur les communautés religieuses, sur les

castes ou le dynamisme démographique des différents

quartiers de la ville, permettent de voir quel a été

l’impact de la guerre pour la population et combien la

société traditionnelle de Jaffna a été bouleversée par le

conflit armé.

Ce travail de recherche est d’autant plus intéressant

que la dégradation de la situation politique rend de

nouveau difficile l’accès à la péninsule de Jaffna pour

les chercheurs. Les Jaffnais doivent une fois de plus

faire face au couvre-feu et il leur est de nouveau

difficile de se déplacer dans le reste de l’île.

L’éphémère espoir de paix suscité par le cessez-le-feu

de 2002 laisse malheureusement place à un repli

communautaire à Jaffna et à Sri Lanka dans son

ensemble.

ISBN 2 901560 71 7ISSN 1281-6477