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GUERRES AFRICAINES De la compétition ethnique à l'anomie sociale Michel Adam Editions de l'E.H.E.S.S. | Etudes rurales 2002/3 - n°163-164 pages 167 à 186  ISSN 0014-2182 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2002-3-page-167.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Adam Michel , «Guerres africaines» De la compétition ethnique à l'anomie sociale, Etudes rurales , 2002/3 n°163-164, p. 167-186. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions de l'E.H.E.S.S..  © Editions de l'E.H.E.S.S.. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.    D   o   c   u   m   e   n    t    t    é    l    é   c    h   a   r   g    é    d   e   p   u    i   s   w   w   w  .   c   a    i   r   n  .    i   n    f   o     u   n    i   v _    t   o   u    l   o   u   s   e _    1   -      1    9    3  .    4    9  .    4    8  .    2    4    9   -    2    0    /    1    1    /    2    0    1    1    0    2    h    1    4  .    ©    E    d    i    t    i   o   n   s    d   e    l    '    E  .    H  .    E  .    S  .    S  . D m e é é g d s w c r n n o u v o o 1 4 4 2 2 1 2 0 © E o d E H E S S

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GUERRES AFRICAINES

De la compétition ethnique à l'anomie socialeMichel Adam Editions de l'E.H.E.S.S. | Etudes rurales 

2002/3 - n°163-164

pages 167 à 186

 ISSN 0014-2182

Article disponible en ligne à l'adresse:

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http://www.cairn.info/revue-etudes-rurales-2002-3-page-167.htm

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Pour citer cet article :

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Adam Michel , «Guerres africaines» De la compétition ethnique à l'anomie sociale,

Etudes rurales , 2002/3 n°163-164, p. 167-186.

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Distribution électronique Cairn.info pour Editions de l'E.H.E.S.S..

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Études rurales, juillet-décembre 2002, 163-164 : 167-186

EN LAISSANT DE CÔTÉ LES DRAMES du Viêt-Nam, du Cambodge et de l’Afghanistanainsi que le cas particulier de la Palestine,

l’Afrique intertropicale est la région du mondeoù, sous des formes diverses (guerres civiles ou« interethniques », guerres internationales), serencontre depuis trente ans le plus grand nombrede conflits armés. Par «conflits armés » nous en-

tendons des opérations militaires engageant descombattants organisés, opérant sous une autoritéunifiée et visant nominalement (sinon toujoursdans les faits) des objectifs autres que le pillage.De surcroît, ces conflits ont affecté la quasi-totalité de l’aire géographique considérée. Surles quarante-cinq pays africains localisés ausud de l’équateur, une dizaine, tout au plus, aéchappé à une situation quasi chronique de vio-lence collective tandis que près de la moitiéconnaissait des guerres entraînant, directementou indirectement, la mort d’au moins 10millions de personnes. Dans un continent déjàlargement éprouvé par les effets meurtriers desdésordres climatiques (notamment les épisodes

de sécheresse des années 1972 à 1976), le nom-bre de victimes des guerres africaines a large-ment surpassé les chiffres des catastrophes dites

« naturelles ». Depuis les débuts de la guerrecivile du Soudan (environ 2 millions de mortsdepuis 1958) jusqu’aux conflits plus récents duLiberia, du Sierra Leone, des deux Congo, del’Ouganda et de la Côte-d’Ivoire (entre 500 000

et 1 million de morts), les chiffres des victimesde guerre dans l’Afrique contemporaine sontcomparables à ceux des grands conflits euro-péens du XIXe siècle et même, pour certains pays,dépassent ceux de la Première Guerre mon-diale1 : Biafra (1967-1970) : 2 millions de morts;Tchad (guerre civile chronique depuis 1965) :

300 000 à 500 000 morts; Angola (guerre civiledepuis 1975 faisant suite à la guerre de libérationnationale) : 700 000 à 1 million de morts ;Mozambique (guerre civile de 1975 à 1992faisant suite à la guerre de libération nationale) :peut-être 1 million et demi de morts; Éthiopie-Érythrée-Somalie (de 1961 à nos jours) : environ700 000 morts; Rwanda-Burundi (plusieurs

guerres civiles depuis 1964, dont le génocide de1994) : plus de 1 million de morts.

Michel AdamGUERRES AFRICAINES

DE LA COMPÉTITION ETHNIQUE

À L’ANOMIE SOCIALE*

* Cet article est une version modifiée de la communi-cation présentée en langue espagnole le 7 novembre 2000au colloque franco-mexicain intitulé  Identités, globali-

sation, démocratie, organisé conjointement par le Labo-ratoire d’ethnologie et de sociologie comparative(CNRS-Université de Paris X-Nanterre) et le Centro de

investigaciones y estudios superiores de antropologiasocial (Université de Mexico) et tenu à San Luis Potosi(Mexique). L’auteur remercie les responsables du col-loque de l’avoir autorisé à faire usage de ce texte pour unepublication en langue française.

1. Guerres de la Révolution et de l’Empire : 3,5 millions(dont pertes françaises : 1,5 million) ; guerre de Crimée :400 000; guerre de Sécession : 600 000 à 800 000; guerre

de 1914-1918 : 15 millions, dont 1,4 million pour laFrance et autant pour l’Allemagne [Corvisier 1995 : 172 ;Dupuy et Dupuy 1986].

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Guerres d’autrefois, guerres d’aujourd’huiUne première observation, de caractère compa-ratiste, laisse à penser tout d’abord que l’impor-tance remarquable des guerres en Afrique estun phénomène récent. Ragner Numelin, qui

a tenté une recension des faits de guerre dansl’Afrique précoloniale à partir d’observationsde voyageurs et d’ethnographes du début du XXe

siècle (1963), note que, à contre-courant des cli-chés répandus en Europe à cette époque, lesAfricains ne témoignaient pas de propensionsbelliqueuses particulières2. Les guerres, écrit

Numelin, sont en Afrique plutôt rares, leurdurée est strictement limitée et les victimes peunombreuses [1963 : 30]. Rares sont les popula-tions africaines, note Dietrich Westermann,disposant d’armées permanentes et nombred’entre elles, comme les Shilluk, éprouvent unegrande réticence à déclencher la guerre [1912,1952 : 151]. De nombreux témoins mentionnent

que, hormis le cas des guerres esclavagistes, lesenjeux des conflits se limitent le plus souvent àdes rapts de femmes et à la capture de bétail[Roscoe 1915 : 190; Smith et Dale 1920, t. 1 :170 ; Wagner 1940 : 226-230]. Parlant desSomali, Danakil et Oromo, Philipp Paulitschke[1893 : 254-259] relève que les guerres qui peu-vent leur être imputées ne sont pas très meur-trières. Traversant l’Afrique de l’océan Indien àla région des Grands Lacs, David Livingstoneinsiste sur le caractère foncièrement pacifiquedes populations rencontrées [1857 : 32]. Des jugements comparables s’appliquent à maintspeuples d’Afrique du Sud décrits comme de« paisibles agriculteurs » [Holub 1881, t. 1 : 14].

