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TillieCole
Hors-la-loi
HadesHangmen–1
Traduitdel’anglais(Grande-Bretagne)parEmmanuelleCasse-Castric
MiladyRomance
Jedédiecelivreauxcourageusespersonnesquiontinspirécettehistoire.Puissent-ellestrouverenfinlebonheur
etfaireentendreleurvoix.
Notedel’auteure
Je voulais simplement revenir sur les raisons qui m’ont poussée à abordercertaineschosesdanscelivre.Durantmoncursusuniversitaire,j’aifaitdesétudescomparativesdereligion.Grâceàdes intervenantsouvertsd’esprit, souventconsidéréscommeexpertsdans leur domaine, j’ai eu la chance de rencontrer des gens d’horizons trèsdifférents,croyantàdiversesreligions.Durant ma dernière année d’université, une de mes spécialités était « lesnouveauxmouvementsreligieux,lescultesetlessectes».J’aieulachancederencontrer desmembresou anciensmembresde cesgroupes religieux et detravailleraveceux.Laplupartétaientheureuxde leurschoixdevie,d’autresnon. J’estime que 90 % des gens que j’ai interviewés faisaient partie de lapremièrecatégorie.Mais jen’oublierai jamais les témoignagespoignants, etmêmedérangeants,desautres.Malheureusement, parmi les membres sincères de certains mouvementsreligieuxsedissimulentquelquesraresopportunistes,ainsiquedes individusqui choisissent d’utiliser la religion et son influence sur les plus naïfs pourservirleursintérêts(parsoifdepouvoir,decontrôle,oupourdesmotifsbienplussordides).Hors-la-loi m’a été inspiré par les témoignages d’ex-membres de certainsmouvements religieux et par des leaders qui ont abusé du pouvoir qu’ilsdétenaientsurleursfidèles–etplusparticulièrementsurlesfemmes.L’héroïnedeceroman,Salomé,subitdesépreuvesinspiréespardesfaitsréelsquim’ontétéracontéspersonnellementpardessurvivants.Traiterdecesujetétaittrèsimportantpourmoi,carils’agitd’unepartiedelavie,del’humanité,quebeaucoupdegensignorent.Les victimes de ces groupesmenés par des opportunistes n’ont pas souventvoix au chapitre et je voulais donner la possibilité aux nombreuses femmesquej’airencontréesdesefaireentendre.Monromanestunefiction,maislevécudeSalomé,lesdoctrinesetpratiquesdécrites au sein de l’Ordre m’ont été inspirés par plusieurs femmescourageusesquiontbienvoulumeraconterleurhistoire.
Je crois fermement à la liberté des croyances et j’ai des amis de toutesconfessions.Laplupartdesnouveauxmouvementsreligieuxaveclesquelsj’aitravaillé étaient constitués d’individus bons et honnêtes, et ne méritent pasd’êtredépréciés.Mais ceque je trouve inacceptable, c’est quedespersonnesmalintentionnéesabusentdelaconfianceetdelagentillessedeceuxquisontvulnérables,pursetcroyants.Mercid’avoirprisletempsdelirecemessage,etbonnelecture!
Glossaire
Terminologiedel’OrdreOrdre : mouvement apocalyptique à la croyance basée sur une sélection detextes chrétiens. Ses membres croient fermement que la fin du monde estimminente et vivent à l’écart dumondedansune communautédirigéepar leprophèteDavid(quiseprétenddescendantduroiDavidetprophètedeDieu),lesaînésetlesdisciples.Leurmodedevieesttraditionneletsimple,basésurlapolygamie et des pratiques religieuses non orthodoxes. Ils pensent que le« monde du dehors » est ravagé par le mal et le péché, mais n’ont aucuncontactaveclespersonnesextérieuresàlasecte.Communauté : communauté recluse établie sur une propriété appartenant àl’Ordre et dirigée par le prophète David, encadrée par des disciples et desaînés solidement armés en cas d’attaque du monde extérieur. Hommes etfemmesviventdansdesquartiersséparés,etlesMauditessontàl’écartdetous(hormisdesaînés),dansleursappartementsprivés.Lazoneestentouréed’uneimmenseclôture.Aînés : quatre hommes (Gabriel, Moïse, Noé et Jacob) chargés del’organisationquotidiennedelacommunauté.IlssecondentleprophèteDavidetéduquentlesMaudites.Gardesdisciples : lesmembresdesexemasculinsontchargésdeprotégerleterritoire de la communauté et sesmembres, sous les ordres des aînés et duprophète.Échange sacrificiel : acte sexuel ritualisé entre un homme et une femme del’Ordre, qui est censé aider l’homme à se rapprocher progressivement duSeigneur, et qui donne lieu à des cérémonies collectives lors desquelles dessubstances narcotiques sont souvent utilisées pour accéder à une expériencetranscendante.Leplaisirest interditauxfemmesenguisedepunitionpour lepéchéorigineld’Èvedontellessontporteusesdès lanaissance. Ilestde leurdevoirdesœursdesesoumettreàcettepratique.Maudites : filles et femmes de l’Ordre que l’on juge trop belles, et parconséquent maléfiques, et qui doivent vivre à l’écart du reste de la
communauté.Tropséduisantes,lesMauditesrisquentdepousserleshommesàsedétournerdudroitchemin.Péché originel : la doctrine augustinienne soutient que les hommes naissentpécheursetcherchentpartouslesmoyensàdésobéiràDieu.Lepéchéoriginelrésulte de la désobéissance d’Adam et d’Ève lorsqu’ils ont mangé le fruitdéfendu dans le jardin d’Éden. Selon la doctrine de l’Ordre (créée par leprophète David), Ève est tenue pour responsable de cette faute, et parconséquentlessœursdel’Ordresontconsidéréescommedesséductrices-nées,destentatrices,etdoiventobéirauxhommes.
TerminologiedesHadesHangmenHadesHangmen:gangdebikershors-la-loifondéàAustinauTexasen1969.Hadès:seigneurdesEnfersdanslamythologiegrecque.Chapitremère:premièrebrancheduclub,surlelieufondateur.Vestesansmanches:vêtementencuirtypiquementportéparlesbikershors-la-loi,ornéd’écussonsetdebroderiesauxcouleursduclub.Prospect : nouvelle recrue qui doit faire ses preuves avant d’intégrerpleinementleclub.Église:réunionduclubréservéeauxmembresetdirigéeparsonprésident.Régulière : femme ayant le statut d’épouse d’un des membres du club, quiassuresaprotection.Cestatutestrespectéàlalettreauseinduclub.Chaudasse à motards : femme qui fréquente le bar des motards pours’adonneràdesactessexuelssanslendemain.Meuf:termeaffectueuxdésignantunefemmedanslaculturedesbikershors-la-loi.PartichezHadès:mortAlleràlarencontredupasseur:mourir,enréférenceàCharon,figuredelamythologiegrecquequifaisaitpassersursabarquelesâmesdéfuntesdanslemondedesEnfers.LeprixàpayerpourtraverserlesfleuvesStyxetAchéronet rejoindreHadès était symbolisé par des pièces placées sur les yeux ou labouchedudéfuntaumomentdesoninhumation.Ceuxquines’acquittaientpasdupéageétaientlaissésàeux-mêmes,condamnésàerrersurlesrivesduStyxpendantcentans.
StructurehiérarchiquedesHadesHangmenPrésident (Prés’) : leader du club, détenteur du marteau de réunion quisymbolisesonpouvoirabsoluetsertàmaintenir l’ordrelorsdel’Église.Ausein du club, la parole du président fait loi, même s’il est conseillé par lesmembreslesplusanciens.Personneneremetenquestionsesdécisions.Vice-président(VP) : bras droit du président, ilmet ses ordres à exécution.C’estluiquiassurelacommunicationaveclesautreschapitresetquiprendenchargelesresponsabilitésetdevoirsduprésidentensonabsence.RoadCaptain : responsabledes livraisonsetviréesduclub, il enétablit lestrajets.C’estundesplushautsresponsablesduclub,iln’obéitqu’auxordresduprésidentouduVP.Sergentd’armes :responsabledelasécuritéduclub,ilsurveilleetmaintientl’ordrelorsdesmanifestationsduclubetsignaletoutcomportementsuspectauprésidentetauvice-président.Ilassurelaprotectionduclub,desesmembresetdesesprospects.Trésorier:répertorielesentréesd’argentetlesdépensesduclub,ainsiquelesécussonsauxcouleursduclubquisontattribuésetrepris.Secrétaire : responsable des rapports et archives du club, il avertit lesmembresencasderéunionextraordinaire.Prospect:nouvellerecruedugangquin’apasencorefaitsespreuves,ilpartenlivraisonaveclesautresmembres,maisn’assistepasàlaréunionduclub.
Prologue
—Bougepasd’ici,River,compris?J’allumailaclimatisationducamionenacquiesçantetsignai:—«Compris.»Monpère claqua la portière coulissante côtépassager et s’éloigna avec le
prospectdanslesbois.Àeuxdeux,ilstransportaientlesacmortuairecontenantundesquatremacchabéesmexicains.J’attendis qu’ils aient disparu de ma vue pour bondir hors du camion.
L’herbesèchecrissasousmespiedslorsquej’atterrisausol.Je renversai la tête en arrière et inspirai profondément. J’adorais être
dehors,àl’arrièredelamotodemonpère,etsurtoutloindetouscesgensquivoulaientquejeparle.Enmedirigeantversleplateauducamion, jecassaiunemincebranchede
cèdreetmemisà fouetter les roseauxalentour,simplementpourm’occuper.Envoyer des macchabées au passeur pouvait prendre des heures (il fallaitcreuser, verser la chaux, recouvrir la fosse), je me dirigeai donc vers lesarbres,avecl’idéedechercherdesserpentsdanslesherbeshautes.Jenesaispascombiendetempsjemarchai,maissoudainenlevantlesyeux
jevisquejemetrouvaisenpleineforêt.Toutétaitcalmeetj’étaistotalementperdu.Merde.Lesordresdemonpaternel étaient onnepeut plus clairs. «Bouge
pas d’ici, River, compris ? » Bordel, il allait me tuer s’il devait venir mechercher. Les règles pour se débarrasser des macchabées étaient simples :creuser,benner,setirer.Enregardantautourdemoi,jerepéraiunendroitoùlesols’élevait,etjeme
dirigeai dans cette directionpour avoir unmeilleur point devue. Je tenais àretrouver mon chemin jusqu’au camion avant que mon père revienne et semetteenrogne.Jem’accrochaiautroncdesarbrespourgravirlafortepente.Enarrivantau
sommet, je frottai laboue séchéeet lesdébrisd’écorcequi avaient salimonjean.Quandilfutàpeuprèspropre,jelevailatête,etcequejedécouvrismefit froncer les sourcils. À environ trois cents mètres s’élevait une clôture
monstrueuse.J’étaisestomaqué:elleétaitplushauteetpluslonguequetouteslesclôturesquej’avaisvuesjusque-là.Avecsesbouclesdebarbelésenrouléesausommet,ellemefaisaitpenseràuneprison.Aucunsignedevieautourdemoi.Etau-delàdelaclôture,onnevoyaitquedelaforêt.Jemedemandaidequoiils’agissait.Nousétionsaubeaumilieudenullepart,àdeskilomètresdela périphérie d’Austin, au Texas. À des kilomètres de tout. Les gens nes’aventurentpassiloindelaville…etilsontraison.Monpaternelditquelecoinestplutôtmalfamé,c’estlemilieunatureldelamort,desdisparitions,dela violence et d’autres malheurs inexpliqués. Ça fait des années que c’estcommeça.Etc’estpourçaqu’ill’achoisicommedécharge.Ayant complètement oublié mon intention de retrouver mon chemin, je
m’avançaià travers leshautesherbesendirectionde laclôture,habitéd’uneexcitation étrange : j’adorais aller à la rencontre de l’inconnu. Mais jesursautai soudain quand un détail de l’autre côté de la clôture attira monattention.Ilyavaitquelqu’un.Jem’immobilisaietmeconcentraisurlamincesilhouette:c’étaitunefille
pas trèsgrandevêtued’une longue robegrise, les cheveuxbizarrement tirésversl’arrièredelatête.Ellesemblaitavoiràpeuprèsmonâge.Peut-êtreunpeumoins.Lecœurbattant,jem’avançaiàpasprudents.Elleétaitrecroquevilléeentre
les racines d’un grand arbre et son corps frêle semblait noyé dans le tissusombredesarobe.Sesépaulestressautaientaurythmedesespleursettoutsoncorpsétaitsecouépardessanglotssilencieux.Jememisàgenouxetpassailesdoigtsàtraverslegrillage.Jel’observai.
J’auraisvoululuidirequelquechose,mais jeneparlaisqu’àKyleretàmonpaternel–c’étaitcommeça, jen’ypouvais rien.Etmêmeàeux, jenedisaispasgrand-chose.Fermant les yeux, je me concentrai pour essayer de desserrer ma gorge,
luttant pour libérer ma parole qui ne voulait jamais sortir. Batailleéternellementrecommencée,etquejeremportaisrarement.J’ouvris laboucheenm’efforçantdedétendre lesmusclesdemonvisage.
C’est alors que la fille s’immobilisa, le regard braqué sur moi. Je reculaiprécipitammentetmesdoigtsglissèrenthorsdelaclôture.Sesimmensesyeuxbleus étaient ourlés de marques rouges. Elle leva unemainminuscule pouressuyer ses joues mouillées. Sa lèvre inférieure tremblait et sa poitrine sesoulevaitrapidement.
Delàoùjemetenaismaintenant,jepouvaisvoirqu’elleavaitdescheveuxnoirdejaisetunteinttrèspâle.Jen’avaisjamaisvuunefillecommeelle.Bon,c’est vrai que je ne connaissais pas beaucoup d’enfants demon âge – nousn’étions pas nombreux au club. Il y avait Kyler, bien sûr, mais c’était monmeilleurami,monfrèreduclub.Toutàcoup,lafillesemitàpaniquer,elleblêmit,selevaettournalatêteen
direction de la forêt. Son mouvement me fit revenir contre la clôture et lemétalgrinçaàmoncontact.Elles’immobilisaetm’observaenagrippantunebranche.—«Quies-tu?»signai-jetrèsvite.Elle déglutit, visiblement nerveuse, et inclina la tête. Prudemment, elle
s’avança en silence. La curiosité se lisait sur son visage. Elle regardaitmesmainsquisignaientenfronçantsessourcilsnoirs.Plus elle approchait, plus mon souffle se faisait court et une troublante
chaleurgagnait toutmoncorps.Ses cheveuxétaient ramassés enunchignonserré à l’arrière de la tête, et couverts d’un étrange tissu blanc. Jamais jen’avais vu quelqu’un accoutré de la sorte. Elle avait une allure vraimentétrange.Lorsqu’elle s’arrêta à environdeuxmètresdemoi, je pris une inspiration
rapide,lesmusclesduventrecontractés,etsignaidenouveau:—«Quies-tu?»Sansrépondre,ellemeregardad’unairvide.Etmerde!Ellenecomprenait
paslalanguedessignes.Commebeaucoupdemonde.J’entendaisparfaitementbien,maisj’étaisincapabledeparler.KyleretP’paétaientlesseulespersonnesquipouvaientmeservird’interprètes,maislà,j’étaistoutseul.Jeprisunegrandeinspiration,déglutisettentaidedétendremonlarynx.Les
yeuxfermés,jepréparaimentalementcequejevoulaisdire,puis,surunelenteexpirationcontrôlée,fisdemonmieuxpourparler.—Q-q-quies-es-t-t-tu?Lesyeuxécarquillés, je retombai surmes fesses, sous le choc : jen’avais
encore jamaispu faireça,parleràune inconnue !Mesmainsen tremblaientd’excitation.Jepouvaisparleràcettefille!Jepouvais luiparler…C’était latroisièmepersonneavecquic’étaitpossible.Gagnée par la curiosité, la fille s’approcha encore plus près. Elle n’était
qu’àquelquespas, et elle s’accroupit lentement sur le sol, la tête sur lecôté,m’observantavecuneexpressionétrange.Sesgrandsyeuxbleusnemequittaientplus.Ellem’examina lentementdes
pieds à la tête, plusieurs fois. Jeme représentai ce qu’elle devait voir :mescheveuxsombresetébouriffés,mon tee-shirtetmon jeannoirs,mes lourdesbottesnoires,etlesmanchettesencuiràmespoignetsarborantl’écussondesHangmen.Lorsqu’elle croisa à nouveau mon regard, il me sembla que ses lèvres
dessinaientunesortedelégersourire.Dudoigt, jeluifissignedevenirplusprès. Aussitôt elle se mit à jeter des coups d’œil inquiets autour d’elle.Constatant que nous étions seuls, elle se leva lentement et approcha toutdoucement.Lebasdesalonguerobetraînaitsurlesolboueux.Maintenantqu’elleétaitdevantmoi, j’étaisfrappéparsapetitestature.Moi
j’étaisgrand,etelledevaitpencherlatêteenarrièrepourmeregarder.Jemeplaquai contre la clôture, l’estomacnoué.Elle semblait épuisée etplissait unpeulecoindesyeux,commesielleavaitmal.Voyantqu’ellen’étaitpasbien,jedésignailesol,suggérantdenousasseoir.
Ellehochalatêteenbaissantlesyeuxetsemitpéniblementàgenoux.Elle n’émettait pas le moindre son. Espérant qu’un nouveau miracle se
produirait,j’inspiraiprofondémentpuisexpirailentement.—Qu-qu-quelestc-c-cetend-end-endroit?T-t-tuv-v-vis i-i-ici?bégayai-
je,enfaisantquelquespausespourréfléchirauxmotsquej’avaistantdemalàprononcer.Jefussaisid’unevagued’excitation:denouveau,j’avaisparlé!Elle était concentrée sur ma bouche, mais ne disait toujours rien. Ses
sourcilsnoirsétaientfroncésetseslèvresrosesdessinaientunemoueattentive.Jeme doutais qu’elle se demandait pourquoi je parlais bizarrement, commetoutlemonde.Ellesedemandaitpourquoijebégayais.Jen’ensavaisrien.Çaavaittoujoursétécommeça.J’avaisrenoncéàréglerleproblèmedepuisdesannées.Maintenantjeparlaisaveclesmains.Jen’aimaispasqu’onsefoutedemoiàcausedubégaiement.Maiselleneriaitpas,pasdu tout.Elleparaissaitsimplementdéroutée.Enbaissantleregard,gêné,jeremarquaiquesesdoigtsétaienttoutproches
delaclôture,àquelquescentimètresdesmiens.Sansréfléchir,jetendislamainetfrôlaisesphalanges.Jevoulaisjustelatoucher,pourm’assurerqu’elleétaitréelle.Sapeauavaitl’airsidouce…Avec une exclamation étouffée, elle retira la main comme si elle s’était
brûléeetreplialebrascontresapoitrine.— J-je n-n-ne te f-ferai au-aucun m-m-mal, m’empressai-je de coasser,
alarméparlaterreurquejelisaissursonvisage.
Sonvisageenformedecœur.Jenevoulaispasqu’elleaitpeurdemoi.Monpèrem’avait dit que les gensdevaient avoir peur demoi, seméfier demoi,pourmapropresécurité.Dansmonunivers,jesavaisquelalanguedessignesétaitconsidéréecommeunefaiblesse,etc’estpourçaqu’ilm’avaitconseillédem’endurciretd’utilisermespoingsàlaplacedesmots.Maintenantonmeconsidéraitsimplementcommedangereux.CommedisaitKyler,j’étaisnépourinspirerlacrainte:j’étaisleMuetdesHangmen.Maisencetinstant,j’auraisvolontiersabandonnémaréputationpoursavoir
parlernormalement.Jenevoulaispasqu’elleaitpeurdemoi.Paslafilleauxyeuxbleus.J’étaisdansunétatsecond,hypnotiséparsesyeuxdeloup.Onauraitditun
fantôme–non,unedéesse!CommesurlespeinturesmuralesduQG.CommePerséphone,lafemmedeHadès,ledieudesEnfersquelesHangmenportaientsurleurécusson.D’ungestevif, la fille approcha samain tremblantede la clôture.Elleme
fixait intensément, de ses yeux aux blancs brillants et aux iris pailletés bleuglacier.Jeme tenaisbien immobile.La filleétaitcommeun lapinpaniquéet jene
voulaispasl’effaroucher.Jen’avaisjamaisvuquelqu’uncommeelle.J’avaislesmainsmoitesetlecœurbattant.Ellepromenaundoigtnerveuxlelongdemamainetuneteinteroseapparut
sursesjoues.J’avaisdumalàrespireretlesbattementsdésordonnésdemoncœurm’empêchaientdemeconcentrer.Jepliai l’index, retenant délicatement sondoigt, et appuyai le front contre
lesmaillesenferglacé.Lafillecrispaunpeuseslèvreslégèrementécartéesetremualeboutdeson
nez.Jem’arrêtaisimplementderespirer.Elleétaitbelle.—V-viensp-p-plusp-p-près,murmurai-je,presquesuppliant.Sonnezbougeadenouveauetjesouris.— T-tu es t-tellement b-belle, laissai-je échapper, avant de me mordre la
lèvreinférieure.Jeserrailespoings,deplusenplusagacéparmondéfautd’élocution.Elle
secoualatête.Jeréalisaialorsqu’ellemecomprenait.J’avaistellementenviequ’ellemeparleàsontour!—Pou-pourquoies-t-tuicit-t-toutes-seule?Elle semit à trembler et écarquilla les yeux, si bien que le blanc donnait
l’impressiondevouloir engloutir ses irisbleus.Elle semblait sidéroutée. Je
medemandaiscequiavaitbienpularendreainsi.Jevoulaisqu’ellesesentemieux,quesonexpressionpassedelatristesseàlajoie.Jenesavaiscommentfaire.Soudain jesongeaiauxautresHangmenetà la façondont ilss’occupaient
desmeufs du club.Avant de comprendre ce qui se passait, jeme penchai etappuyai mes lèvres contre sa bouche, à travers les maillons exigus de laclôture.Seslèvresétaientsidouces.Je ne savais pas comment faire, alors, sans bouger, je laissai mes lèvres
colléesauxsiennes.J’entrouvrislesyeux:sespaupièresdemeuraientfermées.J’abaissai aussitôt mes paupières en souhaitant que ce moment se prolongeindéfiniment.Jelevailamainpourluicaresserlevisage,maisellereculaenprenantune
brusque inspiration.Elle semit à se frotter la bouche avec lesmains, et desruisseauxdelarmescascadèrentsursesjoues.Pétrifiéparlapeur,jebégayai:—J-j-j-jes-s-s-suisd-d-dé-dé-s-s…J’abandonnai et posaimamain sur la clôture,maudissant Dieu de ne pas
pouvoir parler normalement. Puis je pris une grande inspiration, fermai lesyeuxetretentaimachance.—J-jes-s-suisd-dé-solé.Dé-désolé.J-jen-nev-v-voulaisp-pastefairep-p-
peur,parvins-jeenfinàdire.Elle retourna se blottir contre l’arbre. Elle flottait dans son ample robe
grise.Ellejoignitlesmainsetsemitàarticulerquelquechoseàvoixbasse.Onaurait dit une prière. Je tendis l’oreille tandis qu’elle se balançait d’avant enarrière,toujoursenpleurs.—«Pardonnez-moiSeigneur,carj’aipéché.Faitesdemoicequebonvous
semble. Pardonnez-moi, Seigneur, car j’ai péché. J’ai été faible et je doisexpier.»—P-p-parle-m-m-moi.Ç-ç-çava?Jehaussai lavoixetagitai laclôture,cherchantunmoyende la rejoindre.
Sanssavoirpourquoi, je ressentais lebesoinde laprendredansmesbras.Jesavaisquejedevaisfaireensortequ’ellesesentemieux.Elleétaitsitriste,sieffrayée…Çamerévoltait.Lafilles’immobilisaetsetutpourmeregarderdenouveau.—River!Maisoùt’espassé,bonsang?!Lavoixrauquedemonpèrequim’appelaitàtraverslaforêtmetiradecette
transe.Jemeprislatêteentrelesmains.Non!Pasmaintenant!Collécontrelaclôture,jeluidemandaisanslaquitterdesyeux:—D-d-donne-moit-tonn-n-nom.J’étaisdésespéré.Enjetantuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,jevismon
pèreavanceràgrandspasàlalisièredelaforêt,àmarecherche.—S-Steu-p-plaît…tonn-n-nom…Lafillesebalançadeplusbelle,seslèvrespâlesrécitantuneprière.—River!Jetedonnecinqsecondespourteramener!Mefaispasrépéter!—Unn-nomJet-t’ensu-supplie!Elles’immobilisa,levalesyeuxversmoi–non,elleregardaitàtraversmoi.
Sesyeuxbleusétaientétrangementdilatés.Ellemurmura:—Monnomestpéché.Nousportonstouteslesceaudupéché.Elle s’étrangla sur la fin de sa phrase, émettant un couinement apeuré en
entendantmon père beugler au pied de la colline. Elle se jeta dans un grosbuissonets’éloignaàquatrepattes, laissantéchapperuncriquisemblaitêtrededouleur.—Non!Net’envapas!criai-jedanssondos.Maistroptard,elleétaitpartie.Jem’éloignaidelaclôtureavecl’imagede
sa robe grise disparaissant dans les profondeurs de la forêt. La sensationécrasantedevidequis’emparaalorsdemoimanquademefaire tomber, lesjambescoupées.Puisj’écarquillailesyeuxenmetouchantleslèvres:pourlapremièrefoisdemavie,j’avaisréussiàprononcerunephrasedistinctementetsansbégayer.—River!!!Jeprismesjambesàmoncoupourdévalerlacolline.—RIVER!!Jetraversailesherbeshautesenlevantlesgenoux,courantversmavie,mon
père,notreclubdebikers,sanssavoirsiunjourilmeseraitdonnéderevoirPéché…Lafilleauxyeuxdeloup.
Chapitrepremier
Salomé
Quinzeansplustard…
Cours,net’arrêtepas…Je forçai mes jambes fatiguées à aller de l’avant. Mes muscles étaient
douloureux comme si on leur avait injecté du venin, et mes pieds nus quimartelaientlesolduretfroiddelaforêtétaientcomplètementengourdis,maisjen’abandonneraispas.Jenepouvaispasabandonner.Respire,cours,net’arrêtepas…Je scrutais la forêt assombrie, guettant l’apparition de disciples. Je n’en
voyais pas pour l’instant, mais ce n’était qu’une question de temps. Ilsremarqueraientvitemonabsence. Jenepouvaispas rester, jenepouvaispasme résoudre à accomplir le devoir qui m’avait été attribué et assouvir lesbesoinsduprophète.Pasaprèscequis’étaitpassécesoir.Marespirationhaletantemebrûlaitlespoumonsetmapoitrinesesoulevait
rapidement.Surmonteladouleur.Cours,net’arrêtepas.Alors que je dépassais la troisième tour de guet sansme faire repérer, je
m’autorisaiunbrefinstantdejoie.Laclôturen’étaitplustrèsloin.Jepouvaisespérerréussirmonévasion.C’estalorsquelasirèned’alarmeretentit.Jem’arrêtaibrutalement.Ilssontaucourant.Ilssontàmarecherche.Je forçai mes jambes à courir de plus belle tandis que des épines et des
brindilles acérées m’entraient dans la plante des pieds. Serrant les dents, jem’encourageai mentalement : Ignore la douleur. Ignore la douleur. Pense àelle.Ilsnedevaientpasmetrouver.Jenepouvaispas les laissermetrouver.Je
connaissaislarègle.Nejamaispartir.Nejamaistenterdefuir.Etj’étaisenfuite.Etbiendécidéeàfuirleurperversitéunebonnefoispour
toutes.
Enapercevant leshautspiquetsde laclôture,mesbrassebalancèrentavecun regaind’énergieafinde franchir lesderniersmètres. Jepercutai lemétalrigidedepleinfouetetlespiquetsgrincèrentsouslechoc.Frénétiquement,jecherchaiuntrou.Riendutout.Non!Pitié!Jecourusdepiquetenpiquet:pasd’interstice,pasdetrou…pasd’espoir.Paniquée,jemelaissaitomberausol,grattantlaterresèchepourcreuserun
tunnel,pourgagnerlaliberté.Mesdoigtsgriffaientlabouedurcie,mesonglescassaient,mapeausedéchiraitetlesangcoulait,maisjeneménageaispasmeseffortspourautant.Ilfallaitabsolumentquejetrouvelemoyendesortir.Plutôtmourirqueresterlà.Depuiscombiendetempssuis-jepartie?Sont-ilstoutprès?Millequestions
tourbillonnaientdansmonesprit,maisjecreusaissansrelâche.C’estalorsquej’entendisleschiensquiapprochaient:leschiensdegardede
l’Ordre, dans toute leur fureur vicieuse, baveuse, bruyante et dangereuse. Jememisàcreuseravecl’énergiedudésespoir.Lesdisciples en faction étaient armésdegrospistolets semi-automatiques.
Ilsdéfendaientleterritoirecommedeslions.Ilsétaientbrutauxetnelaissaientjamaiss’échapperleurproie.J’allaismefairecapturer,etpunir.Commeelle.Jeseraistorturéepouravoirdésobéi.Commeelle.Les aboiements se faisaient plus proches. J’entendais les halètements des
chiens et leurs jappements effrayants. Je ravalai le cri de terreur qui voulaits’échapper de ma gorge et continuai à creuser, à dégager la terre – pourgagnermaliberté.J’avaistellementenvied’êtrelibre…Enfin.Je m’immobilisai en entendant un brouhaha. Des ordres secs. Des armes
qu’on chargeait, le claquement sec des crans de sûreté et le bruit sourd desbottesquiserapprochaitdeplusenplus.Ilsétaientbeaucouptropproches.Jefailliscrierdepeuretdefrustrationenvoyantqueletrousouslaclôture
ne semblait pas encore assez grandpourme laisser passer.Mais je devais yaller.Jen’avaispaslechoix.Jedevaisessayer.Jenepouvaispassupportercetenferunseuljourdeplus.Latêtelapremière,jemeglissaidansl’étroitpassagesouslegrillage,ma
poitrine frottant le sol fraîchement creusé. Le grillage acéré me lacéra une
épaule,maisjem’enfichais.Unecicatricedeplusoudemoins…Utilisant mes mains comme des griffes, je me tirai vers l’avant. Je les
entendais clairementmaintenant.Le timbre clair des frères et les aboiementsacharnés des chiens assoiffés de sang, sciemment affamés afin qu’ils soientplusdangereux.— Elle va chercher une brèche, un endroit où la clôture est abîmée. La
deuxièmeéquipevasécuriserlazoneautourdelaportenord.Nous,onvaversle sud.Quoi qu’il en soit, onDOITLATROUVER !Le prophète attirera lacolèreduTout-Puissantsurnoustoussionlaperd!Ravalant un cri de terreur, je poussai et me tortillai de mon mieux pour
sortir. Je pédalais dans la boue séchée, agitant les jambes. Ma peau étaitcouverte de profondes entailles.Ma robe blanche, prise dans les piques desbarbelés,commençaitàsedéchirer.Impuissante,jevoyaismonsangabreuverlesolsec.Non!J’enauraiscriédefrustration.Leschiensallaientsentirmonsang!Ils
étaientdresséspourça.Jeforçaiunedernièrefois,etmoncorpsfranchitlaclôture,ilnerestaitplus
quemesjambes;jepassaisurledoset,lestalonsplantésdanslesol,m’arc-boutaipouratteindrelaliberté.Unevaguedejoiepuredéferlaenmoilorsquejecomprisquej’étaispresquelibre.Maisjedéchantaivite:ungroschiennoirsurgitdederrièreun taillis. Jemeconcentraisurunarbreà l’extérieurde laclôture(lebutàatteindre)etmepropulsaienavant.C’estalorsqu’unedouleurfulgurante traversama jambe gauche. Des dents acérées comme des rasoirsm’entrèrentdanslachair.Enmeretournant,jedécouvrisqu’unchiendegardeaux muscles puissants me tenait le mollet gauche. Il secouait la tête engrondant,déchirantmapeaufragileetmesmuscles.Ladouleurétaitintense,violente;jedusluttercontrelanauséequimontait.
Plaquantlesmainssurlesol,jeprisappuisurunegrossepierre.Puis,ravalantun hurlement qui menaçait de s’échapper de mes lèvres, je tirai ma jambeblesséeendirectiondemonbut.Lechienessayadepassersagrossetêtesouslaclôture,toutenserrantlamâchoiresurmajambe.Ilsecouaitlatêtecommes’iljouaitavecunbâton.Avecl’énergiedudésespoir,jepassaialorsàl’attaque.Lapierrequej’avais
agrippéesedétachadusoletj’enfrappailatêteduchien,encoreetencore.Sescrocs se couvraient d’écume rose, et ses yeux noirsmaléfiques brillaient decolère.Les disciples affamaient leurs chiens pour les rendre plus féroces, et les
forçaient à se battre entre eux pour les maintenir dans un état de colèreperpétuelle.Ilssedisaientqueplusleschiensétaientfurieux,plusilsseraientvicieuxpourtraquerlesdéserteurs.Jeprisunegrande inspirationpar lenez,m’efforçantde resterconcentrée
surmonbut:ilfallaitjustequejeluifasselâcherprise.S’ildesserraitunpeulesdents,jeseraiscapablededégagermajambeblessée.Enfin,lemiracleseproduisit.J’assenaiunderniercoupfracassantsurlecrânedel’animal,quireculaen
secouant sa tête blessée. Je fis passerma jambe par l’étroit passage sous laclôture tandis que ma respiration se faisait irrégulière, à mesure que moncorpsréagissaitautraumatisme.Alors que je me traînais péniblement à l’écart de la clôture, une pensée
amuséemetraversal’esprit:j’avaisréussi.Libre!Le chien, encore un peu groggy, mais déjà remis du choc, se jeta sur la
brècheenclaquantdesdents–celasuffitàmefairereprendremesesprits.Jeremplis rapidement le trouavecde laboue,puisessayaidemerelever,maisc’étaitplusquecequema jambegauchepouvait supporter, et elle sedérobasousmonpoids.Intérieurement, jem’insurgeai:Non,pasmaintenant!Pitié,Seigneur,donnez-moilaforcedecontinuer!—Parici!Elleestlà!Undisciple,toutdenoirvêtu,émergeaàtraverslefeuillageetposasurmoi
un regard furieux. Il retira sa cagoule et mon cœur se serra. Cette longuecicatricesurlajoueétaitreconnaissableentremille.Gabriel,levisageàdemicaché par une grosse barbe brune comme en portaient tous les disciples del’Ordre,étaitlebrasdroitduprophèteDavid.C’étaitceluiquenouscraignionsleplus,leresponsableducrimeatrocedecesoir.C’étaitàcausedeluiquejel’avaisperdue…Ils’avançaensecouantlatêteavecunbruitdedésapprobationets’accroupit
poursemettreàhauteurdemonregard.—Salomé,petitesotte.Tun’astoutdemêmepascruquetupouvaispartir
commeça?Unsouriremauvaissedessinalentementsursonvisageetilsepenchavers
labarrièremétallique.—Reviensetaffrontetapunition.Tuaspéché…gravement.(Ilémitunrire
condescendantetlesautresdisciplesl’imitèrent.Toutmoncorpssecouvritdechairdepouletantilmerépugnait.)Çadoitêtredefamille.Je m’efforçai de ne pas prêter attention à ses sarcasmes et étudiai
discrètement les alentours, cherchant une échappatoire. Soudain Gabriel seredressaenplissantlesyeux.—N’ysongemêmepas.Situt’enfuis,nousteretrouverons.Taplaceestici,
auxcôtésduprophète,avectonpeuple.Ilt’attenddevantl’auteletaprèscequis’estpasséaujourd’hui, ilahâtedeconclure lacérémonie.Iln’yarienpourtoiau-delàdecetteclôture.Rienquelepéché,lesfauxespoirsetlamort.Jemetraînaijusqu’àl’arbrequej’avaisprispourbut,etutilisaisonécorce
rugueusepourmeredresser.J’essayaidetoutesmesforcesdefairebarrageàses paroles, mais mon équilibre était incertain. De nouveaux disciplesapparaissaiententrelesbuissonsépaisetmeregardaientvaciller.Ilspointaientleursarmesmassivesversmatête,visantaveclaplusgrandeprécision.Ils ne pouvaient pas tirer. Ils ne tireraient pas. Le prophète David
n’accepteraitpasunetelleissue.Jesavaisquejedétenaisuncertainpouvoirencet instant. Mais même si je parvenais à m’enfuir aujourd’hui, ils necesseraientjamaisdemetraquer.Ilspensaienttousquej’étaisindispensableàleur destin. Je baissai les yeux vers le tatouage à mon poignet, frottail’inscription et relus la référence qui avait été tatouée de force surma peaulorsquej’étaisenfant.Moijenecroyaisplusàl’Ordre.Sicelafaisaitdemoiunepécheresse,j’étaisheureused’êtredéchue.Sans prêter attention au tremblement de mes mains, je me penchai pour
déchirerunelonguebandedetissudanslebasdemarobe,etj’enfisungarrotpourstopperl’hémorragie.—Salomé.Réfléchis bien.Ton insoumission se répercutera sur toutes les
autres filles, elles seront sévèrement punies par ta faute. Tu ne veux tout demême pas leur faire ça ? Pas à Dalila et Madeleine. Leur causer dessouffrancesparcequetoituasétéfaibleetascédéàlatentation?Le ton calme deGabrielme glaça le cœur.Mes sœurs. Je les aimais tant.
Plus que tout. Mais je devais le faire quand même. Je ne pouvais pas yretourner. Pasmaintenant. J’avais eu le déclic dont j’avais besoin pour faireenfinlepas–pourfuir.Jesavaisquelavieneseréduisaitpasàcetteexistenceaveceux.Je jetai un dernier regard à la seule famille que j’avais jamais eue puis
tournai les talons et m’enfuis dans les profondeurs boueuses de la forêt entraînantlajambe.Cours,net’arrêtepas…—Qu’ellebrûle en enfer ! hurlaGabrield’unevoix aiguë.Sortez !Allez
auxportesetdispersez-vous.NELAPERDEZPAS!
Ilsétaientdéjàenmarche.Lesportesn’étaientpasbienloin,maisassezpourmedonneruneprécieuseavance.J’avaisjustebesoind’unpeudetemps.M’enfonçant plus avant dans la forêt, je me forçai à presser le pas. Je
poussaismoncorpsdanssesderniersretranchements,j’étaisàboutdeforces,mais galvanisée par la prière. Je ne criais pas, je n’émettais pas lemoindreson, pasmême lorsque je heurtais des branches basses quime lacéraient levisage,nilorsquelesbuissonsmefouettaienttoutlecorps.Jesavaisquejeperdaisbeaucoupdesang.Malgréladouleur,jecontinuais.
J’avais beau être couverte de bleus et de blessures, je savais que ce quemeréservaitl’Ordreétaitbienpire.Les arbres défilaient et les ténèbres se refermaient sur moi. Les heures
passaient.J’évitaislesserpentsetautresbestioles,maisjenem’arrêtaispas.Lalunesemitàbrillerdans lecielàmesureque la lumièredu jourbaissait, etmes forces avec elle. Le sang ruisselait en un flot continu surma jambe. Jerefis mon bandage avec un autre lambeau de tissu sale.Mais le fait le plusnotable était que les disciples ne m’avaient pas retrouvée. J’étais épuisée.Malgrétout,jemeforçaisàcontinuer.Enfin,alorsquej’avaisatteintleslimitesdemescapacitésphysiquesetque
j’étais sur le point de perdre espoir, je vis une route. Revigorée par cettedécouverte, je descendis une forte pente en trébuchant et atterris brutalementsurlecimentcaillouteuxd’untrottoirbosselé.Ilsnem’ontpas rattrapée.Maconscienceme félicitad’avoir échappéaux
disciples.Maisjenepouvaispasbaisserlagarde.Jamais.Jeneseraispaslibretantquejeneseraispasloin,trèsloindecetendroit.Jememisàlongerlarouteenboitant.Elleétaitdéserte.Lesstridulationsdes
criquets et les ululements des chouettes étaient les seuls sons troublantl’obscurité.Jenesavaispasoùjemetrouvais.Jen’avaisencorejamaisquittél’Ordre.J’étaisperdue.Alors que j’essayais de réfléchir à la façondont j’allaism’y prendre, des
lumièresapparurentsoudainaudétourd’unvirage.Aveuglée,jelevailamainpourmeprotégerlesyeux,etunénormevéhiculeapparut.Ilétaitlarge,noir,etralentissait. Il s’arrêta à ma hauteur. La vitre s’abaissa, révélant le visagechoquéd’unefemmed’uncertainâge.—Oh,machérie,pourquoituesicitouteseule?Tuasbesoind’aide?Une étrangère.Les enseignements du prophèteDavid firent irruption dans
mespensées:«Neparlezjamaisauxétrangers.CesontlessuppôtsdeSatan.
Ilssechargentdesessalesbesognes.»Maisjen’avaispaslechoix.—Aidez-moi,s’ilvousplaît,coassai-je.Jen’avaisrienbudepuislongtempsetj’avaisl’impressiond’avoiravalédu
sabletantmagorgeétaitsèche.L’étrangèresepenchaetlaportièremassives’ouvrit.—Monte.Cette routen’estpasunendroitconvenablepourune jeune fille
comme toi, surtout la nuit ! Il y a des gens dangereuxpar ici, il ne faut pasqu’ilstetrouventlàtouteseule.Jem’avançaienboitant,m’agrippaiauxrailsmétalliquesetmontaidansle
véhicule.Lesiègeétaitagréablementchaud.Jemerappelaiqu’ilfallaitquejerestesurmesgardes,àl’affût.Lescheveuxgrisdelaconductriceformaientunhaloautourdesatête.Elle
écarquillasoudainlesyeux.—Oh, ta jambe,ma chérie ! Tu dois aller à l’hôpital.Qu’est-ce qui s’est
passé?Tuesdansunsaleétat!—Jevousenprie,menez-moisimplementjusqu’àlavillelaplusproche.Je
n’aipasbesoind’unguérisseur,murmurai-jealorsque la têteme tournait etquemarespirationdevenaitténuesousmapoitrineserrée.—«Lavillelaplusproche»!C’estàdeskilomètres.Tuasbesoindesoins
tout de suite ! Que s’est-il passé ? Tu es bien amochée. (Elle poussa uneexclamation étouffée.) Tu n’as pas été attaquée, j’espère ? Tu n’as pas été…malmenéeparunhomme?Elleexaminamoncorpsjusqu’ausangquicoulaitlelongdemajambepuis
regardaderrièreelleàl’aidedesgrandsmiroirsattachésàlaporte.—Ohnon…As-tuété…prisecontretongré?Je prenais soin de ne pas croiser son regard. Elle pouvait essayer deme
contrôler.Onm’avait apprisque tous lesétrangersendehorsde l’Ordremesoumettraient à la tentation. J’étais une des élues du prophète David, ce quirendaitlesautresenvieux.Ilfallaitmesoustraireàsesruses.—Jen’aipasétéattaquée.Jevousenprie,menez-moiseulementàuneville,
demandai-jedenouveau.Le véhicule semit à rouler sur la route non éclairée, produisant un bruit
d’avertisseurassourdissant.Lesonmefitgrimaceret,leregardtournéverslafenêtre,jemeplongeaidanslaprière.Notrepèrequiêtesauxcieux,quevotrenomsoitsanctifié…—D’oùtuviens,machérie?m’interrompitlafemme.
Sa voix était douce, charmeuse comme une berceuse. Pour camoufler sesintentionsmaléfiques?Oupeut-êtreétait-ellehonnête?Jenesavaispas…jen’enavaispas lamoindreidée!J’avais l’espritembrumé, jen’arrivaispasàmeconcentrer.Jegardailesilence.—Tusorsdecetteforêt?Commentçasefait?Tuétaisoù?Iln’yarien
quedesarbresetdesours,là-dedans.Ilfautêtrefoupourallerdanscesbois,ilyatropdechosespastrèscatholiquesentrecesarbres.J’aimêmeentendudesrumeurs, commequoi il y aurait un laboratoire d’essais gouvernemental là-dedans,cegenredechose.Je n’osais pas regarder dans sa direction. Elle parlait toujours, mais
j’arrivaisàfaireabstraction.Nousavonsroulélongtemps,pendantdesheures.Jen’avaispaslamoindre
idée de l’endroit où je me trouvais, mais à chaque mètre parcouru, je medétendais un peu plus. J’étais fatiguée, et je ne ressentais plus la douleur,heureusement. J’étais tout engourdie, somnolente. Je luttais pour garder lesyeux ouverts. Lorsque je sentis que je ne resterais plus consciente trèslongtemps,jesusqu’ilétaittempsd’agir.—Arrêtez-vous,s’ilvousplaît,demandai-jeenappuyantlespaumessurla
grandevitreenverre.Jescrutai lepaysagedésertquis’étendaità l’extérieur,à larecherched’un
refuge.Jelaissaiéchapperunsoupirenrepérantunbâtimentcarréetgris,enretrait de la route principale. Je pourrais m’abriter là… me cacher… mereposer…etretrouverassezdeforcepourpoursuivremonpériple.Lafemmeralentit,maissecoualatête.—Certainementpas!Jenevaispas te laisser là!Lavilleestencore loin.
Ça, ce n’est pas un endroit pour toi. C’est dangereux ici, ça grouille depersonnespasrecommandables.Tusaiscequec’est,cetendroit,d’ailleurs?Mon champ de vision s’étrécit et devint flou. J’allais bientôt perdre
connaissance.—Monamieestici,ellem’attend,répondis-je,paniquée.Le mensonge m’était venu aux lèvres avec une aisance déconcertante.
Soudain,levéhiculefreinasurlesgravillonsets’arrêtabrusquement.—Tuasdesamisdanscetendroit?Lafemmenedissimulaitpassasurprise.—Oui.—Ehbenmincealors.Jen’auraisjamaispenséquetuétaisunefillecomme
ça. Ah, le mal se dissimule sous bien des masques. Ça explique ton état.J’imaginequ’ilsontvoulutedonneruneleçon,hein?Ilst’ontabandonnéelà-basettuasdûtedébrouillerpourretrouvertonchemin.Etlà,toutemeurtrieetblessée,turetournesenrampantdanscetantredudiable.Jenecomprenaispascequ’ellevoulaitdire.«Unefillecommeça»?De
quis’agissait-il?J’ouvrislaportièreetmelaissaitombersurlesoldursansun mot. Je devais me cacher. Il me fallait puiser dans mes toutes dernièresréservespourfaireencorequelquespas.Le gros véhicule s’éloigna dans un sifflement d’accélération et je me
dirigeaiverslebâtimentquejedistinguaisauloin.Ilétaitgrand,imposant,etentouréd’uneclôture.Maisleplusimportant,c’étaitqu’ilétaitassezproche,etque le grand portail – qui semblait très lourd – était entrouvert, laissant unpassagejusteassezlargepourquejem’yfaufile.J’ypénétrai alorsquemesyeuxabandonnaient la lutte. Je savaisque jene
pouvaispasfaireunpasdeplus.Àboutdeforces,jem’étendissurlesolduretcaillouteux derrière une rangée de gros containers et laissai enfin mespaupières se fermer. La dernière image qui s’imprima sur mes rétines enlevantlatêtefut…Satan,peintengrandsurlemurdubâtiment.Ilétaitassissuruntrônemajestueuxetunefemelleauxyeuxbleusétaitàsoncôté.Lavisionmefitsursauteretlesparolesquelafemmeavaitprononcéesdans
lavoituremerevinrentàl’esprit.Oùdiablesuis-jetombée?Trèsvite,jefusincapabledeluttercontrelesommeil,etunedernièrepensée
s’infiltra dansmon esprit qui sombrait dans l’inconscience : « Il n’y a rienpour toi au-delà de cette clôture. Rien que le péché, les faux espoirs et lamort.»
Chapitre2
StyxJefis irruptiondansleQG,écumantderage.Quelqueschaudassesduclub
s’écartèrentenmevoyant–sagedécision.J’ouvrismonbureauàlavoléeetm’appuyaicontrelemurleplusproche,
faisantclaquermespaumescontreleciment.Jefermailesyeuxetessayaiderespirer lentement, réfléchissant auxmots que j’allais utiliser. Je ne pouvaispasmepermettredepéteruncâbledevantlesfrères.Derrièremoi,Kyler,monvice-présidentetmeilleurami,fermadoucement
la porte. J’entendis le parquet grincer sous ses lourdes bottes. Jeme tournaiversluietilhochalatêtepourm’indiquerquenousétionsseuls.Jelâchaiunlongsoupirdefrustration.—P-putainsdep-p-petitesm-m-merdesdeD-d-diablo!parvins-jeàéructer
malgrémondéfautd’élocution.Kymeregarda,sesyeuxnetrahissantpaslamoindreémotion.Ilallaaubar
etmeservitunverredebourbon. Ilmeconnaissaitparcœur. Ilme tenditungrandverredecarburant–ça,c’étaitmonmédicamentàmoi–etd’ungested’habitué,jevidaileverre.Puisunautre.Etencoreunautre.Enfinjesentisquelacordequim’étranglaitenpermanenceserelâchaitunpeu.—Encore?m’interrogeaKyquisetenaitdevantlebar,unebouteilledeJim
Beamàlamain.Jem’éclaircislavoixetessayaidesortiruneputaindephrase.—J-j-je…Etmerde!D’ungestejeluiencommandaiunautre,etunautre,etpuisun
dernierpourêtresûr.Sessourcilsblondsm’interrogèrentensilence.—C’est…çavamieux,dis-jeavecunsoupirdesoulagement.La pièce tournait un peu, mais au moins le python qui nichait dans mes
cordesvocaless’étaitdécidéàpiquerunroupillon.—P-putainKy,ilfautquetut-trouveslefinmotdece-cettehistoire,ouc’est
laguerre,tum’entends?J’enaimac-claquedecesfoutusc-connards!
LevisagedeKysedécomposa,blanccommeunlinge,etillevalesmains.—Styx,mon pote, je te jure qu’on avait tout calé.Un cave nous a coupé
l’herbesouslepied,c’estsûr.C’étaitluiquis’étaitoccupédecettecombinequiavaitfoiré,etvisiblement
iln’avaitpaslamoindreidéedecommentçaavaitpumerder.Jemepassaiunemainsurlefrontetdésignail’églisedel’autre.Kyopina,
comprenanttoutdesuitemesordres.J’attrapailabouteilledewhiskyàmoitiévideetbusdirectementaugoulot.
Leliquideambrém’embrasalagorge.Kysortitréunirlesfrères,melaissantletempsderassemblermespensées.
Je me mis à faire les cent pas dans mon bureau. Je savais que mon vice-président disait la vérité. Ces putains de Diablo. C’étaient forcément eux.Comment un marché conclu avec les Russes après des mois de discussionspouvait-ilfinireneaudeboudinenl’espacedequelquesjours?Quelqu’un nous avait balancés, c’était la seule explication. Et ce connard
allaitcreverpourcettetrahison!Jesortisdemonbureaupourgagnerl’églisetouteningurgitantdavantage
deliqueurambrée.Çaaidaitlesmotsàsortir.Cesfoutusmotsjustehorsdemaportée,coincésdansmagorge,etquirefusaientdejouerlejeu.Sans tarder, les frères emplirent la salle. La tension était palpable ; ils
posaient sur moi un regard empli de crainte. Ils avaient raison. J’étaisd’humeuràpercerunnouveautroudeballeàquelqu’un.Jesentaisqu’ilyavaitunmouchardparminous.Unputaindemoucharddansmongang!Monpèredevaitseretournerdanssatombeglacée.Personnenetrahitsesfrères.Enfin,pasceluiquiespèrevivrelongtempsetpaisiblement.Enlesvoyantprêtsàsepisserdessus,jememisàsourire.Quandtuesmuet,
laseulemanièred’empêcherlesgensdesefoutredetagueule,c’estd’êtreunimpitoyable assassin aux poings d’acier. C’est marrant, mais personne nementionnelefaitquetut’étranglessurtonvocabulairequandonsaitqued’unseulcoupdepoingdanslagueuletupeuxparalyserunmecdelatêteauxpieds.Kyrefermalaporte,cequisignifiaitquetouslesHangmenétaientprésents.
J’avalaiuneautregorgéedebourbonetm’installaienboutdetable,marteauderéunionenmain.MonVPétaitàmadroite,leregardbraquésurmonvisagetendu,attendantquejecommence.Je sortis dema bottemon couteau favori, un KM2000 Bundeswehr, et le
plantaidanslatableenboisfaceàmoi.Lalames’enfonçadanslechênemassifcommedansdelachair.
Autourdemoi,lesvisagesétaienttendus.Jesavaismefairecomprendre.JemerassisetfissigneàKydetraduire.— « Si quelqu’un a une idée de ce qui s’est passé ce soir, il a intérêt à
l’ouvrir…Toutdesuite.»Personne ne prit la parole, personne n’osa soutenirmon regard. Je sentis
l’agacementcontractermamâchoire.Lescoudesplantéssurlatable,jepoursuivisensignant:— « Cette affaire était en pourparlers depuis des mois. La livraison, le
transport, tout le tralala. Chaque détail était planifié avec minutie. Et là onarrive au spot, avec des tonnes demarchandises, et on apprend qu’on a étédoublés par un autre fournisseur, sur notre propre territoire ! Sales cocos !Mais la question… (Ky se carra dans son siège en observantmesmains quis’agitaientaurythmedemonénervement)est:quiacrupouvoirnouspiquernotre business ? Et plus important encore : comment ils étaient au courant,putain?C’étaitunsecretbiengardé.»Profitantd’uninstantoùKyreprenaitsonsouffle,j’attrapaimoncouteauet
le pointai en direction de chaque frère, prenant le temps de rencontrer leregarddechacun.— «Cinquante caisses d’AK47, dix caisses demitraillettesM82A1 et dix
caisses de semi-automatiques de première qualité… en mal d’acheteur. LesColombiens vont pas reprendre toute cette merde. Alors voilà ce qui va sepasser…»Kyélevaitleton,reflétantmonétatd’esprit.Ilattenditquej’annoncelasuite.Je passai la langue sur le bout de mon couteau. La puanteur fétide de la
trahison s’élevait dans la salle. L’intimidation faisait toujours sortir lesmouchards de leur trou à rat. Et j’étais un putain d’expert en intimidation.C’était mon paternel qui m’avait appris. Ce n’est pas pour faire de lamenuiserie que j’ai un cabanon insonorisé au fond de l’enceinte, et tout lemondelesait.Lentementj’enfonçaidenouveaulalameaiguiséedanslatable,puissignai:—«Onvavitefaittrouverunnouvelacquéreur…pourquenoschersamis
del’ATFneviennentpasmettreleurnezdansnosaffaires.Ensuite,ontrouvequiaosénouschierdanslesbottes.JesoupçonnefortementlesDiablo,maisàcestade,çapourraitêtren’importequi.Onsaitfoutrementbienquenotrelisted’ennemisestlonguecommel’ÉtatdeCalifornie.»Kytoussota.
—Jepeuxparlerenmonnom,Prés’?Unbrefsignedetêteluiendonnal’autorisation.— Je sais que t’en veux aux Diablo, mon frère. Putain je voudrais les
envoyer àHadès autant que toi,mais eux, leur truc, c’est la blanche. Jamaisentenduparlerdetraficd’armesdansleurcamp.Voilàcequej’endis.Àmonavis,çasentpasleMexicain.Il tenait unbon argument.Dans ce coinduTexas, lesMexicains bossaient
pour lescartels.Centpourcentnarcos.Çasemonnayait facilementdesdeuxcôtésdelafrontière.Pensif, je fis craquermes phalanges et le cuir dema veste sansmanches
grinçalégèrement.Toutàcoup,jelançaimonKM2000àtraverslapièce.Jeleregardais’enfoncerdanslemuropposécommedansdubeurre,enpleindansl’écussonduclub.JefisunsignedumentonàKypourattirersonattention.—«Quiçapeutêtred’autre?Onestrégloaveclabanded’Austin?»Viking–notresecrétaire:milieudelatrentaine,rouquinàlapeaupâleavec
unelonguebarbe,unvraicolosse–hochalatête.—Onestréglo.Onlespaiegrassementpourtraverserleurterritoire.Pasde
souciaveceux.—LesIrlandais?lançaKy.— Ils font profil bas depuis la descente de la brigade des stup’. Tommy
O’KeefaétérapatriéenIrlande.Sixd’entreeuxsontàl’ombre,rapportaTankdesavoixtraînante.C’était notre trésorier : un ancien suprématiste blanc, costaud, trente et un
ans, tatoué de partout. Il passa une main sur la cicatrice qu’avait laissée uncouteaudefortunesursoncrânerasé,lorsd’unséjouràl’ombre.Je laissai échapper un long soupirmaîtrisé, avalai une gorgée d’alcool et
signai:—«Quipeutbienavoirbesoindecesarmes?Uneidée?»Kytransmitmaquestion.AK – notre sergent d’armes, un colosse avec cheveux longs et bouc,
approchantdelatrentaine,ancientireurchezlesmarines,nemanquantjamaissacible–levalatête.—J’aiuncontactchezlesTchétchènes.Çapourraitlesintéresser.Ilssonten
guerrecontrelesRouges.Ceseraitunbonmoyendesevenger.OnleurditcequelesRussesontcommemunitions,ilsvoudrontrenchérir.Onlesfournit,etenmêmetempsçasertd’avertissementàcesconnards:fautpasnouslafaireà
l’envers.Jehochailatête,vaguementsoulagé.—«Arrangezça.»Monordresemblarétablirunecertainesérénitéautourdelatable.Flamme – un barjo de vingt-cinq ans arborant une courte crête et des
tatouages de flammes orange sur le cou, le corps suturé de cicatrices et depiercings – se leva en grondant et semit àmarcher de long en large en seflagellantlesbras.Sujetàdesaccèsdecolère,ilavaitfaitdenombreuxallers-retoursenHP.Unefoissorti,ils’étaitmisàtuerdesbonsàrienpours’amuser.Un grand malade. Quelques années plus tard, il est tombé sur nous. On l’arecruté. Ilnousaaidésdans laguerrecontre lesMex, il aprouvésa loyautésansfailleauclub.Onl’ainitié.Maintenant,onlelâchesurceuxquiméritentde mourir de manière atroce. Ce con sait faire preuve d’une imaginationdébordante.Flammeretiramoncouteaudumurpoursecouperunelamelledepeausous
lebras,et semitàgeindrecommesiunesalope lui suçait laqueue.Lesanggiclaparterreetilémitunsifflementdeplaisir,fermantsesyeuxfous.Merde,ceconétaitbienbaraqué.Etilauraitétébeaugosses’iln’avaitpaseulamorttatouéedansleregard.Lesmeufsavaientbienraisondeseteniràl’écartdecepsychopathe.Sil’uned’ellesletouchait,illuiarracheraitlecœurd’uneseulemain.Kyme lança un regard éloquent. Je savais ce qu’il voulait dire : Flamme
avaitbesoindesedéfouler.C’étaitpourbientôt.Onallaittoussedéfouler.Çaallaitêtrelaguerre.Jelesentaisjusquedansmesos.—Çava,monfrère?demandaKyàFlamme.Toutlemondeleregardaitquisefaisaitsaigner, lepantalontenduparune
érection.Flammevintversmoietmetenditmoncouteauensanglanté.Sesyeuxnoirs
étaientbrûlants.—J’aibesoindesang.Dusangdumouchard.Fautluifairepasserl’envie.
Lebesoindevengeancemebrûlelestripes,Styx.J’aiduvenindanslesveines.—Dèsqu’onaunepiste,c’estàtoi,luiassuraKypendantquej’acquiesçais.Flamme me sourit, dévoilant ses dents blanches mises en valeur par ses
gencivestatouéesdumot«douleur».—Ouais!J’observai les autres frères, guettant des tics nerveux, des signes de peur.
Rien.Pasunseulnesetrahit.Rienderien,merde.
Jechangeaidepositionetsignai,puismonVPtraduisit:—Autrechose?Dansunbelensemble,lesfrèressecouèrentlatête.J’abattislemarteausurle
boisdurdelatablepourclorelaréunion.Kyparcourutl’assembléedesyeux,sonsouriredewinnerauxlèvres.—Alorsjesaispaspourvous,maismoijevaism’envoyerenl’air.Jeme levai et les gars s’éparpillèrent à la recherche d’unemeuf pour la
soirée.Ilsétaientsilencieux,visiblementcontrariés.Kyrestaàtraînerdanslasalle.Sacré Kyler Willis. Vingt-sept ans, beau comme un top-modèle, grand,
mince,descheveuxblondsetraidesquifaisaientmouillerlesgonzesses.Monplusvieilami.SonpaternelétaitleVPdemonvieux.Quandl’unetl’autreontrencontré lepasseur lorsdelaguerreaveclesMexicains l’annéepassée, j’aiété élu président, etKy vice-président.Rien que lemeilleur pour le chapitremère des Hangmen. Nous vivons, respirons et saignons pour Hadès. Quandnosvieuxsontmorts,j’aiessayéd’influersurlevote.Quipouvaitbienvouloird’unbègue,d’unmuet,commechef?Maislesfrèresm’ontéluàl’unanimité.LesHadesHangmensont trèsattachésaurespectdela lignéehistorique.Etàvingt-six ans, je me suis retrouvé président du gang de bikers le plusdangereuxetleplusconnudesÉtats-Unis.Zéropression…Putain!Kyposalamainsurmonépaule.—On va les coincer. Personne n’a le droit de nous chier dans les bottes,
Styx.ToutlemondesaitcommentçamarcheauTexasavecnous.Cesconnardsontsignéleurarrêtdemort.Jepoussaiunrireétoufféetpassailapaumesurmesjouesmalrasées.—T-t-toietm-moionvaréglerçav-v-vitefait,hein?Je grimaçai, agacé par le retour de mon bégaiement. L’alcool ne me
procurait que quelques instants de répit avant que le python ne resserre sonétau.J’enétaisvenuàdétesterlalanguedessignes,maispouruneraisonàlacon,jen’arrivaisàparlerqu’àKy.MaintenantquemonpaternelavaitrejointHadès,ilnemerestaitqu’unseulinterlocuteur.Ilm’adressasonfoutusourireparfait.—Tul’asdit!Jesoupiraietluijetai:—P-p-p-putainc’estt-t-t-toiquidevraisêtrep-prés’,K-ky.
Kys’approchademoijusqu’àmetoucherlenez.—Foutaises!T’arrivespasàalignerdeuxmots, jesais,maistesmainste
serventdelangue.Tudirigesparl’exemple,monfrère.Tuestoujourssurlefront, t’hésites pas à prendre et envoyer les premiers coups. C’est toi leprésidentdesHangmen,alors ferme-la !Tonvieuxa toujoursvouluquesonfilsprennelasuite,commesonvieuxavantlui.C’estvrai,c’estarrivéunpoilplus tôtqueprévu,maisça faitdesannéesque t’allonges ta listedevictimesdanslecoin.L’âgec’estqu’unnuméro.Cequicompte,c’estlestripes,etpourça,t’esplutôtgâté!Styx,merde,tuesleredoutableMuetdesHangmen!Kylerreculad’unpasensefrottantlesmains,unlargesourireauxlèvres.—Etpuismoijesuistropmignonpouravoircetteresponsabilité.Çameva
trèsbiend’êtretonporte-parole.Toutlemondesaitquej’adoreécouterlesondemavoix!Ça,c’étaitbienvrai.Parfoisjemedemandaispourquoiilgâchaitsaviedans
ce club. Avec son physique et sa personnalité, il aurait pu faire carrièreailleurs.Mais,commemoi,ilneconnaissaitqueça.Nousétionscondamnésàêtrebikers.Nésetélevéspourporterl’écusson.Aucuneautrepossibilité.Etonnevoulaitpassortirdecetuniversnonplus.Kymepassaunbrasautourdesépaules.—Bon,maintenant que t’as fini de chouiner commeune gonzesse, tu vas
allertrouverLoïspourlâcherunpeudelest?—Ouais.—Bon.JemesuisréservéTiffetJuly.Fautlesvoirsebrouterleminou,ces
deux-là.Putain,çamefaitpartiràchaquecoup.Encoremieuxsic’estdansleurpetit culbien serré.Unevue fantastique. (Il attenditma réaction.)Tu saisis ?Fente-astique?Àcausedeleurcul?C’estunvraiqueutard,lui…etuncomiqueàdeuxballes.Levolumebaissasoudaindanslasallelorsquejesortisdubureauetfisun
signedumentonàLoïsqui était aubar.Les frèresdétestaientque je sois enrogne,mais jenepouvaispas tolérercegenred’embrouillesdansmonclub.Passansrépercussions.Etceluiquinousavaittrahisallaitlesentirpasser.Loïsselaissaglisserdutabouretetvintversmoi,faisantondulersagrande
silhouettegracilecommeunputaindetop-modèle,mouléedanssapetiterobenoire.Sonpèreavaitétémembreduclub,etunecollisionl’avaitemportécinqans plus tôt : Harley bonne pour la casse, crâne fendu, corps écrasé surl’asphalte comme un raton laveur, des lambeaux de chair accrochés comme
desrubansdanslesarbreslongeantlaroute.Il était allé rejoindre Hadès, et Loïs était devenue une chaudasse du club
parmid’autres.Le bruit de ses santiags à talon sur le plancherme suivit jusqu’à la cour
arrière. Arrivé à notre endroit habituel, je sortis une clope de ma poche,l’allumaiet tiraiunelonguebouffée.Sansunmot,Loïssemitàgenoux.Sesgrosnibardsétaientprêtsàjaillirdesarobeserrée.Ellesortitmaqueueetlapritentreseslèvres,fermescommeunpoingmouillé.Jeheurtailemuravecl’arrièredematêteetfermailesyeuxtandisqu’elle
faisait tourner sa langue virtuose sur mon gland, et je savourai ma clopependantqu’ellemesuçaitvigoureusement.Putain ! C’était exactement ce dont j’avais besoin. Le stress quittait mon
corps à chaque passage de ses dents tout contre ma queue. J’enroulai mesdoigtsdanssescheveuxbruns,lafaisantaccélérerjusqu’àcequejesoisprêtàexploser.Loïsmesuçaitenmiaulant,léchantmabitecommeunchatonaffamélapantdulait.Mes jambes plièrent et j’éjaculai jusqu’au fondde sa gorge.Elle avala en
gémissant. Avec un soupir, j’ouvris les yeux, pris une dernière bouffée detabac et jetai lemégotpar terre. Je l’écartai demonentrejambeet remismaceinture.Enmedécollantdumur,jeremarquaiunetacherougesurl’asphalteàmes
pieds.IlyavaitdusangsousLoïs.Deszébruresrougesmaculaientsestibias.Elleremarquamonregardetbaissalesyeuxenfronçantlessourcils.— Qu’… ? Merde, c’est du sang sur mes jambes ? (Elle se releva
précipitamment,essayantd’effacerlestracesrouges.)Maisd’oùçasort,ça?Je suivis des yeux le sang et remarquai un filet encore frais qui venait de
derrièreunepoubelle.—Putain,ilyaencoreuncadavrelà-dedans?demandaLoïsencroisantles
brasdemanièrecraintive.Cette meuf était trop sensible pour ce genre de merdes. Sans lui prêter
attention, jepoussai lapoubellebleuesur lecôtéafindevoird’oùçavenait.C’étaitunemeuf.Jeune,levisagecachéparsacheveluresombreetemmêlée.Soncorpsminceétaitcouvertdeboue,sarobeblanchedéchiréeetimbibéedesang.Jecherchailablessure:unegrosseplaieàlajambe.Uneentailleénorme,profonde,quilaissaitvoirlemusclesouslapeau.Un
pauvre chiffon avait été noué autour dans une vaine tentative pour arrêterl’hémorragie.Çaservaitpasàgrand-chose.
J’essayai de prendre son pouls, mais je ne sentis pas le moindrefrémissementdevie.Pourmoi,c’étaitclair:elleavaitclamsé.JemetournaiversLoïsquiétaitrestéederrièremoi,hésitante.—Elleestmorte?demanda-t-elle.—«VachercherKy,PitetRider»,signai-je.Unemainsurlabouche,Loïss’élançaverslaporte.Jemepenchaiverslamorteetdégageailescheveuxdesonvisage.Jelaissai
échapperuneexclamationétouffée.Putain!Elledevaitêtresacrémentcanonsouscettecouchedeboueetdecrasse.Elle
avaitunteintlaiteuxqueseslongscheveuxnoirsmettaientenvaleur,deslèvrespleines et roses, et une silhouette demannequin.Quel dommage qu’elle soitpartierejoindrelepasseur,elleauraitfaitunechaudassesupersexy.Je fouillai ma poche puis posai deux pièces sur ses paupières. La pauvre
auraitàpayersondroitdepassagepouruneviemeilleure.Jeglissaiunbrasdanssondos,unautresoussesgenouxetlasoulevai.Ellenepesaitrien.Elleétaitminuscule.Ky,PitetRiderfirentirruptionderrièremoi.MonVPlevalesyeuxaucielet
grogna,toutenremontantsabraguette–j’avaisdûl’interrompreaumauvaismoment.—Voilàqu’ilsremettentça!«Jesais,jevaisbuterunemeufetbalancerson
cadavreauxHangmen!»Enfoirésdemesdeux.Àcausedeçaj’aidûlaisserlesjumellesseléchertoutesseules!D’ungeste,jefissigneauprospectd’approcheretluirefilailameuf.— « Prends le fourgon. Débarrasse-toi du corps. À l’endroit habituel.
Assure-toiquelespiècesrestentenplace.»Ky,encorecontrariéd’avoirétéarrachéàsespouffes,traduisitmesordresà
Pit.Soudain, jeme figeai.Moncœursursauta,mespoumonss’arrêtèrent,mes
yeuxs’agrandirent:danslesbrasdePit,lameufvenaitdegémiretd’avoirunsursaut,quifitbruyammenttomberlespiècesparterre.—Elle estpasmorte ! s’exclamaPit, qui, commed’habitude, seplaisait à
souligneruneévidence.—Merde!Ons’endébarrasse,ouonlagardeici?Lesfédérauxnousont
danslecollimateur,Styx.Vikingnousaditqu’ilyavaitdeuxagentsplanquésàmoinsd’unkilomètre.Cebonvieuxsénateurveutpasnouslâcher.Difficiledetransporter unemeuf en sang là-bas sans se faire arrêter et questionner. On
leurgraissepaslapatte,àcesconnards.(Kymedonnaunetapedansledosetmontra la fille.)C’estpeut-êtreunmessage.Ouquelqu’un l’aplacée làpournousmettredanslamerde.J’entendais Ky parler, mais je ne pouvais détachermon regard du visage
pâledecette fille.Ellemesemblaitétrangement familière,mais jen’arrivaispasàmerappeleroùjel’avaisvue.Jesecouailatêteetregardaimonmeilleurami.— « Ouais. On sort pas ce soir. La meuf doit rester. Putain, on n’avait
vraimentpasbesoindeça!»Jejetaiuncoupd’œilàRiderquisetenaitderrièreKy,silencieux.Cefrère-
là était presque aussi bavard quemoi. C’était un ancienmarine et un toubibbien rodé. Il avait été confronté à des trucs qu’il n’avait pas pu encaisser enAfghanistanetavaitquittél’armée.Unechancepournous:toutcequ’ilvoulaitfaire depuis, c’était rouler sur sa bécane et servir le club. Rider pouvait terecoudreenun tourdemainet ilétaitmêmecapablede fairedesopérationschirurgicales.Ilnoussauvaitlapeauàtourdebras,ànousautreshors-la-loi.Jeluifissignedeprendrelameufàmoitiémorte.Ilverraitbiencequ’ilen
étaitets’ilpouvaitlaretaperoupas.Cen’estpascommesilamortnousétaitétrangère,danslecoin.Aucoursdel’annéedernière,Hadèsarappeléplusdefrèresqu’iln’enresteencoredeboutdansleclub.C’estlecycledelamort.Tôtoutard,ondoitrencontrerlepasseur,etpayerpourtouteslesconneriesqu’onafaitesdanscettevie.Ridertenditlesbraspourattraperlafille,etc’estalorsqu’elleeutunautre
soubresaut.Elleouvritlesyeuxetfixasurmoiunregardterrorisé.Celaduramoinsd’uneseconde,etellerefermaaussitôtlespaupières.Merdealors!Cesyeux!Malgré lesang, laboue, lasaletésursonvisage,
sesyeuxbrillaientavecunteléclat!Bleuglacier,commeceuxd’unloup.Jen’avaisvuunregardpareilqu’uneseulefoisauparavant…Jenepusm’empêcherdepenseràcettefillederrière laclôturequinzeans
plus tôt. L’une des rares personnes avec qui j’avais été capable de parler.J’avais réussi à lui parler, à cette fille !Ça avait une putain de signification.Elleétaitlatroisième.Etdepuis,çanem’étaitplusarrivé.Unlonggémissementdouloureuxs’échappadeseslèvres,meramenantàla
situationprésente.Merde.Kys’avança.—Donne-la-moi, jevais la foutredans tachambre,Rider,etcommeça je
vaispouvoirretournerlécherlachatteàTiffetJuly.C’estpascettemeufquivam’empêcherdebaisercesoir.JevisKytoucherlapeaudel’inconnue,etl’imagedelajeunefillederrière
laclôtures’ysuperposa.Putain,etsic’étaitelle?Nan,impossible.Yapleindemeufsavecdesyeuxcommeça.Non?Persuadéd’avoirretrouvémonsang-froid,jemedétendis.MaislorsqueKy
lapritdanssesbras,jeluisautaidessusetleretins.Jesignai:—«Donne-la-moi,dégage!»Mon ami recula, les sourcils froncés, essayant de comprendre quelle
mouchem’avaitpiqué.— Qu’est-ce qui t’arrive, bordel ? demanda-t-il tout haut, semant la
confusionparmilesfrèresquis’étaientmassésautourdenous.Stupéfaite,Loïsouvritseslèvresfardées.Jesecouailatêteetsignai:—«Donne-la-moi.Toutdesuite.»Ky, enproie à la confusion, la déposadansmesbras et leva lesmains en
reculant.Pitmeregardait,bouchebée,commeunpoissonhorsdel’eau.—Quoi,bordel?Jetelaisse,jetelaisse,OK?Calme-toi,putain!Jeserrailafillecontremoi,l’esprit,lecorpsetl’âmesoudainenproieàun
envoûtementdepossessivité.Jemedirigeaiversl’entrée,sansprêterattentionauxautres,focalisésurla
filleentremesbras.Sonteintdevenaitterreuxetseslèvressedécoloraient…ellesevidaitdesonsang,mourante.Merde!—Tul’emmènesoù?Qu’est-cequit’apris,putain?Ky, toujours surmes talons, enchaînait lesquestions, attirant l’attentionde
touslesgensducluboccupésàboireetàforniquerdanslasalledebar.Jedésignaimonappartementau-dessusdugarage, lameuf toujoursserrée
contremoi.—Danstonappartement?demandaLoïsenarrivantàmahauteur,essayant
d’attirermonregard.Dans tachambre?Tu l’emmènesdans tonappartementau-dessusdugarage?Personnen’yvasauftoi.Tul’asdittoi-même.Jem’arrêtaibrusquementetluifisface.D’unmouvementsecdumenton,je
luiindiquaidefoutrelecamp.—Tuplaisantes?murmura-t-elled’untonblesséetcontrarié.Mais en voyant mon expression orageuse, elle s’éloigna lentement en
directiondubar.Arrivéàl’escalier,Kynemelâchapaslesbasquesetilouvrit
d’uncoupdepiedlaportedemonappart’.Jedéposailameufsurmonlitkingsizeetmepenchaipourécarterlesmèchesdecheveuxemmêlésquicachaientsonvisage.Laboueetlesangmaculèrentmesdrapsnoirs.—Styx.C’estquoicebordel?Tuferaisbiendet’expliquer,monfrère,me
ditKyensepassantunemaindanslescheveux.Nousétionsseuls.PitetRidernenousavaientpassuivis.Jeserrailepoing,luttantpourgardermoncalme.— RR-r-r… Rid… (Je pris une grande inspiration en fermant les yeux.)
Rr…Rrr…Arrgh!Je lâchai un sifflement de frustration, énervé d’avoir de nouveau perdu le
contrôledemaparole.Ky ferma la porte de ma chambre d’un coup de pied, nous isolant du
brouhahadesfrèresrassemblésenbas,m’attrapaparlesbrasetmeditd’unevoixsourde:—Tuvastecalmer,bordel?Regardedansquelétattues!Tellementsurles
nerfs que tun’arrivesplus à parler.Les autres risquent de t’entendre, je saisqueplustardtuvasleregretter.Jecessaidelutteretmeconcentraisurmarespiration.Magorgesedétendit
légèrementetKy,voyantquejemecalmais,merelâchaunpeu.— Rider va arriver. Il est parti chercher son nécessaire de secours. (Il
désignalameufsurmonlit.)Elleestmalenpoint.Jehochailatêteetillibéramesbras.J’allaiprendreuneserviettemouillée
dans la salle de bains et memis à nettoyer le visage de la fille. Teint pâle,cheveux noirs… exactement comme la fille derrière la clôture. Mon VPm’observaitcommesij’avaisperdul’esprit.Siçasetrouve,c’étaitlecas.—Sérieux,mec,qu’est-cequit’arrive?Deboutdel’autrecôtédulit,Kymeregardaitessuyerlesang,bouchebée.
Moi, j’étais distrait par les jambes de la fille : longues, minces, parfaitescommecellesd’unepoupéeenporcelaine.Kymerappelasaprésenceentoussantetjesoupiraienappliquantunpoint
decompressionaveclelinge.— T-t-tu t-t-te s-s-souviens d-d-de cette his-histoire quand on était g-g-
gosses?L’incrédulitésepeignitsurlevisagedeKy.— Oh, recommence pas avec ça, Styx. La fille derrière la clôture
métallique?La«meufauxyeuxdeloup»quit’aobsédépendantdesannées,
jusqu’àcequetonvieuxteforceàlafermer?Situparlesdecettehistoire-là,ouais,j’auraiseudumalàl’oublier!Attrapantmonpiercinglabialentremesdents,j’essayaidemeconvaincrede
nepascognermonmeilleuramienpleineface.—Ouais,c-c-cettefille.—Et alors ? T’avais, genre, onze ans ? Perso, j’ai toujours pensé que tu
l’avaisrêvée.À l’époque, tous les frères pensaient que j’avais inventé ou imaginé cette
histoire.Etauboutd’unmoment,moiaussi.Jemesuisditquej’avaispeut-êtreeuunaccèsdefièvreouuneconneriedecegenre.Ouquej’avaisparléàunputaindefantôme.JedésignailafilleenregardantmonVP.Kyfit letourdulitpourmerejoindreets’adossaaumurenbois, lesbras
croisés.—Alorscettemeufàmoitiéclamsée,tucroisquec’estelle?Iléclatad’unrirehystérique,latêterenverséeenarrière.—T’asperdulaboule!Cettelivraisonquiamaltourné,çat’afoututropde
pression.Çam’étonneraitbeaucoupquecesoitlamêmemeuf,tuvois?Etpuisjepigepaspourquoitupensestoujoursàelle.Sitonvieuxétaitencoredecemonde,iltemettraitunesacréeraclée…encoreunefois.Trop énervé pour parler, je plongeai mon regard dans celui de Kyler et
signai:—«Je tedonneexactementcinqsecondespourfermer tagueule,sinonje
m’enchargeettupeuxdireadieuàtatronchedeplayboy.»Kyse racla lagorgeetperdit son sourire.Sagedécision.Personneneme
chiedanslesbottessansensubirlesconséquences.Illesaitetlesautresfrèresaussi.Putain,touslesclubsdesStateslesavent!Etsimonvieuxétaitencoreenvieetqu’ilessayaitdem’imposersonpointdevue,jeluienfonceraislesdentsdanslagorgeàluiaussi.—Alorscettemeufsortiedenullepart,tucroisquec’est«lameufauxyeux
de loup» ?Cette fille bizarre aux allures d’amishque t’as rencontrée il y aquinze ans… derrière une grille… au milieu de la forêt… pendant que tonvieuxenterraitunDiablo?C’estça,hein?Cettepouffequit’atransforméenmauviette?Jemecalmaietparvinsdejustesseàsupportersontondepetitcon.Cesyeuxdeloup…Jemelevaipourfairelescentpas.
—« Je sais que çame fait passer pour une lopette.Mais si c’était elle ?Qu’est-cequiestarrivéàsa jambe,putain?Etsurtout,elleétaitplanquéeoùpendanttoutescesannées?Toujoursenferméedanscecampdeconcentrationque jen’aipasété foutude retrouver ?Est-cequ’elle a appris àparler, àneplusavoirpeurdesonombre?»Ky regarda la silhouette couchée dans le lit. Son expression reflétait son
incrédulité.L’inconnueavaitl’aird’unangetombéduciel.Petite,fragile…Jemepenchaiversellepourlaregarder.Kyseplaçadevantmoipourmieuxvoirmesmains.— « Je n’ai jamais su ce qu’il y avait derrière cette foutue clôture. J’ai
essayédetrouverdesrenseignements.Rien.Personnen’aentenduparlerdecetruc. Un putain d’Auschwitz aux abords d’Austin. Forcément quand tu neconnaispasl’emplacementexact,çan’aidepas.Monvieuxnelâchaitjamaiscegenred’info,et j’étais trop jeunepourmesouvenirdu trajet.C’estunsecretbiengardé.Protégé.Etça,çaveutdirequ’ils’ypassedes trucssérieusementbizarres.Desconneriescouvertespardesgenspuissants.Etquidoiventêtreàsarecherche.»Kym’observaitattentivement.Jevoyaisqu’ils’inquiétaitvraiment.—Je t’ai jamaisvucommeça,mon frère.Tu te ramollis,monvieux.Les
bécanes et la baise, Styx, c’est ça la vie. On roule à fond, on crève avecpanache.Leclubavanttout.Pasdedistractions.Ilavaitraison.Jemecomportaiscommeunecruche.C’étaitpaspossibleque
cesoitelle,detoutefaçon.Jeprenaismesdésirspourdesréalités.JegagnailatableetnousservisdeuxverresdeJim.J’avalailemienculsec
ettendislesienàKy.—«Chaquejourj’aipenséàcettefille,pendantquinzeans,putain!Toiet
moi on a grandi dans l’obscurité… en enfer…Elle a été la première chosepurequej’airencontrée.(J’étouffaiunrire.)Monpremierbaiser,mec!»Avecungrandsourire,Kymedonnaunetapedansledos.—Etdeux ansplus tard, tu asbaisé ta première chaudassedu club, ça t’a
remislesidéesenplace!C’estça…J’avaisplantémaqueuedanslachatted’unedessalopespréférées
desHangmen, à l’âge de treize ans, grâce à la générosité demon père, quiespérait me faire oublier la petite amish. Il avait même changé de coin àmacchabéespourquejen’essaiepasdelaretrouver.LesouriredeKys’estompaetilseplantaenfacedemoi.—Écoute,monvieux,j’aipasl’impressionqu’ellevapasserlanuit.Fais-toi
uneraison.Cetterencontreaveccettefille,c’estdupassé,etsic’étaitvraimentelle–jesuiscertainducontraire–,ilestgrandtempsquetulâchesl’affaire.Elle estpartiepourHadès,Styx. Il est tempsde te réveiller etd’assumer tonrôle de président. C’est trop la merde en ce moment pour que tu te laissesdistraireparunemeuf.Ilpassaunbrasderrièremoipourattraperlabouteillepleineetmelatendit.Riderfrappaàlaporte.J’attrapailebrasdemonamietsignai:—«Pasunmotdetoutçaauxfrères.Çaresteentrenous.Pourlesautres,
c’estjusteuneanonymequ’onnousamisedanslespattes,OK?»D’unbrefhochementdetête,ilmefitsavoirqu’ilavaitcompris.Riderentra,seslongscheveuxbrunsattachésenqueue-de-cheval,prêtàse
mettreauboulot.—Jevaisl’examiner,dit-ilens’approchantdulit,trèsprofessionnel.—Styxl’atrouvéederrièrelabenneàorduresSajambepisselesang.On
diraitunemorsure.Unchien,peut-être?Sonpoulsest trèsfaible.Elleestentraindecrever,résumaKy.Sousmesyeux,Ridersemitàl’examiner.Pourlapremièrefoisdemavie,
jemesurprisàprierunDieuaveclequeljen’étaispasenbonstermes.Commetout lemonde ici.Dansnotreunivers,on jouaitplutôtdans le campadverse.Maisilfallaitabsolumentqu’ellesurvive.Ça,j’enétaissûr.C’étaitpourçaquejepriais,essayantdenégociersasurvieavecdespromessesquejenepourraisjamaistenir.Jedevaisàtoutprixsavoirsic’étaitelleounon.Etenfinclorecetétrangechapitredemavie.—Qu’est-ceque…?Jelevaid’uncouplatêteversKy,quiétaitpenchéau-dessusdupoignetdela
fille,queRider tenaitpourprendre sonpouls. Jem’approchai àmon touretfronçai les sourcils en découvrant un petit tatouage sur la peau fraîchementnettoyée.Kyluttouthautl’inscription:—«Apocalypse21:8»?C’estquoicetruc?—«Maispour les lâches, les incrédules, les abominables, lesmeurtriers,
les impudiques, les enchanteurs, les idolâtres, et tous lesmenteurs, leur partseradansl’étangardentdefeuetdesoufre,cequiestlasecondemort»,récitaRiderdebutenblanc,commes’ils’étaitchangéenfoutuprêcheur.Ens’apercevantquenouslefixionscommes’illuiavaitpousséuneauréole
au-dessusdelatête,iltoussotaetrougitenbaissantlesyeux,puismarmonna:—C’estuntextedelaBibleconcernantlespécheursquivontenenfer.Puisilseremitautravail.Kym’envoyauncoupdecoudedanslescôteset
haussa les sourcils. Je répondis d’un haussement d’épaules. Les croyancespersonnellesétaientl’affairedechacun,aprèstout.Pendantvingtminutes, je regardaiRiderdésinfecteret recoudreensilence
lesnombreusesblessuresdelafille,puisilm’entraînadansuneautrepièceensecouantlatête.—Çaneseprésentepasbien,Styx.Elleaperdubeaucoupdesang.C’estune
vilainemorsure de chien. Un rottweiler ou un pitbull, à mon avis. Ça lui adéchiré lesmuscleset les tendons,et ça s’est sansdoutedéjà infecté.Ellevaavoirbesoind’unetransfusion.J’aiuncontact,jevaisdéterminersongroupesanguin avec mon kit, ensuite je donnerai un coup de fil. Normalement çapourraêtrelivrédanslademi-heure.Maisc’estpasdonné.Etaprès,ilfautvoirsi elle s’en sort. (Il jeta un coup d’œil vers le lit où la blessée gisait,inconsciente,etsepassaunemainsurlefront.)Lesjourssuivants,çavaêtretendu.Je hochai la tête, crispé, et posai une main sur son épaule en signe de
remerciement.Puisjepartisverslasalleprincipale,etfonçaidroitsurlebar.Pitmedemanda:—Çava,Prés’?Jerépondisd’unhochementdetête.Ilmontralesbouteillesderrièrelebar.—Qu’est-cequejetesers?J’inspiraiprofondémentetdésignailabouteilledeJimBeam.Ilm’enfallait
unebonnerasade,etmêmeplusieurs.
