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Qui sème le vent… - Juillet 1936 - La guerre d’Espagne éclate V ainqueur des élections législatives en février 1936, le Front Populaire d’Espagne fait face en juillet à une insurrection fomentée par la droite et les phalangistes fascistes. Le général Franco en a pris la tête. C’est le début de la guerre civile. L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie appuient la rébel- lion. En septembre 1936, l’Internationale communiste crée les Brigades internationales, parmi celle-ci la compa- gnie juive Botwin. Cette guerre de 33 mois va faire plus d’un million de morts. < (pages 6, 7, 8) Bernard Frederick HOMMAGE – Anniversaire – Sholem Aleikhem p.12 DOSSIER « Juillet 1936 – La guerre d’Espagne éclate » Juifs dans les brigades internationales B.Frederick p.6 Souvenirs d’un botwinik E.Wuzek p.7 Cinéma … pour la République ! L.Laufer p.7 Olympiades populaires contre Jeux à la gloire du fascisme H. Amblard p.8 MONDE Israël-Palestine – l’indispensable courage D.Vidal p.3 La Pologne retrouve ses vieux démons N.Nuchim p.3 La Grande-Bretagne hors d’Europe J. Lewkowicz p.4 Brèves : Ukraine, Israël, Autriche… p.4 FRANCE Loi travail : le clin d’œil de N. Malviale p.3 HISTOIRE / MÉMOIRE Charles Palant, militant antiraciste PNM p.5 Journée Nationale de la Résistance 2016 PNM p.5 Les mots pour le dire : « de » M.Cling p.10 LIBERTÉS La prise en charge des immigrés aux frontières européennes : le « tri » et « l’encampement » M. Bassi p.9 Racisme et droit des étrangers J.Lewkowicz p.9 CULTURE Théâtre Je suis Fassbinder S.Endewelt p.11 Livres • Avant la nuit de cristal à Berlin (la famille Kernowski) G.-G.Lemaire p.10 Tauba, juive de Bessarabie à Paris lu par J.Galili-Lafon p.11 La bouche ouverte, Un nouvel an de pierres lus par B.Courraud p.11 ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E. PNM n° 337 - Juin 2016 - 34 e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisé- mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État. C royez-vous au hasard ? Est-ce une coïnci- dence si les gouvernements français et belge cherchent, au même moment, à imposer aux salariés de leurs pays respectifs des réformes du droit du travail quasi similaires ? Si elles ressemblent comme deux gouttes d’eau au Jobs Act de Matteo Renzi en Italie ou aux dispo- sitions prises par Mariano Rajoy en Espagne ? Si ici et là, on discerne la même source d’inspira- tion : les lois Hartz du Chancelier social-démo- crate Gerhard Schröder adoptées il y a dix ans en Allemagne ? Hasard ? Coïncidence ? Pas du tout ! Il y a près d’un an, avant qu’il ne soit question de la loi El Khomri, l’ancien ministre grec des Finances, Yanis Varoufakis expliquait : « L’État- providence français, son droit du travail, ses entreprises nationales sont la véritable cible du docteur Schäuble »*. Il n’avait pas tort. La preuve. Il y a quelques jours, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker affirmait que « la réforme du droit du travail [de Hollande et Valls] est le minimum de ce qu’il faut faire ». Donc, on a bien compris, Bruxelles suit de près ce qui se passe en France autour de la Loi Travail. Sauf que Bruxelles ne suit pas de près ; Bruxelles précède, anticipe, exige… Le rapport 2016 pour la France de la Commission européenne a été publié début février (le projet de loi El Khomri a été pré- senté en Conseil des ministres le 24 mars). Qu’y lit-on ? Que « la décélération récente des salaires réels reste insuffisante », que « la France affiche toujours des coûts salariaux parmi les plus élevés de la zone euro », en rai- son « du niveau élevé des cotisations sociales patronales », ou que « les augmentations du SMIC induisent une compression des salaires vers le haut ». Que faire ? Le rapport a ses solutions : « main- tenir les réductions du coût du travail décou- lant du CICE » ; « faciliter, au niveau des entreprises, les dérogations aux dispositions juridiques générales, notamment en ce qui concerne l’organisation du temps de travail ». Pas besoin d’avoir fait de hautes études pour reconnaître là toute la philosophie de la loi Travail et les mesures qu’elle contient. Mais si Bruxelles est à la manœuvre, Hollande, Valls et consorts n’en sont pas moins responsables. Cette loi, c’est avant tout leur choix. D’ailleurs le candidat Hollande le disait bien dans son fameux discours du Bourget en janvier 2012 : « Il n’y a jamais, je dis bien jamais, une seule politique possible, quelle que soit la gravité de la situation ». Le même nous dit aujourd’hui qu’il n’y a pas d’autre choix. C’est vrai que dans ce même discours, le candidat d’hier assurait que « pré- sider la République, c’est élargir les droits du Parlement » quand le président d’aujourd’hui bâillonne l’Assemblée avec l’article 49/3. Assis sur ses propres promesses, fidèle lieute- nant de la Chancelière allemande et bon petit soldat de la Commission, le Chef de l’État assure qu’il ira jusqu’ « au bout ». Y parvien- dra-t-il, c’est une autre histoire. Depuis trois mois, grèves et manifestations s’enchaînent avec le même soutien majoritaire de l’opinion. Valls peut bien insulter la Cgt, rien n’y fait. Qui sème le vent récolte la tempête. Ah, au fait, toujours au Bourget, Hollande nous disait que son « véritable adversaire » c’était « le monde de la finance » et que celui- ci « ne présentera jamais sa candidature ». Encore une erreur. La Finance trouve toujours son candidat ou au moins son exécutant. La preuve ! < 5 juin 2016 * Ministre des finances allemand, le Monde du 22 août 2015 Défilé de brigadistes, en Espagne

H MAGE - Juillet 1936 -O – Anniversaire – Sholem Aleikhem ...data.over-blog-kiwi.com/1/10/37/54/20200501/ob_97b10c_pnm-337-… · Il souhaite aussi finaliser la mise en ligne

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Qui sème le vent…

- Juillet 1936 - La guerre d ’Espagne éc l a t e

Vainqueur des élections législatives en février 1936, le Front Populaire d’Espagne fait faceen juillet à une insurrection fomentée par la droite et les phalangistes fascistes. Le général

Franco en a pris la tête.C’est le début de laguerre civile. L’Italiefasciste et l’Allemagnenazie appuient la rébel-lion. En septembre1936, l’Internationalecommuniste crée lesBrigades internationales,parmi celle-ci la compa-gnie juive Botwin. Cetteguerre de 33 mois vafaire plus d’un millionde morts. <

(pages 6, 7, 8)

Bernard Frederick

HOMMAGE – Anniversaire – Sholem Aleikhem p.12

DOSSIER« Juillet 1936 – La guerre d’Espagne éclate »Juifs dans les brigades internationales B.Frederick p.6Souvenirs d’un botwinik E.Wuzek p.7Cinéma … pour la République ! L.Laufer p.7Olympiades populaires contre Jeux à la gloire du fascisme H. Amblard p.8

MONDEIsraël-Palestine – l’indispensable courage D.Vidal p.3La Pologne retrouve ses vieux démons N.Nuchim p.3La Grande-Bretagne hors d’Europe J. Lewkowicz p.4Brèves : Ukraine, Israël, Autriche… p.4FRANCE

Loi travail : le clin d’œil de N. Malviale p.3HISTOIRE / MÉMOIRE

Charles Palant, militant antiraciste PNM p.5Journée Nationale de la Résistance 2016 PNM p.5Les mots pour le dire : « de » M.Cling p.10

LIBERTÉSLa prise en charge des immigrés aux frontières européennes :le « tri » et « l’encampement » M. Bassi p.9Racisme et droit des étrangers J.Lewkowicz p.9

CULTUREThéâtre Je suis Fassbinder S.Endewelt p.11Livres• Avant la nuit de cristal à Berlin(la famille Kernowski) G.-G.Lemaire p.10

• Tauba, juive de Bessarabie à Parislu par J.Galili-Lafon p.11

• La bouche ouverte, Un nouvel an de pierres lus par B.Courraud p.11

ISSN: 0757-2395 MENSUEL ÉDITÉ PAR L’U.J.R.E.PNM n° 337 - Juin 2016 - 34e année Union des Juifs pour la Résistance et l’Entraide Le N° 6,00 €

La PNM aborde de manière critique les problèmes politiques et culturels, nationaux et internationaux. Elle se refuse à toute diabolisation et combat résolument toutes les manifestations d'antisé-mitisme et de racisme, ouvertes ou sournoises. La PNM se prononce pour une paix juste au Proche-Orient, basée sur le droit de l'État d'Israël à la sécurité et celui du peuple palestinien à un État.

Croyez-vous au hasard ? Est-ce une coïnci-dence si les gouvernements français etbelge cherchent, au même moment, à

imposer aux salariés de leurs pays respectifs desréformes du droit du travail quasi similaires ? Sielles ressemblent comme deux gouttes d’eau auJobs Act de Matteo Renzi en Italie ou aux dispo-sitions prises par Mariano Rajoy en Espagne ? Si ici et là, on discerne la même source d’inspira-tion : les lois Hartz du Chancelier social-démo-crate Gerhard Schröder adoptées il y a dix ans enAllemagne ?Hasard ? Coïncidence ? Pas du tout !Il y a près d’un an, avant qu’il ne soit question dela loi El Khomri, l’ancien ministre grec desFinances, Yanis Varoufakis expliquait : « L’État-providence français, son droit du travail, sesentreprises nationales sont la véritable cible dudocteur Schäuble »*. Il n’avait pas tort. Lapreuve. Il y a quelques jours, le président de laCommission européenne, Jean-Claude Junckeraffirmait que « la réforme du droit du travail [deHollande et Valls] est le minimum de ce qu’il fautfaire ». Donc, on a bien compris, Bruxelles suit de près cequi se passe en France autour de la Loi Travail.Sauf que Bruxelles ne suit pas de près ; Bruxellesprécède, anticipe, exige…

Le rapport 2016 pour la France de laCommission européenne a été publié débutfévrier (le projet de loi El Khomri a été pré-senté en Conseil des ministres le 24 mars).Qu’y lit-on ? Que « la décélération récente dessalaires réels reste insuffisante », que « laFrance affiche toujours des coûts salariauxparmi les plus élevés de la zone euro », en rai-son « du niveau élevé des cotisations socialespatronales », ou que « les augmentations duSMIC induisent une compression des salairesvers le haut ».Que faire ? Le rapport a ses solutions : « main-tenir les réductions du coût du travail décou-lant du CICE » ; « faciliter, au niveau desentreprises, les dérogations aux dispositionsjuridiques générales, notamment en ce quiconcerne l’organisation du temps de travail ».Pas besoin d’avoir fait de hautes études pourreconnaître là toute la philosophie de la loiTravail et les mesures qu’elle contient. Mais si Bruxelles est à la manœuvre,Hollande, Valls et consorts n’en sont pasmoins responsables. Cette loi, c’est avant toutleur choix. D’ailleurs le candidat Hollande ledisait bien dans son fameux discours duBourget en janvier 2012 :

« Il n’y a jamais, je dis bien jamais, une seulepolitique possible, quelle que soit la gravité dela situation ». Le même nous dit aujourd’hui qu’il n’y a pasd’autre choix. C’est vrai que dans ce mêmediscours, le candidat d’hier assurait que « pré-sider la République, c’est élargir les droits duParlement » quand le président d’aujourd’huibâillonne l’Assemblée avec l’article 49/3.Assis sur ses propres promesses, fidèle lieute-nant de la Chancelière allemande et bon petitsoldat de la Commission, le Chef de l’Étatassure qu’il ira jusqu’ « au bout ». Y parvien-dra-t-il, c’est une autre histoire. Depuis troismois, grèves et manifestations s’enchaînentavec le même soutien majoritaire de l’opinion.Valls peut bien insulter la Cgt, rien n’y fait.Qui sème le vent récolte la tempête.Ah, au fait, toujours au Bourget, Hollandenous disait que son « véritable adversaire »c’était « le monde de la finance » et que celui-ci « ne présentera jamais sa candidature ».Encore une erreur. La Finance trouve toujoursson candidat ou au moins son exécutant.La preuve ! < 5 juin 2016

* Ministre des finances allemand, le Monde du 22 août 2015

Défilé de brigadistes, en Espagne

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Une belle étape… mais seulement une étape !