D’autres peuples réputés aujourd’hui belli-queux, tels les Hima et d’autres groupes ban-tous ou nilotiques de l’Ouganda et du Kenya,

sont décrits comme pacifiques [Roscoe 1907 :108; 1909 : 190; 1915 : 190, 242, 288; 1923 :154]. En Zambie aussi bien que chez les Maasaidu Kenya, la guerre se limite à des escarmou-ches et des embuscades suivies d’une retraite

précipitée [Hinde et Hinde 1901: 64; Smith etDale op. cit., t. 1 : 170]. Dès que les Hima, rap-porte John Roscoe, ont perdu un ou deux hom-mes, ils cessent le combat [1907 : 108]. Les Ilade Zambie, écrivent Edwin Smith et AndrewDale, réduisent souvent la guerre à des combatssinguliers entre « champions » [op. cit., t. 1 :

175-176]3

. Chez des peuples dont l’humeurmartiale est, à l’époque, reconnue, comme lesTouaregs, les Teda, les Maasai ou les Toposa,les guerres sont rarement longues et peu decombattants sont tués. Chez les Teda ou lesMaasai, on ne pénètre pas dans le territoire desennemis ; les vaincus ne sont pas tués, maiséchangés contre rançon [Hinde et Hinde

op. cit . : 64; Letourneau 1895 : 268; Thomson1881, t. 1 : 164]; les femmes ne sont jamaisattaquées et tuées [Hinde et Hinde op. cit . : 64].Beaucoup de populations africaines, notent lesvoyageurs, réduisent coutumièrement les occa-sions de guerre ou s’interdisent contractuelle-ment de la pratiquer. Certaines ethnies – ycompris parmi celles qui valorisent la guerrecomme les Maasai – n’attaquent jamais parsurprise mais ont pour règle de déclarer l’ou-verture des hostilités [ibid . : 64-65]. D’après

Michel Adam

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2. Parmi les auteurs cités, mentionnons Baumann,Bohannan, Burckhardt, Cunard, Hinde, Holub, Issacs,Johnston, Letourneau, Livingstone, Partridge, Paulitschke,Roscoe, Smith et Dale, Thomson, Torday et Joyce,

Wagner, Westermann, etc.

3. Voir également S.L. Hinde et H.B. Hinde [op. cit . : 64].

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Oskar Baumann [1894 : 188], chez les Toposa,les hostilités ne peuvent être ouvertes quelorsque la lune est pleine. Les populations de laCross River (sud du Nigeria) s’engagentsolennellement à préserver la paix par des traités

[Partridge 1905 : 191].Étudiant la tradition orale, des auteurs plus

récents font des observations semblables. Pré-cédés d’une réputation de faiseurs de guerre,les Tiv du Nigeria, notent Paul et Laura Bohan-nan, en règlementaient sévèrement l’exercice[1953 : 25-26]. Claude Meillassoux signale

que, chez les Gouro de Côte-d’Ivoire, la guerren’avait jamais d’objectif territorial [1964 :243]. Quoique cette intention, semble-t-il, n’aitpas été étrangère aux Bete, pourtant prochesvoisins des Gouro, Denise Paulme mentionne àleur propos diverses pratiques de guerre visantà réduire ses effets destructeurs : il était d’u-sage, dit-elle, de prévenir l’adversaire afin d’as-

surer l’évacuation des femmes et des enfants[1960]. Après la perte de deux ou trois combat-tants, la guerre prenait fin. Les vaincus devaientpayer un butin (bétail, ivoire, armes, portion deterre). En contrepartie de leurs morts, ils rece-vaient le prix du sang4. De part et d’autre, lesblessés étaient soignés par des hommes, lesfemmes ne devant pas voir couler le sang. Lapaix était célébrée par le sacrifice d’une chèvredont les vainqueurs mangeaient la tête et l’a-vant-train, les vaincus, l’arrière-train. Dans uneétude consacrée aux guerres chez les Zulu,Keith Otterbein, enfin, précise que chez ce der-nier peuple toutefois, le caractère meurtrier dela guerre n’a cessé de s’aggraver tout au long

du XIXe

siècle [1967].Il n’existe aucune corrélation entre la fré-quence, l’intensité ou la violence des guerres

recensées au cours de la période postcolonialeet certaines caractéristiques culturelles ou so-ciales propres aux différents protagonistes desconflits. Cette observation rejoint ou confirmeles conclusions établies depuis longtemps par

les rares spécialistes de l’anthropologie de laguerre. Quels que soient leur niveau de déve-loppement technique, leur genre de vie, leurforme d’organisation sociale et politique,quelle que soit la propension des peuples dumonde à entretenir un ethos plus ou moinsguerrier, aucun d’entre eux n’est à l’abri du

risque de la guerre, lequel semble reposer surdes facteurs purement historiques, c’est-à-dire,non pas dépendant de la nature de la structure(ou du complexe culturel) mais issus d’unesituation de crise affectant quelque type destructure que ce soit, indépendamment donc desa nature propre. Afrique du Sud mise à part,examinons, à cet égard, la situation des princi-

pales grandes aires culturelles.– Marquée par la conjugaison du pastora-

lisme nomade et d’une paysannerie fortementorganisée, la quasi-ubiquité d’une grande reli-gion universaliste (l’islam), l’ancienneté descourants commerciaux et des contacts avec l’Oc-cident, l’existence de sociétés socialement strati-fiées et urbanisées, l’Afrique dite sahélienne a

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4. D. Paulme décrit l’usage qui consiste à arborer des tro-phées sexuels : le vainqueur coupait le sexe de l’ennemi etle suspendait à la porte d’une case sous le regard des fem-mes. De nombreux auteurs font également mention de lamanducation cérémonielle des testicules par les guerriersvainqueurs. De même que la décapitation des cadavres(généralement suivie de l’exhibition des crânes), ces pra-tiques, qui privaient les ennemis de leur capacité à se réin-

carner et signaient leur mort définitive, étaient répanduesdans toute l’Afrique [Partridge op. cit . : 229-233; Roscoe1907 : 108 ; Smith et Dale op. cit., t. 1 : 177-179].

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connu les guerres civiles du Mali (rébellion desTouaregs), du Niger (rébellion des Touaregs), duTchad (affrontements entre nomades toubou etpopulations méridionales, suivis de multiplesconflits interethniques) et du Soudan (guerre

civile entre Nord arabo-musulman et Sud nilo-africain).

– L’Afrique guinéenne des forêts et des sa-vanes, renommée pour la richesse de ses tradi-tions religieuses et artistiques, siège de trèsanciens royaumes et, par ailleurs, gravementmaltraitée pendant plusieurs siècles par la traite

esclavagiste, a souffert des guerres du Biafra, duLiberia, du Sierra Leone et, plus récemment,des multiples heurts interethniques et interreli-gieux du Nigeria (Ogoni, Ibo, Karimojo, Fulani,etc.) ou des menaces de guerre civile planant surla Côte-d’Ivoire.

– L’Afrique centrale et australe, à faibledensité démographique, formée de sociétés

égalitaires et peu centralisées, sans courantscommerciaux importants, sans tradition ur-baine, sans religion universaliste, mais présen-tant, en raison de leur commune participation àla civilisation bantoue, une grande unité cultu-relle et linguistique, a enduré une situation quasipermanente de guerre civile plus ou moinsmeurtrière, de l’Angola au Mozambique, duZaïre (Congo actuel) au Zimbabwe.

– L’isolat montagnard de l’Afrique desGrands Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi), trèsdensément peuplé de populations paysannessédentaires (200 à 400 habitants au km2), do-miné par d’antiques régimes féodaux, a connu,depuis l’époque des indépendances, les conflits

communautaires les plus dévastateurs de tout lecontinent.– Formant un microcosme en soi (l’Éthiopie

montagnarde, aristocratique et paysanne, sièged’un ancien royaume chrétien, héritière d’uneculture à dominante amharique ; la Somalie, dé-sertique, occupée par des sociétés égalitairesd’éleveurs nomades musulmans, mais affichant

– cas unique en Afrique – une remarquableunité ethnique et linguistique; le Kenya et laTanzanie, territoires composites par excellence,où s’entrecroisent paysanneries d’origine ban-toue, agropasteurs égalitaires nilotiques et cou-chitiques, planteurs, commerçants et marinsarabisés de l’océan Indien), l’Afrique orientale

n’a pas échappé à des situations conflictuellesplus ou moins fratricides. Il en fut ainsi enÉthiopie (guerre civile entrecoupée d’affron-tements avec la Somalie et l’Érythrée) ; enSomalie (guerre civile interclanique); à Zanzi-bar (conflits meurtriers entre Arabes, Swahili etautres groupes africains socialement dominés).En contrepoint, et en dépit de plusieurs massa-

cres interethniques, le Kenya a pu passer, danscet océan de violences, pour un modèle de paixcivile.