Chapitre3
Styx—D-d-donne-moit-tonn-n-nom.Silence.—Qu-qu-quelestc-c-cetend-end-endroit?Silence.—Styx…STYX!—S-Steu-p-plaît…tonn-n-nom…—Monnomestpéché.Nousportonstouteslesceaudupéché.Jesortisbrutalementdemarêverie.Quelqu’unmesecouaitl’épaule.Jelevai
lesyeux.Loïs.Elletirauntabouretpours’installeràcôtédemoi.Jereplongeaileregard
dansleliquideambré.Merde.Jem’enétaisenfilécombien?—C’estquoil’affaireaveccettefille?Jenemedonnaipaslapeinedeluirépondre.—Tu te sens bien ? demanda-t-elle d’une voix douce, unemain surmon
épaule.Cettemeufétaitunange,bordel,ellen’auraitpasdûatterrirdanscegenrede
vie.Aprèsavoiravalélerestedemoncinquièmebourbon,jemelevaietsortis
dubarpourallerdanslasallederéunion.Àmi-chemin,jejetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetvisLoïsquimeregardaitpartir,lesyeuxbrillants.Jeluiadressaiunsignedetêteetmeremisenmarche.Enouvrantlaportedemachambre,jesentisqu’elleétaitderrièremoi.Jefis
volte-face,l’attrapaiparlesépaulespuisarrachaisarobe.—Styx,gémit-elled’unevoixhaletante.Jet’aime,Styx,jesuisàtoi,bébé…Tandisquejebaissaislesbretellesdesonsoutifnoir,ellemesuçotaitlecou.
Jefistombermavestesansmanches,sortismachemisedemonjeanetouvrismabraguette.Pasdecaleçonàretirer.Je tournaiLoïscontre lemuret ladirigeaivers le litque je réservaisà la
baise,auxdrapsdéfaitstachésdefoutreetdesueur.Jeluiappuyaisurlanuquepourenfoncersatêtecontrelematelas,gardantsonculbienrebondienl’air.Pasdeculotte,sexerasé,toutcequej’aimais:unechatteenlibreservice.Jesortisunecapotedemapochearrièreetl’enfilaisurmonmembredressé.—Prends-moi,Styx,suppliaLoïs.Prends-moifort.Je l’attrapai par ses hanches saillantes et m’enfonçai brutalement en elle,
rejetantlatêteenarrièreavecunsouffledeplaisir.Voilàpourquoijelagardaisàportéedemain,pourmonusagepersonnel.Sousmoncorps,Loïspoussaunpetitcrietsemitàoscillersurmabite.Je
susquej’étaisdamnéaumomentoùjemeprisàimaginerquelebronzagedeLoïs s’effaçait, que ses cheveux auburn s’allongeaient et prenaient des tonsnoirdejais.Etlorsqu’elletournalatêteversmoi,jevis,àlaplacedesesyeuxmarron,unepaired’irisbleuglacier,lespaupièresalourdiesparledésir.Je fermai les yeux et imaginai l’inconnue sous moi, s’agitant follement,
hurlantdeplaisiretenchaînantlesorgasmessousmescoupsdereinsviolents.Cettepenséesuffitàenvoyerdesfrémissementsdeplaisirlelongdemaqueue,les veines de mon cou saillirent et j’éjaculai avec tant de force que je dusplantermespoingsdanslematelaspournepasperdrel’équilibre.—Ohbébé…c’était…spectaculaire.J’ouvrisbrusquementlesyeuxetdécouvrisuneLoïshorsd’haleine,ledos
couvertdesueur,quimeregardaitavecungrandsourire.Merde.Jemeretirai,arrachai lacapoteetrefermaimabraguette.Àcet instant,on
frappasèchementàmaporte.J’enfilaimontee-shirtBlackSabbath,passaiunemaindansmescheveuxet jetaiuncoupd’œilversLoïspourvérifierqu’elleaussiserhabillait.C’étaitlecas.Ellesavaitqu’ellen’étaitpasinvitéeàtraînerdanslesparages.Laportes’ouvritsurKyetRider.MonVPsecouaitlatêteenmeregardant.—T’eslà?Çafaitdixminutesquejet’appelle.Dissimulant mon inquiétude sous mon habituelle mine renfrognée et
indifférente,j’interrogeaiRiderduregard.—«Dunouveau?»signai-je.Tandisquejelesmenaisverslebar,Ridersoupira.Avecunpetitsourirequi
m’était destiné, Loïs referma la porte de ma chambre et alla rejoindre lesautresputesduclub.Nousnousinstallâmesàmatablehabituelleetjemecarraidansmonsiège,
mepréparantauverdict.—Pourl’instantelletientlecoup.Jeluiaidonnétroispochesdesang,etde
puissants antibiotiques en intraveineuse. La fièvre est tombée, son état sestabilise.Elleestsolideetenbonnesanté.Lavingtaine,jepense.Maiselleestenétatdemalnutrition.Onvavoircommentsepasselanuit.Siellesurvitauxvingt-quatreprochainesheures,elles’ensortiraprobablement.«Probablement.»Cen’étaitpassuffisant.C’étaitloind’êtresuffisant,mais
c’étaittoutceàquoijepouvaismeraccrocher,alorsilfallaitquejefasseavec.Je donnai une tape sur le bar derrière lequel ce nabot de Pit venait de se
glisser.—Qu’est-ceque je vous sers, les gars ?De la bière ? nousdemanda-t-il,
arborantcommetoujoursunsourirebéat.Jen’avaisjamaisvuunprospectaussijoyeux.Cegaminavaitl’airtroppur
poursupporterlesgalèresinhérentesàlavieduclub.Je lui répondis positivement en levant deuxdoigts puis passai les bières à
mesfrères.D’unsignedetête,jeremerciaiRider,donnaiunetapedansledosàKy,puisrepartisversmonappartement.En arrivant à ma chambre, je m’immobilisai sur le seuil. C’était à peine
croyable,mais l’inconnueétaitencorepluscanonque lapremière fois,etcemalgré les tuyaux qui entraient dans sa chair. Mais elle avait besoin d’unebonnetoilette.Beauty.IlfallaitquejefassevenirBeauty.Lorsquejepénétraidanslesalonduclub,lesregardssetournèrentversmoi.
Les frères étaient vautrés sur des canapés en cuir rouge avec la fille qu’ilsavaient choisie pour la nuit. Certains s’interrompirent en plein doigtage dechatte, ou en pleine partie de billard. Visiblement, j’avais alimenté lesconversationsde la soirée, à en croire les regards en coin et le flottement àmonarrivée.JefissigneàTankdemerejoindredanslecoinlepluséloigné,oùlesautres
ne nous entendraient pas.Deuxverres de bourbon nous attendaient, apportésparPit.Lepremierverrefiladroitdansmongosier.— Alors, Prés’ ? demanda Tank en s’avachissant dans le fauteuil avant
d’avalersadosedeliquideambréenunseulmouvementfluide.—«J’aiunboulotpourBeauty.»Tankfaisaitpartiedeceuxquiétaientauclubdepuisassezlongtempspour
comprendre la languedes signes.Et sa régulièreaussi,d’ailleurs.Laplupartdes prospects s’appliquent à apprendre les signes, de manière à
m’impressionnerfavorablement.Çamerendlavieplusfacile,c’estsûr.—Dequoias-tubesoin?J’avalaiunautreshot.— « Il faut qu’elle vienne nettoyer l’inconnue chez moi. Je laisserai
personneicilatripoter.Beautyestlaseuleàquijefasseconfiance.Etlaseulequejesupporte.»Tanklaissanaîtreunpetitsouriredefiertésurseslèvres.—Jevaisl’appeler.Autrechose?Ilavaitbienraisond’êtrefier.Ilsavaitqu’ilavaittirélebonnuméroavecsa
nana.Elleavaitquelquesannéesdeplusquelui,lescheveuxblonds,lapoitrinegénéreuse,c’étaitunefilleadorable.Unvrairéformédesuprématiste.Ilavaittoujoursl’aird’unalluméduKKK,maisilétaitréglomaintenant.Ilnedisaitrienàpersonnedumomentqu’onnetouchaitpasàsonclub,safamille.Ilétaitmêmealléjusqu’àcouvrirsestatouagesnazispardesimagesdeHadès.—«Desvêtementspourelle.DisàBeautyd’enprendredanslaréservedu
clubàsonmagasin.Qu’ellemetteçasurmanote.Ilfaudrad’abordqu’ellelavoie,pourlataille.Elleportaituntrucblancbizarrequandjel’aitrouvée.»Tankpassaledoigtsurleborddesonverrevidetoutenm’observantavec
curiosité.—Qu’est-ce qui lui vaut ce traitement particulier, Prés’ ?On nous a déjà
foutudesblesséssurlesbras,etd’habitudeonlesrenvoieillicopresto,tulesfaispasdormirdanstonlit.Pourellec’estdifférent?Çafaitjaser,tusais?SeulKy était au courant de cet événement demon passé et je n’avais pas
enviedepartagerçaaveclesautresfrères.Cen’étaientpasleursoignons.Jetournailentementlatêteversluietlefixaiintensément.—Compris, dit Tank en ouvrant le clapet de son téléphone pour appeler
Beauty.Celui-là savait quand il était possible de tirer des infos, et quand il fallait
laisser tomber.Devoircombattredesbandesrivalespoursurvivredurantsesannéesentauleluiavaitinculquécetteleçon.Jel’écoutaidonnersesinstructionsàsarégulière,puisraccrocher.—Elleestlàdansdixminutes.— « Qu’elle aille direct chez moi. Par la porte arrière. Et personne me
déranged’icilà.Compris?»—Cinqsurcinq,Styx.Jefaispasserlemotauxfrères.Quelquesminutesplustard,jemeretiraidansmachambreetaccrochaima
vesteencuiraucrochetderrière laporte.Lafilleétaitallongéeaumilieude
mon lit, immobile. Je vérifiai que Rider n’était pas encore de retour et,profitantdecesquelquesinstantsdesolitude,jem’approchaidulit.Elleétaittoujoursdanslemêmeétat,inconsciente.Je détaillai mon reflet dans le miroir de ma salle de bains.Mes cheveux
noirs étaient hirsutes, j’étais mal rasé et mes yeux noisette trahissaient mafatigue. Mes bras étaient entièrement recouverts de tatouages. Sur le droit,j’avaisHadèssursontrôneavecCerbère,lechiendegardeàtroistêtes,etsurlegauche,unecartedesEnfers;leTartare,l’Élysée,lestroisMoires,lescinqfleuves, et, dominant le tout,Perséphone lapure, déesse et femmedeHadès,fière de se tenir au côté de sonhomme.Maversion dePerséphone avait lescheveuxlongsetnoirs,etdesyeuxbleuglacier.Tiensdonc.Je grommelai en direction demon reflet. Styx,mon gars, t’es en train de
perdrelaboule,putain!Je retiraimon tee-shirt noir et contemplaima poitrine nue, sans tatouage,
tandis que l’écusson des Hangmen couvrait entièrement mon dos. Je faisaisbeaucoup d’exercice, pour évacuer le stress autant que pour conserver uneapparence intimidante. Surtout de la boxe à mains nues, que je pratiquaisdepuis l’âge de huit ans.Mon pèreme poussait au combat. Il se doutait quedans le monde des bikers, on ne me ferait pas de cadeaux concernant monhandicap.C’estpourquoiilm’avaitfourniunautremoyendecommunication.Entretenir la crainte. Être le président d’un club comme celui des Hangmenimpliquetoutuntasdemerdesàgérer.Jefaisensorted’êtremusclépourmefairerespecter.Monmètrequatre-vingt-dixetmescentkiloscontribuentaussiàmaréputation.L’inconnuebougeadanssonsommeil tandisque j’épiaissasilhouettedans
lemiroir.Jemedemandaicequ’ellepenseraitdemoi.Uncolossemuet,cousude cicatrices, portant la Mort sur sa peau. Elle serait sûrement morte detrouille.J’ouvrislerobinetdeladouche,finisdemedéshabilleretentraisouslejet.
Lesangdel’inconnueauxyeuxdeloupteintaderosel’eauquis’écoulaitdanslebac.
Chapitre4
Styx—Styx?Lorsquej’ouvrisunœil,Beautysetenaitdevantmoi,arméededeuxsacsà
l’enseigne de son magasin pour bikers : Sur la route. Tank était appuyé auchambranle de la porte, sans rien dire, étudiant la scène qu’il avait sous lesyeux.Aprèsm’êtredouché,j’avaisenfilémonjeannoiretuntee-shirtnoir,puisje
m’étaisassisdansmonfauteuil. J’avaisdûm’assoupir. Je tournai la têteversl’inconnue.Toujourspareil.—Çava,Styx?LavoixdeBeautymefitmeretourneretjerencontraisamineinquiète.Je
hochailatêteetsignai:—«Tuveuxbienluifaireunetoilette?Tankt’aexpliqué?»Beautyserapprocha.Sescheveuxblondsétaientlâchésetelleportaitunjean
noirmoulantetundébardeurauxcouleursduclub.Savesteencuirproclamait«AppartientàTank».Deboutàcôtédulit,ellecaressalatêtedelafille.Jemefigeai,leventrecontractéparunsentimentdepossessivité.Jen’aimaispasquequelqu’und’autrequemoilatouche.J’avaissoudainenvied’arracherlebrasdeBeauty.Jemepinçail’arêtedunezetmecontrôlaipournepasmettrelarégulièrede
Tankàterre.Qu’est-cequit’arrive,merde?Reprends-toi!m’enjoignis-je.Beautyposasesyeuxbleussurmoi.Ellevitdansmonregardfoulabataille
intérieureàlaquellejemelivrais,j’enétaiscertain.—Elleestbelle. (Ellehaussa lessourcils.)Elleest tombéeducielcomme
ça,blessée?D’un geste vif, j’ordonnai à Tank de se casser. Il opina et ferma la porte
derrièrelui.Jemeredressaietm’adossaiaumurpourluiraconter:—«Quand on l’a trouvée, elle perdait son sang, agonisante, couverte de
merde.Elleabesoind’unboncoupdepropre.C’estpasmoiquivaislefaireetje fais confiance qu’à toi. C’est pour ça que t’es là. Elle ne peut pas encorepartir.Onatropdefédérauxsur ledos.Ilfautqu’ondécouvrequielleestetpourquoielleaatterricheznous.»Jesentaislesquestionsfuserdansl’espritdeBeauty,maisellesegardabien
delesposer.C’étaitlameilleure.Ellesavaitquandilfallaitfermersagueule–contrairementàlaplupartdestraînéesquipeuplaientlebar.— Je vais lui faire une toilette, changer les draps et lui trouver des
vêtements.Jet’appellequandj’aifinisituveux.J’acceptai d’un mouvement de tête et laissai Beauty avec l’inconnue. Je
sentaissonregarddansmondos,perçantdeuxtrousdansmavesteencuir.JemedirigeaiverslesalonetfissigneàKydemerejoindre.À contrecœur,Ky abandonnaTiff et July qui se suçaientmutuellement les
seins,offrantauxfrèresunspectacledigned’unporno,etilmesuivitjusqu’àmonbureau.—Quoideneuf,Styx?Lameufest sortied’affaire ?medemanda-t-il en
fermantlaporte.Jehaussailesépaulesetm’assisàmonbureau.—P-p-passûr.B-B-Beautyestent-t-traindelanettoyer.Sansunmot,ilmeclaquaunemainsurl’épauleets’assitàsontour.—Tuveuxcauser?—Ç-ç-çar-r-resteentren-n-nous,hein?—Biensûr.Jeprisletempsderassemblermessoupçons.—I-i-ilyaunm-mou-mouchard.Kys’immobilisaetdemanda,lesdentsserrées:—Tuenessûr?Jehochailatête.—S-soitça,s-s-soitunagentsouscouverture.—Merde.Iln’yarienquelesbikersdétestentplusquelesmouchards.—Tutetrompesjamaispourlestrucscommeça, tutiensçadetonvieux,
c’estdel’intuitionnaturelle.Uneidéedequiçapeutêtre?—P-p-pas encore.Unco-co-connard a inf-informécemy-mystérieux f-f-
fournisseurdelat-t-transaction,yapasded-d-doute.Je pris une grande inspiration pour calmermon bégaiement,mais plus je
m’énervais,pluslacordeseserraitsurmescordesvocales.Jefinisparlâcher
l’affaireetpassaiauxsignes.—«Ilfautjustetrouverquic’est,pourquoi,etl’envoyeràHadès.»—Tuasunplan?—«Pasencore.Fautvoircommentçatourne.Jelesaiàl’œil.»Kyseleva,marchantpensivementdelongenlarge.—Quiferaituntrucpareil?Jefaisconfianceàchacundenosfrères,jene
doutepasd’unseul.C’estforcémentunegroupieouunnomade.Merde!Je regardai par la petite fenêtre et haussai les épaules. Il avait peut-être
raison.Jesentaisuntrucpasnet.Ilsepassaitquelquechosed’énorme.Kyfitpivotersachaiseets’assitdessusàl’envers,lesbrassurledossier.—Toi etmoi, jamais on balancerait le club.Tank,Viking,AK,Rider, ils
sontlàpourlavie,c’estclair.—«TuessûrpourRider?»demandai-je.Kysecoualatête.—C’estpaspossiblequ’ilsoitlemouchard,iln’aquenouscommefamille.
C’est le meilleur motard qu’on ait. Il fait tout ce qu’on lui demande, nousretape après les bastons, m’accompagne pour faire les affaires, prendn’importequellemissionsansposerdequestion.Ilneméritepasqu’ondoutedeluijusteparcequ’ilestjeuneetpasbavard.Toi-mêmetuasseulementvingt-six ans, mon frère, tu en avais vingt-cinq quand tu es devenu président. Etpersonnen’acontestétapositionàcausedetonâgeoudufaitquetuneparlespas.Ridern’aquevingt-quatreans,maisilaétérecrutéavantsesvingtansetdepuisc’estundesmeilleursélémentsduclub.Jedonnaiunbrefhochementdetête.Iln’avaitpastort.Kypoursuivitsoninventairedesfrèresduclub.—Smiley, ilest làpour lavie.Bull, loyalàs’endamner.Ducoupil reste
Flammeetonsaittouslesdeuxquec’estungrosmalade.Laseulechosequileretientdefaireunmassacredansuncentrecommercialbondéunsamedi,c’estceclub.Àpartça,ilyaPitoulespetitsnouveaux,maisilsnesaventrien.Onneleurdonneaucuneinfoprécise.LesfrèresfontconfianceàPit, ilsveulentqu’ilsoitintégrébientôt.(Ilsecoualatêteetdonnauncoupdansledossierdela chaise.) Putain ! Qui ça peut être ? C’est forcément les fédéraux ou unesalope– surveillance téléphoniqueouuneautreconneried’espionnagedecegenre.Pour une fois, je m’en fichais pas mal. Mes pensées étaient de nouveau
dirigéesversmachambreoùsetrouvaitl’inconnueauxyeuxdeloup.Unemains’abattitbruyammentsurmonbureau.
—Styx!Putain,mec,ressaisis-toi!LevisagecontrariédeKyétaitjustedevantmonnez.Mesyeuxs’étrécirent
etmonamirefrénaunmouvementderecul.—«Commencepas.Premieretdernieravertissement.»Illevalespaumesetrecula.—Trèsbien.Maiscettemeuftemetlatêteàl’envers.Jevaiscommencerà
fouiner,tâterleterrainsansmefaireremarquer.Çaresteentrenous.Jerelâchaimonsouffle.— « Ouais. Faut qu’on sache qui sont les nouveaux dans le business des
armesauTexas.»Jeme levai etme dirigeai vers la porte, puisme retournai versKy pour
signer:— « Je retourne chezmoi. Beauty doit avoir fini maintenant. Je vais pas
attendretoutelanuit.»Jeretraversailesalon,passaiparl’arrièredubâtimentetgrimpail’escalier
pourfrapperàmaporte.Enouvrant,jevisBeautyquiselavaitlesmainsdanslasalledebains.Ellelevalatête.—«Tuasfini?»luidemandai-je.—Elleesttoutepropre.J’apporterailesvêtementsdemainaprèsmajournée
deboulotaumagasin.Pourl’instantelleestenpeignoir.(Ellelongealelitpuisme regarda en secouant la tête.) Elle estmince, Styx. Bien tropmince, si tuveuxmonavis.Ellemangerien,ondirait.Jem’autorisaienfinàregarderlafillesurlelit.Merdealors.Lavisionme
coupa le souffle. Sa peau fraîchement lavée était parfaite, sa chevelure enfindébarrasséedusangetdelasaletéavaitétésoigneusementséchée.Merde,c’étaitbienelle…Beautyrassemblasesaffairesetavecunpetitsourire,ellemefitremarquer:— On dirait Blanche-Neige, Styx : les cheveux noirs, la peau claire, les
lèvres rouges. Elle est magnifique. Pas une trace de maquillage et voilà lerésultatmalgrétout.Merde,c’estpasjuste!Pasétonnantquelesfillesduclubrâlent:tulagardesicirienquepourtoietellesnesaventriensurelle.Jelaissaiéchapperunsoupiragacé.Blanche-Neige,putain!JesentaisqueBeautymeregardaitd’undrôled’airensetordantlesmains.
Moi,hypnotisé,jenedétachaispasmonregarddulit.Beautybaissalatête.Sonattitudeétaittellementbizarrequeçacommençaitàmecourirsurlesystème.Jefronçailessourcilsetsignai:
—«Quoi?»Ellefermalesyeuxuninstantpuissoupira.—Elleapleindecicatricessurlecorps,Styx.Lecœurbattant,jem’immobilisai,sentantlaragemonterenmoi.—«Oùça?»Beautyrefusaitdemeregarderenface.Jel’attrapaiparlebras,l’obligeantà
regardermesmains.—«Où?»— Surtout dans le dos. Des traces de fouet, je crois. Ils l’ont pas loupée.
Mais…quiapufaireça?Quipratiquelaflagellationdenosjours?Voyantunvoilede tristessesur levisagedeBeauty, je laquestionnaid’un
haussementdesourcils.—Elleenaaussiàl’intérieurdescuisses.Ondiraitd’anciennescoupures,
desmarquesdecouteauoupire…Sanspréciser,ellelaissasessoupçonsflotterdanslapièce.Merde.Beauty se dirigea vers la porte, posant unemain surmonbras tétanisé au
passage.—J’espèrequ’ellevas’en tirer,Styx. J’ai l’impressionqu’ellemériteune
meilleureviequecequ’elleaconnujusqu’ici.Je restai silencieux. J’étais incapable de réfléchir correctement. Des
cicatricesentrelescuisses…Jem’assisdanslefauteuilprèsdulitetregardailapoitrinedelafillequise
soulevait au rythme de sa respiration. Je me penchai, pris une grandeinspirationetm’efforçaidedétendresuffisammentmagorgepourmurmurer:—S-s-si tum-m-m’entends, t-t-tiensbon.Réveille-toi,bordel.Ça faitq-q-
quinze putain d’années que je t-t-t’attends.Alorsme c-c-claque pas entre lesdoigts,c-c-compris?
Chapitre5
SaloméLalonguerobeblanchesansmanchessemblaitmenarguer.J’étaissurlesol
dema chambre, contre lemur, repliée surmoi-même pourme protéger dufroid.Une robe.Une robedemariéevirginalequime tourmentait,me rappelant
qu’aucoucherdusoleil,jeseraismariée.SeptièmeépouseduprophèteDavid.LafemmequeDieuluiavaitdésignée.J’étaiscellequiattireraitlabénédictionéternellesurl’Ordre,surlepeupleélu.J’aideraisàréhabiliterlesMaudites,àracheteretabsoudrenospéchés.J’appuyai la tête contre les parpaings gris dema chambre en fermant les
yeux, imaginant ce que pouvait être la liberté. À quoi ressemblait la vie àl’extérieur de la grande clôture ? Les gens étaient-ils vraimentmauvais au-dehors?Tous leshabitantsde laTerrecherchaient-ilsànous fairedumal?Les hommes ne souhaitaient-ils rien d’autre que posséder et souiller lesfemmes?Je ne savais pas. Parfois je doutais des enseignements du prophèteDavid,
mais je n’en parlais pas tout haut. Personne ne remettait en question sesenseignements–àmoinsdevouloirêtrepuni.Jeneconnaissaisriensurlaviehorsdesmurs,etàpartirdecesoir,mondevoirconsisteraitàêtrepremièreépouse.Jenepourraisjamaisquittercetendroit.L’estomac noué, je passai mes mains tremblantes sur mon visage. Je n’y
arriveraispas.Pisencore, jenesavaispasoùse trouvaitmasœuraînée.Masœurdesang,Bella,avaitdisparuquelquessemainesplustôt,sanscriergare.Elles’étaitsimplementévaporée.Onrefusaitdemedireoùelleétait.Aprèsdenombreux jours sans nouvelles, j’en étais venue à craindre le pire. FrèreGabrielsavaitquelquechose.Safaçondemeregarderd’unairgoguenard,enjubilantpresque, le trahissait.Aucoursdesannéespassées, ilétaitdevenudeplus enplusobsédéparBella,mais cet attrait n’était pas réciproque.Etdanssonregardonvoyaitqu’ilvoulaitluifairepayersonindifférenceàsonégard.Un coup sec frappé à ma porte interrompit mes pensées. Sœur Ève entra
dans la pièce, tenant une guirlande de fleurs fraîches entre sesmains ridées.Quandellevitquej’étaisaffaléeparterre,ellefutsurmoiendeuxenjambées.—Lève-toi,petite insolente.Pourquoin’es-tupasplongéedans laprière?
Tucomprendslasignificationdecejour,detonmariage,l’importancedecetévénementpournoustous?Ellem’attrapaparlebrasetmefitleverdeforce.SœurÈvefaisaitpartiedes
douzeOriginaux.C’étaitlafemmequejecraignaisetdétestaisleplus,etelleétait là pour m’aider à me préparer. L’inimitié était réciproque. La jalousiedévorante qui émanait de son corps massif et vieillissant était si puissantequ’elleimprégnaitl’airhumidenousentourant.J’étais l’unedesquatreMaudites.Quatre femmes considérées comme trop
attirantespourleshommes.Onnoustenaitisoléesdurestedelacommunauté,sousprétextequelediabledevaitavoirparticipéànotrecréation.Nousétionsquatre:messœursdesangBellaetMaddie,notreamieLila,etmoi.—SœurSalomé!Tenez-vouscorrectementethabillez-vous.SœurÈvemetiraverselleetmesusurraàl’oreille:—Àmesyeuxtun’espasassezbienpourleprophèteDavid,maisDieut’a
choisiepourêtresaseptièmeépouse,etjenepuisdouterdesarévélation.Jecourbai l’échine.SœurÈveétaitmasupérieureet jenevoulaispasêtre
châtiéepourmadésobéissance(descoupsdefouet,d’innombrablescoupsdefouet).—Ouimasœur,jecomprends.Jevaism’habillerimmédiatement.Elle alla à la coiffeuse et y disposa le diadème de fleurs blanches, l’huile
parfuméeàlavanilleetlessandalesdecérémonie.Elleagrippaleborddelatableuninstantavantdesetournerversmoi,leslèvresserrées,l’airhésitant.—Ilfaudraquetufassestrèsattentioncesoirlorsdelacommunion.Je ravalai labilequimontait dansmagorge.LeprophèteDavid avait une
maladie.Dupuss’écoulaitdegrossesplaiesàvifqu’ilavaitsurtoutlecorps.Onm’avaitappriscommentm’occuperdelui,maisrienqu’enypensantmondevoirmedégoûtaitdéjà.—Àcausedesesaffections,leprophèteadumalàêtre…excité.Tudevras
lepréparersoigneusementpourvotreunioncettenuit.C’estnotresortàtousquivaêtrechangéparcetacte,quidoitêtreaccomplisousl’œildeDieu.Ettudoistomberenceintepourquelaprophétieseréalise.À l’idée de ce que je devais faire, mes jambes se mirent à trembler. Le
prophèteDavidavaitsoixante-dixanspassés,étaitobèseetsentait…mauvais,d’aprèscequ’onracontait.Alorsquejen’avaisquetreizeans,ilavaitdéclaré
que jedeviendrais sa femmeà l’âgedevingt-troisans.LeSeigneur luiavaitfaitcetterévélationlorsd’uneretraiteendehorsdel’Ordre.Etàpartirdecejour-là,mondestinavaitétéscellé.SœurÈvepritmonmentonentresesdoigts.—Tuasbiencompris,Salomé?—Oui,masœur,répondis-jeenm’inclinant.Elleapprouvad’unbrefhochementdetête.—Jedoismerendreàl’autel.Jereviendraitechercherpourlacérémonie
dansmoinsd’uneheure.Tiens-toiprête.Puisellerepartit.Jemelaissaiaussitôtretomberausoletcontinuaiàfixerdesyeuxlalongue
robeblanche. J’étaismaladeà l’idéede la tâchequim’attendait. Jene savaispas pourquoi onme faisait un tel honneur, mais je n’aurais souhaité cela àpersonne.Aprèsm’êtreointlecorpsd’huileparfumée,j’enfilairapidementlarobeet
libéraimescheveuxdemacoiffepourdisposer lediadèmede fleurssurmatête.Àlaporte,jem’attendaisàtrouverungarde,maislecouloirétaitdésert,aussi je m’empressai de gagner la cour sans bruit. Toute la maison étaitplongéedanslesilenceetsemblaitvide.J’avaisbesoinderespireruneboufféed’airfrais.—Salomé!Lechuchotementpressantvenaitde l’aileouestdubâtiment.Entournant la
tête, j’aperçusDalila. J’attrapai l’ourletdema robeet courusà sa rencontre,puisl’entraînaiderrièrelehautmurenbriques,àl’abridesregards.—Quefais-tuici?Tuseraspuniesiontetrouvelà!Soucieusedevérifierqu’iln’yavaitpersonnealentour,jeneremarquaipas
toutdesuitelesyeuxgonflésetlesjouesrougesdemonamie.—Mae…, chuchota Lila, plus doucement cette fois, et sa petite voix me
communiquaaussitôtunfrissond’inquiétude.—Quoi?Qu’est-cequ’ilya?Ellem’attrapalamainetlaserra.Jesusaussitôtdequoiils’agissait.Bella.—Qu’est-cequ’illuiestarrivé?demandai-jecalmement.—Elle…elle…Maddieetmoi,nousvenonsdedécouvriroùelleest…Jetiraibrusquementmonamieversmoietlapressaidepoursuivre.—Où?Oùl’ont-ilsenvoyée?Elleprituneinspirationtremblanteetrévéla:
—Elleestenfermée…mais…—Maisquoi?—Mae,ellen’avaitpas l’airbien.Ellem’aregardée,maissonexpression
étaitbizarre.J’aipeurque…Jecroisqu’elleesten traindepartir…Jecroisqu’elleest restée longtemps là-dedans.Onnousaordonnédeporter le repasdesgardesàunnouvelendroitet…etc’estlàquenousl’avonsvue.Ohmondieu,Mae…Dalila,incapabledefinirsaphrase,secouvritlabouched’unemainpâle.J’avaisl’impressionqu’onvenaitdemecouperlecœurendeux.Jeprismes
jambesàmoncou.—Mae!En jetant un coup d’œil derrière moi, je vis que Lila me poursuivait. Je
tendislebraspourluiprendrelamainetdemandai:—Oùest-elle?Montre-moi!Auboutd’unmoment,ellerépondit:—Jevaist’yconduire.Nous empruntâmes un sentier bordé d’arbres et traversâmes deux jardins.
Moncœurs’emballait, lesangbattaitàmes tempes,monventreseserrait, lasueurperlaitàmonfront.Prenant ladirectionde l’autel,nous traversâmes la forêtpournepasnous
risquer sur le sentier à découvert qui menait à l’endroit où toute lacongrégation attendait pour la cérémonie. En approchant de la lisière desarbres, j’avisaiunbâtimentenpierreavecunepetitegrillenoire.Etderrièrelesbarreaux,uneformehumaineavachiesurlesolenbéton.Unefemme,facecontreterre,etimmobile.Unsanglotmontadansmagorgeetjem’élançai,portéeparmesjambesqui
semouvaienttoutesseules.Masœur!Alorsquejem’apprêtaisàsortirducouvertforestier,jefusplaquéeausol
et tiréesansménagementsouslesarbres.Jemedébattis,griffant lapersonnequimeretenait.—Salomé,c’estmoi,Dalila!Arrête!Levisagebaignédelarmes,jecessaidelutter.—Queluiont-ilsfait?Ellenebougepas!Dalila posa unemain sur ses lèvres tremblantes et secoua la tête d’un air
désespéré.—Jen’ensaisrien.Jenesaispascequis’estpassé.
J’inspectailesenvironssansyrepérerunseulgarde.Aussijecourusjusqu’àlagrille.J’attrapailesépaisbarreauxd’acieretmurmurai:—Bella?Masœurgisaitsurlesol,sale, tachéedesang.Elleétait tropmaigre,avait
lescheveuxemmêlés.Unfrémissementauboutdesesdoigtsm’indiquaqu’elleavaitentendumavoix.Avecdesmouvementslentsquitrahissaientsonétatdefaiblesse et les efforts considérables qu’elle devait fournir, Bella parvint àreleverlégèrementlatête.Alorsseulementjeremarquailaréférencebibliqueinscriteauplafonddelacellule.—Apocalypse2:20,murmurai-je.—«Maiscequej’aicontretoi,c’estquetulaisseslafemmeJézabel,quise
dit prophétesse, enseigner et séduiremes serviteurs, pour qu’ils se livrent àl’impudicitéetqu’ilsmangentdesviandessacrifiéesauxidoles…»,récitadetêteLila.Jefusprisedemalaiseetportaiunemainàmabouche.Queluiavaient-ils
doncfait?Elleétaitsquelettique.—M-Mae…,soufflaBellad’unevoixatone.Elleessayad’ouvrirlesyeux,maisilsétaienttroptuméfiés,sescilsenglués
desangséché.—Jesuislà,Bella!Oh,Seigneur,jesuislà!luiassurai-jeenmeplaquant
contre les barres métalliques, tendant le bras au maximum pour saisir sesdoigtsmaigres.Bellasoufflaetunsouriretordusedessinasurseslèvres.— Je suis contente. (Elle toussa et gémit de douleur en s’efforçant de
bouger.)Quetum’aiestrouvéeavantqu’ilnesoittroptard.—Qu’est-cequ’ilst’ontfait?demandai-je,lesdentsserrées,enexaminant
soncorpsenpiteuxétat.Le sol de pierre était maculé de flaques de sang coagulé. Sa robe était
déchiréedans ledos, laissantparaîtresapeaubarréedecoupsdefouet.Et lebasdesarobe…toutcesang…oh,non!Ils…Jenevoulaispasypenser,niluidemander s’ils avaient abuséd’elle.Sescuissesétaient couvertesdebleusenformedemains.Desfouetsavaientétéoubliésaufonddelacellule,contrelemur.—Désobéi…,murmura-t-elle.Bella essayait de s’approcher, et maintenant j’avais toute sa main dans la
mienne,l’accompagnantdanssonmouvementpénible.—Désobéiàquoi,àqui?lapressai-jetandisqu’elles’installaitplusprèsde
lagrille.Lorsqu’ellerespiral’airfraisdecettefind’après-midi,ellesourit,lesjoues
réchaufféesparlesoleil.—Gabriel…j’aimanquéàmondevoir…pourl’assouvir…j’airésisté…il
m’atraitéed’égoïste…(Ellefronçalessourcils.)Jene…mesouvienspasdureste…Toutestflou…Jem’étranglai,murmurant:—Oh,masœur,non!Un faible sanglot monta dans la gorge de Bella, mais les larmes ne
pouvaientmêmepass’écoulertantsesyeuxétaientamochés.—Jenemesouviens…derien…jecroisque…onm’adroguée…je…—Bella,jesuisdésolée…—Chhh,tun’yespourrien…Lacaptivegrimaça, ravalantsadouleur,etparvintàse traînerunpeuplus
prèsencore.— Gabriel m’a détruite morceau par morceau depuis mon enfance. Mon
innocence, mon corps. Mais jamais mon cœur. Il n’est pas digne de monamour,Mae.Lesdisciplesnem’ontjamaislaissélachancedetrouverceluiquilemérite.Gabrieln’estqu’unmonstreperversetaigri.Jem’aplatispar terre,sansmesoucierdesalirmarobedemariéedans la
boue,pourêtreàhauteurdesyeuxbleustuméfiésdemasœur,danslesquelsjemereconnaissais.—Bella, tu asboncœur.Tuasunebelle âme, endépitdecequ’il t’a fait
subir.—Tuas raison,masœur, j’iraià la rencontredeDieuavec laconscience
tranquille,murmura-t-elled’unevoixsourdeàpeineaudible.J’étais tétanisée,marespirationdevenaitsoudaindifficile.«Àlarencontre
deDieu»?Je laissai sesmains etme redressai pour secouer frénétiquement la grille.
Lilasejoignitàmesefforts,pourtant,mêmeàdeux,nousneparvînmespasàl’ébranlerd’unmillimètre.—Bella,jevaistesortirdelà,luiassurai-jeentirantdeplusbelle,maisen
vain.—Arrête…laisse…Jevaismourir,Mae…—Non!Désespérée,jemelaissairetombersurlesol,etLilaaussi.J’attrapailamain
demasœuretdépliaisesdoigtsosseuxpourembrassersespaumesécorchées.
— Je veux partir, Mae, je veux rejoindre notre Seigneur. Je ne peux pascontinueràvivreainsi,meconfia-t-elle.—Non,Bella,jet’enprie,j’aibesoindetoi.—Jecroisqu’elleestrestéetrèslongtempsdanscettecellule,mechuchota
Lila.Nousavonsentenduungardedirequeçafaisaitdessemaines.C’esttroplong,Mae.Bellaestgravementblessée…abîmée.—OùestMaddie?demandai-jesoudain,frappéeparlacraintequemapetite
sœuraussiaitétéenlevée.Lilasepassaunemaintremblantesurlevisage.—FrèreMoïsel’aemmenéepoursonéchangesacrificiel.Jegrimaçai.Elleensortiraitencoreplusintrovertie.ChaquefoisqueMoïse
prenaitMaddie pour assouvir ses désirs, il lui faisait dumal.Maddie n’étaitplusqu’unecoquillevide.Elleneparlaitpresquepas,onauraitditqu’ellenevivaitplus.C’étaitunfantôme.—Pitié!m’écriai-je.Ma sœur me répondit par une faible pression des doigts qui me fit
comprendre combien elle étaitmal en point. La vie était déjà en train de laquitter.—Resteavecmoi,s’ilteplaît,reste!Reste,ilfautjusteque…Elletoussaetdesfilamentsrougescoulèrentsursonmenton.Jefermailes
yeuxetluicaressaidoucementlatête.Ellesoupiraetarticulapéniblement:—Tudoismelaisser,Mae.J’aibesoindemereposer.Jesuissifatiguée…Elleentrouvritlesyeuxunbrefinstantetajoutad’unevoixfermeetrésolue:—Quandj’aurairendumonderniersouffle,enfuis-toi,petitesœur.Cours,
net’arrêtepas…Alorsleslarmessemirentàcoulersurmesjouesetjemurmurai:—Jet’aime,Bella.Jesuistellementdésolée…Ledoux sourireque je lui connaissaispassa fugacement sur ses lèvres, et
ellesusurra:—Moiaussijet’aime,plusencorequetunel’imagines…Dis…aurevoirà
Maddie…Jenesaispascombiendetempss’écoulatandisquej’observaissapoitrine
sesouleverets’abaisser,maisjesusprécisémentlemomentoùellepartit.Jesentis sa main devenir molle et une immobilité sinistre gagna son corpsmalmené.UnelarmeuniquecoulalelongdemajoueetDalilam’étreignitetmefrotta
ledos.J’avaislagorgesiserréequejemegriffailecou,étouffantdedouleur.— Dalila, je ne peux pas la perdre ! Avec Maddie et toi, c’est ma seule
famille,mameilleureamie.Elleesttoutpourmoi.—Jesais,masœur,jesais,maisc’estlavolontédeDieu…Salomé,oùvas-
tu?Je n’avais pas eu conscience de m’être levée et mise à courir avant que
Dalila m’agrippe par l’épaule. Arrêtée dans mon élan, je sentis ses doigtsserréssurletissudemarobedemariée.—Attends!Enréponse,j’attrapaisamainetlatiraiversmoi.—Viensavecmoi.OntrouveMaddieetonpart.—Partiroù?—Au-dehors.Sesyeuxbleuss’agrandirent.—Oùça«au-dehors»?—Del’autrecôtédelaclôture.Jenepeuxplusresterici.—Mais tudoisépouser leprophèteDaviddansuneheure !Salomé, tune
doispasdésobéir,sinontuseraspuniecommeelle.C’enseraittroppourmoi.PourMaddieaussi!— Gabriel et le prophète David ont tué ma sœur ! Comment pourrais-je
épouseruntelhomme?Commentpeux-tusouffrirderester iciuninstantdeplus,sachantqu’ilapprouvecegenredechâtiments?—Mais…mais…larévélation!Tuasvingt-troisansaujourd’hui.Tudois
temarier,pourlebiendetous.Sinonnousseronsdamnés!Le sang qui bouillonnait dans mes veines se figea et ma foi jusque-là
inébranlablesebrisacommelaglacefragilesurunlac.— Que Dieu foudroie le prophète David et qu’il brûle en enfer pour
l’éternité ! Je crois au bien, pas aux sacrifices. Je crois au pardon, pas à lavengeance.LeSeigneurauqueljecroisestbienveillantetbon.Lesdisciplesetle prophète ne ressemblent en rien à cela. Qui s’est montré miséricordieuxenversmasœur?Quinousajamaistémoignédelacompassionaucoursdenotrevie?J’enaiassezdecetteexistencemisérable!ÇanepeutêtrelavolontédeDieuet àpartir d’aujourd’hui je refusede le croire.LeprophèteDavidacorrompulavraiecroyance.Jenecroisplusunmotdecequesesdisciplesetluinousdisent!Choquée,Dalilarecula.—C’estdublasphème,Salomé!
—Jem’enfiche!hurlai-je,toutenvérifiantd’unregardalentourqu’onnem’avaitpasentendue.Monamiemedévisageaitàtraversseslarmes,lesmouvementssaccadésde
sapoitrinetrahissantsapanique.Jetendislesmains,suppliante.— Je t’en prie,Dalila, viens avecmoi. Il doit y avoir une autre vie en ce
monde.Pournoustoutes.Ellesecouaitfrénétiquementlatête.—Non, dehors c’est lemal.Lemal règne au-delà de la clôture, attendant
unefaiblessedenotrepart.Tuconnaisaussibienquemoilesenseignements,lesmisesengarde.Dehorstuserasendanger.Tusortirasdudroitchemin.EtMaddie…ellen’irapasavectoinonplus.Ellerechignemêmeàsortirdenoschambres,c’estdire!Elle avait tort au sujet du dehors. Forcément. Le droit chemin n’était pas
entrecesbarbelés.Jevaistentermachanceau-dehors,au-delàdelaclôture.—Jedoispartir.Nedisàpersonnequetum’asvue,s’ilteplaît.—Salomé,jenepeuxpasmentir.C’estunpéché.Jerisqued’êtrepunie.Elleavaitraison.—Alorscache-toiunmoment.Laisse-moiletempsdem’enfuir.—Laclôtureesttrophaute,ilsnetelaisserontpaspartir.Tudevrasfranchir
des kilomètres de terrain inhospitalier, et où iras-tu ensuite ? Nous n’avonsjamaisvu lemondeextérieur,Salomé,nousnesavonspascommentc’est.Etlesdisciples te retrouveront. Ils retrouvent toujoursceuxquis’enfuient. (Ellehoqueta.) Tu sais ce qu’ils font aux déserteurs,Mae. Je… je ne veux pas teperdre,toiaussi…— Peut-être bien, mais je vais essayer quand même. Retourne dans ta
chambreet restes-y.Sion te trouve,nemenspasau sujetdeceque j’ai fait.Préserve-toiavanttout.EtprotègeMaddie.Je serrai ma plus proche amie dans mes bras, essayant de mémoriser la
sensation réconfortantequecelameprocurait,puis je luiglissai tristementàl’oreille:—Jevaisprierpourvoustouslesjours.Nousnousreverrons,Lila…Disà
Maddie…qu’unjournousnousretrouveronstouteslestrois…Jeme dégageai et Dalila recula en direction du quartier desMaudites, le
visage déformé par le choc, la peur et le chagrin. Pieds nus, je fonçai endirectiondelaclôture.Jedevaispartir.
Jem’ordonnaidecourir.Cours…net’arrêtepas…
Chapitre6
SaloméJ’expirai une bouffée d’air et ouvris brusquement les yeux. J’avais un
panneau de bois sombre en guise de ciel au-dessus de moi.Mon champ devisionétaitbordédelégersscintillements.C’étaitunrêve.Rienqu’unrêve…Cesentimentdepaix rassurante s’évanouit rapidement lorsque je constatai
quejeneconnaissaispasceplafondétrange,nil’endroitoùjemetrouvais.Ilflottait dans cette pièce sombre une odeur que je n’avais jamais rencontréejusque-là.Ducuirpeut-être,etunesorted’huile?Les paupières à peine ouvertes, je jetai un coup d’œil sur la droite : un
hommeétaitdeboutdevantunelonguetable.Ilavaitlescheveuxlongsetbrunset sortait quelque chose d’une sacoche noire. Il me tournait le dos, révélantl’imagecousueàl’arrièredesavesteencuir.Audébut,jenevoyaispasbiende quoi il s’agissait, mais quand je reconnus enfin le dessin, mon cœur sechangeaenplomb.Satan!Jem’efforçai de garder le contrôle dema respiration tout en rassemblant
mesespritsembrumés.Meraccrochantaumoindreespoir,jemeréjouisqu’iln’aitpasencoreremarquéquejem’étaisréveillée.Maislorsqu’ilseretourna,jevisqu’ilportaitlabarbe.Undisciple?Jeluttaipourdémêlermessouvenirsetdécouvrirpourquoi jemetrouvais
là. C’était le jour demes vingt-trois ans… le jour demonmariage avec leprophèteDavid…mais…ilétaitarrivéquelquechose,etj’avaisfui.Moncœurpompait le sangavec la forcedesgrands rapides, courantsbrûlants sousmapeau. Quel était cet événement ? Je voyais… une grille… un corps…ma…NON!Bella!Bella dans une cellule… battue, ensanglantée, délaissée… mourante. En
rendantsonderniersouffle,ellem’avaitexhortéeàfuir.Jen’auraispaspulasauver.Jem’étaisenfuie,j’avaiscouru…Lasuitem’échappait.J’avaislesoufflecourtetsaccadé.J’essayaidebougerlamain,maisquelque
chosem’entrait dans le bras. Je pianotai nerveusement des doigts. Je nemerappelais pas ce qui m’était arrivé, ce qui m’avait conduite dans ce lit,inconsciente ; néanmoins, j’avais une certitude : je devais partir, fuir cetendroit.Jememisàcomptermentalement.Un…deux…trois…quatre…cinq…Du
boutdesdoigts,j’inspectailesdrapsquimebordaient.Jeportaisunesortederobe.Six…sept…huit…neuf…J’inspiraiungrandcoup.À dix, je me soulevai lentement. Mes bras et mes jambes me semblaient
douloureusementpesants.Jeposailespiedsparterreetserraipudiquementlarobefendueautourdemataille.Aussitôtunedouleurfulgurantetraversamonmolletgauche.L’étranger fit volte-face, sûrement alerté parmesmouvements. Il lâcha ce
qu’ilavaitenmainetserapprochaprudemment,lespaumeslevées.Sasurpriseétait flagrante. Je fis rapidement le tour de la pièce du regard : une grandecommodeenbois,unfauteuilencuirnoir,unlit,desmurspeintsennoir,uncabinetdetoilette.Unesensationdetiraillementmefitremarquerqu’untuyaureliaitledosde
ma main à un sac transparent suspendu à une colonne du lit. J’arrachail’aiguille,etpoussaiuncrilorsqu’ellemedéchiralachair.Unfiletdesangsemitàcoulerlelongdemonbras.—Non!Merde!Attends.Calme-toi.Tout…va…bien…L’hommeessayaitdem’amadoueravecsavoixgrave.Jenel’avaisjamaisvudanslacommunauté,maisc’étaitundisciple,aucun
doute là-dessus. Ce qui signifiait que je devais fuir. Je compris queGabrielavaitdû finirparme retrouver.Et cethommeétaitmongeôlier. J’allais êtrechâtiée.J’avisaiuneportederrièremoi,surlagauche.Lasortie.L’inconnufitdeux
pasversmoietmeparla,pluslentementcettefois.—S’ilteplaît,nebougepas.Jenevaispastefairedemal.J’inclinailatêtesurlecôté.Ilsemontraitgentil,doux,même,maisjesavais
que c’était une ruse, unemanœuvremaléfique. Il sepassaunemaindans lescheveux et roula les manches de sa chemise noire, exposant ses avant-brasmusculeux.Jereculaiprécipitammentetheurtailemur.Sesbras!Ilportaitl’imagedu
Malin.Figéepar l’effroi, je nepouvaisdétachermon regardde cettevision.Percevant ma panique, il baissa les yeux pour comprendre ce qui l’avaitdéclenchée.
—Merde,non!(Illevaversmoisesyeuxbrunsécarquillés.)Cen’estpascequetucrois!N’aiepaspeurdemoi.Les signaux d’alarme conditionnés par toute une vie de mises en garde
s’allumèrentdansmonesprit:«Lemalrôde.Lemalsesaisiradetoi.Lemaldétruiratonâme.»Lesjambescommeengluéesparlapeur,jevoulusgagnerlaporte.J’avais
l’impression d’avoir la jambe gauche en feu.Malgré la douleur, je tentai letoutpourletout,tablantsurlefaitqu’ilsetrouvaitdel’autrecôtédulit.—Non,attends!Ahputain!Je n’attendis pas. J’agrippai la poignée et m’avançai d’un pas chancelant,
claquant la porte derrière moi. Je longeai un couloir étroit et sombre etdescendisunescalier,meservantdumurcommeappui.J’entendais des voix au bout du couloir. Je jetai un coup d’œil par-dessus
monépauleaumomentoùlebarbusortaitde lachambreenm’ordonnantdem’arrêter. Son corps massif semblait emplir tout le couloir. Sa façon demarchermerendaitnerveuseetsonvisagecrispémeterrifiait.J’essayai de courir plus vite,maisma jambe blesséeme faisait souffrir à
chaquepas.Unegrandeported’aciermeséparaitdesgensquipourraientpeut-être m’aider – ou pas. J’étais dans l’ignorance, mais je n’avais pas d’autreoption.J’appuyaisurlagrandepoignéedetoutesmesforcesetfisuneentréefracassante,m’étalantparterre.Mesjambesavaientfiniparsedérober,àboutdeforces,et,prisedevertige,jecommençaisàvoirflou.Jerelevailentementlatête.J’avaisl’impressiondetanguer.Denombreuses
paires d’yeux étaient braquées surmoi. Jeme trouvais au beaumilieu de lapièce et les gens formaient un cercle autour de moi. Ils étaient nombreux,d’allureétrangeet inquiétante. J’avais la sensationqu’ils tourbillonnaientau-dessusdemoi.Jesentisleslarmesvenir.Jeravalaiunsanglot.Etsilesenseignementsdisaientvrai?J’étaispeut-être
beletbienenenfer.Lesmursdecettegrandesalleétaientnoirs,décorésd’imagedeSatanetde
l’enfer:desbrasiers,dusang,desdémons,desbêteshorribles,desfleuvesauxflotssombresgrouillantd’âmesdamnées.J’étouffaiuncriencomprenantqueleprophèteDavidn’avaitpasmenti:endehorsdel’Ordre,lemalrégnait.Etj’avaisfuimonsanctuaire.J’inspectai mon environnement immédiat, un peu moins étourdie qu’un
instant plus tôt. Il y avait unemajorité de femmes demauvaise vie en petitetenue.Deshommesmaldégrossis,àl’allurenégligéeetauxcheveuxlongs,les
touchaient aux endroits les plus intimes, et elles-mêmes les incitaient à cescomportementsdépravés.Leurs regardsgoguenardsm’intimidaient,hommesetfemmesmeregardaientensouriant,certainsexprimantcequiressemblaitàdelasympathie,d’autres,undésirsexueléhonté.Péchémortel.Derrière moi, la porte claqua. Je me figeai, telle une biche résignée
encercléeparunemeutedelions.Ensentantlebarbuapprocher,jefusprisedefrissons.Un grincementmétalliqueme fit sursauter : une chaise était traînée sur le
parquet.Lebruitsurvolalafoule,etplusieurspersonnessetournèrentverssonorigine.—Bébé,tuvasoù?demandaunevoixdefemmeàl’autreboutdelapièce.Lafoules’écarta,maispersonneneréponditàlaquestion.Retenant mon souffle, j’attendis de voir qui allait apparaître. Un homme
immenseetmusclésurgitalors.Sonregardpénétrantseposasurmoi,etdèslorsjenefisplusattentionàautrechosequesesgrandsyeuxnoisette,sesjouesmalraséesetsescheveuxnoirshirsutes.Ilmedominaitdetoutesahauteur,etmoi,avachieparterre,jen’osaisplusrespirer.Onauraitdit lediableenpersonne,maisc’était toutbonnement leplusbel
hommequej’aiejamaisvu.Ildégageaituncharmebrutetuneaurad’autoriténaturelle.Jemereculaimaladroitementetrencontraiaussitôtlespiedsdubarbudela
chambre.Ils’accroupitetposalesmainssurmesbraspourmestabiliser.Maisl’inconnuauxyeuxnoisettevenaittoujoursversmoi,etnes’arrêtaqu’àdeuxpasdemoi.Il s’agenouilla et examina attentivement mon visage. Il respirait
profondément,lesnarinesdilatées.Ilentrouvritleslèvresetsouffla.Derrièrelui,quelqu’untoussaetiltournalatête,melibérantdesonregard.Jeposaiunemainsurmoncœuraffolé.C’était tropdechosesà lafois, jenepouvaispasmeconcentrer.J’avaislesoufflecourt,j’étaissubmergéeparunepeurpanique.Je tentai de maîtriser les tremblements de mes membres : cela ne fitqu’augmentermonanxiété.Sur un claquement de doigts, quelqu’un s’approcha, me faisant sursauter.
L’homme aux yeux noisette se mit alors à bouger les mains, effectuant desmouvementsprécisquejenecomprenaispourtantpas.—Vaverslui.Quoi?Quesepasse-t-il?
Jelevailatêtepourvoird’oùvenaitcetordreetjedécouvrisunhommeauxlongscheveuxblonds.Ilvintversmoi.—Calme-toi.Tuesensécurité,m’assura-t-ild’unevoixapaisante.Sesyeuxétaientsympathiquesetilétaittrèsbeau.ToutcommeleMalin,me
sermonnai-je.L’homme aux cheveux noirs s’approcha encore. Il n’était qu’à quelques
centimètres demoi.Etmêmedansmon état de faiblesse extrême, son odeurenivrantemetroubla.Ilétaitdangereux,maisenivrant.Je levai craintivement les yeux à sa rencontre. De nouveau, ses mains
effectuèrentcettedanseétrange.—Tu n’as rien à craindre. Personne ne te fera demal, je t’en donnema
parole,meditl’hommeblondtoutenregardantattentivementlesmainsdesonami.J’avaisl’impressionqu’iltraduisaitsesmouvementsenmots.J’étaistellementdéroutéequej’enauraiscrié:jenecomprenaisriendece
quim’arrivait,jenesavaispasoùj’étais,nipourquoicethommeneparlait.Soudain le souvenir du garçon rencontré de l’autre côté de la clôtureme
revint en mémoire. Lui aussi semblait parler avec les mains. Est-ce quecertainespersonness’exprimaientainsi,dans lemondedudehors?Lesyeuxfermés, je me frottai le visage. Je devais être en plein délire, mon espritformantdeshallucinationsgrotesques.—Styx,c’estquoicebordel?C’estquicettemeuf?Pourquoiellepanique
commeça?Mon regard se posa sur un homme aux longs cheveux noirs tombant
jusqu’aumilieudesondos.Sestraitsétaienttotalementdifférentsdesmiens,etilétaitsi…large.Presqueaussilargequehaut.Sapeauétaitcouleurcaramel,ses yeux presque noirs, sa bouche charnue. Et son visage était couvertd’étrangesmotifs,dessymbolesetdesvolutesnoires.—Bull,c’estpaslemoment,luiditsèchementl’hommeblond.Ainsil’hommequineparlaitpass’appelaitStyx?Il se pencha vers moi. Je le laissai faire. Je n’avais pas d’autre choix et
j’étaishabituéeàcequeleshommesfassentcequ’ilsvoulaientdemoi.J’avaisappris très tôt dans la vie qu’un individu peut faire n’importe quoi poursurvivre.Ilposalamainsursapoitrineetladéplaçaauniveaudesoncœur.Àcôtéde
lui,l’hommeblonddit:—Moi,c’estKy,etlui,Styx.Ilt’atrouvéederrièrelecontainerdepoubelle
il y a quelques jours. Tu faisais une hémorragie, tu étaismourante. Tu t’ensouviens?« Il y a quelques jours » ! Je baissai les yeux vers ma jambe bandée. Je
sentaislestiraillementsd’unecicatriceetlorsquejebougeais,ladouleurétaitterrible.Leschiensdegarde.Oui,unchiendegardem’amordue.LechiendeGabriel
m’a déchiré la jambe gauche quand je me suis enfuie. Je suis restéeinconscienteplusieursjours?—Noussommesunclubdebikers.LesHangmen,expliquaKyenfaisantun
gestequienglobaittoutelapièce.Ildutliremonexpressionperplexe.—Tusaisquandmêmecequec’estqu’unebécane?Unemoto?Mo-to.J’essayailemotdansmatête,maisilnem’étaitpasfamilier.Aufond
quelqu’un éclata de rire, se moquant de moi. Le dénommé Styx tournalentement la tête en direction du bruit et foudroya du regard l’homme, quicessa aussitôt de rire. Son expression était devenue soudain si intense et sisévèrequ’ilme fit peur. Jeme tortillai, ne sachantoùmemettre, et il revintversmoi.— Personne n’a le droit de se moquer de toi, exprima Ky, traduisant le
messageavecemphase.Étrangement,entendrecettepromessedeprotectionmerassura.Kytoussota
etpoursuivit:— Une moto, c’est un moyen de transport. Tu vois ce que c’est qu’une
voiture?Jehochailatête.LesnarinesdeStyxfrémirentetseslèvrestremblèrent.—Unemoto,c’estunpeupareil,maisavecdeuxrouesaulieudequatre.L’assemblée respecta un silence de mort tandis que j’essayais de me
représenter une telle machine. Puis je posai le regard sur chaque personneprésente. Ils étaient si différents de ce que je connaissais que j’avaisl’impressiond’être dansun autremonde, plus sombre, plus immoral. J’étaissans doute une pécheresse moi-même, désormais, puisque je n’étais plusprotégéedesétrangersparlagrandeclôturedelacommunauté.Unejoliefemmeblondemesouritetvintau-devantdelafoule.Ellemefit
unpetitsignedelamainets’arrêtaàcôtéd’uncolossesanscheveux.Elleluiprit la main. Il me mettait terriblement mal à l’aise ; sa peau était presqueentièrement couverte de tatouages,même son cou et sa tête présentaient desdessinscolorésetcomplexes. Je le trouvaismenaçant.À l’inverse, la femme
blondesemblaitdouce.EllemefaisaitpenseràDalila.Àcettepensée,jetressaillis,meretenantdecrier.Lila…Maddie!—Écoute-moi.Styx avait repris sa gestuelle complexe et la voix de Ky transmettait les
ordres.Jecommençaidoucementàprendrepleineconsciencedecequej’avaisfait.
Etjememisàtremblerdetousmesmembres.—Est-cequetutesouviensdemoi?demandaKyenmontrantStyx.Quellequestionétrange…,songeai-je,l’espritembrumé.Je fixai ses grands yeux couleur noisette. L’homme semblait nerveux, il
parcourutlapièceduregard.Desmurmuress’élevaient,etilfaisaitl’objetderegardsinterrogateurs.Unefemmeauxlongscheveuxbrunss’approchadeluietposaunemainsursonépaule.Sansmêmelaregarder,ilrepoussasongesteapaisant.Levisagedelajeunefemmesechiffonnaetellebaissalesyeux.Ilfitunnouveaugeste,brefmaispressant.—Alors,tut’ensouviens?MaisjenepouvaisdétachermonregarddelafemmederrièreStyx,etelle
me fixait aussi. Je voyais à son attitude qu’elle voulait être avec lui, elle secomportait comme sœur Ève avec le prophète David : avec tendresse… etdésespérantderecevoirl’attentionqu’ellesouhaitait.ElleétaitamoureusedeStyx.—Regarde-moi!aboyaKyavecuneimpatiencequitraduisaitcelledeStyx.
Est-cequetutesouviensdemoi?Styxpointaitledoigtsursapoitrineavecinsistance.J’examinai plus attentivement le visagede cet inconnu. Il était encoreplus
massifquecequejepensais:soncouetsesépaulesétaientlarges,puissants,lesmusclesdesesbrastendaientletissudesachemisenoire.Maiscesyeux…unpeudevertparsemédetouchesbrunes.Magnifiques.Ilsmefaisaientpenserà la forêt, aux couleurs d’automne des feuilles mortes. Je vis sa pommed’Adamtressautersousmonexamen.Kysoupiradedéconvenueetsepenchapourmurmureràsonami:— Styx,mon vieux, ce n’est pas elle. Elle estmorte de trouille. De toute
façonc’était tiréparlescheveux.Cettemeufquetuasembrasséeàtraverslaclôtureilyadessiècles…Ilesttempsd’oublierça.«Laclôture?Embrassée?»Non!Quoi,lui?Impossible…Styxpoussaunsoupiretbaissalatête,lesépaulesbasses,clairementdéçu.
Jepassaiundoigtsurmeslèvres.Cetétrangegarçon…lebaiser…Ilyavaitungarçonappuyéaugrillage,agitantfrénétiquementlesmains.Je
necomprenaispascequ’ilfaisait.Jem’étaisapprochéeetilavaitrecommencé.Puisilavaitfermélesyeuxenrespirantprofondémentetavaitdemandé:«Qu-quel est tonnom?» Ilavaitdumalàparler.Lesmots luttaientpournepasfranchirseslèvres.Je l’avais considéré en silence. Il me demandait qui j’étais… Salomé,
tentatricedenaissance,Maudite.Jevenaisdedécouvrirenquoiconsistaitmondevoir,monservicepourlacause.JedevaisaiderlesaînésàserapprocherdeDieu, pour expier mon péché originel. J’avais dû m’échapper pour unmoment…Ilsm’avaientfaitsimal.Jen’avaispasparléaugarçondel’autrecôtédelaclôture.C’étaitinterdit.
Jem’étaiscontentéedeleregarder,pournepluspenserauxévénementsdelajournée.J’ignoraiscommentilavaitfaitpournoustrouver,pourquoiilétaitlà.Maiscelam’importaitpeu.Il était vêtu bizarrement, tout en noir, avec des bracelets métalliques aux
poignets.Ilétaitdangereux,maisilavaitdegrandsyeuxnoisetteterriblementbeaux.«Qu-qu-quelestc-c-cetend-end-endroit?T-t-tuv-v-visi-i-ici?»Sans répondre, j’avais observé sa bouche. Personne ne devait connaître
l’existencedel’Ordre,pournotresécurité.Etjen’avaispasledroitdeparlerauxgarçons.C’étaitunpéché.Etpisencore,c’étaitquelqu’undudehors.«D-d-donne-moit-tonn-n-nom.»«Monnomestpéché.Nousportonstouteslesceaudupéché.»Jelaissaiéchapperunhoquetdesurprise.Styxétait-ilcegarçon?Sûrement
pas.Jepassaienrevuelesétrangesvêtementsnoirs,lesbraceletsargentésàses
poignets : je reconnaissais cet emblème étrange. Je me rappelais ce jour-làcommesic’étaitlaveille.Ils’étaitinquiétépourmoi,ilavaitvouluconnaîtremonnom.Et ilm’avait embrassée. Je ne l’avais jamais revu. J’étais souventalléeàcetendroitde laclôturedans l’espoirde lerevoir–surtoutaprèscesjours-là–maisiln’étaitjamaisrevenu.C’étaitmonpremieretdernierbaiser.Il était mon seul secret, mon plus grand péché. Il avait pris pour moi lesapparencesd’unrêve.Jelevaialorsunemaintremblantepourlaposerdélicatementsurlajouede
Styx.Ilinspirabrusquementetmeregardafixement.Jemerapprochaiencore,
pour être sûre qu’il s’agissait bien de lui. Il entrouvrit les lèvres et laissaéchapperunsoufflesaccadé.Les yeux écarquillés, je hoquetai et reculai sous le coup du choc. Je le
reconnaissais àprésent, etmesémotionsmesubmergeaient.Tout au fonddemoi surgissaient des sentiments dont je n’avais même pas eu consciencejusque-là.C’estlui.MonRiver.Ilm’aretrouvée…Sansmequitterdesyeux,ilmesaisitlebras.—Est-cequetuconnaisStyx?demandaKy,quin’avaitpasquittésonposte.Styxmeserralebras,commepourm’inciteràrépondre.Jebaissailamainethochailatête.Ilfermalesyeux,melâchalebrasetserraplusieursfoislespoings.—Où?Dis-moioùvousvousêtesrencontrés…pourêtresûr.Je voulais parler, mais j’étais tétanisée par la nervosité, ces gens ne
m’inspiraient pas confiance. Tous ces étrangers m’encerclant me rendaientclaustrophobe,jemesentaispriseaupiège.Jetrouvaialorsunautremoyendeprouvermonidentité.Jepris lentement
lesmains de Styx et les plaçai dans la position qu’il avait adoptée contre laclôture.Puisjecrochetaimonindexausien,commeill’avaitfaitcejour-là.Àsonexpressionabasourdie,jevisqu’ilavaitcompris.Il leva les yeux au plafond et passa une main dans ses cheveux. Son
expressiontrahissaitsonincrédulitéetlechocqu’ilressentait.Kym’adressaunregardsingulieravantdedire:— Je… je n’arrive pas à y croire. C’est vraiment toi.Merde ! (Il jeta un
regard médusé à son ami, qui me fixait toujours.) Merde, c’est la fameuseamish!—Maisqu’est-cequisepasse?C’estquicettemeuf?Pourquoivousêtes
superchelousàproposd’unemeuf?demandaunhommeauxcheveuxdefeuetàlatailleimposante,alorsqu’ils’avançaitencaressantsabarbiche.LevisagedeStyxsefermaet ilmetira lebraspourquejemelève.Ilme
tenait fermement, mais je grimaçai en sentant la douleur fuser dans monmollet.Ilfitbougersamainlibre.—Pastouche,traduisitKy.C’estclairpourtoutlemonde?Elleestsousma
protection, c’est pas vos oignons. Si quelqu’un s’approche d’elle, je le bute.Promisjuré.Ses paroles agressives me firent frémir. Dans la pièce, les hommes
m’examinaient,sourcilsfroncés,incrédules.
—Maisquiest-ce,Styx?Commenttulaconnais?Lavoixféminines’élevantparmilesgrognementsmasculinsappartenaitàla
jeunefemmebrune,quiaffrontaitàprésentStyx,faisantéchoàl’atmosphèregénérale.D’unemain tendueetd’unbref signede tête,Styx lui interditd’approcher
davantage.Denouveau,ilavaitcetairdur.—Styx,murmura-t-elled’unevoixfêlée.Il vint vers elle et lui parla avec ses étranges gestes, qu’elle semblait
comprendre,carsesyeuxs’emplirentdelarmes,etelletournalestalonspours’éloignerencourant.Styxmerepritparlamainetm’entraînaverslecouloir.—Beauty!criaKy,soulignantlegestedeStyxquidésignaitquelqu’undesa
mainlibre.En jetant un coup d’œil par-dessus mon épaule, je remarquai que les
hommes et les femmes restaient là, comme paralysés, et nous regardaientpartir avec une fascination chargée d’interrogation. Au fond de la salle, lafemmebrune nous épiait aussi, le visage ravagé par le chagrin et baigné delarmes.Ilm’emmenadanslachambreoùjem’étaiséveillée.Ilmeguidaverslelitet
appuya surmesépaulespourme faire asseoir.La jolieblondeentra alors etStyxs’adressaàellepargestes.— Ils sont dans la chambre de Tank, je vais chercher ça. Je les laisserai
devantlaporte,répondit-elleavantderepartir.Nousétionsseuls.Ilrapprochalefauteuilnoirdulitets’assitpourmeregarder.Ilm’examinait
danslesmoindresdétails.Jememisàtrembler.Ilnedisaitmot,maissesiriscouleur noisette ne me quittaient pas un instant. Le silence semblaitétrangementassourdissant.Cherchant à me soustraire à son regard intense, je tournai la tête vers
l’immensetableauaccrochéaumur.Ilreprésentaitunegrossemachineàdeuxroues.Jesourisenfaisantlelien.Cedoitêtreunemoto.Je me levai pour aller me planter devant l’image, et suivis des doigts le
contour du cadre. Un regard en coinm’apprit qu’ilme suivait toujours desyeux, le corps penché en avant, les coudes sur les genoux. Je désignai letableauensouriant. Ilvintmerejoindreethochala têtepourmefairesavoirqu’ilcomprenaitcequejevoulaisdire.Je lui adressai un petit sourire avant de revenirm’asseoir au bord du lit,
soudainépuisée.Ilsuivaitlemoindredemesmouvements.LeprophèteDavidnousavaitapprisquedésirerdespossessionsmatériellesconstituaitunpéché,maisj’aimaisl’expressiondeStyxlorsqu’ilcontemplaitlamoto.Cettevisionsemblaitlerendreheureux.Jemefrottailesyeux,vidéedetoutesmesforces,detoutesmesémotions.Je
savaisqu’ilmefaudraitbientôtregarderenfacelesévénementsdecesderniersjours,quejenepourraispaslesrefoulerindéfiniment.Styx s’assit de nouveau dans le fauteuil devant moi, comme s’il pouvait
sentir ma détresse. Il inclina la tête en une expression interrogative. Il sedemandaitcequimetracassait.J’avais réussi à éviter de penser à la réalité pendant un bon moment. Je
pouvaispresqueprétendrequecen’étaitqu’uncauchemar,d’autantplusquejeme trouvais à présent dans cette étrange pièce sombre avec Styx. Mais desvisionsfugitivesdeBella,immobileetblessée,gisantsurlesoldesacellule,harcelaientsansrelâchemaconscience,sabotantmesbarrièresémotionnelles.Jesecouaivivementlatête,essayantdechassercesimagesatroces.Leschâtimentssévèresétaientcommunsauseinde lacommunauté.C’était
nécessaire pour empêcher les gens de s’écarter du droit chemin.MaisBellaétaitmasœur,etlefaitqu’ellen’aimâtpasGabrielavaittoutbonnementcausésaperte.Jepréféraismedamnerpourl’éternitéenvivantici,au-dehors,plutôtqu’épouserl’hommequiavaitautorisélessévicesinfligésàmaintesreprisesàmasœurdesang,machair.Maladroitement, Styx vint vers moi et essuya délicatement mes joues
mouilléesavecsespouces.Jenecomprispastoutdesuitequejepleurais.Ausein de la communauté, les émotions étaient interdites, mais les larmescoulaientmalgrémoi.Ma poitrine se serra et jem’agrippai à ses poignets,j’avaisbesoindesonsoutien.Descrisétoufféss’échappèrentdemagorgeetjelaissai le chagrin m’envahir. Pour la première fois de ma vie, je pleuraivraiment.Styxserapprochaencoredemoietpassaunbrasautourdemesépaules,ce
quimefitsursauter.Jelevailatêteverssonvisageburiné:desyeuxnoisette,des lèvres charnues et douces, des joues rugueuses marquées par quelquescicatrices. Sa langue humecta l’anneau argenté qui lui perforait la lèvreinférieureetunemultitudedefossettesapparurentsursesjoues.Ceslégersplissombresluidonnaientuneapparencemoins…sévère,plushumaine.Enobservantdenouveaucegrandgarssilencieux,biendifférentdugarçon
que j’avais rencontré autrefois, je fondis. J’abandonnai toute résistance. Il
représentaittoutcequ’onm’avaitapprisàreconnaîtrecommelemal,maisjen’ypouvaisrien,j’adoraislecontactdesesmainssurmoi.Sesbrasvigoureuxm’enveloppaient, me réchauffaient, me réconfortaient. Dans ses bras je mesentaisàl’abri.Jemecramponnaiàsavesteencuir.Ilsentaitlecuir,lesavon,la cigarette, et quelque chose d’autre aussi, quelque chose de vraiment bon.Jamaisonnem’avait tenuecommeça, jamaisunhommenem’avait apaiséeainsi. L’unique sorte d’affection que j’avais reçue était ce qui se passait cesjours-là.Etlorsdecesoccasions,s’enlacerainsiétaitstrictementinterdit.Maisjemesentaistotalementensécuritédanslesbraspuissantsduseulgarçonquej’avaisembrassé…
Chapitre7
StyxCefichunezquisefroncemeperdra.Elle s’était endormie dansmes bras, son souffle tranquille dansmon cou.
Pourlapremièrefoisdemavie,j’euslachairdepoule.Lachairdepoule,putain!Serrant la fille contre moi, je laissai lentement s’échapper l’air de ma
bouche,lesyeuxfermés,souffrantlemartyre.J’étaistellementdurqueçamefaisaitmal.Elleétaitsibellequej’avaisdumalàcroirequ’ellesoitréelle.Jem’étaislongtempsdemandéàquoielleressembleraitengrandissant,avecdesformes de femme, les cheveux détachés, les yeux brillants…mais la réalitédépassait tousmes fantasmes.La tenirdansmesbrasétait lameilleurechosequej’aiejamaisressentie,maisquandelleremuaitlenezcommecettefoutueSamanthalasorcière,jedevenaisfou,monsexesegonflaitetjem’imaginaislapénétrer.Merde.Etdirequejeneconnaissaismêmepassonnom.Jelaissaiallermatêtecontrelemurengrognant.Reprends-toi,Styx.Tuesle
présidentd’unputaindegangdebikerstrafiquantsd’armesettutecomportescommeunegonzesse.Lafillegémitdanssonsommeiletenfouitsonvisagedansmapoitrine,etsa
petitemains’accrochaàmaveste,unejambelégèrementrepliéeposéesurlamienne.C’enétaittrop.Siellebougeaitencored’uncentimètre,j’allaisperdrelespédalesetlabaiserviolemmentsurlematelas.Jesoulevaisoncorpstropmaigre,ouvrismonlitetlaglissaientrelesdraps
noirs. Je dégageai les cheveux de son visage et admirai ses lèvres pleinesétiréesenunsourirepaisible.Bonsang,qu’elleétaitcanon !Mêmeàonzeans je la trouvaisbelle,mais
maintenantellebattaittouslesrecords.Jequittaimachambreenfermantlaporteàcléetmerendisdanslesalon,et
droitsurlebar.Seulsquelquesfrèresétaientencorelà,maislaplupartétaientrepartischezeuxoudansleurchambreavecunefille.Loïsn’étaitpasenvuenonplus.Trèsbien.Jenevoulaispasêtreassaillidequestions.Detoutefaçon,
jen’avaispasderéponsesàluidonner.J’allaiderrière lebarme servirunverredebourbon.KyetRider, assis à
une table, surveillaient tous mes mouvements. Pit traversa la salle pourregagnersonposte.—Ahmerde,Prés’,jevaislefaire.Jelechassaid’ungeste,maisilpritsaplacedebarman,cequifaisaitpartie
desesdevoirsdeprospect.Jem’installaiàcôtédeRideretKyetlesregardaienface.—Prés’,mesaluaKyler.Jeremarquaiquecessalaudssetortillaientsurleursiège–ilsavaientparlé
entreeux.—«Lâchezlemorceau.»Kysefrottalaboucheavantderépondre:—Styx,monvieux,qu’est-cequisepasseaveclameuf?Jemepenchaienavantetposaisurluiunregardagacé.—J’ai riencontreelle,mais le trucc’estqu’elle estnaïve, elle comprend
rienàrien.Ellesavaitmêmepascequ’étaitunbikerouuneputaindebécane!Elleparlepas,àvoirsatêteellenousprendpourdesdémonsdel’enfer.Elletombeduciel,salementblessée.Onnesaitpasd’oùellevientnisiquelqu’unlacherche. Elle risque de nous attirer des emmerdes. Au cas où t’aurais pasremarqué,onestunpoildébordésencemoment.C’estpascommesionavaitbesoindes’occuper.Kysecoualatêtecommes’ilavaitdumalàmereconnaître.Moi,celuiqui
avaitétésonmeilleuramidepuisdesannées.—Lesfédérauxnousontdanslecollimateur.Sionsortd’iciavecunemeuf
coincéecouvertedebleus…ilsvontnoustomberdessusetpersonnenecroiralavérité.Putain,merde,onaledealaveclesTchétchènesdemain!Onvaêtresur la route pendant des semaines pour reprendre le contrôle de notreterritoire.Onn’apasbesoindeçamaintenant.J’avalaimonverreculsec,savourantleveloursdubourbonetsasaveurde
tourbe. J’attendis que ma gorge s’engourdisse sous l’effet de l’alcool. Jerouvrislentementlesyeux,laissairetombermonverresurlatableetenfouismesmainsdansmescheveux.Lajournéeavaitétélongue…—Oùest-elle?demandaRiderenrajustantsonbandanasursatête.Tuveux
quej’aillevoircommentelleva?Jesecouailatêteeninhalant.—«Elledort.»
Rideropina.Cesalaudavaitl’airdéçu,maparole.Ilfitletourdelapièceduregardavantderevenirsurmoi.Ilsemblaitvouloirexprimerquelquechose.— Écoute, Styx, quand j’étais jeune, mes vieux sont morts et je me suis
retrouvé tout seul. J’ai divagué pendant plusieurs années… Au début j’étaisterrorisé,maisjemesuisviteendurci.J’étaisunvagabond,tuvois?Ceclub,çaaétémasecondechance.—Queveux-tudire,monfrère?demandaKyenposantlamainsurl’épaule
deRider.—Elleestpeut-êtremortede trouille,maisellevasûrement reprendredu
poil de la bête. Moi j’ai été élevé dans un milieu religieux très strict. J’aijamaisditçaàpersonne ici. J’ai jamaiseu l’impressionquec’étaitpertinent,j’aichangédevie,j’aiplusrienàvoiravecceluiquej’étaisalors.Bref,quandmesvieuxsontmorts,j’aidûtoutréapprendre.J’aiperdumafoi,monéglise,mon entourage. Pendant un bout de temps, je savais plus trop où j’en étais.C’esticiquej’airetrouvéunefamille,aveclesHangmen.—«Tucroisquec’estunefolledeJésus?»Çaauraitexpliquébeaucoupdechoses.Ilhaussalesépaules.—Jesaispastrop.C’estunepossibilité.Toutcequejedis,c’estquej’aieu
ce parcours. Ce qui est sûr, c’est qu’elle fuit quelque chose. Elle estdésorientée,mutique, blessée, et elleporte aupoignetune référencebibliquesurlafindestemps.Ondiraitbienqu’elleabesoind’êtreprotégée.Elleaététenueàl’écart,c’estévident,elleneconnaîtrienàlavie,commesielleavaitétémiseautroupendantvingtans.M’adossant à mon siège, je fixai le plafond maculé de taches brunes et
soupiraienmefrottantlecrâne.— « Et si je ne venais pas pour le deal ? Tu prends la direction des
opérations et moi je reste avec la meuf pour tirer cette affaire au clair ? »proposai-jeenregardantKy.Ilritetsecoualatête,incrédule.—Tutefousdemoi,hein?Foutaises!N’ypensemêmepas,Styx.Tudois
êtrelà,tuesleprésident,putain!LesTchétchèness’attendentàtevoir.Leclubavanttout,n’oubliepas.Merde,sijerevoisunjourcesconnardsdeRusses,jeleurcoupelagorge.
Jevaism’absenterpendantunmois,putain,bienobligé!Ilmefautquelqu’unenquij’aieconfiance.Pourveillersurelleenmonabsence.Etjerégleraicettehistoireàmonretour.JemeraclailagorgeettournailatêteversRiderenexpirant.Ilblêmit.
—Tuesresponsabled’elle.TuneviendraspasavecnouspourledealaveclesTchétchènes.Resteiciavecelle.Tulaprotègesjusqu’àmonretour.Jelevisdéglutir.Ilsecoualatête.—Prés’,jenesaispassic’estunebonneidée.—« Je te demande pas ton avis,mon frère.C’est un ordre. Ilme faut un
hommedeconfiancepourveillersurelle.Quelqu’unquivapaslaviolerdanssonsommeil.»Sonvisagesecontractasousl’effetd’unticnerveux.—Je…jesaispasyfaireaveclesnanas,Styx.Jesaispasleurparler.Jesuis
pasceluiqu’iltefaut…Illaissasaphraseensuspensd’unairdésolé.—«C’estjustementlaraisonpourlaquelletuesexactementlebon.Tuvas
prendresoind’elle, soigner sa jambe.Luiapprendredes trucs,qu’est-cequej’ensais?Laviepourcommencer!Tusaisquelesfrèresvontessayerdeluicouriraprèssiellen’appartientpasàquelqu’un.Jepeuxpaslalaisserlàsansprotection.Faudraitpasqu’ellesefasseviolerenplusdetoutcequ’elleadéjàenduré.»—Prés’…Il se frotta levisage. Jene savaisvraimentpaspourquoiceblaireaune se
tapaitjamaisdemeufs.Ilnefumaitpas,nebuvaitpas.Futuntemps,j’avaiscruqu’il était de l’autre bord, mais j’avais observé la façon dont il matait leschaudasses du club, les déshabillant du regard.Simplement il ne les touchaitpas.Çaneregardaitquelui.Chacunasespropresdémons.Maisilsetrouvaitquecetteattitudem’arrangeaitbiendanslecasprésent.—«Tulefais,pointbarre!Pasdediscussion.Compris?»Ma façon agressive de signer soulignait le sérieux demes propos. Rider
fronçalessourcilsets’agitasursachaise.—D’accord.Ky se leva brusquement, le visage grave. Il attrapa la bouteille de tequila
derrièrelebar,posabrutalementtroispetitsverressurlatableetnousservitenévitantmonregard.—Ilfautjustequejedisecequej’enpense,Styx.Cettefillevientd’unautre
milieu,mêmesijenesaispaslequel.Etjedoutequ’ellepuisses’adapteràcetypedefamille,ànotremonde.Toicommemoi,onsaitquec’esttoutetavie.Tunequitterasjamaisceclub.— « J’ai entendu ton avis. Maintenant laisse tomber », signai-je, perdant
patiencetantavecmonamiqu’avecRiderquisetortillaitsursonsiège.
MaisKydécidad’insister.—Ceque jeveuxdire,c’estque tudois teconcentrersur ledealavec les
Tchétchènes.Sionperdcetteaffaire,onest foutus.Concentre-toisur leclub.On a assez de problèmes sans se coltiner une espèce d’amish en perdition.C’estunclubdemotards,pasl’arméedusalut.Etpuismerde,commentc’estpossible, à son âge, de ne rien savoir de la vie ? Elle peut nous attirer desérieux ennuis, mec. Ce soir, on aurait dit une enfant. Une gamine dematernelle.Situveuxdelachatte,tuasLoïspourtesucer.Contente-toideça.Rideravalasatequilaetseleva,gêné.—Jevaismepieuter.JefissigneàPitdesecasseraussi.Dèsquelaporteclaqua, jemetournai
versKyetlaissailibrecoursàmonagressivité.—T-t-toietm-m-moionestfrères,m-meilleursamis,f-f-fidèlesàlav-vieà
lamort,maistudoischangerd’attitude,ett-toutdesuite.J-j-jen’aimepaslat-t-tournurequec’estent-t-traindeprendre.Je me levai pour le dominer de toute ma hauteur, mais ce con ne baissa
mêmepaslesyeux.Illâchaunriresanshumour.—Alors quoi ? Tu vas en faire ta régulière ? Ou ta nouvelle chaudasse
préférée?Loïsdégage,remplacéeparlameufamish?C’estça?Ettucroisqu’ellevatesuceràtourdebrasaussi?Qu’ellevatesoutenirquandtuteferastirerdessusouquetutetaperasuneputejusteparcequet’enaurasenvie?Tupeuxtoujourscourir.Lavieduclub,c’estpaspourelle.Dégage-la.Nesacrifiepasnotreclubpourunenana.Je l’attrapai par sa veste et le repoussai violemment contre la table. Les
verresvalsèrentets’écrasèrentsurleparquet.—T-t-tuvasla-la-laf-f-f…fermer,oui,parvins-jeenfinàcracherentremes
dentsserrées.N’oubliepasàquituparles!Ilmerepoussaetcracha:—Ouais,c’estça.Il rajusta saveste etme fit undoigtd’honneur avantde s’éloignervers la
porte.Ils’arrêtasoudainettournalatêtepourmedire,lespoingsserrés:—Tuesdifférentdevantelle.Moijeteledis,cettemeufvatefoutreenl’air.
Tufaisunefixettesurcettefille,maissitut’imaginesqu’elleasaplaceici,tutefourresledoigtdansl’œil.Putain,sérieux,tuasperdulespédalesdèsl’âgedeonzeansquandtul’asrencontrée,ettut’esjamaisvraimentremisdecetteespèced’idolâtrie.Jesuistonmeilleurami,merde,passeulementtonputaindevice-président. Je saiscombiencette rencontre t’achangéà l’époque.Ellene
sera pas l’ange parfait sur lequel tu as fantasmé, Styx. Elle a des défautscommetoutlemonde,etelleamêmel’airsérieusementdérangée.Tulaplacessur un piédestal, hors de ta portée. Sois pas égoïste, mec, mets-la à ladispositiondetoutleclub,partageavectesfrères.C’estpaslegenredemeufàsupportercequetufais, lestrucsquet’esobligédefairepourleclub.Lâchel’affaire.Leclubavanttout,n’oubliepas.Riennedoitinterféreravecça.Là,jeterendsunservice,monfrère.Ettupeuxtoujourscomptersurmoi,quoiqu’ilarrive.Là-dessus,ilsortitdubâtiment,melaissantseuldanslebardésert,avecmes
penséesembrouilléespourseulecompagnie.Merde!J’engloutisunautreverredetequila.Puisunautre.Aucinquième,j’explosai
la bouteille vide contre le mur. Je savais bien que mon vice-président avaitraison. Il valait mieux pour cette fille qu’elle reste en dehors de cette viemerdique…mais l’idée qu’elle s’en aille m’était aussi plaisante que de mefairetrouerlacervelle.Jevenaisdelaretrouver,maisilétaittroptard.Hadèsavaitposésamarque
surmoi, j’avais déjà un pied en enfer. Elle neméritait pas de sombrer avecmoi. Elle méritait un homme bien. Ça ne correspondait en rien à monsignalement.Je me rassis devant la table et inspectai la salle vide en contemplant les
images qui avaient terrifié la fille quelques heures plus tôt. J’essayaid’imaginer ce que ça faisait de les découvrir avec un regard innocent. Leregard d’une personne qui n’avait été exposée qu’au bien, qui ne vivait passelonl’exempleduseigneurdesEnfers.Unprofondmalaises’installadansmestripes.Jesavaisquejenefermerais
pasl’œildelanuit.J’avaisl’esprittropagité.J’avais besoin de clopes, d’une grande bouteille de whisky et de ma
musique.
