Upload
others
View
4
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
GRANDE CHAMBRE
AFFAIRE DE TOMMASO c ITALIE
(Requecircte no 4339509)
ARREcircT
STRASBOURG
23 feacutevrier 2017
Cet arrecirct est deacutefinitif Il peut subir des retouches de forme
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 1
En lrsquoaffaire de Tommaso c Italie
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande
Chambre composeacutee de
Andraacutes Sajoacute preacutesident
Guido Raimondi
Josep Casadevall
Işıl Karakaş
Mark Villiger
Boštjan M Zupančič
Jaacuten Šikuta
Ledi Bianku
Nebojša Vučinić
Kristina Pardalos
Paulo Pinto de Albuquerque
Helen Keller
Ksenija Turković
Dmitry Dedov
Egidijus Kūris
Robert Spano
Jon Fridrik Kjoslashlbro juges
et de Johan Callewaert greffier adjoint de la Grande Chambre
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil les 20 mai 2015 24 aoucirct
2016 et 23 novembre 2016
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4339509) dirigeacutee
contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant de cet Eacutetat
M Angelo de Tommaso (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 28 juillet 2009
en vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de
lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me D Conticchio avocat agrave
Casamassima Le gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute
repreacutesenteacute par ses co-agents Mme P Accardo et M G Mauro Pellegrini
3 Le requeacuterant alleacuteguait en particulier que les mesures de preacutevention
auxquelles il avait eacuteteacute soumis pendant deux ans eacutetaient contraires aux
articles 5 6 et 13 de la Convention et agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
4 La requecircte a eacuteteacute attribueacutee agrave la deuxiegraveme section de la Cour (article 52
sect 1 du regraveglement de la Cour)
5 Le 18 octobre 2011 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee
de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša
Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de
Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande
Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la
Convention et 72 du regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave
lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement
8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la
recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire
9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
Mme P ACCARDO co-agent
M G MAURO PELLEGRINI co-agent
ndash pour le requeacuterant
Me D CONTICCHIO conseil
Mme L FANIZZI
Me M CASULLI conseillegraveres
La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations
ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute
en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima
11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au
tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux
ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale
di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes
condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention
drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne
dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3
laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite
deacutelictueuse
12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la
proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua
que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui
lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et
preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus
fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il
ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement
nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint
qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale
13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le
tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale
pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant
que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient
bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de
doute
14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la
deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute
deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance
15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit
laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute
publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter
assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave
commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave
la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance
le 29 avril 2007) raquo
16 Le tribunal ajouta ceci
laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)
montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans
diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute
publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de
stupeacutefiants
Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier
2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du
sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et
opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute
professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de
feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de
penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de
son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en
association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres
localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en
plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee
approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave
celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo
4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations
suivantes
ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance
ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois
ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence
ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon
ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et
soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute
ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin
avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile
ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme
ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques
ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques
pour communiquer
ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le
preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police
18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour
drsquoappel de Bari
19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis
de conduire du requeacuterant
20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier
2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la
mesure de preacutevention
21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la
mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet
laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction
preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee
reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute
publique
22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale
du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de
la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits
anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur
lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel
23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la
dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute
deacutelictuelle
24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations
deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le
requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite
lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 1
En lrsquoaffaire de Tommaso c Italie
La Cour europeacuteenne des droits de lrsquohomme sieacutegeant en une Grande
Chambre composeacutee de
Andraacutes Sajoacute preacutesident
Guido Raimondi
Josep Casadevall
Işıl Karakaş
Mark Villiger
Boštjan M Zupančič
Jaacuten Šikuta
Ledi Bianku
Nebojša Vučinić
Kristina Pardalos
Paulo Pinto de Albuquerque
Helen Keller
Ksenija Turković
Dmitry Dedov
Egidijus Kūris
Robert Spano
Jon Fridrik Kjoslashlbro juges
et de Johan Callewaert greffier adjoint de la Grande Chambre
Apregraves en avoir deacutelibeacutereacute en chambre du conseil les 20 mai 2015 24 aoucirct
2016 et 23 novembre 2016
Rend lrsquoarrecirct que voici adopteacute agrave cette derniegravere date
PROCEacuteDURE
1 Agrave lrsquoorigine de lrsquoaffaire se trouve une requecircte (no 4339509) dirigeacutee
contre la Reacutepublique italienne et dont un ressortissant de cet Eacutetat
M Angelo de Tommaso (laquo le requeacuterant raquo) a saisi la Cour le 28 juillet 2009
en vertu de lrsquoarticle 34 de la Convention de sauvegarde des droits de
lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (laquo la Convention raquo)
2 Le requeacuterant a eacuteteacute repreacutesenteacute par Me D Conticchio avocat agrave
Casamassima Le gouvernement italien (laquo le Gouvernement raquo) a eacuteteacute
repreacutesenteacute par ses co-agents Mme P Accardo et M G Mauro Pellegrini
3 Le requeacuterant alleacuteguait en particulier que les mesures de preacutevention
auxquelles il avait eacuteteacute soumis pendant deux ans eacutetaient contraires aux
articles 5 6 et 13 de la Convention et agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
4 La requecircte a eacuteteacute attribueacutee agrave la deuxiegraveme section de la Cour (article 52
sect 1 du regraveglement de la Cour)
5 Le 18 octobre 2011 la requecircte a eacuteteacute communiqueacutee au Gouvernement
2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee
de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša
Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de
Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande
Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la
Convention et 72 du regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave
lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement
8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la
recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire
9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
Mme P ACCARDO co-agent
M G MAURO PELLEGRINI co-agent
ndash pour le requeacuterant
Me D CONTICCHIO conseil
Mme L FANIZZI
Me M CASULLI conseillegraveres
La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations
ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute
en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima
11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au
tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux
ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale
di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes
condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention
drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne
dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3
laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite
deacutelictueuse
12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la
proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua
que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui
lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et
preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus
fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il
ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement
nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint
qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale
13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le
tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale
pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant
que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient
bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de
doute
14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la
deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute
deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance
15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit
laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute
publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter
assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave
commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave
la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance
le 29 avril 2007) raquo
16 Le tribunal ajouta ceci
laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)
montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans
diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute
publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de
stupeacutefiants
Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier
2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du
sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et
opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute
professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de
feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de
penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de
son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en
association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres
localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en
plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee
approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave
celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo
4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations
suivantes
ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance
ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois
ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence
ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon
ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et
soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute
ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin
avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile
ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme
ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques
ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques
pour communiquer
ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le
preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police
18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour
drsquoappel de Bari
19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis
de conduire du requeacuterant
20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier
2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la
mesure de preacutevention
21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la
mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet
laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction
preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee
reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute
publique
22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale
du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de
la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits
anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur
lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel
23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la
dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute
deacutelictuelle
24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations
deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le
requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite
lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
2 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
6 Le 25 novembre 2014 une chambre de la deuxiegraveme section composeacutee
de Işıl Karakaş preacutesidente Guido Raimondi Andraacutes Sajoacute Nebojša
Vučinić Helen Keller Egidijus Kūris Robert Spano juges ainsi que de
Stanley Naismith greffier de section srsquoest dessaisie au profit de la Grande
Chambre aucune des parties ne srsquoy eacutetant opposeacutee (articles 30 de la
Convention et 72 du regraveglement)
7 La composition de la Grande Chambre a eacuteteacute arrecircteacutee conformeacutement agrave
lrsquoarticle 26 sectsect 4 et 5 de la Convention et agrave lrsquoarticle 24 du regraveglement
8 Tant le requeacuterant que le Gouvernement ont deacuteposeacute un meacutemoire sur la
recevabiliteacute et sur le fond de lrsquoaffaire
9 Une audience srsquoest deacuterouleacutee en public au Palais des droits de
lrsquohomme agrave Strasbourg le 20 mai 2015 (article 59 sect 3 du regraveglement)
Ont comparu
ndash pour le Gouvernement
Mme P ACCARDO co-agent
M G MAURO PELLEGRINI co-agent
ndash pour le requeacuterant
Me D CONTICCHIO conseil
Mme L FANIZZI
Me M CASULLI conseillegraveres
La Cour a entendu Mme Accardo et Me Conticchio en leurs deacuteclarations
ainsi qursquoen leurs reacuteponses aux questions poseacutees par les juges
EN FAIT
I LES CIRCONSTANCES DE LrsquoESPEgraveCE
10 Le requeacuterant M Angelo de Tommaso est un ressortissant italien neacute
en 1963 et reacutesidant agrave Casamassima
11 Le 22 mai 2007 le procureur de la Reacutepublique de Bari proposa au
tribunal de cette ville de soumettre le requeacuterant pour une peacuteriode de deux
ans agrave une mesure de surveillance speacuteciale de police (sorveglianza speciale
di pubblica sicurezza) fondeacutee sur la loi no 1423 de 1956 assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence Le procureur souligna que les preacuteceacutedentes
condamnations du requeacuterant pour trafic de drogue eacutevasion et deacutetention
drsquoarmes montraient qursquoil freacutequentait des criminels et eacutetait une personne
dangereuse Il fit aussi remarquer que le requeacuterant avait reccedilu un
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3
laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite
deacutelictueuse
12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la
proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua
que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui
lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et
preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus
fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il
ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement
nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint
qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale
13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le
tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale
pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant
que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient
bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de
doute
14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la
deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute
deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance
15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit
laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute
publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter
assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave
commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave
la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance
le 29 avril 2007) raquo
16 Le tribunal ajouta ceci
laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)
montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans
diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute
publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de
stupeacutefiants
Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier
2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du
sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et
opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute
professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de
feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de
penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de
son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en
association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres
localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en
plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee
approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave
celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo
4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations
suivantes
ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance
ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois
ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence
ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon
ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et
soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute
ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin
avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile
ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme
ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques
ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques
pour communiquer
ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le
preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police
18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour
drsquoappel de Bari
19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis
de conduire du requeacuterant
20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier
2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la
mesure de preacutevention
21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la
mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet
laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction
preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee
reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute
publique
22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale
du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de
la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits
anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur
lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel
23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la
dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute
deacutelictuelle
24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations
deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le
requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite
lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 3
laquo avertissement raquo de la police mais avait persisteacute dans sa conduite
deacutelictueuse
12 Dans un meacutemoire en date du 6 mars 2008 le requeacuterant srsquoopposa agrave la
proposition du procureur Il alleacutegua une erreur sur la personne et indiqua
que les infractions aux obligations deacutecoulant de la surveillance speacuteciale qui
lui eacutetaient reprocheacutees concernaient un individu qui portait les mecircmes nom et
preacutenom que lui mais eacutetait neacute en 1973 Il plaida eacutegalement qursquoil nrsquoavait plus
fait lrsquoobjet de poursuites depuis une condamnation prononceacutee en 2002 Il
ajouta que mecircme srsquoil avait eacuteteacute condamneacute pour eacutevasion en 2004 cet eacuteleacutement
nrsquoeacutetait pas deacuteterminant pour lrsquoapplication de la mesure litigieuse Il soutint
qursquoil nrsquoeacutetait pas neacutecessaire de le soumettre agrave une surveillance speacuteciale
13 Par une deacutecision du 11 avril 2008 notifieacutee le 4 juillet 2008 le
tribunal de Bari ordonna lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale
pour une dureacutee de deux ans Il rejeta les arguments du requeacuterant estimant
que les conditions requises par la loi pour lrsquoapplication de la mesure eacutetaient
bien remplies degraves lors que la dangerositeacute de lrsquointeacuteresseacute ne faisait pas de
doute
14 Pour le tribunal le requeacuterant preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la
deacutelinquance et les piegraveces du dossier montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute
deacutelictueuse la plupart de ses moyens de subsistance
15 Le tribunal remarqua en particulier ce qui suit
laquo Le 18 septembre 2006 lrsquointeacuteresseacute a reccedilu un laquo avertissement verbal pour la seacutecuriteacute
publique raquo mais cela nrsquoa aucunement ameacutelioreacute sa conduite il a continueacute agrave freacutequenter
assiducircment certains criminels importants au niveau local (malavita locale) et agrave
commettre des deacutelits (voir lrsquoacte drsquoaccusation infraction aux obligations associeacutees agrave
la surveillance le 25 avril 2007 infraction aux obligations associeacutees agrave la surveillance
le 29 avril 2007) raquo
16 Le tribunal ajouta ceci
laquo Les conclusions de lrsquoinstruction (voir les documents et certificats joints au dossier)
montrent que M Angelo de Tommaso est effectivement et actuellement impliqueacute dans
diffeacuterents actes deacutelictueux dont les plus alarmants pour lrsquoordre et la seacutecuriteacute
publiques sont les infractions drsquoordre patrimonial et en matiegravere drsquoarmes et de
stupeacutefiants
Agrave ce cadre neacutegatif srsquoajoute le contenu du signalement fait reacutecemment le 26 janvier
2008 par le corps des carabiniers de Gioia del Colle dont il ressort que la tendance du
sujet agrave la deacutelinquance loin drsquoavoir disparu est consideacutereacutee comme active et
opeacuterationnelle Il ressort des piegraveces du dossier que le sujet nrsquoexerce aucune activiteacute
professionnelle fixe et leacutegale (il srsquoest deacuteclareacute disponible pour un emploi agrave partir de
feacutevrier 2008) et que les faits graves pris en consideacuteration sont tels qursquoils permettent de
penser qursquoil a jusqursquoagrave preacutesent tireacute une grande partie de ses moyens de subsistance de
son activiteacute deacutelictueuse recourant constamment aux deacutelits commis seul ou en
association avec des repris de justice (dans sa localiteacute de reacutesidence ou dans drsquoautres
localiteacutes) Drsquoougrave la neacutecessiteacute pour permettre un controcircle plus assidu de prononcer en
plus de la surveillance speacuteciale de police drsquoune dureacutee de deux ans (mesure jugeacutee
approprieacutee au vu de la personnaliteacute du sujet telle qursquoelle ressort des actes attribueacutes agrave
celui-ci) une assignation agrave reacutesidence pour la mecircme dureacutee raquo
4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations
suivantes
ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance
ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois
ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence
ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon
ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et
soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute
ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin
avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile
ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme
ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques
ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques
pour communiquer
ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le
preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police
18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour
drsquoappel de Bari
19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis
de conduire du requeacuterant
20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier
2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la
mesure de preacutevention
21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la
mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet
laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction
preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee
reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute
publique
22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale
du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de
la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits
anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur
lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel
23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la
dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute
deacutelictuelle
24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations
deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le
requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite
lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
4 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
17 La mesure de preacutevention imposait agrave lrsquointeacuteresseacute les obligations
suivantes
ndash se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance
ndash rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois
ndash habiter agrave Casamassima et ne pas changer de lieu de reacutesidence
ndash vivre honnecirctement et dans le respect des lois ne pas precircter agrave soupccedilon
ndash ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et
soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute
ndash ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin
avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile
ndash ne deacutetenir ni porter aucune arme
ndash ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et ne pas participer agrave des reacuteunions publiques
ndash ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques
pour communiquer
ndash porter sur soi le laquo document prescriptif raquo (carta prescrittiva) et le
preacutesenter sur demande de lrsquoautoriteacute de police
18 Le 14 juillet 2008 le requeacuterant forma un recours devant la cour
drsquoappel de Bari
19 Le 31 juillet 2008 la preacutefecture de Bari ordonna le retrait du permis
de conduire du requeacuterant
20 Par une deacutecision du 28 janvier 2009 notifieacutee agrave lrsquointeacuteresseacute le 4 feacutevrier
2009 la cour drsquoappel fit droit au recours du requeacuterant et annula ex tunc la
mesure de preacutevention
21 Tout drsquoabord la cour drsquoappel rappela que pour pouvoir appliquer la
mesure de preacutevention il fallait eacutetablir la laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet
laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la commission drsquoune infraction
preacutecise mais agrave lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee
reacuteveacutelant un mode de vie particulier de lrsquointeacuteresseacute alarmant pour la seacutecuriteacute
publique
22 Pour la cour drsquoappel le caractegravere laquo actuel raquo de la dangerositeacute sociale
du condamneacute impliquait que la deacutecision en cause se rapportacirct au moment de
la deacutelibeacuteration et conservacirct ses effets dans la phase de lrsquoexeacutecution les faits
anteacuterieurs ne pouvant ecirctre pris en compte qursquoen raison de leur incidence sur
lrsquoappreacuteciation du caractegravere actuel
23 Selon la juridiction au moment de lrsquoapplication de la mesure la
dangerositeacute du requeacuterant ne pouvait ecirctre fondeacutee sur aucune activiteacute
deacutelictuelle
24 La cour drsquoappel observa ensuite que plusieurs condamnations
deacutefinitives pour contrebande de tabac avaient eacuteteacute prononceacutees contre le
requeacuterant entre septembre 1995 et aoucirct 1999 Elle ajouta que par la suite
lrsquointeacuteresseacute avait changeacute de secteur drsquoactiviteacute et que jusqursquoau 18 juillet 2002
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 5
il srsquoeacutetait livreacute au trafic de stupeacutefiants avec deacutetention et port drsquoarmes
clandestines faits pour lesquels il avait eacuteteacute condamneacute ndash par un jugement en
date du 15 mars 2003 devenu deacutefinitif le 10 mars 2004 ndash agrave une peine de
quatre ans drsquoemprisonnement exeacutecuteacutee du 18 juillet 2002 au 4 deacutecembre
2005
25 Pour la cour drsquoappel la derniegravere activiteacute illicite en matiegravere de
stupeacutefiants eacutetait donc anteacuterieure de plus de cinq ans agrave lrsquoadoption de la
mesure de preacutevention Contre le requeacuterant la juridiction releva uniquement
un deacutelit drsquoeacutevasion commis le 14 deacutecembre 2004 (pendant la peacuteriode
drsquoassignation agrave reacutesidence)
26 Elle remarqua eacutegalement que les infractions des 25 et 29 avril 2007
aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale concernaient
une personne diffeacuterente qui portait les mecircmes nom et preacutenom que le
requeacuterant mais eacutetait neacutee en 1973
27 Selon la cour drsquoappel le tribunal avait omis drsquoeacutevaluer lrsquoincidence de
la fonction reacuteeacuteducative de la peine sur la personnaliteacute du requeacuterant
Elle deacuteclara notamment ce qui suit
laquo Srsquoil est vrai que lrsquoapplication de la surveillance speacuteciale est compatible avec la
situation de deacutetention qui se rapporte seulement au moment de lrsquoexeacutecution de la
peine lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute ne peut ecirctre que plus preacutegnante encore dans le
cas drsquoun sujet qui a entiegraverement purgeacute sa peine et qui nrsquoa plus commis de deacutelits
posteacuterieurement agrave sa libeacuteration ce qui est le cas de M de Tommaso
Le signalement du 26 janvier 2008 par lequel les gendarmes ont releveacute que M de
Tommaso freacutequentait des personnes condamneacutees (avec lesquelles il avait eacuteteacute surpris
en train de converser) nrsquoapparaicirct pas suffisant pour eacutetablir la dangerositeacute de
lrsquointeacuteresseacute compte tenu de ce que M de Tommaso posteacuterieurement agrave la deacutecision
drsquoapplication de la mesure de preacutevention nrsquoa pas eacuteteacute mis en cause dans drsquoautres
proceacutedures judiciaires
La cour drsquoappel relegraveve enfin qursquoil reacutesulte des piegraveces produites par la deacutefense devant
le tribunal et agrave lrsquoaudience devant cette chambre que malgreacute le caractegravere typiquement
occasionnel de lrsquoactiviteacute drsquoouvrier agricole le condamneacute a toujours eu du moins
depuis sa libeacuteration en 2005 et jusqursquoagrave ce jour une activiteacute professionnelle licite lui
assurant une source de revenus digne
En conclusion il nrsquoexistait pas en mars 2008 de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une
dangerositeacute persistante du condamneacute qui apregraves la longue peine drsquoemprisonnement
purgeacutee par lui nrsquoa pas eu de conduite justifiant lrsquoappreacuteciation porteacutee dans le jugement
attaqueacute lequel sera donc infirmeacute raquo
II LA DEacuteCLARATION UNILATEacuteRALE PARTIELLE DU
GOUVERNEMENT
28 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste
6 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour
29 Dans cette derniegravere deacuteclaration le Gouvernement se reacutefeacuterant agrave la
jurisprudence bien eacutetablie de la Cour (arrecircts Bocellari et Rizza c Italie
no 39902 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie no 190505 8 juillet
2008 et Bongiorno et autres c Italie no 451407 5 janvier 2010) reconnait
la violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences offre de payer un certain montant au titre des frais
relatifs agrave cet aspect de la requecircte et en sollicite la radiation du rocircle
III LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A La loi no1423 de 1956
30 Les mesures de preacutevention personnelles praeter delictum en Italie
remontent au XIXe siegravecle Elles existaient deacutejagrave avant lrsquounification de lrsquoItalie
