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GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE A ET B c NORVEgraveGE
(Requecirctes nos 2413011 et 2975811)
ARREcircT
STRASBOURG
15 novembre 2016
Cet arrecirct est deacutefinitif Il peut subir des retouches de forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 1
En lrsquoaffaire A et B c Norvegravege
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande
Chambre composeacutee de
Guido Raimondi preacutesident
Işıl Karakaş
Luis Loacutepez Guerra
Mirjana Lazarova Trajkovska
Angelika Nuszligberger
Boštjan M Zupančič
Khanlar Hajiyev
Kristina Pardalos
Julia Laffranque
Paulo Pinto de Albuquerque
Linos-Alexandre Sicilianos
Paul Lemmens
Paul Mahoney
Yonko Grozev
Armen Harutyunyan
Gabriele Kucsko-Stadlmayer juges
Dag Bugge Nordeacuten juge ad hoc
et de Lawrence Early jurisconsulte
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 13 janvier et le
12 septembre 2016
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouvent deux requecirctes (nos 2413011 et
2975811) dirigeacutees contre le Royaume de Norvegravege et dont deux
ressortissants de cet Eacutetat A et B (laquo les requeacuterants raquo) ont saisi la Cour le
28 mars et le 26 avril 2011 respectivement en vertu de lrsquoarticle 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes
fondamentales (laquo la Convention raquo) Le preacutesident de la Grande Chambre a
acceacutedeacute agrave la demande des requeacuterants tendant agrave la non-reacuteveacutelation de leur
identiteacute (article 47 sect 4 du regraveglement de la Cour ndash laquo le regraveglement raquo)
2 Les requeacuterants ont eacuteteacute repreacutesenteacutes par Me R Kjeldahl avocat agrave Oslo
Le gouvernement norveacutegien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute
successivement par M M Emberland et M C Reusch tous deux du bureau
de lrsquoavocat geacuteneacuteral (affaires civiles) et de nouveau par M Emberland en
qualiteacute drsquoagent
2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de
sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a
deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en
qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)
4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis
deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave la Convention
5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux
requecirctes et de les communiquer au Gouvernement
6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de
Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska
Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos
et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section
srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des
parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du
regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement
aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du
regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans
lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina
Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants
(article 24 sect 3 du regraveglement)
8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations
eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes
9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France
de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse
autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit
des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)
10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) agent
Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles)
M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) conseils
MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement
de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la
Sucircreteacute publique
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3
L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale
drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques
et eacutecologiques
DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux
de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers
ndash pour les requeacuterants
M R Kjeldahl avocat conseil
La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi
qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le
second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis
drsquoAmeacuterique)
12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment
Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la
socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au
Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute
Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes
les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix
nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au
premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash
soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute
Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant
srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le
transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique
MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de
transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par
le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non
deacuteclareacutees
Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ
114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes
aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total
environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes
4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS
et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa
une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute
nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits
eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement
conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres
personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale
aggraveacutee
Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite
poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison
pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci
ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut
confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme
instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct
de 30 lui fut infligeacutee
ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu
de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee
ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration
drsquoimpocirct
ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une
majoration drsquoimpocirct de 30
ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende
conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa
deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a
eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous
Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second
requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous
A Le premier requeacuterant
14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin
le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en
qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute
responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard
15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations
des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir
au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)
16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa
le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir
communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment
au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes
au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors
de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de
deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 1
En lrsquoaffaire A et B c Norvegravege
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande
Chambre composeacutee de
Guido Raimondi preacutesident
Işıl Karakaş
Luis Loacutepez Guerra
Mirjana Lazarova Trajkovska
Angelika Nuszligberger
Boštjan M Zupančič
Khanlar Hajiyev
Kristina Pardalos
Julia Laffranque
Paulo Pinto de Albuquerque
Linos-Alexandre Sicilianos
Paul Lemmens
Paul Mahoney
Yonko Grozev
Armen Harutyunyan
Gabriele Kucsko-Stadlmayer juges
Dag Bugge Nordeacuten juge ad hoc
et de Lawrence Early jurisconsulte
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil le 13 janvier et le
12 septembre 2016
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouvent deux requecirctes (nos 2413011 et
2975811) dirigeacutees contre le Royaume de Norvegravege et dont deux
ressortissants de cet Eacutetat A et B (laquo les requeacuterants raquo) ont saisi la Cour le
28 mars et le 26 avril 2011 respectivement en vertu de lrsquoarticle 34 de la
Convention de sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes
fondamentales (laquo la Convention raquo) Le preacutesident de la Grande Chambre a
acceacutedeacute agrave la demande des requeacuterants tendant agrave la non-reacuteveacutelation de leur
identiteacute (article 47 sect 4 du regraveglement de la Cour ndash laquo le regraveglement raquo)
2 Les requeacuterants ont eacuteteacute repreacutesenteacutes par Me R Kjeldahl avocat agrave Oslo
Le gouvernement norveacutegien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute repreacutesenteacute
successivement par M M Emberland et M C Reusch tous deux du bureau
de lrsquoavocat geacuteneacuteral (affaires civiles) et de nouveau par M Emberland en
qualiteacute drsquoagent
2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de
sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a
deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en
qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)
4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis
deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave la Convention
5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux
requecirctes et de les communiquer au Gouvernement
6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de
Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska
Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos
et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section
srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des
parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du
regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement
aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du
regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans
lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina
Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants
(article 24 sect 3 du regraveglement)
8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations
eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes
9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France
de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse
autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit
des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)
10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) agent
Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles)
M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) conseils
MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement
de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la
Sucircreteacute publique
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3
L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale
drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques
et eacutecologiques
DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux
de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers
ndash pour les requeacuterants
M R Kjeldahl avocat conseil
La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi
qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le
second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis
drsquoAmeacuterique)
12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment
Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la
socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au
Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute
Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes
les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix
nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au
premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash
soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute
Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant
srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le
transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique
MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de
transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par
le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non
deacuteclareacutees
Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ
114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes
aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total
environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes
4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS
et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa
une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute
nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits
eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement
conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres
personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale
aggraveacutee
Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite
poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison
pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci
ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut
confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme
instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct
de 30 lui fut infligeacutee
ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu
de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee
ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration
drsquoimpocirct
ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une
majoration drsquoimpocirct de 30
ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende
conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa
deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a
eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous
Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second
requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous
A Le premier requeacuterant
14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin
le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en
qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute
responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard
15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations
des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir
au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)
16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa
le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir
communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment
au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes
au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors
de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de
deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct
2 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
3 M Erik Moslashse juge eacutelu au titre de la Norvegravege eacutetant empecirccheacute de
sieacuteger dans lrsquoaffaire (article 28 du regraveglement) le preacutesident de la chambre a
deacutesigneacute le 20 feacutevrier 2015 M Dag Bugge Nordeacuten pour sieacuteger agrave sa place en
qualiteacute de juge ad hoc (articles 26 sect 4 de la Convention et 29 du regraveglement)
4 Les requeacuterants estimaient en particulier avoir eacuteteacute poursuivis et punis
deux fois pour la mecircme infraction fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave la Convention
5 Le 26 novembre 2013 la chambre a deacutecideacute de joindre les deux
requecirctes et de les communiquer au Gouvernement
6 Le 7 juillet 2015 une chambre de la premiegravere section composeacutee de
Isabelle Berro preacutesidente Khanlar Hajiyev Mirjana Lazarova Trajkovska
Julia Laffranque Paulo Pinto de Albuquerque Linos-Alexandre Sicilianos
et Ksenija Turković juges ainsi que de Soslashren Nielsen greffier de section
srsquoest dessaisie en faveur de la Grande Chambre ni lrsquoune ni lrsquoautre des
parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la Convention et 72 du
regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement
aux dispositions des articles 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et 24 du
regraveglement Andraacutes Sajoacute et Nona Tsotsoria qui nrsquoavaient pas pu sieacuteger dans
lrsquoaffaire agrave la date de lrsquoadoption de lrsquoarrecirct ont eacuteteacute remplaceacutes par Kristina
Pardalos et Armen Harutyunyan premiegravere et second juges suppleacuteants
(article 24 sect 3 du regraveglement)
8 Tant les requeacuterants que le Gouvernement ont produit des observations
eacutecrites sur la recevabiliteacute et sur le fond des requecirctes
9 En outre les gouvernements de la Bulgarie de la Gregravece de la France
de la Reacutepublique de Moldova de la Reacutepublique tchegraveque et de la Suisse
autoriseacutes agrave intervenir en qualiteacute de tiers dans la proceacutedure eacutecrite ont produit
des observations (articles 36 sect 2 de la Convention et 44 sect 3 du regraveglement)
10 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 13 janvier 2016 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
M M EMBERLAND avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) agent
Mme J SANDVIG avocate bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles)
M C REUSCH avocat bureau de lrsquoavocat geacuteneacuteral
(affaires civiles) conseils
MM A TVERBERG directeur geacuteneacuteral adjoint deacutepartement
de la leacutegislation ministegravere royal de la Justice et de la
Sucircreteacute publique
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3
L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale
drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques
et eacutecologiques
DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux
de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers
ndash pour les requeacuterants
M R Kjeldahl avocat conseil
La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi
qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le
second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis
drsquoAmeacuterique)
12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment
Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la
socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au
Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute
Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes
les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix
nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au
premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash
soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute
Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant
srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le
transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique
MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de
transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par
le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non
deacuteclareacutees
Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ
114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes
aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total
environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes
4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS
et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa
une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute
nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits
eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement
conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres
personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale
aggraveacutee
Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite
poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison
pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci
ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut
confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme
instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct
de 30 lui fut infligeacutee
ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu
de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee
ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration
drsquoimpocirct
ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une
majoration drsquoimpocirct de 30
ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende
conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa
deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a
eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous
Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second
requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous
A Le premier requeacuterant
14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin
le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en
qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute
responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard
15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations
des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir
au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)
16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa
le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir
communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment
au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes
au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors
de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de
deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 3
L STOLTENBERG procureur principal Autoriteacute nationale
drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits eacuteconomiques
et eacutecologiques
DE EILERTSEN controcircleur fiscal principal services fiscaux
de lrsquoEst de la Norvegravege conseillers
ndash pour les requeacuterants
M R Kjeldahl avocat conseil
La Cour a entendu Me Kjeldahl et Me Sandvig en leurs deacuteclarations ainsi
qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par des juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
11 Le premier requeacuterant A est neacute en 1960 et habite en Norvegravege Le
second requeacuterant B est neacute en 1965 et habite en Floride (Eacutetats-Unis
drsquoAmeacuterique)
12 Les requeacuterants et M EK deacutetenaient la socieacuteteacute Estora Investment
Ltd (laquo Estora raquo) immatriculeacutee agrave Gibraltar MM TF et GA deacutetenaient la
socieacuteteacute Strategic Investment AS (laquo Strategic raquo) immatriculeacutee agrave Samoa et au
Luxembourg En juin 2001 Estora acquit 24 des actions de la socieacuteteacute
Wnet AS et Strategic 46 des actions de Wnet AS En aoucirct 2001 toutes
les actions de Wnet AS furent vendues agrave Software Innovation AS agrave un prix
nettement plus eacuteleveacute Le montant du produit de la vente qui revenait au
premier requeacuterant srsquoeacutelevait agrave 3 259 341 couronnes norveacutegiennes (NOK ndash
soit environ 360 000 euros (EUR)) Ce dernier le transfeacutera agrave la socieacuteteacute
Banista Holding Ltd immatriculeacutee agrave Gibraltar dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique Le montant du produit de la vente qui revenait au second requeacuterant
srsquoeacutelevait agrave 4 651 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) Ce dernier le
transfeacutera agrave la socieacuteteacute Fardan Investment Ltd dont il eacutetait lrsquoactionnaire
unique
MM EK GA et TF reacutealisegraverent des profits agrave lrsquooccasion de
transactions similaires tandis que MM BL KB et GN participegraverent par
le biais de Software Innovation AS agrave drsquoautres transactions imposables non
deacuteclareacutees
Les revenus tireacutes de ces transactions qui srsquoeacutelevaient agrave environ
114 500 000 NOK (soit environ 12 600 000 EUR) ne furent pas deacuteclareacutes
aux autoriteacutes fiscales norveacutegiennes (laquo le fisc raquo) ce qui repreacutesentait au total
environ 32 500 000 NOK (soit environ 3 600 000 EUR) drsquoimpocircts impayeacutes
4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS
et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa
une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute
nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits
eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement
conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres
personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale
aggraveacutee
Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite
poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison
pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci
ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut
confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme
instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct
de 30 lui fut infligeacutee
ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu
de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee
ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration
drsquoimpocirct
ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une
majoration drsquoimpocirct de 30
ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende
conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa
deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a
eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous
Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second
requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous
A Le premier requeacuterant
14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin
le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en
qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute
responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard
15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations
des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir
au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)
16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa
le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir
communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment
au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes
au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors
de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de
deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct
4 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
13 En 2005 le fisc entama le controcircle fiscal de Software Innovation AS
et srsquointeacuteressa aux actionnaires de Wnet AS Le 25 octobre 2007 il deacuteposa
une plainte peacutenale contre TF aupregraves drsquoOslashkokrim (acronyme de lrsquoAutoriteacute
nationale norveacutegienne drsquoenquecirctes et de poursuites pour les deacutelits
eacuteconomiques et eacutecologiques) au sujet drsquoeacuteleacutements qui ulteacuterieurement
conduisirent agrave lrsquoinculpation du premier requeacuterant ainsi que des autres
personnes susmentionneacutees et du second requeacuterant pour fraude fiscale
aggraveacutee
Les personnes citeacutees au paragraphe 12 ci-dessus furent par la suite
poursuivies reconnues coupables et condamneacutees agrave des peines de prison
pour fraude fiscale en matiegravere peacutenale Signalons aussi ceci
ndash la peine de prison infligeacutee agrave M EK en premiegravere instance fut
confirmeacutee en deuxiegraveme instance bien que la juridiction de deuxiegraveme
instance eucirct jugeacute cette peine leacutegegravere parallegravelement une majoration drsquoimpocirct
de 30 lui fut infligeacutee
ndash la dureacutee de la peine de prison infligeacutee agrave M BL fut fixeacutee compte tenu
de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 lui avait deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee
ndash M GA nrsquoa eacuteteacute condamneacute agrave aucune amende ni agrave aucune majoration
drsquoimpocirct
ndash M TF a eacuteteacute condamneacute en outre agrave une amende correspondant agrave une
majoration drsquoimpocirct de 30
ndash MM KB et GN furent chacun condamneacutes agrave une amende
conformeacutement au raisonnement exposeacute par la Cour suprecircme dans sa
deacutecision publieacutee au Rt 2011 p 1509 qui renvoyait au Rt 2005 p 129 et a
eacuteteacute reacutesumeacutee au paragraphe 50 ci-dessous
Les circonstances particuliegraveres relatives au premier et au second
requeacuterants sont exposeacutees ci-dessous
A Le premier requeacuterant
14 Le premier requeacuterant fut tout drsquoabord interrogeacute en qualiteacute de teacutemoin
le 6 deacutecembre 2007 puis le 14 deacutecembre 2007 il fut arrecircteacute et deacuteposa en
qualiteacute drsquoaccuseacute (laquo siktet raquo) Il reconnut les faits mais nia toute
responsabiliteacute peacutenale Il fut eacutelargi quatre jours plus tard
15 Le 14 octobre 2008 le premier requeacuterant fut inculpeacute de violations
des articles 12-1 1) a) cf 12-2 de la loi fiscale de 1980 (ligningsloven voir
au paragraphe 43 ci-dessous le texte de ces dispositions)
16 Le 24 novembre 2008 le bureau des impocircts (skattekontoret) redressa
le premier requeacuterant pour les anneacutees fiscales 2002 agrave 2007 apregraves lui avoir
communiqueacute agrave cette fin le 26 aoucirct 2008 un avis qui renvoyait notamment
au controcircle fiscal agrave lrsquoenquecircte peacutenale et agrave la deacuteposition faite par lui eacutevoqueacutes
au paragraphe 13 ci-dessus ainsi qursquoaux documents saisis par Oslashkokrim lors
de lrsquoenquecircte Pour lrsquoanneacutee 2002 le redressement eacutetait fondeacute sur le deacutefaut de
deacuteclaration par lrsquointeacuteresseacute de 3 259 341 NOK (soit environ 360 000 EUR)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 5
de revenus geacuteneacuteraux ce dernier ayant au lieu de cela deacuteclareacute 65 655 NOK
de pertes De plus sur la base des articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale
(voir au paragraphe 42 ci-dessous le texte de ces dispositions) le bureau des
impocircts lui appliqua une majoration drsquoimpocirct de 30 calculeacutee sur la base
des impocircts dont il eacutetait redevable au titre des montants non deacuteclareacutes Cette
deacutecision tenait compte notamment des deacutepositions faites par les premier et
second requeacuterants pendant leurs interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte
peacutenale Le premier requeacuterant ne la contesta pas et srsquoacquitta des sommes
dues ainsi que de la majoration drsquoimpocirct avant lrsquoexpiration du deacutelai de
recours drsquoune dureacutee de trois semaines
17 Le 2 mars 2009 le tribunal (tingrett) de Follo reconnut le premier
requeacuterant coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an
drsquoemprisonnement pour avoir omis de mentionner dans sa deacuteclaration
fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 341 NOK de revenus perccedilus agrave lrsquoeacutetranger Il
fixa la peine en tenant compte de ce que lrsquointeacuteresseacute avait deacutejagrave eacuteteacute
lourdement sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct
18 Le premier requeacuterant fit appel estimant avoir eacuteteacute jugeacute et puni deux
fois en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave la Convention Il
soutenait que pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 il avait
drsquoabord eacuteteacute accuseacute et inculpeacute par le parquet puis frappeacute par le fisc drsquoune
majoration drsquoimpocirct qursquoil aurait payeacutee apregraves quoi il avait eacuteteacute reconnu
coupable et sanctionneacute
19 Par un arrecirct rendu le 12 avril 2010 agrave lrsquounanimiteacute la cour drsquoappel
(lagmannsrett) Borgarting (laquo la cour drsquoappel raquo) le deacutebouta et par un arrecirct du
27 septembre 2010 la Cour suprecircme (Hoslashyesterett) fit de mecircme en se
fondant sur un raisonnement similaire reacutesumeacute ci-dessous
20 Dans son arrecirct du 27 septembre 2010 la Cour suprecircme rechercha
tout drsquoabord si les deux proceacutedures en question se rapportaient aux mecircmes
circonstances factuelles (samme forhold) Agrave cet eacutegard elle prit note des
deacuteveloppements de la jurisprudence relative agrave la Convention exposeacutes dans
lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine c Russie ([GC]
no 1493903 sectsect 52 53 80-82 et 84 CEDH 2009) et de la tentative
drsquoharmonisation y opeacutereacutee par le constat suivant
laquo () lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre compris comme interdisant de poursuivre
ou de juger une personne pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que celle-ci a
pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance les mecircmes () La
Cour doit donc faire porter son examen sur ces faits qui constituent un ensemble de
circonstances factuelles concregravetes impliquant le mecircme contrevenant et
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et lrsquoespace () raquo
21 En lrsquoespegravece la Cour suprecircme observa qursquoil ne faisait aucun doute
que les circonstances factuelles agrave lrsquoorigine de la deacutecision drsquoinfliger une
majoration drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient suffisamment de points
communs pour satisfaire agrave ces critegraveres Elle releva que dans le cadre des
deux proceacutedures la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans la
6 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
deacuteclaration fiscale du premier requeacuterant Selon elle les proceacutedures portaient
sur les mecircmes faits et satisfaisaient donc agrave la condition requise agrave cet eacutegard
22 La Cour suprecircme rechercha ensuite si les deux proceacutedures avaient
pour objet une laquo infraction raquo au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Agrave cet
eacutegard elle rappela son arrecirct publieacute au Norsk Retstidende (laquo le Rt raquo) 2002
p 509 (paragraphe 45 ci-dessous) qualifiant une majoration drsquoimpocirct au taux
ordinaire (30 ) de compatible avec la notion drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 sect 1 Cette conclusion anteacuterieure agrave lrsquoespegravece
srsquoappuyait sur ce qursquoil est convenu drsquoappeler les trois laquo critegraveres Engel raquo (la
qualification juridique de lrsquoinfraction en droit interne la nature de celle-ci et
le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction encourue) eacutenonceacutes dans lrsquoarrecirct rendu par
la Cour en lrsquoaffaire Engel et autres c Pays-Bas (8 juin 1976 sect 82 seacuterie A
no 22) La Cour suprecircme jugea importantes dans son analyse la finaliteacute
geacuteneacuterale de preacutevention poursuivie par la majoration drsquoimpocirct et la possibiliteacute
que 30 eacutetant un taux eacuteleveacute des sommes consideacuterables fussent en jeu
Elle rappela en outre son arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645 dans lequel elle
avait jugeacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour (selon laquelle la
notion de laquo peine raquo ne doit pas revecirctir des sens diffeacuterents selon la
disposition de la Convention en cause) qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait aussi un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ce qursquoelle confirma sans autre deacutebat dans une deacutecision
publieacutee au Rt 2006 p 1409
23 La Cour suprecircme constata par ailleurs que la Direction des impocircts
(Skattedirektoratet) comme le Procureur geacuteneacuteral (Riksadvokaten) estimaient
peu probable qursquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne fucirct pas
qualifieacutee de sanction peacutenale aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
24 La Cour suprecircme consideacutera eacutegalement la jurisprudence plus reacutecente
de la Cour (Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304 1er feacutevrier 2007
Storbraringten c Norvegravege (deacutec) no 1227704 1er feacutevrier 2007 Haarvig
c Norvegravege (deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 avec des reacutefeacuterences agrave
Malige c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions
1998-VII et Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII) dont il
ressortait selon elle qursquoun groupe plus large de critegraveres que ceux retenus
dans la jurisprudence Engel srsquoappliquaient pour effectuer une analyse sous
lrsquoangle de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle trouva dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute
Sergueiuml Zolotoukhine (sectsect 52-57) suivi par lrsquoarrecirct Ruotsalainen c Finlande
(no 1307903 sectsect 41-47 16 juin 2009) la confirmation que les trois critegraveres
Engel sur la base desquels devait ecirctre eacutetablie lrsquoexistence drsquoune laquo accusation
en matiegravere peacutenale raquo sur le terrain de lrsquoarticle 6 srsquoappliquaient tout autant agrave
la notion de sanction peacutenale figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
25 La Cour suprecircme en conclut qursquoil nrsquoy avait pas lieu pour elle de
srsquoeacutecarter de ses deacutecisions preacuteciteacutees rendues en 2004 et 2006 selon
lesquelles une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire srsquoanalysait en une
laquo sanction peacutenale raquo (straff) pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 7
26 Elle observa ensuite que lrsquoune des conditions pour beacuteneacuteficier de la
protection offerte par cette disposition eacutetait que la deacutecision faisant obstacle agrave
drsquoautres poursuites ndash en lrsquoespegravece la deacutecision du 24 novembre 2008 portant
application drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ndash fucirct deacutefinitive Elle
constata que nrsquoayant pas fait lrsquoobjet drsquoun recours aupregraves de la plus haute
juridiction administrative dans le deacutelai prescrit de trois semaines lequel
avait pris fin le 15 deacutecembre 2008 ladite deacutecision eacutetait agrave cet eacutegard devenue
deacutefinitive Elle estima que si en revanche il fallait prendre en compte le
deacutelai de recours en justice de six mois fixeacute par lrsquoarticle 11-1 4) de la loi
fiscale la deacutecision nrsquoeacutetait pas encore devenue deacutefinitive agrave la date du
prononceacute du jugement du tribunal de Follo agrave savoir le 2 mars 2009
27 La Cour suprecircme dit que lrsquoexpression laquo acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo employeacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 avait eacuteteacute
conccedilue pour viser les situations ougrave la deacutecision faisant obstacle agrave drsquoautres
poursuites eacutetait un jugement au peacutenal Elle constata que la Cour avait eacutetabli
qursquoune deacutecision eacutetait deacutefinitive une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
crsquoest-agrave-dire lorsqursquoaucun autre recours ordinaire nrsquoeacutetait ouvert et que en
cela la date agrave partir de laquelle en droit interne la deacutecision passait en force
de chose jugeacutee eacutetait deacuteterminante Elle consideacutera que ni le texte de la
disposition elle-mecircme ni les travaux preacuteparatoires de celle-ci ni la
jurisprudence ne donnaient la moindre indication pour le cas ougrave la deacutecision
faisant obstacle agrave drsquoautres poursuites eacutetait de nature administrative Elle
rappela que dans son arrecirct de principe publieacute au Rt 2002 p 557 elle avait
dit qursquoil fallait regarder comme deacutefinitive une deacutecision finale de
redressement fiscal y compris assortie drsquoune majoration drsquoimpocirct degraves lors
que le contribuable en question ne pouvait plus la contester (p 570) sans
toutefois preacuteciser si crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif ou le deacutelai de
recours judiciaire qui eacutetait deacuteterminant En lrsquoespegravece elle dit que la meilleure
solution eacutetait de consideacuterer que crsquoeacutetait le deacutelai de recours administratif
drsquoune dureacutee de trois semaines qui eacutetait deacuteterminant au regard de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 car sinon la situation ne serait eacuteclaircie qursquoau bout de six
mois dans lrsquohypothegravese ougrave le contribuable ne saisirait pas les tribunaux ou
qursquoune fois rendu un jugement leacutegalement exeacutecutoire dans lrsquohypothegravese
inverse au bout drsquoun laps de temps dont la dureacutee pouvait varier et ecirctre
longue Il fallait donc selon elle consideacuterer que la deacutecision du 24 novembre
2008 eacutetait deacutefinitive aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
28 La Cour suprecircme constata que le premier requeacuterant avait acquis la
qualiteacute drsquoaccuseacute le 14 deacutecembre 2007 et que lrsquoavis de redressement lui avait
eacuteteacute signifieacute le 26 aoucirct 2008 Elle releva que par la suite la proceacutedure fiscale
et la proceacutedure peacutenale srsquoeacutetaient deacuterouleacutees en parallegravele jusqursquoagrave ce qursquoune
deacutecision du 24 novembre 2008 et un jugement du 2 mars 2009
respectivement y mettent un terme Elle estima que lrsquoune des questions
essentielles dans cette affaire eacutetait de savoir si les poursuites avaient eacuteteacute
conseacutecutives ce qui aurait eacuteteacute contraire agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ou
8 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
parallegraveles ce qui aurait eacuteteacute permis dans une certaine mesure Agrave cet eacutegard
elle prit en consideacuteration deux deacutecisions drsquoirrecevabiliteacute RT c Suisse
((deacutec) no 3198296 30 mai 2000) et Nilsson c Suegravede (deacutecision preacuteciteacutee) et
en particulier le passage suivant de cette derniegravere deacutecision
laquo Toutefois la Cour ne saurait accueillir la thegravese du requeacuterant selon laquelle les
autoriteacutes ont deacuteclencheacute contre lui de nouvelles poursuites peacutenales en mettant en œuvre
la proceacutedure de retrait litigieuse Si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon puisse
consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par le droit sueacutedois
pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans
permis (voir RT c Suisse deacutecision preacuteciteacutee et mutatis mutandis Phillips
c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII) En drsquoautres termes on ne
saurait deacuteduire du retrait litigieux que lrsquointeacuteresseacute a eacuteteacute laquo poursuivi ou puni () en
raison drsquoune infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement
deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7 raquo
29 La Cour suprecircme jugea que en lrsquoespegravece lrsquoexistence drsquoun lien
mateacuteriel et temporel suffisant ne pouvait faire de doute Elle estima que les
deux affaires reposaient sur les mecircmes circonstances factuelles agrave savoir une
omission drsquoinformations dans la deacuteclaration fiscale qui avait causeacute une
erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Elle conclut que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure administrative avaient eacuteteacute conduites en parallegravele Elle releva que
apregraves que le premier requeacuterant eut deacuteposeacute en qualiteacute drsquoaccuseacute le
14 deacutecembre 2007 un avis de redressement avait suivi le 26 aoucirct 2008 puis
une inculpation le 14 octobre 2008 la deacutecision de redressement prise par le
fisc le 24 novembre 2008 et le jugement du tribunal de Follo le 2 mars
2009 Selon elle la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale eacutetaient
ainsi dans une large mesure imbriqueacutees
30 La Cour suprecircme estima que la finaliteacute de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 qui eacutetait drsquooffrir une protection contre le fardeau que
repreacutesente un nouveau procegraves eacutetait moins pertinente en lrsquoespegravece dans la
mesure ougrave le premier requeacuterant nrsquoavait aucune espeacuterance leacutegitime de nrsquoecirctre
lrsquoobjet que drsquoune seule proceacutedure Dans ces conditions selon elle
lrsquoeffectiviteacute de la reacutepression revecirctait un caractegravere preacutepondeacuterant
B Le second requeacuterant
31 Agrave lrsquoautomne 2007 agrave la suite du controcircle fiscal conduit en 2005
eacutevoqueacute au paragraphe 13 ci-dessus le fisc signala agrave Oslashkokrim que dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 le second requeacuterant avait omis
de mentionner 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR) de revenus tireacutes
de la vente par lui de certaines actions
32 Le 16 octobre 2008 le bureau des impocircts avisa le second requeacuterant
qursquoil envisageait de le redresser fiscalement et de lui appliquer une
majoration drsquoimpocirct Il srsquoappuyait notamment sur le controcircle fiscal sur
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 9
lrsquoenquecircte peacutenale et sur la deacuteposition faite par lrsquointeacuteresseacute eacutevoqueacutes au
paragraphe 13 ci-dessus ainsi que sur des documents saisis par Oslashkokrim