Nous vous le disions en mars, le Pourim Shpil, trésor de l’huma-nité et de la culture juive, est désormais inscrit à l’inventaire du

Patrimoine en France, et c’est une belle étape qu’a déjà franchie lecollectif Pourim Shpil dont l’UJRE est membre. Mais l’objectifdemeure : l’inscription de ce Pourim Shpil – Jeu de Pourim inspirédu livre d’Esther – au Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCo.Car dans la mesure où le Pourim Shpil est un des éléments porteurs de la langue etde la culture yiddish, il devrait avoir toute sa place dans ce classement qui vise àpréserver les légendes, les contes, les danses, les musiques, les théâtres tradition-nels... transmis de génération en génération. Pour accélérer le dépôt d’une candidature commune à l’UNESCO en 2018, le collectifs’attache donc désormais à convaincre et aider d’autres pays à entreprendre la mêmedémarche. Il souhaite aussi finaliser la mise en ligne du Musée Virtuel du Pourim Shpil.Cela consiste à collecter, inventorier, classer, traduire, diffuser les documents relatifs auPourim Shpil, en conserver les traces pour témoigner de son caractère vivant. Cettedémarche a besoin de votre aide et vous pouvez la soutenir par un don (via Internet :http://www.pourimshpilunesco.eu/?page_id=227 ou par chèque établi à l’ordre de PourimShpilUnescoà envoyer au Projet « Pourim Shpil Unesco » c/o Centre Medem, 52, rue René Boulanger, 75010 Paris<

Paul Strulovici vient de nous quitter plusque centenaire. Militant communiste dès

l’avant-guerre, résistant de la premièreheure, il réorganise le PCF dissout dans le18e arrondissement. Fin 1941, traqué par lapolice de Vichy, il s’enfuit avec Céline, safemme, à Lyon avant de s’engager en 1942dans la lutte armée contre l’occupant au seinde l’Union de la Jeunesse Juive qui fut l’unedes composantes de l’Union des Juifs pourla Résistance et l’Entraide. Cette dernière,créée en 1943 pour unifier l’action politiqueet militaire de plusieurs groupes de résis-tance juive, notamment Solidarité et l’Unionde la Jeunesse Juive, regroupe alors les orga-nisations issues de la section juive de laMain d’œuvre immigrée, la MOI, du PartiCommuniste Français. C’est à compter dumois de septembre 1943 que jusqu’à laLibération, Paul Strulovici fera partie, avecses deux frères Henri et Jacob, des groupesde Résistance de la Jeunesse Juive à Lyon.Paul participe avec ses camarades desGroupes de Combat à de nombreuses activi-tés de propagande, avec les distributions detracts, collages de papillons et inscriptionssur les murs, mais aussi de lutte directecontre l’occupant par des actions de sabo-tage et de récupération d’armes et de maté-riel.Entre autres, il participe notamment au repé-rage et à la destruction de cinquante moteursd’avions, destinés à l’Allemagne, à l’usineBronzavia de Lyon ; à l’enlèvement et à la

destruction des dossiers de l’UGIF quicontenaient les dossiers des juifs de Lyon etde sa région ; au sabotage en 1944 de l’usineMillion à Villeurbanne ; au sauvetage decinq enfants juifs en instance de déportation ;à l’action contre un garage où 30 camionsallemands furent détruits ; à l’insurrection en1944 de Villeurbanne ...Paul Strulovici terminera la guerre commesous-officier des FTPF. Cité deux fois à l’or-dre de la Nation, il était diplômé d’honneurdes combattants de l’armée française 1939-1945 et titulaire de la croix du combattant etde la médaille du combattant volontaire de laRésistance. Il a été, par ailleurs, le fondateuret l’organisateur du Bol d’air des gamins deParis, association pour le soutien des enfantsde fusillés de la résistance. Des hommes comme Paul Strulovici, parleur action de Résistance, ont montréconcrètement que les juifs, face à la barbarienazie, n’étaient pas prêts à mourir commedes moutons qu’on mène à l’abattoir maisqu’au contraire, munis de convictions poli-tiques profondément enracinées en eux, ilspouvaient, bravant tous les risques, se dres-ser contre l’occupant nazi. Ils sont des exem-ples que les générations d’après guerre doi-vent méditer. < Jacques Lewkowicz

Bagneux, 20 mai 2016

Dans la PNM 336, Danielle Bleitrachcite B.Brecht « “le ventre est encore

fécond ", le capitalisme demeure, la cham-bre à gaz est toujours potentiellement l'oeu-vre d'art d'IG Farben ... ». Il n’est pas inutile de rappeler que Bayer estle successeur de IG Farben, l’inventeur duZyklon B et que la firme achetait des « lotsde femmes à Auschwitz ». Ce qui lui donneune « expérience inégalée » en matière depesticide.Après guerre, I.G. Farben a été partagéeentre BASF, Bayer et Hoeschst (renomméAventis) et les trois sociétés, qui coopèrenttoujours étroitement, ont une grandeinfluence aussi bien sur la politique alle-mande qu’européenne ; Bayer est aussi l’hé-ritier d’un capital lui assurant une prépondé-rance mondiale (ainsi que BASF). Ce qui sedémontre, en ce moment même, par l’oppo-sition de ses représentants au sein de l’UE,dans le domaine de l’agriculture industrielle,aux défenseurs de l’environnement dans leurbataille contre les pesticides ! Dont la miseen circulation dans la chaîne alimentairepourrait avoir des effets sur le développe-ment du cerveau chez l’enfant...Résultat, des générations entières risquentd’être, à nouveau, victimes d’empoisonne-ment et cela, sans déclaration de guerre, uni-quement par la voracité de leurs actionnai-res !! Il serait bien venu que cela soit retenupar les nouvelles générations ! <

Albert Apelbaum

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5Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

L A PR E S SE N O U V E LL E

Magazine Progressiste Juiffondé en 1934

Editions :1934-1993 : quotidienne en yiddish, Naïe Presse

(clandestine de 1940 à 1944)1965-1982: hebdomadaire en français, PNHdepuis 1982 : mensuelle en français, PNM

éditées par l'U.J.R.EN° de commission paritaire 061 4 G 89897

Directeur de la publicationJacques LEWKOWICZ

Rédacteur en chefBernard Frederick

Conseil de rédactionClaudie Bassi-Lederman, Jacques Dimet,Jeannette Galili-Lafon, Patrick Kamenka,

Nicole Mokobodzki, Roland WlosAdministration - Abonnements

Secrétaire de rédactionTauba-Raymonde Alman

Rédaction – Administration14, rue de Paradis

75010 PARISTel : 01 47 70 62 1 6Fax : 01 45 23 00 96

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Bayer... for a better life ?

Hommage à Paul StruloviciCarnet

Courrier des lecteurs

Vie des associations

Paul et Céline Strulovici © Amel Buziarsist

Commémoration du soulèvementdu ghetto de Varsovie

Samedi 21 mai, 14 rue de Paradis, Paris. L’UJRE a choisi de projeter UnFilm Inachevé1 de Yaël Hersonski (2010), lors de son après-midi d’hommage

à l’insurrection héroïque des combattants du ghetto de Varsovie. JacquesLewkowicz donne un sens à la commémoration de ce soulèvement :« Maintenir la mémoire de l’enfermement de milliers de juifs, celle de la déporta-tion vers le camp de la mort de Treblinka ; mais aussi celle de la lutte d’avril àmai 1943, engagée le premier jour de la Pâque juive par l’Organisation juive decombat qui a dirigé l’insurrection. Cette action militaire fondée sur un engage-ment politique de combattants, bundistes, communistes, ou sionistes, marque l’im-portance de la lutte et de l’unité dans des moments si difficiles. C'est l'acte réflé-chi d'un petit groupe d’hommes mal armés et sans entraînement militaire, qui arésisté opiniâtrement à l’une des armées les mieux entraînées du monde. Ce quenous transmettent aussi ces combattants du ghetto, c’est que, dans les pires condi-tions, lutter, c’est retrouver la dignité »2. Dans le monde actuel où « le renforce-ment du racisme et de la xénophobie ont transformé la planète en un gigantesqueghetto », il s’agit donc « d’honorer la mémoire des insurgés de Varsovie et de leurrester fidèles ». La projection du documentaire révéla le ghetto, tel que filmé en 1942 par les nazispour leur propagande, film inachevé quasi insoutenable, aux intentions inavouables :démontrer par des mises en scène que les juifs étaient des sous-hommes qui n’avaientpas le droit de vivre. Mais ces précieuses images, anonymes3, prouvent aujourd’huil’inanité de tout négationnisme, à l’encontre du désir de leurs commanditaires d’effa-cer toute trace de leur forfait. Des témoignages4 de survivants d’Auschwitz, chargésde « nettoyer les ruines du ghetto de Varsovie » viennent les conforter. Un choc sui-vit cette projection. Chacun pouvait se demander s’il n’allait pas reconnaître desmembres de sa famille. Autres questions : pouvait-on montrer ce film à des lycéens,sans un énorme travail historique et pédagogique en amont ? Pouvait-on ajouter foiaux cinéastes allemands, retrouvés et interviewés dans le film, qui avaient accepté defilmer sans sourciller, et déclaraient dans l’enquête du film avoir tout ignoré alors dusort promis aux juifs du ghetto ? Reste que ces instruments de la propagande nazie,n’ont jamais été inquiétés après-guerre. < PNM1. Voir extrait (https://youtu.be/DQ98DtBKVi8)2. Voir réactions au film et discours intégral sur le site de l’UJRE3. Retrouvées dans les années 50, ces bobines semblaient témoigner assez fidèlement des condi-tions de vie du ghetto, et ont servi de documentation aux historiens, jusqu’à la récente décou-verte d'une bobine inédite qui révéla la mise en scène des victimes dans l'enfer de leur quotidien.4. Lire de Marceau Vilner [engagé volontaire en 1939, déporté à Auschwitz en 1941, témoin de l'é-pilogue de l'Insurrection du ghetto de Varsovie], Le combat de l'espérance humaine in PNM n° 275(avril 2010).

Pour que la PNM vive et se développe !

Vous êtes nombreux à nous féliciter de la qualité de notre magazine juif, laïqueet progressiste, journal militant qui aborde tous les aspects de l'actualité poli-

tique, économique, sociale et culturelle, parce que l'on y trouve “quantité de cho-ses qu'on ne trouve pas ailleurs”. Vous souhaitez comme nous que cela conti-nue ? que cela se développe ? Alors, pourquoi ne pas nous aider en participant ànotre souscription permanente*, car notre journal ne reçoit aucune subvention niapport publicitaire... Ainsi, vous nous permettrez d’étoffer toujours plus notrepresse. Un grand merci d’avance !!! < Jacques Lewkowicz, président de l’ UJRE* Chèques à l’ordre de UJRE à adresser à UJRE 14 rue de Paradis 75010 PARIS

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F r a n c e

déclarera-t-il à la veille du scrutin.En 2009, il avait fait mine d’accepterune solution bi-étatique du conflit 2.

Cette volte-face et, depuis, la radica-lisation à droite du gouvernementisraélien placent la communautéinternationale devant ses responsabi-lités. L’admission de l’État dePalestine à l’ONU (comme membreobservateur) et à la Cour pénaleinternationale (CPI) ont constituédes progrès significatifs, mais quin’engageaient pas le Conseil desécurité. Il faut désormais que sescinq membres permanents se saisis-sent de l’initiative française.

Et que Paris tienne bon. CommentFrançois Hollande, Manuel Valls etJean-Marc Ayrault réagiront-ils àl’humiliation que leur a infligéeNetanyahou ? Par un « chant d’amourpour Israël et pour ses diri-geants 3 » ? Ou par un subit accès decourage politique, sans lequel il nesaurait y avoir de pas en avant vers lapaix au Proche-Orient ? <1. www.haaretz.com/1.6472122. www.liberation.fr/planete/2009/06/14/neta-nyahu-pose-ses-conditions-a-la-creation-d-un-etat-palestinien_5647003. www.bfmtv.com/politique/francois-hol-lande-chant-damour-israel-654824.html* Journaliste et essayiste, co-directeur, avecBertrand Badie, de la collection « L’État dumonde » (La Découverte)

M o n d e

3

d’étonnant : voici près de cinquanteans qu’Israël rejette l’idée même deconférence internationale, à laquelleil oppose celle de négociation bilaté-rale.

Pour une raison simple : toute confé-rence internationale ne peut se tenirque dans le cadre de l’ONU, et doncsur la base des résolutions de cettedernière. Or celles-ci prônent leretrait d’Israël des territoires occupésen 1967 et la constitution d’un Étatpalestinien dans les frontières de1949, avec Jérusalem-Est pour capi-tale, le démantèlement des coloniesjuives et le droit au retour des réfu-giés. Autant de décisions inaccepta-bles pour Tel-Aviv. Washington, elle,ne veut pas laisser d’autres paysconcurrencer le parrainage américainsur les négociations…

Depuis la guerre des Six-Jours, seu-les trois conférences internationalesse sont tenues : en 1973 à Genève, en1991 à Madrid et en 2007 àAnnapolis. Les négociations bilaté-rales, en revanche, n’ont pas cessé :d’abord avec l’Égypte, puis avec lesPalestiniens – et, brièvement, avecles Jordaniens. Ces tractations ontdébouché sur une paix dite « froide »avec des pays voisins, mais pas avecles Palestiniens. Certes, au terme destractations secrètes d’Oslo, Israël et

l’Organisation de libération de laPalestine (OLP) avaient conclu unaccord intérimaire. Mais celui-ci n’apas survécu à l’assassinat de sonsignataire israélien, Itzhak Rabin.Durant l’été 2000, l’échec du som-met de Camp David, dernière négo-ciation sous égide américaine, a pro-voqué l’éclatement de la SecondeIntifada…

Vingt-trois ans après Oslo, le bilanest donc négatif.« Libérée », la bandede Gaza subit à la fois l’embargoisraélo-égyptien et la férule duHamas ; elle a été la victime de troisagressions israéliennes aussi meur-trières que destructrices. Quant àl’Autorité palestinienne, elle necontrôle que 20 % de la Cisjordanie,au sein de laquelle le nombre decolons a triplé : plus de 450 000, et200 000 à Jérusalem-Est. Bref, le« processus de paix » est devenu un« processus de colonisation ».

Pour sortir de cette impasse, le secré-taire d’État américain John Kerry arelancé, fin juillet 2013, un derniercycle de négociations bilatérales. En vain : Netanyahou les a littérale-ment sabotées. Les élections législa-tives du 17 mars 2015 éclaireront, sinécessaire, la conduite du Premierministre israélien : « Si je suis élu, iln’y aura pas d’État palestinien 1 »,

La perspective de deux États,israélien et palestinien, est« en grave danger » et la

situation est proche « d’un point denon retour », a déclaré le chef de ladiplomatie française, Jean-MarcAyrault, à l’issue de la conférence du3 juin. Il s’agissait de la premièreétape de l’initiative française sur leProche-Orient. Les représentantsd’une trentaine de pays, del’Organisation des Nations unies(ONU) et du Quartett se sont retrou-vés à Paris pour encadrer la reprisedes négociations entre Israéliens etPalestiniens, lesquels, absents cettefois, devraient prendre place dans laseconde étape.

À condition que Tel-Aviv accepted’y participer, ce qui reste plus quedouteux. Paris a envoyé en vain,pour plaider sa cause, le plus pro-israélien de ses hommes politiques.Autrefois engagé dans le soutien à lacause palestinienne, Manuel Valls amultiplié depuis les déclarations d’a-mitié pour Israël – traduites par lacriminalisation de la campagneBoycott, Désinvestissement, Sanctions...