en 1861 puis furent reacuteintroduites dans la leacutegislation du Royaume drsquoItalie
par la loi Pica nordm 1409 de 1863 et plus tard par le laquo Texte unique de seacutecuriteacute
publique raquo de 1865
31 En 1948 la Constitution italienne entra en vigueur mettant en
exergue la protection des liberteacutes fondamentales en particulier de la liberteacute
personnelle (article 13) et de la liberteacute de circulation (article 16) ainsi que le
principe de leacutegaliteacute en matiegravere de deacutelits et de mesures de sucircreteacute (article 25
alineacuteas 2 et 3)
32 Pour autant les mesures de preacutevention personnelles ne disparurent
pas complegravetement suite agrave lrsquoadoption de la nouvelle loi nordm 1423 de 1956
elles furent adapteacutees aux critegraveres fondamentaux indiqueacutes par la Cour
constitutionnelle dans ses arrecircts exigeant lrsquointervention des tribunaux et le
respect du principe de leacutegaliteacute lors de leur application
33 La loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 en vigueur agrave lrsquoeacutepoque des faits
preacutevoit lrsquoapplication de mesures de preacutevention aux laquo personnes dangereuses
pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo
34 Lrsquoarticle 1 dispose que les mesures de preacutevention srsquoappliquent
laquo 1) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se
livrent habituellement agrave des activiteacutes deacutelictueuses
2) aux personnes dont on peut estimer compte tenu de leur conduite et de leur train
de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles vivent habituellement fucirct-ce en
partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse
3) aux personnes dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger lrsquointeacutegriteacute
physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la tranquilliteacute publique raquo
35 Lrsquoarticle 3 eacutenonce que la mesure de surveillance speacuteciale de police
assortie au besoin soit de lrsquointerdiction de seacutejourner dans telle commune ou
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 7
province soit de lrsquoobligation de reacutesider dans une commune deacutetermineacutee
(obbligo del soggiorno in un determinato comune) peut ecirctre appliqueacutee aux
personnes viseacutees agrave lrsquoarticle 1 qui nrsquoont pas respecteacute lrsquoavertissement officiel
de la police preacutevu agrave lrsquoarticle 4 et qui preacutesentent un danger pour la seacutecuriteacute
publique
36 Lrsquoapplication de la mesure de surveillance de police est preacuteceacutedeacutee
drsquoun avertissement officiel par lequel la police invite lrsquointeacuteresseacute agrave garder
une conduite conforme agrave la loi Si malgreacute lrsquoavertissement lrsquointeacuteresseacute nrsquoa
pas modifieacute sa conduite et preacutesente un danger pour la seacutecuriteacute publique la
police peut proposer agrave lrsquoautoriteacute judiciaire drsquoappliquer la mesure en
question
37 Selon lrsquoarticle 4 de la loi le tribunal statue dans les trente jours en
chambre du conseil et par une deacutecision motiveacutee apregraves avoir entendu le
parquet et lrsquointeacuteresseacute ce dernier pouvant preacutesenter un meacutemoire et se faire
assister par un conseil Ces mesures de preacutevention relegravevent de la
compeacutetence exclusive du tribunal du chef-lieu de province
38 Le parquet et lrsquointeacuteresseacute peuvent interjeter appel dans les dix jours
lrsquoappel nrsquoa pas drsquoeffet suspensif Sieacutegeant en chambre du conseil la cour
drsquoappel tranche dans les trente jours par une deacutecision motiveacutee (article 4
cinquiegraveme et sixiegraveme alineacuteas) Celle-ci peut agrave son tour et dans les mecircmes
conditions faire lrsquoobjet drsquoun pourvoi sur lequel la Cour de cassation se
prononce en chambre du conseil dans les trente jours (article 4 septiegraveme
alineacutea)
39 Lorsqursquoil adopte lrsquoune des mesures viseacutees agrave lrsquoarticle 3 le tribunal en
preacutecise la dureacutee ndash comprise entre un an et cinq ans selon lrsquoarticle 4
quatriegraveme alineacutea ndash et fixe les regravegles que la personne concerneacutee devra
observer (article 5 premier alineacutea)
40 Lrsquoarticle 5 dispose que lorsqursquoil applique la mesure de surveillance
speacuteciale le tribunal intime agrave la personne soupccedilonneacutee de tirer ses moyens de
subsistance drsquoune activiteacute deacutelictueuse lrsquoordre de trouver un travail dans un
bref deacutelai ainsi qursquoun logement et drsquoinformer les autoriteacutes agrave ce sujet
Lrsquointeacuteresseacute ne devra pas srsquoeacuteloigner de son logement sans autorisation Le
tribunal lui ordonne eacutegalement de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois de ne pas precircter agrave soupccedilon de ne pas freacutequenter des personnes qui ont
eacuteteacute condamneacutees et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute de
ne pas rentrer le soir apregraves un certaine heure et ne pas sortir le matin avant
une certaine heure sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile de ne deacutetenir ni ne porter aucune arme de ne pas
freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de prostitution de ne
pas participer agrave des reacuteunions publiques En outre le tribunal peut imposer
toutes les mesures qursquoil estime neacutecessaires eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale en particulier lrsquointerdiction de seacutejourner dans certains lieux
41 Selon lrsquoarticle 6 lorsque la surveillance speacuteciale est assortie drsquoune
assignation agrave reacutesidence ou drsquoune interdiction de seacutejour le preacutesident du
8 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
tribunal peut pendant la proceacutedure ordonner (decreto) le retrait temporaire
du passeport et la suspension de la validiteacute de tout autre document
eacutequivalent en matiegravere de sortie du territoire En cas de motifs
particuliegraverement graves il peut aussi ordonner que lrsquoassignation agrave reacutesidence
ou lrsquointerdiction de seacutejour soit provisoirement imposeacutee agrave lrsquointeacuteresseacute jusqursquoagrave
ce que la mesure de preacutevention devienne deacutefinitive
42 Lrsquoarticle 9 dispose que le non-respect des regravegles en question est
sanctionneacute par une peine privative de liberteacute
B La jurisprudence de la Cour constitutionnelle
43 Initialement la loi nordm 1423 de 1956 preacutevoyait la possibiliteacute
drsquoappliquer des mesures de preacutevention personnelles uniquement dans
certains cas de laquo dangerositeacute simple raquo crsquoest-agrave-dire quand il eacutetait eacutetabli que
la personne concerneacutee preacutesentait un danger pour la seacutecuriteacute publique
Son champ drsquoapplication a ensuite eacuteteacute eacutelargi pour couvrir drsquoautres
situations de laquo dangerositeacute qualifieacutee raquo notion qui vise les personnes
soupccedilonneacutees drsquoappartenir agrave des associations mafieuses (loi nordm 575 de 1965)
ou impliqueacutees dans des activiteacutes subversives (loi nordm 152 de 1975 adopteacutee
face agrave lrsquoeacutemergence du terrorisme politique drsquoextrecircme gauche et drsquoextrecircme
droite dans les laquo anneacutees de plomb raquo) Enfin les cateacutegories de laquo dangerositeacute
simple raquo ont eacuteteacute modifieacutees et rameneacutees au nombre de trois par la loi nordm 327
de 1988
44 La Cour constitutionnelle a constateacute agrave plusieurs reprises que les
mesures de preacutevention preacutevues par la loi nordm 1423 de 1956 eacutetaient
compatibles avec les liberteacutes fondamentales
45 Dans lrsquoarrecirct no 2 de 1956 elle se prononccedila ainsi
laquo Il reste agrave examiner lrsquoarticle 16 de la Constitution laquo Tout citoyen peut circuler et
seacutejourner librement dans toute partie du territoire national sous reacuteserve des limitations
que la loi fixe drsquoune maniegravere geacuteneacuterale pour des motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute
Aucune restriction ne peut ecirctre deacutetermineacutee par des raisons drsquoordre politique raquo
()
Il est plus deacutelicat de savoir si les motifs drsquolaquo ordre de seacutecuriteacute publique et de
moraliteacute publique raquo indiqueacutes agrave lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique
relegravevent des laquo motifs sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo mentionneacutes agrave lrsquoarticle 16
()
Lrsquointerpreacutetation selon laquelle la laquo seacutecuriteacute raquo concerne uniquement lrsquointeacutegriteacute
physique doit ecirctre exclue car trop restrictive il semble degraves lors rationnel et conforme
agrave lrsquoesprit de la Constitution de donner au terme laquo seacutecuriteacute raquo le sens de la situation dans
laquelle lrsquoexercice pacifique des droits et liberteacutes que la Constitution garantit avec tant
de force est assureacute aux citoyens dans la mesure du possible Il y a donc seacutecuriteacute
lorsque le citoyen peut exercer son activiteacute leacutegale sans ecirctre menaceacute drsquoatteintes contre
sa personnaliteacute physique et morale Le laquo bien vivre ensemble raquo est indeacuteniablement le
but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et deacutemocratique
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 9
Cela eacutetant il ne fait aucun doute que laquo les personnes dangereuses pour lrsquoordre et la
seacutecuriteacute publique ou pour la moraliteacute publique raquo (article 157 de la loi relative agrave la
seacutecuriteacute publique) constituent une menace pour la laquo seacutecuriteacute raquo telle que deacutefinie ci-
dessus et telle qursquoentendue agrave lrsquoarticle 16 de la Constitution
En ce qui concerne la moraliteacute il ne srsquoagit certes pas de prendre en compte les
convictions intimes du citoyen qui sont en elles-mecircmes incoercibles ni les theacuteories
en matiegravere de morale dont la manifestation comme tout autre manifestation de la
penseacutee est libre ou reacutegie par drsquoautres normes juridiques Il demeure que les citoyens
ont le droit de ne pas ecirctre troubleacutes et offenseacutes par des manifestations immorales
lorsque celles-ci sont eacutegalement preacutejudiciables agrave la santeacute ndash mentionneacutee agrave lrsquoarticle 16
de la Constitution ndash ou qursquoelles creacuteent un environnement propice au deacuteveloppement
de la deacutelinquance commune
En ce qui concerne lrsquoordre public sans entrer dans un deacutebat theacuteorique sur la
deacutefinition de cette notion il suffit de preacuteciser que au sens de lrsquoarticle 16 de la
Constitution et de lrsquoarticle 157 de la loi relative agrave la seacutecuriteacute publique la dangerositeacute
pour lrsquoordre public ne peut reacutesulter de simples manifestations agrave caractegravere social ou
politique ndash qui sont reacutegies par drsquoautres normes juridiques ndash mais doit reacutesulter de
manifestations exteacuterieures drsquointoleacuterance ou de reacutebellion vis-agrave-vis des regravegles
leacutegislatives et des ordres leacutegitimes de lrsquoautoriteacute publique manifestations qui peuvent
facilement creacuteer des situations drsquoalerte et des violences assureacutement menaccedilantes pour
la laquo seacutecuriteacute raquo de lrsquoensemble des citoyens dont la liberteacute de circulation finirait par ecirctre
limiteacutee
En reacutesumeacute dans le texte de lrsquoarticle 16 de la Constitution lrsquoexpression laquo motifs
sanitaires ou de seacutecuriteacute raquo doit ecirctre interpreacuteteacutee comme visant les faits qui repreacutesentent
un danger pour la seacutecuriteacute des citoyens telle que deacutefinie ci-dessus
Cette conclusion est eacutegalement admise par la jurisprudence quasi constante de la
Cour de cassation et par une large part de la doctrine En effet il a eacuteteacute observeacute que la
formule geacuteneacuterique de lrsquoarticle 16 vise une infiniteacute de cas difficilement preacutevisibles qui
peuvent ecirctre englobeacutes dans lrsquoexpression syntheacutetique laquo motifs sanitaires ou de
seacutecuriteacute raquo et que la finaliteacute de la norme constitutionnelle est de concilier la neacutecessiteacute
de ne pas laisser des individus socialement dangereux libres de circuler sans entrave et
la neacutecessiteacute drsquoeacuteviter un pouvoir de police geacuteneacuteral et incontrocircleacute raquo
46 Dans son arrecirct nordm 27 de 1959 la Cour constitutionnelle soutint que
les mesures de preacutevention malgreacute les restrictions aux liberteacutes fondamentales
qursquoelles comportaient reacutepondaient agrave lrsquoimpeacuteratif leacutegitime preacutevu par la
Constitution drsquoassurer laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les
citoyens non seulement par des regravegles peacutenales reacutepressives mais aussi par un
systegraveme de mesures preacuteventives visant agrave empecirccher la commission future
drsquoinfractions raquo Elle ajouta que ces mesures eacutetaient neacutecessaires et
proportionneacutees au but poursuivi degraves lors que les cateacutegories de sujets viseacutes
eacutetaient suffisamment restreintes et preacutecises Elle parvint donc agrave la
conclusion que de telles mesures eacutetaient conformes au principe de leacutegaliteacute
preacutevu par les articles 13 et 16 de la Constitution en matiegravere de limitations
des droits relatifs agrave la liberteacute
47 Dans son arrecirct nordm 45 de 1960 la Cour constitutionnelle estima que la
Constitution autorisait lrsquoadoption par les autoriteacutes administratives de
mesures restreignant la liberteacute de circulation comme laquo lrsquoordre de quitter une
10 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
commune raquo preacutevu par la loi nordm 1423 de 1956 Drsquoautre part elle preacutecisa que
les mesures limitant la liberteacute personnelle devaient ecirctre adopteacutees
exclusivement par lrsquoautoriteacute judiciaire
48 Dans son arrecirct nordm 126 de 1962 rappelant la deacutefinition de laquo moraliteacute
publique raquo donneacutee preacuteceacutedemment la Cour constitutionnelle consideacutera
celle-ci comme un aspect de la seacutecuriteacute publique laquelle permettait agrave son
avis des limitations de la liberteacute de circulation des citoyens sur le fondement
de lrsquoarticle 16 de la Constitution
49 Dans son arrecirct nordm 23 de 1964 la Cour constitutionnelle affirma que
les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient contraires ni au principe de leacutegaliteacute ni agrave
celui de la preacutesomption drsquoinnocence Elle observa en particulier que le
principe de leacutegaliteacute preacutevu par la Constitution en matiegravere de limitations de la
liberteacute personnelle (article 13) mais aussi drsquoinfractions et de mesures de
sucircreteacute (article 25) eacutetait applicable aux mesures de preacutevention Elle jugea
toutefois que le respect du principe de leacutegaliteacute devait ecirctre veacuterifieacute selon des
critegraveres speacutecifiques tenant compte de la nature et des finaliteacutes desdites
mesures Elle ajouta que les buts preacuteventifs de celles-ci expliquaient que
leur adoption ne se fondacirct pas sur le constat isoleacute drsquoun fait deacutetermineacute mais
plutocirct sur un ensemble de comportements reacuteveacutelant la dangerositeacute sociale
50 Pour la Cour constitutionnelle il srsquoensuivait qursquoen deacutefinissant les
cateacutegories de sujets concerneacutes le leacutegislateur devait suivre des critegraveres
distincts de ceux utiliseacutes pour la deacutetermination des eacuteleacutements constitutifs
drsquoune infraction (et pouvait recourir agrave des eacuteleacutements de preacutesomption)
critegraveres qui devaient correspondre agrave des comportements objectivement
identifiables Selon la juridiction constitutionnelle lrsquoapproche de la
deacutefinition des mesures de preacutevention nrsquoeacutetait pas moins stricte que celle
visant la deacutefinition des infractions et des peines mais eacutetait diffeacuterente Cela
dit la Cour constitutionnelle constata finalement que la loi indiquait de
maniegravere suffisamment preacutecise les comportements consideacutereacutes comme
laquo socialement dangereux raquo pour ce qui eacutetait des laquo oisifs inaptes au travail et
vagabonds raquo et drsquoautres cateacutegories de sujets
51 Concernant ensuite le principe de la preacutesomption drsquoinnocence la
Cour constitutionnelle deacuteclara drsquoun cocircteacute qursquoil nrsquoentrait pas en ligne de
compte parce que les mesures preacuteventives ne se fondaient pas sur la
culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun individu Elle
indiqua drsquoun autre cocircteacute qursquoil nrsquoeacutetait pas non plus deacuterogeacute agrave ce principe degraves
lors que lrsquoacquittement pour insuffisance de preuves ne pouvait jamais
justifier en soi un constat de dangerositeacute sociale et que drsquoautres eacuteleacutements de
fait reacuteveacutelant la dangerositeacute devaient ecirctre reacuteunis
52 Dans son arrecirct nordm 32 de 1969 la Cour constitutionnelle preacutecisa que la
seule appartenance agrave lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutevues par la loi ne
suffisait pas agrave justifier lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention Elle ajouta
qursquoil fallait au contraire eacutetablir lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 11
lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait rester
theacuteorique
53 En trois occasions seulement la Cour constitutionnelle constata une
violation de la Constitution et ce en raison de certains aspects proceacuteduraux
ou mateacuteriels du reacutegime drsquoapplication des mesures de preacutevention
54 Dans son arrecirct nordm 76 de 1970 elle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4
de la loi nordm 1423 de 1956 au motif qursquoil ne preacutevoyait pas la preacutesence
obligatoire drsquoun deacutefenseur pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures
de preacutevention
55 Dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle constata que
lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en
vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle conclut eacutegalement agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
Reacutesumant lrsquoensemble de la jurisprudence constitutionnelle la Cour
srsquoexprima ainsi
laquo 3) La question des mesures de preacutevention et les problegravemes associeacutes ont eacuteteacute soumis
agrave lrsquoattention de cette Cour degraves le deacutebut de son activiteacute
Degraves lrsquoarrecirct no 2 de 1956 la Cour eacutenonccedila certains principes importants tels que
lrsquoobligation de la garantie juridictionnelle pour toute mesure limitant la liberteacute
personnelle et le refus net du soupccedilon comme condition pour lrsquoapplication de telles
mesures qui sont leacutegitimes agrave condition drsquoecirctre motiveacutees par des faits speacutecifiques
Dans lrsquoarrecirct no 11 de la mecircme anneacutee 1956 la Cour deacuteclara que laquo la grande difficulteacute
drsquoassurer lrsquoeacutequilibre entre les deux exigences fondamentales ndash ne pas entraver
lrsquoactiviteacute de preacutevention des infractions et garantir le respect des droits inviolables de
la personne humaine ndash semblait reacutesolue agrave travers la reconnaissance des droits
traditionnels de lrsquohabeas corpus dans le domaine du principe de la stricte leacutegaliteacute raquo
Dans lrsquoarrecirct susmentionneacute la Cour poursuivit ainsi laquo De faccedilon correacutelative
lrsquointeacuteresseacute ne peut en aucun cas ecirctre soumis agrave une privation ou restriction de sa liberteacute
(personnelle) si cette privation ou restriction nrsquoest pas preacutevue dans lrsquoabstrait par la loi
si une proceacutedure reacuteguliegravere nrsquoa pas eacuteteacute ouverte agrave cette fin srsquoil nrsquoy a pas de deacutecision
motiveacutee de lrsquoautoriteacute judiciaire raquo
La constitutionnaliteacute drsquolaquo un systegraveme de mesures de preacutevention des actes illeacutegaux raquo
destineacute agrave garantir laquo des relations ordonneacutees et pacifiques entre les citoyens raquo a eacuteteacute
confirmeacutee par les arrecircts ulteacuterieurs de la Cour (arrecircts no 27 de 1959 no 45 de 1960
no 126 de 1962 nos 23 et 68 de 1964 no 32 de 1969 et no 76 de 1970) concernant les
articles 13 16 17 et 25 alineacutea 3 de la Constitution tantocirct la Cour a souligneacute le
paralleacutelisme avec les mesures de sucircreteacute (viseacutees agrave lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution) tantocirct elle lrsquoa atteacutenueacute tantocirct elle a confirmeacute que ces deux types de
mesures qui ont pour objet la dangerositeacute sociale de lrsquoindividu poursuivent la mecircme
finaliteacute ndash la preacutevention des infractions ndash tantocirct elle a au contraire souligneacute les
diffeacuterences entre ces deux types
12 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Il convient surtout de rappeler ici non seulement lrsquoaffirmation contenue dans lrsquoarrecirct
no 27 de 1959 qui deacutecrit comme laquo restreintes et qualifieacutees raquo les laquo cateacutegories
drsquoindividus auxquels la surveillance speacuteciale peut ecirctre appliqueacutee (article 1 de la loi) raquo
(no 1423 de 1956) mais aussi et surtout lrsquoarrecirct no 23 de 1964 de cette Cour qui a
deacuteclareacute non fondeacutee laquo la question de la constitutionnaliteacute de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423
du 27 deacutecembre 1956 eu eacutegard aux articles 13 25 et 27 de la Constitution raquo Dans la
motivation de cet arrecirct on peut lire que laquo pour deacutecrire les cas (de preacutevention) le
leacutegislateur doit normalement employer des critegraveres diffeacuterents de ceux qursquoil emploie
pour deacutefinir les eacuteleacutements constitutifs drsquoune infraction il peut eacutegalement faire
reacutefeacuterence agrave des eacuteleacutements de preacutesomption qui doivent toutefois toujours correspondre
agrave des comportements objectivement identifiables Ce qui ne veut pas dire moins de
rigueur mais une rigueur diffeacuterente dans la deacutefinition et lrsquoadoption des mesures de
preacutevention par rapport agrave la deacutefinition des infractions et agrave lrsquoinfliction des peines raquo
Concernant speacutecifiquement les paragraphes 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi no 1423 de
1956 la Cour a exclu que laquo les mesures de preacutevention puissent ecirctre adopteacutees sur la
base de simples soupccedilons raquo exigeant au contraire laquo une appreacuteciation objective des
faits qui fasse ressortir la conduite habituelle et le niveau de vie de la personne ou des
manifestations concregravetes de sa propension agrave la deacutelinquance lesquelles doivent avoir
eacuteteacute eacutetablies de maniegravere agrave exclure des appreacuteciations purement subjectives et
incontrocirclables par celui qui prononce ou applique les mesures de preacutevention raquo
4) Conformeacutement aux preacuteceacutedentes deacutecisions de cette Cour il faut rappeler que la
constitutionnaliteacute des mesures de preacutevention ndash en ce qursquoelles restreignent agrave diffeacuterents
degreacutes la liberteacute personnelle ndash est neacutecessairement subordonneacutee au respect du principe
de leacutegaliteacute et agrave lrsquoexistence de la garantie juridictionnelle (arrecirct no 11 de 1956) Il srsquoagit
de deux conditions eacutegalement essentielles et intimement lieacutees degraves lors que lrsquoabsence
de lrsquoune rend lrsquoautre inefficace en la rendant purement illusoire
Le principe de leacutegaliteacute en matiegravere de preacutevention ndash agrave savoir la reacutefeacuterence aux laquo cas
preacutevus par la loi raquo ndash qursquoil deacutecoule de lrsquoarticle 13 ou de lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la
Constitution implique que lrsquoapplication de la mesure mecircme si elle est lieacutee dans la
majeure partie des cas agrave une appreacuteciation pronostique doit reposer sur des laquo cas de
dangerositeacute raquo preacutevus ndash deacutecrits ndash par la loi des cas destineacutes agrave constituer le paramegravetre de
lrsquoexamen judiciaire mais aussi le fondement drsquoun pronostic de dangerositeacute qui ne
peut ecirctre leacutegalement fondeacute que sur cette base
En effet si juridiction en matiegravere peacutenale signifie application de la loi par lrsquoexamen
des conditions de fait agrave travers une proceacutedure entoureacutee des garanties neacutecessaires entre
autres de seacuterieux probatoire on ne peut douter que mecircme dans la proceacutedure de
preacutevention le pronostic de dangerositeacute (confieacute au juge et dans la formulation duquel
sont certainement preacutesents des eacuteleacutements discreacutetionnaires) srsquoappuie forceacutement sur les
conditions de fait laquo preacutevues par la loi raquo et donc susceptibles drsquoun examen judiciaire
Lrsquointervention du juge (de mecircme que la preacutesence de la deacutefense dont la neacutecessiteacute a
eacuteteacute affirmeacutee sans reacuteserve) dans la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
nrsquoaurait pas beaucoup de sens (ou bien deacutenaturerait dangereusement la fonction
juridictionnelle dans le domaine de la liberteacute personnelle) si elle ne servait agrave garantir
dans le cadre du contradictoire entre les parties lrsquoexamen des cas preacutedeacutefinis par la loi
On rappellera enfin que lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles
tendant elles aussi agrave preacutevenir la commission drsquo(autres) infractions (et qui ne supposent
pas toujours la commission drsquoune ndash preacuteceacutedente ndash infraction article 49 alineacuteas 2 et 4
et article 115 alineacuteas 2 et 4 du code peacutenal) au point qursquoelles peuvent ecirctre consideacutereacutees
comme lrsquoune des deux espegraveces drsquoun mecircme genre est lieacutee agrave lrsquoexamen des cas deacutefinis
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 13
par la loi examen dont deacutepend lrsquoappreacuteciation de la dangerositeacute que cette dangerositeacute
soit preacutesumeacutee ou doive ecirctre eacutetablie dans le cas concret
5) Ainsi pour les mesures de preacutevention eacutegalement lrsquoaccent est mis sur le degreacute
suffisant ou insuffisant de preacutecision de la description leacutegislative des conditions de fait
dont lrsquoexamen permet drsquoappreacutecier de faccedilon pronostique la dangerositeacute sociale de
lrsquoindividu
Les questions poseacutees appellent cette Cour agrave veacuterifier que les laquo indices de dangerositeacute
sociale raquo ndash pour reprendre la terminologie couramment employeacutee dans la doctrine ndash
qui sont deacutecrits dans les dispositions leacutegislatives contesteacutees sont suffisants au sens de
ce qui vient drsquoecirctre exposeacute
Agrave cet eacutegard il convient de mentionner que du point de vue de la preacutecision le fait
que la description normative ait pour objet une seule conduite ou une pluraliteacute de
conduites nrsquoest pas deacuteterminant car seul peut ecirctre appreacutecieacute le comportement ou la
conduite drsquoun individu vis-agrave-vis du monde exteacuterieur tel qursquoil srsquoexprime agrave travers ses
actions et ses omissions
De mecircme pour les mesures de preacutevention il est eacutegalement deacutecisif que la description
leacutegislative ndash les cas deacutefinis par la loi ndash permette drsquoidentifier la ou les conduites qui si
elles sont constateacutees dans le cas concret peuvent fonder une appreacuteciation pronostique
donc orienteacutee vers lrsquoavenir
Il faut encore observer que les conduites requises pour lrsquoapplication de mesures de
preacutevention puisqursquoil srsquoagit de preacutevenir des infractions ne peuvent pas se passer de
reacutefeacuterence explicite ou implicite agrave lrsquoinfraction ou aux infractions ou cateacutegories
drsquoinfractions viseacutees par la preacutevention afin que la description de la ou des conduites
consideacutereacutees acquiegravere drsquoautant plus de deacutetermination qursquoelle permet de deacuteduire de leur
survenance dans le cas concret la preacutevision raisonnable (du risque) que ces infractions
soient consommeacutees par ces individus
6) Au vu des consideacuterations qui preacutecegravedent la question de la constitutionnaliteacute de
lrsquoarticle 1 paragraphe 3 derniegravere hypothegravese de la loi no 1423 de 1956 doit ecirctre
deacuteclareacutee fondeacutee
En effet la disposition examineacutee (contrairement par exemple agrave celle du premier
paragraphe du mecircme article 1) ne deacutecrit ni une ou plusieurs conduites ni aucune
laquo manifestation raquo sur laquelle pourrait reposer drsquoembleacutee un examen judiciaire La
question de savoir quelles laquo manifestations raquo sont pertinentes est renvoyeacutee au juge (et
avant lui au parquet et agrave lrsquoautoriteacute de police compeacutetents) sur le plan mecircme de la
deacutefinition du cas avant mecircme drsquoarriver agrave celui de lrsquoexamen Les conditions de
lrsquoappreacuteciation de la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo nrsquoont aucune autonomie
conceptuelle par rapport agrave lrsquoappreacuteciation elle-mecircme La formule leacutegale nrsquoa donc pas la
fonction drsquoune veacuteritable deacutefinition du cas crsquoest-agrave-dire drsquoune identification des laquo cas raquo
(ce qursquoexigent tant lrsquoarticle 13 que lrsquoarticle 25 alineacutea 3 de la Constitution) mais elle
laisse aux acteurs une marge discreacutetionnaire incontrocirclable
() Lrsquoexpression laquo enclin agrave la deacutelinquance raquo employeacutee par le leacutegislateur de 1956
semblerait rappeler la notion de laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo de lrsquoarticle 108 du code
peacutenal mais le rapprochement ne tient pas sur le plan mateacuteriel car la formulation de
cette derniegravere disposition suppose que soient constateacutes une atteinte volontaire agrave la vie
ou agrave lrsquointeacutegriteacute individuelle des mobiles propres agrave reacuteveacuteler une propension particuliegravere
agrave la deacutelinquance et le tempeacuterament particuliegraverement mauvais du coupable Dans le
cas examineacute la laquo propension agrave la deacutelinquance raquo doit au contraire ecirctre entendue
comme synonyme de dangerositeacute sociale ce qui implique que lrsquoensemble de la
disposition normative qui permet lrsquoadoption de mesures restreignant la liberteacute
14 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
personnelle sans que soient identifieacutees ni les conditions ni les finaliteacutes speacutecifiques qui
les justifient doit ecirctre consideacutereacutee comme anticonstitutionnelle raquo
56 Dans son arrecirct nordm 93 de 2010 srsquoappuyant sur lrsquoarticle 6 de la
Convention europeacuteenne des droits de lrsquohomme et sur lrsquoarrecirct Bocellari
et Rizza c Italie (nordm 39902 13 novembre 2007) dans lequel la Cour
europeacuteenne avait constateacute une violation de lrsquoarticle 6 en raison de la
proceacutedure drsquoapplication des mesures patrimoniales preacutevues par la loi de
1956 la Cour constitutionnelle deacuteclara inconstitutionnel lrsquoarticle 4 de la
loi no 1423 de 1956 au motif qursquoil ne meacutenageait pas la possibiliteacute pour
lrsquointeacuteresseacute de demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de
preacutevention une audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en
appel Neacuteanmoins par lrsquoarrecirct nordm 80 de 2011 la juridiction constitutionnelle
preacutecisa que la possibiliteacute de demander une audience publique ne srsquoimposait
pas devant la Cour de cassation
57 Dans lrsquoarrecirct no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave
deacuteterminer si lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait
compatible avec lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil
sanctionnait peacutenalement le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5
alineacutea 3 premiegravere partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et
dans le respect des lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le
principe de la preacutevision leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme
peacutenale trouve agrave srsquoappliquer (principio di tassativitagrave)
58 La juridiction qui avait saisi la Cour constitutionnelle estimait que
lrsquoobligation de vivre honnecirctement et dans le respect des lois et de ne pas
precircter agrave soupccedilon tout en eacutetant comprise dans les conditions imposeacutees agrave la
personne soumise agrave une surveillance speacuteciale constituait une obligation de
caractegravere geacuteneacuteral applicable agrave lrsquoensemble de la collectiviteacute et non pas
speacutecifiquement agrave la personne concerneacutee Ladite juridiction consideacuterait donc
que de par sa porteacutee geacuteneacuterale preacuteciseacutement lrsquoobligation en question ne
pouvait pas constituer une condition agrave contenu prescriptif typique et
speacutecifique associeacutee agrave la mesure de surveillance speacuteciale degraves lors pour elle
qursquoil nrsquoeacutetait pas possible de deacuteterminer avec preacutecision la conduite
susceptible drsquoenfreindre les exigences lieacutees agrave la surveillance speacuteciale
compte tenu du caractegravere vague et impreacutecis des eacuteleacutements entrant dans la
deacutefinition de cette infraction
59 Pour la Cour constitutionnelle que la description de lrsquoinfraction en
question conticircnt des expressions sommaires des termes agrave sens multiples
des clauses geacuteneacuterales ou des notions eacutelastiques nrsquoemportait pas violation de
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution pour autant que la description
globale de lrsquoacte alleacutegueacute permicirct malgreacute tout au juge ndash eu eacutegard au but
poursuivi par la disposition peacutenale pertinente et au contexte leacutegislatif plus
large dans lequel elle srsquoinscrivait ndash drsquoeacutetablir la signification de cet eacuteleacutement
par un processus drsquointerpreacutetation nrsquooutrepassant pas sa mission habituelle
crsquoest-agrave-dire pour autant que cette description lui permicirct de se prononcer sur
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 15
la correspondance entre les circonstances concregravetes et la deacutefinition abstraite
de lrsquoinfraction en srsquoappuyant sur un fondement hermeacuteneutique controcirclable
et par conseacutequent permicirct agrave la personne viseacutee par la disposition drsquoavoir une
perception suffisamment claire et immeacutediate de sa valeur prescriptive Pour
la Cour constitutionnelle dans ce contexte lrsquoobligation de laquo vivre
honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de maniegravere isoleacutee apparaissait en soi
geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des significations multiples si au
contraire on la placcedilait dans le contexte de toutes les autres obligations
poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956 elle avait un contenu plus clair
impliquant un devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un
mode de vie respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de
sorte que la formule laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise
60 La juridiction constitutionnelle jugea eacutegalement que lrsquoobligation de
vivre laquo dans le respect des lois raquo renvoyait au devoir pour lrsquointeacuteresseacute de se
conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter ou de ne pas
adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes peacutenales mais
aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice suppleacutementaire
de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie
61 Concernant enfin lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo la
haute juridiction indiqua qursquoil ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement
mais dans le contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une
surveillance speacuteciale de freacutequenter certains lieux ou individus
C La jurisprudence de la Cour de cassation
62 Dans lrsquoarrecirct nordm 10281 du 25 octobre 2007 la Cour de cassation
statuant en chambres reacuteunies indiqua que la condition preacutealable agrave
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention personnelle eacutetait le constat de la
laquo dangerositeacute actuelle raquo du sujet laquelle nrsquoeacutetait pas neacutecessairement lieacutee agrave la
commission drsquoune infraction mecircme si celle-ci pouvait eacuteventuellement
entrer en ligne de compte Ce qui importait pour la Cour de cassation
crsquoeacutetait lrsquoexistence drsquoune situation complexe drsquoune certaine dureacutee qui
reacuteveacutelait un mode de vie de lrsquointeacuteresseacute posant problegraveme sur le plan de la
seacutecuriteacute publique Lrsquoeacutevaluation de la laquo dangerositeacute actuelle raquo eacutetait donc
laquo une eacutevaluation srsquoarticulant autour de plusieurs axes et prenant en
consideacuteration divers comportements du sujet qui nrsquoeacutetaient pas
neacutecessairement susceptibles de poursuites peacutenales mais neacuteanmoins
reacuteveacutelateurs de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute raquo
63 Dans lrsquoarrecirct no 23641 de 2014 la Cour de cassation jugea que
lrsquoeacutevaluation de la dangerositeacute aux fins de lrsquoapplication drsquoune mesure de
preacutevention ne consistait pas en une simple appreacuteciation de la dangerositeacute
subjective mais correspondait agrave lrsquoappreacuteciation de laquo faits raquo que lrsquoon pouvait
eacutevaluer historiquement et qui eacutetaient eux-mecircmes des laquo indicateurs raquo de la
16 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
possibiliteacute drsquoinscrire le sujet concerneacute dans lrsquoune des cateacutegories
criminologiques deacutefinies par la loi
Ainsi pour la Cour de cassation le sujet laquo examineacute dans une proceacutedure
de preacutevention nrsquoeacutetait pas tenu pour laquo coupable raquo ou laquo non coupable raquo de la
commission drsquoun acte speacutecifique mais pour laquo dangereux raquo ou laquo non
dangereux raquo eu eacutegard agrave son comportement anteacuterieur (tel que reconstitueacute agrave
partir de diffeacuterentes sources drsquoinformation) consideacutereacute comme laquo indice
reacuteveacutelateur raquo de la possibiliteacute de futurs comportements tendant agrave perturber
lrsquoordre social ou lrsquoordre eacuteconomique et ce au regard de dispositions
leacutegislatives preacutecises qui laquo qualifient raquo les diverses cateacutegories de dangerositeacute
64 Selon la Cour de cassation le rattachement agrave une telle cateacutegorie eacutetait
la condition neacutecessaire mais non suffisante pour lrsquoapplication de la mesure
de preacutevention personnelle degraves lors que les cateacutegories en question
repreacutesentaient des indicateurs de la dangerositeacute sociale du sujet comme cela
ressortait clairement de lrsquoarticle 1 alineacutea 3 de la loi de deacuteleacutegation du
13 aoucirct 2010 no 136 sur la base de laquelle a eacuteteacute promulgueacute le deacutecret
leacutegislatif no 159 de 2011
D Le deacutecret leacutegislatif no 159 du 6 septembre 2011
65 Le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation relative agrave
la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et
patrimoniales est entreacute en vigueur en septembre 2011 Il a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 mais a laisseacute inchangeacutee la cateacutegorie des personnes
concerneacutees Quant aux mesures applicables la nouvelle loi a uniquement
abrogeacute lrsquoobligation de ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution
En ce qui concerne la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention
lrsquoarticle 7 de ce texte preacutevoit que sur demande de lrsquointeacuteresseacute lrsquoaudience
peut ecirctre publique
66 Enfin en feacutevrier 2015 le gouvernement italien a adopteacute le deacutecret-loi
no 7 devenu la loi no 43 du 17 avril 2015 qui contient des mesures urgentes
contre le terrorisme international De nouvelles infractions terroristes ont
ainsi eacuteteacute inscrites dans le code peacutenal lrsquoune en particulier concernant les
deacuteplacements de combattants eacutetrangers (foreign fighters) agrave des fins
terroristes Par ailleurs le champ drsquoapplication des mesures de preacutevention
personnelles (ainsi que patrimoniales) a eacuteteacute eacutelargi Une nouvelle mesure de
retrait du passeport et de la carte drsquoidentiteacute a eacuteteacute introduite
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 17
E La loi no 117 du 13 avril 1988 sur la reacuteparation des dommages
causeacutes dans lrsquoexercice de fonctions juridictionnelles et la
responsabiliteacute civile des magistrats
67 Aux termes de lrsquoarticle 1 paragraphe 1 de cette loi celle-ci
srsquoapplique laquo agrave tous les membres des magistratures de droit commun
administrative financiegravere militaire et speacuteciale qui exercent une activiteacute
juridictionnelle indeacutependamment de la nature des fonctions ainsi qursquoaux
autres personnes qui participent agrave lrsquoexercice de la fonction
juridictionnelle raquo
Lrsquoarticle 2 de la loi no 11788 eacutenonce
laquo 1 Toute personne ayant subi un dommage injustifieacute en raison drsquoun
comportement drsquoun acte ou drsquoune mesure judiciaire drsquoun magistrat qui srsquoest rendu
coupable de dol ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions ou en raison drsquoun
deacuteni de justice peut agir contre lrsquoEacutetat pour obtenir reacuteparation des dommages
patrimoniaux qursquoelle a subis ainsi que des dommages non patrimoniaux qui
deacutecoulent de la privation de liberteacute personnelle
2 Dans lrsquoexercice des fonctions juridictionnelles lrsquointerpreacutetation des regravegles de
droit et lrsquoappreacuteciation des faits et des preuves ne peuvent pas donner lieu agrave
responsabiliteacute
3 Sont constitutifs drsquoune faute grave
a) une violation grave de la loi reacutesultant drsquoune neacutegligence inexcusable
b) lrsquoaffirmation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement reacutefuteacutee par les piegraveces du dossier
c) la neacutegation due agrave une neacutegligence inexcusable drsquoun fait dont lrsquoexistence est
incontestablement eacutetablie par les piegraveces du dossier
d) lrsquoadoption drsquoune mesure concernant la liberteacute personnelle en dehors des cas
preacutevus par la loi ou sans motivation raquo
Aux termes de lrsquoarticle 3 paragraphe 1 premiegravere phrase de la loi
no 11788 constitue par ailleurs un deacuteni de justice laquo le refus lrsquoomission ou
le retard du magistrat dans lrsquoaccomplissement drsquoactes relevant de sa
compeacutetence lorsque apregraves expiration du deacutelai leacutegal preacutevu pour
lrsquoaccomplissement de lrsquoacte en question la partie concerneacutee a preacutesenteacute une
demande en vue de lrsquoobtention drsquoun tel acte et que sans raison valable
aucune mesure nrsquoa eacuteteacute prise dans les trente jours conseacutecutifs au deacutepocirct de
cette demande au greffe raquo
68 Les articles suivants de la loi no 11788 preacutecisent les conditions et les
modaliteacutes selon lesquelles une action en reacuteparation peut ecirctre engageacutee au titre
de lrsquoarticle 2 ou de lrsquoarticle 3 de cette loi ainsi que les actions qui peuvent
ecirctre intenteacutees a posteriori contre le magistrat qui srsquoest rendu coupable de dol
ou de faute grave dans lrsquoexercice de ses fonctions voire drsquoun deacuteni de
justice
18 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
IV EacuteLEacuteMENTS DE DROIT COMPAREacute
69 Drsquoapregraves les informations dont la Cour dispose sur la leacutegislation de
trente-quatre Eacutetats membres la grande majoriteacute des pays eacutetudieacutes (vingt-neuf
pays1 sur trente-quatre) ne connaissent pas de mesures comparables agrave celles
appliqueacutees en Italie dans la preacutesente affaire Seuls cinq pays sont concerneacutes
par des mesures similaires (lrsquoAutriche la France la Suisse le Royaume-Uni
et la Russie)
70 LrsquoAutriche la France et la Suisse ont adopteacute de telles mesures pour
faire face au hooliganisme des mesures preacuteventives personnelles sont ainsi
mises en œuvre agrave lrsquoeacutegard de personnes potentiellement violentes lors de
manifestations sportives Par ailleurs la France connaicirct drsquoautres types de
mesures (interdiction de reacuteunions manifestations ou spectacles
hospitalisation drsquooffice etc) qui relegravevent de la compeacutetence de la police
administrative Au Royaume-Uni des mesures semblables ont eacuteteacute
introduites en 2011 dans le cadre de la lutte contre le terrorisme
71 En Russie diverses lois indiquent que les mesures de preacutevention
visent les anciens deacutetenus qui ont eacuteteacute condamneacutes pour une infraction grave
pour reacutecidive ou pour drsquoautres types drsquoinfractions les mineurs abandonneacutes
ou auteurs drsquoune infraction les toxicomanes et alcooliques preacutesentant un
danger pour autrui les personnes impliqueacutees dans des infractions contre les
meacutenages des personnes contrevenant agrave lrsquoordre public lors drsquoeacutevegravenements
publics les personnes impliqueacutees dans des organisations juveacuteniles non
officielles poursuivant des activiteacutes illeacutegales et les personnes impliqueacutees
dans le trafic ou la consommation illeacutegale de drogue
72 Dans le cadre de la leacutegislation europeacuteenne la Directive 200438CE
relative au droit des citoyens de lrsquoUnion et des membres de leurs familles de
circuler et de seacutejourner librement sur le territoire des Eacutetats membres preacutevoit
la possibiliteacute pour les Eacutetats de restreindre la liberteacute de circulation et de
seacutejour pour des raisons drsquoordre public de seacutecuriteacute publique ou de santeacute
publique (article 27) Toutefois lrsquoeacuteloignement pour raisons drsquoordre public
ou de seacutecuriteacute publique doit respecter le principe de proportionnaliteacute et ecirctre
fondeacute exclusivement sur le comportement personnel de lrsquoindividu concerneacute
qui doit repreacutesenter une menace reacuteelle actuelle et suffisamment grave pour
lrsquointeacuterecirct fondamental de la socieacuteteacute En ce qui concerne la dureacutee drsquoune telle
mesure la directive indique qursquoapregraves un deacutelai raisonnable et en tout cas
apregraves trois ans agrave compter de lrsquoexeacutecution de la mesure lrsquointeacuteresseacute doit
pouvoir introduire une demande de leveacutee de lrsquointerdiction
73 Au niveau du Conseil de lrsquoEurope le Protocole additionnel agrave la
Convention pour la preacutevention du terrorisme (STCE no 217) a eacuteteacute adopteacute par
1 Allemagne Armeacutenie Azerbaiumldjan Belgique Bosnie-Herzeacutegovine Bulgarie Croatie
Espagne Estonie Finlande Geacuteorgie Hongrie Irlande Lettonie Lituanie Luxembourg
ex-Reacutepublique yougoslave de Maceacutedoine Malte Moldova Monteacuteneacutegro Pologne
Portugal Reacutepublique tchegraveque Roumanie Serbie Slovaquie Sloveacutenie Turquie et Ukraine
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 19
le Comiteacute des Ministres le 19 mai 2015 Il a eacuteteacute ouvert agrave la signature agrave
Riga le 22 octobre 2015 Ce Protocole preacutevoit lrsquoobligation pour les Eacutetats de
sanctionner peacutenalement le fait de se rendre ou tenter de se rendre dans un
Etat autre que son Etat de reacutesidence ou de nationaliteacute dans le but de
commettre drsquoorganiser ou de preacuteparer des actes de terrorisme ou afin drsquoy
participer agrave ou de dispenser ou recevoir un entraicircnement au terrorisme et
drsquoadopter les mesures de coopeacuteration neacutecessaires pour eacuteviter que des
personnes partant rejoindre des terroristes puissent sortir de leur territoire
EN DROIT
I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DES ARTICLES 5 DE LA
CONVENTION ET 2 DU PROTOCOLE No 4
74 Le requeacuterant allegravegue que la mesure de preacutevention dont il a fait lrsquoobjet
avait un caractegravere arbitraire et une dureacutee excessive Il invoque lrsquoarticle 5 de
la Convention ainsi que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
Le passage pertinent de lrsquoarticle 5 est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave la liberteacute et agrave la sucircreteacute Nul ne peut ecirctre priveacute de sa
liberteacute sauf dans les cas suivants et selon les voies leacutegales
a) srsquoil est deacutetenu reacuteguliegraverement apregraves condamnation par un tribunal compeacutetent
b) srsquoil a fait lrsquoobjet drsquoune arrestation ou drsquoune deacutetention reacuteguliegraveres pour
insoumission agrave une ordonnance rendue conformeacutement agrave la loi par un tribunal ou en
vue de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation prescrite par la loi
c) srsquoil a eacuteteacute arrecircteacute et deacutetenu en vue drsquoecirctre conduit devant lrsquoautoriteacute judiciaire
compeacutetente lorsqursquoil y a des raisons plausibles de soupccedilonner qursquoil a commis une
infraction ou qursquoil y a des motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher
de commettre une infraction ou de srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci
d) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoun mineur deacutecideacutee pour son eacuteducation
surveilleacutee ou de sa deacutetention reacuteguliegravere afin de le traduire devant lrsquoautoriteacute
compeacutetente
e) srsquoil srsquoagit de la deacutetention reacuteguliegravere drsquoune personne susceptible de propager une
maladie contagieuse drsquoun alieacuteneacute drsquoun alcoolique drsquoun toxicomane ou drsquoun
vagabond
f) srsquoil srsquoagit de lrsquoarrestation ou de la deacutetention reacuteguliegraveres drsquoune personne pour
lrsquoempecirccher de peacuteneacutetrer irreacuteguliegraverement dans le territoire ou contre laquelle une
proceacutedure drsquoexpulsion ou drsquoextradition est en cours raquo
Lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dispose
laquo 1 Quiconque se trouve reacuteguliegraverement sur le territoire drsquoun Eacutetat a le droit drsquoy
circuler librement et drsquoy choisir librement sa reacutesidence
2 Toute personne est libre de quitter nrsquoimporte quel pays y compris le sien
20 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
3 Lrsquoexercice de ces droits ne peut faire lrsquoobjet drsquoautres restrictions que celles qui
preacutevues par la loi constituent des mesures neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
agrave la seacutecuriteacute nationale agrave la sucircreteacute publique au maintien de lrsquoordre public agrave la
preacutevention des infractions peacutenales agrave la protection de la santeacute ou de la morale ou agrave la
protection des droits et liberteacutes drsquoautrui
4 Les droits reconnus au paragraphe 1 peuvent eacutegalement dans certaines zones
deacutetermineacutees faire lrsquoobjet de restrictions qui preacutevues par la loi sont justifieacutees par
lrsquointeacuterecirct public dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
75 Le Gouvernement srsquooppose agrave cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
76 Le Gouvernement soutient que lrsquoarticle 5 de la Convention nrsquoest pas
applicable dans le cas drsquoespegravece Agrave cet eacutegard il rappelle que selon la
jurisprudence constante de la Cour (Raimondo c Italie 22 feacutevrier 1994
sect 39 seacuterie A no 281-A Villa c Italie no 1967506 sectsect 41-43 20 avril 2010
et Monno c Italie (deacutec) no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) les
obligations deacutecoulant des mesures de preacutevention nrsquoentraicircnent pas une
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention mais de simples
restrictions agrave la liberteacute de circulation Le grief serait donc incompatible
ratione materiae avec la Convention
b) Le requeacuterant
77 Le requeacuterant soutient que la surveillance speacuteciale de la police relegraveve
de lrsquoarticle 5 de la Convention et preacutecise que lrsquoinobservation des regravegles de
conduite dont elle est assortie est sanctionneacutee par une peine privative de
liberteacute (article 9 de la loi de 1956) Il estime que les restrictions qursquoil a
subies pendant la peacuteriode du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier 2009 ont comporteacute
une privation de sa liberteacute personnelle Agrave ses yeux la preacutesente espegravece est
comparable agrave lrsquoaffaire Guzzardi c Italie (6 novembre 1980 seacuterie A no 39)
dans laquelle la Cour avait consideacutereacute que eu eacutegard aux circonstances
particuliegraveres de lrsquoaffaire lrsquointeacuteresseacute qui avait eacuteteacute soumis agrave des mesures
semblables agrave celles imposeacutees au requeacuterant dans la preacutesente espegravece avait eacuteteacute
priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5
78 Le requeacuterant estime que lrsquoimpossibiliteacute ougrave il srsquoest trouveacute de sortir de
son habitation entre vingt-deux heures et six heures du matin constitue une
privation de liberteacute et srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
2 Appreacuteciation de la Cour
79 Drsquoembleacutee la Cour doit rechercher si lrsquoarticle 5 de la Convention est
applicable en lrsquoespegravece
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 21
80 Elle rappelle tout drsquoabord qursquoen proclamant le laquo droit agrave la liberteacute raquo
le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de la personne Degraves
lors il ne concerne pas les simples restrictions agrave la liberteacute de circuler
lesquelles obeacuteissent agrave lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Pour deacuteterminer si un
individu se trouve laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir
de sa situation concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres
comme le genre la dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la
mesure consideacutereacutee Entre privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune
diffeacuterence de degreacute ou drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence (Guzzardi
preacuteciteacute sectsect 92-93 Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] nos 3969209 4071309 et 4100809
sect 57 CEDH 2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH
2012 Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010)
De plus pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention preacutevues par la loi
de 1956 il faut les examiner laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (Guzzardi
preacuteciteacute sect 95)
81 En outre selon la Cour la deacutemarche consistant agrave prendre en compte
le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question
(Guzzardi preacuteciteacute sect 92) lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte et aux
circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration En effet le contexte
dans lequel srsquoinscrit la mesure repreacutesente un facteur important car il est
courant dans les socieacuteteacutes modernes que surviennent des situations dans
lesquelles le public peut ecirctre appeleacute agrave supporter des restrictions agrave la liberteacute
de circulation ou agrave la liberteacute des personnes dans lrsquointeacuterecirct du bien commun
(voir mutatis mutandis Austin et autres preacuteciteacute sect 59)
82 En matiegravere de mesures de preacutevention personnelles les organes de la
Convention ont amorceacute leur jurisprudence dans la deacutecision Guzzardi du
5 octobre 1977 (Guzzardi c Italie no 796077 deacutecision de la Commission
du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans cette affaire le requeacuterant alleacuteguait
que lrsquoobligation pour lui de reacutesider dans la commune de Force constituait
une privation de liberteacute Pour rejeter le grief du requeacuterant la Commission
conclut que les conditions drsquoexeacutecution de la mesure drsquoassignation agrave
reacutesidence appliqueacutee agrave lrsquointeacuteresseacute ainsi que les obligations associeacutees ne
comportaient aucune privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention mais des restrictions agrave la liberteacute du requeacuterant de circuler et de
choisir sa reacutesidence
83 Par la suite dans une autre affaire introduite par le mecircme requeacuterant
la Cour renvoya agrave la deacutecision susmentionneacutee de la Commission pour
souligner que la surveillance speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence dans une
commune donneacutee ne tombait pas en elle-mecircme sous le coup de lrsquoarticle 5
(Guzzardi arrecirct preacuteciteacute sect 94) Elle conclut toutefois en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 et qursquoil pouvait degraves lors se preacutevaloir des
22 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
garanties deacutecoulant de cette disposition En effet soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave
un clan mafieux le requeacuterant avait eacuteteacute contraint de vivre sur une icircle dans
une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes en compagnie
essentiellement de personnes se trouvant dans une situation semblable ainsi
que de personnel de surveillance Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute
assortie drsquoautres restrictions comparables aux mesures imposeacutees agrave M de
Tommaso La Cour attacha une importance particuliegravere agrave lrsquoexiguiumlteacute de la
zone ougrave le requeacuterant eacutetait demeureacute confineacute agrave la surveillance quasi
permanente exerceacutee sur lui et agrave lrsquoimpossibiliteacute presque complegravete dans
laquelle il srsquoeacutetait trouveacute de nouer des contacts sociaux (Guzzardi preacuteciteacute
sect 95)
84 La Cour note que depuis lrsquoaffaire Guzzardi elle a examineacute dans
plusieurs affaires (Raimondo preacuteciteacute sect 39 Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
preacuteciteacute sectsect 43-44 et Monno deacutecision preacuteciteacutee sectsect 22-23) la surveillance
speacuteciale avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees
(interdiction de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de
reacutesidence interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et
lieux de prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction
de freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises
agrave des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
85 La Cour relegraveve que dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant est soumis agrave
des mesures identiques agrave celles examineacutees par la Cour dans les affaires
preacuteciteacutees et que agrave la diffeacuterence de lrsquointeacuteresseacute dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant dans la preacutesente espegravece nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un
endroit exigu et ne srsquoest pas trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des
contacts sociaux
86 De plus la Cour ne saurait accepter lrsquoargument du requeacuterant selon
lequel le fait de ne pas pouvoir sortir sauf en cas de neacutecessiteacute entre vingt-
deux heures et six heures du matin srsquoapparente agrave une assignation agrave domicile
et donc agrave une privation de liberteacute
87 Elle rappelle que lrsquoassignation agrave domicile srsquoanalyse au vu de son
degreacute drsquointensiteacute (Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507
sect 104 CEDH 2016) en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 de la
Convention (NC c Italie no 2495294 sect 33 11 janvier 2001 Nikolova
c Bulgarie (no 2) no 4089698 sectsect 60 et 74 30 septembre 2004 Danov
c Bulgarie no 5679600 sectsect 61 et 80 26 octobre 2006 et Ninescu
c Reacutepublique de Moldova no 4730607 sect 53 15 juillet 2014) Elle note
eacutegalement qursquoen droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee
ecirctre en deacutetention provisoire (Ciobanu c Roumanie et Italie no 450908
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 23
sect 22 9 juillet 2013 et Mancini c Italie no 4495598 sect 17 CEDH
2001-IX)
88 Elle observe toutefois que dans toutes les affaires semblables agrave la
preacutesente espegravece qui ont eacuteteacute examineacutees par la Cour les requeacuterants avaient
lrsquoobligation de ne pas sortir pendant la nuit (paragraphe 84 ci-dessus) et elle
rappelle avoir conclu qursquoil srsquoagit en lrsquoespegravece drsquoune atteinte agrave la liberteacute de
circulation La Cour ne voit donc pas de motifs suffisamment pertinents de
changer cette approche drsquoautant qursquoen lrsquoespegravece vu les effets de la
surveillance speacuteciale du requeacuterant et ses modaliteacutes drsquoexeacutecution il apparaicirct
que lrsquointeacuteresseacute nrsquoa pas subi de restrictions agrave sa liberteacute de sortir pendant la
journeacutee et qursquoil a eu la possibiliteacute de mener une vie sociale et drsquoentretenir
des relations avec lrsquoexteacuterieur Par ailleurs la Cour relegraveve qursquoil ne ressort pas
du dossier que le requeacuterant ait jamais demandeacute aux autoriteacutes la permission
de srsquoeacuteloigner de son lieu de reacutesidence
89 Pour la Cour les obligations imposeacutees au requeacuterant nrsquoont pas
entraicircneacute une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
mais de simples restrictions agrave la liberteacute de circulation
90 Il srsquoensuit que le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la Convention est
incompatible ratione materiae avec la Convention et qursquoil doit ecirctre rejeteacute
en application de lrsquoarticle 35 sectsect 3 a) et 4
91 Lrsquoarticle 5 eacutetant donc inapplicable il y a lieu drsquoexaminer le grief du
requeacuterant sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 dont lrsquoapplicabiliteacute en
lrsquoespegravece nrsquoest pas contesteacutee par les parties
92 Constatant que ce grief nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens
de lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention et qursquoil ne se heurte agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
93 Le requeacuterant soutient que la mesure de surveillance speacuteciale assortie
de lrsquoassignation agrave reacutesidence constitue une restriction de son droit deacutecoulant
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Il indique tout drsquoabord qursquoagrave partir de 1956
en promulguant la loi litigieuse le leacutegislateur a reconnu agrave lrsquoautoriteacute
judiciaire le pouvoir de deacuteterminer quels eacutetaient les eacuteleacutements de fait
symptomatiques de la dangerositeacute drsquoun individu Il admet que les arrecircts de
la Cour constitutionnelle ont poseacute des critegraveres rigoureux pour lrsquoapplication
desdites mesures et le constat de la dangerositeacute des individus mais estime
que lrsquoautoriteacute judiciaire a un laquo incontestable pouvoir discreacutetionnaire raquo dans
lrsquoeacutetablissement de la dangerositeacute drsquoune personne sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels qui ne sont pas preacutedeacutetermineacutes par la loi et donc pas preacutevisibles pour
le citoyen
24 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
94 Le requeacuterant rappelle en outre le caractegravere vague des mesures qui lui
ont eacuteteacute appliqueacutees par exemple lrsquoobligation de vivre honnecirctement et de ne
pas susciter de soupccedilons quant agrave sa conduite Agrave cet eacutegard il fait valoir que
la violation ou lrsquoinobservation de ces prescriptions est passible drsquoune peine
de deacutetention
95 Il plaide que la mesure litigieuse lui a eacuteteacute appliqueacutee agrave la suite drsquoune
erreur sur la personne que la cour drsquoappel aurait reconnue dans son arrecirct Il
ajoute que la cour drsquoappel a deacuteclareacute la mesure de preacutevention irreacuteguliegravere ab
origine affirmant qursquoelle nrsquoeacutetait pas neacutecessaire en lrsquoabsence de dangerositeacute
sociale
96 Il ajoute que malgreacute lrsquoissue favorable de la proceacutedure il a eacuteteacute
soumis agrave une mesure de surveillance speacuteciale pendant deux cent vingt et un
jours Agrave ses yeux cette peacuteriode est longue et est due au fait que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas respecteacute le deacutelai de trente jours pour statuer Le
requeacuterant conclut qursquoil srsquoagit drsquoun problegraveme non lieacute agrave la dureacutee de la
proceacutedure
b) Le Gouvernement
97 Le Gouvernement indique que les mesures de preacutevention sont
assorties drsquoune double garantie celle de la preacutevisibiliteacute et celle drsquoune
proceacutedure judiciaire concernant leur application Cette proceacutedure reposerait
sur des eacuteleacutements objectifs deacutemontrant la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute et
justifiant la neacutecessiteacute de mettre en œuvre de telles mesures pour preacutevenir et
eacuteviter la commission de crimes et drsquoinfractions peacutenales
98 Quant agrave la leacutegaliteacute de la mesure le Gouvernement se reacutefegravere en
particulier aux motifs de lrsquoarrecirct de la Cour de cassation no 23641 de 2014
(paragraphe 63 ci-dessus)
99 Il rappelle que les mesures de preacutevention ont fait lrsquoobjet drsquoun
controcircle de la Cour constitutionnelle laquelle a affirmeacute agrave plusieurs reprises
la neacutecessiteacute drsquoune disposition leacutegale baseacutee sur des circonstances objectives
lrsquoexclusion de la possibiliteacute de fonder ces mesures sur des soupccedilons et
lrsquoeacutequilibre agrave meacutenager entre le respect des droits individuels et lrsquoexigence
lieacutee agrave la deacutefense sociale
100 Il informe la Cour que le nouveau laquo code antimafia raquo rassemblant
la leacutegislation relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention
personnelles et patrimoniales est entreacute en vigueur en 2011 et a abrogeacute la loi
no 1423 de 1956 Il preacutecise que le registre drsquoinformations concernant les
mesures de preacutevention a un caractegravere confidentiel et est tenu par les
tribunaux
101 En outre le Gouvernement rappelle que selon la jurisprudence
interne seule une violation mateacuterielle de la mesure de preacutevention imposeacutee
peut entraicircner lrsquoapplication de lrsquoarticle 9 de la loi litigieuse donc
lrsquoapplication drsquoune peine privative de liberteacute
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 25
102 Le Gouvernement ajoute que lrsquoingeacuterence dans le droit agrave la libre
circulation eacutetait preacutevue par la loi reacutepondait agrave un but leacutegitime agrave savoir la
sauvegarde des inteacuterecircts publics indiqueacutes au paragraphe 3 de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et eacutetait proportionneacutee Il note que au regard de la
jurisprudence interne le deacutepassement du deacutelai leacutegal (trente jours) par la cour
drsquoappel ne constitue pas automatiquement une rupture du juste eacutequilibre
(Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 27) Il indique de plus que le requeacuterant aurait
pu se preacutevaloir de lrsquoarticle 3 de la loi no 117 de 1988 (paragraphe 67
ci-dessus) pour prier la cour drsquoappel apregraves lrsquoexpiration du deacutelai leacutegal preacutevu
pour lrsquoaccomplissement de lrsquoacte de se prononcer sur sa demande et que
par la suite il aurait pu introduire une action en reacuteparation
103 Le Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des
preuves et eacutegalement participer aux audiences et deacuteposer des observations
qui ont ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Il est drsquoavis que la cour drsquoappel de
Bari nrsquoa pas reconnu drsquoerreur sur la personne mais a simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant Pour le Gouvernement le requeacuterant a
disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis drsquoobtenir
gain de cause Selon lui il nrsquoy a donc pas eu rupture du juste eacutequilibre
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoexistence drsquoune ingeacuterence
104 La Cour rappelle que lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 garantit agrave toute
personne le droit de libre circulation agrave lrsquointeacuterieur du territoire ougrave elle se
trouve ainsi que le droit de le quitter ce qui implique le droit de se rendre
dans un pays de son choix dans lequel elle pourrait ecirctre autoriseacutee agrave entrer
(Khlyustov c Russie no 2897505 sect 64 11 juillet 2013 Baumann
c France no 3359296 sect 61 CEDH 2001-V) Selon la jurisprudence de la
Cour toute mesure restreignant le droit agrave la liberteacute de circulation doit ecirctre
preacutevue par la loi poursuivre lrsquoun des buts leacutegitimes viseacutes au troisiegraveme
paragraphe de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et meacutenager un juste eacutequilibre
entre lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les droits de lrsquoindividu (Battista c Italie
no 4397809 sect 37 CEDH 2014 Khlyustov preacuteciteacute sect 64 Raimondo preacuteciteacute
sect 39 et Labita preacuteciteacute sectsect 194-195)
105 Dans le cas drsquoespegravece la Cour a jugeacute que les restrictions imposeacutees
au requeacuterant relegravevent de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (paragraphe 91
ci-dessus) Elle doit degraves lors rechercher si cette ingeacuterence eacutetait preacutevue par la
loi poursuivait un ou plusieurs buts preacutevus au troisiegraveme paragraphe de cet
article et eacutetait neacutecessaire dans une socieacuteteacute deacutemocratique
26 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
b) Sur la question de savoir si lrsquoingeacuterence eacutetait laquo preacutevue par la loi raquo
i Principes geacuteneacuteraux
106 La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle les mots
laquo preacutevue par la loi raquo non seulement imposent que la mesure incrimineacutee ait
une base leacutegale en droit interne mais visent aussi la qualiteacute de la loi en
cause ainsi celle-ci doit ecirctre accessible aux justiciables et preacutevisible dans
ses effets (Khlyustov preacuteciteacute sect 68 X c Lettonie [GC] no 2785309 sect 58
CEDH 2013 Centro Europa 7 Srl et Di Stefano c Italie [GC]
no 3843309 sect 140 CEDH 2012 Rotaru c Roumanie [GC] no 2834195
sect 52 CEDH 2000-V et Maestri c Italie [GC] no 3974898 sect 30
CEDH 2004-I)
107 Lrsquoune des exigences deacutecoulant de lrsquoexpression laquo preacutevue par la loi raquo
