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Les fourberies de Scapin Molière Dossier pédagogique « Mais que diable allait-il faire dans cette galère? »

Guide Daccompagnement Les Fourberies de Scapin

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Les fourberies de Scapin

Molière Dossier pédagogique

« Mais que diable allait-il faire dans cette galère? »

Table des matières Mot à l’intention du lecteur page 2

Équipe de création page 3

Mot du metteur en scène page 4

Molière : sa vie et son temps page 5

Les fourberies de Scapin page 8

Les personnages et les comédiens page 10

Les thèmes et les enjeux de l’œuvre page 15

Scapin et la règle des trois unités page 17

Molière et la comédie italienne page 18

Molière et la farce page 21

Propositions d’activités page 23

Annexe 1 page 25

Annexe 2 page 29

Annexe 3 page 34

À propos du Théâtre français de Toronto page 37

Bibliographie sélective page 38

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Mot à l’intention du

lecteur

Pourquoi Molière, pourquoi maintenant? Pour donner une seule raison : parce que c’est drôle. On m’a demandé d’écrire un dossier pédagogique, j’ai donc relu avec joie cette pièce que je connaissais déjà bien. Et pièce en main, j’ai ri. Un peu plus de trois cent quarante ans après son écriture, j’ai ri. J’ai ri des supercheries de Scapin, de la déconfiture de Géronte et Argante, de leur incompréhension devant la verve bouillante et les plans abracadabrants de Scapin, de ces jeunes gens riches qui s’en remettent néanmoins à la fougue dégourdie d’un valet en l’appelant « mon sauveur ». Mais aussi, j’ai apprécié cette intrigue, simple en l’apparence (si on peut vraiment dire qu’une histoire où on retrouve deux filles disparues, qu’on les marie et qu’on fait croire toutes sortes de choses ridicules à deux vieillards est simple) mais qui prouve sans contredit la maîtrise totale du sens du rythme et des mécanismes du comique par le grand Molière. Vous trouverez dans ce dossier des informations biographiques sur Molière, sur son œuvre et son temps (pages 5 à 7), des informations sur les influences de Molière (pages 17 à 22) puis spécifiquement sur Les fourberies de Scapin, incluant une

recherche sur la réception critique de l’œuvre à l’époque de Molière (pages 8 et 9). Vous trouverez aussi une panoplie d’activités à faire avant et après le spectacle. Celles-ci sont autant des propositions de jeu théâtral que des discussions et même des exercices d’écriture (pages 23 et 24). Les trois annexes à la fin de ce dossier présentent des scènes tirées de l’œuvre de Molière à travailler en classe (pages 25 à 36) en équipes de deux à quatre. La bibliographie sélective (page 38) comprend, pour sa part, de nombreuses références à d’excellentes ressources électroniques sur l’œuvre de Molière à découvrir en classe. Les fourberies de Scapin permettent de découvrir Molière à son meilleur : drôle et irrévérencieux avec un rythme rapide et une action constante dans laquelle on se sent entraîné. Ce texte, comme de nombreux autres de Molière offre la possibilité de jouer physiquement, de créer le comique avec le corps. Peut-être bien que cela vous donnera le goût d’explorer le théâtre classique dans votre milieu scolaire.

Mishka Lavigne

Auteure du dossier d’accompagnement Dramaturge et comédienne

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Équipe de création

Les fourberies de Scapin

Texte de Molière

Mise en scène : Guy Mignault Régie : Gabriel Dubé Assistant à la régie : Florian Richaud Décor : Marie-Ève Cormier Costumes : Mélanie McNeill Musique : Claude Naubert Chorégraphie : David Danzon Éclairages : Simon Rossiter Direction de production : Dominic Manca

DISTRIBUTION (en ordre alphabétique)

Sylvestre, le valet d’Octave : Sébastien Bertrand Zerbinette, une jeune esclave Égyptienne : Noa May Dorn

Argante, le père d’Octave : Robert Godin Géronte, le père de Léandre : René Lemieux

Hyacinte, une jeune fille pauvre : Meilie Ng Léandre, le fils de Géronte et l’amant de Zerbinette : Lindsay Owen Pierre

Scapin, le valet de Léandre : Nicolas Van Burek Octave, le fils d’Argante et le mari secret de Hyancinte : Philippe Van de Maele Martin

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Mot du metteur en scène

Chers étudiants, Chers amis, Chers jeunes spectateurs,

D’abord, je tiens à vous remercier de vous intéresser au TfT. Ensuite, je veux tout simplement vous dire à quel point le théâtre est important non seulement pour moi mais aussi pour vous. Le théâtre, c’est un jeu. Il y a des acteurs qui jouent des personnages dans une histoire que tout le monde accepte de croire. C’est pour ça que c’est si intense et si merveilleux à la fois. Ça se passe là devant nos yeux. Et ce jeu se fait à deux, la salle (vous, les spectateurs) et la scène (nous, les acteurs). Juste deux mots pour vous dire à quel point je suis heureux de vous présenter Les fourberies de Scapin de Molière. D’abord, parce que c’est fou. Ensuite, je peux vous dire un petit secret : quand j’étais étudiant en théâtre, je disais que Molière n’était pas de mon patrimoine. Je ne le considérais pas comme pertinent, lui, qui avait vécu dans les années 1600 et moi 300 ans plus tard. Et puis, je me suis mis à l’étudier, à aller plus loin et à tâcher de comprendre. Wow! Quelle découverte ! Je peux vous affirmer que les sentiments humains sont les mêmes depuis toujours. Ce qui change, c’est l’éducation, les valeurs de base, les façons d’agir, les habitudes et la technologie.

À l’époque de Molière, les pièces étaient écrites en fonction des chandelles. Quand on lit une pièce de Molière, de Racine ou de Corneille on peut se dire qu’elles sont divisées en actes qui durent à peu près 20 minutes chacun, puisque les chandelles qui servaient à éclairer la scène, ne duraient que 20 minutes. Mais quelles découvertes vous allez faire en fouillant de ces vieilles œuvres qui sont encore jeunes et toujours montées parce qu’elles sont encore pertinentes. Molière a décidé de situer Les fourberies de Scapin à Naples en Italie. C’est un port de mer, il y a de la magouille possible et il fait chaud. C’est comme en été, c’est merveilleux pour les amoureux et ça permet aux joueurs de tours de faire leurs fourberies. Je veux terminer cette petite lettre en vous disant que si vous avez des questions ou des suggestions, je suis toujours prêt à vous entendre. Envoyez-moi un petit mot : [email protected] Ça me fait grand plaisir de travailler au TfT parce que toujours, je travaille avec vous en tête. En espérant que vous allez aimer non seulement Les fourberies de Scapin mais aussi tous les spectacles que nous produisons et que nous vous présentons. Bon spectacle, Bon théâtre,

Guy Mignault

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Molière : sa vie et

son temps Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière, naît à Paris en 1622. Il est le fils de Marie Créssé et du « tapissier ordinaire du roi » Jean Poquelin. Il commence des études de droit en 1637, études qu’il abandonne quelques années plus tard pour faire ses premiers pas au théâtre, probablement autour de 1643. À cause de cela, son père le déshérite. Jean Baptiste Poquelin se lie ensuite d’amitié avec la famille Béjart, avec qui il fondera sa première troupe, L’Illustre Théâtre, qui fit faillite en 1645. Ensuite, les Béjart et celui qui a désormais pris le

pseudonyme de Molière, reçoivent le mécénat du duc d’Épernon. C’est avec cette protection et ce patronat que Molière fera jouer ses premières pièces dont Le dépit amoureux en 1656 à Bordeaux. À son retour à Paris et devant le succès du Dépit amoureux, Molière et sa troupe s’attirent la faveur du frère du roi et sont rebaptisé « La Troupe de Monsieur ». Ils jouent à la cour dès 1658 mais c’est véritablement avec Les précieuses ridicules (1659) que Molière s’attire la faveur du roi et obtient une place à la cour avec sa « Troupe du Roy » et même un salaire du roi dès 1663. Tout est au beau fixe pour l’auteur dramatique qui remporte de nombreux succès comme écrivain, acteur et directeur de troupe. C’est à la cour que Molière écrira ses plus grandes comédies : des comédies plus farcesques comme Le médecin malgré lui (1666) ou Les fourberies de Scapin (1671), des comédies plus psychologiques ou irrévérencieuses comme L’école des femmes (1662) ou L’avare (1668) et des comédies-ballets, notamment écrites avec Jean-Baptiste Lully, le surintendant à la musique royale et compositeur à la cour de Louis XIV et avec Marc-Antoine Charpentier. Ces comédies-ballets, genre tout à fait nouveau pour l’époque, ont données certaines des œuvres les plus connues de Molière aujourd’hui : notamment Le Bourgeois gentilhomme (1670) et Le malade imaginaire (1673). Molière a aussi écrit certaines comédies qui sont plutôt perçues comme des études critiques de la société de son époque comme Le Tartuffe (1664), Dom Juan (1665) ou Le misanthrope (1666). Face à la pression des nobles qui les trouvent scandaleuses, le roi interdit certaines pièces comme Tartuffe ou Dom Juan malgré le succès qu’elles rencontrent auprès du public. Cependant, Molière continue de bénéficier de la faveur du roi et de sa pension royale jusqu’à sa mort des suites d’une longue maladie en 1673 après la quatrième représentation du Malade imaginaire où il tenait le rôle de l’hypocondriaque Argan.

Molière peint par Nicolas Mignard en 1658.

