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Article original Greffe de tissu adipeux autologue dans la prise en charge chirurgicale des cicatrices douloureuses : résultats préliminaires Autologous fat grafting in the surgical management of painful scar: Preliminary results C. Baptista * , A. Iniesta, P. Nguyen, R. Legré, A.-M. Gay Service de chirurgie de la main, chirurgie plastique et réparatrice des membres, hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France Reçu le 2 mars 2013 ; reçu sous la forme révisée le 10 juillet 2013 ; accepté le 22 juillet 2013 Disponible sur Internet le 12 aou ˆt 2013 Résumé L’objectif de cette étude préliminaire rétrospective était de rapporter notre expérience sur l’efficacité de la réinjection de graisse autologue dans la prise en charge des cicatrices douloureuses. Entre 2010 et 2012, tous les patients présentant des douleurs cicatricielles persistantes, malgré un traitement médical d’au moins six mois, ont bénéficié d’une réinjection de graisse autologue selon la technique décrite initialement par Coleman. L’évaluation des résultats était basée sur l’amélioration des douleurs (EVA), la satisfaction postopératoire des patients et sur la diminution de la consommation de traitement antalgique. Chez les 11 patients inclus, la quantité moyenne de graisse réinjectée après centrifugation était de 11 cm 3 . Neuf patients (soit 81,5 %) ont noté une disparition complète ou une diminution significative des douleurs cicatricielles ; 74,5 % se sont déclarés très satisfaits ou satisfaits du résultat. La diminution moyenne de la douleur sur l’EVA a été de 3,5 points. Nous n’avons déploré aucune complication. La réinjection de tissu adipeux autologue, thérapeutique novatrice, apparaît comme un concept séduisant dans la prise en charge des cicatrices douloureuses résistant au traitement médicamenteux, en apportant un traitement chirurgical simple, efficace et dénué d’effets secondaires indésirables. # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Injection de graisse autologue ; Névrome cicatriciel ; Douleur neuropathique ; Lipofilling ; Cicatrice ; Cellules souches graisseuses Abstract The purpose of this study was to report our experience about the effectiveness of autologous fat injections in the management of painful scars. Between 2010 and 2012, all patients with persistent incisional pain despite a well-conduced 6 months medical treatment received an autologous fat graft according to the technique originally described by Coleman. Results interpretation was based on pain improvement thanks to a Visual Analogic Scale (VAS), postoperative patient satisfaction, reduction on analgesics intake and quality of life improvement. Eleven patients were included, the mean quantity of fat injected was 11 cm 3 . Nine patients (1.5%) benefited from a complete or significant pain decrease, 74.5% reported being very satisfied or satisfied with the result. The mean reduction of VAS was 3.5 points. We did not observe any complication. Autologous fat grafting is an innovative therapeutic approach and appears to be an attractive concept in the management of scar neuromas resistant to drug treatment, by providing an easy effective and safe surgical treatment. # 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Autologous fat grafting; Scar neuroma; Neuropathic pain; Lipofilling; Scar; ADSCs 1. Introduction Les douleurs dites « neurogènes » en regard ou autour des cicatrices chirurgicales sont fréquentes, leur incidence varie selon les études de 10 à 50 %. Les chirurgiens de la main peuvent être consultés pour ce problème lors de visites postopératoires, immédiatement après ou à distance de l’intervention [1,2]. La formation d’un névrome part toujours du même pré- requis : une section nerveuse s’accompagne initialement d’une perte d’axoplasme, de myéline et d’une rétraction axonale. La régénération des fibres nerveuses, sous l’influence de divers Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Chirurgie de la main 32 (2013) 329334 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C. Baptista). 1297-3203/$ see front matter # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.main.2013.07.006

Greffe de tissu adipeux autologue dans la prise en charge chirurgicale des cicatrices douloureuses : résultats préliminaires

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Article original

Greffe de tissu adipeux autologue dans la prise en charge chirurgicaledes cicatrices douloureuses : résultats préliminaires

Autologous fat grafting in the surgical management of painful scar: Preliminary results