Comme quoi caresser Netanyahoudans le sens du poil ne constitue pasune recette infaillible pour l’ama-douer. D’autant que la position duPremier ministre israélien n’a rien

semaine des manifestations massivesdans toutes les grandes villes dupays. La plus imposante a regroupéle 7 mai à Varsovie plus de 240 000personnes.La Pologne retrouve ses vieuxdémons de l’époque Piłsudski. <

l’honneur des soldats soviétiques.Une résistance s’organise : La muni-cipalité de Rzeszów a refusé ladémolition du monument soviétique,dans cette ville libérée par l’Arméerouge en 1945.Depuis les dernières élections légis-latives d’octobre 2015, la Polognetraverse une véritable crise politique.Avec l’élection à la présidence ducandidat du parti Droit et Justice(PiS), Andrzej Duda, et la victoire dece même parti aux législatives,Jaroslaw Kaczynski, son chef a lesmains libres : loi sur les médias,intervention dans la justice, rejet desréfugiés, le PiS contrôle tout et res-treint les libertés en piétinant laConstitution. Au point que dans une lettre ouverte,publiée le 25 avril en première pagede la Gazeta Wyborcza, les anciensprésidents Lech Walesa (1990-1995),Aleksander Kwasniewski (1995-2005), Bronislaw Komorowski

(2010-2015) appellent « tous lesPolonais » à « s’orienter dans leurtravail quotidien » selon « l’ordrejuridique conforme à laConstitution ». Un Comité de défense de la démo-cratie (Komitet Obrony Demokracji,KOD) organise presque chaque

Le dirigeant du parti anti-OTAN Zmiana, MateuszPiskorski, a été arrêté fin mai

par la police politique et accusé« d’espionnage au profit de la Russieet de la Chine ». Le sommet del’OTAN se déroulera début juillet àVarsovie. Quelques semaines aupa-ravant, 4 militants du Parti commu-niste Polonais (KPP) avaient étécondamnés par le tribunal régionalde Dąbrowa Górnicza à 9 mois derestriction de liberté, assortis de tra-vaux d’intérêt général obligatoire etd’amendes pour « propagande de l’idéologie communiste ». Au même moment, le Parlement aadopté une loi « pour interdire lapromotion du communisme ». Celle-ci oblige les autorités locales à modi-fier le nom des rues et de tout ce quel’on peut associer au communisme.L’Institut de la Mémoire nationale(sic) exige des autorités localesqu’elles liquident les monuments en

Israël-Palestine : L’indispensable couragepar Dominique Vidal *

La Pologne retrouve ses vieux démons par Nathan Nuchim

Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

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Mai 2015 : le Premier Ministre DavidCameron remporte une victoire électoraled’une ampleur inattendue. Dans son pro-

gramme électoral est inscrite la mise en œuvred’un référendum sur le maintien de la Grande-Bretagne (GB) dans l’Union européenne (UE). Cen’est pas une nouveauté. Dès la signature, en 1957,du Traité de Rome à l’origine de l’UE, la GB estrestée à l’écart. Du fait du veto français, lademande d’adhésion, qui fut ensuite formulée, n’aété acceptée qu’en 1973. En 1979, MargaretThatcher obtient, déjà, des conditions particulièresquant à la contribution financière de la GB à l’UE.Mais la GB a toujours maintenu ses réticences à lasupranationalité européenne : tout en construisantle marché unique européen, elle a refusé d’intégrerl’espace Schengen, la presse se faisant régulière-ment l’écho de l’euroscepticisme.David Cameron, lui-même partisan d’un maintiende la GB dans l’UE, n’a pourtant proposé un réfé-rendum sur ce maintien que pour contrer son oppo-sant, l’UKIP, très eurosceptique.En 2016, avec 256 personnes au km², la GB est lepays le plus densément peuplé d’Europe et la popu-lation est en croissance, surtout à cause de l’immi-gration, européenne ou non. Son économie croit àplus de 2% par an, mais la moitié des exportationsbritanniques est à destination de l’UE, ceci expli-quant une bonne partie de cela. Dans ces condi-tions, le chômage y est faible, le salaire minimumest l’un des plus élevés des pays de l’UE et aug-mente encore à partir d’avril 2016, les impôts y sontrelativement faibles, les allocations sociales éle-vées. On notera, toutefois une précarité en hausse etun pouvoir d’achat en berne.

On y parle une langue que presque tout le monde aapprise à l’école. C’est pourquoi, la migration nettevers le Royaume-Uni reste très élevée et surtoutintra-européenne (notamment provenant des paysde l’Est européen).1

Pour réduire le flux d’entrée des migrants,Cameron a demandé que l’UE décide de diminuerles prestations sociales qui leur sont attribuées aucours des quatre premières années qui suivent leurentrée en GB, en faisant de l’obtention de cettedemande une condition pour se prononcer enfaveur du maintien de la GB dans l’UE lors dureferendum. A une modulation près, la demande britannique aété accordée par le Conseil européen. Or, les statistiques démontrent que les immigrésapportent une contribution positive à la croissanceéconomique britannique. De plus, grâce à lamenace de sortie de l’UE, Cameron a fait pressionsur les dirigeants européens afin d’obtenir le main-tien à l’écart de la City, haut lieu de la finance lon-donienne, des projets de régulation du secteurfinancier et d’union bancaire, alors que la moitiédes investissements étrangers dans le pays provientde l’UE. Sur ce point également, il a obtenu, pourl’essentiel, satisfaction auprès des dirigeants euro-péens. Les experts 2 considèrent que les conséquencesd’un brexit 3 sur l’UE, dans la mesure ou leRoyaume-Uni continuerait, vraisemblablement, defaire partie de la zone de libre-échange européenne(comme la Norvège), seraient très faibles, le bud-get européen n’étant que de 1 % du PIB 4.

Les conséquences seraient surtout politiques avecun effet d’entraînement sur d’autres pays de l’UEet un coup d’arrêt à la supranationalité.

Jeremy Corbyn, le nouveau leader du Parti tra-vailliste, a proposé un projet bien différent : uneréforme démocratique des institutions européennesafin de les rendre comptables des décisions devantles peuples de l’Union, un changement des poli-tiques économiques pour placer la création d’em-ploi et la croissance durable au cœur du projeteuropéen, une réforme du marché du travail pourrenforcer les droits sociaux dans une « véritableEurope sociale », des possibilités pour les autori-tés locales ou nationales de faire le choix de soute-nir les entreprises publiques et cesser la pressionpermanente aux privatisations.

C’est dans ce contexte que, fils d’immigrés pakis-tanais, le député Sadiq Khan, membre de l’opposi-tion travailliste, a été élu maire de Londres, auterme d’une campagne âpre où il s’est vu accusépar ses adversaires, et même le Premier ministre,de liens avec des extrémistes islamistes.

La promesse d’un futur changement politique auRoyaume-Uni ? <

1. Source : Eurostat

2. Notamment l’Office français des Conjonctures Éco-nomiques

3. Brexit désigne la sortie du Royaume Uni de l'Euro

4. PIB : Produit Intérieur Brut

4 Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

Ukraine : Nuland change de « gars »

Quelques semaines avant le coup d’État en Ukraine, la secrétaire d’État américaine pour l’Europe et l’Eurasie, Victoria Nuland, s’en-

tretenait avec l’ambassadeur US à Kiev, Geoffrey Pyatt. Enregistrée à soninsu, la conversation fut divulguée sur Youtube. « Je pense que Yats, c’estle gars », disait-elle. « Yats » c’était Iasteniouk, le Premier ministre nomméaprès le putsch qui vient d’être renvoyé dans ses foyers. Nuland a perduson « gars », elle en retrouve un autre. Le nouveau président du Rada (Parlement) lui plaît. Elle est venue lesaluer peu après sonélection. Ce types’appelle AndreïParoubii. En 1991,

il a fondé le Parti social-nationaliste d’Ukraine quideviendra plus tard Svoboda. Emblème du parti : le Wolfsangel, l’un des symboles initiaux du partinazi. Dans son livre Poglïad sprava « Une vuedepuis la Droite », publié à Lviv en 1999 il écrivaitceci : « Seule l’Ukraine est capable aujourd’hui deproposer au monde entier un véritable nationa-lisme, qui pourra sortir les gens de la déchéancemorale et devenir l’idéologie principale du futur.J’en suis convaincu : cette conception du mondesera basée sur le social-nationalisme en tant quemaillon final du développement du nationalismeukrainien traditionnel ». L’élection de Paroubii n’a suscité aucune réactiondes chancelleries européennes, pas plus à Parisqu’ailleurs. C’est le « gars’ de Nuland ». Les amisde nos amis sont nos amis, pas vrai ? <

Israël : le retour de Liberman

Deux ministres israéliens ont démissionné dugouvernement fin mai. Le général Moshé

Yaalon, ministre de la Défense et Avi Gabbay,ministre de l’Environnement issu du seul parti cen-triste au sein de la coalition gouvernementale,Koolanu. Tous deux protestaient contre le retour au pouvoird’Avigdor Liberman nommé par Netanyahou à laDéfense. « Le pays a le droit d’avoir un gouvernement dedroite mais je ne crois pas qu’il soit juste de formerun gouvernement extrémiste », a expliqué AviGabbay. Moshé Yaalon, de son côté, a estimé qu’Israël avaitperdu sa « boussole morale ». Liberman, fondateur du parti d’extrême droiteIsrael Beytenou (« Israël notre maison ») est connupour sa xénophobie. En 2015 il déclarait que lesArabes israéliens déloyaux envers Israël « méritentde se faire décapiter à la hache ». Pour CharlesEnderlin, longtemps correspondant de France 2 enIsraël, la nomination de Liberman « c’est aussi unmessage à l’administration Obama ainsi qu’à ladiplomatie française : “Laissez moi tranquilleavec vos initiatives de paix !” » <

Autriche : un « ouf » hypocrite

Alexander van der Bellen, issu de la mouvance desVerts, a été élu président avec 50,3 % des suf-

frage contre 49,7 % à Norbert Hofer, candidat duFPÖ, le parti d’extrême droite. Au premier tour, lescore de Van der Bellen n’atteignait que 21,34 %, etcelui du FPÖ 35,05 %. Les partis de la coalition aupouvoir, sociaux-démocrates du SPÖ et conservateursdu ÖVP, n’ont obtenu respectivement que 11,3 % et11,2 % des voix. Tandis que la gente politique euro-péenne pousse un « ouf » de soulagement plutôt hypo-crite, le FPÖ a toutes les raisons de se réjouir. Pour lapremière fois, son candidat s’est qualifié au secondtour et est en tête dans cinq Länder. Avec ses 35 % dupremier tour et la démonstration faite qu’elle peutdépasser ce plafond, l’extrême droite autrichiennevise maintenant les législatives de 2018. <

Monde

La Grande-Bretagne hors d’Europe ?par Jacques Lewkowicz

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Le soleil était au rendez-vous de cette troisièmeJournée Nationale de la

Résistance. Une chance pour tous, pour les centainesd’enfants par exemple, qui ranimèrent la flamme àl’Arc de triomphe. L’affluence était nombreuse. Le thème du concours national de la Résistance et dela déportation, cette année, c’était « résister par l’artet la culture ». Aussi la France entière put-elle écouterdeux heures durant le bouleversant concert* offert parl’Orchestre national de Radio France dirigé par BrunoMantovani.

Le programme était inspiré. Il est des commémorationsternes. Celle-ci retrouva la jeunesse de cœur et d’espritde ceux qui signèrent le programme du Conseil natio-nal de la Résistance, un certain 27 mai... Les auditeursont pu entendre des œuvres de musiciens, soit résis-tants, soit « dégénérés », c’est-à-dire juifs, tel DariusMilhaud, et des poèmes de résistants mis en musiquepar d’autres résistants. Surprise pour ceux qui connais-sent la grande résistante que fut et que reste EvaGolgevit, pour ceux qui apprécient l’excellent musi-cien qu’est son fils Jean : c’est Hélène Golgevit quidirigeait ses stagiaires de chanteurs. Ainsi, le relais setransmet-il de mère en fils et de père en fille.

Un peu partout dans Paris l’on put entendredes poèmes de Rainer, alias MadeleineRiffaud**, cette résistante de tous les com-bats. Madeleine Riffaud, dont on retrouvaitle portrait sur la fresque murale évoquantl’attaque d’un train allemand, attaquemenée par le détachement FTP-FFI qu’ellecommandait (voir ci-contre). Inaugurée la veille sur les grilles desButtes-Chaumont, la remarquable exposi-tion de panneaux sur les artistes internés,déportés, résistants sera visible jusqu’au25 août.Place Armand Carrel, face à la Mairie du19°, le Village des associations regroupaitles principales associations issues de laRésistance. Au stand de l’UJRE, où l’onpouvait reconnaître Paulette Sarcey, beaucoup d’af-fluence, comme toujours. Et des questions aussi.Quelle est la spécificité de la résistance juive commu-niste ? Et toujours, la même réponse : outre les idéauxpartagés avec les autres résistants français et étrangers(antifascistes allemands, arméniens, bulgares, espa-gnols, italiens, yougoslaves...), les juifs devaient aussisoustraire les leurs, et notamment les enfants au pro-gramme hitlérien d’extermination. La soirée se ter-mina sur un bal populaire, comme il se doit, et commeil y en eut tant à la Libération.Ces journées – celle-ci n’était que la troisième édition –croissent en intelligence, en vitalité. Alors, rendez-vousl’an prochain ! Cette fois, ce sera un samedi : gageonsqu'il y aura encore plus de participants et de visi-teurs. < NM/TRAS* On peut le réécouter jusqu’au 27 juin sur Internet :http://www.francemusique.fr/emission/le-concert-de-l-apres-midi/2015-2016/concert-en-hommage-aux-compositeurs-de-la-resistance-05-27-2016-14-00

«Charles Palant est un fils d’immigrés juifs polonais del’entre-deux-guerres fuyant les persécutions antisémiteset la misère. A l’âge de 12 ans, il participe à la grève

générale antifasciste du 12 février 1934 dont est issu le Frontpopulaire de 1936. En 1939, il manifeste ses convictions anti-racistes en militant à la Ligue internationale contre l’antisémi-tisme dont il préside le comité des jeunes, préfigurant ainsi lerôle qu’il jouera après guerre au Mouvement contre le racismel’antisémitisme et pour la paix, le MRAP. C’est l’occasion,ici, de rappeler que le MRAP est issu d’une organisation crééeen 1942 sous le nom de MNCR (mouvement national contrele racisme). En effet, dès l’arrivée de Pétain au pouvoir en 1940 des mesures depersécution systématiques à l’encontre des juifs sont prises accompagnées d’unepropagande antisémite. C’est alors que se développe un mouvement de résistancejuive, issu principalement de la section juive de la Main-d’œuvre immigrée (MOI)qui crée le mouvement Solidarité en 1940. Puis l’effroyable réalité apparaît : lesprétendus camps de travail sont des camps d’extermination. Afin de dénoncer lescrimes nazis, d’aider la population juive à se protéger et d’élargir le mouvement derésistance, se constituent le MNCR puis l’UJRE (Union des Juifs pour laRésistance et l’Entraide).Le MNCR est actif en zone occupée, à Paris, et en zone provisoirement non occu-pée dans de grandes villes de province : Lyon, Marseille, Toulouse, Grenoble, Nice.C’est un mouvement dont la vocation est de réunir des résistants juifs et non juifspour des actions à caractère humanitaire : cacher des enfants qui risquent la dépor-tation, organiser des évasions et le passage des frontières, fabriquer de fauxpapiers...