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PRINCIPAUX REPÈRES BIOGRAPHIQUES ET ŒUVRES MAJEURES 1622 – Naissance de Jean-Baptiste Poquelin à Paris. 1632 – Mort de Marie Créssé, la mère de Jean-Baptiste. 1635 – Jean-Baptiste commence ses études au Collège de Clermont. 1642 - Jean-Baptiste aurait accompagné, en qualité de tapissier à la place de son père, Louis XIII en Languedoc. Au cours de ce voyage, Jean-Baptiste aurait rencontré Madeleine Béjart, alors comédienne de la troupe de Charles Dufresne. 1643 – Jean-Baptiste renonce à succéder à son père en tant que tapissier du roi et fonde, avec neuf autres comédiens, dont Madeleine Béjart, L’Illustre Théâtre. En octobre, Jean-Baptiste rencontre l’auteur dramatique Pierre Corneille pour la première fois. 1644 – Le 28 juin, Jean-Baptiste signe pour la première fois un document officiel de son pseudonyme : Molière. 1645 – En août, Molière est emprisonné pour dettes, puis libéré. L’Illustre Théâtre fait faillite mais joue encore sous d’autres noms. Les comédiens italiens commencent à jouer de la commedia dell’arte au Théâtre du Petit-Bourbon que fréquente Molière. 1651 – Le duc d’Épernon, protecteur de la troupe de Molière, quitte la France et laisse la troupe sans bienfaiteur. C’est aussi en 1651 que le jeune roi, Louis XIV atteint sa majorité et règne seul. Son règne durera 72 ans et sera le plus long de l’histoire de l’Europe. 1653 – Création, à Lyon, de L’étourdi, la première comédie de Molière. 1656 – Création du Dépit amoureux. 1658 – Molière passe du temps à Rouen où il renoue avec Pierre Corneille. Molière effectue, cette année-là, de nombreux voyages à Paris pour gagner la faveur du frère du roi. Il l’obtient et jouera Nicomède de Corneille et Le dépit amoureux à la cour en octobre. Sa troupe fait alors son entrée au Petit-Bourbon, où elle joue en alternance avec les Italiens. 1659 – Les Italiens quittent Paris. Le 18 novembre, Molière fait jouer Les précieuses ridicules, qui concrétiseront son succès et le feront entrer dans les bonnes grâces de Louis XIV. 1660 – Création du Cocu imaginaire. La salle du Petit-Bourbon est démolie sans avertissement aux comédiens. Louis XIV accorde à la troupe de Molière la salle du Palais-Royal. 1661 – Molière et sa troupe jouent L’école des maris et Les fâcheux. Jean-Baptiste Lully est nommé surintendant à la musique royale par Louis XIV. 1662 – Le 20 février, Molière épouse Armande Béjart, la fille ou la sœur (les informations restent confuses à ce sujet) de Madeleine Béjart. Ce ne sera pas un mariage très heureux. Création de L’école des femmes. Les Italiens reviennent à Paris et alternent avec la troupe de Molière pour jouer dans la salle du Palais-Royal.

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1663 - Molière reçoit 1 000 livres de pension du roi « en qualité de bel esprit et excellent poète comique ». 1664 – Première collaboration de Molière et Lully : la comédie-ballet Le mariage forcé. Première version du Tartuffe, interdite par le roi. 1665 – Dom Juan. La troupe de Molière obtient le titre officiel de « Troupe du Roy » et 6 000 livres de rente. On joue L’amour médecin avec la musique de Lully. Naissance d’Esprit-Madeleine, la fille de Molière et d’Armande Béjart. 1666 – Le Misanthrope, Le médecin malgré lui. 1667 – Maladie de Molière qui doit prendre plusieurs mois de convalescence. Présentation de la deuxième version du Tartuffe sous le titre L’imposteur. La pièce est interdite une deuxième fois. 1668 – Georges Dandin est la première pièce de Molière à être créée à Versailles, où Louis XIV déplace la cour. 1669 – Levée de l’interdiction contre le Tartuffe qui joue en février et obtient un énorme succès. 1670 – Deux comédies-ballets avec Lully : Les amants magnifiques et Le bourgeois gentilhomme. 1671 – Psyché avec musique de Lully est présentée à la Salle des machines du Palais des Tuileries. C’est, sans contredit, la pièce la plus extravagante de Molière. La machinerie, le nombre de comédiens, de musiciens et de danseurs ainsi que l’extravagance du spectacle en font une des pièces les plus coûteuses de son temps. Les fourberies de Scapin sont créées. La construction du Château de Versailles est terminée. 1672 – Mort de Madeleine Béjart. Création des Femmes savantes, la pièce qui est considérée comme la comédie la plus « érudite » de Molière. Brouille de Molière et Lully. Molière proteste qu’on accorde moins de musiciens à sa troupe de théâtre et accuse Lully d’être devenu le favori du roi. 1673 – Molière est de nouveau malade. Lors de la quatrième représentation du Malade imaginaire, sur la musique de Marc-Antoine Charpentier, Molière est pris d’un malaise sur scène et meurt plus tard chez lui. Le curé de Saint-Eustache refuse d’enterrer Molière religieusement, comme c’était coutume avec les comédiens de l’époque. Mlle Molière interviendra et le roi sanctionnera un enterrement religieux au cimetière Saint-Joseph, le 21 février.

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Les fourberies de Scapin Les fourberies de Scapin est une pièce écrite et jouée pour la première fois en 1671 au Théâtre du Palais-Royal à Paris. À la création, Molière tenait le rôle de Scapin. Cette année-là, la salle de théâtre du Palais- Royal était en rénovations, Molière avait donc décidé d’écrire une pièce qui pouvait se jouer rapidement et qui ne comportait qu’un décor sommaire pour répondre aux dimensions réduites de la salle en rénovation.

SYNOPSIS DE LA PIÈCE La pièce se passe à Naples. Octave et Léandre, pendant le voyage de leurs pères, qui sont amis, ont fait des bêtises. Octave a épousé la jeune et jolie mais pauvre Hyacinte tandis que Léandre est tombé sous les charmes de Zerbinette, une esclave Égyptienne. Ceci ne plaira pas du tout à leurs deux pères… Pour se sortir de cette situation, ils demandent l’aide de Scapin, le valet fourbe et rusé du jeune Léandre. Scapin, avec l’aide de son ami et valet d’Octave Sylvestre, formule un plan abracadabrant pour tromper les deux vieillards. À Argante, furieux du mariage de son fils Octave, il raconte que la jolie Hyacinte a un terrible spadassin (un mercenaire) comme frère. Ce frère accepterait que le mariage soit rompu en échange de deux cents pistoles qu’il soutire à Argante en lui faisant croire que de rompre le mariage en justice coûterait beaucoup plus cher. À Géronte, qui a appris par Argante que Léandre s’est aussi mal conduit en leur absence, Scapin soutire cinq cents écus en lui faisant croire que son fils a été enlevé par une galère turque et qu’il sera mené vers l’esclavage si Géronte ne rachète pas sa liberté. Géronte se plaint beaucoup du prix élevé que Scapin lui demande et pour se venger de son avarice, Scapin l’enferme dans un sac en lui faisant croire que des fiers-à-bras le cherchent pour l’attaquer. Lorsque Géronte est dans le sac, Scapin lui donne plusieurs coups de bâton en feignant une bataille avec les mercenaires mais le vieillard le voit et jure à Scapin qu’il le fera pendre. Scapin se sauve. Malheureusement, Zerbinette vend la mèche à Géronte à qui elle raconte, sans connaître son identité, comment un rusé valet du nom de Scapin a dérobé de l’argent pour une fausse rançon. Géronte jure de se venger de cette supercherie ainsi que des coups de bâton. Argante apprend à son tour que Scapin l’a floué et jure aussi de se venger. Parmi toute cette débâcle, on découvre qu’Hyacinte est la fille de Géronte née d’un mariage secret et qu’il croyait disparue en mer. Quand on comprend qu’elle est déjà mariée à Octave, à qui elle était destinée, tout le monde se réjouit. De plus, on découvre que Zerbinette n’est nulle autre que la fille d’Argante, enlevée en bas âge par les Égyptiens. Plus rien ne s’oppose donc au mariage de Zerbinette et Léandre. Tous les jeunes gens ainsi que les deux vieillards sont finalement bien heureux des deux noces. Mais, Argante et Géronte jurent encore de se venger de Scapin lorsque celui-ci arrive, la tête enveloppée d’un bandage, blessé mortellement. Les deux vieillards lui pardonnent toutes ses fourberies pour se rendre compte qu’ils ont été trompés encore une fois lorsque Scapin guérit instantanément de sa dernière supercherie.

Scapin (1860) – Dessin de Maurice Sand

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RÉCEPTION CRITIQUE DE LA PIÈCE Lors de sa première production en 1671, Les fourberies de Scapin connurent un succès mitigé. La pièce reçut de nombreuses mauvaises critiques. Les raisons de cet échec sont peu connues. On peut seulement spéculer sur celles-ci. D’abord, Les fourberies de Scapin suivent de près les présentations de la comédie-ballet Le bourgeois gentilhomme ainsi que les très coûteux et très élégants divertissements de cour Psyché et Les amants magnifiques. La cour était habituée de voir des pièces pleines d’artifices, avec des décors et des costumes somptueux mais Scapin n'est pas cela. Peut-être que Molière voulait réussir le pari de revenir à ses origines théâtrales plus modestes. Les fourberies de Scapin ont un décor simple, des costumes simples et la beauté de la pièce réside dans son langage et dans les manigances de Scapin. Certaines mises en scène modernes de la pièce l’ont même transposée sur une scène complètement vide, pour montrer à quel point la machine comique de la pièce est efficace car elle fonctionne sans décor et sans artifices. Nicolas Boileau, théoricien du théâtre avec L’art poétique (1674) mais aussi critique de théâtre de son époque dira : « Dans ce sac ridicule où Scapin s’enveloppe / Je ne reconnais plus l’auteur du Misanthrope. » Effectivement, plusieurs voient Les fourberies de Scapin comme un divertissement grossier après les grand succès des comédies de mœurs, très intelligentes qui révèlent un humour fin, comme Les précieuses ridicules, Le misanthrope, Le Tartuffe ou L’avare. Par contre, même si certains moments de la pièce sont issus de la farce, les thématiques propres à Molière se retrouvent encore dans Les fourberies de Scapin : l’avarice et l’entêtement de la vieille génération, le désir de faire un mariage d’amour et l’intelligence qui sauve la situation. Une autre hypothèse lancée quant aux mauvaises critiques de la pièce réside dans le fait que Molière tenait le rôle de Scapin. Déjà très malade en 1671, Molière n’aurait pas eu le souffle pour jouer un personnage aussi actif, rapide et vif. Son jeu, peut-être trop lent, n’aurait pas été capable de soutenir le rythme de la pièce et ceci aurait déplu. On ne peut pas savoir réellement pourquoi Les fourberies de Scapin n’ont pas eu le succès escompté en 1671. Molière n’a joué Scapin que pendant 18 représentations. Par contre, entre 1673, année de la mort de Molière, et 1715, année qui marque la fin du règne de Louis XIV, Les fourberies de Scapin seront jouées 197 fois. C’est encore aujourd’hui, une des pièces de Molière les plus jouées dans le monde et une des pièces où on acclame le grand génie comique de Molière. Dessin du décor des Fourberies de Scapin Mise en scène de Guy Mignault Décor de Marie-ąve Cormier

Théâtre français de Toronto, 2012

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Les personnages et les comédiens

SCAPIN Scapin est le valet de Léandre. C’est le personnage principal des Fourberies de Scapin. On dit qu’il est fourbe (c’est-à-dire qu’il fait semblant d’être honnête) mais il est aussi très rusé et intelligent. Il est prêt à tout pour aider son maître Léandre mais commet aussi certains gestes pour son propre bénéfice, comme celui de rouer Géronte de coups. Scapin a plus d’un tour dans son sac et a toujours en tête une nouvelle supercherie pour se tirer d’affaire. Il vivra ses fourberies jusqu’à la toute fin de la pièce, alors qu’il fera semblant d’être mortellement blessé pour se faire pardonner. ARGANTE Argante est le père d’Octave. Il revient de voyage pour apprendre que son fils s’est marié sans son consentement, ce qui l’enrage. Il voudrait faire rompre le mariage en justice mais Scapin le convainc que le processus sera long et très coûteux. Argante, comme la plupart des vieillards de Molière, est avare, il accepte donc de payer le faux dédommagement que Scapin lui demande pour le frère spadassin d’Hyacinte. Ce montant de 200 livres, Scapin le donnera à Octave. Quand Argante apprend la supercherie, il veut se venger de Scapin mais finira par lui pardonner lorsqu’il le croit à l’article de la mort. Argante découvrira aussi que sa fille, enlevée par les Égyptiens en bas âge, est revenue et n’est nulle autre que la jolie Zerbinette. Il acceptera donc de la marier à Léandre, le fils de son ami Géronte.