C. Baptista *, A. Iniesta, P. Nguyen, R. Legré, A.-M. GayService de chirurgie de la main, chirurgie plastique et réparatrice des membres, hôpital de la Conception, 147, boulevard Baille, 13005 Marseille, France

Reçu le 2 mars 2013 ; reçu sous la forme révisée le 10 juillet 2013 ; accepté le 22 juillet 2013Disponible sur Internet le 12 aout 2013

Résumé

L’objectif de cette étude préliminaire rétrospective était de rapporter notre expérience sur l’efficacité de la réinjection de graisse autologue dans laprise en charge des cicatrices douloureuses. Entre 2010 et 2012, tous les patients présentant des douleurs cicatricielles persistantes, malgré untraitement médical d’au moins six mois, ont bénéficié d’une réinjection de graisse autologue selon la technique décrite initialement par Coleman.L’évaluation des résultats était basée sur l’amélioration des douleurs (EVA), la satisfaction postopératoire des patients et sur la diminution de laconsommation de traitement antalgique. Chez les 11 patients inclus, la quantité moyenne de graisse réinjectée après centrifugation était de 11 cm3.Neuf patients (soit 81,5 %) ont noté une disparition complète ou une diminution significative des douleurs cicatricielles ; 74,5 % se sont déclarés trèssatisfaits ou satisfaits du résultat. La diminution moyenne de la douleur sur l’EVA a été de 3,5 points. Nous n’avons déploré aucune complication. Laréinjection de tissu adipeux autologue, thérapeutique novatrice, apparaît comme un concept séduisant dans la prise en charge des cicatricesdouloureuses résistant au traitement médicamenteux, en apportant un traitement chirurgical simple, efficace et dénué d’effets secondaires indésirables.# 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Injection de graisse autologue ; Névrome cicatriciel ; Douleur neuropathique ; Lipofilling ; Cicatrice ; Cellules souches graisseuses

Abstract

The purpose of this study was to report our experience about the effectiveness of autologous fat injections in the management of painful scars.Between 2010 and 2012, all patients with persistent incisional pain despite a well-conduced 6 months medical treatment received an autologous fatgraft according to the technique originally described by Coleman. Results interpretation was based on pain improvement thanks to a VisualAnalogic Scale (VAS), postoperative patient satisfaction, reduction on analgesics intake and quality of life improvement. Eleven patients wereincluded, the mean quantity of fat injected was 11 cm3. Nine patients (1.5%) benefited from a complete or significant pain decrease, 74.5% reportedbeing very satisfied or satisfied with the result. The mean reduction of VAS was 3.5 points. We did not observe any complication. Autologous fatgrafting is an innovative therapeutic approach and appears to be an attractive concept in the management of scar neuromas resistant to drugtreatment, by providing an easy effective and safe surgical treatment.# 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Autologous fat grafting; Scar neuroma; Neuropathic pain; Lipofilling; Scar; ADSCs

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Chirurgie de la main 32 (2013) 329–334

1. Introduction

Les douleurs dites « neurogènes » en regard ou autour descicatrices chirurgicales sont fréquentes, leur incidence varie

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (C. Baptista).

1297-3203/$ – see front matter # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservhttp://dx.doi.org/10.1016/j.main.2013.07.006

selon les études de 10 à 50 %. Les chirurgiens de la mainpeuvent être consultés pour ce problème lors de visitespostopératoires, immédiatement après ou à distance del’intervention [1,2].

La formation d’un névrome part toujours du même pré-requis : une section nerveuse s’accompagne initialement d’uneperte d’axoplasme, de myéline et d’une rétraction axonale. Larégénération des fibres nerveuses, sous l’influence de divers

és.

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Fig. 1. Infiltration de la zone à prélever avec du sérum adrénaliné à l’aide d’unecanule de Coleman.

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facteurs neurochimiques, se fait de façon non rectiligne ; elleconduit à une formation bulbaire enchâssée dans la cicatrice oules tissus mous avoisinants, le névrome, qui est le mode decicatrisation normal de l’extrémité proximale d’un nerfsectionné. Des influx électriques peuvent être déclenchés etamplifiés par toute stimulation mécanique ou thermique de cedernier [3].