Le MNCR cherche à élargir à l’ensemble de la population le rejet de labarbarie raciste, il publie des tracts, des brochures et des journaux notam-ment deux titres : “J’accuse” en zone Nord et “Fraternité” en zone Sud.Le MNCR tendait vers deux buts essentiels : dénoncer les crimes et aiderles persécutés à échapper aux bourreaux.À la Libération, une des premières activités du MNCR, en lien avecl’UJRE, est de soutenir les déportés et leurs familles. Une aide matérielleest apportée aux orphelins, et une action afin de rendre à leur famille lesenfants juifs placés dans des familles d’accueil est entreprise. Une aidejuridique est apportée aux juifs déportés dont les logements sont occupés.La volonté du MNCR est de constituer un large mouvement antiraciste.

Les animateurs du MNCR décident, en 1946, de constituer l’Alliance Antiracisteen tentant de rassembler des militants de divers horizons politiques et associatifs,dont des membres de la LICA, dissoute au début de l’Occupation mais en voie dereconstitution après-guerre. Mais très vite des divergences apparaissent rendantimpossible ce projet. C’est ainsi qu’est créé en 1949 le MRAP avec, comme organede presse, “Droit et Liberté”, titre qui lui a été cédé par l’UJRE dont c’était, pen-dant la guerre, l’une des parutions clandestines.C’est de ce MRAP que Charles Palant fut le secrétaire général pendant vingt-et-unans, puis son président et, enfin, l’un des présidents d’honneur.Charles Palant a été pour tous les militants antiracistes un exemple de lucidité, deténacité et de rigueur.Nous garderons le souvenir de cet exemple. C’est un exemple qui doit être méditépar les générations d’après-guerre, dans le nécessaire combat contre le racisme,l’antisémitisme et toutes les formes de xénophobie, que nous ne manquerons pas,tôt ou tard, de gagner. »<

Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016 5Résistance

Charles Palant militant anitracisteParis, Mairie du 3°, vendredi 20 mai. Une cérémonie d’hommage à Charles Palant se déroule, sobre, chaleureuse, de nombreux témoignages émouvants affluent. Sylvain Goldstein,qui préside cette cérémonie, retient « le départ d’un grand homme, témoin important des génocides de la Seconde Guerre mondiale, apprécié pour sa rigueur morale et son sens dela pédagogie, d’un citoyen dans toutes les acceptions du terme, d’un être pleinement humain ». Nous présentons ici l’intervention de Jacques Lewkowicz, au nom de l’UJRE :

la Journée Nationale de la Résistance 2016 : Un succès !

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© R. Fauguet

à la première heure, Jacques Lewkowicz, Raymonde Baron, MichelSztulzaft attendent les visiteurs au stand de l’UJRE et de MRJ-MoI

Petite ceinture : Fesque murale évoquant l’attaque du train alle-mand en août 1944.

** http://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/paroles-donnees-madeleine-riffaud-la-memoire-sauve-110-l-0

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Les Brigades Internationalesfurent créées par le Komintern(Internationale communiste, IC)

dans le courant du mois de septembre1936, à peine trois mois après le débutde la rébellion du général Franco. Dès le13 octobre 1936, les premiers contin-gents arrivèrent à la base d’Albacete.Deux semaines plus tard, ils furentenvoyés au front pour défendre Madrid.Sur les 32 000 brigadistes, on estime à6 000 les volontaires juifs de tous pays :Pologne 2 250 ; États-Unis 1 250 ;France 1 043 ; Palestine 500 ;Allemagne 400 ; Grande-Bretagne 400 ;Belgique 200 ; Autriche et Hongrie150 ; Canada 71 ; URSS 53. Les juifs qui ne constituaient que 0,5 %de la population française formaient15 % des effectifs français des BrigadesInternationales. Chez les Américains,les proportions sont respectivement de 4% et 38 % ; chez les Polonais, de 10 %et 45 %.De nombreux réfugiés d’Allemagneétaient installés à Barcelone où ils fon-dèrent la Jüdischer Kulturbund, uneassociation culturelle proche du PartitSocialista Unificat de Catalunya(PSUC), membre de l’IC. Certains seconstituèrent en groupes, comme leGrupo Thälmann — du nom du secré-taire général du KPD, Ernst Thälmann,emprisonné par les nazis. Ce groupecomptait quatorze combattants dontdouze juifs. Ils furent renforcés en juilletpar des jeunes sportifs venus participeraux Olympiades de Barcelone (voir p.7),parmi lesquels des membres duYiddisher Arbeter Sport club (YASC) deParis.Des juifs occupaient des postes impor-tants dans les Brigades. Parmi eux, lesgénéraux Manfred Stern(Autriche/URSS), Mata Zalke(Hongrie), Waclaw Komar (Pologne),Grigori Stern, Jacob Smuchkewitch etSimon Krivochein (URSS) ; les colonelsHenry Torunczyk (Pologne), SolomonRegenstreif (USA), Selig Joffe (URSS) ;les majors Boris Guimpel (France) etAlexander Szurek (Pologne).De nombreuses infirmières juives etvingt-sept médecins servaient dans leshôpitaux de campagne et à l’arrière.En 1937, le Comité d’aide judéo-espa-gnol – Yiddish-Spanish Hilf-Kommitet(YSHK) – fut fondé à Paris. Il comptaitdes comités dans les arrondissements àforte concentration de yiddishophones :le 3e, 4e, 10e, 11e, 13e, l8e, 19e et 20e. Le YSHK avait son propre organe enyiddish Zuhilf (Pour l’entraide). Lesfemmes juives y étaient particulièrementactives. Après la constitution de la com-pagnie Botwin en 1937, une campagned’aide à l’équipement des volontaires futorganisée. En avril 1938, une foulenombreuse applaudit au départ ducamion qui partait ravitailler les

Botwiniks et sur lequel flottait un calicotoù l’on pouvait lire : « De la populationparisienne aux soldats de Botwin. Lecomité d’union des communistes juifs,du Poale Zion (de gauche), de l’asso-ciation Medem (Bund) ».Le journal yiddish Naïe Presse, jouaun rôle essentiel dans l’organisation etl’acheminement de l’aide pourl’Espagne, dans la solidarité avec lescombattants et la popularisation desactions héroïques des brigadistes, enpremier lieu celles de la compagnieBotwin. Le quotidien publiait entreautres des lettres de Botwiniks, desarticles de ses quatre envoyés spé-ciaux ou d’autres journalistes surplace comme Gina Medem, cor-respondante du journal yiddishaméricain Morgen Freiheit, ou encoredes journalistes et écrivains soviétiquesIlya Ehrenbourg et Mikhaïl Koltsov. Denombreux collaborateurs de la Naïepresse s’étaient eux-mêmes engagésdans les Brigades et l’informaient.Gina Medem publia en 1937 pour lepremier anniversaire des Brigades, unlivre, « Des Volontaires juifs pour laliberté ». Le commissaire général desBrigades, le communiste italien LuigiLongo, en fit la préface : « Nous devonsrecueillir, écrivait-il, le généreux exem-ple de l’esprit de sacrifice et de l’hé-roïsme des combattants juifs et les offrirà l’admiration du monde… ».Le livre avait été écrit avant la créationde la compagnie Botwin, une unitéessentiellement constituée de juifs dediverses nationalités. L’idée de sa créa-tion appartient à Albert Nahumi (AriéWeits) de la section juive de la MOI, àLuigi Longo et pour beaucoup à ladirection du PCF qui fit pression sur leKomintern qui hésitait à créer des unités« ethni-ques ».Le 12 décembre 1937, la compagnieBotwin était sur le pied de guerre.

Son nom rappelait celui du jeune juifNaftali Botwin, condamné à mort enPologne pour avoir abattu un provoca-

teur. L’ordre du jour communiquéa u xBrigadistes,signé par lecommissairepolitique dela XIIIe bri-g a d eDombrowski,Matuszczaket de son com-m a n d a n tJ a n e kBarwinski, sti-pulait :« Prenant encompte le

grand nombre et l’importance de la pré-sence des volontaires juifs au sein de labrigade Dombrowski et en mémoire descombattants juifs tombés, nous décidonsque la 2e compagnie de l’héroïquebataillon Palafox portera désormais lenom de “Compagnie juive Botwin”. Lamémoire de Naftali Botwin nous estchère à tous ».L’unité comptait au départ 80 hommes.Ses effectifs crûrent avec l’arrivée desnouveaux engagés. Le jour de la formation de la compagnie,une réunion se tint au siège parisien duYASC. On y salua le départ d’un nou-veau contingent de volontaires (150) quirejoignit Casas-Ibáñez où s’entraînaientles Botwiniks avant leur départ sur lefront d’Extremadura, en 1938.Cette première bataille, en janvier 1938,fut une catastrophe : sur 120 hommes,20 seuls réchappèrent. Le commandantKarol Gutman, un sous-officier de l’ar-mée polonaise envoyé par le PC polo-nais (PPK) avait été tué. Il fut remplacépar Léon Rubinstein, très vite griève-ment blessé. Son successeur, Mija Sapir,

6 Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

Les juifs dans les Brigades internationalesDi roïte teïvelonim

par Bernard Frederick

Dossier Guerre d’Espagne

(a gris foun der botwin-kompani) La compagnie Botvine a Casas Ibanez en juillet 1938 (Salutations de la compagnie Botwin)

Il y a quatre-vingt ans éclatait laguerre civile en Espagne

¡No pasarán!En 1931, l’Espagne proclame la

République. Cinq ans plus tard,le 16 février 1936, le Frente popular(Front Populaire) gagne les élections.Dès lors la droite, les monarchistes,les phalangistes fascistes et des mili-taires cherchent à renverser le gou-vernement.

Le soulèvement débute le 17 juilletau Maroc espagnol sous la directiondu général Franco. Le 18, la rébelliongagne la métropole. Les Franquistess’emparent de la Galice, de la Vieille-Castille et d’une partie de la Navarre,du Léon et des Asturies. Ils s’implan-tent aussi en Andalousie avec l’aidedes troupes coloniales.

Mais à Barcelone, les milices ouvriè-res les repoussent. A Madrid, unefemme, une communiste, DolorèsIbarruri, « La Pasionaria », lance à laradio : « ¡No pasarán! ». Les militai-res restés fidèles à la République etles milices ouvrières de la capitalerepoussent les assaillants.

Dès le 30 juillet, Mussolini envoie 30bombardiers à Franco. La légionCondor, dépêchée par Hitler, expéri-mente le bombardement massif desvilles. Le 26 avril 1937, lesMesserschmitt ravagent Guernica auPays Basque, causant la mort de cen-taines d’habitants. Le 8 août, le gou-vernement français de Léon Blumpropose une convention de non-inter-vention avec le soutien des Britan-niques. Moscou envoie aux Républi-cains des conseillers militaires et desarmes. Dès les premiers jours ducoup d’État, des étrangers, principa-lement des Français, franchissent lesPyrénées afin de participer aux com-bats. André Malraux, constitue uneescadrille aérienne, qu’il appelleEspaña. En septembre 1936,l’Internationale communiste crée lesBrigades internationales.

Paris devient la plateforme de recru-tement et de coordination de l’aide àla République. On estime à 40 000 lenombre des volontaires dont le plusfort contingent vient de France :10 000. Le dirigeant communistefrançais André Marty prend la direc-tion des Brigades avec le commis-saire politique, l’Italien Luigi Longo.

La Guerre civile espagnole va durer33 mois. Elle s’achève avec la chutede Madrid, le 29 mars 1939. Elle afait plus d’un million de morts. < .../...

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«En cettes o i r é edu 12

d é c e m b r e ,jusque tarddans la nuit,l’on pouvait

entendre des murmures dans les tran-chées. C’étaient les volontaires juifs quiracontaient à leurs camarades non-juifs, àvoix basse, l’histoire de l’héroïque com-muniste juif, Naftali Botwin. Ce soir-là,pour la première fois au cours du XXesiècle, fut fondée, sur la terre d’Espagne,une unité militaire juive et des soldatsespagnols allaient voir, pour la premièrefois de leur vie, des Juifs combattre.

Jusque tard dans la nuit, étendus sous lamême couver-ture que le mineur polo-nais de France, Marcin Szymanski, nousavons parlé de Botwin et de notre unité,nouvellement fondée, la compagnieBotwin. A ce moment-là, notre compagnie comp-tait environ 80 soldats dont la plupartétaient espagnols ; les volontaires juifsétaient une bonne dizaine et il y avaitautant de volontaires polonais. Parmi lesvolontaires juifs (en dehors de ceux énu-mérés plus haut), citons Blicblau, AlekNus, Szlomo Weintraub, Juwel … Parmiles volontaires polonais citons :Frantchak (Fronczak), Bernard Drywa,Galant, Paluszkiewicz. Dans la compa-gnie, il y avait aussi l’héroïque Grec

Pangalos et l’Italien Campila Jose,volontaire de dix-neuf ans, communiste,ayant passé seize mois au front sans per-mission. C’est ainsi que commençal’existence de l’unité juive en Espagne,au sein de la compagnie Botwin ».