NICOLAS VAN BUREK joue SCAPIN Nicolas est comédien, chorégraphe de combat et enseignant bilingue basé à Toronto. Il travaille comme comédien depuis plus de 25 ans et a eu le grand plaisir de travailler dans presque tout le pays. Il a joué pendant 10 ans sur les scènes du Festival Stratford où il a pu jouer George Milton dans Of Mice and Men, Puck dans Midsummer Night's Dream, Quasimodo dans The Hunchback of Notre Dame, Tybalt dans Romeo and Juliet, Sebastian dans Twelfth Night et Alan Strang dans Equus, entre autres. Pour le TfT, il a eu le grand plaisir de jouer Sganarelle dans Les Médecins de Molière, Perdican dans On ne badine pas avec l'amour et Cléonte dans Le bourgeois gentilhomme. C'est avec grande fierté qu'il se joint à cette équipe magnifique de Scapin. Vive les grands fourbes! ROBERT GODIN joue ARGANTE Robert Godin a joué dans Le P’tit Bonheur, premier spectacle du Théâtre français de Toronto qui s’appelait à l’époque le Théâtre du P’tit Bonheur. Il a aussi joué dans plusieurs productions notamment Le malade imaginaire (nomination pour un Dora), La, la la, mine de rien, Les memmes savantes, Le bourgeois gentilhomme, George Dandin, Et si on chantait… et L’école des femmes. On a pu voir Robert dans Irma la Douce au Théâtre London, Beauty and the Beast au Princess of Wales, Man of La Mancha et Cinderella au Théâtre Aquarius, En attendant Godot au Théâtre Ensemble et La Duchesse de Langeais pendant le Fringe Festival. Robert est heureux de se retrouver à pour une troisième fois au TfT. Il apprend toujours !

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OCTAVE Octave est le fils d’Argante. Il a rencontré Hyacinte, une jolie jeune fille qui pleurait la mort de sa mère et il en est tombé amoureux. Nérine, la nourrice d’Hyacinte, ne sachant pas quoi faire avec tous les malheurs qui s’abattaient sur la jeune fille, la maria à Octave. Les deux jeunes gens sont heureux ensemble donc quand Octave apprend, de son valet Sylvestre, que son père est de retour à Naples, il demande l’aide de Scapin pour pouvoir continuer à vivre son amour. ZERBINETTE Zerbinette est la fille d’Argante, enlevée en bas âge par les Égyptiens. Elle est une gitane qu’on croit de basse naissance, ce qui n’empêche pas le jeune Léandre de tomber amoureux d’elle. De son côté, elle voudrait une promesse de mariage de Léandre et ne veut pas qu’il croit qu’elle sera son esclave s’il rachète sa liberté des Égyptiens. Octave et Léandre la présentent à Hyacinte, de qui elle devient amie. Quand elle apprend, à la fin de la pièce, qu’elle est la fille naturelle d’Argante, et donc de bonne famille, tout le monde est heureux de la voir fiancée à Léandre. GÉRONTE Géronte est le père de Léandre. C’est un vieillard encore plus avare qu’Argante. Il va même jusqu’à négocier la rançon que Scapin lui demande pour ravoir son fils des mains des Turcs. Scapin se vengera de son avarice et des choses que Géronte a dites contre lui à Léandre en frappant Géronte à maintes reprises alors que ce dernier est caché dans un sac pour, prétendument, échapper à des fiers-à-bras qui lui veulent du mal. Quand Géronte apprend que Scapin lui a joué un tour, il jure de le faire pendre. Il pardonnera lui aussi à Scapin à la fin de la pièce, mais

PHILIPPE VAN DE MAELE MARTIN joue OCTAVE Philippe est très heureux de faire partie de cette production des Fourberies de Scapin, sa première au Théâtre français de Toronto. Originaire d'Ottawa et basé à Toronto, Philippe est diplômé du programme de théâtre de l'Université Ryerson où il a fait partie, entre autres, des productions The Crucible, Company et Three Sisters. Il a fait partie d’une production du festival SummerWorks et a joué un rôle principal dans le film Storming Juno des Productions eOne, pour le History Channel. Philippe voudrait remercier le Théâtre français de Toronto de lui donner l'occasion de jouer en français pour la première fois en cinq ans ! NOA MAY DORN joue ZERBINETTE Actrice et écrivaine torontoise, c’est au TfT qu’elle a eu le coup de foudre pour le théâtre lors d’une représentation des Précieuses Ridicules. Depuis, elle a cessé de se peindre des mouches sur les joues mais Molière lui fait encore beaucoup d’effet! Diplômée du conservatoire de George Brown, elle a joué sur les planches de nombreux théâtres à travers le Canada, du Théâtre du l'île à Gatineau jusqu'à la Citadel à Edmonton. Récemment, elle a participé aux festivals Luminato, Summerworks, Cross Currents, Rhubarb et Fringe. Sa dernière pièce Rock Me Sweet a été présentée au festival BUZZ du Théâtre Passe-Muraille. RENÉ LEMIEUX joue GÉRONTE Originaire de St-Éphrem dans la Beauce, tout près de la ville de Québec, René est arrivé à Toronto il y a plus de vingt-cinq ans. Les anciens du TfT se souviendront de lui dans Casino voleur en 1980, son premier rôle en français à Toronto. Depuis, et toujours au TfT, René a été entre autres Argan dans Le malade imaginaire, Vladimir dans En attendant Godot, Harpagon dans L’avare, Fabrizio dans La Locandiera Cheval dans Le dîner de cons et le garçon dans L’emmerdeur. Il a aussi assuré la mise en scène de nombreuses productions au TfT et au Théâtre

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seulement lorsque son ami Argante, plus raisonnable, le lui demande pour ne pas ruiner la joie des jeunes gens lors du banquet. Géronte est le père d’Hyacinte, sa fille issue d’un premier mariage secret à Térente où il était connu sous le nom du seigneur Pandolphe. LÉANDRE Léandre est le fils de Géronte et le maître de Scapin. C’est un jeune homme qui aime faire les choses à sa façon. Il tombe amoureux de Zerbinette et commence à lui faire la cour après l’avoir rencontré une seule fois. Il demande l’aide de Scapin pour obtenir 500 écus afin de racheter la liberté de Zerbinette pour pouvoir l’épouser. Il décide de ne pas se soucier de ce que son père pourrait penser de celle qu’il aime mais, à la fin de la pièce, lorsqu’il apprend que Zerbinette est en fait la fille d’Argante, tout le monde est heureux de ce dénouement. HYACINTE Hyacinte est la fille de Géronte d’un premier mariage secret. Élevée à Térente par sa mère et une nourrice, elle vient rejoindre son père qui veut la marier au fils de son ami Argante. Elle arrive à Naples par galère et sa mère meurt subitement. Éprouvée de tristesse et ne sachant pas où aller, elle rencontre Octave qui tombe amoureux d’elle. Nérine, la nourrice d’Hyacinte, donne la jeune fille en mariage à Octave pour faciliter son deuil et son destin à Naples. Géronte, qui attend sa fille, croit qu’elle a péri en mer. On découvre à la fin qu’Hyacinte n’est nulle autre que la fille de Géronte et qu’elle est donc déjà mariée avec celui à qui on la destinait. Tout est bien qui finit bien!

Glendon. René a également tenu de nombreux rôles à la télévision et au cinéma : il a participé à un grand nombre de séries à TFO, dont la plus récente, Météo+, est en ce moment à l’écran. LINDSAY OWEN PIERRE joue LÉANDRE Lindsay Owen Pierre est originaire de Montréal. Diplômé en 2000 de l’école de théâtre John Abbott, il a joué à Montréal avec de merveilleuses compagnies comme Gravy Bath (Henry V, Au Delà de la Ville), Geordie (Brahm & the Angel), et Black Theatre Workshop (Blue Nose, A Common Man’s Guide to Loving Women). Arrivé à Toronto il y a six ans pour jouer dans la production de Mirvish We Will Rock You, il n’est plus reparti. Lindsay a joué dans plusieurs émissions télévisées, entre autres : The Listener, Connor Under Cover, Good Dog, MTV Undressed, Blue Mountain State, et The Transporter (2013). Prochainement, il va avoir l’honneur de jouer le Ministre Louis Farrakhan dans la production Betty & Coretta avec Angela Bassett et Mary J Blige ; un film qui traite de la vie des femmes de Martin Luther King et Malcom X. Il est ravi de rejoindre l’équipe du Théâtre français de Toronto. MEILIE NG joue HYACINTE Meilie Ng est diplômée du National Theatre School du Canada et est titulaire d’un Diplôme d’études collégiales en Théâtre Professionnel de John Abbott College. Elle a fait des apparitions dans des séries télévisées françaises comme Prozac, Un tueur si proche et Les rescapés, et a aussi prêté sa voix au court métrage d’animation Requiem pour une romance présenté au Festival des films du monde de Montréal. Elle a fait partie de la distribution de la première mondiale de Nisei Blue au Alberta Theatre Projects). Également violoniste, elle a mis son talent au service de The Winter’s Tale de Shakespeare au Canadian Stage. Plus récemment, elle a incarné le célèbre Pinocchio pour

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SYLVESTRE Sylvestre est le valet d’Octave et l’ami de Scapin même s’il trouve que Scapin lui cause souvent des ennuis. Il accepte d’aider Scapin à tromper Argante en se déguisant en spadassin afin de venir en aide à Octave, son maître. Généralement plus calme et moins rusé que Scapin, il se laisse tout de même entortiller dans les histoires rocambolesques de celui-ci. C’est lui, à la fin de la pièce, qui raconte à Scapin qu’Hyacinte s’est avérée être la fille de Géronte et qui avertit Scapin que les deux vieillards sont bien en colère contre lui, ce qui inspirera à Scapin son dernier stratagème.