Il est habituel de différencier des névromes vrais lesdouleurs cicatricielles dues au développement de fibrosecicatricielle enserrant les terminaisons nerveuses dans lacicatrice [4]. On parle de névrome cicatriciel lorsqu’il y a euincision cutanée. Les terminaisons nerveuses souffrent alorsd’une ischémie d’origine mécanique. Cliniquement, lesdouleurs sont provoquées par la palpation profonde ou lepincement léger des berges de la cicatrice. Le traitement reposealors classiquement sur l’infiltration de ces berges par unanesthésique local (le soulagement obtenu peut durer pluslongtemps que la durée d’action du produit injecté) et lakinésithérapie (massages profonds de la cicatrice) [5].

Malgré ces traitements, ces douleurs cicatricielles peuventrésister et nécessiter alors une prise en charge chirurgicale. Lespatients se présentant à la consultation pour douleurspéricicatricielle et décrivant des paresthésies associées à unehyperesthésie de la zone incriminée ont donc tous étéconsidérés comme entrant dans le même cadre nosologiquedes cicatrices douloureuses.

Si les mécanismes responsables de l’hyperalgie observéesont désormais bien compris, en revanche, il n’existe aucunconsensus dans la stratégie de traitement de ces douleurscicatricielles. De nombreuses modalités de prise en charge sontclassiquement trouvées dans la littérature, mais peu d’entreelles ont fait la preuve de leur efficacité ; et ces traitementsprésentent fréquemment des effets secondaires importants.

L’injection de graisse autologue purifiée selon la techniquede Coleman a déjà démontré son efficacité dans le traitementdes adhérences post-traumatiques, de l’atrophie cutanéecicatricielle, des névralgies périphériques, à travers l’améliora-tion de la vascularisation locale et la réduction de l’étatinflammatoire [6,7]. Dans un contexte d’essor de l’utilisationdes techniques de réinjection autologues riches en cellulessouches et/ou facteurs de croissances ayant fait la preuve deleur efficacité dans l’amélioration de nombreux processus decicatrisation tissulaire [8,9], nous avons décidé d’étudierl’efficacité de la réinjection de graisse autologue dans la priseen charge des cicatrices douloureuses.

2. Patients et méthodes

2.1. Patients

Il s’agit d’une étude rétrospective réalisée dans notre unitéhospitalo-universitaire de 2010 à 2012. Les critères d’inclusionétaient les patients âgés de plus de 18 ans se présentant à laconsultation de chirurgie de la main pour douleurs cicatriciellesde type neuropathiques, secondaires à une interventionchirurgicale ou un traumatisme, présentant un syndromeirritatif ou une hyperalgie péricicatricielle, et ayant bénéficié

d’un traitement médical conservateur d’une durée d’au moinssix mois. Tous les patients ont bénéficié d’une consultationspécialisée dans un centre référent de la douleur : ils ont ainsi eudes traitements antalgiques classiques de palier 1 et 2, maisaussi des traitements plus spécifiques traitant les douleursneurogènes (Lyrica1) ou des traitements de type Versatis1.

2.2. Technique opératoire

Tous les patients ont été opérés par le même chirurgien senior.Nous avons utilisé soit la technique classique de lipostructureselon Coleman [10], soit la technique modifiée selon Nguyenet al. [11] utilisant des instruments plus fins ; la technique a étéchoisie en fonction de la taille et la localisation de la cicatrice,ainsi que de la qualité du tissu cicatriciel en regard.

Les interventions se déroulaient sous anesthésie générale ousous anesthésie locale accompagnée d’une sédation. Le premiertemps était l’infiltration de la zone de prélèvement avec de lalidocaïne adrénalinée à 1 % diluée avec du sérum physiologique(Fig. 1). Le prélèvement était effectué à l’aide d’une seringue de10 cm3 utilisant une basse dépression [12]. La graisse étaitpurifiée par centrifugation (2000 tours par minute pendant deuxminutes), puis transférée dans des seringues de 1 cm3.