lors de lrsquoenquecircte Le 5 deacutecembre 2008 il effectua le redressement preacutecisant
que le second requeacuterant devait 1 302 526 NOK (soit environ 143 400 EUR)
drsquoimpocircts au titre des revenus non deacuteclareacutes De plus se fondant sur les
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale il deacutecida drsquoappliquer une
majoration drsquoimpocirct de 30 en tenant notamment compte des deacutepositions
faites par les premier et second requeacuterants agrave lrsquooccasion de leurs
interrogatoires conduits lors de lrsquoenquecircte peacutenale Le second requeacuterant
srsquoacquitta des impocircts dus et de la majoration drsquoimpocirct et ne contesta pas
ladite deacutecision qui devint deacutefinitive le 26 deacutecembre 2008
33 Parallegravelement le 11 novembre 2008 le parquet avait inculpeacute le
second requeacuterant drsquoune violation de lrsquoarticle 12-1 1) a) cf article 12-2 de la
loi fiscale au motif que pour les anneacutees fiscales 2001 etou 2002 celui-ci
avait omis dans sa deacuteclaration fiscale 4 651 881 NOK de revenus ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave verser Il pria le tribunal (tingrett)
drsquoOslo de rendre un jugement sommaire fondeacute sur les aveux
(tilstaringelsesdom) de lrsquointeacuteresseacute De plus MM EK BL et GA plaidegraverent
coupable et acceptegraverent de passer en jugement sommaire sur la base de la
reconnaissance par eux de leur culpabiliteacute
34 Le 10 feacutevrier 2009 le second requeacuterant (agrave lrsquoinverse de MM EK
BL et GA) revint sur ses aveux agrave la suite de quoi le procureur deacutelivra le
29 mai 2009 un acte drsquoinculpation reacuteviseacute qui reprenait les mecircmes chefs
35 Le 30 septembre 2009 agrave lrsquoissue drsquoun procegraves contradictoire le
tribunal drsquoOslo deacuteclara le second requeacuterant coupable des chefs de fraude
fiscale aggraveacutee et le condamna agrave un an drsquoemprisonnement peine qui tenait
compte de ce qursquoune majoration drsquoimpocirct lui avait deacutejagrave eacuteteacute appliqueacutee
36 Le second requeacuterant contesta devant la cour drsquoappel la proceacutedure
conduite devant le tribunal drsquoOslo soutenant en particulier que en vertu du
principe non bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
lrsquoapplication dans son cas drsquoune majoration drsquoimpocirct faisait obstacle agrave sa
condamnation peacutenale Il demanda donc agrave la cour drsquoappel lrsquoannulation
(opphevet) du jugement dudit tribunal et le rejet (avvist) de lrsquoaction dirigeacutee
contre lui
37 Par un arrecirct rendu le 8 juillet 2010 qui reprenait pour lrsquoessentiel le
raisonnement suivi par elle dans son arrecirct concernant le premier requeacuterant
lequel raisonnement eacutetait similaire agrave celui de la Cour suprecircme reacutesumeacute plus
haut (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus) la cour drsquoappel deacutebouta le second
requeacuterant Elle jugea ainsi que la deacutecision du 5 deacutecembre 2008 par laquelle
le fisc avait ordonneacute au second requeacuterant de payer une majoration drsquoimpocirct
de 30 srsquoanalysait bien en une sanction peacutenale (straff) que cette deacutecision
eacutetait devenue laquo deacutefinitive raquo agrave la date drsquoexpiration du deacutelai de recours soit le
26 deacutecembre 2008 et que ladite deacutecision et la condamnation peacutenale
posteacuterieure portaient sur les mecircmes faits
10 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
38 Par ailleurs comme dans le cas du premier requeacuterant la cour drsquoappel
jugea que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permettait dans une certaine mesure
la conduite de proceacutedures parallegraveles ndash lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale ndash pourvu que la seconde commence avant que la premiegravere ne se
conclue par une deacutecision deacutefinitive Elle estima que une fois satisfaite cette
exigence minimale il fallait appreacutecier lrsquoeacutetat drsquoavancement de la seconde
proceacutedure et surtout rechercher srsquoil existait ou non un lien mateacuteriel et
temporel suffisant entre la premiegravere deacutecision et la seconde
39 Quant agrave lrsquoexamen concret des circonstances propres agrave lrsquoaffaire du
second requeacuterant la cour drsquoappel constata que la proceacutedure peacutenale et la
proceacutedure fiscale avaient en reacutealiteacute eacuteteacute conduites en parallegravele et ce depuis la
plainte dont le fisc avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 jusqursquoagrave la deacutecision
de majoration drsquoimpocirct prise en deacutecembre 2008 Elle jugea la situation
similaire agrave celle du premier requeacuterant Elle releva que le second requeacuterant
avait eacuteteacute inculpeacute et que le dossier avait eacuteteacute transmis au tribunal drsquoOslo
assorti drsquoune demande de jugement sommaire sur la base des aveux
auxquels lrsquointeacuteresseacute srsquoeacutetait livreacute le 11 novembre 2008 anteacuterieurement agrave la
deacutecision de majoration drsquoimpocirct Elle estima donc que agrave la date de cette
deacutecision la proceacutedure peacutenale avait deacutejagrave atteint un stade relativement avanceacute
Elle admit que la peacuteriode de neuf mois ndash courant de la date agrave laquelle la
deacutecision du fisc du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive au
30 septembre 2009 date de la condamnation du second requeacuterant par le
tribunal drsquoOslo ndash eacutetait un peu plus longue que la peacuteriode de deux mois et
demi eacutecouleacutee dans le cas du premier requeacuterant Elle consideacutera neacuteanmoins
que cet eacutecart pouvait srsquoexpliquer par la reacutetractation du second requeacuterant en
feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu lrsquoinculper de nouveau
le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves ordinaire Elle en
conclut agrave lrsquoinstar du tribunal drsquoOslo qursquoil existait manifestement un lien
mateacuteriel et temporel suffisant entre la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure
40 Le 29 octobre 2010 le Comiteacute de seacutelection des recours de la Cour
suprecircme refusa au second requeacuterant lrsquoautorisation de former un pourvoi
aupregraves de celle-ci au motif que cela ne se justifiait ni par lrsquoimportance
geacuteneacuterale de lrsquoaffaire ni par aucune autre raison
II LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
41 Aux termes de lrsquoarticle 10-2 1) de la loi fiscale de 1980 qui figure
dans le chapitre 10 consacreacute aux majorations drsquoimpocirct (Tilleggsskatt) est
passible drsquoune majoration drsquoimpocirct tout contribuable qui aura fourni au fisc
des informations inexactes ou incomplegravetes ayant ou risquant drsquoavoir pour
conseacutequence une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct Conformeacutement agrave
lrsquoarticle 10-4 1) les majorations drsquoimpocirct srsquoeacutelegravevent en principe agrave 30 des
impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre soustraits
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 11
42 Agrave lrsquoeacutepoque ougrave les requeacuterants ont commis leurs infractions les
articles 10-2 10-3 et 10-4 de cette loi disposaient
Article 10-2 (majorations drsquoimpocirct)
laquo 1 Si le fisc srsquoaperccediloit qursquoun contribuable lui a communiqueacute dans une deacuteclaration
de revenus une deacuteclaration drsquoactifs une eacutecriture ou toute autre deacuteclaration verbale ou
eacutecrite des informations inexactes ou incomplegravetes qui conduisent ou risquent de
conduire agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct il lui est infligeacute une majoration
drsquoimpocirct correspondant agrave un pourcentage des impocircts qui ont eacuteteacute ou risquaient drsquoecirctre
soustraits
Les cotisations agrave la seacutecuriteacute sociale sont assimilables agrave des impocircts agrave cet eacutegard
2 Si le contribuable nrsquoa pas produit la deacuteclaration de revenus ou la deacuteclaration
drsquoactifs requise la majoration drsquoimpocirct est calculeacutee agrave partir de lrsquoimpocirct fixeacute dans le
redressement
3 Un suppleacutement drsquoactifs ou de revenus justifiant lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct est reacuteputeacute repreacutesenter la partie supeacuterieure des actifs ou revenus du
contribuable Si le contribuable doit srsquoacquitter drsquoune majoration drsquoimpocirct fixeacutee sur la
base de taux diffeacuterents pour la mecircme anneacutee les impocircts sur la base desquels cette
majoration est calculeacutee seront reacutepartis proportionnellement en fonction des actifs ou
des revenus auxquels les divers taux srsquoappliquent
4 Les obligations que le preacutesent article fait peser sur le contribuable srsquoappliquent
eacutegalement agrave sa succession et agrave ses ayants droit
5 Le contribuable pour lequel une majoration drsquoimpocirct est envisageacutee en est aviseacute au
preacutealable et un deacutelai lui est fixeacute de maniegravere agrave lui permettre de srsquoexprimer agrave ce sujet
6 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre fixeacutees dans les deacutelais preacutevus agrave lrsquoarticle 9-6
de la preacutesente loi en mecircme temps que lrsquoeacutetablissement des impocircts sur la base desquels
elles doivent ecirctre calculeacutees ou ulteacuterieurement dans le cadre drsquoune deacutemarche
speacuteciale raquo
Article 10-3 (exemption de majoration drsquoimpocirct)
laquo Nulle majoration drsquoimpocirct ne peut ecirctre imposeacutee
a) lorsque les deacuteclarations fiscales du contribuable contiennent une erreur manifeste
de calcul ou de typographie
b) lorsque lrsquoinfraction commise par le contribuable peut ecirctre regardeacutee comme
excusable pour des raisons tenant agrave sa santeacute agrave son acircge agrave son inexpeacuterience ou pour
toute autre raison qui ne peut lui ecirctre reprocheacutee ou
c) lorsque son montant est infeacuterieur agrave 400 NOK au total raquo
Article 10-4 (taux de la majoration drsquoimpocirct)
laquo 1 Le taux de la majoration drsquoimpocirct est en principe de 30 Si les actes viseacutes agrave
lrsquoarticle 10-2 1) sont commis intentionnellement ou par neacutegligence grave le taux peut
aller jusqursquoagrave 60 Le taux est fixeacute agrave 15 si les informations inexactes ou
incomplegravetes concernent des eacuteleacutements deacuteclareacutes de leur cocircteacute par un employeur ou un
tiers conformeacutement au chapitre 6 ou si les circonstances peuvent ecirctre aiseacutement
veacuterifieacutees au moyen des informations dont le fisc dispose par ailleurs
12 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les majorations drsquoimpocirct sont fixeacutees agrave des taux eacutequivalant agrave la moitieacute de ceux
indiqueacutes dans les premiegravere et troisiegraveme phrases du paragraphe 1 du preacutesent article si
sont preacutesentes les circonstances preacutevues agrave lrsquoarticle 10-3 b) eacutetant entendu que cela ne
justifie pas drsquoeacuteliminer toute majoration
3 Les majorations drsquoimpocirct peuvent ecirctre calculeacutees avec un taux infeacuterieur agrave celui
indiqueacute au paragraphe 2 du preacutesent article voire eacutecarteacutees si le contribuable sa
succession ou ses ayants droit rectifient ou complegravetent volontairement les
informations preacuteceacutedemment communiqueacutees de sorte que le montant exact des impocircts
puisse ecirctre fixeacute Cette disposition ne srsquoapplique pas si le rectificatif peut passer pour la
conseacutequence de mesures de controcircle qui ont eacuteteacute ou seront adopteacutees ou drsquoinformations
que les autoriteacutes fiscales ont obtenues ou pouvaient obtenir de tiers raquo
43 Le chapitre 12 consacreacute aux sanctions peacutenales (straff) comporte les
dispositions suivantes pertinentes en lrsquoespegravece
Article 12-1 (fraude fiscale)
laquo 1 Doit ecirctre sanctionneacutee pour fraude fiscale toute personne qui intentionnellement
ou par neacutegligence grave
a) communique aux autoriteacutes fiscales des informations inexactes ou incomplegravetes
tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des avantages
fiscaux () raquo
Article 12-2 (fraude fiscale aggraveacutee)
laquo 1 La fraude fiscale aggraveacutee est punie drsquoune amende ou drsquoune peine
drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave six ans La compliciteacute est punissable des
mecircmes peines
2 Pour deacuteterminer si la fraude fiscale est aggraveacutee on accordera un poids
particulier au point de savoir si elle risque drsquoentraicircner la soustraction de montants tregraves
importants en impocircts si elle est exeacutecuteacutee drsquoune maniegravere qui en rend la deacutecouverte
particuliegraverement difficile si elle est le fruit drsquoun abus drsquoautoriteacute ou de confiance ou si
elle reacutesulte drsquoune compliciteacute dans lrsquoexercice de fonctions professionnelles
3 En application des critegraveres eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 ci-dessus plusieurs
infractions peuvent ecirctre prises en compte conjointement
4 Le preacutesent article est applicable mecircme en cas drsquoignorance des circonstances
aggravantes si celle-ci est le fruit drsquoune neacutegligence grave raquo
44 Selon la jurisprudence de la Cour suprecircme lrsquoimposition drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 60 doit ecirctre qualifieacutee drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Rt 2000 p 996) Degraves lors
que des poursuites peacutenales ont eacuteteacute ensuite engageacutees pour le mecircme
comportement la juridiction de jugement doit prononcer leur abandon faute
de quoi il y aurait violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (deux arrecircts en
formation pleacuteniegravere rendus le 3 mai 2002 et publieacutes au Rt 2002 p 557 et au
Rt 2002 p 497)
45 La Cour suprecircme a eacutegalement conclu que lrsquoapplication drsquoune
majoration drsquoimpocirct de 30 eacutetait constitutive drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 de la Convention (troisiegraveme arrecirct rendu le
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 13
3 mai 2002 Rt 2002 p 509) Dans des arrecircts ulteacuterieurs publieacutes au Rt 2004
p 645 et au Rt 2006 p 1409 elle a dit qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30
revecirctait eacutegalement un caractegravere peacutenal sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
46 Il faut encore signaler que pour ce qui est de la nature des
majorations drsquoimpocirct ordinaires de 30 la Cour suprecircme srsquoest appuyeacutee sur
des travaux preacuteparatoires de la loi (Otprpnr 29 (1978-1979) pp 44-45)
Elle a jugeacute que le ministegravere attachait beaucoup drsquoimportance agrave des
consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale Un risque eacuteleveacute de sanction sous
forme de majoration drsquoimpocirct aurait eacuteteacute jugeacute plus dissuasif que des sanctions
(peacutenales) moins nombreuses et plus lourdes La majoration drsquoimpocirct serait
censeacutee ecirctre avant tout une reacuteaction agrave la communication au fisc par le
contribuable de deacuteclarations ou drsquoinformations inexactes ou incomplegravetes et
une compensation des ressources humaines et financiegraveres consideacuterables
consacreacutees par la collectiviteacute aux controcircles et enquecirctes Il aurait eacuteteacute estimeacute
que les coucircts ainsi entraicircneacutes devaient dans une certaine mesure ecirctre
supporteacutes par ceux qui fournissaient les informations inexactes ou
incomplegravetes (Rt 2002 p 520) Les buts poursuivis par le reacutegime des
majorations drsquoimpocirct ordinaires se caracteacuteriseraient avant tout par la
neacutecessiteacute de garantir le respect effectif par le contribuable de son devoir de
fournir des informations et par des consideacuterations de preacutevention geacuteneacuterale
(Rt 2006 p 1409) Le contribuable aurait le devoir de communiquer les
informations et eacuteleacutements neacutecessaires agrave lrsquoeacutetablissement de son assiette
fiscale Essentiel agrave lrsquoensemble du systegraveme fiscal national ce devoir serait
eacutetayeacute par un meacutecanisme de controcircles et de sanctions efficaces en cas de
manquement Le calcul de lrsquoimpocirct serait une opeacuteration massive faisant
intervenir des millions de citoyens La majoration drsquoimpocirct aurait pour
finaliteacute de renforcer les fondations du systegraveme fiscal national Il serait admis
qursquoun systegraveme fiscal en bon eacutetat de marche est indispensable au
fonctionnement de lrsquoEacutetat et donc de la socieacuteteacute (Rt 2002 p 525)
47 Par un arrecirct adopteacute par la formation pleacuteniegravere de la Cour suprecircme le
14 septembre 2006 agrave la suite de la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue le
14 septembre 2004 par la Cour en lrsquoaffaire Rosenquist c Suegravede
(no 6061900) la haute juridiction a dit que lrsquoimposition drsquoune majoration
drsquoimpocirct de 30 et une proceacutedure peacutenale pour fraude fiscale ne
correspondaient pas agrave la mecircme infraction au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole
no 7 (Rt 2006 p1409) Dans son arrecirct rendu en septembre 2010 concernant
le premier requeacuterant elle a opeacutereacute un revirement de cette jurisprudence
jugeant que la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale concernaient
la mecircme infraction pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
(paragraphe 20 ci-dessus)
48 Parallegravelement agrave la suite de lrsquoarrecirct rendu par la Cour le 10 feacutevrier
2009 dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Sergueiuml Zolotoukhine le procureur geacuteneacuteral
(Riksadvokaten) publia le 3 avril 2009 des instructions (RA-2009-187) avec
14 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
prise drsquoeffet immeacutediate Drsquoapregraves celles-ci lrsquoarrecirct de la Cour suprecircme de
2006 ne pouvait plus ecirctre suivi Le texte se lisait notamment comme suit
laquo 4 La mecircme infraction ndash la notion drsquoidentiteacute
Il est communeacutement admis que la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) contenue agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 comporte deux aspects lrsquoun relatif aux circonstances
factuelles et lrsquoautre relatif au droit Selon cette interpreacutetation la seconde proceacutedure (en
pratique le procegraves peacutenal) ne porte sur la mecircme infraction que la proceacutedure anteacuterieure
(en pratique la majoration drsquoimpocirct) que si elles concernent toutes deux les mecircmes
faits ndash le laquo mecircme comportement raquo ndash et si la teneur des dispositions pertinentes est
dans une large mesure identique (crsquoest-agrave-dire si elles renferment les laquo mecircmes eacuteleacutements
essentiels raquo)
Dans son arrecirct rendu en formation pleacuteniegravere (Rt 2006 p 1409) la Cour suprecircme ndash se
reacutefeacuterant en particulier agrave la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute rendue par la Cour le 14 septembre
2004 en lrsquoaffaire Rosenquist (deacutec) no 6061900 ndash a jugeacute qursquoune deacutecision infligeant
une majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire ne faisait pas obstacle agrave lrsquoouverture
ulteacuterieure drsquoun procegraves peacutenal lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures ayant pour objet des
infractions diffeacuterentes au sens de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La majoriteacute (14 voix) a
estimeacute que les dispositions reacutegissant la majoration drsquoimpocirct ordinaire eacutenonceacutees agrave
lrsquoarticle 10-2 cf article 10-4 1) premiegravere phrase de la loi fiscale ne renfermaient pas
les mecircmes eacuteleacutements essentiels que la disposition peacutenale eacutenonceacutee agrave lrsquoarticle 12-1 de
cette mecircme loi Pour la Cour suprecircme la diffeacuterence deacutecisive tenait agrave ce que si la
disposition peacutenale nrsquoeacutetait applicable que lorsqursquoil y a intention ou neacutegligence grave
les majorations drsquoimpocirct ordinaires lrsquoeacutetaient sur la base de critegraveres plus ou moins
objectifs La haute juridiction a eacutegalement eacutevoqueacute la diffeacuterence de finaliteacute de ces
sanctions
Dans son arrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine la Cour srsquoest livreacutee agrave une
analyse minutieuse de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions (idem) tireacutee de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 agrave lrsquoissue de laquelle elle srsquoest eacutecarteacutee de lrsquointerpreacutetation qui avait cours
auparavant Depuis cet arrecirct il est clair que la question de savoir si lrsquoune et lrsquoautre des
proceacutedures concernaient la mecircme infraction doit ecirctre analyseacutee sur la base des seuls
faits (voir en particulier les paragraphes 82 et 84 de lrsquoarrecirct) Les deux proceacutedures
auront pour objet la mecircme infraction si elles ont pour origine laquo des faits identiques ou
des faits qui sont en substance les mecircmes raquo (sect 82) Il faut donc faire porter lrsquolaquo examen
sur ces faits qui constituent un ensemble de circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme contrevenant et indissociablement lieacutees entre elles dans le temps
et lrsquoespace raquo (sect 84)
De lrsquoavis du procureur geacuteneacuteral le jugement porteacute par la Cour suprecircme dans son arrecirct
publieacute au Rt 2006 p 1409 qui se fondait principalement sur des diffeacuterences dans les
critegraveres de culpabiliteacute ne tient plus depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine Degraves lors que
lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct et le procegraves peacutenal ulteacuterieur reposent sur la
mecircme action ou omission comme crsquoest normalement le cas il faut supposer que en
application de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la majoration drsquoimpocirct ordinaire fait
eacutegalement obstacle agrave des poursuites peacutenales ulteacuterieures Le procureur geacuteneacuteral a deacuteduit
de ses entretiens avec la direction des impocircts que telle est la position de celle-ci
La nouvelle conception de la notion drsquoidentiteacute drsquoinfractions sur le terrain de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 soulegravevera incontestablement de nouvelles questions sur
lrsquoampleur des diffeacuterences que devront avoir les circonstances factuelles pour qursquoil
puisse ecirctre conclu agrave lrsquoabsence drsquoidentiteacute Cependant il srsquoagit de questions qui devront
ecirctre trancheacutees en pratique au cas par cas Il faut noter que le raisonnement de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 15
Sergueiuml Zolotoukhine montre que la Cour est moins disposeacutee que le droit interne
norveacutegien agrave consideacuterer une seacutequence drsquoeacuteveacutenements comme un tout pour ce qui est de
rechercher srsquoil y a infraction continueacutee ou non
5 Nouvelle proceacutedure
Comme on le sait les instructions anteacuterieures (voir en particulier la section 3 de la
lettre du 26 mars 2007 (RA-2007-120) adresseacutee par le procureur geacuteneacuteral aux bureaux
reacutegionaux des procureurs et aux directeurs de la police) reposaient sur la possibiliteacute
drsquoappliquer aux majorations drsquoimpocirct ordinaires le systegraveme agrave deux niveaux instaureacute par
la loi fiscale Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il faut
appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires
Ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts nrsquoestiment
pas justifiable drsquoouvrir un nouveau procegraves en supposant que les tribunaux ne
concluront plus que lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct ordinaire constitue une
sanction peacutenale au sens de la Convention On pourrait peut-ecirctre deacutefendre cette thegravese
mais elle comporte trop drsquoincertitudes Il faut aussi tenir compte du nombre
relativement important drsquoaffaires en jeu
Quand bien mecircme la jurisprudence de la Cour en matiegravere de proceacutedures parallegraveles
nrsquoaurait pas changeacute nous estimons ndash comme auparavant ndash que si un grand nombre
drsquoactions en justice sont formeacutees ndash ce qui risque drsquoecirctre le cas ndash il sera trop compliqueacute
drsquointenter un procegraves sur la base de proceacutedures parallegraveles crsquoest-agrave-dire devant
lrsquoadministration et devant le juge Il faut signaler aussi que dans tel ou tel cas si les
circonstances le permettent des transactions peuvent ecirctre conclues en tenant compte
de lrsquoeacuteventualiteacute de proceacutedures parallegraveles
Agrave lrsquoissue des discussions le procureur geacuteneacuteral et la direction des impocircts
conviennent de la proceacutedure suivante () raquo
49 Les instructions fixent ensuite les modaliteacutes de la laquo nouvelle
proceacutedure raquo
a) Srsquoagissant des affaires nouvelles crsquoest-agrave-dire celles sur lesquelles le
fisc nrsquoa pas encore statueacute celui-ci doit examiner de maniegravere indeacutependante si
le fait punissable est drsquoune graviteacute telle qursquoil meacuterite drsquoecirctre signaleacute agrave la
police Si le fisc deacutecide drsquoen saisir la police aucune majoration drsquoimpocirct ne
peut ecirctre appliqueacutee Srsquoil faut appliquer une majoration drsquoimpocirct la police ne
peut ecirctre saisie
Srsquoagissant des affaires dont la police a eacuteteacute saisie il est souligneacute que
lrsquoimposition drsquoune amende (par le biais drsquoune notification de peine ou drsquoun
jugement au peacutenal) fait obstacle agrave lrsquoapplication ulteacuterieure drsquoune majoration
drsquoimpocirct Si le parquet estime qursquoil nrsquoy a pas lieu drsquoouvrir des poursuites
peacutenales lrsquoaffaire doit ecirctre renvoyeacutee au fisc pour que celui-ci en reprenne
lrsquoexamen et lrsquointeacuteresseacute doit en ecirctre aviseacute
Dans les affaires ougrave le fisc applique une majoration drsquoimpocirct ordinaire
tout en signalant lrsquoaffaire agrave la police mais ougrave lrsquoouverture de poursuites nrsquoest
pas encore deacutecideacutee (laquo en instance de deacutecision raquo) il faut renoncer agrave celles-ci
b) Dans les affaires ougrave une notification de peine a eacuteteacute deacutelivreacutee mais nrsquoa
pas eacuteteacute accepteacutee et ougrave le fisc a appliqueacute une majoration drsquoimpocirct avant de
signaler lrsquoaffaire agrave la police il faut clore la proceacutedure Les notifications de
16 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
peine qui ont eacuteteacute accepteacutees doivent ecirctre annuleacutees par les hautes instances du
parquet En revanche en vertu du pouvoir discreacutetionnaire confeacutereacute par
lrsquoarticle 392 1) du code de proceacutedure peacutenale reconnu par la Cour suprecircme
en formation pleacuteniegravere dans son arrecirct publieacute au Rt 2003 p 359 il nrsquoest pas
neacutecessaire drsquoannuler les notifications de peine accepteacutees avant le 10 feacutevrier
2009 date du prononceacute de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
c) Srsquoagissant des affaires passant en jugement devant les tribunaux de
premiegravere instance ndash sur la base drsquoun acte drsquoinculpation drsquoune notification de
peine non accepteacutee ou drsquoune demande de jugement sur la base drsquoune
reconnaissance de culpabiliteacute dans le cadre drsquoune proceacutedure sommaire ndash le
parquet doit clore la proceacutedure et abandonner les poursuites si lrsquoaudience
nrsquoa pas encore eu lieu ou si celle-ci a eu lieu demander le rejet de lrsquoaffaire
Le parquet doit faire appel de toute condamnation non encore deacutefinitive et
exeacutecutoire en faveur de la personne viseacutee et quelle que soit lrsquoissue en
premiegravere instance demander lrsquoannulation du jugement de premiegravere instance
et le rejet de lrsquoaffaire par les tribunaux
d) Il nrsquoest pas question de rouvrir le procegraves lorsque le jugement est
devenu deacutefinitif et exeacutecutoire anteacuterieurement agrave la date du prononceacute de
lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine crsquoest-agrave-dire avant le 10 feacutevrier 2009 Pour ce
qui est des jugements posteacuterieurs agrave cette date la reacuteouverture pourrait ecirctre
envisageacutee dans des cas exceptionnels mais lrsquointeacuteresseacute doit ecirctre informeacute que
le parquet ne demandera pas drsquooffice la reacuteouverture
50 Pour ce qui est de lrsquoimposition de plusieurs sanctions peacutenales pour le
mecircme comportement lrsquoarticle 29 du code peacutenal (Straffeloven) de 2005
dispose que la peine globale en reacutesultant doit raisonnablement correspondre
agrave lrsquoinfraction commise Cette disposition reflegravete agrave lrsquoeacutevidence le principe
geacuteneacuteral de proportionnaliteacute applicable aussi agrave la fixation des sanctions
peacutenales en droit norveacutegien sous lrsquoempire de lrsquoancien code peacutenal de 1902
Dans un arrecirct publieacute au Rt 2009 p 14 qui concernait une proceacutedure peacutenale
pour fraude fiscale la Cour suprecircme a deacuteduit des principes eacutenonceacutes dans le
code peacutenal de 1902 qursquoil fallait tenir compte de toute sanction deacutejagrave infligeacutee
agrave lrsquoaccuseacute ndash en lrsquooccurrence une majoration drsquoimpocirct de nature
administrative ndash pour la fraude fiscale dont il eacutetait lrsquoauteur et en a conclu
qursquoil ne devait pas ecirctre traiteacute plus seacutevegraverement que si lrsquoinfraction peacutenale de
fraude fiscale avait eacuteteacute jugeacutee en mecircme temps que le comportement
sanctionneacute dans le cadre de la proceacutedure administrative Dans un arrecirct
publieacute au Rt 2011 p 1509 elle a confirmeacute ce qursquoelle avait dit dans une
deacutecision anteacuterieure publieacutee au Rt 2005 p 129 agrave savoir que le principe
(eacutenonceacute dans un arrecirct publieacute au Rt 2004 p 645) selon lequel un montant
correspondant agrave la majoration drsquoimpocirct administrative ordinaire de 30
pouvait ecirctre englobeacute dans lrsquoamende nrsquoeacutetait pas applicable aux affaires de
fraude fiscale agrave caractegravere peacutenal ougrave il y avait lieu de prononcer des peines
drsquoemprisonnement en plus des amendes Elle a eacutegalement confirmeacute que
comme elle lrsquoavait dit dans sa deacutecision de 2005 si une majoration drsquoimpocirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 17
administrative ne pouvait plus ecirctre imposeacutee lrsquoamende de nature peacutenale
devait ecirctre plus lourde
III LrsquoAFFAIRE HANS AringKEBERG FRANSSON (C-61710) DEVANT LA
COUR DE JUSTICE DE LrsquoUNION EUROPEacuteENNE
51 Dans ses conclusions preacutesenteacutees le 12 juin 2012 en lrsquoaffaire
susmentionneacutee porteacutee devant la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne (laquo la
CJUE raquo) lrsquoavocat geacuteneacuteral Cruz Villaloacuten a dit ceci
laquo 2 Analyse des deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions preacutejudicielles
70 La question poseacutee par le [tribunal de] Haparanda () est particuliegraverement
complexe et srsquoavegravere tout aussi deacutelicate que la question qui vient drsquoecirctre traiteacutee Drsquoun
cocircteacute la double sanction administrative et peacutenale est une pratique tregraves reacutepandue dans
les Eacutetats membres surtout dans des domaines tels que ceux de la fiscaliteacute des
politiques environnementales ou de la seacutecuriteacute publique Toutefois les modaliteacutes
relatives au cumul des sanctions varient eacutenormeacutement entre les ordres juridiques et
revecirctent des caracteacuteristiques speacutecifiques et propres agrave chaque Eacutetat membre Dans la
plupart des cas ces speacutecificiteacutes visent agrave atteacutenuer les effets drsquoune double reacuteaction
punitive de la part des pouvoirs publics Drsquoun autre cocircteacute comme nous le verrons par
la suite la Cour de Strasbourg srsquoest prononceacutee reacutecemment agrave ce sujet et a confirmeacute
que contrairement agrave ce qursquoil semblait au deacutebut ces pratiques eacutetaient contraires au
droit fondamental ne bis in idem figurant agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
Cependant il srsquoavegravere que tous les Eacutetats membres nrsquoont pas ratifieacute cette disposition
puisqursquoils ont introduit dans certains cas des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives agrave ce sujet Il srsquoensuit que lrsquoobligation drsquointerpreacuteter la charte agrave la lumiegravere
de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg (article 52 paragraphe 3
de la charte) devient en quelque sorte asymeacutetrique en ce qursquoelle pose de gros
problegravemes dans son application au cas particulier
a) Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH et la jurisprudence de la Cour de
Strasbourg y affeacuterente
i) Signature et ratification de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH
71 Le principe ne bis in idem ne fait pas expresseacutement partie de la CEDH depuis le
deacutebut Son incorporation agrave la convention a eu lieu comme on le sait par le biais de
son Protocole no 7 ouvert agrave la signature le 22 novembre 1984 et entreacute en vigueur le
1er novembre 1988 Entre autres droits lrsquoarticle 4 eacutenonce la garantie du ne bis in idem
dans le but selon les explications sur le protocole fournies par le Conseil de lrsquoEurope
de concreacutetiser le principe en vertu duquel nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni
peacutenalement en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute
par un jugement deacutefinitif
72 Agrave la diffeacuterence drsquoautres droits contenus dans la CEDH le droit preacutevu agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 de la CEDH nrsquoa pas eacuteteacute unanimement accepteacute par les
Eacutetats signataires de la convention dont diffeacuterents Eacutetats membres de lrsquoUnion Au jour
de la lecture des preacutesentes conclusions le Protocole no 7 nrsquoest pas encore ratifieacute par la
Reacutepublique feacutedeacuterale drsquoAllemagne le Royaume de Belgique le Royaume des
Pays-Bas et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et drsquoIrlande du Nord Parmi les
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacutee la Reacutepublique franccedilaise a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 4
dudit protocole en limitant son application aux seules infractions de nature
peacutenale () De mecircme agrave lrsquooccasion de la signature la Reacutepublique feacutedeacuterale
18 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
drsquoAllemagne la Reacutepublique drsquoAutriche la Reacutepublique italienne et la Reacutepublique
portugaise ont formuleacute diffeacuterentes deacuteclarations contenant la mecircme indication la
porteacutee limiteacutee de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 dont la protection ne concerne que la
double sanction laquo peacutenale raquo au sens ougrave lrsquoentend lrsquoordre juridique interne ()
73 Les eacuteleacutements qui preacutecegravedent montrent clairement et sans eacutequivoque que les
problegravemes que pose la double sanction administrative et peacutenale sont marqueacutes par un
grave deacutefaut de consensus entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion Le caractegravere
probleacutematique du contexte est patent agrave en juger par les neacutegociations sur la future
adheacutesion de lrsquoUnion agrave la CEDH au cours desquelles les Eacutetats et lrsquoUnion ont deacutecideacute
drsquoexclure pour le moment les protocoles de la CEDH y compris celui en cause dans
cette affaire ()
74 Ce deacutefaut de consensus peut srsquoexpliquer par lrsquoimportance que revecirctent les
instruments de reacutepression administrative dans bon nombre drsquoEacutetats membres ainsi que
par lrsquoaccent particulier qui est mis dans ces Eacutetats membres agrave la fois sur la proceacutedure
et sur la sanction peacutenales Drsquoun cocircteacute les Eacutetats ne veulent pas renoncer agrave lrsquoefficaciteacute
qui caracteacuterise la sanction administrative en particulier dans des domaines ougrave les
pouvoirs publics tiennent agrave srsquoassurer du strict respect de la leacutegaliteacute tels que le droit
fiscal ou le droit de la seacutecuriteacute publique Drsquoun autre cocircteacute le caractegravere exceptionnel de
lrsquointervention peacutenale ainsi que les garanties dont lrsquoaccuseacute beacuteneacuteficie pendant le procegraves
incitent les Eacutetats agrave se reacuteserver une marge drsquoappreacuteciation pour deacuteterminer les
comportements qui doivent faire lrsquoobjet de poursuites peacutenales Ce double inteacuterecirct agrave
conserver un pouvoir de sanction agrave la fois administrative et peacutenale explique pourquoi
un grand nombre drsquoEacutetats membres refusent actuellement drsquoune maniegravere ou drsquoune
autre de se soumettre agrave la jurisprudence de la Cour de Strasbourg laquelle comme
nous allons le voir maintenant a eacutevolueacute dans un sens qui exclut pratiquement cette
dualiteacute raquo
52 Dans son arrecirct du 26 feacutevrier 2013 la CJUE (grande chambre) a
notamment dit ceci
laquo Sur les questions preacutejudicielles
Sur les deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions
32 Par ces questions auxquelles il convient de reacutepondre de maniegravere conjointe le
[tribunal de] Haparanda () demande en substance agrave la Cour srsquoil convient
drsquointerpreacuteter le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la Charte en ce sens
qursquoil srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour fraude fiscale soient diligenteacutees
contre un preacutevenu degraves lors que ce dernier a deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune sanction fiscale
pour les mecircmes faits de fausse deacuteclaration
33 Srsquoagissant de lrsquoapplication du principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 50 de la
Charte agrave des poursuites peacutenales pour fraude fiscale telles que celles qui sont lrsquoobjet du
litige au principal elle suppose que les mesures qui ont deacutejagrave eacuteteacute adopteacutees agrave lrsquoencontre
du preacutevenu au moyen drsquoune deacutecision devenue deacutefinitive revecirctent un caractegravere peacutenal
34 Agrave cet eacutegard il convient de relever tout drsquoabord que lrsquoarticle 50 de la Charte ne
srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les mecircmes faits de non-respect
drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA une combinaison de sanctions
fiscales et peacutenales En effet afin de garantir la perception de lrsquointeacutegraliteacute des recettes
provenant de la TVA et ce faisant la protection des inteacuterecircts financiers de lrsquoUnion les
Eacutetats membres disposent drsquoune liberteacute de choix des sanctions applicables (voir en ce
sens arrecircts du 21 septembre 1989 CommissionGregravece 68frasl88 Rec p 2965 point 24
du 7 deacutecembre 2000 de Andrade C-213frasl99 Rec p I-11083 point 19 et du
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 19
16 octobre 2003 Hannl-Hofstetter C-91frasl02 Rec p I-12077 point 17) Celles-ci
peuvent donc prendre la forme de sanctions administratives de sanctions peacutenales ou
drsquoune combinaison des deux Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un
caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que
ladite disposition srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne
35 Ensuite il y a lieu de rappeler que aux fins de lrsquoappreacuteciation de la nature peacutenale
de sanctions fiscales trois critegraveres sont pertinents Le premier est la qualification
juridique de lrsquoinfraction en droit interne le deuxiegraveme la nature mecircme de lrsquoinfraction et
le troisiegraveme la nature ainsi que le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction que risque de subir
lrsquointeacuteresseacute (arrecirct du 5 juin 2012 Bonda C-489frasl10 point 37)
36 Il appartient agrave la juridiction de renvoi drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere de ces critegraveres
srsquoil y a lieu de proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu
par la leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux au sens du point 29 du
preacutesent arrecirct ce qui pourrait lrsquoamener le cas eacutecheacuteant agrave consideacuterer ce cumul comme
contraire auxdits standards agrave condition que les sanctions restantes soient effectives
proportionneacutees et dissuasives (voir en ce sens notamment arrecircts CommissionGregravece
preacuteciteacute point 24 du 10 juillet 1990 Hansen C-326frasl88 Rec p I-2911 point 17 du
30 septembre 2003 Inspire Art C-167frasl01 Rec p I-10155 point 62 du 15 janvier
2004 Penycoed C-230frasl01 Rec p I-937 point 36 ainsi que du 3 mai 2005
Berlusconi ea C-387frasl02 C-391frasl02 et C-403frasl02 Rec p I-3565 point 65)
37 Il deacutecoule des consideacuterations qui preacutecegravedent qursquoil convient de reacutepondre aux
deuxiegraveme troisiegraveme et quatriegraveme questions que le principe ne bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 50 de la Charte ne srsquooppose pas agrave ce qursquoun Eacutetat membre impose pour les
mecircmes faits de non-respect drsquoobligations deacuteclaratives dans le domaine de la TVA
successivement une sanction fiscale et une sanction peacutenale dans la mesure ougrave la
premiegravere sanction ne revecirct pas un caractegravere peacutenal ce qursquoil appartient agrave la juridiction
nationale de veacuterifier raquo
EN DROIT
SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 4 DU
PROTOCOLE No 7 Agrave LA CONVENTION
53 Les requeacuterants soutiennent tous deux avoir eacuteteacute poursuivis et
sanctionneacutes deux fois pour la mecircme infraction relevant de lrsquoarticle 12-1
(chapitre 12) de la loi fiscale en violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave
la Convention ils allegraveguent avoir eacuteteacute interrogeacutes en tant qursquoaccuseacutes et
inculpeacutes par le parquet frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc payeacutees
par eux puis reconnus coupables et sanctionneacutes au peacutenal Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 est ainsi libelleacute
laquo 1 Nul ne peut ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement par les juridictions du mecircme
Eacutetat en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de cet Eacutetat
20 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
2 Les dispositions du paragraphe preacuteceacutedent nrsquoempecircchent pas la reacuteouverture du
procegraves conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute si des faits
nouveaux ou nouvellement reacuteveacuteleacutes ou un vice fondamental dans la proceacutedure
preacuteceacutedente sont de nature agrave affecter le jugement intervenu
3 Aucune deacuterogation nrsquoest autoriseacutee au preacutesent article au titre de lrsquoarticle 15 de la
Convention raquo
54 Le Gouvernement reacutecuse cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
55 La Cour estime que les requecirctes soulegravevent des questions complexes
du point de vue des faits et du droit de la Convention de sorte qursquoelle ne
saurait les rejeter pour deacutefaut manifeste de fondement au sens de lrsquoarticle 35
sect 3 a) de la Convention Constatant par ailleurs qursquoelles ne se heurtent agrave
aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute elle les deacuteclare recevables
B Sur le fond
1 Les requeacuterants
56 Les requeacuterants soutiennent que au meacutepris de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 ils ont fait lrsquoobjet drsquoune double incrimination pour le mecircme
motif agrave savoir une infraction relevant de lrsquoarticle 12-1 1) de la loi fiscale Ils
disent en effet avoir eacuteteacute drsquoabord interrogeacutes comme accuseacutes et inculpeacutes par le
parquet et frappeacutes de majorations drsquoimpocirct par le fisc accepteacutees et payeacutees
par chacun drsquoeux puis condamneacutes peacutenalement Se reacutefeacuterant agrave la chronologie
des proceacutedures deacutenonceacutees le premier requeacuterant ajoute qursquoil a fait lrsquoobjet de
doubles poursuites pendant un laps de temps important ce qui aurait fait
peser sur lui un fardeau excessivement lourd tant physiquement que
psychologiquement en conseacutequence de quoi il aurait eacuteteacute victime drsquoun
infarctus et aurait ducirc ecirctre hospitaliseacute
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
57 Partageant lrsquoanalyse de la Cour suprecircme fondeacutee sur les critegraveres Engel
et sur drsquoautres eacuteleacutements pertinents de jurisprudence interne concernant la
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 les requeacuterants jugent
manifeste que non seulement la proceacutedure pour fraude fiscale mais aussi la