Chapitre8
StyxC’estàsixansquej’avaiscommencéàgrattersurmapremièreguitare.Mon
vieuxm’avaitditquej’avaisbesoindeseulementtroischosesdanslavie:maHarley, une régulière aimante etma Fender. Et je vivais selon ce principe :j’avaisdésormaismaHarley,mesfrèresduclub,del’argent,maguitare.Maisje n’avais pas de régulière et Loïs ne tiendrait jamais ce rôle pour moi. Àvingt-sixans, jem’étaisdéjà tapépleindepouffes, jen’avaisaucune filleenvue pour en faire ma régulière, et j’étais hanté par un regard de loup quipeuplaitmesrêvesdepuisl’âgedeonzeans.Si parler avait toujours été un exercice pénible pour moi, jouer de la
musique et chanter était aussi naturel que respirer.Quand j’avaisma guitareentre lesmains, jeme sentais vraiment à l’aise et les paroles coulaient sanseffort.Deplusenplusagacépar la situation, jegrattais lescordesdemaFender
acoustique. Je passai sans fausse note de JonnhyCash àTomWaits dont lesmélodiessombresettorturéesmeréconfortaientettiraisurmaclopeavantdelalâcherdanslecendrier.Lespiedsposéssurlatable,unevieillechansonmevintauxlèvres.—«Well,IhopethatIdon’tfallinlovewithyou,‘causefallinginlovejustmakesmeblue.»Je chantais les yeux clos, me fermant au monde le temps d’une chanson,
tandis que mes doigts dansaient sur les frettes. Plongé dans ma rêverie,j’imaginaisoudainl’inconnueauxyeuxdeloupmesourianttimidement.Cetteimageprovoquaunevivebrûluredansmapoitrine,etj’ouvrislespaupières.Merde ! Elle était réellement là sur le canapé, à ma droite, les genoux
repliés,lesbrasenserrantsesmagnifiquesjambes,etlatêteposéedessus,mefixantdesesyeuxdeloup.Àcroirequejel’avaisinvoquée.Je cessai aussitôt de jouer, les doigts figés sur les cordes, incapable de
détourner le regard. Elle me dévisageait simplement, une légère rougeurcolorantsesjouescreuses.
Je pris ma guitare et me retournai pour la poser sur son stand, mais sarespiration appuyée me fit tourner la tête dans sa direction. Lentement, elleouvritseslèvrespleinesetroses,laissantparaîtreleboutdesalangue.—Encore,murmura-t-elle.Moncœurmanquaunbattement.Elleavaitparlé.Jeme rapprochai un peu et, d’un coup dementon, l’invitai à répéter.Une
rougeur gagna tout sonvisage et elle déglutit en s’agitant unpeu.Ses longscilsnoirsbattirentcommedesailesdepapillon.—Encore…Jevousprie,rejouez-la.J’aiénormémentappréciéd’entendre
votrevoix.Quelétaitcetaccentétrange?Sonmignonpetitnezseplissa,etjesuscequiallaitarriver.Putain!Çayest,
celégerticquitrahissaitsanervosité.Jen’arrivaispasàdétournerlesyeux,jesoutinssonregardtoutenattrapantmaguitare,enm’asseyantetenprenantunegrandeinspiration.Jereprislesparoleslàoùjem’étaisinterrompu.—«…AndIhopeIdon’tfallinlovewithyou.Icanseeyouarelonesomejustlikeme,anditbeinglate,you’dlikesomecompany…»Àmesurequej’égrenaislesmots,leslarmessemettaientàbrillerdansses
yeux et un sourire ravi flottait sur ses lèvres. Oh putain, pour voir cetteexpression sur son visage ou l’entendre parler encore, j’aurais été prêt àchanterOvertheRainbowd’unevoixdesoprano,siçaluifaisaitplaisir!Jem’éclaircislavoixavantdechanterledernierversdelachanson.—«…AndIthinkthatIjustfellinlovewithyou…»Jelaissailadernièrenotevibrerdansl’air,àl’unissondenosrespirations,
jusqu’àcequelacordes’immobilise,etquelesilences’installe.Nousnousregardions.Latensionmontait.Je me décalai légèrement et plaçai ma guitare à côté de moi. Après une
dernièreboufféedetabac,j’écrasaimacigarettesurlatable.Ellem’observait,etsonpetitnezfrémissait.Ellehumectaseslèvrespleinesetsensuelles.Ohpitié…Jebougeaipourqu’ellenevoiepasmonsexegonfler.—«Çava,poupée?»signai-je.Maisellefronçalessourcilsetsecoualatête.Ahmerde!Lebustepenchéenavant,jemeprislatêteentrelesmainsetmemassailes
tempes.Jepouvaisyarriver.Luiparler.Fermantlesyeux,jemeconcentraisur
magorge,afinqu’ellesedétende.Jemerépétaiquejeluiavaisdéjàadressélaparole.Jepouvaisyparvenirdenouveau.C’étaitcequejecroyais,dumoins.Maislepythonrefusaitdelâcherprise,et
monagacementgrandissait,jedevenaisfou.Depuisdesannéesj’attendaisdelarevoir,etjemeretrouvaisincapabledeluisortirtroismots!Toutàcoupjesentisunemaindoucesurlamienne,etenrelevantlatêteje
rencontraisonsourire.—Tuparlesaveclesmains?Jehochainerveusementlatête,attentifàsesmoindresmouvements.—Tuasdumalàfairesortirlesmots?Elle se passait les mains sur la gorge, comme pour comprendre mon
problème.Denouveau,j’opinai.Ellebaissalespaupièresavantdereposersonregardbleusurmoi.—Tum’as déjà parlé une fois, n’est-ce pas ? Essaie encore, je t’en prie.
J’aimeraisbeaucoupentendretavoix.Ohsiellesavaitàquelpointjelevoulaisaussi.M’accrochantàsonregarddeloup,jem’efforçaidedétendremagorge.Ma
jambetressautaitnerveusementetdesticsmefaisaientclignerdesyeux.J’avaislesmotssurleboutdelalangue.Unegrandeinspirationet:—T-t-tuasd-d-déjaent-entendud-d-delam-m-musique?Avecunimmensesouriredesoulagement,ellebaissalesyeux,et,d’unton
presquehonteux,merépondit:—Oui…uneseulefois.J’essuyaimespaumesmoitessurmonjean.Savoixétaitaussimenuequesa
constitution,maisc’étaitlesonleplusadorablequej’aiejamaisentendu…etje l’avais attendue si longtemps !Quinze ans que j’espérais entendre encoreunefoiscettevoix.Etvisiblement,elleaussiavaitespérécemoment.—T-t-tuasunn-n-nom?Elles’immobilisa,levalesyeuxauciel,respirantbruyamment,etunepeur
intensesepeignitsursonvisage.—J-j-j-jenet-t-teferaiaucunm-m-mal,tusais?D-d-dis-moitonn-nom,p-
p-poupée.Jepoussaiunsoupir,soulagédeconstaterquemonélocutiondevenaitplus
aisée.C’étaitelle:latroisièmepersonneàquijepouvaisparler.Monputaindemiracle.—Salomé,souffla-t-elle,presqueinaudible.Jem’avançaiunpeu,croyantavoirmalentendu:
—Q-quoi?—Salomé,répéta-t-elleàvoixbasseavantdedéglutirbruyammentenépiant
laporte.Son regard passait de la sortie à moi avec insistance. Elle s’apprêtait à
s’enfuir.—T-t-tus-s-saisd’oùv-v-vientcen-n-nom?J’étaisincapablededissimulerlacolèredansmavoix.Unbrouillardrouge
avaitenvahimonesprit.L’airéperdu,évitantmonregard,ellebaissalatête.—Oui.Selondenombreuxécrits,SaloméétaitlanièceduroiHérode.Elle
aexigélatêtedeJeanleBaptistepoursonanniversaire,etaexécutéladansedes sept voiles.Elle nous rappelle que les femmes commettent des péchés etséduisent leshommespourqu’ils fassent lemal.Toutes les femmessontdespécheresses – certaines plus que d’autres – et on doit constamment leurrappeler qu’elles sont la raisonpour laquelle l’humanité a dûquitter l’Éden.Noussommesnéesporteusesdupéchéorigineld’Ève.Monnomsertàcequeles gens n’oublient pas cela.Et à ce que je connaissema juste place dans legrandordredumonde.Bordel,quoi?!Ellemerégurgitaitcediscours immondemachinalement,commesion lui
avaitbourrélecrâne.Savoixétaitatone,sonregard,mort,soncorps,tenduàl’extrême.Jeserraisconvulsivementlespoingsetmemordaislalanguepourm’empêcher de hurler des insultes à l’intention du connard responsable decetteavalanchedecontre-véritésapprisesbêtement.Rider devait avoir vu juste. Elle devait venir d’une secte quelconque pour
débitercegenredeconneriescommeunrobot.RiendenouveausouslesoleilduTexas.ToutlemondeaencoreentêtelasectedesDavidiensetlesiègedeWacocommesic’étaithier.Lecoinpulluled’extrémistesreligieux:çaparlebizarrement et ça exorcise à tour debras.Et bien sûr, en tant queHangmen,nousconnaissonstouscescultes,surtoutlesDavidiens:c’estmongrand-pèrequiarécupérélebusinessdetraficd’armesquelespauvresdiablesontperdulorsqu’ils ont tous grillé, grâce aux coups de feu de ces bons vieux gars del’ATF, toujourspleinsdeprévenance.Mongrand-pèrea touché le jackpotenreprenant leur territoire, ce qui lui a permis d’étendre la domination desHangmenauTexas.Je revins brusquement à la réalité en entendant Salomé pousser un petit
gémissement.Recroquevillée,elleserraitlegrandpeignoirnoirautourdeson
petit corps tremblant. Ses yeux immenses étaient emplis de crainte. Je mepenchai vers elle et aussitôt elle sursauta et ses yeux se contractèrentlégèrement.Ellepensaitquej’allaislafrapper.Jelevailespaumes.—M-m-merdep-p-putain,jet-t-tef-f-ferairien,m-m-meuf!Soumise,ellebaissalatête,cequim’énervaencoreplus.Sansréfléchir, je
criai:—Tep-p-prosternepasd-d-devantmoi!L-l-l…(Jemeconcentraisur les
motsquej’allaiprononceretinspiraiprofondément.)Lèvelatête,bordel!Immédiatement,elle releva la tête,déconcertée.Elleobéissaitaudoigtetà
l’œil.—Queveux-tuquejefasse?murmura-t-elleenclaquantdesdents,levisage
livide,lespaumesplaquéesparterre.Le sang qui vrombissait àmes oreilles couvrait presque complètement sa
voixdouce.Prostréeausol,elletremblaitdepeur.Jememisàsahauteuretluirépondis:—Nep-p-plussur-sursauteràmesm-m-moindresgestes,ceseraitd-d-déjà
unbond-d-début.Elle releva la tête,m’étudiant craintivement.Ses tremblements cessèrent et
seslèvresrosesformèrentun«O»surpris.Jememassai lecrâneetmepassai lesdoigtsdans lescheveux.S’il s’était
agi de n’importe quelle autre fille, je l’aurais attrapée pour l’embrasser àpleinebouche,jel’auraisprise,jel’auraisbaiséejusqu’àcequ’ellecomprenneque jene lui ferais jamaisaucunmal.Maisellen’étaitpascomme lesautresmeufs. Elle me regardait comme si j’allais la tabasser, tout ça parce quel’explicationdesonprénommerdiquem’avaitmishorsdemoi.J’attrapai mes clopes sur la table, essayant de ne pas réagir lorsqu’elle
sursautaetseprotégeadesesdeuxbras.Sij’enavaistenucompte,j’auraissansdoutedûaller tuerquelqu’un.Voilààquelpoint j’étaisen rogne. Jeprisunecigaretteaveclesdentsetl’allumaiaveclebriquetquej’avaisdanslapoche.Jepris une bouffée, fermai les yeux et me laissai aller contre le dossier ducanapé,toutenm’enjoignantmentalementdemecalmer.Quelquessecondesplustard,lorsquejelesrouvris,jetrouvaiSaloméquise
tripotaitnerveusementlesdoigts,remuaitlenezetsemordillaitleslèvres.Avecungrognement, j’allaimeplacer justeen faced’elleetaffrontai son
regardterrifié.
—Écoute,p-p-poupée, tonexplicationm’aénervé. (Jemefrottai lagorgepourladétendre.Jesentaismesyeuxclignernerveusementdenouveau.)J-j-jes-s-saispasd’oùtuviens,niquiaosét’appelerS-S-Salomé,maisças-s-sef-f-faitpas.Jet-t-t’appelleraip-p-pasc-c-commeça.C’estunnomp-p-pourripourunebellem-m-meufcommet-t-toi.Uneinsulte.C-c-compris?Elle hocha la tête et un sourire apparut à la commissure de ses lèvres.
J’inspiraiuneautrebouffée.—Mae,lâcha-t-elle.Jepenchailatêtesurlecôté.Ellesetrémoussaitsursonsiègecommesielle
s’apprêtaitàavouerunmeurtre.—Ensecret,messœursm’appelaientMae.Nousn’aimionspasnonplusnos
prénomsdésobligeants.Unsourirecoquinlagagna.Elleavaitdoncducaractère,finalement!Je retournai lentement la main et lui attrapai les doigts. Elle inspira
brusquement,maisnesedéfilapas.Jecontemplainosmainsentremêléesetrisintérieurement.Jem’étaistapédestasdemeufs,j’avaisessayélespositionslesplusbizarres, fourrémonsexedans tous lesorificespossibles,essayé toutessortesdedroguesetdewhiskys,maisrienn’arrivaitàlahauteurdessensationsquemeprocuraitcettepetitemainblancheblottiedanslamienne.Çasurpassaittout.Etpourtantjesavaisqu’ellen’avaitpassaplaceici,etçamerendaitmalade.
Pourlapremièrefoisdemavie,jevoulaisêtrecorrectavecquelqu’un,etfairepartiedececlub,demavie,cen’étaitpasbonpourelle.—Styx?Monnom,sortantdesabouche!Bontédivine,jem’enétouffaipresque.Je
visqu’elleavaitl’airsoucieux:ellesedoutaitquequelquechosen’allaitpas.—P-p-poupée…,murmurai-je.—Çava?Tuestoutpâle.En soupirant, je caressai sa joue du bout des doigts. Elle inspira
bruyamment.—J-jenep-peuxp-pasteg-garder.Elleeutunsoubresaut.—Tuveuxquejeparte?chuchota-t-elleenretirantsamainpourlaserrer
contreelle.J’attrapaisespoignetsentremesgrossesmainsetl’attiraiversmoi.Ellefut
obligéedesemettresurmesgenoux.Sanslaregarder,jeposailefrontsursonépaule.Elle,assisesurmoi,c’étaitjusteparfait.
—T-tu es trop p-p-pure pour cette vie, M-Mae. Tu ne serais pas en s-s-sécuritéici.Tun-n-nesupporteraispast-t-tousces…vices.Ellerestasilencieuseunbonmoment,puism’avouad’unepetitevoix:—Jemesensprotégéeavectoi.Jeneconnaispersonned’autreau-dehors,et
je ne peux pas retourner où j’étais avant. (Elle eut un haut-le-cœur, commefrappéeparunepenséesoudaine.)Nemeramènepaslà-bas,jet’enprie!Pasaveceux!Jerelevailatêteetdécouvrissonvisageravagéparl’angoisse.Etcelamefit
souffrir,plusencorequelecoupdemachettequej’avaisprisenpleinepoitrinedanslaguerrecontrelesMexicainsl’anpassé.Merde!Jesaisissamaintremblante.—J-j-j-jeneleferaipas,maisd-deq-q-quelendroitparles-tu,p-p-poupée?
Oùtunepeuxpasretourner?—Làd’oùjeviens,répondit-elleévasivement.—Lac-c-clôture?Ceq-q-qu’ilyaderrière?C’estç-ç-çadonttuparles?Elleacquiesça.Jeprissonvisageencoupedansmesmains.—T-t-tuestropinnocentepourcettevie.Tuenv-v-viendrasàmehaïrsitu
restesici.—Jecroisaupardon.Jenehaispersonne,surtoutpastoi.—Jevaisêtref-f-francavect-t-toi,p-p-poupée.Jefaisdut-t-traficd’armes,
jeb-b-boistrop,jeb-b-baisedesp-p-putesrégulièrement,jenem-m-m’attachepas,etp-p-peut-êtrequejemeposeraij-j-jamaisavecquelqu’un.(Pourlecoupde grâce, j’attendis d’être sûr d’avoir son entière attention.) J’ai déjà t-t-tué.J’aiaiméç-ç-çaetjer-r-recommencerai.Tuasb-b-besoind’unm-m-mecb-b-bien,quiprendrasoindetoi.Etc’estp-p-pasmoi,p-p-poupée.D-d-demainjedoisp-partirpourleb-b-boulot.Onreparleraàm-monretour,pourt-t-trouverunes-s-solution.La respiration plus rapide, Mae m’agrippa fermement le poignet. Elle se
redressa sur ses jambes encore tremblantes et je lâchai son visage pour laregarder aller vers la porte donnant sur l’escalier arrière, menant à monappartement. Sur le seuil, elle s’immobilisa et me regarda par-dessus sonépaule.—La lumière est en toi, Styx, je la sens briller comme le soleil demidi.
C’estbeau.Tuesunhommebon.Merde,commentj’étaissupposéréagiràça?—Jesuisvraimentheureused’avoirputerevoir.J’aisouventpenséàtoi,le
garçondel’autrecôtédelaclôture,legarçondel’extérieur…Celuiquiavolémonpremieretuniquebaiser.Touslessoirsj’aipriépourquetusoisheureuxetensécurité.Jenerenonceraijamaisàcerituel.Avec un soupir, elle revint vers moi. Je lisais sur son visage la bataille
intérieure qu’elle menait, mais je n’avais pas la moindre idée de ce dont ils’agissait.Auboutd’unmoment,ellesepenchaversmoietposaunbaisertrèsdouxsurmajoue,puismesusurraàl’oreille:— Tu m’as sauvé la vie, Styx, et pour cela je te suis éternellement
reconnaissante. Et tu as chanté et joué de la guitare pour moi. En quelquesjours tum’as témoignédavantagedecompassionque j’enai reçudans toutemavie.Elle lança un rire bref, le son le plus pur et le plus beau que j’aie jamais
entendu.—Tunepouvaispasledeviner,maisdanslesdeuxmomentslesplusnoirs
de ma vie, tu es apparu. Tu prétends que tu n’es pas assez bien pour meprotéger,mais,sanslesavoir,tuasdéjàprouvélecontraire.Pardeuxfoistum’assauvélavie.Jetendislamainverselle,sanssavoiràl’avancecequej’allaisfaire,mais
unevoixvenantdelaportem’interrompit.—Styx?Loïs, les yeux écarquillés, venait de nous surprendre. Je lui adressai un
mouvementdetêteet lui indiquaid’attendredansmachambreauclub.Aprèsun instant d’hésitation, elle s’éloigna et j’entendis la porte s’ouvrir et serefermerdiscrètement.—J-j-jedoisyaller,informai-jeMae.Avecunsouriredéçu,ellesortitdelachambred’unpasclaudicant.J’attrapai
ma guitare, gagnai le couloir ouvrant sur toutes les chambres des frères ettambourinaisurladernièredel’enfilade.Auboutdequelquessecondes,Riderouvritensefrottantlesyeux,àdemiendormietàmoitiénu.—Prés’?—«Installe-ladanstachambre,pasdanslamienne.Toi, turentreraschez
toitouslessoirs.Nelaissepersonnel’approcherenmonabsence.Pigé?»Riderouvritgrandlesyeux,maissecontentad’opiner.—Oùest-elle,maintenant?demanda-t-ilenpassantlatêtedanslecouloirà
sarecherche.—«Dansmapiaule.Valachercher.Onpartpourlalivraisonàl’aube.»Ilpoussaunlongsoupir,allapasserunechemise,savesteetsonjean.Cene
futquelorsqu’ilseretournaversmoiquejemerendiscomptequejerestaislàà le surveillercommeunputaindepervers. Je tournai les talonset rejoignisLoïs,quiétaitdéjànue.Ellemejetaunregardencoin.Jemepassailesmainsdanslescheveuxetprisunegrandeinspiration.Putain!IlfallaitquejebaiseLoïsjusqu’àcequeMaesortedematête.
Chapitre9
SaloméMae
Enentendantfrapper,jemedemandaisiStyxavaitchangéd’avis.Jerajustai
monpeignoiravantdedéfaireleverrou.Enentrouvrantlaporte,jedécouvrisqu’il s’agissait dubarbuàqui j’avaisdéjà eu affaire.Sesgrandsyeuxbrunsplongèrentdanslesmiensetilfitunsignedumenton.—Jepeuxentrer?Je reculai d’un pas mal assuré : j’avais trop marché et ma blessure me
lançait.—Assieds-toi,m’ordonna-t-ildèsqu’ilperçutmoninconfort.Jem’installaiprudemmentauboutdulit tandisqu’ils’accroupissaitdevant
moi.Ilmeregardaentresescilsincroyablementlongsetmedemanda:—Jepeuxexaminertajambe?J’écarquillailesyeux.Pourcelailfallaitquejesoulèvemonpeignoir,queje
m’exhibe.— Je suis médecin. C’est moi qui ai pris soin de toi, je t’ai soignée. Je
m’appelleRider.Masurpriseetmacraintedevaientseliresurmonvisage.— Dans une autre vie, j’ai été soldat et médecin. Tu es entre de bonnes
mains,jeneteferaiaucunmal.Ilbaissalatêtepresquenerveusement.Ilsemblaitsesouciersincèrementde
moi.Iln’avaitpasuneexpressionaussidurequeStyxetsafaçondeparlerétaitmoinsabrupte.Jemesentaisétrangementàl’aiseensaprésence,maissabarbecourtemerappelait troplesdisciplespourqu’ilm’apporteunréelréconfort.Malgré tout, je voyais que sa personnalité était très éloignée de celle deshommes que j’avais côtoyés jusque-là, et il se comportait avec une grandegentillesseenversmoi.—Jem’appelleMae,confiai-jeàvoixbasse.Ilrelevalatête,m’offrantunsouriretimide.—Ravidefairetaconnaissance,Mae,assura-t-iltrèspoliment.
Ilpassaunemainraidedanssescheveux,puiss’assitetmedemanda:—Jepeuxexaminertajambe,maintenantquejeconnaistonnom?Jehochailatêteensilenceetrelevailentementlepeignoir,gênée.Depetites
tachesdesangsuintaientàtraversmonbandage.Malgréleurtailleimposante,les mains de Rider étaient délicates comme des plumes, et il retira avecdextéritélesbandesenserrantmonmollet.Jevismablessurepourlapremièrefoisdepuismonréveil.—Lacicatrisationestenbonnevoie,commenta-t-il.Jevaisappliquerdela
crèmeetrefairelepansement.Ilselevapourallercherchersasacochemédicalequ’ilavait laisséesurla
table et appliqua surma jambeunonguentdont l’odeur tenacemepiquait lenez.Alorsqu’ilrefaisaitlebandage,jesentisquelasubstancefaisaitdéjàeffet,atténuantladouleur.Aprèsavoirrangésesaffaires,ils’adossaàlatableetm’observa,lesbras
croisés.Commejenesavaispasquoidire,jegardaisleregardbaissé.— Je vais t’emmener dans ma chambre, Mae. Je dois veiller sur toi en
l’absencedeStyx.Il remarqua sûrement la stupéfaction dans mon regard, car il se dirigea
lentementversmoiets’assitluiaussisurlelit.—Nousenavonsparlé,Styxetmoi.Ilpartdèsdemainmatinpourunbout
de temps, et il ne sera pas là pour te protéger. Alors tu vas venir dans machambreetjeveilleraisurtoijusqu’àsonretour.J’étaisdépitée.—Sijereprésenteuntelfardeau,jepeuxpartir.Jeneveuxpasresterdans
unendroitoùonneveutpasdemoi.—Pasquestion,Mae.L’ATFnousadanslecollimateur,lesfédérauxrêvent
denouscollerunmandatdeperquisition, ilyadesagentsenplanquevingt-quatreheuressurvingt-quatred’iciàAustin.Devoirexpliquerpourquoituasététabasséeetd’oùtuviens, ignoranttoutdelavie,çavapasarrangernotrecas.Leclubatropd’ennemispourprendredesrisquesencemoment.Ilyadestasdeconnardsquirêventdenouspiquernotreplace.Turestesicijusqu’àcequeStyxendécideautrement.Etconnaissantleprésident,tuferaismieuxdeluiobéir.Incrédule,jeledévisageai:jen’avaispasvraimentcomprisquisurveillaitle
bâtiment, ni le reste de ses explications, mais j’avais retenu une chose, uneseule : j’étais prisonnière. Encore une fois. J’avais échangé une prison pouruneautre.Faceàmonpeuderéaction,Riderhaussalesépaules,selevaetme
tenditlamain.—Allons-y.—Jenevaispasdormiravecvous.Vousêtesunétranger.N’espérezriende
moi,affirmai-jed’unevoixtremblante.Iléclataderireetungrandsourireilluminasonvisage.—C’esttrèstentant,mabelle,maiscen’estpascequej’aiprévu.C’estpas
montruc, lesfillesquiconnaissentrienàlavie.Ici,cesont lesappartementsprivés deStyx, et tu ne vas pas rester là.Tu seras dansma chambre, etmoij’iraiàmamaison.Tesfessesm’intéressentpas,poupée.J’enrestaibouchebée.J’étaisvraimentchoquéeparlamanièredonttousces
hommes parlaient. Leurs mots étaient crus, et pourtant, ils s’étaient jusqu’àprésentcomportésenparfaitsgentlemenavecmoi.Avec un soupir, je suivis Rider jusqu’au club, dans sa chambre. Elle était
dépouilléeetpropre.Ildéfitlelitetsortitd’untiroirdevieuxdrapsdécolorés,maisbienpliés.Avecungested’excuse,ilremarqua:—C’estpasunpalace,maisçaferal’affaire.Lesbrascroisés,jedemandai:—Pourquoifaites-vouscela?—Quoi?—M’aider.Prendresoindemoi.Ils’approchademoi.Sabarbecourteetdruecamouflaitenpartiecequeje
devinaisêtreunefigureaimable.—Ordresduprésident.Monventreseserra.L’idéequej’étaisunproblèmequ’ilsdevaientrésoudre
mefaisaithorreur.Ilpoussaunsoupirets’appuyacontrelemur.—Disons que je paie ma dette. (Devant mamine déroutée, il fit un petit
sourireamer.)Parlepassé,jemesuisretrouvédansunesituationsemblableàlatienne.Leclubm’asortidecemauvaispas.J’aimesraisonspourt’aideretelles ne te regardent pas. Tout ce que tu as à faire, c’est guérir. On estd’accord?Jehochailatêted’unairrésoluetm’affalai,épuisée,surlegrandlit.—Ondiraitquejen’aipaslechoix.Maisj’apprécienéanmoinsvotreaide.
Merci.Au bout d’un moment, il s’en alla. C’était la première fois que je
m’allongeaisdansunvrailit.Auseindel’Ordre,lesMauditesdormaientsurun matelas dur posé à même le sol. Un tel confort m’entraîna vite vers un
sommeil agité et intermittent. J’essayai de me persuader que c’étaient lessouvenirs du prophète David, de Gabriel et de ma pauvre Bella qui metourmentaient.Maisc’étaitfaux.Styx.Jen’arrêtaispasdepenseràStyx.
Chapitre10
Mae
Unmoisplustard…
Jefinisd’enfilerlalonguerobeetlegiletnoirsquem’avaitapportésBeautyetallaim’asseoirauborddulitpourcontinuermalecturedelabiblefournieparRider.Jenepusretenirunsoupir:jecomprenaismaintenantquel’Ordren’avait jamais été fidèle au texte sacré.Cen’était pasdans ce livrequenouslisions les enseignements prêchés par le prophète… et apprenions tout ce àquoi nous croyions de tout notre cœur. Le prophète David avait extraituniquement les passages et les citations qui servaient ses objectifs et sonidéologie.Nousnesavionsrien…Nousvivionsdansl’ignorance.Ensongeantàlafaçondontj’avaisvécujusque-là,j’étaissubmergéeparune
vaguedecolère.Quelformidablegâchis!Vingt-troisansdemensongessouslejougd’hommesdursetderèglesstrictes.J’enavaisleslarmesauxyeux.Cequej’avaisvécudepuisunmoisétaitbiendifférent.Danslacommunauté,
mes journées étaientmonotones et difficiles,mais j’avais une sorte de but :servirlesfrèresdanstousleursbesoins.AuclubdesHangmen,jepassaismesjournéesetmesnuits enferméedans la chambredeRider, cachéedumonde,pansantmesplaies–désœuvrée.Jen’avais ledroitdequitter lachambrequ’àcertainsmoments, lorsque la
présence des femmes était autorisée dans le bâtiment, principalement lesvendredis et samedis soir.Mesdeuxbrèves incursionsdans le salon, sous lagarde rapprochée de Rider, avaient suffi à m’horrifier. La majorité deshommesétaientpartisavecStyx,maisilenrestaitsuffisammentpourdéfendreleQG.À lavuede tous, ils faisaientdeschoses indescriptibles aux femmes,quiétaientpleinementconsentantesetsousl’influencededroguesopiacées…L’uned’ellesm’avaitmême invitée àme joindre à l’orgie, pourme livrer àdesactessexuelsaveclesautresfillesaumilieudelapièce.Sansmelaisserle
temps de répondre, Rider s’était matérialisé soudain devantmoi et les avaitchassées,puism’avaitadresséunsimplehochementdetête,sansunmot.Celaavaitsuffiàmefaireregagnersanstarderlasécuritédelachambre.Ilmerendaitsouventvisite,pourexaminermaplaieetrefairelepansement.
Parfoisildisparaissaitpendantquelquesjours.D’ailleurs,c’étaitlecaspourlaplupartdeshommes,quipartaient«régler lesaffaires»,commeilsdisaient.J’avais le sentimentqu’ilsnepartaientpaspourde simplesbaladesenmoto,mais j’avais intégré les règles du club, quem’avait exposées Rider : « Lesfemmesneposentpasdequestions.»Nousnousétionsrapprochés,Rideretmoi.Ilétaittoujoursgentilavecmoi,
etjenel’avaisjamaisvusecompromettreaveccesfemmesfaciles,cequimesoulageaitgrandement.Quandilétaitlà,ilrestaitassisdanssachambre,lisait,oume parlait patiemment dumonde extérieur. Chaque jour je remerciais lecielquelatâchedeveillersurmoienl’absencedeStyxluisoitéchueàlui,etpasàunautrefrère.Uncoupfrappéàlaportemetirademarêverie.Jerefermailabibleetme
levaid’unbond,toutecontente.C’étaitsûrementRider.Ilétaitpartitôtlematinpourmerapporterdenouveauxvêtementsdumagasin.J’ouvris laporteavecprécipitation,ungrandsourire impatientaux lèvres.
Ce n’était pas celui à qui je m’étais attendue. Mon cœur se mit à battre lachamadedansmapoitrine.Styx.Il était de retour. Une main contre le chambranle de la porte, le regard
baissé, ilsemblaitplongédanssespensées.Lorsqu’il leva la tête,sesnarinesfrémirentetils’humectalalèvreinférieure,medétaillantdespiedsàlatête.—Styx,soufflai-je.Il s’éclaircit la voix, les poings serrés, et ses yeux bleus cillèrent
rapidement, trahissant sa nervosité. J’observai sa pomme d’Adam quitressautait le long de son cou. Il pointa le doigt versma blessure et parvintenfinàdire:—T-t-taj-j-jambe?Sa prouesse verbale me tira un sourire de fierté et je vis sa poitrine se
gonfler en retour. Il épiait lemoindre demesmouvements comme un aigletandis que je soulevais un peu la robe qui descendait jusqu’au sol, pour luimontrermonmolletpresquecomplètementcicatrisé.—Çavabeaucoupmieux,merci.Ils’accroupitetpassadoucementledoigtsurlacicatricerose.Jem’arrêtai
derespireretsentismesjouess’enflammer.Ilremarquaquejem’étaisfigéeetlevalatête,rencontramonregard,unlégersourirenarquoisauxlèvres.Puisilserelevasansmequitterdesyeux.Latensionétaitpalpable,crépitantdansl’aircomme une manifestation magique. Il m’hypnotisait, j’étais complètementensorcelée.—Comments’estpasséel’expédition?demandai-jed’untonégal.Ilréponditd’unbrefsignedetêteethaussalesépaules.J’endéduisisquetout
s’était bien déroulé. Il se passa une main dans les cheveux et se rapprochaencoredemoi.Sonsoufflechaudcaressaitmapeau,etdenouveaujesentiscetourbillonsesouleveraucreuxdemonventre.Jefermailesyeux,incapabledecontrôlerma respiration. Lorsque j’ouvris les paupières, Styx entrouvrit leslèvresetilglissaunedemeslonguesmèchesderrièremonoreille.Ilrefermalaboucheetsemitàcillernerveusement.Ilallaitparler.—M-M-Ma…Ils’interrompit,soufflalentementetsonpoingserefermasurmescheveux.
Jeposaiunemainsurlasienneetcaressaisapeaucalleuseduboutdesdoigts.Ilinspirarapidementparlenezetsouffla:—M-Mae?—Mae?appelaunevoixgravedanslecouloir.Uninstantplustard,Riderentraitdanslapiècetoutenfouillantdansunsac,
sibienqu’ilnevitpastoutdesuitecequisepassaitdevantlui.—Jet’aiapportédestrucsàessay…Il s’interrompit en pleine phrase dès qu’il avisa Styx devantmoi au beau
milieu de la pièce, samain dansmes cheveux, son corps frôlant presque lemien.—Prés’,salua-t-il,aussitôtsurlequi-vive.Je vis ses yeux s’étrécir légèrement en nous regardant, jaugeant ce qu’il
venaitd’interrompre.LevisagedeStyxprituneexpressiondureetilreculaenfoudroyantRiderduregard.Ils’adressaparsignesàsonfrère,quiopina.Sansunmot,Styxsortitenclaquantlaporte,cequimefitgrimacer.Riderm’observaitaveccuriosité.—Qu’est-cequ’iladit?l’interrogeai-je.Ilposalesacsurlatableetsetournaversmoi.—Leclubpartenviréedansunedemi-heure.—Qu’est-ceque…Maquestion fut interrompue par une autre visite impromptue. Je levai les
yeuxauciel,exaspérée.Laportes’ouvrità lavolée, laissantentrerBeautyet
Letti, en pleine discussion animée, chargées de sacs et habillées de cuir despiedsàlatête.LettiétaitlarégulièredeBull,etaucoursdesdernièressemaines,elleavait
prisl’habitudedemerendrevisiteencompagniedeBeauty.Jen’avaisjamaisrencontré une femme comme elle – imposante, explosive. Mais elle étaitadorable avecmoi et tenait à notre amitié toute nouvelle.Bull et elle étaientsamoans. J’avais du mal à comprendre ce que cela signifiait ; jusque-là jen’avais pas appris grand-chose sur les autres cultures.Dans la communauté,s’ouvriraumonden’étaitpasunepriorité…Lettim’avaitmontrésurunecarteoùsetrouvaientlesîlesSamoa.J’étaisavided’apprendredenouvelleschoses,mais jeme sentais bête d’avoir ignoré jusqu’à l’existence de son pays. Elles’enamusait.—Mae,magne-toilecul,tuviensenviréeavecnous,lançaBeautyenposant
lessacsremplissurlelitfaitaucarré.Rider secoua la tête en riant et s’éclipsa.Très vite,Beauty s’était imposée
commegardeducorpsetmeilleureamie.—Une«virée»?interrogeai-je,espérantcettefoisobteniruneexplication
deBeauty.—Grave!LaviréedesHangmen.Ettuesdelapartie.Beautyextirpaunemassedecuird’ungrandsacenplastiqueblancetmela
jeta.Lettisecontentaitd’observerlascèned’unairamusé.—Attendez!C’estimpossible.Jenesaispas…rouler.—Mais simabelle.Tu serasavecRider. Iln’apersonneà l’arrièrede sa
bécane.Toitun’aurasqu’àbientecramponner.—MaisStyx…—Styx est d’accord.Mae, il faut absolument que tu sentes ce que ça fait
d’êtresurunebécane:leventdanslescheveux,leskilomètresquidéfilent,lapuissance, la liberté. Et puis un bon moment de détente aux Cascades, lebarbecue, la bière. Tu es confinée ici depuis presque unmois, bordel. Cettefois, tusors. Ilest tempsdecommenceràvivre,machérie.Lesgarssontderetour,ilsteprotégerontettoi,tuvasapprendreàt’amuser,oui!Je dépliai les vêtements ajustés et ouvris des yeux effarés. Il y avait un
pantalonquimesemblaitminuscule,unhautnoirsansmanchesauxcouleursdesHangmenetunevesteencuirassortie,trèsétroite.—Beauty,jenepeuxquandmêmepas…—Mafille,si j’entendsencorecemotdanstabouche, jevaispousserune
gueulante!
Je jetaiuncoupd’œilàLetti,quim’indiqua lasalled’eauavecunsouriregoguenard.Vaincue,jem’ydirigeai,etBeauty,ravie,mejeta:—Onesttousdanslacour.Àtoutdesuite!Quelques minutes plus tard, j’examinai dans le miroir mon corps moulé
dans le cuir.Monventre se serra. Ilm’en coûtait de porter cet accoutrementtrès ajusté.Cen’était pas du tout pudique. Je n’étais pas couverte commeonm’avaitapprisàl’êtredèsleplusjeuneâge.Cethabillementétaitunpéchéensoi, conçu pour séduire et mettre en valeur mes formes. Je dus me répéterplusieursfoisquejen’étaisplusdanslacommunautéetquelesfrèresnemepuniraientpaspourm’êtrehabilléeententatrice.Tueslibremaintenant,Mae.J’essayaid’apaisermoncœurdérouté.Tueslibre…Je pris une grande inspiration, et en jetant un autre regard hésitant àmon
reflet, jenepusm’empêcherde rire, incrédule.Si seulementLila,MaddieetBellapouvaientmevoir.J’étaissidifférentedelaMaequ’ellesavaientconnue.Avecmes cheveux lâchés dans le dos, habillée et bottée de cuir noir, j’avaisl’aird’êtreune«meufàmotards»comme ilsdisaient affectueusement–cequimelaissaitperplexe.Jemeressaisiset,prenantmoncourageàdeuxmains,quittailachambreet
traversaiprudemmentlesalondésert.Dépeuplé,sanslesactesimpudiquesquis’ydéroulaienthabituellement,l’endroitsemblaitétrange.De l’autre côté de la porte, j’entendais clairement le rugissement des
moteurs et les voix rocailleuses des frères qui piaffaient d’impatience. Jesortis.Au cours des semaines écoulées, j’avais pu constater que lesmotardstournaient en rond s’ils ne sortaient pas plusieurs fois par semaine, surtoutRider–d’oùsonsurnom,sansdoute.M’apprêtantàsortirdel’ombredelaporte,jerejetailesépaulesenarrière
etm’avançaisouslesoleilbrûlant–lemiditexan.Éblouie,jefermailesyeuxetsavourailachaleursurmesjoues,deboutausommetdel’escalierenciment.Quandj’ouvrislespaupières,jedécouvrisunemerdemotards,hommeset
femmes,quimeregardaientbouchebée.JerepéraiBeautyquimefaisaitsigneàl’avantdugroupe,unbraspasséautourdelatailledeTank,quim’adressaunsignedetête.Descris etdes sifflets s’élevèrent alors.Certaines filles faisaient lamoue,
tandisqueplusieursfrèresmereluquaientsansretenue.Maisc’estleregarddeRider qui retintmon attention : à califourchon sur samoto, il détaillaitmesatoursetmasilhouettenouvellementexposée.Soudainunlongsifflementautoritairemitfinàlacommotion:StyxetKyler
s’avancèrent,etRidermitpiedàterrepourleuremboîterlepas.Jedescendislesmarchesàleurrencontre,metriturantlesdoigtsavecnervosité.Kylermesouritensecouantlatête.—Waouh,Mae!T’essacrémentcanon,tusais!Gênée, jemedandinaid’unpiedsur l’autreetglissaiun regardversStyx.
Quand il posa son regard affamé surmoi, je sentis sa brûlureme trouer lapeau,etpourladeuxièmefoisdelajournée,j’euslesoufflecoupé.QuelquessignesdeStyxsuffirentàchasserlesouriredesonbrasdroit.Jevoyaisàsesgesticulationsqu’ilétaitenviveconversationavecKyler,maisjepréféraismerassasier de son apparence : il portait le traditionnel jean bleu délavé desmotards, une chemise noire et sa veste en cuir sans manches. Je lisais del’admiration dans son regard, et sa poitrine se soulevait lourdement. Je mesentaiscommeunanimalencage,exhibédevantlafoule.Toutàcouponm’attrapalebras.Styxétaitjustedevantmoi,etilmeramena
sansménagementàl’intérieur.Dèslaportefranchie,horsdevuedesautres,ilmeplaquacontrelemurleplusproche.Il fit courir samain le long dema joue, puis dansmes cheveux, sansme
quitterdesyeux.Lorsqu’ils’aventuraplusbas,lelongdemesbras,surlecôtéde ma taille, puis, très légèrement, sur ma hanche, ma respiration rapideéchappaàmoncontrôle.Styxétaitàpeuprèsdanslemêmeétat.Ilavançaunpiedimmenseversmoi,puisl’autre,etsonsouffletièdecaressa
majoue,agréable,attirant.Ilsepenchadefaçonquenosfrontssetouchentetpritmonvisageentresesmains.Jenepouvaisdétacherleregarddesaboucheparfaite, de cet étrange anneau de métal au milieu de sa lèvre inférieure,brillant à la lumière. Haletant, il s’approcha lentement. J’avais les paumesplaquéescontrelemur.—Styx?murmurai-jetandisqu’unechaleuragréables’installaitdansmon
ventre,tourbillonnantlentementversmonentrejambe.De plus en plus consciente de mes sensations, j’écarquillai les yeux,
impatiente et effrayée, et serrai instinctivement les cuisses. Déroutée, jehoquetaietl’interrogeaiengémissant:—Styx?Quelque chose en lui brisa le charme et il recula à l’instantmême où ses
hanchesallaients’appuyercontrelesmiennes.Ilm’examinalentement,suivantattentivement chaque courbe de mon corps comme un peintre détaillant samuse.Jemesentaismiseànue…désirée.Ilprituneinspirationsaccadéeetdit:
—J-j-j’aiLoïsà l’arrièredemaf-f-foutuebécane. (Ses lèvress’ourlèrentenuneexpressiondedégoût.)T-t-toituvasavecR-R-Rider.Il donna une tape dans le mur au-dessus de moi et jura entre ses dents
serrées.Puisiltournalestalonsetgagnalaporte.Ils’arrêtasurleseuilet,sansme
regarder,lâchad’unevoixrauque:—T’asunes-s-sacréeallure.Moncœursegonflaetjefermailesyeuxuninstant.Alorsqu’ilavaitdéjàla
mainsurlapoignée,jemurmurai:—Tum’asmanqué.Ilvoûtaledos,baissalatêteetsiffladenouveau«Merde!»avantd’ouvrir
laporteenmanquantdel’arracheràsesgonds.Jemelaissaiglisserlelongdelaparoienboisetbasculailatêteenarrière,
essayant de reprendremes esprits et de calmer les battements demon cœur.Avait-il été sur le point dem’embrasser ? Est-ce qu’il aurait préféré que jerouleavecluiàlaplacedeLoïs?Quepensait-ildemoi?Est-cequ’il…?—Mae?Encoretoutétourdie,jevisindistinctementRiderpasserlaporteetfroncer
lessourcilsendécouvrantquej’étaisassisecontrelemur.—Toutvabien?Jetoussotai,rajustailesmèchestombéessurmesyeuxethochailatête.Ilme
sourit,cequiluiarrivaitrarement,etm’annonça:—Viens,tumontesavecmoi.Ilme fit traverser la foule jusqu’à sonchoppernoir et chrome (ilm’avait
appris le nom de sa moto, un soir où je lui avais posé la question).Gauchement, je restai à côté de lui alors qu’il enfourchait avec aisance sonvéhicule.Àquelquesmètresdelà,jerepéraiStyx,noustournantrésolumentledos,leregardbraquéversl’avant,etLoïsenlaçantétroitementsondoslargeetraide.Moncœurseserra.Ridertapotalesiègederrièrelui.—Monte,poupée,etmetslesbrasautourdemataille,medemanda-t-il.Le rugissement assourdissant du moteur me surprit. C’est alors que
j’aperçusStyxm’épiantdanssonrétroviseur.Leslèvrescrispées,montrantlesdents,leregardenfeu…—Mae?m’appelaencoreRider.Arborantunsourireforcé,jegrimpaisurlesiègeencuirchaudetenfilaile
casquequ’ilmetendait.
—Metslesbrasautourdemoi,Mae,ettiens-toibien,merappelaRider.Jedéglutis,enproieàuneviveappréhension,etm’accrochaifermementau
gilet en cuir de Rider, qui dégageait une odeur de foin frais. L’odeurcaractéristiqueduvieuxcuirflottaitdansl’air,semêlantauxvapeurslourdesdesgazd’échappement.Rider fit vrombir son moteur, et les vibrations de la grosse cylindrée se
communiquèrent àmes jambes. Styx leva lamain droite et fit un geste versl’avant.Commeun seulhomme, legangdemotardsquitta leQG,cavalcadesaccadéeetbruyante.Styxroulaitentête,tandisqu’ungroscamionchargédevictuailles fermait la procession, et nousnous élançâmes le longde la routedésertequis’étiraitcommeunlongruband’asphalte.Jamaisjenem’étaissentiesivivante,silibre…
Chapitre11
MaeJedois avouerque jen’avais encore jamais rienvude tel.L’horizonétait
occupé par de hauts bâtiments, les rues grouillaient de passants, et desmusiquesvariéess’échappaientdetouslescoins.Nousavionscirculépendantenvironuneheurejusqu’aucœurdelavilled’Austin,etj’étaistotalementsouslecharme.Alorsvoilààquoiressemblelemondeextérieur.C’estça,ladominationdu
mal??Àvoirlesvisagesheureuxdespassants,j’avaisdumalàlecroire.J’avais peine à intégrer tout ce qui s’offrait à ma vue. Je trouvais
particulièrement fascinant que les gens s’arrêtent à notre passage pour nousregarder. Certains avec admiration, d’autres exprimant une peur évidente,faisantpasserleursenfantsderrièreeuxpourlesprotéger.Àlavued’unfeurouge,touslesmotardsralentirent.Riderm’expliquaque
cesigneindiquaitauxvéhiculesqu’ilsdevaients’arrêter.Enregardantautourde nous, je vis que les gens tendaient de petits boîtiers noirs dans notredirection.—Maisquefont-ils?demandai-jeàRider.Ilhaussalesépaules.—On est connus, dans le coin. Ils veulent une vidéo.C’est plutôt rare de
nousvoirtousensemble.Ilnem’enditpasplus,sibienquejenepusdéterminers’ils’agissaitd’une
bonnechoseounon.Nous traversâmes le centre-ville pour gagner une zone moins animée, et
bientôtdeschampsverdoyantsapparurent.Lacampagneétaitbelle,desfleursmulticoloreségayaient lebas-côtéde la route, lemaïset lebléondoyaientàperte de vue, du bétail paissait dans les prairies. Je n’avais pas conscienced’avoirserrélespoingssurlavestedeRideravantqu’ilmediseavecunlégersourirequecelaledistrayaittrop.Jedesserraimonétreinteenrougissant.Des bosquets arborés apparurent çà et là dans le paysage, et nous
empruntâmes une route sur la gauche, signalée par une pancarte indiquant« Parc national des cascades McKinney ». Des familles et des groupes dejeunesétaientéparpillésçàetlàsurl’herbe.Envoyantcequ’ilsportaient,mesyeux s’agrandirent : des hauts et shorts minuscules, et rien d’autre. Tant depeau à découvert !Mais ils semblaient bien s’amuser…avant d’entendre lesmoteursdesHangmen.Les familles se ruèrent vers leurs voitures, jetant précipitamment leurs
affaires à l’intérieur, pour quitter le parc au plus vite. Quant aux jeunes, ilss’éparpillèrentdansladirectionopposéeàlanôtre.LesHangmen,pastroubléslemoinsdumonde,poursuivaientleurroute.Nouscroisâmesunpanneauinterdisantl’entréedevéhiculesmotorisés,mais
Styx n’en tint aucunement compte. Le groupe se mit en file indienne pours’engagerdansl’étroitsentierombragé.Noussuivîmesunmomentcecheminqui serpentait entre les vallées et les collines, puis nous arrivâmes à uneclairière,etlatroupes’arrêta.Ridercoupalemoteuretjeretiraimesmainsdesataille,puisdescendisde
lamoto.Malheureusementmes jambesenavaientdécidéautrement :dèsquemesbottestouchèrentlesol,jelessentissedérober.Ridertenditlebraspourmerattraper,etilmeserracontresapoitrine.—Attention,Mae,aprèstapremièrevirée,tuvasêtreunpeuflagada.Jenepusretenirunéclatderire.Ridermeréponditparunsourire,touten
défaisant l’attache de mon casque. Il le souleva puis lissa lentement mescheveuxdécoiffés.Jecroisaisesyeuxbrunsetdéglutis.Unpetit bruit secnon loindemoime fit tourner la tête :Styxallumait sa
cigarette en foudroyantRider du regard, comme s’il voulait lui arracher lesbras.Puisiltournabrusquementlestalons.Riders’éloignademoi,pritunesacocheaccrochéesurlecôtédesamotoet
meguidavers un cheminbordéd’arbres.Tous lesHangmen l’empruntaient,chargésdegrillesàbarbecue,desacsremplisdenourritureetdeboissons.Ilsétaientjoyeux,l’atmosphèreétaitbonenfantetplaisante.Enarrivant auboutdu sentier, j’entendisdesbruitsd’eau, et soudainnous
nous trouvâmes dans un grand espace dégagé dont la beauté me coupa lesouffle.Jem’élançaijusqu’aubordd’unrocherfaisantsaillieetcontemplaileseauxbleueslimpidesencontrebas,danslesquellessejetaitunegrandecascadeécumante.Jeplaquaiunemainsurmaboucheetsentismesyeuxsemouiller.UnemainseposasurmondosetenmetournantjedécouvrisBeautyàcôté
demoiquiadmiraitelleaussilavue.
—C’estbeau,hein?Jehochailatête,lâchaiunrireétoufféetrépondis:— C’est le plus beau paysage que j’aie jamais vu. C’est comme ça que
j’imagineleparadis.Ellem’attiracontreelle.—On installe les grills, m’informa-t-elle. Viens nous rejoindre quand tu
serasprête.Enjetantuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,jevisqueleclubtoutentier
étaitfrappédestupeurfaceàmaréaction.Styxétaitdéjàassiscontreletroncd’unarbre,unebièreàlamain,àmesurveiller.Ilnemelâchaitpasduregard.Jesourisjusqu’auxoreilles,heureuse.Sanstenircomptedesregards,jem’assisauborddurocherpouradmirerce
quej’avaissouslesyeux.AusouvenirdeBella,unelarmeroulasurmajoue.Je devinais combien elle aurait aimé cet endroit : les eaux turquoise, lesrochers,et,avanttout,laliberté.Lesyeuxclos,jelevailevisageverslecieletoffrisuneprièresilencieusepourmadéfuntesœur.Jesouriais.J’avaisbeau avoir perduma foi en l’Ordre, je croyais toujoursqu’elle se
trouvaitmaintenantdansunlieumeilleur.Jelesentaisauplusprofonddemoi.Un sentiment de paixm’habitait.Et j’espérais qu’ellem’observait, assistait àcetinstantetpartageaitcetteliberté,etsurtoutvoyaitquepourlapremièrefoisdemavie,j’étaisheureuse.Au bout de quelques minutes à l’écart, je retirai ma veste en cuir, trop
chaude sous ce soleil estival. J’essayai de régler les petites bretelles demonhaut.Jen’avaisjamais…jamaisjen’oserais…porterunetenueaussidévêtuequelesautres.J’avaisdéjàdumalàmontrermesbrasnus.Je me levai et me dirigeai vers l’endroit où tout le groupe était installé.
Plusieurs femmes, y compris Beauty, s’étaient déshabillées, ne conservantqu’unmaillot de bain ridiculement petit.Chacune était en compagnie de sonhomme, le serrant dans ses bras, le couvrant de baisers, le touchant, lecaressant…Styx était toujours contre son arbre, en compagnie deLoïs etKy. Il ne la
touchaitpas. Ilmesurveillaitcommeunaigle.L’attentionqu’ilmeportait fitnaîtreunedoucechaleurdansmonventre.Jemedirigeaivers legroupeforméparBeauty,Tank,Rider,LettietBull.
Rider retira savesteet l’étala sur le sol,m’invitantàm’asseoirdessus. Je leremerciaid’unhochementdetête.
Lettimefourraunebouteillebruneentrelesmains.—Bois,çavateplaire.—Merci.Prudemment, je portai le goulot àmes lèvres et pris unepetite gorgée. Je
recrachaiaussitôtleliquide,déclenchantl’hilaritédemescompagnons.J’exigeaidesexplicationsdelapartdeLetti.—Qu’est-cequec’estquecettehorreur?Avecunclind’œil,ellem’informa:—De labinouze.De labière.Duhoublon.Laboissondesdieux,merde !
Maisj’ail’impressionquec’estpastatassedethé.Réprimantunfrissondedégoût,jesecouailatête.Bullmepritlabouteille
desmainsetenengloutitlecontenud’uneseuletraite,l’airravi.—Super,çaenfaitpluspourmoi.Beauty gloussa et se pencha par-dessus Tank, qui était torse nu, pour
atteindreunegrosseboîtebleue.Elleensortitunepetiteboîtemétalliquedontelleretiralehaut,etmeproposa:—Tiens,essaieplutôtça,machérie.Cette fois, je pris garde de renifler d’abord le breuvage avant d’y goûter
prudemment.C’étaitbienmeilleur.Non,c’étaitmêmedélicieux!—Alors?Tupréfèresça?Beautyétaitassiseenfacedemoi,s’agitantsurplacetantelleétaitexcitée.Je
hochailatêteavantdeprendreuneautregorgée.—Qu’est-cequec’est?— Un soda aromatisé au vin. C’est ma boisson favorite, mais ces
péquenauds me charrient, pour eux c’est un truc de chochotte. Mais ça vachanger,j’aitrouvémacollèguemaintenant!conclut-elled’unevoixaiguëentrinquantavecmoi.Derrièrenous,unbarbecuefumantrépandaituneodeurdesaucissegrilléeet
desteakquimemettait l’eauàlabouche.Jen’avais jamaisaussibienmangéqu’aucoursdumoisécoulé,durantlequelj’avaisdécouvertquelanourriturepouvaitêtreunplaisir.Quelqu’unsemità jouerdelamusique, le tempspassaitagréablement ; la
plupartdeshommesse reposaientsur l’herbe,àpartquelquescourageuxquifaisaientdesplongeonsdansl’eaufraîchedepuislesrochers.Jem’amusais bien, en fait, réalisant que jusque-là, je n’avais jamais su ce
ques’amuservoulaitdire.—Hé,Blanche-Neige!
JevisRidermeregarder.—C’estàtoiqu’ilss’adressent,Mae.Entournant la tête, jedécouvrisqueViking,FlammeetAKm’observaient.
Ils étaient partis en livraison avec Styx, et venaient de rentrer auQG. Je nesavaispasquoipenserdecetétrangetrio.Detouslesfrèresduclub,ilsétaientdeloinlespluseffrayants,surtoutFlamme.Ilétaitbelhomme,avecdestraitsfins,uncorpsmuscléetunebellecheveluresombre,maissesyeuxnoirssansâme,dépourvusdevie,meglaçaientd’effroi.Ilconsidéraittoutlemondeavecméfiance, ne restait pas immobile plus de quelquesminutes etmanipulait entoute occasion une lame qu’il s’enfonçait régulièrement dans la chair, détailquinefaisaitrienpourmerassureràsonsujet.J’adressaiunregardinterrogateuràRider.Ilneportaitqu’untee-shirtblanc
quimettaitenvaleursesbicepsbronzésetmusclés,tandisquesontraditionnelbandanaretenaitsescheveuxlongs.—C’estquoi,ouqui,Blanche-Neige?Ileutl’airamusé.—Unpersonnagededessinanimé.Jefronçailessourcils,pasplusavancée,carjenesavaispascequ’étaitun
dessinanimé.Remarquantmaperplexité,ilritetm’expliqua:—Elle a les cheveux noirs et les yeux bleus, et c’est une fille sacrément
canonpour un simple dessin.C’est ta ressemblance avec elle qui t’a valu cesurnom.Ilmeregardaitdroitdanslesyeux,etjedéglutis,malàl’aise.Aucoursdes
dernières semaines, l’attention que Rider me portait était devenue plusappuyée, ilme traitait avecmoinsd’indifférencequ’audépart, et semontraitprévenant. La distance entre nous, qu’il semblait au départ vouloir instaurer,s’amenuisaitdejourenjour.Unmorceaudepainàburgermeheurtalebras.JemeretournaietVikingfit
unmouvementdementondansmadirection,essayantd’attirermonattention.—Eh,tuvasnousdired’oùtusors,lafillemystère?Enentendantcettefameusequestion,jecommençaiàpaniqueretcherchaile
soutiendeRider.—Tun’espasobligéederépondresitunelesouhaitespas,m’assura-t-il,le
visagesoucieux.Lesconversationsquiflottaientjusque-làdansl’airhumideseturent,chacun
meprêtantsoudainattention.—Je… je ne saurais pas indiquer l’emplacement, répondis-je d’unepetite
voix.Cetteinformationnousétaitinterdite.Vikingjetauncoupd’œilàAKetFlammeavantd’éclaterderire.—Tune sais pas où tu habitais, ni où tu as grandi ?C’est uneblagueou
quoi?—Non,lesfemmesn’avaientpasledroitdesavoir.Lessœursnesortaient
jamais.Jen’avaismêmepaslapermissiondequittermesappartements,hormispour certaines occasions. Les frères quittaient la communauté de temps entemps,maisrarement.Ilsnevoulaientpasrestertroplongtempsloindenous,danslemondeduvice.—Quittaientquoi?Qu’est-cequetuveuxdire,àlafin?demandaFlamme
avec une grimace horrible qui découvrit le mot « douleur » tatoué sur sesgencives.J’eneusdesfrissonsdansledos.Ravalantmapeur,jerépondis:—La…lacommunauté.L’Ordre.Monpeuple…Leursvisagesperplexesmedonnaient le sentimentd’étouffer, jememisà
trembler.LajambedeRiderétaittoutcontrelamienne,etjelesentissecrisperenm’entendantrépondre.Jenecomprenaispascequiclochait:monéducationleur semblait donc si étrange ?Vu leurs expressions choquées, j’en déduisisquec’étaitlecas.—Je…jemesuisenfuie,j’aitrouvélemoyendesortir,etj’aiétéblesséeà
cette occasion. Voilà comment je me suis abîmé la jambe, m’empressai-jed’ajouter.AKsepenchaenavant.—Etcommenttut’esdébrouilléepournoustrouver?Onestaumilieude
nulle part. Tu serais pas là pour nous espionner, dis ? Certains se posentsérieusementlaquestion,quandunemeuftombeducielets’installeauQG.—Non…non…Je…Uneautomobilistem’avuesurlaroutedéserte,etau
bout de quelques heures de voiture, je me suis sentie mal, à cause de mablessure,etjeluiaidemandédemelaissersortir.Lesbâtimentsduclubétaientles seuls en vue, alors je me suis traînée jusque-là. Ensuite… je me suisréveilléedansunlit.DanslachambredeStyx.Endisantcela,jedésignaileprésidentdesHangmen,maissansleregarder.— Et comment ça se fait que tu le connaisses ? C’étaient les grandes
retrouvaillesaubar,etpourtantilrefusedenousenparleretdenousexpliquerpourquoiilteprotège.T’asouverttesgrandesguibollesettul’aspiégédanstachatte?Tu l’asconvaincude te laisser restercontreunepartiede jambesenl’air?interrogeaViking.
Ses remarques crues provoquèrent l’hilarité des autres. Choquée, je medemandaisquoi répondre, lorsque soudainViking leva lesmainsen reculantprécipitammentjusqu’àrencontrerunrocher.Enmeretournant,jevisStyxderrièremoi.Ilavaitretirésontee-shirtblanc
pour le glisser dans la ceinture de son jean, et il arborait une expressionterrifiante. Troublée, je regardais son torse large et nu, lesmuscles saillantsous sa peau tendue. Ses épaules étaient larges et bien définies, sa peaucouvertedetatouagescolorés.Etsonventre,ahSeigneur,sonventreprésentaitdespaquetsdemusclesparfaitementdessinés.Desgouttesde sueurcoulaientlentement en direction du V bien prononcé de son bas-ventre, que laissaitparaître la taille basse de son pantalon. Rougissante, je surpris le regardcomplicedeBeauty, qui avait repéréma réaction,mais aussi l’air inquiet deRider.— Très bien, je laisse tomber, promit Viking, interrompant mes pensées
impures.Metournantverslegéantroux,jerépondisbravement:— Je ne le connais pas vraiment, et surtout pas de la manière que vous
insinuez.Maisilestgentiletdouxavecmoi.Jel’apprécieénormément.Onauraitditque tout legroupe retenait sonsouffle.Le regardnoisettede
Styx se planta dans le mien. Et un soudain éclat de rire nous tira de notrerêverie.—«Gentil»?«Doux»?Putain,elleleconnaîtvraimentmal!AKserelevaentitubant.Torsenu,ilavaitvisiblementtropbuetagitaitune
bouteille d’alcool, la braguette partiellement déboutonnée. Il avait une croixgigantesquetatouéesurlapoitrine.— C’est le Muet des Hangmen, bordel ! Celui qui distribue les sourires
permanents!KysedirigeaàgrandspasversAK,etluiadministraundirectenpleineface
qui l’envoya au sol. Puis, penché au-dessus de son frère assommé, il siffla,assezfortpourêtreentendudetous:—Fermetagueule,putain.J’enaimarredetasalevoix!Jen’avaispas réaliséque jem’étais tant rapprochéedeRideravantdeme
retrouverassisecontre l’arrondidesonventre,avecsonbrasdansmondos,maisnemetouchantpas.Unbruitdefeuillesmefitmeretourner,justeasseztôt pour voir Styx s’enfoncer entre les arbres, nous laissant fixer son doscouvertdetatouages.
—Stop!Nebougezplus!Unhommeenuniformebeiges’avançad’unpashésitantdepuis lecouvert
desarbresaunorddelaclairière,brandissantunearmeimposanted’unemainquitremblait.—Laprésencedevéhiculesn’estpas autorisée à cet endroit. Jevaisvous
demanderdequitterleslieuximmédiatement.Kylerrenversalatêteenarrièreethennitderire,bientôtimitéparVikinget
Flammeàsescôtés.—Tiensdonc,maisc’estlerangerSmithquevoilà!Vikings’approchadunouveauvenu,sanstenircomptedudéclicducrande
sécurité.—Alors,maisoùestYogi,Bouboul’oursquinousemmerde?J’avais du mal à comprendre ce dialogue, mais le reste du club semblait
trouverlaremarqueamusante.Vikingallajusqu’àplaquersonthoraxcontrelecanondufusil.—File,petitranger,avantqu’onperdepatience.T’asunesacréechancede
tepointerunjouroùonestdebonpoil.L’inconnu examina anxieusement le groupe. Les hommes étaient debout,
détendus, tandisque les femmescontinuaientàboireetpapoter,commesi lerisquequeVikingseprenneuneballeenpleinepoitrinen’existaitmêmepas.—Je…jevaisappelerlapolice!lança-t-ilsansgrandeconviction.Kylevalesmains,feignantlapanique.—Ohnon!Paslapolice!Puisilaffichasonsourireravageuretajouta:— Allez, dégage. On leur graisse tous la patte de toute façon, ils
n’interviendront pas. Eux, contrairement à toi, petit nabot prétentieux, saventqu’ilnefautpascasserlescouillesauxHangmen.Enentendantcenom,l’hommeécarquillalesyeuxetsemitàreculer,touten
visantdesmotardslesunsaprèslesautres,pourfinirparprendrelafuitedansles buissons.Avec des cris joyeux et des sifflets, les hommes sortirent leursarmesettirèrentenl’air.Levacarmeétaitassourdissant,commedescoupsdetonnerretoutproches.Kycommençaàdéboutonnerson jean,et je fermai lesyeuxavantqu’ilne
soitcomplètementnu.Jel’entendiscrier:—Àpoillesmeufs!Nichonsetchattesàl’air!Mesfrères,onseretrouve
dansl’eau!Descrisd’excitationetdesrirescascadèrententrelesgrosrochers.Lorsque
j’ouvris lesyeux, jeme trouvaiconfrontéeà lavisiondecorpsnusse jetantdansl’eaudepuislafalaise.Beauty,deboutdevantmoi,metenditlamain:—Allons-y!Jesecouailatête.—Non,vas-y,toi,moijerestelà.Ellelevalesyeuxauciel,prêteàinsister,maisTankseprécipitaverselleet
l’attrapacommeunsacavantdelajetersursonépaule,puiscontinuasacourseendirectiondel’à-pic.Beautypoussauncriàglacerlesang.Letti etBull étaient allés s’installer en contrebas pour assister à ces folles
cabrioles…sibienqu’ilnerestaitplusqueRideretmoidansl’herbe.—Tunetejoinspasàeux?demandai-je.Ilfrottasabarbehérisséeetsourit.—C’estpasmontruc.J’inclinailatêteetl’observai.—Tun’espascommelesautres?Ilsoulevaunsourcil.—Cequejeveuxdire,c’estquetuneboispas,tunefumespas,tun’utilises
pas les femmes.D’ailleurs, çaa l’airde lesdésoler.Tune temets jamaisencolère,tuescalme.Tuesunpenseur…unguérisseur.Ilhaussalesépaules.—Çaveutpasdirequej’aipasfaitpleindetrucspasjolisjolis,mabelle.La
viesurlaroute,c’estbiendifférentdecequetuaspuvoirauQG.—Iln’empêche,c’étaitagréabled’avoir tacompagniecesderniers temps.
Merci.Grâceàtoi,jemesuissentieensécurité.Riderplongeasonregarddanslemien.Troublée,jemelevaid’uncoupet,
voyantsonexpressiondéconcertée,expliquai:—Jecroisquejevaisallerfaireuntour.Ilsoupiraetresserrasonbandanaautourdesatête.—Tuveuxdelacompagnie?—Çaira.Maisjeteremercie.Surce,jeprislesentiersablonneuxquis’enfonçaitentrelesarbres,sachant
queRidernemequittaitpasdesyeux.Jemarchais lentement, lesbras enroulés autourde la taillepourpallier la
sensationdevideaucreuxdemonventre.Àl’extérieur, jemesentaisperdrepied : lesgens faisaient référenceàdeschosesque jeneconnaissaispas, lesHangmenagissaientselonuncodequim’étaitétranger,et,pisencore, j’étais
poureuxunesortedemonstre.Commel’avait formuléLetti, j’étaisunefillequiavaitgrandiàl’écartdelacivilisation,etquiparconséquentn’avaitpaslesmoyensdesedébrouillerseuledans lemonderéel.Àvingt-troisans, j’avaisl’impressionquelesdeuxseulespersonnesenquijepouvaisavoirpleinementconfiance étaient Styx etRider. Et concernant ce dernier, je ne savais pas cequ’ilpensaitlaplupartdutemps.QuantàStyx…oui,Styx…L’hommequi,dèsqu’ils’approchaitdemoi,faisaitnaîtredespenséesimpuresdontj’avaishonte.Ilmetroublaitplusqu’aucunhommeauparavant.Cethomme,muetetencoretrèsjeune,chargédetantderesponsabilités,etquiétaitdéjàl’objetd’adorationd’unefemme–cequimebrisaitlecœurenmillemorceaux.Jem’arrêtaiaumilieud’uncercled’arbreset levai la têtevers lecielbleu
vif, inhalant l’odeur d’humus de la forêt. Je relevai la lourdemasse demescheveuxsurmatêteetsavourailafraîcheurdelabrisesurmapeaunue.C’étaittoutsimplementdivin.Au bruit d’une brindille cassée, j’ouvris brusquement les yeux et je me
retrouvaifaceàunlargetorsebronzéetdesbrastatouésauxmusclesbandéspardespoingsserrés.Styx.Àquelquespasdemoi.Lesyeuxbrûlants, il léchait l’anneauperçant sa lèvre inférieure, toute son
attentionconcentréesurmoi.Je pris une grande inspiration tremblante et relâchai mes cheveux tandis
qu’il s’avançait – à grands pas. Je reculai maladroitement, essayant de mesoustraireàcetrop-pleind’intensité,etrencontraiaussitôtletroncd’unarbre.Aucuneéchappatoire.Plusilapprochait,plussonsouffles’échappantdesaboucheentrouvertese
faisaitlourd.Finalementsespiedstouchèrentlesmiensetilpassalesbrasau-dessusdematête,m’enveloppantdansleseffluvesdetabac,decuiretdemuscquiémanaientdeluienvaguessuccessives.J’enavaisletournis.Je gardais le regard baissé, concentrée sur les cicatrices à sa poitrine.
Lorsquejesentissonsoufflechaudsurmajoue,moncœurs’emballa.Ilsurvolamescheveuxd’unemain,puismecaressadoucementlajoue;les
callositésdesapaumemerâpèrentdoucementleslèvres.Ilfitunpasdeplusetpressa le torse contrema poitrine. L’instinct prenant le pas sur la raison, jeglissai une main derrière son dos, à la rencontre de sa peau brûlante. Ungémissementrauques’échappademeslèvres,etj’acceptaienfinderencontrer
sonregard.Iln’enfallutpasdavantage.Saboucheentraencollisionaveclamienne,samainpuissantem’attrapala
nuqueetsalangues’enfonçaentremeslèvres,explorantmabouche,sefrottantàmaproprelangue.Cetteintrusionsoudainemefitsursauter.Jen’avaisjamaisété embrassée depuis notre baiser d’enfant, et celui-ci était bien différent.Craignantdetomber,jem’agrippaiàsesbrasenmesoumettantàsesassauts.Ilavaitleslèvresdouces,leurgoûtétaitenivrant.Maisj’avaispeurdemalm’yprendre,delecontrarierparmonmanqued’expérience.C’est alors que je sentis une pression contremon ventre : son entrejambe
durci.Ilétaitexcité.Ilmedésirait…charnellement.Je poussai alors un gémissement, réalisant que je voulais, moi aussi, me
donneràlui.QueleTout-Puissantmepardonne,mesinstinctsprirentledessus,j’enfonçaimesonglesdanssesbras,submergéeparsescaresses.Sabouchedevenaitdeplusenplusavide, commesi cebaiser était tout ce
qu’il nous était donné d’avoir. Cette fois, tout était différent, River le petitgarçonétaitdevenuunhomme,Styx,etmalgrésesdéfauts,sarudesse,ilétaittoutcequejedésirais.Toutcequej’avaistoujoursvoulu.J’étais envahie par ses caresses, son odeur, le goût de sa bouche, et à cet
instant,jeluioffrisdeboncœurmonâme.Àcepécheur.Il fitdescendresamaindroite le longdemondébardeur,etmonventrese
contracta. Puis il descendit encore, au-delà de ma taille, et glissa les doigtsentre mes jambes, chair contre chair. Sous le choc, mes jambes s’arc-boutèrent,mais lorsqu’un son guttural fit vibrerma gorge, jem’ouvris à lasensationetsamainsemitàexplorermeslèvres.Jelaissaiéchapperunpetitcri et commençai à osciller.Quelle sensation étrange ! J’avais à la fois tropchaudetfroid.LesdoigtsdeStyxétaienttroprapides,etpasassezrapidesàlafois.Despicotements sediffusaientàmescuissesetmesbras. Je sentaisquej’étaissurlepointdevivrequelquechosed’exceptionnel…demonumental…d’incomparable.Jepassai lesmains sur ledosmusclédeStyx, sur ses côtes, et finalement
j’atteignis son ventre. Je sentis ses muscles se contracter et il rejetabrusquementlatêteenarrière,sedétachantdemabouche.Jeremarquaiquelestendonsetlesveinesdesoncouétaientsaillants.Quandj’entendisleséclatsdevoix provenant du lac où se baignaient les autres motards, je détournai le
regard.C’étaitmal.Seigneur,qu’est-cequejefais?Laréalitérepritpossessiondemoncorps,commeunseaud’eauglacéese
déversantsurmatête.Lesdeuxmainssurson torse, je repoussaiStyx,etsesdoigts s’extirpèrent de mon pantalon en cuir. Pris de court, il trébucha enarrière.Sesyeuxnoisetteexprimaientlasurprise,puisilss’étrécirent.Crispé,ilrevintversmoietserramonvisageentresesmains.—P-p-pourquoitut’esarrêtée?Illuttaitpourmaîtrisersaparole.—S’ilteplaît…çavatropvite.Je…jenesaispascequejeressens.C’est
troptôt,tropvite.Et…tuesvenuavecLoïs.Ce…nous…cen’estpasbien,pascommeça.Illâchaunriresanshumour.—Ce n-n-n’est pasma f-f-femme.On b-b-baise juste. Elle n’a au-aucune
importance.—Styx.Biensûrquesi.Commentpeux-tuêtresiinsensible?luireprochai-
je.Pourtoi,ellen’estrien,maisLoïs,ellet’aime.Jenepeuxpas–jeneveuxpasêtreavectoidanscesconditions.Cen’estpasbien.Ilbaissalesmainsetreculadedeuxpas,puissoufflarageusement:—Ilt-t-teplaît?Jefronçailessourcils.—Qui?—R-R-Rider!(Ilsemitàfairelescentpas.)Jev-v-vousaiv-v-vus.Ilt-t-te
p-p-plaît.—Je…—Cem-m-matin,quandjesuisarrivé,jesuisv-v-venutoutdes-s-suitetev-
v-voir.Lap-p-porteétaitouverte.Tuétaisavecl-l-lui.Turiais.Tuétaist-t-tropprèsdel-l-lui.Çamep-p-plaîtpasdut-t-tout.Jeprisuneviveinspiration.—Styx,commentpeux-tudirecelaalorsquetuesvenuavecLoïs?Ils’immobilisa.—C’estç-ç-çatonp-p-problème?L-Loïs?B-b-bordel,Mae.C’estré-réglé.Sans me laisser le temps de répondre, il s’éloigna d’un pas lourd, me
laissantseuledanslesbois,horsd’haleine,l’entrejambehumide.Jelevailatêteversleciel,essayantderecouvrermonsouffle.Pourquoiétais-jesimouilléeentremescuisses?Pourquoicettebrûlure…àcetendroit-là?Pourquoi tout
était-ilsidifficileàcomprendredanslemondedudehors?J’étaisassailliedenouveauxsentimentsque j’avaisdumalàdémêler. J’avaisunebouledans lagorge,maisjerefoulaimeslarmes.C’étaitmoietmoiseulequiavaisprisladécision de quitter l’Ordre. Je devais simplement m’habituer à toute cettenouvellevie.Jerevinsàlacascadedansunétatd’hébétude.Lorsquejesortisducouvert
desarbres,Styxétaitderetourprèsdesamoto.Ilavaitremissachemiseetsaveste, et Loïs se tenait à côté de lui, en larmes. Elle le regardait signer enpleurant, les bras serrés autour du corps comme pour se protéger de sesparoles.—Jet’enprie,Styx,nemefaispasça.Tuestoutcequ’ilmereste,jeveux
êtreavectoi,c’esttout.Justetoi.Tulesaisbien.Sontonétaitsuppliant,etelles’assuraitparderapidescoupsd’œilqu’onne
les observait pas. Évidemment, personne n’en perdait une miette, ils sedonnaientenspectacle.Letondesavoixetl’expressiondedésespoirsursonjolivisagemeserrèrentlecœur.Styx agita de nouveau les mains. Il avait l’air fatigué, découragé, mais à
l’instantoùilm’aperçut,sestraitss’adoucirentunpeu.Laréalitédelasituationm’apparutsoudain:illalaissait,pourmoi.Oh,non…pauvreLoïs.LajeunefemmesuivitleregarddeStyx.Enmevoyant,elleparutperdretout
espoir,etsoncorpss’avachitunpeu.Ellesetournaverslui.—C’estàcausedeMae,c’estça?Il ne répondit pas. Loïs essaya de lui prendre le bras,mais il recula. Son
regardétaitduretfroid.Je sentis une chaleur réconfortante près demoi et eus la surprise de voir
LettietBeautyàmescôtés.Cettedernièreposaunemainsurmonépauletoutencontinuantàregarderlascène.—Pauvrefille,murmura-t-elle.ElleestfolledeStyxdepuistoujours.Ellea
grandiauclubavecKyet lui.Elle l’aconnutoutesavieeta toujoursespérél’avoirpourelle.Çaval’achever.Cettefois,leslarmessemirentàcoulersurmesjoues.Loïssouffraitàcause
demoi.Encetinstant,jemedétestais.J’étaisbienuneMaudite,aprèstout.—S’ilteplaît,Styx,écoute-moi,suppliaitLoïs.MaisStyxluitournaledosets’éloigna.En s’essuyant les yeux, elle fit face au club et défaillit légèrement face à
l’attentiondontelleétait l’objet.Puisellesedirigeadroitversmoi.Pluselle
approchait,plusmoncœurbattaitvite.Jem’apprêtaisàessuyersacolèreetsonmépris,maiselleavaitlevisagebaignédelarmesettoutlecorpstremblant.Ellem’examinaattentivementetcaressamescheveuxd’unemaindouce.—Ilssontsidoux,murmura-t-elle.N’osantpasbouger,jedevaisfaireuneffortpourgardermoncalme.Ellese
penchapourmeglisseràl’oreille:—Ilnet’ajamaisoubliée,Mae.Quandnousétionsados,jelevoyaistoutle
tempsquiparlaitdetoiàKy.«Lafilleauxyeuxdeloup.»Lafillederrièrelagrille, qu’il avait embrassée. Il en parlait sans arrêt. Sa précieuse « numérotrois»–maisjen’aijamaissucequeçavoulaitdire.Elle recula pourmieuxme regarder,me gratifia d’un sourire triste etme
pritlamain.— Je crois que c’est toujours toi qu’il a voulu. Évidemment personne ne
croyaitquetuexistais.Sonpèreacruuntempsqu’ilétaitnonseulementmuet,maisfou,quandnousétionsgamins.Maisvoilàquetuesparminous,enchairetenos, tombéeducielcommeen réponseà ses fantasmes. Iln’a jamaispurenonceràtoi.(Ellepenchalatêtesurlecôté,commepourmejauger,etuneombreassombritsonregard.)Tuesunetrèsgentillefille,Mae,maispourquoies-tuvenuecheznous?Tun’auraispaspuresteràl’écart?Jel’aimedepuistoujours, et dès que tu te pointes, tu le séduis d’un seul regard avec cesmagnifiques yeux qu’il adore. D’abord j’ai perdu mon père, et maintenant,Styx.Jen’aipluspersonne,absolumentpersonne.Mavien’aplusdesens…Je déglutis avec difficulté, la gorge nouée, et m’apprêtais à lui répondre
lorsqu’uncrissementdepneusm’interrompit.Suividecoupsdefeu.Jen’eusletemps ni de me retourner ni de comprendre ce qui se passait : une balletransperçalefrontdeLoïsetsonvisagesefigeaenuneexpressiondesurprise,puiselles’effondracommeunepoupéedechiffon,etsamaindoucelâchalamienne.Paniquée,jefisvolte-face.Lesprojectilesfusaientdetoutesparts,lesarbres
vibraient sous les impacts des cartouchesmétalliques. Les copeaux d’écorcevolaientdanslesairs.BeautyetLettisejetèrentparterre.Dépasséepar lesévénements, jem’immobilisai,paniquée. Je jetaiuncoup
d’œil sur le côté et vis Styx, Rider et Kyler abrités derrière le camion àprovisions.StyxdistribuaitdesordresparsignestandisqueKyluiservaitdeporte-voix. Ils sortirentdesarmeset semirentà riposterentre les salves.Lecamion rouge des attaquants ralentit à notre hauteur. Je vis deux hommescagoulésviser,etsoudainjeressentisunevivebrûlureaubras:enbaissantles
yeux,jedécouvrisdusang:uneballem’avaiteffleurée.Maisjeneressentaispasladouleur.Je cherchais Styx des yeux et son regard fiévreux rencontra le mien. Il
repéra le sang qui coulait le long demon bras, Loïs allongée par terre, lesyeuxouverts.—MAE!hurla-t-il.Ils’apprêtaitàseprécipiterversmoilorsqueKyleplaquaausol.Uneballe
manquadepeusatête;ilseréfugiaprécipitammentderrièrelagrosseroueduvéhicule.—Merde!Putain!Merde!Malgrélasituationchaotique,plusieursfrèrestournèrentversStyxunemine
stupéfaite:ilavaitparlé.Ilavaitcriémonnom.Poussée uniquement parmon instinct, je courus vers les arbres.Mais une
voixd’hommeautoritairederrièremoimepoussaàmeretourner.Jemefigeaialors en voyant un tireur masqué surgir d’une ouverture dans le toit ducamion,etpointersonarmesurmoi.—NOON!J’entendis le rugissement de Styx, mais j’étais incapable de détourner les
yeux demon assaillant. Il défit le cran de sécurité, et appuya sur la détente.Commesi tout sedéroulait au ralenti, jevis lemouvementde lagâchette, lepetitnuagedefumée.Jefermai lesyeux,mepréparantaupire,avecdanslesoreillesdesbribesdecrispoussésparStyx,lecrépitementdesonpistolet.Moncorpsétaitcrispédansl’attentedel’impact.Soudainjefusprojetéeausol,lesoufflecoupé.Uncorpslourdétaitaffalé
sur le mien, immobile, me maintenant au sol. Une horrible odeur de chairbrûléem’emplitlesnarines.—Merde.Merde!sifflaunevoix,commeenproieàunevivedouleur.Quelquessecondesplustard,lepoidsdel’hommesesouleva.C’étaitRider.
Ilavaitprisuneballeàl’épaule.MonDieu!Riderm’avaitsauvélavie.StyxetKyleraccoururent.LevisagedeStyxavaitprisuneteintegriscendre.
Voyantmonbras ensanglanté etRiderqui se roulait par terre en se tenant lecôtégauche,ilévaluaimmédiatementlasituation.—K-Ky,porteRiderdanslec-c-camion.Jem’occupedeM-Mae!Kys’exécuta tandisqueStyxmesoulevaitdanssesbrasetm’emportait en
toute hâte vers le camion de provisions. Protégée par le corps de Styx,j’inspectai les environs, mais les attaquants avaient disparu. Les motards
enfourchaient déjà leurs engins, la fureur dans le regard.Flamme,Viking etAK,letrioinfernal,partirententrombedansladirectiondestracesdepneus.Ilsfilaientauxtroussesdestireurs.Ky sauta à l’arrière avec Rider, et Styxme déposa sur le siège passager.
Entendantunbruitsourdderrière lacabine, jevisBulldéposer lecorpssansviedeLoïssurdescouvertures,danslesquellesill’enroula.J’avaislanauséeetleslarmescoulaientdemesyeuxcommedesruisseaux.Lesrouesmordirentlegravieretlecamions’engageaàpleinevitessedanslesentier.—Rider.Rider!criai-jepaniquée,pivotantsurmonsiègepourlevoirqui
setenaitlebras,levisagetordudedouleur.—Mae, t-t-tu n’as rien de g-g-grave ?me demandaStyx en postillonnant
abondammentpourfairesortirlesmots.Jemetournaiversluiettâtaimonbras,surlequeljevoyaismonsang,mais
jen’avaispasmal.Jehochailatête,commeengourdie.Danslerétroviseur,iljetauncoupd’œilàKy.—C-commentilva?—Laballeatraversésonépaule.Plaied’entréeetplaiedesortie,unmaxde
sang. Il devrait s’en tirer. Il a connu pire pendant la guerre contre lesMexicains.JevaisappelerledocteurBrett.LamoitiédesfrèresvasécuriserleQG,l’autremoitiénousescorte.Etletriodepsychopathesaprisenchassecesconnardsquinousonttirédessus.Ky se chargea de passer les appels, tandis que Styx roulait à une vitesse
hallucinante.J’étaisincapabledeparler.Etjevoyaisàsesdentsserréesetsesjointuresblanchessurlevolantqu’ilétaithorsdelui.LorsquelecamionarrivaauQG,laplupartdesfrèresétaientdehors,armés
d’énormes pistolets. Quelques-uns s’empressèrent de faire sortir Rider duvéhiculepour leporterdans lamaison.Ungroshommeâgémunid’ungrossacnoirlessuivitenhaletant.Ledocteur,sansdoute.Styxfitletourducamion,mesoulevadusiègeetcourutdroitaubar.Beautyseprécipitaversnous.—Bontédivine,qu’est-cequis’estpassé,bordel?Loïsavaitlecœurbrisé
et pleurait à chaudes larmes, et un instant plus tard, le carnage ! (Elle se tut,prisedetremblementsincontrôlables.)Merde,ilsontbutéLoïs…,murmura-t-elle.Pauvrefille…Elle…elle…Beauty laissa sa phrase en suspens, incapable de la finir. Bientôt le bar
s’emplitdemotards.Styxme tenaitcontresoncorpsfermeethumide, tandisqueBeautyappliquaitunepressionsurmaplaieenravalantseslarmes.
—Uneputaindefusilladeenvoiture!criaKy.Jemerendiscompteque,toutenmemaintenantfermementcontrelui,Styx
parlaitenlanguedessignes,etsonbrasdroitluiservaitdeporte-voix.— « C’est quoi ce bordel ? D’abord les Russes qui nous lâchent, et
maintenantcettefusillade!!!(Styxmeregarda,etposauninstantlajouesurmatête.)Loïsaprisuneballeentre lesyeux,et ilsontaussiviséMae.Qu’est-cequeçaveutdire,bordel??»Jefrissonnaienentendantcesmotsviolents.Beautymeserraitdanssesbras.—Styx,tulaterrorises,luiglissa-t-elle.Jen’arrivaispasàoublier levisagesurprisdeLoïs,et soncorpssansvie
s’affalantausol.«Tun’auraispaspuresteràl’écart?Jen’aipluspersonne.»PauvreLoïs!StyxbaissalatêteetBullluitenditunverre,qu’ilavalad’untrait.Maisilne
melâchaittoujourspas,lebraspasséautourdemoncou.Ildonnadeuxcoupsdepoingsurlatableetlesilencesefit.Touslesfrères
leregardaient,et,commed’habitude,Kysepréparaàtraduiresespropos.—«Bull,Tank,Smiley:tirezunmaxd’infosauprèsdushérifquinousest
dévoué. S’il y a des nouveaux sur notre territoire, il devrait le savoir. DesAsiatiques, des mafieux, peu importe, du moment que c’est nouveau. Il y aquelqu’unquinouscherchedesembrouillesetilsn’ontmêmepaslescouillesdenousaffronterdeface.Descagoules!Siçacontinuecommeça, jedevraimettreenplaceleconfinement.»Cette annonce fut accueillie par des hochements de tête graves et des
grognements. Je ne savais pas exactement en quoi consistait le confinement,maisj’avaisunepetiteidée.—« Ilyaunebanded’enfoirésquinous faitchier. Jeseraipas tranquille
tantqu’onn’aurapasobtenudesréponsesetbutécesconnards!»BullposaunverrepleindevantStyx,quil’avalacommeleprécédent,avant
depoursuivre:—«Onvatrouverquic’est,etlesrefroidir.(Ilpointalamainendirection
de Tank, Bull et Smiley qui s’apprêtaient à partir.) Discrets, hein ? On n’asurtout pas besoin que cet abruti de sénateur Collins vienne nous coller autrain.»Les troishommesopinèrentet sortirentpar laporteprincipale.Bientôton
entenditleursbécanesdémarrer,puiss’éloigner.Styxsetournaversleshommesrestantdanslasalle.— «Mae (il me désignait, tandis que la voix ferme de Ky indiquait que
c’étaitimportant)estsousmaprotection.Voussaveztouscequeçaveutdire.»Sourcils froncés, j’interrogeai Beauty du regard. Elleme répondit par un
sourire tordu. J’avaismal pour elle : elle avait perdu une amie, elle était endeuil.Leclubtoutentierl’était.—«Elleauraitpuperdrelavieaujourd’hui…C’estcequiestarrivéàLoïs.