est la preacutevisibiliteacute On ne peut donc consideacuterer comme laquo une loi raquo qursquoune
norme eacutenonceacutee avec assez de preacutecision pour permettre au citoyen de reacutegler
sa conduite en srsquoentourant au besoin de conseils eacuteclaireacutes il doit ecirctre agrave
mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les circonstances de la cause
les conseacutequences qui peuvent deacutecouler drsquoun acte deacutetermineacute Ces
conseacutequences nrsquoont pas besoin drsquoecirctre preacutevisibles avec une certitude
absolue lrsquoexpeacuterience reacutevegravele qursquoune telle certitude est hors drsquoatteinte En
outre la certitude bien que hautement souhaitable srsquoaccompagne parfois
drsquoune rigiditeacute excessive or le droit doit savoir srsquoadapter aux changements
de situation Aussi beaucoup de lois se servent-elles par la force des
choses de formules plus ou moins vagues dont lrsquointerpreacutetation et
lrsquoapplication deacutependent de la pratique (Sunday Times c Royaume-Uni
(no 1) 26 avril 1979 sect 49 seacuterie A no 30 Kokkinakis c Gregravece 25 mai 1993
sect 40 seacuterie A no 260-A Rekveacutenyi c Hongrie [GC] no 2539094 sect 34
CEDH 1999-III et Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 141)
108 Le niveau de preacutecision de la leacutegislation interne ndash qui ne peut en
aucun cas preacutevoir toutes les hypothegraveses ndash deacutepend dans une large mesure du
contenu de la loi en question du domaine qursquoelle est censeacutee couvrir et du
nombre et du statut de ceux agrave qui elle est adresseacutee (RTBF c Belgique
no 5008406 sect 104 CEDH 2011 Rekveacutenyi preacuteciteacute sect 34 Vogt
c Allemagne 26 septembre 1995 sect 48 seacuterie A no 323 et Centro Europa 7
Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 142) Drsquoautre part il incombe au premier chef
aux autoriteacutes nationales drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne
(Khlyustov preacuteciteacute sectsect 68-69)
109 La Cour rappelle qursquoune norme est laquo preacutevisible raquo lorsqursquoelle offre
une certaine garantie contre des atteintes arbitraires de la puissance publique
(Centro Europa 7 Srl et Di Stefano preacuteciteacute sect 143 Khlyustov preacuteciteacute
sect 70) Une loi confeacuterant un pouvoir drsquoappreacuteciation doit en fixer la porteacutee
bien que le deacutetail des normes et proceacutedures agrave observer nrsquoait pas besoin de
figurer dans la leacutegislation elle-mecircme (Khlyustov preacuteciteacute sect 70 et Silver
et autres c Royaume-Uni 25 mars 1983 sect 88 seacuterie A no 61)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 27
ii Application de ces principes en lrsquoespegravece
110 En lrsquoespegravece la Cour relegraveve que la loi no 1423 de 1956 interpreacuteteacutee agrave
la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la disposition juridique
qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention personnelles appliqueacutees
au requeacuterant Elle conclut donc que lesdites mesures de preacutevention avaient
une base leacutegale en droit interne
111 La Cour doit donc veacuterifier si cette loi eacutetait accessible et preacutevisible
Cet eacuteleacutement est drsquoautant plus important dans une affaire comme celle-ci ougrave
la leacutegislation en question a eu un impact tregraves important sur le requeacuterant et
sur son droit agrave la liberteacute de circulation
112 Tout drsquoabord la Cour considegravere que la loi no 1423 de 1956
reacutepondait agrave la condition de lrsquoaccessibiliteacute ce que drsquoailleurs le requeacuterant ne
conteste pas
113 La Cour doit ensuite veacuterifier la preacutevisibiliteacute de cette loi Pour ce
faire elle examinera drsquoabord la cateacutegorie des personnes viseacutees par les
mesures de preacutevention puis le contenu de ces mesures
114 La Cour note qursquoagrave ce jour elle nrsquoa pas eu agrave examiner en deacutetail la
preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Elle rappelle toutefois avoir constateacute
dans lrsquoaffaire Labita (preacuteciteacute sect 194) que les mesures de preacutevention avaient
pour base les lois nos 14231956 5751965 3271988 et 551990 et qursquoelles
eacutetaient donc laquo preacutevues par la loi raquo au sens du troisiegraveme paragraphe de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 Dans lrsquoaffaire Monno (deacutecision preacuteciteacutee sect 26)
la loi litigieuse a eacuteteacute examineacutee agrave la lumiegravere de la deacutecision de la cour drsquoappel
qui avait reconnu lrsquoexistence drsquoun vice de forme entachant la proceacutedure de
premiegravere instance Selon la Cour la seule circonstance que la deacutecision du
tribunal avait eacuteteacute ulteacuterieurement annuleacutee ne compromettait pas en tant que
telle la leacutegaliteacute de lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode anteacuterieure En revanche dans
les arrecircts Raimondo et Vito Sante Santoro (preacuteciteacutes) la Cour a constateacute que
lrsquoatteinte agrave la liberteacute de circulation des requeacuterants nrsquoeacutetait ni laquo preacutevue par la
loi raquo ni laquo neacutecessaire raquo en raison du retard de la notification de la deacutecision
reacutevoquant la surveillance speacuteciale (Raimondo preacuteciteacute sect 40) et en raison de
la prolongation illeacutegale de la surveillance speacuteciale pendant deux mois et
vingt-deux jours sans reacuteparation du preacutejudice subi (Vito Sante Santoro
preacuteciteacute sect 45)
115 Dans le cas drsquoespegravece le requeacuterant se plaint expresseacutement drsquoun
manque de preacutecision et de preacutevisibiliteacute de la loi no 14231956 Par
conseacutequent la Cour se doit drsquoanalyser la preacutevisibiliteacute de cette loi quant aux
destinataires des mesures de preacutevention (article 1 de la loi de 1956) agrave la
lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
116 Agrave cet eacutegard la Cour souligne que la Cour constitutionnelle
italienne a invalideacute la loi pour autant qursquoelle concernait une cateacutegorie de
personnes jugeacutee insuffisamment deacutefinie agrave savoir celle des personnes laquo que
certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo
(voir lrsquoarrecirct no 177 de 1980 paragraphe 55 ci-dessus) La disposition en
28 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
cause nrsquoeacutetait plus en vigueur agrave lrsquoeacutepoque ougrave les mesures litigieuses ont eacuteteacute
appliqueacutees au requeacuterant Pour toutes les autres cateacutegories de personnes
auxquelles les mesures de preacutevention eacutetaient applicables la Cour
constitutionnelle a formuleacute la conclusion que la loi no 14231956 contenait
une description suffisamment preacutecise des comportements consideacutereacutes comme
socialement dangereux Elle a jugeacute que la simple appartenance agrave lrsquoune des
cateacutegories de sujets viseacutees agrave lrsquoarticle 1 de ladite loi ne suffisait pas agrave justifier
lrsquoapplication drsquoune mesure de preacutevention et qursquoil fallait au contraire eacutetablir
lrsquoexistence drsquoun comportement speacutecifique de lrsquointeacuteresseacute deacutemontrant la
reacutealiteacute de sa dangerositeacute laquelle ne pouvait ecirctre seulement theacuteorique Elle a
indiqueacute que les mesures de preacutevention ne pouvaient donc pas ecirctre adopteacutees
sur la base de simples soupccedilons mais devaient reposer sur une appreacuteciation
objective des laquo eacuteleacutements factuels raquo qui fasse ressortir la conduite habituelle
et le niveau de vie de la personne ou des manifestations concregravetes de sa
propension agrave la deacutelinquance (voir la jurisprudence de la Cour
constitutionnelle citeacutee aux paragraphes 45-55 ci-dessus)
117 La Cour constate que nonobstant le fait que la Cour
constitutionnelle soit intervenue agrave plusieurs reprises afin de preacuteciser les
critegraveres agrave employer pour appreacutecier la neacutecessiteacute des mesures de preacutevention
lrsquoapplication de celles-ci reste lieacutee agrave une appreacuteciation prospective par les
juridictions internes eacutetant donneacute que ni la loi ni la Cour constitutionnelle
nrsquoont identifieacute clairement les laquo eacuteleacutements factuels raquo ou les comportements
speacutecifiques qui doivent ecirctre pris en compte pour eacutevaluer la dangerositeacute
sociale de lrsquoindividu et qui peuvent donner lieu agrave lrsquoapplication de telles
mesures Degraves lors la Cour estime que la loi en cause ne preacutevoyait pas de
maniegravere suffisamment deacutetailleacutee quels comportements eacutetaient agrave consideacuterer
comme socialement dangereux
118 La Cour note qursquoen lrsquoespegravece le tribunal responsable de lrsquoapplication
de la mesure de preacutevention au requeacuterant srsquoest fondeacute sur lrsquoexistence drsquoune
tendance laquo active raquo de celui-ci agrave la deacutelinquance sans pour autant lui imputer
un comportement ou une activiteacute deacutelictueuse speacutecifique De plus le tribunal
a mentionneacute comme motif drsquoapplication de la mesure de preacutevention le fait
que le requeacuterant nrsquoavait pas laquo drsquoemploi stable et leacutegal raquo et que sa vie se
caracteacuterisait par une freacutequentation assidue de criminels importants au niveau
local (laquo malavita raquo) et par la commission de deacutelits (paragraphes 15-16
ci-dessus)
En drsquoautres termes le tribunal a fondeacute son raisonnement sur le postulat
drsquoune laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo critegravere que la Cour constitutionnelle
avait preacuteceacutedemment jugeacute insuffisant ndash dans son arrecirct no 177 de 1980 ndash pour
deacutefinir une cateacutegorie de personnes pouvant faire lrsquoobjet de mesures
preacuteventives (paragraphe 55 ci-dessus)
En deacutefinitive la Cour considegravere que faute drsquoavoir deacutefini avec la clarteacute
requise lrsquoeacutetendue et les modaliteacutes drsquoexercice du pouvoir drsquoappreacuteciation
consideacuterable ainsi confeacutereacute aux juridictions internes la loi en vigueur agrave
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 29
lrsquoeacutepoque pertinente (article 1 de la loi de 1956) nrsquoeacutetait pas formuleacutee avec
une preacutecision suffisante pour offrir une protection contre les ingeacuterences
arbitraires et permettre au requeacuterant de reacutegler sa conduite et de preacutevoir avec
un degreacute suffisant de certitude lrsquoapplication des mesures de preacutevention
119 Concernant les mesures preacutevues par les articles 3 et 5 de la loi
no 14231956 qui ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant la Cour observe que
certaines drsquoentre elles sont libelleacutees de faccedilon tregraves geacuteneacuterale et que leur
contenu est extrecircmement vague et impreacutecis cela vaut en particulier pour les
dispositions relatives aux obligations de laquo vivre honnecirctement et dans le
respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
Agrave cet eacutegard la Cour note que la Cour constitutionnelle est parvenue agrave la
conclusion que les obligations de laquo vivre honnecirctement raquo et de laquo ne pas
precircter agrave soupccedilon raquo nrsquoemportaient pas violation du principe de leacutegaliteacute
(paragraphe 59 ci-dessus)
120 Elle relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la Cour constitutionnelle
dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux faits de lrsquoespegravece et qursquoil
eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave partir de la position de la
Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la teneur preacutecise de certaines
des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le cadre de la surveillance
speacuteciale Ces obligations peuvent en effet se precircter agrave diverses
interpreacutetations comme la Cour constitutionnelle lrsquoa elle-mecircme reconnu La
Cour note de plus qursquoelles sont formuleacutees de maniegravere geacuteneacuterale
121 En outre lrsquointerpreacutetation faite par la Cour constitutionnelle en 2010
nrsquoa pas reacutesolu le problegraveme du manque de preacutevisibiliteacute des mesures de
preacutevention applicables car en vertu de lrsquoarticle 5 premier alineacutea de la loi
en cause le tribunal pouvait aussi imposer toute mesure qursquoil estimait
neacutecessaire ndash sans preacuteciser sa teneur ndash eu eacutegard aux exigences lieacutees agrave la
deacutefense sociale
122 Enfin la Cour nrsquoest pas convaincue que les obligations de laquo vivre
honnecirctement et dans le respect des lois raquo et de laquo ne pas precircter agrave soupccedilon raquo
aient eacuteteacute suffisamment deacutelimiteacutees par lrsquointerpreacutetation de la Cour
constitutionnelle et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves Tout drsquoabord le
laquo devoir pour la personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie
respectant lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees raquo est tout aussi
impreacutecis que lrsquolaquo obligation de vivre honnecirctement et dans le respect des
lois raquo la juridiction constitutionnelle nrsquoayant fait que renvoyer agrave lrsquoarticle 5
lui-mecircme De lrsquoavis de la Cour cette interpreacutetation nrsquooffre pas drsquoindications
suffisantes aux personnes concerneacutees Deuxiegravemement le laquo devoir pour
lrsquointeacuteresseacute de se conformer agrave toutes les prescriptions lui imposant drsquoadopter
ou de ne pas adopter telle ou telle conduite donc non seulement aux normes
peacutenales mais aussi agrave toute disposition dont le non-respect serait un indice
suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale deacutejagrave eacutetablie raquo constitue un renvoi
indeacutetermineacute agrave lrsquoensemble de lrsquoordre juridique italien et nrsquoapporte aucun
30 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
eacuteclaircissement sur les normes speacutecifiques dont le non-respect serait un
indice suppleacutementaire de la dangerositeacute sociale de lrsquointeacuteresseacute
Degraves lors la Cour considegravere que cette partie de la loi nrsquoest pas formuleacutee
de faccedilon assez preacutecise et ne deacutefinit pas avec une clarteacute suffisante le contenu
des mesures de preacutevention qui peuvent ecirctre appliqueacutees agrave un individu pas
mecircme agrave la lumiegravere de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle
123 La Cour trouve eacutegalement preacuteoccupant que les mesures preacutevues par
la loi et appliqueacutees au requeacuterant aient comporteacute une interdiction absolue de
participer agrave des reacuteunions publiques La loi nrsquoindique aucune limite
temporelle ou spatiale agrave cette liberteacute fondamentale dont la restriction est
entiegraverement laisseacutee agrave lrsquoappreacuteciation du juge
124 La Cour est drsquoavis que la loi laissait aux juridictions un large
pouvoir drsquoappreacuteciation sans indiquer avec assez de clarteacute lrsquoeacutetendue et les
modaliteacutes drsquoexercice de ce pouvoir Il srsquoensuit que lrsquoapplication des mesures
de preacutevention au requeacuterant nrsquoeacutetait pas suffisamment preacutevisible et nrsquoa pas eacuteteacute
entoureacutee de garanties adeacutequates contre les divers abus possibles
125 Degraves lors la Cour estime que la loi no 14231956 eacutetait libelleacutee en des
termes vagues et excessivement geacuteneacuteraux Ni les personnes auxquelles les
mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956)
ni le contenu de certaines de ces mesures (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
nrsquoeacutetaient deacutefinis avec une preacutecision et une clarteacute suffisantes Il srsquoensuit que
cette loi ne remplissait pas les conditions de preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se
deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
126 En conseacutequence on ne saurait consideacuterer que lrsquoatteinte agrave la liberteacute
de circulation du requeacuterant se fondait sur des dispositions juridiques
respectant les exigences de leacutegaliteacute poseacutees par la Convention Il y a donc eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de
preacutevisibiliteacute de la loi litigieuse
127 Eu eacutegard agrave la conclusion qui preacutecegravede il nrsquoy a pas lieu pour la Cour
de se pencher sur drsquoautres arguments du requeacuterant ni agrave rechercher si les
mesures appliqueacutees agrave celui-ci poursuivaient un ou plusieurs buts leacutegitimes et
eacutetaient neacutecessaires dans une socieacuteteacute deacutemocratique
II SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 6 DE LA
CONVENTION
128 Le requeacuterant allegravegue une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention en raison du deacutefaut de publiciteacute de lrsquoaudience devant le tribunal
et la cour drsquoappel ainsi que drsquoun deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure Lrsquoarticle 6
sect 1 dans sa partie pertinente est ainsi libelleacute
laquo 1 Toute personne a droit agrave ce que sa cause soit entendue eacutequitablement
publiquement et dans un deacutelai raisonnable par un tribunal indeacutependant et impartial
eacutetabli par la loi qui deacutecidera soit des contestations sur ses droits et obligations de
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 31
caractegravere civil soit du bien-fondeacute de toute accusation en matiegravere peacutenale dirigeacutee contre
elle raquo
129 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 du fait du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes et conteste les autres alleacutegations du requeacuterant
A Sur la deacuteclaration unilateacuterale partielle du Gouvernement
130 Le 7 avril 2015 le Gouvernement a adresseacute agrave la Cour une lettre
contenant une proposition en vue drsquoun regraveglement amiable de la partie de la
requecircte concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences devant
le tribunal et la cour drsquoappel de Bari (article 6 sect 1 de la Convention) ainsi
qursquoune deacuteclaration unilateacuterale relative agrave ce grief fondeacutee sur lrsquoarticle 62A du
regraveglement de la Cour En outre le Gouvernement a demandeacute agrave la Cour de
proceacuteder agrave une radiation partielle du grief agrave deacutefaut drsquoacceptation du
regraveglement amiable (paragraphe 29 ci-dessus)
131 Le 22 avril 2015 le requeacuterant a indiqueacute qursquoil nrsquoeacutetait pas satisfait
des termes de la proposition de regraveglement amiable Aucun commentaire nrsquoa
eacuteteacute fait sur la deacuteclaration unilateacuterale
132 Lrsquoarticle 37 sect 1 de la Convention est ainsi libelleacute en ses parties
pertinentes
laquo 1 Agrave tout moment de la proceacutedure la Cour peut deacutecider de rayer une requecircte du
rocircle lorsque les circonstances permettent de conclure
()
c) que pour tout autre motif dont la Cour constate lrsquoexistence il ne se justifie plus
de poursuivre lrsquoexamen de la requecircte
Toutefois la Cour poursuit lrsquoexamen de la requecircte si le respect des droits de
lrsquohomme garantis par la Convention et ses Protocoles lrsquoexige raquo
133 La Cour note tout drsquoabord que cette affaire est la premiegravere dans
laquelle la Grande Chambre se trouve confronteacutee agrave une demande de
radiation partielle En revanche il est deacutejagrave arriveacute que les sections acceptent
de proceacuteder agrave la radiation partielle drsquoune requecircte apregraves deacutepocirct drsquoune
deacuteclaration unilateacuterale et drsquoexaminer les griefs restants (Bystrowski
c Pologne no 1547602 sect 36 13 septembre 2011 Tayfur Tunccedil c Turquie
(deacutec) no 2237307 sectsect 20-21 24 mars 2015 Pubblicitagrave Grafiche Perri
SRL c Italie (deacutec) no 3074603 14 octobre 2014 Frascati c Italie (deacutec)
no 538208 sectsect 21-22 13 mai 2014 Ramazan Taş c Turquie (deacutec)
no 538210 14 octobre 2014 Pasquale Miele c Italie (deacutec) no 3726203
16 septembre 2014 Aleksandr Nikolayevich Dikiy c Ukraine (deacutec)
no 239912 16 deacutecembre 2014 et Ielcean c Roumanie (deacutec) no 7604811
sectsect 18-19 7 octobre 2014)
134 La Cour rappelle que dans certaines circonstances il peut ecirctre
indiqueacute de rayer une requecircte du rocircle en vertu de lrsquoarticle 37 sect 1 c) de la
32 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
Convention sur la base drsquoune deacuteclaration unilateacuterale du gouvernement
deacutefendeur mecircme si le requeacuterant souhaite que lrsquoexamen de lrsquoaffaire se
poursuive Elle a deacutejagrave souligneacute agrave cet eacutegard qursquoune telle proceacutedure ne vise
pas en soi agrave contourner lrsquoopposition de la partie requeacuterante agrave un regraveglement
amiable Ce seront en effet les circonstances particuliegraveres de la cause qui
permettront de deacuteterminer si la deacuteclaration unilateacuterale offre une base
suffisante pour que la Cour conclue que le respect des droits de lrsquohomme
garantis par la Convention nrsquoexige pas qursquoelle poursuive lrsquoexamen de
lrsquoaffaire (Baudoin c France no 3593503 sect 78 18 novembre 2010)
135 Parmi les facteurs agrave prendre en compte agrave cet eacutegard figurent la
nature des griefs formuleacutes le point de savoir si les questions souleveacutees sont
analogues agrave celles deacutejagrave trancheacutees par la Cour dans des affaires preacuteceacutedentes
la nature et la porteacutee des mesures eacuteventuellement prises par le
gouvernement deacutefendeur dans le cadre de lrsquoexeacutecution des arrecircts rendus par
la Cour dans ces affaires et lrsquoincidence de ces mesures sur lrsquoaffaire agrave
lrsquoexamen (Tahsin Acar c Turquie (exceptions preacuteliminaires) [GC]
no 2630795 sect 76 CEDH2003-VI)
136 Drsquoautres eacuteleacutements ont leur importance eacutegalement La deacuteclaration
unilateacuterale du gouvernement deacutefendeur doit notamment renfermer selon les
griefs souleveacutes un aveu de responsabiliteacute en ce qui concerne les alleacutegations
de violation de la Convention ou agrave tout le moins une concession en ce sens
Dans cette hypothegravese il faut alors deacuteterminer quelle est lrsquoampleur de ces
concessions et les modaliteacutes du redressement que le Gouvernement entend
fournir au requeacuterant (voir entre autres Tahsin Acar preacuteciteacute sectsect 76-82 et
Prencipe c Monaco no 4337606 sectsect 57-62 16 juillet 2009)
137 Pour ce qui est de la preacutesente affaire la Cour observe que le
Gouvernement reconnaicirct dans sa deacuteclaration unilateacuterale que le requeacuterant a
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences et qursquoil srsquoengage agrave lui verser une certaine somme au
titre des frais de proceacutedure Concernant les modaliteacutes du redressement elle
relegraveve que le Gouvernement ne propose aucun montant pour preacutejudice
moral
138 La Cour rappelle que selon sa jurisprudence constante le deacutefaut de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication de
mesures de preacutevention patrimoniales emporte violation de lrsquoarticle 6 sect 1
(Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre et autres preacuteciteacute sectsect 23-26
Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone c Italie no 3050607
sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et Campanella c Italie no 2492007
sectsect 26-29 17 mai 2011) Elle note toutefois qursquoil nrsquoexiste pas de
jurisprudence sur la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 aux
proceacutedures concernant les mesures de preacutevention personnelles et par
conseacutequent sur la question de la publiciteacute des audiences dans ces derniegraveres
proceacutedures qui par ailleurs sont les mecircmes que celles relatives aux mesures
de preacutevention patrimoniales
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 33
139 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede et eu eacutegard agrave lrsquoensemble des
circonstances de lrsquoespegravece la Cour considegravere que les conditions permettant
de proceacuteder agrave une radiation partielle ne se trouvent pas remplies
140 Partant elle rejette la demande du Gouvernement tendant agrave la
radiation partielle de la requecircte du rocircle sur le fondement de lrsquoarticle 37 sect 1
c) de la Convention
B Sur la recevabiliteacute
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
141 Le requeacuterant soutient que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal est
applicable aux proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures de
preacutevention personnelles en ce qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du
citoyen et sont reacutegies par les dispositions du code de proceacutedure peacutenale Il
ajoute que lrsquoarticle 6 sect 1 est applicable degraves lors que la Cour a conclu que
lrsquoarticle 6 trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil aux proceacutedures relatives
agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention patrimoniales
b) Le Gouvernement
142 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations agrave ce sujet
2 Appreacuteciation de la Cour
143 La Cour estime tout drsquoabord que le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de
la Convention nrsquoentre pas en jeu car la surveillance speacuteciale ne saurait se
comparer agrave une peine degraves lors que la proceacutedure dont le requeacuterant a fait
lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la Convention (Guzzardi preacuteciteacute sect 108
Raimondo preacuteciteacute sect 43) Reste agrave savoir si lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
trouve agrave srsquoappliquer sous son volet civil
144 La Cour rappelle que pour que lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet
laquo civil raquo trouve agrave srsquoappliquer il faut qursquoil y ait laquo contestation raquo sur un
laquo droit raquo que lrsquoon peut preacutetendre au moins de maniegravere deacutefendable reconnu
en droit interne et ce qursquoil soit proteacutegeacute par la Convention ou non Il doit
srsquoagir drsquoune contestation reacuteelle et seacuterieuse elle peut concerner aussi bien
lrsquoexistence mecircme drsquoun droit que son eacutetendue ou ses modaliteacutes drsquoexercice
enfin lrsquoissue de la proceacutedure doit ecirctre directement deacuteterminante pour le
droit en question un lien teacutenu ou des reacutepercussions lointaines ne suffisant
pas agrave faire entrer en jeu lrsquoarticle 6 sect 1 (voir parmi bien drsquoautres Mennitto
c Italie [GC] no 3380496 sect 23 CEDH 2000-X Micallef c Malte [GC]
no 1705606 sect 74 CEDH 2009 et Boulois c Luxembourg [GC]
no 3757504 sect 90 CEDH 2012)
34 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
145 Agrave cet eacutegard la nature de la loi suivant laquelle la contestation doit
ecirctre trancheacutee (loi civile commerciale administrative etc) et celle de
lrsquoautoriteacute compeacutetente en la matiegravere (juridiction de droit commun organe
administratif etc) ne revecirctent pas une importance deacuteterminante (Micallef
preacuteciteacute sect 74)
146 La Cour note qursquoagrave la diffeacuterence de lrsquoaffaire Guzzardi lrsquoespegravece se
caracteacuterise par le fait que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant
ne srsquoanalysent pas en une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 sect 1 de la
Convention mais en des restrictions agrave sa liberteacute de circulation En
conseacutequence la question de savoir si le droit agrave la liberteacute a un laquo caractegravere
civil raquo ne se pose pas en lrsquoespegravece (Guzzardi preacuteciteacute sect 108 voir aussi Aerts
c Belgique 30 juillet 1998 sect 59 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1998-V
Laidin c France (no 2) no 3928298 sect 76 7 janvier 2003)
147 En revanche la question de lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sous son
volet civil se pose sous un autre aspect La Cour a jugeacute ndash dans le contexte
carceacuteral ndash que certaines limitations des droits des deacutetenus ainsi que les
reacutepercussions qursquoelles peuvent entraicircner relegravevent de la notion de laquo droits de
caractegravere civil raquo Agrave titre drsquoexemple la Cour rappelle qursquoelle a jugeacute cette
disposition applicable agrave certaines proceacutedures disciplinaires dans le cadre de
lrsquoexeacutecution des peines de prison (Guumllmez c Turquie no 1633002 sectsect 27-31
20 mai 2008 affaire dans laquelle le requeacuterant srsquoeacutetait vu interdire les visites
pendant un an)
148 Dans les affaires Ganci c Italie (no 4157698 sectsect 20-26
CEDH 2003-XI) Musumeci c Italie (no 3369596 sect 36 11 janvier 2005) et
Enea c Italie [GC] (no 7491201 sect 107 CEDH 2009) la Cour a estimeacute
lrsquoarticle 6 sect 1 applicable agrave la surveillance de niveau eacuteleveacute dont peuvent faire
lrsquoobjet certains deacutetenus en Italie Dans ces affaires les restrictions imposeacutees
aux requeacuterants concernaient essentiellement lrsquointerdiction de recevoir un
nombre mensuel donneacute de visites des membres de la famille le controcircle
continu de la communication eacutepistolaire et teacuteleacutephonique ainsi que la
limitation de la promenade Ainsi dans lrsquoaffaire Enea (arrecirct preacuteciteacute sect 107)
la Cour a deacuteclareacute que le grief relatif aux restrictions que le requeacuterant
affirmait avoir subies agrave la suite de son placement en secteur de haute
seacutecuriteacute eacutetait compatible ratione materiae avec les dispositions de la
Convention degraves lors qursquoil avait trait agrave lrsquoarticle 6 sous son volet civil Elle a
jugeacute que certaines limitations alleacutegueacutees par le requeacuterant comme celles
visant les contacts avec la famille relevaient des droits de la personne et
partant revecirctaient un caractegravere civil (Enea preacuteciteacute sect 103)
149 En outre la Cour a conclu que toute restriction touchant les droits
de caractegravere civil de lrsquoindividu doit pouvoir ecirctre contesteacutee dans le cadre
drsquoune proceacutedure judiciaire et ce en raison de la nature des limitations (par
exemple une interdiction de beacuteneacuteficier drsquoun nombre donneacute de visites par
mois des membres de la famille ou le controcircle continu de la communication
eacutepistolaire et teacuteleacutephonique etc) ainsi que des reacutepercussions qursquoelles
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 35
peuvent entraicircner (par exemple des difficulteacutes dans le maintien des liens
familiaux ou des relations avec les tiers lrsquoexclusion des promenades) (Enea
preacuteciteacute sect 106)
150 Dans lrsquoaffaire Stegarescu et Bahrin c Portugal (no 4619406
sectsect 37-38 6 avril 2010) la Cour a appliqueacute lrsquoarticle 6 sect 1 aux litiges
concernant les restrictions (visites limiteacutees agrave une heure par semaine ndash et
uniquement par entretien au parloir vitreacute ndash promenade limiteacutee agrave une heure
quotidienne et impossibiliteacute srsquoagissant du premier requeacuterant de poursuivre
ses eacutetudes et de passer ses examens) auxquelles sont soumis les deacutetenus
placeacutes en cellule de seacutecuriteacute
151 La Cour constate donc qursquoil y a eu une eacutevolution de sa propre
jurisprudence vers lrsquoapplication du volet civil de lrsquoarticle 6 agrave des affaires ne
portant pas agrave premiegravere vue sur un droit civil mais pouvant avoir des
reacutepercussions directes et importantes sur un droit de caractegravere priveacute drsquoun
individu (Alexandre c Portugal no 3319709 sect 51 20 novembre 2012
Pocius c Lituanie no 3560104 sect 43 6 juillet 2010)
152 Pour la Cour le cas drsquoespegravece preacutesente des similitudes avec les
affaires preacuteciteacutees mecircme si dans ces derniegraveres affaires les restrictions
imposeacutees dans le contexte du reacutegime carceacuteral concernaient les contacts avec
la famille les relations avec les tiers ou les difficulteacutes dans le maintien des
liens familiaux elles sont semblables agrave celles qursquoa subies le requeacuterant La
Cour se reacutefegravere en particulier agrave lrsquoobligation de ne pas srsquoeacuteloigner de la
commune de reacutesidence de ne pas sortir entre vingt-deux heures et six
heures du matin de ne pas participer agrave des reacuteunions publiques et de ne pas
utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils radioeacutelectriques pour
communiquer
153 La Cour note que dans le cas drsquoespegravece une laquo contestation reacuteelle et
seacuterieuse raquo a surgi lorsque le tribunal a appliqueacute la mesure de surveillance
speacuteciale au requeacuterant en rejetant ses moyens Cette contestation a ensuite eacuteteacute
deacutefinitivement trancheacutee par lrsquoarrecirct de la cour drsquoappel de Bari qui a reconnu
que la mesure de preacutevention appliqueacutee au requeacuterant eacutetait irreacuteguliegravere
154 La Cour relegraveve en outre que certaines des limitations alleacutegueacutees par
le requeacuterant comme lrsquoobligation de ne pas sortir la nuit de ne pas
srsquoeacuteloigner de la commune de reacutesidence de ne pas participer agrave des reacuteunions
publiques de ne pas utiliser de teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer relegravevent assureacutement des droits de la
personne et partant revecirctent un caractegravere civil (voir mutatis mutandis
Enea preacuteciteacute sect 103 et Ganci preacuteciteacute sect 25)
155 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour conclut que le grief relatif
aux restrictions que le requeacuterant affirme avoir subies agrave la suite de
lrsquoapplication de la mesure de surveillance speacuteciale est compatible ratione
materiae avec les dispositions de la Convention degraves lors qursquoil a trait agrave
lrsquoarticle 6 sous son volet civil Ce grief nrsquoeacutetant pas manifestement mal fondeacute
36 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
au sens de lrsquoarticle 35 sect 3 de la Convention et ne se heurtant agrave aucun autre
motif drsquoirrecevabiliteacute la Cour le deacuteclare recevable
C Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le requeacuterant
156 Le requeacuterant estime qursquoil y a eu en lrsquoespegravece violation de son droit agrave
un procegraves eacutequitable Il rappelle tout drsquoabord qursquoil nrsquoa pas pu beacuteneacuteficier
drsquoune audience publique parce que la loi de lrsquoeacutepoque ne le permettait pas et
que lrsquointervention de la Cour constitutionnelle nrsquoa pas permis de remeacutedier agrave
la violation subie
157 Le requeacuterant allegravegue ensuite que le tribunal de Bari a jugeacute qursquoil
eacutetait dangereux pour avoir commis des infractions contre les personnes et
les biens alors qursquoil ressortait de lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier que les condamnations deacutefinitives prononceacutees contre lui entre
septembre 1995 et aoucirct 1999 portaient sur la contrebande de tabac Par la
suite il aurait eacuteteacute condamneacute en 2003 pour trafic de stupeacutefiants et en 2004
pour eacutevasion
158 De plus selon le requeacuterant lrsquoextrait de casier judiciaire verseacute au
dossier attestait eacutegalement que les infractions aux obligations deacutecoulant de
la surveillance speacuteciale qui lui eacutetaient reprocheacutees concernaient en fait un
individu qui portait les mecircmes nom et preacutenom que lui mais qui eacutetait neacute en
1973