proceacutedure de majoration drsquoimpocirct eacutetaient de nature laquo peacutenale raquo et que ces
deux proceacutedures doivent donc ecirctre qualifieacutees de laquo peacutenales raquo pour les besoins
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
58 Les requeacuterants souscrivent eacutegalement agrave lrsquoavis de la Cour suprecircme
lorsqursquoelle a dit qursquoil ne faisait aucun doute que les circonstances factuelles
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 21
agrave lrsquoorigine des majorations drsquoimpocirct et des poursuites peacutenales avaient
suffisamment de points communs pour ecirctre consideacutereacutees comme
constitutives de la mecircme infraction Ils estiment en effet que dans un cas
comme dans lrsquoautre la base factuelle eacutetait lrsquoomission de revenus dans leur
deacuteclaration fiscale
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives et dans
lrsquoaffirmative agrave quel moment
59 Les requeacuterants soutiennent que les deacutecisions par lesquelles le fisc
leur a appliqueacute des majorations drsquoimpocirct eacutetaient devenues deacutefinitives et
passeacutees en force de chose jugeacutee le 15 deacutecembre 2008 srsquoagissant du premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 srsquoagissant du second requeacuterant soit
anteacuterieurement agrave leur condamnation pour les mecircmes comportements
intervenue le 2 mars 2009 pour le premier requeacuterant et le 30 septembre 2009
pour le second requeacuterant Qursquoil faille regarder ou non ces sanctions comme
issues de proceacutedures dites parallegraveles les deacutecisions de majoration drsquoimpocirct
prises contre eux seraient devenues deacutefinitives et exeacutecutoires avant qursquoils ne
fussent reconnus coupables agrave raison drsquoun comportement strictement
identique respectivement par le tribunal de Follo et par le tribunal drsquoOslo
Les sanctionner peacutenalement aurait donc emporteacute violation du principe non
bis in idem consacreacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
60 Les requeacuterants se disent victimes drsquoune reacutepeacutetition des poursuites
proscrite par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les proceacutedures administratives de
majoration drsquoimpocirct revecirctant effectivement selon eux un caractegravere peacutenal le
parquet aurait eacuteteacute tenu par cette disposition de mettre fin aux poursuites
peacutenales degraves que lrsquoissue de ces proceacutedures administratives eacutetait devenue
deacutefinitive Or il ne lrsquoaurait pas fait
61 Pour les requeacuterants si le droit norveacutegien autorise la conduite de
proceacutedures parallegraveles le recours agrave ce proceacutedeacute par les autoriteacutes internes a
permis agrave ces derniegraveres de coordonner leurs deacutemarches de maniegravere agrave
contourner lrsquointerdiction poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave rendre
ainsi illusoire la protection offerte par cette disposition Dans le cas du
premier requeacuterant en particulier lrsquoouverture de proceacutedures parallegraveles
semblerait avoir eacuteteacute une manœuvre organiseacutee de concert par le parquet et le
fisc
62 Les requeacuterants affirment que en lrsquoespegravece le parquet a simplement
attendu que le fisc deacutecide drsquoappliquer des majorations drsquoimpocirct pour
renvoyer les affaires en jugement Les proceacutedures peacutenale et administrative
auraient ainsi eacuteteacute coordonneacutees de faccedilon agrave les pieacuteger au moyen de deux corps
diffeacuterents de regravegles peacutenales et ainsi agrave leur faire payer des impocircts
suppleacutementaires et des majorations drsquoimpocirct et agrave les faire condamner pour le
mecircme comportement autrement dit agrave les soumettre agrave une double
22 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
incrimination Du point de vue de la seacutecuriteacute juridique la possibiliteacute de
conduire des proceacutedures parallegraveles poserait problegraveme Lrsquoimportante finaliteacute
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 agrave savoir empecirccher que le justiciable soit
contraint de supporter un fardeau excessif militerait en faveur drsquoune
limitation de la faculteacute pour les autoriteacutes de mener des proceacutedures parallegraveles
63 Les requeacuterants considegraverent que sous lrsquoangle des garanties
proceacutedurales cette faculteacute pour le fisc et le parquet drsquoorganiser de concert la
conduite de proceacutedures parallegraveles est contraire agrave lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et agrave la jurisprudence
reacutecente de la Cour ainsi qursquoagrave certains jugements nationaux Ils estiment degraves
lors que ce proceacutedeacute qui a permis en lrsquoespegravece agrave des autoriteacutes diffeacuterentes de
mettre sur pied des proceacutedures parallegraveles semble assez contestable et ne
tient pas ducircment compte des pressions ainsi exerceacutees sur le justiciable pas
plus que des principaux inteacuterecircts proteacutegeacutes par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
64 Au cours du cauchemar qursquoils disent avoir veacutecu en lrsquoespegravece les
requeacuterants auraient eacuteteacute rassureacutes lorsque le premier drsquoentre eux aurait appris
par lrsquoagent des impocircts qursquoil pouvait deacutesormais laquo pousser un soupir de
soulagement raquo en raison de lrsquoadoption de nouvelles instructions eacutecrites par
le service du procureur geacuteneacuteral le 3 avril 2009 lesquelles auraient interdit la
reacutepeacutetition des poursuites et les doubles incriminations dans les cas comme le
sien Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ces nouvelles instructions
auraient notamment disposeacute que en appel ndash qursquoil y ait eu condamnation ou
acquittement en premiegravere instance ndash le parquet devait requeacuterir lrsquoannulation
du jugement et la clocircture de la proceacutedure Les requeacuterants preacutecisent que en
conseacutequence de ces nouvelles instructions et de la qualification de sanction
peacutenale donneacutee aux majorations drsquoimpocirct et puisque les deacutecisions appliquant
celles-ci eacutetaient devenues deacutefinitives et passeacutees en force de chose jugeacutee agrave
leur eacutegard il eacutetait raisonnable qursquoils srsquoattendent agrave lrsquoabandon des poursuites
peacutenales dirigeacutees contre eux par lrsquoeffet de lrsquointerdiction de la double
incrimination poseacutee par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 De plus en vertu de
ces instructions drsquoautres personnes accuseacutees des mecircmes infractions dans le
mecircme groupe drsquoaffaires ne se seraient pas vu appliquer de majorations
drsquoimpocirct parce qursquoelles avaient deacutejagrave eacuteteacute reconnues coupables et condamneacutees
agrave une peine drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-2 de la loi
fiscale Or agrave lrsquoinverse de ces autres personnes les requeacuterants auraient eacuteteacute
reconnus coupables et frappeacutes de peines drsquoemprisonnement alors qursquoils
avaient ducirc verser un suppleacutement drsquoimpocirct et une majoration drsquoimpocirct agrave raison
du mecircme comportement La thegravese du Gouvernement soulignant la neacutecessiteacute
drsquoassurer une eacutegaliteacute de traitement avec les autres personnes inculpeacutees de la
mecircme infraction de fraude fiscale ne serait donc pas convaincante
65 Les requeacuterants se disent drsquoautant plus gravement affecteacutes sur le plan
psychologique que malgreacute les instructions susmentionneacutees le parquet a
poursuivi leur procegraves en invoquant la leacutegaliteacute des proceacutedures parallegraveles et a
rejeteacute leurs demandes tendant agrave lrsquoannulation de leur condamnation en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 23
premiegravere instance et au rejet par les tribunaux des proceacutedures peacutenales Agrave cet
effet le premier requeacuterant produit divers certificats meacutedicaux dont un
deacutelivreacute par une clinique pour une intervention de chirurgie cardiaque
2 Le Gouvernement
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere peacutenal
66 Le Gouvernement invite la Grande Chambre agrave confirmer lrsquoapproche
suivie dans une seacuterie drsquoaffaires anteacuterieures agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
selon laquelle le caractegravere laquo peacutenal raquo drsquoune sanction pour les besoins de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoappreacutecie sur la base drsquoun groupe plus large de
facteurs que les critegraveres Engel (formuleacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6) Selon
lui il faut tenir compte de la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne de la nature de celle-ci de la qualification de la sanction en droit
interne et de son but de sa nature et de son degreacute de seacuteveacuteriteacute ainsi que de
la question de savoir si elle a eacuteteacute imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation
pour une infraction peacutenale et des proceacutedures associeacutees agrave son adoption et agrave
son exeacutecution (le Gouvernement cite les affaires Malige c France
23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII et
Nilsson c Suegravede (deacutec) no 7366101 CEDH 2005-XIII Haarvig c Norvegravege
(deacutec) no 1118705 11 deacutecembre 2007 Storbraringten c Norvegravege (deacutec)
no 1227704 1er feacutevrier 2007 et Mjelde c Norvegravege (deacutec) no 1114304
1er feacutevrier 2007)
67 Le Gouvernement soutient entre autres que les diffeacuterences dans le
libelleacute et lrsquoobjet de ces dispositions montrent clairement que le mot
laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 srsquoentend en un sens
plus eacutetroit que lrsquoexpression laquo en matiegravere peacutenale raquo figurant agrave lrsquoarticle 6 Il
ressortirait du rapport explicatif du Protocole no 7 que le libelleacute de lrsquoarticle 4
a eacuteteacute conccedilu pour viser les proceacutedures peacutenales stricto sensu Ce rapport
indiquerait en son paragraphe 28 qursquoil nrsquoeacutetait pas apparu neacutecessaire de
qualifier lrsquoinfraction de laquo peacutenale raquo car le libelleacute de lrsquoarticle 4 laquo qui contient
deacutejagrave les termes laquo peacutenalement raquo et laquo proceacutedure peacutenale raquo rendait cette
preacutecision inutile dans le texte mecircme de lrsquoarticle raquo Il soulignerait en son
paragraphe 32 que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquointerdit pas les proceacutedures
laquo drsquoun caractegravere diffeacuterent (par exemple une proceacutedure disciplinaire dans le
cas drsquoun fonctionnaire) raquo De plus lrsquoarticle 6 et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
poursuivraient des fins diffeacuterentes voire parfois opposeacutees le premier ayant
pour but de renforcer les garanties proceacutedurales en matiegravere peacutenale
68 Le Gouvernement met eacutegalement en avant un certain nombre de
diffeacuterences suppleacutementaires dans la maniegravere dont ces deux dispositions ont
eacuteteacute interpreacuteteacutees et appliqueacutees dans la jurisprudence de la Cour notamment
le caractegravere absolu de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (non susceptible de
deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15) par opposition agrave lrsquoapproche nuanceacutee
suivie par la Cour sur le terrain de lrsquoarticle 6 Il cite lrsquoarrecirct Jussila
24 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c Finlande ([GC] no 7305301 sect 43 CEDH 2006-XIV) ougrave la Grande
Chambre de la Cour a dit laquo il va de soi que () les laquo accusations en
matiegravere peacutenale raquo nrsquoont pas toutes le mecircme poids raquo et que laquo [l]es majorations
drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau dur du droit peacutenal les garanties
offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas neacutecessairement
srsquoappliquer dans toute leur rigueur raquo
69 Se fondant sur le groupe plus large de critegraveres susmentionneacute le
Gouvernement prie la Cour de dire que les majorations drsquoimpocirct au taux
ordinaire ne revecirctent pas un caractegravere laquo peacutenal raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
70 Le Gouvernement avance toutefois les arguments exposeacutes ci-dessous
pour le cas ougrave la Grande Chambre viendrait agrave adopter lrsquoautre approche
baseacutee sur les seuls critegraveres Engel et agrave conclure que la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire eacutetait laquo peacutenale raquo au sens autonome
donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Les infractions eacutetaient-elles les mecircmes (idem)
71 Partageant le raisonnement et les conclusions adopteacutes par la Cour
suprecircme dans le procegraves du premier requeacuterant (paragraphes 20 agrave 30
ci-dessus) et repris par la cour drsquoappel dans le procegraves du second requeacuterant
(paragraphe 37 ci-dessus) le Gouvernement admet que les circonstances
factuelles agrave lrsquoorigine des proceacutedures de majoration drsquoimpocirct et des procegraves
pour fraude fiscale visaient les mecircmes contrevenants et eacutetaient
indissociablement lieacutees entre elles dans le temps et dans lrsquoespace
c) Les proceacutedures fiscales ont-elles fait lrsquoobjet de deacutecisions deacutefinitives
72 Le Gouvernement rappelle que dans un souci de protection effective
et de clarteacute de la jurisprudence la Cour suprecircme a conclu que la deacutecision de
redressement eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours
administratif de trois semaines (soit le 15 deacutecembre 2008 pour le premier
requeacuterant et le 26 deacutecembre 2008 pour le second) alors mecircme que le deacutelai
de recours en justice de six mois preacutevu agrave lrsquoarticle 11-1 4) du chapitre 11 de
la loi fiscale nrsquoavait pas encore expireacute Srsquoil estime que ce point nrsquoest guegravere
deacuteterminant en lrsquoespegravece (le deacutelai de recours en justice ayant lui aussi pris fin
anteacuterieurement agrave la date de clocircture de la proceacutedure peacutenale alors pendante agrave
savoir le 24 mai 2009 pour le premier requeacuterant et le 5 juin 2009 pour le
second) il ne srsquointerroge pas moins sur la neacutecessiteacute drsquoune interpreacutetation
aussi stricte de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 108) il soutient que la jurisprudence de la Cour
semble confirmer que laquo [l]es deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficient pas de la garantie que renferme lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
tant que le deacutelai drsquoappel nrsquoest pas expireacute raquo Agrave son avis les requeacuterants
avaient toujours la faculteacute de former des recours ordinaires sous la forme
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 25
drsquoun recours judiciaire dans les six mois agrave compter de la date des deacutecisions
en cause
d) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
73 En revanche srsquoappuyant lagrave encore sur lrsquoanalyse de la Cour suprecircme
le Gouvernement souligne que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 permet dans
certaines conditions ce qursquoil est convenu drsquoappeler des laquo proceacutedures
parallegraveles raquo Le libelleacute de cette disposition indiquerait clairement qursquoelle
interdit la reacutepeacutetition des poursuites une fois passeacutee en force de chose jugeacutee
la deacutecision rendue agrave lrsquoissue de la premiegravere proceacutedure (laquo poursuivi ou puni
peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute
ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo) Le rapport explicatif du
Protocole no 7 confirmerait que le principe non bis in idem est
drsquointerpreacutetation relativement eacutetroite Crsquoest ce qui ressortirait de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sect 83) dans lequel la Grande Chambre a
deacutefini plus preacuteciseacutement la porteacutee de la disposition en cause en la limitant agrave
la situation suivante
laquo La garantie consacreacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu lorsque de
nouvelles poursuites sont engageacutees et que la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee raquo
74 Le Gouvernement en deacuteduit a contrario que les proceacutedures
parallegraveles ndash crsquoest-agrave-dire des sanctions diffeacuterentes imposeacutees par deux
autoriteacutes diffeacuterentes dans des proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les
plans mateacuteriel et temporel ndash sortent du champ drsquoapplication de cette
disposition Le lancement drsquoune proceacutedure parallegravele ne srsquoanalyserait pas en
lrsquoouverture de nouvelles poursuites degraves lors que lrsquoacquittement ou la
condamnation anteacuterieurs seraient deacutejagrave passeacutes en force de chose jugeacutee Les
deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede preacuteciseraient les
conditions dans lesquelles des proceacutedures peuvent passer pour parallegraveles et
donc ecirctre permises au regard de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
75 Or selon le Gouvernement la Cour srsquoest eacutecarteacutee de lrsquoapproche
suivie dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine dans un certain nombre drsquoarrecircts
plus reacutecents dont quatre concernant la Finlande rendus le 20 mai 2014 (en
particulier Nykaumlnen c Finlande no 1182811 sect 48 et Glantz c Finlande
no 3739411 sect 57) dans lesquels le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait servi que de point de deacutepart et qui auraient dit que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 laquo interdisait clairement les proceacutedures
conseacutecutives si la premiegravere avait deacutejagrave deacuteboucheacute sur une deacutecision deacutefinitive agrave
la date de lrsquoouverture de la seconde (voir par exemple Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute) raquo
76 Pour le Gouvernement cette interpreacutetation extensive de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 livreacutee notamment dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et qui semble
incompatible avec lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine apparaicirct preacutesupposer que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 impose lrsquoextinction de toute proceacutedure peacutenale si
26 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
une autre proceacutedure de nature administrative et conduite en parallegravele srsquoest
soldeacutee par une deacutecision deacutefinitive ou vice versa Elle reposerait sur une
deacutecision sur la recevabiliteacute (Zigarella c Italie (deacutec) no 4815499
CEDH 2002-IX (extraits)) et sur deux arrecircts de chambre (Tomasović
c Croatie no 5378509 18 octobre 2011 et Muslija c Bosnie-Herzeacutegovine
no 3204211 14 janvier 2014) Or aucune de ces affaires ne permettrait de
fonder solidement un tel revirement
La premiegravere affaire Zigarella aurait concerneacute des proceacutedures non pas
parallegraveles mais conseacutecutives contrairement agrave ce qursquoaurait supposeacute la
chambre La clocircture de la proceacutedure peacutenale ulteacuterieure ouverte alors que les
autoriteacutes ignoraient lrsquoexistence drsquoune proceacutedure (peacutenale elle aussi) objet
drsquoune deacutecision deacutefinitive aurait eacuteteacute prononceacutee une fois le juge aviseacute de
lrsquoacquittement deacutefinitif dans le premier procegraves La Cour nrsquoaurait alors fait
qursquoappliquer le volet mateacuteriel neacutegatif du principe non bis in idem qui relegraveve
de la regravegle de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee puisqursquoil srsquoagissait de deux
proceacutedures peacutenales ordinaires conseacutecutives concernant la mecircme infraction
Les deux autres affaires Tomasović et Muslija auraient eu pour objet des
proceacutedures se rapportant agrave des infractions relevant du laquo noyau dur raquo du droit
peacutenal agrave savoir respectivement possession de drogues dures et violences
domestiques (le Gouvernement invoque lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il y
aurait clairement eu dans ces affaires deux proceacutedures peacutenales visant un
mecircme acte Chacune des deux proceacutedures aurait eacuteteacute ouverte sur la base du
mecircme rapport de police De telles situations ne se produiraient a priori pas
en droit peacutenal norveacutegien et elles seraient en tout eacutetat de cause bien eacuteloigneacutees
du systegraveme traditionnel bien ancreacute dans ce pays de mixiteacute des poursuites
administratives et peacutenales pour les majorations drsquoimpocirct et fraudes fiscales
du type ici en cause
77 Exiger la clocircture de toute proceacutedure parallegravele en cours agrave la date ougrave
lrsquoautre proceacutedure relative aux mecircmes faits a donneacute lieu agrave une deacutecision
deacutefinitive srsquoanalyserait en une exception proceacutedurale de litispendance de
facto Il nrsquoaurait en effet guegravere de sens drsquoouvrir une proceacutedure parallegravele srsquoil
faut clore lrsquoune au seul motif que lrsquoautre a fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
deacutefinitive avant la premiegravere
78 Dans ce contexte drsquoincoheacuterences reacutepeacuteteacutees de la jurisprudence
relative agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le Gouvernement estime qursquoil est
particuliegraverement important que la Grande Chambre reacuteaffirme lrsquoapproche
suivie par elle dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine qui considegravere cette
disposition comme un aspect du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee et
rejette lrsquoapproche divergente retenue dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen
79 Le Gouvernement ne voit pas quelles consideacuterations drsquoopportuniteacute
sous-tendent lrsquoarrecirct Nykaumlnen Le principe non bis in idem repose sur lrsquoideacutee
drsquooffrir une protection contre le risque drsquoecirctre exposeacute agrave des poursuites
reacutepeacutetitives (il mentionne lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sect 107) Le
justiciable devrait avoir la certitude que une fois son acquittement ou sa
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 27
condamnation passeacutes en force de chose jugeacutee il sera proteacutegeacute contre
lrsquoouverture de toute nouvelle proceacutedure fondeacutee sur les mecircmes faits Cela ne
vaudrait pas si la personne est passible de proceacutedures peacutenales et
administratives preacutevisibles conduites parallegravelement comme preacutevu par la loi
et encore moins si la premiegravere sanction (la majoration drsquoimpocirct) a eacuteteacute prise
en compte de maniegravere preacutevisible dans la deacutecision imposant la seconde
sanction (lrsquoemprisonnement)
80 Par ailleurs le Gouvernement nrsquoestime guegravere conciliables lrsquoideacutee que
des proceacutedures parallegraveles ne posent pas le moindre problegraveme sous lrsquoangle du
Protocole no 7 quand elles sont en cours et lrsquoideacutee que degraves que lrsquoune a
atteint sa conclusion deacutefinitive lrsquoexistence de lrsquoautre emporte violation et
ce que ce soit la proceacutedure administrative passible de sanctions plus
douces ou la proceacutedure peacutenale passible de sanctions plus seacutevegraveres qui ait
pris fin la premiegravere et quelle que soit celle entameacutee en premier
81 Le Gouvernement ajoute que lrsquoarrecirct Nykaumlnen meacuteconnaicirct eacutegalement
les principes fondamentaux de la preacutevisibiliteacute et de lrsquoeacutegaliteacute de traitement Il
expose que si crsquoest la proceacutedure peacutenale qui fait lrsquoobjet drsquoune deacutecision
passeacutee en force de chose jugeacutee avant la fin de la proceacutedure administrative
une personne peut se retrouver incarceacutereacutee tandis que dans lrsquohypothegravese
inverse un individu ayant commis la mecircme infraction aurait simplement agrave
payer une amende administrative modeacutereacutee Le point de savoir quelle
proceacutedure prend fin la premiegravere deacutependrait de la maniegravere dont le fisc la
police le parquet ou les tribunaux progressent et de lrsquoouverture ou non par
le contribuable drsquoun recours administratif etou drsquoun recours judiciaire
Lrsquoarrecirct Nykaumlnen commanderait donc agrave lrsquoEacutetat de traiter ineacutegalement des
personnes dans la mecircme situation en fonction de simples coiumlncidences
Comme cet arrecirct le reconnaicirctrait laquo savoir laquelle des proceacutedures parallegraveles
se clocirct la premiegravere par une deacutecision deacutefinitive relegraveve parfois de la
coiumlncidence ce qui pourrait poser problegraveme au regard de lrsquoeacutegaliteacute de
traitement raquo
82 Le Gouvernement dit que lrsquoimpeacuteratif drsquoefficaciteacute dans le traitement
des affaires milite souvent en faveur de la conduite de proceacutedures parallegraveles
Drsquoune part gracircce agrave leurs connaissances speacutecialiseacutees et agrave leurs moyens les
autoriteacutes administratives seraient souvent agrave mecircme drsquoimposer des sanctions
plus rapidement que le parquet et les tribunaux dans le cadre drsquoune
proceacutedure peacutenale Vu que leur action englobe lrsquoensemble des administreacutes
elles seraient en outre mieux placeacutees pour veiller agrave lrsquoeacutegaliteacute dans la sanction
des infractions La preacutevention des infractions graves en revanche
imposerait de ne pas interdire agrave lrsquoEacutetat drsquoen poursuivre et punir les auteurs
dans le cadre traditionnel et formel drsquoun procegraves peacutenal degraves lors que les
proceacutedures administratives et peacutenales mettent au jour des infractions plus
graves et plus complexes que celles qui ont motiveacute agrave lrsquoorigine la proceacutedure
et la sanction administratives Les cas des requeacuterants en seraient
drsquoexcellents exemples
28 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
83 Le Gouvernement constate que plusieurs Eacutetats europeacuteens sont doteacutes
drsquoun systegraveme mixte de sanctions dans des domaines tels que le droit fiscal et
la sucircreteacute publique Sur ce point il se reacutefegravere aux conclusions du 12 juin 2012
produites par lrsquoavocat geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Fransson
(paragraphe 51 ci-dessus)
84 Le Gouvernement dit que en Norvegravege la question de la poursuite de
proceacutedures parallegraveles ne se limite pas agrave la fiscaliteacute Il soutient qursquoune
interpreacutetation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui interdirait agrave une proceacutedure
parallegravele en cours drsquoaller jusqursquoagrave son terme degraves lors que lrsquoautre proceacutedure
administrative ou peacutenale a eacuteteacute clocirctureacutee par une deacutecision deacutefinitive aurait
des conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un certain
nombre de domaines relevant du droit administratif La prudence serait donc
de mise Des questions similaires se poseraient au sein de certains Eacutetats
europeacuteens connaissant depuis longtemps des systegravemes de proceacutedures
administratives et peacutenales parallegraveles dans des domaines essentiels du droit
dont celui de la fiscaliteacute
85 Le Gouvernement estime que les consideacuterations qui sont agrave lrsquoorigine
de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sont moins pertinentes lorsque les
proceacutedures en cause sont parallegraveles et simultaneacutees Un accuseacute sachant
pertinemment que des autoriteacutes diffeacuterentes ont ouvert contre lui deux
proceacutedures diffeacuterentes eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
risquerait moins de srsquoattendre agrave ce que la premiegravere sanction imposeacutee soit
deacutefinitive et exclue toute autre sanction Enfin la logique du principe non
bis in idem srsquoappliquerait dans une moindre mesure aux sanctions ne
relevant pas du laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations
drsquoimpocirct (voir le raisonnement exposeacute dans lrsquoarrecirct preacuteciteacute Jussila sect 43
relatif agrave lrsquoarticle 6 et transposable agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7)
86 Pour ce qui est des circonstances propres au cas drsquoespegravece le
Gouvernement fait sien sur tous les points le raisonnement exposeacute par la
Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant (paragraphe 29
ci-dessus) et celui suivi par la cour drsquoappel dans lrsquoarrecirct concernant le second
requeacuterant (paragraphe 39 ci-dessus) agrave savoir qursquoil existait un lien temporel
et mateacuteriel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures Il dit que ni lrsquoun ni
lrsquoautre des requeacuterants ne pouvaient leacutegitimement srsquoattendre agrave ne faire lrsquoobjet
que drsquoune proceacutedure et drsquoune sanction administratives Il explique que de
maniegravere agrave ne pas aboutir agrave un reacutesultat qui aurait heurteacute le principe
fondamental de lrsquoeacutegaliteacute de traitement les requeacuterants laquo sur un pied
drsquoeacutegaliteacute avec raquo EK et BL coaccuseacutes dans le mecircme groupe drsquoaffaires
(paragraphes 12 et 13 ci-dessus) ont chacun eacuteteacute condamneacutes agrave des peines
drsquoemprisonnement agrave lrsquoissue de procegraves peacutenaux apregraves srsquoecirctre vu appliquer des
majorations drsquoimpocirct administratives de 30
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 29
3 Les tiers intervenants
87 Les tierces interventions sont principalement axeacutees sur deux points
premiegraverement lrsquointerpreacutetation du mot laquo peacutenalement raquo employeacute agrave lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et lrsquoarticulation entre cette disposition et les articles 6
(volet peacutenal) et 7 de la Convention et deuxiegravemement la mesure dans
laquelle le Protocole no 7 permet les proceacutedures parallegraveles (ces deux points
sont examineacutes respectivement dans les parties a) et b) ci-dessous)
a) Les premiegraveres proceacutedures revecirctaient-elles un caractegravere laquo peacutenal raquo
88 Les gouvernements tchegraveque et franccedilais pensent comme le
gouvernement deacutefendeur que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa pas
explicitement rejeteacute lrsquoideacutee de recourir agrave un groupe plus large de critegraveres pour
deacuteterminer la nature de la proceacutedure agrave examiner sur le terrain de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 et que la Cour a elle-mecircme jugeacute notamment que les
proceacutedures de majoration drsquoimpocirct ne relevaient pas du noyau dur du droit
peacutenal et nrsquoa donc pas appliqueacute dans toute leur rigueur les garanties de
lrsquoarticle 6 (Jussila preacuteciteacute sect 43 in fine) Le gouvernement tchegraveque invite la
Cour agrave preacuteciser principalement si et dans lrsquoaffirmative sous quelles
conditions crsquoest-agrave-dire dans quel type drsquoaffaires il convient drsquoappliquer un
plus grand eacuteventail de critegraveres
89 Srsquoappuyant sur le libelleacute et le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 le
gouvernement bulgare soutient que seules les infractions peacutenales classiques
relegravevent du champ drsquoapplication de cette disposition Il estime que si
eacutetendre la porteacutee de lrsquoarticle 6 est essentiel agrave la protection du droit agrave un
procegraves eacutequitable lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a une autre finaliteacute Se reacutefeacuterant
agrave lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique dans
lrsquoaffaire Green v United States (355 US 194 (1957)) il souligne que
lrsquointerdiction de la double incrimination protegravege le justiciable du risque de
faire lrsquoobjet drsquoune multipliciteacute de procegraves et de condamnations eacuteventuelles
pour une mecircme infraction La logique de cette interdiction est selon lui qursquoil
ne faut pas que lrsquoEacutetat avec toutes ses ressources et tout son pouvoir puisse
se livrer agrave des tentatives reacutepeacuteteacutees tendant agrave faire condamner un individu
pour la mecircme infraction ce qui pour ce dernier serait source drsquoembarras de
frais et drsquoeacutepreuves et le forcerait agrave vivre dans un eacutetat permanent drsquoanxieacuteteacute et
drsquoinseacutecuriteacute tout en aggravant le risque que mecircme innocent il soit reconnu
coupable Un second impeacuteratif vital serait de preacuteserver le caractegravere deacutefinitif
des deacutecisions de justice
90 Le gouvernement franccedilais consacre drsquoamples deacuteveloppements
(paragraphes 10 agrave 26 de ses observations) agrave lrsquointerpreacutetation des articles 6 et
7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Srsquoappuyant sur lrsquoarrecirct
Perinccedilek c Suisse ([GC] no 2751008 sect 146 CEDH 2015 (extraits)) il
soutient que les termes employeacutes agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 diffeacuterents
de ceux figurant agrave lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention doivent conduire agrave
30 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
retenir des critegraveres plus eacutetroits reacutepondant aux objectifs du principe non bis in
idem garanti par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Lrsquoarticle 7 de la Convention
utiliserait les termes de condamnation (laquo condamneacute raquo en franccedilais et laquo held
guilty raquo en anglais) drsquoinfraction (laquo criminal offence raquo en anglais) et de peine
(laquo penalty raquo en anglais) qui seraient preacutesents aussi dans lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 De plus les garanties offertes par lrsquoarticle 7 de la
Convention comme celles de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 seraient des
eacuteleacutements essentiels de la proceacutedure peacutenale entendue strictement comme
lrsquoattesterait le fait que lrsquoarticle 15 de la Convention nrsquoy autorise aucune
deacuterogation alors qursquoil autoriserait une deacuterogation agrave lrsquoarticle 6 de la
Convention
91 Aussi et dans un souci de coheacuterence la Cour pour lrsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 devrait-elle se reacutefeacuterer aux seuls critegraveres qursquoelle
a pu deacutevelopper dans le cadre de lrsquoarticle 7 de la Convention tout en les
preacutecisant afin de donner au terme laquo peacutenalement raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 le sens strict qui devrait ecirctre le sien Pour deacuteterminer si une
mesure relegraveve du champ de cette disposition elle devrait se reacutefeacuterer agrave la
qualification juridique de lrsquoinfraction litigieuse en droit interne agrave la nature
et au but de la mesure en cause agrave la question de savoir si la mesure a eacuteteacute
imposeacutee agrave la suite drsquoune condamnation pour une infraction peacutenale agrave la
graviteacute de la sanction ndash cet eacuteleacutement nrsquoeacutetant pas deacuteterminant ndash et aux
proceacutedures associeacutees agrave lrsquoadoption de celle-ci et plus preacuteciseacutement agrave la
question de savoir si la mesure a eacuteteacute adopteacutee par un organe que lrsquoon peut
qualifier de juridiction et qui srsquoest prononceacute sur les eacuteleacutements drsquoune
infraction regardeacutee comme peacutenale au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention
Le dernier de ces critegraveres revecirctirait une importance preacutepondeacuterante au regard
des termes mecircmes de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et de lrsquoobjectif poursuivi
par cette disposition
92 Le gouvernement franccedilais conclut que au regard de ces critegraveres des
peacutenaliteacutes fiscales qui ne seraient pas qualifieacutees de peacutenales en droit interne
qui auraient une nature administrative et viseraient seulement agrave sanctionner
le non-respect par le contribuable de ses obligations fiscales qui ne seraient
pas imposeacutees agrave la suite drsquoune condamnation peacutenale et qui ne seraient pas
prononceacutees par un organe juridictionnel ne pourraient ecirctre regardeacutees
comme relevant du champ de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
93 Le gouvernement suisse soutient que la seule exception admise ndash le
paragraphe 2 de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ndash est la reacuteouverture du procegraves
laquo conformeacutement agrave la loi et agrave la proceacutedure peacutenale de lrsquoEacutetat concerneacute raquo Il
relegraveve que au moment de lrsquoadoption du Protocole en 1984 drsquoautres
exceptions telles qursquoadmises par la suite par la jurisprudence pertinente
nrsquoeacutetaient pas preacutevues ndash et nrsquoavaient pas besoin de lrsquoecirctre vu la conception
intrinsegravequement peacutenale de la garantie Le concept eacutetroit qui serait agrave lrsquoorigine
de la garantie trouverait une confirmation solide au paragraphe 3 de lrsquoarticle
4 du Protocole no 7 qui exclurait toute deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 31
la Convention agrave la protection offerte au paragraphe 1 Ainsi la garantie non
bis in idem serait mise sur un pied drsquoeacutegaliteacute avec le droit agrave la vie (article 2
article 3 du Protocole no 6 et article 2 du Protocole no 13) lrsquointerdiction de
la torture (article 3) lrsquointerdiction de lrsquoesclavage (article 4) et le principe
laquo pas de peine sans loi raquo (article 7) Ces eacuteleacutements militeraient en faveur
drsquoune interpreacutetation restrictive de la garantie Une telle approche
srsquoimposerait drsquoautant plus si la Grande Chambre devait maintenir la pratique
selon laquelle toute laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens autonome de
lrsquoarticle 6 sect 1 est susceptible de faire eacutegalement entrer en jeu lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (paragraphe 100 ci-dessous)
b) Y a-t-il eu reacutepeacutetition des poursuites (bis)
94 Le gouvernement bulgare ne voit aucune raison de srsquoeacutecarter de
lrsquoapproche suivie dans les deacutecisions RT c Suisse et Nilsson c Suegravede
(preacuteciteacutees) dans le contexte des infractions routiegraveres et dans drsquoimportants
domaines se rattachant au fonctionnement de lrsquoEacutetat tels que la fiscaliteacute Une
proceacutedure fiscale aboutissant agrave lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct et
une proceacutedure peacutenale portant sur une fraude fiscale conduites
parallegravelement seraient eacutetroitement lieacutees sur les plans mateacuteriel et temporel
De plus la Cour reconnaicirctrait que les Eacutetats contractants jouissent drsquoune
marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dans lrsquoeacutelaboration et la mise en œuvre de
leurs politiques en matiegravere fiscale et elle respecterait les choix du leacutegislateur
dans ces domaines sauf srsquoils se reacutevegravelent manifestement deacutepourvus de base
raisonnable Un systegraveme qui permettrait la conduite de proceacutedures parallegraveles
en matiegravere fiscale semblerait relever de la marge drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat et
nrsquoapparaicirctrait pas contraire en soi agrave lrsquoun quelconque des principes eacutenonceacutes
dans la Convention y compris la garantie contre les doubles incriminations
95 Le gouvernement tchegraveque avance quatre arguments en faveur du
maintien de systegravemes mixtes de sanctions 1) chaque type de sanction
poursuit des buts diffeacuterents 2) alors que la proceacutedure peacutenale stricto sensu
doit respecter des garanties rigoureuses en matiegravere drsquoeacutequiteacute du procegraves dont
lrsquoapplication est souvent synonyme de lenteurs les sanctions
administratives doivent reacutepondre agrave des exigences de ceacuteleacuteriteacute et permettre
drsquoassurer lrsquoefficaciteacute et la peacuterenniteacute du systegraveme fiscal et du budget de
lrsquoEacutetat 3) la stricte application du principe non bis in idem agrave des proceacutedures
fiscales et peacutenales meneacutees en parallegravele pourrait faire eacutechouer la lutte contre
la criminaliteacute organiseacutee agrave grande eacutechelle si la premiegravere deacutecision en geacuteneacuteral
administrative devait empecirccher la tenue drsquoune enquecircte peacutenale de nature agrave
conduire agrave la deacutecouverte de reacuteseaux de fraude organiseacutee de blanchiment
drsquoargent et de deacutetournement de fonds ainsi que drsquoautres infractions graves
4) lrsquoordre dans lequel les autoriteacutes statuent dans tel ou tel cas Enfin il
signale qursquoil y a des cas ougrave plusieurs proceacutedures administratives sont
conduites en mecircme temps
32 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
96 Le gouvernement franccedilais estime que le raisonnement adopteacute dans
les deacutecisions R T c Suisse et Nilsson c Suegravede (preacuteciteacutees) peut ecirctre
transposeacute en matiegravere fiscale au regard des objectifs poursuivis par les Eacutetats
en ce domaine objectifs qui drsquoapregraves lui diffegraverent selon qursquoil srsquoagit de
poursuites peacutenales ou de lrsquoapplication de peacutenaliteacutes fiscales (i)) et degraves lors
qursquoil existe un lien suffisant entre les proceacutedures fiscale et peacutenale (ii))
i) Les poursuites peacutenales pour fraude fiscale devraient constituer une
reacuteponse adapteacutee et homogegravene agrave des comportements reacutepreacutehensibles Elles
auraient comme objectif principal de sanctionner les comportements les plus
graves Dans sa deacutecision Rosenquist c Suegravede (deacutec) no 6061900
14 septembre 2004 la Cour aurait releveacute que lrsquoobjectif poursuivi par
lrsquoinfraction criminelle de fraude fiscale eacutetait diffeacuterent de celui de
lrsquoimposition drsquoune peacutenaliteacute fiscale qui elle aurait pour but de renforcer les
fondations du systegraveme fiscal national
Les poursuites pour fraude fiscale auraient eacutegalement une finaliteacute
drsquoexemplariteacute en particulier lorsque de nouvelles typologies de fraudes sont
mises au jour afin de dissuader les fraudeurs potentiels drsquoy recourir Ne
plus poursuivre peacutenalement les fraudes les plus graves degraves lors qursquoune
peacutenaliteacute fiscale a eacuteteacute appliqueacutee priverait lrsquoEacutetat de lrsquoexemplariteacute et de la
publiciteacute rechercheacutees agrave travers les condamnations peacutenales prononceacutees dans
les plus grandes affaires de fraude fiscale
Dans lrsquohypothegravese ougrave une proceacutedure judiciaire drsquoenquecircte en matiegravere
fiscale preacuteceacutederait le controcircle fiscal meneacute par lrsquoadministration fiscale
lrsquoobligation drsquoabandonner la seconde proceacutedure degraves lors que la premiegravere est
devenue deacutefinitive conduirait le contribuable agrave laisser la proceacutedure peacutenale se
terminer rapidement en ne la contestant pas afin que cette derniegravere
srsquoachegraveve avant la proceacutedure fiscale et ainsi agrave eacutechapper aux sanctions
administratives geacuteneacuteralement beaucoup plus significatives en termes
peacutecuniaires
Dans une telle hypothegravese le contribuable mis en cause serait en position
drsquoarbitrer en faveur de la proceacutedure qui lui serait la plus favorable ce qui
porterait indeacuteniablement atteinte au caractegravere dissuasif de lrsquoaction meneacutee
par lrsquoEacutetat pour reacuteprimer les actes les plus reacutepreacutehensibles dans ce domaine Il
serait ainsi paradoxal que les contribuables ayant commis les fraudes les
plus graves et poursuivis peacutenalement pour cela soient sanctionneacutes moins
seacutevegraverement
En conclusion selon le gouvernement franccedilais la compleacutementariteacute entre
les proceacutedures peacutenales et les proceacutedures fiscales est essentielle pour la
reacutepression des fraudes les plus graves et il serait artificiel de consideacuterer
qursquoen raison de lrsquointervention de deux proceacutedures et de deux autoriteacutes ces
sanctions ne forment pas un tout coheacuterent destineacute agrave reacutepondre agrave ce type
drsquoinfraction En effet ces proceacutedures seraient eacutetroitement lieacutees et devraient
degraves lors pouvoir ecirctre cumuleacutees
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 33
ii) Dans les arrecircts rendus contre la Finlande le 20 mai 2014 le critegravere
principal retenu par la Cour pour ne pas accepter la reacutepeacutetition des
proceacutedures aurait eacuteteacute lrsquoindeacutependance totale des proceacutedures fiscale et peacutenale
lrsquoune par rapport agrave lrsquoautre Or ces deux types de proceacutedures devraient ecirctre
regardeacutes comme ayant un lien mateacuteriel et temporel degraves lors qursquoil existe un
eacutechange drsquoinformations entre les deux autoriteacutes et que les proceacutedures sont
conduites simultaneacutement Les eacuteleacutements factuels devraient deacutemontrer une
compleacutementariteacute entre ces proceacutedures