Sans négliger le jeu des influences étran-gères et des appuis en sous-main apportés auxdivers protagonistes, peu de conflits cependant(cinq au total) ont fait l’objet d’interventionsmilitaires extérieures. Tel fut le cas en 1967 dela guerre du Biafra (sans participation militairedirecte, mais entretenue par le concours tech-nique et les livraisons d’armes massives deplusieurs pays européens), de la guerre civilede l’Angola (soutien militaire direct de Cuba etde l’Afrique du Sud), de la guerre civile duMozambique (appuis militaires de la Chine et

de l’Afrique du Sud), de la seconde guerreentre Éthiopie et Somalie (aide militairede l’URSS en 1977-1978), de la guerre civile

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de Somalie (intervention massive des États-Unis en 1993). Ajoutons les aides militaires dela France et de la Libye dans la guerre duTchad, celles des États-Unis et de certainspays arabes dans la guerre du Soudan. Même

si certaines d’entre elles ont pu être amplifiéesou prolongées en raison de manipulations ex-térieures, les guerres africaines sont, dans leurmajorité, davantage des guerres entre Africainsque des guerres entre grandes puissances parAfricains interposés.

Sur vingt-quatre conflits importants recensés

depuis le début des années soixante, vingt et unse présentent sous la forme de guerres civiles.Quant aux guerres internationales ou à leurs pré-mices heureusement avortées (Sénégal contreMauritanie en 1989), la plupart d’entre elles dis-simulent des enjeux ethniques qui entretiennentla division à l’intérieur de l’un des deux camps(Tchad contre Libye, Tanzanie contre Ouganda,

Éthiopie contre Somalie, Ouganda contreCongo). Dans un cas comme dans l’autre, ungrand nombre de ces guerres présentent uncaractère chronique et se prolongent pendantdes décennies. Ce sont des guerres sans fin et,pour certaines d’entre elles, sans issue prévi-sible : guerre civile du Mozambique (la seuleguerre civile africaine en voie de règlementdéfinitif) : dix-sept ans; guerres de l’Angola, del’Ouganda, de la Somalie : près de vingt ans ;guerres civiles du Tchad : vingt-six ans ; guerresintestines des deux Congo, du Rwanda et du Bu-rundi : près de quarante ans; guerre du Soudan :quarante-deux ans.

Les référents idéologiques des conflits ne

sont pas clairement affichés et, lorqu’ils lesont, ils recouvrent fréquemment des opposi-tions de caractère ethnique, religieux ou encore

ethnico-religieux. Tel est le cas (quasi caricatu-ral) de l’Angola où chaque protagoniste épouseles contours d’un groupe ethnique de référence(les Mbundu pour le Mouvement populaire delibération de l’Angola, les Ovibundu pour l’U-

nita, les Bacongo pour le Front national delibération de l’Angola). Bien que l’histoire ré-cente de l’Afrique des Grands Lacs (guerresciviles du Rwanda et du Burundi) représentel’exception notable de conflits de naturesociostatutaire et socioéconomique (dont lestrès lointains référents ethniques avaient étédepuis longtemps escamotés dans la cons-cience populaire), il est remarquable que, sousla gouverne d’anciens préjugés coloniaux, lesprotagonistes aient été, au fil des années, redé-finis par chacun des deux camps comme desgroupes ethniques ennemis, identité largementmythique mais reconduite ultérieurement parles media internationaux. Si la dimension eth-

nique semble donc presque partout partie pre-nante, notons au passage qu’elle est plusexplicite encore s’agissant des groupes de pas-teurs nomades, davantage résistants auxprocessus d’intégration dans des ensemblesétatiques dominés par des sédentaires (Toua-regs du Mali et du Niger, Toubou du Niger etdu Tchad, Arabes du Ouaddaï tchadien et duSoudan, groupes nilotiques de l’Afrique del’Est, Somali de l’Éthiopie et du Kenya, etc.).

Dans plusieurs régions d’Afrique (Liberia,Sierra Leone, Congo, Ouganda, Somalie, etc.),les affrontements dégénèrent depuis peu en lut-tes sans merci entre bandes armées prédatricesdirigées par des sortes de « seigneurs de la

guerre ». S’imposant par la terreur et le mas-sacre des populations civiles, souvent forméesd’adolescents très jeunes, voire d’enfants-

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soldats, ces bandes paraissent entraînées par lacupidité ou le désespoir. Totalement privés detout soutien populaire, vivant à l’écart des villa-ges, leurs membres sont considérés, à l’égal desgénies malfaisants, comme des « dégoutantes

créatures de brousse » [Peters et Richards1998]. Les déserteurs ne trouvent pas d’appuiauprès des villageois qui chercheraient plutôt àles massacrer. Cette évolution de la nature de laguerre suggère des transformations sociales ap-parues au sein des groupes ethniques ou despays belligérants.

La question de l’État au cœur des conflitsS’il est difficile de faire apparaître en Afriqueune propension particulière à la guerre (autre-ment dit une « culture » de la guerre s’imposantsur la longue durée); s’il est impossible d’éta-blir des corrélations internes entre les caracté-ristiques socioculturelles propres à chaque pays

concerné et l’émergence des faits de guerre, latentation s’impose alors de mettre ceux-ci enrelation avec certaines propriétés communes àl’ensemble des pays africains au cours de lapériode récente. Au risque de ressasser des évi-dences, comment ne pas rappeler, en effet, que,de tous les continents, l’Afrique est celui qui aconnu en un seul siècle les bouleversements les

plus considérables? Est-ce abuser de la pa-tience du lecteur que d’évoquer une fois encoreles métamorphoses (culturelles, sociales etpsychologiques) que furent les quelques décen-nies d’occupation coloniale succédant aux trau-matismes des ponctions esclavagistes? Dansdes contextes géographiquement et culturelle-

ment composites, faut-il mentionner que la plu-part des puissances coloniales ont attisé lestensions entre les groupes ethniques, allant

même, au Rwanda et au Burundi, jusqu’à cons-truire de fausses identités ethniques sur desbases culturellement homogènes? Faut-il men-tionner encore qu’à l’issue d’une décolonisa-tion réalisée en moins d’une décennie – et alors

que n’existait dans la plupart des régions au-cune tradition étatique et pas davantage deconscience nationale – ont été imposés desÉtats sur le modèle occidental? Est-il néces-saire d’insister (même si cette disposition est,dans le reste du monde, le lot commun de bonnombre d’États à un certain moment de leurhistoire) sur le caractère mutilant du découpagecolonial des frontières, certaines d’entre ellesséparant des groupes humains culturellementhomogènes (Somali, Touaregs, Bacongo, Maa-sai, etc.) tandis que d’autres réunissaient artifi-ciellement des populations étrangères les unesaux autres (Tchad, Soudan, Nigeria, Cameroun,etc.)? Faut-il revenir, enfin, sur le fait qu’au

cours du dernier demi-siècle, et, en particulier,au cours de la dernière décennie, les donnéesdémographiques, économiques, sociales, poli-tiques propres aux populations africaines ontété – plus qu’ailleurs dans le monde – radicale-ment transformées? C’est sur la question del’État, par conséquent de sa solidité politique,de sa capacité à maintenir la paix civile, de

l’efficacité de ses interventions éducatives etsocioéconomiques, que convergent les difficul-tés de la situation actuelle. Deux moments his-toriques, à cet égard, peuvent être distingués.

Certaines fractions réduites du territoire afri-cain ont connu, pour une durée variable, l’exis-tence d’États ou de proto-États pluriethniques

de caractère tributaire (Mali, Songhaï, Kanem-Bornou, Bénin, Zimbabwe, etc.). Mais, quellesqu’aient pu être, à l’occasion, leurs capacités de

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ponctionnement fiscal, ces instances de gou-vernement avaient essentiellement des fonc-tions de protection. Ce qui est spécifique del’État moderne, au contraire (et cela se vérifieen particulier dans le cas africain), c’est son ap-

titude à contrôler les flux des biens et desservices, à infléchir les grandes lignes de l’o-rientation culturelle et technique (notammentpar la politique d’éducation), à accumuler et àredistribuer les ressources nationales ainsi quecelles issues de l’aide extérieure. Quelle quesoit la nature des institutions publiques fonda-trices (constitution, organisation administrativeet judiciaire, etc.), la question du contrôledémocratique de l’État interventionniste – etdes moyens dont il dispose – se présente sousun jour d’autant moins favorable que les opéra-teurs de ce contrôle sont insuffisants ou dé-faillants (instruction scolaire peu répandue,presse anémique, partis politiques sans consis-

tance, réseau associatif embryonnaire, commu-nications difficiles, opinion publique amorpheou inopérante). Ainsi s’explique, dans la dé-cennie qui succède aux indépendances africai-nes (1960-1970), la mise en place d’un pouvoird’État déchargé de responsabilité politique ré-elle, pourvu d’une base sociale restreinte et au-quel les politologues ont attribué le qualificatif 

de « patrimonial » [Bayart 1989 ; Médard 1990,1992].