159 Srsquoagissant de la violation du droit agrave un procegraves eacutequitable le
requeacuterant soutient en outre que le tribunal nrsquoa pas pris en consideacuteration les
preuves verseacutees au dossier qui montraient selon lui qursquoil travaillait
honnecirctement et nrsquoavait pas un niveau de vie particulier Le tribunal nrsquoaurait
mecircme pas tenu compte des justificatifs attestant qursquoil avait travailleacute comme
ouvrier agricole Si le requeacuterant admet que la cour drsquoappel a ensuite annuleacute
la mesure litigieuse il rappelle qursquoelle a mis sept mois pour se prononcer
alors que la loi preacutevoyait un deacutelai de trente jours (paragraphe 96 ci-dessus)
b) Le Gouvernement
160 Le Gouvernement rappelle que par lrsquoarrecirct no 93 du 12 mars 2010
la Cour constitutionnelle faisant application des principes consacreacutes par la
jurisprudence de la Cour europeacuteenne a deacuteclareacute inconstitutionnels les
articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi no 575 de 1965 dans la
mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de demander la publiciteacute
des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave lrsquoapplication des mesures
de preacutevention
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 37
161 Le Gouvernement reconnaicirct que le requeacuterant a subi une violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la proceacutedure devant les
juridictions internes
162 Quant au grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure le
Gouvernement soutient que le requeacuterant a pu preacutesenter des preuves et qursquoil a
eacutegalement pu participer aux audiences et deacuteposer des observations qui ont
ensuite eacuteteacute verseacutees au dossier Le Gouvernement est drsquoavis que la cour
drsquoappel de Bari nrsquoa pas reconnu une erreur sur la personne mais a
simplement reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute
pour exclure la dangerositeacute sociale du requeacuterant Selon le Gouvernement le
requeacuterant a disposeacute drsquoune voie de recours qursquoil a utiliseacutee et qui lui a permis
drsquoobtenir gain de cause En conseacutequence pour le Gouvernement il nrsquoy a
pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Sur lrsquoabsence de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour
drsquoappel
163 La Cour rappelle que si la tenue drsquoune audience publique constitue
un principe fondamental consacreacute par lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoobligation de tenir
une audience publique nrsquoest pas pour autant absolue les circonstances qui
permettent de se dispenser drsquoune audience deacutependant essentiellement de la
nature des questions dont les tribunaux internes se trouvent saisis (Jussila
c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 41-42 CEDH 2006-XIV)
164 La Cour note tout drsquoabord qursquoen lrsquoespegravece le Gouvernement
reconnaicirct qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de
publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
165 Elle observe eacutegalement que la Cour constitutionnelle a deacuteclareacute
inconstitutionnels les articles 4 de la loi no 1423 de 1956 et 2 ter de la loi
no 575 de 1965 dans la mesure ougrave ils ne permettaient pas aux justiciables de
demander la publiciteacute des deacutebats dans le cadre des proceacutedures relatives agrave
lrsquoapplication des mesures de preacutevention (paragraphe 56 ci-dessus)
166 En outre elle rappelle sa jurisprudence pertinente sur lrsquoabsence de
publiciteacute des audiences dans les proceacutedures concernant des mesures de
preacutevention patrimoniales (Bocellari et Rizza preacuteciteacute sectsect 34-41 Perre
et autres preacuteciteacute sectsect 23-26 Bongiorno et autres preacuteciteacute sectsect 27-30 Leone
preacuteciteacute sectsect 26-29 et Capitani et Campanella preacuteciteacute sectsect 26-29)
167 De plus selon la Cour les circonstances de lrsquoespegravece exigeaient la
tenue drsquoune audience publique compte tenu de ce que les juridictions
internes ont ducirc appreacutecier des eacuteleacutements tels que la personnaliteacute du requeacuterant
son comportement ainsi que sa dangerositeacute lesquels ont eacuteteacute deacutecisifs pour
lrsquoapplication de la mesure de preacutevention (voir mutatis mutandis Jussila
preacuteciteacute sect 41)
38 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
168 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime degraves lors qursquoil y a
eu de ce chef violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention
b) Sur le grief tireacute du deacutefaut drsquoeacutequiteacute de la proceacutedure
169 Quant aux doleacuteances concernant speacutecifiquement la proceacutedure
devant le tribunal de Bari la Cour rappelle qursquoelle a pour tacircche drsquoassurer le
respect des engagements reacutesultant de la Convention pour les Parties
contractantes
170 En particulier elle rappelle qursquoil ne lui appartient pas de connaicirctre
des erreurs de fait ou de droit eacuteventuellement commises par une juridiction
interne sauf si et dans la mesure ougrave elles peuvent avoir porteacute atteinte aux
droits et liberteacutes sauvegardeacutes par la Convention (voir par exemple
Garciacutea Ruiz c Espagne [GC] no 3054496 sect 28 CEDH 1999-I et Perez
c France [GC] no 4728799 sect 82 CEDH 2004-I) par exemple si elles
peuvent srsquoanalyser en un laquo manque drsquoeacutequiteacute raquo incompatible avec lrsquoarticle 6
de la Convention Si cette disposition garantit le droit agrave un procegraves eacutequitable
elle ne reacuteglemente pas pour autant lrsquoadmissibiliteacute des preuves ou leur
appreacuteciation matiegravere qui relegraveve au premier chef du droit interne et des
juridictions nationales En principe des questions telles que le poids attacheacute
par les tribunaux nationaux agrave tel ou tel eacuteleacutement de preuve ou agrave telle ou telle
conclusion ou appreacuteciation dont ils ont eu agrave connaicirctre eacutechappent au controcircle
de la Cour Celle-ci nrsquoa pas agrave tenir lieu de juge de quatriegraveme instance et elle
ne remet pas en cause sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 sect 1 lrsquoappreacuteciation des
tribunaux nationaux sauf si leurs conclusions peuvent passer pour
arbitraires ou manifestement deacuteraisonnables (voir par exemple Dulaurans
c France no 3455397 sectsect 33-34 et 38 21 mars 2000 Khamidov c Russie
no 7211801 sect 170 15 novembre 2007 Anđelković c Serbie no 140108
sect 24 9 avril 2013 et Bochan c Ukraine (no 2) [GC] no 2225108 sectsect 64-65
CEDH 2015)
171 La Cour a pour seule fonction au regard de lrsquoarticle 6 de la
Convention drsquoexaminer les requecirctes alleacuteguant que les juridictions
nationales ont meacuteconnu des garanties proceacutedurales speacutecifiques eacutenonceacutees par
cette disposition ou que la conduite de la proceacutedure dans son ensemble nrsquoa
pas garanti un procegraves eacutequitable au requeacuterant (voir parmi bien drsquoautres
Donadzeacute c Geacuteorgie no 7464401 sectsect 30-31 7 mars 2006)
172 En lrsquooccurrence la proceacutedure dans son ensemble srsquoest deacuterouleacutee
conformeacutement aux exigences du procegraves eacutequitable Le requeacuterant se plaint
pour lrsquoessentiel drsquoune appreacuteciation arbitraire des preuves par le tribunal de
Bari mais la Cour souligne qursquoil a obtenu gain de cause devant la cour
drsquoappel (paragraphes 26-27 ci-dessus) qui a ensuite annuleacute la mesure de
preacutevention
173 Partant il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 de ce chef
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 39
III SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
174 Plaidant qursquoil ne dispose drsquoaucun recours pour demander reacuteparation
devant les juridictions nationales le requeacuterant allegravegue eacutegalement la violation
de lrsquoarticle 13 de la Convention lequel dispose
laquo Toute personne dont les droits et liberteacutes reconnus dans la () Convention ont eacuteteacute
violeacutes a droit agrave lrsquooctroi drsquoun recours effectif devant une instance nationale alors
mecircme que la violation aurait eacuteteacute commise par des personnes agissant dans lrsquoexercice
de leurs fonctions officielles raquo
175 Le Gouvernement conteste cette thegravese
A Sur la recevabiliteacute
176 La Cour constate que ce grief pour autant qursquoil concerne
lrsquoexistence drsquoun recours interne qui eucirct permis de formuler le grief fondeacute sur
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 nrsquoest pas manifestement mal fondeacute au sens de
lrsquoarticle 35 sect 3 a) de la Convention Elle relegraveve par ailleurs qursquoil ne se
heurte agrave aucun autre motif drsquoirrecevabiliteacute Il convient donc de le deacuteclarer
recevable
B Sur le fond
1 Thegraveses des parties
a) Le Gouvernement
177 Le Gouvernement soutient que le grief du requeacuterant nrsquoest pas
deacutefendable (Monno deacutecision preacuteciteacutee sect 30) Il rappelle ensuite que le
requeacuterant a obtenu gain de cause devant la cour drsquoappel
b) Le requeacuterant
178 Le requeacuterant allegravegue qursquoil nrsquoa disposeacute drsquoaucun recours effectif
permettant de demander reacuteparation de la violation des articles 5 de la
Convention et 2 du Protocole no 4
2 Appreacuteciation de la Cour
a) Les principes applicables
179 La Cour rappelle que lrsquoarticle 13 garantit lrsquoexistence en droit
interne de recours permettant de deacutenoncer les atteintes aux droits et liberteacutes
proteacutegeacutes par la Convention Ainsi mecircme si les Eacutetats contractants jouissent
drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation quant agrave la maniegravere de se conformer aux
obligations que leur impose cette disposition il faut qursquoexiste au niveau
40 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
interne un recours dans le cadre duquel lrsquoinstance nationale compeacutetente peut
examiner les griefs fondeacutes sur la Convention et ordonner le redressement
approprieacute La porteacutee de lrsquoobligation deacutecoulant de lrsquoarticle 13 varie en
fonction de la nature du grief tireacute de la Convention mais le recours doit en
tout cas ecirctre laquo effectif raquo en pratique comme en droit crsquoest-agrave-dire notamment
que son exercice ne doit pas ecirctre entraveacute de maniegravere injustifieacutee par les actes
ou omissions des autoriteacutes de lrsquoEacutetat (Nada preacuteciteacute sectsect 208-209 voir aussi
Buumlyuumlkdağ c Turquie no 2834095 sect 64 21 deacutecembre 2000 avec les
renvois notamment agrave lrsquoarrecirct Aksoy c Turquie 18 deacutecembre 1996 sect 95
Recueil 1996-VI) Dans certaines conditions les recours offerts par le droit
interne consideacutereacutes dans leur ensemble peuvent reacutepondre aux exigences de
lrsquoarticle 13 (voir notamment Leander c Suegravede 26 mars 1987 sect 77 seacuterie A
no 116)
180 Cela eacutetant lrsquoarticle 13 exige seulement qursquoexiste un recours en
droit interne agrave lrsquoeacutegard des griefs que lrsquoon peut estimer laquo deacutefendables raquo au
regard de la Convention (voir par exemple Boyle et Rice c Royaume-Uni
27 avril 1988 sect 54 seacuterie A no 131) Il nrsquoimpose pas aux Eacutetats de permettre
aux individus de deacutenoncer devant une autoriteacute interne les lois nationales
comme contraires agrave la Convention (Costello-Roberts c Royaume-Uni
25 mars 1993 sect 40 seacuterie A no 247-C) mais vise seulement agrave offrir agrave ceux
qui expriment un grief deacutefendable de violation drsquoun droit proteacutegeacute par la
Convention un recours effectif dans lrsquoordre juridique interne (ibidem sect 39)
b) Lrsquoapplication de ces principes au cas drsquoespegravece
181 La Cour note que compte tenu du constat de violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 eacutenonceacute ci-dessus (paragraphe 126 ci-dessus) le grief est
deacutefendable Il reste degraves lors agrave rechercher si le requeacuterant a disposeacute en droit
italien drsquoun recours effectif lui permettant de deacutenoncer les atteintes agrave ses
droits proteacutegeacutes par la Convention
182 La Cour rappelle que lorsqursquoil existe un grief deacutefendable selon
lequel une mesure adopteacutee par les autoriteacutes peut violer le droit de circulation
drsquoun requeacuterant lrsquoarticle 13 de la Convention exige que les systegravemes
nationaux offrent aux inteacuteresseacutes la possibiliteacute de beacuteneacuteficier drsquoune proceacutedure
contradictoire de recours devant les juridictions (voir mutatis mutandis
Riener preacuteciteacute sect 138)
183 Toutefois une proceacutedure de recours interne ne saurait ecirctre jugeacutee
effective au sens de lrsquoarticle 13 de la Convention si elle nrsquooffre pas la
possibiliteacute de traiter la substance drsquoun laquo grief deacutefendable raquo au sens de la
Convention et drsquoapporter une reacuteparation adeacutequate Ainsi en eacutenonccedilant de
maniegravere explicite lrsquoobligation pour les Eacutetats de proteacuteger les droits de
lrsquohomme en premier lieu au sein de leur propre ordre juridique lrsquoarticle 13
eacutetablit au profit des justiciables une garantie suppleacutementaire de jouissance
effective des droits en question (Riener preacuteciteacute sect 142 voir aussi Kudła
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 41
c Pologne [GC] no 3021096 sect 152 CEDH 2000-XI et TP et KM
c Royaume-Uni [GC] no 2894595 sect 107 CEDH 2001-V)
184 La Cour observe que le requeacuterant a pu former un recours devant la
cour drsquoappel de Bari en plaidant que la mesure de surveillance speacuteciale
assortie de lrsquoassignation agrave reacutesidence avait eacuteteacute appliqueacutee irreacuteguliegraverement
Apregraves avoir reacuteeacutevalueacute les conditions drsquoapplication et la proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale la cour drsquoappel a annuleacute la mesure
litigieuse
185 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede la Cour estime que le requeacuterant a
donc disposeacute en droit italien drsquoun recours effectif qui lui a permis drsquoexposer
les violations de la Convention qursquoil alleacuteguait Partant il nrsquoy a pas eu
violation de lrsquoarticle 13 combineacute avec lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
IV SUR LrsquoAPPLICATION DE LrsquoARTICLE 41 DE LA CONVENTION
186 Aux termes de lrsquoarticle 41 de la Convention
laquo Si la Cour deacuteclare qursquoil y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet drsquoeffacer
qursquoimparfaitement les conseacutequences de cette violation la Cour accorde agrave la partie
leacuteseacutee srsquoil y a lieu une satisfaction eacutequitable raquo
A Dommage
187 Le requeacuterant demande agrave la Cour de lui allouer au titre du dommage
mateacuteriel une somme qui devra ecirctre quantifieacutee par la Cour
188 Concernant le dommage moral il reacuteclame la somme de
20 000 euros (EUR) pour la peacuteriode qursquoil a passeacutee en eacutetant soumis au
reacutegime de surveillance speacuteciale
189 Le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute drsquoobservations sur lrsquoarticle 41
190 La Cour relegraveve que la demande au titre du dommage mateacuteriel nrsquoa
pas eacuteteacute chiffreacutee degraves lors elle la rejette En revanche elle considegravere qursquoil y
a lieu drsquooctroyer au requeacuterant 5 000 EUR au titre du preacutejudice moral
B Frais et deacutepens
191 Le requeacuterant demande eacutegalement 6 000 EUR pour les frais et
deacutepens engageacutes devant les juridictions internes et 5 525 EUR pour ceux
exposeacutes devant la Cour
192 Le Gouvernement ne srsquoest pas prononceacute sur ce point
193 Selon la jurisprudence de la Cour un requeacuterant ne peut obtenir le
remboursement de ses frais et deacutepens que dans la mesure ougrave se trouvent
eacutetablis leur reacutealiteacute leur neacutecessiteacute et le caractegravere raisonnable de leur taux En
lrsquoespegravece compte tenu des documents dont elle dispose et de sa
42 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE
jurisprudence la Cour estime raisonnable drsquoallouer lrsquointeacutegraliteacute du montant
reacuteclameacute par le requeacuterant tous frais confondus
C Inteacuterecircts moratoires
194 La Cour juge approprieacute de calquer le taux des inteacuterecircts moratoires
sur le taux drsquointeacuterecirct de la faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale
europeacuteenne majoreacute de trois points de pourcentage
PAR CES MOTIFS LA COUR
1 Rejette agrave lrsquounanimiteacute la demande de radiation partielle de la requecircte
formuleacutee par le Gouvernement sur le fondement de sa deacuteclaration
unilateacuterale concernant le grief tireacute du deacutefaut de publiciteacute des audiences
devant le tribunal et la cour drsquoappel de Bari
2 Deacuteclare agrave la majoriteacute irrecevable le grief tireacute de lrsquoarticle 5 de la
Convention
3 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 2 du Protocole
no 4
4 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
5 Deacuteclare agrave lrsquounanimiteacute recevable le grief tireacute de lrsquoarticle 6 sect 1 de la
Convention
6 Dit agrave lrsquounanimiteacute qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du
deacutefaut de publiciteacute des audiences devant le tribunal et la cour drsquoappel de
Bari
7 Dit par quatorze voix contre trois qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 6 sect 1 quant au droit agrave un procegraves eacutequitable
8 Dit par douze voix contre cinq qursquoil nrsquoy a pas eu violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention
9 Dit agrave lrsquounanimiteacute
a) que lrsquoEacutetat deacutefendeur doit verser au requeacuterant dans les trois mois les
sommes suivantes
i 5 000 EUR (cinq mille euros) plus tout montant pouvant ecirctre ducirc
agrave titre drsquoimpocirct pour dommage moral
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE 43
ii 11 525 EUR (onze mille cinq cent vingt-cinq euros) plus tout
montant pouvant ecirctre ducirc agrave titre drsquoimpocirct par le requeacuterant pour frais
et deacutepens
b) qursquoagrave compter de lrsquoexpiration dudit deacutelai et jusqursquoau versement ces
montants seront agrave majorer drsquoun inteacuterecirct simple agrave un taux eacutegal agrave celui de la
faciliteacute de precirct marginal de la Banque centrale europeacuteenne applicable
pendant cette peacuteriode augmenteacute de trois points de pourcentage
10 Rejette par seize voix contre une la demande de satisfaction eacutequitable
pour le surplus
Fait en franccedilais et en anglais puis prononceacute en audience publique au
Palais des droits de lrsquohomme agrave Strasbourg le 23 feacutevrier 2017
Johan Callewaert Andraacutes Sajoacute
Adjoint au greffier Preacutesident
Au preacutesent arrecirct se trouve joint conformeacutement aux articles 45 sect 2 de la
Convention et 74 sect 2 du regraveglement lrsquoexposeacute des opinions seacutepareacutees
suivantes
ndash opinion concordante commune aux juges Raimondi Villiger Šikuta
Keller et Kjoslashlbro
ndash opinion concordante du juge Dedov
ndash opinion en partie dissidente du juge Sajoacute
ndash opinion en partie dissidente du juge Vučinić
ndash opinion en partie dissidente du juge Pinto de Albuquerque
ndash opinion en partie dissidente du juge Kūris
AS
JC
44 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE COMMUNE AUX JUGES
RAIMONDI VILLIGER ŠIKUTA KELLER ET KJOslashLBRO
1 Nous sommes drsquoaccord avec la conclusion de la Grande Chambre
selon laquelle il y a eu en lrsquoespegravece violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
En revanche nous nrsquoadheacuterons pas agrave la base juridique sur laquelle on fait
reposer cette conclusion agrave savoir le manque de preacutevisibiliteacute de la mesure de
surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence donc un deacutefaut
de qualiteacute de la loi no 1423 de 1956 qui dans lrsquoordre juridique italien a
permis lrsquoapplication de la mesure litigieuse
2 Cette solution nrsquoest pas en conformiteacute avec toute une seacuterie drsquoaffaires
dans lesquelles la Cour a eacuteteacute confronteacutee aux mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la leacutegislation italienne
3 Les organes de la Convention ont amorceacute leur jurisprudence en la
matiegravere dans la deacutecision Guzzardi c Italie (no 796077 deacutecision de la
Commission du 5 octobre 1977 non publieacutee) Dans une affaire ulteacuterieure
soumise par le mecircme requeacuterant la Cour a conclu en raison des
circonstances particuliegraveres de lrsquoaffaire que lrsquointeacuteresseacute avait eacuteteacute laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 de la Convention (Guzzardi c Italie
6 novembre 1980 sect 95 seacuterie A no 39)
4 Depuis lrsquoaffaire Guzzardi la Cour a dans plusieurs affaires (Raimondo
c Italie 22 feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A Labita c Italie [GC]
no 2677295 sect 193 CEDH 2000-IV Vito Sante Santoro c Italie
no 3668197 sect 37 CEDH 2004-VI voir aussi mutatis mutandis Villa
c Italie no 1967506 sectsect 43-44 20 avril 2010 et Monno c Italie (deacutec)
no 1867509 sectsect 21-23 8 octobre 2013) examineacute la surveillance speacuteciale
avec assignation agrave reacutesidence et les autres restrictions associeacutees (interdiction
de sortir pendant la nuit interdiction de srsquoeacuteloigner du lieu de reacutesidence
interdiction de freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de jeux et lieux de
prostitution et de participer agrave des reacuteunions publiques interdiction de
freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave
des mesures de preacutevention) Aucune de ces affaires ne preacutesentant des
circonstances particuliegraveres comparables agrave celles de lrsquoaffaire Guzzardi la
Cour a examineacute les mesures de preacutevention en question sous lrsquoangle de
lrsquoarticle 2 du protocole no 4
5 Dans ces affaires la Cour nrsquoa trouveacute aucun deacutefaut ndash du point de vue de
la preacutevisibiliteacute et plus geacuteneacuteralement de la qualiteacute de la loi ndash agrave la leacutegislation
applicable en particulier la loi no 1423 de 1956 Il est vrai que dans lrsquoaffaire
Vito Sante Santoro la Cour a constateacute que la mesure litigieuse non
seulement nrsquoeacutetait pas neacutecessaire mais eacutegalement qursquoelle nrsquoeacutetait pas
laquo preacutevue par la loi raquo (Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 46) Toutefois dans ce
dernier cas il eacutetait question drsquoune mesure appliqueacutee en dehors du cadre
leacutegal agrave savoir une mesure preacutejudiciable agrave la liberteacute de circulation du
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 45
requeacuterant qui eacutetait caduque donc mecircme dans cette affaire la Cour nrsquoa pas
formuleacute de critiques concernant la qualiteacute de la loi litigieuse
6 En revanche le preacutesent arrecirct drsquoune part considegravere que la loi
no 14231956 ne deacutefinissait pas les personnes auxquelles les mesures de
preacutevention eacutetaient applicables avec suffisamment de clarteacute pour satisfaire agrave
lrsquoexigence de preacutevisibiliteacute de la loi et drsquoautre part estime que la mecircme loi
eacutetait libelleacutee en des termes vagues et geacuteneacuteraux qui ne deacutefinissaient pas avec
une preacutecision et une clarteacute suffisantes le contenu de certaines mesures de
preacutevention et donc que cette loi ne remplissait pas les conditions de
preacutevisibiliteacute telles qursquoelles se deacutegagent de la jurisprudence de la Cour
(paragraphe 125 de lrsquoarrecirct)
7 Agrave notre avis il nrsquoeacutetait pas neacutecessaire drsquoabandonner une jurisprudence
qui srsquoeacutetalant sur plusieurs anneacutees srsquoeacutetait deacutesormais consolideacutee drsquoautant
que les juridictions italiennes en premier lieu la Cour constitutionnelle
avaient deacuteveloppeacute une jurisprudence preacutecise exactement sur la question de
savoir si la leacutegislation nationale sur lrsquoapplication des mesures de preacutevention
eacutetait suffisamment claire et preacutevisible deacuteclarant inconstitutionnelles le cas
eacutecheacuteant des parties de la leacutegislation qui ne reacutepondaient pas agrave ces critegraveres
Ainsi dans son arrecirct nordm 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a constateacute
que lrsquoune des cateacutegories de sujets preacutesenteacutees agrave lrsquoarticle 1 de la loi de 1956
en vigueur agrave lrsquoeacutepoque celle des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs
port[ai]ent agrave consideacuterer enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas
suffisamment deacutetailleacutee par la loi et ne permettait pas de preacutevoir qui pouvait
ecirctre viseacute par les mesures de preacutevention et dans quelles conditions en raison
de la trop grande marge drsquoappreacuteciation des autoriteacutes La Cour
constitutionnelle a eacutegalement conclu agrave la violation du principe de leacutegaliteacute
applicable en matiegravere de mesures de preacutevention selon lrsquoarticle 13 (liberteacute
personnelle) et lrsquoarticle 25 (mesures de sucircreteacute)
8 La longue seacuterie des arrecircts de la Cour constitutionnelle italienne qui se
sont pencheacutes sur cette question est amplement eacutevoqueacutee dans lrsquoarrecirct
(paragraphes 43-61) Nous attirons en particulier lrsquoattention sur lrsquoarrecirct
nordm 177 de 1980 susmentionneacute qui contient une synthegravese de la jurisprudence
drsquoalors concernant notamment lrsquoidentification des destinataires des mesures
de preacutevention ainsi que sur lrsquoarrecirct no 282 de 2010 qui porte en particulier
sur les mesures applicables
9 Agrave nos yeux cette jurisprudence a expliqueacute de maniegravere satisfaisante
que nonobstant la nature assez geacuteneacuterale des preacutevisions leacutegislatives il nrsquoy
avait pas de problegraveme de preacutevisibiliteacute concernant lrsquoidentification des
destinataires des mesures de preacutevention ou les mesures applicables
10 Agrave propos de ces derniegraveres mesures dans lrsquoaffaire objet de lrsquoarrecirct
no 282 de 2010 la Cour constitutionnelle eacutetait appeleacutee agrave deacuteterminer si
lrsquoarticle 9 sect 2 de la loi no 1423 du 27 deacutecembre 1956 eacutetait compatible avec
lrsquoarticle 25 alineacutea 2 de la Constitution en ce qursquoil sanctionnait peacutenalement
le non-respect de lrsquoobligation formuleacutee agrave lrsquoarticle 5 alineacutea 3 premiegravere
46 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
partie de ladite loi agrave savoir de laquo vivre honnecirctement et dans le respect des
lois et de ne pas precircter agrave soupccedilon raquo et srsquoil violait le principe de la preacutevision
leacutegislative exhaustive des situations ougrave la norme peacutenale trouve agrave srsquoappliquer
(principio di tassativitagrave)
11 Cet arrecirct de 2010 a expliqueacute agrave notre avis de maniegravere convaincante
pourquoi lrsquoobligation de laquo vivre honnecirctement raquo si elle eacutetait appreacutecieacutee de
maniegravere isoleacutee apparaissait en soi geacuteneacuterique et susceptible de revecirctir des
significations multiples et pourquoi si au contraire on la placcedilait dans le
contexte de toutes les autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi
no 14231956 elle avait un contenu plus clair impliquant un devoir pour la
personne concerneacutee drsquoadapter sa conduite agrave un mode de vie respectant
lrsquoensemble des prescriptions susmentionneacutees de sorte que la formule
laquo vivre honnecirctement raquo se concreacutetise et srsquoindividualise Lrsquoarrecirct en question a
preacuteciseacute drsquoautre part que concernant lrsquoobligation de laquo ne pas precircter agrave
soupccedilon raquo il ne fallait pas davantage la prendre isoleacutement mais dans le
contexte des autres obligations poseacutees par lrsquoarticle 5 de la loi no 14231956
comme lrsquointerdiction faite agrave la personne soumise agrave une surveillance speacuteciale
de freacutequenter certains lieux ou individus
12 Lrsquoarrecirct de la Grande Chambre relegraveve que lrsquointerpreacutetation livreacutee par la
Cour constitutionnelle dans son arrecirct no 282 de 2010 est posteacuterieure aux
faits de lrsquoespegravece et qursquoil eacutetait degraves lors impossible au requeacuterant drsquoeacutetablir agrave
partir de la position de la Cour constitutionnelle ressortant de cet arrecirct la
teneur preacutecise de certaines des obligations auxquelles il eacutetait soumis dans le
cadre de la surveillance speacuteciale (paragraphe 120 de lrsquoarrecirct) Agrave notre avis
cette position de la Cour constitutionnelle conserve toute sa valeur en
lrsquoespegravece dans la mesure ougrave elle ne fait que confirmer une situation qui
existait deacutejagrave au moment des faits
13 Le fait que la porteacutee et le contenu de la loi no 14231956 avaient eacuteteacute
clarifieacutes par la jurisprudence nationale ndash qui avait introduit des garanties
importantes et avait speacutecifieacute les conditions qui devaient ecirctre reacuteunies pour
que lrsquoon puisse imposer des mesures de preacutevention ndash est clairement illustreacute
par la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari du 22 janvier 2009 En effet le
raisonnement de cette cour et sa maniegravere drsquoappliquer la loi no 14231956
telle qursquointerpreacuteteacutee par la jurisprudence montrent qursquoil y avait
drsquoimportantes garanties et des conditions agrave remplir On peut le voir dans le
raisonnement de la cour drsquoappel sur le terme de laquo dangerositeacute actuelle raquo de
la personne concerneacutee La cour a en effet souligneacute qursquoil fallait prendre en
compte plusieurs eacuteleacutements y compris des condamnations peacutenales
anteacuterieures des investigations et des activiteacutes en cours le niveau de vie et
les moyens de subsistance de lrsquointeacuteresseacute ainsi que les personnes freacutequenteacutees
Il srsquoensuit que lrsquoeacutevaluation appelait des eacuteleacutements objectifs une base
factuelle suffisante ainsi que des preuves et des renseignements agrave jour Crsquoest
justement son application des conditions telles qursquoelles avaient eacuteteacute eacutetablies
par la jurisprudence qui a ameneacute la cour drsquoappel de Bari agrave infirmer le
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 47
jugement du tribunal de la mecircme ville Cela va nettement dans le sens de la
reconnaissance de la preacutevisibiliteacute de lrsquoapplication de la loi no 14231956 En
tout eacutetat de cause le requeacuterant ndash en srsquoentourant au besoin de conseils
eacuteclaireacutes ndash eacutetait agrave mecircme de preacutevoir agrave un degreacute raisonnable dans les
circonstances de lrsquoespegravece srsquoil pouvait relever de lrsquoune des cateacutegories de
personnes viseacutees par les mesures de preacutevention ainsi que la nature et la
dureacutee des mesures applicables
14 Nous estimons donc que les mesures litigieuses eacutetaient bien
laquo preacutevues par la loi raquo
15 Nous pensons eacutegalement que les mesures de restriction agrave la liberteacute de
circulation poursuivaient des buts leacutegitimes notamment le laquo maintien de
lrsquoordre public raquo et la laquo preacutevention des infractions peacutenales raquo (Monno
deacutecision preacuteciteacutee sect 26 et Villa preacuteciteacute sect 46)
16 En revanche nous sommes drsquoavis que les mesures litigieuses
nrsquoeacutetaient pas pour les raisons qui suivent laquo neacutecessaires dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo
17 Une ingeacuterence est consideacutereacutee comme laquo neacutecessaire dans une socieacuteteacute
deacutemocratique raquo pour atteindre un but leacutegitime si elle reacutepond agrave un laquo besoin
social impeacuterieux raquo et si elle est proportionneacutee au but leacutegitime poursuivi Agrave
cet eacutegard il faut que les motifs invoqueacutes par les autoriteacutes nationales pour la
justifier apparaissent laquo pertinents et suffisants raquo Srsquoil appartient aux autoriteacutes
nationales de juger les premiegraveres si toutes ces conditions se trouvent
remplies crsquoest agrave la Cour qursquoil revient de trancher en deacutefinitive la question
de la neacutecessiteacute de lrsquoingeacuterence au regard des exigences de la Convention
(voir par exemple S et Marper c Royaume-Uni [GC] nos 3056204 et
3056604 sect 101 CEDH 2008 et Coster c Royaume-Uni [GC]
no 2487694 sect 104 18 janvier 2001)
18 En outre pour ce qui est de la proportionnaliteacute de la mesure
incrimineacutee cette derniegravere ne se justifie qursquoaussi longtemps qursquoelle tend
effectivement agrave la reacutealisation de lrsquoobjectif qursquoelle est censeacutee poursuivre
(Villa preacuteciteacute sect 47 et mutatis mutandis Napijalo c Croatie no 6648501
sectsect 78-82 13 novembre 2003 et Gochev c Bulgarie no 3438303 sect 49
26 novembre 2009) Par ailleurs fucirct-elle justifieacutee au deacutepart une mesure
restreignant la liberteacute de circulation drsquoune personne peut devenir
disproportionneacutee et violer les droits de cette personne si elle se prolonge
automatiquement pendant longtemps (Luordo c Italie no 3219096 sect 96
CEDH 2003-IX Riener c Bulgarie no 4634399 sect 121 23 mai 2006 et
Foumlldes et Foumlldesneacute Hajlik c Hongrie no 4146302 sect 35 CEDH 2006-XII)
19 En tout eacutetat de cause les autoriteacutes internes ont lrsquoobligation de veiller
agrave ce que toute atteinte porteacutee au droit drsquoune personne deacutecoulant de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 soit degraves le deacutepart et tout au long de sa dureacutee justifieacutee et
proportionneacutee au regard des circonstances Ce controcircle doit normalement
ecirctre assureacute au moins en dernier ressort par le pouvoir judiciaire car il offre
les meilleures garanties drsquoindeacutependance drsquoimpartialiteacute et de reacutegulariteacute des
48 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
proceacutedures (Gochev preacuteciteacute sect 50 et Sissanis c Roumanie no 2346802
sect 70 25 janvier 2007) Lrsquoeacutetendue du controcircle juridictionnel doit permettre
au tribunal de tenir compte de tous les eacuteleacutements y compris ceux lieacutes agrave la
proportionnaliteacute de la mesure restrictive (voir mutatis mutandis Le
Compte Van Leuven et De Meyere c Belgique 23 juin 1981 sect 60 seacuterie A
no 43)
20 En lrsquooccurrence on peut noter que le tribunal de Bari a deacutecideacute de
soumettre le requeacuterant agrave la mesure de surveillance speacuteciale sur la base de
certains indices qui lrsquoavait ameneacute agrave conclure que lrsquointeacuteresseacute se livrait agrave une
activiteacute deacutelictueuse Selon la cour drsquoappel certaines infractions imputeacutees au
requeacuterant avaient en reacutealiteacute eacuteteacute commises par une autre personne qui portait
les mecircmes nom et preacutenom que lui De plus la cour drsquoappel a souligneacute dans
son arrecirct que le tribunal nrsquoavait pas pris en consideacuteration le fait que le
requeacuterant travaillait comme ouvrier agricole depuis 2005 et qursquoaucun
eacuteleacutement concret suggeacuterant des liens avec des repris de justice nrsquoavait eacuteteacute
deacutecouvert Elle a ajouteacute que le tribunal avait omis de faire une appreacuteciation