Lors de la réinjection, la barrière cutanée était franchie avecune aiguille de 21 G, la direction de mise en place de l’aiguilleétait celle dans laquelle on souhaitait introduire la canule deréinjection (Fig. 2). La graisse était ensuite injectée pro-gressivement de manière rétrograde, en faisant plusieurs plansafin de déposer le tissu graisseux de façon harmonieuse, toutautour du névrome.

La réinjection se faisait par deux ou trois incisions de 2 mm,réparties de façon radiaire en périphérie du névrome. Lesincisions étaient fermées avec une colle cyanoacrylate et depetits pansements secs étaient mis en place.

2.3. Évaluation

L’évaluation clinique a consisté en un examen cliniquecomprenant une évaluation de la douleur sur une échelle

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Fig. 2. Patient no 11 présentant une cicatrice douloureuse en regard du moignond’amputation de l’hallux. Canule d’injection en place.

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visuelle analogique (EVA), l’évaluation de la prise detraitements antalgique, ainsi qu’une évaluation subjective durésultat par le patient : très satisfait, satisfait, peu satisfait ouaggravé. Les critères principaux de jugement de la techniquechirurgicale étaient donc la douleur (EVA), l’évolution de laprise d’antalgiques, ainsi que le taux de satisfaction subjectivede la population de patients étudiée.

Tableau 1Données descriptives des 11 patients inclus.

Patient Intervention/traumatisme initial Dateopératoire

Date lipofilling R(m

1 Ténosynovite de De Quervain 08/11/2010 13/05/2011 6

2 Ostéosynthèse poignet 03/02/2011 06/09/2011 7

3 Ligamentoplastie pour entorsescapholunaire

14/11/2011 10/09/2012 10

4 Prothèse totale de genou 07/07/2011 07/11/2012 16

5 Hallux valgus 06/06/2011 21/12/2012 18

6 Dégantage coque talonnière 15/03/2011 09/08/2012 17

7 Ecrasement pied 22/02/2010 14/06/2012 28

8 Arthroscopie cheville 03/05/2010 12/08/2011 15

9 Ligamentoplastie cheville 03/12/2010 11/07/2011 7

10 Arthroscopie cheville 12/06/2012 17/12/2012 6

11 Amputation hallux 04/10/2010 25/10/2011 24

Moyenne 14

3. Résultats

3.1. Population

Onze patients ont été opérés pour des cicatrices doulou-reuses avec un recul moyen de 14 mois (6 à 28 mois). L’analysedémographique trouvait trois hommes et huit femmes, âgés de23 à 73 ans (moyenne : 39 ans). Les régions cicatriciellesdouloureuses se situaient au membre supérieur dans trois cas etau membre inférieur dans huit cas (Tableau 1) (Fig. 3). Lasymptomatologie des patients durait depuis au moins six moismalgré la combinaison de traitements conservateurs antérieursqui associaient de façon variable antalgiques, psychodyslepti-ques, infiltrations d’anesthésiques locaux, compresses imbibéesd’anesthésiques, cryothérapie et massages. Les patientsprésentant un signe de Tinel avaient bénéficié de façonsystématique d’une échographie afin de chercher la présenced’un névrome vrai. En cas de névrome cicatriciel, le patientétait alors exclu de l’étude, cette pathologie ne rentrant pas dansla même stratégie thérapeutique.

3.2. Technique opératoire

Dix interventions ont été réalisées sous anesthésie générale,une sous anesthésie locale avec sédation et toutes se sontdéroulées en chirurgie ambulatoire. La graisse a été prélevéesur l’abdomen chez huit patients, car ces derniers neprésentaient pas une adiposité suffisante pour permettre unprélèvement locorégional, et trois au niveau de la face médialedes genoux. La quantité moyenne de graisse prélevée était de28 cm3 et la quantité moyenne de graisse centrifugée réinjectéeétait de 11 cm3 (6 à 15 cm3). Aucune complication post-opératoire n’a été observée, ni dans la région receveuse, ni auniveau du site donneur, hormis quelques ecchymoses. La

eculois)

Volumeréinjecté (cm3)