Le modèle politique « patrimonial »

Répandu dans toute l’Afrique, l’État patrimo-nial possède des caractéristiques remarquables :

– Les forces politiques actives sont réduites

à une petite oligarchie de politiciens profession-nels. Formés à l’occidentale, ces politiciensreprésentent une nouvelle classe méritocratique,

laquelle ne se confond en rien avec la géronto-cratie traditionnelle toujours présente à l’échellelocale, et conservant, en raison des préséancesliées à l’âge et au rang généalogique, sa positiontutélaire. Jusqu’au début des années quatre-

vingt-dix, l’oligarchie se concentre dans unparti unique « national », supposé rassemblertoutes les sensibilités politiques ainsi que lesreprésentants de chaque région et de chaquegroupe ethnique.

– Le parti unique constitue en réalité uneimage déformée du pays concret. Issue dans samajorité de la bureaucratie coloniale (beaucoupplus rarement des mouvements de libérationnationale), la classe politique est fréquemmentl’émanation de l’un des groupes ethniquesayant bénéficié naguère, et au détriment des au-tres groupes, d’un effort particulier de promo-tion de la part de la puissance tutélaire.

– En l’absence de contrôle démocratique,

les détenteurs du pouvoir s’arrogent le droitd’une appropriation privative des ressourcespubliques. Sous la forte pression des réseauxde clientèle et de la hiérarchie gérontocratique(d’origine lignagère ou régionale), obéissantpar ailleurs à des rapports de forces internes auparti unique, cette appropriation est redistri-butive : elle opère prioritairement – et donc

inégalement – au bénéfice de l’ethnie de réfé-rence; secondairement – et plus chichement –elle répond aux attentes des autres groupesethniques. La redistribution prend la formede prébendes : argent, services, passe-droits(accès aux écoles contingentées, bourses d’é-tudes, facilités d’obtention des emplois et des

marchés publics, etc.).– Entre la hiérarchie méritocratique natio-nale et la classe gérontocratique locale se

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réalise un équilibre difficile et souvent conflic-tuel, à l’image de celui qui s’impose à l’échellelocale entre aînés et cadets. Bénéficiaires,grâce à la diffusion de l’enseignement, demeilleures ressources monétaires (emplois sa-

lariés, accès facilité aux innovations agricoleset au marché des productions de rente, etc.),les cadets s’efforcent d’échapper au contrôledes aînés et de réduire à leur profit le montantdes prestations lignagères; de leur côté, lesaînés pressurent les cadets par l’entremise dessanctions coutumières (contrôle des mariageset des prestations matrimoniales, sorcellerie,etc.). À l’échelle nationale toutefois, en raisonde l’absence de renouvellement du personnelpolitique, cette tension a tendance, avec letemps, à s’atténuer. Tandis que la méritocratieacquiert en vieillissant les privilèges de l’âgeet de l’aînesse, elle asseoit et consolide sonpouvoir local et régional. Cumulant tous les

pouvoirs, elle élargit aussi sa légitimité « tra-ditionnelle » au détriment, cette fois, des jeu-nes élites, écartées des postes du pouvoir.

– De manière périodique – et tenant comptedu rapport de forces en présence (en particulierdu contrôle plus ou moins efficace de l’armée etde la police dont la composition ethnique peutdifférer de celle du gouvernement) – le pouvoir

change violemment de camp, satisfaisant desdesseins de revanche ethnique ou exprimantsimplement la rébellion des jeunes élites, inca-pables de faire valoir autrement des principesméritocratiques. Qu’il soit ou non validé par desélections contrôlées par le nouveau pouvoir, lecoup d’État, plus ou moins sanglant, devient le

moyen quasi normal de l’alternance politique etse substitue à des élections libres et honnêtes(Mali, Niger, Guinée, Liberia, Burkina Faso,

Ghana, Nigeria,Togo, Bénin, Cameroun,Tchad,Centrafrique, Congo, Zaïre, Soudan, Ouganda,Zambie, etc.).

– À quelques exceptions près enfin (chez lesTouaregs du Sahara, les Somali du Kenya et de

l’Éthiopie, les dissidents du Katanga congolais,du Biafra nigérian et de la Casamance séné-galaise), jamais les groupes contestataires nerevendiquent la sécession mais s’appliquent, aucontraire, à s’emparer de l’État oppresseur afinde tirer profit, à leur tour, de ses capacités pré-datrices. Cette position est illustrée notammentdans les conflits affectant les États rentiers,riches en matières premières : les deux Congo,le Nigeria contemporain, la Zambie, l’Angola.Au cours de la période considérée, les affron-tements politiques internes sont loin, parconséquent, de se confondre avec des conflitsidentitaires. Lorsque la guerre entre les groupesprésente des enjeux ethniques, il s’agit, le plus

souvent, dans un cadre national inchangé, d’unesimple compétition pour l’accès au pouvoir.L’observation qui précède appelle bien en-

tendu quelques commentaires. Quoique les guer-res opposent des groupes ethniques, il estremarquable – on vient de le signaler – que cesderniers ne recherchent pas la reconnaissanced’une identité collective qui leur aurait été

déniée. Leurs objectifs ne sont pas l’autonomieterritoriale et l’éclatement de l’État. Ils necontestent pas le principe de l’État unitaire sou-verain et revendiquent encore moins un quel-conque aménagement fédéraliste des institutions.S’appuyant sur une image de l’État qui est celled’une machine à ponctionner les ressources

d’autrui, ils ambitionnent, par le moyen d’unaccaparement égoïste du pouvoir, le contrôle deces mêmes ressources. Toute formule fédéraliste

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serait contraire à leurs intérêts puisqu’elleconduirait à priver chaque groupe des chancesd’accéder à la totalité ou à l’exclusivité du pou-voir et de la richesse nationale. Les groupesethniques développent donc une ambition préda-

trice qui consiste à priver les autres citoyens del’essentiel de leurs richesses, tout comme si cesderniers étaient considérés virtuellement commedes ennemis. Le principe de fonctionnement desÉtats africains est ainsi celui d’une rivalité eth-nique menant à une logique de guerre intestine.Les luttes politiques ont pour objectif d’écraserles adversaires, de les dépouiller et de les réduireà l’impuissance.

Comparant cette situation à celle de l’Eu-rope ou d’autres régions du monde, la conflic-tualité ethnique en Afrique soulève la questionplus générale du pourquoi de cette faiblesse desrevendications autonomistes. Une premièreréponse réside dans le fait que, hormis quelques

cas isolés (auxquels il faudrait ajouter le Soudanrégenté par des groupes arabo-musulmans), iln’existe pas en Afrique intertropicale d’hégé-monie ethnique susceptible de brider lesressorts culturels des groupes rivaux. Cette ab-sence d’impérialisme culturel de la part dugroupe politiquement dominant vient largementde ce que, à l’encontre des situations rencon-

trées autrefois dans plusieurs pays d’Europeoccidentale (et, dans une certaine mesure, au-  jourd’hui en Algérie dominée par la languearabe), les auxiliaires culturels du pouvoir et dela promotion sociale sont étrangers au pays. Lepassage obligé par la langue et la culture del’ancien colonisateur (français, anglais, portu-

gais) transcende les oppositions identitaires enrendant dérisoires les enjeux vernaculairescomme media d’ascension sociale. À supposer

que les cultures africaines soient en passe d’êtremenacées, aucune d’entre elles ne serait à l’abrides phénomènes d’érosion auxquels les exposela confrontation avec la diffusion générale d’uneculture savante cosmopolite.