SoitilsnousontsuivisdepuisleQG,soitquelqu’unleurabalancél’infoàladernière minute. Et putain, j’espère bien que c’est la première hypothèse,sinon,s’ilyaunebalanceparminous,jeluiarracherailesmembresunàun.»Jefrissonnaienentendantsamenace.Danslasalle,lemalaiseétaitpalpable.—«Rider a pris uneballe dans l’épaule.Le toubib s’occupede lui en ce
moment.Toutcebordelàqueuememethorsdemoi!»LetéléphonedeKysemitàsonner,diversionbienvenuedansl’atmosphère
lourdequ’avaientinstauréelesparolesdeStyx.—Ouais?répondit-il.Auboutdequelquessecondes,illevalatêteversStyxetrefermaleclapetde
sonportable.—Ce déglingué à crête de Flamme s’est dégotté un steak en cagoule. Le
salaudquiadescenduLoïs,annonça-t-ilenarborantsonsouriredévastateur.Styxpoussaunsoupirdesoulagement.—«Combiendetemps?»—Environuneheure.J’aiditàFlammedelemettrederrière.Tuveuxt’en
occupertoi-même,j’imagine?UnsourireavidesedessinasurleslèvresdeStyxetilfitcraquersanuque.
Jen’avaispasbesoindelatraduction,l’éclatvengeurqu’ilavaitdanslesyeuxétaitassezparlant.— « On va trouver ces bâtards… et les envoyer au passeur, direct chez
Hadès.»Styx échangea ensuite rapidement avecKy et quelques hommes que je ne
connaissais pas, puis il revint versmoi,me prit par lamain etm’entraîna àl’écart.Une fois dans son appartement, il me fit asseoir sur le lit et me regarda
attentivement.—Ç-çava?Ildésignalablessuresuperficielleàmonbras,queBeautyavaitdésinfectée
etpansée.—Cen’estqu’uneégratignure.Il semit alors àmarcher de long en large sur le parquet, de plus en plus
énervé.—M-m-maisp-p-pourquoiilsontattaqué?—Je…jenesaispas,murmurai-je,latêtebaissée.Je n’aimais pas cette facette de son caractère. Et je comprenais à présent
pourquoitantdegenslecraignaient.Ilavaituncôtésombre…eteffrayant.Ilseplantadevantunegrandecloisonenboisquiséparaitlachambredeses
autrespiècesethurla,puis ilenfonçasonpoingdanslemur, laissantuntroubéant.Unéclatdefoliedansaitdanssesyeuxcouleurd’automne.Incapablededissimulermoneffarement,jemejetaientrelescouverturesen
poussantuncri.Ignorantmafrayeur,Styxdisparutdansl’armoireàlingeetenrevintavecuneserviettequ’ilmejeta.—V-v-vaàlad-d-douche,retire-moit-toutces-sang.Cessantderéprimerletremblementdemeslèvres,jeprislegranddrapde
bainblancetfilaidanslasalledebains.Dèsquej’eusfermélaporte,jelaissailibrecours àmesémotions.LacolèredeStyxétait terrifiante.Sonattitudeàmonégardétaitdevenuefroideetaigrie,merappelanttouslesautreshommesquej’avaiscôtoyés.Etmoiquilepensaisdifférentdesautres.Derrièrelaporte,ilyavaitStyx,leMuetdesHangmen,présidentduclubde
motardshors-la-loi, unhommecapablede tuer sans remords.Cethomme-làn’étaitpasceluiquejeconnaissais.Ilmeterrifiait.Devant le miroir, j’examinai mon allure débraillée : un bras blessé, les
cheveuxébouriffés,lapeauéraflée,deshabitssales.J’étaisenpiteuxétat.Maisje pensais surtout à Rider qui était blessé, à Loïs qui était morte… Riderm’avaitsauvélavie,ils’étaitjetédevantmoietavaitprislaballeàmaplace.Ilm’avaitsauvélavie,aurisquedeperdrelasienne,etje…Un coup de poing ferme fit résonner la porte en bois. Je sursautai etme
cognailecoudesurlasous-vasque.—Qu’qu’est-cequetufouslà-dedans?J’entendsp-pasl’eauc-couler.Je séchai mes larmes et ouvris le robinet. En relevant le mitigeur de la
douche,jeris,sanshumour.C’étaitlemêmemodèlequedanslacommunauté,etlasituationaussim’étaittristementfamilière.— J’entre sous la douche, annonçai-je d’une voix tremblante, tout en me
déshabillant.Jeme douchai rapidement et enroulai la serviette autour demoi pourme
sécher.Jen’avaispasautrechoseàmemettrequeletasdevêtementssalespar
terre.Jeprisunegrandeinspiration,ouvrislaporteetentraidanslapièceàpasdeloup,gênéed’êtreaussidénudée.Styx était sur son lit, une cigarette pendant négligemment au coin de sa
bouche.Il jouaitunemélodietristesursaguitare.Lesparolesétaientlourdesdesens.—«You can run on for a long time, but sooner or later,God’ll cut you
down.»Styx avait l’air puissant et sombre, ainsi installé sur son lit en chantant,
crachantdesnuagesdefuméeblanche.J’eneuslesoufflecoupé.Sescheveuxsombresluitombaientsurlesyeuxetsesénormesbicepsbougeaientàchaquemouvementdesesdoigtssurlescordes.C’étaitleviceincarné…Unvicequejedésiraisterriblement…Maispourl’heure,ilmeterrifiaitcomplètement.Jetoussotaipourattirersonattention,medandinantd’unpiedsurl’autre.Il
levalatête.Sesmainss’immobilisèrentetildétaillalescourbesdemoncorps,demesorteilsjusqu’àmatête.Ilenvoyaunpetitnuagedefuméeparlenezsansmequitterdesyeuxetse
leva.Ilposasaguitaresurlefauteuilàcôtédulitetmerejoignitàpaslents.Il repoussa quelques longues mèches qui tombaient sur son visage, puis
passaundoigt le longdemonbras.Mapeauréagitaussitôtàsoncontact,etdesfrissonsmeparcoururentlacolonnevertébrale.Sa main s’arrêta là où j’avais coincé la serviette, juste au-dessus de ma
poitrine.—Oh,Mae, j’enpeuxplus,grommela-t-ild’un tonbourruen tirantsur la
serviette–sesyeuxnoisettebrillaienttellementqu’ilssemblaientvirerauvertjade.J’aitellementenviedetoi.C’estinsoutenable…Puisilfiladanslasalledebainsetenclaqualaporte.Iln’apasbégayé.Iln’apasbutésurunseulmot.Tremblantnerveusement, je restaià serrer laservietteentremesdoigts. Je
savaiscedont il avait envie, et j’eus l’impressiond’avoiravaléduplomb. Ilvoulaitcequetousleshommesvoulaientdemoi.Ilvoulaitcequelesfemmesfont pour les hommes.Nous avions été créées pour ça. Il voulait que je luidonnecequejedonnaisauxhommesdepuisquej’étaisenfant.Poussantunprofondsoupir,jemedirigeaiverslegrandlit,laissaitomber
la serviette, et m’installai dans la position adéquate pour lui procurer duplaisir.Bientôt j’entendis les tuyauxde ladouchechuinterense refermant. Ilétait sorti de la cabine. Je l’attendais, prête. Tête baissée, front contre le lit,jambesécartées,mainsjointesdansledos.Mentalement,jemepréparaiaussi,
envoyantmonespritdanscetendroitoùjeneressentaisplus…rien.
Chapitre12
StyxIlsavaientessayédetuerMae.UnsombreconnardavaitvoulutuerMae.Ils
avaientbutéLoïs,putain!Loïs étaitmorte.Partie. Je connaissais cettemeufdepuisque j’étaisgosse.
C’étaitunefilleenor,belleàl’intérieurcommeàl’extérieur.Etdirequejeluiavaisbrisélecœurjusteavantqu’elleseprenneuneballe!PUTAINDEMERDE!J’étais foude rage, unbrouillard rouge embrumaitmon esprit. Je voulais
fairemal,jevoulaiscogner…Jevoulaisbuterquelqu’un.Quandj’étaisentrédanslasalle,lesfrèresm’avaientregardé,attendantune
explication. Viking, Flame et AK avaient foncé aux trousses des bâtards quiavaient eu l’audace de nous chercher des emmerdes, dévorant le bitumecomme Ghost Rider. Mais je n’avais pas de réponse. Je savais qu’ils mesoutenaienttous,maisjen’arrivaispasàpenseràautrechosequ’àMae,j’avaisconstamment en tête l’image de Rider sauvant Mae. Ça aurait dû être moi.J’avaismerdé,etsiRidernes’étaitpasjetédevantellepourprendrelaballeàsaplace,jel’auraisperdue.Çamerendaitdingue.J’avaiscependantacquisunecertitude:plusjamaisjenequitteraisMae.Au
diableceblablasurlefaitqu’elleméritaitunmecbien.Elleresteraiticiavecmoi, là où je pouvais veiller sur elle… la protéger. Au QG, elle était ensécurité.Je l’avais presque traînée jusqu’à ma chambre, et la voyant sur mon lit,
tenantsonbrasblessé,toutepetiteetblême,j’avaisétésurlepointd’exploser.Jeluiavaisordonnéd’allerprendreunedouchecommesij’étaisunputaindeSS, simplement parce que j’étais incapable de supporter la vue de sa peauparfaitesouilléeparlesang.Jen’avaispaslaforced’affronterlaréalitédecequi aurait pu se produire.De ce qui était arrivé à Loïs… cette pauvre Loïs,loyaleetbousillée.Etmaintenantj’étaisdanslasalled’eauàmontour,fraîchementlavé,portant
seulementun jeanpropre,mepréparantàaffronter lesconséquencesdemoncomportement.J’avaisagicommeunblaireau,alorsqu’elleétaitlaseulefilleque j’aie jamaisvouluavoir. Je l’avais terrorisée, j’avais lu lapeurdanssesyeuxdeloup.Elle me craignait, et je n’avais à m’en prendre qu’à moi-même. Me
maudissant intérieurement, je laissai tomber laserviettemouilléepar terreetsortisdelasalledebains.Jem’immobilisaiaussitôt.Mae?Bonsang,Mae!Elleétaitnuecommeunver,exhibantsachatterose,sonpetitculrondlevé
vers leciel,croisant lesbrasderrièresondos, lefrontcolléaumatelas.Elleétait en position sur le lit, prête à se faire prendre… C’était quoi cesconneries?Jem’étaistrompé:cequej’avaisressentiuninstantplustôt,cen’étaitpasde
larage,c’étaitunsimplemouvementd’humeur.Caràprésent,envoyantcettefemme dont je devenais fou m’attendre dans une pose de victime sexuelle,j’entraidansleterritoiredelaragemeurtrièredesang-froid.Malgrémoi,monsexedurcit jusqu’àêtredouloureusementàl’étroit.Cette
petitechatteserréelevéeversmoi,c’enétaittrop.J’avaisenviedeMaedepuislejouroùelles’étaitréveilléedansmonlit.Toutelajournéej’avaisrêvédeluiarrachersesvêtementsencuirpourlapénétrer.Ettoutcequej’avaisimaginéàproposde soncorpsnuétait surpassépar la réalité.Mais lavoirainsi,prêtepourêtreviolée,mefaisaitpartirenvrille.D’oùvenait-elledonc?Queluiavaient-ilsfaitdanscettecommunauté?Et
pourquoi s’imaginait-elle qu’elle devait encore subir ce genre de traitementici?C’estalorsquejelesremarquai:lescicatricesquis’enchevêtraientsurson
dos. Nombreuses. Des griffures, des marques de chaîne, de fouet ? Je n’ensavaisrien.Lavoirainsim’étaitinsoutenable.—M-Mae!P-pourquoituf-f-faisça?lançai-jesèchement.Ellenebougeapasd’unmillimètre.Ellenesursautamêmepas.Je gagnai la tête du lit, me martelant compulsivement la main. Elle était
comme ailleurs, retranchée dans une forteresse mentale ou ce genre deconnerie.Jeserrailesmâchoires,sentantlacolèremonterdansmoncorps.N’ytenant
plus,jehurlai:
—PUTAINRELÈVE-TOI!Mae sortit de sa transe protectrice et retomba sur le côté en adoptant une
positionfœtale.Ellem’épiaitentreseslongscilsnoirs.—Qu-qu-qu’est-cequec’estqueça?luidemandai-je,lesdentsserrées.Elle avait les yeux grands comme des soucoupes, et ses lèvres roses
s’entrouvrirent, laissant échapper une bouffée d’air. Sans rien dire, elle secontentaitdemeregarder.Jem’appuyaisurlelit,lesmusclestendus,etrépétaimaquestion.—R-r-réponds-moi,Mae.C’étaitqu-quoicesc-c-conneries?Elledéglutitbruyamment.—Est-ceque…est-cequejet’aidéplu?Sonvisagedévastémefitmal.Ilétaitdéforméparlapeur.Elleavaitpeurde
moi.Jemelaissaitombersurlelitenpoussantungrognement,toutenadmirant
lavuedesesseinsrondsetparfaits, lisses,auxaréoleslargesetsombres.Ilsétaient assez gros pour s’échapper demes doigts si je les prenais dansmesmains. Son ventre était plat, lisse, sa peau laiteuse. Je baissai la main pourreplacer ma queue qui menaçait de jaillir hors de mon jean d’un instant àl’autre.Fermantlesyeux,jeprisunegrandeetprofondeinspirationpourmecalmer.Puisjelesrouvris,attrapaimavestesurlefauteuil,etlaluitendis.—C-c-couvre-toi.Elle l’attrapavivement et se cachadessous,glissant ses jambeset sesbras
sous le cuir noir. Hadès me souriait d’un air narquois. Non, il me mettaitcarrément au supplice. Mae semblait si petite. Petite et pétrifiée. Et je nepouvais pas passer à côté du fait qu’elle était diablement sexy, nue sousmaveste.Elleavaitl’étoffed’unerégulière.Etmerde.C’étaitpaslemoment.Jereplaçailégèrementmesjambesetmetournaiverselle.—P-p-pourquoit’asfaitça,p-p-poupée?Baissantlesyeux,ellemurmura:—Jet’aimisencolère.Alorsquej’essayaisdetefaireplaisir.Cen’estpas
cequefontlesfemmes,parici?Jeserrailespoings.—Mae,j’étaisf-f-furaxàcausedecequis’estpassé,pasc-c-contretoi.P-p-
poupée, jen’auraispasdûcrier,mais j’aipas réussi àmec-c-calmer. Jememets f-f-facilementen rogne.Tuasétéprisepourcible,aujourd’hui,etLoïs
estmorte.Parmafaute!T-t-tuauraispumourir,sansl’interventiondeRider!—Pourquoiserait-cetafaute?— Parce que je t’ai gardée ! Le club se fait attaquer, une or-or-org…
organisationrivaleessaiedenousfairetomber.Ilfautquejetrouvedequiils’agitpourmettrecesconnardsHS.Cen’estpas lepremier incidentetceneserapasledernier.Jepris le tempsderespireràfond.Ildevenaitdeplusenplusfaciledelui
parler.Encoreunequalitésupplémentaire.— Que va-t-il se passer ? demanda-t-elle d’une voix basse dans laquelle
j’entendaisencoreletrémolodelapeur.—Tuvas rester ici. Jed-dois teprotéger.Etpourça, tunemequittespas
d’unesemelle.Jelavisfermerlesyeuxetpousserunsoupirdesoulagementetjecroisbien
que j’en lâchai quelques gouttes de sperme dans mon jean. Pour un simplesoupir.Putain,ilfallaitvraimentquejetireuncoup.J’étaistroptendu,ilfallaitquejemesoulage.Jemepassaiunemaindanslescheveuxetdemandai:—Maistuvasd-devoirm’expliquerpourquoitum’asfourrétamagnifique
petitechattesouslenez,p-poupée.Sonvisageprituneteinterosesoutenueetellesecachasousmaveste.— Tu étais contrarié, aussi j’ai mis mon corps à ta disposition pour ton
plaisir. C’est ce que les hommes attendent des femmes, et il est égoïste etimmoraldet’enpriver.Jeravalailerugissementquimontaitdansmagorge.—Çat’estarrivésouvent,làoùtuétaisavant?Detefairetringlercomme
uneputaind’esclavesexuelle?Elle hésita un instant, l’air perplexe, puis hocha la tête avec une certaine
réticence.Cefutlagoutted’eauquifitdéborderlevase.Jemelevaietsecouaimesépaules.J’avaisbesoindemebattre.Defairemalàquelqu’un.—Etc’estcommeçaquetubaisais,p-poupée?Tuétaisforcéedefaireces
t-t-trucs?J’entendis qu’elle retenait sa respiration, et me tournai pour entendre sa
réponse.— C’est nécessaire pour partager l’amour du Seigneur, pour l’échange
sacrificielentrelescorps.Pourleschefsdemonpeuple…pourleshommesdelacommunauté…Je…jen’avaispaslechoix…etlesautressœursnonplus.—P-p-partager l’amourduSeigneur?Échangesa-sacrificiel?C’estquoi
cet-t-tasdec-c-conneries?—LesdisciplesserapprochentdeDieuàtravers…leplaisirsexuel…parle
biaisdenoscorps.J’hésitai.J’étaisparfoistotalementdéconcertéparlesbêtisesqu’ellesortait.
C’estquicesdisciples?Etpourquoibaisaient-ilsMaecommeunanimal?—Ett-t-toi?T’entiraisqu-quoicommebénéfice?demandai-jeentirantsur
monanneaulabialpournepaspéteruncâbleàlamanièredeFlamme.Sesyeuxs’emplirentdelarmesetsalèvreinférieuresemitàtrembler.— Rien. Rien du tout. À vrai dire… (elle s’interrompit, et les larmes
tombèrent) j’avaishorreurdeça.Seigneur, jedétestaiscesmoments.Aucunedessœursn’enéprouvaitduplaisir.C’étaitinterdit.Lesfemmesnedoiventpasressentirdeplaisir.Lepartageestundevoir,pasunacted’amour.(Elleprituneinspirationsaccadée.)Sinon,nousaurionsété…punies.Nousdevionstenirlapositionetattendreensilencequelefrère–unaînédansmoncas–aitfinisonaffaire.Un voile rose colora sa peau de poupée en porcelaine et ses cils
papillonnèrent.Jecroisaisonregardbleu.—Jen’ai jamais ressentide…gratification lorsd’unaccouplement. Jene
saispasàquoiressemblecegenredeplaisir…nimêmesijesuiscapablederessentircela.Moncœursebrisaendeux.JetraversailapiècepourrejoindreMae.—P-p-poupée…Jelaprisdansmesbrasetellese laissaalleràpleurer,abondamment,sur
mon épaule. Je ne pouvais pas souffrir de la voir si dévastée. Qu’avait-elledoncsubi?—Là,là…Tuestiréedecetenfer,maintenant.Jesuislà…jesuislà…Tu
n’aurasplusjamaisàfaireça.—Ilsvontmechercher.Ilsn’abandonnerontpastantqu’ilsnem’aurontpas
ramenéedanslacommunauté,sanglota-t-elle.Luiagrippantlescheveux,jeluiassurai:— Tu p-p-peux considérer qu’ils sont m-m-morts. Ils ne te t-t-trouveront
jamaisici.Cesb-b-blaireauxnesontrienc-c-comparésauxHangmen.Elleseredressaensecouantlatête.—LaplusgranderuseduMalinestdeconvaincre lemondequ’iln’existe
pas,dit-ellefaiblement.Jeconnaislesgardes,Styx.Ilsvontvenir.Ilssontbienréelsetilsvontvenir.Cen’estqu’unequestiondetemps.—S’ilsv-v-viennenttechercher,ilsvontm-m-mourir,affirmai-jeentremes
dentsserrées.Àcesmots,sesyeuxsemirentàbrilleretellemecaressalebras.Jefrémis
en sentant ses lèvres contrema poitrine nue. Elle effleuramon ventre de sapetitemain,etlasensationsecommuniquaimmédiatementàmonsexe.— Comment ça fait, Styx ? Comment ça fait d’être… intime… avec
quelqu’un…normalement?Cessantdemecaresser, elle leva la tête, attendantma réponse.Son regard
bleu brillant s’arrêta un instant sur mes lèvres avant de continuer vers mesyeux,puiselleétudiadenouveaumabouche.—Tunep-p-peuxpasmeregarderc-c-commeça,p-p-poupée,dis-jedans
unrâle,essayantdésespérémentdemecalmer.—Mais…pourquoi?—Parcequequ-quandtumeregardesc-c-commeça,j’ail’impressionque
t-t-tuveuxêtredansmonlit…que tuv-v-veuxque je temontrecommec’estbond’avoirmaqueueentrelescuisses.Quetuveuxquejetebaiseàn’enpluspouvoirmarcher.Et alors elle remua le nez, etma veste qui la couvrait tomba par terre, la
laissantnuecommeuneoffrande surunplateau, exhibant soncorpsde rêve.Des seins lourds, la peau ferme, les muscles bien dessinés. Elle avait lespaupièreslourdesetleslèvreshumides,elleétaitprêteàrecevoir…lepremierorgasmedesachiennedevie.Avecsesyeuxde loup,ellemesuppliaitde lafairejouir.—River…,souffla-t-elle,suppliante.Une sensualité digne de Marilyn Monroe semblait l’habiter, et
l’ensorcellement possessif qu’elle exerçait sur moi revint avec force. Ellem’avait appelé«River».Personnen’avait utilisé cenomdepuisplusdedixans.Ellenel’avaitpasoublié.—Mae…Tu as b-b-besoin d’un t-t-type bien.Mieuxquem-m-moi.Tu as
beaudire…jenesuispasunm-m-mecbien…Mêmesijelevoulais,croassai-je,enproieàuneérectionviolente,douloureuse.J’avaisdumalàcroirequejelepensaisvraiment,maisjen’étaispassûrque
lafairemiennefûtunebonnechose.Jusque-là,j’avaistoujourspriscequejevoulaissansmesoucierdesautres.Loïsétaitmorteparcequ’ellemedésirait.MaisprendreMaeaprèscesquelquessemaines,aprèscettejournéefuneste…celamesemblaittorduetmal.—Styx,souffla-t-elleengémissantunpeu.Lapointedesesseinsétaitdurecommedesballes,seshanchesoscillaient,
muesparledésir.—Styx,tuesleseulpourmoi…tul’astoujoursété…Etellesejetasurmoi.Sabouchecontrelamienne,sapetitemaintirantmes
cheveux, m’attirant vers ses lèvres avides. J’acceptai ce qu’elle me donnait,luttai, conquis par son baiser, et lorsque sa langue vint à la rencontre de lamienne…jeperdislecontrôle.Rapidecomme l’éclair, je repoussaiMaesur le lit, luimordant labouche,
j’enserraisatailleminceentremesmains,laplaquantsousmoi.Ellepoussaitdepetitscrisenréponseàmescoupsdelangue,sapeausemblaitenfeu.Foudedésir, je mourais d’envie de toucher les moindres recoins de son corps, deposermamarquesurelle. Jedescendisverssescuissesserréeset lesécartaibrusquement,plaquantmonsexecontrelesien.Bontédivine,elleétaitprête,elleétaitsacrémentprête.Ça allait arriver. J’allais prendre Mae. Il le fallait. Maintenant qu’elle
gigotaitsousmoi,sefrottantcontremaqueue,cen’étaitmêmeplusunchoix.Quittant un instant sa bouche, je laissai échapper un feulement de plaisir
lorsqu’elleenroulasesjambesautourdemataille.—Ohp-p-putain,b-b-bébé.Tuesp-p-prête,hein?P-p-prêteàcequejetef-
f-fassejouir?Ses yeux de loup s’agrandirent lorsque je pressaimon jean gonflé contre
sonclitoris.Maehoqueta.—Styx!Qu’…?Qu’est-ceque…?Oh!Elleouvritgrandlaboucheetjemepenchaipourlalécherensurfaceavant
demeredresserpouradmirer leplusbeaudesspectacles :Mae,magnifique,superbe,attendantquejelaprenne.Sentant que je m’étais redressé, elle entrouvrit les paupières et un léger
souriremoqueursedessinasurseslèvres.Ellemedévoraitdesyeux,admirantmesmusclesstriés,mesbrassculptés,mesveinessaillantes,mestatouages.Etvucommeellemouillait,ça luiplaisait. Jesavaisque j’avais fièreallure.Cen’estpasarrogantdemapart,jefaisbeaucoupd’exerciceetjesaisquejesuisbienmusclé.Jebaissailesyeuxverssesseins.Ilfallaitquejegoûteàça.AvantqueMae
n’aitcompriscequiluiarrivait,jeprisundesestétonsdansmabouche,suçantettirantsurlachairdurcie.—Ahh…Styx…çamefait…Aahh…Sanslâchersapeaudouce,jesouris,toutenfaisantdesva-et-vientavecma
langue, lapantsondélicieuxsein.Puis jepassaiàson jumeau,accentuantson
plaisir. Soudain ses doigts s’agrippèrent à mes cheveux, tirant et griffantcommeunefemmesauvage.J’adoraisça,j’étaisprêtàexploser.J’enavaisbesoin.Maes’assit,empoignantviolemmentlesdrapsnoirsensoie.— Styx… il faut que… Ah ! J’ai besoin de… je ne sais pas. J’ai
l’impression…deprendrefeu…Jen’enpeuxplus.Enlaregardantsetordrededésir,jenepusréprimerunsourireravi.Ehoui,
elleavaitbesoin…demoi.Jem’écartaiunpeu,suivantdesyeuxlacourbedesonventre,puissachatte.
Sachatteexposée,humide.—Ahp-p-poupée,tuesp-p-parfaite.Jeluifrôlail’intérieurdelacuisse,toutenmordillantsontéton.—Jev-vaisted-doigterpourtepréparer.Ensuite,jevaistel-l-écherjusqu’à
ce que tu m’emplisses la b-b-bouche de ton nectar. Après, quand tu n’enpourrasp-plus,jevaism’enfoncerent-toiettefairecriertrèsf-f-fort.—Styx,jet’enprie…Jepassailemajeurlelongdesesgrandeslèvres,etsesjambess’ouvrirent
pourm’inviteràentrer.Alors j’introduisismondoigtetelle rejeta la têteenarrièreenpoussantunlonggémissement,lesbrasagrippantlelitau-dessusdelatête.J’accélérailacadence,effleurantcetendroittrèssensiblequinemanquerait
pasdeluifaireperdrelatête.Ellecria,lespiedscrispés,lesyeuxexorbités.—Qu…qu’est-cequec’était?—Ça,p-poupée,c’estcequeturessensqu-quandonteb-baisecorrectement.—Oh,oh…encores’ilteplaît…,supplia-t-elle,horsd’haleine.J’inséraiunautredoigt,etseshanchess’animèrent.J’accentuai lapression
demesdoigts,cherchantlecheminverssonorgasme.—Styx…ah!j’aibesoin…j’aibesoin…ah!Je savais ce dont elle avait besoin, ce qu’elle demandait, éperdue. Aussi
j’appuyai mon pouce contre son clitoris et lui imprimai un mouvementcirculairevigoureux,quilafitexplosercommeunpétard.Elletournalatêteetenfouitlevisagedansl’oreiller,quiétouffaunpeusescris.Lui laissant le temps de s’apaiser, je retirai délicatement mes doigts, et
m’assurai qu’elle regardait pendant que je me léchais ostensiblement lesdoigts. J’agrippai ses jambes fléchies et baissai la tête. J’avais envie de lagoûter, c’était un besoin plus vital que de respirer. Mais alors que je
m’approchais,jem’immobilisaisoudain.Lescicatrices.Descentainesdeputainsdecicatrices.Jereculailentement,essayantdeconservermoncalme,etrestaiaccroupi,le
regardbaissé.Maeseredressasursescoudes,l’airalarmé.—Qu’ya-t-il?J’aifaitquelquechosedemal?Les poings serrés, je pris de grandes inspirations. Je devais sans doute
ressembler au diable en personne,mais j’étais hors demoi. Ces cicatrices !Beautym’enavaitparlé.Maeavaitdûêtretorturéependantdesannées,etmoi,jeluiavaissautédessuscommeunanimaldèslapremièreoccasion.Putain,jenevalaispasmieuxquecettesectedevioleurs.Jemesentaismal,j’avaisl’impressiond’avoirlagueuledebois,lanausée.—Styx?Jet’enprie,dis-moicequej’aifait?Jesecouailatête,merendantcomptequejen’avaispasquittédesyeuxles
cuisses scarifiées deMae. Elle était inquiète.Maismalgré son désarroi, elleétait superbe. Sa jouissance avait coloré sa peau, ses cheveux noirs étaientébouriffés,etcesyeux…cesyeuxdeloups’emplissaientàprésentdelarmes,àmesurequ’ellecomprenaitcequim’avaitfaitréagir.Ellerefermalescuissesenpoussantuncrietseréfugiacontrelatêtedelit,
lesbrasserrésautourdesgenoux.—Qu-qu-qu-qu’…(Ah,mauditpython,lâche-moi!)Qu-qu’est-cequec’est,
Mae?Sonregardfuyantseposaitpartoutsaufsurmoi.—Rien…Ellesn’ontplusd’importance.—Ehb-b-bienpourmoi,çaena!explosai-je.Jelavissetasserenm’entendantcrier.—Styx,jet’enprie…—P-P-P-PUTAIN,MERDE!Jesautaidulit,récupéraimachemiseparterreetl’enfilai.—Oùvas-tu?demanda-t-elle,paniquée.—De-dehors.—Tuesfâchécontremoi?Jefisvolte-faceengrognant.Elleremuaitsonfameuxnezet,tirantledrap
noirpourcouvrirsoncorpsnu,sespetitesmainscommençaientàtrembler.— J’ai une t-t-rique m-monumentale, alors oui, je suis f-frustré, mais ce
qu’onvientdefairemed-dégoûte…Cequejeviensdet-tefaire…M-merde!—Fairequoi?Medonnerduplaisir?Elledéglutitetserepliasurelle-même,commepourseprotéger…dequoi?
Demoi?Demonrejet?Mince,jen’ensavaisrien.— Tu regrettes ? s’enquit-elle, ses longs cheveux formant un rideau
protecteurdevantsonvisage.Unseulcoupd’œilàsaminedouloureusemefitchavirer.Ellen’yétaitpour
rien,mais je ne trouvais pas lesmots pour le lui dire.Ça n’avait jamais étémon genre d’exprimer aux autres mes sentiments. L’incapacité physique àparleraisémenttefaitfacilementterenfermer.J’essayaisdetrouverquelquechoseàdire,maislessignesannonciateursde
mon bégaiement se faisaient sentir, menaçant de reprendre le dessus :l’impression de suffoquer, le rétrécissement de ma gorge… Je sentais monpouls battre sourdement, j’avais le tournis, et il fallait que je quitte la pièce,pourneplusvoirl’airperdudeMae.Jevoulaisluidirequejen’auraispasdûtoucher ainsi quelqu’un qui avait été abusé toute sa vie et en portait lesstigmatesdanssachair,etqu’elleméritaitmieuxqueça.Bonsang,lesmotsnevoulaient pas sortir ! Je lâchai une réponse brève, sans y penser, et je susinstantanémentquej’avaismerdé.—Ç-ç-çan’auraitp-p-pasd-d-dûarriver.Sur cette explication totalement nulle, je quittai la pièce, avec le sentiment
d’êtreunparfaitconnard,mais j’avaisbeaum’envouloir, jen’arrivaispasàmedéfairedelavisiondeMaeenpleinejouissance.J’étaisdurcommel’acier,ettellementfurax.Je fis irruption dans le bar. La plupart des gars étaient partis harceler les
flicspourobtenirdesinfos.Oh,bordel,c’étaitcettefoutueDysonquiservaitlesconsommations.Jemedirigeaidroitverssachevelureroseetsesfauxseinsetassenaimon
poing sur le bar. Elle recula d’un pas mal assuré, devinant mon humeurmassacrante.— Je… je suis venue voir Tiff et July, se défendit-elle avec un regard
soumis.J’aientenduracontercequis’étaitpasséaujourd’hui,etonest toutesvenues à la rescousse. Je me suis dit que les gars allaient avoir besoin des’envoyerenl’airpoursechangerlesidées.Avecdesfillesqu’ilsconnaissentbien.Cela répondaità laquestionque jemeposais : les frèresétaient tousdans
leurschambres.Labrigadedusexeétaitarrivéeetc’étaitbienvrai:lesgarsnevoulaient rien d’autre que se satisfaire après avoir survécu à une pluie deballesvisantleursorganesvitaux.Foutue salope manipulatrice. Dyson, la prostituée qui m’avait dépucelé à
treize ans. D’ailleurs elle ne devait pas avoir plus de seize ans à l’époque,maintenantquej’ypense.C’étaitunefugueusemineure,quiavaittrouvérefugedanscerepairedehors-la-loi.Cettedroguéeauxcheveuxrosesseservaitdesfrèrespours’approvisionnerenmeth,maisunjourelleavaitrefilésacameàunedébutantequiavaitunvraipotentiel.LafilleavaitfaituneoverdoseauQG.Par la suite, Dyson avait été bannie parmon vieux, qui lui avait interdit derevenir.Biensûr lesfrèresregrettaientsesfameuxspectaclesvulgaires,maispersonnenevoulaitd’ellepourautrechosequ’unefellation.C’étaitdelàquelui venait son surnom : excellente succion, comme les aspirateurs dumêmenom.Jeluiattrapailepoignetetlatiraisansménagementenluimontrantdudoigt
la porte de sortie. Sa lèvre inférieure se mit à trembloter et des larmesroulèrentsursesjoueslourdementfardées.Lemaquillageservaitàcamouflerdescicatriceslaisséesparl’acnéaufildesans.—Qu’est-cequetufouslà,toi?Lavoixaiguëmefitfairevolte-faceet jedécouvrisBeautyquifonçaitsur
nous comme un taureau enragé. Dyson blêmit – elle savait à qui elle avaitaffaire.BeautyressemblaitàBoucled’Orenapparence,maisc’étaitenfaitunRottweilerdanslecorpsd’unterrier.Unefois–uneseule–Dysonavaittentéd’aguicherTank.Beautyn’avaitpasappréciéqu’elleempiètesursonterritoire.Dysonavaitdûporterdeslunettesdesoleilpendantquinzejours,àlasuitedeleuraltercation.Dysonnousregardaittouràtour,tandisqu’ellesetripotaitnerveusementles
doigts,espérantquequelqu’unviendraitàsarescousse.Ah.Jecomprissoudainlavraie raisonde son retour.Elleétait enmanqueetespéraitqu’un frère luifileraitleliquidenécessairepours’achetersameth.—JesuisvenuevoirTiffetJuly,répétaDysond’untonpeuconvaincant,le
regardfuyant.—Jem’encontrefous!Tire-toi!Pluspersonneneveutvoirtonspectaclede
chaudasse!BeautyétaitpresquenezànezavecDyson,et latensionétait tropgrandeà
mongoût.Je m’adressai à Beauty par signes, essayant de la calmer. Elle planta une
paumedevantmonnez,etm’attrapa lesdoigtsde l’autremain,m’empêchantdeparler.—Non,Styx !Ne te laisse pas tenter par sa chatte avariée !Pense àMae.
Débarrasse-toidecettesalope!
—«Tu saisquoi,Beauty ? Je commence à en avoir ras lebolque tumedisescommentvivremavie!»Beauty laissa échapper un hoquet étouffé. C’était la seule régulière avec
laquelle je ne m’étais jamais emporté. C’était la seule meuf que je pouvaistolérer plus de deux minutes, et on s’entendait bien. Pire, elle avait mêmeapprislalanguedessignespourmoi.Maisqu’ellesepermettedemedonnerdes ordres, à moi, le président des Hangmen, il fallait que ça cesse avantqu’ellenes’attaqueàmescouilles!JevislerictusmoqueurdeDyson.Honnêtement,j’étaisd’humeuràluifaire
passer l’enviedesouriremoi-même,mais j’avaisplusque toutbesoind’unerasadedewhiskypourneplusvoirLoïsgisantsurlesabledansunemaredeson sang, ni Mae roulée en boule et pleurant dans mon lit, couverte decicatrices. Comme s’il avait lu dansmes pensées, Pit fit glisser un verre dewhiskydansmadirection.J’enavalailamoitié.L’engourdissementmegagna.Malgrémonébriété,je
remarquaiqueBeautygagnaitl’autreextrémitédubar,sanslâcherDysondesyeux.Dixminutesplustard,jen’étaisplusenétatderemarquergrand-chose.J’aurais pu jurer que les cinq fleuves desEnfers peints sur lemur du bar
étaientenmouvement. Ils semblaient tournoyer.Mais il fautdireque toute lasalleétaitenmouvement.Essayantdedescendredemontabouret, jemanquaidem’écroulerparterre,maisunemainsecourablemesoutintlebras:Dyson.Lespaupièreslourdes,ellemeconsidéraitavecunrictusfigé.Samainalla
droitversmonsexe.Moncorps imbibéd’alcool se ravivad’uncoup.Dysonm’agrippaparma
chemise et entreprit deme traîner dans le couloir.Le regard quemablondepréféréemejetadepuisl’autreextrémitédubarauraitréduitencendresuntypemoinsaguerriquemoi.Dyson me conduisit jusqu’au recoin le plus sombre du couloir. Souriant
largement, elle fit passer sa langue experte sur ses dents. J’en avais besoin.J’avaisbesoindemedéfouler,demedébarrasserdelaragequiempoisonnaitmonorganisme.De la baiseviolente. Jedevaisme sortirMae et ses foutuescicatricesdela têteavantdeperdrelespédalesetd’allerbuterdesgenspourm’amuser.JedevaiseffacerlevisagetristedeLoïsdemonespritavantd’êtredévastéparlaculpabilité.D’ungeste rapide,Dysondéchirasondébardeur jusqu’à la taille.Sesgros
seins siliconés en jaillirent, libres de tout soutien-gorge. Son regard brillaitd’excitation.Ellepressaitsesénormestétonsrouges,tiraitdessusenpoussantdebruyantsgrognementsdeplaisir,faisantmontersondésir.Salecochonne.D’une main, elle souleva sa jupe et glissa un doigt contre son clitoris.
C’étaient ces exhibitions préliminaires qui faisaient sa popularité auprès desfrères.LecélèbretraitementdefaveuràlaDyson.Je laregardaissefrottercontresamainensemalaxant lesnichons,sur le
pointd’atteindrel’extasedevantmoi,maisjeneressentais…rien.Pasdedésir,pas d’étincelle.Certes, j’étais toujours raide comme la justice,mais c’était àMaeetsesyeuxdeloupquejeledevais,c’étaitlesouvenirdesoncorpsparfaitsousmoi,safigureparfaiteet…Merde,c’étaitpaspossible.Pourlapremièrefoisdemavie, ledésirque j’avaispourune fillem’empêchaitdesauterunesalope.—Styx!Dysonpoussaunlongcridesatisfaction, jouissantcommeunepro.Etson
air satisfait montrait qu’elle avait l’impression que son numéro pornom’excitait.Elleselaissatomberàgenouxetsejetaversmoi,tirantbrutalementmabraguette.Jeluiprislespoignetspourlarepousser.C’estalorsquej’entendisungémissementdouloureuxsurmadroite.Malgré mon esprit embrumé par le whisky, je devinai l’identité de la
personnesansmêmeregarder.Jeme retournai lentement et découvrisMae quime dévisageait, choquée,
dévastée.Elleportait unhaut ajusté auxcouleursdesHangmen,un jeannoirserré,etmavestebientropgrandepoursafrêlesilhouette.Elleétaittellementcanon!Dysonrenversasatêteenarrièreetéclataderire,meramenantàlaréalité
delasituation.Jecomprislascènequis’offraitauregarddeMae.—Benalors,poupée?Tuveuxunephoto?Tuveuxnousregarderbaiser?Àgenouxdevantmaqueue–heureusementtoujoursàl’abridemoncuir–,
latraînéeauxcheveuxrosesnarguaitMae.Je repoussaiDyson, et la junkie retomba lourdement sur les fesses. Je fis
quelquespashésitants,alourdisparlaculpabilité.Degrosseslarmesjaillirentdesesyeuxdeloupetelleplaquaunemainsursabouche,essayantd’étoufferlesanglotbriséqu’elleneputretenir.Jevoulus luiparler,m’expliquer,maisavantmêmequej’enaie lapossibilité,BeautyetLetti firent irruptiondans le
couloir,cherchantd’oùvenaientlespleurs.Elles s’immobilisèrentenvoyant la scène : jeme trouvaisdansunendroit
peu éclairé, avec Dyson à genoux, les nichons à l’air… et plus loin, Mae,habillée comme une fille du club, portantma veste, et sanglotant entre sesmains.Lasituationn’auraitpaspuêtrepire.—Mae!Non,nepleurepas.Viensavecmoi,mapuce,luiditBeautyd’une
voixapaisanteenpassantunbrasautourdesépaulestremblantesdeMae,avantdel’entraînerplusloin,horsdemavue.Mavestetombadansleursillage.Merde.Maeavaitretirémavesteencuir.Je
m’élançaiàleurpoursuiteentitubant.Lapiècepenchaitdangereusementsurlecôté.EtsoudainjefusconfrontéauregardnoirdeLetti.Elles’avançaverslaputain toujours au sol en faisant craquer ses jointures. Dyson reculaprécipitamment en s’aidant de ses mains et prit la fuite devant la menacereprésentéeparlacolossaleSamoane.—Écoute-moibien,pétasse.Tuasdixsecondespourdégager.Sijeterevois
danslecoin,jeteplantemoi-même…etjeprendrailetempsdesavourerça.Comprendo?Dysonmejetaunregardsuppliant.Qu’elleaillesefairevoir!D’unsignedu
menton,jeluiindiquailasortie.Rajustantsatenueminimale,lapirechaudassedesHangmenfilasansdemandersonreste.Cefutàmontourd’êtrefusilléduregardparLetti,quisecouaitlatêted’un
airconsterné.—«Meregardepascommeça,putain.J’étaisentraindelajeterquandvous
avez toutes débarqué, ce qui n’a fait qu’aggraver les choses. Ouais, je sais,j’étaisenmauvaiseposture,maisjel’aipastouchée,etellenem’amêmepasbranlé.»Le regard de Letti me fit savoir qu’elle ne voulait pas entendre mes
explications. Elle me répondit par un doigt d’honneur et emboîta le pas àBeauty.Putain,quelmerdier!Etc’estlemomentquechoisitKypourdébarquer,justeàtempspourvoirle
départélégantdeLetti.— Mec, je te cherchais partout ! Le trio de psychopathes est rentré en
rapportantlegroslot.Il se frottait lesmains en souriantmais son air triomphant se changea en
minesoucieusequandilmevitm’adosseraumurenrefermantmonpantalon
avantdemepasserunemainsurlevisage.—Qu’est-ceque t’as foutu,encore?medemanda-t-il avecsonsourirede
petitmalin.—«Posepasdequestion.Bon,ilestoùceconnard?Ilcause?»—Nan,illâcherien.Avecunsourireravi,jesignai:—«Parfait.Exactementcequ’ilmefautencemoment.Allons-y.»
Chapitre13
Mae
Uneheureplustôt…
J’étaisenfantquandc’étaitarrivé.Unepetitefilleinnocente…—Salomé,viensavecmoi.— Où allons-nous, ma sœur ? avais-je demandé alors que sœur Ève
m’entraînaitdanslecouloir,loindemachambrefamilière.Ellem’avait serré lamain si fort que j’avais eumal. Pour une raison qui
m’avaitéchappésurlemoment,elleévitaitdemeregarderenface.—Ont’emmènedanslagrandesalle.Lagrandesalle.Jemesouviensqu’àcesmotsmonventres’étaitcontracté.
J’avaisvoulurésister,j’avaisessayédelaforceràs’arrêter.Elleavaitbaisséleregard sur moi et ses yeux pâles s’étaient un peu adoucis. Ce fait était siinattendu qu’ilm’avait inquiétée. Sœur Ève nem’appréciait pas, elle n’avaitjamaiseudesympathiepourmoi.J’étaisuneMaudite.Unesœurmaintenueàl’écart.Nousétionsquatreetellenousdétestaittoutes.Ellenoussoutenaitquelemalétaitancréennous.Nousétionsnéesporteusesdupéchéoriginel.—Pourquoit’arrêtes-tu,monenfant?medemanda-t-elled’unevoixcalme,
dénuéedechaleur.—Pou-pourquoijedoisalleràlagr-grandesalle?demandai-jed’unevoix
tremblantequejeneparvenaispasàcontrôler.Je me rappelais que Jézabel avait été menée à la grande dalle pour la
première fois troisansplus tôt.Etdepuis,cen’étaitplus lamême.Elleavaitchangé.Elleétaitpluscolérique,renfermée,froide…Jamaisellenenousavaitracontécequis’étaitpassé.Jesaisquejeluiavaisposécinqfoislaquestion,maisellem’avaitrepoussée.Ellerefusaitpurementetsimplementd’endireunseul mot, à moi ou aux autres. Mais désormais, chaque fois que Gabriell’appelait, Jézabel se rendait à la grande salle. Elle n’avait pas le choix. Lamêmechoses’étaitproduitepourLilaquelquesmoisplustôt.Maddieetmoi,
nousnecomprenionspaspourquoicelaleschangeaitautant.Maisj’étaissurlepointdeledécouvrir.—Tuesassezgrande,Salomé.Tudoisfairetondevoirdesœur.(Avecun
lourd soupir, sœur Ève s’était penchée versmoi pourme regarder dans lesyeux.) Je ne vais pas te mentir : aujourd’hui, tu vas vivre une expérienceétrange et inconfortable,mais c’est ainsi que ça doit être.Tu as atteint l’âgeapproprié.Tunepeuxpasyéchapper.—Qu’est-cequivasepasser?Jesuisassezgrandepourquoi?Elle s’était simplement relevée et m’avait tiré sur le bras jusqu’à ce que
j’acceptedelasuivre.J’avaisposéd’autresquestions,maisellenem’avaitpasrépondu.Ellenem’écoutaitpas.Auboutdeplusieursvainestentatives,j’avaisfinipar tomberdansunsilencerésigné,et je l’avaissuivie jusqu’à lagrandesalle.Lespectaclequim’yattendaitm’avaitfaitfrémirdepeur.L’atmosphèreétait
trouble,imprégnéed’unefuméelourdeàl’odeurterreuse.Ilyavaiticietlàdegrossesbouteillesmuniesdesystèmestubulaires.Descoussinsetdesmatelasblancscouvraientlesol,ettousétaientoccupés:lesdisciples,sansvêtements,setrouvaientderrièredessœursdetousâges,jeunesetvieilles,etleurfaisaientquelquechose.Lessœursaussiétaientdénudées.Àquatrepattes,ellesavaientlatêteausoletlesmainscroiséesderrièreledos.LeprophèteDavidétaitassissuruneplateformeencompagniedetroissœursplusâgéesdontiltouchaitlecorpsnu.Puisils’étaittouché…àcetendroitparticulier,toutenregardantlesnombreuxcouplesdanslapièce.SœurÈveavaitsentimarésistancelorsquej’avaisvucequisepassaitdans
lagrandesalle.Elles’étaitalorspenchéepourmemurmurer:— Si tu fais des histoires, tu te rendras simplement la vie plus difficile.
Crois-moi,petite,lapunition,siturefusesdecoopérer,serapire.Bienpire.Terrorisée,j’avaislentementhochélatête,jem’ensouviens.Jesavaisqueje
nevoulaisplusconnaîtrelamorsuredufouet.Lapeurauventre, j’avais suivi sœurÈveversuncôtéde la salle, et frère
Gabrielm’avait regardéepasser. Ilm’avait souri, sans arrêter lesva-et-vientqu’il effectuait contre une sœur aux cheveux noirs. À ce moment-là, je necomprenaispascequ’il lui faisait.Lasœurnedisaitpasunmot, tandisqu’ilpoussaitdesgrognementsenluitripotanttoutlecorps.J’étaishorrifiéeparcettevision.SœurÈvearrachamarobe,mepoussavers
lesoletmefitadopterlaposition:têteenbas,mainsderrièreledos…commetoutes les sœursdans lapièce.Paniquée, j’essayaideme relever,maisd’une
mainferme,SœurÈvememaintintausol.Jemedébattisdeplusbelle.Elle poussa un soupir exaspéré et me relâcha. Lentement, je me relevai.
Quandjeviscequ’elles’apprêtaitàfaire,jemesentisdéfaillir.Ellerevenaitversmoiavecunappareilà lamain.Onauraitditunpiègeà
ours :deuxdemi-cerclesmunisdegriffes,commedesmains, réunispardescharnières.Lesdentsétaientlargesettrèspointues.SœurÈves’accroupitprèsdemoietjem’arrêtaiderespirer.—Jevaismettreçaentretesjambes.Situbouges,lesgriffesvontt’entrer
danslachair.Celasertàencouragerlessœursàrestertranquilles.Unconseil:pense à un endroit agréable, et imagine que tu t’y trouves. Tu apprendras àfaireabstractiondeladouleur.Ladouleur?Quevoulait-elledire?Ellemereplaçaalorsenposition,facecontrelematelas,écartamesjambes
etfourral’appareilentremescuisses.Lesdentsmétalliquesmedéchirèrentlapeaudèsquejecherchaiàmelibérer.Jemesouviensquej’aicriédedouleurlorsque les mâchoires m’ont profondément mordue, s’enfonçant jusqu’auxmusclesàmesurequejemedébattais.Auboutd’unmoment,jecomprisquerésisterétaitinutile.Jenepouvaispas
bouger. J’étais coincée dans cette position qui bientôt deviendrait ô combienfamilière.Respirant lourdement, je fis alors mon possible pour me calmer, tout en
inspectantlapièceduregard.Àunmoment,lafilleàcôtédemoitournalatête.C’étaitBella.Masœur.Ellemereconnutaumêmeinstantetversaquelqueslarmes.Puisellearticula
silencieusement:—Çavaaller.Jet’aime.Mais mon calvaire n’était pas terminé : je sentis des mains larges et
rugueusesagrippermeshanches.Compatissante,Bellaassistaàmapanique.Jehurlais en me tortillant, essayant de me soustraire à cette emprise. D’elles-mêmes,mesmainsbougèrent,maisaussitôtlepiègemedéchiralescuisses.Auboutdequelquessecondes,commel’avaitannoncésœurÈve,ladouleurdevinttropintensepourquejepuissebouger.Voilàcommentc’étaitarrivé…J’avais perdu mon innocence pour toujours et j’avais commencé à
m’acquitter de mon devoir de sœur. Je m’étais raccrochée tout du long auregard de Bella. Nous étions déjà liées par le sang, désormais nous noussoutenions, nous aidions mutuellement à suivre les conseils de sœur Ève :
trouver un lieu agréable pour faire barrage à la douleur. Bella me répétaitinlassablement qu’elle m’aimait, à travers chaque épreuve de cet acteimmonde.Quandlesupplicepritfin,jem’enfuisdelasalleenfumée.Enjetantuncoup
d’œil en arrière, je vis frère Gabriel souillant de nouveau Bella. Dans macourse, j’enjambai plusieurs frères qui se reposaient. Jamais je n’oublierail’expressionqu’avaienttouteslessœurs:ellessemblaientéteintes,hébétées.Nousétionstoutesréduitesàl’étatdefantômes.Ensuite, j’avais couru jusqu’à la forêt. Je ne m’étais pas autorisée à
m’arrêter avant d’avoir atteint la clôture. Cinq minutes plus tard, j’avaisentenduunbruit dans les herbes et ungarçon était apparude l’autre côté dugrillage.Jem’étaisditqu’ilnedevaitpasêtrebienplusâgéquemoi.Quelquesannéesseulement.Ilétaitbrun,grand,avecdebeauxyeuxcouleurnoisette.Ilétaitséduisant.Enme voyant affalée par terre, il s’était approché en bougeant lesmains.
Mais il n’avait rien dit. Sa présence m’avait procuré la sensation d’êtreprotégée. Il me procurait une distraction qui m’aidait à oublier la douleur.C’étaitunrayond’espoirdanscette journéenoire…Et ilm’avaitembrassée,doucement,gentiment.Puisilétaitparti,etjenel’avaisrevu…quequinzeansplus tard.Etencoreune fois, ilm’avait faitdondececadeauprécieux,maisfragile:l’espoir.Assise au calme sur le matelas moelleux de la chambre de Styx, les
souvenirsaffluaient.Lematelasportaitsonodeur.J’étaissijeunelespremièresfois qu’on m’avait forcée à m’accoupler avec des hommes. Je détestais ça.Mais cequeStyxm’avait procuréne ressemblait en rien à ceque j’avais puéprouver jusque-là. C’était un feu allumé à la naissance de ma colonnevertébrale, une pression délicieuse, mais trop intense pour être expriméeverbalement.Puisc’étaitdevenuun incontrôlabledéchaînementdesensationséchappanttotalementàmoncontrôle.J’avaisagrippélatêtedelit,essayantdemesoustraireàcesémotions,mais
cherchantdanslemêmetempsàmerapprocherdecettesensationexquise.Etquand il m’avait touchée… là… j’avais explosé. Je m’étais dispersée enminusculesfragments,monâmeilluminéeavaitvoléenéclats–c’étaittrop,etpasassezàlafois.J’envoulaisencore,jeneseraisjamaisrassasiée.J’étais affamée, j’en voulais plus, toujours plus. Le prophète David avait
tort : quelque chose de si bon ne pouvait être un péché. Les femmes aussi
devaientavoirledroitderessentirleplaisir.Puis, tout s’était arrêté. Styx regrettait dem’avoir touchée.Dès qu’il avait
aperçumescicatrices,celienpermanentetindélébileavecmonpassé,ilavaiteuunmouvementderecul,horrifié.Sansplusattendre,ilm’avaitlaissée,seuleetnuedanscegrandlitfroid.Ilm’avaitlaissée.J’étaisperdue,j’avaischaud,j’avaisenvie…delui.Je refusais de laisser couler les larmes qui me piquaient les yeux. Je ne
serais pas détruite par son rejet. Je ne pouvais pas laisser un homme avoirraison demoi, encore une fois.Même si Styx était peut-être le seul hommecapabledelefairedemanièreirréparable.Jerepriscontenance,sortisdu litengrimaçantaucontact froidduparquet
sur mes pieds nus et allai dans la salle d’eau. J’ouvris l’eau chaude aumaximumetlaissaileflotbrûlantmemalaxerlapeau.Depuismonarrivée,Styxmevoyait commeunepersonne faible,une fille
qu’ildevaitsanscesseprotéger.Iln’avaitpaslamoindreidéedugenredevieque j’avais connu, ni de ma force de caractère forgée par les nombreuseshorreursquej’avaisenduréesquotidiennementpendantvingt-troisans.Jesuisunesurvivante.Lescicatricesqui lui répugnaient tantétaient lesstigmatesdemaforce.Jerefusaisdeporterlahonted’actionsquim’avaientétéimposées.Dieuenétaitletémoin,jen’étaisqu’uneenfantquandçaavaitdébuté!Le plus troublant était que l’inquiétude de Styx à mon sujet partait d’une
bonneintention.Jesavaisquesaréactionglacialeetsondépartbrusqueétaientdusàsacolère.Saparoleentravée,sonhandicapde toujours, l’empêchaitdeme dire exactement ce qu’il voulait désespérément exprimer – c’était sonfardeau.Ilétaitsûrementaubar,noyantsonchagrindansleliquideambréquejel’avaisvusisouventboire.Je décidai d’aller le retrouver, pour lui prouver que tout allait bien, que
j’avaisadorécequ’ilm’avaitfait…etquej’envoulaisdavantage,s’ilenavaitaussienvie.JemeséchaipuispassailepeignedeStyxdansmeslongscheveux,défaisant
lesnœudsquis’étaientformésàl’arrièredematête.Unpeuplustôt,StyxavaittransférélesacdevoyagedepuislachambredeRiderjusqu’àlasienne.J’endéfis la fermeture àglissière et en sortis unpantalonnoir et unhaut portantl’écussondesHangmensurledevant.Une fois habillée, je pris la veste de Styx et respirai son odeur
caractéristique, tabacet cuirmêlés. J’eneusdespicotements sur lapeau,des
fourmillements dans le cuir chevelu. Cette sensation nouvellem’enthousiasmait autant qu’elle me faisait peur, et un besoin dévorantgrandissaitentremescuisses.Ensoupirant,j’enfilailelargevêtementdecuiretsortisdanslecouloir.Dès que j’eus franchi le seuil, un gémissement aigu et un râle sourd
attirèrentmonattention.Celavenaitdel’extrémitésombredulongcouloir.Cesbruits indiquaient clairement la nature de ce qui se passait : exactement ce àquoijem’adonnaisunpeuplustôt.Soucieusedenepasinterromprecesébats,je me dirigeai vers la sortie à l’extrémité opposée, mais c’est alors quej’entendis…—Styx!Des frissons glacés me parcoururent le dos, au rythme des cris bien
reconnaissablesd’uneextase sexuelle.Styx, avecuneautre femme?Àpeinem’avait-ilquittéequ’ilétaitalléenretrouveruneautre?Aprèstoutcequenousavionspartagé…D’unpasdeplomb, jemetraînaivers lecoinà l’écart,merapprochantde
plus en plus des bruits de respiration laborieuse et des petits gémissements.Prenantmoncourageàdeuxmains,mepréparantaupire,jejetaiunpetitcoupd’œilaucoindumur.Immédiatement,jeregrettaiden’avoirpasfaitdemi-toursansm’occuperdelui.Moncœurs’arrêtauninstantenlevoyantavecunefemmeàl’allureétrange
etauxcheveux roses. Iln’étaitpasdifficilededevinercequ’elle faisait.Elleétaitàgenoux,penchéesursespartieslesplusintimes,tandisqu’ilétaitadosséaumur,lesyeuxfermésetlevisagecontracté.Je ne parvins pas àm’empêcher de laisser échapper un cri. Jemeplaquai
unemaincontrelabouche,maisunsanglotmontaitdéjàdansmagorge.J’étaisdévastéeparcequejevenaisdesurprendre.J’avaisenviedehurlermarageetmadéception.C’étaitlapreuvedecequej’avaisrefusédecroire:leshommessonttouslesmêmes.Ilsprennentcequ’ilsveulent,quandilsveulent…àcellesqu’ilsveulent.Styxm’avait repoussée et s’était aussitôt tourné vers elle pour régler son
«problème».Moinsd’uneheure après avoirquitté sa chambre.Pour lui, jedevaisêtreamochée,incapabledevivredanssonmonde–jem’enrendaisbiencompte.Àsesyeux,jenedevaispasêtredignedeluidonnerduplaisir.Styx s’immobilisa tout à coup, prit les poignets de la fille et tourna un
regardsurprisdansmadirection.Sonbeauvisagemarquésetorditsousl’effetde la panique.Un bourdonnementm’emplit alors les oreilles, je n’entendais
plusriend’autrequecebruitblanc.Parailleurs,j’étaisincapabledefaireautrechose que rester plantée là, le regard braqué sur ses yeux noisette qui memettaient toujours en transe. J’avais vraiment cru qu’il était différent. J’enavaistellementmarredemetromper!J’eusl’impressionderesterlàuneéternité,puisjesursautailorsqu’unbras
vintm’entourer les épaules, ce quime tira demon état de choc. Beautymeserrait contre elle, dardant un regard assassin sur Styx et la femmequi étaittoujoursàgenoux.Cettedernièrearboraitunsourirediabolique.Ellem’avaitditquelquechose,quejen’avaispasentendu.MaisLetti,quisetrouvaitlàelleaussi,avaitentendu,ettandisquemagardeducorpsblondem’entraînaitplusloin, lagéante s’avançad’unpas lourdetmenaçantvers la filleauxcheveuxroses.Pressant le pas, Beauty me fit parcourir plusieurs couloirs et monter un
escalier.Auparavant,elleavaitempoignélavestedeStyxetl’avaitjetéeausolavecunegrimacededégoût.—Oùallons-nous?demandai-jeenfin.Cene futqu’une foisbienéloignéede la terriblescèneque je recouvrai–
bienmalgrémoi– l’usagedemessensetdemapensée.Etavec leur retour,unedouleurterriblem’assaillit.— Il faut que j’aille voir Rider. Tank est toujours sur la route. Il m’a
demandé d’aller voir comment se porte Rider. Je vais pas te reconduire àl’appartementdeStyx.Onpeutbienlefairemarinerunpeupourcequ’ilafait.Histoiredeluimettreunpeudeplombdanslacervelle.Stupideivrogne!Jemeraidis,m’attendantaupire,avantdeluidemanderposément:—Est-cequ’il…a…communiéavecelle?LessourcilsblondsdeBeautyselevèrent.—«Communié»?—Oui,est-cequeStyxetcettefemmeonteu…unrapportsexuel?Sesyeuxbleusaphirs’agrandirent,puisellesedétendit.—Nan,majolie.Jenepensemêmepasqu’ill’aittouchée.Ellesestimulait
toute seule. Elle lui faisait ce fameux show porno qu’elle ne peut pass’empêcherdeserviràchaquefois.Jesentismesépaulesserelâcherdetoutelatensionnerveuseaccumulée.Je
poussaiunsoupirdesoulagementetBeautymetiraunpeulebras.—Eh,pasquestiondeluipardonnerpourautant.Ils’apprêtaitàfaireuntruc
aveccette traînée.EtDieu saitpourquoi, alorsqu’il t’a toi ! Il est ivremort,énervéàcausedecequis’estpasséaujourd’hui,endeuilaprèslamortdeLoïs.
Je levoisbien,enplusde toutça,qu’il s’inquiètevraimentpour l’avenirduclub.Mais ça n’excuse pas sa conduite, conclut-elle en pointant le pouce endirectiondel’incident.Moijesavaispourquoi ilétaitdanscecouloir.Lavuedemescicatricesle
repoussait,etsonaffectionpourmoienétaitdiminuée.Avait-ilpeurd’avoireuuneréactionpurementmauvaise,dem’avoirgravementhumiliée?Maisdelààrejoindredirectementcettefemme!Jetrouvaisceladifficileàsurmonter.Beautyposafermementlesmainssurmesépaules.— Laisse-le tranquille un moment. Attends que ça passe et il reviendra.
Ensuite, c’est à toi de voir,ma fille.Mais entre nous, ce gars est fou de toi.Simplement il ne sait pas quoi faire de ses sentiments pour l’instant. Il n’ajamais été avec une fille comme il l’est avec toi. Il te parle, on l’a tousremarqué. Il te surveille, il teprotège.D’habitude il estpas commeça. Il estassezchou,àvraidire,àsamanièrecomplètementtordue.Desesmainsellememassaitlesbras,réconfortante.EllemerappelaitLila,
par sa gentillesse, ses cheveux clairs et son instinct de protection. Pour lapremièrefoisdepuisquej’avaisfuil’Ordre,monchez-moimemanquait.Mameilleure amie, ma petite sœur discrète, Maddie. Le sentiment d’avoir maplacememanquaitaussi.—Çavaaller?medemandaBeautyd’unairsoucieux.J’opinailentement.Elleseretournapourfrapperàuneporteenboissombre
quim’étaitdésormaisfamilière.—Ouais?réponditunevoixdistante.—Rider,c’estBeautyetMae,onpeutentrer?Aprèsquelquesinstantsd’unsilenceunpeutropprolongé,ilréponditd’un
tonposé:—Pasdeproblème.Beautyentrouvritlaporte.Aumilieudesongrandlitenmétalaufonddela
pièce,Riderétaitallongé,torsenu,vêtud’unsimplejean.Unbandagecouleurcrèmeenserraitsonépauleblessée.—Commenttutesens,monpetit?demandaBeautyd’unevoixdouceense
rendantauchevetdumalade.—Engourdiparendroits,douloureuxàd’autres,maisglobalement,vivant,
répondit-il d’un ton qu’il voulait dégagé, mais qui laissait malgré toutpercevoirsagêne.Levoirainsiaffaibli,éclopé,visiblementenproieàladouleur,mefitmal.
Leslarmesmemontèrentauxyeux.Lesacrificequ’ilavaitfaitpourmesauver
la vie m’apparaissait clairement. Il s’était toujours comporté avec moi demanièreparfaite.J’étaisémuedelevoirjouerlesdursmalgrétout,etjemetenaislàcomme
sij’attendaisdesordres,metordantnerveusementlesmains.—Viensparlà,Mae,medit-ild’unevoixrâpeuse.Jerelevaiunpeu la têteetmedirigeaivers le litoù ilétaitallongé.Jeme
tenaisgauchementàcôtédeBeauty.—Hé,çava?Tun’aspasl’airbien.Desridesd’inquiétudesecreusèrentsursonfront.Ilsemblaitréellementse
faire du souci. Du souci pour moi. Il avait pris une balle, frôlé la mort, etpourtant,ilpensaitencoreàmeprotéger.Beautypoussaungrognementetsecoualatête.—OnvientdesurprendrecetteandouilledeStyxavecDyson.Riderhaussalessourcilsetm’adressaunregardcompatissant.—Pourquoielleestderetour,elle?—PoursucerlabiteàStyx,apparemment!maugréaBeauty.Jesursautai,prised’unhaut-le-cœur.Jemesentaissistupide.Non:naïve.—Beauty!larepritsévèrementRider.—Désolée,Mae,medit-elleengrimaçant.Ilm’amiseenrogne,c’esttout!
Dansceclub,certainsbikerssontdebeauxcouillons!—Eh,oh,protestaRider.—Merde,jeferaismieuxdelaferme,hein?—Cen’estpasgrave,murmurai-jeavecunpetitrire.Soudainredevenusérieux,Riderconcentratoutesonattentionsurmoi.—C’estunimbéciledetepréférercettegarce.J’inclinai la tête sur le côté. Je ne parvenais jamais à savoir qui il était
réellement.Cettefois,grâceàsonattitudeagréableetàsesmotssincères,unsentimentdepaixm’envahit peuàpeu, commeun tapisde floconsdeneige.Sanslevouloir,jeluiadressaispontanémentungrandsourire.Ilentrouvritlabouche pour avaler brusquement une bouffée d’air, puis me rendit monsourire.Jesentisdespapillonsdansmoncœur.Cethommeétaitsibon.Beauty, qui nous observait à tour de rôle, blêmit sous son hâle et nous
rappela sa présence en toussotant. Heureusement, des coups énergiques à laportemirentuntermeàlatensionquimontaitdanslapièce.—Rider?BeautyetMaesontavec toi?gueulaLettide l’autrecôtéde la
porteclose.
Riderchangeadeposition,etl’effortluitiraunegrimace.Setenantl’épauledesamainvalide,ilseredressadanslelit.Je vis ses muscles se contracter, et je ne pus m’empêcher d’admirer son
torse.—Ouais,entre!Ilsecoualatêteengrommelant:—Plusonestdefous,plusonrit.Lettientra,fermalaporteetposaaffectueusementlamainsurmonépaule.—Cettetraînéeestloinmaintenant.Etellenereviendrapas,sielletientàsa
vie.—EtStyx?demandaBeauty.—J’ensaisrien,j’ailaissécetimbéciletoutseul.Elleattrapaunemèchedemescheveux.—Ilétait trèsbavardparcontre.Cestupidesacàwhiskyprétendqu’iln’a
rienfaitaveclapute,qu’ilnepouvaitpas.Situveuxmonavis,jecroisqu’ilditlavérité.Cen’estpasdansseshabitudesdementir.Reconnaissante, je hochai la tête alors que dansmon ventre les dernières
tensionsétaient levées.Tout lemondeépiaitmes réactions. Jeme frictionnailesbras.Toutàcoupjesentaisuncourantd’airdanscettepiècesombreetsansfenêtres.—Tuasfroid?medemandaRider.Jehochailatête.—Beauty,prends-luiunpulldansmonplacard.Elle le regarda d’un airmécontent,mais lui obéit néanmoins.Elle prit un
sweatàcapuchenoirequiarboraitundessindechoppersurledevant.Beautymeletendit.Dèsquejel’eusenfilé,Ridercommenta:—Iltevabien.—Merci,répondis-je,lesjouesroses.JevisLettietBeautyéchangerdes regards inquiets. Jechoisisdenepasy
prêterattention.Lajournéeétaitdéjàassezmouvementéesansquej’essaiededevinercequilestracassait.—Tuasbesoindequelquechoseavantqu’onparte,Rider?demandaBeauty
enluiprenantlamain.—Non,j’aitoutcequ’ilmefaut.Beautysetournaversmoi.—Tuveuxallerprendreunverreaubar?J’aifaitdesréservesdesoda.
Jesecouaifermementlatête.PasquestiondecroiserStyx,c’étaitau-dessusdemesforces.—Bon,jenepeuxpast’emmenerchezmoi,Styxpiqueraitunecrisesijete
faisaissortird’ici,surtoutdepuisqu’onsaitqueleclubestvisé.Pourladeuxièmefoisdepuismonarrivée,jesentaisquejen’avaispasma
placedanscetendroit.J’étaisl’intrusedansledécor.—Tupeuxresterici,proposaRider.CommeLetti et Beauty, je tournai la tête pour le dévisager. Il haussa une
épauleetlevalesmains.—Quoi?Jesuisclouéauliticiàmefairechier.Reste.— D’ac-cord, fit Beauty d’un ton étrange, puis elle m’adressa un grand
sourire.Tuasdéjàvuunfilm,machérie?Un«film»?Visiblement,monairdéroutésuffitcommeréponse.—Restelà,jevaisenchercherun.Lettiémitungrognement.—T’avisepasdeterameneravecN’oubliejamais.Pasquestionquejemate
cettemerdeencoreunefois.Trouveuntrucavecplusdemacchabées!—Tout à fait d’accord ! criaRider en direction deBeauty qui s’en allait
déjà.Elleposaunemainsursahancheetagital’autredevantsonvisage,semblant
chasserd’ungestecesdemandes.—Fermez-la.JevaismontreràMaeàquoiçadoitressembleretcequeça
doit fairequandunhommeaime réellementune femme,OK?Merde, elle abienbesoindeçaaprèscettefoutuejournée!—Ah,tantpis,BarbieRayondeSoleil,moijevaisfaireunesieste.Lettiallas’asseoirsurlecanapéetfermalesyeux.Beauty,aprèsavoirfait
undoigtd’honneurdansledosdesonamie,quittalapièce.—Commentvatonbras?LavoixdeRidermefitsursauter.Jemerapprochaidulitetpassaiundoigt
surlesdrapsdélavés.—Bien,cen’estqu’uneégratignure.Je baissai les yeux, de nouveau submergée par mes émotions. Puis je le
regardaibienenface.—Mercidem’avoirsauvélavieaujourd’hui.Tun’aspasidéedecequeça
signifiepourmoi.Ilsourit.Sesirismarronclairbrillaient.Moncœursemitàbattreplusvite.—Avecplaisir.Onva trouver les coupables et les faire payer. Styx ne se
calmerapastantqu’ilsneserontpastousrefroidis.Jeneposaipasdequestion.Jenevoulaispassavoircequ’iladviendraitdes
hommesquiseferaientprendre.Jenevoulaispasconnaîtrelesdétailsdeleursderniersmoments.JesentisquelquechosesurmamainetvisqueRideravaitposé sesdoigtsdessus. J’allai à la rencontrede son regardet remarquaiquesescheveuxlongsétaientdétachés,etilneportaitpasnonplussonbandana.JevoyaisRidersousunjournouveau.Etilétaitbeau…Beauty franchitbruyamment laporte, agitantuneminceboîte enplastique.
AussitôtRiderretirasamain.—Jel’ai!Allez,Mae,ilfautquetuvoiesça!—Vadonct’amuser,m’encourageaRider.M’amuser.Jehochailatêteetgagnaimoiaussilecanapé.Enjetantuncoupd’œilpar-
dessusmonépaule, jesurprisRiderquisuivait lemoindredemesgestes, lesyeux brillants. Je baissai le nez dans le col large du pull et inspirai. C’étaitl’odeurdeRider:l’airfraisdudehors.—Tuesprête?medemandaBeautyenselaissanttomberàcôtédemoi.Elleallumalagrosseboîtenoire.Àcontrecœur,jetâchaidemeconcentrer
surla«télé»,commel’appelaitmonamie.Arméed’unlongboîtiernoirmunideboutons,elledéclenchauneavalanche
de sons et de lumières sur l’écran, quime fit sursauter. Face àma réaction,BeautyetLettiéclatèrentderire.—Tun’espasencorehabituéeàlatélé,Mae?JesecouailatêteetLettimedonnaunetapedansledos.—Meilleureinventiondetouslestemps.Tuvasadorerça!L’écranlargeétaitentièrementoccupépardesimagesquibougeaient.Jeme
calaientrelescoussinsmoelleux.—Çavousembêtesijemejoinsàvous,mesdames?demandaRideralors
qu’ilsedirigeaitdéjàverslecanapéentenantsonbrasblessé.Ilétaitdevantnous,torsenu.Àsavue,jeressentisdespicotementsdansles
paumes.SonapparenceétaitbienpluslissequecelledeStyx.Ilneportaitpasdecicatrices,etsonsourireexprimaitladouceur.Comparéàlui,Styxétaittouten angles et caractère abrupt. C’était un homme bourru, sombre et maldégrossi,aveclesyeuxlesplusextraordinaires.SiStyxétaitlepéché,Riderétaitlapaix.
Mesurprenantàlescomparer,jesubisdepleinfouetunevaguedenervosité.BeautymeramenaàlasituationprésenteenrépondantàlaquestiondeRider.—Biensûr,mongrand.Ellem’adressauncoupdecoudeetunclind’œilenajoutant:—Jenesavaispasquec’étaittontruc,lescomédiesromantiques.Ilgrommelaetlevalemajeur.—Cen’estpaslecas.Maisjem’emmerdeetsijedoisresteraulituneheure
deplus,jevaismassacrerquelqu’un.Ils’assitparterre,devantmoi,sonépauletoutcontremajamberepliée.Je
meraidisetjetaiuncoupd’œilàBeauty,quilefusillaitduregard.Amusée,jelavisfroncerlessourcilsencroisantlesbrassursagénéreusepoitrine.Rider ne pensait pas àmal. Il avait été blessé par balle, il avait sûrement
besoind’unpeud’affection.Çadevaitêtredurd’êtreobligéderesterauclubau lieu de rentrer chez lui. Et si les filles et moi n’avions pas rompu sonisolationforcée, ilserait restéàsemorfondre,encoreplusesseuléetmalenpoint.M’étant rassurée au sujet de sa proximité, je m’installai confortablement
pourregarderlefilm.C’étaitunehistoirebelleàcouperlesouffle,déchirante…Jefinislespoings
serrés sur le tissu usé du canapé, la gorge nouée, tandis que des nuéesd’oiseauxblancsvolaientau-dessusd’unlacdanslascènefinale.Àcôtédemoi,Beautyreniflait.MêmeLetti,malgrésonapparencededureà
cuire,setrémoussaitinconfortablement,miseàrudeépreuvedanssatentativepourfeindrel’indifférencefaceàcerécitterriblementémouvant.Ridertenditsonbrasvalideversleboîtiernoir(ilsm’avaientapprisqueça
s’appelaitunetélécommande)etéteignitlatélé,nousplongeanttouslesquatredansunsilencetotal.Beauty, les joues écarlates, essuya ses larmes. Elle se tourna vers moi et
demanda:—Alors,machérie,tuenaspenséquoi?— Je… je… je ne savais pas que ça pouvait être comme ça entre deux
personnes.(Jedéglutisavecdifficultéetresserrailelargepullautourdemoi.)Alorsc’estça,levéritableamour?—C’estcegenred’amourqueveulentlesgens,Mae.Malheureusement,peu
d’entrenousyontdroit,apparemment.—Toi,c’estcequetuvisavecTank?Tout son visage s’illumina. Son sourire était si spontané et joyeux que je
l’enviaiaussitôt.—Ehoui,mabelle.Çanousaprisdu tempsavantd’enarriver là. Ilaun
passé… Etmoi aussi d’ailleurs !Mais on s’en est sortis. On a traversé descoupsdursensemble,maissic’étaitàrefaire,jenechangeraisrien.Ilestmonuniversetjesaisquejesuislesien.Jeluiattrapailamainetlaserraifort.—Tuasbeaucoupdechance,Beauty.Jet’envie.Àsontourelleexerçaunepressionsurmamainetsepenchapourmefaire
unbaisersurlajoue.—Ettoi,Rider?demandaLettienjetantuncoupd’œilaumotardassispar
terre.Ilfitunmouvementdetête.—Quoi?Sesyeuxbrunsbrillaient.—L’amour, tu as connu ça ?Depuis toutes ces années que tu es chez les
Hangmen,jet’aimêmejamaisvuchoperdefille.Tuasunepetiteamiequelquepart?Riderbaissalatêteavantdemurmurer:—Non,iln’yaaucunemeufnullepart.—Tutegardespourlapersonnedonttuserasvraimentamoureux,glissai-je
d’untonsage.Ilsetournaversmoiethaussasonépaulevalide.— J’ai été élevé comme ça, expliqua-t-il en évitant de me regarder
directement. J’ypeux rien.Mamèreme répétait toujours lemêmedicton, jen’aijamaispum’endéfaire…«L’amourestpatient,ilestpleindebonté…»—«L’amourn’estpas envieux, l’amourne sevantepas. Il ne s’enflepas
d’orgueil»,complétai-je.AlorsRiders’adoucitetmeregarda,setournantcomplètementversmoi.—«Ilnefaitriendemalhonnête,ilnecherchepassonintérêt.Ilnes’irrite
pas,ilnesoupçonnepaslemal.»— « Il ne se réjouit pas de l’injustice, mais il se réjouit de la vérité. Il
pardonnetout,ilcroittout,ilespèretout,ilsupportetout.»À tour de rôle, nous récitions le texte biblique, jusqu’à la conclusion du
passage:—«Maintenantdonc,cestroischosesrestent:lafoi,l’espérance,l’amour;
maislaplusgrandedestrois,c’estl’amour.»Les yeux dans les yeux, immobiles, nous sentions le poids des mots qui
venaientd’êtreprononcés.Ilétaitcommemoi…Seigneur, il était exactement commemoi…et je ne l’avais pas su jusque-
là…Lettimituntermeàcetinstantdegrâce.—Maisqu’est-cequevousdéblatérez,vousdeux?RidertoussotaetsoutintleregarddelaSamoane.— C’est la Bible, Letti. Nous citions les Écritures. Première Épître aux
Corinthiens.—Putain, je savais queMae venait d’une foutue secte de barjos,mais toi
aussi?LesparolesdeLettimeheurtèrent.«Sectedebarjos»?C’étaitdoncainsi
qu’ilsmevoyaient?Rider ne révéla rien de plus. Il ne parlait jamais de ses origines ni de la
façon dont il avait été éduqué. J’étais dévorée de curiosité à ce sujet. Cetteressemblanceentrenousmedonnait l’impressiond’avoirunamiquipouvaitvraimentmecomprendreauseinduclub.Parcontre,cequimesidérait,c’étaitqu’il fasse partie de ce gang, qu’il soit unHangman.Styxm’avait lui-mêmeexpliqué que ses hommes tuaient, faisaient du trafic d’armes et usaient de laviolence au quotidien. Je ne voyais pas comment ce genre de vie pouvaits’accorderavecsafoi.Ildevaitjustementêtrecommemoi,quinevoulaisplusêtrelimitéeparlesprincipesrigidesdemareligion.Jesouhaitaisexpérimenterdenouvelleschoses,évoluer,enruptureavecl’existenceétouffantequej’avaisconnue.Jen’étaismêmeplustotalementcertainedecroireenDieu.Malgrétout,entendreRiderrécitercesversetsmedonnaitunesensationde
sécurité,deplénituderecouvrée.Jenesavaistoutsimplementpasquij’étaisendehorsdel’Ordre,sansmesdevoirsdesœur.Beautyse levad’uncoupetmeregardaavecunsourire forcé.Sonregard
étaitduretellejetaitdefréquentscoupsd’œilàRider.—Allez,Mae,onyva.—Oùça?—IlfautlaisserRidersereposer.Tuviens,maintenant!Elleavaithaussélavoix,mefaisantclairementcomprendrequ’ils’agissait
d’unordre.—Ahoui,désoléeRider.Noussommessansdouterestéestroplongtemps.
Nousaurionsdû…—Pasdutout,m’interrompit-il.Soulagée,jelaissaimaphraseensuspensetmerassis.
—Merci.—C’estgentil,Rider,maisondoitvoirStyx.Beautytentademeprendreparlebras,maisjerésistai.—Jeneveuxpaslevoirpourl’instant,Beauty.—Mais…Levantlamain,jedisfermement:—Non,Beauty!Allez-y,Lettiet toi,çava.Jenesuispasencoreprête.Je
préfèreresterici,loindeStyx.Jenepeuxpasencorel’affronter.Mon ton sans appel laissaBeauty sans voix. Puis elle pointa le doigt vers
Rider.—Toi,faisgaffe.Quandleprés’sauraquetuesiciavecMae,ilvapéterun
câble.Rider fulminait, et je vis alors son côté biker se révéler. Sous le vernis
d’hommecalme,ilyavaitbienunhors-la-loi.—Onfaitriendemal,ellerestejusteunpeu.Bordelelleavécuicipendant
dessemaines.Etc’estmaintenantquetufaisdessous-entendus?Beautyhaussaunsourcild’unairnarquoisetéclataderire.—Mouais,situarrivesàteconvaincre…Là-dessus,ellepritcongé.Lettimetapotaamicalementl’épauleenpassantet
suivitBeautydanslecouloir.Elleslaissèrentlaporteouverteenpartant.Unefoisqu’elleseurentquittéle
couloirpourregagnerlebar,Riderselevaetvints’asseoiràcôtédemoisurle canapé. Il sentait le savonet l’air pur. Jeme surpris àmepencherunpeuverslui.—TuestoujoursénervéecontreStyxetDyson?C’estpourçaquetuveux
paspartir?J’étaisincapabledeleregarderdanslesyeux.—Ouietnon. Jene leconnaispasencore trèsbien,maisçam’a faitmal
qu’ilsoitavecelle.Jepensaisqu’ilvalaitmieuxqueça.Ilyaun…lienentrenous,maisj’ail’impressionqu’ilmerepousse.—Styxestunbiker,Mae,ilsuitsespropresrègles,sespropreslois, ilvit
comme il l’entend.Moi aussi, et tous les frères de ce club font demême. Iln’estpascommeundecesglandsqu’onvoitdanslesfilmscucul.Cen’estpasuneviefacile.Ici,tun’auraspasdehappyend.Siturestesici,ilfautaimerleclubavanttout.Prés’estnépourlediriger,maisçaneveutpasdirequec’estfacilepourlui,surtoutavec…Ilnepoursuivitpas,faisantclairementréférenceaudéfautd’élocutiondont
souffraitStyx.Jesoupirai.—Jesais,maislà,jenepeuxpaslevoirtoutdesuite.Etpuis…—Etpuisquoi?Jehaussailesépaules.—J’aimebienêtreavectoi.J’aimebienpasserdutempsentacompagnie.Ilposadélicatementsamainsurlamienne.Je passai les doigts dans ses longs cheveux, attrapant une mèche qui lui
tombaitdanslesyeux.C’étaitsidoux.JevisleventrenudeRidersecontracter,etilretintsarespiration.Jeretiraimamain.—Çatedonneunairdifférentavectescheveuxlâchés.—Ahoui?dit-ilavecunpetitsourire.—Oui,oui,çatevabiend’avoirlescheveuxlibresetsauvages.J’aimebien.Sapoitrinesesoulevaitàunrythmeirrégulieretilserraitleslèvres.Àforce
deleregarder,jefusgagnéeparlanervosité,mesmainssemirentàtrembleretmonnezàmechatouiller.Ils’éclaircitlavoixetmeproposa:—Etsionregardaitunautrefilm?Soulagéeparcetteperspectivededistraction,jerépondisoui.Ilselevapour
allumer la télé tandis que jeme détendais un peu pendant ce bref instant derépit.
Chapitre14
StyxJ’ouvris brutalement la porte de mon cabanon et pénétrai dans ce grand
espace dégagé. Sur une chaise au milieu de la pièce était ligoté un grosskinhead.Ceconnardrelevalatêteetjepusvoirlestatouagesqu’ilportaitunpeupartout:SS,KKK,croixgammées…Desfilsdeputesdenéonazis!KyétaitderrièremoitandisqueViking,AKetFlammeétaientdéjààcôtédu
prisonnier,qu’ilsconsidéraientavechargne.Cederniernousobservaitàtourderôle.Jeretiraimachemisetoutenmedirigeantversmavitrineàcouteauxlorsquecepourridesuprématistedécidad’ouvrirsagueule.—Jeparleraipas!(Surveillantmesmouvements, ilécarquillalesyeuxen
mevoyantattrapermonpremiercouteau.)Écoute,mec, tupourras rien fairequim’obligeraàbalancer.Jeprisposémentmoncuirà rasoiretentreprisd’aiguisermoncouteaude
chasseBowie.L’acierfrottaitcontrelecuirépaisavecunraclementrégulier.—Hé,toi,aveclecouteau!C’estàtoiquejecause!Flamme,perdantpatience,luienvoyauncoupauvisagepuisluiattrapales
jouesentresesmains.—Ilparlepas!T’aspasentendulesrumeursdanstavilledepéquenauds?Jeposai lecuiretvinsmeplanterdevant lesalaudgonflédestéroïdesqui
avaitprislaviedeLoïs.Ildéglutit,etuneperledesueurcoulasursafigure.—LeMuetdesHangmen…,chuchota leprisonnier,comprenantsoudainà
quiilavaitaffaire.Jesourisenguisederéponse.Ehouais,c’estmoilefameuxMuet.La chaise se mit à osciller sous les gesticulations du nazi essayant de se
libérer. Je secouai la tête avec un petit bruit désapprobateur. J’approchaiencore,ilsefigea.Jesentisalorsl’odeurd’ammoniacdesapissequicoulaitsurlesol.— Eh ben, Prés’, ta réputation te précède ! s’enthousiasma Viking en
frappantdesmains.