approfondie de la dangerositeacute du requeacuterant tenant compte de ce qursquoil avait
entiegraverement purgeacute sa peine et nrsquoavait plus commis drsquoinfractions apregraves sa
libeacuteration
21 Il ressort de la deacutecision de la cour drsquoappel de Bari que les motifs
invoqueacutes par le tribunal pour appliquer la mesure de preacutevention au requeacuterant
nrsquoeacutetaient pas pertinents et suffisants Comme la cour drsquoappel lrsquoa souligneacute il
nrsquoexistait pas de faits preacutecis permettant drsquoeacutetablir une dangerositeacute persistante
du requeacuterant Par conseacutequent la mesure de preacutevention nrsquoaurait pas ducirc ecirctre
appliqueacutee Ce constat suffit pour conclure agrave la violation de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4
22 En outre il faut remarquer que la cour drsquoappel aurait ducirc statuer dans
le deacutelai de trente jours preacutevu par les dispositions de droit interne Or il lui a
fallu jusqursquoau 4 feacutevrier 2009 date de la notification de la deacutecision au
requeacuterant crsquoest-agrave-dire six mois et vingt et un jours apregraves la date de
lrsquointroduction du recours (14 juillet 2008) agrave partir de laquelle le deacutelai avait
commenceacute agrave courir Degraves lors nous sommes drsquoavis que la violation constateacutee
ci-dessus a eacuteteacute aggraveacutee par le long laps de temps qui srsquoest eacutecouleacute entre le
deacutepocirct de lrsquoappel et la deacutecision rendue par la cour drsquoappel de Bari
23 Un surcroicirct de diligence et de rapiditeacute srsquoimposait dans lrsquoadoption
drsquoune deacutecision touchant aux droits garantis par lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
dans des circonstances telles que celles de la preacutesente affaire ougrave le
requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave la mesure de preacutevention agrave partir de la notification
de la deacutecision du tribunal le 4 juillet 2008 jusqursquoagrave la notification de la
deacutecision de la cour drsquoappel le 4 feacutevrier 2009 crsquoest-agrave-dire pendant sept mois
dont six mois et vingt et un jours dans lrsquoattente de la deacutecision de la cour
drsquoappel Nous estimons que cet intervalle eacutetait de nature agrave rendre
disproportionneacutees les restrictions agrave la liberteacute de circulation du requeacuterant
Pour ce qui est de lrsquoargument du Gouvernement relatif agrave lrsquoaction en
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 49
responsabiliteacute contre les magistrats que le requeacuterant aurait pu intenter nous
notons que le Gouvernement nrsquoa produit aucun exemple deacutemontrant qursquoune
telle action aurait eacuteteacute exerceacutee avec succegraves dans des circonstances semblables
agrave celles de la preacutesente espegravece
24 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede nous estimons que les restrictions agrave
la liberteacute de circulation du requeacuterant ne pouvaient passer pour laquo neacutecessaires
dans une socieacuteteacute deacutemocratique raquo
25 Ces eacuteleacutements nous suffisent pour conclure qursquoil y a eu violation de
lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du manque de proportionnaliteacute de la
mesure de surveillance speacuteciale assortie drsquoune assignation agrave reacutesidence
50 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION CONCORDANTE DU JUGE DEDOV
(Traduction)
Je souscris sans reacuteserve au but leacutegitime eacutenonceacute par la Cour
constitutionnelle italienne dans son arrecirct no 2 de 1956 laquo Le laquo bien vivre
ensemble raquo est indeacuteniablement le but rechercheacute par un Eacutetat de droit libre et
deacutemocratique raquo Lorsque la paix sociale est installeacutee les liberteacutes et droits
fondamentaux sont pleinement respecteacutes Nous savons toutefois qursquoil nrsquoest
pas si facile de se faire une place dans la socieacuteteacute de reacuteussir agrave srsquoy inteacutegrer de
faire appel agrave ses talents et aptitudes pour trouver le meacutetier qui nous convient
et prendre part au partage du travail de maniegravere amicale et pacifique Sur ce
chemin toujours difficile les crises psychologiques individuelles sont
ineacutevitables Tous les individus ne possegravedent pas suffisamment de culture et
drsquoautodiscipline pour eacuteviter les comportements offensants violents ou pour
drsquoautres raisons antisociaux ou plus geacuteneacuteralement la marginalisation
Le problegraveme est que lrsquoon ne peut pas atteindre le but susmentionneacute
uniquement par le biais de mesures coercitives Je souhaite encourager les
autoriteacutes nationales agrave deacutevelopper leur ordre interne Je pense qursquoil
conviendrait de mettre davantage lrsquoaccent sur la reacuteinsertion sociale et
psychologique (en sus de la sanction elle-mecircme) Cette approche pourrait
ecirctre appliqueacutee principalement aux anciens deacutelinquants mais drsquoautres
personnes pourraient aussi faire lrsquoobjet de telles mesures sur une base
volontaire Agrave cet eacutegard lrsquoanalyse de la qualiteacute de la loi contenue dans le
preacutesent arrecirct aurait pu ecirctre compleacuteteacutee par la conclusion que les mesures
coercitives en cause ne sont pas proportionneacutees du fait qursquoen elles-mecircmes
elles ne permettent pas drsquoatteindre le but leacutegitime poursuivi Une
assignation agrave reacutesidence ou une injonction de trouver du travail ne vont pas
convaincre la personne concerneacutee de changer de mode de vie De plus cela
signifie que la conclusion relative agrave la proportionnaliteacute aurait eacutevoqueacute lrsquoart de
faire des lois et non la mise en œuvre concregravete des mesures
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 51
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE SAJOacute
(Traduction)
Jrsquoai voteacute en faveur du constat de violation de lrsquoarticle 6 et estime
eacutegalement qursquoil y a eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 (deacutefaut de
preacutevisibiliteacute agrave la fois de la liste des personnes auxquelles les mesures sont
applicables (article 1 de la loi de 1956) et des mesures elles-mecircmes
(articles 3 et 5 de la loi de 1956)) Je suis toutefois au regret de ne pouvoir
souscrire agrave la position de la majoriteacute concernant les articles 5 et 6 (volet
peacutenal) et ce principalement pour les raisons formuleacutees dans lrsquoopinion
seacutepareacutee du juge Pinto de Albuquerque
52 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE VUČINIĆ
Jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation des articles 6 et 13 pour les
raisons exposeacutees dans la deuxiegraveme partie de lrsquoopinion seacutepareacutee du juge Pinto
de Albuquerque
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 53
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE
DU JUGE PINTO DE ALBUQUERQUE
(Traduction)
Table des matiegraveres
I Introduction (sect 1)
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention (sectsect
9-11)
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention (sectsect 32-43)
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale (sectsect 54-58)
VI Conclusion (sectsect 59-60)
I Introduction (sect 1)
1 Je deacutesapprouve la deacutecision de deacuteclarer irrecevables les griefs tireacutes des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention europeacuteenne des droits de
lrsquohomme (laquo la Convention raquo) Agrave mes yeux les mesures appliqueacutees au
requeacuterant en vertu de la loi no 14231956 (laquo la loi de 1956 raquo)1 agrave savoir une
mesure de surveillance speacuteciale de police assortie drsquoune assignation agrave
reacutesidence drsquoune dureacutee de deux ans et drsquoautres mesures restrictives
revecirctaient un caractegravere peacutenal et impliquaient pour le requeacuterant une privation
du droit agrave la liberteacute Pour les raisons exposeacutees ci-apregraves ces mesures auraient
1 En 2011 est entreacute en vigueur le nouveau laquo code antimafia raquo qui rassemble la leacutegislation
relative agrave la lutte contre la mafia et les mesures de preacutevention personnelles et patrimoniales
et qui a abrogeacute la loi nordm 14231956
54 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
ducirc ecirctre associeacutees aux garanties mateacuterielles et proceacutedurales de lrsquoarticle 5 et
de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) de la Convention
Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute jrsquoai voteacute sur le fond en
faveur drsquoun constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 en raison du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute non seulement de la liste des personnes auxquelles les
mesures pouvaient ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi de 1956) mais aussi
des mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956) Je souscris sans
reacuteserve au raisonnement contenu dans lrsquoarrecirct sur la question speacutecifique du
deacutefaut de preacutevisibiliteacute de ces dispositions
La preacutesente opinion a pour objet de justifier mon vote dans le cadre de la
deacutecision drsquoirrecevabiliteacute et en conseacutequence de tirer de lrsquoapplicabiliteacute des
articles 5 et 6 (volet peacutenal) aux faits de lrsquoespegravece les conclusions qui
srsquoimposent quant au fond Par ailleurs jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de
violation de lrsquoarticle 13 pour des raisons lieacutees aux deacuteficiences des voies de
recours internes dans la preacutesente affaire
Premiegravere partie (sectsect 2-31)
II La nature de la privation de liberteacute dans le contexte des mesures de
preacutevention (sectsect 2-11)
A Prius ergo est suspicio (sectsect 2-8)
2 La Constitution italienne ne preacutevoit pas de mesures de preacutevention
personnelles (misure di prevenzione personali)2 Les dispositions
pertinentes des articles 25 et 27 sur les mesures afflictives eacutenoncent
simplement des regravegles sur les sanctions peacutenales (pene) et les mesures de
sucircreteacute (misure di sicurezza)
Dans un arrecirct crucial de 1964 la Cour constitutionnelle a affirmeacute laquo le
principe selon lequel le deacuteveloppement ordonneacute et pacifique des relations
sociales doit ecirctre garanti non seulement par un systegraveme de normes
sanctionnant les actes illicites mais aussi par un systegraveme de mesures de
preacutevention contre le risque que de tels actes se produisent agrave lrsquoavenir raquo ([il]
principio secondo cui lrsquoordinato e pacifico svolgimento dei rapporti sociali
deve essere garantito oltre che dal sistema delle norme repressive di fatti
illeciti anche da un sistema di misure preventive contro il pericolo del loro
verificarsi in avvenire) Ainsi le giudice delle leggi a estimeacute les dispositions
2 Le silence des pegraveres fondateurs de la Reacutepublique italienne eacutetait intentionnel Ils avaient
en meacutemoire lrsquousage que le reacutegime fasciste avait fait de ces mesures comme instrument de
reacutepression politique (Fiandaca laquo Misure di prevenzione (fondamenti costituzionali) raquo Dig
Pub IX 1994 et voce laquo Misure di prevenzione raquo Digesto delle Discipline Penalistiche
Turin 1994 Barile Diritto dellrsquouomo e libertagrave fondamentali Bologne 1984 Amato
laquo Commento allrsquo art13 raquo Branca (eacuted) Commentario della Costituzione Bologne 1977)
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 55
de la loi de 1956 compatibles avec la Constitution italienne notamment
avec le principe de leacutegaliteacute contenu agrave lrsquoarticle 13 relatif agrave la liberteacute
personnelle et agrave lrsquoarticle 25 sect 3 relatif aux mesures de sucircreteacute3
Dans drsquoautres deacutecisions la Cour constitutionnelle srsquoest montreacutee moins
preacutecise et a examineacute des recours sous lrsquoangle des articles 13 et 25 en
geacuteneacuteral sans indiquer si elle se penchait sur lrsquoaspect lieacute aux infractions
peacutenales ou sur celui relatif aux mesures de sucircreteacute Quoi qursquoil en soit en
appreacuteciant le respect du principe de leacutegaliteacute la Consulta a toujours eu une
approche plus souple dans le contexte des mesures de preacutevention que dans
celui des dispositions relevant du droit peacutenal stricto sensu Elle a deacuteclareacute de
faccedilon elliptique que le critegravere de preacutecision pour les dispositions reacutegissant les
mesures de preacutevention ne voulait pas dire laquo moins de rigueur mais une
rigueur diffeacuterente raquo (non vuol dire minor rigore ma diverso rigore) en
regard du critegravere requis pour les dispositions de droit peacutenal4
La Cour constitutionnelle a eacutegalement consideacutereacute que les mesures de
preacutevention nrsquoeacutetaient pas contraires au principe de la preacutesomption
drsquoinnocence Le raisonnement est eacutetrange Les juges du Palazzo della
Consulta ont argueacute que la preacutesomption drsquoinnocence nrsquoentrait pas en ligne de
compte dans les mesures de preacutevention en ce que celles-ci ne se fondaient
pas sur la culpabiliteacute et ne touchaient pas agrave la responsabiliteacute peacutenale drsquoun
individu En mecircme temps ils ont consideacutereacute que les mesures de preacutevention
ne deacuterogeaient pas non plus agrave ce principe en ce que de laquo simples
soupccedilons raquo (semplici sospetti) baseacutes sur des appreacuteciations purement
subjectives et inveacuterifiables (valutazioni puramente soggettive e
incontrollabili) ne suffiraient pas agrave rendre ces mesures applicables5
Le leacutegislateur a reacuteagi agrave cette jurisprudence par la loi no 3271988 qui a
retireacute de la loi de 1956 deux cateacutegories de suspects ndash premiegraverement les
laquo oziosi e i vagabondi abituali validi al lavoro raquo et deuxiegravemement laquo coloro
che svolgono abitualmente altre attivitagrave contrarie alla morale pubblica e al
3 Voir lrsquoarrecirct de la Cour constitutionnelle italienne no 23 de 1964 qui a rejeteacute la question
de la leacutegitimiteacute constitutionnelle de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 en se reacutefeacuterant aux articles
13 25 et 27 de la Constitution italienne
4 Lrsquointeacutegraliteacute du passage pertinent de lrsquoarrecirct de 1964 se lit ainsi laquo nella descrizione
delle fattispecie (di prevenzione) il legislatore debba normalmente procedere con diversi
criteri da quelli con cui procede nella determinazione degli elementi costitutivi di una
figura criminosa e possa far riferimento anche a elementi presuntivi corrispondenti perograve
sempre a comportamenti obiettivamente identificabili Il che non vuol dire minor rigore
ma diverso rigore nella previsione e nella adozione delle misure di prevenzione rispetto
alla previsione dei reati e dalla irrogazione delle pene raquo
5 Concernant les alineacuteas 2 3 et 4 de lrsquoarticle 1 de la loi de 1956 lrsquoarrecirct de la Cour
constitutionnelle no 23 de 1964 a exclu la possibiliteacute que laquo le misure di prevenzione
possano essere adottate sul fondamento di semplici sospetti raquo exigeant que laquo una oggettiva
valutazione di fatti da cui risulti la condotta abituale e il tenore di vita della persona o che
siano manifestazioni concrete della sua proclivitagrave al delitto e siano state accertate in modo
da escludere valutazioni puramente soggettive e incontrollabili da parte di chi promuove o
applica le misure di prevenzione raquo
56 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
buon costume raquo ndash et imposeacute que les trois cateacutegories restantes de personnes
auxquelles la loi srsquoappliquait fussent deacutetermineacutees laquo sur la base drsquoeacuteleacutements
factuels raquo (sulla base di elementi di fatto)
3 En matiegravere constitutionnelle rien nrsquoa changeacute en Italie depuis 1964
concernant la compatibiliteacute du systegraveme des mesures de preacutevention
personnelles avec la Constitution Certes plus tard il est arriveacute quelquefois
au giudice delle leggi de constater la violation de la Constitution et ce en
raison de questions tregraves speacutecifiques6 Comme lrsquoindique lrsquoarrecirct de la Grande
Chambre en 1970 il a jugeacute que les personnes concerneacutees devaient ecirctre
assisteacutees par un deacutefenseur lors drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de
telles mesures En 1980 il a estimeacute que lrsquoune des cateacutegories de sujets celle
des personnes laquo que certains signes exteacuterieurs port[ai]ent agrave consideacuterer
enclines agrave la deacutelinquance raquo nrsquoeacutetait pas suffisamment deacutetailleacutee par la loi En
2010 il a jugeacute inconstitutionnelle lrsquoimpossibiliteacute pour lrsquointeacuteresseacute de
demander pendant la proceacutedure drsquoapplication des mesures de preacutevention une
audience publique que ce soit en premiegravere instance ou en appel En
substance le reacutegime de 1956 est cependant resteacute le mecircme avec
lrsquoapprobation des juges du Palazzo della Consulta
4 En reacutealiteacute des mesures de preacutevention personnelles eacutetaient appliqueacutees
en vertu de la loi de 1956 agrave des personnes soupccedilonneacutees drsquoinfractions avant
leur condamnation et en cas drsquoacquittement7 ou de sentenza di
proscioglimento prononceacutee en vertu de lrsquoarticle 530 sect 2 du code de
proceacutedure peacutenale pour preuves insuffisantes ou contradictoires8 Malgreacute la
seacuteparation formelle entre la proceacutedure peacutenale reacutegie par le code de proceacutedure
peacutenale et la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
reacutegie par la loi de 1956 les eacuteleacutements de preuve recueillis dans le cadre de la
premiegravere pouvaient dans le cadre de la seconde servir drsquoindicateur du besoin
de mesures de preacutevention9 Cela a bien sucircr rendu possible
lrsquoinstrumentalisation des mesures de preacutevention agrave des fins de laquo punition raquo
des personnes mises hors de cause agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale Dans
ces conditions les mesures de preacutevention nrsquoeacutetaient rien drsquoautre que des
sanctions peacutenales de laquo deuxiegraveme classe raquo des laquo peines fondeacutees sur le
6 Paragraphes 53-56 de lrsquoarrecirct
7 Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 195 CEDH 2000-IV Raimondo c Italie 22
feacutevrier 1994 sect 39 seacuterie A no 281-A et Ciancimino c Italie no 1254186 deacutecision de la
Commission du 27 mai 1991 Deacutecisions et rapports 70 Dans la jurisprudence interne voir
par exemple Cour de cassation chambres reacuteunies 3 juillet 1996 Simonelli et Cour de
cassation section I 17 janvier 2008 no 6613 De 2005 agrave 2013 ces mesures de preacutevention
ont eacuteteacute appliqueacutees agrave 30 511 personnes selon des statistiques figurant dans le dossier Bien
qursquoil lui ait eacuteteacute demandeacute de fournir des informations sur le nombre de personnes de ce
groupe qui avaient eacuteteacute acquitteacutees agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure peacutenale le Gouvernement nrsquoa
pas fourni les donneacutees requises
8 Cour de Cassation section I 28 avril 1995 Lupo
9 Labita preacuteciteacute sect 196 et Ciancimino deacutecision preacuteciteacutee Dans la jurisprudence interne
voir par exemple Cour de cassation section II 20 avril 2013 no 26774
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 57
soupccedilon raquo (pene del sospetto10) Mecircme apregraves la reacuteforme opeacutereacutee par la loi
no 3271988 une probatio minus plena11 suffisait pour placer des individus
dans la ligne de mire du systegraveme de justice peacutenale avec son arsenal de
mesures de restriction fondeacutees sur la loi de 1956
5 Pire encore les mesures de preacutevention baseacutees sur la loi de 1956
eacutetaient par essence fortement deacutesocialisantes du fait des restrictions
draconiennes qui frappaient la vie personnelle professionnelle et sociale du
suspect srsquoajoutant agrave la privation de liberteacute appliqueacutee pendant une partie de
la journeacutee Ces mesures avaient un caractegravere intrinsegravequement
laquo anti-resocialisant raquo augmentant par lagrave mecircme la probabiliteacute que le suspect
commicirct des infractions peacutenales quand il contrevenait au reacutegime de
restrictions imposeacute car pareil manquement eacutetait en soi punissable comme
une infraction peacutenale passible drsquoune lourde peine drsquoemprisonnement Ainsi
comme Bricola lrsquoa fort justement deacuteclareacute degraves 1974 lrsquoapplication de mesures
personnelles aux fins de la preacutevention des infractions entraicircnait la
commission de nouvelles infractions peacutenales lesquelles donnaient une base
leacutegale agrave des poursuites peacutenales contre un individu qui au deacutepart ne pouvait
pas ecirctre poursuivi faute de preuves12 En fait la logique tortueuse de la loi
de 1956 comportait bel et bien un fort potentiel criminogegravene13
En plus de leur caractegravere laquo anti-resocialisant raquo ces mesures avaient un
effet discriminatoire car la loi consideacuterait leur application comme un
facteur aggravant dans le cadre de la fixation des peines pour diverses
infractions peacutenales14 En fait cette aggravation nrsquoavait rien agrave voir avec
lrsquoobjet de lrsquoinfraction de base et le facteur aggravant reacutesultait donc
exclusivement de lrsquoeacutetiquette neacutegative que le leacutegislateur mettait au suspect
ayant fait lrsquoobjet de mesures de preacutevention15 Partant parmi les nombreux
effets personnels dommageables desdites mesures leur effet
10 Corso laquo Profili costituzionale delle misure di prevenzione aspetti teorici e prospettivi
di riforma raquo AAVV La legge antimafia tre anni dopo Milan 1986
11 Voir parmi beaucoup drsquoautres Cour de cassation section VI 19 janvier 1999
Consolato qui preacutecise que lrsquoexigence de preuve de lrsquoarticle 192 sect 2 du code de proceacutedure
peacutenale ne srsquoapplique pas dans une proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de
preacutevention
12 Bricola laquo Forme di tutela laquo ante delictum raquo e profili costituzionali della prevenzione raquo
AAVV Le misure di prevenzione Atti del Convegno CNPDS 26-28 avril 1974
Milan 1975
13 Balbi laquo Le Misure di Prevenzione Personali raquo contribution lors de la reacuteunion annuelle
de lrsquoAssociation italienne des professeurs de droit peacutenal 18 novembre 2016 Milan p 5
Voir aussi Gallo laquo Misure di prevenzione raquo Enc Giur Treccani Rome 1990 vol XX et
Guerrini et al Le misure di prevenzione Padoue 2004
14 Voir par exemple lrsquoarticle 644 du code peacutenal laquo Le pene per i fatti di cui al primo e
secondo comma sono aumentate da un terzo alla metagrave (hellip) se il reato egrave commesso da
persona sottoposta con provvedimento definitivo alla misura di prevenzione della
sorveglianza speciale durante il periodo previsto di applicazione e fino a tre anni dal
momento in cui egrave cessata lrsquoesecuzione raquo 15 Balbi preacuteciteacute p 12
58 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
intrinsegravequement deacuteshonorant avait un impact non seulement sociologique
mais aussi sur lrsquoapplication de la loi
6 En outre le cumul de mesures de preacutevention personnelles et de
sanctions de droit peacutenal nrsquoeacutetait mecircme pas limiteacute par le principe ne bis in
idem compte tenu du principe de laquo compatibiliteacute logique raquo entre les deux
distilleacute par la jurisprudence relative agrave certaines dispositions de loi16 En fait
la loi favorise une telle jurisprudence Lrsquoarticle 166 sect 2 du code peacutenal
permet lrsquoapplication de mesures preacuteventives mecircme en cas de sursis associeacute agrave
la peine prononceacutee lors drsquoun jugement peacutenal si drsquoautres eacuteleacutements de preuve
peuvent ecirctre trouveacutes aliunde17 En conseacutequence dudit principe de
compatibiliteacute logique il arrivait mecircme que des mesures de preacutevention soient
combineacutees agrave une peine prononceacutee dans le cadre drsquoune transaction peacutenale
(sentenza di pattegiamento)18 ou agrave une reacuteclusion agrave perpeacutetuiteacute (condana allrsquo
ergastolo)19
7 Lrsquoeffet punitif des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956
eacutetait exacerbeacute par le fait que celles-ci eacutetaient appliqueacutees alors que la
proceacutedure peacutenale eacutetait encore en cours sur la base des circonstances qui
eacutetaient viseacutees par lrsquoinstruction dans le cadre de ladite proceacutedure Dans ce
contexte les mesures de preacutevention permettaient de contourner les
exigences temporelles plus strictes qui sont associeacutees agrave lrsquoapplicabiliteacute de
mesures conservatoires (misure cautelari) selon les regravegles ordinaires de la
proceacutedure peacutenale20 En pratique lrsquointerchangeabiliteacute entre les mesures de
preacutevention et les mesures conservatoires dont la nature le reacutegime et les
effets sont diffeacuterents a laquo escamoteacute raquo le droit contenu dans les livres21
Pendant une proceacutedure peacutenale les mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi
de 1956 fonctionnaient en reacutealiteacute comme un puissant objet de marchandage
laquo endo-proceacutedural raquo pour la police et les procureurs Pour dire les choses
crucircment lrsquoascendant tactique de la police et du parquet sur la deacutefense eacutetait
grandement renforceacute par lrsquoutilisation de mesures de preacutevention comme
moyen de faire pression sur une personne preacutesumeacutee innocente afin qursquoelle
coopegravere dans le cadre de la proceacutedure peacutenale en cours
8 En deacutefinitive les misure di prevenzione personali ont abandonneacute le
principe de responsabiliteacute personnelle relatif agrave un acte Pour reprendre les
termes drsquoElia le jugement preacuteventif laquo disqualifie socialement une personne
sans avoir au preacutealable disqualifieacute un fait raquo (un giudizio quale si squalifia
16 Cour de cassation section I 10 feacutevrier 2009 MM
17 Cour de cassation section I no 628597 Capizzi
18 Cour de cassation section I 16 avril 1998 Castellano
19 Cour de cassation chambres reacuteunies 25 mars 1993 no 6 dep 14 juillet 1993 imp
Tumminelli Rv 194062
20 La reacutevocation de misure cautelari pour absence des gravi indizi de culpabiliteacute requis
par lrsquoarticle 273 du code de proceacutedure peacutenale ne srsquooppose pas agrave lrsquoapplication de misure di
prevenzione personali (Cour de cassation section I no 576099 Iorio)
21 Balbi preacuteciteacute p 17
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 59
socialmente una persona senza prima poter squalificare un fatto)22 En fait
les mesures fondeacutees sur la loi de 1956 srsquoappliquaient ante o praeter
delictum Baseacutees sur un jugement hautement indeacutetermineacute et probabiliste
quant agrave la conduite future du suspect (Prius ergo est suspicio23) elles
ciblaient celui-ci indeacutependamment de toute preuve drsquoune infraction peacutenale
passeacutee srsquoappuyant sur de supposeacutees laquo typologies de deacutelinquants raquo (tipologie
drsquoautore) Dans ce contexte la garantie drsquoun controcircle juridictionnel nrsquoeacutetait
qursquoillusion24 La loi de 1956 est devenue lrsquoinstrument drsquoune politique peacutenale
fondeacutee sur le Taumlter-Typus qui a trahi la regravegle fondamentale jadis si
eacuteloquemment formuleacutee par Bettiol pour le droit peacutenal Im Anfang ist die
Tat25
B La frode delle etichette dans le contexte des mesures de preacutevention
(sectsect 9-11)
9 Jusqursquoagrave preacutesent la Cour de Strasbourg nrsquoa guegravere aideacute agrave contrer cette
laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) Appeleacutee agrave appreacutecier la
compatibiliteacute des mesures de preacutevention avec la Convention elle srsquoest
concentreacutee sur la proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de telles mesures ndash dans
laquelle eacutetait eacutevalueacutee la dangerositeacute de la personne concerneacutee ndash et veacuterifieacute si
les droits de la deacutefense avaient eacuteteacute respecteacutes26 Comme nous le
deacutemontrerons plus loin apregraves le crucial arrecirct Guzzardi c Italie27 la Cour a
toujours eacuteviteacute drsquoopeacuterer une analyse approfondie des caracteacuteristiques
mateacuterielles des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 se
contentant de preacutesumer leur leacutegaliteacute Lrsquoaffaire Monno repreacutesente la derniegravere
occasion en date qursquoelle ait eue de se livrer agrave un tel exercice or elle nrsquoa pas
saisi cette opportuniteacute et agrave la majoriteacute a deacuteclareacute la requecircte irrecevable28
10 De plus la Cour a estimeacute que lrsquoannulation drsquoune mesure de
preacutevention par la cour drsquoappel nrsquoaffectait pas en tant que telle la leacutegaliteacute de
lrsquoingeacuterence pour la peacuteriode preacuteceacutedente au motif que la deacutecision de la
22 Elia Libertagrave personale e misure di prevenzione Milan 1962 et laquo Libertagrave personale tra
lrsquoarticolo 13 e lrsquoarticolo 25 della Costituzione raquo Giur Cost 1964 Petrini La prevenzione
inutilie Illegittimitagrave delle misure praeter delictum Naples 1996 et Moccia laquo La lotta alla
criminalitaacute organizzata raquo Vallefuoco et Gialanella (eacuted) La difficile antimafia Rome
2002
23 Traduction laquo Au commencement eacutetait le soupccedilon raquo Lrsquoexpression est issue de la
proceacutedure peacutenale meacutedieacutevale Balbi preacuteciteacute p 17
24 Amodio laquo Il processo di prevenzione lrsquoillusione della giurisdizionalitagrave raquo Giust pen
1975 III
25 Traduction laquo Au commencement eacutetait lrsquoacte raquo Bettiol laquo Il problema penale raquo 1945
Scritti giuridici I p 678
26 Raimondo Labita tous deux preacuteciteacutes et Vito Sante Santoro c Italie no 3668197
CEDH 2004-VI
27 Guzzardi c Italie 6 novembre 1980 seacuterie A no 39
28 Monno c Italie (deacutec) no 1867509 8 octobre 2013
60 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
juridiction de premiegravere instance eacutetait prima facie valide et efficace jusqursquoau
moment de son annulation par la juridiction supeacuterieure29 En outre elle a
jugeacute que le non-respect drsquoun deacutelai leacutegal ne signifiait pas qursquoil y avait eu
rupture du juste eacutequilibre30
11 Au surplus la Cour a toujours dit que le fait drsquoexclure le public
drsquoune proceacutedure relative agrave lrsquoapplication de mesures de preacutevention
patrimoniales emportait violation de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention31
Toutefois il nrsquoy avait pas jusqursquoagrave preacutesent de jurisprudence semblable
concernant les mesures de preacutevention personnelles
En un mot la Cour pour lrsquoheure nrsquoeacutetait pas parvenue agrave assurer les
garanties minimales de la leacutegaliteacute mateacuterielle et de lrsquoeacutequiteacute proceacutedurale dans
le domaine hautement intrusif des mesures de preacutevention personnelles Le
preacutesent arrecirct change le cours des choses
III Garanties mateacuterielles relatives aux mesures de preacutevention (sectsect 12-
31)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 5 de la Convention (sectsect 12-20)
12 Sous lrsquoangle de lrsquoarticle 5 le requeacuterant se plaint drsquoavoir subi une
privation arbitraire et excessive de sa liberteacute Pour deacuteterminer si lrsquoarticle 5
de la Convention est applicable la Cour doit appliquer les critegraveres eacutenonceacutes
dans lrsquoarrecirct Guzzardi c Italie32 Afin de deacuteterminer si un individu se trouve
laquo priveacute de sa liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation
concregravete et prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la
dureacutee les effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee Entre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence33 De plus pour eacutevaluer la nature des
mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 il faut les examiner
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo34 Enfin la Cour a eacutegalement dit que la
deacutemarche consistant agrave prendre en compte le laquo genre raquo et les laquo modaliteacutes
drsquoexeacutecution raquo de la mesure en question lui permet drsquoavoir eacutegard au contexte
29 Ibidem sect 26
30 Ibidem sect 27
31 Bocellari et Rizza no 39902 sectsect 34-41 13 novembre 2007 Perre et autres c Italie
no 190505 sectsect 23-26 8 juillet 2008 Bongiorno et autres c Italie no 451407 sectsect 27-30
5 janvier 2010 Leone c Italie no 3050607 sectsect 26-29 2 feacutevrier 2010 et Capitani et
Campanella c Italie no 2492007 sectsect 26-29 17 mai 2011 32 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
33 Ibidem sectsect 92-93 voir aussi Nada c Suisse [GC] no 1059308 sect 225 CEDH 2012
Austin et autres c Royaume-Uni [GC] no 3969209 4071309 et 4100809 sect 57 CEDH
2012 Stanev c Bulgarie [GC] no 3676006 sect 115 CEDH 2012 et Medvedyev et autres
c France [GC] no 339403 sect 73 CEDH 2010
34 Guzzardi preacuteciteacute sect 95
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 61
et aux circonstances speacutecifiques entourant les restrictions agrave la liberteacute qui
srsquoeacuteloignent de la situation type qursquoest lrsquoincarceacuteration35
13 Dans lrsquoaffaire Guzzardi la Cour appeleacutee agrave examiner les mesures de
preacutevention personnelles appliqueacutees au requeacuterant a estimeacute que celui-ci avait
eacuteteacute priveacute de sa liberteacute et qursquoil y avait eu violation de lrsquoarticle 5 En effet
soupccedilonneacute drsquoappartenir agrave un laquo clan mafieux raquo le requeacuterant avait eacuteteacute
contraint de vivre sur une icircle dans une zone ndash non clocirctureacutee ndash de 25
kilomegravetres carreacutes en compagnie essentiellement de personnes se trouvant
dans une situation semblable ainsi que de personnel de surveillance
Lrsquoobligation de vivre sur lrsquoicircle avait eacuteteacute assortie drsquoautres restrictions
comparables aux mesures imposeacutees aux requeacuterants dans les affaires
mentionneacutees ci-dessus36
14 Toutes les autres affaires qui ont eacuteteacute examineacutees par la suite eacutetaient
similaires agrave lrsquoaffaire Guzzardi puisque les restrictions eacutetaient les mecircmes se
preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee de la
surveillance chercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois ne pas changer de
lieu de reacutesidence vivre honnecirctement et dans le respect des lois et ne pas
precircter agrave soupccedilon ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne pas sortir le matin avant six
heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les autoriteacutes en
temps utile ne deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes
cabarets salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer agrave des
reacuteunions publiques La seule diffeacuterence avec la situation dans lrsquoaffaire
Guzzardi reacuteside dans le fait que les requeacuterants nrsquoeacutetaient pas contraints de
vivre sur une icircle Sur ce fondement ces affaires ont eacuteteacute examineacutees
exclusivement sous lrsquoangle de lrsquoarticle 2 du Protocole no 437
15 Cette jurisprudence est contradictoire Drsquoun cocircteacute dans Guzzardi la
Cour a affirmeacute que les mesures de preacutevention appliqueacutees au requeacuterant en