Agrave titre drsquoillustration le gouvernement franccedilais analyse de faccedilon deacutetailleacutee
comment dans le systegraveme national les proceacutedures peacutenale et fiscale sont
imbriqueacutees se chevauchent en droit et en pratique et sont conduites
simultaneacutement Le principe de proportionnaliteacute impliquerait que le montant
global des sanctions eacuteventuellement prononceacutees ne deacutepasse pas le montant
le plus eacuteleveacute encouru au titre de lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions
Pour deacuteterminer si les proceacutedures peacutenales et fiscales peuvent passer pour
suffisamment lieacutees dans le temps seules devraient ecirctre consideacutereacutees les
phases de controcircle par lrsquoadministration fiscale et drsquoenquecircte judiciaire Ces
deux phases devraient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou dans un deacutelai tregraves
rapprocheacute En revanche il nrsquoapparaicirctrait pas pertinent pour appreacutecier si le
lien temporel entre les proceacutedures est suffisamment eacutetroit de prendre en
compte la dureacutee de la proceacutedure judiciaire devant les tribunaux appeleacutes agrave
statuer sur lrsquoaction peacutenale et sur le bien-fondeacute des peacutenaliteacutes fiscales En
effet la dureacutee de reacuteponse des diffeacuterentes juridictions deacutependrait drsquoeacuteleacutements
exteacuterieurs et parfois propres au contribuable Ainsi ce dernier pourrait
choisir de ralentir deacutelibeacutereacutement la dureacutee de la proceacutedure devant lrsquoune des
juridictions par la multiplication de demandes ou la production drsquoeacutecritures
nombreuses qui devraient ecirctre soumises au contradictoire ou encore par
lrsquoexercice de recours
LrsquoEacutetat devrait disposer drsquoune marge drsquoappreacuteciation pour deacutefinir les
sanctions approprieacutees agrave certains comportements qui peuvent causer des
preacutejudices distincts Ainsi il devrait pouvoir faire face agrave une telle situation
tout en apportant une reacuteponse unique en confiant agrave plusieurs autoriteacutes ndash
judiciaires et administratives ndash le soin drsquoapporter une reacuteponse adapteacutee
97 Le gouvernement grec soutient que lrsquoexistence de proceacutedures
seacutepareacutees et conseacutecutives au cours desquelles des mesures drsquoordre peacutenal
identiques ou non sont imposeacutees agrave un requeacuterant est lrsquoeacuteleacutement deacuteterminant et
crucial pour qursquoil y ait laquo reacutepeacutetition raquo (laquo bis raquo) Pour lui le principe non bis
in idem nrsquoest pas meacuteconnu si diverses mesures drsquoordre laquo peacutenal raquo mecircme
distinctes les unes des autres venaient agrave ecirctre imposeacutees par diffeacuterentes
juridictions peacutenales et administratives degraves lors que les sanctions sont toutes
consideacutereacutees dans leur globaliteacute pour fixer le quantum de la peine (RT
c Suisse deacutecision preacuteciteacutee)
98 Cependant le gouvernement grec signale lrsquoarrecirct Kapetanios et
autres c Gregravece (nos 345312 4294112 et 902813 sect 72 30 avril 2015)
34 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
dans lequel la Cour a jugeacute que la regravegle non bis in idem ne serait pas
enfreinte en principe si les deux sanctions agrave savoir une privation de liberteacute
et une condamnation peacutecuniaire eacutetaient imposeacutees dans le cadre drsquoune seule
et mecircme proceacutedure judiciaire Selon lui nonobstant cet exemple il est
eacutevident que la Cour attache une grande importance agrave ce que lrsquoimposition de
sanctions peacutenales et administratives ait eacuteteacute lrsquoobjet drsquoun examen judiciaire
global
99 Le gouvernement grec ne se dissocie pas pour autant de lrsquoavis de la
Cour suprecircme norveacutegienne qui a dit en lrsquoespegravece que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permettait au moins dans une certaine mesure la conduite de
proceacutedures parallegraveles Crsquoest ce que confirmerait sans ambiguiumlteacute lrsquoarrecirct rendu
par la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 34 de cet arrecirct reproduit
au paragraphe 52 ci-dessus)
La CJUE aurait preacuteciseacute que crsquoest agrave la juridiction de renvoi qursquoil
appartient drsquoappreacutecier agrave la lumiegravere des critegraveres eacutenonceacutes srsquoil y a lieu de
proceacuteder agrave un examen du cumul de sanctions fiscales et peacutenales preacutevu par la
leacutegislation nationale par rapport aux standards nationaux crsquoest-agrave-dire ceux
applicables aux violations du droit national de nature et drsquoimportance
similaires degraves lors que le choix des sanctions relegraveve de la marge
drsquoappreacuteciation de lrsquoEacutetat membre elle aurait ainsi estimeacute que crsquoeacutetait au juge
national de dire si le cumul des sanctions eacutetait contraire agrave ces standards
pourvu que les sanctions restantes fussent effectives proportionneacutees et
dissuasives (paragraphe 37 de cet arrecirct reproduit au paragraphe 52
ci-dessus)
Le gouvernement grec juge pertinent en lrsquoespegravece cet arrecirct de la CJUE
Plus preacuteciseacutement on pourrait deacuteduire mutatis mutandis de lrsquointerpreacutetation
qui y est livreacutee que le juge national avait conclu agrave bon droit en vertu de sa
marge drsquoappreacuteciation comme constateacute par la CJUE que le cumul des
sanctions en cause imposeacutees agrave lrsquoissue de proceacutedures dites laquo parallegraveles raquo
dans le cadre drsquoune collaboration eacutetroite entre deux autoriteacutes distinctes
nrsquoavait pas enfreint les standards nationaux alors mecircme qursquoil avait estimeacute
pour lrsquoessentiel que les sanctions fiscales eacutetaient laquo de nature peacutenale raquo Au vu
des arguments exposeacutes au paragraphe 97 ci-dessus on pourrait
raisonnablement conclure que des proceacutedures parallegraveles qui conduiraient agrave
lrsquoimposition de sanctions diffeacuterentes par des autoriteacutes diffeacuterentes nettement
distinctes en droit ne seraient pas interdites par lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
degraves lors que ces proceacutedures satisferaient au critegravere du lien temporel et
mateacuteriel eacutetroit Ce critegravere permettrait de reacutepondre agrave la question
fondamentale de lrsquoexistence ou non drsquoune reacutepeacutetition
100 Srsquoappuyant sur le paragraphe 83 de lrsquoarrecirct preacuteciteacute Sergueiuml
Zolotoukhine le gouvernement suisse soutient que la garantie eacutenonceacutee agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu agrave lrsquoouverture de nouvelles
poursuites lorsque la deacutecision anteacuterieure drsquoacquittement ou de
condamnation est deacutejagrave passeacutee en force de chose jugeacutee Le fait qursquoune
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 35
proceacutedure peacutenale nrsquoeacutetait pas encore acheveacutee agrave lrsquoouverture drsquoune proceacutedure
administrative ne serait donc en soi pas probleacutematique agrave lrsquoeacutegard du
principe non bis in idem (il mentionne mutatis mutandis Kapetanios et
autres preacuteciteacute sect 72) Par conseacutequent des proceacutedures parallegraveles seraient
admissibles au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La preacutesente affaire
donnerait agrave la Grande Chambre lrsquooccasion de confirmer cette jurisprudence
La justification drsquoun systegraveme mixte reacutesiderait principalement dans le fait
que le droit administratif et le droit peacutenal sont de nature diffeacuterente et visent
des buts distincts fonction preacuteventive et eacuteducative pour le premier et
fonction reacutepressive pour le second
Le gouvernement suisse estime que si agrave la lumiegravere des critegraveres Engel la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo a eacuteteacute eacutelargie au-delagrave des
cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal (malum in se) agrave drsquoautres domaines
(malum quia prohibitum) les accusations en matiegravere peacutenale nrsquoont pas toutes
le mecircme poids Srsquoagissant par exemple des majorations drsquoimpocirct ndash qui ne
feraient pas partie du noyau dur du droit peacutenal ndash les garanties offertes par le
volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne devraient pas neacutecessairement srsquoappliquer dans
toute leur rigueur (il mentionne lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute sect 43) Il ne faudrait
pas lrsquooublier lorsqursquoil srsquoagit de deacuteterminer le champ drsquoapplication de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
La preacutevisibiliteacute du cumul de sanctions administratives et de sanctions
peacutenales constituerait un autre facteur agrave prendre en compte dans
lrsquoappreacuteciation du systegraveme mixte en cause (il eacutevoque lrsquoarrecirct Maszni
c Roumanie no 5989200 sect 68 21 septembre 2006)
Selon le gouvernement suisse la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine ne
doit pas ecirctre interpreacuteteacutee ou deacuteveloppeacutee de maniegravere agrave couvrir lrsquoensemble des
systegravemes preacutevoyant de sanctionner par les voies administrative et peacutenale les
infractions peacutenales indeacutependamment du fait que des autoriteacutes distinctes
disposant de compeacutetences distinctes et poursuivant des buts distincts
rendent des deacutecisions sur le mecircme ensemble de faits Cette conclusion
srsquoimposerait en tout cas dans les affaires preacutesentant un lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit entre les proceacutedures peacutenale et administrative
tel que requis par la Cour (il srsquoappuie sur les affaires suivantes ougrave la Cour a
conclu que cette condition avait eacuteteacute satisfaite Boman c Finlande
no 4160411 sect 41 17 feacutevrier 2015 avec une reacutefeacuterence aux deacutecisions
preacuteciteacutees RT c Suisse et Nilsson c Suegravede et agrave lrsquoarrecirct preacuteciteacute Maszni) Le
gouvernement suisse invite la Grande Chambre agrave saisir lrsquooccasion de la
preacutesente affaire pour confirmer cette approche qui nrsquoest pas selon lui
proscrite en elle-mecircme en lrsquoeacutetat de la jurisprudence
4 Appreacuteciation de la Cour
101 La Cour passera tout drsquoabord en revue sa jurisprudence pertinente
pour lrsquointerpreacutetation et lrsquoapplication du principe non bis in idem eacutenonceacute agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (parties a) agrave c) ci-dessous) Elle srsquoattachera agrave en
36 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
tirer les conclusions et critegraveres utiles et agrave apporter les eacuteclaircissements
neacutecessaires agrave lrsquoanalyse de la preacutesente affaire (partie d) ci-dessous) Enfin
elle appliquera ce principe dans lrsquointerpreacutetation qursquoelle aura deacutegageacutee aux
faits deacutenonceacutes par les requeacuterants (partie e) ci-dessous)
a) Questions geacuteneacuterales drsquointerpreacutetation
102 La Cour constate que dans les observations des parties et des tiers
intervenants il nrsquoy a guegravere de deacutesaccord quant agrave la principale contribution
qursquoapporte lrsquoarrecirct de Grande Chambre Sergueiuml Zolotoukhine agrave savoir la
clarification des critegraveres agrave lrsquoaune desquels il faut eacutevaluer si lrsquoinfraction pour
laquelle un requeacuterant a eacuteteacute jugeacute ou puni au cours de la seconde proceacutedure
eacutetait la mecircme (idem) que celle pour laquelle une deacutecision avait eacuteteacute rendue au
cours de la premiegravere proceacutedure (voir les paragraphes 70 agrave 84 de cet arrecirct) Il
nrsquoy a pas non plus de deacutesaccord majeur quant aux critegraveres permettant de
deacuteterminer quand une deacutecision laquo deacutefinitive raquo a eacuteteacute rendue qui sont eacutenonceacutes
dans cet arrecirct
103 En revanche les avis divergent quant agrave la meacutethode agrave employer afin
de deacuteterminer si la proceacutedure se rapportant agrave lrsquoapplication de majorations
drsquoimpocirct eacutetait laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 sachant que
cette question est susceptible drsquoavoir une incidence sur lrsquoapplicabiliteacute de
lrsquointerdiction poseacutee par cette disposition de la double incrimination
104 En outre il y a des divergences drsquoapproche (notamment entre
drsquoune part les requeacuterants et drsquoautre part le gouvernement deacutefendeur et les
gouvernements intervenants) sur la question de la reacutepeacutetition des poursuites
en particulier sur la mesure dans laquelle les proceacutedures parallegraveles ou mixtes
sont permises au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
b) Critegraveres pertinents pour deacuteterminer si la premiegravere proceacutedure est
laquo peacutenale raquo divergences drsquoapproche dans la jurisprudence
105 Dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute) la Cour a appliqueacute afin
de deacuteterminer si les proceacutedures en question pouvaient ecirctre regardeacutees comme
laquo peacutenales raquo sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 les trois critegraveres
Engel preacuteceacutedemment eacutelaboreacutes pour les besoins de lrsquoarticle 6 de la
Convention agrave savoir 1) laquo la qualification juridique de lrsquoinfraction en droit
interne raquo 2) laquo la nature mecircme de lrsquoinfraction raquo et 3) le degreacute de seacuteveacuteriteacute de
la sanction dont lrsquointeacuteresseacute est passible les deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres
eacutetant alternatifs et pas neacutecessairement cumulatifs mais sans exclure une
approche cumulative Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine nrsquoa donc pas repris ndash
alors qursquoil aurait pu le faire ndash le raisonnement suivi dans une seacuterie drsquoaffaires
anteacuterieures (voir par exemple la deacutecision preacuteciteacutee Storbraringten) ougrave avait eacuteteacute
retenue une liste plus large et non exhaustive de facteurs sans que la Cour
ait preacuteciseacute quel eacutetait leur poids respectif ni srsquoil fallait les appliquer
alternativement ou cumulativement Les gouvernements franccedilais et
norveacutegien invitent agrave preacutesent la Cour agrave saisir cette occasion pour dire si ce
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 37
sont ces derniers critegraveres plus nombreux qui srsquoappliquent (paragraphes 66 agrave
68 et 90-91 ci-dessus)
106 Il existe un certain nombre drsquoarguments en faveur drsquoune telle
interpreacutetation en particulier le fait que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a
apparemment eacuteteacute conccedilu par ses auteurs pour viser les proceacutedures peacutenales au
sens strict et la circonstance que ndash agrave lrsquoinverse de lrsquoarticle 6 mais agrave lrsquoinstar de
lrsquoarticle 7 ndash il nrsquoest pas susceptible de deacuterogation au titre de lrsquoarticle 15 Si
lrsquoarticle 6 se contente drsquoeacutenoncer des garanties drsquoeacutequiteacute proceacutedurales
notamment en matiegravere peacutenale lrsquointerdiction de la double incrimination
poseacutee agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a certaines conseacutequences ndash qui peuvent
ecirctre importantes ndash sur les modaliteacutes drsquoapplication des regravegles de droit
national reacutegissant les sanctions peacutenales et administratives dans de nombreux
domaines Cette derniegravere disposition implique une analyse plus pousseacutee du
droit peacutenal mateacuteriel puisqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir si les infractions respectives
visent le mecircme comportement (idem) Ces diffeacuterences ainsi que lrsquoabsence
de convergence entre les systegravemes nationaux des Eacutetats contractants le degreacute
variable de volonteacute de la part desdits Eacutetats drsquoecirctre tenus par le Protocole no 7
et la marge drsquoappreacuteciation eacutetendue dont ils jouissent geacuteneacuteralement dans le
choix de leurs systegravemes et politiques en matiegravere peacutenale (Nykaumlnen preacuteciteacute
sect 48 et mutatis mutandis Achour c France [GC] no 6733501 sect 44
CEDH 2006-IV) sont tout agrave fait propres agrave justifier un groupe plus vaste de
critegraveres drsquoapplicabiliteacute davantage axeacutes sur le droit national sur le modegravele
de ceux retenus pour les besoins de lrsquoarticle 7 et auparavant de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (crsquoest-agrave-dire avant lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine) et donc un
champ drsquoapplication plus eacutetroit que sous lrsquoempire de lrsquoarticle 6
107 Cependant si ainsi qursquoil a eacuteteacute souligneacute lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoest pas explicite sur ce point il faut supposer que la Cour a
deacutelibeacutereacutement choisi dans cet arrecirct de retenir les critegraveres Engel comme le
modegravele agrave suivre pour deacuteterminer si la proceacutedure en cause est laquo peacutenale raquo pour
les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Aux yeux de la Cour il ne paraicirct
pas justifieacute qursquoelle srsquoeacutecarte de cette analyse en lrsquoespegravece car des
consideacuterations de poids militent vraiment en faveur drsquoun tel choix Le
principe non bis in idem vise principalement lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale qui est
lrsquoobjet de lrsquoarticle 6 et srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que
lrsquoarticle 7 La Cour estime preacutefeacuterable dans un souci de coheacuterence de
lrsquointerpreacutetation de la Convention consideacutereacutee globalement que lrsquoapplicabiliteacute
de ce principe soit reacutegie par les critegraveres plus preacutecis deacutefinis dans lrsquoarrecirct
Engel Cela eacutetant dit ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute admis ci-dessus degraves lors que le
principe non bis in idem est jugeacute applicable une approche moduleacutee
srsquoimpose agrave lrsquoeacutevidence pour eacutevaluer la maniegravere dont il est mis en œuvre
srsquoagissant de proceacutedures mecirclant sanctions administratives et sanctions
peacutenales
38 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
c) Jurisprudence de la Convention en matiegravere de proceacutedures mixtes
i Lrsquoapport de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
108 Lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine concernait deux proceacutedures qui
avaient chacune pour objet des actes perturbateurs agrave lrsquoencontre drsquoun agent
public et dans le cadre desquelles lrsquoissue de la proceacutedure administrative eacutetait
devenue deacutefinitive avant mecircme le deacutebut de la proceacutedure peacutenale (Sergueiuml
Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 18 agrave 20 et 109) Lrsquoapport le plus notable de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine est drsquoavoir dit que le point de savoir si les infractions
en question eacutetaient les mecircmes (idem) deacutependait drsquoune analyse axeacutee sur les
faits (ibidem sect 84) plutocirct que par exemple drsquoun examen formel consistant agrave
comparer les laquo eacuteleacutements essentiels raquo des infractions Lrsquointerdiction vise
lrsquoinculpation ou le jugement pour une seconde laquo infraction raquo pour autant que
celle-ci a pour origine des faits identiques ou des faits qui sont en substance
les mecircmes (ibidem sect 82)
109 De plus en rappelant que le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 eacutetait
drsquointerdire la reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales trancheacutees par une deacutecision
laquo deacutefinitive raquo crsquoest-agrave-dire laquo passeacutee en force de chose jugeacutee raquo lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine a preacuteciseacute que les deacutecisions susceptibles drsquoun recours ordinaire
ne beacuteneacuteficiaient pas de la garantie que renfermait cette disposition tant que
le deacutelai de recours nrsquoeacutetait pas expireacute
110 En outre la Cour a dit sans ambiguiumlteacute que lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 visait non pas seulement le cas drsquoune double condamnation
mais aussi celui des doubles poursuites et que dans le cas contraire il
nrsquoaurait pas eacuteteacute neacutecessaire de mettre le terme laquo poursuivi raquo avant le terme
laquo puni raquo car il ne pourrait qursquoen constituer un doublon La Cour a ajouteacute
que cette disposition srsquoappliquait mecircme si lrsquoindividu concerneacute nrsquoavait fait
lrsquoobjet que de simples poursuites nrsquoayant pas abouti agrave une condamnation
Elle a souligneacute que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 renfermait trois garanties
distinctes et disposait que nul i ne pouvait ecirctre poursuivi ii jugeacute ou
iii puni deux fois pour les mecircmes faits (ibidem sect 110)
111 Il faut toutefois souligner que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine ne
donne guegravere drsquoindications lorsque les proceacutedures en reacutealiteacute ne se reacutepegravetent
pas mais sont plutocirct combineacutees et inteacutegreacutees de maniegravere agrave former un tout
coheacuterent
ii La jurisprudence sur les proceacutedures mixtes anteacuterieurement et
posteacuterieurement agrave lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
112 Depuis lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine et comme crsquoeacutetait deacutejagrave le cas
auparavant il est admis par la Cour que lrsquoimposition par des autoriteacutes
diffeacuterentes de sanctions diffeacuterentes pour le mecircme comportement est permise
dans une certaine mesure au titre de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nonobstant
lrsquoexistence drsquoune deacutecision deacutefinitive Cette conclusion peut se comprendre
comme eacutetant fondeacutee sur lrsquoideacutee que le cumul de sanctions dans les affaires de
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 39
ce genre doit srsquoanalyser comme un tout en conseacutequence de quoi il serait
artificiel drsquoy voir une reacutepeacutetition de proceacutedures impliquant que lrsquointeacuteresseacute a
eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au
meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La question srsquoest poseacutee dans quatre
types de situations
113 Agrave lrsquoorigine de cette analyse interpreacutetative de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 se trouve une premiegravere cateacutegorie drsquoaffaires qui remonte agrave la
deacutecision RT c Suisse (deacutecision preacuteciteacutee) Dans cette affaire lrsquoOffice
feacutedeacuteral suisse des routes avait retireacute son permis de conduire au requeacuterant en
mai 1993 pour une dureacutee de quatre mois pour conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
Cette mesure avait finalement eacuteteacute confirmeacutee par la Commission des recours
administratifs puis par le Tribunal feacutedeacuteral (en deacutecembre 1995)
Parallegravelement en juin 1993 les autoriteacutes cantonales de Gossau avaient
deacutelivreacute agrave lrsquoencontre du requeacuterant une ordonnance peacutenale qui le condamnait agrave
une peine drsquoemprisonnement avec sursis et agrave une amende de 1 100 francs
suisses Nrsquoayant pas fait lrsquoobjet de recours cette ordonnance passa en force
de chose jugeacutee
La Cour a conclu que les autoriteacutes suisses nrsquoavaient fait que retenir les
trois types de sanctions cumulables preacutevues par la loi pour une telle
infraction agrave savoir une peine drsquoemprisonnement une amende et le retrait du
permis de conduire Elle a constateacute que ces sanctions avaient eacuteteacute prononceacutees
parallegravelement par deux autoriteacutes diffeacuterentes lrsquoune administrative et lrsquoautre
peacutenale Selon elle on ne pouvait donc pas y voir eu eacutegard agrave sa
jurisprudence une reacutepeacutetition de poursuites peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
De la mecircme maniegravere si la deacutecision Nilsson (preacuteciteacutee) concernait elle
aussi une sanction peacutenale (50 heures de travail drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) et le retrait
du permis de conduire (pour une dureacutee de dix-huit mois) agrave raison drsquoune
infraction routiegravere le grief a eacuteteacute rejeteacute sur la base drsquoun raisonnement plus
eacutelaboreacute qui a introduit pour la premiegravere fois le critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo
La Cour a jugeacute que le retrait du permis de conduire eacutetait une conseacutequence
directe et preacutevisible de la condamnation anteacuterieure du requeacuterant pour les
mecircmes deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis
et que faisant suite agrave une condamnation peacutenale il relevait de la matiegravere
laquo peacutenale raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Elle a ajouteacute
que indeacutependamment de la condamnation peacutenale anteacuterieure un retrait de
permis drsquoune dureacutee de dix-huit mois constituait en soi par sa seacuteveacuteriteacute une
mesure pouvant ordinairement passer pour une sanction peacutenale Elle a
conclu que quand bien mecircme les diffeacuterentes sanctions avaient eacuteteacute
prononceacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures diffeacuterentes
il existait entre ces sanctions un lien mateacuteriel et temporel suffisamment
eacutetroit pour que lrsquoon pucirct consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des
40 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
mesures preacutevues par le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de
conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute avanceacute et de conduite sans permis On ne pouvait
donc pas selon elle deacuteduire du retrait litigieux que le requeacuterant avait eacuteteacute
laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune infraction pour laquelle
il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute () condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de
lrsquoarticle 4 sect 1 du Protocole no 7
De mecircme dans lrsquoarrecirct Boman (preacuteciteacute) la Cour a jugeacute qursquoil existait un
lien mateacuteriel et temporel suffisant entre drsquoune part la proceacutedure peacutenale agrave
lrsquoissue de laquelle le requeacuterant avait eacuteteacute reconnu coupable et condamneacute agrave
75 jours-amende (soit 450 EUR) ainsi qursquoagrave une interdiction de conduire
(drsquoune dureacutee de quatre mois et trois semaines) et drsquoautre part la proceacutedure
administrative ulteacuterieure qui srsquoeacutetait soldeacutee par la prolongation de
lrsquointerdiction de conduire (drsquoune dureacutee drsquoun mois)
114 Dans une deuxiegraveme seacuterie drsquoaffaires la Cour a confirmeacute que les
proceacutedures parallegraveles ne sont pas exclues dans les affaires combinant
majorations drsquoimpocirct dans une proceacutedure administrative et poursuites
condamnations et sanctions pour fraude fiscale dans une proceacutedure peacutenale
tout en concluant qursquoil nrsquoavait pas eacuteteacute satisfait au critegravere du laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo au vu des circonstances particuliegraveres propres
agrave chaque cas Il srsquoagit drsquoaffaires concernant la Finlande (notamment Glantz
preacuteciteacute sect 57 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 47) et la Suegravede (Lucky Dev c Suegravede
no 735610 sect 58 27 novembre 2014) Dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen ougrave est exposeacutee
lrsquoapproche suivie dans les autres affaires dirigeacutees contre la Finlande et la
Suegravede la Cour a conclu au vu du dossier que dans le systegraveme finlandais les
sanctions peacutenales et administratives avaient eacuteteacute infligeacutees par des autoriteacutes
diffeacuterentes sans que les proceacutedures aient le moindre lien entre elles elles
avaient chacune suivi leur propre cheminement et avaient pris fin
indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre De plus chaque juridiction ou autoriteacute
avait fixeacute le quantum de la peine sans tenir compte de la sanction prononceacutee
par lrsquoautre et elles nrsquoavaient eu aucun eacutechange entre elles Surtout dans le
systegraveme finlandais les majorations drsquoimpocirct eacutetaient appliqueacutees agrave lrsquoissue drsquoun
examen du comportement du contrevenant et de lrsquoapplicabiliteacute agrave son eacutegard
de la leacutegislation fiscale pertinente indeacutependamment de lrsquoappreacuteciation au
peacutenal La Cour a donc conclu agrave la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
au motif que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois pour les mecircmes faits
dans le cadre de deux proceacutedures distinctes
On peut trouver un raisonnement et des conclusions identiques (ou
quasiment identiques) agrave propos de faits analogues dans les arrecircts Rinas
c Finlande (no 1703913 27 janvier 2015) et Oumlsterlund c Finlande
(no 5319713 10 feacutevrier 2015)
Il faut noter que si dans certaines de ces affaires (Nykaumlnen Glantz
Lucky Dev Rinas Oumlsterlund) les deux proceacutedures avaient eacuteteacute conduites
dans une large mesure simultaneacutement le lien temporel a eacuteteacute manifestement
jugeacute insuffisant agrave lui seul pour exclure lrsquoapplication de la regravegle non bis in
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 41
idem Il ne semble pas deacuteraisonnable de deacuteduire de ces arrecircts concernant la
Finlande et la Suegravede que les deux proceacutedures ayant agrave chaque fois eacuteteacute
meneacutees dans une large mesure simultaneacutement crsquoest lrsquoabsence de lien
mateacuteriel qui au vu des circonstances propres agrave chaque affaire a provoqueacute la
violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
115 Dans une troisiegraveme seacuterie drsquoaffaires ougrave les proceacutedures avaient eacuteteacute
conduites en parallegravele pendant un certain temps la Cour a conclu agrave la
violation mais sans se reacutefeacuterer au critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo
Dans lrsquoaffaire preacuteciteacutee Tomasović (sectsect 5-10 et 30-32) le requeacuterant avait
eacuteteacute poursuivi et condamneacute deux fois pour la mecircme infraction de possession
de stupeacutefiants drsquoabord en tant qursquolaquo infraction mineure raquo (jugeacutee laquo peacutenale raquo
au vu des deuxiegraveme et troisiegraveme critegraveres Engel ndash ibidem sectsect 22-25) puis en
tant qursquolaquo infraction peacutenale raquo Faute pour la seconde proceacutedure drsquoavoir eacuteteacute
abandonneacutee agrave la conclusion de la premiegravere la Cour a estimeacute eacutevident qursquoil y
avait eu une reacutepeacutetition de proceacutedures peacutenales contraire agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 (voir de la mecircme maniegravere Muslija preacuteciteacute sectsect 28-32 et 37
srsquoagissant de coups et blessures aggraveacutes)
De mecircme dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres c Italie (nos 1864010
1864710 1866310 1866810 et 1869810 4 mars 2014) la Cour a
constateacute qursquoil y avait eu une double proceacutedure relative au mecircme
comportement frauduleux en lrsquooccurrence une manipulation du marcheacute par
la diffusion de fausses informations drsquoune part une proceacutedure
administrative (du 9 feacutevrier 2007 au 23 juin 2009) qualifieacutee de laquo peacutenale raquo agrave
lrsquoaune des critegraveres Engel conduite devant la Commission nationale des
socieacuteteacutes et de la bourse (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa)
puis devant la cour drsquoappel et la Cour de cassation conclue par lrsquoimposition
drsquoune amende de 3 000 000 EUR assortie drsquoune interdiction drsquoexercer
certaines activiteacutes professionnelles et drsquoautre part une proceacutedure peacutenale (du
7 novembre 2008 au 28 feacutevrier 2013 et au-delagrave toujours en cours agrave la date
de lrsquoarrecirct) conduite devant le tribunal de premiegravere instance la Cour de
cassation et la cour drsquoappel Son constat que la nouvelle instance concernait
une seconde laquo infraction raquo neacutee de faits identiques agrave ceux qui avaient donneacute
lieu agrave la premiegravere condamnation devenue deacutefinitive lui a suffi agrave conclure agrave
la violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
116 Quatriegravemement lrsquoarrecirct Kapetanios et autres (preacuteciteacute) confirmeacute par
lrsquoarrecirct Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin
2016 constitue un autre exemple distinct drsquoabsence de lien mateacuteriel ne
faisant pas explicitement reacutefeacuterence agrave ce critegravere tireacute de la deacutecision Nilsson
(preacuteciteacutee) Dans ces affaires les requeacuterants furent tout drsquoabord acquitteacutes
drsquoinfractions douaniegraveres agrave lrsquoissue de proceacutedures peacutenales Par la suite malgreacute
les acquittements les juridictions administratives leur infligegraverent de lourdes
amendes administratives pour le mecircme comportement Convaincue que ces
derniegraveres proceacutedures eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins de lrsquoarticle 4 du
42 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
Protocole no 7 la Cour a conclu agrave la violation de cette disposition (voir les
paragraphes 73 et 47 de ces arrecircts respectivement)
d) Conclusions agrave tirer de la jurisprudence
117 Si les Eacutetats contractants ont le devoir particulier de proteacuteger les
inteacuterecircts speacutecifiques du justiciable que lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entend
sauvegarder il est aussi neacutecessaire ainsi que cela a deacutejagrave eacuteteacute indiqueacute au
paragraphe 106 ci-dessus de laisser aux autoriteacutes nationales le choix des
moyens agrave utiliser pour y parvenir Il ne faut pas oublier agrave cet eacutegard que le
droit de ne pas ecirctre jugeacute ou puni deux fois nrsquoeacutetait pas inscrit dans la
Convention adopteacutee en 1950 mais qursquoil a eacuteteacute ajouteacute dans un septiegraveme
protocole adopteacute en 1984 et entreacute en vigueur en 1988 soit pregraves de
40 anneacutees plus tard Quatre Eacutetats (lrsquoAllemagne les Pays-Bas le Royaume-
Uni et la Turquie) nrsquoont pas ratifieacute le Protocole no 7 et lrsquoun drsquoentre eux
(lrsquoAllemagne) ainsi que quatre Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute (lrsquoAutriche la France
lrsquoItalie et le Portugal) ont eacutemis des reacuteserves ou des deacuteclarations
interpreacutetatives preacutecisant que le mot laquo peacutenalement raquo devait leur ecirctre appliqueacute
selon le sens donneacute agrave cette notion dans leurs lois nationales respectives
(Signalons que les reacuteserves formuleacutees par lrsquoAutriche et lrsquoItalie ont eacuteteacute jugeacutees
non valables parce qursquoelles nrsquoeacutetaient pas accompagneacutees drsquoun bref exposeacute de
la loi en cause comme le veut lrsquoarticle 57 sect 2 (voir respectivement
Gradinger c Autriche 23 octobre 1995 sect 51 seacuterie A no 328-C et Grande
Stevens preacuteciteacute sectsect 204-211) contrairement agrave la reacuteserve eacutemise par la France
(Goumlktan c France no 3340296 sect 51 CEDH 2002-V))
118 La Cour souligne eacutegalement lrsquoobservation formuleacutee par lrsquoavocat
geacuteneacuteral pregraves la CJUE dans lrsquoaffaire Fransson (paragraphe 51 ci-dessus)
selon laquelle lrsquoimposition de sanctions sur la base tant du droit
administratif que du droit peacutenal pour la mecircme infraction est une pratique
tregraves reacutepandue dans les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne surtout dans
des domaines tels que la fiscaliteacute les politiques environnementales ou la
seacutecuriteacute publique Lrsquoavocat geacuteneacuteral a ajouteacute que les modaliteacutes relatives au
cumul des sanctions variaient eacutenormeacutement selon les ordres juridiques et
revecirctaient des caracteacuteristiques speacutecifiques propres agrave chaque Eacutetat membre et
que dans la plupart des cas ces speacutecificiteacutes visaient agrave atteacutenuer les effets
drsquoune double reacuteaction punitive de la part des pouvoirs publics
119 Par ailleurs pas moins de six Eacutetats parties au Protocole no 7 sont
intervenus en la preacutesente instance exprimant surtout des opinions et des
preacuteoccupations sur des points drsquointerpreacutetation que partage aussi dans une
large mesure le gouvernement deacutefendeur
120 Dans ces conditions il faut souligner agrave titre liminaire que comme
la Cour le reconnaicirct dans une jurisprudence constante crsquoest aux Eacutetats
contractants qursquoil revient au premier chef de deacutecider de lrsquoorganisation de
leur systegraveme juridique y compris de leurs proceacutedures peacutenales (voir par
exemple Taxquet c Belgique [GC] no 92605 sect 83 CEDH 2010) Par
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 43
exemple rien dans la Convention nrsquointerdit dans tel ou tel cas de seacuteparer en
diffeacuterentes phases ou parties le processus de fixation de la peine de sorte
que diffeacuterentes peines peuvent ecirctre prononceacutees successivement ou
parallegravelement pour une infraction qursquoil convient de qualifier de laquo peacutenale raquo
au sens autonome que revecirct ce mot sur le terrain de la Convention (voir par
exemple Phillips c Royaume-Uni no 4108798 sect 34 CEDH 2001-VII
affaire qui concernait des griefs tireacutes sur le terrain de lrsquoarticle 6 drsquoune
proceacutedure de confiscation des recettes issues drsquoinfractions agrave la leacutegislation
sur les stupeacutefiants dirigeacutee contre un individu et intervenant agrave la suite drsquoune
condamnation du mecircme individu pour ces mecircmes infractions)
121 Aux yeux de la Cour les Eacutetats devraient pouvoir leacutegitimement
opter pour des reacuteponses juridiques compleacutementaires face agrave certains
comportements dangereux pour la socieacuteteacute (par exemple le non-respect du
code de la route le non-paiement des impocircts ou lrsquoeacutevasion fiscale) au moyen
de diffeacuterentes proceacutedures formant un tout coheacuterent de maniegravere agrave traiter sous
ses diffeacuterents aspects le problegraveme social en question pourvu que ces
reacuteponses juridiques combineacutees ne repreacutesentent pas une charge excessive
pour la personne en cause
122 Dans les affaires ougrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 entre en jeu la
Cour a pour tacircche de deacuteterminer si la mesure nationale speacutecifique deacutenonceacutee
constitue dans sa substance ou dans ses effets une double incrimination
portant preacutejudice au justiciable ou si au contraire elle est le fruit drsquoun
systegraveme inteacutegreacute permettant de reacuteprimer un meacutefait sous ses diffeacuterents aspects
de maniegravere preacutevisible et proportionneacutee et formant un tout coheacuterent en sorte
de ne causer aucune injustice agrave lrsquointeacuteresseacute
123 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 ne saurait avoir pour effet drsquointerdire
aux Eacutetats contractants drsquoorganiser leur systegraveme juridique de maniegravere agrave
permettre la majoration agrave un taux standard drsquoimpocircts illeacutegalement impayeacutes ndash
quand bien mecircme une telle mesure serait qualifieacutee en elle-mecircme de
laquo peacutenale raquo pour les besoins des garanties drsquoeacutequiteacute du procegraves preacutevues dans la
Convention ndash aussi dans les cas plus graves ougrave il y aurait peut-ecirctre lieu de
poursuivre lrsquoauteur du meacutefait parce qursquoun eacuteleacutement non retenu dans la
proceacutedure laquo administrative raquo en recouvrement des impocircts par exemple un
comportement frauduleux srsquoajouterait au deacutefaut de paiement Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a pour objet drsquoempecirccher lrsquoinjustice que repreacutesenterait pour
une personne le fait drsquoecirctre poursuivie ou punie deux fois pour le mecircme
comportement deacutelictueux Il ne bannit toutefois pas les systegravemes juridiques
qui traitent de maniegravere laquo inteacutegreacutee raquo le meacutefait neacutefaste pour la socieacuteteacute en
question notamment en reacuteprimant celui-ci dans le cadre de phases parallegraveles
meneacutees par des autoriteacutes diffeacuterentes agrave des fins diffeacuterentes
124 La Cour estime que la jurisprudence preacuteciteacutee portant sur les
proceacutedures parallegraveles ou mixtes creacuteeacutee avec les deacutecisions RT c Suisse et
Nilsson c Suegravede puis reprise dans lrsquoarrecirct Nykaumlnen et une seacuterie drsquoautres
affaires donne des indications utiles qui aident agrave deacutefinir ougrave se trouve le juste
44 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
eacutequilibre entre la preacuteservation neacutecessaire des inteacuterecircts de lrsquoindividu proteacutegeacutes
par le principe non bis in idem drsquoune part et la prise en compte de lrsquointeacuterecirct
particulier pour la socieacuteteacute de pouvoir reacuteglementer de maniegravere calibreacutee le
domaine en question drsquoautre part Cela dit avant de se pencher plus avant
sur les critegraveres pertinents agrave lrsquoaune desquels lrsquoeacutequilibre voulu peut ecirctre
meacutenageacute la Cour juge souhaitable de preacuteciser les conclusions agrave tirer de la
jurisprudence existante
125 Premiegraverement il faut conclure de lrsquoapplication du critegravere du laquo lien
mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit raquo dans les affaires finlandaises et
sueacutedoises reacutecentes qursquoil ne sera pas satisfait agrave ce critegravere si lrsquoun ou lrsquoautre des
deux eacuteleacutements ndash mateacuteriel ou temporel ndash fait deacutefaut (paragraphe 114
ci-dessus)
126 Deuxiegravemement dans certaines affaires la Cour a drsquoabord rechercheacute
si et dans lrsquoaffirmative agrave quel moment lrsquoune des proceacutedures avait fait
lrsquoobjet drsquoune deacutecision laquo deacutefinitive raquo (faisant potentiellement obstacle agrave la
poursuite de lrsquoautre proceacutedure) avant drsquoappliquer le critegravere du laquo lien
suffisamment eacutetroit raquo et de reacutepondre par la neacutegative agrave la question du respect
de la condition de laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire de conclure agrave lrsquoabsence de reacutepeacutetition
(Boman preacuteciteacute sectsect 36 agrave 38) Pour la Cour cependant la question du
caractegravere laquo deacutefinitif raquo ou non drsquoune deacutecision ne se pose pas degraves lors qursquoil y a
non pas une reacutepeacutetition des poursuites agrave proprement parler mais plutocirct une
combinaison de proceacutedures dont on peut consideacuterer qursquoelles forment un tout
inteacutegreacute
127 Troisiegravemement le point preacuteceacutedent a aussi une incidence sur les
preacuteoccupations exprimeacutees par certains des gouvernements intervenants agrave
savoir qursquoil ne faudrait pas exiger que les proceacutedures connexes deviennent
laquo deacutefinitives raquo au mecircme moment faute de quoi la personne concerneacutee
pourrait utiliser le principe non bis in idem agrave des fins de manipulation et
drsquoimpuniteacute Sur ce point la conclusion figurant au paragraphe 51 de lrsquoarrecirct
Nykaumlnen (preacuteciteacute) et dans un certain nombre drsquoarrecircts posteacuterieurs agrave savoir
que laquo lrsquoune et lrsquoautre des proceacutedures suivent leur propre cheminement et
prennent fin indeacutependamment lrsquoune de lrsquoautre raquo doit ecirctre consideacutereacutee comme
un constat de fait dans le reacutegime finlandais examineacute il nrsquoexistait pas de
lien suffisant drsquoun point de vue mateacuteriel entre la proceacutedure administrative et
la proceacutedure peacutenale alors qursquoelles avaient eacuteteacute conduites de maniegravere plus ou
moins simultaneacutee Lrsquoarrecirct Nykaumlnen est un exemple de cas ougrave lrsquoapplication
du critegravere du laquo lien mateacuteriel et temporel suffisant raquo va dans une certaine
direction en fonction des faits
128 Quatriegravemement pour des raisons similaires agrave celles exposeacutees
ci-dessus lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont conduites ne saurait ecirctre
un eacuteleacutement deacutecisif pour se prononcer sur le point de savoir si lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 permet des proceacutedures mixtes ou multiples (comparer avec
les deacutecisions preacuteciteacutees RT c Suisse ougrave un permis de conduire avait eacuteteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 45
retireacute avant lrsquoouverture du procegraves peacutenal et Nilsson c Suegravede ougrave le retrait
eacutetait intervenu apregraves)
129 Enfin il ressort de certaines des affaires susmentionneacutees (Sergueiuml
Zolotoukhine Tomasović et Muslija eacutevoqueacutees au paragraphes 108 et 115
ci-dessus) pour autant que celles-ci concernaient une reacutepeacutetition de