Geordie Productions et a joué dans Richard III de Shakespeare au Metachroma Theatre. Meilie est très enthousiaste à l’idée de jouer en français à nouveau et est fière de faire partie pour la première fois de l’équipe du Théâtre français de Toronto et de son incroyable casting. SÉBASTIEN BERTRAND joue SYLVESTRE Sébastien est comédien, scénariste et animateur, originaire d’Ottawa qui vit à Toronto depuis maintenant 13 ans. Au TfT, on a pu le voir dans de nombreuses mises en scène de Guy Mignault, dont Bonjour Monsieur de la Fontaine pour les touts petits, Le Faucon de Marie Laberge, La, la la mine de rien, un spectacle musical, Contes urbains, contes torontois, spectacle pour lequel il a écrit et joué sur scène, et Bonbons assortis de Michel Tremblay. Il a aussi incarné le Roi-Soleil dans La critique de l’École des femmes et Le mariage forcé, et on l’a vu aussi jouer le rôle de Cléante dans L’avare — deux productions mises en scène par Jean-Stéphane Roy. Sébastien est auteur d’une pièce de théâtre qui s’intitule Le legs, présentée à La Nouvelle Scène en 1999 à Ottawa dans une mise en scène de Geneviève Pineault. Il est aussi co-auteur, avec Martin-David Peters, de Grimm Grimm, spectacle pour enfants du TfT qui a tourné dans tout l’Ontario entre 2002 et 2005, touchant plus de 16 500 enfants. Il a également animé l’émission Mégallô pendant 12 ans, sur les ondes de TFO.

GUY MIGNAULT SIGNE LA MISE EN SCÈNE DES FOURBERIES DE SCAPIN Directeur artistique du Théâtre français de Toronto depuis 1997, Guy Mignault est un homme aux talents multiples. Il tient la barre du TfT d’une main de maître, il est un interprète dont le talent comique est fort apprécié des amateurs de théâtre et de télévision, sans compter qu’il est aussi metteur en scène et auteur dramatique! On a pu le voir récemment dans les séries de TFO, Francoeur et Météo +. Sur la scène du TfT, on a vu Guy en Josaphat-le-violon dans sa propre mise en scène de Bonbons assortis de Michel Tremblay. L'année précédente, on l'a vu interpréter Harpagon dans la brillante production de L’avare, mise en scène par Jean-Stéphane Roy, alors que la saison précédente, Guy interprétait un désopilant Monsieur Jourdain dans Le bourgeois gentilhomme. Lorsqu’il ne représente pas le TfT dans de nombreuses fonctions, Guy accomplit son rêve de créer des spectacles musicaux : C’était un p’tit bonheur, qui a remporté un prix Dora pour le Meilleur spectacle musical en 1998, La, la

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la, mine de rien et Autour de Kurt Weill. En 2007, il a d’ailleurs créé Et si on chantait ? Enfin, il est aussi l’auteur de Bonjour, Monsieur de La Fontaine, spectacle pour jeune public qui a fait la tournée des écoles de la province pendant trois ans et qui a été vu par 27 000 enfants. L’an passé, on l’a vu dans À toi, pour toujours, ta Marie-Lou de Michel Tremblay et depuis 3 ans, il a donné 110 représentations d’Une maison face au nord.

Nicolas Van

Burek

Robert Godin Philippe Van de

Maele Martin

Noa May Dorn

René Lemieux Lindsay Owen

Pierre

Meilie Ng Sébastien

Bertrand

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Les thèmes et les enjeux de l’œuvre

Les fourberies de Scapin sont une œuvre où on peut voir plusieurs thèmes affectionnés par Molière. Comme la pièce s’installe vers la fin de sa production (deux ans avant sa mort), on peut dire que la plupart de ces thèmes ont déjà été abordés dans d’autres pièces. Il y a, par contre, certaines nouveautés et différentes approches à ceux-ci. LE MARIAGE D’AMOUR C’est une thématique récurrente de l’œuvre de Molière qui veut que les jeunes gens puissent épouser la personne qui leur plaît, sans avoir à obéir à leurs pères. Ceci est surtout vrai des jeunes filles, comme Angélique dans Le malade imaginaire qui aime Cléante et qui ne veut pas marier Thomas Diafoirus, le médecin à qui son père la destine. Elle sera aidée par sa servante Toinette pour convaincre son père de ne pas la marier à Thomas Diafoirus. Elles réussiront ceci par un stratagème ridicule en à force de déguisement. Dans Les fourberies de Scapin, ce sont les deux jeunes hommes, Léandre et Octave, qui veulent pouvoir épouser celle qui leur plaît, qu’elle soit sans naissance (Hyacinte) ou sans papier (Zerbinette). Ils s’en remettront à Scapin, qui trompera les deux pères à l’aide de Sylvestre, un autre valet. Chez Molière, le mariage d’amour est toujours le souhait des jeunes gens (généralement ceux qu’on associe au type des « amoureux » de la commedia dell’arte). Ils sont confrontés à leurs parents qui ne veulent rien entendre et cherchent à les marier avec quelqu’un qui servira leurs intérêts. Dans le cas des jeunes filles, on veut souvent les marier à de vieux hommes, amis du père. Dans le cas des jeunes hommes, on veut qu’ils contractent une noce avec une jeune fille de haute naissance. Pour entrer dans le moule de la comédie classique, les pièces de Molière se terminent bien, généralement par ce mariage d’amour et par la déconfiture des pères, qui finiront, eux aussi, par être heureux et accepter que leurs enfants leur désobéissent. Comme les pères sont souvent bornés et ne veulent pas entendre raison, les jeunes gens s’en remettent aux valets et aux servantes qui essaieront de faire entendre raison au père (Toinette dans Le malade imaginaire commencera par une conversation avec Argan pour intercéder en faveur d’Angélique et Cléante). Par contre, comme le père ne voudra pas comprendre, un stratagème s’ensuivra. Dans Les fourberies de Scapin, à la différence du Malade imaginaire, par exemple, Scapin n’essaiera pas de convaincre les deux pères, il sautera tout de suite à pieds joints dans son stratagème. Il sait déjà qu’il ne pourra pas les faire changer d’idée et il n’essaie même pas. C’est ce qui fait la force comique de ces échanges entre Scapin et les deux vieillards. Scapin sait qu’ils sont bornés, il sait qu’ils sont avares, il sait qu’ils sont ridicules et il ne perdra pas son temps à essayer de les changer. Dans Les fourberies de Scapin, par contre, les deux jeunes hommes ont marié, sans savoir, la jeune fille qui plaît à leurs pères. C’est donc un thème qui peut être perçu comme ayant moins d’importance dans cette pièce. LE TRIOMPHE DES VALETS C’est vraiment avec Les fourberies de Scapin qu’on assiste à la victoire du valet. D’abord, la pièce porte son nom, marque ici du rôle essentiel qu’il tient dans l’action. C’est la seule pièce de Molière qui porte le nom d’un valet à même son titre. En effet, Scapin est le personnage

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principal de la pièce, il fait et défait toutes les intrigues, il est le seul à comprendre tout ce qui se passe et il crée tous les mensonges. Mais, en plus, il ne veut pas seulement aider les amours de son maître Léandre, il travaille aussi pour lui-même, se vengeant de Géronte dans le sac et réussissant à se faire pardonner tous ses torts en comptant sur le fait qu’on ne peut pas en vouloir à un homme mourant. Scapin et ses fourberies jetteront la base de ce que seront les valets sur scène, jusqu’aux valets omniprésents de Marivaux qui vivent eux aussi des amours, et les valets annonceurs des grands changements de la Révolution française de Beaumarchais (« Vous vous êtes donnés la peine de naître et rien de plus. » dira Figaro de son maître dans Le mariage de Figaro.) Ce sont souvent dans les répliques des valets qu’on peut vraiment comprendre ce que pense Molière. On peut aussi voir que Molière affectionnait particulièrement le personnage de Scapin, allant même jusqu’à le jouer, même s’il était déjà très malade. LE DÉGUISEMENT ET LA SUPERCHERIE Dans Les fourberies de Scapin, Scapin déguisera Silvestre en spadassin pour tromper Argante et lui soutirer de l’argent. Le déguisement, le masque et les costumes sont des éléments qui reviennent souvent dans le théâtre de Molière. Dans Le malade imaginaire, Toinette se déguise en médecin pour faire croire des bêtises à Argan, dans Les précieuses ridicules, le valet Mascarille se déguise en marquis pour que son maître, La Grange, puisse se venger des trop fières Magdelon et Cathos qui l’ont rejeté, lui et son ami du Croisy. Le déguisement est souvent, dans le théâtre de Molière, la façon de critiquer des traits de caractère : la vanité de Magdelon et Cathos, l’hypocondrie d’Argan et l’avarice de Géronte et d’Argante. LA VICTOIRE DE L’INTELLIGENCE Chez Molière, les supercheries des valets réussissent parce qu’ils sont rusés et s’ils sont rusés, c’est souvent en les comparant avec ceux qu’ils trompent : généralement des pères un peu niais, avares et bornés. On peut aussi voir, dans certaines pièces de Molière, notamment dans Les fourberies de Scapin, une dynamique de force où un de ces valets est plus intelligent ou plus dégourdi que l’autre. C’est Scapin qui entraîne Sylvestre dans sa supercherie. Ce n’est pas la première fois non plus. Sylvestre le suppliera même de ne pas le brouiller avec la justice, ce à quoi Scapin répondra que ce ne sont pas trois ans de punitions de plus ou de moins qui changeront quelque chose (Acte I, scène 7). L’intelligence et la débrouillardise de Scapin en font un réel adversaire pour les deux vieillards. Même quand il se voit acculé au pied du mur, alors que Géronte et Argante sont au courant de ses supercheries, il trouve moyen de s’en sortir en faisant semblant d’être à l’article de la mort. Il vit sa fourberie intelligente jusqu’au bout : il n’essaie pas de se sortir du pétrin en parlementant, il continuera à formuler des mensonges jusqu’à ce que la situation tourne à son avantage. Les fourberies de Scapin sont une machine bien rodée où tous les engrenages sont contrôlés par Scapin. C’est une comédie rapide où le public comprend en même temps que Scapin et peut rire des deux vieillards qui ne sont pas capables de suivre le rythme. On se sent plus intelligents qu’eux et ça nous amuse.

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Scapin et la règle des trois unités « Qu'en un lieu, qu'en un jour, un seul fait accompli

Tienne jusqu'à la fin le théâtre rempli. » - Nicolas Boileau, L’art poétique, 1674

Ces contraintes du théâtre classique français, que l’on nomme fréquemment « la règle des trois unités » ne sont pas de Boileau. Elles ont été énoncées par l’Abbé d’Aubignac près d’un siècle auparavant et lui-même les avaient reprises de l’Italien de la Renaissance Jules César Scaliger. Essentiellement, les préceptes du théâtre classique sont simples :

Unité de lieu : Un seul lieu où se passe toute l’action. L’espace scénique doit refléter cette unité de lieu, donc on ne voit qu’un seul décor. Le théâtre classique devient l’heure de gloire des « antichambres » où tous les personnages, du valet au maître, passent et s’arrêtent pour vivre des actions. Dans Les fourberies de Scapin, l’action se passe à Naples, ville portuaire italienne. Toutes les actions se déroulent à l’extérieur, près du port, une journée d’été.