AKetluis’esclaffèrentbruyamment.D’uncoupdementon,jefissigneàKydemerejoindre.Jefistournoyermoncouteaudansmamain.Pourdébuterlesréjouissances,
j’appuyaileboutdelalamesurlapoitrinedéjàdénudéedususpect,etmemisà graver le début de ce qui était devenumamarque de fabrique : un «H »couvrant tout le torse de mes victimes. Je déchirai la peau juste assezprofondémentpourcauserdesdouleurs terribles,maissansendommager lesorganesvitaux.Cegenredemaîtrisedemandeunegrandehabileté.Les cris d’agonie du nazi me faisaient bander. Je reculai un peu pour
admirermonœuvre.AK,justederrièremoi,produisitunsifflementbas.—Prés’,çac’estcequej’appelledel’art!Foudedouleur,leprisonniersedébattaitsurlachaise.Cefaisant,lescordes
épaisses et grossières qui le retenaient lui abrasaient les poignets,mettant sapeauàvif.—Jeparleraipas !cracha-t-ilavecunfortaccent texan.Si jeparle, jeme
feraiplanter,soitparvous,soitparmabande.Detoutefaçon,jesuisdéjàmort,jesais!Dans ce cabanon, la chaleur estivale était insupportable. Trois heures plus
tard, la résistance de ce connard commençait à s’émousser. Jusqu’à présent,tout ce qu’on avait réussi à lui soutirer, c’était que celui qui avait passé uncontrat pour l’attaque des Hangmen était nouveau. Il n’appartenait à aucungang,mafiaouclubdemotardsconnu.C’étaituncolblanc.UnrichequiavaitpromisdesortirleurGrandWizarddetaule(cebonàrienpurgeaitunepeinedevingtanspouravoirtuéunjuifquiavaitrefusédepayersonimpôt).Laquestioncrucialeétait:commentuncolblancavait-ileuconnaissancede
notreviréeetdesadestination?Ilfallaitqueceskinnousrévèled’oùvenaitlafuite.Kym’apporta une serviette pour essuyermon torse dégoulinant de sueur.
Monjeanétaitcouvertd’éclaboussuresdesang.Irrécupérable.Jeplaquaimescheveuxmouillés en arrière etm’avançai en souriant vers le prisonnier, quidéglutitdouloureusement.Deuxièmepartiedemasignature.—TuasentenduparlerdusouriredeGlasgow?demandamonVP.Lesuprématistehocha lentement la tête, lesyeuxagrandispar lapeur.Son
regardpassaitrapidementdemoiàFlamme,quis’agitaitàcôtédemoi,battantdesmainsetsetapantlecrânetantl’excitationétaitfortepourlui.Les narines du nazi frémirent lorsque je m’approchai de lui en faisant
tournoyermoncouteauBowieentremesdoigts.Jem’accroupisetsignai:—«Dernièrechancedebalancerlenomdeceluiquiaessayédenousbuter
aujourd’hui, sinon tu porteras un sourire permanent pour le reste de tapathétiquevie.»Kyluitransmitlemessage.—Jet’aidit,jesaispas!Mais…—Maisquoi?lepressaKyd’unevoixsifflante.—Onnousaditdepaspartirtantqu’ont’avaitpasbuté.Toiettesmeufs.Ilmeregardaitdroitdanslesyeux.Alorscommeça,unconnardvoulaitma
mort?Riendenouveausouslesoleiltexan.Parcontre,Loïs,tuerdesfilles?Nulnedéconneaveclesmeufsdesmotards,souspeinedeneplusjamaisvoirlalumièredujour.Flammepoussaunrugissementetbonditenavantpourplongersesongles
danslecoudenotreinformateur.—Oùsetrouvelabasedetafoutuebande?Lenazisecoualatête,levisagebaignédesueuretdelarmes.—Répondsoujet’arrachelabitepourtelafourrerdanslecul!—Un…un…garageabandonné…prèsduboulevarddel’aéroport.Flammese redressa enm’adressantungrand sourire. Jemedétournai, fis
craquerma nuque, puis fis volte-face,mon couteau parfaitement placé pourdécoupermacible.Leskinheadhurla.Iln’arrêtaitplusdecrier.Lachaisegrinçaitsurlesolen
béton, et lorsqu’elle tomba, la tête du prisonnier produisit un grandcraquement en rencontrant la surface dure. Flamme se mit à tambourinercontrelemur,prisd’unrirehystérique.C’étaitungrosmalade.Leshurlementsnes’arrêtantpas,Kys’avançaetcria:—Çasertàrien,personnet’entendàpartnous,saleraciste!Livide, agitant la tête d’un côté à l’autre, il murmura cependant quelques
mots,etjemepenchaipourentendre.—«Quoi?»signai-jeavantqueKytraduise.Lesjouesbéantes,lenaziposasurmoisonregardfiévreuxetlâchadansun
râle:—Lecolblanc…avaitunlien…aveclesénateurCollins.Je tournai immédiatement la têteversmonbrasdroit,quiquittaaussitôt la
salle de torture, le téléphone collé à l’oreille. Il appelait Tank pour récolterd’autresrenseignements.Je laissai tombermoncouteauet fis signeàFlammedeprendre la relève.
Puisjelelaissaifaireceàquoiilexcellait.VikingetAKrestèrentassisterauspectacle macabre. Pour ma part, je sortis du cabanon, avalai une grandebouffée d’air estival… et découvris Pit, l’oreille collée au mur en bois. Ilreculadèsqu’ilm’entenditsortir,maisjel’avaisvu.Jeplissailesyeux.—«Qu’est-cequetufouslà?»Pitdéglutitavecdifficulté,leregardfuyant.—Je…jesortaislapoubelle.Monregardfurieuxsuffitàlefairefilerverslaportedubaràlavitessede
l’éclair.Maisqu’est-cequeçavoulaitdire?Jemefrottai levisageetm’adossaicontre leboisdurducabanon.Putain.
J’aibesoindeMae.J’avais déconné. Dans les grandes largeurs. Alors que je plongeais mon
couteaudanscesalenazi,jenepensaisqu’àelle,j’étaisdéconcentré.Jevoulaisplusquetoutquecettepetitemerdequiavait tuéLoïs–etquiavaitessayédem’enleverMae – meure ; qu’on l’envoie au passeur, et à Hadès. Je voulaisvengerlamortdeLoïs.Jeneluiavaispasaccordégrand-chosedesonvivant,alors elle méritait aumoins cette attention. Justice serait faite. Ce salaud nequitteraitpaslecabanonvivant.Ensuite,nousallionsnousoccuperdurestedelabande.Aprèsunedernièregrandeinspirationpourmeremettre,jeprisladirection
dubar.Quandj’entrai,laplupartdesfrèresétaientdescendusdeleurchambreetPitétaitàsonpostederrièrelebar.Maisilévitaitmonregard.Jeserrailesdents. Il avait éveillé mes soupçons, mais pour l’instant, ça attendrait. Lajournée avait été catastrophique, les frères avaient besoin de se détendre. JecherchaiMaedesyeux,maisjenerepéraiquelatignasseblondedeBeautyetlacarruredecatcheusedeLetti.SansMae.Alorsquejemedirigeaisverselle,Kymerattrapa.—Tankesttoujourssurlaroute.Jevaiscontacternotrehommeaucabinet
dusénateur,pourvoircequ’ilpeutdéterrer.J’approuvai d’un bref signe de tête et il alla au bar, où sa chaudasse de
prédilection,Tiff,semitàmouillerrienqu’enlevoyant.Jenepusretenirunsourireamusé.Iln’étaitpasprèsdesetrouveràcourtdenanas.Quandj’arrivaiàleurtable,LettidonnauncoupdecoudeàBeauty,quime
sourit.Quelquechoseclochait.—«Jecroyaisquet’étaisfâchée?»Elleabandonnasonsourireforcé.—C’estlecas.
— « Ah ouais ? Alors pourquoi tous ces sourires ? (Je parcourusdélibérémentlasalleduregard.)EtoùsetrouveMae?»Denouveaucesourire.—«Quoi?»Unticnerveuxfaisaittressaillirmamâchoire.Arrivantderrièremoi,Kyme
passaunbrasautourducouetposabrutalementsabièresurlatable.—Pourquoivoustireztouslatronche?J’attrapaiBeautyparlebras.—«Tutecomportesbizarrement,çaveutdirequoi?OùestMae?»—AvecRider,lâcha-t-elled’unevoixbasse.Commedansunfilm,j’eusl’impressionquelamusiques’arrêtaitetquetout
sefigeait.Rider?Merde!—Onestalléesluirendrevisite,ilnousalaisséesresterunmoment,puisils
se sont mis à réciter des salades bibliques, et elle n’a plus voulu partir. Ilssemblentassezproches.Jefermailesyeuxtrèsfort.«Proches»?Rouvrantsoudainlespaupières,je
demandai:—«Pourquoiellen’apasvoulurepartir?»—Parcequ’elleveutpastecroiser!—Ohmisère,monpote,tuesleroidesembrouilles!s’esclaffaKyler.Jelebousculaipourmerueràtraverslapièceendirectiondelachambrede
Rider.Beautytentademeretenir.— Styx, attends. Ça ne va pas arranger les choses que tu déboules là-bas
danscetétat!Jelaforçaiàlâcherpriseetfisirruptiondanslachambre,oùilsétaientassis
côteàcôtesurlecanapé,riantdevantunemerdeàlatélé.Putain,Riderétaitàmoitiénu!Àmonentréefracassante,MaeetRiderseredressèrent,medévisageantd’un
airabasourdi.— « C’est quoi ce bordel ? » demandai-je en pointant sur eux un doigt
accusateur.RiderfitlatraductionpourMae,cequim’énervaencoreplus.— C’est pas ce que tu crois, mon frère, s’empressa-t-il ensuite de me
répondre.Trop empressé. Les yeux deMae brûlaient comme la glace.À cet instant,
elleétaitsibellequemapoitrinemefaisaitmal.Mais lorsque je remarquai qu’elle portait les vêtements de Rider, je
succombaiàlafureur.—«Ouais,etpourquoielleesticialors,avectesfringuessurledos,dansta
chambre!Seuleavectoi?»De nouveau, il joua les interprètes, malgré sa très mauvaise posture de
condamnéàmort.Maeselevad’unbondethurla:—Parceque…moi…jeneveuxpas…tevoir!Choquéparcetéclat,jemepassaiplusieursfoislesdoigtsdanslescheveux.—«Alors,quoi?TuvasêtrelameufdeRider,maintenant?»MaeinterrogeaBeautyduregard,etcettedernièreluitransmitàcontrecœur
cequej’avaisdit.— Ce n’est pas ça, répondit-elle sèchement. Je ne veux pas te voir pour
l’instant.Tum’asfaitmal,Styx.J’aibesoindeprendremesdistances.—«Trèsbien.Àconditionquetusoisdansmachambre.Situesdansmon
putaindeclub,turestesdansmaputaindechambre.Etc’estcommeça!Onyva!»En entendant Beauty répéter mes ordres à haute voix, je tendis une main
autoritaire vers Mae. Elle refusa de la prendre et regarda Rider d’un airchoqué.Cequim’énervapassablement.—«Toutdesuite,Mae!»ordonnai-je.Cette fois, la traduction n’était pas nécessaire. Je savais que je me
comportaiscommeunabrutipossessif…maislesregardsqu’ilséchangeaientnemeplaisaientpasdutout.—«Onaunproblème,monfrère»?signai-jeàl’intentiondeRider.—Aucunproblème.—Jeveuxresterici,décrétaMaed’unevoixposée.—«Pasquestion.»Rider,quin’enmenaitpaslarge,traduisitdenouveau.—Alorsjem’envais!Jemefigeai.ToutcommeRider,cequiachevadememettrehorsdemoi.
Pour la première fois depuis longtemps, je ne savais absolument pas quoifaire. Je voyais à son regard résolu qu’elle mettrait sa menace à exécution.Évidemment,jenevoulaispasqu’elleparte.C’étaitungrandclassique.Uneimpassemexicaine!—Ellepeutprendrelelit.Jedormiraisurlecanapétantquejenepourrai
pasrentrerchezmoi,proposaRider.—«C’estça,ouais.»Jefulminais.
—Qu’a-t-ildit,Rider?demanda-t-elled’unevoixoùlamenaceétaitàpeinevoilée.Elleavaitplusdecranquecequejepensais.—Iln’estpasd’accordpourqueturestesavecmoi,traduisitRideravectact.Elleplissasesyeuxbleuscommelaglace.—Accepte,oujepars.Jesuissérieuse,Styx.Jenepeuxpasresterdans la
mêmepiècequetoipourl’instant.Àtoid’assumercequetuasfait!Intérieurement, l’ironiede la situationme faisait rire– jaune.Lekarma…
unevraiesalope,pasvrai?—«Tusaisquoi,Mae?Faiscequi techante. (Puis jepointai l’indexsur
Rider.)Situlatouches,jetetue.»Mamenacelancée,jetournailestalons.—Tum’asfaitmal!lançaMaed’unevoixtremblante.Jem’immobilisai.—Tum’as fait culpabiliser… J’ai eu honte demoi…demonpassé…de
chosessurlesquellesjen’avaisaucuncontrôle.Jeme retournai lentement et sa souffrancem’atteignit en pleine face. Elle
était inscritesursonvisage,danssaposture.Seigneur…Maecroisa lesbras,baissalesyeuxetserassitsurlecanapé…justeàcôtédeRider.Mamâchoiresecrispaenlavoyantposerlatêtesursonépaule.Lui-même
semblait sous lechoc,maissousmesyeuxcetteémotioncéda laplaceàuneautre,biendifférente.Jem’avançaietposailamainsurl’épauledeMae.Elleseraidit,puisbougeal’épaulepoursedégager.—Va-t’en,Styx,murmura-t-elle.J’eusl’impressionquejemenoyais.J’étaisunimbécile.Jequittailachambre,comptantdissoudremonchagrindansmachambreen
compagniedecebonvieuxJimBeam…entenantàdeskilomètresdedistancetoutesalopeàmotardrépondantaunomdeDysonetprêteàmesucerlaqueue.
Chapitre15
StyxLoïs fut enterrée cinq jours plus tard : cercueil noir et chrome, pièces de
monnaiesur lespaupières, inhuméeàcôtédesafamilledanslecimetièreduclub.Unendroitquiseremplissaitbientropvite,cesdernierstemps.Chaque frère y assista, accompagné de sa régulière s’il en avait une.Mae
était présente également, au bras de Rider, l’aidant à tenir debout, s’agitantautourdeluicommeuneinfirmière.Jedusprendresurmoipournepasviderun9mmdanslecrânedeRider.Maismêmeunpécheurendurcicommemoisait respecter le service mortuaire d’une sœur. Mae resta stoïque, sous leregarddeRiderquil’observait,etmoijelesurveillaislui.Sonattentiondeplusenplusappuyéepourmameufm’étaitdeplusenplus
difficileàsupporter.Oui,n’oubliepas,merappelai-je.Maeestàmoi.Ilrestaitjusteàtrouverlemoyendel’enconvaincre.ParcequesijamaisellechoisissaitRiderplutôtquemoi,lesangallaitcouler–etceneseraitpaslemien.Deux heures après la cérémonie, alors que la nuit tombait, nous nous
rassemblâmestousdanslacourpourlaveillée.Lesbarbecuesétaientallumés,l’alcoolcoulait à flotset lesBlackSabbathbeuglaientHeavenandHell dansleshaut-parleurs.MaenequittaitpasBeautyetLetti,quis’étaientinstalléessurl’uniquetouffe
d’herbede lacour.Ellesétaientcommedessœurs, toutes les trois. J’enétaisheureux,elleavaitbesoind’amisendehorsdeRider.Leplusloinpossibledelui.Detempsàautre,Maemejetaituncoupd’œil.Sonregardétaitintense,mais
lachaleurquej’ylisaisquandellemeregardaitauparavantavaitdisparu.Sondésirétaitperceptible,maisladouceuretlajoies’étaientenvolées.Pourtant avecRider, elle était tout sourires. Et lui-même semblait changé,
portantsescheveuxlâchésdansledos,sanssonéternelbandana.Allezsavoircequiavaitinitiécechangementdelook,maistoutlemonderemarquaitqu’ilsetransformaitàvued’œil.Ilparlaitdavantage,semêlaitauxautres,exerçantsesnouvellescapacitéssurmapropriété,bordel!
Cinqjours.ÇafaisaitcinqjoursquejevoyaisMaeserapprocherdutoubibduclubseremettantdesablessure.Cinqjoursàhanter lecouloircommeunpervers, ravalant ma nausée chaque fois qu’il la faisait rire. Cinq jours decouilles prêtes à exploser et de gueule de bois, sans tirer mon coup. Je nem’étaismêmepasbranlé.Maisj’avaisforcésurlebourbon.Lanuitprécédente,jelesavaissurprisdanssachambre,assisl’unàcôtéde
l’autre,occupésàjoueràunfoutujeudesociété.Unbikerjouantàunjeudesociété,bordel !Cette imageauraiteudequoiprovoquer l’hilaritédeHadèslui-même. Ce n’était pas l’effet que ça me faisait. Rider lui enseignait lesrègles,l’accompagnaitàchaqueétapedujeu.Sonvisagedepoupées’animaitàmesurequ’elleencomprenaitmieuxlefonctionnement,exprimantlafiertédelaréussite.Unechoseétaitclaire:ellesemblaitheureuse.Etmoij’avaisenviedememettreuneballechaquefoisqu’elleluisouriait.
Cesourireparfaitqu’ellemeréservaitautrefois.Lesourirequej’avaiseffacéen essayant d’être respectueux.Et enme soûlant la gueule, et enme laissanthapperparl’aspirateuràspermequ’étaitDyson.Comme si ça n’allait pas assezmal, les nazis avaient disparu. Ils savaient
qu’undesleursavaitétépris,etqu’ilrévéleraitl’emplacementdeleurQG.LesHangmenavaientfaitunedescenteàcetendroit,armésjusqu’auxdents,prêtsàdescendreduskin,maisc’étaitunevillefantômequ’ilsavaienttrouvée:tablesrenversées, tiroirs retournés, tracesdepneussur la routedéfoncée.Pourtant,c’étaitclair :matêteétantmiseàprix,ondevaitabsolumenttrouverleurnidavant qu’ils repassent à l’attaque. J’avais trop gros à perdre, maintenant. Jen’étaispasprêtàbrûlerenenfer.Labièrecoulaitàflots.LeshommagesàLoïsfleurissaient.Laveilléesuivaitsoncours.Peuàpeulesmarquesderespectpournotresœurdisparuefirentplaceàla
débauche habituelle aux hors-la-loi. Ky et le trio de psychopathes donnaientl’exemple,buvantetforniquantsansretenue.Armé d’une bière, jeme rendis de l’autre côté de la cour etm’accroupis
prèsd’unebottedefoin,nonloind’unbrasero.J’attrapaimaFender,allumaiunecigaretteetlaissaimesdoigtscourirsurlescordes.BlueEyesCryin’intheRaindeWillieNelsons’élevadanslesairs.J’étaisperdudanslamélodie,lesflammesorangéessereflétantdansmesyeux,etlesmotssejoignirentbientôtàl’air.—«Somedaywhenwemeetupyonder
We’llstrollhandinhandagainInlandthatknowsnopartingBlueeyescryin’intherain…»Un dernier accord scella la fin dumorceau. Je jetai un rapide coup d’œil
pourvérifierque jen’étaispasen traindepleurnicherdevant tout leclub.Jefus soulagé de voir les frères rassemblés en petits groupes dans la cour.Certains étaient repartis chez eux avec leur famille, d’autres s’étaient misminables,etletrioinfernals’amusaitàtirerenprenantpourcibleunecanetteposéesurlatêtedePit.Lechaoshabituel.Maisj’avaisbeauchercherMaeduregard,jenelavoyaispas.Riderétaiten
compagniedeSmiley,avecquiilformaituntristetableau:ilstiraientunetêtedecentpiedsde long,à lamesurede leur tignasse.Mais l’attentiondeRiderétaitfixéesurunpointderrièremoi.Sourcilsfroncés,ilsemordillaitlalèvreinférieure.Ces temps-ci, iln’yavaitqu’unechosequi lemettaitdanscetétat.Enfin,uneseulepersonne.Jetournailatêteetvisavecstupéfactionunelonguemèchedecheveuxnoirs
fouetter l’air au coin du garage.Un instant plus tard, les yeux bleus deMaesurgirent de derrière lemur.Et sur ses douces lèvres roses, unpetit sourireadorable.Ellem’avaitécoutéchanter…encachette,encoreunefois.Maisellen’avaitpasvoulusignalersaprésence.Jemepenchaienavantetvisenfintoutsonvisage.Quandellecompritque
j’avaissurprissonmanège,sonsourires’évanouit.Elle se préparait à s’enfuir, mais d’un mouvement de menton, je lui
ordonnaidevenirversmoi.Jevissapoitrinesesouleveravecforcedanssarobelonguetrèsajustée,assortied’unevesteencuirquiluiallaitàmerveille.Beautyavaitbienchoisisagarde-robe.Elle prit une grande inspiration puis s’approcha prudemment, comme à
contrecœur.Elleseplantagauchementàcôtédemoi,setriturantnerveusementles doigts, le regard baissé. Bon sang qu’elle était magnifique ! Pas trèsgrande, parfaitement proportionnée, et la combinaison de ses interminablescheveuxnoirs,de ses lèvrespleinesetde sesyeuxbleus limpides…Pasuneseulefaussenote.M’assurantqu’iln’yavaitpasd’oreillesquitraînaientalentour,jetapotaila
balle de foin. Après un bref coup d’œil en direction de Rider, ses épaulestombèrentetelles’assitàcôtédemoisur lameuleenpoussantunsoupirde
défaite.Pendantunmoment,aucundenousneparla.Maeregardaitlesarbres,etmoi
je levais les yeux vers elle. J’essayais de trouver un plan pourme racheteraprès m’être comporté comme un connard. J’avais la gorge serrée et lesmâchoires verrouillées. Je voulais me détendre, mais je n’étais plus qu’unebouledenerfs.Maepoussaunlourdsoupir.Sonregardalternaitentre lesflammesetmes
yeux.Enfin,ellebrisalatensiongrandissante.—Le service était très beau, Styx. Je n’ai jamais vu des funérailles de ce
genre.Lepasteuraparléavecbeaucoupderespectdelapersonnequ’étaitLoïs.Tuasbienfaitdeluiparlerdesesqualités.Jecroisquej’auraisaimémieuxlaconnaître.Jenepusquehocherlatête.C’étaitpeut-êtredégueulasse,maisjenepensais
pasdutoutàLoïs.ToutesmespenséesétaienttournéesversMae.Maeàcôtédemoi.Chaudecommelabraise.—Quandquelqu’unmourait,danslacommunauté,onl’oignaitd’huileeton
l’enterrait, sans cérémonie. Nous croyions que la personne rejoignait leSeigneur,doncselamentern’étaitpasnécessaire.MaisjepensequeLoïsauraitété heureuse de voir le service qui a été organisé pour elle.Nous lui avonsrenduhommagecommeilsedoit.Chaqueêtrehumaindevraityavoirdroit.Je fermai un instant les yeux, ravi de voir qu’elle ne me faisait plus la
gueule. Je passai un doigt le long de samain pâle. Elle s’immobilisa etmeregardafaire.Puislevatimidementlatêteàlarencontredemonregard.—J-j-j’aidéconné,M-Mae.D-d-danslesg-g-grandeslargeurs.Le bruit de son inspiration rapideme fit lever la tête. Elle avait les yeux
brillants,dardéssurlefeu,seslèvresétaientpincéesetlivides.—M-Mae,regarde-m-m-moi.Elleessuyadiscrètementseslarmesetobtempéra.—J’aimerdé.Elleprituneautregrandeinspirationetposalesdoigtssurmeslèvres.—Taparoleestplusfluide.Surpris,jereculai.—Vraiment?—Oui, tu semblesmoins… tendu. Tes yeux sont plus calmes et tesmots
viennentplusvite.Jeramenaimescheveuxenarrière.Monautremainétaittoujourscontrela
sienne.
—Nosconversationsm’ontm-m-manqué.Tesregardsm’ontm-m-manqué.C’estp-p-peut-êtrepourça.Ellerougitlégèrementetmurmura:— Toi aussi tu m’as manqué. Énormément. J’ai l’impression que tu me
manques tout le temps.Quand j’étais enfant, après notre première rencontre,quand tu es parti en livraison pendant unmois…quand tu as pris une autrefemmeàmaplace…—Non,j’aim-m-merdé,Mae,répétai-je.V-v-vraiment.Elleserramamainetmurmura:— Tu m’as fait souffrir. Et j’en ai tellement marre que des hommes me
fassentsouffrir.Jem’approchaiunpeuplus,caressaisalourdechevelureetportaisamainà
meslèvres.Délicatement,jel’embrassai.—T-tumep-pardonnes,bébé?Elle ferma lesyeuxetposa la tête surmonépaule.Dieuquec’étaitbonet
parfait…—Jetepardonne.Jetepardonneraitoujours.— Bébé, murmurai-je, le cœur cognant lourdement contre ma cage
thoracique. Jen’aip-p-pas touchéD-Dyson.Elle s’estd-donnéeen spectacle,maisj-jep-pouvaispas…J’étaisivremort,j-je…—Jesais.BeautyetLettim’ontdéjàexpliquéça,m’interrompit-elle.—Mae.Cesoir-là…(Jefermailesyeuxetprisunegrandeinspiration.)Les
ci-cicatrices…(Sesyeuxétaientimmenses,d’unbleusipur…Jelamettaismalàl’aise.)J-jen’aipassuc-c-commentréagir.J’aieul’impressiond’êtreun…unv-v-violeur,enmejetantsurt-toic-commeça.Loïsvenaitd’êtret-t-tuée.Tuaurais p-p-pu m-mourir. Je n’ai pas géré c-c-comme un p-président doit lefaire.Jemepassaiunemainsurlecou.—Jev-v-venaisdeteretrouver.J’aiessayéder-resteràl’écart,def-f-faire
cequ’ilfallait.Parcequejenesuisp-pasassezbienpourtoi.Maisbordelj’ait-tellement envie de t-t-toi que j’étouffe. Je ne peux p-p-plus te repousser. Jedoist’avoirprèsdemoi.Aprèsunsilenceinterminable,Maeserramamaindanslasienneetparla.—J’avaishuitanslejouroùnousnoussommesrencontrés,tusais.Sous le coup de la surprise, je sursautai. Jusque-là, nous n’avions pas
beaucoupparlédupassé.Merde,onn’avaitpasparlédegrand-chose.Parmafaute,carjel’avaisrepoussée.Jesavaisqu’elleavaitfuiunesectequelconque
terréederrièrecetteclôture.Jenesavaispasexactementpourquoinicomment,mais vuqu’elle n’enparlait jamais, jemedoutais que c’était une expériencenégative.Etbiensûrilyavaitcescicatricesrévélantdesviols…Maeregardaitlesflammessanslesvoir.Elleglissalentementverslesolà
côté de moi et s’adossa à la balle de foin. Je l’attirai vers moi, entre mesjambes, le dos contre ma poitrine. J’avais l’impression qu’elle allait avoirbesoindemonsoutienpourraconterceshorreurs.Elle respirait bruyamment. Je remontai ses longs cheveux noirs pour lui
embrasser le côté du cou. Elle tremblait dans mes bras. Puis elle soufflalentementparlenez,cequisemblalacalmer.—J’avaisd-devinéquetud-devaisavoird-danscesâges-là,répondis-je.J-
j’avaisonzeans.Elleselaissaallercontremontorseetsoupira.—Je…jevenaisdeprendrepartàmapremièrecommunionentrefrèreset
sœurs.Etstupidement,j’avaisrésisté.Maisj’étaissijeune,siterrifiée.J’avaisessayé de me débattre quand on m’avait obligée à me positionner sur lematelas après avoir arrachéma robe. Onm’amis le ressort denté entre lesjambespour…(ellemejetauntimideregardavantdebaisserlesyeux,gênée)pour maintenir mes jambes… bien écartées, pour le disciple. Il s’appelaitJacob.Àpartirdecejour-là,cefutpresquetoujoursluiquimechoisissait.Ilavait la trentaine à l’époque. Lors de cette première fois – mon « Éveil »comme ils disaient – j’ai lutté jusqu’au bout. Ils ont brisé ma volonté. Engrandissant,jesuisdevenue…insensibleàcesactes.Tremblant de rage, je serrai la taille de Mae. Un homme de trente ans
tringlant une fillette dehuit ans dont le sexe innocent était ouvert de force àl’aided’unesortedepiègeàours?Cesfilsdeputesétaientdegrandsmalades.Quel genre de pervers fait ces choses à une enfant ?Des attardés de fils deputes,cesgens.—B-bébé,tuest-t-traindem-m-medirequetuasétév-v-violéeàhuitans?—Oui.Etensuitej’aicourudanslaforêt.Ilfallaitquejem’éloignedetout
ça. Jene comprenaismêmepas cequim’était arrivé.Avant ce jour-là, jenesavaispascequ’était le sexe.Nousétions tenuesà l’écartdesgarçonsetdeshommes, nous vivions dans des bâtiments distincts. C’était une sacréeintroductionà lavieavec lesexeopposé. Jevoulaismouriràcemoment-là,Styx.J’avaismal,etj’avaishonte.Elle pivota sur elle-même pour me caresser la joue de sa main douce et
tremblante.
—Etc’est làque je t’ai rencontré.Tum’asfait toutoublier, l’espaced’uninstant.Tumefascinais,tonvisagem’enchantait,j’étaisobnubiléepartoutetapersonne : tes vêtements, tes yeux noisette. Je n’avais encore jamais vud’étranger.Onm’avaitapprisàcroirequelesgensdudehorsétaientmauvais,mais quand je t’ai vu, essayant de communiquer avec moi, essayant dem’aider… tu avais plutôt l’air d’être mon sauveur. Ce jour-là tu m’assauvée. Je n’ai jamais parlé de toi à quiconque,mais je pensais sans cesse ànotre rencontre. Tu étais souvent présent dans mes rêves. Tu étais monréconfort, la preuve qu’au-delà de la prison dans laquelle j’étais retenue,l’espoirexistait.J’avaisobservéteseffortspourmeparler,lesdifficultésqueturencontrais.Celametroublaiténormément.Jelaissaiéchapperunrirebref.—Tup-parles!Jep-p-parlaisp-p-presquepasàl’époque.Lesd-deuxseules
p-p-personnesàqu-quij’avaisadressélap-p-parole,c’étaientK-Kyetmonv-vieux.Maisen t-tevoyant là, rouléeenb-bouledans t-ta robed’amish,enp-pleurs…çam’ap-pousséàp-parler.T-tesbeauxyeuxm-m’ontfaitc-craquer.(L’adorablemouedeMaesechangeaenuntimidesourire.)C’estt-toujourslec-cas.Çaaétéunet-torturequet-tumef-fasseslagueulet-toutcet-t-temps.Maisilfallaitquejeluiposelaquestionquimebrûlaitleslèvres,illefallait.—TuesattiréeparR-Rider,M-Mae?T-tuled-désires?Elleseredressa,choquée,laboucheouverte.—Cen’estpasça!Riderestunbonami.Ils’esttoujoursmontrégentilavec
moi,etilarisquésaviepourmesauverdansleparc,bonsang!Ilm’asauvéla vie, il s’est pris une balle pour ça. Et il comprend la façon dont j’ai étéélevée.Jel’aimebien,c’estunhommebonethonnête.—Tuluiasp-p-parlédetonp-p-passé?—Non!Tuconnaislaplusgrandepartiedemonhistoire,maintenant,Styx,
mais lui comprend les textes sacrés auxquels je doisme conformer – selonlesquelstoutlemondedevraitvivre.Rideraussiasuivicespréceptes,jecrois.Il m’aide à comprendre le monde dans lequel nous vivons… ce club… etmêmetoi,tonrôledeprésident,cequetudoisfairepourprotégerlesfrères.Elleme caressa la joue, etmabarbe de trois jours crissa sous ses ongles
courts.—Cequ’ilfautquetucomprennes,Styx,c’estquelavieici,endehorsdela
communauté, est très déroutante pour moi. La plupart du temps, je necomprends pas de quoi les gens me parlent. Je souris et hoche la tête, enespérant qu’ils ne se rendent compte de rien. Je ne connais pas tous les
appareils modernes qui pullulent dans votre vie quotidienne. Et je necomprendsabsolumentpaslesrèglesetlecomportementdeshommesdansceclub.Votre façondeparler entre vous, et aux femmes,me semblemauvaise.Parfoisçamefaitpeur.Ridercomprendmafoi.Non,monanciennefoi.Jenesaisplusbienenquoijecrois.Ridernemepoussepasàêtredifférentedecellequejesuis.Ils’estvraimentbienoccupédemoientonabsence.Quandtum’asconfiéeàlui.J’admetsquejel’aimebien.Ilestmonamileplusprocheici.Jene renonceraipasvolontairement à cette amitié,Styx…J’ai… j’aibesoindelui.Je sentis soudainunvide au creuxdemonestomac : je ne savais rien sur
elle.Et je n’étais pas sûrd’être à l’aise avec le fait qu’elle soit si prochedeRideralorsqu’elledormaitdansmonlit.J’étaispossessif,pastrèsportésurlepartage.Maisc’étaitmoiquilesavaispoussésl’unversl’autre.Jeméritaisdeme prendre un pruneau dans le cul pour avoir été aussi stupide. J’aurais dûprévoirqueRidertomberaitsouslecharme,c’étaitévident.Maeétaitparfaite.Ilétaitclairementtrèsépris,etilconstituaitunmeilleurchoixquemoi,c’étaitcertain.Çanevoulaitpasdirequej’abandonnaisl’affaire,malgrétout.Pasquestion!Maetoussotaetsesgrandsyeuxbleusselevèrentversmoi.—Jen’aijamaisaiméqu’unseulgarçondansmavie.Jen’aijamaisvoulu
qu’unseulhomme.Jen’aiqu’unseulrêvedepuismeshuitans.Styx,monrêve,c’est toi. Tu as volémon cœur il y a quinze ans, et tu neme l’as pas rendudepuis.—B-bébé,murmurai-je,lecœurbattantlachamade.Jeposailesmainssursonventrepuislesfisremonterlelongdesontorse.
Sarespirationhaletantelorsquejenichaimonnezdanssoncoumefitsourire.Puisjelaissaicourirmesdentssursapeaunue.Jecollaimeslèvressursonoreilleetchuchotai:—J-jetev-veuxaussi.M-m-merde,jeveuxquet-t-tusoisdansm-monlit,
avecm-moi, surm-m-mam-moto. Je v-veux que t-tu soisma r-r-régulière.Qu-quetup-p-prennessoindem-moi,qu-quetuaiesb-besoindemoi…quet-tumelaissesv-venirent-toi.Elleretintuninstantsonsouffle,maislelongsoupirdesoulagementqu’elle
poussaensuiteétaitsignificatif.Ellevoulaitçaaussi.Elleposalatêtesurmonépaule,toutcontremoncou,puispassaunemain
derrière ma tête pour jouer avec mes cheveux. Bon sang, je me sentais
carrément heureux.Malgré tout ce qui menaçait le club – l’affaire avec lesRusses, lafusillade, ledécèsdeLoïs,uneballedanslecrâne,et lesnazisquinoustraquaient–,j’étaisheureux.Pourlapremièrefoisdepuisquemonvieuxétaitpartil’andernier,jemesentaisbien.Maeétaitàmoi.Quinzeansàsouhaiterqueçaarrive,etvoilàqu’elleétaitlà,
lovéedansmesbras.Unangeenenfer.—Styx?demandaMaealorsquejelaserraiscontremoi.—Mmm?murmurai-jeenluiléchantlepourtourdel’oreille.J’adoraissentirsonventrecontractéparledésir.— J’aimais beaucoup ce que tu as joué.Quand tu chantes en jouant de la
guitare… eh bien je crois que c’est ce que je préfère.Dans la communauté,nous n’avions pas le droit d’écouter de musique. Mais quand nous étionsenfants,nousavons trouvéunvieuxpostede radiodans la forêt,masœuretmoi.Nousavons réussi à l’écouterpendant trenteminutesavantqu’ungardenous surprenne. Il l’a confisqué. Mais je n’ai jamais oublié le son de cesmélodies, la poésie des paroles. Le prophète David a fait paraître un ordred’interdictionpeudetempsaprèspourinterdirelamusique.Ilprétendaitquelediable pouvait s’adresser à nous par ce biais. (Elle laissa échapper un rireincrédule.)Etjel’aicrusansdouteruninstant.Aprèstout,ilétaitl’envoyédeDieu sur Terre. Pendant des années je me suis inquiétée d’être devenuemauvaiseparcequej’avaisétéenchantéeparlamusique,etqueleMalinavaitessayédeme tenter.Maintenant je penseque c’était unmensonge.En fait, jecommenceàpenserquetoutceàquoij’aicrutoutemavieétaitmensonger.Jenesuismêmepluscertainequ’ilyaitunDieu.Jemedemandesilareligionnesertpasqu’àcontrôlerlesgens,pourqu’unpetitgrouped’individusobtiennecequ’ilveut.Ellesoulevamamainetexaminamesdoigts.—Mais quand je t’entends jouer… c’est si pur, si sincère… ça te libère.
C’estlorsdetelsmomentsquejecroisquelavieestplusvastequecequej’enai connu pour l’instant. Je ne peux croire que quelque chose de si beau soitmauvais.Grâceàtoi,jeretrouvemafoi.— C’est le s-s-seul m-moment où je p-p-peux bien p-p-parler. Quand je
chante, je ne ressens p-p-pas la p-p-pression. J’y trouve la p-p-paix. (Ellesourit,etjefrôlaiseslèvresaveclesmiennes.)Ç-çaett-toi.Qu-quandj’essaiede p-p-parler aux gens, m-mon esprit se p-paralyse, mais avec t-toi, ma g-gorges’ouvreetlaissep-passerlesmots.Elleexerçaunepressionsurmamainetdit:
—Tuasunebellevoix,j’aimeraisbiensavoirjoueretchantercommetoi.JeprismachèreFendersurmagaucheetlaposaisurlesgenouxdeMae.—Entendu.Elletournalentementlevisageversmoi,sourcilsfroncés.—Quoi?—T-toi.Jouerdelagu-guitare.Jet’apprendrai.—C’estvrai?demanda-t-elle,levisageilluminéparl’exaltation.—Mm-hm.(Jepositionnailemanchesursagaucheetplaçaisesdoigtssur
lescordes.)Ç-ça,c’estunaccord.Guidantsamaindroite,jeluifisgratterlescordespourproduireunaccord
ensol.Ellerencontramonregardensouriant.—D’accord,continue!Jedéplaçainosdoigtssurlatouchejusqu’àlapositionsuivante.—Accordderé.LesépaulesdeMaetressautaientd’excitation.Moncœursegonfladejoie.—Apprends-moiunechanson.—La-laquelle?Sonsourires’évanouit.—Je…jeneconnaispasdechansons,jenesaispasquoisuggérer.(Soudain
son sourire irrésistible réapparut.) Celle que tu jouais au bar quand je suisarrivée.Jeveuxapprendrecelle-là.Jereplongeaidansmessouvenirsetsourisd’unairnarquois.—T-t-tuaimesTomWaits?Sonairravimedonnalaréponse.Jeluifisunbaisersurl’épaule.—T-toi,t’esunem-meufàmong-goût.—Joue-lad’abord.Montre-moicommentfaire.Jeposaismesdoigtssurlesbonnescordes,lorsqu’ellem’interrompit:—Etchante,aussi.Jeveuxentendretavoix.Je hochai la tête et, les yeux dans ses yeux, je jouai l’introduction, et
fredonnailespremiersmotsàsonoreille.—«AndIhopethatIdon’tfallinlovewithyou,‘causefallinginlovejust
makesmeblue…»Je l’aidai à placer sesmains comme lesmiennes, et quand elle fut sur le
pointdejouer,jeluiglissai:—Etch-chanteaussi.Jev-veuxentendret-tav-voix.Ellelevalessourcils.
—Jenesaispaschanter!Jenepusm’empêcherd’éclaterderire.—Biensûrquesi!—Mais…Jeluijetaiunregardsévère.Ellesecoualatêteensouriant.—D’accord.—J-joue.Mesmainsau-dessusdessiennespourlaguider,ellejoual’introduction,un
peuguindéeethachée,maisjel’aidaiàpoursuivreetenarrivantauxparoles,ellemeregarda,unpeunerveuse.—«AndIhopethatIdon’tfallinlovewithyou,‘causefallinginlovejust
makesmeblue…»Ohmerde. Elle était belle, intérieurement et extérieurement, y compris sa
voix douce et voilée. Le souffle coupé, je lui lâchai lesmains.Aussitôt elles’interrompitengrimaçant.—C’étaitvraimenttrèsmauvais?medemanda-t-elle.Jedéglutisavecdifficultéetsecouailatête.—C’étaitp-parfait,p-poupée.Je retirai la guitare des genoux de Mae et lui pris le menton entre mes
doigts,attirantsonvisageversmoi.—Styx?susurra-t-elle,sonregardunpeuvitreuxposésurmeslèvres.Je refermai lespoings sur ses cheveuxet l’attiraiversmoi. Jevoulais ses
lèvressurlesmiennes.—Mae?Quelqu’unl’appelaitparsonnom.Gênée,Maeécarquillalesyeuxets’écarta
un peu de moi pour voir de qui il s’agissait. Rider se trouvait à quelquesmètres de nous. Il se tenait l’épaule comme pourmontrer qu’il avaitmal etnous regardait.Mae recula un peu.Quant àmoi, jeme relevai d’un bond etfonçaiendirectiondeRider.—Styx!Non!criaMaederrièremoi.Nousétionstorsecontretorse,Rideretmoi,jemontrailesdents,deplusen
plus énervé. Il neme regardamêmepas, uniquement focalisé surMae. Il nemontraitpaslemoindresignedecraintepourcequ’ilpouvaitluiarriver.—«Regarde-moi,bordel!»J’agitaislesmainsjustedevantsonnez.—Tuesprêteàrentrermaintenant,Mae?Jesuisfatigué,jeveuxmepieuter.
Ilparlaitavecdétermination,faisantcommesijen’existaispas.Sansmêmecomprendre ceque je faisais, je plaquaimespaumes contre sapoitrine et lepropulsaiquatremètresenarrière.—Putain!siffla-t-ilengrimaçant.Cherchant à rétablir son équilibre, il tenait sonépauleblessée.Alors ilme
voitmaintenant,leconnard?—Arrête,jet’aidit!Mae fit irruption devant moi, me repoussant, les mains sur ma poitrine
frémissante.Jevissonregardsuppliant.—Jet’enprie…ilestblessé.Neluifaispasdemal.Puis elle s’éloigna de moi pour courir aider Rider à se redresser. Elle
s’agitaitautourdelui,letouchait,etluichuchotaitàl’oreille.LeregardtendudeRiders’adoucitetilpassasonbrasvalidesurceluideMae.Jelesrejoignis,envisageantsérieusementdeluiarracherlebras.Jeremarquaiàpeinequelesautresfrèrescommençaientàseleverentitubantpourassisterauspectacle.— Qu’est-ce qui se passe, Mae ? demanda Rider d’une voix basse en la
regardant comme si c’était à son bras et dans son lit qu’elle aurait dû setrouver.Ilpeuttoujoursrêver.—Je…(Ellemelançaunregardinquiet.)Je…—«Elleestavecmoi.Ellem’appartient.»Cette fois, il futattentifàchacundemesmots. Jevisalorssonexpression
changer, laissant transparaître une émotion intense que je ne le pensais pascapabled’éprouver.—Ilditvrai,Mae?MaisMaenesavaitpascequej’avaisdit.J’essayaideparlerdevantRider,
maismamâchoiresecrispaetjenepussortiraucunmot.Àcetinstant,jemedétestaid’êtreaffublédecedéfautd’élocution.Jeclignaidesyeux,redoublantd’efforts,maisseulungrognementsifflantsortitd’entremeslèvres.—Iladitquetuétaisàlui.Ilprétendquetuessapropriétémaintenant.Est-
cevrai?demanda-t-ild’untoncrispé.Maejetauncoupd’œilpar-dessussonépaule,etesquissaunsourire.—Est-cevrai?insista-t-il,d’untonplusdurcettefois.—«Tudoutesdemaparole,monfrère?»signai-jeàtoutevitesse.Enguisederéponse,Riderserraleslèvres.Maeluisaisitlamain,mettantun
termeauregardnoirquemelançaitmonfrère.—Onaparlé,pours’expliquer,luidit-elle.
—C’estvrai?répliqua-t-il.—Rider.Regarde-moi.J’observaisontorsequisesoulevait,sesyeuxplissésbraquéssurmoi.Iln’y
avait encore jamais eu de friction entreRider etmoi,mais au sujet deMae,c’était laguerreouverte. J’avançaid’unpasetme retrouvaicontre ledosdeMae,àquelquespasdeRider.Elleplaquaunepaumesurchacundenous.—Rider!Regarde-moi!Poussantunsoupirexagéré,ilreportatoutesonattentionsurelle.—Tu esmonmeilleur ami.Ne te comporte pas comme ça. Sois heureux
pourmoi.Levisagedécomposé,ilsoupira:—C’estluiquetuveux?—Il a toujours été celuique jevoulais. (LamaindeMae surmapoitrine
relâchaunpeusapression.)Luiet luiseul.C’estStyx.CeseratoujoursStyx.(EllesetournapourprendrelesdeuxmainsdeRider.)Maisj’aibesoindetoiaussi…Tucomptesbeaucouppourmoi.Rider parut regarderMae pendant une éternité, puis il lui adressa un bref
signedetêteetsemitàreculer.Ellel’appela.—Rider,s’ilteplaît!Il finit par tourner ledos àma femmeetpartit en trombevers la salledu
club,horsdenotrevue,laissantMaeplantéelà.Les frères faisaient cercle autourdenous, éberlués.VikingpointaMaedu
mentonetrit.—Eh,meuf, t’as des nichonsqui donnent de la bière ouquoi ?Pourquoi
Prés’etDoc’sebattentpourtonpetitculpâlichon?KypassarapidementàcôtédeViking,luidécochantundirectàlamâchoire.—Tagueule,Vik.Par-derrière,jevinsattraperMaeparlecouetchuchotai:—V-v-viens.T-tuesavecm-moi.Àcontrecœur,elledétournalatêtedelaportederrièrelaquelleRideravait
disparu.Jelaprisparlesépaulesetpassaidevantlesfrères.Kysecoualatêtesurnotrepassage,unsourireentenduaux lèvres. J’imagineque j’avaisenfinobtenusonapprobation.—Elleestàtoi,Styx?demandaBeauty,quiétaitaubrasdeTank.Cederniermelançaunclind’œil.—«Maeestmafemme,mapropriété.Faites-lesavoir.»D’unairravi,Beautys’empressadetraduirepourtoutlemonde.
—C’estpastroptôt!criaAKdansnotredos.Des vivats et des sifflets suivirent, accompagnés du fracas de bouteilles
jetéesausol.JefisentrerMaeparlegarage,puismonteràmonappartementparl’escalierdederrière.Enentrant,ellefitremarquer:—Retouraupointdedépart.Jel’attrapaiparlecouetrépliquai:—T-tun’auraisj-jamaisdûp-partir.Elle ôta sa veste en cuir, la posa sur le fauteuil et se laissa tomber sur le
coussinuséposéausol.Jevinsm’accroupirprèsd’elleetprissonvisageencoupe.Elleétaitauborddeslarmes.—Çav-va?Jem’efforçaisdenepaslaisserparaîtrequejem’inquiétaispourelle.—Ilavaitl’airvraimentblessé.Ellereniflaets’essuyalesyeux.Lesmâchoirescrispées,j’étaisassezénervé
qu’ellesoitsicontrariéeausujetdeRider.Jemelevaietluitendislamain.—Enfilet-t-toncuir.Ellelaissaéchapperunrirebref.—Oùonva?—Dehors.Sonairjoyeuxs’évanouit.Jehaussailessourcils,surpris.—Mescuirs…ettoutesmesaffaires…sontrestésdanslachambredeRider.Jemetournaiverslaporte,maisMaemeretintparlebras.—J’yvais.—Certainementp-pas!—Styx…—Jev-vaislesch-chercher.P-pasded-discussion.Jeme penchai pour poser un rapide baiser sur ses lèvres. Elle poussa un
gémissement rauque et enroula sesmains dansmes cheveux en se collant àmoi.Sespetitsseinsdresséspressaientcontremontorse.Jeplaquailesmainsdanssondos,puisdescendis,devinantsapeausous le tissufindesarobe,etj’arrivai bientôt à ses fesses fermes et rebondies, laissant échapper ungémissementcontresabouchealorsquemonsexesedressaitdansmonjean,appuyantsursonventre.Recouvrantmesespritsavantde laprendreviolemment sur le litdéfait, je
brisai notre étreinte et posai mon front contre le sien. Rougissante, horsd’haleine,MaereculatandisquejemedépêchaidedescendreversleclubpourrejoindrelachambredeRiderenrangeantmonérectionpourplustard.
Je tambourinai à saporte, puis, fautede réponse, actionnai lapoignée.Enentrantdans lapiècesombre, jeneremarquaipas toutdesuiteRidersursoncanapé,serrantunebouteilledePatrón.JemedirigeaiimmédiatementversleplacardpourarracherleshabitsdeMaeauxcintres,lesfourrantdanssonsacposéausol.M’étantassuréquesa tenuedecuirétait sur ledessus, je tirai lafermetureàglissièreetmeretournaipourpartir.C’estalorsquejevisRiderbuvantlatequilaaugoulot,sonregardvidebraquésurmoi.Je calai la lanière du sac sur mon épaule et m’apprêtais à le dépasser
lorsqu’ilmarmonna:—Tun’espasassezbienpourelle,tusais?Jepilainetetrevinstroispasenarrière:—«Ettoitul’es?»Soussabarbesombre,unsourireauxdentsblanchesapparut,grimaçant.Il
haussalesépaules.—Putain,non.Yenapasunseulici.Elleesttropbienpourtousceuxdece
clubpourri.Maisjelacomprends,çaoui,Prés’.Jelaconnais.Etjeteconnaistoi.Tuvas labaiseretpuis luibriser lecœuren la laissant tomber.RegardeLoïs, elle a été malheureuse toute sa fichue vie, et maintenant elle est avecHadès… à cause de toi. Tu lui as laissé croire qu’elle serait un jour tarégulière.Alorselleestrestéelà,àgâchersontemps.EtpuisMaearriveettutecomportescommeunconnardavecLoïs,puisavecMae,etaveccettetraînéedeDysonenplus!Elleméritemieuxquetoi.Ellevautmieuxquenoustous.Jemejetaisurlui,l’empoignantparsavesteencuir,meretenanttoutjuste
deleplanteretdepisserdanssaplaieouverte.Lorsquejelerepoussaicontrelecanapé,ceblaireaun’essayamêmepasdeprotégersonbrasblessé.—«Maeestàmoi.C’estpastesoignons.Commentjegèreetcequ’onfait,
ça te regarde pas. Quant à Loïs… si tu mentionnes encore son nom, jet’arrachelalangue.Situveuxgardertonécusson,tuferaismieuxd’apprendreàmerespecter.»Poursoulignermespropos,j’envoyaiuncoupdepoingsursonécussonde
RoadCaptain.Rider se redressa commeun ressort et envoya sa bouteille sefracassercontrelemur.L’alcoolgiclaàtraverslapièceetleséclatsdeverrefusèrent.C’étaitlapremièrefoisquejelevoyaisperdresonsang-froid.—Si,çameregarde!Depuisquetumel’asconfiée!Quandtunevoulais
pas qu’elle contrarie tes projets !Et voilà qu’après des semaines à la traitercommedelamerde,elletombedanstonlitcommesiderienn’était.C’estuneputaindeplaisanterie,elledevraitêtreavecmoi!
—«Pourquoi?Parcequet’étaisunfanatiquequandt’étaispetit?C’estpasparcequetusaisréciterlestrucsqu’elledétestemaintenant,cesconneriesquiluiontgâchélavie,qu’elleestfaitepourtoi.»Jem’avançaipourêtrenezànezaveclui.Ilempestaitl’alcool.—«Toietmoi,monfrère,onn’aaucunproblèmetantquetut’approches
pasd’elle.Maeveutque tu sois sonami.Pasmoi.Soigne-toi, fais leboulot,maissituchercheslesembrouillesavecmameuf,jeréfléchiraipasàdeuxfoisavantdetecouperlagorge.»Complètementivre,ilmeritaunez.—Ouais, elle a trouvé sonprincecharmant, c’est tout toi,Prés’ !Elle est
superbe,maisjecommenceàcroirequ’ellen’aaucunejugeote.Je vis rouge. Prenant de l’élan avec le bras, j’envoyai un coup de poing
fracassant dans la mâchoire de Rider. Tandis qu’il s’affalait sur le canapé,j’attrapailesacetsortisdelachambre.Arrivéàmesappartements,jejetailesacsurlelit,cequisurpritMae,quise
dressadufauteuil.—J-jev-vaisdehors.Rejoins-m-moidanscinqmi-minutes.Elleréponditd’unsignedetêteetjemedirigeaiverslacourpourdémarrer
maHarley.J’avaisunputaindebesoinderouler.
Chapitre16
StyxExactement quatre minutes plus tard, Mae émergea dans la nuit chaude,
mouléedanslecuirnoir.JeserraileguidondemaFatBoy,cequifitgrincermesgantsdemoto.Seslongscheveuxnoirsétaientrassemblésenunetresseetelleavaitauxpiedsdesbottinesdecow-boynoiresàboutrondtrèsbadgirl.Elleavançadequelquespasversmoietécartaunpeulesbras.—Tuenpensesquoi?Jeprisentremesdentsmalèvrepercéeetluisourisenhochantlentementla
têted’unairappréciateur.JerelevailabéquilleetplantailespiedsdanslesoltandisqueMaes’installaitderrièremoi,enroulantaussitôtsesbrasautourdemataille.Jefermaiuninstantlesyeux,etlaissailentementl’airs’échapperdemabouche.C’étaittoutbonnementparfait.Elleétaitàsaplaceàl’arrièredemamoto.EtçametuaitdelavoircommeçaavecRider.Plusjamais.Surmamoto,ousuraucune.Je déclenchai la télécommande du portail et la grande grille métallique
s’ouvrit,nouslaissantsortirduQG.Labrisedoucemefouettaitlevisage.Maeenfouit sa tête dansmaveste, se serrant contremoi. Je savais exactement oùl’emmener.Enpassantdevantlesdeuxagentsdel’ATFquiétaientpostésenpermanence
pour nous surveiller, je leur fis un doigt d’honneur, et je sentis Mae quigloussaitcontrel’appliquéreprésentantHadèsdansmondos.Àmesurequejeroulais sur les petites routes dégagées, j’étais capable de respirer, de meressourcer, me relaxer. J’avais toujours aimé être sur la route : pas depression,pasd’attentes,personneàmefairechierpourquejeparle.Jerepérail’intersectionoùjevoulaistourner,mepenchaisurlagauche,et
m’engageaisurunétroitsentierquimenaitaufleuveColorado.JeralentisaumaximumetentendisMaepousseruneexclamationétouffée.Jesavaisqu’elleadorerait cet itinéraire. J’empiétais surdespropriétésprivées,bien sûr,maispersonne n’allait nous reprocher quoi que ce soit. J’étais le Muet desHangmen,bordel!Devantmoi,lesgenss’enfuyaient.
Maelâchamatailleetlevalesbrasenl’air.Dansmonrétroviseur,jelavisrenverserlatêteenarrière, lesmainsversleciel, lesyeuxclos,savourantlegoûtdélicieuxdelaliberté.J’avaisenvied’elle.Toutdesuite.Je me mis à l’arrêt, près d’un gros chêne, et installai la béquille. Je me
retournaisurmamoto,attrapailescuissesdeMaeetl’installaisurmoi,justesurmonsexeenérection.Sesyeuxbleuss’agrandirent,leurcouleurbrillantauclairdelune.Etelleremuasonfoutunez.Aussitôtjeprissonvisageentremesmainsetcollaimeslèvrescontresabouche.Mae,ravie,merenditmonbaiser.Je glissai mes paumes sous ses fesses, et un gémissement m’échappa
lorsqu’ellesemitàondulercontremaqueue.Lâchantseslèvres,jepoussaiunsouffle de plaisir entremes dents serrées, la tête renversée en arrière, et unpetitsouriresatisfaitapparutsurlevisagedeMae.Elle verrouilla lesmains autour demon cou et se déplaça vers l’avant. Je
sentissonentrejambeglisserlelongdemonsexe.—Aaah.Prenant appui sur ma nuque, Mae se mit à effectuer un mouvement de
balancier,levisageextatique,visiblementexcitéeelleaussiparcessensations.Tandisque je l’encourageaisd’unemainàaccélérer lesva-et-vientde son
bassin,jedéfisdel’autrelafermeturedesaveste.Dessous,elleportaitunfindébardeurauxcouleursdesHangmen.Jeprisundesesseinsdansmapaumepourlemalaxer.Mesyeuxserévulsèrent:elleneportaitpasdesoutien-gorge.Seigneur,cettemeufvam’achever.Je déchirai d’un coup sec l’encolure de son vêtement, faisant paraître sa
peau laiteuse et sans défaut, et son gros téton rose sombre, dur comme uneballe.Jeplongeaidessusàpleinebouche,luitirantungémissementbruyant,etelleaccéléralacadencedesesmouvements.Merde, c’était trop bon. J’allais jouir… simplement parce qu’une fille se
frottait contremon jean, surmamoto…La respiration deMae était rapide,saccadée,sesongless’enfonçaientdanslapeaudemanuque.Jemepenchaienarrière,enappuicontremonguidon,etMaelâchamoncoupourplaquer lesmainssurmapoitrine.Elleoscillaitdeplusbelle,sonregardrivéaumien,etmonbassintressautait
aurythmedesesmouvements.Elleretintuninstantsonsouffle,puisunlongson guttural s’échappa de sa gorge.La voir ainsi, en proie à une jouissanceexplosive,latêterenverséeenarrière,sesseinsfermesetrondsjaillissantdesaveste,me fit jouirpuissammentàmon tour.Monsexeétait sidur sous sa
chattechaudequej’étaisprêtàfairecraquermabraguette.Sur un rythme plus lent,Mae continuait de bouger par petitsmouvements
saccadésquienvoyaientdesondesdechocdansmonentrejambe.Jel’agrippaià la taille pour l’accompagner dans sa descente. Enfin,Mae s’affala surmapoitrine,etjesentissonsoufflechaudsurmanuque,etsesmainsautourdemataille.Nousétionsallongésensilenceetjeregardaisl’océand’étoilesau-dessusde
nostêtes.J’enroulailatressedeMaeautourdemonpoingetlorsqu’ellerelevala tête, je vis une teinte rosée qui gagnait ses joues. Elle se pencha poureffleurermaboucheavecseslèvres,puisreculaunpeupourmechuchoter:—Jen’auraisjamaiscruquec’étaitsibondecommettreunpéché.—Jet-tec-c-corromps,b-bébé?luidemandai-je,incapablederefrénerun
sourirenarquois.Maetraçaitlentementdescerclessurmontorse.—Tueslaplusgrandetentationàlaquellej’aiétésoumise,Styx.Monfruit
défendurienqu’àmoi.Maisjeveuxysuccomber,mêmesic’estcenséêtremalouimmoral.Jeveuxque…(Ellefronçalessourcils,cherchantsesmots.)Quedisent les autres femmes de motards… ? (Elle fronça son petit nez puis unsourire s’épanouit sur son visage et elle leva vers moi ses impressionnantsyeuxdeloup.)Jeveuxt’appartenir.(Elleseredressasursescoudesetonduladeshanches,aguicheuse.)Jeveuxquetu…quetu…Maebaissa la tête, rougissante. Je luiglissaiundoigt sous lementonet la
forçaiàreleverlatête.—T-tuveuxquejet-teb-baise,M-Mae.Ellesortitleboutdesalangueetlepassasursalèvreinférieureenhochant
latête.—Cesoir,Styx…malgrémescicatrices.Jeveuxquetumemontresceque
c’estd’êtrepriseparunhomme.Commentc’estdemedonneràtoi,corpsetâme.Ohputain…Jeme redressai pour poser un baiser sur le cou deMae, là où battait une
veine.—R-rentronsàlam-maison.Quaranteminutesplustard,lecrâneassourdiparCloserdeNineInchNails
qui tournait en boucle dansmon esprit, je roulais sur la route de campagnemenantauQG, tandisqueMaeme léchait lanuque, lamordillantparfois,et,
irrésistiblement attirée, passait lamain surmon sexe toujoursdur comme lapierre.C’était une torturedélicieuse et insoutenable.Pour la première fois dema
vie,jefaillisalleraufossé.Enarrivantenvuede lapetite routemenantauclub,uncamionauxvitres
obstruéesgarésurlebas-côtéattiramonattention.Jecoupaimesphares,nousplongeant dans l’obscurité, et fis signe à Mae de ne pas faire de bruit. JebifurquaiverslarouteengravieretmontaidiscrètementenhauteurpourvoirquisurveillaitnotreQG.Enroulantjusqu’ausommetdelacollineherbue,jepusavoirunebonnevue
surunpick-upChevroletnoir se trouvant à environquarante-cinqmètresduportaild’entrée.Ilyavaittoutunarsenalàl’arrière:desmunitions,etcequiressemblaitàdesenginsexplosifsimprovisés.Etlehayonarrièrearboraitunautocollantreprésentantunebonnegrossecroixgamméedesfamilles.—B-b-bordeldemerde!— Qu’est-ce qui ne va pas ? me demanda Mae d’une voix voilée par
l’inquiétude.—EtMERDE!Jelasentisseraidir.—Quesepasse-t-il,Styx?Tumefaispeur.—F-fautquejet-teramène.—Non!Ettoi?Jeveuxresteravectoi…—Mae!T-tudoisr-retourneràl’intérieur.Àl’a-abri.Leplussilencieusementpossible,moteuréteint,jefisroulermamotovers
le bas de la colline puis commandai l’ouverture du portail, qui coulissa engrinçant. Ce qui attira l’attention de ces connards de néonazis. Aussitôt legravierfusasouslesrouesdupick-upquipartitsurleschapeauxderoues.Poulesmouillées.Ilsn’ontmêmepaslescouillesdes’attaquerauxHangmen
surunpiedd’égalité.Je mis les gaz, faisant rugir ma moto, et fonçai vers le portail avant de
freinerbrutalement.—M-Mae,d-descends.D-disàKydem’appeler.Jed-doislesp-poursuivre.Ilfallaitabsolumentqu’onsacheoùilsseplanquaient,etc’était lemoment
desaisirmachance.Ilsserapprochaienttropdeleurcible.Beaucouptrop.Mae commença à secouer la tête, les larmes aux yeux, s’agrippant
fermementàmataille.Ellerefusaitdemelaisser.
Je descendis rapidement demamoto et soulevaiMae, puis la reposai surl’asphalteenluidonnantdesinstructionsprécisespourKy.— T-tu as b-bien c-compris ? lui demandai-je à l’issue de mes
recommandations.Elleopina,etjeremontaisurmamachine.Maerestaitimmobile.—Mae!Fais-le!—Styx,supplia-t-elleenavançantversmoi.—V-vas-y,b-bébé!Elles’éloignaalorsd’unpasincertain.— Reviens-moi vite s’il te plaît ! lança-t-elle avant de s’élancer vers les
bâtiments.Merde!Je démarrai dans un grand crissement de pneus sur la route déserte, à la
poursuiteduChevroletnoir.J’étaissûrdel’avoiraperçuunpeuplusloinsurlaroute.Jemelaissaivolontairementdistanceretcoupaimesphares.Jenepusretenir un sourire moqueur lorsque les skinheads ralentirent, pensant s’êtretirésd’affaire.Ilsn’avaientpaslamoindreidéeducarnagequilesattendait.Quarante-cinq minutes plus tard, le Chevrolet bifurqua sur un chemin de
terre non éclairé qui menait à un ranch délabré. Des hommes cagouléssortirentduvéhiculepourpénétrerdans lavieillegrange.Cescrétinsétaienttous rassemblés, formantdescibles faciles,maisKynem’avait toujourspasappelépourquejeluifournissemalocalisation.Je garai discrètement ma Harley sur le bord de la route et sortis mon
téléphone.Merde,plusdebatterie.BORDEL!Je savais que j’aurais dû attendre mes frères. J’étais sûr de pouvoir me
débrouillerseul,maisensortirais-jevivant?Pourtant,jen’avaispaslechoix.Cessalaudspouvaientdécamperàn’importequelmoment,etceseraitretouràlacasedépart.Il fallait que je protègemameuf. Je ne pouvais pas prendre le risque que
Maeaussiseprenneuneballedanslecrâneàcausedemoi.Madécisionarrêtée,jesortismonrevolverdemonétuideceinture,vérifiai
qu’ilétaitchargéetsortisdeuxpistolets-mitrailleursUzidessacochesdemamoto.Arméjusqu’auxdents,jefranchisaupasdecourseleterrainàdécouvertpour rejoindre le pignon de la grange. Je m’accroupis derrière une vieilleDodgeCoronetrouilléeetjetaiuncoupd’œilàtraverslesintersticesentreles
panneauxdisjointsdubâtiment.Lesnazisétaientassissurdestables,engrandeconversation.C’étaitsansdoutelemomentdudébriefing,ilspréparaientleursprochaines actions. Il n’y avait pas d’armes visibles, mais ces connardsdevaientavoirdesmunitionsdissimulées.Ilsétaientneuf.C’étaitlataillenormalepourunepetitecelluleparici,mais
çan’enfaisaitpasmoinshuitpersonnesdeplusquedemoncôté…UnUzidanschaquemain,jeprisunegrandeinspirationetrejoignisaupas
decourse l’entréeprincipale.Uncoupdans laporteminableet lesskinheadsapparurentdansmalignedetir.Lechocdelasurpriseétaitclairementinscritsurleursvisageshideux.Sansmeposerdequestion,j’ouvrislefeu,envoyantunevoléedeplombqui
cribla les corps comme s’ils étaient en beurre, repeignant les murs de lagrangedemorceauxdecervellesetd’éclaboussuresproduitespardesgeysersdesang…
Chapitre17
MaeAlors que jeme précipitais vers les portes du club, j’avais les battements
assourdissantsdemoncœurdanslesoreilles.Jemeruaiverslesalon,oùdegros haut-parleurs diffusaient une musique tonitruante. Une fois la porteouverte,jefouillailasalledesyeux.Kyn’étaitpaslà!Flammeétaitsurunechaise,occupéàsetailladerlebrasgauche,regardant
lesanggoutterensouriant.Jecourusversluietm’arrêtaijustesoussonnez,maisilétaittropabsorbéparsatâche.Malgrémarépulsion,jeprisunegrandeinspiration,essayantdepasseroutreàl’odeurmétalliquecaractéristique.—Flamme!Unpeudesanggicladesonpoignetetatterrit surmaveste. Il renversa la
têteenarrièreetunsondejouissances’échappadeseslèvres.Jeposailesmainssursesépaules.—FLAMME!Sesyeuxnoirss’ouvrirentd’uncoupetilsaisitmespoings,m’attirantvers
lui, montrant ses dents, qui étaient couvertes d’une fine pellicule de salivesanglante. Quand il me reconnut, son expression changea aussitôt et il melâcha.—Mae?C’était à la fois une affirmation et une question, et son regard s’adoucit
légèrement. Je frottaimespoignetsendoloriset luidemandai,encriantpourmefaireentendredanscevacarme:—OùestKyler?Flammeseleva.Ilneportaitpasdechemise,exhibantsontorseentièrement
tatoué. Je détournai aussitôt le regard. Il avait le corps zébré de cicatrices :nombreuses,gigantesques,boursouflées, rouges ;etdecentainesdemarquesdebrûlurescercléesdetissucicatriciel.Seigneur.Queluiétait-ilarrivé?—Danssachambre.Troisièmeàdroite.
Je le remerciai d’un signe de tête et, m’efforçant de ne pas regarder sesautomutilations,quittailapiècesur-le-champ.Arrivée devant la porte que Flamme m’avait indiquée, je tambourinai
frénétiquement,maislamusiqueétaittropfortedanslachambredeKy.Troppaniquéepourattendrepoliment,jepoussailaporte,etm’immobilisai
à peine entrée. Kyler, entièrement nu, était allongé sur le dos, et Tiffanychevauchait sonmembre dressé tandis que July, exposée à tous les regards,avaitsespartiesintimessurlabouchedeKy,etsuçaitlesseinsdeTiffany.Jemeretrouvaisdansunantrededébaucheetd’immoralité,etaucund’eux
neremarquaitquej’étaislà,figéeparl’incrédulitésurleseuil.Lamusiqueetlessonsdeleursébats,lesbruitsdesuccionetdeclaquements,avaientcouvertlefracasdelaportebrutalementouverte.—Ky!criai-jepourmefaireentendreaumilieudecettecacophonie.Envain,ilsnes’interrompaientpas.Jerepérailachaînehi-fiàcôtédulit.Enmeprécipitantdessus,jemanquai
de perdre l’équilibre en trébuchant sur tout un tas de jouets en plastiqued’aspectparticulier.Certainsvibraient,d’autres tournaient, se tortillant sur leparquet.Prenant bien garde à ne pas contempler les corps sur le lit, je me mis à
frapperl’appareilet,aprèsquelquescoupsbienplacés,jeparvinsàbaisserlevolume.Commesortantd’unetranse,Tiffanylevalesyeuxlapremière,sansrompre
lacommunionpourautant.—Mae?s’étonna-t-elled’unevoixessoufflée.Enentendantmonnom,KylerfitdescendreJulydesonvisageenlapoussant
surlecôté.Lablondepoussauncri,manquantdetomberdulit.Kyseredressasur ses coudes et s’essuya les lèvres sur son bras. Son visage exprimaitl’inquiétude.—Quesepasse-t-il,Mae?IlrepoussalesépaulesdeTiffanypourmettreuntermeàsesva-et-vient.Elle
seheurta ledosà la structuremétalliquedu lit.LemembrevirildeKyler sedressadansmonchampdevision,etjemedétournaiaussitôt.—C’est Styx, lui expliquai-je par-dessusmon épaule. Il s’est lancé à leur
poursuitetoutseul.Ky,j’aisipeur,ilsétaientnombreux!Jeparlaisvite,mavoixtremblantetrahissantmapanique.Kyblêmit. Il sautahorsdu lit et enfila à toute allureun jean,unechemise
noireetsavesteencuirsansmanches.
—Quipoursuit-il,Mae?Explique-toitoutdesuite!Ilenfilaitsesbottesensautillantsurunpied.Jelesuivisdanslecouloir,où
iltambourinaitàchaquechambrepourrameuterlesfrères,marchantaupasdecourse.—Dehors!Retourauxaffaires!hurlait-il.Ilsetournadenouveauversmoietordonna:—Parle,Mae!Viking,AKetSmileyfirentirruptiondeleurschambresrespectives,frottant
leursyeuxrougis.—Noussommespartisenbalade,Styxetmoi.Quandnoussommesrentrés
auQG,ilyavaitunegrossevoiturenoiregaréeàcôtéduportail.Un…un…(Je fermai les yeux, essayant deme souvenir de ce queStyx avait dit. Je lesrouvris brusquement.) Un Chevrolet. Un pick-up noir. Il m’a dit qu’il étaitremplid’armesetquec’étaientles…nazis?(JeregardaisKybienenface.Sabouches’étaitréduiteàuneminceligneserrée.)C’estbiença,Ky?Lesnazis?Ilhochabrièvementlatêteetenvoyauncoupdepoingdanslemur.—Bordel!Ilyestalléseul.Quelsombrecrétin!Tous les frères convergèrent vers le salon. Flamme était toujours sur sa
chaise, appuyantmaintenant sa longue lamecontre sacuisse,dans laquelle iltraçaitdeprofondesentailles.Sanuqueornéedeflammesétait tendue,etunegrossebossesedressaitauniveaudesonentrejambe.MonDieu,pensai-je,cesdouleursqu’ils’infligelestimulent…sexuellement.Enprenantconsciencedel’agitationautourdelui,Flammeseleva,lesyeux
brillantsà laperspectivedudanger–non,de lamort.Lamortaffleurait surson visage. C’était la seule façon de décrire son expression. Flamme avaitl’âmetourmentéeparlesdémons.—Qu’est-cequec’est?demanda-t-ild’untongrave,guttural.—Les nazis. Styx.Cet imbécile est parti tout seul, expliqua succinctement
Ky.Flamme serra les dents et son cou épais se tendit, faisant apparaître ses
veinessaillantes.Ilpoussaunrugissementetsemitàsefrapperlapoitrine.Lalame,qu’iltenaittoujoursàlamain,s’enfonçaitdanssapeaudéjàmarquéedenombreusescicatrices.J’auraisvoululeretenir,l’empêcherdesefairetantdemal,mais on aurait dit qu’il était entouré d’une aura impénétrable, tenant lerestedumondeàdistance.— Il a dit de l’appeler pour connaître sa localisation, précisai-je, en
reportantmonattentionsurlapréoccupationprincipale.
Kyplongealamaindanssapoche.Tank,Beauty,LettietBullarrivaientparlaported’entrée.Ilsvenaientsûrementdelacour.TanketBullseprécipitèrentversleursfrères.Vikingsechargeadelesmettreaucourant.— Merde ! s’exclama Tank. Cette branche du Klan est sérieusement
dérangée, et je veux dire, dans les grandes largeurs. JohnnyLandry est leurGrandWizard.Jen’aijamaisrencontrépiresalaud.C’estunfascistecarrémentextrême.Ilestenprisonencemoment,maisilabienentraînésabande.Ilsnefontaucuneallianceendehorsdessuprématistesblancs.S’ilschopentPrés’,ilestcuit.Ilsl’écorcherontvifjustepours’amuser.Oualorsilslelyncheront–c’estleurmarquedefabrique,ilssontdelavieilleécole.Tank frottait pensivement une grande cicatrice proéminente qui traversait
l’arrièredesoncrâneraséjusqu’aucôtégauchedesonfront.— Je suis bien placé pour le savoir. Quand je suis sorti de là-dedans, ils
m’ontlaisséçaencadeau.J’enrestaibouchebée.Tankaétéunnazi?Beauty, les yeux brillants, écoutait son homme détailler aux autres les
méthodes d’assassinat préférées des nazis. J’étouffai un cri, essayant derefouler lanauséequimemontaitdans lagorge.AussitôtBeautyaccourutetm’enveloppadanssesbras.—Là,là,Mae,çavaaller.C’estStyx.Personnen’enverracettetêtedemule
àHadèssanslivrerunsacrécombatd’abord.C’estleMuetdesHangmen.Ilestinvincible.—PUTAIN!hurlaKyler.Jeme figeaidans lesbrasdeBeauty,prêtant attentionàKy. Ilme regarda
droitdanslesyeux,l’airtrèsinquiet.—Sonportableestmort. (Ilvintdroitversmoietposa lesmainssurmes
épaules,sesyeuxbleusimplorants.)Oùest-ilpassé?Réfléchis,Mae.Réfléchis.Lamoindreinformationestimportante.Jesecouailatête,levisagebaignédelarmes.—Ilestjusteparti.Endirectiondunord,jecrois,àlapoursuitedupick-up.
Il y avait un autocollant à l’arrière. Une croix… croix ga… je ne m’ensouvienspas!—Une«croixgammée»?complétaKy,assezdésespéré.—Oui, c’est cequeStyxadit, une croixgammée. Il adit qu’il devait les
suivrepourtrouverleurbase.Ilademandéàcequetul’appellestoutdesuitepourqu’ilt’indiquel’endroit.Ildisaitquec’étaitsaseulechancedelesavoir.Kybaissalatête,découragé,etTankfitunpasverslui.
—Ky.Quelssontlesordres?Unplan?C’esttoiquidirigespourl’instant.Kyposasespaumessursesyeuxetgrognabruyamment.Puisilsesecouaet
désignalesfrèresunàun.—Viking,AK,Flamme,Smiley,vousprenezlaroute.Essayezderetrouver
satrace,dessignesdelui,putain,n’importequelindice.SivoustrouvezStyx,appelez-moi.Sinon,retouricidansdeuxheures.Lesquatrehommesopinèrentetsedirigèrentaussitôtverslaporte.—Tank,Bull, rameutez les frèresquisont rentréschezeux.Allezvoiren
personne les flics qu’on a à la bonne. Faites parler ces vendus. Essayez desavoirsiquelqu’unsaitoùces foutusskinspeuventseplanquer. Jeprends laroutemoiaussi.Retouricidansdeuxheures.J’espèrequ’onauratrouvéStyxd’icilà.Etjeluibotteraileculmoi-même.KysetournaversBeautyetLetti.— Vous deux, restez avec Mae. C’est ce que Styx voudrait. Elle aura
sûrementbesoindevotresoutien.Sesparolesmenouèrentleventre.Ils’enallarapidement,sansunregarden
arrière.KypensequeStyxvamourir.Mes jambes se dérobèrent sous moi et je m’affalai sur le long canapé
marron.Jeplaquaiunemainsurmabouche.—Siquelqu’unestcapablederéglerleurcompteàcesraclures,c’estbien
Styx.Les efforts de Letti pourme rassurerm’apaisèrent un peu. Elle exprimait
toujourssessentimentsavechonnêteté.Beautymecaressalescheveux,écartantlesmèchesdemonvisage.—Çava,majolie?Unecertitudemerappelabrutalementàlaréalité.—Ilvatuerdesgenscesoir,déclarai-je.Beauty échangea avec Letti un regard inquiet, mais cette dernière haussa
simplementlesépaules.Beautymeserrafortlamain.—Mae,c’estleurstyledevie.S’ilnelestuepas,c’estluiquiseferatuer.Je me laissai aller contre le dossier, abattue. La dure réalité sur la vie
violentequevivaitStyxm’apparutconcrètement.Laprisedeconscienceétaitrude.Iltuait.Styxtuaitsouvent,etenquantité.Quantàmoi,onm’avaitapprisquetuerunepersonneétaitunpéchémortel,quelesmeurtriersétaientjetésenenfer.PourtantjeconnaissaisStyx.Dumoinssesbonscôtés.Mêmeensachantqu’ilprenaitdesvies,jeneparvenaispasàavoirunemauvaiseopiniondelui.
Seigneur,commejevoulaisleretrouver…justelui.Un bref souvenir de son beau visageme donna une bouffée de chaleur et
j’eusdumalàrestersagementassise.Ilétaitsifort,si…brut.Ildevaitrevenir.Pourmoi. Pour qu’ilme prenne…dans tous les sens du terme.Nous étionsvouésàêtreensemble.Derrièrenouslaportes’ouvritavecfracas,leboisheurtalacloisonavecun
bruit sourd retentissant. Sortant brusquement de ma rêverie, je vis Ridertraverser le salon en titubant, frottant samâchoiremeurtrie et enflée. Il étaitcomplètementdébraillé,sachemiseetsonjeanétaienttoutfroissés.Jamaisjenel’avaisvudanscetétat.Pasuneseulefois.Rideravaitbu.Ridernebuvaitpourtantpas.Jamais.Je me levai d’un bond et courus vers lui. J’écartai sa main cachant son
visageetrelevaigentimentsonmenton.—Rider?Bontédivine!Çava?Quet’est-ilarrivé?Il me contempla un peu trop longuement puis repoussa ma main avec
douceur.Sonregardfatiguéetmorosemeserralecœur.—Demandeàtonhomme?—Quoi?chuchotai-je,unsentimentdenauséeaucreuxduventre.Styxt’a
faitça?—Ouais,poupée. Ilm’amisK.O.quand ilestvenuprendre tesaffaireset
qu’onaéchangéquelquesmots.—Pourquoivousvousbattezàcausedemoi?luidemandai-jed’unevoix
entrecoupée. (Je croisai les bras, soudain glacée.) Vous êtes tous les deuximportantspourmoi,alorspourquoi…?Rider reprit contenance et passa une main dans ses longs cheveux, un
sourireincréduleauxlèvres.—Mae,tusaisbienpourquoi.Tun’espasnaïveàcepoint.J’écarquillailesyeux,carlasituationm’apparaissaitenfinclairement.—Rider!Non…(Jeluiprislamain.)S’ilteplaît,n’endispasplus.Jene
peux pas entendre ça. (Je refoulai les larmes qui me montaient aux yeux.)Rider…JesuisavecStyx.Tu…pourmoi…tuesmonplusprocheami.Pas…Jelaissaimaphraseensuspens,jenevoulaispaslevexer.Riderretirasamain.Ilétaitparfaitementimmobile.—Tusaisquoi,Mae?Peut-êtrequeLoïsavaitraison.Ilauraitmieuxvalu
quetuneviennesjamaischezlesHangmen.Encemoment,vucommentjemesens,j’auraispréférénejamaisterencontrer.Horrifiée,jereculaisouslecoupdesesmotsquejerefusaisdecroire.Jene
lepensaispascapabled’êtresicruel,siméchant.J’avaisl’impressiond’avoirétépoignardéeenpleincœur.LesparolesdeRiderfaisaientmal,plusqu’unedouleurphysique.—Doc’,prévintLettid’untonmenaçant.Leprés’teferaplusqu’unbleusur
la joue s’il apprend que tu parles comme ça à sa meuf. D’ailleurs, si tucontinuesàembêterMae,jemechargeraidel’eninformermoi-même.Ridermedépassa,faisantcommesiLettin’existaitpas,etpassaderrièrele
bar.Pitreculapouréviterdesetrouversursonpassage.Jefussurprisedevoirleprospect,jen’avaismêmepasremarquéqu’ilétaitlà.Pourquoin’était-ilpasluiaussiàlarecherchedeStyx?Riderattrapauntorchonetleremplitdeglaçonsavecsonbrasvalide,puis
s’appliqua la glace sur la mâchoire. Il parcourut alors la salle du regard.Sourcilsfroncés,ildemandaàlacantonade:—Oùilssonttouspassés?Lettiallaseplanterdevantlebar,faceàRider.—Styxestpartiseulàlapoursuitedesnazis.Ilssontpartisàsarecherche.Riders’empourpra,furieux.—Etpourquoi j’aipas été appelé,bordel ?Onaurait dûmeprévenir. J’y
croispas!JesuisleRoadCaptain,putain!Letti luienvoyauncoupdepoingdanssonépauleblessée.Riderserra les
dentsetrugitdedouleur.— Eh ben j’imagine que ça a à voir avec ça, répondit Letti d’un ton
sarcastique.Enrevenants’asseoirsurlecanapé,Lettiavaitl’aircontented’elle.Quantà
Rider,ildardaitsurelleunregardnoir.PuiscefutletourdeBeauty,etenfinilposadenouveaulesyeuxsurmoi.Unbreféclatdeculpabilitébrilladanssesiris bruns, suivi par de la douleur. Il se tourna vers les étagères rempliesd’alcoolsdiversaufonddubaretchoisitunebouteillevertearborantunélan.Puis,sansunmotdeplus,ilregagnasachambreentitubant.Jesuivisdesyeuxsondoscourbé.Ilsoutenaitsonépauleconvalescente.Beautypassasonbrassouslemien.—Laisse-le,Mae.Ilsouffreénormémentencemoment.D’habitudecetype
passequatre-vingt-dixpourcentdesontempssursonchopper,surlaroute.Là,sablessurel’obligeàresterenferméauQG,çalerenddingue.EttevoiravecStyx aussi, apparemment. Mais tu dois te concentrer sur le prés’. Tu es sarégulière, maintenant. Rider s’en remettra tout seul. Allez, Mae, sois unegrandefille,vislaviequetuaschoisie.Styxestleprésidentduchapitremère
desHangmen.Alorsàtoid’êtrelafemmeparfaitepourlui.«Chapitremère»?Encoreune fois, jen’avaispas lamoindre idéedece
qu’ellevoulaitdire,mais j’avaiscompris leprincipal : jedevaismemontrerplusfortequecequej’avaislaisséparaîtrecesdernierstemps.Plusforte?C’étaitdansmescordes.Jeprisunelenteinspirationpuisdemandai:—Maintenant,qu’est-cequ’onfait?Beautyme força àme caler au fond du canapé. J’étais prise en sandwich
entreLettietelle.—Onattend.On reste assises à attendre et onpriepourquenoshommes
nousreviennentenunseulmorceau.Puiselleajouta:—Etlecœurtoujoursaccrochédanslapoitrine.Deuxheuress’écoulèrent.UnparunlesfrèresrevinrentauQG.SansStyx.
Chaquefoisquelaported’entrées’ouvrait,monventresecontractaitaupointde me faire mal. J’avais l’impression que mes poumons cessaient defonctionner et une nouvelle vague de déception écrasante déferlait sur moichaquefoisqu’unvisageautrequeceluidemonhommeparaissait.Nousn’attendionsplusqueKy.Jemedisaisquesiquelqu’undevaittrouver
Styx,ceseraitlui.Maisdixminutesplustard,ilrevintbredouille.PasdeStyx.Àcetinstant,j’euslasensationquelesols’ouvraitsousmespieds.Kyavait fait irruptioncommes’ilavait lediableàses trousses.Aussitôt il
passaenrevuelespersonnesprésentesdanslesalon,cherchantdésespérémentStyx.Lorsqu’ildutserendreàl’évidence,uneexpressionégaréemarquasonvisageauxtraitsfins.Sansdoutepossible,Kycroyaitmaintenantquesonmeilleurami,sonfrère
–monStyx,monRiver–étaitmort.Personne ne pipait mot. Ni les frères ni les sœurs n’osaient bouger. Un
silence lourd comme une chape de plomb régnait dans la pièce, chacunenvisageant cette éventualité. Au-dessus du bar, la grande horloge HarleyDavidson égrenait bruyamment lesminutes, nous rappelant douloureusementque le temps était compté pour Styx. Les Hangmen étaient assis dans descanapésetdesfauteuilsdanslapièce,leregardbaisséversleplancher…figésdansl’attente.Attendre,nousnepouvionsrienfairedeplus.Ky vint versmoi etBeauty lui laissa sa place pour aller s’asseoir sur les
genouxdeTankàl’autreboutdelapièce.Elleposaseslèvressurlessiennesetilss’enlacèrenttendrement.Encetinstant,j’enviaisterriblementmonamie.JelaregardaiscaresseramoureusementlesjouesdeTank,poserdesbaiserssursatête.EtTanktenaitBeautydanssesbrascommesielleétaitlaseulefemmeexistant. Je me fis la réflexion que c’était sans doute à cela que devaitressembler un couple d’amoureux. Serais-je un jour ainsi avec Styx ? Peut-être…oupas.Le canapé en cuir marron s’enfonça sous le poids de Ky. Crispée par
l’angoisse, je luipris lamainetdécouvrisqu’ilétaitaussi tenduquemoi. JelevailatêteetrencontraileregardfrancdeKyler,quimedit:—Jet’aitenueàl’écart.Déroutéeparsaconfession,jerépondisd’unlégerfroncementdesourcils.