EVApréop

Date de dernièrerevue

EVApostop

Satisfaction

7 6 10/05/2012 1 Très satisfait

7 10 18/12/2012 0 Très satisfait

6 8 04/01/2013 5 Satisfait

15 7 27/02/2013 6 Peu satisfait

10 8 04/03/2013 8 Peu satisfait

15 8 03/12/2012 4 Satisfait

9 7 24/01/2013 7 Peu satisfait

10 10 10/04/2012 6 Satisfait

15 5 14/11/2011 0 Très satisfait

7 8 01/04/2013 5 Satisfait

15 7 15/01/2013 4 Satisfait

11 7,6 4,2

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Fig. 3. Patient no 9 présentant une cicatrice douloureuse après une ligamentoplastie de cheville. Aspects préopératoire (A) et peropératoire (B).

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technique a été jugée peu douloureuse en période post-opératoire immédiate par la totalité des patients.

3.3. Résultats

Parmi les 11 patients opérés, trois (27 %) ont étécomplètement améliorés avec disparition totale des douleursà deux mois (EVA � 1), six (54,5 %) ont noté une diminutiondes douleurs avec une EVA moyenne passant de 8 à 5, deuxpatients (18 %) n’ont eu aucune amélioration de leur douleur(EVA stable) et aucun patient ne s’est dit aggravé parl’intervention. Huit patients (72,7 %) se sont déclarés« satisfaits » (cinq patients) ou « très satisfaits » (trois patients)du résultat, quatre (36,4 %) n’ont pas noté de changement parrapport à leur état préopératoire et n’ont été que « peusatisfaits » du résultat ; aucun n’a été aggravé.

Les huit patients ayant déclarés être « satisfaits » ou « trèssatisfaits » de l’intervention, avaient nettement diminué leurconsommation en traitement antalgique : après une visitepostopératoire réalisée au centre de prise en charge de ladouleur, les patients avaient soit arrêté totalement la prise desantalgiques, soit ne prenaient des antalgiques de palier 1 que defaçon occasionnelle (les trois patients « très satisfaits » avaientcomplètement arrêté la prise de traitement antalgique et les cinqpatients « satisfaits » ne prenaient des antalgiques de palier1 que ponctuellement).

4. Discussion

Dans cette étude préliminaire, nous avons trouvé chez lapopulation de patients étudiés une diminution moyenne del’EVA de 3,5 points et huit patients sur 11 se sont déclaréssatisfaits ou très satisfaits du résultat.

En 1974, Wall et al. ont étudié de manière expérimentalel’apparition de névrome en sectionnant des nerfs périphériqueschez l’animal [13] et cela a permis de constater l’existenced’influx électriques anormaux dans ces fibres lésées. Cesactivités ectopiques entraînent des modifications de l’excita-bilité membranaire qui, associées à une diminution des seuilsd’excitabilité des nocicepteurs périphériques, sont responsablesd’une sensibilisation périphérique [14].

L’arsenal thérapeutique du traitement des douleurs cica-tricielles comprend un premier temps médical incluant lesantalgiques, la thérapie physique (dont les thérapies vibratoires,de type Vibralgic1) et la désensibilisation ; si ces méthodes nemontrent pas leur efficacité à six mois, il est habituel de passer àun second axe de traitement ; c’est pour cette raison que lespatients inclus dans notre étude ont tous eu un premiertraitement médical de six mois minimum, les traitementschirurgicaux ne devant, selon nous, n’être envisagés qu’aprèsce délai.

Une multitude de techniques ont été proposées pour traiterles névromes périphériques, certaines d’entre elles datent deplus de 50 ans : le fait qu’il y ait un tel éventail de méthodes detraitement suggère qu’il n’existe pas un traitement qui soittotalement efficace dans la gestion de ces névromes.

Certaines techniques ont fait l’objet de publications récentes[15–17] : enfouissement, lambeaux, encapuchonnement ner-veux distal ou, plus récemment, greffon veineux, et semblentavoir supplanté la simple résection du/des névrome(s) [15].