Unité de temps : L’action se déroule en une seule journée. Généralement du matin au soir mais parfois la pièce peut commencer pendant la nuit avant le lever du soleil ou peut se terminer après le coucher du soleil. Dans Les fourberies de Scapin, l’action se déroule en une journée. Octave apprend que son père est de retour tôt en matinée et l’action de la pièce se termine alors que les amoureux, leurs pères et leurs valets se dirigent vers un banquet en soirée. On parle de faits accomplis pendant d’autres journées (comme par exemple, le mariage d’Octave et Hyacinte ou la cour que Léandre fait à Zerbinette) mais on ne montre pas ces autres journées sur scène.

Unité d’action : Il n’y a qu’une seule intrigue principale. C’est souvent ici qu’il est plus difficile de remarquer l’unité. On pourrait croire qu’il y a plusieurs petites intrigues, mais elles se rapportent le plus souvent à l’intrigue principale. Dans Les fourberies de Scapin, l’action principale tourne autour des supercheries et des fourberies de Scapin pour aider Léandre, son maître et Octave, l’ami de son maître.

On ajoute souvent d’autres règles au théâtre classique français :

Unité de ton : Une pièce se doit de respecter le ton de son genre (comédie/tragédie) afin de maintenir la séparation entre ces genres.

La règle des bienséances : La règle des bienséances externes demande qu’une pièce ne doive pas heurter les sensibilités du public (par exemple, on ne voit jamais un personnage mourir sur scène) et la règle des bienséances internes demande que le caractère des personnages soit cohérent du début à la fin de la pièce.

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Molière et la comédie italienne

Molière était un grand admirateur de la comédie italienne de son époque. Dès 1645, il va voir la commedia dell’arte produite par les Italiens au Théâtre du Petit-Bourbon. Peu avant son arrivée à la cour, il partagea même sa place au Petit-Bourbon avec une troupe de commedia dell’arte. La troupe de Molière jouait les jours extraordinaires (lundi, mercredi, jeudi, samedi) en alternance avec les Italiens à qui elle payait un loyer de 1500 livres. Les Italiens quittent Paris en 1659 et Molière reste seul dans la salle de théâtre. Après la destruction du Petit-Bourbon en 1660 et suite au succès qu’avaient eu Les précieuses ridicules en 1659, le roi accordera gratuitement à Molière la salle du Palais-Royal. Les Italiens reviendront à Paris en 1662 et partageront encore une salle avec Molière. Les influences du théâtre italien sur Molière et sa production théâtrale sont nombreuses et il est important de bien les comprendre pour saisir d’où vient le style de Molière ainsi que son sens du rythme. LA COMMEDIA DELL’ARTE La commedia dell’arte est une forme de comédie italienne qui vit le jour autour de 1528. C’est une comédie masquée qui suit souvent un canevas préétabli et qui met en scène des personnages types : le Pantalone, un vieillard crédule et avare, le Capitan, vantard mais lâche, le Dottore, un autre vieillard, prétendument savant et les zannis, ces valets qui sont soit rusés ou niais. Certains autres personnages se greffent à ces types : les personnages d’amoureux, souvent joués par des comédiens qui ne sont pas masqués, et quelques fois les soubrettes, les jeunes servantes dégourdies.

Une représentation de commedia dell'arte par la troupe des Gelosi (1571-1604). Peintre flamand inconnu.

Les troupes de commedia dell’arte n’avaient pas de théâtre fixe et se promenaient de pays en pays en amenant leurs décors et même leurs scènes. On peut dire que c’étaient les premières troupes de tournée!

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La France et ses rois ont une longue histoire d’amour avec cette forme de comédie italienne. Henri III et sa femme Catherine de Médicis firent venir en France, dès 1576, une troupe de comédiens italiens, les Gelosi, pour divertir la cour. Cette troupe restera, avec quelques changements de comédiens, jusqu’en 1604. En 1653, le cardinal de Richelieu chasse les comédiens italiens de la cour de France, le cardinal Mazarin, son successeur, les rappellera. En 1658, ils partageront le Petit-Bourbon avec la troupe de Molière. Ils partiront à nouveau un an plus tard et reviendront en 1662 pour partager le Théâtre du Palais-Royal avec la troupe de Molière. En 1680, soit 7 ans après la mort de Molière, Louis XIV nomme les comédiens italiens comme deuxième troupe de France après la Comédie française qui voit le jour aussi en 1680. Les Italiens joueront à l’Hôtel de Bourgogne. En 1697, Louis XIV change d’idée et chasse les Italiens de France puis ils sont rappelés après sa mort en 1716 par le régent. Ils resteront jusqu’au démantèlement de leur troupe en 1779. MOLIÈRE ET LES INFLUENCES DE LA COMMEDIA DELL’ARTE

La structure : Certaines pièces de Molière sont inspirées presque directement de canevas de commedia dell’arte, notamment Le dépit amoureux et Dom Garcie de Navarre.

Les personnages : Plusieurs personnages de Molière sont issus des types de la commedia dell’arte. La plupart de ses valets, de ses servantes et de ses soubrettes sont rusés et prêts à tout pour réussir. Ils deviennent les confidents des jeunes gens amoureux et essaient en tout point de les aider, généralement en trompant leurs vieillards de père, qui sont le plus souvent, avares, entêtés et ridicules. Les amants de Molière sont toujours prêts à de grandes envolées lyriques, comme ceux de la commedia dell’arte. Certains noms de personnages chez Molière, surtout les noms des valets, sont même tirés directement de la commedia dell’arte : Scapin, Sganarelle…

Le rythme : Le rythme rapide des scènes entre les valets et les vieillards montre une maîtrise de la répartie très complexe. C’est souvent quelque chose qu’on pouvait voir dans la commedia dell’arte.

La ruse : Les plans rusés des valets sont un élément essentiel à la commedia dell’arte. Les valets et les servantes chez Molière ont plus d’un tour dans leur sac et leurs plans rusés sont toujours pour bénéficier les jeunes amoureux (et eux-mêmes, bien entendu).

La réutilisation : Certaines scènes de commedia dell’arte était utilisées, presque telles quelles, dans plusieurs pièces différentes. Chez Molière, on peut voir aussi des traces de ce recyclage de réplique. La répartie rapide entre Scapin et Argante de la scène 6 de l’acte I des Fourberies de Scapin est reprise presque intégralement entre Toinette et Argan dans la scène 5 de l’acte I du Malade imaginaire.

LES FOURBERIES DE SCAPIN ET L’INFLUENCE DE TÉRENCE Térence était un poète (c’est-à-dire un auteur de théâtre) latin qui vécut entre 190 et 159 av. J-C. Il naît à Carthage comme esclave et est donné au sénateur romain Terentius. Grâce à son talent pour la musique, il est vite affranchi et se met à fréquenter les cercles d’intellectuels où il commence à écrire. On connaît six pièces de Térence, mais plusieurs intellectuels de la Renaissance et de l’époque de Molière s’entendent pour dire qu’elles sont d’excellents modèles de comédie.

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Contrairement aux autres auteurs de son temps, comme Plaute, les comédies de Térence sont plus subtiles. Au lieu de grossir les traits de caractère (un peu comme le slapstick ou la comédie physique), Térence écrit des comédies de parole qui visent à faire sourire plutôt que rire. C’est de l’humour intelligent mais qui vise quand même à plaire à un public moins éduqué. La psychologie de ses personnages est plus approfondie, mais repose quand même sur les « types » de la comédie romaine (le père hostile, les amoureux, l’esclave rusé) qui seront les précurseurs des types de la commedia dell’arte. L’intrigue des Fourberies de Scapin est basée sur la pièce Le Phormion de Térence, écrite et jouée vers 161 av. J-C. Dans cette pièce, Démiphon et son frère Chrémès quittent Athènes pour un voyage à l’étranger en laissant leurs fils à la maison. Le fils de Chrémès, en l’absence de son père et avec l’aide d’un parasite (un esclave), épouse une joueuse de lyre de qui il était tombé amoureux. Le fils de Démiphon, pour sa part, tombe amoureux d’une jeune orpheline nouvellement arrivée en ville et l’épouse aussi. Les deux pères, à leur retour de voyage, paient Phormion, le parasite, pour rompre les mariages. Quand on découvre la naissance des deux jeunes filles, la joueuse de lyre étant la fille de Démiphon enlevée en bas âge et l’orpheline étant la fille de Chrémès, tout le monde est bien heureux des mariages. Phormion, dans toute la cohue, garde l’argent pour lui et se fait même inviter à souper par la femme de Chrémès, jalouse que ce dernier lui avait caché qu’il avait eu deux femmes dans deux villes différentes. On voit ici tout le canevas des Fourberies de Scapin. Les emprunts de ce genre étaient très fréquents à l’époque de Molière. C’était même très bien vu d’emprunter des histoires, des personnages et même des répliques à d’illustres auteurs de l’antiquité grecque et romaine. Molière utilisera souvent les textes de l’antiquité comme inspiration, notamment avec Psyché, Amphitryon et Mélicerte. Térence inspirera encore Molière avec Les Adelphes desquels découlera L’école des maris.