proceacutedures dans lesquelles les objectifs et moyens employeacutes nrsquoeacutetaient pas
compleacutementaires (paragraphe 130 ci-dessous) que la Cour nrsquoeacutetait pas
disposeacutee agrave les examiner comme si elles avaient concerneacute des proceacutedures
parallegraveles ou mixtes susceptibles drsquoecirctre compatibles avec le principe ne bis
in idem comme dans les affaires RT c Suisse Nilsson et Boman
(paragraphe 113 ci-dessus)
130 Il ressort agrave lrsquoeacutevidence de cette analyse de la jurisprudence de la
Cour que srsquoagissant de faits punissables aussi bien sur le terrain du droit
peacutenal que sur celui du droit administratif la maniegravere la plus sucircre de veiller
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau permettant la reacuteunion des
branches parallegraveles du reacutegime leacutegal reacutegissant lrsquoactiviteacute en cause de faccedilon agrave
satisfaire dans le cadre drsquoun seul et mecircme processus aux diffeacuterents
impeacuteratifs poursuivis par la socieacuteteacute dans sa reacuteaction face agrave lrsquoinfraction
Toutefois ainsi qursquoil a eacuteteacute expliqueacute ci-dessus (notamment aux paragraphes
111 et 117 agrave 120) lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 nrsquoexclut pas la conduite de
proceacutedures mixtes mecircme jusqursquoagrave leur terme pourvu que certaines
conditions soient remplies En particulier pour convaincre la Cour de
lrsquoabsence de reacutepeacutetition de procegraves ou de peines (bis) proscrite par lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 lrsquoEacutetat deacutefendeur doit eacutetablir de maniegravere probante que les
proceacutedures mixtes en question eacutetaient unies par un laquo lien mateacuteriel et
temporel suffisamment eacutetroit raquo Autrement dit il doit ecirctre deacutemontreacute que
celles-ci se combinaient de maniegravere agrave ecirctre inteacutegreacutees dans un tout coheacuterent
Cela signifie non seulement que les buts poursuivis et les moyens utiliseacutes
pour y parvenir doivent ecirctre en substance compleacutementaires et preacutesenter un
lien temporel mais aussi que les eacuteventuelles conseacutequences deacutecoulant drsquoune
telle organisation du traitement juridique du comportement en question
doivent ecirctre proportionneacutees et preacutevisibles pour le justiciable
131 Srsquoagissant des conditions agrave satisfaire pour que des proceacutedures
mixtes administratives et peacutenales puissent ecirctre regardeacutees comme preacutesentant
un lien mateacuteriel et temporel suffisant et donc comme compatibles avec le
critegravere de laquo bis raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 la Cour reacutesume
de la maniegravere suivante les consideacuterations pertinentes tireacutees de sa
jurisprudence telle qursquoexamineacutee ci-dessus
132 Les eacuteleacutements pertinents pour statuer sur lrsquoexistence drsquoun lien
suffisamment eacutetroit du point de vue mateacuteriel sont notamment les suivants
ndash le point de savoir si les diffeacuterentes proceacutedures visent des buts
compleacutementaires et concernent ainsi non seulement in abstracto mais aussi
46 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
in concreto des aspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en
cause
ndash le point de savoir si la mixiteacute des proceacutedures en question est une
conseacutequence preacutevisible aussi bien en droit qursquoen pratique du mecircme
comportement reacuteprimeacute (idem)
ndash le point de savoir si les proceacutedures en question ont eacuteteacute conduites drsquoune
maniegravere qui eacutevite autant que possible toute reacutepeacutetition dans le recueil et dans
lrsquoappreacuteciation des eacuteleacutements de preuve notamment gracircce agrave une interaction
adeacutequate entre les diverses autoriteacutes compeacutetentes faisant apparaicirctre que
lrsquoeacutetablissement des faits effectueacute dans lrsquoune des proceacutedures a eacuteteacute repris dans
lrsquoautre
ndash et surtout le point de savoir si la sanction imposeacutee agrave lrsquoissue de la
proceacutedure arriveacutee agrave son terme en premier a eacuteteacute prise en compte dans la
proceacutedure qui a pris fin en dernier de maniegravere agrave ne pas faire porter pour
finir agrave lrsquointeacuteresseacute un fardeau excessif ce dernier risque eacutetant moins
susceptible de se preacutesenter srsquoil existe un meacutecanisme compensatoire conccedilu
pour assurer que le montant global de toutes les peines prononceacutees est
proportionneacute
133 Agrave cet eacutegard il est eacutegalement instructif de tenir compte de la
maniegravere dont lrsquoarticle 6 de la Convention est appliqueacute dans le type drsquoaffaire
aujourdrsquohui examineacutee (Jussila preacuteciteacute sect 43)
laquo () il va de soi que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere
infamant pour ceux qursquoelles visent et que les laquo accusations en matiegravere peacutenale raquo nrsquoont
pas toutes le mecircme poids De surcroicirct en adoptant une interpreacutetation autonome de la
notion drsquolaquo accusation en matiegravere peacutenale raquo par application des critegraveres Engel les
organes de la Convention ont jeteacute les bases drsquoune extension progressive de
lrsquoapplication du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 agrave des domaines qui ne relegravevent pas
formellement des cateacutegories traditionnelles du droit peacutenal telles que les
contraventions administratives () les punitions pour manquement agrave la discipline
peacutenitentiaire () les infractions douaniegraveres () les sanctions peacutecuniaires infligeacutees
pour violation du droit de la concurrence () et les amendes infligeacutees par des
juridictions financiegraveres () Les majorations drsquoimpocirct ne faisant pas partie du noyau
dur du droit peacutenal les garanties offertes par le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 ne doivent pas
neacutecessairement srsquoappliquer dans toute leur rigueur () raquo
Le raisonnement ci-dessus permet de deacutegager les eacuteleacutements pertinents
lorsqursquoil faut deacuteterminer si lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 a eacuteteacute respecteacute dans
les affaires de proceacutedures mixtes (administratives et peacutenales) De plus
comme la Cour lrsquoa deacutejagrave dit agrave de nombreuses reprises la Convention doit se
lire comme un tout et srsquointerpreacuteter de maniegravere agrave promouvoir sa coheacuterence
interne et lrsquoharmonie entre ses diverses dispositions (Klass et autres
c Allemagne 6 septembre 1978 sect 68 seacuterie A no 28 voir aussi Maaouia
c France [GC] no 3965298 sect 36 CEDH 2000-X Kudła c Pologne [GC]
no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et Stec et autres c Royaume-Uni (deacutec)
[GC] nos 6573101 et 6590001 sect 48 CEDH 2005-X)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 47
La mesure dans laquelle la proceacutedure administrative preacutesente les
caracteacuteristiques drsquoune proceacutedure peacutenale ordinaire est un eacuteleacutement important
Des proceacutedures mixtes satisferont plus vraisemblablement aux critegraveres de
compleacutementariteacute et de coheacuterence si les sanctions imposables dans la
proceacutedure non formellement qualifieacutee de laquo peacutenale raquo sont speacutecifiques au
comportement en question et ne font donc pas partie du laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo (pour reprendre les termes de lrsquoarrecirct Jussila preacuteciteacute) Si agrave titre
additionnel cette proceacutedure nrsquoa pas de caractegravere veacuteritablement infamant il y
a moins de chances qursquoelle fasse peser une charge disproportionneacutee sur
lrsquoaccuseacute Agrave lrsquoinverse plus la proceacutedure administrative preacutesente de
caracteacuteristiques infamantes la rapprochant dans une large mesure drsquoune
proceacutedure peacutenale ordinaire plus les finaliteacutes sociales poursuivies par la
punition du comportement fautif dans des proceacutedures diffeacuterentes risquent de
se reacutepeacuteter (bis) au lieu de se compleacuteter Lrsquoissue des affaires mentionneacutees au
paragraphe 129 ci-dessus peut passer pour des illustrations de la
concreacutetisation drsquoun tel risque
134 De plus ainsi qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute dit implicitement ci-dessus mecircme
lorsque le lien mateacuteriel est suffisamment solide la condition du lien
temporel demeure et doit ecirctre satisfaite Il ne faut pas en conclure pour
autant que les deux proceacutedures doivent ecirctre meneacutees simultaneacutement du deacutebut
agrave la fin LrsquoEacutetat doit avoir la faculteacute drsquoopter pour la conduite des proceacutedures
progressivement si ce proceacutedeacute se justifie par un souci drsquoefficaciteacute et de
bonne administration de la justice poursuit des finaliteacutes sociales diffeacuterentes
et ne cause pas un preacutejudice disproportionneacute agrave lrsquointeacuteresseacute Toutefois ainsi
qursquoil a deacutejagrave eacuteteacute preacuteciseacute il doit toujours y avoir un lien temporel Ce lien doit
ecirctre suffisamment eacutetroit pour que le justiciable ne soit pas en proie agrave
lrsquoincertitude et agrave des lenteurs et pour que les proceacutedures ne srsquoeacutetalent pas
trop dans le temps (voir comme exemple de lacune de ce type Kapetanios
et autres preacuteciteacute sect 67) mecircme dans lrsquohypothegravese ougrave le reacutegime national
pertinent preacutevoit un meacutecanisme laquo inteacutegreacute raquo comportant un volet
administratif et un volet peacutenal distincts Plus le lien temporel est teacutenu plus il
faudra que lrsquoEacutetat explique et justifie les lenteurs dont il pourrait ecirctre
responsable dans la conduite des proceacutedures
e) Sur le respect en lrsquoespegravece de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
i Le premier requeacuterant
135 Srsquoagissant du premier requeacuterant le bureau des impocircts lui appliqua
le 24 novembre 2008 une majoration drsquoimpocirct de 30 en vertu des
articles 10-2 1) et 10-4 1) de la loi fiscale au motif qursquoil avait omis dans sa
deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 3 259 342 NOK de revenus perccedilus agrave
lrsquoeacutetranger (paragraphe 16 ci-dessus) Le premier requeacuterant nrsquoayant pas
attaqueacute cette deacutecision celle-ci devint deacutefinitive au plus tocirct au bout de trois
semaines agrave lrsquoexpiration du deacutelai de recours (paragraphe 143 ci-dessous) Il
48 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
fut aussi poursuivi peacutenalement pour la mecircme omission dans sa deacuteclaration
fiscale pour 2002 le 14 octobre 2008 il fut inculpeacute et le 2 mars 2009 le
tribunal de Follo le reconnut coupable de fraude fiscale aggraveacutee et le
condamna agrave un an drsquoemprisonnement pour violation de lrsquoarticle 12-1 1)a)
cf section 12-2 de la loi fiscale (paragraphes 15 et 17 ci-dessus) La cour
drsquoappel le deacutebouta (paragraphe 19 ci-dessus) de mecircme que le 27 novembre
2010 la Cour suprecircme (paragraphes 20 agrave 30 ci-dessus)
α) Lrsquoapplication drsquoune majoration drsquoimpocirct eacutetait-elle de nature peacutenale
136 Dans le droit fil de ce qursquoelle a dit au paragraphe 107 ci-dessus la
Cour recherchera si la proceacutedure drsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct de
30 pouvait sur la base des critegraveres Engel ecirctre qualifieacutee de laquo peacutenale raquo
pour les besoins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
137 Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour suprecircme a eacuteteacute attentive agrave
lrsquoeacutevolution progressive du droit de la Convention dans ce domaine et srsquoest
efforceacutee de tenir compte des eacutevolutions de la jurisprudence de la Cour dans
ses propres deacutecisions en matiegravere de leacutegislation fiscale (paragraphes 44-47
ci-dessus) Ainsi en 2002 la Cour suprecircme a dit pour la premiegravere fois
qursquoune majoration drsquoimpocirct de 30 constituait une laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention Elle a eacutegalement jugeacute
contrairement agrave ses deacutecisions anteacuterieures qursquoune majoration drsquoimpocirct de
60 revecirctait un caractegravere peacutenal aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 En
2004 et en 2006 elle a estimeacute qursquoil en allait de mecircme de la majoration
drsquoimpocirct de 30
138 Dans des affaires comparables concernant la Suegravede (majorations
drsquoimpocirct agrave des taux de 40 et 20 ) la Cour a jugeacute que les proceacutedures en
question eacutetaient laquo peacutenales raquo pour les besoins non seulement de lrsquoarticle 6 de
la Convention (Janosevic c Suegravede no 3461997 sectsect 68-71 CEDH 2002-VII
et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede no 3698597 sectsect 79-82
23 juillet 2002) mais aussi de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 (Manasson
c Suegravede (deacutec) no 4126598 8 avril 2003 Rosenquist deacutecision preacuteciteacutee
Synnelius et Edsbergs Taxi AB c Suegravede (deacutec) no 4429802 17 juin 2008
Carlberg c Suegravede (deacutec) no 963104 27 janvier 2009 et Lucky Dev preacuteciteacute
sectsect 6 et 51)
139 Dans ces conditions la Cour ne voit aucune raison de revenir sur la
conclusion de la Cour suprecircme (paragraphes 22 agrave 25 ci-dessus) selon
laquelle la proceacutedure qui a conduit agrave lrsquoimposition au premier requeacuterant
drsquoune majoration drsquoimpocirct au taux ordinaire de 30 revecirctait un caractegravere
laquo peacutenal raquo au sens autonome donneacute agrave ce terme sur le terrain de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 49
β) Les infractions peacutenales pour lesquelles le premier requeacuterant a eacuteteacute poursuivi
eacutetaient-elles les mecircmes que celles pour lesquelles une majoration drsquoimpocirct
lui a eacuteteacute appliqueacutee (idem)
140 Ainsi qursquoil a eacuteteacute dit ci-dessus (paragraphe 128) la protection
qursquooffre le principe non bis in idem ne deacutepend pas de lrsquoordre dans lequel les
proceacutedures sont respectivement conduites crsquoest le lien entre les deux
infractions qui compte (Franz Fischer c Autriche no 3795097 sect 29
29 mai 2001 et les arrecircts et deacutecisions preacuteciteacutes Storbraringten Mjelde ainsi que
Haarvig Ruotsalainen et Kapetanios et autres)
141 Appliquant aux faits de lrsquoespegravece lrsquoapproche harmoniseacutee exposeacutee
dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine (preacuteciteacute sectsect 82-84) la Cour suprecircme a
conclu que les circonstances factuelles sur lesquelles reposaient la
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ndash crsquoest-agrave-dire dans les deux
cas lrsquoomission dans la deacuteclaration fiscale de certaines informations
concernant des revenus ndash eacutetaient suffisamment similaires pour satisfaire agrave la
condition susmentionneacutee (paragraphe 21 ci-dessus) Les parties ne le
contestent pas et malgreacute lrsquoeacuteleacutement factuel suppleacutementaire de fraude qui
caracteacuterise lrsquoinfraction peacutenale la Cour ne voit aucune raison de conclure
autrement
γ) Y a-t-il eu une deacutecision deacutefinitive
142 Pour ce qui est de savoir si au cours de la proceacutedure de majoration
drsquoimpocirct une deacutecision laquo deacutefinitive raquo susceptible de faire obstacle agrave des
poursuites peacutenales a eacuteteacute prise (Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107-108)
la Cour renvoie agrave son analyse ci-dessus Eacutetant convaincue agrave lrsquoissue de son
examen ci-dessous de lrsquoexistence drsquoun lien mateacuteriel et temporel suffisant
entre la proceacutedure fiscale et la proceacutedure peacutenale pour que celles-ci puissent
ecirctre regardeacutees comme formant une solution juridique inteacutegreacutee reacutepondant au
comportement du premier requeacuterant elle nrsquoestime pas neacutecessaire
drsquoexaminer plus avant la question du caractegravere deacutefinitif de la proceacutedure
fiscale en elle-mecircme Agrave ses yeux la circonstance que la premiegravere proceacutedure
a eacuteteacute clocirctureacutee de maniegravere laquo deacutefinitive raquo avant la seconde nrsquoa aucune
incidence sur lrsquoexamen ci-dessous de lrsquoarticulation entre elles deux
(paragraphe 126 ci-dessus)
143 Point nrsquoest donc besoin pour la Cour de donner son avis sur
lrsquoanalyse faite par la Cour suprecircme de la question de savoir si la premiegravere
deacutecision du 24 novembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive agrave lrsquoexpiration du
deacutelai de recours administratif de trois semaines ou agrave celle du deacutelai de
recours judiciaire de six mois (paragraphe 27 ci-dessus)
δ) Y a-t-il eu reacutepeacutetition de poursuites (bis)
144 Les autoriteacutes nationales compeacutetentes ont jugeacute que le comportement
reacutepreacutehensible du premier requeacuterant appelait deux reacuteponses une sanction
administrative au titre du chapitre 10 de la loi fiscale consacreacute aux
50 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
majorations drsquoimpocirct et une sanction peacutenale au titre du chapitre 12 de cette
mecircme loi (paragraphes 15 16 et 41-43 ci-dessus) chacune ayant une
finaliteacute diffeacuterente Comme la Cour suprecircme lrsquoa expliqueacute dans ses arrecircts
rendus en mai 2002 (paragraphe 46 ci-dessus) la sanction administrative
que constitue la majoration drsquoimpocirct a une finaliteacute geacuteneacuterale de dissuasion en
reacuteaction agrave la communication par le contribuable peut-ecirctre innocemment de
deacuteclarations ou informations inexactes ou incomplegravetes et elle vise aussi agrave
compenser les ressources humaines et financiegraveres consideacuterables consacreacutees
par les autoriteacutes fiscales pour le compte de la collectiviteacute aux controcircles et
veacuterifications destineacutes agrave repeacuterer les deacuteclarations erroneacutees Lrsquoobjectif est que
les personnes ayant communiqueacute des informations incomplegravetes ou inexactes
supportent ces coucircts dans une certaine mesure Le calcul de lrsquoimpocirct est une
opeacuteration massive qui fait intervenir des millions de citoyens Pour la Cour
suprecircme la majoration drsquoimpocirct ordinaire a avant tout pour but drsquoinciter le
contribuable agrave respecter son obligation de fournir des informations
complegravetes et exactes et de renforcer les fondations du systegraveme fiscal
national condition indispensable au bon fonctionnement de lrsquoEacutetat et
partant de la socieacuteteacute Comme lrsquoa dit la Cour suprecircme une condamnation
peacutenale au titre du chapitre 12 en revanche poursuit des fins non seulement
dissuasives mais aussi reacutepressives srsquoagissant de la mecircme omission
preacutejudiciable pour la socieacuteteacute et comporte un eacuteleacutement additionnel de fraude
deacutelictueuse
145 Crsquoest ainsi que agrave la suite drsquoun controcircle fiscal conduit en 2005 le
fisc porta plainte au peacutenal contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes
agrave lrsquoautomne 2007 (paragraphe 13 ci-dessus) En deacutecembre 2007 lrsquointeacuteresseacute
fut interrogeacute en tant qursquoaccuseacute et deacutetenu pendant quatre jours
(paragraphe 14 ci-dessus) En aoucirct 2008 srsquoappuyant notamment sur les
conclusions de lrsquoenquecircte peacutenale le fisc lrsquoavisa qursquoil allait le redresser
notamment pour lrsquoanneacutee 2002 au motif qursquoil avait omis de deacuteclarer
3 259 341 NOK Cet avis reposait sur les conclusions du controcircle fiscal de
la socieacuteteacute Software Innovation AS meneacute par le fisc sur lrsquoenquecircte peacutenale
conseacutecutive et sur la deacuteposition faite par le premier requeacuterant au cours de
cette enquecircte (paragraphe 16 ci-dessus) En octobre 2008 le premier
requeacuterant fut inculpeacute drsquoinfractions fiscales par Oslashkokrim Par une deacutecision du
24 novembre 2008 le fisc ordonna son redressement et le versement par lui
de la majoration drsquoimpocirct en question Cette deacutecision eacutetait notamment fondeacutee
sur les deacutepositions faites par les premier et second requeacuterants lors
drsquointerrogatoires meneacutes au cours de lrsquoenquecircte peacutenale Un peu plus de deux
mois plus tard le 2 mars 2009 le tribunal de Follo condamna lrsquointeacuteresseacute
pour fraude fiscale au motif qursquoil avait omis le montant susmentionneacute dans
sa deacuteclaration fiscale pour lrsquoanneacutee 2002 Pour la Cour il est
particuliegraverement important de constater que conformeacutement aux principes
geacuteneacuteraux du droit national en matiegravere de fixation des peines (paragraphe 50
ci-dessus) ledit tribunal a prononceacute la peine drsquoun an drsquoemprisonnement en
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 51
tenant compte de ce que le premier requeacuterant avait deacutejagrave eacuteteacute lourdement
sanctionneacute par lrsquoapplication de la majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-
dessus comparer avec les arrecircts preacuteciteacutes Kapetanios et autres sect 66 ougrave les
juridictions administratives avaient imposeacute des amendes administratives
sans tenir compte de lrsquoacquittement des requeacuterants agrave lrsquoissue des proceacutedures
peacutenales anteacuterieures relatives au mecircme comportement et Nykaumlnen ougrave la
Cour a conclu agrave lrsquoabsence de lien mateacuteriel suffisant entre les deux
proceacutedures)
146 Dans ces conditions la Cour conclut premiegraverement qursquoelle nrsquoa
aucune raison de mettre en doute les motifs pour lesquels le leacutegislateur
norveacutegien a choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement preacutejudiciable agrave la
socieacuteteacute consistant agrave ne pas payer ses impocircts non plus que ceux pour
lesquels les autoriteacutes norveacutegiennes compeacutetentes ont deacutecideacute agrave lrsquoeacutegard du
premier requeacuterant de traiter seacutepareacutement lrsquoeacuteleacutement de fraude plus grave et
plus reacutepreacutehensible socialement dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale plutocirct
que dans celui drsquoune proceacutedure administrative ordinaire
Deuxiegravemement la conduite de proceacutedures mixtes avec une possibiliteacute de
cumul de diffeacuterentes peines eacutetait preacutevisible par le premier requeacuterant qui
degraves le deacutebut nrsquoeacutetait pas censeacute ignorer que des poursuites peacutenales srsquoajoutant agrave
une majoration drsquoimpocirct eacutetaient de lrsquoordre du possible voire du probable
compte tenu du dossier (paragraphes 13 et 16 ci-dessus)
Troisiegravemement il semble clair que comme lrsquoa dit la Cour suprecircme les
proceacutedures administrative et peacutenale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient
imbriqueacutees (paragraphe 29 ci-dessus) Les faits eacutetablis dans le cadre de
lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la
proportionnaliteacute de la peine globale la sanction peacutenale a tenu compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 17 ci-dessus)
147 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le premier requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au
non-paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour est-elle convaincue que si des sanctions
diffeacuterentes ont eacuteteacute imposeacutees par deux autoriteacutes diffeacuterentes lors de
proceacutedures diffeacuterentes il existait neacuteanmoins entre celles-ci un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour les consideacuterer comme
srsquoinscrivant dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations sur certains revenus
dans une deacuteclaration fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
(paragraphe 21 ci-dessus)
52 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
ii Le second requeacuterant
148 Pour ce qui est du second requeacuterant reprenant le raisonnement
suivi par la Cour suprecircme dans lrsquoarrecirct concernant le premier requeacuterant la
cour drsquoappel jugea premiegraverement que la deacutecision prise le 5 deacutecembre 2008
par le fisc ordonnant agrave lrsquointeacuteresseacute de payer une majoration drsquoimpocirct de 30
srsquoanalysait bien en lrsquoimposition drsquoune sanction laquo peacutenale raquo au sens de
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 elle dit deuxiegravemement que la deacutecision eacutetait
devenue laquo deacutefinitive raquo le 26 deacutecembre 2008 date drsquoexpiration du deacutelai de
recours et troisiegravemement que la deacutecision de majoration drsquoimpocirct et la
condamnation peacutenale ulteacuterieure se rapportaient aux mecircmes faits (paragraphe
37 ci-dessus) Comme dans le cas du premier requeacuterant la Cour ne voit
aucune raison de conclure autrement sur les premier et troisiegraveme points non
plus que la neacutecessiteacute de se prononcer sur le deuxiegraveme
149 Srsquoagissant de la question qui se pose ensuite crsquoest-agrave-dire celle de
savoir srsquoil y a eu ou non une reacutepeacutetition des poursuites (bis) incompatible
avec le Protocole no 7 la Cour relegraveve que comme agrave lrsquoeacutegard du premier
requeacuterant (paragraphe 144 ci-dessus) les autoriteacutes compeacutetentes ont jugeacute
qursquoune proceacutedure mixte se justifiait dans le cas du second requeacuterant
150 Quant au deacuteroulement preacutecis des proceacutedures en cause agrave la suite du
controcircle conduit par lui en 2005 le fisc porta plainte au peacutenal aupregraves
drsquoOslashkokrim agrave lrsquoautomne 2007 contre le second requeacuterant (comme il lrsquoavait
fait contre le premier requeacuterant et drsquoautres personnes) au motif que
lrsquointeacuteresseacute nrsquoavait pas deacuteclareacute 4 561 881 NOK (soit environ 500 000 EUR)
de revenus pour lrsquoanneacutee fiscale 2002 (paragraphe 31 ci-dessus) Le
16 octobre 2008 srsquoappuyant en particulier sur le controcircle fiscal sur la
deacuteposition faite par le second requeacuterant au cours de lrsquoenquecircte peacutenale en
question ainsi que sur les documents saisis par Oslashkokrim lors de lrsquoenquecircte le
bureau des impocircts avisa lrsquointeacuteresseacute qursquoil envisageait de le redresser
fiscalement au motif que celui-ci avait omis de deacuteclarer lesdits revenus et
drsquoappliquer agrave son eacutegard une majoration drsquoimpocirct (paragraphe 32 ci-dessus)
Le 11 novembre 2008 le parquet inculpa le second requeacuterant de fraude
fiscale pour lrsquoomission par celui-ci du montant susmentionneacute ce qui
repreacutesentait 1 302 526 NOK drsquoimpocircts agrave payer et pria le tribunal drsquoOslo de
rendre un jugement sommaire fondeacute sur ses aveux (paragraphe 33
ci-dessus) Le 5 deacutecembre 2008 date agrave laquelle le bureau des impocircts
ordonna au second requeacuterant au titre du redressement de verser ce montant
ainsi que la majoration drsquoimpocirct en question la proceacutedure peacutenale eacutetait deacutejagrave
bien avanceacutee (paragraphe 32 ci-dessus)
Ainsi il ressort des eacuteleacutements ci-dessus que depuis la plainte dont le fisc
avait saisi la police agrave lrsquoautomne 2007 et jusqursquoagrave la deacutecision de majoration
drsquoimpocirct prise le 5 deacutecembre 2008 la proceacutedure peacutenale et la proceacutedure
fiscale ont eacuteteacute conduites en parallegravele et eacutetaient imbriqueacutees Cette situation
est similaire agrave celle du premier requeacuterant
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE 53
151 Il est vrai que comme lrsquoa releveacute la cour drsquoappel la peacuteriode de neuf
mois seacuteparant la date agrave laquelle la deacutecision prise par le fisc le 5 deacutecembre
2008 eacutetait devenue deacutefinitive et la date de la condamnation du second
requeacuterant par le tribunal drsquoOslo (le 30 septembre 2009) ndash eacutetait un peu plus
longue que la peacuteriode de deux mois et demi eacutecouleacutee dans le procegraves du
premier requeacuterant Toutefois comme la cour drsquoappel lrsquoa eacutegalement indiqueacute
(paragraphe 39 ci-dessus) cela srsquoexpliquait par la reacutetractation du second
requeacuterant en feacutevrier 2009 en conseacutequence de laquelle il avait fallu
lrsquoinculper de nouveau le 29 mai 2009 et le juger dans le cadre drsquoun procegraves
contradictoire ordinaire (paragraphes 34 et 35 ci-dessus) Cette circonstance
reacutesultat drsquoun revirement du second requeacuterant ne saurait suffire en
elle-mecircme agrave rompre le lien temporel unissant la proceacutedure fiscale et la
proceacutedure peacutenale En particulier le laps de temps suppleacutementaire qui srsquoeacutetait
eacutecouleacute avant lrsquoaudience au peacutenal ne saurait passer pour disproportionneacute ou
deacuteraisonnable agrave en juger par sa cause Il demeure et crsquoest ce qui importe
que comme dans le cas du premier requeacuterant la juridiction de jugement a
fixeacute la peine lors du procegraves peacutenal en tenant effectivement compte de la
majoration drsquoimpocirct (paragraphe 35 ci-dessus)
152 Degraves lors srsquoagissant du second requeacuterant la Cour ne voit pas non
plus de raison de mettre en doute les motifs pour lesquels les autoriteacutes
norveacutegiennes ont choisi de reacuteprimer au moyen drsquoune proceacutedure mixte
(administrative et peacutenale) inteacutegreacutee le comportement reacutepreacutehensible en cause
La possibiliteacute drsquoun cumul de diffeacuterentes peines eacutetait forceacutement preacutevisible au
vu des circonstances (paragraphes 13 et 32 ci-dessus) La proceacutedure
administrative et la proceacutedure peacutenale ont eacuteteacute conduites dans une large
mesure en parallegravele et elles eacutetaient imbriqueacutees (paragraphe 39 ci-dessus) Lagrave
encore les faits eacutetablis dans le cadre de lrsquoune de ces proceacutedures ont eacuteteacute
repris dans lrsquoautre et pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la peine
globale la sanction peacutenale a eacuteteacute fixeacutee en tenant compte de la sanction
administrative (paragraphes 33 et 35 ci-dessus)
153 Compte tenu des faits porteacutes agrave sa connaissance la Cour conclut que
rien nrsquoindique que le second requeacuterant ait subi un preacutejudice disproportionneacute
ou une injustice en conseacutequence de la reacuteponse juridique inteacutegreacutee deacutenonceacutee
par lui apporteacutee agrave son absence de deacuteclaration de certains revenus et au non-
paiement de certains de ses impocircts Aussi eu eacutegard aux consideacuterations
exposeacutees ci-dessus (et notamment celles reacutesumeacutees aux
paragraphes 132-134) la Cour conclut-elle qursquoil existait entre la deacutecision de
majoration drsquoimpocirct et la condamnation peacutenale ulteacuterieure un lien tant
mateacuteriel que temporel suffisamment eacutetroit pour consideacuterer que ces mesures
srsquoinscrivaient dans le meacutecanisme inteacutegreacute de sanctions preacutevu par le droit
norveacutegien dans le cas ougrave une omission drsquoinformations dans une deacuteclaration
fiscale conduit agrave une erreur dans lrsquoassiette de lrsquoimpocirct
54 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE
iii Conclusion geacuteneacuterale
154 Au vu de ce qui preacutecegravede aucun des deux requeacuterants ne peut passer
pour avoir eacuteteacute laquo poursuivi ou puni peacutenalement () en raison drsquoune
infraction pour laquelle il a[vait] deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un
jugement deacutefinitif raquo au meacutepris de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 La Cour
conclut degraves lors agrave la non-violation de cette disposition en lrsquoespegravece et ce agrave
lrsquoeacutegard du premier requeacuterant comme du second
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute les requecirctes recevables
2 Dit par seize voix contre une qursquoil nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 4
du Protocole no 7 agrave la Convention dans le chef du premier et du second
requeacuterant
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 15 novembre 2016
Lawrence Early Guido Raimondi
Jurisconsulte Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge
Pinto de Albuquerque
GR
TLE
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 55
OPINION DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
Table des matiegraveres
I ndash Introduction
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
b) Les Lumiegraveres
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
b) La consolidation europeacuteenne du principe
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et
malum quia prohibitum
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
b) Un lien mateacuteriel suffisant
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et
peacutenales
VI ndash Conclusion
56 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
I ndash Introduction
1 Je ne peux souscrire ni au raisonnement ni aux conclusions de la
majoriteacute dans la preacutesente affaire Bien que cette affaire concerne
speacutecifiquement le cumul de majorations drsquoimpocirct appliqueacutees dans des
proceacutedures fiscales et de sanctions appliqueacutees en parallegraveles dans des
proceacutedures peacutenales la Grande Chambre a deacutelibeacutereacutement eacutetendu la porteacutee de
lrsquoespegravece au problegraveme juridique plus geacuteneacuteral des laquo proceacutedures peacutenales et
administratives mixtes raquo1 Le but eacutevident de la Grande Chambre est drsquoeacutetablir
un principe de droit europeacuteen des droits de lrsquohomme applicable agrave toutes les
affaires de cumul de proceacutedures peacutenale et administrative Le problegraveme est
que le raisonnement de la Grande Chambre est bacirccleacute La description
impreacutecise des conditions requises pour le cumul des sanctions
administrative et peacutenale et lrsquoapplication superficielle de ces conditions au
cadre juridique et agrave la pratique norveacutegiens laissent une impression
persistante de leacutegegravereteacute dans la motivation
2 Dans la premiegravere partie de cette opinion je traiterai des fondements
oublieacutes du principe ne bis in idem crsquoest-agrave-dire ses racines historiques en
tant que garantie individuelle et sa reconnaissance progressive comme
principe de droit international coutumier Par la suite je preacutesenterai les deacutefis
contemporains auxquels fait face ce principe dans le champ des infractions
administratives et particuliegraverement des infractions fiscales et la reacuteponse
heacutesitante de la part de la Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme (laquo la
Cour raquo) Dans la seconde partie de lrsquoopinion jrsquoeacutevaluerai lrsquoheacuteritage pro
persona de lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine2 et confronterai la posture pro
auctoritate de la majoriteacute dans la preacutesente affaire avec les solutions reacutecentes
de la Cour et de la Cour de justice de lrsquoUnion europeacuteenne dans le champ des
infractions fiscales3 des infractions boursiegraveres4 et des infractions
douaniegraveres5 Enfin je deacutemontrerai les lacunes de la solution de la majoriteacute
en me fondant sur une discussion en profondeur des buts et des eacuteleacutements des
infractions peacutenales et administratives en jeu des diffeacuterentes regravegles de
preuve applicables en droit administratif et en droit peacutenal norveacutegien et des
traits speacutecifiques du meacutecanisme de compensation que fourniraient le droit
interne substantiel et la jurisprudence Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede je
conclurai qursquoil y a eu une violation de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
1 Voir le paragraphe 132 crucial de lrsquoarrecirct
2 Sergueiuml Zolotoukhine c Russie [GC] ndeg 1493903 sectsect 82 et 84 CEDH 2009
3 Hans Aringkeberg Fransson (C-617frasl10 arrecirct de la Grande Chambre de la CJUE 26 feacutevrier
2013 et Lucky Dev c Suegravede ndeg 735610 sect 58 27 novembre 2014
4 Grande Stevens et autres c Italie nos 1864010 1864710 1866310 1866810 et
1869810 4 mars 2014
5 Kapetanios et autres c Gregravece nos 345312 4294112 et 902813 sect72 30 avril 2015 et
Sismanidis et Sitaridis c Gregravece nos 6660209 et 7187912 9 juin 2016
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 57
Premiegravere partie
II - Fondements du principe ne bis in idem
A Bref rappel historique
a) Lrsquoeacutepoque romaine
3 La maxime ne bis in idem eacutetait respecteacutee durant la Reacutepublique
romaine et le Principat bien que fussent preacutevues certaines exceptions tireacutees
de nouvelles proceacutedures pour les mecircmes crimes contre des accuseacutes deacutejagrave
acquitteacutes6 Initialement durant la peacuteriode des legis actiones la maxime
signifiait que bis de eadem res ne sic actio agrave savoir que le deacuteclenchement
drsquoune certaine action avait pour conseacutequence lrsquoextinction du droit respectif
qui entravait le deacuteclenchement de nouvelles actiones mecircme lorsqursquoaucune
deacutecision sur le fond nrsquoavait eacuteteacute rendue Pour limiter lrsquoimpact de cette
maxime lrsquoexceptio rei judiciatae fut introduite qui eacutetait deacutependante drsquoune
deacutecision preacutealable sur le fond Lrsquoexceptio faisait obstacle au bis in eadem
sans consideacuteration pour le fait que le jugement preacutealable ait abouti agrave un
acquittement ou une condamnation Dans les deux cas lrsquoautoritas rerum
judicatarum emportait extinction de lrsquoaction peacutenale La porteacutee de cette
maxime eacutetait limiteacutee par lrsquoobjet de lrsquoaction peacutenale preacutealable tantum
consumptum quantum judiciatum tantum judiciatum quantum litigatum
Lrsquoeadem quaestio eacutetait deacutefinie par le mecircme fait idem factum7
4 Dans le droit justinien la preacutesomption de veacuteriteacute des deacutecisions des
juridictions devint la nouvelle logique de la maxime Ulpien fut le premier agrave
formuler la maxime res iudicata pro veritate accipitur (D 50 17 207)
Avec lrsquoeacutemergence de la proceacutedure inquisitoire et du raisonnement juridique
syllogistique la logique de la codification impeacuteriale ndash lrsquoautoriteacute de la
juridiction et lrsquoinfaillibiliteacute de ses conclusions ndash eut un impact neacutegatif sur la
dimension individuelle de la maxime Dans la logique de la nouvelle
proceacutedure inquisitoire la reacuteouverture autrefois exceptionnelle drsquoune
proceacutedure peacutenale pour les mecircmes faits en droit romain devint un simple
exemple de la maxime absolutio pro nunc rebus sic stantibus qui en fait
reconnaissait la nature transitoire du jugement peacutenal dans la poursuite de la
6 Sur le deacutebat historique voir Laurens De lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee consideacutereacutee comme
mode drsquoextinction de lrsquoaction publique Paris 1885 Mommsen Roumlmisches Strafrecht
Aaalen 1899 Arturo Rocco Trattato della Cosa Giudicata Come Causa di Estinzione
dellrsquoAzione Penale Rome 1900 Danan La regravegle non bis in idem en droit peacutenal franccedilais
Rennes 1971 Spinellis Die materielle Rechtskraft des Strafurteils Munich 1962
Mansdoumlrfer Das Prinzip des ne bis in idem im europaumlischen Strafrecht Berlin 2004 et
Lelieur-Fischer La regravegle ne bis in idem Du principe de lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee au
principe drsquouniciteacute drsquoaction reacutepressive Eacutetude agrave la lumiegravere des droits franccedilais allemand et
europeacuteen Paris 2005
7 Laurens preacuteciteacute p 50-51 Arturo Rocco preacuteciteacute p 76 et Mommsen preacuteciteacute p 450
58 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
veacuteriteacute Par exemple en France drsquoapregraves la regravegle du laquo plus amplement
informeacute raquo en lrsquoabsence de preuve empiriques de lrsquoinnocence de lrsquoaccuseacute
lrsquoacquittement avait une nature transitoire et pouvait ecirctre renverseacute agrave tout
moment par une nouvelle preuve incriminante La mecircme chose est apparue
en Italie ougrave lrsquoaccuseacute eacutetait acquitteacute de lrsquoobservation du tribunal (At in casu
quo reus absoluendus est ab observatione iudici) sous la reacuteserve laquo tant que
les choses restent telles qursquoelles sont raquo (stantibus rebus prout stant) la
proceacutedure pouvant ecirctre rouverte degraves lors que de nouvelles preuves
apparaissaient (supervenient nova indicia)
b) Les Lumiegraveres
5 Les Lumiegraveres renouvelegraverent la dimension individuelle du ne bis in
eadem qui fut incluse agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 (laquo tout homme acquitteacute par un jury leacutegal ne
peut plus ecirctre repris ni accuseacute agrave raison du mecircme fait raquo) et aux articles 246 et
360 du Code drsquoinstruction criminelle de 1808 La conseacutequence pratique de
ces dispositions fut la suppression de la tristement ceacutelegravebre regravegle du laquo plus
amplement informeacute raquo De lrsquoautre cocircteacute de lrsquooceacutean Atlantique la mecircme anneacutee
le Cinquiegraveme Amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis introduisit une
prohibition de la double incrimination dans la proceacutedure peacutenale (laquo nor shall
any person be subject for the same offense to be twice put in jeopardy of life
or limb raquo) qui comprend lrsquointerdiction des poursuites subseacutequentes agrave un
acquittement ou agrave une condamnation et des peines multiples pour la mecircme
infraction8 Lrsquoamendement visait agrave empecirccher un criminel aussi bien drsquoecirctre
puni deux fois pour la mecircme infraction que drsquoecirctre deux fois traduit en
justice pour celle-ci Lorsque la condamnation eacutetait invalideacutee pour une
erreur la peine deacutejagrave effectueacutee devait ecirctre entiegraverement laquo creacutediteacutee raquo agrave la peine
relative agrave une nouvelle condamnation pour la mecircme infraction9
B Un principe de droit international coutumier
a) La consolidation universelle du principe
6 Ainsi que le montre la pratique bien eacutetablie et quasi-universelle des
Eacutetats le fait que la preacuterogative eacutetatique de poursuivre juger et punir lrsquoauteur
drsquoun fait deacutelictueux srsquoeacuteteint (Strafklageverbrauch) lorsque celui-ci a eacuteteacute
acquitteacute ou reconnu coupable de lrsquoinfraction par une deacutecision deacutefinitive
adopteacutee dans une proceacutedure peacutenale (le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure ou Erledigungsprinzip) est un principe de droit international
coutumier10 Le principe est indeacutependant de toute condition relative agrave
8 North Carolina c Pearce 395 US 711 p 717 (1969)
9 Ibidem p 718
10 Pour la pratique constitutionnelle voir Bassiouni Human Rights in the Context of
Criminal Justice Identifying International Procedural Protection and Equivalent
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 59
lrsquoimposition de la peine ou agrave son exeacutecution Lorsque ce principe ne
srsquoapplique pas comme dans le cas de lrsquointerdiction du double chacirctiment
sans interdiction de nouvelles poursuites ou de nouveau jugement toute
sanction anteacuterieure doit ecirctre prise en consideacuteration dans lrsquoimposition de la
peine subseacutequente pour le mecircme fait (principe de deacuteduction ou
Anrechnungprinzip)
7 Le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est
affirmeacute par lrsquoarticle 14 (7) du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques de 1966 (laquo poursuivi ou puni raquo) (laquo le PIDCP raquo)11 lrsquoarticle 8 (4)
de la Convention ameacutericaine relative aux droits de lrsquohomme de 1969 (laquo agrave
nouveau poursuivi raquo) lrsquoarticle 75 (4) h) du Protocole additionnel de 1977
aux Conventions de Genegraveve du 12 aoucirct 1949 relatif agrave la protection des
victimes des conflits armeacutes internationaux (laquo poursuivie ou punie raquo)
lrsquoarticle 10 (1) du Statut du Tribunal peacutenal international pour
lrsquoex-Yougoslavie de 1993 (laquo traduit raquo)12 lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal
peacutenal international pour le Rwanda de 1994 (laquo traduit raquo)13 lrsquoarticle 20 (2)
du Statut de la Cour peacutenale internationale de 1998 (laquo condamneacute ou
acquitteacute raquo) et lrsquoarticle 9 (1) du Statut du Tribunal speacutecial pour la Sierra
Leone (laquo traduit raquo) de 200214 et lrsquoarticle 19 (1) de la Chartre Arabe des
droits de lrsquohomme de 2004 Lrsquoarticle 86 de la Troisiegraveme Convention de
Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) et lrsquoarticle 117 (3) de la Quatriegraveme Convention
de Genegraveve de 1949 (laquo puni raquo) ne vont pas aussi loin puisqursquoils nrsquointerdisent
qursquoune nouvelle peine mais ils ne font aucune reacutefeacuterence au principe de
deacuteduction
b) La consolidation europeacuteenne du principe
8 Au sein du Conseil de lrsquoEurope le principe ne bis in idem est
initialement apparu comme motif drsquoexclusion obligatoire ou optionnelle de