Une autre raison de l’absence de toute re-vendication autonomiste tient à la naturemême de la réalité ethnique. On sait que, s’ap-pliquant à certaines sociétés d’agropasteurs, lemodèle segmentaire proposé en son temps parl’anthropologie britannique (E. Evans Prit-chard, M. Fortes, etc.) développe un schémadit « d’anarchie ordonnée » produisant, en casde menace extérieure, le regroupement fusion-nel de segments gentilices habituellementrivaux. Mais, outre le fait que ce modèle s’ap-plique à des niveaux infra-ethniques (la tribu),il est loin de s’imposer dans l’ensemble de l’A-frique. Dépourvues de toute instance (mêmetemporaire) de gouvernement, n’ayant jamais

connu de menace sérieuse compromettant leurexistence en tant que groupe, la plupart desethnies africaines sont des réalités exclusive-ment culturelles; ce ne sont, en aucun cas, desproto-nations. À l’encontre d’une remarquefaite précédemment à propos du caractèremutilant des frontières étatiques, quiconqueconnaît un peu l’Afrique sait que le sentiment

d’appartenance ethnique éprouvé par les indi-vidus n’est nullement incompatible avec l’atta-chement – souvent fort vif – à la citoyennetéterritoriale héritée de l’époque coloniale. Im-posé par l’Organisation de l’unité africaine en1963, et rarement violé depuis, le principe del’intangibilité des frontières coloniales porte la

marque de cette remarquable défection desidentités politiques de la part des nombreuxgroupes ethniques traversés par ces mêmes

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frontières5. Le large accord maintenu par lesgouvernements et les peuples autour de ce prin-cipe explique le petit nombre de guerres inter-nationales, même si la totalité d’entre elleseurent, en effet, des enjeux ethnico-territoriaux.

Qu’est-ce donc alors que la conscience eth-nique,ou l’ethnicité, dans le contexte africain? Siles affrontements interethniques ne débouchentpas, sauf exception, sur des formules de repli ter-ritorial (exprimant en quelque sorte le désir devivre à tout prix « entre soi »), ce qu’on appelleconscience ethnique ou ethnicité ne consiste pasdavantage à célébrer le culte d’une quelconque« essence ethnique» (comme c’est aujourd’hui lecas pour certaines régions de l’Union euro-péenne). Elle définit simplement, dans la mise enœuvre des relations de confiance et de solidarité,un système de préférences. Agissant au sein del’ethnie d’appartenance, un tel système établit unensemble de droits et de contraintes inscrits dans

les rapports tutélaires décalqués des rapports gé-néalogiques et lignagers. En contrepartie de leursoutien politique, les « clients » ethniques s’esti-ment fondés à solliciter protection et redistributionauprès des membres de l’in-group détenant uneposition de puissance; sous réserve de négociationdans le rapport de forces qui s’instaure entredépendants et notabilités ethnico-lignagères,

ces dernières sont placées dans l’obligation decéder aux injonctions de leurs intercesseurs.

Il existe deux variantes au schéma d’alter-nance politique du gouvernement patrimonialprécédemment exposé.

La première est celle où, en raison d’une ges-tion patrimoniale soucieuse de prévenir les dé-

bordements ethniques et générationnels, un seulpouvoir se maintient au cours d’une longuepériode – ou encore assure pacifiquement sa

succession, situation propre à certains paysd’Afrique occidentale et orientale et caractéri-sant les seuls pays échappant (ou ayant échappé jusqu’à tout récemment) aux situations de guerrecivile (Sénégal, Gabon, Côte-d’Ivoire, Tanzanie

continentale, Kenya).La seconde variante correspond à l’occur-

rence où les oppositions politiques locales sontutilisées par des puissances étrangères rivales.Hormis le cas contemporain du Soudan (et desimplications politico-pétrolières des États-Unis, du Canada, de la France et des pays ara-bes), tel fut le cas autrefois de l’Angola, duMozambique et, jusqu’à un certain point, del’Éthiopie, où Cuba et l’URSS affrontèrentindirectement des positions stratégiques défen-dues par l’Europe, l’Afrique du Sud blanche etles États-Unis6. La guerre civile peut alors seprolonger pendant de longues années.

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5. Les rares exceptions concernent des pays riverains ouproches de la Méditerranée : Sahara occidental (quioppose le Maroc et les Sahraoui regroupés dans le FrontPolisario); nord du Tibesti (naguère disputé par la Libyeet le Tchad). Le cas de l’Érythrée est particulier : colonieitalienne en 1890, elle fut ultérieurement annexée àl’Éthiopie qui fut contrainte de lui rendre son indépen-dance après une guerre de dix-neuf ans (1974-1993). Lesseules véritables exceptions en Afrique intertropicale

sont le Biafra et le Shaba congolais, déjà mentionnés,ainsi que la Somalie qui mena deux guerres contrel’Éthiopie afin de mettre en œuvre son projet de Somalieréunifiée.

6. Localisés dans une région contrôlée par la rébellion su-diste mais aujourd’hui repassée sous l’autorité du gouver-nement de Khartoum, les gisements pétroliers du Soudanont d’abord fait l’objet de prospections au profit des com-

pagnies Chevron (USA) et Total (France). En 1998, l’ex-ploitation en a été confiée à un consortium de sociétéschinoise, canadienne et malaisienne [Prunier 2001].

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Dans les formes ainsi décrites de régulationinterne ou d’infléchissement externe, le modèlepolitique patrimonial fonctionne pendant plus detrente ans (du début des années soixante audébut des années quatre-vingt-dix). Bien que

fortement impliqué parfois dans le déclenche-ment de drames à grande échelle (guerres duCongo ex-belge, du Biafra, du Soudan, de l’An-gola, etc.), le face-à-face politique de cette pre-mière période ne remet pas en cause les grandséquilibres sociaux, la conjoncture africaine etinternationale contribuant par ailleurs à assurerla survie des mêmes protagonistes. La crois-sance économique est faible (ou nulle) et peucréatrice d’emplois. La dette publique, en secreusant, accroît davantage la dépendance vis-à-vis de l’extérieur. Cependant, stimulée par lacompétition entre les deux blocs mondiaux,l’aide européenne suffit encore à nourrir les po-pulations les plus pauvres tout en maintenant en

place des régimes parasites et corrompus maisprotecteurs des intérêts néocoloniaux (en ma-tière de rayonnement culturel et linguistique, dedéfense des marchés d’exportation, d’appuipolitique dans les instances internationales, etc.).

L’entrée de l’Afrique dans la modernité

Après avoir longtemps piétiné, et en même

temps que s’accélère l’histoire du monde(chute du Rideau de Fer, fin de la guerre froide,développement fulgurant des pays émergents,aggravation brutale de la concurrence interna-tionale), la modernité atteint enfin l’Afriquevers la fin des années quatre-vingt.

L’essor démographique, en premier lieu,

produit à terme ses effets à la campagne commeà la ville. Au fur et à mesure que s’opèrent lessaturations foncières (dans certains pays sahé-

liens, en Ouganda, au Kenya, en Tanzanie), lesmigrations rurales provoquent des tensions surles terres cultivées et les pâturages. De la fin desannées soixante-dix au début des années quatre-vingt-dix, la lente dérive vers les savanes humi-

des des agropasteurs sahéliens est observablesur tout le continent au nord de l’équateur,ou encore en Tanzanie et au Kenya. En Côte-d’Ivoire, des Maliens, des Burkinabe occupentdes terres dans la zone forestière7. Là où la den-sité démographique est déjà forte, comme dansla région des Grands Lacs, dans le centre duKenya, voire dans certaines parties du Sénégal,du Cameroun et du Nigeria, là où, pour des rai-sons diverses (surabondance des emplois pu-blics, insécurité rurale, éloignement des centresde santé), la campagne, pourtant peu habitée, aperdu tout attrait pour la paysannerie, commeau Congo ou dans l’ouest de l’ancien Zaïre,l’hypertrophie urbaine – conjoncture absolu-

ment nouvelle en Afrique – échappe au contrôledes gouvernants. Alors que l’épidémie de sidafrappe l’Afrique centrale de plein fouet, des bi-donvilles démesurés se développent à Kinshasa,à Nairobi, à Douala, à Luanda, autour des gran-des villes du Nigeria et de la côte de Guinée8.