Kysetortilla,malàl’aise,jetantdescoupsd’œilalentourpours’assurerquesesfrèresnenousécoutaientpas.Puissonregardbleusereposasurmoi.—Jeluiaiditquetuneluiconvenaispas.Àtonarrivée.Jeluiaireproché
d’êtreégoïstedevouloir tegarder.J’aiprétenduquetun’étaispasfaitepourcettevie.JeluiaiconseillédesecontenterdeLoïsetdetelaisserrepartir.(Ilsecouaitlentementlatête,contrit.)J’aiétéunvraiconnardaveclui.— Pourquoi ? demandai-je d’une petite voix, la douleur de sa trahison
s’ajoutantàmapeine.Pourquoias-tuditdetelleschoses?—Pourmoi,ilesttoutemafamille,c’estunfrère,etjel’aidétournédeson
uniquechanced’accéderaubonheur,aunomduclub.Merde.Jel’aiinfluencé.Iladéjàassezdemalavecsonproblèmed’élocution,alors jemedisaisqueprendreune fille sortied’unesecte, la tête rempliedebêtises, çanuirait à saréputation. Ce n’est pas pour n’importe qui, la vie de femme demotard. Etpour leprés’,n’enparlonspas.Et jem’étaisconvaincuque tune faisaispasl’affaire.C’estàcontrecœurqueStyxademandéàRiderdeveillersurtoi.Kybaissalatête,lementonsurlapoitrine,leregardperduendirectionde
seschaussures.—Jevoyaisbienqueçalerendaitmaladedetelaisser.(Kypritmamainet
l’appuya sur son front.) Sans moi, il t’aurait prise pour lui dès le début.Maintenant,jen’arrivepasàmesortirçadelatête:ets’ilnes’ensortpas?Ets’ilnerevientpas?Danscecas…merde…Ilpoussaunlourdsoupiretmejetaunregarddésolé.—Ilvientdeterécupéreraprèsdesannéesàespérerterevoir.Ilparlaitde
toitoutletemps,bordel.«Lafilleauxyeuxdeloup».Ilamêmecherchécetteclôture pendant des années. Et ilme traînait avec lui. On a sillonné la forêt
autour d’Austin pendant des heures et des heures. Il n’a abandonné sesrecherchesquelorsquelaguerreaveclesMexicainsaéclaté.Ilavaitpresqueperdu espoir. Il avait beau demander, son vieux refusait de lui révéler où setrouvaitladécharge.Etfranchement,onchangetellementsouventl’endroitoùonlarguenosmacchabéesquejenecroispasqu’ils’ensouvenait.Etpuis levieux est parti chez Hadès et du coup il restait plus aucune chance de teretrouver.Jen’enpouvaisplusdechagrin.Styxm’avaitcherchéependantdesannées?
Ildésiraitardemmentmerevoir,moi,cettepetitefillebriséequ’ilavaitcroiséequelquesinstantslorsd’unenuitd’été?Etdirequejenelereverraipeut-êtreplus jamais.Que je ne sentirai plus jamais sesmains surmon corps… Je nepouvaispassupportertantd’émotions.—Mae?m’appeladoucementKy.Jeprisuneprofondeinspiration.—Tuavaistesraisonspoursouhaiternousséparer.Tuesunbonamipour
Styx,etjevoisbienquetucomptesbeaucouppourlui.LesyeuxbleusdeKys’agrandirentetilchuchota:—Putain,meuf, vas-y, arrache-moi les couilles pour t’en faireun collier.
Onpardonnepascegenredetrucs.Tuauraisétéavecluidepuistoutcetempssansça.Bordel,Loïsseraitencorevivanteaussi!Jerestaisilencieuse.J’enétaisincapable.J’étaisengourdie,terrifiéeàl’idée
que Styx soit mort. Encore une personne à laquelle je tenais qui m’étaitenlevée.UnelattedeplanchergrinçaderrièrenousetentournantlatêtejevisRider
entrer.Sonvisagelasexprimaunecertaineconfusionennousdécouvranttousassis là en silence, immobiles. Quand il devina ce que cela signifiait, Riderperdittoutessescouleursetilselaissatombersuruntabouretdebar.Malgrésesrécentsdémêlésavecsonprésident,ilsemblaitsincèrementdévastéparlanouvelle.En rencontrantmon regard, son expression passa peu à peu du choc à la
compassionetilarticulasilencieusement:—Désolé.Cequimedéchiraplusencore.C’étaienttouslesdeuxdeshommesbonset
chacunoccupaituneplaceàpartdansmoncœur.Lapendulefonctionnaitlentement.Commeauralenti.Après cinquanteminutes d’une attente insoutenable, l’atmosphère changea,
levainespoircédantlepasàlacertituderésignée.
Kylerfinitparmelâcherlamain.Mesdoigtsétaientengourdisd’êtrerestéscrispés si longtemps. Il se leva et tout le monde le regarda, retenant sonsouffle.TiffanyetJulyhésitaientsurleseuildelaporte,essayantd’écouteràladérobéecequeleuramantallaitdire.—Mes frères, commença-t-il d’une voix calme,mais chargée d’émotion.
Je…Un grondement de moteur lointain l’interrompit. Il chercha mon regard
avantdeseprécipiterverslasortie.Aussitôtretentitunvacarmeproduitparungrand nombre de personnes se levant en même temps. Les frères s’étaienttransformésenuntroupeaudebufflesfonçantverslaporte.À mon grand dam, j’étais incapable de bouger les jambes, alors que je
voulais me lever. Beauty m’attrapa par la main et me tira. C’était ce dontj’avaisbesoin:mesmusclesréagirentcommedesressorts,etjemeruaiverslasortie,pleined’espoir. Je traversai lacourà touteallurepour rejoindre lagrilleferméeduQG.Un phare approchait dans la nuit. J’avais le cœur au bord des lèvres. Je
fermailesyeuxetpriai:Seigneur,faitesquecesoitStyx.S’ilvousplaît.Le bruit du moteur était de plus en plus fort. J’ouvris les yeux, et les
éclairages du QG révélèrent la silhouette d’un motard. Mais il faisait tropsombrepourvoirdequiils’agissait…Non…J’encroyaisàpeinemesyeux.Styx!Jemecramponnaiauportail.Lemétalétaitfroidsousmespaumesetmon
cœurbattaitdeplusenplusvite.Lamotocommençaàralentir.Mais…quelquechose n’allait pas. Ses mouvements étaient désordonnés. Il n’arrivait pas àgardersonéquilibre!Ilallaitperdrelecontrôleduvéhicule.—Ouvreceputaindeportail!hurlaKyleràPit.Cedernierseprécipitasurlelevieretl’actionnavivement.Lalourdegrille
émitunesériedeclaquementsannonçantsamiseenbranle,maiselles’arrêtabrusquement.—Maisputaindebordel!s’exclamaKyenseglissantparl’étroitpassage.Pitarrachaaussitôtlepanneauélectriquedelaporteetsemitàfouillerentre
lesfils,essayantderégler leproblème.Sur laroute,KyrattrapaStyx justeàtempsavantqu’ilnetombedesamoto,incapablededirigeretd’équilibrersonpoids.Ilsemblaitgrièvementblessé.Pour l’empêcher de s’effondrer,Ky passa ses brasmusclés autour de son
ami.Styxavait le regardvitreuxet flottant.S’appuyant lourdementsurKy, illuiglissaquelquesmots.Jenepouvaispasentendrecequ’illuidisait,maisKyfitunsignedansmadirection.Styxlevalatête,mecherchantduregard,etsesbeauxyeuxnoisetteseposèrentsurmoi.Il repoussaalorsKyet s’avançaenboitantversmoi.Sesvêtementsétaient
imbibésdesang,descoupureszébraientsonvisage,dusangséchéavaitformédesamasdecheveuxsombressursatête.Onauraitditqu’ilétaitpasséentrelescrocsd’unemeutedelions.Pasuncentimètredesoncorpsn’avaitétéépargné.Ensilence, les frèresconstatèrentcombien leurprésidentavaitétéaffaibli.
Non loin de moi, j’entendis Flamme feuler comme un animal, tandis queVikingetAKleretenaientparlesbras.Jenesavaispasexactementcequ’ilsleretenaientdefaire.Jecouruslelongdelagrilleduportail,pouratteindrel’étroiteouverture;
mais Styx alla droit là où je m’étais tenue, et s’effondra. Avec difficulté, ils’aidadesbarresd’acierde laportepour resterenpositionverticalemalgréses forces qui l’abandonnaient, et moi, agenouillée sur le goudron, je meplaquaicontrelesbarreauxetprissonvisageentremesmains.Styx,monStyx,blessédepartout,maisbeaumalgrétout:sesgrandsyeux
noisette,sonnezparfait,sestraitsmarqués,sesjouesmalraséesetrugueuses.Ilétaitsiséduisant…sipuissant.Etilavaitdésespérémentbesoindemoi.—Styx,murmurai-je.Nosfrontssetouchaient.Unsoupirdesoulagements’échappadeseslèvres
fendues.Ilreculaunpeuetpassaundoigtensanglantélelongdemajoue.Jemefichaisdesavoirsilesangmaculantàprésentmonvisageétaitlesien.Encetinstantprécieux,cequ’ilavaitfaitsubiràceshommesm’étaitégal,mêmes’illesavaittués.Cespenséesmetraversèrentl’esprit,etj’abandonnaiunpeudemonâmeauxforcesdes ténèbres.SiStyxétaitcondamnéàallerenenfer,moiaussi.Jelesuivraisdanslesflammesdesbrasiers.Ses lèvres tuméfiées s’entrouvrirent. Il essayait de parler. Soudain il
écarquilla les yeux, comme s’il remarquait seulement maintenant tous lesfrères massés derrière moi. Ses yeux couleur noisette se mirent à clignerfrénétiquement et sa pomme d’Adam tressautait le long de son cou. Ildéglutissait rapidement, essayant de libérer sa gorge. Je vis sa mâchoire secrisper,lafrustrationetledésarroiquimontaientenlui.Styxétaitperdu…dérouté…etblessé.Il faisait de sonmieux pourme parler, agité de tics nerveux.Mais il n’y
arrivaitpasetjevoyaisquecelalecatastrophait.
—Çava,çava, luimurmurai-jeà l’oreille.N’essaiepasdeparler.Jesuislà…jesuislà.Ilfrottasajouesurmamain,cherchantduréconfort.Jecomprisalorsque
sesbarrièresémotionnelless’étaienteffondrées.Soudain,leportailsemitenmouvementetKy,quisetrouvaitderrièrenous,
fitsigneàTankdelerejoindre.Àeuxdeux,ilssoulevèrentStyxetleportèrentdanslacour.Aussitôtilcherchaàretrouvermoncontact.Jecourusattrapersamaintendue.Àcetinstant,jemepromisdeneplusjamaislequitter.—Onl’emmènejusqu’àsonappart!ordonnaKy.Nous nous précipitâmes vers lamaison du club. Styx neme quitta pas un
instantdesyeux.Jeseraisfortepourmonhomme.Unerégulièreparfaite.Alorsquenoustraversionslesalondubar,Riderdégringoladesontabouret
etseredressa,commeaugarde-à-vous.Kyledésignad’uncoupdementon.—Auboulot,Doc’.Jemeraidis,nesachantpascommentilallaitréagir,maisilhochalatêteet
filacherchersonnécessairemédical.Rider allait s’occuper de Styx. Je n’aurais pas pu être plus reconnaissante
enverslui.Enentrant,j’allumailalumièretandisqueTanketKyallongeaientStyxsur
le lit,avecdesgestesétonnammentdoux.Jecourusà lasalled’eauchercheruneservietteetrevinsviteauchevetdulit.—Tank,dehors,ordonnaKy.Sans l’ombred’unehésitation, l’hommequitta lapièce.Kymefitsignede
nettoyerStyx. Il savait que son aminepouvait pas parler tant queTank étaitprésent.Je me mis à genoux sur les draps noirs, surplombant mon homme qui
fermaitlesyeux,levisagecrispé,supportantstoïquementladouleur.J’écartaiunemèchedesonvisageetmepenchaiverslui.—Styx,parle-moi.Çava?—B-bébé…M-Mae…—Tuesblessé?JefissigneàKydem’aideràluiretirersavesteencuir.—S-sécurité,murmura-t-il.—Comment?Pendantquejeroulaisuncôtédelaveste,Kylers’occupaitdel’autre.— T-tu es… en s-sécurité, m-maintenant, dit-il péniblement, et les rides
causéesparl’inquiétudedisparurentdesonvisage.Jem’immobilisai, le ventre comme lesté par une charge de plomb. Il les
avaittoustués.—Ahlessalauds!s’exclamaKyenconstatantl’étenduedesesblessures.Ilavaitdesentaillesprofondessurlesbras,et lachemiseimbibéedesang.
Lorsquejelarelevailentementpourlaluiretirer,ilserralesdents,enproieàunevivedouleur.Jemefigeai.—Qu…qu’est-cequec’estqueça?murmurai-jeàKy.Il ne répondit pas, mais il semblait sur le point d’exploser. Je roulai la
serviettesurelle-mêmeetl’appliquaisurlaplaieouverteàlapoitrine,enhautàdroite.À mesure que j’exerçais une pression, Styx serrait les paupières. Puis je
remarquaiqueKyn’avaittoujourspasbougé.—Ky,quelestcesymbole?Qu’ont-ilsgravésurlui?Kyinspiralonguementparlenez.Puis,dentsserrées,ilcracha:—Unecroixgammée.Ces fils deputes lui ont gravéuneputainde croix
gamméesurlapoitrine!hurla-t-il.Lasurprisepassée,unecolèreincandescentel’habitait.Lacroixgammée,lesignequelegangnaziadorait.—S’ilsnesontpasdéjàmorts,ilscrèverontcesoir.C’estàcetinstantqueRiderentra.Ilavaitretirésonattelle.Quandilmevit
surlelit,entraindem’occuperdeStyx,sesmâchoiressecontractèrent,maisilrecouvrarapidementsacontenanceetvintverslelit.Enouvrantsonsacencuirnoir,ildemanda:—Commentva-t-il?Jesoulevailaserviette.Ilpritunebrusqueinspirationinvolontaire.—Lessalauds!gronda-t-il,levisageempourpréparlarage.—Rider,soulage-le,s’ilteplaît.Styxgrognaet tendit lamain,puistapasurlematelas.Inquiète, jecraignis
queladouleurnesoitdevenueinsupportable.MaisKyinterprétasademande.—Ilveutsavoirquetueslà,Mae.Iltecherche.Valerassurer.Jeluiprislamainetilsedétenditimmédiatement.Jeluiglissaiàl’oreillede
rester calme. Malgré le brouillard de la douleur, ses lèvres frémirent et ilesquissaunsourirequiilluminasonvisagecouvertdesang.—Ilvaavoirbesoindepointsdesuture,annonçaRiderd’unevoixtendue.
Je l’observai à la dérobée.Quand ilme voyait réconforter Styx, ses yeuxmarronsechangeaientenpierre.—Alorsfais-le,bordel!s’impatientaKy.SontonpoussaRideràagir.Styxportaitquinzepetitesentailles,enplusdudessindecroixgamméequi
mesuraitplusdeseptcentimètresdehautetdelarge.Riderdécouvritaussidesmarquesd’abrasionlaisséesparunecordeauniveaudeseschevillesetdesespoignets.Ilémitl’hypothèsequeStyxavaitétéattachéàunechaiseettorturé.«Torturé»!Etpourtantils’enétaitsortivivant,commeparmiracle.Auboutd’uneheuredesoins,Styxcommençapéniblementàsortirduchoc
danslequell’avaientplongésesblessures.Sesyeuxparvenaientàfairelamiseaupoint.Riderluiavaitadministréunantidouleur.IlétaitencorepassablementsaleetcertainsdétritusretirésparRidermedonnèrentdeshaut-le-cœur.De la chair. Il avait des lambeaux de chair et des fragments d’os sur les
vêtements.Qu’avait-il fait aux autres hommes ? Je m’efforçai de ne pas ypenser.—Ilfautqu’onluiretiretoutescesmerdes,constataRider.Sinonlessutures
risquentdes’infecter.Jelesaicouvertesdepansementsimperméables.Onn’apaslamoindreidéedecequecessalaudsdefascistesavaientdanslesang.—Jevaism’encharger,proposaKy.Ilserafurieux,maisjepeuxlefaire.Il
estobstinéetdétesteavoirbesoind’aide.KyallaversStyx,quivoulutseredresserpourprotester.—Moijevaislefaire,murmurai-jesansmêmeyréfléchir.Kyposasurmoiunregardsurpris.—Jevaism’occuperde lui.C’estmaresponsabilité,affirmai-jeavecplus
d’assurance.Styx me remercia d’une pression sur la main. Ou peut-être était-ce une
expressiondesonadoration.Peu importe,mais jemesentais incapablede leregarderenface.Moncœurtambourinaitdansmapoitrineàl’idéedecequejem’apprêtais à faire. J’allais le voir nu… j’allais le baigner. Dans lacommunauté, c’était considéré comme un moment de sensualité entre unhommeetsafemme.Lebainétaitunritesacrépourlesamants.Maisnousétionsdevenusamants,enquelquesorte…Dumoinsnousétions
sur lepointde ledevenir.Celaallait arriverbientôt.Noscorpsetnosdésirsétaientenphase,j’avaisbesoindeStyxetilavaitbesoindemoi.J’avaisenviedelui,etilmedésirait.—Certainementpas!Kylefera,intervintRider.
Savoixétaitglaciale.Styx se contracta, puis il se traîna à l’extérieur du lit avec quelques
grognementsdedouleur.Àsonexpression,jedevinaiquelasituationrisquaitvitedes’envenimersijen’intervenaispas.JelâchailamaindeStyxet,malgrésonregardquim’interdisaitd’approcherRider,j’allaiversmonmeilleurami,quiétaitensouffrance.Je lui pris le bras et le conduisis hors de la pièce, dans le couloir. Je
refermailaportedel’appartementderrièrenous.L’haleinechaudedeRiderdégageaituneforteodeurd’alcool.—Rider,Styxabesoinqueje…—Jenepeuxpassupporterdet’imagineraveclui!m’interrompit-il.Sontourmentétaitclairementvisible.Ilavaitlesyeuxinjectésdesangetses
longscheveuxétaientemmêlés,ébouriffés.Moncœurseserra.Queluiai-jefait?Jetendislamainpourluiprendrelebras,maisilsedéroba.—Rider,jet’enprie…,suppliai-je.—Est-ceque tucouchesavec lui,Mae?Tuessaputemaintenant?Cene
seraitpascontraireàtareligionparhasard?Jereculai,choquée,etjeheurtailemurenciment,produisantunbruitsourd.—Commentoses-tu?L’homme qui se tenait devant moi ressemblait à Rider, mais il s’agissait
d’uneversionamèredemonmeilleurami.Ilsepenchajusqu’àcequenosnezsetouchentpresque.Sacolèrerefluaet
unéclairde tristessepassadanssonregard.Nerveusement, jedéglutis. Ilpritmonvisageentresesmainsetm’interrogea:—Tuascouchéaveclui,Mae?Tut’esdonnéeàlui?Çamerenddingue.Je
nepeuxpast’imagineraveclui.Çametue,çametue…J’essayaidelerepousser,maisj’étaisincapabledelefairebouger.—Rider,cequejefaisenprivéneteconcernepas.— Tu plaisantes ? dit-il à voix basse. Bien sûr que ça me concerne ! (Il
renversa la tête en arrière pour prendre une grande inspiration, puis il meregarda.)Tuesàmoi,Mae.Jeveuxquetusoisdansmonlit,pasdanslesien.Onvabienensemble,Mae.Vraimentbien.Jenedéconneraisjamaisavectoi,jenebaiseraisjamaispersonnedanstondos.—Styxnonplus,l’interrompis-je.Ridermeregardacommesij’étaisdemeurée.—Tu es sûre de ça,ma belle ? Styx n’est pas comme tu te l’imagines. Il
baisedestraînées,ilboit,iltue.Iln’apasobtenusaréputationpourrien.—Ilesttoutàfaitdifférentavecmoi.Etdetoutefaçon,toiaussitutuesdes
gens.Avantd’enleverlapailledansl’œildetonvoisin,retirelapoutrequiestdansletien.— Peut-être, ma belle, mais je suis prêt à laisser tout ça pour toi.
J’abandonneraisceclubpourtoi.Jechangerais.Jedeviendraishonnêtesic’estcequetuveux.Il avait le souffle court et lorgnait surma bouche. Il se rapprocha, prêt à
m’embrasser,maisjetournailatêteauderniermoment.Ilgrogna,exaspéré.—Qu’est-cequetuvoisenlui?Jenerépondispas.Ilnevoulaitpascomprendre.—Réponds,Mae!exigea-t-il,avantdeposersonfrontsur lemien.S’il te
plaît…— Tout, répondis-je simplement. (Il s’arrêta de respirer.) Il est tout pour
moi.Jevoistoutenlui.Nouspartageonsquelquechosequepersonnenepeutcomprendre.Avec une exclamation d’incrédulité, il recula de deux pas et se passa les
mainssurlevisage.J’auraisjuréquesesyeuxétaientmouillés.—Tusaisquoi,Mae?Vadonccherchertoutça.Situnevoispaslavéritéen
face,resteaveugle.Etsurcesdernièresparoles,ildévalal’escalier.Désespérée,jesentismesjambessedérober,etjeglissailentementcontrele
mur,jusqu’àmeretrouverassiseparterrecommeunepoupéedechiffon.Je serrai les bras autour de mes genoux repliés, baissai la tête et laissai
coulermeslarmes.Commentlasituations’était-elleenveniméeàcepointavecRider?C’estmonmeilleurami,pourtant!Malgré tout, en me remémorant les dernières semaines, je reconnus les
signesmontrantqu’iltombaitamoureux:lescontactsprolongés,lessourirescomplices,lesconversationsdeplusenplusintimes.Commentavais-jepuêtresinaïve?J’étais tellementobsédéeparStyxque jen’avais rienremarqué.Etpourêtrefranche,j’étaisobsédéeparStyxdepuisl’âgedehuitans.Jen’aijamaiseud’intérêtquepourStyx.Il constituait réellementmonunivers,mon tout.Et la crainted’avoirpu le
perdre aujourd’hui ne faisait que renforcer mon désir pour cet hommesilencieux.Ilabesoindemoi.
Etj’aibesoindelui.Jeveuxavoirletempsdefairesaconnaissance.Jeveuxquenotreaventure
commencepourdebon.—Mae?Encore sous le choc, je relevai la tête en battant des paupières. Ky
m’observaitdepuisleseuildel’appartementdeStyx,l’airsoucieux.—Çava?J’essuyaimeslarmesetmeredressai.—Oui.—OùestRider?demanda-t-ilentendantlecou.—Parti.Ky m’examina d’un air entendu. Je m’attendais à ce qu’il fasse une
remarque,mais il se contenta d’ouvrir plus largement la porte etm’invita àentrerd’unmouvementdetête.Lelitétaitvide.—Oùest-il?demandai-jeenentendantlaporteserefermer.—Danslasalledebains.Ils’estrincélui-mêmedansladouche,maisiltient
àpeinedeboutetrefusemonaide.Maintenantilsefaitcoulerunbain.Cequiprésentemoinsderisquedechute,j’imagine.Jehochai la têteetm’apprêtaisàypénétrer lorsqueKyposaunemainsur
monbras.—Tuesàlui,hein?Pourdebon?C’estluiquetuveux?Ilvoulaitêtresûrquejenetrahiraispassonmeilleurami.Jeposailamainpar-dessuslasienneethochaigravementlatête.—Jeluiappartiensdepuistoujours.Jeneseraijamaisavecunautre.Jeserai
àlui,rienqu’àlui,pourtoujours.Avecunsoupirdesoulagement,Kys’enalla.—Tuescellequi luiconvient, jem’enrendscomptemaintenant,medit-il
sansseretourner.Tout à coup, jeme retrouvai seule avec Styx dans son appartement, avec
pourseulbruitl’eaucoulantdurobinetdanslasalledebains.Je prismon courage à deuxmains et ouvris la porte. Jeme figeai sur le
seuil.Styxétaitaumilieudelapièce,exhibantsondosmusclé…etnu.Ilavaitlatêtepenchée,lecorpsavachiparlafatigueetsapeautatouéedetoutespartsétaitabîméeparlesblessuresimportantesqu’ilavaitsubies.Admirantsansretenuechaquedétaildesoncorpsnu,jesentisunechaleurse
former entremes jambes et ma respiration se fit plus rapide. Je n’étais paspréparée à voir le corps de cet homme. Il était tout en muscles fermes etsaillants.Sondos,sesmollets,onauraitditqu’ilavaitétésculptéparunartiste.Laperfectionfaitehomme.J’étaisdeplusenplus tirailléepar l’enviede le toucher,de luicaresser le
dospourm’assurerqu’ilétaitbienréel.Lorsquejeposailesyeuxunpeuplusbas, je faillis pousser un cri de désir. Son postérieur était composé de deuxglobesbronzésetdurscommede lapierre,prolongéspardescuisses largescouvertesd’unduvetbrun.Mon ventre se contractait douloureusement. Je m’imaginais agenouillée
devantlui,embrassantchaquetatouage,chaquecicatrice…leprenantdansmabouche.Jen’avaisencorejamaisaccomplicetacte,leplaisiroral,maisiciauclub, j’avais vu des femmes satisfaire les frères de cette manière. Sur lemoment,j’avaisd’ailleursétéhorrifiéeparcespectacle.Maislà,confrontéeàlaperfectionquasidivinedeStyx,j’avaisterriblementenviedesentirsongoûtsur ma langue. J’eus honte un instant de mes pensées impures, mais jerepoussaicetteidée.Laculpabilitén’avaitpasdeplacedansunacted’amour.Pourtant,enfaisantunpasenavant, jesentisque j’étaismouillée,et jeme
sentis coupable. Cette moiteur à mon entrecuisse… venait de mon sexe. Denouveau je ressentis cette brûlure que j’avais expérimentée avec Styx. Jem’approchaietlachaleurémanantdesapeausaturéed’odeursmasculinesmefitdéfaillir–c’étaitunmélangedecuir,desavon,etd’odeurcorporelle.Jeposaiundoigtàlanaissancedesanuqueetlefisdescendrelentementle
longdesondos.Jevissapeausecouvrirdechairdepouleetilrelevalatêteenpoussantunsoufflesifflant.Ilmeregardapar-dessussonépaule.La fatigue quitta ses yeux couleur noisette, remplacée par une émotion
primaire. Je sentis samainse refermersurmonpoignetet ilm’attiradevantlui. Ma main passa de sa colonne vertébrale à sa taille, effleurant sa cagethoracique au passage. Je caressai son ventre aux abdominaux saillants. LesbraspuissantsdeStyx,couvertsdetatouages,secontractaientenréponseàmescaresses.Il déglutit bruyamment et j’osai enfin croiser son regard. Je me penchai
pourposerunbaisersurlamarqueimmondedésormaisgravéedanssachair.Ilrenversalatêteenarrièreetsaisitmanattedanssonpoing,aveclaquelleilm’attiraverssapeauluisante.Ilpoussaungémissement sourdet leva lesmainspour retirermaveste. Il
serra les lèvres puis lécha son anneau labial. Il n’avait plus de sang sur le
visage,ilnerestaitqueleségratignuresetunelongueestafiladesursajoue.Ils’attaquaensuiteauxbretellesdemondébardeur,sansmequitterdesyeux.Leboutdemesseinsdurcitaucontactdel’airfraissurmapeaunue.Lorsque Styx baissa les yeux, il empoigna ma poitrine avec ses mains
calleuses.Ladéchargedeplaisirentremesjambesfutimmédiate.—Styx,murmurai-je,lesmainsplaquéessursontorsepuissant.D’un coup sec, il déchiramon vêtement, qui tomba au sol. Puis, sans que
j’aie eu le temps de comprendre ce qui se passait, mon pantalon en cuir seretrouvaàmeservirdejambières.Mapetiteculottenoireétaitlaseulebarrièrenousséparantencore.Desesdoigtshabiles,Styxdéfitleslacetssurmeshanchesetlepetittriangle
detissurejoignitlerestedemesvêtementssurlescarreauxnoiretblancdelasalledebains.J’étaistotalementnue,etluiaussi.Il enroula la main sur ma nuque et m’attira à lui, m’obligeant à lever le
menton,etmefrôlaleslèvres.Sapeauabîméeétaitrâpeuse,maislasensationétaitparfaite.Ils’écarta,mepermettantdedécouvrirduboutdesdoigtslesreliefsdeson
torseferme.Puisjerencontraisonsexedressé.Styx s’immobilisa et refermames doigts autour de sa virilité. J’arrivais à
peineàenfaireletour.Oublianttoutepudeur,jebaissailesyeuxethoquetai.Jen’avais jamaisvuunmembresi imposant.Lesdisciplesnesoutenaientpas lacomparaison. Je fis coulisser ma main de haut en bas et un frisson meparcourutlorsquejevisqu’ilétaitàmamerci,consumédedésir.Jevoulaisleprendreenmoi,lesentirbougeràl’intérieurdemoi…Fairel’amourpourlapremièrefoisdemavie.Etconnaîtreleplaisir.Je reculai un peu pour admirer mon homme dans cette position lascive.
J’avais la bouche humide, les seins douloureux, une pulsation de désir mefaisaittremblerauplusprofonddemonêtre.Ilreprésentaitlaperfectionpureetbrute,siattiranteetdangereuse.Pour reprendremesesprits, jemedétournaietmepenchaipour fermer le
robinet. Je sursautai en sentant Styx juste derrière moi. Son membre rigides’inséra parfaitement entre mes cuisses. Le frottement me procurait unesensationdélicieuse…quim’envahissait,mesubmergeait…Jemeredressai,ledosappuyécontresapoitrine.Jelevailesbraspourles
croisersursanuque.Ilsemitàmelécherlecou,toutentirantetpinçantmes
tétons. Puis ses mains descendirent vers mon sexe, ses doigts glissantdélicatementdansmonintimité.—Styx,haletai-je.Sesdoigts effectuaientdesva-et-vient, touchant chaque foisun endroit qui
envoyaitdessalvesdecourantélectriquesousmapeau.J’étaisdansuntelétatd’extasequemespiedsetmesmainsétaientparcourusdepicotements.Styxnedisaitrien,etsonsilencerendaitcemomentencoreplusintense.Il
imprimaàsesdoigtsdesmouvementsdeplusenplusrapides,jusqu’àcequejeme tortille entre ses bras, à l’agonie. Ses coups de bassinmemalaxaient lesfesses et le brasier que je n’avais senti que quelques rares fois commença àenfler, à labasedemacolonnevertébrale,puis secommuniquaàmonsexe,explosant avec délices. Je fermai les yeux, me frottant avec force contre lamaindeStyxtandisquesonmembreallaitetvenaitentremesjambes.Je sentis un liquide couler le long de mes jambes. Ma respiration était
lourde,saccadée.— Mae, dit-il à voix basse, tout en retirant ses doigts avec une lenteur
délibérée.Je me tournai pour lui faire face, manquant de m’écrouler en le voyant
portersesdoigtsà labouche. Il les léchaavidementavantde les ressortirens’attardantsursalèvreinférieure.Puisillesappuyacontremabouche.—Suce,demanda-t-il.Tremblant à la fois de peur et d’impatience, j’engloutis ses doigts tendus.
Sesyeuxs’agrandirentetjesentissonsexeappuyersurmonventre.Jereculaialorsetleguidaiverslagrandebaignoireblancheremplied’eauchaude.—Laisse-moitelaver.Son regard brillant s’adoucit un peu et je l’aidai à grimper dedans. Il
s’allongea,sansmequitterdesyeux…ilmeregardait,inlassablement.Jetrouvaiuneépongeetunsavonsurlereborddelabaignoire.Jemouillai
l’éponge,agenouilléeàcôtédelatêtedeStyx.Lorsquejepassail’épongesursescheveuxsombres,ilgrognadeplaisiretm’attrapalepoignet.—V-viensavecmoi,ordonna-t-il,unequestiondanslesyeux.J’étais terriblement nerveuse, mais je l’entendis gémir, et avant de
comprendre ce qui m’arrivait, je me retrouvai tout contre son visage. Ilm’embrassasur lenez,agrippantd’unemainlabasedemanuque.Jereculaiunpeu,surpriseparcegesteinhabituel.Seslèvresfrémirent.—Tonp-petitnezquif-frétillefinirap-paravoirraisondem-moi,confia-t-
ild’unevoixrauque.Maintenant,g-grimpe.
Ilsemblaitseremettredesesblessuresàunevitessefolle.Usantdesaforce,ilmetiraenavantet,vacillante,jefranchislereborddela
baignoireetm’enfonçaidans l’eaubrûlante. J’étais faceàStyx.Nue.Dans labaignoire.Monespritn’arrivaitpasencoreàcroirequ’ils’agissaitdelaréalité.Mon
rêves’étaitconcrétisé.Ilmeregardait intensément.Jefinisparattraperl’épongepourcontinuerà
le laver.Sesmuscles tendusauxveinessaillantesserelaxèrentet il fermalesyeux.Ilpromenasesmainslelongdemesmollets,puissesdoigtssecontractèrent
etilm’attiraàlui.Moncorpsmouilléatterritsurlesienavecunclaquement.Ilétaitsigrand,simuscléparrapportàmastatureetàmacorpulence.Mapeauclairecontrastaitaussiavecsoncorpsbronzé.Sanshésiter,jeplaquaimabouchesurlasienneetilaventurasalangueentre
mesdents,engageantunduelaveclamienne.Sesmainss’appuyaientsurmondos nu, puis vinrent empoignermes fesses. Le contact de ses doigts quimemalaxaient était rêche. Il me guida pour que mon sexe frotte contre sonérection.Jeledésirais.Jevoulaisdésespérémentm’uniràlui.Jeprispeur:sonmembregonflémedonnaitdeplusenplusdeplaisiretje
luitirailescheveuxjusqu’àcequ’ilsuspendesesmouvements.— B-baise-moi, implora-t-il. B-baise, moi, b-bébé. Lentement ou v-
violemment,maisb-baise-moi…J’étaispétrifiéeparlapeur.J’essayaidemedérober,dememettrehorsdesa
portée,c’étaittrop,j’étaissubmergéeparmessensations.MaislapoignedeferdeStyxnemelaissaitpaspartir.—Qu-qu’est-cequinev-vapas?medemanda-t-il,inquiet.Jebaissailatête.—Je…jenesaispascomment…tedonnerduplaisir,répondis-jeenévitant
sonregard.J’aipeurdenepasyarriver.—Bébé?Ilmefitsignedevenirplusprès.Sescicatricestoutesfraîchesétaientd’un
rougeviolent,etpourtantilétaittoujoursbeaucommeundieuàmesyeux.Jen’avaisrienàcraindre.Ils’agissaitdeStyx.Jem’installaiprudemmentàcalifourchonsursescuissesetluiexpliquai:—Jenesaispascommentm’uniràtoi.Enfin,jeneconnaisquelaposition
requisepourlacommunionavecleSeigneur.
Ilsefigea,puissoulevaunpeuletorseetmepritlevisageentrelesmains.—Jevaistemontrer.Il plongea ses grandes mains dans l’eau et souleva mes cuisses pour me
mettretoutcontresonmembredressé.—L-laisse-moitep-pénétrer,bébé.Fais-moientrer.—Maistuesblessé,tuvastefairemal,protestai-je.—Excellente r-raisonp-pourmechevaucher.C’est à t-toidemeb-baiser,
bébé.Mesblessuresnevontp-pasm’empêcherd’apprécierlesm-mouvementsdetachatteautourdemaqu-queue.C’estt-toiquic-commandes.C’estmoiquicommande.—Styx!hoquetai-jelorsqu’ilinsérasoudaindeuxdoigtsenmoi.—Tues t-trempée…t-tellementp-prête,murmura-t-il.Ch-chevauche-moi,
Mae.Il retira ses doigts et se cala dans la baignoire,mais laissa sesmains sur
moncorps,mecaressant,sansjamaisromprelecontact.Agenouillée sur ses cuisses, je guidai son sexe à l’entrée de mon vagin,
tremblanted’excitationetd’impatiencemalgrémacrainted’êtremaladroite,deluifairemal.Maislorsquejeplongeaimonregarddanssesyeuxnoisette–cesyeux qui m’avaient soutenue toute ma vie durant –, mes inquiétudess’envolèrent.D’uncoup,j’abaissailesfesses,lefaisantentrerenmoijusqu’àlagarde.Ilserra lesdents,sonpoulsbattantvisiblementdans lesveinesdesoncou.
Une vague de plaisir déferla en moi et, prenant soin de ne pas toucher sesblessures,jem’appuyaisursontorse.—Styx…Oh,Styx…,murmurai-jeàmesurequ’ilmepénétraitdeplusen
plusprofondément,faisantgrimpermonplaisir.Jem’immobilisai,savourantcettesensationexquise.—Prends-moi,b-bébé!siffla-t-ilenattrapantmespoignets,m’attirantvers
luipourcollersonfrontcontrelemien.—Etmaintenant,qu’est-cequejefais?demandai-je,unpeugênéeparmon
inexpérience.MaisavecStyx,jemesentaisàl’aise.—B-bougeleb-bassin,dehautenb-bas.Suivantses instructions, j’imprimaiun lentmouvementdebalancieràmes
hanches,etl’eaudubains’agita,desvaguelettesmenaçantdefairedéborderlabaignoire.—OhMae!B-baise-moi!
Le plaisir et l’instinct prirent la direction des opérations. À chaquemouvement de Styx en moi, des étoiles de plaisir explosaient derrière mespaupièrescloses.Je caressais ses muscles qui tressaillaient à mon contact. Son bassin
commençaà s’agiter, synchronisantnosmouvementsetme tirantdescrisdeplaisir. Cette sensation d’être parfaitement remplie me submergeait. Nosmouvements étaient de plus en plus rapides, l’eau giclait de toutes parts,éclaboussantbruyammentlesol.—Styx,Styx,Styx…Oh,Styx!J’ouvris soudain les yeux, et il me regardait, il ne cessait jamais de
m’observer.Ilglissatoutnaturellementlamainentremesjambesetsonpouceappuya à cet endroit… cet endroit particulier… qui me faisait perdre toutcontrôle.Leplaisirétaitsiintensequ’ilenétaitpresquedouloureux,desflammesde
désirbrûlantesm’irradiaienttoutlecorps,incendiantmesveines.Meshanchesbougeaienttoutesseules,heurtantviolemmentcellesdeStyx.Sesmouvementsfrénétiques et les grognements de plaisir qu’il poussait achevaient dem’exciter.Lesmouvementsdesonpoucesefirentplusappuyésetplusrapides,tandis qu’en moi son sexe sembla grandir encore, me menant au bord del’explosion.Mon cœur battait trop vite, le bassin de Styx ondulait sousmoi, et pas un
instant il ne me quittait des yeux. Puis, comme un éclair, une sensationindescriptible prit possession de toutmon corps et je hurlai de plaisir. Styxouvrit la bouche, il donna deux derniers puissants coups de reins, puiss’immobilisa,lesyeuxexorbités,levisagedéformé,commesousl’effetdeladouleur,etjesentisunjetdespermefuserenmoi.J’avaisl’impressiond’êtreenapesanteurdansl’airchaudetimmobiled’un
après-midi d’été. L’eau chaude nous enveloppait d’un cocon agréable. Jeretombaisursapoitrine,épuisée,maisparfaitementheureuse.EnentendantlesbattementspuissantsetrapidesducœurdeStyx,jesouris.Il
caressaitmeslongscheveuxmouillésétaléssurmondostandisquenousnousremettionstouslesdeuxdecetorgasmesimultané.Alorsvoilàcequec’estquefairel’amour.Jevenaisdefairel’amouràStyx.Etj’avaistoujourseuraison.Noussommesfaitsl’unpourl’autre.Ilesttoutpourmoi.Ilestmonalphaet
monoméga…Styxestmonsalut.
Chapitre18
StyxBontédivine.Mae.Toutentière.Touteàmoi.Moidanssapetitechatteserrée,laremplissantdemajouissance.Putaindeperfection.Sonsoufflelégeretréguliersurmapoitrinehumide.Elles’étaitassoupie.—Mae?appelai-jedoucementpourlaréveiller.Jepassaideuxdoigtsentresesfessesserréespuislesenfonçaidanslafente
trempéedesonsexequej’avaisdéjàabondammentvisité.D’instinct, elle ondula des hanches et un petit cri s’échappa de ses lèvres.
Soudain elle ouvrit grand ses yeux bleus, puis ses paupières retombèrent unpeuetellesetortillacontremamain.—Styx,gémit-elle,lavoixenrouéeparlesommeil.Elletendit lesmainsetpritappuisurlesbordsdelabaignoire.Jetiraisur
mon anneau labial pour me forcer à garder mon calme. Elle était si belle,chevauchantmamain.Ses tétons roses se contractèrent, ses seins lourds se soulevèrent et, les
lèvresentrouvertes,ellesemitàrespirerbruyamment.Incapabledesupporterquemonsexesoitsurlatouche,jeretiraimesdoigtsetl’yplongeaiàlaplace.Ohputain!Mae écarquilla les yeux et me regarda sourire. Cette fois, je prenais les
commandes,ettantpispourlespointsdesuture.J’attrapaiMaeparleshanchesetlamissurledostandisquejemedressaisau-dessusd’elle.Ellepoussauncri, je glissai mes bras dans son dos et sentis qu’elle enroulait les jambesautour demes fesses. Elleme sourit timidement et j’entrepris de la prendresans relâche, lui tirant des gémissements sourds, tandis que ses ongless’enfonçaientdansmapeau,nospoitrinesglissantrythmiquementl’unecontrel’autre.
Elleatteignitl’orgasmeenunriendetemps,etjelasuivisunesecondeplustard.Haletantautantquemoi,Maedégagealescheveuxretombéssurmonvisage.—C’étaitunsacréréveil,commenta-t-elled’unevoixéraillée.Jeluisouris.—T-touslesjoursàp-partirdem-maintenant.—Promis?Jehochai lentement la tête, solennel.Ellepromenadélicatement sespetites
mainssurmontorse,suivantdélicatementletracédemessutures.—Commenttesens-tu?Cabossé, furieux contre ces ordures nazies, mais sacrément bien. Je me
penchaipourluiembrasserleslèvres.—B-bien.Je ressortismonmembre encore raide etm’accroupis pour déroulermon
dos douloureux. Je grimaçai en sentant la brûlure des points de suture quipromettaientdelaisserdenouvellescicatricessurtoutmoncorps.Notammentcetteputaindecroixgamméesurmapoitrine.—Dehors.L’eauestfroide.En regardantMae, j’en eus littéralement le souffle coupé.Maintenant elle
étaitàmoi.Pluspersonnenepourraitmelaprendre.Je lui tendis une main et fus surpris par l’air sévère sur son visage
d’habitudesidoux.Jehaussaidessourcilsinterrogateurs.Sansunmot,elleselevaetsortitdelabaignoiresansmonaide.Jeserrailes
mâchoires.Jen’étaispasuntypefaibleetdépendant!Maiselles’approchaetmepritparlebras.—Laisse-moiprendresoindetoi.C’estmonboulot…Jesuistarégulière.Jefermaiuninstantlesyeuxpoursavourercesmots:«tarégulière».Mon
pèreavaitsacrémentraison,jen’avaisbesoinquedetroischosesdanslavie:maHarley,ma Fender… et une régulière aimante.Mae, la seule et l’uniqueMae.Souriante,Maem’enveloppadansuneserviette,fitdemêmepourelle,puis
m’accompagna,àuneallureridiculementlente,verslelit.Arrivésàmonfauteuil,ellem’aidaàmemettreenpositionassise.—Jedoischangerlesdraps,ilssonttachéspartonsang.Elle mit ses mains en coupe sur mes joues et caressa délicatement mes
nouvellestracesdecoupures.—Après,onvadormir.Tudoisbientereposer.
—Avect-toiàc-côtédem-moi,hein?Avecunimmensesourire,Maerépondit:—Oui,jeseraitoutcontretoi.Elle posa un doux baiser sur mon front et je me laissai aller contre le
dossierenlaregardantprendredesdrapsnoirsfraîchementlavés.J’attrapaima guitare, la posai contrema taille et commençai à gratter. Je
surprisunsourireheureuxsurleslèvresdeMae,quis’interrompitbrièvementenentendantlescordesvibrer.Alorsquej’entonnaisGospeldeTheNational,jeremerciaimentalementHadèsd’avoirbienvouluquejerentrecesoir.Quejeretrouvemonclub,mesfrères…etmarégulière.Pendantunmoment, j’avaisdouté en sortir vivant. J’avais troué septnazis
avec mes pistolets Uzi avant d’être mis à terre par les deux derniers. Ilsm’avaientattachéàunechaise,ettorturé.Maiscesdemeurésavaientoubliémalame.L’ironiedusortavaitvouluquecesoitmalameallemande,mapréférée,celleque jegardais cachéedansmaveste sansmanches. J’avais égorgé l’undes deux, et plongé treize centimètres d’acier dans le cœur du second,maisseulement après m’être un peu amusé. Enfin, j’avais trouvé le chemin duretour,guidépardesyeuxdeloup.—«Darlin’,canyoutiemystring?Killersarecallingonme…»Après le dernier accord, je levai les yeux versMae quim’écoutait jouer,
sagementagenouillée.—Aulit?medemanda-t-elle,lesyeuxbrillants.Je posai avec précaution ma Fender et elle m’aida à m’allonger sur le
matelas.Nerveusement,elles’allongeaàcôtédemoi.Jeretiraimaservietteetl’invitaid’ungesteàfairedemême.Latêtesurl’oreiller,nousnousregardions.Jeluiprislamain.—P-pourquoit’es-tuenfuiedelas-secte?Elleseraiditimmédiatementetsesyeuxs’emplirentdelarmes.Jenedisrien
deplus,attendantqu’elleparle,qu’elleselivreàmoi.Auboutdequelquesminutes,ellemurmura:—Ilsont tuémasœur. Jenepouvaisplus rester.Ellem’avaitconseilléde
partir,etj’aisuivisonconseil.Jenepusretenirunegrimacedecolère.J’enavaisleventreretourné.Mae
essayadecouvrirsoncorps,commesielleavaitfroid.Jeremontailacouettesurnous.Ellemesourit,reconnaissante,ets’approchademoi.Sonvisageétaittoutprèsdumien.C’estalorsqu’elleremualenez.Elleétait
pétried’angoisse,maisilfallaitqu’elleseconfieàmoi.
—Nous…(Elleinspiraprofondémentetfermalesyeux.)Nousétionssœursde sang. Cela n’arrive pas souvent au sein de la communauté. Les parentsconçoiventdes enfants,mais c’est la collectivitéqui les élève. Jen’ai jamaisconnumesparentsbiologiques.Mamèreestmortedemaladie,etmonpèreestparti.IlaétéenvoyéenmissionparleprophèteDavidetn’estjamaisrevenu.J’aiuneautresœur,Madeleine,maisnousn’avonspaslamêmemère.Elleesttrès secrète, contrairement à Bella et moi. Maddie est terrorisée par leshommes, et par beaucoup d’autres choses.Bella était vraimentmameilleureamie.Nousavionstoujoursétéproches.Ellelevalesyeuxetsourit.— Elle était magnifique, Styx, tu aurais dû la voir, elle était superbe,
parfaite.Etd’unegentillesseexemplaire.Maissonallureacausésaperte,luiagâchélavie.J’essayai en vain d’imaginer une femme plus belle queMae. Impossible,
maiselleycroyaitvisiblement.—Lesfrèrestraitaientplusdurementlesbellesfemmes.LeprophèteDavid
et le chef des aînés, Gabriel, disaient que c’était le diable qui les rendait sibelles.Qu’ellesétaientcrééespourtenterleshommes,etellesméritaientdoncd’être traitées différemment des autres femmes. Surveillées… et dressées,commeleschevaux.Considéréescommemaudites.Elles’agita,malàl’aise,etunelarmeroulasursajoue.Jel’embrassai.Son
soufflesebloquauninstant,puiselleexpiralentementparlabouche.—BellaetmoiétionscatégoriséesMaudites,c’étaitmêmeainsiqu’onnous
appelait.MonamieLilaetmasœurMaddieaussiétaientavecnous.Touteslesquatre, nous occupions un quartier à part dans la communauté. Nous étionstenuesà l’écart, à ladispositiondesaînéspour leursentraînements spéciaux.FrèreGabrielavaitBella.FrèreJacobm’avaitmoi.FrèreNoéavaitLila.Etleplus cruel de tous,Moïse, avaitMaddie. Il disait qu’elle était habitée par lesdémons parce qu’elle ne parlait pas beaucoup et n’aimait pas quitter sachambre.Elleétaitsimplementcalme,réservée,mêmeàmoielles’ouvraittrèspeusursessentiments.Illuifaisaitfairedeschoses…Sonvisagesechiffonnaetellelaissaéchapperuncriétranglé.—Là,là,bébé.J’essayaidel’apaiser,maiscommentréagirfaceàuntelrécit?— Gabriel était de plus en plus obsédé par Bella, à mesure qu’elle
grandissait.Mêmeaprèsqu’ileutépouséunesœur.Puisuneautre.Ils’unissaitàBellatouslessoirs,dormaitavecelle.Belladevaitmangeraveclui,selaver
aveclui.Ilvoulaitabsolumentlaposséder.Maisellelehaïssait.Ellelehaïssaitdetoutsoncorps.Maerespiraprofondémentavantdepoursuivre:—Quandj’avaistreizeans,leprophèteDavidadéclaréqu’uneprophétielui
avaitannoncéquejeseraissaseptièmeépouse,cellequiannonceraitleretourduChristetlafindumonde.Jedevaisl’épouseràvingt-troisans.Jenesaispaspourquoi j’ai été choisie. Je n’ai jamais parlé au prophète. Il ne se mêlaitjamais à sonpeuple.Nousne le voyionsqu’aumoment des cérémonies, descommunions,desprièrescollectives.Maisildemandaitauxaînésdefilmerlesjeunes sœurs de la communauté. Pour voir avec lesquelles il voulait… faireconnaissance.Ilm’apeut-êtreremarquéesurunevidéo…Ellem’embrassaletorse,commepoursedonnerlaforcedecontinuer.Le
poing serré sur ses cheveux, je serrais les dents àme fairemal. Filmer despetitesfilles?Foutupervers!Oh,etjesavaisbien,moi,pourquoielleavaitétéchoisiepourêtresafemme.C’étaitévidentpourn’importequiayantdesyeuxpourvoir.—Jemesuisenfuielejourdemonmariage.Ettum’astrouvée.Touts’expliquait.—Larobeb-blanche…Maisj’étaisincapabled’endireplus,larageétouffaitmesmots.Ellehochalatête.—Danslessemainesprécédantlacérémonie,masœurBellaavaitsoudain
disparu.Personnenevoulaitnousdireoùelleétait,maisàpartirdecejour-là,onnevitplusGabrieldansnotresecteur.Ildevaitêtreavecelle.Etcejour-là…(Ellerenifla.)Lejouroùmonmariagedevaitavoirlieu,Lilal’atrouvée.Bellaétait enfermée dans une cellule sale et sans lumière. Elle avait été battue.Affamée et blessée, elle agonisait. Je l’ai accompagnée dans ses derniersinstants.Etquandelleestpartie,jemesuisenfuie.Soudainellesemitàsangloterbruyamment,tremblantdetoutsoncorps.Je
l’attiraitoutcontremoi.—Jelesailaissées,Styx!J’ailaisséMaddieetLila!—Oh,p-putain,Mae.J’essayaidemedéfairedel’étauserrésurmescordesvocales.Elle recula tout à coup, le visage marbré et gonflé, et dit d’un ton
d’urgence:—Ilsmechercheront,sansrelâche. Ilscroientque jesuis l’instrumentqui
sauveraleursâmesdemortels.
Jepassailepoucesurletatouagebibliquequ’elleavaitaupoignet.—La fin dumonde approche etmonmariage est ce qui doitmenermon
peuple–l’Ordre–auparadis.Et voilà qu’elle débitait encore ces conneries. Le regard vitreux, d’un ton
monocorde.—T-t-t-tu… (Je pris le temps de respirer pourme calmer et réussir à lui
parler.) T-t-tu ne p-p-partiras pas. S’ils v-viennent te ch-chercher, il leur f-faudraaffronterlesHangmen.Sonvisagecrispésedétenditunpeu.—Styx,jeneveuxpastequitter,mais…—Jetep-protégerai,promis-je.—Jelesais,dit-elleenseblottissantcontremoi.Unmauvaispressentimentm’assaillitsoudain.Jelesentaisdansmestripes,
quandquelquechoseclochait.J’avaiscettesensationdepuisl’arrivéedeMae,maisc’étaitplusfortquejamais.—Ettoi?chuchotaMaeencaressantmonbicepscontracté.—Qu-quoi?—Tamère?Queluiest-ilarrivé?Quiétait-ce?Jelaissaiéchapperunrirebref.—Unet-traînéeduclub.Elleaqu-quittémonp-pèrepourunsacàm-merde,
unD-Diablo.—UnDiablo?— Un club rival de bikers mexicain. Depuis, c’est la g-guerre. Mon p-
paternel a t-tuémamère quand j’avais d-dix ans. Sanchez, leur prés’, a butémonp-pèrel’andernier.Deuxjoursplust-tard,j’aid-descenduSanchez.Maepritappuisurmonépaulepourseredresser.Sonexpressionétaittriste.—Tuaseuuneviesiagitée,ponctuéepartantdemorts.Jemesuistoujours
demandépourquoiHadèsétaitvotreemblème,c’estleMalin,j’aivulafresquemuraledèsquejesuisarrivée.C’esttellementétrangedevouerunculteàcela.—P-paspourn-nous.Ellehaussasessourcilsd’ébèneetmeslèvresfrémirent.Jemedégageaiet
balançaimesjambespar-dessusleborddulit.—Oùvas-tu?Ilfautquetutereposes.Tuasétéblessé,tusais!Jebalayaisesprotestationsd’ungestedelamainetluijetaisonpeignoir.—Enfileç-ça.Piquée par la curiosité, elleme regarda enfilermon jean. Je lui tendis la
mainetlaconduisisdanslacour.
Il y avait une brise estivale dans l’atmosphère nocturne au silenceuniquement troublé par les stridulations des criquets. Mae examinait lesalentours avec un air de biche apeurée. Il s’était produit trop d’événementsviolentscesdernierstempspourqu’ellesesenteàl’abridehors,mêmes’ilyavait une grille solide tout autour de nous, surmontée de barbelés, et descamérasàchaquecoinpournousprotéger.Devant legarage s’alignaient lesmotosdesfrères,desHarleyetdeschoppersrutilantauclairdelune.Jelaprisparlebras.—P-parici.Ellereplaçaunemèchederrièresonoreilleetmelaissalaconduiredansla
partieouestduterrain.Quandellerevitlapeinturemurale,jelasentishésiteràallerplusloin.Jelaserraicontremoietposailamainsursonépaule.—Jev-veuxtep-présenterHadèsetP-Perséphone,safemme.Elle exhala un léger soupir et avança d’un pas léger, la tête levée. Elle
regardait la déesse avec une admirationmêlée de crainte. Je reculai un peupourlalaisserfairecetteexpérience.Quantàmoi,brascroisés,jenepouvaiscesserd’admirerMae.EllelevalamainettouchalevisageauteintclairdePerséphone.—Danslacommunauté,lesimagesétaientinterdites,caraccuséesd’êtrede
faussesidoles.Maisjen’aijamaisrienvud’aussibeauqueceportrait.Elleesttrèsbelle.Mae se tourna vers moi et sourit largement, faisant paraître ses dents
parfaites.Puisellesuivitletracédeslongscheveuxnoirsdeladéesse.Merde,cettefillepouvaitmefairefairecequ’ellevoulait.Ellemeregardaàtraversseslongscils,l’airdérouté.—Ellemeressemble,ellealesyeuxdelamêmecouleurquelesmiens.Jevinsmeplacerprèsd’elle.—Cejour-là,qu-quandjet’aiv-vue,tum’asfaitp-penseràelle.Jem’ens-
souviensc-commes-sic’étaithier.Sonsilenceétaitéloquent.Soudainnerveux,jem’agitaisurplace.—T-tusaisquis-sontlesautressurcet-tableau?Ellemontralepersonnagecentral,vêtud’unamplevêtementnoir,leregard
sansmerci.—Hadès,nomma-t-elleavecunlégertremblementdanslavoix.Jesaisque
c’estlediable.Ellegrimaça,fronçantlessourcilsd’unemanièreadorable.
—IlesttoutàfaitressemblantaudiabledécritdanslesSaintesÉcritures.Jeluimontrailebancmarrondel’autrecôtédelacour.—Assieds-toi.Je l’emmenai àmon emplacement favori, en face de la peinture. J’aimais
m’asseoirlàpourréfléchiretfumer.Etpenseràelle,biensûr.Maisjeneluiconfiai pas combien il était bizarre de l’avoirmaintenant àmon côté sur lebanc.Maes’assit,vérifiaquesonpeignoirnebâillaitpas,pliasoigneusementles
jambes et posa les mains sur les genoux. Puis elle appuya la tête sur monépaule.—T-tuasentendup-parlerdesG-Grecs?— Un peu. Je crois que je ne sais pas grand-chose. Et j’ai compris
récemmentquelepeudechosesqu’onm’aapprisessurlemondeau-delàdelaclôturen’étaientquemensonges.Avecunpetitsourire,jeluiexpliquai:—LesG-Grecsanciensnec-croyaientpasenund-dieuunique.Ilspensaient
qu’ilyenavaitplusieurs.Bouchebée,elleposaunemainsursoncœur.—Blasphème!Iln’yaqu’unseuldieuvéritable.Jehaussailesépaulesetsortisunecigarettedemapochearrière.Lareligion
n’avaitaucuneplacedansmavie,et jememoquaisdechoquer lesgens.Lesbikersneseconformentpasauxdiktatsdelasociété.C’esttoutlecontraire.Maetoussota.—Pourquoiinhales-tulafuméedeceschoses?—Ça…ça…(Jem’éclaircislavoix.)Çamecalme,répondis-jesèchement.Enlavoyantfaireunegrimace,jenepusm’empêcherdesourire.—Çapue,seplaignit-elle.—T-tut-trouves,b-bébé?dis-jeenriant.Ellehochalatêteavecvéhémence,comiquemalgréelle.Jejetaimacigarette
parterreettapotailenezdeMae.— Et c’est p-pour ça que t-tu ne c-commenceras j-jamais à fumer,
d’accord?Jememontraischarmant,enjoué.S’il l’avaitsu,Kym’auraitfait latêteau
carré.—Entendu,dit-elle.Au bout de quelques secondes, elle revint près demoi, se blottissant sous
monbrastendu.
—TumeparlaisdesGrecs,Styx.Jereprismonrécit.—PourlesG-Grecs,ilyavaitt-troisdieux,t-troisfrères:Zeus,P-Poséidon
et Hadès. Ensemble, ils r-renversèrent leur p-père, le d-dieu souverainChronos. Ensuite ils t-tirèrent au s-sort l’attribution des d-différents d-domainesàd-dirigerenl’absencedeChronos.Maeseblottitcontremoi.—Etensuite?—Zeusobtintleciel,P-Poséidonl’eau,etHadèslesEnfers.Aucund-d’eux
nes-souhaitaits’occuperdecesd-derniers.Je luimontrai lareprésentationde l’enfer :desfleuvesnoirs,desétendues
dévoréesparlesflammes,desdémonsmorbides…—AinsiHadèsaobtenulesEnfers,c’estfâcheux.J’étouffai un rire, amusé par sa façon de parler comme dans un vieux
roman,avecunbonvieilaccenttexan.—Ouietn-non.—Pourquoi?—DanslesEnfersset-trouvelep-portailmenantàt-tout,t-touteslesroutes
que l’âme p-peut emprunter après la m-mort. Qu-quand quelqu’unmeurt, ilpassep-parlesEnfers,pourêtrejugéetenvoyé,soitauxchampsÉlysées,unesortedep-paradis, jecrois ; soitau fleuvede l’oubli,Léthé,où l’âmeb-boitpour oublier sa v-vie p-précédente ; soit, si la p-personne s’est très malcomportée, au T-Tartare, qui est l’enfer proprement d-dit, le pire endroit p-possible.Etc’estHadèsquip-présideàtoutça,pourquet-toutfonctionne.Maesetaisait.Jemedemandaisic’étaittropd’informationsenmêmetemps.—LefleuvesurcettepeinturesenommeRiverStyx,non?C’esttonnomde
club.—C’estv-vrai.Elle se leva pour examiner le cours d’eau, puis plongea ses yeux de loup
danslesmiens.—SiLéthéestlefleuvedel’oubli,àquoisertleStyx?Jeretinsmonsouffleuninstantavantdelâcher:—Lahaine.Maepassaundoigtsurmajoueblesséed’unairdésolé.—Ils’agitd’unsymbolesitriste.Jeposaimamainsurlasienne,l’immobilisantsurmajoue.—C’estv-vrai,b-bébé.Lavieestd-dure.Etlam-mortplusencore.P-pasla
peined’enroberlaréalité.—Pourquoi le club a-t-il voulu senommer en référence àunehistoire si
négative?Pourquoinepasavoirchoisiledieuducieloudel’eau?Elle était tout excitée, pensant avoir trouvé une nouvelle voie pour nous,
vers la rédemption. Je n’avais jamais entendu ce genre de choses. Mais çan’avaitpassaplaceici.—Lechapitrem-mèredesHadesHangmen,lep-premierc-club,aétéfondé
iciàAustin.Mong-grand-p-pèreétaitl’undesm-membresfondateurs.Ilac-combattuauV-Viêt-Nametlaguerrel’ac-complètementb-bousillé.Qu-quandilestrentré,ilnepouvaitp-plusvivren-normalement.Ilnesavaitf-fairequed-deux choses : t-tuer et conduire sa Harley. Il n’arrivait p-pas à garder unemploi.Avecd’autresv-vétérans,ilacréécegang.Etd-depuis,mafamillev-vitc-commeça.Jeneconnaisriend’autre.Jevoyaisàsonexpressionqu’ellenecomprenaittoujourspas.—Tusais,b-bébé,lesc-combattantsduViêt-Namontvud-deceschosesqui
leurontàjamaisv-voléles-sommeil…Aprèslest-trucsqu’ilsontd-dûfaire,ils redoutaient la m-mort elle-même. Aucun d-dieu du ciel ou d-de l’eaun’auraiteulep-pouvoirdelest-tirerdecetenfersurT-Terre.Àleurr-retouraup-pays,ilsétaientc-considérésc-commedesassassins,desv-violeurs,dest-tueurs d’enfants. Les gens ont su ce qu’ils avaient d-dû faire p-pendant laguerre,etlesontrejetés.CommeHadès.Sionvitt-troplongtempsenenfer,ond-devientunpécheursoi-même.Pourquoiessayerdebienagirsilesgensontdéjàjugéquetuesirrécupérable?Ellesoupiraetposalamainsurmapoitrinenue.—Tun’espassimauvaisquetulepenses,Styx.Tuesunhommebien.J’avais envie de la croire, d’acquiescer, mais elle méritait d’entendre la
vérité.— Si, b-bébé. Je suis m-mauvais. J’ai p-péché, et p-plus que tu ne le p-
penses.(Jemepassailesmainssurlevisage.)Momentdec-confession:jesuism-mauvais.P-pourrijusqu’àl’os.Son visage se vida de toute expression et elle s’écarta puis se leva
brusquement. Je crus qu’elle allait fuir. Je me préparai à encaisser le coup,maisellesecontentadecontempler le tableau,me tournant ledos.Ses longscheveuxnoirsvoletaient,soulevésparlabrise.Magnifique.Elleseretourna,s’approchajusqu’àse trouverentremesjambes,etbaissa
lesyeuxversmoi.Ellemordillait sa lèvre inférieurecharnue.Avecdouceur,
ellepassalesdoigtsdansmescheveux.Jemelaissaiallercontresamain.Àvingt-sixans, j’étaisprêtàéjaculerdansmoncuirau seulcontactde sa
main.—B-bébé…—Tunedevraispasporterunnomévoquantlahaine,Styx.—J’aifaitdest-trucshorribles.Ethonnêtement,jechangeraip-pas.Jesuis
d-damné.J’aiacceptéç-ça.Ellecontinuaàmeregarderenpromenantsamaindélicatedansmalongue
tignasse.—Tuastoujoursétégentilavecmoi.Jedéglutisetrectifiaid’unevoixrauque:—S-seulementavect-toi.—Pourquoimoi?Jehaussailesépaulesetcherchaisamainpourglissermesdoigtsentreles
siens.Jevissonnezfrémir.Jeluiembrassailecreuxdelapaume.—Tup-peuxpasmep-posercegenredequ-question.—Pourquoi?demanda-t-elletandisquejeluicaressaislamain.—P-parcequejen’aip-paslaréponse.Jen’aijamaisétéc-commeçaavec
qu-quelqu’un…maisavect-toi,c’estd-différent.Je laissai ma tête tomber sur son ventre plat et lâchai sa main pour
l’agripperfermementparlataille.Latenirserréecontremoimefaisaitunteleffetquej’étaisterrassé.Jelasentissedétendreetellemetouchalatête.—Jevaispast-tefaireund-dessin,M-Mae.Jet-tuedesgens.Etmêmeque
j’aimeça.(J’étaisprêtpourlecoupdegrâce.)Etjer-recommencerai.Encore,etencore.C’estunen-nécessitédanscem-milieu.Larespirationplusrapide,ellemeserralepoignetcommedansunétauetse
redressaenvacillant.Ellealladenouveauverslafresquemurale,melaissantsurlebanc.EllepassalamainsurlevisagedePerséphone.—Jesaisdéjàbiendeschosessurtoi,Styx.Jenesuisnisourdeniaveugle,
je sais ce qui se passe dans ce club. Mais ne crois pas que tu pourras merepousser.Elle revint versmoi et s’installa à califourchon surmes cuisses, appuyant
sonfrontcontrelemien,tandisquej’agrippaissonpostérieur.— Perséphone, la déesse, vivait avec Hadès, n’est-ce pas ? Et elle le
soutenaitalorsmêmequelesautrespensaientqu’elleavaittort?Jehochailentementlatête.
Seslongscilsseposèrentsurmesjoues,puisserelevèrent.—Elle est tombée amoureuse du seigneur des ténèbres, bien que cela ne
semblâtpascorrect?Denouveau,j’opinai.Oùveut-elleenvenir?Ellepoussaunsoupirheureux.—Justecommemoiavectoi.Je m’immobilisai et, posant ma main sur son visage, la repoussai et vis
qu’une rougeur gagnait ses joues pâles. Avait-elle dit qu’elle m’aimait ?Putain,elleétaitentraindedirequ’ellem’aimait!Jel’embrassaiviolemmentetlafismontersurmonsexequigrandissaitàvued’œil.Maes’écartademoi,lesoufflecourt,etdemandad’unevoixtremblante:— Et Hadès, aimait-il Perséphone en retour ? En dépit des plaintes des
autres,souhaitait-illuiaussiqu’ellesoitàsoncôté?Avecunsoufflerauque,jerépondis:—Ouais…ouais,illevoulaitc-carrément.Lesourirequ’ellemefitalorsmecoupalittéralementlesouffle,etcettefois
cefutsabouchequivintàlarencontredelamienne,puisellemeléchalecôtéduvisagejusqu’àl’oreille,oùellemurmura:—J’aidenouveauenviedetoi…Je saisis fermement son petit cul et, sans me soucier de faire sauter mes
points de suture, jeme levai, ses jambes enroulées autour de la taille, puis,encore plus stimulé lorsqu’elle poussa un petit jappement de surprise, jemedirigeai vers l’escalier de service quimenait àmes appartements.DéjàMaedéfaisaitmabraguetteetempoignaitmonsexedanssespetitesmains.Jem’immobilisai.Jen’arriveraisjamaisàtenirjusqu’àlachambre.Je l’allongeai sur l’escalier en bois, retroussai sa robe et plaçai mon
membre à l’entrée de son sexe…C’est à cet instant que la porte s’ouvrit enhautdesescaliers.—Merde,Styx!Je…Ky.Terriblementgênée,Maepoussauncrietmeserracontreelle,sesseinsnus
écrasés contremon torse, cachéeparmoncorps.Le regardque jeposai surmonvice-présidentétaitl’équivalentd’unemenacedemort.—Fichelecamp!Ky repassa de l’autre côté de la porte,mais la laissa entrouverte pourme
parler.—Prés’,onadesaffairesurgentesàtraiter.
—P-plustard!T-tuvoispasqu-quejesuisoccupé?—Prés’!Ilfautagirtoutdesuite!Savoix était dure.Le sérieux avec lequel ilmeparlaitme fit comprendre
qu’ilsepassaituntrucgrave.Jegrognaidefrustration.Monsexetremblaitd’undésirdouloureux,j’étais
encore à moitié dans la chaleur de Mae. Je laissai ma tête tomber sur sapoitrine.—Mae,v-vaaulit.Jed-doism’occuperduc-club,marmonnai-jeentreses
seinsgénéreux,suçotantencoreunefoissestétons.Ellerelevamonvisageengémissantetjelusladéceptiondanssesyeux.Elle
me donna un langoureux baiser avant de gravir l’escalier. Je remontai mabraguetteetgrimpailesescaliersquatreàquatre,puisclaquailaportecontrelevisagedeKy.Ilreculaensetenantlenez.—Bordel,Styx,qu’est-cequiteprend?—Sit-tun-nousinterrompsencoreunef-fois,mam-meufetm-moi,jet-te
scalpeavecmonB-Bowie!LevisagedeKysefermaetilessuyalefiletdesangquiavaitcoulésurson
menton.Jeneconnaissaisquetropbiencetteexpression.—Alorsprépare-toiànagerdanslesang,Prés’,gronda-t-ilentresesdents
serrées.Onvientdetrouverlemouchard.
Chapitre19
Styx— Qu-quoi ? grognai-je, les mâchoires déjà crispées, sentant le python
reprendrepossessiondemagorgeetdemavoix.Àpartirdemaintenant,jemecontenteraisdesigner,cen’étaitmêmepasla
peined’essayerdeparlerquandj’avaislarageaucorps.Kyfinisd’essuyerlesangsursonvisageavecsamanche.—Cetteembrouilleaveclesnazis,çamechiffonnait,jen’arrivaispasàme
sortirçadelatête.—«Pourquoi?Onadéjàeudesennemisànosportes.»Ilsecoualatêteenreculant,jusqu’àheurterlemurdel’escalier.— Tu t’es lancé seul à leur poursuite. (Il me regarda bien en face.)
D’ailleurs,jevaistebotterlesfessesàcausedeça.MaisquandMaeestvenuetambouriner àma porte etm’a dit ce qui se passait, je suis allé vérifier lesenregistrementsdevidéosurveillance.—«Ouais,etalors?»Kyfitlegestedesetrancherlagorge.—Néant.Tous.Quelqu’un les a effacés.Aucune imagedupick-up, ni des
hommes,riendutout.—«Merde!»— L’enregistrement a été coupé une heure avant que tu ne te lances à la
poursuitedesnazis.(Ilhochaitlatête.)Çavientdel’intérieur,onaunetaupe.Etj’aidécouvertquic’est.Mes mains se crispèrent nerveusement et je fis rouler mon anneau labial
avec la langue. Mes cicatrices toutes neuves se mirent à m’élancer sous latensionquim’irradiaitsoudaintoutlecorps.Unespion.Unputaind’espionparminous.Jelesavais!—«Maisrestepaslààfairelebeau!Quic’est,putain?»Kysoupiraetmeregarda,lesyeuxétrécis.—Pit.—«Merde.»
—C’estmoiqui avais donné l’accordpourqu’il devienneprospect,Styx.Touslesfrèresadorentcegamin.Unpeutroppetit,unpeutropmaigre,maisiladucransurlarouteetdesmainsd’oravecunecléàmolette.Mabécanen’ajamaisaussibienrouléqu’aprèsunerévisionfaiteparlui.Ilauraitétéacceptédansleclubdanslesprochainsmoissansproblème.Etjeluiauraissansdouteconfiéunjobàtempspleinaugarageaussi.Kysortitquelquechosedesapoche.—Maisquandjecommenceàavoirdesdoutes,jememetsàfouiner,tusais
commentjesuis.Leschambresétaientclean.Toutessauflasienne.Kymetenditunpetitdisqueetuntéléphoneportablenoir.—Surcedisque, ilya lesenregistrementsmanquants,etsur le téléphone,
des messages indiquant à un numéro inconnu les lieux et les heures de latransaction avec les Russes et de notre virée, ainsi que les dates et horairesauxquels tu te trouvesauQG.Iln’avaitpasprévutasortieavecMae,etc’estgrâceàçaque tues tombésur leurembuscadeetque tuaspu lespiéger.Cesalaudamêmerapportéqu’onabutélenaziquiadézinguéLoïs.MespoingsserefermèrentsurlemincedisqueargentéqueKym’avaitmis
danslamain.Ilrécupéraletéléphoneportableavantqu’ilnefinisseluiaussienpoussière.—«Oùest-il?»demandai-jeensignantàtouteallure.—Jeviensde luidemanderdevenir. Il sera làdansdixminutes.Tous les
autressontaubaretilsnesontpasencoreaucourant.Jelegratifiaid’unetapedansledospourluimontrermareconnaissance.Il
m’attrapaparlesbicepsetmerecula.—Çava,toi?Je hochai la tête. Voilà qui expliquait la présence de Pit près du cabanon
l’autresoiretsoncomportementétrange.Ilétaittoujoursaubar,àépiertoutesnosconversations.Merde!—Qu’est-cequis’estpasséaveclesskins?— « J’en ai buté sept avec mes Uzi. Et après je me suis fait prendre, et
taillader.J’airéussiàrécupérermonBowiedansmavesteetjel’aiplantédanslesyeuxdesdeuxderniersconnards.Jeleuraifaitpayercettemerdeetensuitepourbienfinirleboulot,jeleuraifracassélecrâne,tranchélagorgeetplantémalamedanslecœur.»—Merde,Styx,ditKyendéglutissantavecdifficulté.T’esungrosmalade.
Efficace,maiscomplètementdérangé.—Jesais.
— Alors… Mae et toi… (Il me donna un coup de coude et haussa lessourcils.)Elle s’occupebiende toi?Tuas finalementeuaccèsàcette saintechatte?Jel’attrapaiparlecoldesachemiseLedZepetleplaquaicontrelemur,et
signaijustesoussonnez.—«Ne parle plus jamais d’elle comme ça, àmoins de vouloir perdre ta
langue.Compris,monfrère?»Ilessayaenvaindeneplussourire.—Ilétaittemps,Styx.Grandtemps.JeregardailevisagesouriantdeKyetsecouailatête.—Allons-y.Cebâtardcommençaitàmecasserlescouilles.En nous voyant entrer dans le bar, les trois psychopathes se levèrent d’un
bond.—Prés’!criaVikingenvenantversmoi,lesbraslargementécartés.Leseul
mecquis’attaqueseulauxnazisetenressortvivantpourtoutnousraconter!Ilessayademesoulever,maisjeluifilaiuncoupdepoingdansleventre.AKpassaunbrasautourdemesépaulestandisqueFlammevenaitseplanter
devantmoi,lesmusclesfrémissantnerveusement.—Tulesastousbutés?medemanda-t-ilavidement.Jehochailatêteetlestatouagesdeflammessursoncousemirentàdanser
sursesveinesgonflées.—Tulesasfaitsouffrir?demanda-t-ilfroidement,maislesyeuxbrillants
d’excitation.On aurait dit un démon, avec ses iris si foncés que ses pupilles y
disparaissaient,contrastantviolemmentavecleblancdesesyeux.—«Terriblement.»Flammemefitalorsungrandsourire,renversalatêteenarrièreetsegriffa
lesbrasavecsesonglestroplongs.—Ohoui,siffla-t-ilentresesdentsserrées, tandisquelesangsemettaità
couler.Un par un, tous les frères vinrentme saluer.Au bout d’unmoment, il ne
restaqueRiderassisauboutdubar.Lorsquej’eusenfinsonattention,ilsoutintmonregard.Puisilselevaetvintversmoi.—Contentdevoirquetut’enestiré,Prés’.Ilmetenditlamain.Jelafixaiaveccolère,repensantaumomentoùilavait
interdit à Mae de me laver, dans ma propre chambre. Je fis une moue de
mépris.—Cettemeufm’appartient,bordel!—Prés’,monfrère…J’aieutort,jelevoismaintenant.Elleesttouteàtoi.Il parlait à voix basse de manière à ne pas être entendu des autres. À
contrecœur, je lui serrai la main. Mais mon regard était limpide : « Net’approchepasdeMae,outuvassentirtadouleur.»L’ancienmédecinmilitairehochalatête.Ilm’avaitreçucinqsurcinq.—T’asbaisétameuf?demandaVikingderrièremoienreniflantcommeun
chien, avantdem’adresserungrand sourire. Je suis imparablepourdétecterl’odeurd’unenouvellechatte,ettuenestoutimprégné,Prés’!Iléclatad’ungrosrirebruyant.Rider retira brutalement samain et recula en titubant avant de s’effondrer
sursontabouret,latêtebaissée.Monfrèresouffraitlemartyre.Kysematérialisaàcôtédemoietdeuxsecondesplustard,Vikingreçutun
coupdepoingquil’envoyaparterre.—Putain,Ky!protestaVikingensefrottantlementon.Arrêtedemetaper!—Alorsfermetagrandegueule!répliquaKy.Jefissigneauxfrèresdeserassembler.Kysepostaàcôtédemoi,prêtàme
traduire,sousleregardcurieuxdesfrères.—«C’estPitlemouchard.»Unsilencedemortaccueillitcettenouvelle.—«Çafaitunboutdetempsquejepensaisqu’onenavaitun,etaujourd’hui
Ky en a eu la preuve.Ça explique tout.Les renseignements qui ont fuité surl’affaireavec lesRusses, lafusilladependant lepique-niqueet l’attaqueratéeduQGparlesnazis.»— Pour le compte de qui ? Les fédéraux ? Un autre club ? Les Mex ?
demandaViking–lepotacherouxavaitlaisséplaceàuntueurimplacable.Jesecouailatête.—«J’ensais rien.KyademandéàPitdese ramener. Ildevraitarriver…
(Enentendantunemotoentrerdanslacour,jem’interrompisnet.)Exactementmaintenant,ondirait.»Flammegrognaetsemitàdonnerdescoupsdepoingdanssapaume.—Ilestpourmoi?S’ilteplaît,laisse-le-moi.Jeveuxm’enoccuper.Laportes’ouvritetFlammesejetasurPitsansmêmeluilaisserletempsde
voirarriverlescoups.Auboutdutroisième,FlammeramassaPitparterreetleplaquacontrelemur,lespiedspendantdanslevide.— Sale connard, déchet ambulant ! lui cracha Flamme entre ses dents
serrées.T’ascrupouvoirtournertavestesansqu’ons’enrendecompte?Sansqu’on t’arrache la peau morceau par morceau, pour pouvoir te manger enbarbecue?LevisagedePitdevintécarlate,etsonexpressionlaissaitparaîtresonétatde
choc.—Je…jenesaispascequetuveuxdire!Flamme,non!—«Emmenez-leaucabanon.Toutdesuite.»Lorsquejelesrejoignisaucabanonquelquesminutesplustard,Flammeet
AKattachaientPitàlachaisequisetrouvaitaucentredelapièce.Pitregardadansmadirection.—Prés’,crois-moi,c’estlavérité.Jenesaispascequevouscroyez,maisje
nesuispasunmouchard.Jesuistotalementimpliqué.Ceclub,c’estmavie,jen’airiend’autre.Kyseprécipitavers luietposalesmainssur lesaccoudoirsdelachaiseà
supplice.—J’aitrouvélespreuvesdanstachambre.Lesenregistrementsdesécurité
et un téléphone portable avec les messages donnant les dates de toutes noslivraisons, le lieuchoisipournotrevirée…toutyétait.Tank,SmileyetBullsontentraindelocaliserlenuméroducontact,maisjepensequeçavanousmenerauxfédérauxouausénateurCollins.Jemetrompe?Pitblêmit.—Jenesaispasdequoituparles!hurla-t-il.Quelsenregistrements?Quel
téléphone?Iln’yariendansmachambre!Je me dirigeai vers mon armoire à couteaux, suivi des yeux par Pit. Ce
minablementait,ilavaitdescentainesdeticsnerveux.—Styx,s’ilteplaît,ilfautquetumecroies…,supplia-t-il.JeprismoncouteauBundeswheretm’approchaidelui.Flammedéchirala
chemise de Pit. Son corpsmaigre allait être très intéressant à décorer.Avecmoins de gras, il était plus difficile de ne toucher aucun organe.Mais quoiqu’ilarrive,ilallaitmourirlesoirmême,alorspourquois’ensoucier?Jefistournerlemancheentremesmainsetluiappuyailapointedelalame
sur le sternum. Lorsque je traçai une ligne descendante, l’odeur âcre etmétalliquedusangemplitlapièceetlescrisdePits’élevèrent,répercutésparleshautsmursducabanon.Quelques instants plus tard, je me reculai un peu pour admirer ma
signature:leHdesHangmen,désormaisgravésursapoitrine.Toutlemondesauraitquiilavaiténervé.Flammemepritlecouteaudesmainsetétalalesang
sur son torse nu et zébré de cicatrices. Il partait dans des éclats de rirehystériques.SoudainilseplantasouslenezdePit.—Tutravaillespourqui?La têtedePitballottaiten toussens. Il rendit ses tripes.Flamme le forçaà
garderlatêtedroite.—Tutravaillespourqui,petitsalopard?!—Personne…personne…jelejure.JELEJURE!Lesportesducabanons’ouvrirentd’uncouppourlaisserpasserBull,Tank
etSmiley.—Onaréussiàlocaliserlenuméro…Devineoùçaaabouti?meditTank
enlançantunregardfurieuxauprospect.Jecrachaiauxpiedsdutraître.—CefameuxsénateurCollins!révélaTank.Notrecontactdanssonbureau
m’a appris qu’au cours des derniers mois, il a reçu la visite de plusieurscostumes-cravates,«pouraffaires». Ilpensequ’ilssont liésà l’ATFouà lamafia.—«Lamafia?»Tankhaussalesépaules.—Çapourraitexpliquerlechangementd’activité.Nouveausang,nouvelles
tactiques.Çaressemblepasàcequ’onavujusque-là,c’estsûr.JerevinsversPit,reprismoncouteauàFlammeetlecollaisurlagorgedu
traître.—Prés’,cen’estpasvrai,gémit-il.Jeserrailespoingsetlançailecouteaudanslemur.Jejetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépauleetdonnaiàKylefeuvert.Un
parunlesfrèressedéchaînèrentsurluijusqu’àcequ’ilsoitréduitàunamassanglantsurlachaise.Je regardai Rider, adossé au mur, qui considérait Pit d’un air furieux. Je
levailamainpourmettrefinaucarnage.Ky siffla et le silence se fit. Je revins vers Pit avec un autre couteau à
désosser. Ses dents étaient éparpillées par terre, ses paupières collées par lesang,sesbrasetsescôtesfracturés.JetournaiautourdelachaisesansquitterRiderdesyeux–ilsemblaitgêné
par mon attention et se dandinait nerveusement. Je m’arrêtai derrière Pit etplongeaima lamedanssonépauledroite.Pourquoi? J’avais luquelquepartquelesRomainsfaisaientcegenredetruc.
Maintenantquej’avaislesmainslibres,jesignai:—«Voilàcequiarriveàquelqu’unquiretournesaveste.Quandonestun
Hangman, on ne travaille pas en infiltré pour les fédéraux ou pour un autreclub…etonnetouchepasnonplusauxpossessionsdesautresfrères.»LesyeuxdeRiders’agrandirent,maisiln’intervintpas.Ilavaitcomprisle
message.JefissigneàFlammedemepasserunautrecouteau,quejeplantaidans l’épaule gauche de Pit. Ce dernier cessa de bouger, seuls des râlesirrégulierss’échappaientdeseslèvres.Jerécupéraialorsmaprécieuselameallemande,puisjefisquatrepasdevant
Pitet,meretournant,projetailecouteauàlalamedetreizecentimètresdelongdans les airs, où elle dessina un arc de cercle sur cinq mètres avant de seplanterexactementlàoùjelevoulais,entrelesyeuxdecesalaud.Pitletraîtrepartitàlarencontredupasseursanspiècessurlesyeux.Bouche bée, les frères me regardèrent quitter en hâte le cabanon. Aucun
d’eux n’osam’emboîter le pas. J’avais le ventre noué par la trahison dePit.J’étais malade à l’idée que nous avions échoué à détecter la présence d’unmouchard pendant près d’un an. Il avait infiltré mon club et fait fuiter desrenseignementssurnosaffaires.J’ouvrislaportedemachambred’uncoupdepiedetmedirigeaidroitvers
le lit. Jem’immobilisai soudain.Mae était profondément endormie, nue, seslongscheveuxnoirsétalésautourdesonoreiller.C’était sublime. Et elle était àmoi, rien qu’àmoi. Celame calma tout de
suite.Elle bougea dans son sommeil et repoussa le drap d’unmouvement de sa
jambefuselée…révélantson intimité. Je retiraimon jeanetmemisàquatrepattes au-dessus de son corps détendu. Je passai lamain sur sa cuisse et luiécartailesjambes.Toujoursendormie,ellegémitdoucement.Souriantàl’idéedecequejem’apprêtaisàfaire,jedéposaidepetitsbaisers
sur sa jambe, du genou au sommet de sa cuisse, en évitant les cicatrices quim’avaient fait fuir l’autre fois. Soudain ses mains se glissèrent dans mescheveux. Elle me regardait, paupières mi-closes, concentrée sur ma boucheaffamée.—Styx…,gémit-elled’unevoixendormie.Sansperdredetemps,jedonnaiungrandcoupdelanguelelongdesafente.
Le grognement sourd qu’elle poussa me fit comprendre à quel point elleappréciait ce traitement. Je lui agrippai les hanches et me lançai à pleinebouche, suçant son clitoris tandis que j’insérais un doigt dans sa chatte. Je
sentaisàtraversmescheveuxsesmainssecontracterfrénétiquementàchaquesuçotement,àchaquebaiser,àchaquemouvement.Mafemmeadoraitça.Sarespirationlourdesefitplusprécipitée,sescuissessecontractantautour
dema tête.Elle s’immobilisa un instant et un cri s’échappade sa gorge.Malangue effectua alors des cercles lents pour l’aider à se calmer aprèsl’orgasme.Enfin,jemeredressaietsourisenvoyantsoncorpsmarbré.— Styx… qu’est-ce que… ? (Elle serra les cuisses et ses yeux se
révulsèrent.)OhSeigneur…Je fis remontermesmains jusqu’à sa tête sur lematelas ;moncorps était
maintenantentièrementau-dessusd’elle.—Tuasaiméça,b-bébé?T-tuaimesquejelèchetachattetoutemouillée?—Oh,oui,Styx!Mais…Ellebaissalesyeuxetcouvritsescicatricesavecsesmains.Jedéposaiunbaisersurseslèvresetreculai.—Cesci-cicatrices,jem-m’enfous.Sesyeuxs’emplirentdelarmesetellem’attiraàcôtéd’elledanslelit,puis
sejetadansmesbras.Pendantunlongmoment,aucundenousneditmot.—Est-cequetuas…réglétonproblème?demanda-t-elled’untonhésitant.—C’estfait,répondis-jesuccinctement.Maesesoulevasuruncoudeetmeregarda.—Est-cequejepeuxdemanderquelétaitceproblème?Je secouai vivement la tête. Elle soupira profondément, m’exprimant sa
déception.— C’est la v-vie au c-club, b-bébé. Les régulières ne se mêlent pas des
affairesduc-club.Pareilpourt-toi.Elleselaissaretomber,déçue.—D’accord.Le regardperdudans le plafondmarron, je passaimamain le longde sa
colonnevertébrale,réfléchissantàtoutecettehistoire.—Joue-moiunechanson,Styx.Chantepourmoi.Ensouriant,jebalançaimesjambespar-dessusleborddulitetattrapaima
Fender,quejeluitendis.Ellefronçalessourcilsetremualenez.J’étouffaiungrognementdedésiretluimislaguitareentrelesmains.—J-joue.— Tu vas continuer à m’apprendre ? demanda-t-elle avec un sourire
irrésistible.
Jem’assisàcôtéd’elleethochailatête.Jevaisluiapprendreàjouerdelaguitare.