Le principe général de ces techniques chirurgicales reposesur le fait que tout névrome n’est pas douloureux, et certainsauteurs supposent que les névromes situés à distance de lacicatrice, de la peau, ou profondément enfouis dans un musclene provoquent pas de douleur [15] et passent donc inaperçus.Ainsi, la mise en place de tissu (par exemple un lambeau) entrele névrome et sa projection cutanée (zone gâchette) permettrait,en interposant un « coussinet », d’offrir une protectionmécanique empêchant la stimulation du névrome : les étudesréalisées notamment par Krishnan et al. et par De Smet et al.mettent en évidence l’efficacité de l’interposition de lambeaux,mais au prix d’une chirurgie complexe, d’une limitation desindications selon les localisations des zones à couvrir et d’unerançon cicatricielle non négligeable [18,19].

Néanmoins, il est démontré que les résultats chirurgicaux deces techniques sont insuffisants d’une manière générale, avecune absence d’amélioration dans plus de 67 % des cas [20]. Deplus, ces techniques ne sont indiquées que lorsqu’il existe unnévrome identifiable ; dans le cas des cicatrices douloureuses,la zone irritative est directement péricicatricielle et située en« surface ». Il n’est ainsi pas possible d’interposer un lambeauen tant que tel, car la rançon esthétique serait trop importante et

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ne ferait que déplacer la zone douloureuse en périphérie dulambeau, au niveau des nouvelles cicatrices créées.

Dans notre étude préliminaire ouverte, la technique delipofilling a permis d’obtenir 72,7 % de bons ou très bonsrésultats. La réinjection de graisse est une technique efficace surla douleur (EVA) avec une disparition ou une diminution desdouleurs dans 81,5 % des cas, améliore la qualité de vie despatients (taux de satisfaction) dans 72,7 % des cas et entraîneune diminution de leur consommation d’antalgiques ; dansnotre série, les patients ont jugé que l’intervention était peudouloureuse dans 100 % des cas. Il s’agit donc d’une techniquesimple, fiable, reproductible, non douloureuse, associant desrésultats supérieurs aux taux cumulés de réussite des autrestechniques, une absence de complications per- ou post-opératoires et une hospitalisation courte (ambulatoire) suivied’une convalescence réduite. Elle a donc toute sa place dans lastratégie thérapeutique des cicatrices douloureuses. De plus, unéventuel échec de cette technique n’interfère pas avec un autretraitement chirurgical.

L’échec de cette technique chez trois des patients de notresérie pourrait peut être s’expliquer par : soit la coexistenced’une pathologie passée inaperçue (ou au second plan) de typesyndrome douloureux régional complexe chronique, soit lapose d’une mauvaise indication, notamment chez le patientayant présenté un traumatisme de type écrasement du pied(douleur diffuse).

Le principe du lipofilling dans cette indication repose sur lesmêmes fondements que les techniques chirurgicalespréexistantes : la mise en place d’un environnement graisseuxautour d’une zone névromateuse douloureuse apporterait untissu d’interposition mécanique entre la barrière cutanée et lesterminaisons nerveuses libres à l’origine des douleurs, et sonutilisation semble ainsi cohérente dans la prise en charge desdouleurs cicatricielles. La simplicité de cette technique,l’absence de rançon cicatricielle et la faible morbidité nousont semblé être une justification suffisante pour apporter unbénéfice par rapport aux autres techniques chirurgicales.Cependant, la différence qui semble exister entre nos résultatset ceux observés avec les autres techniques d’interpositions (quidonnent des résultats sensiblement identiques), trouve peut êtreson origine dans une action autre que simplement mécanique dela graisse réinjectée.

En effet, la technique de réinjection de graisse décrite parColeman est déjà bien connue pour ses indications decomblement [21,22]. Mais ce dernier met également en avantles effets régénératifs et trophiques de la réinjection de graissedans des tissus endommagés ; de par sa richesse en cellulessouches, la graisse purifiée semble capable de favoriser lacicatrisation des tissus lésés [8,23]. Ces cellules souchesmésenchymateuses dérivées d’adipocytes adultes pourraient sedifférencier in vitro en os, en cartilage, en muscle ou en graisse.Le tissu graisseux possède ainsi des propriétés angiogéniquesuniques résultant de l’effet, sur les cellules endothélialesvasculaires différenciées, de facteurs pro-angiogéniques et anti-apoptotiques produits par les adipocytes et les cellulesstromales. Un grand nombre de publications viennentégalement appuyer la théorie du rôle trophique de la greffe

de tissu adipeux [10,24,25]. Coleman et Mazzola ontrécemment mis en application cette théorie dans la maladiede Dupuytren [26] en effectuant une fasciotomie associée àune réinjection de graisse. Leur théorie repose sur l’hypothèseque le tissu adipeux empêcherait la récidive et favoriserait lephénomène de régénération.