Térence (Publius Terentius Afer)

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Molière et la farce Une autre influence marquée dans le théâtre de Molière, et dans Les fourberies de Scapin, est celle de la farce. La farce est un genre théâtral issu du Moyen-Âge qui, pour le public de théâtre du XVIIe siècle, n’est pas très haut dans la hiérarchie des genres théâtraux. C’est un type de théâtre duquel on tentait de s’éloigner. On trouve même étrange, à cette époque, de savoir que Molière s’en inspire. Plusieurs critiques et théoriciens du théâtre de l’époque, Nicolas Boileau et son Art poétique en tête, croient même que Les fourberies de Scapin et son registre farcesque est une régression dans l’art de Molière après Le bourgeois gentilhomme, Psyché ou Les amants magnifiques. On peut voir une influence de la farce du Moyen-Âge dans l’apparente simplicité des Fourberies de Scapin. Après les très coûteuses productions de comédies-ballets comme Le bourgeois gentilhomme, ou Psyché, et après les comédies de mœurs, à la fois intelligentes et critiques comme L’avare ou Le Misanthrope, Molière renoue avec la simplicité. Il prépare Les fourberies de Scapin, pour la salle du Palais-Royal, beaucoup plus petite à cause des rénovations qu’on y apportait en 1671. La pièce était faite pour être jouée dans un espace restreint avec peu de décors. De cette façon, le mot et l’action primaient. Les farces du Moyen-Âge étaient présentées par des troupes de théâtre ambulantes, qui se promenaient de ville en ville avec de petits décors simples et qui pouvaient jouer leurs comédies partout, sur un parvis d’église ou sur une place publique, ou même dans les grandes salles des demeures fortunées. Un peu avant l’époque de Molière, Corneille crée la « comédie de mœurs » qui vient rompre avec le genre grossier de la farce. Molière décide de revenir au genre théâtral de la farce, mais en l’agrémentant de nouvelles idées rencontrées au fil de ses expériences de tournée en France avec la compagnie des Béjart et de ses rencontres avec les Italiens. La farce était souvent dotée d’une intrigue simple, de peu de personnages et d’éléments de langage et d’éléments physiques grossiers, pour faire rire. La farce présente des situations et des personnages ridicules et tourne souvent autour de la tromperie et du mensonge. Au XVIIe siècle, on veut des divertissements plus raffinés. Molière s’inspire donc de la farce mais en y ajoutant plusieurs éléments de la comédie italienne pour créer ses pièces. Aux intrigues simples mais ridicules de la farce, il ajoute l’apport de « l’action » de la comédie italienne. Il doit se passer quelque chose sur scène. Les personnages parlent peu de ce qu’ils vont faire, ils vont simplement le faire. Ils commentent parfois leurs actions ou leurs manigances alors même qu’ils sont en train de les faire et toutes ces actions renvoient à une action comique principale. Dans Les fourberies de Scapin, le valet Scapin essaie de protéger les amours de son maître et de l’ami de son maître. Toutes ses manigances renvoient à ce but principal. Molière ajoute aussi, à ses farces, le lazzi issu de la commedia dell’arte. Le lazzi est une comédie physique ou verbale, souvent répétitive, qui vise à faire rire. On peut penser ici à la scène où Scapin frappe d’un bâton Géronte enfermé dans un sac en imitant toutes sortes de voix pour faire croire qu’une foule l’entoure. On remarque aussi que Molière ajoute un concept tout italien, pour complexifier la structure de la farce : le quiproquo, littéralement prendre une chose pour une autre. Les

Sylvestre, déguisé en spadassin, menace Argante tandis que Scapin observe.

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fourberies de Scapin regorgent de quiproquo : on croit que Sylvestre est un spadassin venu venger l’honneur de sa sœur, on destine Octave à la fille de Géronte, il en épouse une autre, qui est finalement la même, Zerbinette raconte comment Scapin a soutiré de l’argent à Géronte à un homme qu’elle ne connaît pas, qui est finalement ce même Géronte. Autant la farce que la comédie italienne marquent le théâtre de Molière et c’est ce mariage des genres qui crée la griffe de Molière. Il joue habilement des deux influences pour façonner un théâtre original qui demeure encore bien vivant aujourd’hui.

Dessin de Scapin Les fourberies de Scapin Mise en scène de Guy Mignault Théâtre français de Toronto, 2012

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Propositions d’activités AVANT LE SPECTACLE

1. Lisez les descriptions des personnages. Essayer de démêler les relations familiales et amicales qui les unissent. Vous pouvez dessiner des diagrammes. Ceci pourrait vous aider lors de la présentation de la pièce.

2. En vous fiant à la description de la pièce (page 8), imaginez et dessinez deux possibilités de décor pour la pièce : un décor classique qui pourrait ressembler à celui du temps de Molière et un décor moderne. La scénographie de Marie-Ève Cormier que vous verrez au spectacle se veut « hors du temps ». Qu’est-ce que cela signifie? Comment pouvez-vous ancrer vos deux possibilités de décor dans une époque afin de les distinguer l’une de l’autre.

3. Consultez l’annexe 1. Vous trouverez la version intégrale de la scène 11 du deuxième

acte des Fourberies de Scapin. Cette scène est devenue très populaire, surtout à cause de la réplique très connue : « Mais que diable allait-il faire dans cette galère? » dite par le personnage de Géronte. (On croit en fait que Molière aurait emprunté cette réplique à Cyrano de Bergerac [1619-1655].) Que signifie cette réplique aujourd’hui? Comment est-elle passée dans l’usage moderne? Quelles autres expressions d’aujourd’hui jouent sur la même idée et sur l’utilisation du mot « galère »? Cherchez dans un dictionnaire ou sur le web les mots ou expressions que vous ne connaissez pas dans la scène 11 de l’acte II. En groupe, jouez la scène en gardant en tête le concept de lazzi tiré de la commedia dell’arte. Combien de lazzi pouvez-vous jouer dans cette scène?

APRÈS LE SPECTACLE

1. Consultez l’annexe 2. Vous trouverez un extrait de la scène 6 du premier acte des Fourberies de Scapin et un extrait de la scène 5 de l’acte I du Malade imaginaire. En quoi ces scènes sont-elles similaires? En quoi sont-elles différentes? Jouez les deux scènes en proposant deux interprétations radicalement différentes ou deux interprétations pareilles.

2. Consultez l’annexe 1 à nouveau. Vous trouverez la scène 11 du deuxième acte des Fourberies de Scapin. À la lumière du spectacle que vous venez de voir, comment est-ce que la mise en scène de Guy Mignault a intégré le lazzi? Avez-vous aimé le choix du metteur en scène? Avez-vous aimé la performance des comédiens? Pourquoi? Comment cette interprétation était différente de celle que vous aviez imaginée avant le spectacle.

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3. Consultez l’annexe 3. Vous trouverez un extrait de la scène 5 du deuxième acte où Scapin confesse à Léandre des supercheries qu’il lui a fait subir. Que voulait savoir Léandre au lieu de ces supercheries? Est-ce que Scapin dit la vérité? Imaginez une de ces supercheries que Scapin avoue à Léandre et improvisez la situation. N’hésitez pas à créer d’autres personnages que ceux de la pièce pour ces improvisations.

4. Dans la scène 3 de l’acte I, Octave dit : « Non, belle Hyacinte, il n’y a point de père qui

puisse me contraindre à vous manquer de foi; et je me résoudrai à quitter mon pays, et le jour même, s’il est besoin, plutôt qu’à vous quitter. » Imaginez et écrivez la lettre qu’Octave aurait laissée à son père s’il avait décidé de quitter le pays avec sa bien-aimée Hyacinte. Que lui aurait-il dit? Comment aurait-il expliqué la situation et fait comprendre à son père qu’il voulait un mariage d’amour et non pas un mariage arrangé? Essayez d’écrire cette lettre avec le même style d’écriture que Molière dans Les fourberies de Scapin.

SAVIEZ-VOUS QUE….. Scapin demande 500 écus à Géronte pour payer la rançon de son fils enlevé par les Turcs. 500 écus d’or valaient 1 500 livres tournois, monnaie de l’époque de Molière; 1 500 livres tournois étaient chacune composée de 245 grammes d’argent; Ces 1 500 livres valaient 32 655 francs français d’avant la formation de l’Union européenne; Ces 32 655 francs français valent 4 978,22 € (euros) modernes; Au taux de change du 1er octobre 2012, ces 4 978,22 € valaient 6 304,17 $ canadiens! Scapin demande 200 pistoles à Argante pour que le frère spadassin d’Hyacinte accepte de rompre le mariage. En France, une pistole désignait un écu d’or espagnol. 200 pistoles valaient 600 livres tournois; 600 livres tournois valaient 13 062 francs français; Ces 13 062 francs français valent 1 992,20 €; Au taux de change du 1er octobre 2012, ces 1 992,20 € valaient 2 522,82 $ canadiens! ** Ces montants sont approximatifs.

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Annexe 1 ACTE II, SCÈNE 11 - VERSION INTÉGRALE (dans certaines éditions, cette même scène est l’acte II, scène 7) SCAPIN - Ô Ciel ! ô disgrâce imprévue ! ô misérable père ! Pauvre Géronte, que feras-tu ? GÉRONTE.- Que dit-il là de moi, avec ce visage affligé ? SCAPIN.- N’y a-t-il personne qui puisse me dire où est le seigneur Géronte ? GÉRONTE.- Qu’y a-t-il, Scapin ? SCAPIN.- Où pourrai-je le rencontrer, pour lui dire cette infortune ? GÉRONTE.- Qu’est-ce que c’est donc ? SCAPIN.- En vain je cours de tous côtés pour le pouvoir trouver. GÉRONTE.- Me voici. SCAPIN.- Il faut qu’il soit caché en quelque endroit qu’on ne puisse point deviner. GÉRONTE.- Holà, es-tu aveugle, que tu ne me vois pas ? SCAPIN.- Ah, Monsieur, il n’y a pas moyen de vous rencontrer. GÉRONTE.- Il y a une heure que je suis devant toi. Qu’est-ce que c’est donc qu’il y a ? SCAPIN.- Monsieur... GÉRONTE.- Quoi ? SCAPIN.- Monsieur, votre fils... GÉRONTE.- Hé bien mon fils... SCAPIN.- Est tombé dans une disgrâce la plus étrange du monde. GÉRONTE.- Et quelle ? SCAPIN.- Je l’ai trouvé tantôt, tout triste, de je ne sais quoi que vous lui avez dit, où vous m’avez mêlé assez mal à propos ; et cherchant à divertir cette tristesse, nous nous sommes allés promener sur le port. Là, entre autres plusieurs choses, nous avons arrêté nos yeux sur une galère turque assez bien équipée. Un jeune Turc de bonne mine, nous a invités d’y entrer, et nous a présenté la main. Nous y avons passé ; il nous a fait mille civilités, nous a donné la collation, où nous avons mangé des fruits les plus excellents qui se puissent voir, et bu du vin que nous avons trouvé le meilleur du monde. GÉRONTE.- Qu’y a-t-il de si affligeant en tout cela ? SCAPIN.- Attendez, Monsieur, nous y voici. Pendant que nous mangions, il a fait mettre la galère en mer, et se voyant éloigné du port, il m’a fait mettre dans un esquif, et m’envoie vous dire que si vous ne lui envoyez par moi tout à l’heure cinq cents écus, il va vous emmener votre fils en Alger.