Chapitre20
Mae
Unmoisplustard…
—Encore une caisse,ma jolie, annonça Beauty enm’apportant un grandcartondevêtementsdemotardencuirnoir.—Pasdeproblème,assurai-je.Beautysetenaitàcôtédemoi,mouléedanssoncuirrougeetsondébardeur
noir aux couleurs desHangmen. Elle portait aussi sa veste ajustée rappelantqu’elleappartenaitàTank.D’ailleurs,ellelaquittaittrèsrarement.Quatre semaines s’étaient écoulées. Quatre semaines avec Styx, passées à
explorernoscorpsrespectifs,àrouleràl’arrièredesamoto,goûtantleplaisirenivrant de la liberté. Pendant ces quatre semaines, il avait continué àm’enseigner la guitare. J’adorais ça.Lamusique était devenuema deuxièmepassion.Une vraie obsession.Chaque nouvel accord produisait une émotionprofondeenmoi,etquandjejouais,j’avaisl’impressiond’êtrevraimentmoi.J’avais enfin trouvé celle que j’aurais toujours dû être. Et partager cettepassionavecStyxrendaitcettedécouverteencoreplusintense.Styxavaitmêmecommencéàm’apprendrelalanguedessignes.Jedétestais
ne pas être capable de communiquer avec lui lorsque nous étions encompagnied’autrespersonnes,aussijeluirappelaisdem’enseignerlessignesàchaqueoccasion.Beautym’aidaitaussidanscetteentreprise.Et j’avaismaintenantuntravail.J’avaisconvaincuStyxdemelaisseraider
Beauty,maintenantque leproblèmedumouchardavait été…réglé, etque lamenaceétaitécartée.Jem’efforçaisdenepastroppenseràcequiétaitarrivéàPit. Je ne pouvais pas supporter d’imaginer Styx dans ce rôle de brute. Jesavaisquejem’accrochaisàmanaïveté,maisjevoulaisquetoutsoitpositifetcalme,neserait-cequeprovisoirement.Etavecmoi,Styxétaitadorable.Iln’étaitpastrèsenthousiasteàl’idéedemelaissertravailler,carlemagasin
deBeautysetrouvaitendehorsdupérimètreduQG.Ilcraignaitquelemondesoittropduràsupporterpourmoi,maisilavaitfiniparaccepter,etjeluien
étais extrêmement reconnaissante. Il avait compris que j’avais besoin deconnaîtrelavieparmoi-même,au-delàdeluietduclub.Beautym’avaitprisesoussonaileetjetravaillaisdanssonmagasindevêtementsspécialisés,Surlaroute,depuisdeuxsemaines.Chaquejour,StyxmeconduisaitautravailsursaHarley,etmeramenaitàlamaisontouslessoirs.Cettevieétaitsi…paisible,etjesavouraiscesentimentdenormalité.Quand
onaétémisedecôtéparlessienstoutesavie,lanormalitédevient…belleetprécieuse.L’uniforme que je devais porter pour travailler était… spécial, composé
d’unpantalonencuirnoirajustéetd’undébardeurmoulantauxcouleursdesHangmen.Mais en fait je l’adorais aussi. Je construisais petit à petitmavie,entreunhommequej’aimaisdetoutmoncœur,etdesamisavecquij’adoraispasserdutemps.Presquetouslesjours,Lettipassaitnousvoiraumagasinet« blablater » comme elle seule savait le faire. Letti travaillait au garage demotos voisin, en compagnie de Bull, Tank et quelques autres que je neconnaissaispasencoretrèsbien.Globalement, tout allait bien. SaufRider.Après la capture deStyx, il était
partipourunegrandeviréejusqu’enLouisianeetd’autresÉtats,pouraffaires.Jen’avaispaseudesesnouvellesdepuisetilmemanquaiténormément.Nosconversationsmemanquaient,nosfousrires…Etiln’étaitmêmepasvenumedireaurevoir.Beautyposaunetassedecaféfumantàcôtédemoi,sepréparantàm’aiderà
mettrelesvêtementsenrayon.— Alors Styx vient te chercher aujourd’hui ? me demanda-t-elle pour
engagerlaconversation.—Oui,répondis-jeenconsultantl’horlogeaumurderrièrelecomptoir.Il
devraitarriverd’uneminuteàl’autre.— Tu es d’accord pour travailler de nouveau demain, chérie ? On est
débordésencemoment.J’adressaiungrandsourireàmonamie.—Biensûr!J’adoreêtreici.Jenesuisbonnequ’àplierlesvêtements,mais
j’aimebienm’occuper.—Taratata,tuesmameilleurevendeuse.Tasecteavaitbeauêtrearriérée,tu
saisyfairepourcequiestdestâchesménagères!(Beautys’interrompitetmeregarda.)Merde,désolée,Mae,desfoisjeparlesansréfléchir!Jenepusm’empêcherderire.—Cen’estpasgrave.Tuasraison,nousétionsobligéesdenousappliquer
sinonnousétionspunies.Crois-moi,onapprendvitedanscesconditions.LesyeuxbleusdeBeautys’emplirentdecompassion.—Mae,jesaisquetuneparlespasdecequit’estarrivélà-bas,maissituas
besoin,jesuislàpourtoi.Jenerépéteraiàpersonnecequetumeconfieras.Serrantunlargepantalonencuircontremoi,jedéglutis,lagorgenouée.—Çacomptebeaucouppourmoiquetumedisesça,merci,Beauty.Ellemeserrabrièvementdanssesbras,puisnousreprîmesnotretravailen
silence.—Tumefaispenseràuneamie,luiavouai-jedoucement,quelquesinstants
plustard.— Ah oui ? s’étonna Beauty en interrompant ce qu’elle faisait pour me
sourire.—Oui.Elles’appelleDalila,ouLilapourmoi.Elleestbelle,avecdelongs
cheveuxblondsetlesyeuxbleus.Trèsbelle…commetoi.Je sentais son regardcurieuxposésurmoi,mais jecontinuaià ranger les
habitssurlesétagères.Jemesentaisunpeuvulnérable,et jepréféraisnepasregarderdanssadirection.—Elletemanque?medemanda-t-elled’unevoixdouce.Jefermailesyeux,lapoitrineserréeparunedouleurvive.—Terriblement.Je…je…(Jejetaiunbrefcoupd’œilàBeauty.)Magrande
sœur,Bella…elleestmorte.C’estlaraisonpourlaquellejemesuisenfuiedelacommunauté.Jevoulais…J’aidemandéàLiladeveniravecmoi,maisellea refusé. Elle avait peur. Etma sœur cadette,Maddie, est encore là-bas, elleaussi. Ellesmemanquent tellement toutes les deux que parfois, en pensant àelles,jen’arriveplusàrespirer.Icijesuislibre,jedécouvrelavieetl’amouravec un homme incroyable. Alors qu’elles sont toujours là-bas, dans cetteprison…toutesseules.—Oh,Mae,chuchotaBeautyd’unevoixtristeenmefrottantledos.—Jecroisquejelesreverraiunjour,continuai-je.Chaquesoirjepriepour
quecelaarrive.Ellessontmafamille.Mais…ellesn’ontpasvoulupartiravecmoi.Ellescroientauxenseignementsdel’Ordreetsonteffrayéesparlemondeextérieur.—As-tu songé à retrouver l’emplacement de cette communauté ?Le club
pourraitt’aideràlessortirdelà.Jesursautai,lecœuraffolé.—Non!Jenesaismêmepasparoùcommencer,etjeneveuxplusjamais
voir cet endroit maléfique. Ils ne me laisseraient jamais repartir si j’y
retournais,Beauty.Jeneveuxplusjamaisymettrelespieds.—Maisbonsang,Styxseraitlàpourteprotéger,mafille!Cetypeestfou
detoi.Beauty rougitunpeuen semordillant la lèvre inférieure. Jene savaispas
commentinterprétersonexpression.—Mae?—Oui?—Ilteparle,non?—Oui, répondis-jeprudemment.Onparle…Ilsecomporte trèsbienavec
moi.—Tusais,depuistoutescesannéesquejefréquenteleclub,jen’aijamais
vraimententendusavoix.Ilneparlequ’àKy.Jesaisqu’ilacrié tonnomaumomentdelafusillade,etçaachoquétoutlemonde,maistoutestallésivitequejen’aipasvraimentfaitattention.Quellevoixila?Jerougis.—Grave,rocailleuse,avecunfortaccent texan,commes’ilsegargarisait
avecduverrepilé…Elleestparfaite,j’adorel’entendre,jepourraisl’écouterparlertoutelajournée.J’étaisrougecommeunepivoine.LesouriredeBeautyilluminaittoutsonvisage.—Jesuistrèsheureusepourvousdeux.Jem’inquiétaispourlui,avant.Je
suiscontentequ’avectoiiltrouvesavoix,qu’ilsesenteassezensécuritépourêtrelui-même.C’estunrôledifficilepourquelqu’undesijeune,maisc’estunsacrébonprésidentdeclub.MêmelesvieuxcommeSmileyetBone,quiontconnutroisdifférentsprésidents,disentquec’estluileplusfort,lemeilleur.Ilaçadanslesang.Je finis rapidement d’installer le dernier pantalon et prisBeauty dansmes
bras. Elle inspira brusquement. Elle n’en revenait pas : je ne montrais passouvent mon affection, cela ne m’était pas naturel, mais l’amitié de Beautym’étaitprécieuse,surtoutencemoment.—Hum.Quelqu’un s’éclaircit la voix derrière nous. Je me décollai de Beauty et
regardaipar-dessussonépaule.— Bonjour Flamme, le saluai-je en voyant qu’il se tenait gauchement à
l’entrée.Iljetaitdescoupsd’œilfurtifsdanstoutlemagasin:auplafond,ausol,par-
dessussonépaule.Cethommeétaittoujoursmalàl’aise,sursesgardes.
—Mae,Beauty,dit-ilplatementennousadressantunsignedetête.Il portait un jean noir, une chemise blanche et sa veste sansmanches. Ses
cheveuxà lacoupeétrangeétaientébouriffés,montrantqu’ilavaitcirculéenmoto,etsesgrandsyeuxenamandebrillaientdeleurhabitueléclatsombreetinquiétant.Ils’adressaàmoi,d’untonsansémotion:— Styx a dû s’occuper d’affaires. Il m’a envoyé à sa place pour te
reconduireàlamaison.Directementchezlui.D’accord?—Ah,oui,quandrentre-t-il?Flammehaussalesépaules.—Quandilrentrera.Je compris que je n’obtiendrais pas davantage de précisions. C’étaient les
affaires du club. Je me dépêchai d’aller chercher mon sac à main dans laréservepuisdisaurevoiràBeauty.—Àdemainmatin!—Salutmabelle!réponditBeautyensedirigeantversunclientgrisonnant
àlastatureimposantedanslerayondescasques.Flammem’attendait déjà sur saHarley, le dos raide, les yeux fous, la tête
agitée de tics nerveux. Jusque-là, je n’avais roulé qu’avec Rider et Styx. Etj’avaislasensationétrangedelestrahirtouslesdeuxenmontantsurlamotode Flamme.À vrai dire, il me rendait nerveuse dans lemeilleur des cas, etc’étaitbienpirelorsqu’unetelleproximitéétaitnécessaire.Jemontaimaladroitementenselleetcommençaisàpassermesbrasautour
desataillelorsqu’ilfitunbondenavant,grognantsourdement.—Memetspaslesmainsautourdemataille!Jelevaiaussitôtlesbraspourmontrerquejenetouchaispassoncorps.—Jesuisvraimentdésolée,soufflai-je.Auboutdequelquesinstants,ilsedétenditunpeu.—Onnepeutpasme toucher la taille,ni leventre,niplusbas.D’accord,
Mae?Nerveuse,lecœurbattant,jefronçailessourcils,perplexe.—D’accord.Est-cequejepeuxmetenirauxcôtésdetaveste?Justeaucuir,
sanstetoucher?Jeteprometsquejenevaispastetoucher.Il me jeta un coup d’œil nerveux. Ses yeux aux iris d’obsidienne étaient
écarquillés. À ma grande surprise, ses mains se mirent à trembler sur lespoignées.Ilhésitaavantdemerépondre:—C’estd’accord…Mais…surtoutme…touchepas…T’avisepasdeme
toucher.Je lui signifiai mon accord d’un hochement de tête et attrapai sa veste. Il
démarrasurleschapeauxderoues.Unquartd’heureplustard,nousétionsauQG.Alorsqu’ilsegarait,monpoulss’accéléralorsquejevisuneHarleynoiretchromedevantlebâtiment.C’étaitlamotodeRider.Ilétaitderetour!JeremerciaiFlammedem’avoirramenéeetmedirigeaivers l’escalierde
derrièrepourregagnerlesappartementsdeStyx.Flammerepartitaussitôtdansun rugissement de moteur. Je m’arrêtai à quelques centimètres de la porte.PuisqueStyxétaitabsent,j’avaislapossibilitédeparleràRiderenprivé,afind’essayerde retrouvermonami, etde sauver cequi restaitdenotre relationamicale.Aucoursdesquatredernières semaines, j’avais reçupourordred’utiliser
l’entréearrière,saufsileclubétaitouvertauxfemmesetauxrégulières.Nousn’étionsniunvendrediniunsamedisoir,etcen’étaitpasunjourconsacréauxfamilles des Hangmen. Je savais donc que j’enfreignais la règle si j’entraisdanslebarsansStyx.Jenevoulaispaslemettreencolère,mais…Mon envie de voirRider l’emporta et je poussai les portes du bar. Je fus
d’abordaccueillieparunépaisbrouillarddefuméedecigarette,accompagnéde fortes vapeurs d’alcool.Les haut-parleurs diffusaient de lamusique rock.J’aperçusSmileyassissuruntabouret,sirotantunebière.—Bonjour,Smiley.Enmevoyantseuledans lebar,sesyeuxjaillirentde leursorbitescomme
lestirantsd’unorgue.Smileynesouriaitjamais(sonsurnométaitironique)etparlaitrarement.Ilmeréponditd’unmouvementdementon.—TuétaisentournéeavecRider?Ilopinalentement,uneinterrogationdansleregard.Jebaissailesyeux,me
triturantnerveusementlesdoigts.—Etoùest-ilmaintenant?—Danssachambre.Jem’apprêtaisàpartirlorsqu’ilajouta:—Tuferaismieuxdeteteniràl’écart.— Pourquoi ? demandai-je d’un air dégagé, alors que ma gorge s’était
soudainserrée.—Jetepréviensjuste.C’estpaslegenredechosesqu’apprécieraitleprés’,
situvoisc’quej’veuxdire.Ilsetournadenouveauverslebaretallumalatélévision.C’étaitunmatch
d’unsportquelconque.Lerideaudesesépaischeveuxbrunsretombasursesyeux,lesdissimulant.Prudemment, je traversai lecouloirdonnantsur leschambrespersonnelles
desfrèresetfrappaiàcelledeRider.Unemusiquefortes’enéchappait,etilnerépondaitpas.Iln’avaitpasentendu.Maisilétaità l’intérieur,et j’étaisbiendécidéeàlevoir.Jevérifiaiquele
couloir était désert, pris mon courage à deux mains et appuyai sur lapoignée…Jem’immobilisai,larespirationbloquée.Bontédivine.Rider!Ilétaitnu,lesmusclesbandés,lesveinessaillantes,lesmembrestendus…Il
était surson lit…etune fillemenueauxcheveuxnoirsétaitpenchéesursonentrejambe,lesuçantavecenthousiasme.Il était étendu sur lematelas, les yeux fermés, le visage crispé, les lèvres
entrouvertes.Etlafille…Beurk!Elleneportaitaucunvêtementetsoncorpsdélicat était recroquevillé entre les jambes de Rider. Elle le mangeait avecaviditéetsesgrandsyeuxbleusnequittaientpaslevisagedemonami.D’anciennesconversationsmerevinrentenmémoire.«Tuasunepetiteamie
quelque part ? » lui avait demandé Letti. «Non, il n’y a aucune meuf nullepart. » «Tu te gardes pour la personne dont tu seras vraiment amoureux »,avais-jedeviné.«J’ypeuxrien,j’aiétéélevécommeça»,avait-ilrépondu.Cen’étaitpascorrect,toutecettescèneclochait!Cen’étaitpascequeRider
souhaitait, il me l’avait dit lui-même. Il méritait mieux que cette solutiondésespérée. Ilvoulaitattendrede trouver l’amour.Etc’est toi.C’est toiqu’ilaime.J’étaistorturéepardespenséescontradictoires.Iln’yavaitqu’uneseulechoseàfaire.Je traversai d’un pas décidé la chambre autrefois rutilante, maintenant
jonchéedevêtementssalesetdebouteillesd’alcoolvides.Etj’arrachailaprisedelachaînehi-fipousséeàpleinvolume.JetenaisencorelefilquandRiderrelevalatête.Ilmeregardadroitdansles
yeux et les siens s’écarquillèrent un instant avant de reprendre leur aspectvitreux.La fille agenouillée essaya elle aussi de lever la tête, mais d’une main
autoritaire,Riderl’obligeaàpoursuivresatâche.Ellepoussaunpetitcrietcommençaàsedébattre.Ileutunsouriremauvais.Jeréprimaiunhaut-le-cœur.Cen’estpasleRiderquejeconnais!
Je laissai tomber la prise électrique et m’approchai du lit, ramassant aupassage lapetite roberoseet les talonshautsde la fille.Puis j’attrapaiRiderpar lepoignetet libérai lafilledesonemprise.Elles’écartabrusquementensuffoquant.Ellelevasurmoidesyeuxdebichelarmoyants.—Pars,luiordonnai-je.Elleneselefitpasdiredeuxfois.MonDieu,ellen’avaitguèreplusdedix-
huit ans, dix-neuf tout au plus. Que faisait-elle dans un endroit pareil ? Lesfrèresétaient tropâgéset trop…grossierspourunefilledesonâgeetdesataille.Rider bondit sur ses pieds, son membre viril toujours plaqué contre son
ventre. Je détournai le regard. Les hommes nus n’étaient pas une nouveautépourmoi:lorsdespartages,lesfrèresneportaientpasdevêtements,etj’avaispris l’habitudedenepas prêter attention à leur chair ; jeme contenterais defaire demême avecRider.Mon regard tomba sur la cicatrice laissée par laballe.Ilrattrapalafilleparlebrasetlatiraverslui.— Dégage, Mae. Blanche-Neige était en train de me sucer, pas question
qu’elles’enaille.Blanche-Neige ! Vraiment ? Un goût de vomi monta dans ma gorge.
L’estomacnoué,j’examinaiplusattentivementlafille.Elleétaitcommemoi…entouspoints:taille,silhouette,alluregénérale.PauvreRider.Je luidonnaiunepousséesur le torseet il tombasur le litenpoussantun
grognement.Ilseredressarapidement,levisageferméetleregardmeurtrier.Jemetournaidenouveauverslafille.—File,immédiatement.Parsetnereviensjamais.Jeneteledemanderaipas
deuxfois.J’entendis avec soulagement le bruit léger de ses pas sur le parquet et
quelques secondes plus tard la porte de la chambre claqua. Je me retournaipouraffronterRider,quise tenaitmaintenant justedevantmoi,sapoitrinesesoulevantfortement.Dentsserrées,ildardaitsurmoiunregardfurieux.—Qu’est-cequetufous?medemanda-t-il,appuyantsurchaquemot.Je le regardaidroitdans lesyeuxet eusunaperçuduconflit intérieurqui
l’agitait.Ilmedésirait.Jeconnaissaisdésormaiscetteexpression,jesavaiscequ’ellesignifiait.Sondésirmontait,jelevoyaisàlatensiondesabouchealorsqu’ilme fusillait du regard. Je remarquai aussi que ses poings se serraient,
signequ’illuttaitcontrel’enviedemetoucher…etsonsexeétaitencoreplusdresséqu’aveclafillequileprenaitdanssabouche.—Rider,net’abaissepasàça,lesuppliai-jedoucement.—À quoi ? À baiser ? Elle me suçait extrêmement bien avant que tu ne
débarqueslàpourtoutfoutreenl’air.—Tun’espaspourcegenredechoses!Ce…cettedébauche,cen’estpas
tongenre.Tum’asditetreditquecequetuvoulais,c’étaitêtreavecquelqu’unque tuaimeraisvraiment.Que tuavaisétéélevécommeça.Commemoi.Tut’ensouviens?—Ouais,dit-il,haletant.Sesépauless’affaissèrentetsesyeuxs’adoucirentunpeu.—Maislapersonnequej’aimeestavecunautre.Alorsqu’est-cequejesuis
censéfaire?—Rider…J’étaisincapabledepoursuivre,carjenesavaispasquoiluirépondre.Illeva
lamainpourlapasserdansmescheveux,etgardaunemèchenoireentresesdoigts.—Jen’yarrivepas,Mae.Jenesupportepasl’idéequetusoisaveclui.Savoixsourdesebrisait,laissantparaîtresaprofondedétresse.J’avaisdela
peinepourlui.Jeprissamaindanslamienne.—Rider…c’estluiquej’aime.Ilrenversa la têteenarrièreetses lèvresseserrèrentsoussacourtebarbe
brune.Ilmelâchalamain.—Etmoijet’aime,Mae,avoua-t-ild’unevoixrauque.(Ilbaissalementon
et prit mon visage en coupe.) Je suis raide dingue de toi. Je ne peux pasm’empêcherdepenserà toi. Jeboispouroublierque tuesavec lui,dans sachambre,entrainde…(Ilgrimaça.)Putain,jepeuxpasypensermaintenant!J’aitrouvécettefilleavecViking,jevoulaisjustet’oublieruninstant.J’arriveplusàdormir,niàmanger…—Rider,s’ilteplaît…Tuesmonmeilleurami.—Maisjeneveuxpasêtretonmeilleurami,bordel!—Rider…Jebaissailatête,etleslarmessemirentàcouler.—Mae,non!Onseraittellementbienensemble.Onveutlesmêmeschoses,
onalesmêmescroyances.Tupourraisavoirunaveniravecmoi.—JesuisavecStyx,Rider!—Qu’ilailleaudiable!
—Non!(Jemedérobaiàsonétreinte.)Neparlepasdeluicommeça!Jel’aime,Rider. Je t’aime bien aussi,mais c’est tout à fait différent.Arrête derendreleschosesaussicompliquées!J’ail’impressiond’êtrecoupéeendeux!—«Compliquées»!«Compliquées»?Tunesaismêmepascequeçaveut
dire!Tuesrestéeavecmoipendantdessemaines.Onétaitjustetouslesdeux.Tut’esconfiéeàmoi,tum’asparlédetafoi,detesinquiétudes,detesespoirs.Tu as ri avec moi, tu t’es endormie avec moi, tu as même ROULÉ ÀL’ARRIÈREDEMAMOTO!Tuétaisàmoiavantd’êtreàlui,Mae.Pasàlui.Àmoi!—C’estlàquetutetrompes,Rider,contestai-jed’unepetitevoix.Ilfronçalessourcils.—Commentça?Enquoijemetrompe?—Jesuisàluidepuismeshuitans.Sarespirationsecalma.—Quoi?Maiscomment…?—Jel’airencontréilyadesannées,paslongtemps,maisçaasuffi.Dèsce
jour-là,notredestinaétéscellé.Ilpoussauneexclamationétouffée.—Ilatrouvélacommunauté?Oùça?Comment?Jehochailatête.— Il l’a découverte par hasard, mais je crois que j’étais destinée à le
rencontrercejour-là.Rider secoua la tête ; il semblait vouloir se protéger de cette vérité en la
refusant.Ils’avançaversmoietjereculai…jusqu’àheurterlemur.Jenepouvaisplusm’échapper.Ridersepenchacontremoi,nu,lesyeuxbrillants.—Jeme fichedecequi s’estpassé ilyadesannées. Jeme fichequ’il te
parle,que tu t’imaginesqu’ilexisteun lienentrevousdepuis l’enfance.Je teveux,toutdesuite.Audiablelepassé!Jeveuxêtreavectoi,Mae.Jeplaquailespaumessursapoitrinenueetferme,maisilnereculapas.Il
étaitplusgrandquemoi,etselivraitàcœurouvert.Toutcequejepouvaisluioffrir étaitde le luibriserplusencoreàchaqueconfession. Jevis sa languepointerentreseslèvres,qu’ilhumidifia.Moncœursemitàbattreplusvite.S’iln’yavaitpaseuStyx,j’auraissûrementétéattiréeparRider.SansmonamourpourStyx,jeseraistombéeamoureusedeRider.MaisStyxétaittoutemavie…Moncœurluiappartenait.—Jesuisdésolée,Rider,maisjene…
Ilneme laissapas le tempsde finirmaphrase,etplaquasabouchesur lamienne. Sesmains serraientmon visage comme un étau, je pouvais à peinebouger.Lespoilsdesabarbefrottaientcontremapeau. Ilm’était impossibledeme soustraire à ses baisers, et je me résolus à le laisser avoir ça. À luiaccorderjusteça.Justeunefois.Desalangue,ilforçameslèvresàs’ouvriretjesentislasaveurdel’alcool
dans sa bouche. Les larmes se mirent à couler librement sur mes joueslorsqu’ilsefitplusinsistant,etsabarbesemouillapeuàpeu.Jeneluirendaispassonbaiser,maisilcontinuaitmalgrétout.Ilcollaitsonbassinaumien,m’encourageantàrépondreàsesmouvements,
sonmembredressépressantcontremonventre.Jenepouvaisrienluiaccorderenretour.Jelelaissaissimplementfaire.Ilfinitparreculer.Ladéceptionetladouleurselisaientsursonvisage.—Mae…jenepeuxplusrespirer,medit-ild’unevoixétranglée.Jetevois
leregarderaveccetteexpression…Iln’yaqueluiqueturegardescommeça.(Ilme fixa avec un airmaussade de petit garçon perdu.) Pourquoi tu nemeregardespascommeça?Oh,touteladouleurcontenuedanscettequestion…Mapoitrineétaitsecouéeparlessanglotsquejenepouvaisplusretenir.— Je ne sais pas,Rider. S’il te plaît, je n’ai jamais voulu te faire demal.
Maisjenepeuxpastevoirainsi.Etçamefendlecœur.Ilsefigea.—Maistumefaismal,Mae,etjen’enpeuxplus!Sijesuisunefoisdeplus
en réunion avec le prés’ tout en sachant qu’il était en toi quelques minutesavant, je vais péter les plombs. Si je roule avec lui et qu’il fonce pourretournerplusvitedanstesbras,jevaisexploser!Etchezmoi,c’estici,jen’ainullepartd’autreoùaller.Ilrevintversmoietessuyatendrementmeslarmes.—Maisjenepeuxpasrestericiavecluiettoi.(Ildéglutitetjevissapomme
d’Adam tressauter. Une expression étrange passa dans ses yeux.) Styx n’aaucunavenir,Mae.Siturestesaveclui,tun’aurasquedesproblèmes.—Queveux-tudire?luidemandai-jeavecméfiance.Ilsemitaussitôtsurladéfensive.—Ilyabeaucoupdegensquiveulentsapeau.Sesjourssontcomptés,Mae.
Iln’aaucunavenir.Toi,si.Etmoiaussi.—Rider,çasuffit!
Ils’éloignad’unpasincertain.— Je ne peux plus rester ici avec toi et lui. Si ton choix est arrêté… je
disparais.Jeluiattrapailepoignetetposaisapaumesurmonvisage.—Jeneveuxpasquetupartes.—Pourquoi?medemanda-t-ilenposantsonfrontsurlemien.Jesentaislesnotesboiséesdesonsavonsursapeau.Cetteodeurmedonnait
undouxsentimentdesécurité.Jem’étaistoujourssentieensécuritéavecRider.Maisdernièrement,nousnefaisionsquenousdéchirer.—Parcequetumemanqueras,luirépondis-jehonnêtement.Ilpoussaunlongsoupirensoufflantfortparlenez.—Cen’estpassuffisant,Mae.Loindelà.—Jesais,maisjedevaisessayer,reniflai-je.Samaintremblaitetilposaunchastebaisersurmatête.— Je t’aime. Comment résister ? Tu es parfaite,murmura-t-il d’une voix
râpeusepresqueinaudible.Sonsoufflechaudmecaressal’oreillealorsqu’ilmemurmurait:—«Maintenantdonc,cestroischosesrestent:lafoi,l’espérance,l’amour;
maislaplusgrandedestrois,c’estl’amour.»Enentendantmacitationbibliquepréférée,jefondiscomplètement, touten
ayantlecœurbrisé,carjesavaisquec’étaitsafaçondemedireadieu.—S’il te plaît, dis-moi que tu prendras soin de toi.Dis-moi que tu seras
heureux,lesuppliai-je,lagorgeserrée.Il frottasonnezcontremajoueetenfouitsonvisagedansmescheveux.Il
inspiraprofondémentetmurmura:— Je ne serai jamais heureux sans toi, Mae. Merde, pourquoi lui ? Il te
mèneratoutdroitenenfer.—Ahouais,connard?Ledéclicd’unearmenouspétrifia.Rider croisamon regard et jememis à trembler, terrorisée. Il ferma les
yeuxetreculajusqu’àcequesatêterencontrelecanondurevolver.Styx.EtKyàcôtédelui.Jen’avaisjamaisvuunetellefureursursonvisage.Sesyeuxétaientvideset
morts, fixés sur Rider. Et ce dernier était toujours nu – j’en étais venue àoublier ce détail. Il n’avait pourtant pas été question de sexe entre nous. Çan’avait jamais été comme ça avec Rider. Je voulais simplement permettre àmonmeilleuramid’allerdel’avant.Jevoulaisl’aideràtournerlapage.
—Styx,laisseMaeendehorsdeça,demandaRiderd’unevoixferme.Styxmeregarda,lesyeuxétrécis,etj’yvistouteladouleurqu’ilressentait
enmetrouvantlà.—Styx,jet’enprie,cen’estpascequetucrois,plaidai-je,sentantlesang
refluerdemonvisageenvoyantlerevolverdeKypointésurlatêtedeRider.—Alorstuferaismieuxdet’expliquer,poupée,etfissa.JeregardaiKy:ilétaittoutaussiénervé.Rideravaittrahiunfrèreduclub:
danslemondedesHangmen,c’étaitunpéchémortel.—Styx…bébé…,suppliai-je.JeremarquaiqueRidertressaillitenentendantletondemavoix.Styx,àqui
cetteréactionn’échappapasnonplus,legratifiad’uncoupdepoingàl’arrièredelatête.—Styx,jesuisvenueicipouraiderRider.Iladesdifficultés,cesderniers
temps.Jem’inquiétaisàsonsujet,expliquai-je,paniquée.— Ce salaud marche sur les plates-bandes du prés’, voilà ce qu’il fait,
grondaKyenfaisantcraquersoncou.StyxetKyallaientfairedumalàRider…toutçaàcausedemoi.—«Pourquoi il est àpoil,bordel?» signa furieusementStyx,attirantde
nouveaumonattentionverslui.Jecommençaisàcomprendrelesrudimentsdelalanguedessignesgrâceà
sescoursintensifs,etjen’avaispasbesoinqu’onmetraduisesaquestion.LesémotionsdeStyxétaientpalpables:lascènequ’ilavaitsouslesyeuxlemettaithorsdelui.—Onn’a pas baisé, si c’est ça que tu veux savoir, crachaRider d’un ton
mordant.Cette réponse sembla provoquer Styx, qui traînaRider jusqu’aumur et le
soulevaparlecou.Jepoussaiuncrilorsqu’ilarrachaàKysonrevolvereteninséralecanondanslabouchedeRider.Ilallaitmourir.Je me précipitai vers Styx dans l’espoir de faire retomber la tension.
J’essayaideluiprendrelebras,maisilmerepoussa.Jeluifrottailedos,maisilseraiditetmerepoussaencore.IlétaitobnubiléparRider.Jesavaisquepouraidercedernier jedevaisentrerencommunicationavecStyx.Alors je fis laseulechosequimevintàl’esprit.Jememissursagauche,tiraisursonbrasqui tenait la gorge de Rider, enroulai mon index autour du sien et appuyaidoucementmeslèvresdessus.Ilexpirabrutalementetsesbeauxyeuxseposèrentenfinsurmoi.
—J’aidébarquéparsurprise…Riderétaitavecunefille.Ilétait,disons,trèsproched’elle.C’estmafautes’ilestainsi…dévêtu.Toutestmafaute.—Alorspourquoiétait-ilsurtoi?intervintKyderrièrenous.Iltetouchait
levisage,ilessayaitdetesauter,alorsquetuappartiensàStyx.DenouveauStyxseraiditetenfonçaunpeupluslecanondel’armedansla
gorgedeRider.Cederniernelaissaitparaîtreaucunepeur.Enfait,ilsemblaitrésignélorsqu’ilfermalesyeuxetmorditlecanonaveclesdents.Jeblêmis.—Styx,arrête!Ilarticulasilencieusementquelquesmotsquejenecomprispasàl’intention
de Rider, puis retira son revolver et me prit sous son bras. Il me tenaitfermementetRidernousregardaitaveccolère.Puissonvisagesefermaetilpassasesmainssursesyeux.—Tusaisquoi,Styx?Jem’entape!Jesuisdingued’elleetilfallaitqu’elle
lesache.Alorsjel’aiembrassée,etjeseraisalléplusloinsiçaluiavaitplu.Jevoudraisêtresonavenir…cequetunepeuxpasluioffrir.Unfeulementanimals’échappadelabouchedeStyx.Jebaissailatête.Ridervenaitdesignersonarrêtdemort.Tout alla très vite, les poings et l’arme volèrent, Rider et Styx se jetèrent
l’unsurl’autre,lescorpsentremêlésenunebagarreacharnée.—NON!hurlai-je.MaisKymesaisitparlesbrasetmepoussaverslaporte.Je me débattais tandis que les combattants roulaient au sol, mais Ky me
poussafermementdanslecouloiretrefermalaporte.—Ky,laisse-moiyretourner!criai-jeenlerouantdecoups.Mais son torse était comme un rocher de granitme bloquant l’accès à la
chambre.—Calme-toi,Mae!Çaluipendaitaunezdepuisunboutdetemps,etlàçaa
pété.—Styxvaletuer!Ilhaussalesépaulesavecnonchalance.—Sansdoute.—Kyler!Illevalesyeuxaucieletm’attrapalesbras.—Écoute,meuf.TuvasdanslachambredeRider:mauvaispoint.Ilestnu
commeunver:réfléchisdeuxsecondes.Styxabesoindeletabasser.EtsitutesouciaisplusdetonhommequedesauterRider,onn’enseraitpaslà!
—Vatefairefoutre,Ky!rétorquai-je,choquéemoi-mêmeparmesparoles.Mon emportement le surprit visiblement et nous restâmes tous les deux
silencieuxunmoment.Soudain la porte s’ouvrit à la volée sur Styx portant par le cou un Rider
cabosséetsanglant.Styx,quin’avaitpratiquementpasdemarquesdecoups,lejetaparterre,àmespieds.Unemainplaquéesurlabouche,j’étouffaiuncri.—«Fichelecampd’ici.Tuenasfiniavecmonclub.Laissetavesteetton
écussonàlaporte.»—Styx!—Mais ferme-la,Mae!m’ordonnaRiderdepuis lesol,où il tentaitdese
redresseravecdifficulté.Lesangcoulaitdesaboucheetdesonnez,maculantlesol.Danssonregard,
jenevisquedéception.StyxjetaunjeanetdesbottesauvisagedeRider,quilesenfila.Unefoisdebout,ilmeregardaintensémentetmetenditlamain.—Mae…,murmura-t-il.Ilétaitbrisé,m’implorantdelechoisir.Jeregardaiattentivementsoncorps
charpenté,sesyeuxbruns,sabarbedouce,seslongscheveuxraideséparpilléssursesépauleslarges.SestatouagesdeHadèsressortaientsursapeaubronzée.Voilà.Jesavaisquejenelereverraisplus.Encoreunefoisjeperdaisunami
etj’enétaiscatastrophée.— Rider…, pleurai-je en me tournant vers Styx, qui m’observait
attentivement.Danssesbeauxyeuxcouleurnoisette,jelusunepointedepeur.—Mae?insistaRider.Jemetournaiversluietluiredis:—Jesuisdésolée…jesuisvraimentdésolée…Avecincrédulité,ilsecoualatête,lesouriretriste.—Tufaislemauvaischoix,Mae.Tuteplantescomplètement.Puis il quitta les lieux, quitta le club, en un battement de paupière. Le
grondementdumoteurduchopperretentitpuiss’éloigna.Riderétaitparti.Pourdebon,cettefois.Styx, haletant, se dressa devant moi, me lançant des regards noirs, les
muscles saillants sous son tee-shirt noir. D’une main, il essuya le sang quicoulaitdesalèvre.Kys’empressadenouslaisserseuls.—Styx…Ilsejetasurmoietmeplaquaviolemmentcontrelemur,etuninstantplus
tard sa bouche entra en collision avec lamienne. Jeme dégageai, lesmainsappuyéescontresapoitrine.—Commentas-tupu faireça?Pourquoi le rouerdecoups? Ila lecœur
brisé!Tun’avaispasbesoindeluifairetantdemal!Sonregardétaitcommeenflammé.— Ce s-salaud m-méritait de souffrir. J’en avais assez que ce c-connard
essaiedet-t’attireràlui.Tuesàmoi.(Ilpassasesdoigtssurmaboucheetmesyeuxserévulsèrenttantilétaitdouxavecmoi.)Àmoiceslèvresp-parfaites.(Ilfitcourirsesdoigtssurmes joues).Etcesyeuxde l-loup. (Enfin ilpritmonvisageentresesmainsetm’embrassalenez.)Etcep-petitnezquib-bouge!(Ilsepenchaetmeléchaleborddel’oreille.)Ilf-fautquetul’oublies.Jesuisc-commeça,Mae.C’estv-vraimentm-moi!Si tuv-veuxça…nous…accepte-moic-commejesuis.— Styx, criai-je en pleurant, émue par ses mots, lorsque son poing se
refermasurmescheveux,mebloquantentresesbras.Jenepouvaisplusbougerd’uncentimètre.Sonanneaulabialmerâpaitles
lèvrestandisquesalanguepénétraitviolemmentdansmabouche.Elleytrouvalamienne,etladomina,faisantpreuvedesoncontrôleabsolu.Ilétaitsibrut,sidéchaîné quand il s’agissait demoi… Je serrai les cuisses, sentant un désirimpérieuxmonter.Seigneur, je levoulaisavec tantdeforce…exactement telqu’ilétait.Un long gémissement m’échappa et j’oubliai complètement ma colère
lorsqu’ilglissaunemainsousmondébardeuretempoigna fermementundemes seins. Du bout des doigts, il fit rouler mon téton et tira dessus. Je medégageai en produisant un soupir sifflant. Ses yeux étaient sauvages,indomptables.Jeplaquaisansménagementmesmainsdanssondos.Sousmesdoigts, sesmuscles tressautaient et semouvaient et il plongea les dents dansmoncou.—Styx !protestai-je lorsqu’ildéchiramoncuir, le tirant surmescuisses,
bientôtsuiviparmapetiteculotte.Ilposalepiedsurmonpantalonarrivéauniveaudemeschevilles.—Enlève-le,grogna-t-il.En entendant son ordre, jememis àmouiller, et retiraimes pieds. J’étais
nue,ouverte,prêteàl’accueillir.Ilplongealesdoigtsdansmonsexe.J’enfouismesmainsdanssachevelure,
empoignai des mèches de cheveux noirs emmêlés, le ventre rempli depapillons.Bientropvite,ilretirasamain,etmepénétrad’uncoupdetoutesa
longueurturgescente.J’enserraisatailleavecmescuissesetilsemitàmeprendrecontrelemur.
Jamaisnousn’avions fait l’amourcommeça.C’étaitdur,violent, sauvage…désespéré.—Àmoi,grognaStyxdansmoncou,d’unevoixgutturaleetpossessive.Il vint aspirer un de mes seins avec sa bouche. Je sentais ses dents me
mordillerettirersurmontéton.—AH!Styx!— À moi ! répéta-t-il en suçant de plus belle, tandis qu’il décrivait des
cerclesautourdemonclitorisduboutdesdoigts.Mesomoplatescommençaientàmebrûler,irritéesparlafrictioncontrele
mur.Jenem’étaisjamaissentiesiremplie.Jeserraisesépaulesdetoutesmesforces,luigriffantsauvagementlapeau.
C’enétaittrop–cedésirbrûlant,cettepression,ladouleur–,c’étaittropfort.Ildonnaunautrecoupdebassinetdeséclairs lumineuxexplosèrentderrièremes paupières tandis qu’une vague de plaisir déferlait dans toutmon corps,invasiveetinéluctable,provoquantchezmoidestremblementsincontrôlés.L’étreintedeStyxdevenaitpresquedouloureuse.Ils’immobilisapuishurla
«ÀMOI!»toutendéversantsasemencebrûlantedansmonventre.Sarespirationhaletanterendaitmoncouhumideetmescuissestremblaient
defatigue.Noscorpscouvertsdesueurétaienttoutglissants.Letempsdereprendrenotresouffle,nousn’échangeâmespasunmot.Styx
enfouit son visage entremes seins, qu’il léchait et embrassait.Ma peau pâleétaitdécoréedetracesrougesàcausedesesdents.Jepassaismesdoigtsdanssescheveuxetdesronronnementsdeplaisirmontaientdesagorge.— À moi… à moi… à moi…, répétait-il d’une voix indistincte, tout en
m’embrassantlesclavicules,lagorge,etenfinlabouche.Son baiser fut profond et intense,mais bref. Il recula etme regarda droit
danslesyeux.Sonsexefrémissaitencoreenmoi.—Jet’aime,murmurai-jeenluiretournantsonregard.—M-Mae,gémit-il.T-tunevasp-past’enaller,hein?—Jamais,bébé,lerassurai-jeenpassantledoigtlelongdesajoue.—Àmoi,souffla-t-ildansunsoupirdesoulagement.—Àtoi.Jeprisentremesmainssesjouesmalrasées.—Jeneluiaipasrendusonbaiser.Styx se figea. Je vis la colère revenir dans ses yeux, ses épaules se
contracter.—Styx,c’estlavérité.Ilétaitsoûl,triste,ets’estmalcomporté…Ilaagide
manièreimprévisible.C’estmonami,mais…iln’estpastoi.—Etiln’ap-pasintérêtàrevenir,soulignaStyxd’unevoixsansappel.P-
personnenet-toucheàcequim’appartient.Situn’avaisp-pasétélà,jel’auraistué,cec-connard.—Jecomprends.J’étais bien soulagée que ce ne fût pas le cas. Bouleversée, je sentis les
larmesmemonterauxyeux.Monamiallaitmemanquer,maisRiderlui-mêmem’avaitditqu’ilnepouvaitpasvivredanslemêmelieuqueStyxetmoi.Etilétait hors de question que je quitte Styx. C’était difficile, mais Rider avaitbesoindeprendredurecul,etStyxavaitbesoindemoi.Ilnemerestaitqu’àprierpourqueRidertrouvelechemindelasérénité.
Chapitre21
Mae—Etvous,vousvenezpas?Allez!insistaBeauty.Styxpassasesbraspuissantsautourdemesépauleset,desesmainslibres,
expliqua:— « Je nous mets à l’écart. Seuls. Pas une seule interruption. Plus de
mélodrame.Jeveuxpasserdutempsavecmafemme.»—Beauty,laisse-lestranquille,tuveux?lançaTankenattrapantlebrasde
Beautypourl’obligeràveniràcôtédelui.— Très bien, très bien ! dit-elle en croisant les bras, gratifiant Styx d’un
regardnoir.Maisunevirée sansprésident, çane se faitpas. Jedisça, jedisrien!TanklevalesyeuxaucieletplaquaunemainsurlabouchedeBeauty,cequi
l’empêchaeffectivementd’endireplus.JesentislajouemalraséedeStyxpiquerlamienne.Ilmeglissaàl’oreille:—Jer-reviensdanscinqm-minutes.Je le regardai rejoindreKy et le trio des psychopathes en signant quelque
chosetoutenmarchant.Ildégageaitunetelleimpressiondeforcedominanteetautoritairequandiltraversaitainsiunepièce,vêtudesonjean,d’unechemiseblanche et de sa veste sans manches, roulant des mécaniques sous le tissuajusté,lescheveuxenbatailleaprèsm’avoirfaitl’amourlematin.—Tul’asdanslapeau,mapetite.À côté demoi, Beauty aussi regardait Tank rejoindre les autres pour une
discussiondesplussérieuses.Avecungrandsourire,ellemedonnauncoupdecoudecomplice.Jerougis.—Oui je…l’aidans lapeau,commetudis.Je l’aimeplusquemapropre
vie,avouai-je.—Ahbon?J’auraispasdeviné!LetongentimentmoqueurdeBeautymefitsourire.Styxjetauncoupd’œil
dansmadirectionet son regard flamboya lorsqu’ilvitmonattentiondirigéeverslui.Ilestpuissant,viril…ettoutàmoi.
Beautyseplantajustedevantmoi,lecachantàmavue.Jeremarquaisonairinquiet.—Qu’ya-t-il?luidemandai-je,soudainglacée.—Tankm’aditquelquechosehiersoir,chuchota-t-elle.—Quoi?Ellejetauncoupd’œilpours’assurerquepersonnenenousobservait,puis
meconfia:—Quelques frères sont allés chezRider hier. Juste pour voir comment il
allait,tuvois?Jeluisaisislebras.—Et?Mongesteluifithausserlessourcils.Jelarelâchaiaussitôt.—Désolée.—Pasgrave.(Ellesepenchaversmoi.)Iln’étaitpaslà.—Maisoùest-ilallé,d’aprèseux?—C’estbienleproblème.Tankm’arapportéquec’estàcroirequ’ils’est
volatilisé.Ses affaires sont toujours là-bas, sonchopper estgarédevant. Il yavaitmêmeunverreàmoitiérempliprèsdesonfauteuil.Iladisparu,commeun satané fantôme. Ils ont laissé le nouveau prospect, Slam, pour surveillerl’endroit vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais pour l’instant, rien denouveau.Un mauvais pressentiment me gagnait. Il s’était passé quelque chose de
grave.—Beauty!(LavoixfortedeTankquil’appelaitdel’autreboutdelapièce
nousfitsursautertouteslesdeux.)Onyva!Roulemapoule!Beautym’attrapalamainetlaserra.—NedisrienàStyx.Jeseraidansdesalesdrapss’ilapprendquejet’enai
parlé.Lesaffairesduclub,onn’estpascenséesêtreaucourant.—C’estpromis.EnvoyantStyxvenirversmoi,jem’efforçaidesourirejoyeusement.Après
unsignede lamain,BeautyrejoignitTanket tous lesfrèreset leursfemmess’enallèrent.Nousétionsseuls.Medominantdetoutesahauteur,Styxm’attrapalevisageetplaquaunlong
baiserprometteursurmeslèvres.Lorsqu’ils’écarta,j’avaislesoufflecourt.— P-prête pour une journée au lit ?me demanda-t-il sans douter un seul
instantdemaréponse,haussantcomiquementunseulsourcil.
Jemejetaiàsoncouetenserraisatailleavecmesjambes.—J’aiattenducejourtoutemavie.Jefusrécompenséeparunmagnifiquesourire.—Jenem’enlassepas,haletaStyxencouvrantl’intérieurdemacuissede
baisers.Ilm’avaitprisetroisfois.Troisséancesdesexeintense,suantetsexy.Jelui
passailesdoigtsdanslescheveuxtandisqu’ilremontaitlelongdemoncorps,pourvenirjusteau-dessusdemoi.—Jet’aime,murmurai-je.Ilsouritetsesfossettesressortirent.—Bébé,jesuisdinguedetoi.—Tufaisdesprogrèsd’élocution.Ilfrottasesdentslelongdesonanneaulabial.—C’estt-toi.Quandjesuisavectoi,iln’yap-plusautantd-d’obstacles,pas
dep-pythonquim’étrangle.C’estlaliberté.Je posai mes paumes sur son torse et le poussai sur le côté, puis je vins
m’installeràcalifourchonsursataille.J’admiraisoncorpsnu:sesmuscles,sapeaubronzée,sestatouagescolorés.Laperfectionfaitehomme.J’entreprisdeleparcourir duboutdesdoigts, en commençantpar sonbeauvisageburiné,ses joues rugueuses, son cou, sa cicatrice rose et ourlée laissée par la croixgamméedesesadversaires.Ilécrasamamainsursapoitrine.—Çamed-dérangepas.Jerelevailatête,surprise,etl’interrogeai:—Ahbon?Pourtantceshommest’ontgravéleurinsignedanslachair.Ilsecoualatête.—Çames-stimule,b-bébé.Çamerendplusf-fort.Jemepenchaipourl’embrasser.Enmeredressant,jemelaissaiglissersur
sonflancetsortisdulit.Lorsquejejetaiuncoupd’œilpar-dessusmonépaule,ilm’adressaunsourireentendu.Jegagnai le fauteuil encuirnoirdans le coinde la chambreet attrapai la
guitaredeStyx,avantdelerejoindreaulit.Ilsemitsurlecôté,appuyésurunbras.—Tuveuxuneautreleçon?JesecouailatêteetbaissailesyeuxpuisposailaFendersurmesgenoux.—Jeveux te jouerunair, expliquai-jeen levant timidement lesyeuxvers
lui.Ilouvritlabouche,surpris.—T-tuv-veuxjouer…p-pourmoi?—Jemesuisentraînée.Beautym’aaidéeàtrouverdesairset,pendantque
tuétaisenmission,j’aiapprisunechanson.Jesentaisquej’étaisdevenueécarlate,unfeubrûlaitsousmapeau.—Bébé…,murmura-t-il.Jel’interrogeaiduregardetilm’incitaàcommencerd’unbrefmouvement
dumenton.Je pris une inspiration en plaçant correctement la guitare, puis me mis à
jouer avec gaucherie les premiers accords. Je vis alors un sourire de fiertés’épanouir sur le visage de Styx, ce qui m’encouragea. Maintenant il étaittempsdepasserauchant.—«Ihopeyou’retheendofmystory.Ihopeyou’reasfarasitgoes.Ihope
you’rethelastwordsIeverutter.It’sneveryourtimetogo…»Jechantaislesparolesexactementcommejelesavaisapprises.Levisagede
Styxétaitcommeilluminé,etsafiertéavaitlaissélaplaceàl’adorationlaplustotale.Jepensaischaquemotdecettechanson,c’étaituneprièrequejechantaispourlui.Alors que les derniers accords de la chanson de Pistol Annies vibraient
encoredansl’air,Styxm’arrachalaguitaredesmainsetlajetaparterre.—Styx!couinai-je,coincéesoussoncorpsmassif.Jesentissonsexedurcircontremacuisse.—Putain,Mae…— Ça t’a plu ? demandai-je en me tortillant sous sa poitrine, mes bras
enroulésautourdesondoslarge.—Mmm,bébé…T-tavoixestp-parfaite.Styxsoulevalebassinet,d’uncoupdehanches,s’enfonçaprofondémenten
moi. La sensation d’être remplie fit monter un long grognement dans magorge. La pression, la brûlure du plaisir… pure perfection. Il emmêla sesdoigts dans les miens et donna de longues poussées puissantes. Tout enmepénétrantdeplusenpluscomplètement,profondément,ilnemequittaitpasdesyeux,etl’extrémitédesonsexeheurtaitlefonddemonintimité.—Styx,gémis-jealorsquesesmouvementss’accéléraient.—Jouis,ordonna-t-ild’unevoixsourde.Jouism-maintenant.Excitéeparsesmots,jesentisunepressionirrésistibleenfleràlabasedema
colonne vertébrale, puis elle explosa, allumant des étincelles derrière mes
paupières.—Mae!souffla-t-il.Les tendons de son cou saillants, il s’immobilisa, et en moi son sexe se
déploya encore, m’emplissant presque douloureusement. Après quelquespousséesplusdouces le tempsdesecalmer, ilsemitsur lecôtépournepasm’écraser.Sonspermechaudcoulaitlelongdemescuisses.Il posa sa grande main sur ma joue et m’attira à lui pour partager son
oreiller.—Jen’arrivet-toujourspasàc-croirequetuesrevenue,aprèst-toutesces
années.Moncœurétaithabitéparlajoie.—C’étaitécrit.Ils’agitaunpeu,malàl’aise,puisserapprocha.—M-Mae?—Oui,murmurai-jeenretenantmonsouffle.—Je…Soudaindespasprécipitéssefirententendredel’autrecôtédelaporte.—PRES’!MAE!Attention!criaunevoixétoufféedanslecouloir.Laportedelachambres’ouvritavecfracasetjevisavechorreurunhomme
ensangentrer,violemmentpousséenavant,etquis’effondraparterreavecunbruit sourd. Quatre hommes cagoulés entrèrent à sa suite au pas de charge,munisderevolversquiseretrouvèrentaussitôtpointéssurnostêtes.Styxbondithorsdulitetseprécipitaverslesintrus,maisilreçutuncoupde
crossesur la tempe,cequi l’assomma.Levoyantendanger, jecriai, toutenessayantdemecouvriravecledrap.Alorsjereconnusl’hommeausol.Non…non…non!Rider!C’étaitlui,àmoitiénuetpasséàtabac.Sesyeuxtuméfiéss’ouvrirentunpeu
etilrencontramonregard.Latristessedanssesirisbrunsétaitsiprofondequejeperdisespoir.Voilàpourquoiiln’étaitpaschezlui:ilaétéenlevé,devinai-jeenconstatant
lesdégâtssubisparsoncorps.—Àgenoux!exigealeleaderdugrouped’unevoixgraveetinflexible.Unautresautasurlelitetm’attrapaparlebras.—Toiaussi,salepute!Ilempoignamescheveuxpourmejetersurlesol.Lecrânedouloureux,je
me retrouvai poussée sansménagement entre Styx et Rider, qui étaient tousdeuxàgenoux,latêtebaissée.
Ledrapdontjem’étaiscouverteglissaparterreetStyxémitungrognementenmevoyantainsiexposée.Jerisquaiuncoupd’œilverslui.Ilfoudroyaitduregard l’homme qui se trouvait au-dessus de moi… et qui se rinçait l’œil.J’étais entièrement nue, exposée à tous les regards. Le silence se fit dans lapièceetj’entendisRiderhoqueter.Ilm’examinait,leregardpleindedésir.Lechefdugroupealladécrochermonpeignoirsuspenduderrièrelaporteet
lejetadansmadirection.—Couvre-toi,putain.Toute tremblante, j’enfilai le vêtement et fis un double nœud avec la
ceinture.—Lesmainsderrièreledos.J’obéis.MaisStyxregimbaetreçutuncoupdecrosseàlamâchoire.—Voustrois!Toutdesuite!Ilfinitpars’exécuter.Jepleuraienvoyantsagorgesecontracter,sapoitrine
se soulever. Il essayait de parler. Mais ses lèvres étaient serrées, il n’yparvenaitpas.Levoirainsimedésolait.Jeparvinsàattirersonregardfurieuxettentaidelerassurer,deluisignifier
quejen’étaispasblessée.Envain.Lesveinesdesoncouétaientgonfléesparlarageetsonvisagedevenaitrougefoncé.Troishommessortirentdesliensdeleurspochesetnouslièrentlespoignets
avecdesgestesbrusques.Leplastiqueétaitsolide,bientropdurpourcéder.Nousétionsprisonniers.Ridervacillaets’appuyacontremoi.Ilavaitlecorpscouvertdesangetde
boue.Ilétaitdansuntelétatqu’ilavaitdumalàgarderlatêtedroite.Les hommes masqués étaient debout devant nous, tout de noir vêtus,
braquant sur nous leurs armes. Malgré tout Styx se tenait droit, dans uneattitude de défi, et son expression criait vengeance et châtiment. Même enpositiond’infériorité,lecourageetlaforcedemonhommeétaientflagrants.EnvoyantqueStyxgardaitunairmenaçantetbravache,leleaderdugroupe
rit.C’étaitun riregrinçant,difficilement supportable.Monsang seglaça.Cerire,jel’auraisreconnudansn’importequellesituation.Je ne pus réprimer un cri et l’homme tourna la tête vers moi, puis se
rapprochalentementets’accroupitpoursemettreàmahauteur.JesentisStyxet Rider se raidir à mes côtés. Les deux hommes que j’aimais le plusm’entouraient, mais ils ne pouvaient rien faire pour me protéger de cethomme.Etaufonddemoi,j’avaistoujourssuqu’ilmeretrouveraitunjour.Avecunelenteurdélibérée,illevalamainetarrachasacagoule.L’airquitta
mespoumons.—FrèreGabriel,soufflai-je,lesdentsserrées.J’entendis Styx grincer furieusement des dents. Gabriel me fit un grand
sourireencaressantsalonguebarbebrune.— Salomé. (Dans sa bouche, mon prénom était une insulte.) Tu as été
vilaine,ettrèsinsolente.(Ilfitunbruitdésapprobateurenagitantl’indexsousmon nez, comme s’il réprimandait un enfant têtu.) Nous t’avons cherchéependantlongtemps.(Ilsetournaverslesautresetrit.)Ettevoilàici,souilléeparsasemence.(IlmontraStyxdudoigt.)Danscetendroitquenoushaïssonsplusquetout…aveccesgensdontnouspréparonssidurementlaperte.Je ne comprenais pas de quoi il parlait. Comment l’Ordre avait-il
connaissance des Hangmen ? Pourquoi œuvraient-ils pour leur perte ? JeglissaiunregardversStyxetconstataiquesonexpressionexprimaitlamêmeconfusionquejeressentais.MaisjerestaisstoïquefaceàGabriel,adoptantlevisageneutrequej’avaissibienapprisàcomposerpendantdesannées.J’étaispasséemaîtredansl’artdedissimulermesémotions.— Alors voilà ce qui va se passer, annonça Gabriel, interrompant mes
réflexions intérieures. Tu vas rentrer avec nous, et la fermer, comme unefemmerespectabledoitlefaire,etterepentirpourteserrementsdeputain.Tuassouillétapuretéaveccepécheur.(Ileutunrictusmauvais.)Tuasencoresonspermequicoulesurtescuisses.UndeshommescollalecanondesonarmesurlatempedeStyx.Cedernier
semblaitprêtàexploserderage.—Tuvas enfinépouser leprophèteDavid, comme leSeigneur l’aprédit,
afind’assurerànotrepeupleuneplaceauparadis.Jeprisune inspiration tremblanteet fermai lesyeuxun instant.Puis je les
plantaidansceuxdeGabriel.—Jemeplieraiàcesdemandes,répondis-jedocilement.Uneboule se formadansmagorge lorsque jevisStyx sedébattre, et son
gardeluienvoyeruncoupdansleventre.Styxnecillamêmepas.—LibèreRideretStyx,s’ilteplaît.Gabrieléclataderire.—Allons,Salomé,cen’estpasàtoid’endécider.—Jet’enprie.Ilssontinnocents,laisse-lespartir!Unparun,lesfrèresretirèrentleurcagoule.Ils’agissaitdetouslesaînés:
Gabriel,Noé,Moïse… et Jacob.Ce dernierme regarda et s’approcha, pours’arrêterjustederrièreGabriel.Alorsilmesouritlargement.Cefutcommesi
ma peau était soudain couverte de centaines d’araignées. Je frissonnai dedégoût.—Salomé,commeonseretrouve,dit-ilfroidementd’unevoixchuintante.—Jacob,crachai-je,l’estomacretournéparledégoûtqu’ilm’inspirait.Des années de sévicesme revinrent enmémoire et je serrai les paupières
pour essayer d’endiguer le flot de souvenirs atroces. Les attouchements, lesviols…lahonte.Styx poussa un rugissement et bondit, chargeant Jacob. Je poussai un cri
alorsquelesdeuxhommesroulaientausolenunamasemmêlé.Styxparvintàposer le pied sur la mâchoire de Jacob et j’entendis le bruit sec d’unearticulationdéboitée,puisNoédonnauncoupdecrosseàl’arrièreducrânedeStyx,etcederniers’affalaparterre.Jacobseredressaaussitôtensetenantlamâchoire,qu’ilremitenplaceavantdesejetersurStyx.Riderserapprochademoi,mebarrantlavueavecsonlargetorse.—Assez!ordonnaGabriel,etaussitôtlesfrèressefigèrent.Attachez-leàla
colonnedelit!Frère Noé poussa Styx jusqu’au lit et l’y attacha soigneusement. Styx se
débattaitviolemment,maislelitnebougeaitpasd’uncentimètre.Rencontrantsonregardfurieux,j’articulaisilencieusement:«Jet’aime.»Ilsecalma.—Alorstuveuxsauverceshommes,Salomé?Cessauvagesperdus?GabrieldésignaRider,etfrèreMoïsesepenchapour lesouleverdeforce.
Ridertenaitàpeinedebout.—Non,jevousenprie,neluifaitespasdemal!criai-je.GabrielfittournerRideretleregardquecedernierposasurmoimesembla
étrange.Était-iltourmenté…tiraillé…pleinderegrets?Gabrielsortitdesabotteungrandcouteauetlebranditenl’air.—Donctuveuxquej’épargnecesauvage?Gabriels’amusait.QuantàRider,ilavaitl’airhébété.Mes joues étaient inondées de larmes, j’avais dumal à respirer.Avec son
couteau,GabrieltranchalesliensdeRider.Ilallaitletuer.J’allaisvoirmourirlesdeuxhommesauxquelsjetenaisleplus.GabrielpritRiderparlebrasetl’obligeaàsetournerverslui.Soncouteau
étaitprêtàluitrancherlagorge.J’entendisStyxinspirerbrutalementetretenirsonsouffle.Gabriels’approchatoutprèsdeRider.—Es-tuprêtàmourir?
Sans expression, Rider se contentait de fixer l’homme qui le menaçait.Pourquoi ne luttait-il pas ? Je voulais lui crier de se battre, mais j’étaisincapabledeproduirelemoindreson.Guettant une réaction, Gabriel restait immobile. Soudain il laissa son
couteautomberparterreavecfracasetilécartalesbras.—FrèreCaïn!Quelplaisirdeterevoir!Rider se redressa sous mon regard abasourdi et il fit un grand sourire.
Soudainsesblessuresétaientoubliées,safatigueenvolée.— Frère Gabriel ! répondit-il sur le même ton, et ils se donnèrent
l’accolade.Moncœurcognaitdeplusenplusviolemmentdansmapoitrine.Autourde
moilemondesemblaittournerauralentitandisquej’assistaisàcettescènedejoyeusesretrouvailles.Les paroles de Gabriel résonnaient àmes oreilles, comme vides de sens.
«FrèreCaïn!Quelplaisirdeterevoir…»NON!Jem’effondrai, vidée de toutesmes forces.Mon corps ne parvenait pas à
accuser le choc,mon cerveau refusait l’information fournie parmes yeux :Rider prenant chaque frère dans ses bras. «Frère Caïn ! Quel plaisir de terevoir…»JecherchaiStyxduregard.«Riderétaitlemouchard.C’étaitlui!»medisaientsesyeux.Rider,undisciple?Mais…FrèreCaïn?FrèreCAÏN!—Non,coassai-jed’unevoixàpeineaudible.Rideret lesaînéssetournèrentversmoi.Jeplongeaimonregarddansses
yeuxquiétaientdevenusétrangersettrouvail’énergiededemander:—Tues le frèreCaïn ?Tu es le neveuduprophèteDavid ?L’héritier de
l’Ordre?Ridermedévisageaitsans répondre.Àprésent, jene le reconnaissaisplus.
Caïn était le disciple à qui reviendrait la direction de l’Ordre au décès duprophèteDavid.RiderestlefrèreCaïn.Ridern’existepas.Les sanglots jaillirent. Je craquai, avachie sur le sol. J’entendais Styx se
débattre, il voulait venirme réconforter. Je n’en pouvais plus. La perte étaittropgrande.—Occupez-vousd’elle.Ilfautyaller.
L’ordredonnéparRider–non,Caïn–me tirademonapitoiement. Jemedéplaçai sur les genoux jusqu’à Styx et me collai à son corps couvert detranspirationàforcedesedébattre.—Styx…jet’aime…jet’aime.Ilgrognaitetmontraitlesdents,luttantpourselibérerpourm’enlacer.Ses
lèvres s’agitaient, il essayait de parler. Les mots ne voulaient pas sortir, lecondamnantausilence,maisjelisaislafrustrationsursonvisage.— Bébé, regarde-moi, REGARDE-MOI ! criai-je pour que ses yeux
désespérésrestentaccrochésauxmiens.N’essaiepasdemeretrouver.Ilsecouafrénétiquementlatête.— Je t’en prie, insistai-je.Neme cherche pas. Ils neme laisseront jamais
repartir.Jenesortiraijamaisdelà-bas.Laisse-moi…laisse-moitedireadieu.Protège-toi,protègeleclubettesfrères.Soudaindesmains immensesmesaisirent lesbras. Je résistai, collantmes
lèvresauxsiennes. J’avaisbesoind’underniercontact. J’essayaidesavourersongoûtde fumée, sonodeurmusquée.Mais enun instant ce fut fini, je fussoulevéedeterreparunepoignedefer.Caïn.—Noé,Moïse,laissezunmessagepourlesHangmen,ordonna-t-il.LesaînésencerclèrentStyx.—Non!NON!hurlai-je,hystérique.Jet’aime,Styx.Jet’aime!Ridermeportahorsdelachambreetdescenditl’escaliermenantàlacour.—Mauditsois-tu,Caïn!VaauxEnfers!Il s’arrêta brusquement etme plaqua contre lemur. Son regard ardent se
plantadanslemien.—Jesuisdéjàenenfer!C’estunputaind’enferdetevoiraveclui!Je te
ramèneàlamaison,loindecelieudeperdition!Jeteramèneànotrepeuple,loindelui!Une décharge de colère me traversa et, sans réfléchir, je lui crachai au
visage. Il sursauta et s’immobilisa tandis que ma salive coulait sur sa joue,danssabarbe.—Jetedéteste!Commentpeux-tumerameneràcetantreinfernal,aprèsce
que j’ai subipendantdesannées?Tuprétendaism’aimer !Mensonge!Si tum’aimais, tu ne me ramènerais pas là-bas. Autant me tuer. Tue-moi tout desuite!Caïnsepenchasurmoietmepoussabrutalementcontrelemurenciment.
J’euslesoufflecoupéparlaviolenceduchoc.—C’estçaleproblème,Salomé.Jet’aimeréellement.Etjen’aipasledroit,
celam’estinterdit.Jedevaistelibérerpourterameneràmononcle.Telivrerau prophèteDavid. Et je dois le faire.C’est la volonté du Seigneur.Mais jet’aimedetoutesmestripesetc’estlacroixquej’aiàporter.J’étaisencoreplusdéroutée.—Quoi?Situm’aimes,tudevraismelibérer.S’ilteplaît.L’espace d’un instant, j’eus devantmoi le Rider que je connaissais et que
j’appréciaisentantqu’ami.MaislorsqueMoïse,NoéetGabrielarrivèrententraînantStyx,lapersonnalitéglacialedefrèreCaïnrefitsurface.— Styx ! hurlai-je alors qu’ils passaient à côté de moi avec son corps
ensanglanté.Moncœurmenaçaitde jaillirhorsdemacage thoracique.Diminuépar la
racléequ’ilvenaitdesubir,illevafaiblementlatêteenentendantmavoix.—STYX!Jem’effondraiaupieddumur.Jenepouvaispasm’ensortir.Désespérée,je
vislesaînésporterStyxdanslacourtandisqu’ilsedébattaitpourrevenirversmoi.Ilnecesserajamaisdevouloirmeprotéger,pensai-je.JereportaimonattentionsurfrèreCaïn.—Jenetelepardonneraijamais,frèreCaïn,crachai-jed’unevoixégaleet
assurée.Unéclairdedouleurpassasur levisagedeCaïn,puis frèreJacobs’arrêta
prèsdenous.Caïnlevamonbrasgauche.—Vas-y!ordonna-t-ilsévèrementàJacob.Jevisalorsquecederniertenaitunelongueaiguille,qu’ilinséradansmon
bras tendu. Perdant rapidement connaissance, j’essayai de lutter contre lesmainsdeCaïn.—Jamais…telepardonnerai.Jamais…
Chapitre22
StyxJenepouvaispasparler.Je ne pouvais pas sortir un seulmot. Rider. Ce foutu Rider ! Il était l’un
d’eux.EttoutescesannéesdeRoadCaptain…CinqanschezlesHangmen,surlefrontàchaquedeal,àchaqueaffrontement…etilétaitdesleurs!EnculédeRider!—Noé,Moïse,laissezunmessagepourlesHangmen,sifflaRiderentreses
dentsalorsqu’ilattrapaitMaeetlafaisaitsortirdelapièce.Mavisionseréduisaitàuntunnelplongédansunbrouillardrouge.—Styx!Jet’aime…jet’aime!criaitMae,levisagebaignédelarmes.Ridermel’enlève!J’aurais voulu crier son nom, mais les mots refusaient de sortir. Ils
formaientunbloccompactquim’obstruaitlagorge,m’étouffait,indélogeable.Laporteducouloirserefermaetdeuxdecessalesbarbusm’approchèrent.
Jemontrailesdents,luttantcontremesliens,maisrienàfaire.Jemepromisdeleurdonneruncoupdetêtedèsqu’ilsseraientsuffisammentproches,pourleurcasserlenez,leurfracturerlamâchoire…n’importequoidedouloureux.—AlorstueslefameuxMuetdesHangmen?raillalepremier.Je le regardai, essayant de les inciter à se rapprocher. Ils échangèrent un
regardetrirent.—Vularéponse,jecroisqu’onnes’estpastrompés.C’estdrôle,iln’apas
l’airsiméchantvucommeça,agenouillécommeunefille.Unmouvementattiramonregardet jevisqueJacobfaisait lescentpas. Il
meregardaitd’unairféroce.Alorsc’estlui,lepédophile.Lemaladequiavaitviolémafemme.Àl’âgedehuitans.Ilm’adressaunrictusentendu,cequifitcraquersamâchoire.Ils’avançaet
vints’agenouillerdevantmoi,pourmetourmenter.—Elleétaitsiserréeaudébut.J’avaisl’impressionquemesmusclesallaientsedéchirer.—Audébut,ellerésistait.Ellevoulaitselibérer,maislatrappelamaintenait
enplace.Elleacriélapremièrefois,quandj’aidéchirésonhymen.Maiselleaviteapprisàm’apprécier.(Ilbaissaletonetlatête.)Jel’aipénétréepartouslesorifices possibles, de toutes les manières possibles… et elle était toujourstrempée,elleenvoulaittoujoursplus.Lafureurfaisaitbouillirmonsangdansmesveines.Jemejetaienavantet
enfonçai mes dents dans son cou, arrachant un morceau de chair que jerecrachai à ses pieds. Un goût métallique m’emplit la bouche. Il hurla dedouleurtandisquejesouriais,sonsangmecoulantsurlementon.Lesdeuxautresfrèrespassèrentàl’attaque,merouantdecoupsdepiedetde
poingdanslescôtes.JenequittaispasJacobdesyeux,etjesouriaismalgréledéchaînementdeviolencecontremoi.—Moïse,Noé,emmenez-ledehors,commandaGabriel.Jacob gardait une main sur son cou, me considérant d’un air abasourdi.
MoïseetNoémeprirentparlesbrasetmetraînèrentjusqu’àlaporte.Mae.Riderlatenaitcontrelemur,levisagebeaucouptropprèsdusien.Elleavait
l’aird’avoirsipeur.Notre arrivée attira son attention et ses yeux de loup cherchèrent mon
regard.—Styx!cria-t-elle.STYX!Allez, un effort, parle.Allez.Parle, bon sang.Dis n’importe quoi.Un seul
mot.Justeun.Unson.Quelquechose,putain!Je gonflai le torse, essayant de faire sortir un mot. Je les sentais tout
proches,menarguant,maisilsrefusaientdeseformer.Lesdeuxsacsàmerdequimetenaientpassèrentsi rapidementdevantMae
quejeneparvinspasàdirecequejevoulaisàtemps.Jen’avaispaspuparleràmafemme,larassurer.Jenepouvaispasl’aider.
J’étouffais.Littéralement.—Vas-y,Jacob!J’entendisRiderdonnerunordre.Jeplantailespiedsdanslesoletparvinsà
meretournerjusteàtempspourvoirJacobplanteruneénormeseringuedanslebrasdeMae.—Jamais…telepardonnerai.Jamais…,marmonnaMaeensombrantdans
l’inconscience.LapeinedansleregarddeRidersemblaitaussifortequecelleexpriméepar
Mae.
Elle s’endormit en quelques secondes tandis que j’étais poussé sansménagement dans l’escalier, puis dans la cour, où l’atmosphère collante ethumidedelanuitestivalerendaitlarespirationdifficile.—Laporte!criaMoïse.Nousétionsobligésd’attendredevant leportail.L’undecessalaudscoupa
dans mon dos les liens me retenant. Saisissant cette opportunité, je leurbalançai mon poing en pleine figure à tour de rôle. Mais je finis par êtreplaquéausolpar-derrière.—Surtoutnebougepas,grondaunevoixgrave.Rider.—Attachez-le,ordonna-t-il.Puis je fus soulevéetpoussécontre lesbarresmétalliquesduportail.Mes
poignetsfurentattachésdepartetd’autre.Àchaquemouvement,mesmusclesmebrûlaientdouloureusement.Enfin,ilsmelièrentleschevillesàl’aided’unsolidecâble.Intérieurement,jereconnuslecomiquedesituationqu’ilyavaitàmemettre
danscettepositionétrange.Ilsavaientlesensdudétail,cesfousdeJésus.Je tendismes doigts aumaximum puis les serrai,mais impossible deme
libérer. JevisJacobarriverense tenantuneserviette imbibéedesangsur lecou.Cettevisionmefitsourire.PuisjeremarquaiqueRiderm’observait.—Elleestendormie?—Oui,aucunproblème,réponditJacobenm’adressantunregardnoir.Riderregardasonfrèreunpeutroplonguement,etsesyeuxsecontractèrent
légèrement.Si«frèreCaïn»aimaitMaeautantqu’ill’affirmait,ildevaitavoirenvied’écorchervifleperverssadiquequil’avaitviolée.Desannéesdurant.SiRidernelefaisaitpas,jemepromisdemechargerdelavengerunjour.Cettefois, rien surTerre nem’empêcherait de retrouverMae.Elle était tout pourmoi.Cen’étaitpasunefoutuesectedebarjosquiallaitmel’enlever.—Alleztousattendredanslefourgon,ditRider.Leshommesenfilèrentleurscagoulesetnouslaissèrent.Jetendislecouet
visunfourgonFordauxvitrescamouflées.Aucuneplaqued’immatriculation.Aucunsignedistinctif.Rienquimepermettedeleretrouver.Mae était à l’arrière, inconsciente. Et je ne pouvais pas bouger. Je devais
sauvermafemmeetjenepouvaispasbouger.—Styx.En entendantmon nom, jeme tournai versRider, qui se tenaitmaintenant
faceàmoi.Cesalaudsemblaitsoulagé,commes’ilavaitfinalementgagné.
—C’estellequiacausétoutçaentechoisissant,tusais.(Jeserrailesdentset sentis le goût de mon propre sang emplir ma bouche : mes gencivessaignaientsouslapressionterribledemamâchoire.)Cettefaçonqu’elleadeteregarder.Elleestobsédéepartoi.Celam’esttotalementincompréhensible.L’entendre parler de ma femme me rendait malade. Merde, c’était moi
qu’ellevoulait.Ellem’aimait,putaindemerde,etceblaireaunelesupportaitpas.Ilm’envoyaun coupdepoing auvisage.Ma tête partit violemment sur le
côté.Ilavaitunsacrécrochetdudroit.—Maintenant,ilesttempsdem’écouter.Jeplissailesyeux.—Pendantdesannées,j’aidûsubirsansbronchertouscesactesimmoraux,
lepoisonmorteldecettefraternité:lesfrèresquibaisenttoutcequibouge,quituentpour leplaisir, lesbeuveries, lesblasphèmes…J’aigagné taconfiance,ton amitié. Mais pendant tout ce temps, je vous méprisais, toi et tous lespécheursde ce club.Ceque tu ignores c’est que l’Ordre a acquisun contrattrès lucratif il y a plusieurs années déjà. Un contrat pour obtenir des tasd’armes, afin d’avoir un revenu et de pouvoir agrandir notre communauté.Cela aurait pris quelques années àmettre en place.Mais c’était prévu, nousavions besoin de quelques années pour étudier le marché, connaître laconcurrence.NosarmesvenaientdeGaza.Superqualité.Mais ilyavaitdéjàquelqu’unsurnotreterritoire:toiettapetitebandedehors-la-loi.»Leplanétaitsimplissime:infiltrerlesHangmen,gravirleséchelonsdela
hiérarchie, et retransmettre les renseignements obtenus aux aînés et auprophèteDavid.C’estcequej’aifait.Quasimentàlaperfection.LefiascodudealaveclesRusses,c’étaitnous.PourcommenceràmettrelesHangmenhorsjeu concernant le business des armes.Nous avions demeilleures armes.LesRussesontétésatisfaits.TonvieuxquipartpourHadès,c’estjustelacerisesurlegâteau.Honnêtement,ungamincommetoi,muetdesurcroît,quireprendleflambeau.C’étaitdutoutcuitpournous.»Tamiseàprix,lecontrataveclesnazis,c’étaitnous.EtPitapayéànotre
place.Ça n’a pas été trop difficile de te faire croire que le prospect était unvendu – aussi facile que voler ses bonbons à un gamin. Mais quand on adécouvertMae,blessée,toutachangépourmoi.Touteladonneachangé.Ilcaressasabarbebruneetunsourireapparutsursonvisage.Jemepromis
deluicouperlatêteetdelafaireempaillercommeuntrophée,pourpouvoirlenarguerenretourchaquejourdemavie.Jamaisjen’avaiseuunetelleenvie
detueretmutilerquelqu’un.Jevoulaisqu’ilsouffre…énormément.Aupointdemesupplierdel’achever.—Audébut,jenesavaispasquiétaitMae,poursuivit-il.Jetentaidemeconcentrer.Toutcequ’ildisaitpouvaitêtreutile.Ilfallaitque
j’écoute attentivement chaque mot de ce traître formaté par sa religiondéviante.—Jenel’avaisjamaisvue,j’aitoujoursététenuàl’écartdelacommunauté,
pourmeprépareràdirigerl’Ordre.Saloméaussiétaitàl’écart,ainsiquesesdeuxsœursetlaquatrième,Dalila.Nousétionsmisengarde:ilnefallaitpaslesapprocher.Ellespouvaienttentern’importequelhommeetcausersaperte.On disait que Salomé était la plus belle, mais je neme doutais pas que cesrumeurssous-estimaientlaréalité:sescheveux,sesyeux,cecorpsappelantàlaluxure!Cen’estquelorsquej’aivuletatouageàsonpoignetetlesmarquessur sa peau que j’ai su qu’elle faisait partie dema communauté.Mais je necomprenais pas comment elle avait réussi à s’échapper. Peu de temps après,j’apprisparGabrielquesœurSalomés’étaitenfuielejourdesonmariage.Jesus alors que tu avais accueilli l’une desMaudites… celle que la prophétieavaitdésignéecommeseptièmefemmeduprophèteDavid.Ettuvoulaisl’avoirpourtoi.Tul’astransforméeenputain.Àcausedetoielles’estécartéedudroitchemindel’Ordre.Riderpoussasoudainungrognementetsejetasurmoipourm’enfoncerson
poing dans le ventre. Je faillis vomir, mais ravalai la douleur. Jamais cemouchardnemeverraitcraquer.Lahainequej’éprouvaisenverssesfrèresetluimerendaitinsensibleàladouleur.—Jenevoulaispasm’occuperdeMae,jedevaissimplementdireàl’Ordre
oùellesetrouvaitpourqu’ilslarécupèrent,toutenmetenantàl’écartpournepasmettreendangertoutmontravail.ElleappartientauprophèteDavid.Maisc’esttoiquil’aspousséeversmoi!Tum’asforcéàladésirer!Jesuisdevenuobsédéparelle!Tum’asperverti!Etmaintenantc’estàmoidelaluilivrer.C’estfini,jenepeuxpluslagarderici,jedoislarendre!Involontairement,jemontrailesdents.Respire.Déglutis.Parle.Parle!ordonnai-jeàmagorge.Rien.Encoreunefois.Merde!Riderricana.
—Toujoursrienàdire,Prés’?(Ilreculadequelquespas.)Tuespathétique.Tu n’asmêmepas eu les couilles de retrouver ta langue pour répondre à tafemmequit’appelaitàl’aide.Tunelaméritespas.Tunel’asjamaisméritée.Jemeprojetaienavantavectantdeforcequelatensionfuttropfortepour
mesbras.Jesentismonépaulecraquer,sansdoutedéboîtée,maiscettedouleurétaitbienvenue,jesavaisqu’elleallaitm’aiguillonner.Melancersurlesentierdelavengeance.Riders’approchaunpeupourm’annoncercalmement:—Jenevaispastetuer.Non,ceseraittropfacile,etilnefautpasquej’aie
davantagedesangsurlesmains.J’aidéjàcommisbientropdepéchésdansceclub.(Sonvisagesechiffonnaàcettepensée,maisilserepritaussitôt.)Jeveuxquetusoisenvie,Styx,etquetusachesqueMaeestquelquepart,maisquetunelareverrasjamais.Tuconnaîtrasl’enferquej’aivécucesderniersmois.Etne tedonnepas lapeinedechercher.Tunenous trouveras jamais.Personnen’yparviendra.—FrèreCaïn!Ondoitpartirmaintenant!luicriaundeshommesdansla
cour.Riderpartitàgrandspas,sansunregardenarrière.Enentendantlefourgon
démarrer, mon cœur accéléra douloureusement, et je me débattis avecl’énergiedudésespoir,jusqu’àl’épuisement.Et,crucifié,muet,impuissant,jeles vis prendre la direction du sud, roulant surmon chemin, emportantmafemme.Unerageincontrôlables’emparademoncorps, jetremblaisdespiedsàla
tête.J’ouvrislaboucheetlâchaiunlongcrisilencieux.—Styx!Putain,qu’est-cequis’estpassé?J’ouvrispéniblementlespaupièresetdécouvrisKy,TanketBulldescendant
demotopourcouriràmarencontre.Lesfrèresétaientàcalifourchonsurleurmotoàl’entréedenotreQG,des
dizainesderegardsbrûlantsderagemecontemplaient,nuetamoché,attachédans une position grotesque d’exécution antique. Les Hangmen étaient enfinrentrésdeleurvirée.Jen’avaispaslamoindreidéedutempsquej’avaispassélà,maisune seulepenséeoccupaitmonesprit : lavengeance.Et lavisiondeRidermort.Bull sortit soncouteau suissede sabotte et sectionnames liens tandisque
d’autres frèresme soutenaient. J’étais si affaibli que je ne tenaismême plusdebout.
—Quisontlessalaudsquiontfaitça?demandaKy.Sa voix faisait l’effet d’un cri tant le silence des frères était total. Ils me
transportèrent rapidement à l’intérieur.Dans le bar, ilsme déposèrent sur lecanapéleplusprocheetquelqu’unpensaàjeterunecouverturesurmoncorpscontusionnéetnu.C’étaitBeauty.Le trio des psychopathes était rassemblé juste devant moi, piétinant
nerveusement.Toutleclubsemblaitfrémirderage.—Qu’est-cequis’estpassé?demandadenouveauKy.Lettisortitdemonappartementcommeunbouletdecanon.—Ellen’estpaslà,annonça-t-ellesimplement.Jamais encore je n’avais vu Letti bouleversée. Ses yeux semblaient
immenses et emplis de détressemaintenant qu’elle savait que son amie avaitdisparu.—OùestMae?demandaTankd’unevoixblanche.Ilsavaientdéjàdevinéqu’elleavaitétéenlevée.Jem’assisetmepassaiunemaindanslescheveux.AKmeplaçad’officeun
verre de bourbon dans la main. Je l’avalai d’une traite et sentis avecsoulagementlabrûluredescendrelentementdansmagorge.—C’était qui, Prés’ ? Les néonazis ? LesMexicains ? Il faut de nouveau
attaquerleKlan?interrogeaFlammed’unevoixsourdeenfaisantlescentpas.Ilnes’arrangeaitpas,ilétaitassoiffédesang.Tantmieux,j’auraisbesoinde
sonaide.Ilyauraitbeaucoupdesangàrépandre.Je levai lesyeuxversKyet, avecdesgestesmaladroits, épelai«R-I-D-E-
R».Tous ceux qui avaient compris s’immobilisèrent, incrédules. Y compris
Flamme, lui qui ne se tenait jamais tranquille, agité par les démons quil’habitaient.—«Rider»?répétalentementKyd’unevoixfortepourconfirmation.C’est
RiderquiaprisMaeett’aattachéauportailcommepourtecrucifier?Unsilencedemorttombasurl’assemblée.—«C’étaituntraître,depuisledébut.IlafaitporterlechapeauàPit.Çafait
desannéesqu’ilfaitfuiternosinformations.Ilvoulaitnousprendrelebusinessdesarmes.»—Maispourqui ?Pourqui il travaille, ce filsdepute?demandaViking
d’untonbrusque.Jesoupirai,luttantcontrelanauséechaquefoisquejepensaisaufaitqu’on
m’avaitenlevéMae. J’avais l’impressiond’avoir leventreen lambeaux.Quesubissait-elle en cemoment ? Et si… ?Non, je ne pouvais pas y penser. Jevoulais réduire des crânes enmiettes, les crânes de ces fous.Les réduire enmiettes.—Prés’!aboyaKy,impatient.J’essayaidemeconcentrer.— « La secte de Mae. Ce salaud est leur héritier ou une connerie de ce
genre.»Beautyplaquaunemainsursabouche.—Riderfaitpartiedelasecte?Non!Jerépondisd’unbrefmouvementdetête.—Est-cequ’ilaenlevéMae?demanda-t-elle,deslarmespleinlesyeux.Lapiècesemblaitvibrerdansl’attentedemaréponse.Denouveau,j’opinai.—Non,non!hoquetaBeauty.Ilsvontlapunirparcequ’elles’estenfuie,elle
mel’adit.TankattiraBeautycontreluipourlacalmer.Tremblantsoudaind’impatience,jemetournaiversKypourluidonnermes
instructions.—«Appelletousleschapitresdel’État,étendsmêmeàunedistancedehuit
heures de route. Appelle l’Oklahoma, la Louisiane, la Floride, le Nouveau-Mexique et l’Alabama. Fais-les venir ici. Je déclare la guerre à cettecommunauté.Toi,moi,Tank,Bullet letrio,onvarendreunepetitevisiteausénateur.Cebouffonsaitquelquechosedanscetteaffaire.C’estnotrechancederécupérerMae.Razziasurlesmunitions,lesarmesàfeu,onvaavoirbesoindetoutcequ’ona.»—Etensuite?demandaBulltandisquelesautressepréparaientàpasserà
l’action.Jeme levaien tenantmonépauleblessée, la remisenplacebrutalementet
assouplismescervicales.— Ensuite on récupèrema régulière. Je vais faire connaître la colère de
Hadèsàceramassisdebâtardsperversattardés.—SénateurCollins !criaVikingalorsquenousfaisions irruptiondans la
chambreprincipaledesonmanoir,situéàTarrytown,ducôtédeMopac.C’étaitunquartierderichesdotédegrilles,avecunaccèssurlelacAustin.
Unendroitoùlesgensontdavantaged’argentquedebonsens.Toutenotreéquipesefigea.