«Le 30 décembre 1937 parut le pre-mier numéro du journal Botwin.Nous avions reçu de Paris une

machine à écrire avec des caractères yid-dish. Dans des conditions très primitives,nous avons pu éditer plusieurs dizainesde numéros du journal. Leur parutionprovoquait beaucoup de joie parmi lesvolontaires juifs disséminés dans denombreuses unités des Brigades, elles-mêmes réparties sur les divers champs de

bataille d’Espagne.Dès le premiernuméro, les liens entre l’ensemble desvolontaires juifs et ceux de la compagnieBotwin se sont resserrés. C’est ainsi quenotre compagnie reçut souvent la visitede volontaires juifs américains de la bri-gade Lincoln ainsi que d’autresbataillons de la brigade Dombrowski,tels qu’Ignacy Kliger, Tewieh Eizen,David Szmulewski, AleksanderSkrzynia et beaucoup d’autres ».* Efraïm Wuzek, Combattants juifs dans la guerred’Espagne, La compagnie Botwin, présenté etannoté par Larissa Wuzek-Gurszow, traduit duyiddish par Jacques Kott, Éd. Syllepse coll.Yiddishland, Paris 2012, 250 p., 22 €

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Souvenirs d’un BotwinikEfraïm Wuzek, né en 1904 à Wroclawek en Pologne, militant de l’Hashomer Hatzaïr en 1918, rejoint illégalement la Palestine en 1922.

Cinq ans plus tard, en 1927, il adhère au Parti communiste palestinien (en yiddish PKP). Après plusieurs arrestations par les Britanniques et lesemprisonnements qui s’en suivent, Efraïm Wuzek et sa famille sont placés début 1937 sur un bateau à destination de … Cuba où les Anglais veu-lent les déporter. A Marseille, ils parviennent à quitter le navire et gagnent Paris. Ils y sont clandestins. Efraïm qui a pris contact avec les commu-nistes, s’engage comme volontaire des Brigades internationales en septembre 1937 où il arrive en octobre. Il est incorporé dans le bataillon Palafoxpuis dans la compagnie Botwin. Écrits en yiddish, ses « souvenirs » d’Espagne sont publiés à Varsovie en 1964. En 2012, sa fille Larissa Wozek-Gruszow en fait paraître une traduction précédée d’un texte où elle retrace le parcours de son père.* Nous en présentons ici deux extraits :

Dossier Guerre d’Espagne

le fut à son tour à Lérida. Suivirent LéonRubinstein (gravement blessé à Caspe) ;Alter Szerman (blessé sur le front de l’È-bre) ; Israël Halbersberg (tué au combat); Emanuel Mink (Mundek), jeune spor-tif du YASC de Belgique, deux foisblessé et qui survécut à Auschwitz et futfait « citoyen d’honneur de l’Espagnedémocratique ».Les Botwiniks furent de toutes lesbatailles : Belchite, Lesera, Lérida, surl’Èbre, sur le front d’Aragon… Ils méri-tèrent bien leur surnom : Di roïte teïvelo-nim – les diables rouges. Quand lesBrigades furent dissoutes en octobre1938, certains décidèrent de continuer lecombat dans l’armée républicaine,comme Efraïm Wuzek (voir page 8).Chaskel Honigstein de Lublin enPologne fut le dernier volontaire desBrigades internationales à être tué. Legouvernement espagnol organisa en sonhonneur des funérailles nationales àBarcelone, le 1er novembre 1938.En janvier 1939, la défense républicaines’effondra. Barcelone tomba. Les 4 500membres restants des brigadesDombrowski, Thälmann et Lincolnrejoignirent l’Agrupación Internacional,l’unité internationale de l’armée républi-caine, que commandait le juif polonaisHenryk Torunczyk, et dont le chef desopérations était Julius Hibner, plus tardofficier dans l’armée polonaise forméeen URSS et distingué par l’ordre de« Héros de l’Union Soviétique ».En mars 1990, un monument en l’hon-neur des Brigadistes juifs tombés aucombat a été inauguré sur le Montjuïch àBarcelone où reposent les dirigeants dela République espagnole.Le slogan des Brigades « Pour votreliberté et la nôtre » fut repris en 1943 parles combattants du ghetto deVarsovie. <

.../...

Les républicains produisent prèsde 200 films, pour majorité docu-mentaires et courts-métrages de

propagande.Dès 1936, la CNT/FAI anarchistedomine l’industrie du cinéma en nom-bre de techniciens et réalisateurs avec25 à 30 longs métrages par an. ÀBarcelone, Matéos Santos tourneReportage sur les événements révolu-tionnaires à Barcelone, premier filmd’actualité propagandiste, embléma-tique du cinéma anarchiste par les ciblesdu commentaire : le capitalisme et l’É-glise. Il montre la résistance populairedans les rues, près des barricades dres-sées pour empêcher l’infiltration fas-ciste, et met en avant les jeunes qui« luttent ardemment sous le drapeau dela FAI et l’insigne rouge des milicesantifascistes ». On peut voir quelquesfilms anarchistes sur le site des archivescinématographiques du PCF dont lecélèbre Colonne Durruti 1. Les films dela CNT/FAI commentés en français etanglais sont distribués en France par leComité pour l’Espagne libre et enGrande-Bretagne par l’AnarchistCommunist Federation. Le gouvernement républicain confie leCommissariat de propagande deCatalogne à Jaume Miravittles qui lanceLaya films. Joan Castanyer y crée en1937 le journal Espanya al dia circulantaussi en anglais (News from Spain) etfrançais (Nouvelles d’Espagne) ettourné en coproduction avec FilmPopular d’orientation communiste. Lerôle du parti communiste espagnolgrandit en 1937, en raison du soutienmilitaire soviétique et du rôle du

Komintern dans la vie politique.Aux U.S.A, une association américainefinance Joris Ivens qui tourne Spanishearth (Terre d’Espagne) en 1937. « Laterre d’Espagne est dure et sèche, et lesvisages des hommes qui la travaillentsont secs et durs sous l’effet du soleil »,ainsi débute ce film raconté par OrsonWelles et commenté par ErnestHemingway et John Dos Passos. JeanRenoir fera la voix de la version fran-çaise de ce film où l’on voit plusieursdirigeants communistes, dont DoloresIbárruri.Henri Cartier Bresson tourne deuxfilms : Victoire de la vie (1937) montrela cruauté de la guerre par les mutila-tions physiques et laréparation des hommesdevenus culs-de-jatte oumanchots. Le filmmilite sur le terrain trèsconcret de l’appel auxfonds d’aide médicale.L’Espagne vivra (1938)financé par le Secourspopulaire françaisinsiste par le commen-taire de Georges Sadoul sur la nécessitéde l’intervention et de l’aide militaire.Le ministère de la Propagande produitdeux autres films illustrant le soutienétranger : • España 1936 du communiste Jean-Paul Le Chanois, coréalisé par LuisBuñuel et Pierre Unik• Espoir, sierra de Teruel, film d’AndréMalraux et de Boris Peskine, est trèssupérieur au roman. Le principe d’uneadaptation est incompatible avec lesidées que Malraux a du cinéma comme

art spécifique. Il ne veut pas faire deuxfois la même œuvre. Cet unique film del’écrivain révèle un vrai sens du cinéma.Le tournage, commencé à Barcelonesous les bombardements en juillet 1938,est interrompu en janvier 1939 : Francoa pris le pouvoir à Madrid.Le roman met en valeur la fraternitéhumaine et exprime l’espoir de la vic-toire des Républicains. Quand Malrauxréalise le montage du film, la guerre estperdue. La bataille de Teruel est emblé-matique de l’affrontement avec le fas-cisme et le rôle qu’y joue l’aviationannonce la Seconde Guerre Mondiale.Le sentiment de la tragédie et de la mortdomine cette œuvre que Malraux pense

intituler Chant funèbrepour les morts de laguerre d’Espagne. Lefilm s’ouvre sur lamort du piloteMarcelino et l’hom-mage rendu à sadépouille. Il se clôt surle long défilé des pay-sans à flanc de monta-gne, portant les morts

et les blessés, rythmé par la musiquepoignante de Darius Milhaud. Par sonintensité et son dépouillement, le filmprend une force lyrique que le romann’avait pas. Cette cérémonie funèbre,où l’on voit les vrais combattants et lespaysans de la Guerre d’Espagne, pos-sède la puissance des grandes descentesde croix des Rubens ou Tintoret et créeune apothéose tragique unique, à monsens, dans l’histoire du cinéma. <1.http://parcours.cinearchives.org/Les-films-731-95-0-0.html

Cinéma de la guerre d’Espagne : pour la République !par Laura Laufer

(suite de la page 4)

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Dossier Guerre d’Espagne

Olympiades populairescontre Jeux à la gloire du fascisme par Hélène Amblard

Aux Olympiades officielles, ferméesaux Allemands, Soviétiques et paysneutres, la Fédération sportive du

travail et les sections de l’InternationaleRouge sportive (IRS) opposent, dès lesannées 20, les fêtes du sport populaire, véri-tables démonstrations saluant l’internationa-lisme ouvrier. Les délégations sont logées chez les memb-res des clubs qu’elles rejoignent le tempsd’un séjour, occasions d’amitiés solidesentre jeunes ouvriers de France,d’Angleterre, de Finlande, de Suisse, deTchécoslovaquie, d’Autriche, d’Espa-gne...Faute d’autorisation, la Fst doit attendre1924, pour espérer accueillir ceux d’Unionsoviétique et d’Allemagne.1924, Paris attend les J.O. sport Ouvrier du 5 juillet 1924 annonce,face à l’événement médiatique, une démons-tration historique: “Pour la première fois enFrance depuis 1914, des athlètes de laRussie des soviets, d’Allemagne et deFrance se trouveront réunis sur la pelouseverte. (…) La grande foule qui travaille etproduit applaudira à toute cette jeunessesportive qui, quoique de nations différentes,de langues différentes, a le même idéal : met-tre la force physique acquise dans nos sec-tions de l’IRs au service tout entier de l’é-mancipation totale du prolétariat.” 12 juillet 1924. Ouverture de la fête interna-tionale au Stade Pershing, en dépit de l’inter-diction*. sport Ouvrier titre: “Vive la frater-nisation !”… Pour l’exercice d’un “vrai”sport, la Fst appelle à l’unité de tous lessportifs : “Le sport ouvrier a pour tâche deréhabiliter le sport, actuellement prostituépar l’idéologie bourgeoise.” Dans les clubsouvriers, ce combat marque les débats jus-qu’en 1934.Unité sportive antifascisteL’attribution des Jeux Olympiques à Berlinen 1931 saluait, selon les officiels, le retourde l’Allemagne parmi les nations démocra-tiques. L’arrivée d’Hitler au pouvoir par desélections démocratiques ne change en riencette décision. Ne s’est-il pas engagé à êtrefair-play ?La Fst, de même que l’IRs voient la questiond’un tout autre œil. Les militants du YAsC,qui connaissent pour les avoir vécues leshorreurs du fascisme, ne sont pas en reste.Dans l’Allemagne hitlérienne, les militantssportifs ouvriers sont poursuivis, torturés,assassinés. Bientôt, l’ensemble des clubssportifs, quelqu’ils soient, y est placé sousl’égide des S.A. Dès avril 1933, la politique d’aryanisationtouche toutes les organisations sportivesallemandes. Juifs et tziganes sont exclus despiscines, terrains, centres et associations. Lesport, consacré à la préparation militaire,exalte la supériorité de la race aryenne.L’Allemagne hitlérienne prépare une propa-gande sans précédent : la flamme sera portéedepuis Olympie ; les Jeux seront télévisés,transmis dans les rues de Berlin sur 25grands écrans... Dans les colonnes de sport, nouvelle for-mule de sport ouvrier, la campagne laissetransparaître ce qui sera bientôt le Frontpopulaire. “Jeux Olympiques ou rassemble-ment antifasciste de Paris”. Un numéro dejuin 1934 relate une conférence de la Fst,

Des Jeux olympiques populairesà Barcelone Mars 1936. Le maire de Philadelphie pro-pose l’alternative d’une organisation dans saville. Par télégramme, le Comité d’actioncontre la tenue des jeux à Berlin “salue” et“enregistre” la proposition. Un mois plus tôt,le Front populaire antifasciste a triomphé enEspagne. Pourquoi ne le ferait-il pas enFrance ? sport relève : “C’est la nouvelleChambre qui se prononcera sur la question.Alertons l’opinion publique ! ”Préparant pour juin une Conférence interna-tionale sur l’idée olympique, sport du 13avril cite le poète Jean Richard Bloch :“Imaginez la situation et l’état d’esprit desnaïfs participant aux Jeux Olympiques deBerlin si le lendemain même de leur fastueuxet théâtral achèvement, les troupes de Hitlerenvahissaient l’Autriche et encerclaient latchécoslovaquie, selon le programme offi-ciel de l’expansion du IIIème Reich. Cetteseule hypothèse, qui est plus qu’une hypo-thèse mais une probabilité, suffit à dicterl’attitude des hommes libres à l’égard d’uneparticipation outrageante.”Mai 1936. Dans la manifestation massive auMur des Fédérés, une grande banderole :“Pas un sou, pas un homme pour Berlin”.Un cortège homogène proclame : “Contretous les nationalismes, pour l’union destravailleurs immigrés et français”…Le 13 mai, sport titre enfin : “Des Jeuxolympiques populaires à Barcelone” : “Unegrande nouvelle nous parvient. Uneannonce qui fera plaisir à tous ceux quicroient en la fraternité humaine et qui espè-rent en un monde meilleur.” 24 juin. Avec la publication du pro-gramme et l’annonce d’un train spécial,sous le titre “Vers Barcelone”, une brèveparmi d’autres : “Les sportifs juifs, euxaussi, participeront. De Palestine, ils ontenvoyé leur acceptation. Une invitation aété lancée à eux de Paris, de Barcelone etde Belgique.” Barcelone accueille 6.000athlètes. Le musicien Hans Eisler a com-posé la marche officielle… Mais les fascis-tes attaquent.Athlètes face aux canonssport du 22 juillet espère encore : “Lacriminelle rébellion fasciste espagnoleretarde la tenue des jeux populaires deBarcelone. Après la victoire, le peuple