la coopeacuteration en matiegravere peacutenale entre Eacutetats Constituent des exemples de
Protections in National Constitutions 1993 3 Duke Journal of Comparative amp
International Law p 247
11 Voir lrsquoObservation Geacuteneacuterale du Comiteacute des droits de lrsquohomme ndeg32 article 14 Droit agrave
lrsquoeacutegaliteacute devant les tribunaux et les cours de justice et agrave un procegraves eacutequitable 23 aoucirct 2007
CCPRCGC32 sectsect 54-57
12 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international tient compte de la mesure dans laquelle cette
personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction
nationale pour le mecircme fait raquo
13 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent statut le Tribunal international pour le Rwanda tient compte de la mesure dans
laquelle cette personne a deacutejagrave purgeacute toute peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une
juridiction nationale pour le mecircme fait raquo
14 laquo Pour deacutecider de la peine agrave infliger agrave une personne condamneacutee pour un crime viseacute par
le preacutesent Statut le Tribunal speacutecial tient compte de la mesure dans laquelle cette personne
a deacutejagrave purgeacute une peine qui pourrait lui avoir eacuteteacute infligeacutee par une juridiction nationale pour
le mecircme fait raquo
60 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
cette approche limiteacutee lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne drsquoextradition
de 195715 lrsquoarticle 9 de la Convention europeacuteenne pour la reacutepression des
infractions routiegraveres de 196216 lrsquoarticle 2 du Protocole additionnel agrave la
Convention europeacuteenne drsquoextradition de 197517 lrsquoarticle 8 de la Convention
sur le transfegraverement des personnes condamneacutees de 198318 lrsquoarticle 2 (4) de
lrsquoAccord relatif au trafic illicite par mer de 1995 mettant en œuvre lrsquoarticle
17 de la Convention des Nations Unies contre le trafic illicite de stupeacutefiants
et de substances psychotropes19 et lrsquoarticle 28 (1) f) de la Convention du
Conseil de lrsquoEurope relative au blanchiment au deacutepistage agrave la saisie et agrave la
confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme de
200520
9 Plus reacutecemment le principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure
(Erledigungsprinzip) a eacuteteacute affirmeacute par lrsquoarticle 53 de la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs de 1970
(laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave
lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)21 lrsquoarticle 35 de la Convention europeacuteenne sur
la transmission des proceacutedures reacutepressives de 1972 (laquo ne peut pour le mecircme
fait ecirctre poursuivie condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo)
22 et lrsquoarticle 17 de la Convention europeacuteenne sur les infractions visant des
biens culturels de 1985 (laquo ne peut pour le mecircme fait ecirctre poursuivie
condamneacutee ou soumise agrave lrsquoexeacutecution drsquoune sanction raquo) 23 Dans ces cas de
figure lorsque le ne bis in idem ne srsquoapplique pas le principe de deacuteduction
doit ecirctre proteacutegeacute en tant que garantie de dernier ressort Lrsquoarticle 25 de la
Convention du Conseil de lrsquoEurope de 2005 sur la lutte contre la traite des
ecirctres humains eacutetablit seulement le principe de deacuteduction24
10 La Recommandation 791 (1976) de lrsquoAssembleacutee Parlementaire du
Conseil de lrsquoEurope sur la protection des droits de lrsquohomme en Europe
exhortait le Comiteacute des Ministres agrave laquo srsquoefforcer drsquoinseacuterer le plus grand
nombre possible de dispositions positives du Pacte des Nations Unies dans
la Convention europeacuteenne des Droits de lrsquoHomme raquo Lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 a ainsi eacuteteacute approuveacute en 198425 sous lrsquoinfluence directe de
15 STE ndeg 24
16 STE ndeg 52
17 STE ndeg 86
18 STE ndeg 112
19 STE ndeg 156
20 STCE ndeg 198
21 STE ndeg 70 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 54 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
22 STE ndeg 73 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 36 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
23 STE ndeg 119 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 18 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction pour les peines de prison
24 STCE ndeg 197
25 STE ndeg 117 Il est entreacute en vigueur le 1er novembre 1988
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 61
lrsquoarticle 17 (7) du PIDCP La nouveauteacute majeure eacutetait la nature non
susceptible de deacuterogation du principe europeacuteen
11 Au sein de lrsquoUnion europeacuteenne le principe de lrsquoeacutepuisement de la
proceacutedure (Erledigungsprinzip) est affirmeacute agrave lrsquoarticle 1 de la Convention
entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave
lrsquoapplication du principe ne bis in idem de 1987 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)26 lrsquoarticle 54 de la Convention drsquoapplication de
lrsquoAccord de Schengen (laquo la CAAS raquo) de 1990 (laquo ne peut pour les mecircmes
faits ecirctre poursuivie raquo)27 lrsquoarticle 7 de la Convention relative agrave la protection
des inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes de 1995 (laquo ne peut
ecirctre poursuivie raquo)28 lrsquoarticle 10 de la Convention contre la corruption
impliquant des fonctionnaires communautaires ou nationaux de 1997 (laquo ne
peut ecirctre poursuivie raquo) 29 lrsquoarticle 2(1) du regraveglement de la Banque centrale
europeacuteenne no 21571999 concernant les pouvoirs de la Banque centrale
europeacuteenne en matiegravere de sanctions (laquo Il nrsquoy a lieu drsquoengager qursquoune seule
proceacutedure drsquoinfraction contre une mecircme entreprise sur la base des mecircmes
faits raquo) lrsquoarticle 50 de la Charte des droits fondamentaux de lrsquoUnion
europeacuteenne (laquo la Charte raquo) de 2000 (laquo poursuivi ou puni raquo) et lrsquoinitiative de
la Reacutepublique helleacutenique concernant lrsquoadoption par le Conseil drsquoun projet de
deacutecision-cadre relative agrave lrsquoapplication du principe non bis in idem de 2003
(laquo nul ne peut ecirctre poursuivi ou jugeacute deux fois pour les mecircmes actes raquo)30
12 La Charte a changeacute radicalement les obligations juridiques des Eacutetats
membres de lrsquoUnion europeacuteenne auxquels elle srsquoapplique Puisque le droit
de ne pas ecirctre poursuivi ou puni peacutenalement deux fois pour une mecircme
infraction est eacutetabli agrave lrsquoarticle 54 de la CAAS et agrave lrsquoarticle 50 de la Charte
lrsquoarticle 54 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 5031 Agrave la lumiegravere de
26 Lrsquoarticle 3 eacutetablit un principe de deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les
peines non privatives de liberteacute
27 Lorsque ce principe ne srsquoapplique pas lrsquoarticle 56 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute Les
articles 54 et 57 de la Convention drsquoapplication de lrsquoAccord de Schengen ont repris la
Convention entre les Eacutetats membres des communauteacutes europeacuteennes relative agrave lrsquoapplication
du principe ne bis in idem Le Traiteacute drsquoAmsterdam a incorporeacute le ne bis in idem dans le
troisiegraveme pilier Agrave partir de ce moment le principe est devenu lrsquoun des objectifs de lrsquoespace
commun de liberteacute seacutecuriteacute et justice Voir eacutegalement le Programme de mesures destineacute agrave
mettre en œuvre le principe de reconnaissance mutuelle des deacutecisions peacutenales
(2001C 12frasl02) et le Livre vert de la Commission sur les conflits de compeacutetences et le
principe ne bis in idem dans le cadre des proceacutedures peacutenales (COM(2005) 696 final)
28 Acte du Conseil du 26 juillet 1995
29 Acte du Conseil du 26 mai 1997 Lrsquoarticle 10 preacutevoit lrsquoapplication du principe de
deacuteduction pour les peines de prison ainsi que pour les peines non privatives de liberteacute
30 Lrsquoarticle 3 contient des regravegles de lis pendens Lrsquoarticle 5 preacutevoit lrsquoapplication du
principe de deacuteduction incluant toutes les sanctions autres que la privation de liberteacute qui
pourraient ecirctre imposeacutees et les sanctions imposeacutees dans le cadre des proceacutedures
administratives
31 Voir paragraphe 35 de lrsquoarrecirct du 5 juin 2014 dans lrsquoaffaire M (C‑398frasl12)
62 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoarticle 52 (3) de la Charte dans la mise en œuvre des droits et liberteacutes
issus de la Charte qui correspondent aux droits et liberteacutes garantis par la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquoHomme (laquo la Convention raquo) et ses
Protocoles les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne sont tenus par le sens
et la porteacutee de ces droits et liberteacutes eacutetablis par ladite Convention et ses
Protocoles tels qursquointerpreacuteteacutes par la Cour32 quand bien mecircme ils nrsquoauraient
pas ratifieacute ces protocoles Crsquoest eacutegalement le cas pour lrsquoarticle 50 de la
Charte et en conseacutequence lrsquoarticle 54 de la CAAS qui eacutevidemment doit ecirctre
interpreacuteteacute agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour relative agrave lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 mecircme agrave lrsquoeacutegard des Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne
qui ne lrsquoauraient pas ratifieacute
13 En outre le principe ne bis in idem a eacuteteacute instaureacute comme un motif
drsquoexclusion de la coopeacuteration en matiegravere peacutenale dans plusieurs instruments
tels que lrsquoarticle 3(2) de la Deacutecision-cadre relative au mandat drsquoarrecirct
europeacuteen de 200233 lrsquoarticle 7 (1) c) de la Deacutecision-cadre relative agrave
lrsquoexeacutecution dans lrsquoUnion europeacuteenne des deacutecisions de gel de biens ou
drsquoeacuteleacutements de preuve de 200334 lrsquoarticle 8 (2) b) de la Deacutecision-cadre
relative agrave lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
deacutecisions de confiscation de 200635 lrsquoarticle 11 (1) c) de la Deacutecision-cadre
concernant lrsquoapplication du principe de reconnaissance mutuelle aux
jugements et aux deacutecisions de probation aux fins de la surveillance des
mesures de probation et des peines de substitution de 200836
lrsquoarticle 13 (1) a) de la Deacutecision-cadre relative au mandat europeacuteen
drsquoobtention de preuves visant agrave recueillir des objets des documents et des
donneacutees en vue de leur utilisation dans le cadre de proceacutedures peacutenales de
200837 lrsquoarticle 15 (1) c) de la Deacutecision-cadre concernant lrsquoapplication
entre les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne du principe de
reconnaissance mutuelle aux deacutecisions relatives agrave des mesures de controcircle
en tant qursquoalternative agrave la deacutetention provisoire de 200938 et lrsquoarticle 1 (2) a)
de la Deacutecision-cadre relative agrave la preacutevention et au regraveglement des conflits en
matiegravere drsquoexercice de la compeacutetence dans le cadre des proceacutedures peacutenales
de 200939
32 Voir Note du Praesidium de la Convention Explications relatives agrave la Charte des
droits fondamentaux (Bruxelles 11 octobre 2000) laquo La reacutefeacuterence agrave la CEDH vise agrave la fois
la Convention et ses Protocoles Le sens et la porteacutee des droits garantis sont deacutetermineacutes non
seulement par le texte de ces instruments mais aussi par la jurisprudence de la Cour
europeacuteenne des droits de lrsquohomme et par la Cour de justice des Communauteacutes
europeacuteennes raquo
33 Deacutecision-cadre du Conseil 2002584JAI du 13 juin 2002
34 Deacutecision-cadre du Conseil 2003577JAI du 22 juillet 2003
35 Deacutecision-cadre du Conseil 2006783JAI du 6 octobre 2006
36 Deacutecision-cadre du Conseil 2008947JAI du 27 novembre 2008
37 Deacutecision-cadre du Conseil 2008978JAI du 18 deacutecembre 2008
38 Deacutecision-cadre du Conseil 2009829JAI du 23 octobre 2009
39 Deacutecision-cadre du Conseil 2009948JAI du 30 novembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 63
Enfin lrsquoarticle 6 du Regraveglement no 298895 relatif agrave la protection des
inteacuterecircts financiers des Communauteacutes europeacuteennes eacutetablit le principe selon
lequel le peacutenal tient lrsquoadministratif coupleacute au principe de deacuteduction
14 Dans lrsquoaregravene judiciaire la Cour de Justice de lrsquoUnion europeacuteenne
(laquo la CJUE raquo) a dit dans lrsquoaffaire Walt Wilhelm et autres
c Bundeskartellamt que des sanctions concurrentes pouvaient ecirctre
imposeacutees dans deux proceacutedures parallegraveles poursuivant des objectifs
diffeacuterents En droit de la concurrence la possibiliteacute qursquoun ensemble de faits
soit soumise agrave deux proceacutedures parallegraveles lrsquoune communautaire et lrsquoautre
nationale deacuterive du systegraveme speacutecifique de reacutepartition des compeacutetences entre
les Communauteacutes et les Eacutetats membres agrave lrsquoeacutegard des ententes Si cependant
la possibiliteacute que deux proceacutedures se deacuteroulent seacutepareacutement devait conduire agrave
lrsquoimposition de sanctions conseacutecutives une exigence geacuteneacuterale de justice
naturelle demanderait que toute deacutecision punitive anteacuterieure soit prise en
compte dans la deacutetermination de toute sanction imposeacutee40
Par la suite la CJUE a deacuteveloppeacute plus avant sa jurisprudence dans le
cadre du troisiegraveme pilier sur le bis (Goumlzuumltok et Bruumlgge41 Miraglia42
Van Straaten43 Turanskyacute44 M45 Kussowski46) sur lrsquoidem (Van Esbroeck47
Van Straaten48 Gasparini49 Kretzinger50 Kraaijenbrink51 et Gasparini52)
et sur la clause drsquoexeacutecution (Klaus Bourquain53 Kretzinger54 et Spasic55)
Dans le domaine du droit fiscal lrsquoarrecirct fondamental est celui rendu dans
lrsquoaffaire Hans Aringkeberg Fransson qui est parvenu agrave la conclusion suivante
laquo Ce nrsquoest que lorsque la sanction fiscale revecirct un caractegravere peacutenal au sens
de lrsquoarticle 50 de la Charte et est devenue deacutefinitive que ladite disposition
srsquooppose agrave ce que des poursuites peacutenales pour les mecircmes faits soient
diligenteacutees contre une mecircme personne raquo56 En refusant la thegravese de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral baseacutee sur le principe de deacuteduction57 la Cour de Luxembourg a
40 Affaire 14frasl68 13 feacutevrier 1969 sect 11
41 Affaire C-187frasl01 et Affaire C-38501 11 feacutevrier 2003
42 Affaire C-469frasl03 10 mars 2005
43 Affaire C-150frasl05 28 septembre 2006
44 Affaire C-491frasl07 22 deacutecembre 2008
45 Affaire C‑398frasl12 5 juin 2014
46 Affaire C-486frasl14 29 juin 2016
47 Affaire C-436frasl04 9 mars 2006
48 Affaire preacuteciteacutee
49 Affaire C-467frasl04 28 septembre 2006
50 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
51 Affaire C-367frasl05 18 juillet 2007
52 Affaire preacuteciteacutee
53 Affaire C-297frasl07 11 deacutecembre 2008
54 Affaire C-288frasl05 18 juillet 2007
55 Affaire C-129frasl14 PPU 27 mai 2014
56 Hans Aringkeberg Fransson preacuteciteacute sectsect 34 et 37
57 Aux paragraphes 86 et 87 de ses conclusions lrsquoAvocat Geacuteneacuteral plaidait pour une
laquo interpreacutetation partiellement autonome raquo de lrsquoarticle 50 arguant qursquoil existait une tradition
64 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecideacute dans un remarquable mouvement de convergence avec la Cour de
Strasbourg que la combinaison de sanctions fiscales de nature peacutenale
conformeacutement aux critegraveres Engel et de sanctions peacutenales constituerait une
violation de lrsquoarticle 50 de la Charte58
15 En reacutesumeacute la reacutecurrence de la preacutesence du principe ne bis in idem agrave
la fois en droit international et interne et dans la jurisprudence teacutemoigne de
la reconnaissance drsquoun principe de droit international coutumier59 Le
principe de lrsquoeacutepuisement de la proceacutedure (Erledigungsprinzip) est largement
preacutedominant en droit international au niveau universel comme europeacuteen
mais le principe de deacuteduction trouve eacutegalement une reconnaissance dans
une conception eacutetroite au sein du Conseil de lrsquoEurope (deacuteduction des peines
de prison) et dans une conception plus large au sein de lrsquoUnion europeacuteenne
(deacuteduction des peines de prison et prise en compte des sanctions non
privatives de liberteacute)
III - Les deacutefis contemporains du ne bis in idem
A Infractions administratives et politique peacutenale agrave deux vitesses
a) La tendance vers la politique de deacutepeacutenalisation
16 La deacutepeacutenalisation est une tendance plus que bienvenue du droit peacutenal
en Europe depuis les anneacutees 196060 Les infractions administratives sont un
instrument rationnel de deacutesencombrement en politique peacutenale Cette
tendance se caracteacuterise freacutequemment par le transfert drsquoinfractions peacutenales
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute telles que les infractions routiegraveres dans le
champ du droit administratif dans lequel les garanties substantielles et
proceacutedurales ne sont pas les mecircmes que dans le droit peacutenal et la proceacutedure
constitutionnelle commune aux Eacutetats membres opposeacutee agrave la lecture actuelle de lrsquoarticle 4
du Protocole ndeg 7 par la Cour de Strasbourg qui laquo se heurte agrave la forte preacutesence et agrave
lrsquoenracinement des systegravemes de double sanction administrative et peacutenale des Eacutetats
membres raquo
58 Crsquoest exactement la lecture de lrsquoarrecirct Fransson faite par la Cour dans les arrecircts preacuteciteacutes
Grande Stevens et autres sect 229 Kapetanios et autres sect 73 et Sismanidis et Sitaridis sect 73
59 Voir parmi de multiples sources drsquoopinio iuris agrave cet eacutegard les conclusions de
lrsquoAssociation internationale de droit peacutenal (laquo lrsquoAIDP raquo) XIVe Congregraves international de droit
peacutenal octobre 1989 (laquo Dans le cas ougrave un acte relegraveve des deux qualifications peacutenale et
administrative le deacutelinquant ne devrait pas ecirctre puni deux fois En cas de poursuites
successives il devrait ecirctre pleinement tenu compte de toute sanction deacutejagrave prononceacutee pour le
mecircme acte raquo et XVIIe Congregraves international de droit peacutenal septembre 2004 (laquo Le cumul
des proceacutedures et des sanctions de nature peacutenale doit ecirctre eacuteviteacute dans tous les cas raquo)
Principe 9 des Principes de Princeton sur la compeacutetence universelle de 2001 et Anke
Biehler et autres (dir de publ) Freiburg Proposal on Concurrent Jurisdictions and the
Prohibition of Multiple Prosecutions in the European Union 2003
60 AIDP XIVe Congregraves international preacuteciteacute laquo Cette deacutepeacutenalisation est souhaitable dans
la mesure ougrave elle est en harmonie avec le principe de subsidiariteacute de la loi peacutenale raquo
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 65
peacutenale classiques Les infractions administratives sont freacutequemment
formuleacutees en des termes larges et ouverts et les amendes administratives
(Geldbusse) en sont la forme privileacutegieacutee de sanction Lrsquoemprisonnement
nrsquoest pas une alternative agrave lrsquoamende (Ersatzfreiheitsstrafe) comme crsquoest le
cas en droit peacutenal et aucune contrainte par corps (Erzwingungshaft) ne peut
ecirctre ordonneacutee agrave moins que la personne concerneacutee nrsquoait manqueacute agrave son
obligation de paiement des sommes dues sans avoir fait eacutetablir son
incapaciteacute agrave srsquoen acquitter Les sanctions administratives ne sont pas
enregistreacutees au casier judiciaire national mais seulement dans certaines
circonstances dans certains dossiers administratifs sectoriels tel que le
registre des infractions routiegraveres Normalement les infractions
administratives font lrsquoobjet drsquoune proceacutedure simplifieacutee et drsquoune sanction
prononceacutee par des autoriteacutes administratives sauf si elles donnent
ulteacuterieurement lieu agrave un recours en justice Dans de nombreux cas la
poursuite des infractions administratives relegraveve du pouvoir discreacutetionnaire
des autoriteacutes administratives compeacutetentes Les regravegles geacuteneacuterales de la
proceacutedure peacutenale ne sont en principe applicables que par analogie De plus
courts deacutelais de prescriptions srsquoappliquent aux infractions administratives
par rapports aux infractions peacutenales
17 Le brouillage de la ligne de deacutemarcation entre droit peacutenal et droit
administrative a ses propres risques Des comportements gravement
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute sont eux aussi devenus lrsquoobjet du droit
administratif particuliegraverement lorsqursquoils impliquent le traitement massif de
donneacutees agrave lrsquoinstar du droit fiscal ou un niveau drsquoexpertise hautement
qualifieacutee comme en droit de la concurrence61 et en droit boursier ou des
valeurs mobiliegraveres62
b) Lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk et la laquo peacutenalisation raquo des infractions mineures
18 Depuis longtemps la jurisprudence de la Cour indique que les
infractions administratives entrent dans le champ de son controcircle sous
lrsquoeacutegide des garanties de lrsquoarticle 6 Sur la base des critegraveres Engel63 la Cour a
reacuteaffirmeacute maintes et maintes fois qursquoune conduite passible de sanctions
administratives devait beacuteneacuteficier des garanties proceacutedurales de lrsquoarticle 6
indiffeacuteremment de la nature personnelle ou collective de lrsquointeacuterecirct juridique
proteacutegeacute par la norme violeacutee64 du relatif manque de graviteacute de la peine65 et
61 A Menarini Diagnostics SRL c Italie ndeg 4350908 27 septembre 2011
62 Grande Stevens et autres preacuteciteacute
63 Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 seacuterie A ndeg 22
64 Oumlztuumlrk c Allemagne 21 feacutevrier 1984 sect 53 seacuterie A ndeg 73 laquo Il importe peu de savoir si
la disposition leacutegale meacuteconnue par M Oumlztuumlrk vise agrave proteacuteger les droits et inteacuterecircts drsquoautrui
ou seulement agrave satisfaire aux exigences de la circulation raquo
65 Ibidem sect 54 laquo La faiblesse relative de lrsquoenjeu (hellip) ne saurait retirer agrave une infraction
son caractegravere peacutenal intrinsegraveque raquo Voir aussi Lutz c Allemagne 25 aoucirct 1987 sect 55 seacuterie A
ndeg 123 et Jussila c Finlande [GC] ndeg 7305301 sect 31 CEDH 2006-XIII
66 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
du fait que la peine nrsquoait que peu de chance de leacuteser la reacuteputation du
coupable66 Sinon une telle privation de garanties proceacutedurales contredirait
le but de lrsquoarticle 667
19 Dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk68 la Cour a invoqueacute trois arguments cruciaux
pour se placer agrave contre-courant de la deacutepeacutenalisation et faire droit agrave la thegravese
selon laquelle lrsquoinfraction administrative en cause une infraction routiegravere
eacutetait de nature laquo peacutenale raquo aux fins de lrsquoarticle 6 le sens ordinaire des
termes la punition de la conduite incrimineacutee par le droit peacutenal dans laquo une
large majoriteacute des Eacutetats contractants raquo et la porteacutee geacuteneacuterale de la norme
violeacutee une norme de circulation routiegravere69 Agrave y regarder de plus pregraves aucun
de ces arguments nrsquoest convaincant Il est difficile drsquoeacutetablir une ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales sur la base du
laquo sens ordinaire des termes raquo quoique la Cour veuille dire par cela En
outre srsquoil est vrai que le consensus europeacuteen est certainement un argument
deacutecisif pour la peacutenalisation drsquoun acte gravement preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute il
est difficilement concevable que la Cour puisse argumenter sur la base du
consensus europeacuteen contre la deacutepeacutenalisation des infractions mineures qui
beacuteneacuteficie non seulement agrave lrsquoindividu qui ne pourrait plus rendre de comptes
en termes peacutenaux pour sa conduite et qui pourrait mecircme eacuteviter les
proceacutedures judiciaires mais eacutegalement le fonctionnement effectif de la
justice deacutesormais soulageacutee du traitement de la grande majoriteacute de ces
infractions Par-dessus tout la Cour se meacuteprend dans lrsquoassimilation des
infractions peacutenales aux normes de porteacutee personnelle geacuteneacuterale De maniegravere
assez surprenante elle semble ignorer la tradition europeacuteenne ancienne des
infractions peacutenales agrave porteacutee personnelle limiteacutee crsquoest-agrave-dire des normes
applicables agrave certaines cateacutegories de citoyens deacutefinissables par des traits
personnels ou professionnels (Sonderdelikte ou Pflichtendelikte)70 Ainsi
66 Oumlztuumlrk preacuteciteacute sect 53 laquo Sans doute srsquoagissait-il drsquoune infraction leacutegegravere ne risquant
guegravere de nuire agrave la reacuteputation de son auteur mais elle ne sortait pas pour autant du champ
drsquoapplication de lrsquoarticle 6 Rien ne donne en effet agrave penser que lrsquoinfraction peacutenale
(criminal offence) au sens de la Convention implique neacutecessairement un certain degreacute de
graviteacute raquo
67 Ibidem laquo il serait contraire agrave lrsquoobjet et au but de lrsquoarticle 6 qui garantit aux accuseacutes
le droit agrave un tribunal et agrave un procegraves eacutequitable de permettre agrave lrsquoEacutetat de soustraire agrave lrsquoempire
de ce texte toute une cateacutegorie drsquoinfractions pour peu qursquoil les juge leacutegegraveres raquo
68 Ibidem
69 Ibidem
70 Sur ce type drsquoinfractions peacutenales voir Roxin Taumlterschaft und Tatherrschaft Berlin
9e eacutedition 2015 et Langer Das Sonderverbrechen Berlin 1972 La doctrine distingue
entre les laquo veacuteritables infractions speacuteciales raquo (echte Sonderdelikte) qui peuvent seulement
ecirctre commise par une personne deacutetenant une certaine qualiteacute des laquo fausses infractions
speacuteciales raquo (unechte Sonderdelikte) qui peuvent ecirctre commises par nrsquoimporte qui mais
dont la sanction est aggraveacutee si elle est commise pas une personne deacutetenant une certaine
qualiteacute ou dans une situation particuliegravere La Cour dans lrsquoaffaire Oumlztuumlrk nrsquoest pas au fait de
cette distinction
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 67
les infractions peacutenales et les normes agrave porteacutee personnelle limiteacutee ne sont pas
incompatibles les unes avec les autres
20 Si la deacutepeacutenalisation nrsquoest pas sans poser problegraveme au regard des
garanties deacutecoulant des articles 6 et 7 de la Convention et de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 lorsqursquoil srsquoagit drsquoinfractions mineures reacuteprimant des actes
moins preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute71 elle creacutee manifestement de seacuterieuses
difficulteacutes sur le terrain de ces articles lorsqursquoil srsquoagit drsquoactes plus
preacutejudiciables agrave la socieacuteteacute qui sont deacuteclasseacutes dans le domaine du droit
administratif agrave des fins politiques Elle en creacutee drsquoautant plus lorsque des
infractions administratives incluant celles commises par neacutegligence sont
passibles de sanctions financiegraveres amendes ou majorations astronomiques
parfois mecircme illimiteacutees freacutequemment associeacutees agrave la suspension la
restriction voire mecircme le retrait de certains droits tels que les droits
professionnels Des reacutegimes speacutecialement cleacutements sont proposeacutes aux
lanceurs drsquoalerte et autre collaborateurs de la justice Certaines infractions
administratives conduisent mecircme agrave des sanctions plus seacutevegraveres en cas de
reacutecidive En outre les proceacutedures administratives peuvent inclure des
mesures drsquoenquecirctes aussi intrusives que lrsquointerception de communication et
les perquisitions de domiciles qui peuvent porter atteinte agrave la vie priveacutee du
suspect tout autant que les proceacutedures peacutenales les plus seacuterieuses
21 En reacutealiteacute ce droit peacutenal agrave deux vitesses masque une politique
reacutepressive expansionniste qui vise agrave punir de maniegravere plus expeacuteditive et
plus seacutevegraverement avec moins de garanties mateacuterielles et proceacutedurales Dans
le contexte de ce nouveau Leacuteviathan les infractions de droit administratif ne
sont rien de plus qursquoune appellation trompeuse drsquoune strateacutegie punitive
ferme et le droit administratif devient un raccourci permettant de contourner
les garanties ordinaires du droit peacutenal et de la proceacutedure peacutenale72
22 La Convention nrsquoest pas indiffeacuterente agrave cette politique peacutenale Au
contraire elle ne saurait laisser des probleacutematiques relatives aux droits de
lrsquohomme de cette ampleur au seul pouvoir discreacutetionnaire de chaque Eacutetat
Aucune marge drsquoappreacuteciation nrsquoest accordeacutee aux Eacutetats par lrsquoarticle 7 de la
Convention et lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 qui sont des dispositions non
susceptibles de deacuterogation La deacutefinition des frontiegraveres du droit peacutenal et
lrsquoapplication des principes de leacutegaliteacute et du non bis in idem ne sont pas
deacutependantes des particulariteacutes de chaque systegraveme juridique national Au
contraire elles sont soumises agrave un controcircle europeacuteen strict reacutealiseacute par la
Cour ainsi que cela sera deacutemontreacute ci-dessous
71 Pour la Cour il est clair que la deacutepeacutenalisation est lieacutee aux infractions mineures non
infamantes drsquoun point de vue social (Lutz preacuteciteacute sect 57)
72 Jrsquoai deacutejagrave critiqueacute cette tendance dans mes opinions jointes aux arrecircts A Menarini
Diagnostics SRL preacuteciteacute et Grande Stevens et autres preacuteciteacute
68 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
B Les majorations drsquoimpocirct comme instrument de politique peacutenale
a) La nature peacutenale des majorations drsquoimpocirct
23 Tout comme les termes des articles 6 et 7 de la Convention la notion
de laquo proceacutedure peacutenale raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee de maniegravere autonome En outre
par principe la Convention et ses Protocoles doivent ecirctre envisageacutes comme
un tout73 Ainsi lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute agrave la lumiegravere
des principes geacuteneacuteraux concernant les notions drsquolaquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo et de laquo peine raquo eacutenonceacutees respectivement aux articles 6 et 7 de la
Convention74 De plus la qualification juridique de la proceacutedure en droit
national ne peut ecirctre le seul critegravere pertinent pour deacuteterminer lrsquoapplicabiliteacute
du principe ne bis in idem sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7
Autrement lrsquoapplication de cette disposition serait laisseacutee au pouvoir
discreacutetionnaire des Eacutetats contractants agrave un degreacute conduisant agrave des reacutesultats
incompatibles avec lrsquoobjet et le but de la Convention Preacuteciseacutement pour
eacuteviter un tel pouvoir discreacutetionnaire il peut exister des cas dans lesquels ni
un acquittement deacutefinitif75 ni une condamnation deacutefinitive76 ne sont
capables de deacuteclencher les effets du ne bis in idem
24 Dans lrsquoaffaire en cause la premiegravere proceacutedure visait agrave lrsquoimposition
de majorations drsquoimpocirct La Cour a pris clairement position en faveur de la
nature peacutenale des sanctions administratives sur le terrain de lrsquoarticle 6 de la
Convention Dans lrsquoaffaire Bendenoun77 qui concernait lrsquoimposition de
majorations drsquoimpocirct pour eacutevasion fiscale la Cour ne srsquoest pas reacutefeacutereacutee
expresseacutement aux critegraveres Engel elle a eacutenumeacutereacute quatre eacuteleacutements qursquoelle
estimait pertinents dans la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 en
lrsquoespegravece que la loi eacutetablissant les sanctions concerne tous les citoyens en
leur qualiteacute de contribuables que la majoration ne tende pas agrave la reacuteparation
peacutecuniaire drsquoun preacutejudice mais vise pour lrsquoessentiel agrave punir pour empecirccher
la reacuteiteacuteration drsquoagissements semblables qursquoelle se fonde sur une norme de
caractegravere geacuteneacuteral dont le but est agrave la fois preacuteventif et reacutepressif et qursquoelle
revecircte une ampleur consideacuterable La Cour a consideacutereacute cependant qursquoun Eacutetat
contractant devait avoir la liberteacute de confier au fisc la tacircche drsquoimposer des
sanctions telles que des majorations drsquoimpocirct mecircme si elles atteignent des
sommes eacuteleveacutees Pareil systegraveme nrsquoest pas incompatible avec lrsquoarticle 6 sect 1
tant que le contribuable peut soumettre toute deacutecision lui faisant grief agrave un
73 Voir parmi drsquoautres Hirsi Jamaa et autres c Italie [GC] ndeg 2776509 sect 178
CEDH 2012 et Ferrazzini c Italie [GC] ndeg 4475998 sect 29 CEDH 2001-VII
74 Nykaumlnen c Finlande ndeg 1182811 sect 38 20 mai 2014 Haarvig c Norvegravege (deacutec)
ndeg 1118705 11 deacutecembre 2007 Nilsson c Suegravede (deacutec) ndeg 7366101 CEDH 2005-XIII
Rosenquist c Suegravede (deacutec) ndeg 6061900 14 septembre 2004 Manasson c Suegravede (deacutec)
ndeg 4126598 8 avril 2003 Goumlktan c France ndeg 3340296 sect 48 CEDH 2002-V et Malige
c France 23 septembre 1998 sect 35 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-VII
75 Marguš c Croatie [GC] ndeg 445510 sect 139 CEDH 2014
76 Kurdov et Ivanov c Bulgarie ndeg 1613704 sect 44 31 mai 2011
77 Bendenoun c France 24 feacutevrier 1994 seacuterie A ndeg 284
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 69
organe judiciaire jouissant de la pleine juridiction incluant le pouvoir
drsquoannuler sur tous les points que ce soit de droit ou de fait la deacutecision
contesteacutee78
25 Dans les affaires Janosevic79 et Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic80
la Cour nrsquoa fait aucune reacutefeacuterence agrave lrsquoaffaire Bendenoun ou agrave lrsquoapproche
particuliegravere y suivie par elle mais elle a proceacutedeacute strictement sur la base des
critegraveres Engel81 Apregraves avoir confirmeacute que les proceacutedures administratives
avaient abouti agrave une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo agrave lrsquoencontre du
requeacuterant la Cour a consideacutereacute que les proceacutedures judiciaires en lrsquoespegravece
avaient eacuteteacute conduites par des tribunaux soumis aux garanties requises par
lrsquoarticle 6 sect 1 puisque les juridictions administratives avaient compeacutetence
pour examiner tous les aspects de la question qui leur eacutetait adresseacutee Leur
examen nrsquoeacutetait pas limiteacute agrave des points de droit mais pouvait eacutegalement ecirctre
eacutetendu agrave des questions de faits incluant lrsquoappreacuteciation des preuves Si elles
eacutetaient en deacutesaccord avec lrsquoautoriteacute fiscale ces juridictions avaient le
pouvoir drsquoannuler la deacutecision objet drsquoun recours La Cour a ajouteacute que le
point de deacutepart pour les autoriteacutes fiscales et les juridictions devait reacutesider
dans le fait que les inexactitudes releveacutees dans la deacuteclaration fiscale
relevaient drsquoun acte inexcusable imputable au contribuable et qursquoil nrsquoeacutetait
pas manifestement deacuteraisonnable drsquoimposer une majoration drsquoimpocirct comme
sanction de ce comportement Les autoriteacutes fiscales et les juridictions
devraient eacutevaluer srsquoil existe des motifs de dispense mecircme si le contribuable
nrsquoa rien dit agrave cet eacutegard Cependant alors que le devoir drsquoeacutevaluer srsquoil existe
des motifs de dispense nrsquoexiste que lorsque les faits de lrsquoespegravece le justifient
la charge de prouver qursquoil existe des raisons de dispenser un contribuable
drsquoune majoration repose en effet sur celui-ci La Cour a conclu qursquoun
systegraveme fiscal opeacuterant sur une telle preacutesomption qursquoil appartient au
contribuable de renverser eacutetait compatible avec lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention
b) Lrsquoarrecirct Jussila et la ligne de deacutemarcation entre malum in se et malum quia
prohibitum
26 Dans lrsquoaffaire Jussila82 la Cour a confirmeacute lrsquoapproche retenue dans
lrsquoaffaire Janosevic et souligneacute qursquolaquo Il nrsquoexiste donc pas dans la
jurisprudence de la Cour de preacuteceacutedent faisant autoriteacute qui permette de dire
78 Ibidem sect 46
79 Janosevic c Suegravede ndeg 3461997 CEDH 2002‑VII
80 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic c Suegravede ndeg 3698597 23 juillet 2002
81 La Cour a souligneacute le mauvais argument laquo Les majorations drsquoimpocirct infligeacutees en
conseacutequence lrsquoont eacuteteacute au titre de la leacutegislation fiscale [hellip] qui vise toutes les personnes
assujetties agrave lrsquoimpocirct en Suegravede et non un groupe donneacute doteacute drsquoun statut particulier raquo
(Janosevic preacuteciteacute sect 68 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 79 voir aussi par
exemple SC IMH Suceava SRL c Roumanie ndeg 2493504 sect 51 29 octobre 2013)
82 Jussila preacuteciteacute sect 41
70 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que la leacutegegravereteacute de la sanction constituerait en matiegravere fiscale ou autre un
facteur deacutecisif pour exclure du champ drsquoapplication de lrsquoarticle 6 une
infraction revecirctant par ailleurs un caractegravere peacutenal raquo 83 De plus comme un
signal clair de son intention de ne pas priver les contribuables de leur
garanties fondamentales opposables agrave lrsquoEacutetat la Cour a ajouteacute que si elle laquo ne
dout[ait] pas de lrsquoimportance de lrsquoimpocirct pour le bon fonctionnement de
lrsquoEacutetat elle nrsquo[eacutetait] pas convaincue qursquoil faille affranchir les sanctions
fiscales des garanties proceacutedurales contenues dans lrsquoarticle 6 pour preacuteserver
lrsquoefficaciteacute du systegraveme fiscal ni drsquoailleurs que pareille deacutemarche puisse se
concilier avec lrsquoesprit et le but de la Convention raquo84 En agissant de la sorte
la Cour a abandonneacute laquo peu ou prou raquo 85 la logique de lrsquoaffaire Ferrazzini86
puisqursquoelle a admis que les questions drsquoimposition ne sortaient pas du
champ mateacuteriel de la Convention Drsquoun point de vue ratione materiae les
questions se rapportant aux majorations drsquoimpocirct peuvent impliquer une
appreacuteciation par la Cour du pouvoir souverain des Eacutetats en matiegravere fiscale
La neutralisation des preacuterogatives de puissance publiques dans lrsquoaffaire
Jussila a conduit la Cour agrave un recadrage apparent des speacutecificiteacutes des
obligations fiscales dans le contexte du droit europeacuteen des droits de
lrsquohomme
27 Mecircme lorsque les majorations drsquoimpocirct ne sont pas qualifieacutees de
peacutenales en droit national ce seul fait nrsquoest pas deacutecisif pour la Cour Le fait
que les majorations drsquoimpocirct soient imposeacutees par des dispositions leacutegales
srsquoappliquant aux contribuables de maniegravere geacuteneacuterale avec une viseacutee
dissuasive est jugeacute plus pertinent En principe les majorations drsquoimpocirct sont
conccedilues non pas comme une compensation peacutecuniaire pour un dommage
causeacute agrave lrsquoEacutetat mais comme une forme de sanction des coupables et comme
un moyen de dissuader les reacutecidivistes et les nouveaux deacutelinquants
potentiels Aux yeux de la Cour les majorations drsquoimpocirct sont ainsi
imposeacutees par une regravegle dont le but est simultaneacutement dissuasif et punitif
mecircme dans le cas de lrsquoimposition drsquoune majoration fiscale de 10 avec un
maximum fixeacute agrave 2087 Pour la Cour dans lrsquoaffaire Jussila la nature
reacutepressive de la majoration fiscale surpasse la consideacuteration de minimis de
lrsquoarrecirct Bendenoun En conseacutequence les proceacutedures impliquant des
majorations drsquoimpocirct ont eacutegalement eacuteteacute consideacutereacutees comme des laquo proceacutedures
peacutenales raquo au regard de lrsquoarticle 6 de la Convention
83 Ibidem sect 35
84 Ibidem sect 36
85 Ibidem sect 45
86 Ferrazzini preacuteciteacute sect 29 En reacutealiteacute la Cour a eacutevalueacute agrave plusieurs reprises la
compatibiliteacute des mesures de politiques fiscales agrave lrsquoaune de lrsquoarticle 1 du Protocole ndeg 1
(parmi les affaires les plus significatives voir NKM c Hongrie ndeg 6652911 14 mai 2013
Koufaki et ADEDY c Gregravece (deacutec) nos 5766512 et 5765712 7 mai 2013 Da Conceiccedilatildeo
Mateus c Portugal (deacutec) nos 6223512 et 5772512 8 octobre 2013 et Da Silva Carvalho
Rico c Portugal (deacutec) ndeg 1334114 1er septembre 2014)
87 Jussila preacuteciteacute sect 38
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 71
28 Si la Cour srsquoeacutetait arrecircteacutee lagrave lrsquoarrecirct Jussila aurait eacuteteacute une simple
extension de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk au domaine des majorations drsquoimpocirct Mais la
Cour ne srsquoest pas arrecircteacutee lagrave Elle a consideacutereacute ensuite qursquolaquo il [allait] de soi
que certaines [proceacutedures peacutenales] ne comportent aucun caractegravere infamant
pour ceux qursquoelles visent raquo En conseacutequence dans lrsquoarrecirct de la Cour les
garanties peacutenales ne srsquoappliquent pas avec toute leur rigueur aux accusations
peacutenales deacutepourvues de caractegravere infamant88 En appliquant lrsquoarticle 6 de
maniegravere diffeacuterencieacutee en fonction de la nature du sujet et du caractegravere
infamant que certaines accusations peacutenales comportent la Cour a opeacutereacute une
distinction entre les garanties proceacutedurales conventionnelles disponibles et
indisponibles le droit de lrsquoaccuseacute agrave un procegraves public appartenant agrave la
premiegravere cateacutegorie Dans la mesure ougrave elles nrsquoont pas de caractegravere infamant
les infractions administratives peuvent se distinguer du noyau dur du droit
peacutenal et ainsi les garanties peacutenales de lrsquoarticle 6 peuvent ne pas srsquoy
appliquer dans leur totaliteacute Une seconde cateacutegorie drsquoinfractions peacutenales qui
ne beacuteneacuteficie que de certaines des garanties de lrsquoarticle 6 a vu le jour dans
lrsquoaffaire Jussila
29 Malheureusement ni dans lrsquoarrecirct Jussila ni ulteacuterieurement la Cour
nrsquoa fait le moindre effort drsquoeacutelaborer une approche coheacuterente de la magna
quaestio relative agrave la ligne de deacutemarcation entre le laquo noyau dur du droit
peacutenal raquo et le reste du droit peacutenal qui fait eacutecho agrave la distinction entre mala in
se et mala prohibita La distinction de la Grande Chambre nrsquoest pas
seulement trop simpliste elle semble aussi assez artificielle Dans lrsquoarrecirct
Jussila comme dans quelques autres cas le critegravere du caractegravere infamant
ressemble agrave un argument purement theacuteorique que la Cour nrsquoutilise pas
veacuteritablement pour reacutesoudre lrsquoaffaire89 En reacutealiteacute la Cour a trancheacute lrsquoaffaire
88 Ibidem sect 43 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 120 Kammerer c Autriche
ndeg 3243506 sect 26 12 mai 2010 et Flisar c Sloveacutenie ndeg 312709 sect 36 29 septembre 2011
La conclusion de lrsquoaffaire Jussila selon laquelle le procegraves public nrsquoeacutetait pas neacutecessaire dans
le cas des infractions administratives a eacuteteacute eacutetendue agrave drsquoautres questions proceacutedurales
couvertes par lrsquoarticle 6 telle que dans les affaires Kammerer et Flisar la preacutesence drsquoun
accuseacute agrave une audience
89 En reacutealiteacute lrsquoapplication du critegravere du caractegravere infamant dans la jurisprudence de la
Cour a eacuteteacute tregraves limiteacutee Il est vrai que la Cour a constateacute agrave maintes reprises le caractegravere
infamant que revecirct implicitement la torture (voir parmi de nombreuses affaires Irlande
c Royaume-Uni 18 janvier 1978 sect 167 seacuterie A ndeg 25 Aksoy c Turquie 18 deacutecembre
1996 sect 64 Recueil 1996-VI Aydın c Turquie 25 septembre 1997 sectsect 83-84 et 86
Recueil 1997-VI Selmouni c France [GC] ndeg 2580394 sect 74 CEDH 1999-V Dikme
c Turquie ndeg 2086992 sectsect 94-96 CEDH 2000-VIII et Batı et autres c Turquie
nos 3309796 et 5783400 sect 116 CEDH 2004-IV) Mais en dehors de ces affaires