vertu de la loi de 1956 impliquaient une privation de liberteacute Drsquoun autre
cocircteacute dans les affaires italiennes posteacuterieures agrave Guzzardi agrave commencer par
le facirccheux arrecirct Raimondo la Cour a jugeacute que les mesures en question ne
constituaient pas une privation de liberteacute mais une simple restriction agrave la
liberteacute de circulation38 Je suis drsquoavis que la Cour devrait revenir aux
35 Ibidem sect 92 voir aussi Engel et autres c Pays-Bas 8 juin 1976 sect 59 seacuterie A no 22
et Amuur c France 25 juin 1996 sect 43 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-III
36 Voir note no 26
37 Ciancimino Raimondo Labita Vito Sante Santoro et Monno tous preacuteciteacutes
38 La jurisprudence actuelle de la Cour repose sur un passage de Raimondo (sect 39) qui
affirme simplement sans aucun effort de justification que ces mesures doivent ecirctre
eacutevalueacutees comme des restrictions agrave la liberteacute de circulation deacutecoulant de lrsquoarticle 2 du
Protocole no 4 et qursquoelles laquo nrsquoentraicircn[ent] pas une privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5
sect 1 de la Convention raquo citant lrsquolaquo arrecirct Guzzardi c Italie preacuteciteacute p 33 sect 92 raquo mais
omettant tout le raisonnement qui suit dans ledit arrecirct et aboutit agrave cette conclusion
62 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
principes fondamentaux de lrsquoapproche Guzzardi comme elle lrsquoa redit
expresseacutement dans Ciulla39
16 Agrave mon avis si lrsquoon compare les mesures imposeacutees respectivement au
requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi et au requeacuterant dans lrsquoaffaire De
Tommaso on constate que ces deux personnes ont eacuteteacute soumises aux mecircmes
restrictions Mecircme si agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi le
requeacuterant en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas contraint de vivre sur une icircle dans une zone
ndash non clocirctureacutee ndash de 25 kilomegravetres carreacutes le cumul et la combinaison des
mesures imposeacutees dans le cas drsquoespegravece ont impliqueacute une privation de liberteacute
ndash et pas seulement une restriction de celle-ci ndash eu eacutegard surtout agrave
lrsquoobligation de ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et de ne pas
sortir le matin avant six heures
En pratique cette prescription est resteacutee en vigueur pendant 221 jours
combineacutee avec les obligations suivantes habiter dans une ville
particuliegravere se preacutesenter une fois par semaine agrave lrsquoautoriteacute de police chargeacutee
de la surveillance ne pas freacutequenter des personnes ayant fait lrsquoobjet de
condamnations et soumises agrave des mesures de preacutevention ou de sucircreteacute ne
deacutetenir ni porter aucune arme ne pas freacutequenter les cafeacutes cabarets salles
de jeux et lieux de prostitution (osterie bettole sale giochi et luoghi onde si
esercita il meretricio) ne pas participer agrave des reacuteunions publiques quelles
qursquoelles soient (di qualsiasi genere) vivre honnecirctement (vivere
onestamente) Enfin le requeacuterant a eacutegalement fait lrsquoobjet drsquoune restriction
relative aux communications teacuteleacutephoniques
17 Toutefois agrave la diffeacuterence du requeacuterant dans lrsquoaffaire Guzzardi qui
devait signaler par avance aux autoriteacutes le numeacutero et le nom de son
correspondant quand il souhaitait donner ou recevoir un appel teacuteleacutephonique
longue distance le requeacuterant en lrsquoespegravece ne pouvait pas utiliser les
teacuteleacutephones portables et appareils radioeacutelectriques mesure qui de toute
eacutevidence aggravait sa situation
18 Cela eacutetant eacutetabli il faut souligner que lrsquoon ne doit pas se baser
exclusivement sur la superficie du lieu ougrave le requeacuterant est obligeacute de reacutesider
pour constater que lrsquoarticle 5 est applicable Pour ce qui est de la laquo situation
concregravete raquo du preacutesent requeacuterant40 jrsquoobserve que lrsquoassignation agrave reacutesidence a
eacuteteacute imposeacutee agrave celui-ci pendant 221 jours (du 4 juillet 2008 au 4 feacutevrier
2009) soit 1 768 heures (221 jours x 8 heures) Dans ce contexte il
convient de rappeler lrsquoexistence drsquoune abondante jurisprudence de la Cour
strictement opposeacutee laquo Tout bien peseacute la Cour estime que le cas drsquoespegravece se range dans la
cateacutegorie des privations de liberteacute raquo
39 Ciulla c Italie 22 feacutevrier 1989 sect 40 seacuterie A no 148 Cette affaire eacutevoquait une
disposition sur la detenzione provvisoria qui fut par la suite abrogeacutee Jrsquoobserve par ailleurs
que cette approche a aussi eacuteteacute confirmeacutee mutatis mutandis dans une reacutecente affaire
allemande (Ostendorf c Allemagne no 1559808 7 mars 2013)
40 Guzzardi preacuteciteacute sect 92
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 63
concernant des situations ougrave la privation du droit agrave la liberteacute a dureacute bien
moins longtemps qursquoen lrsquoespegravece41
19 Par ailleurs on peut utilement se reacutefeacuterer agrave la jurisprudence de la
Cour sur lrsquoassignation agrave domicile Selon la jurisprudence Buzadji
lrsquoassignation agrave domicile est une forme de privation de liberteacute au regard de
lrsquoarticle 5 de la Convention42 Lrsquoassignation agrave domicile consiste en une
interdiction faite au suspect de sortir de chez lui sans la permission des
autoriteacutes compeacutetentes Selon lrsquoarticle 284 du code de proceacutedure peacutenale en
regravegle geacuteneacuterale la personne concerneacutee ne peut quitter son domicile tant
qursquoelle est lrsquoobjet drsquoun arresto domiciliario Le tribunal peut toutefois
lrsquoautoriser agrave quitter son domicile pour aller travailler ou pour drsquoautres
laquo occupations essentielles raquo (indispensabili esigenze di vita) La disposition
en question ne preacutecise pas combien drsquoheures lrsquointeacuteresseacute peut passer hors de
chez lui laissant cette deacutecision agrave lrsquoappreacuteciation du tribunal La disposition
relative agrave la detenzione domiciliare (article 47 ter 4) de la loi no 3541975)
renvoie audit article 284 pour le reacutegime de la peine Le non-respect de ces
dispositions est reacuteprimeacute par lrsquoarticle 385 du code peacutenal qui preacutevoit une
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave un an et en cas de recours agrave
la violence jusqursquoagrave cinq ans
En fait la situation en lrsquoespegravece nrsquoeacutetait pas diffeacuterente Le requeacuterant nrsquoeacutetait
pas libre de quitter sa maison entre vingt-deux heures et six heures agrave moins
drsquoen avoir laquo averti en temps utile raquo (tempestiva notizia) les autoriteacutes de
surveillance et uniquement en cas de laquo neacutecessiteacute eacutetablie raquo (comprovata
necessitagrave) Le non-respect de cette obligation leacutegale eacutetait passible drsquoune
peine drsquoemprisonnement pouvant aller jusqursquoagrave cinq ans
20 Il srsquoensuit que lrsquoarticle 5 est applicable agrave cette forme de privation de
liberteacute comme il lrsquoeacutetait dans les affaires Guzzardi et Ciulla (toutes deux
preacuteciteacutees) Il y aurait laquo fraude agrave lrsquoeacutetiquette raquo (frode delle etichette) si
lrsquoarticle 5 sect 1 nrsquoeacutetait pas jugeacute applicable aux mesures preacutevues par la loi de
1956 eu eacutegard agrave leur caractegravere fort intrusif en matiegravere de limitation de la
liberteacute en geacuteneacuteral et en lrsquoespegravece
41 Comparer avec onze heures dans Quinn c France 22 mars 1995 sect 42 seacuterie A no 311
douze heures dans Labita preacuteciteacute sect 166 trois jours dans Mancini c Italie no 4495598
sect 25 CEDH 2001-IX six mois dans Brand c Pays-Bas no 4990299 sect 60 11 mai 2004
Pour drsquoautres bregraveves peacuteriodes de privation de liberteacute voir Murray c Royaume-Uni
28 octobre 1994 sectsect 49 et suivants seacuterie A no 300-A concernant une deacutetention de moins de
trois heures dans un centre de lrsquoarmeacutee pour interrogatoire Novotka c Slovaquie (deacutec)
no 4724499 4 novembre 2003 concernant une heure de garde agrave vue Shimovolos
c Russie no 3019409 sectsect 49-50 21 juin 2011 concernant une garde agrave vue de
quarante-cinq minutes pour interrogatoire voir aussi Witold Litwa c Pologne
no 2662995 sect 46 CEDH 2000‑III concernant le maintien dans une uniteacute de deacutegrisement
pendant six heures et demie
42 Buzadji c Reacutepublique de Moldova [GC] no 2375507 sect 104 CEDH 2016
64 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
B Application de lrsquoarticle 5 en lrsquoespegravece absence de motif tireacute de la
Convention justifiant une privation de liberteacute (sectsect 21-31)
21 Je souscris sans reacuteserve agrave lrsquoappreacuteciation faite par la Grande Chambre
de lrsquoinsuffisante qualiteacute de la loi examineacutee concernant agrave la fois la liste des
personnes auxquelles les mesures peuvent ecirctre appliqueacutees (article 1 de la loi
de 1956) et les mesures elles-mecircmes (articles 3 et 5 de la loi de 1956)
22 Les louables efforts de la Cour constitutionnelle italienne pour
restreindre la porteacutee des notions employeacutees dans ces dispositions ne
suffisent pas agrave les soustraire agrave la critique du deacutefaut de preacutevisibiliteacute Le
citoyen ordinaire ne pouvait pas preacutevoir quel type concret de comportement
risquait drsquoecirctre englobeacute par la disposition pertinente de la loi de 1956 et
quelle mesure speacutecifique serait appliqueacutee agrave sa conduite et ce pour la simple
raison que la loi eacutetait libelleacutee de faccedilon trop geacuteneacuterale et pacirctissait de notions
vagues et indeacutefinies le tout combineacute parfois agrave un ton moralisateur Comme
la loi nrsquoeacutetablissait pas de relation claire et preacutevisible entre tel type concret
de comportement et telle ou telle mesure peacutenale une trop grande latitude
eacutetait laisseacutee agrave la police et au parquet43
23 Mais ce nrsquoest pas tout La Grande Chambre aurait ducirc aller plus loin
dans son analyse En sus de la qualiteacute deacuteficiente de la loi la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne correspond agrave aucun des motifs qui se trouvent
eacutenumeacutereacutes de maniegravere exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
24 Je reacutepegravete ce que lrsquoarrecirct Guzzardi a deacutejagrave indiqueacute de maniegravere fort
convaincante lrsquoassignation agrave reacutesidence du requeacuterant et lrsquoobligation qui lui a
eacuteteacute faite de rester chez lui huit heures par jour aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales ne peuvent pas ecirctre consideacutereacutees comme englobeacutees dans
les situations eacutenumeacutereacutees de faccedilon exhaustive agrave lrsquoarticle 5 sect 144
25 Lrsquoarticle 5 sect 1 a) de la Convention ne srsquoapplique pas45 Lrsquoassignation
agrave reacutesidence du requeacuterant nrsquoeacutetait pas une sanction pour une infraction
donneacutee mais une mesure de preacutevention adopteacutee en raison drsquoindices relatifs
agrave une propension agrave la deacutelinquance La nature de cette mesure nrsquoeacutetait pas
43 La legge-delega no 136 du 13 aoucirct 2010 a exigeacute que les cateacutegories de personnes
auxquelles srsquoappliquaient les mesures fussent eacutetablies agrave partir de laquo conditions clairement
deacutefinies eacutevoquant lrsquoexistence de circonstances de fait raquo (laquo che venga definita in maniera
organica la categoria dei destinatari delle misure di prevenzione personali e patrimoniali
ancorandone la previsione a presupposti chiaramente definiti e riferiti in particolare
allesistenza di circostanze di fatto che giustificano lapplicazione delle suddette misure di
prevenzione e per le sole misure personali anche alla sussistenza del requisito della
pericolositagrave del soggetto raquo) Cela ne peut ecirctre interpreacuteteacute que comme la reconnaissance
implicite par les autoriteacutes nationales du manque de clarteacute de la loi de 1956
44 Voir a contrario Danov c Bulgarie no 5679600 26 octobre 2006 Mancini preacuteciteacute
sect 20 Nikolova c Bulgarie (no 2) no 4089698 30 septembre 2004 et Vachev c Bulgarie
no 4298798 sect 64 CEDH 2004-VIII
45 Guzzardi preacuteciteacute sect 100
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 65
celle drsquoune deacutetention qui se produit laquo agrave la suite et par suite raquo ou laquo en vertu raquo
de la laquo condamnation raquo46
26 Lrsquoarticle 5 sect 1 b) de la Convention ne srsquoapplique pas47 La deacutetention
du requeacuterant nrsquoest pas reacutesulteacutee drsquoune insoumission agrave une ordonnance48 ou de
la neacutecessiteacute de garantir lrsquoexeacutecution drsquoune obligation speacutecifique prescrite par
la loi49
27 Lrsquoarticle 5 sect 1 c) de la Convention ne srsquoapplique pas50 Le requeacuterant
ne se trouvait dans aucune des situations viseacutees agrave lrsquoalineacutea c) Il nrsquoy avait pas
de laquo raisons plausibles de [le] soupccedilonner [drsquoune] infraction raquo ni de
laquo motifs raisonnables de croire agrave la neacutecessiteacute de lrsquoempecirccher de commettre
une infraction raquo ou de laquo srsquoenfuir apregraves lrsquoaccomplissement de celle-ci raquo La
raison en est simple selon la jurisprudence fermement eacutetablie de la Cour
un soupccedilon aux fins de lrsquoarticle 5 sect 1 c) doit porter sur une laquo infraction
concregravete et deacutetermineacutee raquo51 ce qui nrsquoeacutetait pas le cas dans la loi italienne de
1956
28 Lrsquoarticle 5 sect 1 d) ne srsquoapplique pas52 car le requeacuterant nrsquoeacutetait pas
mineur
29 Lrsquoarticle 5 sect 1 e) ne srsquoapplique pas53 puisque le requeacuterant ne relevait
drsquoaucune des cateacutegories de personnes viseacutees par cette disposition
30 Enfin lrsquoarticle 5 sect 1 f) nrsquoentre pas non plus en ligne de compte ici54
31 En reacutesumeacute la privation de liberteacute du requeacuterant est critiquable pour
ces deux raisons principales premiegraverement elle nrsquoeacutetait pas compatible avec
le principe de leacutegaliteacute eacutenonceacute agrave lrsquoarticle 5 sect 1 de la Convention
deuxiegravemement elle ne relevait drsquoaucune des exceptions preacutevues agrave lrsquoarticle 5
sect 1 alineacuteas a) agrave f) Or lrsquoarrecirct de la Cour ne traite que le premier aspect Agrave
mon avis il eacutetait impeacuteratif que la Cour aille plus loin et se penche sur la
question deacutelicate de la compatibiliteacute avec la Convention de la privation du
droit agrave la liberteacute ante o praeter delictum aux fins de la preacutevention des
infractions peacutenales
Compte tenu de ce qui preacutecegravede la conclusion srsquoimpose la Convention
ne fournit pas de motif justifiant la privation du droit agrave la liberteacute ante o
praeter delictum aux fins de la preacutevention des infractions peacutenales
46 Voir a contrario Van Droogenbroeck c Belgique 24 juin 1982 sect 35 seacuterie A no 50
47 Guzzardi preacuteciteacute sect 101
48 Voir a contrario Steel et autres c Royaume-Uni 23 septembre 1998 sect 66 Recueil
1998-VII Nowicka c Pologne no 3021896 sect 60 3 deacutecembre 2002 Harkmann c Estonie
no 219203 sect 30 11 juillet 2006 et Gatt c Malte no 2822108 sect 36 CEDH 2010
49 Voir a contrario Vasileva c Danemark no 5279299 sect 36 25 septembre 2003 et
Epple c Allemagne no 7790901 sect 36 24 mars 2005
50 Guzzardi preacuteciteacute sect 102
51 Ibidem voir aussi Lawless c Irlande (no 3) 1er juillet 1961 seacuterie A no 3 et Fox
Campbell et Hartley c Royaume-Uni 30 aoucirct 1990 seacuterie A no 182
52 Guzzardi preacuteciteacute sect 103
53 Ibidem sect 98
54 Ibidem sect 103
66 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
Deuxiegraveme partie (sectsect 32-58)
IV Garanties proceacutedurales relatives aux mesures de preacutevention
(sectsect 32-48)
A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 (volet peacutenal) de la Convention
(sectsect 32-43)
32 Selon la jurisprudence Engel et autres55 les critegraveres pertinents dans
la deacutetermination de lrsquoapplicabiliteacute du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sont la
qualification juridique de lrsquoinfraction en question en droit interne la nature
mecircme de lrsquoinfraction et la nature et le degreacute de seacuteveacuteriteacute de la sanction dont
lrsquointeacuteresseacute est passible Ces critegraveres sont par ailleurs alternatifs et non
cumulatifs pour que lrsquoarticle 6 srsquoapplique au titre des mots laquo accusation en
matiegravere peacutenale raquo il suffit que lrsquoinfraction en cause soit par nature
laquo peacutenale raquo au regard de la Convention ou ait exposeacute lrsquointeacuteresseacute agrave une
sanction qui par sa nature et son degreacute de graviteacute ressortit en geacuteneacuteral agrave la
laquo matiegravere peacutenale raquo Cela nrsquoempecircche pas lrsquoadoption drsquoune approche
cumulative si lrsquoanalyse seacutepareacutee de chaque critegravere ne permet pas drsquoaboutir agrave
une conclusion claire quant agrave lrsquoexistence drsquoune laquo accusation en matiegravere
peacutenale raquo56
33 Un certain nombre drsquoarguments eacutetayent le constat selon lequel les
diffeacuterentes mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 sont des
mesures peacutenales au regard des critegraveres susmentionneacutes
Premiegraverement les mesures de preacutevention personnelles preacutevues par la loi
de 1956 reposaient sur une laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de la
Convention Lrsquoaccusation consistait agrave imputer agrave lrsquointeacuteresseacute une conduite
dangereuse ou une personnaliteacute dangereuse faisant soupccedilonner un avenir
criminel Comme la Cour lrsquoa souligneacute dans Deweer57 elle doit veacuterifier srsquoil y
a eu des laquo reacutepercussions importantes sur la situation [du suspect] raquo Cela
correspond parfaitement agrave la situation viseacutee par la loi de 1956 car la
personne concerneacutee par une telle proceacutedure devenait un laquo suspect raquo (voir les
termes correspondants agrave lrsquoarticle 4 de la loi sospetti agrave lrsquoarticle 5 persona
sospetta di vivere di non dare ragione di sospetti)
34 Deuxiegravemement degraves lrsquoouverture drsquoune proceacutedure fondeacutee sur la loi de
1956 le suspect pouvait ecirctre soumis agrave des restrictions provisoires de ses
droits en vertu de lrsquoarticle 6 de ladite loi
35 Troisiegravemement si le soupccedilon eacutetait confirmeacute par un jugement le
suspect eacutetait soumis agrave des mesures particuliegraverement restrictives touchant un
55 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
56 Jussila c Finlande [GC] no 7305301 sectsect 30-31 CEDH 2006-XIV et Zaicevs
c Lettonie no 6502201 sect 31 31 juillet 2007
57 Deweer c Belgique 27 feacutevrier 1980 sect 46 seacuterie A no 35
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 67
large eacuteventail de liberteacutes fondamentales pour une peacuteriode qui pouvait aller
jusqursquoagrave cinq ans En vertu de lrsquoarticle 11 de la loi de 1956 cette limite
pouvait ecirctre eacutetendue si le suspect commettait un deacutelit pendant la peacuteriode de
surveillance speacuteciale La seacuteveacuteriteacute de ces mesures est indiscutable
36 Quatriegravemement en principe la Cour constitutionnelle elle-mecircme
considegravere les mesures de preacutevention preacutevues par la loi de 1956 comme eacutetant
de nature peacutenale au mecircme titre que les mesures de sucircreteacute Il y a longtemps
dans son arrecirct no 68 de 1964 la haute juridiction a releveacute laquo il fondamento
commune e la commune finalitagrave raquo des mesures de sucircreteacute (misure di
sicurezza) et des mesures de preacutevention (misure di prevenzione)58 Dans son
arrecirct no 177 de 1980 la Cour constitutionnelle a assimileacute les mesures de
preacutevention personnelles fondeacutees sur la loi de 1956 aux mesures de sucircreteacute
preacutevues par le code peacutenal comme srsquoil srsquoagissait de laquo deux espegraveces drsquoun
mecircme genre raquo59 En conseacutequence elle leur applique les garanties des
principes de leacutegaliteacute et de preacutesomption drsquoinnocence60 Cependant agrave lrsquoinstar
des mesures de sucircreteacute les mesures de preacutevention ne sont pas limiteacutees par le
principe drsquointerdiction des lois reacutetroactives61
37 Cinquiegravemement ces mesures avaient un but preacuteventif geacuteneacuteral et
speacutecial comme toute sanction peacutenale classique En reacutealiteacute elles reposaient
eacutegalement sur le caractegravere socialement reacutepreacutehensible de la conduite du
suspect facteur qui se trouve aussi agrave la base de lrsquoapplication de toute
sanction peacutenale La doctrine italienne a toujours souligneacute lrsquoexistence drsquoun
lien eacutetroit entre les mesures de preacutevention personnelles et le droit peacutenal et
ses objectifs62
38 Sixiegravemement le non-respect des mesures peacutenales preacutevues par la loi
de 1956 eacutetait passible drsquoune peine qui pouvait aller jusqursquoagrave cinq ans
drsquoemprisonnement63 Au caractegravere fortement reacutepressif des mesures de
58 Des articles 10 et 12 sect 3 de la loi de 1956 lrsquoon pouvait deacuteduire ce principe une
mesure de sucircreteacute preacutevalait sur une mesure de preacutevention lorsque toutes deux eacutetaient
appliqueacutees mais elles pouvaient dans certaines circonstances ecirctre appliqueacutees conjointement
(Cour de cassation section I 7 feacutevrier 2011 Macri)
59 Le passage pertinent est le suivant laquo lapplicazione delle misure di sicurezza
personali finalizzate anche esse a prevenire la commissione di (ulteriori) reati (e che non
sempre presuppongono la commissione di un precedente reato art 49 secondo e quarto
comma e art 115 secondo e quarto comma del codice penale) talcheacute possono
considerarsi una delle due species di un unico genus raquo
60 Voir les arrecircts nos 231964 et 1771980 susmentionneacutes de la Cour constitutionnelle
61 Cour de cassation section I 17 mai 1984 no 1193
62 Voir notamment Nuvolone laquo La prevenzione nella teoria generale del diritto penale raquo
Rivista Italiana di Diritto e Procedura Penale 1956 Piroddi Le misure di prevenzione di
pubblica sicurezza 1971 Vassalli laquo Misure di prevenzione e diritto penale raquo Studi in
onore di B Petrocelli vol III 1972
63 Des statistiques verseacutees au dossier indiquent que de 2005 agrave 2014 16 461 personnes
ont eacuteteacute condamneacutees pour non-respect des mesures de preacutevention qui leur eacutetaient appliqueacutees
Bien qursquointerrogeacute agrave ce sujet le Gouvernement nrsquoa pas fourni drsquoinformations sur le nombre
de personnes de ce groupe qui ont eacuteteacute condamneacutees agrave des peines drsquoemprisonnement
68 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
preacutevention srsquoajoutait le fait que lrsquoapplication de telles mesures eacutetait
consideacutereacutee comme un facteur aggravant dans le cadre de la fixation des
peines pour diverses infractions peacutenales relevant du code peacutenal
39 Septiegravemement lrsquoarticle 4 de la loi de 1956 preacutevoyait que les articles
geacuteneacuteraux 636 et 637 du code de proceacutedure peacutenale qui reacutegissent la proceacutedure
peacutenale eacutetaient eacutegalement applicables aux mesures de preacutevention
personnelles La Cour constitutionnelle a elle-mecircme reconnu dans son arrecirct
no 306 de 1997 qursquoen deacutepit des diffeacuterences entre la proceacutedure peacutenale
ordinaire et la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention laquo la seconde
est modeleacutee selon les formes de la premiegravere raquo (questrsquoultimo si trova ad
essere modellato sulle forme del primo) La notification relative agrave la tenue
de lrsquoaudience dans la proceacutedure relative aux mesures de preacutevention
srsquoapparentait agrave une veacuteritable vocatio in iudicium semblable au decreto di
citazione dans la proceacutedure peacutenale ordinaire et la deacutecision judiciaire
imposant une mesure de preacutevention ressemblait agrave une veacuteritable sentenza qui
devait ecirctre motiveacutee64
40 Huitiegravemement si les garanties drsquoun procegraves public et eacutequitable
srsquoappliquent aux mesures de preacutevention patrimoniales comme la Cour lrsquoa
deacutejagrave souligneacute dans les affaires Bocellari et Rizza et Capitani et Campanella
(toutes deux preacuteciteacutees) elles doivent a fortiori srsquoappliquer aux mesures de
preacutevention personnelles (misure di prevenzione personali)
41 Neuviegravemement compte tenu de la graviteacute des mesures applicables il
serait inconcevable que le suspect dans une proceacutedure viseacutee par la loi de
1956 nrsquoait pas le droit drsquoecirctre informeacute de lrsquoaccusation porteacutee contre lui
(article 6 sect 3 a)) le droit de disposer du temps et des faciliteacutes neacutecessaires agrave
la preacuteparation de sa deacutefense le droit de se deacutefendre lui-mecircme et de preacutesenter
les preuves agrave deacutecharge (article 6 sect 3 b) et c) et le droit agrave lrsquoassistance drsquoun
deacutefenseur de son choix (6 sect 3 c)) Ces exigences fondamentales associeacutees agrave
la proceacutedure peacutenale srsquoappliquent de mecircme dans le cadre de la loi de 1956
ainsi laquo lrsquointeacuteresseacute peut preacutesenter des observations et se faire repreacutesenter par
un avocat raquo (arrecirct de la Cour constitutionnelle no 761970)
42 Dixiegravemement la Cour a estimeacute que les infractions disciplinaires
relevaient du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 de la Convention en raison surtout de
la graviteacute de la peine65 Dans lrsquoabstrait les mesures applicables lors drsquoune
proceacutedure fondeacutee sur la loi de 1956 eacutetaient plus seacutevegraveres que les sanctions
disciplinaires habituelles Les mesures de preacutevention imposeacutees au requeacuterant
64 Cairo et Forte Codice delle misure di prevenzione annotato Rome 2014 p 23
65 Engel et autres preacuteciteacute sect 85 Campbell et Fell c Royaume-Uni 28 juin 1984 sect 73
seacuterie A no 80 Ezeh et Connors c Royaume-Uni [GC] nos 3966598 et 4008698 sect 130
CEDH 2003-X et mutatis mutandis Dacosta Silva c Espagne no 6996601 sectsect 46-50
CEDH 2006-XIII
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 69
confirment cette appreacuteciation geacuteneacuterale Degraves lors le volet peacutenal de lrsquoarticle 6
devrait a fortiori ecirctre applicable en lrsquoespegravece66
43 Agrave la lumiegravere de ce qui preacutecegravede les mesures de preacutevention
personnelles preacutevues par la loi de 1956 sont de nature peacutenale Tous les
critegraveres classiques issus de la jurisprudence Engel et autres sont remplis67
La preacutesente espegravece reflegravete manifestement le caractegravere excessivement punitif
des mesures de preacutevention fondeacutees sur la loi de 1956 degraves lors que la liste
des mesures applicables est non exhaustive et excessivement eacutetendue et que
la dureacutee drsquoapplication possible est trop longue (cinq ans avec possibiliteacute de
prolongation) En outre lrsquoatteinte aux liberteacutes fondamentales du suspect est
si grave qursquoelle rend neacutecessaires les garanties du volet peacutenal de lrsquoarticle 6
La situation est particuliegraverement critique en Italie ougrave ces mesures peuvent
ecirctre appliqueacutees mecircme apregraves un acquittement au peacutenal
B Application de lrsquoarticle 6 en lrsquoespegravece absence de procegraves public et
eacutequitable (sectsect 44-48)
44 Les griefs formuleacutes sous lrsquoangle de lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) peuvent
se reacutesumer comme suit deacutefaut de publiciteacute des audiences absence
drsquoappreacuteciation adeacutequate des eacuteleacutements de preuve et absence de recours
Lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) eacutetant applicable il reste agrave deacuteterminer srsquoil a eacuteteacute
violeacute Agrave mon avis il y a eu violation de cet article et ce pour trois raisons
45 Comme la Cour constitutionnelle lrsquoa reconnu dans son arrecirct
no 932010 la tenue drsquoune audience publique est une exigence fondamentale
pour ce type de proceacutedure Le Gouvernement a admis que le requeacuterant avait
subi une violation de lrsquoarticle 6 sect 1 en raison du deacutefaut de publiciteacute de la
proceacutedure devant les juridictions internes
46 Deux graves erreurs ont eacuteteacute commises dans lrsquoeacutevaluation des
preuves drsquoabord au sujet de lrsquoemploi agricole du requeacuterant depuis 2005
comme lrsquoa reconnu la cour drsquoappel (apregraves sa sortie de prison en 2005 le
requeacuterant avait toujours eu une activiteacute professionnelle licite lui assurant
une source de revenus digne) (laquo dopo la sua scarcerazione del 2005 si egrave
costantemente dediato sino ad oggi ad attivitagrave lavorativa lecita che gli
assicura una fonte dignitosa di sostentamento raquo) contredisant lrsquoappreacuteciation
du tribunal de premiegravere instance ensuite concernant les infractions
alleacutegueacutees aux obligations associeacutees agrave la mesure de surveillance speacuteciale
(laquo violazioni agli obblighi di sorveglianza raquo) Une grave erreur sur la
personne a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoappel qui a explicitement deacuteclareacute que
les infractions aux obligations deacutecoulant de lrsquoapplication de la mesure de
surveillance speacuteciale concernaient une autre personne
66 Dans lrsquoarrecirct Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) la Cour a jugeacute que lrsquoarticle 6 sous son volet
peacutenal nrsquoeacutetait pas applicable mais elle ne srsquoest pencheacutee sur aucun des arguments ci-dessus
67 Engel et autres preacuteciteacute sectsect 82-83
70 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
47 Bien que drsquoordinaire la Cour ne srsquooccupe pas des erreurs commises
dans lrsquoappreacuteciation des preuves elle le fait lorsque ces erreurs sont criantes
et flagrantes comme en lrsquoespegravece En effet ces erreurs eacutetaient drsquoune ampleur
telle qursquoelles ont porteacute atteinte agrave lrsquoeacutequiteacute eacuteleacutementaire de la proceacutedure
Jrsquoobserve en outre que le tribunal de premiegravere instance nrsquoa consacreacute que
deux brefs paragraphes agrave la justification de la mesure en cause
48 En reacutesumeacute lrsquoarticle 6 (volet peacutenal) est applicable et il y a eu
violation de cette disposition
V Recours internes dans le cas drsquoespegravece (sectsect 49-58)
A Absence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai (sectsect 49-53)
49 Ayant voteacute contre la deacutecision drsquoirrecevabiliteacute du grief tireacute de
lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute sur le fond en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 et ce pour les raisons exposeacutees ci-apregraves
Le requeacuterant a eacuteteacute soumis agrave un nombre excessif de mesures peacutenales
vastes et diverses pendant un trop long laps de temps et de faccedilon
disproportionneacutee aux soupccedilons vagues et infondeacutes qui pesaient sur lui Il
faut souligner que les mesures en question ont eacuteteacute appliqueacutees au requeacuterant
pendant 221 jours malgreacute le deacutelai leacutegal de trente jours dont disposait la cour
drsquoappel pour statuer Ce deacutelai preacutevu par le droit interne lui-mecircme nrsquoa pas
eacuteteacute respecteacute
50 En lrsquoespegravece les mesures ont eacuteteacute annuleacutees ex tunc ce qui a remis en
cause leur base leacutegale68 Le requeacuterant a ducirc supporter une charge excessive
puisque lrsquoadoption drsquoune deacutecision sur la leacutegaliteacute des mesures en question a
pris sept mois alors que la loi preacutevoit un deacutelai de trente jours et le juste
eacutequilibre a donc eacuteteacute rompu
51 Cela eacutetant eacutetabli il mrsquoapparaicirct clairement qursquoil nrsquoy a pas eu de
recours approprieacute comme il reacutesulte de la ratio de lrsquoarrecirct no 932010 de la
Cour constitutionnelle sur lrsquoabsence drsquoaudience publique devant la cour
drsquoappel et la reacuteponse excessivement tardive de la juridiction de deuxiegraveme
instance
52 Par ailleurs en garantissant aux deacutetenus un recours pour contester la
reacutegulariteacute de leur privation de liberteacute lrsquoarticle 5 sect 4 consacre aussi le droit
pour eux agrave la suite de lrsquoinstitution drsquoune telle proceacutedure drsquoobtenir agrave bref
deacutelai une deacutecision judiciaire concernant la reacutegulariteacute de leur deacutetention et
mettant fin agrave celle-ci si elle se reacutevegravele illeacutegale En outre la question de savoir
si le droit des personnes deacutetenues agrave une deacutecision rapide a bien eacuteteacute respecteacute
68 Il nrsquoy avait pas de base leacutegale et factuelle aux mesures peacutenales appliqueacutees comme lrsquoa
reconnu la cour drsquoappel en deacuteclarant les mesures litigieuses nulles ex tunc Les mesures ont
eacuteteacute annuleacutees (annullato) ndash non pas reacutevoqueacutees ndash pour deacutefaut drsquoobservation des exigences
leacutegales degraves le jour ougrave avait statueacute le tribunal de premiegravere instance
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 71
doit ecirctre appreacutecieacutee ndash comme lrsquoobservation de lrsquoexigence du laquo deacutelai
raisonnable raquo poseacutee par les articles 5 sect 3 et 6 sect 1 de la Convention ndash agrave la
lumiegravere des circonstances de chaque affaire69
53 La proceacutedure engageacutee devant la cour drsquoappel nrsquoeacutetait pas compatible
avec lrsquoarticle 5 sect 4 degraves lors qursquoelle nrsquoa pas satisfait agrave lrsquoexigence de ceacuteleacuteriteacute
Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 5 sect 4 de la Convention70 Le grief tireacute de
lrsquoarticle 5 ayant eacuteteacute deacuteclareacute irrecevable agrave la majoriteacute jrsquoai voteacute en faveur drsquoun
constat de violation de lrsquoarticle 13 en raison de la deacuteficience susmentionneacutee
du recours interne en cas drsquoabsence de controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
B Deacutefaut drsquoindemnisation pour mesure de preacutevention illeacutegale
(sectsect 54-58)
54 Selon la jurisprudence constante de la Cour le droit agrave reacuteparation
eacutenonceacute au paragraphe 5 de lrsquoarticle 5 de la Convention suppose qursquoune
violation de lrsquoun des autres paragraphes de cette disposition ait eacuteteacute eacutetablie
par une autoriteacute nationale ou par les institutions de la Convention71 En
lrsquoespegravece le paragraphe 5 aurait ducirc ecirctre appliqueacute compte tenu de la violation
de lrsquoarticle 5 sect 1 En conseacutequence la Cour aurait ducirc rechercher si le
requeacuterant disposait en droit italien drsquoun recours aux fins de lrsquoarticle 5 sect 5 de
la Convention
55 Lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale preacutevoit un droit agrave
reacuteparation dans deux cas distincts lorsque agrave lrsquoissue de la proceacutedure peacutenale
sur le fond lrsquoaccuseacute est acquitteacute (reacuteparation pour injustice laquo mateacuterielle raquo