catalan donnera plus d’éclat encore àson olympiade”.A la “Une” du 29 juillet, Auguste Delauneraconte : “Vers cinq heures du matin, les ath-lètes étaient réveillés par des coups de fusil,mitrailleuse et de canon : les forces fascistesessayaient de renverser la République”. Surla même page, la Fsgt adresse une lettreouverte aux sportifs allant à Berlin : “soyezdignes de l’honneur qui vous est fait. LaFédération sportive et gymnique du travailet le journal sport, qui œuvrent pour unmonde nouveau où une jeunesse sportivefrançaise sera libre et heureuse, en sont per-suadés et vous souhaitent les plus vifs succèssur le stade olympique !!!”“En revenant de la Catalogne” : les noteslivrées à vif depuis le départ de Paris chan-gent de ton au réveil du 18 juillet : “Les offi-ciers rebelles ont réussi à entraîner deuxrégiments, pas pour longtemps car la grossemajorité des soldats fraternise bientôt avecles gardes d’assaut. C’est beau et l’on s’em-brasse” … “Entre temps, certains groupesréussirent à se rendre au stade”… “après ledépart du 4ème groupe, la pétarade recom-mence.” … “Une petite fille de 8 à 10 ans duYAsC était restée au stade pendant la bataille.- Avez-vous bien mangé et bien dormi ? -Oui, très bien mangé en comparaison de nosamis les gardes d’assaut qui jouent avecnous. Ce soir, nous ne mangerons pas ! Naet na ! Il faut que les gardes puissent mangerà tout prix ! ” … “Les passagers du schellaarrivés un jour plus tôt à Marseille (...)apprirent que les fascistes assurèrent ladéfense des sportifs français à Barcelone. Ilsapprirent aussi, à leur grand effroi, que deséléments du Front populaire défilèrentdevant leur hôtel avec trois plateaux d’ar-gent garnis de têtes de fascistes”… Résister !A la “Une” du 5 août 1936 : “La nou-velleOlympie sous le signe du chauvinisme. Lenoir américain Jesse Owens réalise une per-formance extraordinaire”. Pour ne pas lasaluer, Hitler a quitté la tribune. 26 août.“Les Jeux olympiques ont servi la propa-gande hitlérienne”. L’article de Delaunerevient sur la campagne lancée dès sa fonda-tion par la Fsgt pour le transfert des JO.“L’Auto” déclare maintenant : “Nous quit-tons Berlin sous sa pluie de drapeaux, bou-leversés, inquiets. On s’est servi du sport, onne l’a pas servi. L’idéal de M. Coubertins’est évanoui.” tout cela, nous l’avions dit.Comme nous aurions aimé voir dans lapresse, avant l’ouverture, la vérité sur lesJ.O. de Berlin…”16 septembre. On lit en page 5 : “AndrèsMartin, organisateur de l’Olympiade deBarcelone, est mort en héros sur le frontd’Extremadure”. En bas de l’article, un com-muniqué du YAsC exprime la tristesse duclub, dont “était membre le camaradeAndrès Martin lors de son séjour à Paris.”Andrès Martin vient d’être fusillé à 22 ans. Ilavait doté Passionaria, le bataillon qu’ilavait fondé, d’une bibliothèque, d’un orches-tre et d’un journal quotidien…<

* La France reconnaîtra l’URss quelques mois plustard. ** Thaelmann : dirigeant du Parti communisteallemand, traqué et arrêté en mars 1933 après l’in-cendie du Reichstag (février 1933), détenu et torturédans plusieurs établissements et camps avant d’êtreexécuté en 1944 à Buchenwald.

salue la mobilisation des militants, notam-ment du YAsC, engagés pour le succès dugrand rassemblement des sportifs contre laguerre et le fascisme, organisé du 11 au 15août 1934. Saisissant toutes occasions, lesinitiatives se multiplient pour construire leFront : “Longtemps avant les autres organi-sations, des clubs de la Fst (le YAsC) et del’Ussgt (l’Etoile), réalisaient leur unitéd’action dans une rencontre sportive à Vitrysous l’égide de la lutte pour thaelmann**.”Face aux fascismes, les fédérations ouvrièresnégocient âprement. En décembre 1934,l’Ussgt et la Fst forment enfin la Fsgt, avecpour secrétaire général Auguste Delaune,jeune représentant français à l’IRs, et pourco-président georges Maranne, député-maire d’Ivry. Pour garantir l’unité, la direc-tion est strictement paritaire, composée decadres des deux organisations fusionnées.Transfert ou boycott ?

“Pas un sportif àBerlin ! ” A la “Une”du numéro de sportdaté du 7 août 1935,la campagne interna-tionale exige le trans-fert des Jeux. Lamême édition titre,faisant le point de lamobilisation, payspar pays : “La Francene doit pas se taire

plus longtemps”. Le numéro du 9 septembre rapporte la réso-lution adoptée par les clubs sportifs juifs deParis réunis salle du café “Balthazar”,Boulevard Saint Martin : Les délégués desept organisations sportives juives de Paris,regroupant 2.000 adhérents, ont fondé unComité juif contre les olympiades de Berlinpour “engager une action commune de boy-cottage des jeux olympiques à Berlin partous les moyens”. Cette action, précisent-ils,“doit être menée en collaboration avec lesorganisations juives et non juives, avec lespersonnalités du monde sportif et culturel.”Les meetings se multiplient avec AugusteDelaune, gabriel Péri, Paul Langevin,André Malraux … sport du 18 décembre reprend en titre lesmots de Coubertin : “Les jeux olympiquesont la tâche d’apporter la paix et la compré-hension aux groupements et aux peuples.Leur but est la solidarité de toutes lesnations et de toutes les races dans unconcours sportif loyal” … Mais en janvier 1936, en prévision des jeuxd’Hiver, le tremplin olympique de Garmishest inauguré. L’ambassadeur de France enAllemagne salue l’année olympique faisantle vœu que “le spectacle des rivalités sporti-ves pacifiquement dénouées figure le sym-bole des cinq anneaux l’un à l’autre enchaî-nés annonçant l’avenir” … À quoi le rédac-teur réplique : “Il est en effet possible quecette année ne soit pas seulement celle desjeux olympiques. Mais les rivalités sportivesne pourront être pacifiquement dénouées. Etles cinq anneaux font penser à beaucoup auxchaînes qui meurtrissent des milliers desportifs prisonniers dans les camps deconcentration hitlériens… si c’est ça l’ave-nir… !! Merci pour nous ! ”

8 Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016Article repris de la PNM n° 2

57 de juin 2008

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En 2015, plus d’un million de per-sonnes sont arrivées en Europepar la voie maritime, principale-

ment par la Grèce et l’Italie. Entre le 1er janvier et le 31 mai 2016, elles sont195 000. Où vont ces personnes ?Depuis les accords de Schengen, la luttecontre l’immigration irrégulière est unepriorité de l’UE. Cela s’est traduit par undurcissement des contrôles aux frontiè-res, et la multiplication d’instruments desurveillance comme l’agence Frontex, etla création de dispositifs destinés à limi-ter la liberté de mouvement des « étran-gers indésirables » : les migrants « éco-nomiques », enfermés dans les centresde rétention, et les demandeurs d’asile,« hébergés » en centres d’accueil pen-dant l’instruction de leur dossier.Depuis la fin des années 1990, ces cen-tres ou ces camps se multiplient sur leterritoire européen et hors des frontièreseuropéennes1. Ouverts, semi-ouverts,fermés, de grande ou de petite dimen-sion, ils montrent que l’« encampe-ment » est devenu l’une des principalesmodalités de prise en charge et decontrôle des « étrangers indésirables ».Depuis le début de l’année 2015, l’idéed’une distinction nette et « naturelle »entre les demandeurs d’asile et les« migrants économiques » est au cœurdes discours et des pratiques politiques.Afin de « trier » les migrants qui vien-nent d’arriver, des centres européens, les« hotspots », ont été créés en mai 2015.Onze, dont neuf en fonctionnement, ontété implantés dans les régions frontaliè-res de l’UE : six en Italie et cinq enGrèce. Théoriquement, les étrangers sontretenus dans les « hotspots » pour unepériode de 48 à 72 heures, le temps de

procéder à leur identification. Dans lesfaits, ils y restent souvent bien plus long-temps, au mépris du droit européen. À leur sortie, les demandeurs d’asilepeuvent être envoyés dans des centresd’accueil le temps de déposer leurdemande et d’attendre son aboutisse-ment. Théori-quement, certains deman-deurs peuvent aussi bénéficier du planeuropéen de « relocalisation » voté enseptembre 2015 (le transfert vers unautre État membre). Cependant, ce plan,qui ne concerne que les Syriens, les Éry-thréens et les Iraquiens, peine à démarreren raison de blocages administratifs liésaux réticences des États. Fin mai 2016,sur les 160 000 réfugiés devant être relo-calisés depuis la Grèce et l’Italie d’iciseptembre 2017, seuls 1 740 l’avaienteffectivement été.Ceux qui sont stigmatisés comme« migrants économiques » n’ont pasvocation à rester sur le territoire euro-péen. En Italie par exemple, ordre leurest donné de quitter le territoire italiendans un délai de sept jours, mais dans lesfaits, la quasi-totalité reste en Italie ensituation irrégulière. Certains sontenvoyés dans des centres de rétention,censés permettre la mise en œuvre del’expulsion. Mais, seule la moitié desétrangers ayant tran-sité par ces centresest effectivement expulsée. Ce qui reflètela dimension performative de l’enferme-ment administratif.Ce principe de tri est aujourd’hui aucœur des priorités européennes et natio-nales. La Commission européenne necesse de rappeler leur devoir auxItaliennes et aux Grecs : identifier et trierles migrants. Cette « obsession » du tri sereflète également dans l’utilisation

récente de l’expression « pratiques hot-spots » pour désigner le tri hors des cen-tres. À cet égard, le ministre italien del’Intérieur a proposé, de créer des « hot-spots flottants » sur les bateaux afin d’i-dentifier les gens à bord des navires,« sans que personne ne puisse s’échap-per ». L’idée a été validée par leCommissaire européen, DimitrisAvramopoulos, au grand dam de lamajorité des associations et ONG dedéfense des droits de l’homme.Ce principe de tri, aujourd’hui à la basede la politique d’immigration euro-péenne, ne correspond pas à la com-

plexité des schémas migratoires : il natu-ralise en fait des catégories politique-ment construites. En outre, la suspiciondu « faux réfugié » et la peur de l’immi-gration excluent violemment de toutepossibilité d’accueil de nombreuses per-sonnes très vulnérables. < Marie Bassi1. On parle alors « d’externalisation » despolitiques d’asile et d’immigration. NDLR Docteure en science politique, spécia-liste des questions migratoires, en particulier dela gouvernance de l'immigration en Europe duSud, Marie Bassi est chercheure associée auCentre de Recherches Internationales (CERI)de Sciences Po et ATER en Science politique àl’Université Paris 3 – La Sorbonne nouvelle(Département d’Études européennes).

La prise en charge des immigrés aux frontières européennes :le « tri » et « l’encampement »

La CNCDh note une évolutioncontinue vers plus de tolérancedepuis 2013 : « la société fran-

çaise refuse les amalgames et valorisel’acceptation de l’autre ». Quatreexplications sont suggérées : « la réac-tion “républicaine” aux attentats, lamobilisation contre le Front national,le recentrage d’une partie de l’électo-rat de droite (où la remontée de latolérance a été particulièrement mar-quée) et la volonté de paraître “politi-quement correct” ». On note une légère régression du nom-bre d’actes antisémites. Les Juifs sont« la minorité qui reste une des mieuxacceptées dans l’opinion publi-que » malgré « la résistance de vieuxpréjugés antisémites ». « Les actesantimusulmans... ont franchi un seuiljamais atteint ». Mais on constate « unmoindre rejet à l’encontre de la mino-rité musulmane ».

Concernant les Roms, on constate unracisme exacerbé favorisé par le dis-cours public et des actes d’expulsion,contraires aux droits fondamentaux,malgré une relative amélioration deleur image.

C’est justement sur les droits fonda-mentaux dont disposent les étrangersen France que porte le rapport que vientde publier le Défenseur des droits.Celui-ci rappelle que, si « concernantl’entrée, le séjour et l’éloignement, ledroit positif autorise a priori les diffé-rences de traitement, ... le pouvoir dis-crétionnaire de l’État n’est pas sanslimite et ne saurait en aucun cas êtrediscriminatoire ». En revanche, « dans la plupart desdomaines de la vie quotidienne, ledroit interdit a priori d’établir des dif-férences de traitement » alors que« cependant, au-delà des pratiques

illégales qui contreviennent à cetteinterdiction... c’est la règle de droitelle-même qui, en instaurant parfoisdes critères apparemment neutres,limite de fait le plein accès aux droitsfondamentaux des étrangers. »Le Défenseur des droits déclare encore :« Les analyses [qu’il développe]entendent souligner l’écart mesurableentre la proclamation de ces droits etleur effectivité. » Son rapport est accablant : Il relèvedes manquements aux droits fonda-mentaux des étrangers dans les domai-nes du contrôle de l’entrée des étran-gers sur le territoire, de l’attributiondes visas, des refoulements aux fron-tières et du droit au séjour des étran-gers. Il souligne que la précarité duséjour est un frein à l’intégration et àl’accès aux droits et que certainescatégories d’étrangers sont spéciale-ment affectées par cette précarité :

les mineurs isolés devenus majeurs,les personnes malades, les travailleursmigrants, etc. Concernant l’éloignement des étran-gers, il relève des mesures aux fonde-ments contestables, exécutées aumépris de droits fondamentaux. Concernant l’égalité de traitementavec les nationaux, il constate les dif-ficultés de sa réalisation en matière deliberté d’aller et venir, d’accès à la jus-tice et de droit au mariage, de droitséconomiques et sociaux (santé, loge-ment, protection sociale, droit au tra-vail et au compte bancaire) et de droitsspécifiques aux mineurs. Nul doute que bien des luttes serontnécessaires pour rétablir ces droits. < JL*http://www.cncdh.fr/sites/default/files/les_essentiels_rapport_racisme_2015_page_a_page_0.pdf**http://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/droits-etrangers-synthese.pdf

Racisme et droits des étrangersDeux rapports officiels différents, mais dont le lien est clair, viennent d’etre publiés : celui commandé par la Commission nationale consultative des droits de l’homme(CNCDH) portant sur « l’état des lieux du racisme en France »*, et celui du Défenseur des droits sur la situation des étrangers**.

Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016 9

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? Entre le 9 décembre 2015 et le 25 janvier 2016, Anne Gorouben s’est rendue dans le camp deréfugiés de Calais, surnommé « la jungle ». Témoignage d’une situation inhumaine, elle en a rapporté quelques dessins saisissants, croqués sur le vif.

SABA, oU LE MALhEUR DES FEMMES

ChEZ SAMI, L'AFGhAN De chez Sami on voit la route et

les camions qui vontou reviennent de l’Angleterre.