À partir de la fin des années quatre-vingt, etfaisant suite à la concurrence des nouveaux

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7. Les mouvements de migration ne concernent pas queles terres agricoles : des éleveurs occupent des terres deparcours dans le nord du pays tandis que, sur le littoral at-lantique,d’autres migrants venus de divers pays d’Afriquede l’Ouest pratiquent la pêche côtière.

8. Évaluation des victimes du sida en Afrique subsaharienne

pour l’année 2002 (chiffres fournis par l’Onusida) : nombrede séro-positifs : 29,4 millions; nombre de décès :2,4 millions ( Le Monde, 27 novembre 2002).

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producteurs (Viêt-Nam, Philippines, Thaïlande,Indonésie, etc.), la chute des cours des matièrespremières (café, cacao, coton, arachide, etc.) neconcourt pas seulement à l’appauvrissement dela paysannerie, mais détériore la situation so-

ciale de l’ensemble des pays. En réduisant for-tement les recettes budgétaires, en creusant lesencours de la dette, en comprimant les dépen-ses publiques, elle déplace la pauvreté du côtédes classes moyennes. Le processus de cettedégradation est bien connu : intervention duFMI, licenciement massif des fonctionnaires,retard croissant du paiement des salaires pu-blics (y compris souvent celui des militaires),délabrement des services publics (réseau rou-tier, voirie et transports urbains, ramassage desordures, services postaux, etc.), altération dusystème scolaire et universitaire, chômage,encombrement du secteur dit « informel »,délinquance, insécurité. Les familles urbaines,

minées de l’intérieur, se fissurent et se disper-sent ; l’antique modèle de solidarité lignagèreest remis en cause.

Tandis que s’engagent les politiquesd’ajustement, les programmes de coopérationbilatérale sont remaniés et gravement amenui-sés. Alors que l’aide de la France aux pays envoie de développement frôlait dans les années

soixante-dix le chiffre de 0,8 % du PNB (pour-centage cependant inférieur au seuil de 1 %recommandé par l’Organisation des Nationsunies et respecté à l’époque par les pays scan-dinaves), elle connaît vingt ans plus tard unnet recul, en particulier s’agissant de l’aidedirecte aux gouvernements (l’aide totale pla-

fonne aujourd’hui à 0,37 %, avec l’objectif tout à fait théorique de retrouver, dans un ave-nir proche, le chiffre précédemment men-

tionné). À l’origine de cette diminution consi-dérable figurent diverses considérations decaractère économique et politique : gaspillageset détournements de la part des dirigeants poli-tiques africains, inefficacité de nombreux pro-

grammes de développement (notamment enmatière d’éducation, de coopération hospi-talière, etc.), affaiblissement des entreprisesfrançaises établies en Afrique, disparition de lamenace communiste.

La crise contemporaine et les risquesd’anomie

La confrontation du système gérontocratique-patrimonial à bout de souffle et de l’ébaucheclaudicante d’un système libéral-démocratiquereprésente sans doute l’un des principaux fac-teurs de l’apparition récente d’un nouveau typede conflit.

Dans la situation qui vient d’être décrite,

l’État clientéliste en faillite atteint les limites deses capacités redistributives. Il multiplie les mé-contents de tous bords, y compris parmi sespropres affidés. Alors que la baisse des rémuné-rations publiques encourage les occasions decorruption, la classe politique (ainsi qu’une par-tie de la bureaucratie d’État), en s’isolant de lapopulation, prend, aux yeux de cette dernière,

des allures de camarilla parasite. En réduisant àpeu de choses la redistribution patrimoniale,l’État, par son désengagement, met fin au fra-gile équilibre entre les groupes ethniques et lesrégions.

Impuissants à réduire le chômage à courtterme, les États africains doivent affronter l’an-

goisse de la jeunesse, fortement malmenée parla crise scolaire. Dans la partie sub-sahariennedu continent, la fraction de la jeunesse âgée de

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moins de 25 ans représente aujourd’hui 50 à60 % de la population totale. Quoique le tauxde fréquentation scolaire avoisine dans denombreux pays les 100 % pour les trois pre-mières années (supérieur à celui de l’Inde), la

logique méritocratique imposée par l’école esten butte à l’extrême médiocrité des moyenspédagogiques, au caractère abusivement géné-raliste des formations, à la déperdition deseffectifs scolarisés (de 30 à 40 % entre 9 et12 ans), à la dévaluation des diplômes, ausous-emploi des diplômés. Dans les grandesconurbations, les exclus de la promotion sco-laire, souvent issus des familles décomposéesdes quartiers populaires, sont acculés à survivregrâce à de petits métiers. Coupés du milieu rural,élevés dans le moule intégrateur des néoculturesurbaines, ils sont peu sensibles aux sirènes del’ethnicité entretenues par leurs parents. Forte-ment attachés, en revanche (comme leurs équi-

valents des banlieues européennes), à desmicroterritoires urbains, marqués par l’influencedes media occidentaux et par certains messagesde la contestation sociale, ils se rassemblent enbandes organisées, fréquemment entraînées dansla délinquance.

À l’échelle du pays toutefois, les tensionsinterethniques n’ont nullement diminué d’inten-

sité. Sur fonds de xénophobie, la nécessité d’ab-sorber la foule des immigrants ruraux et urbainsattise les rivalités entre les groupes d’apparte-nance. Qu’ils fussent ou non contenus dans deslimites territoriales assignées, les rapports inter-ethniques étaient autrefois adoucis par l’exis-tence de complémentarités économiques

résultant d’une division ethnique, géographiqueet (parfois) corporative du travail. Quelquefoisprécédés, de manière réciproque, de stéréotypes

dépréciatifs à fonction identitaire, plus rarementscandés de frictions et d’affrontements violents,ces rapports correspondaient néanmoins, le plussouvent, à des relations sociales cordiales, n’ex-cluant pas, à l’occasion, le compagnonnage, la

mixité, l’acceptation d’engagements matrimo-niaux. Ainsi s’explique en Afrique de l’Ouest lacohabitation bigarrée et pacifique des Peuls, desDioula, des Bambara, des Touaregs, ou l’exis-tence de ces couples complexes, rarement biencompris des Européens et des voyageurs de pas-sage, que formaient, au Niger, les Touaregs etles Djerma, ou, au Kenya, les Maasai et lesGikuyu. Sur des bases, non pas ethniques maisplus largement sociales, à enracinement com-munautaire, des complémentarités de ce typegouvernaient également les rapports hiérar-chiques entre Tutsi et Hutu au Rwanda et auBurundi.

Sans être absolument dénaturé, ce tableau

est aujourd’hui largement infidèle à la réalitérurale et urbaine. Les empiètements territoriaux(réciproques de la part des nomades et dessédentaires), les transgressions des domainesd’activité réservés (l’adoption de l’agriculturepar certains nomades, le décloisonnement desactivités artisanales et commerciales), laconfrontation générale sur le marché du travail

urbain des natifs et des allogènes, des immigrésanciens et nouveaux, des nationaux et desétrangers, sont à l’origine des chocs intercom-munautaires récents, dont le nombre et l’inten-sité ont tendance à s’amplifier. Tel est le cas parexemple au Sénégal (Toucouleurs contre Mau-res immigrés dans le nord du pays, et Diolacontre colons wolof en Casamance), en Côte-d’Ivoire (Akan et Kru contre immigrés musul-mans originaires du Nord et du Burkina à

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Abidjan et dans le sud du pays), au Kenya(Maasai contre Gikuyu, Maasai contre Gusii,Gikuyu contre Kalenjin, Somali contre Meru),en République démocratique du Congo, auNigeria, etc. En dépit d’un net affaiblissement

de ses fondements solidaristes, et à titre devaleur refuge, l’identité ethnique est réactivée.