lrsquoutilisation du critegravere est rare Parfois la Cour se reacutefegravere au caractegravere infamant de la
condamnation comme facteur pour deacuteterminer la neacutecessiteacute drsquoune comparution personnelle
de lrsquoaccuseacute dans une proceacutedure (dans une affaire de meurtre Chopenko c Ukraine
ndeg 1773506 sect 64 15 janvier 2015 dans une affaire de corruption Suuripaumlauml c Finlande
ndeg 4315102 sect 45 12 janvier 2010) ou pour deacuteterminer si la situation du requeacuterant doit
ecirctre deacutejagrave substantiellement affecteacutee par les mesures prises par la police dans les proceacutedures
preacuteliminaires (dans une affaire drsquoabus sexuel sur mineur Subinski c Sloveacutenie ndeg 1961104
72 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Jussila de maniegravere tregraves pragmatique sur la base du fait que le requeacuterant avait
largement eu lrsquoopportuniteacute de se deacutefendre par eacutecrit et de commenter les
arguments des autoriteacutes fiscales
30 Le manque de clarteacute conceptuelle de la deacutefinition du laquo noyau dur du
droit peacutenal raquo au titre de lrsquoarticle 6 est encore aggraveacute par le fait que
normalement lrsquoapplication des critegraveres Engel est davantage une question de
degreacute deacutependant du poids des sanctions appliqueacutees et applicables qursquoune
question de nature des accusations qui pegravesent sur lrsquoaccuseacute La Cour preacutefegravere
le plus souvent reacutesoudre la question de lrsquoapplicabiliteacute des critegraveres Engel en
se reacutefeacuterant agrave une appreacuteciation purement quantitative plutocirct que qualitative
de lrsquoinfraction en cause Lorsqursquoelle se lance dans une analyse sur le fond de
la nature de lrsquoinfraction elle utilise freacutequemment lrsquoargument erroneacute tireacute de
lrsquoaffaire Oumlztuumlrk90 de la porteacutee personnelle limiteacutee de la norme
sect 68 18 janvier 2007) Le raisonnement de lrsquoarrecirct Suuripaumlauml a eacuteteacute eacutetendu agrave des infractions
administratives fiscales dans lrsquoaffaire Paacutekozdi c Hongrie (ndeg 5126907 sect 39 25 novembre
2014 Dans drsquoautres cas la Cour a dit que des infractions peacutenales passibles
drsquoemprisonnement impliquaient un caractegravere infamant suffisant lorsque la personne
condamneacutee se voit infliger une peine de sept ans (Popa et Tănăsescu c Roumanie
no 1994604 sect 46 10 avril 2012) une peine de quatre ans (Saacutendor Lajos Kiss c Hongrie
ndeg 2695805 sect 24 29 septembre 2009) ou une peine avec sursis (Goldmann et Szeacutenaacuteszky
c Hongrie ndeg 1760405 sect 20 30 novembre 2010) ou mecircme une amende (Talaacuteber
c Hongrie ndeg 3737605 sect 27 29 septembre 2009) En drsquoautres occasions la Cour a
simplement affirmeacute que certains inteacuterecircts juridiques tels que le respect des regravegles de seacutecuriteacute
incendie de protection des consommateurs ou des politiques drsquourbanisme nrsquoentraient pas
dans le champ du droit peacutenal sans mentionner le deacutefaut de caractegravere infamant (Kurdov et
Ivanov preacuteciteacute sect 43 SC IMH Suceava SRL preacuteciteacute sect 51 et Inocecircncio c Portugal
(deacutec) no 4386298 CEDH 2001ndashI) Dans lrsquoaffaire Segame SA c France (ndeg 483706
sect 59 7 juin 2012) la Cour a consideacutereacute qursquoun impocirct suppleacutementaire sur les œuvres drsquoart et
les sanctions correspondantes laquo ne [faisait] pas partie du noyau dur du droit peacutenal au sens
de la Convention raquo Dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres (preacuteciteacutee sect 122) la Cour a
noteacute que mis agrave part leur seacuteveacuteriteacute financiegravere les sanctions que certains des requeacuterants
encourraient avaient un laquo caractegravere infamant raquo et risquaient drsquoaffecter neacutegativement
lrsquohonneur professionnel et la reacuteputation des personnes concerneacutees Ainsi le critegravere
substantiel du caractegravere infamant est parfois lieacute aux sanctions applicables agrave lrsquoinfraction
alors que dans les cas de meurtre torture corruption ou abus sexuel de mineur il est lieacute agrave la
nature-mecircme du comportement En deacutefinitive la Cour a rejeteacute eacutegalement le critegravere
organique et tautologique selon lequel les infractions traiteacutees par les juridictions
administratives ou les juridictions compeacutetentes agrave lrsquoeacutegard des laquo infractions mineures raquo sont
administratives et qursquoen conseacutequence leur qualification de laquo peacutenale raquo serait exclue
(Tomasović c Croatie ndeg 5378509 sect 22 18 octobre 2011)
90 Lrsquoapplication de ce critegravere a produit des deacutecisions malheureuses telle que celle
deacutelibeacutereacutee dans lrsquoaffaire Inocecircncio (preacuteciteacutee) qui a consideacutereacute les infractions administratives
(contraordenaccedilotildees) en jeu comme non peacutenales bien que les contraordenaccedilotildees portugais
soient modeleacutees exactement agrave lrsquoimage des Ordnungswidrigkeiten allemandes qui avaient
eacuteteacute qualifieacutees de laquo peacutenales raquo dans lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk (agrave titre de comparaison voir la Loi
allemande sur les infractions administratives de 1968 Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
et la Loi portugaise sur les infractions administratives de 1982 Regime Geral das
Contraordenaccedilotildees)
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 73
31 En reacutesumeacute le choix politique de lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk de laquo peacutenaliser raquo les
infractions mineures aux fins de lrsquoarticle 6 est fondamentalement reacuteeacutevalueacute
dans lrsquoarrecirct Jussila Lrsquoextension apparente de ce choix politique aux
majorations drsquoimpocirct est dilueacutee en finaliteacute par lrsquoapproche pragmatique et
tourneacutee vers lrsquoefficaciteacute de la Cour qui eacutetiquette ces infractions mineures
comme eacutetant bien que laquo peacutenales raquo exclues du laquo noyau dur du droit peacutenal raquo
ne meacuteritant ainsi pas la protection pleine et entiegravere du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6 Les inteacuterecircts drsquoune proceacutedure fiscale efficace et massive ont peseacute
plus lourd que toute autre consideacuteration
32 Quoiqursquoil en soit le message de la Cour dans lrsquoaffaire Jussila vaut
eacutegalement pour la Norvegravege Les majorations drsquoimpocirct imposeacutees dans la
preacutesente affaire sont de nature peacutenale et les proceacutedures fiscales respectives
sont peacutenales aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les majorations
drsquoimpocirct de 30 imposeacutees par la Norvegravege pouvant aller jusqursquoagrave 60 en
cas de neacutegligence grossiegravere ou volontaire sont bien supeacuterieures en
comparaison de lrsquoaffaire Jussila
Crsquoest eacutegalement la position de la majoriteacute de la Grande Chambre dans la
preacutesente affaire qui confirme contrairement agrave lrsquoargumentation du
Gouvernement91 qursquoil nrsquoexiste pas de notion peacutenale plus restrictive agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Ainsi la majoriteacute rejette lrsquoapproche des affaires
Storbraringten92 Mjelde93 et Haarvig94 dans lesquelles la Cour avait accepteacute un
eacuteventail de critegraveres plus large que les critegraveres Engel aux fins de deacuteterminer
si une proceacutedure revecirctait un caractegravere peacutenal au sens de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7
Seconde Partie
IV - Lrsquoheacuteritage pro persona de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A Le cumul des sanctions administratives et peacutenales
a) Lrsquoidem factum dans les proceacutedures administratives et peacutenales
33 Lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 prohibe la poursuite ou le jugement de
lrsquoauteur drsquoune infraction deacutejagrave acquitteacute ou condamneacute pour celle-ci Une
approche centreacutee sur la qualification juridique de lrsquoinfraction (idem crimen)
serait trop restrictive Si la Cour se bornait agrave accepter qursquoune personne soit
poursuivie pour des infractions qualifieacutees diffeacuteremment elle risquerait
91 Voir paragraphes 66 et 67 de lrsquoarrecirct
92 Storbraringten c Norvegravege (deacutec) ndeg 1227704 11 feacutevrier 2007
93 Mjelde c Norvegravege (deacutec) ndeg 1114304 11 feacutevrier 2007
94 Haarvig preacuteciteacute
74 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
drsquoamoindrir les garanties contenues agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 et ce pour
deux raisons Drsquoabord le mecircme fait peut ecirctre qualifieacute drsquoinfraction peacutenale
dans diffeacuterents Eacutetats mais les eacuteleacutements constitutifs de lrsquoinfraction peuvent
ecirctre significativement diffeacuterents Ensuite certains Eacutetats peuvent qualifier
diffeacuteremment le mecircme fait drsquoinfraction peacutenale ou drsquoinfraction
administrative crsquoest-agrave-dire non peacutenale95
34 Par conseacutequent lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 doit ecirctre interpreacuteteacute
comme prohibant la poursuite ou le jugement de novo drsquoune infraction dans
la mesure ougrave elle reacutesulte de faits identiques ou de faits similaires en
substance (idem factum)96 Il est donc important aux yeux de la Cour de
srsquoattacher aux faits qui constituent les circonstances factuelles concregravetes
impliquant le mecircme accuseacute et inextricablement lieacutes les uns aux autres dans
le temps et lrsquoespace dont lrsquoexistence doit ecirctre deacutemontreacutee pour garantir une
condamnation ou entamer des proceacutedures peacutenales97 Cela signifie que le
champ de la prohibition comprend la poursuite de nouvelles infractions en
relation de concours apparent (concorso apparente Gesetzeskonkurrenz) ou
de concours ideacuteal drsquoinfractions (concorso ideale di reati Idealkonkurrenz)98
avec lrsquoinfraction ou les infractions deacutejagrave jugeacutees La mecircme prohibition est
valable pour le concours reacuteel drsquoinfractions (concorso materiale di reati
Realkonkurrenz) lorsqursquoelles appartiennent agrave la mecircme uniteacute temporelle et
spatiale Cela signifie eacutegalement que lrsquoeffet ne bis idem drsquoun jugement
constatant une infraction continueacutee fait obstacle agrave la tenue drsquoun nouveau
procegraves pour des chefs drsquoaccusation se rapportant agrave tout nouveau fait distinct
srsquoinscrivant dans la continuiteacute du comportement deacutelictueux en cause99
35 En reacutesumeacute lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine affirme en droit europeacuteen
des droits de lrsquohomme le principe ne bis in idem en tant que droit individuel
de mecircme porteacutee que le principe classique drsquoeacutepuisement de la proceacutedure
95 Par exemple lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 a eacuteteacute eacutetendu aux sanctions administratives
telles que des majorations de 40 et 80 des impocircts dus (Ponsetti et Chesnell c France
(deacutec) nos 3685597 et 4173198 CEDH 1999-VI) aux sanctions administratives
compleacutementaires des peines peacutenales (Maszni c Roumanie ndeg 5989200 21 septembre
2006) et aux sanctions civiles (Storbraringten deacutecision preacuteciteacutee)
96 La Cour a deacutefini lrsquoidem factum comme laquo une seule et mecircme conduite de la part des
mecircmes personnes agrave la mecircme date raquo (Maresti c Croatie no 5575907 sect 63 25 juin 2009 et
Muslija c Bosnie‑Herzeacutegovine ndeg 3204211 sect 34 14 janvier 2014) La jurisprudence de la
Cour de Luxembourg concernant lrsquoarticle 54 de la CAAS est similaire (Van Esbroeck
preacuteciteacute sectsect 27 32 et 36 Kretzinger preacuteciteacute sectsect 33 et 34 Van Straaten preacuteciteacute sectsect 41 47 et
48 et Norma Kraaijenbrink preacuteciteacute sect 30)
97 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 82 et 84 Lagrave nrsquoest pas le lieu ni lrsquoendroit pour
analyser le caractegravere artificiel de la summa divisio entre lrsquoidem factum et lrsquoidem legem
Lrsquoidem factum est conditionneacute dans une certaine mesure par lrsquoappreacutehension a priori des
faits pertinents agrave la lumiegravere du droit peacutenal Crsquoest particuliegraverement vrai dans le cas des
infractions continueacutees
98 Oliveira c Suisse ndeg 2571194 30 juillet 1998 Recueil 1998-V
99 Voir mon opinion seacutepareacutee dans lrsquoarrecirct Rohlena c Reacutepublique Tchegraveque [GC]
ndeg 5955208 sect 9 CEDH 2015
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 75
(Erledigungsprinzip)100 La garantie srsquoeacutetend au droit de ne pas ecirctre poursuivi
ou jugeacute deux fois101 Ce principe en son sens europeacuteen va bien plus loin
que la maxime res judicata pro veritate habetur qui vise fondamentalement
agrave proteacuteger lrsquoeacutenonceacute final public et faisant autoriteacute sur le crimen et ainsi agrave
assurer la seacutecuriteacute juridique et eacuteviter les jugements contradictoires En outre
lrsquointerpreacutetation europeacuteenne du principe ne bis in idem vise agrave proteacuteger le
suspect des faits alleacutegueacutes drsquoune double incrimination lorsque son
acquittement ou sa condamnation preacutealables sont deacutejagrave passeacutes en force de
chose jugeacutee102
Neacuteanmoins la Cour dans lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine exige une
comparaison entre la deacutecision par laquelle la premiegravere laquo proceacutedure peacutenale raquo
a eacuteteacute conclue et la liste des accusations dirigeacutees contre le requeacuterant dans les
nouvelles proceacutedures Puisque les faits dans les deux proceacutedures se
distinguaient au niveau drsquoun seul eacuteleacutement la menace de violence qui
nrsquoavait pas eacuteteacute mentionneacutee dans les premiegraveres proceacutedures la Cour considegravere
que les accusations peacutenales au titre de lrsquoarticle 213 sect 2 b) du Code Peacutenal
englobent les faits de lrsquoinfraction reacuteprimeacutee par lrsquoarticle 158 du Code des
infractions administrative dans leur totaliteacute et que inversement lrsquoinfraction
drsquolaquo actes perturbateurs mineurs raquo ne renfermait aucun eacuteleacutement qui nrsquoeacutetait
contenu dans lrsquoinfraction drsquolaquo actes perturbateurs raquo et laquo concernait
essentiellement la mecircme infraction raquo 103
36 Au regard de ce qui preacutecegravede je partage lrsquoopinion de la majoriteacute de la
Grande Chambre dans la preacutesente affaire selon laquelle lrsquoinfraction peacutenale
pour laquelle les requeacuterants ont eacuteteacute poursuivis condamneacutes et punis eacutetait
baseacutee sur le mecircme ensemble de faits que ceux pour lesquels les majorations
drsquoimpocirct leur ont eacuteteacute infligeacutees
b) La deacutecision deacutefinitive dans les proceacutedures administratives
37 Le but de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 est de prohiber la reacutepeacutetition
des proceacutedures conclues par une deacutecision laquo deacutefinitive raquo Drsquoapregraves le Rapport
explicatif du Protocole no 7 qui se reacutefegravere lui-mecircme agrave la Convention
europeacuteenne sur la valeur internationale des jugements reacutepressifs une
100 Se reacutefeacuterant litteacuteralement agrave la nature individuelle du droit Sergueiuml Zolotoukhine
preacuteciteacute sect 81
101 Ibidem sect 110 et auparavant Franz Fischer c Autriche ndeg 3795097 sect 29 29 mai
2001
102 Ainsi qursquoil a eacuteteacute deacutemontreacute ci-dessus il srsquoagit de lrsquoideacuteologie sous-jacente au septiegraveme
amendement agrave la Constitution des Eacutetats-Unis et agrave lrsquoarticle 8 du chapitre V du titre II de la
Constitution franccedilaise de 1791 montrant que lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine est conforme agrave la
compreacutehension historique et pro persona de ce principe agrave lrsquoeacutepoque moderne
103 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 97 et 121 Peut-ecirctre est-ce involontaire mais dans
drsquoautres cas la Cour compare les laquo eacuteleacutements essentiels raquo de lrsquoinfraction pour eacutetablis lrsquoidem
(voir les exemples post-Sergueiuml Zolotoukhine Muslija preacuteciteacute sect 34 Asadbeyli et autres
c Azerbaiumldjan nos 365305 1472905 2090805 2624205 3608305 et 1651906 sect 157
11 deacutecembre 2012 et Ruotsalainen c Finlande no 1307903 sect 56 16 juin 2009)
76 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
deacutecision est deacutefinitive laquo si elle est selon lrsquoexpression consacreacutee passeacutee en
force de chose jugeacutee Tel est le cas lorsqursquoelle est irreacutevocable crsquoest-agrave-dire
lorsqursquoelle nrsquoest pas susceptible de voies de recours ordinaires ou que les
parties ont eacutepuiseacute ces voies ou laisseacute passer les deacutelais sans les exercer raquo104
Dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la Cour a rappeleacute que les deacutecisions agrave
lrsquoencontre desquelles existe une possibiliteacute de recours ordinaire eacutetaient
exclues du champ de la garantie contenue agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 tant
que le deacutelai pour interjeter un tel appel nrsquoa pas expireacute Drsquoun autre cocircteacute les
recours extraordinaires tels qursquoune requecircte en reacuteouverture des proceacutedures ou
une demande drsquoextension du deacutelai expireacute ne sont pas pris en consideacuteration
aux fins de deacuteterminer si les proceacutedures ont atteint une conclusion
deacutefinitive
38 Agrave lrsquoinverse de la majoriteacute de la Grande Chambre je ne peux suivre
le raisonnement de la Cour suprecircme et la position des requeacuterants quant agrave
lrsquoargument selon lequel les deacutecisions de majorations drsquoimpocirct eacutetaient
devenues deacutefinitives le 15 deacutecembre 2008 pour M A et le 26 deacutecembre
2008 pour M B crsquoest-agrave-dire avant qursquoils ne soient condamneacutes pour les
mecircmes faits par la Cour de district bien que le deacutelai de 6 mois pour entamer
des proceacutedures judiciaires fixeacute par lrsquoarticle 11-1(4) de la loi fiscale nrsquoavait
pas encore expireacute Puisque les requeacuterants avaient toujours le droit drsquoacceacuteder
agrave une voie de recours jrsquoai du mal agrave consideacuterer les deacutecisions imposant les
majorations drsquoimpocirct comme irreacutevocables105 Cette conclusion srsquoimpose
drsquoautant plus si lrsquoon tient compte du fait que puisque les organes
administratifs en questions ne sont ni indeacutependants ni juridictionnels le
droit drsquoaccegraves agrave une proceacutedure judiciaire est neacutecessaire pour que les sanctions
administratives soient compatibles avec lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention106
39 La date exacte agrave laquelle la deacutecision administrative est devenue
deacutefinitive nrsquoest de toute eacutevidence pas anodine Lrsquohypothegravese juridique selon
laquelle la deacutecision administrative drsquoimposition des majorations devient
deacutefinitive en premier lieu pourrait ecirctre diffeacuterent de celui dans lequel la
condamnation peacutenale pour fraude fiscale devient deacutefinitive la premiegravere
Bien que la Cour ait consideacutereacute que laquo la question de savoir si le principe non
bis in idem a eacuteteacute enfreint se rapporte agrave la relation entre les deux infractions
et ne peut donc deacutependre de lrsquoordre dans lequel les proceacutedures sont
conduites raquo107 lrsquoimpact juridique drsquoune condamnation peacutenale deacutefinitive sur
une proceacutedure administrative peut se distinguer de maniegravere significative de
lrsquoimpact juridique drsquoune deacutecision administrative finale sur une proceacutedure
peacutenale La majoriteacute a fermeacute les yeux sur ce distinguo sans eacutevaluer les
diffeacuterentes conseacutequences en droit norveacutegien de ces diffeacuterentes hypothegraveses
Elle a simplement supposeacute que les proceacutedures administratives et peacutenales
104 Sergueiuml Zolotoukhine preacuteciteacute sectsect 107 et 108
105 Crsquoest eacutegalement lrsquoargument du Gouvernement (voir paragraphe 72 de lrsquoarrecirct)
106 Vaumlstberga Taxi Aktiebolag et Vulic preacuteciteacute sect 93
107 Franz Fischer preacuteciteacute sect 29
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 77
srsquoinscrivaient dans une laquo approche inteacutegreacutee raquo108 en concluant qursquoil nrsquoeacutetait
pas neacutecessaire de traiter de la question du caractegravere deacutefinitif des proceacutedures
administratives Je deacutemontrerai par la suite les effets neacutegatifs de cette
position
B Les proceacutedures parallegraveles administratives et peacutenales (bis)
a) Un lien temporel suffisant
40 Bien que la Cour dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine ne traite pas du
cas des proceacutedures parallegraveles ex professo109 elle eacutecarte bel et bien la
condition suppleacutementaire et inexacte que lrsquoaffaire Zigarella avait ajouteacutee au
bis en lrsquoabsence de tout dommage deacutemontreacute par le requeacuterant seules de
nouvelles proceacutedures entameacutees en connaissance du fait que lrsquoaccuseacute avait
deacutejagrave eacuteteacute jugeacute dans des proceacutedures anteacuterieures violeraient le principe ne bis in
idem110
41 Drsquoun point de vue litteacuteral rien dans la formulation de lrsquoarticle 4 du
Protocole no 7 nrsquoindique qursquoune distinction doive ecirctre opeacutereacutee entre des
proceacutedures parallegraveles ou conseacutecutives entre la reprise de poursuites en
attente et le deacuteclenchement de nouvelles poursuites Agrave proprement parler la
disposition nrsquoempecircche pas que plusieurs proceacutedures parallegraveles soient
meneacutees avant qursquoune deacutecision deacutefinitive ne soit adopteacutee agrave lrsquoissue de lrsquoune
drsquoentre elles Dans une telle situation il ne peut ecirctre consideacutereacute que
lrsquoindividu a eacuteteacute poursuivi plusieurs fois laquo en raison drsquoune infraction pour
laquelle il a deacutejagrave eacuteteacute acquitteacute ou condamneacute par un jugement deacutefinitif raquo111
Dans le cas de deux proceacutedures parallegraveles la Convention exige que la
108 Voir le paragraphe 141 de lrsquoarrecirct
109 Lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine traite de deux proceacutedures conseacutecutives la proceacutedure
administrative srsquoest acheveacutee le 4 janvier 2002 et la proceacutedure peacutenale ouverte le 23 janvier
2002 srsquoest acheveacutee le 15 avril 2003
110 Zigarella c Italie (deacutec) ndeg 4815499 CEDH 2002-IX (extraits) et Falkner
c Autriche (deacutec) ndeg 607202 30 septembre 2004 Au paragraphe 36 de lrsquoarrecirct de chambre
dans lrsquoaffaire Sergueiuml Zolotoukhine la mecircme position est adopteacutee mais le paragraphe 115
de lrsquoarrecirct de la Grande Chambre srsquoabstient de reacutepeacuteter la mecircme phrase La Grande Chambre
admet seulement qursquoelle peut consideacuterer que le requeacuterant a perdu sa qualiteacute de victime
lorsque les autoriteacutes nationales entament deux seacuteries de proceacutedures mais par la suite
reconnaissent la violation du ne bis in idem et offrent la reacuteparation adeacutequate par exemple
en clocircturant ou en annulant la deuxiegraveme proceacutedure et en en supprimant les effets Ainsi la
Cour ne se reacutefegravere pas au caractegravere volontaire de lrsquoouverture de la seconde proceacutedure comme
condition de la violation du ne bis in idem et requiert seulement qursquoil y ait reconnaissance
explicite de la violation au niveau interne pour conclure agrave la non-recevabiliteacute du grief du
requeacuterant Ulteacuterieurement la Cour est malheureusement revenue agrave la formulation de lrsquoarrecirct
Zigarella dans les arrecircts Maresti (preacuteciteacute sect 66) et Tomasovic (preacuteciteacute sect 29) mais voir
lrsquoimportante opinion seacutepareacutee du juge Sicilianos jointe agrave ce dernier arrecirct
111 Garaudy c France (deacutec) ndeg 6583101 CEDH 2003-IX (extraits)
78 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
seconde soit interrompue aussitocirct que la premiegravere devient deacutefinitive112 En
lrsquoabsence drsquoune telle interruption la Cour conclut agrave une violation113
42 Cependant dans un certain nombre drsquoaffaires la Cour a eacutetabli des
regravegles diffeacuterentes pour certaines proceacutedures peacutenales et administratives
parallegraveles Dans la deacutecision Nilsson la Cour a consideacutereacute pour la premiegravere
fois que laquo si les diverses sanctions infligeacutees agrave lrsquointeacuteresseacute ont eacuteteacute prononceacutees
par deux autoriteacutes diffeacuterentes agrave lrsquoissue de proceacutedures distinctes il existait
entre elles un lien mateacuteriel et temporel suffisamment eacutetroit pour que lrsquoon
puisse consideacuterer le retrait de permis comme lrsquoune des mesures preacutevues par
le droit sueacutedois pour la reacutepression des deacutelits de conduite en eacutetat drsquoeacutebrieacuteteacute
avanceacute et de conduite sans permis raquo 114 Ce que la Cour envisage comme un
laquo lien temporel suffisamment eacutetroit raquo nrsquoest pas clair puisqursquoelle ne se reacutefegravere
pas explicitement agrave la peacuteriode entre la deacutecision devenue deacutefinitive en
premier lieu (la condamnation du requeacuterant par le tribunal de district de
Mora le 24 juin 1999) et la deacutecision devenue ensuite deacutefinitive (la deacutecision
de la Cour suprecircme du 18 deacutecembre 2000 deacuteboutant le requeacuterant) ou entre
la premiegravere deacutecision administrative (lrsquoavis deacutelivreacute par la preacutefecture le 5 mai
1999) et la premiegravere deacutecision peacutenale (la condamnation du requeacuterant par le
tribunal de district de Mora le 24 juin 1999) ou entre la premiegravere deacutecision
peacutenale (la deacutecision du tribunal de district de Mora du 24 juin 1999) et la
premiegravere deacutecision administrative de retrait du permis de conduire (lrsquoavis de
la preacutefecture du 5 aoucirct 1999) En reacutealiteacute il existe un tregraves bref
chevauchement entre les proceacutedures administratives qui ont deacutebuteacute le 5 mai
1999 et ont pris fin le 18 deacutecembre 2000 et les proceacutedures peacutenales qui ont
pris fin le 24 juin 1999
Dans lrsquoaffaire Boman115 la Cour a eacutegalement consideacutereacute qursquoil existait
pareil lien temporel puisque la deacutecision de la police du 28 mai 2010
drsquoimposer une seconde interdiction de conduite eacutetait directement baseacutee sur
la condamnation finale du requeacuterant par le tribunal deacutepartemental des
infractions routiegraveres du 22 avril 2010 et ainsi ne contenait pas drsquoexamen
propre de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause Le lien temporel suffisant
eacutetait lieacute agrave lrsquoabsence drsquoappreacuteciation autonome des preuves comme si lrsquoun et
lrsquoautre eacutetaient eacutetroitement associeacutes
43 Agrave lrsquoinverse dans les affaires Glantz116 Nykaumlnen117 Lucky Dev118
Rinas119 et Oumlsterlund120 la Cour a pris en consideacuteration les dates auxquelles
112 Zigarella preacuteciteacute Il pourrait exister une difficulteacute au regard de la Convention lorsque
deux ou plusieurs proceacutedures peacutenales sont meneacutees en parallegravele contre le mecircme accuseacute pour
les mecircmes faits avant mecircme qursquoune deacutecision deacutefinitive nrsquoait eacuteteacute rendue dans lrsquoune drsquoentre
elles La situation de lis pendens forccedilant lrsquoaccuseacute agrave preacutesenter plusieurs strateacutegies de
deacutefense en mecircme temps devant plusieurs autoriteacutes soulegraveve un problegraveme drsquoinjustice
113 Tomasović preacuteciteacute sectsect 30 et 32 Muslija preacuteciteacute sect 37 et Milenković c Serbie
ndeg 5012413 sect 46 1 mars 2016
114 Nilsson preacuteciteacute
115 Boman c Finlande ndeg 4160411 17 feacutevrier 2015
116 Glantz c Finlande ndeg 3739411 20 mai 2014
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 79
les deacutecisions administratives et peacutenales eacutetaient devenues deacutefinitives Dans
toutes ces affaires la Cour a constateacute une violation Dans lrsquoarrecirct Glantz121
la proceacutedure administrative avait eacuteteacute initieacutee le 18 deacutecembre 2006 et a eacuteteacute
deacutefinitivement close le 11 janvier 2010 alors que la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute initieacutee le 15 deacutecembre 2008 Les deux instances eacutetaient donc en cours de
maniegravere concurrente jusqursquoau 11 janvier 2010 lorsque la premiegravere a eacuteteacute
deacutefinitivement close Dans la mesure ougrave la proceacutedure peacutenale nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la premiegravere proceacutedure avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive le 18 mai 2011 la
Cour a consideacutereacute que le requeacuterant avait eacuteteacute condamneacute deux fois dans la
mecircme affaire dans instances devenues deacutefinitivement closes le 11 janvier
2010 et le 18 mai 2011122
Dans lrsquoarrecirct Rinas123 la Cour a noteacute que lorsque la proceacutedure peacutenale a
eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 mai 2012 le recours formeacute par le requeacuterant
contre la deacutecision de majoration fiscale eacutetait toujours pendant devant la
Cour administrative suprecircme Dans la mesure ougrave la proceacutedure
administrative devant la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas eacuteteacute
interrompue apregraves que la proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute deacutefinitivement close
mais srsquoeacutetait poursuivie jusqursquoagrave une deacutecision deacutefinitive du 13 septembre
2012 le requeacuterant a eacuteteacute condamneacute deux fois dans la mecircme affaire
concernant les anneacutees fiscales 2002 agrave 2004 dans deux instances closes
respectivement le 31 mai 2012 et le 13 septembre 2012124
44 La Cour est arriveacutee agrave une conclusion diffeacuterente dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml125
La proceacutedure administrative avait deacutebuteacute en 2007 lorsque des majorations
drsquoimpocirct avaient eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant Il nrsquoavait apparemment jamais
chercheacute agrave obtenir une rectification ni agrave former un recours et en
conseacutequence cette proceacutedure a eacuteteacute deacutefinitivement close le 31 deacutecembre
2010 et le 31 deacutecembre 2011 agrave lrsquoexpiration des deacutelais de rectification et
drsquoappel La proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute initieacutee le 3 avril 2008 et srsquoeacutetait
acheveacutee le 29 juin 2010 lorsque la Cour suprecircme a rendu son arrecirct deacutefinitif
Les deux instances eacutetaient ainsi pendantes de maniegravere concurrente jusqursquoau
117 Nykaumlnen preacuteciteacute
118 Lucky Dev preacuteciteacute
119 Rinas c Finlande ndeg 1703913 27 janvier 2015
120 Oumlsterlund c Finlande ndeg 5319713 10 feacutevrier 2015
121 Glantz preacuteciteacute sect 62
122 Le mecircme raisonnement a eacuteteacute suivi dans Nykaumlnen (preacuteciteacute sect 52 ndash les proceacutedures
fiscales avaient commenceacute le 28 novembre 2005 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 1er avril 2009
alors que les proceacutedures peacutenales avaient eacuteteacute initieacutees le 19 aoucirct 2008 et srsquoeacutetaient acheveacutees le
1er septembre 2010) et Lucky Dev (preacuteciteacute sect 63 ndash les proceacutedures fiscales avaient
commenceacute le 1er juin 2004 et srsquoeacutetaient acheveacutees le 20 octobre 2009 et les proceacutedures
peacutenales initieacutees le 5 aoucirct 2005 ont eacuteteacute deacutefinitivement closes le 8 janvier 2009)
123 Rinas preacuteciteacute sect 56
124 La situation eacutetait similaire dans lrsquoaffaire Oumlsterlund (preacuteciteacute sect 51)
125 Haumlkkauml c Finlande ndeg 75811 sectsect 50-52 20 mai 2014
80 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
29 juin 2010 quand la seconde devint deacutefinitive La Cour nrsquoa pas conclu agrave
la violation dans la mesure ougrave laquo le requeacuterant avait une possibiliteacute reacuteelle
drsquoempecirccher une double incrimination tout drsquoabord en demandant la
rectification puis en formant un recours dans le deacutelai qui nrsquoeacutetait pas encore
expireacute raquo126 Ainsi pour la Cour dans lrsquoarrecirct Haumlkkauml si lrsquoaccuseacute ne forme
aucun recours administratif le principe ne bis in idem ne trouve pas agrave
srsquoappliquer quand bien mecircme lrsquoaccuseacute aurait deacutejagrave fait lrsquoobjet drsquoune
condamnation deacutefinitive dans la proceacutedure peacutenale
45 Enfin dans lrsquoarrecirct Kiiveri127 la Cour a consideacutereacute que le requeacuterant ne
pouvait plus se plaindre drsquoune double incrimination pour lrsquoanneacutee fiscale
2002 preacuteciseacutement parce que la Cour suprecircme avait conclu que lrsquoaffaire
avait eacuteteacute deacutefinitivement trancheacutee dans la proceacutedure fiscale administrative et
avait rejeteacute les accusations peacutenales de fraude fiscale aggraveacutee laquo sans
examiner le fond raquo128 concernant lrsquoanneacutee 2002 sur la base du principe ne
bis in idem
46 Les exemples ci-dessus suffisent agrave montrer que le laquo lien temporel
suffisamment eacutetroit raquo est totalement arbitraire Crsquoest preacuteciseacutement la raison
pour laquelle la Cour srsquoen est dispenseacutee dans les affaires italiennes et
grecques129
Contrairement agrave la position du gouvernement franccedilais qui avait identifieacute
une phase drsquoappreacuteciation par les autoriteacutes fiscales et une autre drsquoenquecircte
judiciaire lesquelles devaient ecirctre meneacutees simultaneacutement ou nrsquoecirctre seacutepareacutees
que par un bref intervalle130 la majoriteacute dans la preacutesente affaire a choisi de
consideacuterer pertinente une peacuteriode de neuf mois entre le moment ougrave la
deacutecision des autoriteacutes fiscales du 5 deacutecembre 2008 eacutetait devenue deacutefinitive
et la date de la condamnation du second requeacuterant le 30 septembre 2009
Bien que cette peacuteriode soit laquo plus longue raquo131 que la peacuteriode de deux mois et
demi dans le cas du premier requeacuterant la majoriteacute impute ce laps de temps
additionnel au retrait par le second requeacuterant de ses aveux Selon ce
raisonnement la garantie du ne bis idem devient flexible avec une porteacutee
plus eacutetroite lorsque lrsquoaccuseacute exerce ses droits proceacuteduraux et plus large
lorsqursquoil ne le fait pas La posture punitive de la majoriteacute ne pouvait pas ecirctre
illustreacutee de maniegravere plus eacuteloquente
126 Ibidem sect 52
127 Kiiveri c Finlande ndeg 5375312 10 feacutevrier 2015
128 Ibidem sect 36
129 Je me reacutefegravere aux arrecircts Grande Stevens et autres (preacuteciteacute) Kapetanios et autres
(preacuteciteacute) et Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) dans lesquels la Cour a eacuteteacute unanime
130 Voir paragraphe 96 de lrsquoarrecirct
131 Voir paragraphe 150 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 81
b) Un lien mateacuteriel suffisant
47 La majoriteacute suit explicitement le raisonnement eacutetabli dans les
affaires RT c Suisse132 et Nilsson c Suegravede133 concernant les doubles
proceacutedures peacutenales et administratives lorsque les deacutecisions de retrait de
permis de conduire eacutetaient directement baseacutees sur une condamnation peacutenale
attendue ou finale pour infraction routiegravere et ainsi ne contenaient pas
drsquoexamen seacutepareacute de lrsquoinfraction ou de la conduite en cause134 Cette
jurisprudence a eacuteteacute deacuteveloppeacutee plus avant dans les affaires Lucky Dev
Nykaumlnen et Haumlkkauml135 ougrave il nrsquoexistait preacutetendument aucun lien suffisant
mateacuteriel et temporel entre les proceacutedures peacutenales et fiscales Dans les trois
affaires susmentionneacutees les proceacutedures peacutenales et fiscales eacutetaient parallegraveles
et concernaient la mecircme peacuteriode et essentiellement le mecircme montant
soustrait au fisc Dans celles-ci la Cour a noteacute que les infractions avaient
eacuteteacute examineacutees par diffeacuterentes autoriteacutes et juridictions sans que les
proceacutedures ne soient lieacutees les deux instances suivant leur propre cours et
eacutetant devenues deacutefinitives agrave des moments diffeacuterents Enfin dans tous ces
cas la responsabiliteacute peacutenale du requeacuterant et sa responsabiliteacute de payer les
majorations drsquoimpocirct fixeacutees par la leacutegislation fiscale pertinente eacutetaient
deacutetermineacutes dans des proceacutedures totalement indeacutependantes les unes des
autres Dans lrsquoaffaire Lucky Dev la Cour administrative suprecircme nrsquoavait pas
pris en consideacuteration le fait que la requeacuterante avait eacuteteacute acquitteacutee de
lrsquoinfraction fiscale lorsqursquoelle a refuseacute de faire appel et a imposeacute en
conseacutequence des majorations deacutefinitives136 Dans les affaires Nykaumlnen et
Haumlkkauml ni les sanctions administratives ni les sanctions peacutenales nrsquoont eacuteteacute
prises en consideacuteration par lrsquoautre juridiction ou autoriteacute lorsque celles-ci se
sont prononceacutees sur la seacuteveacuteriteacute de la sanction il nrsquoy a drsquoailleurs eu aucune
interaction entre les autoriteacutes concerneacutees137
48 Avant de discuter les deacutetails de ce raisonnement deux arguments
fallacieux doivent ecirctre eacutecarteacutes drsquoembleacutee Lrsquoun veut que si lrsquoarticle 4 du
132 RT c Suisse (deacutec) ndeg 3198296 30 mai 2000
133 Nilsson preacuteciteacute
134 Dans lrsquoaffaire RT c Suisse la proceacutedure administrative avait deacutebuteacute le 11 mai 1993
et avait eacuteteacute conclue avec la deacutecision du Tribunal feacutedeacuteral du 5 deacutecembre 1995 alors que la
proceacutedure peacutenale avait eacuteteacute conclue par la deacutelivrance de lrsquoordonnance peacutenale du 9 juin 1993
qui nrsquoavait pas fait lrsquoobjet drsquoun recours Dans lrsquoaffaire Nilsson la proceacutedure peacutenale avait
eacuteteacute conclue le 24 juin 1999 puisque le jugement du tribunal deacutepartemental de Mora nrsquoavait
pas fait lrsquoobjet drsquoun recours alors que la proceacutedure administrative avait commenceacute le 5 mai
1999 et srsquoeacutetait acheveacutee le 11 novembre 1999 Dans le dernier cas la sanction administrative
a eacuteteacute imposeacutee apregraves que la sanction peacutenale eacutetait devenue deacutefinitive Dans le premier cas la
sanction administrative a eacuteteacute imposeacutee avant la sanction peacutenale Ces affaires ne sont pas
similaires Pourtant la majoriteacute les a traiteacutees comme si elles lrsquoeacutetaient
135 Lucky Dev preacuteciteacute sect 54 et Nykaumlnen preacuteciteacute sect 43 et Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50-52
136 Lucky Dev preacuteciteacute sect 62 Oumlsterlund preacuteciteacute sectsect 50 et 51 et Rinas preacuteciteacute sectsect 55 et
56
137 Nykaumlnen preacuteciteacute sectsect 51 et 52 Haumlkkauml preacuteciteacute sectsect 50 et 52
82 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
Protocole no 7 devait ecirctre interpreacuteteacute comme prohibant la clocircture de
proceacutedures en cours agrave partir du moment ougrave soit la proceacutedure peacutenale soit la
proceacutedure administrative est conclue par une deacutecision deacutefinitive cela
implique des laquo conseacutequences lourdes neacutegatives et impreacutevisibles dans un
certain nombre de domaines relevant du droit administratif raquo138 Cet
argumentum ad terrorem lequel joue la carte de lrsquoappel agrave la peur nrsquoest pas
un argument juridique et ne devrait degraves lors beacuteneacuteficier drsquoaucun creacutedit devant
une juridiction Lrsquoautre exemple drsquoargument fallacieux inadmissible est
celui selon lequel plusieurs Eacutetats europeacuteens qui connaissent un double
systegraveme de sanction ont plaideacute pour son maintien devant la Cour exprimant
des opinions et preacuteoccupations similaires agrave celles du gouvernement
deacutefendeur139 Il srsquoagit drsquoun argumentum ad nauseam jouant sur la reacutepeacutetition
de lrsquoargument et non sur ses meacuterites Il ne devrait pas qua tale avoir sa place
dans une deacutecision de la Cour
49 Deux postulats geacuteneacuteraux erroneacutes doivent eacutegalement ecirctre deacutenonceacutes Il
est faut drsquoarguer sur le terrain de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 que les Eacutetats
doivent beacuteneacuteficier drsquoune large marge drsquoappreacuteciation agrave cet eacutegard tant que le
systegraveme de double sanction poursuit un but leacutegitime et ne fait pas peser un
fardeau excessif ou disproportionneacute sur lrsquoaccuseacute Il srsquoagit drsquoun droit non
susceptible de deacuterogation et par conseacutequent les Eacutetats ne beacuteneacuteficient
drsquoaucune marge drsquoappreacuteciation140
Il nrsquoest pas davantage permis drsquoarguer que la question de savoir laquelle
des deux proceacutedures parallegraveles devient deacutefinitive relegraveve de la coiumlncidence
ni que si les autoriteacutes eacutetaient obligeacutees drsquointerrompre la premiegravere lorsque la
deuxiegraveme devient deacutefinitive lrsquoissue des proceacutedures combineacutees pourrait srsquoen
trouver arbitraire Cette argumentation est circulaire parce qursquoelle
preacutesuppose qursquoil devrait y avoir plus drsquoune proceacutedure pour les mecircmes faits
De plus elle implique que lrsquoaccuseacute puisse utiliser le principe ne bis in idem
agrave des fins de laquo manipulation et drsquoimpuniteacute raquo141 comme si lrsquoaccuseacute eacutetait
toujours en mesure de controcircler le rythme des proceacutedures Une telle vision
de lrsquoeacutequilibre des pouvoirs dans les proceacutedures administratives est
deacuteconnecteacutee de la reacutealiteacute142 Enfin la supposition sous-jacente du
raisonnement de la majoriteacute est la suivante le principe ne bis in idem nrsquoest
pas lrsquoexpression drsquoun droit subjectif de lrsquoaccuseacute mais une simple regravegle
visant agrave garantie lrsquoautoriteacute de la chose jugeacutee avec pour seul but la
138 Voir lrsquoargument du Gouvernement au paragraphe 84 de lrsquoarrecirct
139 Voir cet argument au paragraphe 119 de lrsquoarrecirct
140 Voir de maniegravere similaire le Rapport explicatif sur lrsquoAvis de lrsquoAssembleacutee
Parlementaire du Conseil de lrsquoEurope sur le Projet de Protocole ndeg 15 agrave la Convention de
sauvegarde des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales doc 13154 28 mars 2013
sect 8
141 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
142 Voir comme exemple du deacuteseacutequilibre des pouvoirs entre les autoriteacutes administratives
et le justiciable dans des proceacutedures administratives mon opinion jointe agrave lrsquoarrecirct Grande
Stevens et autres preacuteciteacute
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 83
satisfaction de lrsquointeacuterecirct punitif de lrsquoEacutetat et de lrsquoincontestabiliteacute des deacutecisions
de justice Les reacuteflexions suivantes mettront en eacutevidence de maniegravere plus
deacutetailleacutee cette posture pro auctoritate de la majoriteacute
V - La reacutevision de lrsquoarrecirct Sergueiuml Zolotoukhine
A La restriction de lrsquoidem factum par le critegravere du bis
a) La poursuite de buts diffeacuterents traitant drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
50 Drsquoapregraves la majoriteacute quatre conditions de fond doivent ecirctre reacuteunies
pour que puisse ecirctre accepteacute le cumul des sanctions administratives et
peacutenales des proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant
drsquoaspects diffeacuterents de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute en cause la
preacutevisibiliteacute du cumul des sanctions la non-reacutepeacutetition de la collecte et de
lrsquoappreacuteciation des preuves et le meacutecanisme de compensation entre les
sanctions administrative et peacutenale
51 La premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute se reacutefegravere agrave diffeacuterentes
proceacutedures poursuivant des buts compleacutementaires et traitant drsquoaspects
diffeacuterents de lrsquoacte en cause La majoriteacute identifie au paragraphe 144 les
diffeacuterents buts poursuivis par les majorations drsquoimpocirct sur le fondement de
lrsquoarticle 10 du chapitre 10 (dissuasion geacuteneacuterale et compensation pour le
travail et les coucircts supporteacutes par les autoriteacutes fiscales pour identifier les
deacuteclarations frauduleuses) et par la condamnation peacutenale sur le fondement
de lrsquoarticle 12 du chapitre 12 de la loi fiscale de 1980 (but punitif) La
majoriteacute souligne eacutegalement au paragraphe 123 lrsquolaquo eacuteleacutement additionnel raquo de