Libertés

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• Vendredi 17 juin à 14h30, conférence organisée par lesAmis de la CCE : L’hébreu, l’audace faite langue, don-née par Mireille Hadas-Lebel historienne, professeureémérite à la Sorbonne et Philippe Boukara, historien, spé-cialiste du judaïsme contemporain. Mairie du 3° arrdt. deParis, entrée 5€, résa festivalculturesjuives.org • Jeudi 23 juin à 19h30 : La PNM et le Comité Borisvous invitent à la projection, au cinéma L’Ecran deSaint-Denis, du film de Christophe Cognet L’atelier deBoris et de celui de Raoul Sangla Jean Amblard, artisted’Auvergne en présence d’Évelyne Taslitzky, d’HélèneAmblard et des réalisateurs.• Dimanche 26 juin, Journée des associations juives de11h. à 18h. Dans le cadre du 12° Festival des CulturesJuives qui se tiendra à Paris du 14 au 28 juin à la mairie du3° arrdt., l’UJRE et MRJ-MOI vous accueilleront sur leurstand, dans la mairie. Des livres, des journaux, des postersvous seront proposés. Thème 2016 : de l’audace !• jusqu’au 23 juillet : Exposition Le Front Populaire enphotographie à l’Hôtel de Ville de Paris. Entrée libre10h-18h30 du lundi au samedi.

• 16 juillet 1942 : Dès l’aube, plus de 13 000 hommes,femmes et enfants apatrides sont raflés à Paris et conduitsau Vel’ d’Hiv par 7 000 policiers et gendarmes sous lesordres de René Bousquet. La majorité d’entre eux seradéportée et assassinée à Auschwitz-Birkenau.• 17 et 18 juillet 1936 : Coup d’État militaire contre legouvernement de la Seconde République espagnole. La guerre civile espagnole débute et se solde par ladéfaite de la République le 1er avril 1939. La dictaturefranquiste durera jusqu’en 1975.• 25 août 1944, Paris se libère ! von Choltitz, gouverneurmilitaire de la Ville de Paris, a désobéi à Hitler qui lui avaitintimé l’ordre de déposer sous les principaux monumentset sous les ponts de la capitale des charges explosives.

trompette, remplacée par un restaurant pour touristes.En reste une autre sur la maison d’en face, qui men-tionne son nom parmi d’autres dirigeants et indiqueque la première guillotine fut construite dans la cour.

Ça, c’est intéressant ! Les touristes, et les Français,n’en sauront pas plus.

Charlotte de Corday, l’historiographiecomplice, la belle martyre et justicière, la

nostalgie des médias pour la monar-chie, le culte de Marie-Antoinette etcomplémentairement la disparition dela plaque de Marat… Robespierre, réveille-toi ! <

Maurice Cling* Il est peu connu que le docteur Guillotin qui

l’inventa le fit pour des raisons humanitaires(pour abréger la souffrance des condamnés à

mort, par opposition aux tortures del’Ancien régime, destinées à la prolonger).Aux USA, des magasins de maquettes pourados présentent des guillotines. Il n’est

jamais trop tôt pour bien faire ...

la Shoah. Le destin de tous ses personnages et lesdrames qu’ils ont vécus sont le fruit de l’antisémi-tisme viscéral.

Les grands écrivains américains qui ont parlé dumonde juif aux États-Unis n’ont pas tous connucomme les frères Singer ce passage de l’Anciencontinent au Nouveau.

C’est un roman vraiment hors de l’ordi-naire, digne des plus grands auteurs duXIXe siècle. <

* La Famille Karnovski, d’Israël JoshuaSinger, traduit du yiddish par MoniqueCharbonnel, Éd. Folio, 768 p., 9,50 €

Is r a ë lJ o s h u aS i n g e r

(1893-1944)est moinsconnu que sonfrère cadet,Issac BashevisSinger.

D ’ o r i g i n epolonaise, filsde rabbin, il

commence à écrire dans son pays d’origine où ilcollabore à plusieurs revues. Puis il émigre auxÉtats-Unis où, comme son frère, il continuera d’é-crire en yiddish. Peut-être a-t-il l’intuition que cettelangue des Juifs d’Europe orientale et d’Unionsoviétique va disparaître presque complètementavec la guerre que l’on devine proche ? Paru un anavant la mort de son auteur, La Famille Karnovskiest un livre fleuve qui relate l’histoire d’unefamille sur trois générations. Il permet de compren-dre pourquoi tant de Juifs ont choisi le chemin del’émigration. Cette chronique commence enAllemagne et se termine de l’autre côté del’Atlantique où, si les Karnovski peuvent se savoirsauvés, ils n’en éprouvent pas moins toutes sortesde difficultés pour s’intégrer et s’adapter à l’uni-vers américain pourtant presque exclusivementcomposé d’émigrés de date plus ou moins récente.Un exemple : le fils du docteur Karnovski, Jegor,ne réussit pas à passer ses examens à cause de lalangue. Il en vient à renier son père, ne voulant plusavoir de relations symboliques qu’avec sa mèreallemande et donc « aryenne ». Il tente désespéré-ment d’échapper au cercle familial, mais ne ren-contre que des obstacles et, d’échec en échec, finitpar revenir et assassiner le vieux docteur Zerbe, quiavait un faible pour lui. Une fin peut-être un peutrop mélodramatique pour un livre qui ne l’est pasdu tout bien que le destin de ces personnes soitsous-tendu par les événements qui les ont condui-tes à laisser l’Europe derrière eux.

Tout commence vraiment en Allemagne où lafamille s’installe à Berlin après avoir quitté unePologne trop hostile. Le jeune David a poursuivises études de médecine et fait une brillante carrièregrâce à l’aide du professeur Landau, qui le présenteà son collègue Halévy. Quant à Georg Karnovski,il est l’archétype du Juif qui veut à tout prix s’assi-miler. Il refuse d’épouser la fille du riche marchandde confection, Salomon Bourak : il est éperdumentamoureux d’une jeune et blonde Allemande dont ilva avoir un fils mais qu’il ne parvient pas à épou-ser. La victoire du nazisme va entraîner la persécu-tion croissante des Juifs : la bonne étoile de Georgs’éteint à jamais du fait des lois raciales, toutcomme les affaires de Bourak qui périclitent.Toutes ces histoires complexes qui unissent desgens désireux de mener une vie normale dans unpays moderne servent à l’auteur à montrer ce quis’est passé sur le continent européen en prélude à

Histoire

Contrairement à ce que croit la quasi-totalité desFrançais, Jean-Paul Marat n’a pas été assassinépar Charlotte Corday, et le fait perdure

depuis quelque deux siècles. Il a été assassinépar … Charlotte de Corday (et aussid’Aumont). La copie du tableau deJacques-Louis David montre au Louvrele cadavre de Jean-Paul Marat dans sabaignoire, sans y inclure la jeunefemme, tableau qu’il intitula LaRévolution assassinée. Admirateur deRobespierre, il traduisait ainsi sonhommage au martyr. La dépouille du leader révolutionnairefut portée en triomphe par le peuple auPanthéon. Contrairement à cetteépoque, le nom de la jeune femme luireste non seulement associé dans tousles manuels scolaires et les ouvrages historiques, maisaprès la victoire des contre-révolutionnaires, elle estdevenue graduellement une héroïne qui a fait justiced’un Marat présenté comme démagogue sanguinaire.Elle réapparaît même en vedette, comme Marie-Antoinette dans les films et les docu-fictions, lesrevues d’histoire, etc. jusqu’à l’ « éloge de CharlotteCorday » de Michel Onfray (2009), brûlot haineux quis’inscrit dans la tradition légitimiste ultra-réaction-naire du XIXe et XXe siècles. Un seul exemple suffiraà le caractériser : la Terreur présentée comme « uneimmense giclée de sang due à des meurtriers en sériecomme Marat ou Sade ».On a donc dissimulé jusqu’à nos jours ce fait qui n’estnullement mineur, sachant l’importance énorme de laparticule dans la société monarchique comme marquede l’appartenance à la noblesse. Que la citoyenne nel’ait pas mentionné sous la Terreur est compréhensi-ble, mais l’occultation ne peut s’expliquer que par uneattitude anti-révolutionnaire destinée à stigmatiser enrepoussoir celui que fut l’un des dirigeants les plus envue du mouvement populaire. Dans l’image d’elle quifut donnée ensuite, on voulut présenter une belle jeunefemme exaltée qui, fière de son acte, le revendiquehautement devant ses accusateurs. La bourgeoisie triomphante après Thermidor a mas-qué ainsi le caractère très politique de l’acte vengeurd’une aristocrate, et non d’une femme du peuple. Toutcomme Robespierre, associé trop souvent à la seuleguillotine*, Marat est ainsi rejeté parmi les « monstres» de la Révolution, au mépris total de son œuvred’Ami du peuple. Sur l’imprimerie de Marat, dans la cour du commerceSaint-André, près de la Place de l’Odéon à Paris, là oùil imprimait son quotidien L’Ami du peuple rédigé enface au café Procope, était posée une plaque commé-morative. Elle a récemment disparu sans tambour ni

10 Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

Avant la nuit de cristal à Berlinpar Gérard-Georges Lemaire

Les mots pour le dire La chronique de Maurice Cling

« de »Les frères Singer : Israël Joshua à gauche, à droite, Isaac Bashevis © Archives YIVo

Charlotte Corday par François-Séraphin Delpech (1778-1825)

À vos agendas !

Mémoire

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Festival d’Avignon 2016• Grisélidis, d’après les textes et inter-views de Grisélidis Real. Avec CoralyZohonero de la Comédie-Française, àAvignon-Petite Louve, du 8 au 30juillet à 18h15 à la Chapelle desTempliers, 3 rue Félix Gras.Rés. 04 32 76 02 79 • Suzanne Césaire, Fontaine solaire,vu au Tarmac, sur des textes sublimes etméconnus de la femme d’Aimé Césaire.

© J

.-L. F

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ndez

PNM n°327 - Septembre 2015 11Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016 11

La bouche ouverte * ressemble à une partition musicale avec différentes tonali-tés, aux parfums de nostalgie. Shmuel T. Meyer mêle avec bonheur les destins

de deux familles de différentes origines, l’une, protestante, l’autre, juive, de 1925 ànos jours avec Genève comme centre, terre-mère, havre, port d’attache, point dechute et d’envol. Les personnages du roman se croisent, se quittent et se retrouventdans une succession de scènes qui ont pour théâtre les intermittences du cœur.« C’est un roman qui parle de l’amour », dit l’auteur, et les exquises nourrituresterrestres que celui-ci nous offre ne nous laissent jamais sur notre faim.Plus cruel mais aussi attachant est le précédent roman de Shmuel T. Meyer, « Un nouvel an de pierres » qui se déroule en Israël. L’auteur utilise le même pro-cédé littéraire constitué de séquences au cours desquelles nous suivons les per-sonnages pas à pas au fil des pages dans leurs pérégrinations et leur errance.Le personnage principal, Dov Shatz, écrivain de renommée internationale, esttrouble et fascinant. Il est à la fois aimé, adulé et profondément haï, en particu-lier par les extrémistes religieux pour sa défense des droits des Palestiniens à uneterre et à un État, mais ses gestes, son attitude sont pétris d’ambiguïté, de culpa-bilité. Être ambivalent, porteur d’un lourd passé que nous découvrons peu à peu,

Dov Shatz est un être en perdition dans un pays en proie à la monté des fanatis-mes, c’est un héros tragique envers qui nous ressentons de la tendresse et de lapitié, c’est un être déchiré entre son passé, sa révolte contre l’injustice faite aupeuple palestinien et son amour profond pour son peuple, pour Israël.« Humain, trop humain »…Shmuel T. Meyer est né en France et vit entre Genève, Jérusalem et Paris. Il avécu de longues années en Israël comme kibboutznik. Journaliste et écrivain, ildresse le constat d’une société israélienne déchirée par un conflit qui ne cesse dese durcir, où règne une incompréhension grandissante entre Israéliens etPalestiniens, et souligne les dangers que constituent l’ultranationalisme juif etune extrême droite fanatique de plus en plus omniprésente au sein d’un État quirespecte de moins en moins ses règles démocratiques. <* La bouche ouverte de Shmuel T Meyer, serge safran éditeur, 2015, 184 p., 16,90 € –Un nouvel an de pierres, Éd. Gallimard, 2013, 136 p., 13,90 € – Cofondateur des édi-tions Zulma, Serge Safran a créé sa propre maison en 2012 avec un riche catalogue enlittérature contemporaine française et étrangère et dont l’objectif est de faire connaîtrede nouveaux auteurs et de s’ouvrir à d’autres cultures, d’autres horizons. [www.serge-safranediteur.fr].

à ne surtout pas manquer

Théâtre La chronique de Simone Endewelt

Culture

« La bouche ouverte » - « Un nouvel an de pierres » lu par Béatrice Courraud

On entre dans ce récit comme on entre, en faisant le moins de bruit possi-ble, dans un lieu secret, intime avec le sentiment étrange que l’on sait

alors qu’on ne sait pas, parce que l’histoire de Tauba, la mère de l’auteure, esten même temps l’histoire d’une génération. Un monde qui n’existe plus.Venir d’Europe de l’Est, fuyant le malheur, la pauvreté, les pogroms. Arriveren France en 1930, chercher du travail, avoir la chance de rencontrer l’émi-gration juive communiste, sa culture, le local de la Kultur Liga, la solidarité.Retrouver quand on ne sait pas encore le français, la langue commune, le yid-dish « qui ne sonne pas comme là-bas….. sans la menace du pogrom ». EtMoysze, Michel, un homme qu’elle aimera toute sa vie. Et puis entrer dansl’Occupation. Porter ou refuser de porter l’étoile jaune. Devenir une résistanteau sein de la M.O.I (Main-d’œuvre immigrée.), agent de liaison d’AdamRayski. Échapper à la rafle du Vel’ d’Hiv, « une date d’apocalypse ». La paix revenue, continuer à être présente au monde. Vieillir. Finir une vie siriche, prendre « une petite place en terre de France ». Alors Nina, narratrice,va se mettre dans les pas de sa mère, celle qu’elle a connue, celle qu’elle tentede reconstruire, d’inventer comme on invente une fiction, « prendre appui surdes bribes pour tracer un chemin qui me laissera deviner ce que fut sa vie,quelle femme elle a peut-être été. ». (...)