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GÉRONTE.- Comment, diantre, cinq cents fécus ? SCAPIN.- Oui, Monsieur ; et de plus, il ne m’a donné pour cela que deux heures. GÉRONTE.- Ah le pendard de Turc, m’assassiner de la façon ! SCAPIN.- C’est à vous, Monsieur, d’aviser promptement aux moyens de sauver des fers un fils que vous aimez avec tant de tendresse. GÉRONTE.- Que diable allait-il faire dans cette galère ? SCAPIN.- Il ne songeait pas à ce qui est arrivé. GÉRONTE.- Va-t’en, Scapin, va-t’en vite dire à ce Turc que je vais envoyer la justice après lui. SCAPIN.- La justice en pleine mer ! Vous moquez-vous des gens ? GÉRONTE.- Que diable allait-il faire dans cette galère ? SCAPIN.- Une méchante destinée conduit quelquefois les personnes. GÉRONTE.- Il faut, Scapin, il faut que tu fasses ici, l’action d’un serviteur fidèle. SCAPIN.- Quoi, Monsieur ? GÉRONTE.- Que tu ailles dire à ce Turc, qu’il me renvoie mon fils, et que tu te mets à sa place, jusqu’à ce que j’aie amassé la somme qu’il demande. SCAPIN.- Eh, Monsieur, songez-vous à ce que vous dites ? et vous figurez-vous que ce Turc ait si peu de sens, que d’aller recevoir un misérable comme moi, à la place de votre fils ? GÉRONTE.- Que diable allait-il faire dans cette galère ? SCAPIN.- Il ne devinait pas ce malheur. Songez, Monsieur, qu’il ne m’a donné que deux heures. GÉRONTE.- Tu dis qu’il demande... SCAPIN.- Cinq cents écus. GÉRONTE.- Cinq cents écus ! N’a-t-il point de conscience ? SCAPIN.- Vraiment oui, de la conscience à un Turc. GÉRONTE.- Sait-il bien ce que c’est que cinq cents écus ? SCAPIN.- Oui, Monsieur, il sait que c’est mille cinq cents livres. GÉRONTE.- Croit-il, le traître, que mille cinq cents livres se trouvent dans le pas d’un cheval ? SCAPIN.- Ce sont des gens qui n’entendent point de raison. GÉRONTE.- Mais que diable allait-il faire à cette galère ? SCAPIN.- Il est vrai ; mais quoi ! on ne prévoyait pas les choses. De grâce, Monsieur, dépêchez.

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GÉRONTE.- Tiens, voilà la clef de mon armoire. SCAPIN.- Bon. GÉRONTE.- Tu l’ouvriras. SCAPIN.- Fort bien. GÉRONTE.- Tu trouveras une grosse clef du côté gauche, qui est celle de mon grenier. SCAPIN.- Oui. GÉRONTE.- Tu iras prendre toutes les hardes qui sont dans cette grande manne, et tu les vendras aux fripiers, pour aller racheter mon fils. SCAPIN, en lui rendant la clef.- Eh, Monsieur, rêvez-vous ? Je n’aurais pas cent francs de tout ce que vous dites ; et de plus, vous savez le peu de temps qu’on m’a donné. GÉRONTE.- Mais que diable allait-il faire à cette galère ? SCAPIN.- Oh que de paroles perdues ! Laissez là cette galère, et songez que le temps presse, et que vous courez risque de perdre votre fils. Hélas ! mon pauvre maître, peut-être que je ne te verrai de ma vie, et qu’à l’heure que je parle on t’emmène esclave en Alger. Mais le Ciel me sera témoin que j’ai fait pour toi tout ce que j’ai pu ; et que si tu manques à être racheté, il n’en faut accuser que le peu d’amitié d’un père. GÉRONTE.- Attends, Scapin, je m’en vais quérir cette somme. SCAPIN.- Dépêchez donc vite, Monsieur, je tremble que l’heure ne sonne. GÉRONTE.- N’est-ce pas quatre cents écus que tu dis ? SCAPIN.- Non, cinq cents écus. GÉRONTE.- Cinq cents écus ? SCAPIN.- Oui. GÉRONTE.- Que diable allait-il faire à cette galère ? SCAPIN.- Vous avez raison, mais hâtez-vous. GÉRONTE.- N’y avait-il point d’autre promenade ? SCAPIN.- Cela est vrai. Mais faites promptement. GÉRONTE.- Ah maudite galère ! SCAPIN.- Cette galère lui tient au cœur. GÉRONTE.- Tiens, Scapin, je ne me souvenais pas que je viens justement de recevoir cette somme en or, et je ne croyais pas qu’elle dût m’être si tôt ravie.(Il lui présente sa bourse, qu’il ne laisse pourtant pas aller ; et dans ses transports il fait aller son bras de côté et d’autre, et Scapin le sien pour avoir la bourse.) Tiens. Va-t’en racheter mon fils. SCAPIN.- Oui, Monsieur.

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GÉRONTE.- Mais dis à ce Turc que c’est un scélérat. SCAPIN.- Oui. GÉRONTE.- Un infâme. SCAPIN.- Oui. GÉRONTE.- Un homme sans foi, un voleur. SCAPIN.- Laissez-moi faire. GÉRONTE.- Qu’il me tire cinq cents écus contre toute sorte de droit. SCAPIN.- Oui. GÉRONTE.- Que je ne les lui donne ni à la mort, ni à la vie. SCAPIN.- Fort bien. GÉRONTE.- Et que si jamais je l’attrape, je saurai me venger de lui. SCAPIN.- Oui. GÉRONTE, remet la bourse dans sa poche, et s’en va.- Va, va vite requérir mon fils. SCAPIN, allant après lui.- Holà, Monsieur. GÉRONTE.- Quoi ? SCAPIN.- Où est donc cet argent ? GÉRONTE.- Ne te l’ai-je pas donné ? SCAPIN.- Non vraiment, vous l’avez remis dans votre poche. GÉRONTE.- Ah, c’est la douleur qui me trouble l’esprit. SCAPIN.- Je le vois bien. GÉRONTE.- Que diable allait-il faire dans cette galère ? Ah maudite galère ! Traître de Turc à tous les diables ! SCAPIN.- Il ne peut digérer les cinq cents écus que je lui arrache ; mais il n’est pas quitte envers moi, et je veux qu’il me paye en une autre monnaie, l’imposture qu’il m’a faite auprès de son fils.

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Annexe 2 LES FOURBERIES DE SCAPIN – ACTE 1, SCÈNE 6 (EXTRAIT) (dans certaines éditions, acte I, scène 4) […] ARGANTE.- C’est par force qu’il a été marié ? SILVESTRE.- Oui, Monsieur. SCAPIN.- Voudrais-je vous mentir ? ARGANTE.- Il devait donc aller tout aussitôt protester de violence chez un notaire. SCAPIN.- C’est ce qu’il n’a pas voulu faire. ARGANTE.- Cela m’aurait donné plus de facilité à rompre ce mariage. SCAPIN.- Rompre ce mariage ! ARGANTE.- Oui. SCAPIN.- Vous ne le romprez point. ARGANTE.- Je ne le romprai point ? SCAPIN.- Non. ARGANTE.- Quoi, je n’aurai pas pour moi les droits de père, et la raison de la violence qu’on a faite à mon fils? SCAPIN.- C’est une chose dont il ne demeurera pas d’accord. ARGANTE.- Il n’en demeurera pas d’accord ? SCAPIN.- Non. ARGANTE.- Mon fils ? SCAPIN.- Votre fils. Voulez-vous qu’il confesse qu’il ait été capable de crainte, et que ce soit par force qu’on lui ait fait faire les choses ? Il n’a garde d’aller avouer cela. Ce serait se faire tort, et se montrer indigne d’un père comme vous. ARGANTE.- Je me moque de cela. SCAPIN.- Il faut, pour son honneur, et pour le vôtre, qu’il dise dans le monde, que c’est de bon gré qu’il l’a épousée. ARGANTE.- Et je veux moi, pour mon honneur et pour le sien, qu’il dise le contraire. SCAPIN.- Non, je suis sûr qu’il ne le fera pas. ARGANTE.- Je l’y forcerai bien.

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SCAPIN.- Il ne le fera pas, vous dis-je. ARGANTE.- Il le fera, ou je le déshériterai. SCAPIN.- Vous ? ARGANTE.- Moi. SCAPIN.- Bon. ARGANTE.- Comment, bon ? SCAPIN.- Vous ne le déshériterez point. ARGANTE.- Je ne le déshériterai point ? SCAPIN.- Non. ARGANTE.- Non ? SCAPIN.- Non. ARGANTE.- Eh. Voici qui est plaisant. Je ne déshériterai pas mon fils. SCAPIN.- Non, vous dis-je. ARGANTE.- Qui m’en empêchera ? SCAPIN.- Vous-même. ARGANTE.- Moi ? SCAPIN.- Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là. ARGANTE.- Je l’aurai. SCAPIN.- Vous vous moquez. ARGANTE.- Je ne me moque point. SCAPIN.- La tendresse paternelle fera son office. ARGANTE.- Elle ne fera rien. SCAPIN.- Oui, oui. ARGANTE.- Je vous dis que cela sera. SCAPIN.- Bagatelles. ARGANTE.- Il ne faut point dire bagatelles. SCAPIN.- Mon Dieu, je vous connais, vous êtes bon naturellement.

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ARGANTE.- Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. Finissons ce discours qui m’échauffe la bile. Va-t’en, pendard, va-t’en me chercher mon fripon, tandis que j’irai rejoindre le seigneur Géronte, pour lui conter ma disgrâce. SCAPIN.- Monsieur, si je vous puis être utile en quelque chose, vous n’avez qu’à me commander. […] LE MALADE IMAGINAIRE – ACTE I, SCÈNE 5 (EXTRAIT) […] TOINETTE.- Hé bien, voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ? ARGAN.- Comment, coquine, si je suis malade ? si je suis malade, impudente ? TOINETTE.- Hé bien oui, Monsieur, vous êtes malade, n’ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j’en demeure d’accord, et plus malade que vous ne pensez ; voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et n’étant point malade, il n’est pas nécessaire de lui donner un médecin. ARGAN.- C’est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d’épouser ce qui est utile à la santé de son père. TOINETTE.- Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu’en amie je vous donne un conseil ? ARGAN.- Quel est-il ce conseil ? TOINETTE.- De ne point songer à ce mariage-là. ARGAN.- Hé la raison ? TOINETTE.- La raison, c’est que votre fille n’y consentira point. ARGAN.- Elle n’y consentira point ? TOINETTE.- Non. ARGAN.- Ma fille ? TOINETTE.- Votre fille. Elle vous dira qu’elle n’a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. ARGAN.- J’en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu’on ne pense ; Monsieur Diafoirus n’a que ce fils-là pour tout héritier ; et de plus Monsieur Purgon, qui n’a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente. TOINETTE.- Il faut qu’il ait tué bien des gens, pour s’être fait si riche. ARGAN.- Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père. TOINETTE.- Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j’en reviens toujours là. Je vous conseille entre nous de lui choisir un autre mari, et elle n’est point faite pour être Madame Diafoirus.