En l’absence de fonctionnement réellementdémocratique, la vie politique se recomposedans des termes qui évoquent un mouvement detype brownien. Imposé au début des annéesquatre-vingt-dix, sous la pression internatio-nale, mais dépourvu d’assises syndicales ouassociatives, le pluripartisme s’est révélé jus-qu’ici impuissant à mobiliser les électeurs au-trement que sur des bases ethniques. À défautde se reconnaître dans des organisations peu ef-ficaces et lassée des promesses non tenues, unelarge frange urbaine de la population se main-tient à l’écart des engagements partisans tout en

développant un vif sentiment d’insatisfaction.À l’initiative des associations informelles (sou-vent féminines), cette foule de mécontents peutfaire l’objet de mobilisations improvisées dé-bouchant sur des manifestations de masseou des émeutes incontrôlées. Il en fut ainsi àKinshasa contre le général Mobutu (puis contreLaurent-Désiré Kabila), à Abidjan contre Konan

Bédié (puis contre le général Guei). Dépourvusd’encadrement, obéissant à des revendicationsau jour le jour, de tels mouvements d’opinionsont très instables. Sensibles aux sirènes des dé-magogues, ils sont exposés à des revirementssoudains. On peut expliquer par là les succèséphémères de Pascal Lissouba en République duCongo, du général Guei en Côte-d’Ivoire, deLaurent Désiré Kabila au Congo, etc.

Tandis que s’installent des situations de

lassitude et d’accablement de l’opinion, la voieest ouverte aux aventuriers de tous bords. Enl’absence de consultation électorale claire (tauxd’abstention élevés, contestation des résultatspar les vaincus, etc.), les ennemis politiques

sont amenés à régler leurs différends par le re-cours à la violence. C’est ce qui advint, commeon le sait, dans les deux Congo, au Rwanda, auLiberia, au Sierra Leone. Pendant que la crises’aggrave dans les villes, la fraction de la classepolitique écartée du pouvoir pratique le repliterritorial en exploitant les protections plus oumoins contraintes de son groupe ethnique d’ap-partenance. En même temps que se développentces « enclaves » rebelles (Congo, Ouganda,Liberia, Sierra Leone), un nouveau type deguerre civile s’installe dans le pays, opposant,non pas des camps politiquement organisés (surdes bases idéologiques ou ethniques) mais descliques politico-militaires œuvrant pour leur

propre compte. Leurs moyens d’interventionsont des armées professionnelles en déroute oudes milices de jeunes, voire très jeunes désœu-vrés. Recrutés dans les faubourgs des grandesvilles, les miliciens subsistent grâce aux pro-duits de leurs pillages. Soumis à une disciplinecruelle (amputation des membres en cas de dé-sertion), pratiquant de leur côté une violence

aveugle, entraînés à tuer sous l’empire de la dro-gue et de l’alcool (Liberia, Sierra Leone,Congo), vivant à l’écart du monde, ils dévelop-pent une mentalité d’assiégés, caractérisée pardes réactions paranoïaques d’autosurveillanceet de chasse aux sorcières [Douglas 1993].

Étudiée au Sierra Leone et au Congo parPaul Richards, Krijn Peters et Rémy Bazen-guissa, l’organisation interne de ces bandes ar-mées est l’expression d’un amalgame complexe

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de modernité et d’attachement à d’anciennestraditions [Bazenguissa-Ganga 1998; Bazen-guissa-Ganga et Yengo 1999; Richards 1998;Peters et Richards op. cit.]. Hostiles à tout pré- jugé de caractère « ethnique », les miliciens ma-

nifestent également des exigences de « neutralitéreligieuse ». Magie et sorcellerie sont, en prin-cipe, fortement stigmatisées. Quoique la logiqueprédatrice de la bande soit révélatrice d’uneconduite anomique du « chacun pour soi », àl’intérieur du cercle des compagnons (pour lepartage du butin, pour la répartition de la nourri-ture) s’impose la règle d’une stricte égalité.Contradictoires avec les causes « ethnicistes »qu’à titre de mercenaires les jeunes combattantssont fréquemment appelés à défendre, ces com-portements de type « démocratique » sont entre-mêlés de pratiques coutumières dissociées deleur contexte. Des recettes magiques d’invulné-rabilité contre les balles circulent entre ceux qui

s’apprêtent à affronter les ennemis9

. Dénoncée àl’intérieur de « l’enclave » [Douglas op. cit.], lahiérarchie des aînés et des cadets est reconnue àl’extérieur du groupe. La relégation des jeunesmiliciens fait l’objet de rituels évoquant lesanciennes initiations. Transportés à l’écart dumonde (dans la brousse où siègent les espritsincontrôlés), les nouveaux combattants sont sou-

mis aux épreuves de l’apprenti-guerrier : priva-tions et souffrances physiques, meurtre ritueld’un ennemi à l’arme blanche, etc.10

Portés par leur seule ambition, les chefs deguerre, quant à eux, appartiennent à deux mo-dèles de trajectoires politico-criminelles. Cer-tains sont des exclus de la classe bureaucratiqueau pouvoir : militaires mécontents, politiciensmis au rencart par le processus démocratiquemais non dépourvus de moyens financiers et de

soutiens militaires. D’autres sont des routiers del’aventurisme politique (Laurent-Désiré Kabilaau Congo, Charles Taylor au Liberia, FodaySankoh au Sierra Leone). Quelle que soit leurorigine toutefois, les chefs de guerre ont un ob-

 jectif invariable et constant : la prise du pouvoirpar la force ; l’accaparement cynique, à leurstrict profit, des principales ressources du pays(diamant au Sierra Leone, au Liberia, en Angola,minerai de fer, bois et caoutchouc au Liberia, orau Congo, etc.)11.

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9. De telles recettes, en particulier celles dotant les guer-

riers d’un pouvoir d’invisibilité, se rencontraient danstoute l’Afrique et ont été signalées par de nombreuxobservateurs [Issacs 1836, t. 1 : 199 ; Krantz cité inNumelin 1963 : 32, 96 ; Meek 1931 : 305 ; Pettersson1953: 288 ; Smith et Dale op. cit . : 177].

10. Certains travaux menés sur les enfants-soldats [Hon-wana 2000] établissent que, enlevés à un âge précoce,ceux-ci sont ensuite soumis à des rituels d’initiation des-

tinés à dissoudre leur identité initiale (tuer ses parents,brûler son village d’origine afin d’empêcher toute tenta-tive de retour, etc.). L’imposition d’une nouvelle identitéconsacre la rupture avec l’état antérieur de normalitésociale (acte cannibale consistant à boire le sang des vic-times, etc.). La recherche engagée par Filip De Boeck enRépublique démocratique du Congo [2000] suggère unlien possible entre ces pratiques et la multiplication des« enfants-sorciers » dans une ville comme Kinshasa.

11. Sous le contrôle militaire des rebelles et confiée à desconcessionnaires complaisants, l’exploitation des gise-ments d’or et de diamant alimente les caisses des chefs deguerre et pourvoit à l’entretien des milices, à l’achat desarmes et des munitions. Certaines armées étrangères oudes chefs d’État alliés ont également profité de cesdétournements (Burkina, Ouganda, Rwanda, Zambie,Zimbabwe). La vente en contrebande des produits de

l’exploitation est assurée avec la complicité et pour lebénéfice de dirigeants politiques appartenant à des paysétrangers voisins (Burkina, Zambie).