lrsquoinfraction peacutenale (la conduite frauduleuse) qui nrsquoest pas supposeacutement
traiteacute par lrsquoinfraction fiscale En drsquoautres termes la majoriteacute se range du
cocircteacute du Gouvernement qui preacutetend que les majorations drsquoimpocirct ordinaires
sont laquo infligeacutees objectivement sans consideacuteration de la faute dans le but
drsquooffrir agrave lrsquoEacutetat une compensation pour les coucircts associeacutes raquo au processus de
controcircle143
52 Cette thegravese ne tient pas pour deux raisons juridiques de principe
Premiegraverement il nrsquoy a aucune disposition ni instrument obligatoire de droit
interne qui requerrait un rapport de proportionnaliteacute entre les majorations
drsquoimpocirct et les coucircts engageacutes par lrsquoadministration pour deacutetecter investiguer
poursuivre et reacuteparer lrsquoinfraction fiscale imputeacutee au coupable Une telle
exigence serait simplement irreacutealiste puisqursquoelle ne pourrait ecirctre baseacutee que
sur une estimation virtuelle et approximative des coucircts per capita de
lrsquoadministration fiscale avec son systegraveme de controcircles et drsquoaudits reacutealiseacutes
pour identifier les deacuteclarations frauduleuses Ainsi lrsquoexistence drsquoune finaliteacute
compensatoire pour les majorations drsquoimpocirct impliquerait un eacuteleacutement
143 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 p 29
84 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
inadmissible de culpabiliteacute collective faisant peser sur certains
contribuables le coucirct du systegraveme de controcircle des deacuteclarations fiscales tout
entier
53 Ensuite la position de la majoriteacute neacuteglige le fait que les majorations
drsquoimpocirct en cause ne peuvent ecirctre consideacutereacutees comme simplement
compensatoires Des majorations jusqursquoagrave 30 voire mecircme 60 sont si
lourdes qursquoelles incluent manifestement une dimension punitive Dans
lrsquoaffaire Janosevic des majorations normalement fixeacutees agrave 20 ou 40 de
lrsquoimpocirct eacuteviteacute sans plafond et non convertible en peine de prison en cas de
non-paiement ont eacuteteacute consideacutereacutees comme relevant du volet peacutenal de
lrsquoarticle 6144 Enfin la majoriteacute nrsquoest pas consciente du but intrinsegravequement
punitif de toute majoration fiscale quel que soit son montant ainsi que
lrsquoaffaire Jussila lrsquoavait eacutetabli longtemps auparavant srsquoagissant drsquoune
majoration fiscale de 10 pouvant aller jusqursquoagrave 20 145 Il est difficile de
comprendre pourquoi la Cour a soudainement abandonneacute dans la preacutesente
affaire ces normes bien eacutetablies sans explication
En reacutesumeacute dans le cadre du droit norveacutegien les majorations drsquoimpocirct
visent agrave dissuader les fraudeurs potentiels et les reacutecidivistes La preacutevention
geacuteneacuterale est le but admis des majorations drsquoimpocirct en question146 Cet
objectif de preacutevention geacuteneacuterale a laquo neacutecessairement raquo des effets secondaires
punitifs et de preacutevention speacuteciale concernant le deacutelinquant condamneacute et ces
effets secondaires sont eacutevidemment voulus par la politique de lrsquoEacutetat147 La
Cour suprecircme a fait un effort louable pour limiter ces effets exemplaires et
punitifs par le principe de proportionnaliteacute148 Mais la Cour ne devrait pas se
livrer agrave un jeu seacutemantique Elle devrait plutocirct eacutevaluer drsquoune maniegravere
reacutealiste et terre agrave terre les sanctions fiscales et leur impact sur la vie des
contribuables Sous cet angle la preacutevention geacuteneacuterale par le biais drsquoune
punition proportionneacutee nrsquoest rien de plus qursquoune laquo theacuteorie punitive
deacuteguiseacutee raquo (verkappte Vergeltungstheorie)149
144 Janosevic preacuteciteacute sect 69
145 Jussila preacuteciteacute sect 38
146 Voir paragraphe 47 de lrsquoarrecirct
147 Ainsi que la Cour lrsquoa dit elle-mecircme dans lrsquoarrecirct Kurdov et Ivanov (preacuteciteacute sect 40)
mentionnant le but neacutecessairement reacutepressif des sanctions administratives de nature
peacutecuniaire
148 Voir le paragraphe 50 de lrsquoarrecirct
149 Il est impossible dans les limites de cette opinion drsquoentrer dans le grand deacutebat
doctrinal relatif aux objectifs des infractions administratives et en particulier de leurs
objectifs laquo deacuteguiseacutes raquo Comme introduction agrave cette discussion voir James Goldschmidt
Das Verwaltungsstrafrecht Eine Untersuchung der Grenzgebiete zwischen Strafrecht und
Verwaltungsrecht auf rechtsgeschichtlicher und rechtsvergleichender Grundlage Berlin
1902 Erik Wolf Die Stellung der Verwaltungsdelikte im Strafrechtssystem in Beitraumlge
zur Strafrechtswissenschaft Festgabe fuumlr Reinhard von Frank II Tuumlbingen 1930
Schmidt Straftaten und Ordnungswidrigkeiten in Juristen Zeitung 1951 Mattes
Untersuchungen zur Lehre von den Ordnungswidrigkeiten Berlin 1972 Paliero Minima
non curat praetor Ipertrofia del diritto penale e decriminalizzazione dei reatti bagatellari
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 85
54 Lrsquoargumentation du Gouvernement ne peut pas non plus ecirctre
accueillie concernant laquo lrsquoeacuteleacutement additionnel raquo de lrsquoinfraction peacutenale le
preacutetendu eacuteleacutement intentionnel frauduleux Lrsquoaccepter irait agrave lrsquoencontre de
lrsquoarrecirct Ruotsalainen150 Dans cette affaire lrsquoEacutetat deacutefendeur arguait que la
fraude fiscale incluait un eacuteleacutement laquo drsquointentionnaliteacute raquo alors que lrsquoinfraction
administrative ne pouvait reposer que sur des motifs objectifs La reacuteponse
de la Cour est eacuteloquente les faits dans les deux instances se distinguaient agrave
peine bien que la proceacutedure peacutenale requicirct une intention mais cela nrsquoeacutetait pas
pertinent aux fins de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 Les eacuteleacutements des deux
infractions devaient donc ecirctre regardeacutes comme eacutetant substantiellement les
mecircmes agrave ces fins Il devrait en aller de mecircme dans la preacutesente affaire
55 En outre la majoriteacute ne compare pas les eacuteleacutements subjectifs de
lrsquoinfraction fiscale administrative passible de majoration drsquoimpocirct et
lrsquoinfraction fiscale de nature peacutenale passible drsquoemprisonnement ou
drsquoamende En conseacutequence elle meacuteconnaicirct la critique drsquoordre moral que
lrsquoon peut intrinsegravequement tirer de la lettre et de lrsquoesprit des provisions
pertinentes de la loi fiscale de 1980 (article 10-2 agrave 4 du chapitre 10)
Lrsquoarticle 10-3 emploie les expressions laquo excusable raquo et laquo raison qui ne peut
lui ecirctre reprocheacutee raquo pour deacutesigner les causes de remises fiscales
Lrsquoinexcusabiliteacute et le caractegravere blacircmable sont des notions intrinsegravequement
morales de lrsquoinfraction administrative qui caracteacuterisent la mens rea du
coupable On les trouve dans les infractions peacutenales aussi La modification
de cette disposition en 2010 ne renvoie plus agrave ces deux notions mais ajoute
la notion drsquolaquo erreur manifestement commise par inadvertance raquo qui
comporte de toute eacutevidence un eacuteleacutement de critique morale pour les erreurs
non commises laquo par inadvertance raquo ou intentionnelles
De plus les majorations drsquoimpocirct jusqursquoagrave un maximum de 60 peuvent
ecirctre imposeacutees quand des actes sont commis volontairement ou par
neacutegligence grossiegravere Ainsi ils requiegraverent lrsquoeacutetablissement drsquoune mens rea et
drsquoune culpabiliteacute comme en matiegravere peacutenale Les eacuteleacutements subjectifs de la
fraude eacutenonceacutes dans les dispositions peacutenales de lrsquoarticle 12-1 du chapitre 12
ndash laquo tout en sachant ou tout en eacutetant censeacutee savoir qursquoelle peut en tirer des
avantages fiscaux raquo ndash recoupe lrsquoeacuteleacutement subjectif de la majoration fiscale
aggraveacutee pouvant aller jusqursquoagrave 60 (neacutegligence grossiegravere ou intentionnelle
ndash article 10-4 du chapitre 10) Autrement dit les eacuteleacutements subjectifs des
sanctions peacutenales et administratives coiumlncident Les proceacutedures peacutenale et
administrative en cause ne visent pas tel ou tel aspect diffeacuterent de lrsquoacte
preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute
56 Une remarque pour finir la premiegravere condition fixeacutee par la majoriteacute
relegraveve en derniegravere analyse de la deacutetermination de lrsquoidem Lrsquoeacutetablissement
des laquo buts diffeacuterents raquo poursuivis par les infractions administratives et
Padoue 1985 et Delmas-Marty et autres Punir sans juger De la reacutepression administrative
au droit administratif peacutenal Paris 1992
150 Ruotsalainen preacuteciteacute sect 56
86 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
peacutenales et des laquo diffeacuterents aspects de lrsquoacte preacutejudiciable agrave la socieacuteteacute raquo viseacutes
par chacune de ces infractions est intrinsegravequement une question de fond qui
touche agrave la deacutefinition de lrsquoidem Ces questions doivent ecirctre consideacutereacutees
comme se rattachant davantage agrave la notion drsquoidem plutocirct qursquoagrave celle de bis
contrairement au raisonnement theacuteorique de la majoriteacute En deacutepit de cette
confusion theacuteorique le but de la majoriteacute est tregraves clair elle veut limiter la
porteacutee de lrsquoidem factum En agissant de la sorte elle inflige un camouflet
conseacutequent agrave la jurisprudence Sergueiuml Zolotoukhine
b) La preacutevisibiliteacute du cumul des diffeacuterentes sanctions
57 La seconde condition fixeacutee par la majoriteacute se rapporte agrave la
preacutevisibiliteacute de la mixiteacute des proceacutedures administratives et peacutenales comme
conseacutequence agrave la fois en droit et en pratique du mecircme acte Une telle
preacutevisibiliteacute est affirmeacutee aux paragraphes 146 et 152 de lrsquoarrecirct sans le
moindre effort pour deacutevelopper la question tregraves deacutelicate du degreacute de
connaissance requis pour engager la responsabiliteacute administrative Une
probleacutematique qui a captiveacute lrsquoattention de la doctrine depuis des deacutecennies a
eacuteteacute tout simplement eacutecarteacutee151 La majoriteacute suppose simplement que les
citoyens en geacuteneacuteral et les contribuables en particulier connaissent ou
devraient connaicirctre lrsquointeacutegraliteacute du cadre juridique administratif y compris
les sanctions et ainsi pourraient ecirctre responsables de toute faute ou conduite
abusive agrave lrsquoaune de ce cadre juridique
58 La majoriteacute ne consacre pas une seule ligne de son raisonnement agrave
lrsquoargument des requeacuterants selon lequel les sanctions qui leur ont eacuteteacute
imposeacutees eacutetaient discriminatoires discreacutetionnaires et non preacutevisibles
puisque quatre coaccuseacutes (GA TF KB et GN) impliqueacutes dans les mecircmes
faits ne se sont pas vu imposer de majorations drsquoimpocirct alors que les
requeacuterants ont ducirc subir des peines de prison et des majorations drsquoimpocirct152
Cet argument va droit au cœur de la seconde condition fixeacutee par la majoriteacute
Les faits de la preacutesente affaire montrent que les Instructions du Procureur
geacuteneacuteral du 3 avril 2009 nrsquoont pas eacuteteacute appliqueacutees aux requeacuterants ni agrave A dont
la condamnation peacutenale date du 2 mars 2009 ni agrave B dont la condamnation
date du 30 novembre 2009 La Cour suprecircme en a pris note mais sans en
tirer de conseacutequence en en se justifiant ainsi laquo le parquet srsquoest reacuteserveacute le
droit drsquoouvrir des poursuites peacutenales sur la base drsquoune appreacuteciation
individuelle au cas ougrave serait en cours une proceacutedure parallegravele non contraire
[agrave lrsquoarticle 4 du Protocole no 7] Il a eacuteteacute indiqueacute que le procegraves de [A] srsquoeacutetait
poursuivi au motif qursquoune juste sanction srsquoimposait agrave lrsquoaune drsquoautres
151 Voir comme introduction agrave cette probleacutematique les annotations aux paragraphes 10
et 11 in Rebman et autres Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten Kommentar troisiegraveme
eacutedition Stuttgart 2016 et Karlsruher Kommentar zum Gesetz uumlber Ordnungswidrigkeiten
quatriegraveme eacutedition Munich 2014
152 Voir paragraphe 64 de lrsquoarrecirct
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 87
affaires connexes () Degraves lors le fondement de la deacutecision eacutetait le principe
drsquoeacutegaliteacute de traitement par rapport agrave des affaires connexes raquo Les requeacuterants
ont rejeteacute cet argument en soulignant que au regard des Instructions de
2009 les majorations drsquoimpocirct nrsquoavaient pas eacuteteacute imposeacutees agrave quatre autres
accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits Le Gouvernement nrsquoa pas
speacutecifiquement contesteacute cette thegravese La majoriteacute nrsquoa rien agrave reacutepondre agrave cette
thegravese majeure des requeacuterants
59 Quoi qursquoil en soit la latitude offerte par les Instructions est
inacceptable agrave la lumiegravere de la jurisprudence Camilleri153 Une telle latitude
pose problegraveme sous lrsquoangle de la seacutecuriteacute juridique Les Instructions avaient
fait naicirctre lrsquoespoir que lrsquoEacutetat ne consideacutererait plus le systegraveme norveacutegien de
reacutepression des fraudes fiscales agrave double voie comme eacutetant leacutegal et conforme
agrave la Convention et ainsi que le Procureur aurait lrsquoobligation drsquoattaquer les
condamnations et avant que celles-ci ne soient prononceacutees drsquoabandonner
les poursuites154 Dans le cas des requeacuterants la deacutecision par le parquet de
proceacuteder diffeacuteremment nrsquoeacutetait pas preacutevisible Le traitement preacutefeacuterentiel
accordeacute aux quatre autres accuseacutes impliqueacutes dans les mecircmes faits qui ont
eacuteteacute exempteacutes de toute majoration fiscale (GA TF KB et GN) ne fait que
prouver le caractegravere discreacutetionnaire et donc impreacutevisible du choix des
autoriteacutes nationales
B La conception pro auctoritate du ne bis in idem de la majoriteacute
a) Absence de reacutepeacutetition de la collecte et de lrsquoappreacuteciation des preuves
60 La troisiegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute consiste en une
prohibition souple (laquo autant que possible raquo) de la reacutepeacutetition de la collecte et
de lrsquoappreacuteciation des preuves agrave partir drsquoun exemple (laquo notamment raquo)
lrsquointeraction entre diffeacuterentes autoriteacutes administrative et judiciaire pour
aboutir agrave lrsquoeacutetablissement des faits dans une proceacutedure est eacutegalement utiliseacutee
dans lrsquoautre proceacutedure155 Pour moi cette condition est tregraves probleacutematique
61 Par principe les conditions de la protection drsquoun droit individuel non
susceptible de deacuterogation tel que le ne bis in idem ne doivent pas ecirctre
laisseacutees au pouvoir discreacutetionnaire de lrsquoEacutetat Puisque la troisiegraveme condition
de la majoriteacute est une simple recommandation de iure condendo ce nrsquoest
pas une exigence conventionnelle Elle a le mecircme effet que lrsquoeacutenonceacute
eacutegalement de iure condendo selon lequel laquo la maniegravere la plus sucircre de veiller
153 Camilleri c Malte ndeg 4293110 22 janvier 2013
154 La position du Procureur Geacuteneacuteral norveacutegien ne pourrait ecirctre plus claire apregraves lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine laquo Depuis le revirement opeacutereacute dans la jurisprudence de la Cour il
faut appliquer un systegraveme laquo agrave un niveau raquo eacutegalement pour les majorations drsquoimpocirct
ordinaires raquo Voir paragraphes 48 et 64 de lrsquoarrecirct
155 Voir paragraphe 132 de lrsquoarrecirct La majoriteacute ne dit pas un mot agrave propos de la solution
existant dans certains Eacutetats drsquoune coopeacuteration entre lrsquoadministration et le parquet pour
deacuteterminer la marche agrave suivre
88 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
au respect de lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 consiste agrave preacutevoir agrave un stade
opportun une proceacutedure agrave un seul niveau raquo156 Tous deux sont des dicta non
contraignants qui nrsquoajoutent rien agrave la jurisprudence contraignante de la
Cour
62 En outre cette recommandation ne fait qursquoeffleurer en surface un
problegraveme tregraves seacuterieux Lrsquoexistence de diffeacuterentes deacuteclarations par les
autoriteacutes administratives et judiciaires sur les mecircmes faits sur la base drsquoune
appreacuteciation diffeacuterentes des mecircmes faits met en question lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat Pire encore une appreacuteciation diffeacuterente des preuves dans une
proceacutedure administrative et une proceacutedure peacutenale permet le deacutetournement
insidieux de la proceacutedure administrative aux fins de la proceacutedure peacutenale Ce
deacutetournement est encore plus inquieacutetant que le risque pour lrsquoautoriteacute de
lrsquoEacutetat dans la mesure ougrave il laisse lrsquoaccuseacute sans deacutefense En drsquoautres termes
la condamnation peacutenale est presque courue drsquoavance lorsque lrsquoinfraction
administrative commise par le contribuable a deacutejagrave eacuteteacute eacutetablie sur la base de
regravegles de preuve moins strictes Lrsquoobligation de coopeacuteration avec le fisc qui
pegravese sur le contribuable dans les proceacutedures administratives aggrave encore
cette conclusion
63 La majoriteacute ne confronte pas les regravegles de preuve en matiegravere
administrative et peacutenale en Norvegravege pour veacuterifier srsquoil existe un danger de
reacutepeacutetition dans la collecte et lrsquoappreacuteciation des preuves dans les deux
proceacutedures Elle nrsquoanalyse pas non plus le cadre juridique reacutegissant les
interactions entre les diffeacuterentes autoriteacutes judiciaires et administratives pour
deacuteterminer si lrsquoeacutetablissement des faits dans la proceacutedure administrative
influence la proceacutedure peacutenale et vice versa Aux paragraphes 145 et 150 de
lrsquoarrecirct la majoriteacute se contente drsquoeacutevoquer quelques exemples ad hoc
drsquoeacutechange drsquoinformations entre les autoriteacutes administratives et judiciaires
Rien de plus
64 Or les parties ont acircprement discuteacute cette question Le Gouvernement
reconnait que les regravegles de preuve sont diffeacuterentes dans les proceacutedures
fiscales dans lesquelles le critegravere de la laquo cause probable qualifieacutee raquo
srsquoapplique par rapport aux proceacutedures peacutenales dans lesquelles un laquo standard
de preuve strict raquo srsquoapplique En reacutealiteacute il srsquoagit selon le Gouvernement de
lrsquoun des laquo avantages majeurs raquo qursquooffrent les proceacutedures administratives157
Si crsquoest le cas la troisiegraveme condition de la majoriteacute nrsquoest pas respecteacutee en
droit norveacutegien pour la simple raison que puisque diffeacuterentes regravegles de
preuves sont applicables les preuves doivent ecirctre appreacutecieacutees diffeacuteremment
dans la proceacutedure administrative et la proceacutedure peacutenale avec le risque
eacutevident drsquoaboutir agrave des conclusions diffeacuterentes agrave propos des mecircmes faits
156 Voir paragraphe 130 de lrsquoarrecirct
157 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8 Le
Gouvernement ajoute que les proceacutedures administratives ont lrsquoavantage de comporter des
phases drsquoinstruction et de jugement plus rapides
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 89
Entre le Charybde du risque de conclusions contradictoires dans les
proceacutedures peacutenales et administratives dues aux diffeacuterentes regravegles de preuve
(deux poids deux mesures) et le Scylla du deacutetournement des preuves
administratives agrave des fins peacutenales lrsquoaccuseacute se trouve dans tous les cas placeacute
dans une situation ineacutequitable dans le systegraveme norveacutegien agrave double voie
b) Meacutecanisme de compensation entre les sanctions administratives et peacutenales
65 La quatriegraveme condition fixeacutee par la majoriteacute exige la mise en place
drsquoun laquo meacutecanisme compensatoire conccedilu pour assurer que le montant global
de toutes les peines peacutecuniaires prononceacutees est proportionneacutee raquo158 Sans
aucune explication preacutealable de la raison pour laquelle cette alternative est
retenue la majoriteacute nrsquoenvisage pas drsquoautres solutions proceacutedurales bien
connues telles que la suspension de lrsquoune des proceacutedures pendant que
lrsquoautre est pendante159 ou des solutions de fond telles que le principe de
speacutecialiteacute ou la mise en place de limites pour la sanction du concours
drsquoinfractions peacutenale et administrative comme la regravegle selon laquelle le
montant total de la sanction ne doit pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute de
lrsquoune des deux sanctions encourues ou le plafonnement de la sanction
fiscale au minimum de la sanction peacutenale La porteacutee et les caracteacuteristiques
du meacutecanisme de compensation proposeacute sont pour le moins tregraves
probleacutematiques
66 Le raisonnement de la majoriteacute entre en conflit frontal avec la
position reacutecente de la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens et autres qui
concerne des proceacutedures administratives et peacutenales parallegraveles Le
gouvernement italien avait alleacutegueacute sans succegraves dans cette affaire que pour
assurer la proportionnaliteacute de la sanction aux accusations la juridiction
peacutenale italienne avait pris en consideacuteration lrsquoimposition preacutealable drsquoune
sanction administrative et reacuteduit la sanction peacutenale Plus preacuteciseacutement le
montant de lrsquoamende administrative avait eacuteteacute deacuteduit de la sanction peacutenale
financiegravere (article 187 terdecies du Deacutecret Leacutegislatif no 58 de 1998) et les
avoirs deacutejagrave saisis dans le contexte de la proceacutedure administrative ne
pouvaient pas ecirctre confisqueacutes160 Cet argument auquel la Cour nrsquoa pas
accordeacute de creacutedit dans Grande Stevens et autres est agrave preacutesent mis en avant
dans le contexte norveacutegien sans aucune justification de la part de la
majoriteacute quant agrave ce revirement soudain La majoriteacute semble avoir oublieacute
que dans lrsquoarrecirct Grande Stevens la Cour avait deacutecideacute que lrsquoEacutetat deacutefendeur
devait srsquoassurer que les nouvelles proceacutedures peacutenales entameacutees agrave lrsquoencontre
158 Voir le paragraphe 132 de lrsquoarrecirct
159 Crsquoest ce qui eacutetait proposeacute dans les arrecircts Kapetanios et autres (preacuteciteacute sect 72) et
Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute sect 72)
160 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 218
90 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
des requeacuterants en violation du ne bis in idem seraient clocirctureacutees aussi
rapidement que possible et sans effets indeacutesirables pour eux161
67 Le gouvernement italien avait aussi alleacutegueacute que le systegraveme agrave double
voie eacutetait requis par la Directive 20036CE du 28 janvier 2003 sur les
opeacuterations drsquoinitieacute et les manipulations de marcheacutes pour lutter contre les
manipulations et les abus plus efficacement invoquant les conclusions de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Hans Aringkerberg Fransson162 La Cour a
facilement eacutecarteacute cet argument comme eacutetant inopeacuterant163 Dans ce contexte
il est troublant que la Cour cite agrave preacutesent les conclusions de lrsquoAvocat
Geacuteneacuteral dans lrsquoaffaire Fransson agrave lrsquoappui de ses arguments164 En deacutepit du
fait que la CJUE ait deacutesapprouveacute la vision de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral la majoriteacute
dans lrsquoaffaire A et B fait sienne sa position La Cour de Strasbourg prend
volontairement ses distances par rapport agrave la Cour de Luxembourg qui avait
fait un effort pour aligner les deux jurisprudences dans son arrecirct Fransson
Les juges de la Cour ont preacutefeacutereacute se ranger du cocircteacute de la seule voix de
lrsquoAvocat Geacuteneacuteral qui avait fortement critiqueacute la jurisprudence de la Cour
accuseacutee drsquoecirctre en contradiction avec les traditions constitutionnelles
europeacuteennes Le revirement inexpliqueacute de Strasbourg constitue un seacuterieux
revers pour la relation entre les deux cours europeacuteennes
68 En outre le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute ne srsquoapplique
qursquoaux deacuteductions de sanctions imposeacutees dans la proceacutedure deacutefinitivement
close en premier Il ne srsquoapplique pas si cette proceacutedure connaicirct une autre
issue crsquoest-agrave-dire si la juridiction prononce lrsquoacquittement ou le non-lieu
La raison est eacutevidente Dans ces cas de figure il nrsquoy a litteacuteralement rien agrave
compenser crsquoest-agrave-dire agrave contrebalancer ou agrave deacuteduire dans une proceacutedure
administrative subseacutequente ou parallegravele
69 La question est eacutevidemment cruciale agrave la lumiegravere des affaires
grecques reacutecentes dans lesquelles les juridictions administratives qui
avaient imposeacute des amendes administratives nrsquoavaient pas pris en
consideacuteration lrsquoacquittement des requeacuterants dans des proceacutedures peacutenales
parallegraveles (requecirctes nos 345312 et 4294112) ou subseacutequentes (requecircte no
161 Ibidem sect 237 Il est utile de rappeler les conclusions de lrsquoAIDP de 2004 preacuteciteacutees
laquo Le laquo bis raquo crsquoest-agrave-dire le cumul qui doit ecirctre eacuteviteacute ne se rapporte pas simplement aux
sanctions toute nouvelle poursuite doit ecirctre empecirccheacutee raquo
162 Grande Stevens et autres preacuteciteacute sect 216
163 Ibidem preacuteciteacute sect 229
164 Voir paragraphe 118 du preacutesent arrecirct La Directive 201457UE du16 avril 2014
relative aux sanctions peacutenales applicables aux abus de marcheacute qui admet le systegraveme mixte
(preacuteambule sect 23) doit srsquoarticuler avec le Regraveglement (UE) 5962014 du 16 avril 2014
(preacuteambule sect 72) Le leacutegislateur europeacuteen nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du ne bis in idem
preacutefeacuterant renvoyer la patate chaude aux Eacutetats Neacuteanmoins lrsquoimposition de sanctions
peacutenales sur la base drsquoune infraction obligatoire eacutetablie par la nouvelle Directive et de
sanctions administratives conformeacutement avec les infractions optionnelles preacutevues par le
nouveau Regraveglement (article 30 sect 1) laquo peuvent deacutecider de ne pas raquo) ne devrait pas conduire
agrave la violation du ne bis in idem
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 91
902913) ayant pour objet le mecircme acte165 Suivant le principe de lrsquoarrecirct
Kapetanios et autres tout acquittement ou non-lieu dans lrsquoaffaire peacutenale
aurait un Sperrwirkung sur une autre proceacutedure administrative parallegravele ou
subseacutequente ainsi que lrsquoa conclu la Cour dans lrsquoaffaire Sismanidis et
Sitaridis qui eacutegalement concernait deux cas (requecirctes nos 6660409 et
7187912) de proceacutedures administrative et peacutenale parallegraveles166 Lrsquoaccuseacute
acquitteacute a droit agrave ne pas ecirctre troubleacute une nouvelle fois pour les mecircmes faits
ce qui inclut le risque de nouvelles poursuites en deacutepit de la nature
diffeacuterente (judiciaire et administrative) des organes en cause167 En drsquoautres
termes il existe une prohibition absolue de se prononcer de nouveau sur les
mecircmes faits En outre les juridictions et lrsquoadministration doivent tenir
compte drsquooffice de la force de chose jugeacutee de lrsquoacquittement les droits de
lrsquoaccuseacute eacutetant absolus et non susceptibles de deacuterogation168
70 La jurisprudence grecque srsquoinscrit eacutegalement dans la ligneacutee du
principe eacutetabli au paragraphe 60 de Lucky Dev soulignant le fait que
lrsquoarticle 4 du Protocole no 7 serait violeacute si lrsquoune des deux proceacutedures se
poursuivait apregraves la date de clocircture de la premiegravere par une deacutecision
deacutefinitive Dans lrsquoaffaire Lucky Dev les majorations drsquoimpocirct avaient eacuteteacute
appliqueacutees apregraves un acquittement deacutefinitif agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
parallegravele et la formulation du principe par la Cour est limpide laquo cette
deacutecision deacutefinitive appellerait la clocircture de lrsquoautre instance raquo169
71 Pour reacutesumer le preacutesent arrecirct contredit lrsquoessence des jurisprudences
Kapetanios et autres Sismanidis et Sitaridis et Lucky Dev Pour la majoriteacute
165 Dans Kapetanios et autres (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 345312 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1989 et juin 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1986 et novembre 1992 la requecircte ndeg 4294112 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et novembre 2011 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1988 et juin 2000 et enfin la requecircte ndeg 902813 avec une proceacutedure
administrative pendante entre 2011 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale acheveacutee en mai
1998
166 Sismanidis et Sitaridis (preacuteciteacute) voir la requecircte ndeg 6660209 avec une proceacutedure
administrative pendante entre septembre 1996 et mai 2009 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre deacutecembre 1994 et avril 1997 et la requecircte ndeg 7187912 avec une proceacutedure
administrative pendante entre novembre 1996 et feacutevrier 2012 et une proceacutedure peacutenale
pendante entre 1998 et feacutevrier 1999
167 Kapetanios et autres preacuteciteacute sectsect 71 et 72 La version franccedilaise de lrsquoarrecirct Sergueiuml
Zolotoukhine est plus expressive lorsqursquoelle parle au paragraphe 83 de laquo risque de
nouvelles poursuites raquo en plus des nouveaux procegraves Voir eacutegalement le paragraphe 59 de
lrsquoarrecirct Van Straaten rendu par la CJUE preacuteciteacute laquo lrsquoouverture drsquoune proceacutedure peacutenale dans
un autre Eacutetat contractant pour les mecircmes faits compromettrait dans le cas drsquoun
acquittement deacutefinitif pour insuffisance de preuves les principes de la seacutecuriteacute juridique et
de la confiance leacutegitime raquo
168 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 66 Crsquoest preacuteciseacutement la conclusion de lrsquoarrecirct Melo
Tadeu c Portugal (ndeg 2778510 sect 64 23 octobre 2014) laquo La Cour estime qursquoun
acquittement au peacutenal doit ecirctre pris en compte dans toute proceacutedure ulteacuterieure peacutenale ou
non peacutenale raquo
169 Lucky Dev preacuteciteacute sect 60
92 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
lrsquoacquittement de lrsquoaccuseacute que ce soit parce que les actes ne sont pas
constitutifs drsquoune infraction peacutenale parce que lrsquoaccuseacute ne les a pas commis
ou parce qursquoil nrsquoa pas eacuteteacute prouveacute qursquoil les ait commis nrsquoa pas agrave ecirctre pris en
consideacuteration dans des proceacutedures administratives parallegraveles Cela soulegraveve
aussi bien eacutevidemment un problegraveme au regard de lrsquoarticle 6 sect 2 de la
Convention Toute nouvelle conclusion sur le fond remettrait en question la
preacutesomption drsquoinnocence reacutesultant de lrsquoacquittement170
72 Le meacutecanisme compensatoire de la majoriteacute nrsquoest eacutegalement pas
applicable dans lrsquohypothegravese ougrave la proceacutedure administrative serait la
premiegravere agrave devenir deacutefinitive et ougrave aucune majoration fiscale ne serait
imposeacutee parce que la responsabiliteacute administrative nrsquoa pas pu ecirctre prouveacutee
Pour la majoriteacute dans cette hypothegravese le contribuable peut encore ecirctre
condamneacute pour les mecircmes faits dans une proceacutedure peacutenale
73 Agrave ce stade il est clair que la quatriegraveme condition est un chegraveque en
blanc pour les Eacutetats leur permettant drsquoagir agrave leur guise Pire encore la
majoriteacute nrsquoexplique pas comment le meacutecanisme compensatoire fonctionne
en droit norveacutegien Le seul paragraphe 50 de lrsquoarrecirct est un reacutesumeacute de la
jurisprudence qui laisse au lecteur lrsquoimpression que les juridictions peacutenales
deacutecident comme bon leur semble de parfois prendre en consideacuteration les
sanctions administratives anteacuterieures et parfois de ne pas le faire Cette
impression est justifieacutee dans lrsquoaffaire en cause ainsi qursquoil sera deacutemontreacute ci-
dessous En outre il nrsquoy a aucune indication dans lrsquoarrecirct quant agrave savoir si un
meacutecanisme similaire de compensation existe dans la proceacutedure fiscale par
lequel les sanctions peacutenales anteacuterieures seraient prises en consideacuteration
lorsque sont imposeacutees des majorations peacutenales
74 Le Gouvernement dit que laquo les condamnations agrave des majorations
drsquoimpocircts sont prises en compte lorsque les tribunaux deacuteterminent la bonne
et juste sanction pour une socieacuteteacute (voir article 28 lettre g du code peacutenal de
2005) Lorsque crsquoest une personne physique qui est condamneacutee ils tiennent
compte de toute majoration drsquoimpocirct infligeacutee sur la base de lrsquoarticle 27 du
code peacutenal de 1902 transposeacute agrave lrsquoarticle 53 du code peacutenal de 2005 raquo171
Lrsquoarticle 27 dispose laquo Lorsqursquoune amende est imposeacutee il faut ducircment tenir
compte non seulement de la nature de lrsquoinfraction mais aussi et surtout de la
situation peacutecuniaire de la personne condamneacutee et de ce que celle-ci peut
vraisemblablement se permettre de payer au vu des circonstances raquo Aucune
mention nrsquoest faite des sanctions dans les proceacutedures parallegraveles ou
anteacuterieures en relation avec les mecircmes faits et encore moins aux
majorations peacutenales Aucune mention nrsquoest faite non plus de la limite du
cumul des sanctions par exemple lrsquoexigence voulant que le montant total
des sanctions imposeacutees ne doive pas exceacuteder le montant le plus eacuteleveacute qui
pourrait ecirctre imposeacute pour lrsquoune ou lrsquoautre des sanctions En reacutealiteacute la prise
170 Kapetanios et autres preacuteciteacute sect 88 et Sismanidis et Sitaridis preacuteciteacute sect 58
171 Voir les observations du Gouvernement du 11 novembre 2015 page 8
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 93
en consideacuteration des autres sanctions nrsquoest mecircme pas mentionneacutee
lorsqursquoune peine drsquoemprisonnement a eacuteteacute ordonneacutee
Pour le dire en peu de mots il nrsquoexiste tout simplement pas de
meacutecanisme de compensation en droit norveacutegien il nrsquoy a qursquoune indication
geacuteneacuterale indiffeacuterencieacutee donneacutee par le leacutegislateur au juge selon laquelle la
situation financiegravere de la personne accuseacutee doit ecirctre prise en consideacuteration
dans sa condamnation agrave une amende Ni plus ni moins
75 La jurisprudence de la Cour suprecircme fondeacutee sur les dispositions du
Code Peacutenal susmentionneacutees pour autant que les juges de la Grande
Chambre en ont eu connaissance est peut-ecirctre creacuteative mais elle nrsquoest
certainement pas preacutevisible Elle est formuleacutee si extensivement que mecircme le
juriste le plus expeacuterimenteacute ne saurait anticiper si et selon quelles modaliteacutes
des majorations drsquoimpocirct seront prises en consideacuteration dans des amendes
peacutenales De plus sa porteacutee est tregraves limiteacutee en pratique Puisqursquoelle
nrsquoautorise aucun meacutecanisme compensatoire dans les cas drsquoemprisonnement
elle limite lrsquoimpact alleacutegueacute de lrsquoeffet compensatoire aux affaires moins
graves mais en prive les affaires plus graves
Conscients des faiblesses du systegraveme juridique national les juges
norveacutegiens ont fait un effort louable pour combler le trou noir juridique et
introduire une certaine proportionnaliteacute dans un systegraveme arbitraire excessif
et ineacutequitable arbitraire dans le choix pour un systegraveme agrave une seule ou deux
voies excessif dans les sanctions appliqueacutees et ineacutequitable drsquoun point de
vue proceacutedural dans la maniegravere dont il traite les accuseacutes Mais le principe ne
bis in idem laquo nrsquoest pas une regravegle de proceacutedure agissant comme un agent
leacutenitif au service de la proportionnaliteacute lorsqursquoune personne est doublement
jugeacutee et condamneacutee pour un mecircme comportement mais bien une garantie
fondamentale des droits des citoyens raquo172
76 Comme le Gouvernement la majoriteacute est seacuteduite par un laquo souci
drsquoefficaciteacute raquo173 selon lequel la logique du principe ne bis in idem
srsquoapplique laquo dans une moindre mesure aux sanctions ne relevant pas du
laquo noyau dur raquo du droit peacutenal comme les majorations drsquoimpocirct raquo174 Elle a
neacutegligeacute le fait qursquoun droit conventionnel non susceptible de deacuterogation tel
172 Affaire C-21300 P Italcementi SpA c Commission des Communauteacutes europeacuteennes
conclusions de lrsquoAvocat Geacuteneacuteral Ruiz-Jarabo Colomer preacutesenteacutees le 11 feacutevrier 2003 sect 96
et Affaire C-15005 preacuteciteacutee conclusions du mecircme Avocat Geacuteneacuteral preacutesenteacutees le 8 juin
2006 sect 58 Partant lrsquoopinion exprimeacute au paragraphe 107 du preacutesent arrecirct selon laquelle ne
bis in idem vise principalement une question proceacutedurale (laquo lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale raquo) et non
une question de fond (laquo srsquointeacuteresse moins au droit peacutenal mateacuteriel que lrsquoarticle 7 raquo) est
fondamentalement erroneacutee
173 Les mots laquo soucis drsquoefficaciteacute raquo sont ceux choisi par la majoriteacute elle-mecircme
(paragraphe 134 de lrsquoarrecirct)
174 Voir paragraphe 85 de lrsquoarrecirct ougrave il est fait reacutefeacuterence agrave lrsquoargument du Gouvernement
selon lequel le raisonnement dans lrsquoarrecirct Jussila concernant lrsquoarticle 6 est transposable agrave
lrsquoarticle 4 du Protocole ndeg 7 Lrsquoargument fait fi de la nature absolue et non susceptible de
deacuterogation du second article
94 ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE
que ne bis in idem ne doit pas ecirctre substantiellement diffeacuterent en fonction
du domaine du droit concerneacute Lrsquoarticle 4 sect 3 du Protocole no 7 ne laisse pas
de marge de manœuvre pour cela
77 Enfin et surtout dans la preacutesente affaire la juridiction nationale a
pris en compte de la maniegravere suivante la majoration drsquoimpocircts infligeacutee au
premier requeacuterant laquo une sanction notable a deacutejagrave eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute
dans la deacutecision sur la majoration fiscale La plus grande partie des impocircts a
deacutejagrave eacuteteacute payeacutee raquo La prise en compte de la majoration agrave lrsquoeacutegard du second
requeacuterant est encore plus succincte laquo Le fait qursquoune majoration fiscale de
30 a eacuteteacute imposeacutee agrave lrsquoaccuseacute doit ecirctre pris en consideacuteration raquo175 Dans
aucun de ces cas les juridictions nationales ne se sont donneacute la peine
drsquoexpliquer de quelle maniegravere les majorations administratives anteacuterieures
avaient influenceacute les sanctions peacutenales La reacutefeacuterence de pure forme aux
majorations drsquoimpocirct preacuteceacutedemment imposeacutees pourrait apaiser des
consciences moins exigeantes mais ce nrsquoest certainement pas une deacutemarche
juridique preacutevisible et controcirclable Degraves lors les conditions le degreacute et les
limites de lrsquoimpact des majorations drsquoimpocirct sur les sanctions peacutenales ne
peuvent qursquoecirctre lrsquoobjet de pures speacuteculations dans le domaine inconnu et
inaccessible aux accuseacutes de la conviction intime des juges
VI ndash Conclusion
78 En deacutepit de sa logique axeacutee sur les droits de lrsquohomme lrsquoarrecirct Oumlztuumlrk
ne fournit pas un cadre conceptuel clair permettant de deacutefinir la ligne de
deacutemarcation entre les infractions administratives et peacutenales Au milieu des
incertitudes de la jurisprudence de la Cour lrsquoarrecirct Jussila offre une solution
restrictive qui cherche agrave distinguer les affaires relevant du noyau dur du
droit peacutenal qui comportent un caractegravere infamant de celles qui nrsquoen
comportent pas limitant lrsquoapplicabiliteacute des garanties peacutenales dans les
affaires relevant de la seconde cateacutegorie La jurisprudence subseacutequente nrsquoa
clarifieacute ni le critegravere de fond du caractegravere infamant ni la distinction entre les
garanties proceacutedurales disponibles et indisponibles
79 Tout comme lrsquoarrecirct Jussila avait nuanceacute et limiteacute la porteacutee de lrsquoarrecirct
Oumlztuumlrk lrsquoarrecirct A et B c Norvegravege nuance et limite la porteacutee de lrsquoarrecirct
Sergueiuml Zolotoukhine La position ancienne et geacuteneacutereuse en matiegravere drsquoidem
factum est significativement limiteacutee par la nouvelle camisole proposeacutee pour
le bis Meacutefiante agrave lrsquoeacutegard des accuseacutes la majoriteacute a deacutecideacute drsquoabandonner le
principe fondamental dans la culture juridique europeacuteenne qui veut que nul
ne puisse ecirctre poursuivi plus drsquoune fois pour les mecircmes faits (principe de
lrsquouniteacute de lrsquoaction reacutepressive ou Einmaligkeit der Strafverfolgung) Le
principe ne bis in idem perd son caractegravere pro persona mineacute par la posture
175 Voir les jugements du tribunal de Follo du 2 mars 2009 et du tribunal drsquoOslo du
30 septembre 2009
ARREcircT A ET B c NORVEgraveGE ndash OPINION SEacutePAREacuteE 95
strictement pro auctoritate de la Cour Il nrsquoest plus une garantie
individuelle mais un outil permettant drsquoeacuteviter toute laquo manipulation et
impuniteacute raquo dont profiteraient les accuseacutes176 Apregraves avoir renverseacute la logique
du principe ne bis in idem le preacutesent arrecirct ouvre la porte agrave une politique
reacutepressive sans preacuteceacutedent digne drsquoun Leacuteviathan baseacutee sur lrsquoouverture par
lrsquoEacutetat de proceacutedures multiples strateacutegiquement articuleacutees et mises en place
en vue drsquoatteindre lrsquoeffet reacutepressif maximal Cette politique pourrait devenir
lrsquohistoire sans fin vindicative de deux ou plusieurs proceacutedures conduites
parallegravelement ou successivement agrave lrsquoencontre du mecircme accuseacute pour les
mecircmes faits qui risqueraient mecircme de punir celui-ci en repreacutesailles pour
avoir exerceacute ses droits proceacuteduraux leacutegitimes et notamment son droit de
recours
80 La seule veacuteritable condition dont est assortie cette approche de la
majoriteacute orienteacutee vers lrsquolaquo efficaciteacute raquo177 est un simulacre de
proportionnaliteacute limiteacutee agrave la vague indication de prendre en consideacuteration
les sanctions administratives anteacuterieures dans lrsquoamende infligeacutee agrave lrsquoissue de
la proceacutedure peacutenale une approche bien eacuteloigneacutee des racines historiques et
du principe du droit international coutumier du ne bis in idem Le cumul des
sanctions peacutenales et administratives de nature peacutenale a eacuteteacute speacutecifiquement
rejeteacute par la Cour dans lrsquoaffaire Grande Stevens de mecircme que par la CJUE
dans lrsquoarrecirct Hans Aringkeberg Fransson Apregraves la deacutelivrance de son certificat de
deacutecegraves dans lrsquoaffaire italienne une telle approche est aujourdrsquohui ressusciteacutee
en tant qursquoapproche laquo calibreacutee raquo178 La collaboration progressive et mutuelle
entre les deux cours europeacuteennes va de toute eacutevidence ecirctre encore une fois
profondeacutement perturbeacutee Strasbourg allant dans la mauvaise direction quand
Luxembourg prend la bonne La Grande Chambre saisie de lrsquoaffaire Sergueiuml
Zolotoukhine nrsquoaurait pas accepteacute une reacutetrogradation du droit individuel
inalieacutenable au ne bis in idem vers un droit aussi fluide eacutetroitement
interpreacuteteacute en un mot illusoire Moi non plus
176 Voir paragraphe 127 de lrsquoarrecirct
177 Voir paragraphe 134 de lrsquoarrecirct
178 Voir paragraphe 124 de lrsquoarrecirct