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ARGAN.- Et je veux, moi, que cela soit. TOINETTE.- Eh fi, ne dites pas cela. ARGAN.- Comment, que je ne dise pas cela ? TOINETTE.- Hé non. ARGAN.- Et pourquoi ne le dirai-je pas ? TOINETTE.- On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites. ARGAN.- On dira ce qu’on voudra, mais je vous dis que je veux qu’elle exécute la parole que j’ai donnée. TOINETTE.- Non, je suis sûre qu’elle ne le fera pas. ARGAN.- Je l’y forcerai bien. TOINETTE.- Elle ne le fera pas, vous dis-je. ARGAN.- Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent. TOINETTE.- Vous ? ARGAN.- Moi. TOINETTE.- Bon. ARGAN.- Comment, "bon" ? TOINETTE.- Vous ne la mettrez point dans un couvent. ARGAN.- Je ne la mettrai point dans un couvent ? TOINETTE.- Non. ARGAN.- Non ? TOINETTE.- Non. ARGAN.- Ouais, voici qui est plaisant. Je ne mettrai pas ma fille dans un couvent, si je veux ? TOINETTE.- Non, vous dis-je. ARGAN.- Qui m’en empêchera ? TOINETTE.- Vous-même. ARGAN.- Moi ? TOINETTE.- Oui. Vous n’aurez pas ce cœur-là. ARGAN.- Je l’aurai. TOINETTE.- Vous vous moquez.

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ARGAN.- Je ne me moque point. TOINETTE.- La tendresse paternelle vous prendra. ARGAN.- Elle ne me prendra point. TOINETTE.- Une petite larme, ou deux, des bras jetés au cou, un "mon petit papa mignon", prononcé tendrement, sera assez pour vous toucher. ARGAN.- Tout cela ne fera rien. TOINETTE.- Oui, oui. ARGAN.- Je vous dis que je n’en démordrai point. TOINETTE.- Bagatelles. ARGAN.- Il ne faut point dire "bagatelles". TOINETTE.- Mon Dieu je vous connais, vous êtes bon naturellement. ARGAN, avec emportement.- Je ne suis point bon, et je suis méchant quand je veux. TOINETTE.- Doucement, Monsieur, vous ne songez pas que vous êtes malade. ARGAN.- Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis. TOINETTE.- Et moi, je lui défends absolument d’en faire rien. ARGAN.- Où est-ce donc que nous sommes ? et quelle audace est-ce là à une coquine de servante de parler de la sorte devant son maître ? TOINETTE.- Quand un maître ne songe pas à ce qu’il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser. […]

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Annexe 3 LES FOURBERIES DE SCAPIN – ACTE II, SCÈNE 5 (dans certaines éditions, acte II, scène 3) […] LÉANDRE.- Ah, ah, vous voilà. Je suis ravi de vous trouver, Monsieur le coquin. SCAPIN.- Monsieur, votre serviteur. C’est trop d’honneur que vous me faites. LÉANDRE, en mettant l’épée à la main.- Vous faites le méchant plaisant. Ah ! je vous apprendrai... SCAPIN, se mettant à genoux.- Monsieur. OCTAVE, se mettant entre-deux, pour empêcher Léandre de le frapper.- Ah, Léandre. LÉANDRE.- Non, Octave, ne me retenez point, je vous prie. SCAPIN.- Eh, Monsieur. OCTAVE, le retenant.- De grâce. LÉANDRE, voulant frapper Scapin.- Laissez-moi contenter mon ressentiment. OCTAVE.- Au nom de l’amitié, Léandre, ne le maltraitez point. SCAPIN.- Monsieur, que vous ai-je fait ? LÉANDRE, voulant le frapper.- Ce que tu m’as fait, traître ? OCTAVE, le retenant.- Eh doucement. LÉANDRE.- Non, Octave, je veux qu’il me confesse lui-même tout à l’heure la perfidie qu’il m’a faite. Oui, coquin, je sais le trait que tu m’as joué, on vient de me l’apprendre ; et tu ne croyais pas peut-être que l’on me dût révéler ce secret : mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers du corps. SCAPIN.- Ah ! Monsieur, auriez-vous bien ce cœur-là ? LÉANDRE.- Parle donc. SCAPIN.- Je vous ai fait quelque chose, Monsieur ? LÉANDRE.- Oui, coquin ; et ta conscience ne te dit que trop ce que c’est. SCAPIN.- Je vous assure que je l’ignore. LÉANDRE, s’avançant pour le frapper.- Tu l’ignores ! OCTAVE, le retenant.- Léandre.

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SCAPIN.- Hé bien Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j’ai bu avec mes amis ce petit quartaut de vin d’Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c’est moi qui fis une fente au tonneau, et répandis de l’eau autour, pour faire croire que le vin s’était échappé. LÉANDRE.- C’est toi, pendard, qui m’as bu mon vin d’Espagne, et qui as été cause que j’ai tant querellé la servante, croyant que c’était elle qui m’avait fait le tour ? SCAPIN.- Oui, Monsieur, je vous en demande pardon. LÉANDRE.- Je suis bien aise d’apprendre cela ; mais ce n’est pas l’affaire dont il est question maintenant. SCAPIN.- Ce n’est pas cela, Monsieur ? LÉANDRE.- Non, c’est une autre affaire qui me touche bien plus, et je veux que tu me la dises. SCAPIN.- Monsieur, je ne me souviens pas d’avoir fait autre chose. LÉANDRE, le voulant frapper.- Tu ne veux pas parler ? SCAPIN.- Eh. OCTAVE, le retenant.- Tout doux. SCAPIN.- Oui, Monsieur, il est vrai qu’il y a trois semaines que vous m’envoyâtes porter le soir, une petite montre à la jeune Égyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j’avais trouvé des voleurs qui m’avaient bien battu, et m’avaient dérobé la montre. C’était moi, Monsieur, qui l’avais retenue. LÉANDRE.- C’est toi qui as retenu ma montre ? SCAPIN.- Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est. LÉANDRE.- Ah, ah, j’apprends ici de jolies choses, et j’ai un serviteur fort fidèle vraiment. Mais ce n’est pas encore cela que je demande. SCAPIN.- Ce n’est pas cela ? LÉANDRE.- Non, infâme, c’est autre chose encore que je veux que tu me confesses. SCAPIN.- Peste ! LÉANDRE.- Parle vite, j’ai hâte. SCAPIN.- Monsieur, voilà tout ce que j’ai fait. LÉANDRE, voulant frapper Scapin.- Voilà tout ? OCTAVE, se mettant au-devant.- Eh. SCAPIN.- Hé bien oui, Monsieur, vous vous souvenez de ce loup-garou il y a six mois qui vous donna tant de coups de bâton la nuit, et vous pensa faire rompre le cou dans une cave où vous tombâtes en fuyant. LÉANDRE.- Hé bien ?

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SCAPIN.- C’était moi, Monsieur, qui faisais le loup-garou. LÉANDRE.- C’était toi, traître, qui faisais le loup-garou ? SCAPIN.- Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits comme vous aviez de coutume. LÉANDRE.- Je saurai me souvenir en temps et lieu de tout ce que je viens d’apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père. SCAPIN.- À votre père ? LÉANDRE.- Oui, fripon, à mon père. SCAPIN.- Je ne l’ai pas seulement vu depuis son retour. LÉANDRE.- Tu ne l’as pas vu ? SCAPIN.- Non, Monsieur. LÉANDRE.- Assurément ? SCAPIN.- Assurément. C’est une chose que je vais vous faire dire par lui-même. LÉANDRE.- C’est de sa bouche que je le tiens pourtant. SCAPIN.- Avec votre permission, il n’a pas dit la vérité.

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À propos du TfT En quarante-cinq ans d’existence, le Théâtre français de Toronto (TfT) est devenu un des plus importants théâtres de langue française hors Québec avec près de 240 productions à son actif. Aujourd’hui le TfT accueille chaque saison plus de 10 000 spectateurs venus de toute la région métropolitaine et du sud-ouest de l’Ontario et il compte près de mille abonnés. La saison du TfT comporte cinq spectacles grand public, deux spectacles pour adolescents et un spectacle pour enfants. Le TfT joue au Berkeley Street Theatre depuis 1990. Il offre à son public francophone et francophile un répertoire varié qui comprend créations, œuvres canadiennes, internationales et grands classiques. Ses productions partent régulièrement en tournée à travers l’Ontario et tout le Canada. De la comédie à la création contemporaine en passant par le répertoire classique et moderne, le bassin d’œuvres théâtrales en français dans lequel le TfT puise les pièces qu’il diffuse est vaste. Compagnie éclectique, le TfT crée, produit et accueille des productions théâtrales d’ici et d’ailleurs. La création occupe une place importante dans la démarche artistique du TfT; elle est source d’échanges, de découvertes et de ressourcement. Les choix artistiques du TfT sont portés par le besoin de raconter, de surprendre et d’émouvoir les amateurs de théâtre en français, qu’ils soient des enfants, des adolescents ou des adultes. L’ÉQUIPE DU THÉÂTRE FRANÇAIS DE TORONTO Directeur artistique : Guy Mignault Directeur administratif et de financement : Ghislain Caron Adjointe à la direction, responsable du marketing et des communications : Chloé Coves Attachée de presse : Josée Duranleau Responsable des surtitres : Gunta Dreifelds Responsable du financement privé : Geneviève Trilling Assistance à la comptabilité et préposée au service à la clientèle : JoAnn Mailloux Agent de développement du public : Thomas Gallezot Directeur de production : Dominic Manca Responsable de l’atelier de costumes : Nina Okens Chargée de projets : Carline Zamar Pour plus d’informations sur le Théâtre français de Toronto, rendez-vous au www.theatrefrancais.com. Théâtre français de Toronto 21, rue College, Bureau Toronto ON M5G 2B3 Téléphone : 416 534-7303 Télécopieur : 416 534-9087 [email protected]

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Bibliographie sélective MOLIÈRE (POQUELIN, Jean-Baptiste, dit), Œuvres complètes, Précédé d’un précis de l’histoire du théâtre en France, Éditions Louandre, Collection Classiques français, Paris, année de publication inconnue (3 tomes – Les fourberies de Scapin [tome 3]) MORAUD, Yves, La conquête de la liberté de Scapin à Figaro – Valets, servantes et soubrettes de Molière à Beaumarchais, Presses universitaires de France, Paris, 1981 PINEAU, Joseph, Le théâtre de Molière, une dynamique de la liberté, Éditions Lettres modernes Minard, collection « Situation », numéro 54, Paris-Caen, 2000 Archives de la Comédie française en ligne www.comedie-francaise.fr

Biographie et œuvre de Molière Articles sur l’œuvre de Molière

Encyclopédie Universalis en ligne Article : « Commedia dell’arte (repères chronologiques) » http://www.universalis.fr/encyclopedie/commedia-dell-arte-reperes-chronologiques/ Répertoire de l’œuvre de Molière en ligne avec études et commentaires www.toutmoliere.net Térence, Le Phormion, texte intégral en français http://remacle.org/bloodwolf/comediens/Terence/phormionfr.htm

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