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Revenons sur l’une des données centralesdes conflits africains. Bien que l’uniformisa-tion culturelle soit en marche dans les grandesvilles, le cercle vicieux de l’antagonisme inter-ethnique et de l’impuissance de l’État – cause

et conséquence de cet antagonisme – demeureau centre de la crise des temps modernes. Tan-dis que l’État est incapable de consolider lessolidarités transversales et d’assumer son rôlede fédérateur national, les identités ethniques– fussent-elles recomposées ou « imaginées » –prennent le pas sur d’autres références (profes-sionnelles, syndicales, territoriales, sociales ounationales) dont le discrédit précipite la ruinedes nouveaux États. Peu abordé dans les pagesqui précèdent, un cas particulier de préférencecommunautaire est celui, plus menaçant encorecar reposant sur un embryon d’institutions-refuges à caractère sectaire et protecteur, où desidentités religieuses fanatisées s’imposent face

aux appartenances ethniques (moitié nord duNigeria gagnée par des partisans de la sharia

islamique). Entretenant l’immense richesse cul-turelle de l’Afrique et coexistant pacifiquementpendant des siècles (ou réduisant leurs conflits àdes affrontements limités), bon nombre de grou-pes ethniques sont aujourd’hui durablementdressés les uns contre les autres tandis que, se vi-

dant de leur substance, ils participent paradoxa-lement, chacun de leur côté, à l’appauvrissementculturel du continent.

D’autres facteurs, en apparence secondairesmais en réalité de portée non mesurable, aggra-vent les guerres ou encouragent leurs rebon-dissements. L’existence de professionnels dupillage, en premier lieu, ne conduit pas seulementà transformer la nature des conflits. Elle en re-tarde le règlement, la reconversion des miliciens

et des mercenaires desesperados se révélant trèsdifficile, une fois les conditions de la paix reve-nues. En l’absence d’amnistie, et à défaut d’au-tres issues plus rémunératrices, les bandes arméespoursuivent, sous couvert de vagues objectifs po-

litiques, leurs activités prédatrices, maintenant, àpartir de leurs sanctuaires, un état de violencechronique et d’insécurité (Ouganda, Congo,RDC). La question des réfugiés, en second lieu,envenime les antagonismes. À la fin de 1994[Gendreau 1996], on estimait à six millions etdemi le nombre de réfugiés survivant à grand-peine dans un pays étranger (à quoi s’ajoutait unnombre indéterminé de « déplacés » n’ayant pasquitté leur pays). Le regroupement massif de cespopulations dans des régions peu préparées à lesaccueillir est la cause de multiples frictions(Kenya, Kivu congolais). Dans d’autres cas,comme en Ouganda, la présence, au cours d’unelongue période, de réfugiés décidés à prendre leur

revanche (Tutsi rwandais) a contribué aux résur-gences meurtrières de la guerre civile [ibid.]. Undernier facteur de dramatisation des hostilités estla puissance destructrice des armements. Alorsque les conflits anciens se concluaient par despertes minimes (quelques dizaines de morts dansles guerres intertribales), la diffusion des arme-ments modernes transforme la moindre escar-

mouche en massacre à grande échelle. La portéede ces événements dépasse les souffrances qu’ilsprovoquent en eux-mêmes. En exaspérant les res-sentiments, en amplifiant le désir de vengeance,ils entretiennent ou prolongent la guerre. Là oùexistait la coutume du « prix du sang » (paiementd’une amende en nature pour éteindre le conflit),ils rendent,en raison du caractère exorbitant de ladette, tout règlement impossible. Dorénavant, laguerre appelle la guerre, sans pitié et sans pardon.

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Inventaire des principaux conflits en Afrique depuis les indépendances (les luttes anti-apartheid ou de

libération nationale postérieures à 1960 ne sont pas mentionnées : Afrique du Sud, Kenya, Rhodésie du

Sud, Angola, Mozambique, Namibie).

Cameroun (1955-1962) : guerre civile interethnique entre l’Union du peuple

camerounais (Bassa-Bamileké et autres ethnies du Sud) et les populations du

Nord

Soudan (1958…) : guerre civile interethnique et interreligieuse entre le Nord

arabo-musulman et le Sud nilo-africain

Congo ex-belge (1960-1962) : guerre civile interethnique, sécession du Shaba

Éthiopie/Somalie (1961-1964) : guerre internationale à contenu ethnique, la

Somalie revendiquant le territoire éthiopien de l’Ogaden peuplé de pasteurs

somali

 Tchad (1965-1982, puis reprise chronique depuis 1983) : guerre civile intereth-

nique et interreligieuse entre les populations musulmanes d’agropasteurs du Nord

et les populations d’agriculteurs christianisés du Sud

Nigeria (1967-1970) : guerre civile interethnique du BiafraÉrythrée-Éthiopie (1974-1993) : guerre destinée à obtenir l’indépendance de

l’Érythrée

 Angola (1975-2002) : guerre civile interethnique et politique (avec implications

de l’URSS, de Cuba, de l’Afrique du Sud, du Zaïre, etc.) qui met aux prises trois

partis ethnico-politiques : le Mouvement populaire de libération de l’Angola

(MPLA) et les populations mbundu, l’Unita, surtout implantée dans le sud du pays

et soutenue par les Ovimbundu, le Front national de libération de l’Angola (FNLA)s’appuyant sur les Bacongo du nord du pays

Mozambique (1976-1992) : guerre civile interethnique et politique (avec impli-

cations de l’Afrique du Sud)

Éthiopie/Somalie (1977-1978) : nouvelle guerre de l’Ogaden

Zimbabwe (1982-1988) : guerre civile interethnique (Shona/Matebele)

Mauritanie/Sénégal (1989) : conflit international frontalier à contenu ethnique

et social

Sénégal (1990…) : rébellion ethnique dans la région de Casamance, zone frontiè-re peuplée de minorités diula

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Michel Adam

. . . .184 Djibouti (1990…) : conflit interethnique opposant les Afar et les Issa

Liberia (1990…) : bandes armées et affrontements interethniques

Mali (1990-1992) : rébellion ethnique de la part des Touaregs

Nigeria (1990…) : multiples heurts interethniques ; affrontements meurtriers

entre musulmans et autres groupes religieux dans le nord du pays

Sierra Leone (1991…) : guerre civile à contenu social, affrontements intereth-niques et bandes armées

Niger (1991-1995) : rébellion ethnique de la part des Touaregs occupant la moitié

nord du pays

Somalie (1991-1993…) : guerre interclanique et bandes armées

Burundi (1991…) : guerre civile d’origine sociale et à résonance ethnique opposant

les Hutu aux Tutsi

Congo (1992-1999) : guerre civile à résonance ethnique

Rwanda (1994…) : guerre civile d’origine sociale et à résonance ethnique opposant

les Hutu aux Tutsi

Ouganda (1995…) : rébellions d’origine ethnique de la part de certains groupes

nilotiques du nord du pays

RDC (1996…) : guerre civile à résonance ethnique

Côte-d’Ivoire (1997-2002) : conflits à forte résonance ethnique

Éthiopie/Érythrée (1999-2000) : guerre internationale à enjeu territorial

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Guerres africaines

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RésuméMichel Adam, Guerres africaines. De la compétition

ethnique à l’anomie sociale

L’Afrique intertropicale est la région du monde où se ren-contre depuis trente ans le plus grand nombre de conflitsarmés. La majorité de ces conflits sont des guerres civilesdépourvues d’enjeu sécessionniste. Dans un contextepolitico-culturel caractérisé par la faiblesse de la citoyen-neté démocratique, elles opposent des groupes ethniques

concurrents pour accéder au contrôle de l’opérateur éco-nomique central que représente l’État. Toutefois, le fonc-tionnement de l’État patrimonial-clientéliste est affecté parla dégradation économique de ces dernières années. Il enrésulte une transformation de la nature des guerres civiles,lesquelles s’accompagnent de phénomènes d’anomie.

AbstractMichel Adam, African Wars. From Ethnic Competition to

Social Anomie

Tropical Africa is the part of the world with the mostarmed conflicts during the past thirty years. The majorityof them have been civil wars without secessionist aims. Ina political and cultural context characterized by a weaksense of democratic citizenship, these conflicts set at oddsethnic groups who rival for control over the central eco-

nomic operator, i.e., the state. The economic downturnduring this period has affected the workings of the patri-monial, patronage-based state. As a result, the nature of civil wars, now entailing the phenomenon of anomie, haschanged.

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