Toutes ces propriétés nous ont laissé penser que cettetechnique pouvait avoir, en plus de son effet mécanique deprotection, un effet favorable dans le traitement des cicatricesdouloureuses en favorisant l’angiogenèse et en diminuantl’inflammation tissulaire. Cela pourrait alors expliquer ladifférence de résultats entre les techniques préexistantes et laréinjection de graisse autologue : l’association de l’effetmécanique bien connu avec les effets régénératifs de la graissepotentialiserait les résultats.

Cette application de greffe de tissu graisseux autologueisolée dans le traitement des cicatrices douloureuses n’ajamais été décrite. Il existe cependant dans la littérature uneétude reprenant l’injection de tissu graisseux autologue dansla prise en charge de névromes cicatriciels, mais elle associaitdans le même temps la résection du névrome [27]. Dans cetteétude, Vaienti and al. ont associé, chez deux patientsprésentant des récidives de névrome du nerf radial aprèsrésection chirurgicale isolée, la résection du névrome du nerfradial à une greffe de tissu adipeux autologue périnévroma-teuse, sous anesthésie générale. Ils ont montré une nettediminution de la douleur avec des EVA passant respective-ment de 81 % à 7 % et de 75 % à 11 %, une amélioration de laqualité de vie des patients et une disparition du pseudo-signede Tinel. Les auteurs attribuaient ces très bons résultats à laprotection mécanique et l’amélioration de la vascularisationapportée par le tissu adipeux. Mais l’exérèse du névrome nepeut être permise que s’il s’agit d’un névrome bien identifié,et n’est pas possible lorsqu’il s’agit de cicatrices névroma-teuses sans lésion individualisée.

Les résultats concernant la technique d’injection de tissugraisseux autologue dans le traitement des névromes cica-triciels sont très satisfaisants. Nous pensons que la graisseinjectée crée une enveloppe protectrice entourant le nerf,réduisant sa compression et recréant un environnementfavorable à la vascularisation locale, diminuant ainsi l’inflam-mation. Il apparaît donc que cette intervention devient uneoption chirurgicale très appropriée dans l’arsenal thérapeutiquedu traitement du névrome cicatriciel de par son efficacité et satrès faible morbidité.

Il faut noter que cette étude préliminaire ouverte présente denombreuses limites : le faible nombre de patients inclus, lecaractère rétrospectif de l’évaluation des principaux critères dejugement, le recul de seulement quelques mois. En effet,certaines études ont montré une résorption de la graisse jusqu’àplusieurs mois après la réinjection : l’efficacité de la techniquedoit donc être réévaluée à distance de l’intervention [28].

Nous avons chez seulement trois des patients de notre sérieun recul supérieur à un an. Les deux patients satisfait et trèssatisfait après l’intervention le sont toujours à un anpostopératoire. Il existe effectivement une légère diminutiondu volume injecté, mais qui n’affecte pas le résultat fonctionnel

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obtenu chez ces patients. Le patient non satisfait initialementpar l’intervention ne présentait aucune modification de sasymptomatologie à un an postopératoire.

5. Conclusion

La réinjection de tissu adipeux autologue isolée, thérapeu-tique novatrice, apparaît comme un concept séduisant dans laprise en charge des névromes cicatriciels résistant au traitementmédicamenteux en apportant un traitement chirurgical simple,efficace et dénué d’effets secondaires indésirables. Une étudeprésentant un plus long recul et un plus grand nombre depatients devra être mise en place pour confirmer ces résultats.

Déclaration d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.

Références

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