Grâce à la légèreté de l’évocation, nous accompagnons les déambulations deTauba dans les rues de Paris, « des Grands boulevards à la Madeleine, le longdes quais de la Seine… ». De même la simplicité de l’énumération de nomstellement suggestifs qui désignent le Paris des immigrés d’Europe de l’Est,rue de Lancry, rue de la Roquette, rue de Belleville, boulevard de la Villette…, espace parisien de la misère dont il faut finalement se sortir, « gagner ledroit à quelques mètres carrés de dignité ».(...)Séparation et complicité, on veut apprendre le yiddish mais on a une autre lan-gue, parfaitement maîtrisée, le français. Mère et fille se rejoignent cependantpar la langue qui n’est ni le yiddish, ni le français mais le russe que Nina app-rend. Alors que pour une fois, Tauba lui récite un long passage d’EugèneOnéguine, la narratrice sent qu’une « complicité est enfin née entre nous ».Serait-ce la langue qui finalement réunit ?Livre hommage pour Tauba, qui tente peut-être de rattraper ce qu’on n’a pascompris mais aussi hommage à tous ces lutteurs qui ont accompa-gné sa vie, déclaration d’amour malgré la question que se pose lanarratrice, que l’on peut tous se poser : « nous sommes-nous croi-sées, frôlées, rencontrées » ? < * Nina Kehayan, Tauba, juive deBessarabie à Paris. Ma mère courage, Éd. Le Bord de l’eau, Lormont, 181 p., 17 €

“Tauba, juive de Bessarabie à Paris”* lu par Jeanne Lafon Galili

NDLR Faute d’espace, nous n’avons pu placer ci-dessus l’article intégral. Celui-ci est consultable sur le site de l’UJRE (page PRESSE NOUVELLE) en cliquant sur le BONUS du n° 337

Falk Richter, auteur et metteur enscène, artiste associé au théâtre ber-

linois de la Schaubühne, et StanislasNordey, acteur et metteur en scène, tousdeux ayant une sensibilité sociale, par-tent de la figure autofictionnelle deFassbinder pour élaborer leur spectacle.Un spectacle fort que l’on retiendraparce qu’il traite de questions crucialessur un plateau multispatial, en partant dela figure transgressive et undergroundde Rainer Werner Fassbinder et de sonfilm dont il est donné quelques extraits,remake 2016, L’Allemagne enAutomne. Les comédiens sont magni-fiques d’instants de vérité, puissants,charnels. Une diction appuyée et soustension qui s’empare des questionne-ments et nous projette du passé au pré-sent, et jusque dans le futur inquiétant.On ne peut pas en ressortir intact.Mille neuf cent soixante-dix-sept,l’Allemagne confrontée au terrorisme età l’état d’urgence, puis Cologne, puis la

France, l’Europe, 2015, 2016, en écho :terrorisme, état d’urgence, une Europeen pleine confusion qui s’arcboute sur lapeur qui engendre la haine, le fascisme,qu’on croyait enfoui, ressurgissant, leracisme, l’homophobie, l’image de lafemme, le christianisme “idéalisé”.La pièce s’empare de la fin du film deFassbinder dans laquelle la mère deFassbinder, qui représente tous lesAllemands, dit que la démocratie est unmal et qu’il faudrait l’arrivée d’un gen-til fasciste, « une sorte de dirigeantautoritaire tout à fait bon et gentil quiserait quelqu’un de bien ». Ce désir quiest en train « d’infester tout un conti-nent » avec l’espoir que ce gentil fas-ciste « va régler tous les problèmes,débarrasser des étrangers, des réfugiés,des musulmans », tout cela sans bain desang cette fois-ci. Qu’est-ce qu’elle estl’Europe ? « Guerres, Vatican, colonia-lisme, Vichy-Pétain, camps de concen-tration, haute culture… ». Et l’artiste

dans tout çà, que peut-il dire, faireaujourd’hui? L’autocensure? « Juste s’ycoller », « commencer par ses propresbribes de pensées ». Pas si mal. C’est l’une des pièces qui exprime lemieux les contradictions et les dangersde notre monde. C’est la pièce parexcellence qui nous éclaire sur la formed’engagement ou de non engagementactuel des artistes.Que pèse l’art ? Peut-il détruire lasociété ? Question lancinante que posaitFassbinder, qui lui valu interrogatoire etpressions. Cette pièce de théâtre est en tout pointremarquable et profondément néces-saire. Je suis Fassbinder appuie là où çàfait mal et son actualité reste omnipré-sente, fascinante, terriblement inquié-tante. Pas étonnant qu’un spectateur aiteu le besoin de s’exprimer après le spec-tacle : « j’ai la boule au ventre ». <

* Vu au théâtre de la Colline Paris 20°

Je suis Fassbinder de Falk RichterCe spectacle, d’une grande force et acuité, interroge de façon brûlante une Europe traversée par ses démons et ses contradictions ainsi que la place de l’art et de l’artiste.

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Il y a cent ans, le 13 mai 1916,Sholem Aleichem s’éteignait à NewYork, à l’âge de 57 ans. Plus de

100 000 personnes se pressèrent à sesobsèques. « Que mon nom ne soit asso-cié qu’avec des rires ou ne soit pas célé-bré du tout », indiquait-il dans son testa-ment. Il ne pouvait prévoir que les shte-telech dont il comptait malicieusementles histoires seraient rayés des cartesvingt-cinq ans plus tard ni que le yid-dish, « son » yiddish, parlé par quelqueshuit millions de locuteurs à l’époqueserait étouffé sous les cendres.Pour lui rendre hommage, nous avonschoisi de reproduire la préface deCharles Dobzynski à Tévié le laitier,publié en 1991 aux Éditions Messidorque nous avions déjà reproduite dansnos colonnes en 2009. Notre amiCharles Dobzynski nous a quitté en2014. Triple hommage donc dans cettelivraison : à Sholem Aleichem, àCharles Dobzynski et …au yiddish,notre mame loshen (langue maternelle).Contemporain des classiques de la litté-rature yiddish, Mendele MoykherSforim (1836-1917) et Yitskhok-Leyb

Peretz (1852-1915), qui disparaissentpresque en même temps que lui,Sholem Naumovich Rabinovich est néle 2 mars 1859 à Pereïaslav dans larégion de Poltava à l’est de Kiev, dans laRussie impériale aujourd’hui enUkraine. C’est à partir de 1883 qu’ilécrit en yiddish, abandonnant le russe etl’hébreu. Les sources de son œuvre sontde trois ordres : social – le monde despetites gens du shtetl - ; la tradition -Toyre en yiddish qui signifie aussi - תורהThora ; culturel – la littérature yiddishexistante mais aussi la tradition littérairerusse, notamment celle du conte(skazka).On oppose souvent le hassidisme, mys-tique des shtetelech, aux Lumières de laHaskala des métropoles du Nord –Berlin, Varsovie, Wilno et même Saint-Pétersbourg – méprisante à l’égard dupetit peuple. Le mysticisme contre laraison ? Pas chez Sholem Aleichem. Ilsconvergent : « Et je suis resté seul, et jeme suis pensé : “Seigneur, Maître dumonde, comme tu conduis le mondeavec intelligence ! Voilà que tu as crééun Tèvié, et voilà que tu as créé un che-

val : et ils ont, les deux, un même sortsur le monde. La seule différence, c’estque l’homme a une bouche pour dire samisère, et que le cheval, sa langue estmuette ; comme c’est écrit chez nousdans le possuq* : «Oumôssar hoodommin habeheime ?» ; l’homme, qu’est-cequ’il a de plus que la bête ? Rien, cartout est vanité !” » [Tevïé der milkhiker].L’imaginaire de l’écrivain en fait unpeintre et un klezmer. Écoutez : « lshhaya bi-zlodiouvki. - Il était une fois unhomme, c’était à Zlodéevké, bourgadede la région de Mazépevké, non loin deHaplapovitch et de Kozodoévké, entreYampéli et Stritch, sur la route qui mènepar Petchikhvost, de Pichi-Yabédé àTétrevetz et de là à Yehoupetz » [Der far-kishefter shnayder] 2. Et maintenant fer-mez les yeux : il y a là tout le petitmonde de Chagall : le colporteur et sonsac, le violoniste, la vieille femme, lachèvre, la vache et le cheval…Mais le rêve s’efface devant la dureréalité : « La vie est un rêve pour lesage, disait Sholem, un jeu pour le fou,une comédie pour le riche et une tragé-die pour le pauvre ».

Dans un entretien paru dans L’Humanité,le photographe Frédéric Brenner, auteurdes magnifiques volumes Diaspora, ter-res natales d’exil 3 nous disait : « Un peupartout, notamment aux États-Unis où jeréside une bonne partie de l’année, lagrande majorité des Juifs et des non Juifssait comment les Juifs sont morts, elle nesait pas comment ils vivent et ont vécu ».L’œuvre imaginaire de SholemAleichem tient, aujourd’hui, pour nous,d’une façon de reportage. Et, à traversTévié, par exemple, d’une leçond’espoir : « comme on lit chez nous dansla Thoïrè : Aussi longtemps que j’ai uneâme dans mon corps et un sang dansmes veines, un Yid ne doit pas perdre laconfiance ». < BF1. le possuq : verset2. Sholem Aleikhem, Le Tailleur ensorcelé etautres contes, traduit du yiddish par I. Pougatch et J. Gottfarstein, Paris, AlbinMichel, 1960, 272 p., 10,60 €3. Éd. de la Martinière, Paris, 2003, 480 p., 37 €

« Aussi longtemps que j’ai une âme et un sang dans mes veines… »

ANNIVERSAIRE

12 Presse Nouvelle Magazine n°337 - Juin 2016

Voilà un écrivain qui com-mence sa carrière littéraire dela façon la plus saugrenue du

monde. Il troque son patronyme,Sholem Rabinovitch, pour le nom deplume de Sholem Aleichem. Un telchangement n’aurait rien d’extraordi-naire en soi si, au lieu de distinguercelui qui l’opère, il n’avait eu pourobjectif de le banaliser, de l’identifieravec tout un chacun, de lui donnerprésence, en somme, au moyen del’anonymat (...). Sholem Aleichem choisit d’être Lapaix soit avec vous, cette formuleimmémoriale par laquelle les Juifs sesaluent en hébreu. Une coutume decivilité qui a son équivalent en languearabe avec Salam Aleikoum. Par cet autobaptême qui inclut unmessage de paix en même temps quel’usage des mots y désigne l’étincellede l’humour, par quoi s’effectue leurmise à feu, Sholem Aleichem ne s’af-fuble pas d’un masque. Il ne cherchepas, à tout prix, la popularité. Il seconfond avec le peuple. Il s’approprieson langage si fertile en inventionsspontanées. De ce langage, SholemAleichem se charge d’être à la fois letrésorier, l’archiviste et le transforma-teur. (...) La langue yiddish, au mitandu XIXe siècle, était encore considé-rée comme un jargon, amalgame d’al-lemand, d’hébreu, de termes slavesplus ou moins dégradés. Quant à sa

littérature, malgré l’ancienneté del’héritage (le Véni-tien Elie Leivita,au XVIe siècle,avait composé envers un roman dechevalerie, le BovoBukh), elle n’avaitpas encore trouvéun maître capablede la recréer, del’investir du rôled’interprète de toutun peuple, et de lahisser au niveaueuropéen. (...) Écrire en yiddish,en ce temps-là,était une gageure,une performance.D’ailleurs, avantde se risquer sur ceterrain peu balisé,Sholem s’essaya àla langue noble,l’hébreu. Mais sonsouci de communi-quer avec le plus grand nombre, et demettre à profit toutes les potentialitésde la langue maternelle, le mameloshn, le conduisit à adopter définiti-vement le yiddish comme moyend’expression. (...) Sholem baignait dans le quotidien desjuifs les plus humbles, les plus dému-nis, comme dans un bouillon d’au-

thentique culture, saturé par la singu-larité et la diver-sité des comporte-ments, l’inimita-ble saveur d’unlangage parléqu’il se gardera dereproduire pure-ment et simple-ment comme undécalque, maisdont il saura saisiret synthétiser l’es-sence même, cemélange compo-site de sagesse etde naïveté, cettemixture de locu-tions, si colorée etprolixe en méta-phores, emprun-tée à l’hébreu, aurusse, à l’ukrai-nien, refondue aucreuset de l’usagecommun et qui

deviendra lamatière même et le levain de l’ex-pression orale chez Tévié le laitier,par exemple. (...)

Pour Sholem Aleichem, le jeuconsiste à faire dialoguer le person-nage et l’auteur comme s’ils poursui-vaient, de chapitre en chapitre, uneconversation familière. Ce n’est pasl’écrivain – cantonné au rôle de

“faire-valoir”, qui démontre ici soninépuisable érudition, mais le person-nage qui, littéralement, parle commeun livre. Tévié, en effet, émaille sespropos d’une étincelante variété d’a-dages, de dictons, de proverbes, quisemblent à première vue des “psu-kim“, des versets du Pentateuque.Mais, le plus souvent, ce sont dessimilis, des simulés, une pratique,avant la lettre, du “mentir-vrai” quiserait un prêcher-faux. Ces pseudo-versets, remis en situa-tion, adaptés à l’improviste à telle outelle circonstance, c’est-à-dire sciem-ment défigurés, recomposés, mêlantallègrement l’hébreu, le yiddish, lerusse, l’ukrainien ou même le polo-nais, forment un prodigieux patch-work verbal, collage de langue pro-fane et de langue sacrée, de causticitéet d’astuce, de calembours et de coqsà l’âne qui ont fait la joie des lecteursyiddish à qui s’adressaient ces clinsd’yeux et ces crocs-en-jambe ausavoir académique et à la langue châ-tiée… De ces performances et de cesincongruités très calculées, l’écriturede Sholem Aleichem tire une grandepart de sa vertu satirique et de sonpouvoir de déflagration par l’hu-mour. < Charles Dobzynski Sholem Aleichem, Tévié le laitier, Ed.Messidor. Extraits de la préface reproduits dansla PNM n° 266 de mai 2009 avec l’aimableautorisation du traducteur, Charles Dobzynski.

Trésorier, archiviste, transformateur du yiddish

Sholem Aleikhem (2 mars 1859-13 mai 1916)

Il y a cent ans s’éteignait Sholem Aleichem