preacutevue agrave lrsquoalineacutea 1) ou lorsqursquoil est eacutetabli que le suspect a eacuteteacute placeacute ou
maintenu en deacutetention provisoire au meacutepris des articles 273 et 280 du code
de proceacutedure peacutenale (reacuteparation pour injustice laquo proceacutedurale raquo preacutevue agrave
lrsquoalineacutea 2)
56 Dans son arrecirct no 310 de 1996 la Cour constitutionnelle a estimeacute
que au-delagrave des cas preacutevus par lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale
les individus ont un droit agrave reacuteparation eacutegalement dans le cas ougrave la deacutetention
injuste est la conseacutequence drsquoun ordre drsquoexeacutecution de la peine illeacutegitime En
outre dans son arrecirct no 284 de 2003 la Cour constitutionnelle a preacuteciseacute que
le droit agrave reacuteparation pour deacutetention injuste nrsquoeacutetait pas exclu par le seul motif
que lrsquoordre drsquoexeacutecution eacutetait leacutegitime ou que la deacutetention eacutetait la
conseacutequence drsquoune conduite reacuteguliegravere des autoriteacutes internes Ce qui
comptait crsquoeacutetait lrsquoinjustice objective (obiettiva ingiustizia) de la privation
de liberteacute
69 Voir entre autres Rehbock c Sloveacutenie no 2946295 sect 84 CEDH 2000-XII
Mamedova c Russie no 706405 sect 96 1er juin 2006 GB c Suisse no 2742695 sect 33
30 novembre 2000 et Kadem c Malte no 5526300 sect 44 9 janvier 2003
70 Rizzotto c Italie no 1534906 sectsect 30-36 24 avril 2008
71 NC c Italie [GC] no 2495294 sect 49 CEDH 2002-X
72 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
57 Ce qui preacutecegravede montre clairement qursquoaucune disposition ne
permettait au requeacuterant de former aupregraves des juridictions nationales une
demande drsquoindemnisation pour une mesure de surveillance speacuteciale La
lecture de lrsquoarticle 314 du code de proceacutedure peacutenale et de la jurisprudence
pertinente de la Cour constitutionnelle fait apparaicirctre que la possibiliteacute de
demander reacuteparation drsquoun preacutejudice subi en raison drsquoune mesure de
surveillance speacuteciale nrsquoest preacutevue dans aucun des cas de figure eacutevoqueacutes
ci-dessus En fait le Gouvernement lui-mecircme a deacutejagrave reconnu cette lacune
dans Vito Sante Santoro (preacuteciteacute)72
58 En conseacutequence il y a eacutegalement eu violation du paragraphe 5 de
lrsquoarticle 5 de la Convention73 Eu eacutegard aux conclusions de la majoriteacute
relativement agrave lrsquoarticle 5 jrsquoai voteacute en faveur drsquoun constat de violation de
lrsquoarticle 13 de la Convention car les voies de recours internes nrsquoont pas
permis la reacuteparation du dommage subi par le requeacuterant lacune qui srsquoest
ajouteacutee agrave lrsquoabsence drsquoun controcircle juridictionnel agrave bref deacutelai
VI Conclusion (sectsect 59-60)
59 Les articles 5 et 6 (volet peacutenal) de la Convention sont applicables agrave
la preacutesente affaire En raison drsquoune seacuterie de mesures peacutenales draconiennes
le requeacuterant a eacuteteacute victime de la violation de ses droits deacutecoulant de ces
articles Ces mesures sont un vestige obsolegravete de structures juridiques
liberticides un reliquato superato di strutture giuridiche liberticide qui agrave la
lumiegravere des conditions actuelles74 sont totalement contraires agrave la
preacuteeacuteminence du droit inheacuterente agrave un Eacutetat deacutemocratique au droit agrave la liberteacute
et aux exigences eacuteleacutementaires drsquoeacutequiteacute et de publiciteacute du procegraves consacreacutees
par les articles 5 et 6 de la Convention sans parler drsquoautres liberteacutes et droits
fondamentaux comme la liberteacute de reacuteunion
60 La marche agrave suivre est claire le leacutegislateur italien doit de toute
eacutevidence tirer du preacutesent arrecirct toutes les conclusions logiques qui
srsquoimposent au sujet du reacutecent deacutecret leacutegislatif no 1592011 Le plus tocirct sera
le mieux
72 Vito Sante Santoro preacuteciteacute sect 45
73 Seferovic c Italie no 1292104 sect 49 8 feacutevrier 2011 Pezone c Italie no 4209898
sectsect 51-56 18 deacutecembre 2003 et Fox Campbell et Hartley preacuteciteacute sect 46
74 Tyrer c Royaume-Uni 25 avril 1978 sect 31 seacuterie A no 26
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 73
OPINION EN PARTIE DISSIDENTE DU JUGE KŪRIS
(Traduction)
1 Comme le juge Pinto de Albuquerque je suis drsquoavis que lrsquoarticle 5 de
la Convention eacutetait applicable au cas drsquoespegravece Je souscris reacutesolument aux
arguments de mon eacuteminent collegravegue exposeacutes dans son opinion en partie
dissidente concernant le caractegravere peacutenal des mesures laquo preacuteventives raquo
imposeacutees au requeacuterant Je mets le terme laquo preacuteventives raquo entre guillemets car
comme le dossier le montre sans eacutequivoque aux fins du droit interne
appliqueacute il nrsquoy avait absolument rien agrave laquo preacutevenir raquo dans la conduite du
requeacuterant (je deacutevelopperai ce point le moment venu) Jrsquoadhegravere eacutegalement agrave
lrsquoargument selon lequel dans les circonstances de lrsquoespegravece ces mesures
auraient eacuteteacute assimileacutees agrave une privation de liberteacute si elles avaient eacuteteacute eacutevalueacutees
laquo accumuleacutees et combineacutees raquo comme requis par le critegravere Guzzardi En
particulier le requeacuterant en lrsquoespegravece contrairement au requeacuterant dans
lrsquoaffaire Guzzardi (6 novembre 1980 sect 108 seacuterie A no 39) nrsquoeacutetait certes
pas obligeacute de vivre sur une icircle mais les mesures laquo preacuteventives raquo lui ont eacuteteacute
appliqueacutees pendant une peacuteriode bien plus longue ndash 221 jours (et nuits)
contre 165 jours dans Guzzardi En lrsquoespegravece une eacutevaluation laquo cumuleacutee raquo
des mesures litigieuses aurait appeleacute la mise en œuvre drsquoun examen bien
plus minutieux de lrsquoensemble des circonstances factuelles pertinentes
notamment de lrsquoessence de toutes les mesures restrictives prises
individuellement et laquo combineacutees raquo ainsi que du fait qursquoelles avaient eacuteteacute
imposeacutees au requeacuterant assorties drsquoune menace drsquoemprisonnement (fort
reacutealiste) La neacutecessiteacute drsquoun examen aussi approfondi des circonstances
factuelles preacutesupposait lrsquoexamen du grief tireacute de lrsquoarticle 5
Ainsi tout en souscrivant agrave la doctrine qui dit que laquo en proclamant le
laquo droit agrave la liberteacute raquo le paragraphe 1 de lrsquoarticle 5 vise la liberteacute physique de
la personne raquo que laquo [p]our deacuteterminer si un individu se trouve laquo priveacute de sa
liberteacute raquo au sens de lrsquoarticle 5 il faut partir de sa situation concregravete et
prendre en compte un ensemble de critegraveres comme le genre la dureacutee les
effets et les modaliteacutes drsquoexeacutecution de la mesure consideacutereacutee raquo et que laquo [e]ntre
privation et restriction de liberteacute il nrsquoy a qursquoune diffeacuterence de degreacute ou
drsquointensiteacute non de nature ou drsquoessence raquo (paragraphe 80 de lrsquoarrecirct) je ne
puis adheacuterer agrave lrsquoideacutee que laquo pour eacutevaluer la nature des mesures de preacutevention
preacutevues par la loi de 1956 raquo telles qursquoappliqueacutees au requeacuterant en lrsquoespegravece
on les a examineacutees laquo accumuleacutees et combineacutees raquo (ibidem)
2 Dans lrsquoaffaire Guzzardi (preacuteciteacutee) reacutesolue alors que lrsquoItalie nrsquoavait
pas encore ratifieacute le Protocole no 4 la Cour a estimeacute qursquo laquo il y [avait] eu ()
privation de liberteacute au sens de lrsquoarticle 5 raquo (point 4 du dispositif voir aussi
le point 8 ougrave la Cour a dit laquo en reacutesumeacute () que () le requeacuterant [avait] subi
une violation de lrsquoarticle 5 sect 1 raquo) et que cette privation de liberteacute ne trouvait
pas de justification dans tel et tel alineacutea de lrsquoarticle 5 sect 1 (voir les points 5 6
74 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
et 7 du dispositif) Compte tenu de ce constat la conclusion de la majoriteacute
dans la preacutesente espegravece selon laquelle lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 est
applicable agrave la situation du requeacuterant tandis que lrsquoarticle 5 ne lrsquoest pas
signifie tout bonnement qursquoune forme de privation de liberteacute au moins est
consideacutereacutee comme telle tant que lrsquoEacutetat membre nrsquoest pas pleinement partie
au Protocole no 4 et que la mecircme forme de privation de liberteacute cesse drsquoecirctre
une privation de liberteacute une fois que le Protocole no 4 est entreacute en vigueur agrave
lrsquoeacutegard de lrsquoEacutetat membre concerneacute (ou au plus tocirct une fois qursquoil a ratifieacute ce
Protocole) Par extension cela signifierait que ce qui peut ecirctre une privation
de liberteacute dans un Eacutetat peut ne pas lrsquoecirctre dans un autre Eacutetat La Cour est-elle
disposeacutee agrave admettre que dans lrsquohypothegravese drsquoaffaires identiques contre la
Suisse la Turquie ou le Royaume-Uni Eacutetats qui nrsquoont pas ratifieacute le
Protocole no 4 lrsquoarticle 5 serait applicable alors qursquoil ne lrsquoest pas dans des
affaires identiques contre par exemple lrsquoItalie la France ou la Lituanie
Eacutetats qui lrsquoont ratifieacute
Ce serait lagrave une position tregraves inteacuteressante et qui donnerait agrave reacutefleacutechir dans
les affaires portant sur le droit agrave la liberteacute Le seul problegraveme avec une
interpreacutetation aussi laquo pluraliste raquo et laquo flexible raquo (pas dans le sens le plus
positif de ces mots) de la Convention et de ses Protocoles crsquoest qursquoelle nrsquoa
pas grand-chose (peut-ecirctre mecircme rien du tout) agrave voir ni avec les canons de
lrsquointerpreacutetation juridique en geacuteneacuteral ni avec le droit fondamental agrave la liberteacute
ndash tel que consacreacute par la Convention ndash en particulier
3 Je suis eacutegalement convaincu non seulement qursquoen lrsquoespegravece lrsquoarticle 5
est applicable mais aussi qursquoil y a eu violation de cette disposition Dans
leur totaliteacute et leur porteacutee et compte tenu de leur longue dureacutee les mesures
laquo preacuteventives raquo imposeacutees au requeacuterant (sous la menace de
lrsquoemprisonnement) srsquoanalysaient en une privation de liberteacute agrave la fois au
regard de lrsquoemploi courant du mot laquo liberteacute raquo tel que dicteacute par le sens
commun et aux fins de lrsquoarticle 5 dont lrsquointerpreacutetation jurisprudentielle
comme jrsquoaime agrave le penser doit tendre agrave ne pas srsquoeacutecarter du sens commun
Car en quoi consistaient si ce nrsquoest en une privation de liberteacute ces
mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant comme on aurait fait un
copier-coller meacutecanique et inconsideacutereacute des dispositions leacutegales Qursquoelles
ont eacuteteacute appliqueacutees sans discernement crsquoest-agrave-dire sans aucun eacutegard pour la
situation concregravete du requeacuterant ressort de faccedilon eacutevidente du fait que
lrsquointeacuteresseacute eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai drsquoun mois raquo
alors que comme lrsquoa plus tard eacutetabli la cour drsquoappel de Bari il avait
laquo toujours eu () une activiteacute professionnelle licite lui assurant une source
de revenus digne raquo (paragraphe 27 de lrsquoarrecirct) Certaines de ces mesures
eacutetaient tregraves restrictives et comportaient une part de privation de liberteacute dans
son sens le plus ndash laquo physiquement raquo ndash direct Ainsi le requeacuterant eacutetait tenu
de laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et [de] ne pas sortir le
matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans avoir averti les
autoriteacutes en temps utile raquo mesure qui en fait comportait une part
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 75
drsquoassignation agrave domicile et en ce sens srsquoanalysait en une assignation agrave
domicile laquo interrompue raquo ou laquo incomplegravete raquo (sur ce point eacutegalement je
souscris aux arguments du juge Pinto de Albuquerque) Lrsquoargument de la
majoriteacute selon lequel cette mesure nrsquoeacutetait pas une assignation agrave domicile
parce qursquolaquo en droit italien une personne assigneacutee agrave domicile est reacuteputeacutee ecirctre
en deacutetention provisoire raquo (paragraphe 87 de lrsquoarrecirct) va agrave lrsquoencontre des
canons fondamentaux de lrsquointerpreacutetation de la Convention il se peut que la
mesure ici examineacutee ndash laquo ne pas rentrer le soir apregraves vingt-deux heures et ne
pas sortir le matin avant six heures sauf en cas de neacutecessiteacute et non sans
avoir averti les autoriteacutes en temps utile raquo ndash ne soit pas consideacutereacutee comme
une assignation agrave domicile en droit italien mais nrsquoen est-elle pas une au
regard de la Convention Agrave mon avis lrsquoarrecirct Buzadji c Reacutepublique de
Moldova ([GC] no 2375507 CEDH 2016) plaide en sens inverse
Premiegraverement la Convention est un instrument qui est autonome agrave lrsquoeacutegard
du droit interne (en lrsquooccurrence italien) et que la Cour a toujours traiteacute
ainsi Ne serait-ce plus le cas Deuxiegravemement les 221 nuits que le
requeacuterant a passeacutees en eacutetant soumis agrave cette mesure (sous la menace drsquoecirctre
emprisonneacute) montrent que le laquo degreacute drsquointensiteacute raquo (ibidem sect 104) de
celle-ci eacutetait loin drsquoecirctre neacutegligeable
Mais il y a plus agrave dire encore sur le contenu des mesures litigieuses
4 Certaines de ces mesures eacutetaient manifestement irrationnelles et
difficiles agrave expliquer au XXIe siegravecle par exemple lrsquointerdiction faite au
requeacuterant de se servir de laquo teacuteleacutephones portables et drsquoappareils
radioeacutelectriques pour communiquer raquo ndash mais non drsquoutiliser Internet
notamment Skype (la loi appliqueacutee remontait agrave lrsquoeacutepoque drsquoavant Internet)
Crsquoest plutocirct drocircle On aurait mieux compris que les tribunaux interdisent au
requeacuterant de communiquer avec certaines personnes mais ils ont choisi de
lui interdire de communiquer par certains moyens
5 De plus certaines mesures srsquoexcluaient reacuteciproquement Agrave titre
drsquoexemple le requeacuterant eacutetait tenu de laquo rechercher du travail dans le deacutelai
drsquoun mois raquo ndash entreprise quasi vaine degraves le deacutepart degraves lors que outre
lrsquointerdiction geacuteneacuterale qui lui eacutetait faite de sortir le matin avant six heures et
de rentrer le soir apregraves vingt-deux heures on lui interdisait drsquo laquo utiliser [des]
teacuteleacutephones portables raquo de laquo participer agrave des reacuteunions publiques raquo ou de
conduire un veacutehicule (puisque son permis de conduire lui avait eacuteteacute retireacute) Agrave
Casamassima ville qui agrave lrsquoeacutepoque des faits comptait moins de dix-huit mille
habitants il nrsquoy avait probablement pas beaucoup drsquoemployeurs qui se
seraient bousculeacutes pour recruter un employeacute aussi laquo difficile raquo voire
laquo inutile raquo
6 Tout cela combineacute agrave lrsquointerdiction faite au requeacuterant de laquo freacutequenter
des personnes ayant fait lrsquoobjet de condamnations et soumises agrave des mesures
de preacutevention ou de sucircreteacute raquo (toutes mecircme srsquoil srsquoagissait disons de
parents mecircme si lrsquointeacuteresseacute ignorait que les personnes qursquoil venait agrave
freacutequenter drsquoune maniegravere ou drsquoune autre avaient autrefois fait lrsquoobjet drsquoune
76 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
quelconque condamnation ) et de laquo freacutequenter les cafeacutes cabarets salles de
jeux () et [de] participer agrave des reacuteunions publiques raquo (toutes les reacuteunions
mecircme celles organiseacutees mettons par des syndicats agrave supposer qursquoil ait
reacuteussi agrave trouver un travail et agrave srsquoaffilier agrave lrsquoun drsquoeux ou bien pouvait-il
assister agrave une piegravece de theacuteacirctre ou agrave un spectacle qui sont aussi laquo publics raquo et
sont aussi des laquo reacuteunions raquo ) risque drsquoamener le lecteur agrave se demander agrave
quoi pense la majoriteacute lorsqursquoelle dit que laquo le requeacuterant () ne srsquoest pas
trouveacute dans lrsquoimpossibiliteacute de nouer des contacts sociaux raquo (italique ajouteacute)
degraves lors qursquoil laquo nrsquoa pas eacuteteacute contraint de vivre dans un endroit exigu raquo
(paragraphe 85 de lrsquoarrecirct)
7 Si la majoriteacute avait opteacute pour lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 5 et jugeacute qursquoil
y avait eu violation de cette disposition la Grande Chambre nrsquoaurait pas eu
besoin de se pencher sur la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4
agrave la Convention et ainsi de produire un raisonnement qui de maniegravere
injustifieacutee accorde peu ndash clairement trop peu ndash de place agrave lrsquoaspect factuel
essentiel de cette affaire agrave savoir qursquoil y eu erreur sur la personne Certes
il y a aussi eu violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 mais ndash degraves lors que
toute atteinte au droit agrave la liberteacute drsquoune personne englobe toujours par
deacutefinition une atteinte agrave sa liberteacute de circulation ndash le constat drsquoune violation
de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 auraient eacuteteacute laquo couvert raquo par le constat laquo plus
geacuteneacuteral raquo drsquoune violation de lrsquoarticle 5
Puisque la majoriteacute a neacuteanmoins jugeacute lrsquoarticle 5 inapplicable je nrsquoai pas
eu drsquoautre choix que de voter pour le constat drsquoune violation de lrsquoarticle 2
du Protocole no 4 (point 4 du dispositif)
8 Je suis eacutegalement drsquoaccord avec le juge Pinto de Albuquerque quant agrave
lrsquoapplicabiliteacute de lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal et partage son avis qursquoil
y a eu violation de cet article preacuteciseacutement sous cet angle Selon la majoriteacute
laquo le volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 de la Convention nrsquoentre pas en jeu car la
surveillance speacuteciale ne saurait se comparer agrave une peine degraves lors que la
proceacutedure dont le requeacuterant a fait lrsquoobjet ne concernait pas le bien-fondeacute
drsquoune laquo accusation en matiegravere peacutenale raquo au sens de lrsquoarticle 6 de la
Convention raquo (paragraphe 143 de lrsquoarrecirct) Pour eacutetayer cette position la
majoriteacute renvoie agrave Guzzardi (preacuteciteacute sect 108) et agrave Raimondo c Italie
(no 1295487 22 feacutevrier 1994 sect 43 seacuterie A no 281-A) La reacutefeacuterence nrsquoest
pas tregraves concluante Le paragraphe tireacute de Guzzardi (affaire dont la
reacutesolution par la Cour remonte agrave 1980) mentionneacute au paragraphe 143 de
lrsquoarrecirct contient peu (voire pas du tout) de principes de doctrine agrave caractegravere
geacuteneacuteral et bien arrecircteacutes Il est explicitement impreacutecis quant agrave la nature du
droit agrave la liberteacute Quant au paragraphe tireacute de Raimondo citeacute au mecircme
paragraphe 143 de lrsquoarrecirct il nrsquoeacuteclaire pas davantage la question car il ne fait
que renvoyer au paragraphe susviseacute de Guzzardi quoique sans les
conditions contenues dans le paragraphe original de Guzzardi
9 Signalons en passant que le Gouvernement nrsquoa pas preacutesenteacute
drsquoobservation au sujet de lrsquoaffirmation du requeacuterant selon laquelle
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 77
lrsquoarticle 6 sect 1 sous son volet peacutenal eacutetait applicable laquo aux proceacutedures
relatives agrave lrsquoapplication des mesures de preacutevention personnelles en ce
qursquoelles concernent la liberteacute personnelle du citoyen et sont reacutegies par les
dispositions du code de proceacutedure peacutenale raquo (paragraphes 141 et 142 de
lrsquoarrecirct)
Cette abstention signifie sucircrement quelque chose
10 Dans le contexte de lrsquoapplicabiliteacute (changeacutee en inapplicabiliteacute par la
majoriteacute) du volet peacutenal de lrsquoarticle 6 sect 1 il faut encore mentionner un autre
aspect En fait il est mentionneacute au paragraphe 14 de lrsquoarrecirct puis est
totalement omis dans le raisonnement
Le paragraphe 14 de lrsquoarrecirct indique laquo Pour le tribunal le requeacuterant
preacutesentait une tendance laquo active raquo agrave la deacutelinquance et les piegraveces du dossier
montraient qursquoil avait tireacute drsquoune activiteacute deacutelictueuse la plupart de ses
moyens de subsistance raquo (italique ajouteacute)
Ainsi les mesures litigieuses eacutetaient une reacuteaction officielle et une
reacuteponse judiciaire agrave de preacutetendues laquo tendance agrave la deacutelinquance raquo et laquo activiteacute
deacutelictueuse raquo du requeacuterant et en ce sens elles nrsquoeacutetaient pas seulement
laquo preacuteventives raquo mais aussi laquo punitives raquo
11 Cela en conseacutequence plaide eacutegalement contre le constat de la
majoriteacute selon lequel il nrsquoy a pas eu violation de lrsquoarticle 6 sect 1 laquo quant au
droit agrave un procegraves eacutequitable raquo (point 7 du dispositif)
Ainsi on considegravere qursquoil nrsquoy a pas eu violation du droit agrave un procegraves
eacutequitable dans une situation ougrave i) les autoriteacutes prennent la laquo mauvaise raquo
personne et agrave lrsquoissue drsquoune proceacutedure judiciaire non publique lui imposent
des mesures laquo preacuteventives raquo seacutevegraveres et de longue dureacutee alors que lrsquointeacuteresseacute
soutient ne pas ecirctre lrsquoindividu contre lequel les laquo eacuteleacutements factuels raquo ont eacuteteacute
recueillis ii) lrsquointeacuteresseacute ne parvient pas agrave faire reconnaicirctre cette
circonstance eacutevidente qursquoil y a erreur sur la personne ni a fortiori agrave la faire
examiner par une juridiction supeacuterieure et ce pendant plus de sept mois au
meacutepris flagrant du deacutelai leacutegal de trente jours iii) lorsqursquoenfin lrsquoerreur est
deacutecouverte lrsquointeacuteresseacute nrsquoest pas indemniseacute au titre de sa qualiteacute de victime
On ne lui adresse mecircme pas drsquoexcuses
Absence totale de preacutejudice
En drsquoautres termes si le droit agrave un procegraves eacutequitable nrsquoa pas eacuteteacute violeacute dans
cette situation cela signifie que ce procegraves eacutetait eacutequitable
Eacutequitable
12 Le Gouvernement a soutenu que laquo le requeacuterant [avait] disposeacute drsquoune
voie de recours qursquoil [avait] utiliseacutee et qui lui [avait] permis drsquoobtenir gain
de cause raquo (paragraphe 162 de lrsquoarrecirct ndash italique ajouteacute voir aussi le
paragraphe 103)
La majoriteacute semble adheacuterer agrave cette approche
Certes au final le requeacuterant a laquo obtenu gain de cause raquo dans le sens ougrave
les mesures laquo preacuteventives raquo ont eacuteteacute annuleacutees Mais la Cour peut-elle fermer
les yeux sur toutes les tentatives de lrsquointeacuteresseacute qui avaient eacutechoueacute En
78 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
premiegravere instance il nrsquoest pas parvenu agrave empecirccher qursquoon lui applique les
mesures litigieuses Puis pendant une peacuteriode sept fois plus longue que le
deacutelai leacutegal il nrsquoa pas reacuteussi agrave porter sa cause agrave lrsquoattention de la juridiction
supeacuterieure On ne peut pas dire qursquoil ait obtenu gain de cause devant la
juridiction drsquoappel en ce sens qursquoil nrsquoa pas reccedilu de reacuteparation ni mecircme
drsquoexcuses de la part des autoriteacutes En fait drsquoexcuses il a obtenu tout le
contraire le Gouvernement a deacuteclareacute que la cour drsquoappel de Bari laquo nrsquo[avait]
pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement reacuteeacutevalueacute
tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure la
dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 italique ajouteacute)
Est-ce cela que lrsquoon appelle deacutesormais laquo obtenir gain de cause raquo
Peut-ecirctre dans la jurisprudence mais pas dans la vie Ce qui serait au
deacutetriment de la jurisprudence
13 Concernant la violation alleacutegueacutee de lrsquoarticle 13 certains arguments
favorables agrave un constat de violation ont deacutejagrave eacuteteacute exposeacutes ci-dessus Le fait
que le deacutelai associeacute au controcircle juridictionnel auquel le requeacuterant avait droit
selon la leacutegislation nationale ait eacuteteacute exceacutedeacute agrave ce point se passe de
commentaire Mais le fait que le requeacuterant ne se soit vu allouer aucune
reacuteparation pour les mesures laquo preacuteventives raquo qui lui avaient eacuteteacute appliqueacutees
avant drsquoecirctre annuleacutees ex tunc par la cour drsquoappel de Bari (paragraphe 20 de
lrsquoarrecirct) plaide encore plus fortement en faveur drsquoune violation de lrsquoarticle
13 Si ces mesures avaient eu une quelconque base leacutegale agrave lrsquoeacutepoque de leur
application elles nrsquoauraient probablement pas eacuteteacute annuleacutees ex tunc
14 Jrsquoen viens agrave preacutesent agrave la divergence fondamentale entre lrsquoapproche
de la majoriteacute et la mienne divergence qui a trait au raisonnement menant
au constat de violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 et a aussi beaucoup agrave
voir avec lrsquoemploi dans la preacutesente opinion du mot laquo preacuteventif raquo entre
guillemets
15 Au paragraphe 110 de lrsquoarrecirct il est dit que laquo la loi no 1423 de 1956
interpreacuteteacutee agrave la lumiegravere des arrecircts de la Cour constitutionnelle est la
disposition juridique qui a servi de fondement aux mesures de preacutevention
personnelles appliqueacutees au requeacuterant raquo et que laquo donc () lesdites mesures
de preacutevention avaient une base leacutegale en droit interne raquo (italique ajouteacute)
Non non non et encore non
La loi en question quelles que soient ses lacunes (nombre drsquoentre elles
sont agrave juste titre releveacutees dans lrsquoarrecirct et par principe je souscris agrave cette
appreacuteciation) traite des mesures laquo preacuteventives raquo qui peuvent ecirctre appliqueacutees
agrave trois cateacutegories de personnes i) laquo [celles] dont on peut estimer sur la
base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles se livrent habituellement agrave des activiteacutes
deacutelictueuses raquo ii) laquo [celles] dont on peut estimer compte tenu de leur
conduite et de leur train de vie et sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
vivent habituellement fucirct-ce en partie de gains drsquoorigine deacutelictueuse raquo
iii) laquo [celles] dont on peut estimer sur la base drsquoeacuteleacutements factuels qursquoelles
commettent des infractions peacutenales qui offensent ou mettent en danger
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 79
lrsquointeacutegriteacute physique ou morale des mineurs la santeacute la seacutecuriteacute ou la
tranquilliteacute publique raquo (italique ajouteacute) Le nom geacuteneacuterique de ces trois
cateacutegories drsquoindividus est celui de laquo personnes dangereuses pour la seacutecuriteacute
et pour la moraliteacute publique raquo (paragraphes 33 et 34 de lrsquoarrecirct)
Ni cette cateacutegorie geacuteneacuterique ni aucune de ses trois sous-cateacutegories
nrsquoenglobent fucirct-ce indirectement une personne que les autoriteacutes ont prise
par erreur pour une autre et qursquoelles considegraverent agrave tort ou agrave raison comme
laquo dangereus[e] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo Au regard de
la loi les laquo eacuteleacutements factuels raquo recueillis contre M Dupont ne peuvent pas
meacutecaniquement ecirctre consideacutereacutes comme ayant eacuteteacute recueillis contre
M Durand pris par erreur pour M Dupont Peu importe que M Durand ait
ou non un casier judiciaire ou qursquoil ait ou non commis des infractions par le
passeacute Bien sucircr il se peut qursquoen recueillant des eacuteleacutements factuels contre
M Dupont les autoriteacutes tombent sur quelque chose qui est aussi de nature agrave
incriminer M Durand toutefois mecircme dans ce cas non seulement ce
dernier doit ecirctre identifieacute directement et correctement mais de plus les
eacuteleacutements recueillis contre M Dupont ne peuvent pas automatiquement et
inconsideacutereacutement ecirctre retenus contre M Durand
En outre la Cour constitutionnelle nrsquoa jamais interpreacuteteacute la loi (du moins
pas directement ni mecircme semble-t-il implicitement) de telle sorte qursquoelle
permettrait de traiter la laquo mauvaise raquo personne comme quelqursquoun de
laquo dangereu[x] pour la seacutecuriteacute et pour la moraliteacute publique raquo au sens de
lrsquoarticle 1 de la loi
16 Ainsi la loi nrsquoeacutetait aucunement applicable au requeacuterant
Les mesures laquo preacuteventives raquo appliqueacutees au requeacuterant ont reacutesulteacute drsquoune
erreur Cela eacuteteacute reconnu par la cour drsquoappel de Bari qui les a annuleacutees ex
tunc (paragraphes 20 et 26 de lrsquoarrecirct)
Crsquoest aussi simple que cela Ils ont pris la mauvaise personne
Une erreur sur la personne est une erreur sur la personne un point crsquoest
tout
17 Lagrave encore je dois me reacutepeacuteter (paragraphe 1 ci-dessus) Des mesures
laquo preacuteventives raquo proprement dites ne peuvent ecirctre appliqueacutees leacutegalement qursquoagrave
une personne devant ecirctre laquo empecirccheacutee raquo de faire quelque chose En lrsquoabsence
de base factuelle justifiant la neacutecessiteacute drsquoune laquo preacutevention raquo agrave lrsquoeacutegard drsquoune
personne donneacutee les mesures restrictives imposeacutees agrave celle-ci ne peuvent
guegravere passer pour laquo preacuteventives raquo au veacuteritable sens de ce terme
18 La regravegle de droit mais aussi la deacutecence la plus eacuteleacutementaire exigent
que lorsque lrsquoon deacutecouvre une erreur entraicircnant lrsquoimposition de seacuterieuses
restrictions agrave une personne prise pour un autre individu contre lequel des
laquo eacuteleacutements factuels raquo avaient eacuteteacute recueillis les autoriteacutes disent laquo oups raquo
preacutesentent des excuses referment le dossier aussi vite que possible et
indemnisent la laquo mauvaise raquo personne pour tout dommage qursquoelle a pu
subir Crsquoest ainsi que les choses doivent se passer agrave moins que lrsquoon vive
80 ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES
dans une autre reacutealiteacute ougrave le droit appliqueacute nrsquoa rien agrave voir avec les faits
auxquels on lrsquoapplique
Inutile de dire qursquoun monde parallegravele ne serait pas un monde reacutegi par la
regravegle de droit
19 Cependant (comme nous lrsquoavons indiqueacute au paragraphe 12
ci-dessus) le Gouvernement a affirmeacute que la cour drsquoappel de Bari
laquo nrsquo[avait] pas reconnu drsquoerreur sur la personne raquo mais avait laquo simplement
reacuteeacutevalueacute tous les eacuteleacutements sur lesquels le tribunal srsquoeacutetait baseacute pour exclure
la dangerositeacute sociale du requeacuterant raquo (paragraphe 103 de lrsquoarrecirct) comme si
ces eacuteleacutements pouvaient avoir un quelconque rapport avec le requeacuterant Cette
deacuteclaration montre bien que le gouvernement deacutefendeur a encore du chemin
agrave parcourir pour se rendre compte par lui-mecircme des veacuteriteacutes simples qui
commandent la conduite des autoriteacutes en cas drsquoerreur sur la personne
20 Compte tenu de la grave erreur qui a eu tant de reacutepercussions sur la
situation du requeacuterant les consideacuterations jurisprudentielles sur les points de
savoir si la loi eacutetait laquo accessible raquo ou suffisamment laquo preacutevisible raquo pour le
requeacuterant si elle eacutetait ou non laquo vague raquo laquo preacutecise raquo ou laquo claire raquo et si les
indications sur la conduite que devait adopter le requeacuterant eacutetaient
laquo suffisantes raquo sont totalement deacutenueacutees de pertinence Nul besoin de ces
consideacuterations pour pouvoir affirmer que les mesures laquo preacuteventives raquo
litigieuses ont eacuteteacute imposeacutees au requeacuterant en lrsquoabsence de toute base leacutegale
21 Ainsi bien que je partage lrsquoavis de la majoriteacute selon lequel il y a eu
violation de lrsquoarticle 2 du Protocole no 4 je suis en profond deacutesaccord avec
le raisonnement qui megravene agrave ce constat Ce raisonnement remplace la
question de lrsquoapplication de la loi agrave la situation concregravete du requeacuterant par la
question de la laquo qualiteacute de la loi raquo problegraveme qui est ensuite laquo reacutesolu raquo
comme si la Cour eacutetait une juridiction constitutionnelle ayant pour tacircche
drsquoexaminer la conformiteacute des lois agrave quelque droit supeacuterieur
indeacutependamment des points de savoir agrave qui et comment ces lois sont
appliqueacutees et mecircme si elles sont appliqueacutees ou non Autrement dit ce
raisonnement remplace le veacuteritable problegraveme que ce requeacuterant a bel et bien
rencontreacute et qui a eacuteteacute soumis agrave la Cour par la question geacuteneacuterale des
avantages et inconveacutenients des normes leacutegales elles-mecircmes Si (lagrave encore) je
ne peux que souscrire agrave lrsquoappreacuteciation critique que fait la majoriteacute de
lrsquoinsuffisante preacutevisibiliteacute des dispositions appliqueacutees (constat pouvant ecirctre
utile pour statuer sur drsquoeacuteventuelles actions drsquoautres personnes auxquelles
cette loi pourrait ecirctre appliqueacutee) tout cela a bien peu agrave voir avec le cas de ce
requeacuterant Srsquoil y a eu violation de la liberteacute de circulation de ce requeacuterant ce
nrsquoest pas parce qursquoune loi laquo pas suffisamment preacutevisible raquo ou laquo pas
suffisamment claire raquo laquo libelleacutee en des termes vagues et excessivement
geacuteneacuteraux raquo a eacuteteacute appliqueacute agrave sa situation mais en raison du fait mecircme que
cette loi qui permettait des restrictions agrave la liberteacute de circulation (sans parler
de la privation de liberteacute elle-mecircme) a eacuteteacute appliqueacutee agrave cette personne alors
qursquoau regard de son propre contenu elle nrsquoaurait pas ducirc lrsquoecirctre
ARREcircT DE TOMMASO c ITALIE ndash OPINIONS SEacutePAREacuteES 81
22 Au paragraphe 125 de lrsquoarrecirct la majoriteacute deacuteclare que la loi en
question nrsquoeacutetait pas suffisamment claire et preacutevisible pour les laquo personnes
auxquelles les mesures de preacutevention pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo (italique
ajouteacute)
On pourrait poser cette question en disant laquo pouvaient ecirctre appliqueacutees raquo
veut-elle aussi dire au requeacuterant
Je crains que la reacuteponse agrave cette question comme le donne agrave penser le
raisonnement de la majoriteacute soit tout sauf optimiste