Le sénateur surpris sortit son sexe fripé des fesses d’un jeune garçonthaïlandaisetsejetasouslescouverturesdesonlit.Kys’avançaensouriant.—Ehbien,qu’avons-nousdonclà,sénateurCollins?—Commentêtes-vousentrés?glapitlesénateur.AK passa en revue son placard, subtilisant au passage quelques cigares
cubainsdepremièrequalité.—Votrepersonneln’estpasdesplusloyaux.Ilspréfèrentleurvieàlavôtre,
apparemment.(Iljetauncoupd’œilendirectiondulit.)Etcelledevotrejouetmineur,d’aprèscequejevois.Lesénateurpâlit.Legarçonlevalesmains.Ildevaitavoirseizeoudix-sept
anstoutauplus.C’étaitunlevieridéalpournous.Aprèstout,peut-êtreHadèsveillait-ilsurnous.Flammeattrapalegarçonparlescheveuxetlesouleva.—T’asdixsecondespourdéguerpird’iciavantquejetechâtreetquejefile
taqueueàsonchien.Puis il le jeta par terre. Le gamin disparut en moins de dix secondes et
claqualaporteenpartant.Kys’installaauboutdulitetpritsesaises,sansquitterCollinsdesyeux.Le
vieux hibou croisa alors mon regard intraitable. Je me tenais simplementdevantunecommode, sans rien faired’autreque le regarder. Ildéglutit avecdifficulté.Jeluiadressaiunsourirecruel.Illâchaunpetitcri.Poulemouillée.—Alors,Collins?Ondiraitqu’onfaitdescachotteriesàcesbonnesgens
duTexas,hein?Quediraient-ilss’ilsapprenaientqueleparfaitpèredefamilleaimesucerlesqueues?—Que voulez-vous ? demanda-t-il d’une petite voix, tandis que ses petits
yeuxrondspassaientnerveusementenrevuelesfrèrespostésauxquatrecoinsdelachambre.J’aibeaucoupd’argent.Ilvousenfautcombien?Kyhaussalessourcils,amusés.—Nousaussionapleind’argent.Ky appela Flamme d’un mouvement du menton. Flamme, toujours aussi
agité,serenditprèsdusénateurenquelquesenjambéesetl’attrapaparlecou,lesoulevantcontrelemur.—Non!Nemetuezpas!Jevousdiraitoutcequevousvoulez!criaCollins
d’unevoixdefaussetàpeineaudibletantilétaitétranglé.Lorsquelevisagebouffiduvieilhommeviraauviolet,Flammerelâchale
corpsnuetmalingre,etlesénateurs’avachitsurleplancher.—Quinousalâchélesnazisdessus?Lesénateurpâlitdèsqu’ilentenditlaquestiondeKy.—Jene…jen’aipas…(FlammeseprécipitadenouveauversluietCollins
leva les bras en criant, reculant précipitamment vers le mur.) D’accord,d’accord…maisnemefaitespasdemal!Flammeattendaitmesinstructions.Jeluifissignedelelaisser.— Tu sais quoi ? dit Ky en se rapprochant de Collins. Je vais faire un
décompteàpartirdesoixante.Sij’arriveàzéro,jelaisseFlammetefaireunelobotomie.Alorsonvaessayerderetrouverlamémoire.Flammerenversalatêteenarrièreetpartitd’unrirehystérique,ouvrantson
crand’arrêtpersan,prêtàpasseràl’action.—Cinquante,comptaKy.Paniqué,lesénateurfrottasoncrânechauveetluisantdesueur.—Quarante.Flammecommençaitàs’échauffer:ilfaisaitcraquersesjointures,soncou,
se tailladait les bras,maculant lamoquette couleur crème de taches de sangécarlates.Collinsétaitterrorisé.—Trente.—Vingt.—Dix.—Cinq…quatre…trois…deux…un…zér…—D’accord!C’estd’accord!Faisonsunmarché!D’unsignedetête,jeluiordonnaideparler.—C’étaituntypeencostumeetcravate.Ilestvenuetj’aitransmislamiseà
prix.Lesnéosesontportésvolontaires.LecommanditairevoulaitqueleMuetmeure et que les Hangmen perdent le monopole du trafic d’armes. (Il meregarda.)L’ordrevenaitdechezlegouverneuraucentre-ville.Lecontactavaitunelettreportantlasignaturedugouverneur,etonm’ademandédefermerlesyeux sur le trafic d’armes d’une nouvelle organisation. Approvisionnée parGaza, je crois. J’ai dû autoriser des zones d’exclusion aérienne etmettre enapplication des interdictions d’enfreindre la propriété privée autour d’unterrainabandonnéaunorddelaville.Jen’aipasposédequestions.Moinsj’ensais,mieuxjemeporte.
—Àquoiressemblaitlecostard-cravate?demandaTank.Collinssepinçal’arêtedunez.—Grand,normal, avecunbeaucostume.Ah, et il avaitune longuebarbe
bruneetunecicatricesurlajoue.Gabriel.Kysetournaversmoi.— « L’emplacement de ce terrain. C’est la communauté, aucun doute là-
dessus.Cecostard-cravate,c’estundespourrisquiontenlevéMae.»Kyacquiesçad’unsignebref,l’airénervé.—Ilnousfautlalocalisationdulieu.Collinsfronçalenez.—Impossible.(Flammevintversluienléchantsalamecouvertedesang.)
Attendez,attendez!hurlalevieillard.Jelevailamainpoursuspendrel’interventiondeFlamme.—Legouverneuradesdossierssurmoi.Legenred’affairesquipourraient
détruirema carrière politique,ma famille… Ilm’a promis deme réduire ànéantsijerévélaislalocalisation…Surtoutàvous,lesHangmen.Cequiveutsûrementdirequ’ilreçoitdesfondsimportantspoursonsilence.— Vous voulez dire qu’il sait que vous appréciez les petits garçons ?
s’enquitViking.Collinsserraleslèvres,agacé.Vikingluifitungrandsourire.—Lesseulespersonnesquiseraientmécontentesencasdefuiteàcesujet
serontmortes dans les vingt-quatre prochaines heures. Le gouverneur ne sesoucie que des retombées pour lui. Une fois que nous en aurons fini, il neresterapersonnepourseplaindre.Niluinieuxnes’ensoucieront.Collinssoupira.Nousletenionsparlescouilles,etillesavait.— Et vous, les gars, qu’allez-vous faire de cette « information
personnelle»?—Riendutout…àconditionquel’adressesoitlabonne,réponditKyd’un
tonmenaçant.—Etjedoiscroirequevousnel’utiliserezpascontremoiàl’avenir.—Non.Situnousdonnescecoupdemain,ontelaissebaiserdesanimaux
écraséssurlaroutesiçatechante.Maissitunenousdonnespasl’info,çaseradans lesnouvellesnationalesdèsdemainmatin. (KysepenchaversCollins.)Disons que nous avons des connaissances qui se feraient un plaisir decolportercettehistoire.—Etmerde!pestaCollins.Jecroisquejen’aipaslechoix.
—Tul’asdit,bouffi.Cinqminutes plus tard, nous savionsoù se trouvait notre cible.Alors que
nous étions sur nosHarley à l’extérieur dumanoir, Ky répondit à un appeltéléphonique.—Ouais…heured’arrivée…D’accord.Ilrefermasontéléphoneetmeregarda.— Les Hangmen d’au moins sept États sont en route. Arrivée dans huit
heuresenviron.Un sentiment de soulagement se communiqua à tout mon être. J’allais
récupérer Mae. Dans moins de vingt-quatre heures, j’aurais ma régulière àl’arrière demamoto et au creux demon lit. Et les salauds quime l’avaientenlevée seraient en route pour rencontrer le passeur, sans pièces pour payerleurpassage.QuantàcebâtarddeRider,ilallaitmelepayertrèscher.Jerenversailatêteenarrièreetfermailesyeux.Tiensbon,bébé,j’arrivetrèsvite.
Chapitre23
Mae— Bébé, souffla Styx lorsque j’embrassai son ventre tendu et musclé,
promenantmalangueentrelescreuxetlesbossesdesesabdominaux.Jemedirigeaiverslazonepoiluemenantàsoncaleçon,tiraisurl’élastique,
etsonmembresedressacommeunressort,justeàcôtédemabouche.Jejetaiun coup d’œil vers son visage. Les paupières à demi fermées, il mordaitl’anneauenargentquitraversaitsalèvreinférieure.—Ohoui,Mae…,dit-ild’unevoixétouffée.Jesourisenvoyantcombienjepouvaislemettreàmamerci.Jemepenchai
et passai la langue sur sa chair turgescente. Un grognement de plaisirs’échappadeseslèvres.— C’est tellement bon, bébé. Tellement bon, murmura-t-il en serrant les
poingslelongdesoncorps.Jeposaimesmainsdechaquecôtédeseshanches,mehissaiàcalifourchon
sursescuisses,etrefermaimeslèvressursonsexe,puisl’aspiraiàl’intérieurdemabouche.J’adoraissongoûtsaléetmusqué.Ilenroulameslongscheveuxautourdesamainetseshanchessesoulevèrent,insérantpeuàpeusonérectiondeplusenplusprofondémentdansmabouche.—Bébé…bébé…,répétait-ilaurythmedesesva-et-vient.Je posai unemain sur son torse et lui griffai la peau,m’accordant à son
rythme.Sarespirationrauquesefaisaitdeplusenplusrapide.—Mae…ohMae!Jet’aime…Excitée par ses mots, je le fis sortir de ma bouche et me redressai pour
placersonsexeàl’entréedumien,puisjel’enfonçaientièrementenmoi.Sontorsesesoulevaetilrugit:«MAE!»Ilattrapamonpostérieuràdeuxmainsetimprimaàmonbassinunviolent
mouvementdebalancierquistimulaitcetendroit,cetendroit-là…—River…oui,ohoui…,miaulai-je.—J’adorequetum’appellesRiver…,murmura-t-ilenmeléchantlecou,la
poitrine,avantdevenirmesucerlesseins.
— River… River…, gémis-je, le ventre contracté, les cuisses se serrantconvulsivement.Je rejetai la tête en arrière et explosai en mille morceaux, le plaisir me
ravissantdetoutesparts,flamboyant.—Mae,bébé…tum’enserres,c’estsibon…siétroit…Aaah!Styx s’immobilisa et tous les muscles de son corps se contractèrent. Les
veinesdesoncousaillirent,ilouvritlaboucheetunjetdespermechaudgiclaenmoi.J’écartai une mèche mouillée de son visage et collai mon front au sien,
recouvrant mon souffle. Sa main remonta jusqu’à la base de ma nuque enm’effleurantledos,etilmemaintintsurlui.—Tun’aspasbégayédutout,fis-jeremarqueraupassage,ravie.Ilsursauta, incrédule,etfronçalessourcils.Jemepenchaipourembrasser
laridedulionsursonfront.—Vraiment?Jeconfirmaiavecunhochementdetête.Styxrelâchasonsouffleetsourit.— C’est comme si… avec toi, je peux respirer. C’est… de plus en plus
facile… quand nous sommes seuls… j’oublie mon handicap… j’ail’impression…d’êtrenormal.Chaquemot était parfaitement clair et bienarticulé. Il faisait de fréquentes
pausespour inspirerprofondémentet sesyeuxclignaient souvent,mais ilnebégayaitpas.Jerayonnaisdefierté.—Tusais…dansl’enfance…j’aieutoutessortesdetraitements…Jusqu’à
cequ’unspécialiste…conseillelalanguedessignes…J’avaissixans…C’étaitpourmepermettredem’exprimer.Lesmédecins…n’ontjamaispu…trouverlacause.Jen’ycomprenaisrienmoi-même.Jesavaisjuste…quejenepouvaispas…parlercommetoutlemonde.Jen’aijamaislaissélesgensdevenirtropproches…saufKyetmonpaternel…etpuiscette…fille…quej’avaisvuedel’autrecôtédelaclôture.Dixansplustard…ellearefaitirruptiondansmavie.(Ilpritmonvisageencoupe.)Bébé…tuesmameilleurethérapie.Jeleregardaietpenchailatête.—Jecroyaisque…tun’étaispasassezbienpourmoi?Ilrit.C’était rare,maisquandcelaarrivait, jemeréjouissaisd’entendresa
voixenrouée,grave…virile.—Ohsi, je suisparfaitpour toi…Iln’yapasd’autrehommepour toi…
rienquemoi.
Je m’appuyai contre son front puis l’embrassai et léchai son anneaud’argent.—Mmm,gémit-il.Jememisàoscillerdubassinetjesentissonérectiongrossir.—Encore,bébé?s’étonna-t-il.Jehochailatêteenluitirantlescheveux.—Encore…etencore…etencore…etencore…etencore…Ilmecaressalebrasduboutdudoigt,etjem’éveillaiensouriant.—Mmm…Styx?J’aiencorerêvédetoi.Samains’immobilisa.Jefronçailessourcils.Mêmedansmonsommeil,je
sentaisquequelquechoseclochait.—Styx?Encore tout ensommeillée, j’ouvris lentement les yeux. Ma vue était
brouillée.Jem’assisetimmédiatementunevaguedenauséem’assaillit.Jemefrottailesyeuxpourchasserlesbrumesdusommeil.—Styx?Ma vision s’éclaircit peu à peu et je distinguai alors deux silhouettes
féminines.Uneblonde,unebrune.—Mae?chuchotaunevoixdouce,merappelantàlaréalité.Dalila ? Pourquoi j’entends Lila ? Je balayai rapidement du regard les
alentours : desmurs de ciment gris, un sol en bois, une imposante croix enboissurunmur.Etungrandportraitpeintàlamain…LeprophèteDavid!Non,non,non!Jeveuxretournerdansmonrêve.Styx.Styx,Styx!Jemelevaientremblant,essayantdemarcher,courir,ramper,peuimporte.
Mais mes jambes étaient trop faibles pour soutenir mon poids, je retombailourdement sur le sol. Comprenant ce qui s’était passé, je sentis les larmesjaillirdemesyeux.C’étaitlacommunauté.J’étaisderetourdanslacommunauté.Jen’étaisplusauQGdesbikers.Styxn’étaitpaslà.J’avaisétéenlevéeetramenéedeforceenenfer.—Mae?Jesoulevailatête.LilaetMaddiesetenaientdevantmoi,arborantlemême
air inquiet, guettant attentivement mes réactions. Elles portaient la robeordinairedelacommunauté,longueetgrise.Leurscheveuxétaientretenusparunfoulardblanc:pudiqueetconservateur.Jetendislesmainsetellessejetèrentdansmesbras.
— Mes sœurs, murmurai-je, laissant les larmes couler librement. Vousm’aveztellementmanqué.C’était sibonde lesavoircontremoi.L’intensitédu lienquinousunissait
mefrappa.Ellesmeserraientfortetjelesentendaisrenifler,laissantéchapperdepetitssanglots.Auboutd’unlongmoment,ellesreculèrentunpeu.Lilaécartalescheveuxemmêlésquimetombaientsurlesyeux.— Tu te sens bien, Mae ? me demanda-t-elle doucement. Tu es restée
inconscientependantdesheures.Nousnoussommesoccupéesdetoi.Jeprisuneprofondeinspirationetm’étirai, testantchacundemesmuscles
douloureux.J’étaisaffaiblieetjeressentaisunepulsationdansmonbras,maisj’arrivai à la conclusion que je n’avais rien. Je remarquai alors avecconsternationquejeportaisdenouveaul’uniformegrisdessœurs:unerobegriseinformetombantjusqu’ausol.Enroulantmesmanches,jedécouvrisunetracerougesurmonbrasetm’efforçaid’enretrouverlacause.J’avais encore l’esprit embrumé, mais je luttais pour retrouver ma clarté
mentale,etdesbribesdesouvenirscommencèrentàfairesurface.Jechantaispour Styx… je faisais l’amour avec lui…des hommes cagoulés avaient faitirruption…Rider…Non!Jesursautaietrouvrislesyeux.—Rider!OùestRider?Est-cequec’estluiquim’aramenée?Est-ilici?Maddie et Lila échangèrent un regard d’incompréhension. Lilame prit la
main.—Mae,quiestRider?Onnecomprendpasdequoituparles.Jeserraisesdoigts.—Rider…il…J’eusungoûtdebiledans laboucheenmesouvenantde ses retrouvailles
avecGabrieletlesautresaînés.«FrèreCaïn!Quelplaisirdeterevoir!»Jen’arrivaistoujourspasàycroire.—Mae,masœur,murmuraMaddie,tumefaispeur.QuiestceRider?Où
étais-tupendanttoutcetemps?Jesecouailatêteetlâchai:—FrèreCaïn!Rider,c’estlefrèreCaïn.Àleurimmobilitésoudaine,jedevinaiqu’ilétaitlà,danslacommunauté.—Mae, le frère Caïn et les autres aînés t’ont ramenée ici, plus tôt dans
l’après-midi.Encemoment,ilyaundînerensonhonneur.Toutlemondeestheureux. Il t’a retrouvée et ramenée pour le prophète David. C’est notresauveur. On nous a interdit d’y participer. Depuis ton départ, nous sommesbanniesettenuesenisolement.
Maddie saisit mon autre main. Ce geste me surprit, car ma jeune sœurn’avait jamaisété trèsdémonstrative.Toujoursseule,ellepréféraitsaproprecompagnie à celle des autres. Elle n’avait jamais été très proche deBella etmoi.Visiblement,ils’étaitproduitunchangementenelle.Ses yeux verts ne quittaient pas mon visage. En l’examinant plus
attentivement, je remarquai qu’elle avait perdu du poids, que ses cheveuxétaient moins beaux, et sa peau plus pâle. Lorsque je portai sa main à mabouchepourl’embrasser,unelarmeroulasursajoue.—Tum’asmanqué,murmurai-je.—Tum’aslaissée,dit-elled’unevoixpresqueinaudible.Laculpabilitém’accabla.C’étaitvrai,jel’avaislaisséeseule.Ellevenaitde
perdreBella,etjel’avaisabandonnée.Ellen’avaitquevingtetunans,c’étaitlaplusrenferméedenousquatre.J’étaislaseulefamillequiluirestait.Etj’avaislaisséMaddieàlamercidefrèreMoïse,lepluscrueldesaînés.—Je suisdésolée,Maddie.Terriblementdésolée. (Je l’attirai contremoi.)
Plusjamaisjenetelaisserai.Jetelepromets.J’aiétéégoïste.—Peux-tumelepromettreàmoiaussi?Lilaétaitagenouilléeetmeregardaitavecsesimmensesyeuxbleus.Maddie
refusait deme lâcher,mais je parvins àme rapprocher demon amie, et lesserraidenouveaudansmesbras.Jeréitéraimapromesse.—Jenevousquitteraiplusjamais.Vousavezmaparole.—Oh,Mae,c’était terriblequand tuespartie. Ilspensaientquec’étaitune
punitiondivine,ilsétaientcomplètementaffolés.Etlesaînés…Lila s’interrompit et je sentisMaddie se raidir et pleurer, le visage enfoui
dansmescheveux.Jeluicaressailatêteenlaberçant.Lilaseredressa,pleinedecompassionpourMaddie.—Qu’ont-ilsfait?demandai-je,lesdentsserrées.Liladéglutit.—Ilsétaienttellementénervéscontretoi…Aprèsdesheuresderecherches,
ilssontvenusici.Maddiesemitàsangloter.—Ilssontvenusnouschercher,murmuraLila.—Qui?—Tous!Touslesaînés:Gabriel,Jacob,Noé,etMoïse.Maddiem’agrippait le dos, se blottissant contremoi. Elle était une enfant
apeurée.J’essayaidelarassurer,maismoninquiétudegrandissaitàchaquecriquiluiéchappait.Lilaessuyaquelqueslarmes.—Maddie,calme-toi,toutvabienmaintenant,jesuislà.Qu’est-cequ’ellea?Monamiedéglutitetdétournaleregard.—Ilsvoulaientunchâtimentdivin.Lesaînésvoulaientàtoutprixpunirles
sœurs pour ta désobéissance. Ils étaient fous de rage que tu aies réussi àt’échapper,quetuvivesdanslepéché.(Ellepritunegrandeinspirationpoursecalmer.) Ils disaient que les Maudites étaient une honte, que nous portionsmalheuràl’Ordre.Bella,toi…ilsdisaientquevotrelignéeétaitsouilléeparlemal.QueSatans’étaitemparédetoipoursoumettreleshommesàlatentation.Je m’immobilisai. Maddie était ma sœur, mon sang. Pensaient-ils aussi
qu’elleétaitlevéhiculedelatentationetdupéché?Jeserraimasœurdansmesbras.— Ils voulaient s’assurer que Maddie ne suive pas ton exemple… en la
brisantunefoispourtoutes.Pourexorcisersesdémons.Lespleursdemasœurétaientdevenusincontrôlables.Noscœursbattaientà
l’unissonetsapoitrineétaitsecouéepardessanglotsviolents.— Ils l’ont possédée, violemment, pendant des heures, jusqu’à ce qu’elle
perdeconnaissance.L’unaprèsl’autre…parfoisplusieursenmêmetemps.Ilsm’ontobligéeàregarder,maisjenepouvaispasl’aider.Ensuiteilssontpassésàmoi…—Combiendefois?Combiendefoisest-cearrivé?demandai-jeenserrant
lamaindeLila.— Plusieurs fois par semaine… depuis ton départ, révéla-t-elle, les yeux
baissés. C’est l’enfer.Nous sommes enfermées ici en permanence, prises deforce, constamment. Nous saignons chaque fois. Mae, nous n’en pouvonsplus…Cen’estpaspossibledecontinueràvivreainsi.Serréeslesunescontrelesautres,nouspleurâmestoutesleslarmesdenotre
corps.Pourfinir,Maddieseredressa,sansmelâcherlamain.Jecroisqu’ellenevoulaitplusjamaismequitter.—Oùétais-tu,Mae?demandaLila.Commentestlemondedudehors?Paroùcommencer?— Mes sœurs, cela n’a rien à voir avec ce que vous imaginez. La
technologie, le comportement des gens, tout est différent. Quand jeme suisenfuie,j’aiétérattrapéeparlesaînésauniveaudelaclôture.Maddiesursautaetjeluicaressailamainpourl’apaiser.
—J’aitoutjusteréussiàfranchirlegrillage,maisundeschiensdeGabrielaeuletempsdem’attaquer.J’avaisunegrossemorsureàlajambe,maisj’airéussiàcourir.J’aitraversélaforêtjusqu’àuneroutedecampagneetunpick-upm’aprisepeude tempsaprès.Laconductrice,quiétaitquelqu’undebien,m’aconduiteloind’ici.—Mais…c’estquoiun«pick-up»?medemandaMaddie.Jeluisouris.—C’estungrosvéhicule,commelavoitureduprophète,maisenbienplus
gros.Elleécarquillalesyeux,toutcommeLila,essayantdesel’imaginer.Jeme
demandaicequ’ellespenseraientd’unemoto,desHarleyetdeschoppersdesHangmen. Je me rendis alors compte que lorsque j’étais arrivée au QG,pensantdébarquerenenfer,ilsavaientdûmetrouvervraimentarriérée.—Etaprès?mepressaLila,avided’ensavoirplus.Je pense que pour elle, cela devait ressembler à une histoire inventée. Je
frissonnaietpoursuivismonrécit.—Jeperdaisbeaucoupdesang.Jecroisquej’étaissurlepointdemourir.
(Maddiepoussauneexclamationétoufféeetsesmainssemirentàtrembler.)Laconductricem’a laissée sur le bordde la route et j’ai trouvé refugedansunendroitoùilyavaitplusieursbâtiments.Ensuite,jemesuisréveilléedansunechambreétrange,seule,perdue.Jemepenchaiverselleettiraiunpeusurleursmains.—Messœurs,lemalnerègnepasau-dehorscommeonnousl’aappris.Ily
amilleetunemerveilles,etdesgensbons.Ilyaparfoisdudanger,despéchés,maisniplusnimoinsqu’ici.Jemesuisfaitdenouveauxamis,j’aidécouvertquij’étaisvraimentet…jesuistombéeamoureuse.Cettefois,leurréactiondesurprisefutidentique.—«Amoureuse»?répétaMaddie,choquée.Au seinde la communauté, les femmesn’avaientpas ledroitde connaître
l’amour.—Oui,amoureuse.J’aimeprofondémentleplusformidabledeshommes.Il
estfort,protecteur,ets’occupetrèsbiendemoi.J’étaisavecluipendanttoutcetemps.Jel’aimedetoutmoncœur,mais…—Maisquoi?m’interrogeaLila,presséedeconnaîtrelasuite.Sonexpressiond’habituderéservéeétaitsoudainanimée.— Il y avait un autre homme, quelqu’un que je prenais pour un ami. (Je
lâchaiunriresansjoie.)Naïvequej’étais,jen’auraispaspumetromperplus
lourdement…—Ahvraiment?Jesursautaiet tournai la têteendirectiondelaporte.Ridersetenaitsur le
seuil.Non, frèreCaïn.Rider était une chimère, unmensongepour duper lesHangmenetdissimulersesvéritablesintentions.Ridern’existepluspourmoi.Sa silhouette massive semblait occuper tout l’espace. Il était tout de noir
vêtu,seslongscheveuxétaléssurlesépaules,commelesautresdisciples.Sansson jean et sa veste sans manches, j’avais l’impression qu’il lui manquaitquelquechose.— Bonjour à toi, frère Caïn, le saluèrent mes sœurs en se prosternant
immédiatement, le front collé au plancher, les bras étendus devant elles, enpositiondecomplèteettotalesoumission.Il leur jeta un bref regard distrait, mais son attention était concentrée sur
moi.Jemelevai, lesjambesencorefragiles.Jevoulaisunface-à-facesurunpiedd’égalité.Ilplissalesyeux.—Laissez-nous,ordonna-t-il.AussitôtMaddieetLilaselevèrent,etm’interrogèrentduregard,inquiètes.
Lilapritmasœurparlamain,maisellerefusaitdebouger.—Jevousaiditdenouslaisser!leurcriaCaïn,perdantpatience.—Jenetepermetspasdeleurcrierdessus!lançai-jesurlemêmetonenme
plantanttoutprèsdesonlargetorse.Lila,choquéeparmoncomportement,poussauneexclamationétouffée.— Mae, ferme-la, gronda-t-il d’un ton menaçant, serrant et desserrant
nerveusementlespoings.Maddiecourutversmoietsecramponnaàmonbras.Elleétaitterrorisée.Je
luiembrassaitendrementlatête.—Vas-y,Maddie,toutirabien.Attends-moidanslecouloir.Ellesecoualatête,sansquitterCaïndesyeux.Cederniersoupira.— Je ne lui ferai aucunmal.Contrairement à ce que vous croyez, je n’ai
jamais fait demal à une femme.Et je ne compte pas commencer avecMae.C’estladernièrepersonneàquijevoudraisfairedumal.Cemensongeéhontémetiraunrirebref,etilmegratifiad’unregardnoir.—Vas-y,Maddie,Lilava s’occuperde toi. Je te retrouvedèsquenousen
auronsfini.LilaentraînaMaddieverslaporte,etellesnouslaissèrentseuls.
— Je n’ai rien à te dire, lançai-je avant de lui tourner le dos pour allerm’asseoirauboutdemonlit.—Je sais que tupensesque je t’ai trahie,mais tout était vrai,Mae.Nous,
notreamitié, toutceque je t’aidit…surtoutausujetdemessentimentspourtoi.Il se rapprochait. Je levai la main pour qu’il ne s’approche pas plus. Il
s’arrêta.—Ah oui, tout était vrai, Rider ?Oh, pardon,Caïn, je veux dire. Je suis
peut-êtretroprancunière,maisj’ail’impressionquelefaitdemekidnapperetdemeramenerici,enenfer,peutêtreperçucommeunelégèrebassesseàmonégard.Sans relever ma remarque sarcastique, il poursuivit comme si de rien
n’était:—Tun’étaispasàtaplacedanscemonde-là,Mae.Taplaceestici,avecton
peuple,avecmoi.Savoixétaitdouce,persuasive.Moncœurseserra. Jevoulais retrouver leRiderque jeconnaissais.Celui
quisetenaitdevantmoietmeparlaitm’embrouillaitl’esprit,jenesavaispluscequejedevaiscroire.—Çanepeutpasêtreçaque tuveux, insista-t-il.Tuveuxvraimentêtre la
femme d’un motard hors-la-loi ? Être entourée toute ta vie d’armes, dedrogues,deviolence?LesHangmensontmauvais,Mae.Etaufonddetoi,tulesais.—Non.JevisqueCaïn,détendu,s’autorisaitunpetitsouriresatisfait.Jeleregardai
droitdanslesyeux.—JeveuxêtreavecStyxtoutemavie.Oùqu’ilsoit,c’estlàquejeveuxêtre.
Mavieestaveclui.S’ilresteprésidentdesHangmen,jeseraiàsoncôté.Caïndevintlivide,puissedirigeaversmoiàgrandspas.Ilmepoussasurle
litetsemitsurmoi,mecoinçantlesdeuxbras.— Qu’est-ce que tu fais ? Dégage ! fulminai-je en essayant de lui faire
lâcherprise.—EhbientunereverrasjamaisStyx,tucomprends?Jecessaidelutteretfermailesyeux.—Est-cequejevaisépouserleprophèteDavid?Unéclair dedouleurpassa rapidementdans le regarddeCaïn. Il hocha la
têteetmesyeuxs’emplirentdelarmes.
—Laisse-moi,s’ilteplaît,murmurai-je.Jevoulaissimplementqu’onmelaissetranquille.Ilbaissalatêtejusqu’àtouchermonfrontaveclesien.— Je t’aime,Mae. Je t’aime à la folie. Je voudrais tellement que tu sois
mienne.—Tun’espasfaitpourmoi,et leprophèteDavidnonplus.J’appartiensà
Styx.Soudainildonnauncoupdepoingdanslelit,tremblantdefrustration.—Styx n’est plus là ! Il n’existe plus pour toi,Mae.Tu ne le verras plus
jamais.Personneneteretrouveraici!Lacommunautéestbienprotégée.— Rider…, soupirai-je. (Non, il fallait que je m’y fasse.) Je veux dire :
Caïn…—Non,m’interrompit-ilenmefrôlantlajoueduboutdudoigt.J’aimeque
tum’appellesRider.Malgré mon désaccord, il passa ses doigts dans mes cheveux, le regard
adouci.— Quand j’étais Rider, je crois que tu m’aimais d’une certaine manière,
non?Alorsquemaintenantjeneperçoisquedelahainedanstesyeux.J’avais beau le vouloir, j’étais incapable de le haïr complètement en cet
instant. Il avait raison. J’avais éprouvé un certain amour pour lui et je nepouvaispasfairecommesicessentimentsavaientbrusquementcesséd’exister.J’aimaisceluiqu’ilétaità l’extérieurdelacommunauté.Maispasici,entantque Caïn. Jamais je n’aimerais un frère de l’Ordre, et certainement pas leneveuduprophète!—Mae,murmura-t-ilpourm’inciteràluirépondre.J’essayaidebougeretposailamainsurunedesesjoues.Ilvintyfrotterson
nezetsabouche.—Tout porte à croirequenous sommesparfaits l’unpour l’autre : notre
foi,notreéducation,nosintérêts.Maiscelanefaitpastout,expliquai-je.Ilfautaussi ce désir primaire et brut. Un lien qui échappe à l’entendement,indescriptible,incandescent.Alorsonsaitd’instinctquecettepersonneestfaitepourvous.L’amourtranscende,Caïn.Etc’estletypederelationquej’aiavecStyx.Mêmesijedoispasserlerestedemesjoursici,danscettecommunautéatroce,celanechangerarien.Rien,pasmêmelamort,nepourraitymettreunterme.Sesyeuxmarronbrillaient.—Jen’aijamaiseumachance,alors?
Jesecouailatête.—On ne peut lutter contre le destin,Caïn. Tu le sais à présent. L’univers
choisitlaplacequiteconvient.Aveclesgensquiteconviennent.Caïnseredressa,àgenouxsurlelit.—Lesaînésviendrontbientôttechercher.TuvasépouserleprophèteDavid
cesoir.Jemeredressaiprécipitamment.—Tuvaslaisserçaarriver?Ilbaissalatête.—Saufsituacceptesdem’épouser,murmura-t-il.Ilrelevalementon.Ilétaitbeauainsi,levisageilluminéparl’espoir.— Caïn… Je ne peux pas t’épouser. Il est même grotesque de me le
proposer.Tum’asenlevée!Ilmepritlamain,mecaressantdoucement.—Jeneprendraispasd’autreépouse,Mae.Mêmesic’estlacoutumedansla
communauté,jamaisjen’enaimeraisuneautre.Tumesuffirais.Tuescequ’ilme faut. Je n’ai pas été élevé comme les autres frères de la communauté. Jeprendraissoindetoi,jeteprotégerais…tuseraistraitéecommeunereine.—Caïn, soufflai-je, le cœur serré par ce petit garçonperduquim’offrait
soncœur.—Tusemblesoublier,Mae,quejesuismoiaussivictimedescirconstances.
J’aiétéélevépourdirigerl’Ordre.Jen’aipaslechoix.Nouspourrionsnousconsoler mutuellement. Nous serions notre salut l’un pour l’autre. NousserionsliésauxyeuxduSeigneur,ceseraitpur…parfait.Leslarmescoulaientsurmesjoues.—Jenepeuxpasresterici.Lescauchemarsliésàcetendroitmehanterontà
jamais.Ilyatropdedémonsquiprétendentêtredesgenspieux,etquiontusédemoi…Jesuismarquéeàjamais.Ilsoufflaparlenez,exaspéré,etjememisàgenoux,commelui.—Dis-moi…Ilattendaitmaquestionavecimpatience.— As-tu déjà participé à une communion avec le Seigneur ? As-tu déjà
assistéauviold’unepetitefilledehuitans,lesjambesécarteléesparunpiègeàours,tropeffrayéepourcomprendrecequiluiarrive?As-tudéjàpénétrédeforceuneenfantparcequetupensesquec’estlemoyend’êtreplusprochedeDieu,parcequ’unprophètet’aditqu’ilenallaitainsi?Réponds-moi,Caïn.Ilétaitétrangementimmobile.
—Ehbien?—C’estcequit’estarrivé?Ici?(Ilavaitlesdentsserrées,etjenetrouvai
pasmesmots.)Mae,réponds-moi!As-tuété…prisedeforce…quandtuétaisenfant?Jehochailatête.Ilenrageait.—Tuveuxdirequetun’asjamaisparticipéàunecommunionentrefrèreset
sœurs?Jetombaisdesnues.Caïnbaissalatête,presquegêné.—Jesuisl’héritier.Jedoisresterpur.Au cours des semaines où j’avais appris à le connaître, il n’avait jamais
partagésonlitavecunefemme.Enfait,laseulefoisoùilavaiteudesrapportsavec une femme, c’était lorsque je l’avais surpris avec cette fille qui meressemblait.Jelevaibrusquementlatête.—Est-cequetues…?—Jen’enaipashonte,alorsjen’airienàfairedetapitié!m’interrompit-il.—Alorscettefemmedanstachambre…?Ilsevoûta.—C’étaituneerreurdejugement.Unmomentdefaiblesse.J’aiexpiépour
cettefaute.Etj’aipriépourqueleSeigneurmepardonne.—Commentt’es-turepenti?luidemandai-je,réellementcurieuse.Ilseredressaetsoulevasachemisepourmemontrersondos.Jeplaquaiune
mainsurmabouche.—Oh,Caïn!Des coups de fouet. Il avait chassé le péché en souffrant dans sa chair. Il
s’étaitflagellépoursepunirdecemomentdefaiblesse.Jepassailesdoigtssurles lacérations boursouflées et rouges qui marquaient son dos autrefois sibeau.L’écussondesHangmentatouésursapeauétaittoujourslà,menarguant.Jeretirailamainetilreplaçasachemise.Jeprissonvisageentremesmainsetleforçaiàmeregarder.—Partonstouslesdeux,Caïn.Quittonscetendroitunefoispourtoutes.Le
mondenousattendau-delàdecetteclôture.LilaetMaddieviendrontavecnous.Nouspouvonséchapperànotreprison.Échapperauxdestinsquinousontétéimposés.Caïnvintencerclermespoignetsavecsesmainsetdéposaunbaisersurma
paumegauche.—Etoùirions-nous?medemanda-t-il,pleind’espoir.—AuQGdesHangmen.J’expliqueraislasituation.Nouspourrions…
—Putain,Mae!Ilsmetueraient.Tunecomprendspaslagravitédecequej’ai fait ? Je les ai trahis. J’ai fait porter le chapeau à Pit.On peut aussimemettre l’assassinatdeLoïssur ledos.Maislepire,c’estqueje t’aienlevéeàStyx.Commejesecouaislatête,sonvisageprituneexpressiondure,irrévocable,
etilrepoussamesmains.—Pourquoimedonnertantdemal,Mae?s’emporta-t-il,lavoixvoiléepar
ladouleur.Enlechoisissant,tuasvendutonâmeaudiable,ettournéledosànotrefoi.Tuesaveugléeparlesténèbres.—Rider!Attends!l’appelai-je,désespérée,alorsqu’ilsedirigeaitversla
porte.Il s’arrêta et ses épaules tombèrent unpeu. Il se retourna avecune lenteur
inquiétante.—Jem’appellefrèreCaïn,Salomé,etilesttempsquetuapprennesàresterà
taplace!Tuesunetentatrice,unepécheresse…laputaindeStyxleMuet.Cequit’arrivera,jem’enlavelesmains.SœurÈveviendrad’icipeutepréparerpour la cérémonie. Et cette fois, ne songe même pas à t’enfuir. Tu seraispunie…aveclaplusgrandesévérité.Surcesmots,ilfranchitlaporte,emportantavecluicequ’ilrestaitdemon
amiRider.
Chapitre24
StyxJ’entendisfrapperàmaporte.Jenerépondispas,perdudansmespensées,
assis au bord du lit, me préparant au carnage. J’étais toujours dans cet étatavantdepartirenguerre,maiscettefois,lesenjeuxétaientgrands.Uninstantplustard,laportes’ouvritsurKy.—Prés’,toutlemondeestlà,ont’attend.—C-combien?Ilétaitvêtudecuirdespiedsàlatêteetsescheveuxlongsétaientrassemblés
enqueue-de-cheval.Prêtpourlabataille.—Environquatrecents.Je haussai les sourcils, surpris que tant de frères aient réussi à être là à
temps.Jeprisunegrandeinspirationetmelevai.Jejetaiundernierregardendirectiondemapenderie.Monamisuivitmonregard.—Ellelaportera,Styx,affirma-t-il.J’avaislesyeuxrivéssurlavestesansmanchesdeMae,quej’avaisfaitfaire
surmesurepour elle, à sa tailledepoupée, avec l’inscription«Appartient àStyx».J’allaisleluioffrirlorsquecesconnardsavaientfaitirruptiondansmachambreàcoucher,etmel’avaientarrachée.J’espéraisquemonVPnesetrompaitpas.—Jet-teretrouvedanslac-cour.Kyme laissa seul et j’entrepris d’enfilerma tenue en cuir. J’enfilai l’étui
portantmesUzi,mon 9mm,mon couteau Bowie etmon couteau allemandpréféré.Aveccetéquipement,j’étaisprêtàdistribuerdessourireséternels.JepassailamainsurlesvêtementsdeMaeétaléssurmonfauteuilnoir.Son
débardeurportaitencorel’odeurunpeusucréequim’évoquaittellementMae.J’attrapaileboutdetissunoiretyplongeailenez,inspirantlargement.Puisjeleglissaiàlaceinturedemonpantalon.Ceseraitmontalisman.J’arrivai dans la cour, où un océan de Hangmen à cheval sur leur moto
m’attendait. Les hommes de mon chapitre, bien au milieu, attendaient mesordres.Kyseglissaàcôtédemoiausommetdel’escalieretdemandaàvoixbasse:—Tusignes,jetraduis?Jerépondisd’unbrefhochementdetêteetm’avançaienagitantlamainpour
quelesfrèresfassentsilence.Ilsétaientdescentaines.Onauraitentenduvolerunemouche.Unparterredechromeetdecuir.Etcepythonquim’étranglait.Jepassaioutreàmesinquiétudesetlevailesmainspoursigner.—«Mesfrères.Vousavezétéappeléspourpartirenguerre.Unenouvelle
organisation, des extrémistes religieux,menace notre club.Notre réputation.Notreterritoire.»En entendant la traduction fournie par Ky, les Hangmen commencèrent à
s’agiter,àmontrerlesdents,àserrerlespoings.Ilsétaientagacés.Trèsbien.— « Cette communauté est bien gardée, dans le genre camp de
concentration.Elle s’étendsurdeshectares, entouréed’une immenseclôture.Nous avons obtenu des photos aériennes par le biais du sénateur : c’est dusérieux, ça n’a rien à voir avec tout ce qu’on a fait jusque-là. Nous allonsformerdeséquipes,chapitreparchapitre.Lebutestd’arriveraucentredelacommunauté, au bastion. Ky vous a fourni les plans faisant apparaître lespointsd’entrée.»Des hochements de tête me répondirent, m’assurant qu’ils avaient bien
comprisleplanjusque-là.—Onpensequ’environdeuxmillepersonneshabitentlà.Plusdelamoitié
sontdesfemmesetdesenfants.Vousn’ytouchezpas.Pasquestiondefaireunmassacreà laWaco.Saufs’ilsvousattaquentenpremier,biensûr.Avantd’yêtre,pasmoyendesavoirlesquelsd’entreeuxserontarmés.C’estunemissionàl’aveugle,ça,c’estcertain.L’Ordre–c’estainsiqu’ilssefontappeler–faitdu trafic d’armes. De la bonnemarchandise qu’ils font venir de Gaza : descarabines,desJéricho941,desTavor,desUzi,despistolets-mitrailleurs.Voilàpourlesmunitionsconnues.Cetinventaireimpressionnalesbikers,etTitus,lacinquantaine,présidentdu
chapitredeLaNouvelle-Orléans,demandad’unevoixforte:—Unefoiscesbaise-dieuxhorsjeu,qu’est-cequiarriveauxarmes?JeregardaiKy,quis’avançapourrépondre.— On charge tout dans les camions, on les entrepose dans notre hangar
privéetonpartageéquitablemententretousleschapitres.Çavousva?Titus fit un sourire exhibant ses dents en or qui brillèrent sous les
projecteurs.—Parfait.—«Ilyauradesgardes–lesdisciples.Ilssontbienéquipésetentraînésau
combat.Ilyauraaussidesconnardsquis’appellent“lesaînés”.Sipossible,jelesveuxvivants.Ons’occuperanous-mêmesdecesfilsdeputes.»Tank, Bull, Smiley et le trio des psychopathes m’adressèrent de grands
sourires.Ilsétaientimpatientsdetuer.—«À celui qui bute un vieux qui prétend être prophète, j’attribuerai une
récompense personnelle de vingt mille. Mais en ce qui concerne Rider, lemouchardquinousamisdanscettemerde,personneneletouche,ilestpourmoi.Danslasecte,ilsefaitappeler“frèreCaïn”.Cesalaudestbaraqué,barbu,aveclescheveuxlongsetbruns.»—D’autrestraitementsparticuliers?demandaCountry, lesergentd’armes
duchapitredeSanAntonio.—«Troisfilles, troisbeautés.Uneblonde,Dalila,quisefaitappelerLila,
Madeleine,brune,quisefaitappelerMaddie.Et…»Je m’interrompis, et respirai avec difficulté. Ky se tourna vers moi, se
demandant pourquoi je m’étais interrompu. Je promenai mon regard surl’assemblée.ChaquefrèreprésentétaitprêtàmourircesoirpourmeramenerMae.Dansunclubdebikers,personnenes’attaqueàunerégulièresanssubirdeterriblesconséquences.Ilfallaitqu’ils l’entendentdemabouche,jedevaisleurparlerdeMae.Moncomportementétrangecommençaitàlesmettremalàl’aise.—Prés’?Toutvabien?meglissaKy.Je m’avançai tout au bord des marches. Les hommes de mon chapitre se
demandaientcequej’avais.Jefermailesyeux,déglutis,essayantdevaincrelepython qui m’empêchait de parler. Ça ne marchait pas du tout. Je pouvaisessayerlebourbon,maisceneseraitpasbeaucoupmieux.Pasdevantunetelleassemblée.Je repensai aux paroles de Rider lorsque j’étais crucifié au portail, dans
l’incapacité de répondre puisque je n’avais pas de voix et que mes mainsétaientliées.«Tuespathétique.Tun’asmêmepaseulescouillesderetrouvertalanguepourrépondreàtafemmequit’appelaitàl’aide.»Je serrai les poings, le souffle court, haletant presque. J’ouvris la bouche,
avalai une bouffée d’air, mais j’étais toujours sans voix. Plus je faisaisd’efforts,plusmonétatempirait.Dansmagorge,labouleenflait,menaçantdem’étouffer.J’avaispleindeticsnerveux.Jeperdaiscomplètementlecontrôle
demoi-même.Je baissai la tête et pris une cigarette que j’allumai, et avalai une grosse
bouffée. Jeme concentrai surMae, sur la facilité avec laquelle lesmotsmevenaientquandj’étaisavecelle.Etquandjechantaisenm’accompagnantàlaguitare, les paroles coulaient naturellement. J’imaginai les yeux de loup deMae,sonlargesourirepleindefiertélorsquejenebégayaisplus.«Tun’aspasbégayéuneseulefois…»Elleétaitmonmédicament.Bonsang,Mae.Soudainjemerendiscomptequejepouvaisrespirerlibrement.Garderson
regard à l’espritme libérait la gorge.Enquelquesmois,ma femmem’avaitaidéplusquedesannéesdethérapie.Je rouvris les yeux, n’y croyant pas tout à fait. Je pouvais déglutir. Si je
pensais àMae, la sensation d’étouffement s’atténuait. Sans disparaître tout àfait, elle était bien plus supportable. Cela pouvait peut-être suffire. Assezlongtempspourcequejedevaisfaire.Tous les regards étaient braqués sur moi, dans l’attente, voyant que le
célèbre Muet des Hangmen s’apprêtait à prendre la parole. Sur le côté, jeremarquai Letti, qui souriait, l’air… fière de moi ? et Beauty qui pleuraitfranchement.Cesfillessouffraientellesaussi,ellesvoulaientretrouverMae.Jem’éclaircislavoixsousleregardéberluédeKy.—Styx!souffla-t-ild’unevoixalarmée.Jelerassuraid’ungeste.Ilcraignaitquejemeridiculise.Illevalesmains,
jetant l’éponge en secouant la tête, et s’écarta pour me laisser la place. Ilpensaitquej’allaism’étrangler.Etc’étaitpeut-êtrecequiallaitarriver.Je fis faceaux frères rassemblés là.Lesyeuxpapillonnant frénétiquement,
j’ouvriscettefoutuebouchedéfectueuseet…prislaparole.— I-i-il y-y a-a-a au-aus-aussi une f-f-fille, S-S-Salomé. P-p-pour m-moi
c’estM-Mae.Bouchebée,lesfrèresdemonpropreclubn’encroyaientpasleursoreilles.
Leurairébahisuffitàmeconfirmerquejen’hallucinaispas:moi,leMuetdesHangmen,jeparlais.Respire.Avaletasalive.PenseàMae…Penseàelle.Imaginequec’estàelle
quetuparles.Ilfallaitquejetiennelecoupencorequelquesinstants.Ensuite,jeneseraispeut-êtrepluscapabledeprononcerquoiquecesoit.—S-s-s…
Respire,Styx,respire,putain!—C’estm-m-mar-r-ré-régulière.Un grondement de colère s’éleva dans la cour, comme un roulement de
tonnerrevenudusol.— I-ils m-me l’ont enl-enlevée. I-ils m-m’ont at-attaché et l’ont k-k-
kidnappée.Etjev-veuxlaré-récupérer.Jebaissai lesyeuxetmepinçai l’arêtedunez, leventrenouépar lestress.
Toutmoncorpsétaittendu,prêtàendécoudre.Respire.Avale.Etrecommence.Etrecommence.Mes bras étaient raides le long de mon corps, mes doigts se crispaient
convulsivement.Jegrimaçai,lacolèreprenaitlecontrôledemonespritetdemavoix.—T-trouvez-la-moi.Qu-qu’ilneluiarriver-r-rien.R-ramenez-la-mois-s-
saineets-s-sauve.Un hurlement collectif, sauvage et terrifiant, répondit à ma demande. Les
bikers se frappaient le torsepourm’assurerde leur soutien. Je relâchaimonsouffle. J’avais fini de parler. Le python reprit sa place habituelle autour demescordesvocales.Maisj’avaisditcequej’avaisàdire.Jel’avaisvraimentfait.Unemainlourdes’abattitsurmonépaule.—Putain,Styx,meditKyd’unevoixémue.Merdealors…monfrère…Ilneparvintpasàfinirsaphrase,jeluiattrapailamainetletiraiversmoi
pourluitaperdansledos.—Onv-valar-retrouver,luidis-jeenprivé.Il recula un peu et me gratifia de son foutu sourire de tombeur
hollywoodien.—Lesdoigtsdanslenez.Jedescendisl’escalierpourrejoindremamotogaréedevantlesautres,suivi
deprèsparmonVP.Ilsfurentnombreuxàvenirmetapersurl’épauleensignedesoutien.Ilsétaienttousavecmoi.J’enfourchaimaHarleyetlevailebras,puistendislamainenavant.Ilétait
tempsd’avalerlebitume.Pourmapart,lesyeuxdeloupdeMaem’éperonnaient,mepoussantàfiler
surlaroute.
Chapitre25
Mae—Le garde reste à la porte.N’essaiemême pas de quitter cette chambre.
C’estbienclair,Salomé?Sœur Ève me considérait d’un air furieux, ses yeux étaient emplis de
reproches.Jehochaidocilementlatête.Lorsqu’ellemelaissa,ellesemblaitrassuréede
mevoirsiobéissante.Debout devant le miroir, j’examinai mon reflet avec une douloureuse
impressiondedéjà-vu.J’étais vêtue d’une longue robe blanche sans manches, mes cheveux
formaientdesboucleslâchesetj’avaisuneguirlandedefleurssurlatête.Mapeausoigneusementépiléeétaitenduited’huileparfuméeàlavanille.Est-cequetoutcelafaisaitdemoiunefuturemariéeheureuse?Absolument
pas.Jen’avaisqu’uneenvie:pleurer.Jeperçusunbruitdepaslégersdevantmaporte.J’eusàpeineletempsde
tourner la poignée que Lila et Maddie se glissaient furtivement dans machambre.—Nousn’avonspasbeaucoupdetemps,murmurai-jeenvérifiantqu’iln’y
avaitpasdegardesdanslecouloir.Jerefermailaportesansfairedebruit.—Oh,Mae,commetuesbelle,chuchotaLilatandisquejelesguidaisvers
monlit.J’avaisdéjàleslarmesauxyeux.—Mae,nepleurepas,mesuppliaMaddieenmeprenantlamain.—Jenepeuxpasl’épouser.Jeneluiaijamaisadressélaparole,ilestvieux
etdécrépit. (Je ravalaiun sanglot.) Ilsvontm’obligeràm’unirà lui. Je…jen’yarriveraipas.J’aimeStyx.Jerefusedeluiêtreinfidèle.Commentfaire?Messœurscompatissaient,partageantmondilemme.—Iln’yarienàfaire,Mae,meditLilad’unevoixtriste.Tuesdenouveau
parminous.Ilsnetelaisserontpasrepartir,tudoisobéiràleursordres.
Comprenant qu’elle avait raison, j’eus l’impression que quelque chose sebrisaitenmoi.Aujourd’hui,jemouraisunpeu.Jelevailesyeuxverslaminusculelucarneparlaquellejevoyaislesoleilse
coucher.—Combiendetempsmereste-t-il?—Dixminutes,murmuraMaddie.Jehochailatête,hébétée.—Est-cequevousallezm’accompagnerjusqu’àl’autel?—Non,réponditLila.—Pourquoi?Maddiehaussalesépaules.—SœurÈvenousaditd’attendreicijusqu’àcequ’ilsviennenttechercher,
mais nous n’assisterons pas à la cérémonie, nous sommes toujours enquarantaine.Noussommesbanniesdesévénementspublics.Jesoupiraienfaisantlamoue.Jevaisdevoirsubirtoutesceshorreursseule.Pendant les dixminutes, aucune d’entre nous ne pipamot.Que restait-il à
dire?Assisesensilence,nousattendionsquemondestins’accomplisse.Etpendant
dix minutes, je ne pensai qu’à Styx. Je me demandais ce qu’il faisait en cemoment. J’ignorais cequ’ils lui avaient fait aprèsqu’ilsm’avaient injecté lesomnifère.MonDieu,ets’ils l’avaient…non!Jenedevaispaspenseràunetelle éventualité. Je me concentrai sur son beau visage viril, ses joues malrasées qui me picotaient les doigts, ses fossettes qui apparaissaient quand ilsouriait,ses lèvresépaissesetsidouceslorsqu’il lespromenaitsurmapeau,sesgrandsyeuxcouleurd’automne.Jelereverraiunjour.Jelesentaisdansmoncœur.JeprislesmainsdeMaddieetLila.—Jevousaime,messœurs,quoiqu’ilarrive,nel’oubliezpas.Ellessursautèrent.—Queveux-tudire?J’étaisbiendécidéeànepasrestermariéeauprophèteDavid.Iln’étaitpas
questionquejem’unisseàlui.Etjesavaisaussicequim’attendaitsijerefusaisdemeplieràleursexigences.J’étaisprêteàsubirlesconséquences.J’attiraiMaddieàmoi.—Soisforte,masœur.Resteforte,surtout,luiconseillai-je.—Mae…
Lilafut interrompuepar l’ouverturedelaporte.C’étaitfrèreGabriel,vêtudeseshabitsdecérémonieblancs.Ilmetoisaetsonsourirem’inspiraunprofonddégoût.—Ah, Salomé, c’est frappant comme tu ressembles tout à fait à Jézabel,
assisesurcelit.Moncœurseserraetj’agrippailedrappourmerassurer.—Neparleplusd’elle.Tuas tuéBella.Tuesunmeurtrier,Gabriel.Et tu
brûlerasenenferpourtescrimes.Sonsourires’évanouit.—J’airenduserviceaumondeenledébarrassantdesamalfaisance.C’était
une putain, une tentatrice des plus dangereuses. Elleméritait demourir. Elleétaittropdésobéissantepoursuivreledroitchemin.Jeserrailespoings.—Pourquoi?Parcequ’ellerefusaitdet’aimer?C’esttoiquiasfaitd’elle
uneputain, en la gardant, commenous, enferméedans cette prison.Nousnesommes que des jouets pour vous, pour que les aînés puissent donner librecoursàleurperversité…pourvotreplaisirpersonnel!Vousnousavezvioléesà maintes reprises ! Et tu as battu Bella jusqu’à ce qu’elle ne puisse plusbouger.Tul’aslaisséemourir,blessée,sevidantdesonsangdansunecellulesale!Putaind’assassin!Gabrielseprécipitaversmoietm’attrapaàbras-le-corps.J’entendisMaddie
etLilapousserdescris.—C’estlavolontéduSeigneur,tellequ’elleaétérévéléeauprophèteDavid
danssesécrits.JeregardaiGabrielbienenface.—Conneries!Situycrois,tuesunimbécile!Toutecettemascarade:les
rituels,lesenseignements,toutcelaestorganisépourassouvirlespulsionsdeshommes.Depuis j’ai lu lavraieBible,pascelle arrangéepourcorrespondreauxobjectifsdel’Ordre.Jesaisceàquoilesgenscroient,dehors…etçan’arienàvoiravecça!Gabrielécarquillalesyeux,visiblementchoqué.Ilserepritrapidement.—Jevoisquelemondeextérieurt’acorrompue.(Ilsepenchaversmoi.)Ça
doitêtretoutcetempspassésouscesuppôtdeSatanmuet.Bouillantderage,jelevailamain,prêteàlefrapperauvisage,maisGabriel
m’attrapalepoignet.—Jevaisprendregrandplaisiràteplierànosfaçons.MaintenantqueBella
n’estpluslà,j’aibesoind’unnouveauprojet.
Ilm’attrapaparlesépaulesetmefitpivoterbrusquementpourfairefaceàmessœurs.—Gardes!appela-t-il.DeuxdisciplesentrèrentetfoncèrentdroitsurLilaetMaddie.Cettedernière
tenta de s’échapper, mais un disciple l’attrapa par les cheveux. Elles’immobilisa,paralyséeparlapeur.—NON!hurlai-je.Qu’est-cequevousallezleurfaire?JevisMaddieplongerdansunétatsecond,ellen’avaitplusconsciencedece
quil’entourait.Pluspersonnenepouvaitl’atteindre.Nousapprenionstoutesàfaire cela. Lila, obéissante, ne chercha pas à se soustraire, mais des larmescoulaientensilencesursesjoues.—Onva lesenfermer,parmesuredesécurité.Aucasoù tudécideraisde
t’enfuir.Situtentescegenredechose,ellesenpaierontlesconséquences.Jeperdisaussitôttoutecombativitéetdevinspassive,malléable,obéissante.—Voilàquiestmieux,Mae,tusemblesredevenuedocile.Gabriel se moquait de moi. Sur un signe de sa main, les disciples
emmenèrentmessœurs,horsdemavue.Pourautant,jenelesoubliaispas.Gabrielmeforçaàmetournerversluietm’attrapalevisage.—Nousallonsà l’autelàprésent.Tudoisépouser leprophèteDavidsans
faired’histoires.Tuasbiencompris?J’opinai.—Bien.Allons-y.Il me saisit le coude et me guida vers le couloir. Le chemin de la forêt
menantàl’autelm’étaitfamilier,etilnem’adressapluslaparole.Plusjamaisjenemettraismes sœurs endanger.Moncœur se serrait àmesurequemondestin se précisait. J’allais bel et bien épouser le prophète, il n’y avait pasd’échappatoire.Styxn’avaitétéqu’uninterludedansmavie,unrêve.J’étaisdenouveaupiégée.Enarrivantsurlelieudelacérémonie,j’aperçusdescentainesd’invités,en
blanc,assisentailleurlesunsderrièrelesautres,faceàungrandautelenbois.EtlàsetenaitleprophèteDavid,bouffietvieux.Àcôtédelui,Caïn.Gabrielralentitetnousmarquâmesunepauseauboutdel’allée.Jeregardai
monancienami.Ilavaitvraimentl’airmalheureux,setenant,solennel,àcôtédesononcle.L’airépuisé,ilbaissaitlatête.J’avaisencoredumalàcroirequeRiderétaitenvéritélefrèreCaïn.Toutecettesituationmesemblaitirréelle.Gabriel donna le signal pour que la cérémonie commence. Dans le plus
grandsilence, les témoins tournèrent la têteversmoi.Caïnfitdemêmeet je
croisaisonregardinfinimenttriste.Ildonnaitl’impressiond’êtreausupplice.Ilparaissaitaussimalheureuxque
moi.Unemainmepoussadansledos.—Avance,mafille.SœurÈveétaitderrièremoi,meregardantdehaut.Sapeaufinecommedu
crêpeétaitgrisâtre.Je dus rassembler toutesmes forces pour lever le pied et faire un pas en
avant.Mesmains tremblaient, serrant mon petit bouquet de fleurs sauvages.Sousleregarddesinvités,jeremontailentementl’alléeparseméedepétalesderose.Certains avaient l’air heureux, d’autres indifférents, certains agacés. Ilsn’ignoraientpasquejem’étaisenfuieauparavantetdevaientmevoircommeuneincarnationdumal.Jegardailatêtehauteetledosdroit.Jelesemmerde!Des gardes étaient postés tout autour de la foule, arborant des armes bien
visibles,prêtsàagirencasdeproblème.Leprophèteétaitentourédesaînés,ycomprisfrèreCaïn.Ilnemequittaitplusdesyeux.À mesure que j’approchais de l’autel, je rassemblais mon courage pour
affronterl’inévitable.C’est alors que des coups de feu retentirent au loin. Assourdissants,
nombreux,menaçants… une bénédiction àmes yeux. En quelques secondes,descentainesd’hommessurgirent.Ilsétaient tousvêtusdecuirnoir.L’espoirrevintdansmoncœur.C’étaient
lesHangmen.Styxestvenumechercher.—Mae!criaCaïndepuisl’autel.Les aînés s’empressèrent d’entraîner le prophète David. Je ne leur prêtai
aucuneattention,concentréesurlesHangmen.Lesinvitésselevèrentprécipitammentettoutl’espacefutvitegagnéparun
chaosgénéralisé.Lesfemmesrassemblaientlesenfants,lesemmenantàl’abri,tandisquelesdisciplesselançaientàl’attaquedesHangmen,tirantsurlemurdecuirquis’avançaitverseux.C’étaitlaguerre.Au début, je restai dans l’allée, mais je fus vite bousculée par les invités
affoléscherchantàfuirleséchangesdetirs.JecherchaiStyxdanslesrangsdesHangmen,maistoutallaittellementvitequejenedistinguaispaslesindividus.—Styx!criai-je,espérantqu’ilm’entendrait.
Lesbruitsde labatailleetde lapaniqueenrésultantétaientassourdissants.Tétanisée,jevoyaisdeshommestomber,setordantdedouleur,ou,pisencore,morts. Les Hangmen étaient bien équipés et progressaient rapidement,éliminantlesdiscipleslesunsaprèslesautres.L’invasiontournaitaumassacre.La plupart des bikers avaient fait partie des forces armées : les disciplesn’avaientaucunechancecontreeux.Et cela me réjouissait. Que le Seigneur me pardonne, mais cela me
réjouissait.—Styx?Cettefoisjeparvinsàgagnerl’extrémitédel’autel,etjelevis.Styx. Vêtu de cuir des pieds à la tête, les cheveux ébouriffés, ses bras
muscléstendus,brandissantdegrospistoletsquitiraiententoussens,déchirantles chairs autour de lui. Il ne prenait pas le temps de s’arrêter, il avançaitimpitoyablement.Desballestrouaientdesbras,desjambes,desventresetdestêtes.Face à ce carnage, je ne pensais qu’à une seule chose. Il est venu me
chercher…—STYX!Ilfouillaitlazoneduregard,àmarecherche,sansdoute.Ils’immobilisaen
entendantmonappel,puismevit.—Bébé,articula-t-il,levisagetransfiguréparlesoulagement.Mais aussitôt son expression changea, durcie par la rage et la haine
meurtrière.Je lâchaimonbouquetde fleurset soulevai lebasdema robe,prêteàme
précipiterversmonhomme.Maisjefusbrusquementsaisieàbras-le-corps.Jepoussaiuncri,maismonassaillantm’entraînasansménagement.—Calme-toi,Mae.C’estmoi,Caïn.Jevaistefairesortird’ici.—Non!Laisse-moi!Jemedébattais.JevisStyxcourirversnouscommeunpossédé,écumantde
rage. Il avait vu la scène et tentait de me rejoindre à temps, mais Caïnm’entraînait rapidementet jen’arrivaispasàme libérer.Soudain jevisavechorreurStyxsefaireplaquerausolparundisciple.TandisqueStyxsebattait,Ky,Tank,Bull,Viking,AKetFlammesurgirent
delalisièredelaforêt.JesentisCaïnfrémirenvoyantsesanciensfrères,puisilm’attrapalesjambesetmesoulevacarrément,seprécipitantverslaclôture.Malgrésarapidité,j’entendisunrugissementderrièrenous.—MAE!
Caïns’arrêtauninstantpourseretourneretj’aperçuslesaînésessayantdemettrediscrètementleprophèteDavidensécurité,empruntantunsentiercaché.—Styx!Là-bas!lançai-jeenindiquantlevieuxgouroudécrépit.—Mae!Non!sifflaCaïnàmonoreille.MaisStyxavaitrepérélemanège.Ilcherchasesfrèresdesyeuxetlocalisa
AK.Styxportadeuxdoigtsàsaboucheetémitunlongsifflementperçant.AKlevalatêteetStyxluiadressadessignesquejenevispasclairement,maisAKsemblacomprendreetpointa samitraillette endirectiondesaînés.D’un seulcoup,avecuneprécisionparfaite,iltroualecrâneduprophète.Choqués, les aînés s’écartèrent et sous leurs yeux le corps du prophète se
cambraetretombaausol,inanimé.Ilsjetèrentunbrefcoupd’œilendirectiondeStyxavantdes’éparpillerendirectiondelaforêt.LeprophèteDavidn’étaitplus.Jeneseraisjamaissaseptièmeépouse.—Merde,MERDE!pestaCaïnquimetenaittoujoursfermement.Ilraffermitencoresapriseet,prenantunegrandeimpulsion,m’emporta.Je
ne voyais plus Styx ni les autres Hangmen. Et je savais parfaitement où ilallait:àlaclôture.—Caïn,repose-moiparterre!— Ferme-la,Mae ! À cause de toi notre prophète estmort ! rétorqua-t-il
sèchementenaccélérantdeplusbelle.Jemedébattais,désespérée.Ilmeserraplusfort.J’enfonçaimesonglesdans
sesépaules,maisenvain.Endésespoirdecause,jeluimordislebrasdetoutesmesforces.Il poussa un cri de douleur et me lâcha. Jeme relevai précipitamment. Il
voulutsejetersurmoi,maisjetendislesbras.—NON,Caïn!Çasuffit!haletai-je,horsd’haleine.Iljetaitautourdenousdesregardsaffolés.Lebruitdesimpactsdeballese
rapprochait.—Mae,viensavecmoi,jevaisnoustirerdelà.—Jeneveuxpasveniravectoi.JeveuxêtreavecStyx.—Mae,s’ilteplaît.Jet’ensupplie.S’ilsmetrouvent,ilsmetueront.Ilfauty
aller.—Oùsontmessœurs?Onlesaemmenées,oùsont-ellesenfermées?—Mae,oublie-les…—Dis-moioùellessont!exigeai-jed’unevoixhystérique.Cettefoisjeneleslaisseraispas.Jeleurenavaisfaitlapromesse.Caïnsoupira,agacé.
—Danslacellule.Ellessontenferméesdanslacellule.Lacellule…LàoùBellaavaitététorturée,làoùBellaétaitmortesousmes
yeux.—SALOMÉ!L’appel, venant des arbres, nous fit brusquement tourner la tête. L’espace
d’un instant, l’espoir s’épanouit dans mon cœur, mais je déchantai vite enreconnaissant les voix des aînés qui aboyaient des ordres. Ils étaient à nostrousses.—Merde!crachaCaïn.Ilm’attrapa le bras et tira brutalement dessus pourme forcer à le suivre.
Maisils’arrêtanetenvoyantfrèreJacobsurgirdederrièreletroncd’ungroschêne.Sonrevolverétaitbraquésurlapoitrinedemonravisseur.— Frère Caïn, où emmènes-tu sœur Salomé ? demanda-t-il d’un ton
doucereux,sachanttrèsbienquenousétionsentraindefuir.Caïnneréponditpasetexerçaunelégèrepressionsurmonbras.—FrèreCaïn,tonsilenceclametaculpabilité.Tuvoulaisl’enlever,n’est-ce
pas?D’unmouvementvif,Caïnmefitpasserderrièrelui.—Écarte-toi,frèreJacob.Je reconnaissais cette facette de sa personnalité : ses instincts protecteurs
avaientprisledessus,faisanthonneuràsonaffiliationauxHangmen.Jacobsouritetinclinalatête.—Jenecroispas,non.Salomédoitrester ici,c’estsaplace.Tuaseuvite
faitd’oubliertesenseignements,monfrère.Toutsepassasivitequejen’euspasletempsdecomprendrecequiarrivait.CaïndésarmaJacob, luipassa lebrasautourducoupar-derrièreet,d’une
brusque torsion, lui brisa la nuque. Le bruit des os se cassant me donna lanausée.Le corps sans vie de Jacob tomba à mes pieds. Une main plaquée sur la
bouche, je lecontemplai,hébétée.Caïn,haletantunpeu,sedressaitau-dessusducadavre.—Mae?Ilavaitleteintlivide,lavoixfêlée.Jemeprécipitaiverslui.Ilm’attiradans
une étreinte tremblante. Je le serrai à mon tour entre mes bras. Pour ladeuxième fois, il m’avait sauvé la vie. Je serrais dans mes bras l’ami quej’avaiseuautrefois…C’étaitundernieradieu.—Jet’aime,Mae,murmura-t-il.
Chacundesesmotsluibrisaitunpeupluslecœur.Jeleserraiunedernièrefoisavantdereculer.—Tudoisyaller,maintenant!Ilmeregardad’unairvide.—Ilssontvenusmetuer,Mae.LesHangmenveulentsefairejustice.Styx,
il…—C’estbienpourçaquetudoispartir!lepressai-je.Ilbaissalatête.—Jeméritedemourir.Cequej’aifait,Mae…Jenesaispluscequiestjuste
etcequinel’estpas…Je…jenesaisplusquijesuis.(IlconsidéralecorpsdeJacob.) Ce que je t’ai fait subir est impardonnable. Je n’aurais jamais dû teramenerici.Jenemerendaispascomptedecequ’ilsétaientvraiment…Ilmepritlamain,lesyeuxbaignésdelarmes.Je vins vers lui etmemis sur la pointe des pieds pour déposer un chaste
baisersurseslèvres.Caïnnebougeapaslorsquejereculai.Danssonregard,je lus une adoration sans bornes. D’un certain côté, j’aurais voulu l’aimercommeilledésirait.Aufond,c’étaitunhommebon.Ilméritaitd’êtreaimé.Ilméritaitmieuxqueça…Vaincu, il soupira et posa une main légère comme une plume sur mon
visage.—Pourtoi,j’auraisdécrochélalune…Je lui caressai aussi la joue, et sa barbe aux poils doux me chatouilla la
paume.—Enfuis-toi,jet’enprie…Sauve-toi…Pourmoi,situm’aimesvraiment,
fuis…pourmoi…Lentement, il s’éloigna,pleurant sans retenue,etbientôt ildisparutdans la
forêttouffue.Ilétaitparti.Jereniflaipuisregardaiautourdemoipourtrouvermonchemin.Jedevais
rejoindremes sœurs. Jemis aussitôt le cap sur la cellule, le cœurbattant aurythmedemesenjambées.Des volutes de fumée s’élevaient ici et là, des balles ricochaient sur les
troncs, mais je devais coûte que coûte rejoindre mes sœurs. Elles étaientenfermées,terrorisées…Jedevaisleslibérer,puisretrouverStyx.Tourmentéepar lescrisd’agoniequis’élevaientdans lecamp, jemehâtai
versmadestination.Jeconstataiavecsoulagementquelesentierdevenaitplusétroit:laprisonn’étaitplustrèsloin.
—Àl’aide!Àl’aide!LescrisaffolésdeMaddieetLilamegalvanisèrent,mepoussantàredoubler
de vitesse. Je traversai la clairière au galop et vis enfin la cellule sombre etétriquéeoùmessœursétaientconfinées.Enmevoyant,ellestendirentlesbrasàtraverslesbarreaux.—Mae!Mae!Jedérapaidevantlacellule,emportéeparmonélan,etsecouailesbarreaux.—Ilmefautlaclé.Oùestlaclé?criai-je.— Les gardes nous ont enfermées ! répondit Maddie, son doux visage
déforméparlapeur.—Jenepeuxpas l’ouvrir, je nepeuxpas l’ouvrir !medésespérai-je, les
doigtsengourdisàforcedesecouerlesbarreauxinamovibles.Impuissantes,MaddieetLilameregardaienttenterd’ouvrirlaportedeleur
prison. Mais c’était sans espoir. Je baissai la tête et mes sœurs me prirentgentimentlesmains.—Quesepasse-t-il,Mae?demandadoucementLila.C’estuneinvasion?J’esquissaiunsourire.—C’estmonamoureux,ilestvenumedélivrer.Maddieouvritlabouche,stupéfaite.—L’hommedudehors?—Oui.Etilestvenuavecseshommespournouslibérer.Ellesblêmirent.—Nousne pouvons pas quitter la communauté,murmuraLila.C’est trop
dangereuxàl’extérieur.—Nousn’avonspaslechoix,décrétai-je.—Souviens-toidesenseignements,desprophéties!merappelaLila.La sueur perlait à son front et Maddie se balançait d’avant en arrière,
terrorisée.—Jeseraiavecvous.Noussurmonteronscetteépreuve.Noussurvivrons.—Jen’ensuispassisûr.Jemefigeaipuistournailentementlatête.Gabriel,Noé,Moïse.Couvertsde
sang, armés, ils se dressaient devant nous, menaçants. Leur expression étaitimpitoyable.Jemelevaietvinsmeplacerdevantlaporte,faisantsigneàLilaetMaddie
dereculeraufonddelacellule.—Va-t’en,Gabriel,ilsnetarderontpasàarriver.Je voulais paraître menaçante, mais ma voix tremblante trahissait mon
effroi.Lestroisaînésavancèrentversmoi.—Sais-tucequecemécréantetsesbouchersontfait?demanda-t-ild’une
voixgrave.Toutensurveillantlalignedesarbres,jesecouailatête.Ilsavaitquejementais,jelevoyaisàsonregardnoirmeurtrier.—IlatuéleprophèteDavid.Ilaassassinénotremessie!Danslacellule,j’entendismessœurspousserdesexclamationsétouffées.La
peurmetenaillait,s’insinuantjusquedansmesos.Ilsétaienthorsd’eux,etilsmetenaientresponsabledecettedébâcle.— Le prophète David nous a fait part d’une dernière révélation : dans
l’éventualité où il serait arraché de force à cette Terre, son peuple doit lesuivre.Lesoufflecoupé,j’écarquillailesyeuxencomprenantcequ’ilvoulaitdire.
Ilsvonttousnoustuer.Gabrielm’attrapapar lebrasetm’emmenaaucentrede laclairière. Ilme
forçaàmemettreàgenoux.Puisillevasonrevolver,lechargeaetcrachad’untonvenimeux:—SalueJézabeldemapart,saleputain.
Chapitre26
StyxIl nous fallut environ dixminutes, le temps d’interroger plusieurs gardes,
pourtenirenfinunepistesolidesurl’endroitoùpouvaitsetrouverMaeaprèsqueRiderl’avaitemportée.Àdeuxcentsmètresverslenord,danslaforêt,jetrouvailacouronnedefleursqu’elleportaitprisedansunebranchebasse.Puissesempreintesdepasdanslapoussièred’unsentier.Elleétaittoutprès.EtlamortdeRideraussi.Jebrandismonpoingferméetlesfrèresfirentaussitôthaltederrièremoi.Mae.Agenouillée sur l’herbe, elle se trouvait près d’une sorte de prison et les
aînésl’encerclaient.Elleavaitl’airterrifiéeetcesalauddeGabrielpointaitsonarme sur la tête de Mae. Les deux autres abrutis en barbe le flanquaient,souriants.—«OùestpasséRider?»Mesfrèresinspectèrentlesenvirons,maisilrestaintrouvable.Merde!J’entendisalorslavoixdeGabriel.—SalueJézabeldemapart,saleputain.Monsangnefitqu’untour.J’enaifiniaveccetenfoirédemesdeux!Je levai mon 9 mm et tirai sur le bâtard sadique. Deux balles. Une dans
chaquegenou.Ilsemitàpleurercommeunbébéets’effondra.Danslemêmetemps,FlammeetKyseprécipitèrentpourneutraliserNoéetMoïse,cequ’ilsfirent sansmal.Ky tenaitNoépar lapeauducou,etFlamme tirait la têtedeMoïseenarrièreenluiagrippantlescheveux,soncrand’arrêtappuyésursacarotide.Je m’élançai dans la clairière et envoyai l’AK47 de Gabriel hors de sa
portée.Mae était recroquevillée sur le sol, lesmains sur la tête. Je soulevaiGabriel par les cheveux, sortis mon Bowie de ma botte et l’égorgeaiimmédiatement. Puis je le relâchai et le regardai s’étouffer dans son propresang.
Jeluicrachaiauvisageetsignai:—«Brûleenenfer,connard!»Mae n’avait toujours pas bougé. Je me penchai vers elle et lui caressai
doucementledos.Elleseraiditets’écarta,puislevaversmoisesgrandsyeuxde loup. En me voyant, elle se mit à pleurer. Je lui fis signe de se relever.J’avaisbesoindelaserrerdansmesbras.—Styx,murmura-t-elle.Toute tremblante, elle sauta dans mes bras et s’agrippa à ma nuque, les
jambesautourdemataille.Lenezenfouidansmoncou,ellesanglotait,et jesentaisseslarmesmemouillerlapeau.Jelaserraiaussifortquepossible,respirantsonodeur.Ellerelevalatêteet
essuyasesjoues,avantdem’adresserungrandsourire,etsoudainsaboucheétait sur mes lèvres, sa langue dans ma bouche. Elle m’embrassait avecfrénésie,soulagée.Puiselleposasonfrontcontrelemien,lesmainssurmesjoues.—Jesavaisbienquetumeretrouverais.Jesavaisquetuviendrais.Jet’aime
tant.Jehochailatête,incapabledeparlertantlesémotionsétaientintenses.Maemesourit,compréhensive,etmurmura:—Jecomprends,bébé…tum’aimesaussi.Incapablederésister,jel’embrassaiviolemment.—Jevaisprendreçapourun«oui»,dit-ellecontremabouche.Un«oui»enlettrescapitales!—Euh…Mae?EllesetournaversKy.ÀsespiedsgisaitfrèreNoé,uncouteauplongédans
le cœur. Plus loin, je vis Flamme qui sortait des arbres, les vêtementséclaboussésdesang,leregardfou.Ilm’adressaunbrefsignedetête,souriant.Moïseaussiavaitrejointlepasseur.Unsentiers’enfonçaitdanslaforêtjusqu’àun arbre majestueux. Le fanatique était cloué au tronc par quatre couteauxplantésdanssontorse.Flamme…Cegrandmaladenemanquaitpasd’imagination.—Cesontdesamiesàtoi?demandaKyàMae.Ellehoquetaetsedégageademonétreintepours’élancerverslaprisonde
pierreauplafondbas.—Lila!Maddie!Toutvabien?Sous nos yeux éberlués, quatre mains se tendirent vers Mae depuis
l’intérieurdelacellule.
Kys’approchademoi.—Maisc’estqui,là-dedans?J’allaisluirépondrelorsqueMaesetournaversnous:—Ilfautlesfairesortir!Ellessontprisonnières!Jen’aipaslaclé!Bull s’avança aussitôt, armé d’une grosse pince coupante avec laquelle il
avaitsectionnélaclôturepournousfaireentrer.—Jevaism’occuperducadenas.Maes’écartaletempsqu’ilfassesontravail.Puisilrevintversnousavecun
airébahietravi.Tank,Smileyetletriodepsychopathesserapprochèrentpourvoiraussicequiallaitsortirdecettecellule.Maeouvritlaporterouilléeetappeladoucement:—Venez,venez,n’ayezpaspeur.Aucunmouvement.Maenousjetaunregardnerveuxets’agenouilla.Personnen’osaitparler.—Ilsnevousferontpasdemal,vousavezmaparole.N’ayezpaspeur.Ils
sontdifférentsdenous,maiscesontdebonnespersonnes.Maereculaunpeu,puissereleva,lesmainstendues.D’abord,ilnesepassa
rien.Puisunepetitemainseposasurlaboueséchée,puisuneautre,etunefilleapparut.Maesepenchapourl’aideràseredresser.Lafillesetournaversnous.À côté de moi, Ky jura. Mon meilleur ami regardait la blonde, bouche
ouverte. Elle était canon : yeux bleus, longs cheveux blonds…Mais à mesyeux,ellen’arrivaitpasàlachevilledemafemme.Envoyantlescadavressanglantsdesaînés,lajeunefillehurlaetsejetadans
lesbrasdeMae,quilacajola.—C’estbon,Lila,c’estbon.—Lesaînés…,murmura-t-elleaveclemêmeaccentétrangequeMae.— Ils devaient mourir, Lila. C’était eux ou nous. Les Hangmen nous ont
sauvélavie.— J’ai une putain d’érection, là, m’informa Ky d’une voix assourdie,
commes’ilsouffrait.Jelevailesyeuxauciel.Évidemment,lajolieLilaplaisaitàcechaudlapin.
Elleétaittoutàfaitsongenre,avecsesairsdetop-modèleetsesgrosseins.La jeune fille nous regardait comme si nous étions des diables, mais en
voyantKy,elleentrouvritlabouche,etsesyeuxs’agrandirent.—Merde.Là,jesuisamoureux,souffla-t-ildansunrâle.Jeluienvoyaiuneclaqueàl’arrièreducrâne.Denouveau,Maes’accroupitetVikinggémit.
—Medispasqu’ilyenad’autres là-dedans?C’estquoicetendroit?Unélevage de top-modèles pourVictoria’s Secret ?D’abordMae, qui est supercanon,maintenantlachaudasseàgrosnibards,etencoreuneautre?J’attrapailegéantrouxparlecolengrondant.— Du calme, Prés’. Je reluque pas ta régulière, mais tu vas pas dire le
contraire, elle est chaude cette meuf. Putain, quand elle enfile son cuir quimoule…JelemisautapisavantderejoindreKy.AKsecouaitlatête,atterré.MonVP
étaittoujourshypnotiséparlablonde,etellenelequittaitpasdesyeux.Super…Maeattrapaunepetitemainàl’entréedelacellule,etunemassedecheveux
noirsapparut,delamêmeteintequeceuxdeMae,quipritaussitôtlajeunefilledanssesbras.Jenevoyaismêmepassonvisage.Maeluicaressaitlescheveux,couvrantsatêtedebaisers.—Lila?appelaMae.Lablondepritlamaintendueetlestroisjeunesfilless’avancèrentalorsvers
nous. Mae me souriait, pleinement heureuse. Nous avions sauvé ses sœurs.J’avaislagorgeserréeetlesexeraide.Elleétaitsibelle.Ettouteàmoi.—Styx,Kyler,Tank,Bull,Viking,AK,Flamme,Smiley,voicimessœurs.Ellepoussalablondeenavant,etlesyeuxbleusdecettedernièreseposèrent
denouveausurKy,quineputretenirungémissement.LajeunefemmefronçalessourcilsetMae,l’airfurieux,foudroyamonVPduregard.—VoiciLila, présentaMae avec un grand sourire.Lila, je te présente les
Hangmen.—LesHangmen?Ça me rappelait tellement Mae quand elle venait d’arriver au club.
Complètementingénue.Maegloussa.—C’estunesortedeclub,Lila.Ilsfontdelamoto.Lilapassanerveusementlamainsursescheveuxattachés.—Qu’est-cequ’unemoto?Maecroisamonregardetéclataderire,puisellefrottaledosdesonamie.—Tucomprendrastoutçaplustard.Mae se tourna alors vers la jeune brune et lui chuchota quelque chose à
l’oreille. Elle sursauta lorsqueMae releva ses cheveux, révélant son profil.Puis,lentement,ellelevalatête.OhSeigneur!C’étaitMae.UneMaeauxyeuxverts.
—Nomdenom,Mae,dis-moiquecetteprisoncached’autresfillescanon,unepourchacun,gémitAK.Elleluisouritplaisamment,maissecoualatête.—VoicimasœurMaddie.Nousavonslemêmesang.En l’entendant, la jeune fille se redressa fièrement et posa son regard de
biche sur chaque frère, puis regarda les aînés gisant dans l’herbe. Avec unsanglotétouffé,elleattrapalamaindeMae.—Là,là,toutvabien,larassuraMae.Maiselletremblaitetsecouaitlatête.LilasedirigeaversMaddieapeuréeet
passaunemaindanssescheveuxpourlarassurer.—Qu’est-cequ’ilya,Maddie?EllesemblasereprendreetsetournadélibérémentfaceauxHangmen.Mae
et Lila la regardèrent, stupéfaites. Je compris que son attitude n’était pashabituelle.Maddie s’avança vers nous. Les frères retenaient leur souffle. Elle était
canon.Ettrèsjeune.—Tuesl’amoureuxdeMae?Styx?demanda-t-elleaveccetaccentétrange.Jeposaiunregardattendrisurmafemme.Son«amoureux»?Jehochaila
tête.Maesourit,rougissante.—Vousaveztuétoutlemonde?demandaMaddied’unevoixtremblante.Sesyeuxvertspourtantnecillaientpas.Denouveau,j’opinai.Ellepritunegrandeinspiration.—Oùest-il?Jecompristoutdesuitedequielleparlait,maisilnefallaitpasqu’ellevoie
cequeFlammeavaitfait.Cen’étaitpasbeauàvoir.—Jedoislevoir!cria-t-elle.La force de la colère dans sa voix me surprit. Je désignai le sentier
s’enfonçant dans la forêt. Aussitôt elle partit dans cette direction au pas decourse.J’allaiversMae.—« Il faut que tu t’occupes d’elle, bébé, elle ne va pas supporter un truc
pareil.»Maesefrottalesyeux.Elleétaitfatiguée,ilétaittempsquejelaramèneàla
maison. Maddie revenait déjà. Elle ne tremblait plus, et son visage étaitimpassible.Mais elle n’était plus livide comme avant.Mae se précipita verselle,maissasœurl’arrêtad’ungeste.
—Maddie?s’inquiétaMae.MaislajeunefillesedirigeaverslesHangmen,alignésenrangd’oignon.—Quil’atué?demanda-t-elle.Auboutdelarangée,Flammesemitàs’agiter,latêteprisedesoubresauts
nerveux,serrantconvulsivementlespoings.Forcément,ilfallaitqu’ils’agissedeFlamme.Siellecommençaitàluifairedesreproches,çaallaitmalfinir.Elleleregarda.—Est-cequec’esttoi?demanda-t-elle,directe.Flamme,lèvresserrées,hochalatêted’unmouvementsec.—Oui,j’aibutécefilsdepute.Sursoncoucrispé,sestatouagesdeflammesdansaient.Ilfixasonregardde
psychopathesurMaddie.Dangereux,meurtrier.Maddie,plantéedevantlui,nefrémitmêmepas.Quelcran!Lapoitrinede
Flamme se soulevait à un rythme irrégulier. Soudain la jeune fille laissaéchapperunsanglotetenserralatailledeFlamme.Cederniers’immobilisa,lesyeuxexorbitésettenditinstinctivementlesbras,
poingsserrés.Merde! Il ne supportait pasqu’on le touche, il allait péter lesplombs!— Merci, hoqueta Maddie, la joue collée à la veste en cuir de Flamme.
Merci,merci!Flamme fronça les sourcils, complètement dérouté, et posa un regard
furieuxsurcettefilleagrippéeàlui.Puistoutlemonderetintsonsouffle,carilbaissalentementlesbras,etvintmaladroitementposerlesmainsdansledosdelajeunefille.Ilsursautalorsqu’ellehoquetadenouveauetdit:—Tum’aslibérée.Enletuant,tum’aslibéréedelui.Flammefermalesyeux, lamâchoirecrispée.Maisilnelarepoussapas, il
necriapas,nesedébattitpas.Cetteâmeperdueacceptasimplementcequiluiarrivait.Ky tournaversmoiunvisageabasourdi. Jehaussai lesépaules. Jen’avais
jamaiscomprisFlamme,jenesavaisjamaiscequ’ilpensait.Maddierecula,arborantunpetitsourire.Flammeplongeasonregarddansle
sien.Puisellealla retrouver sa sœur,maisens’éloignant,elledemandapar-dessussonépaule:—Quelesttonnom?Avantdeluimarmonnerlaréponse,Flammerelâchauneexpirationsifflante
entreseslèvres.Maddieluiadressaungrandsourireàtomberparterre.
—Je te serai éternellement reconnaissante, Flamme. J’ai une dette enverstoi.Ilnelaquittaitplusdesyeux;illadévoraitavidementduregard.Jetoussotai
pourdissiperlatensionetMaereportasonattentionsurmoi.—«OùestRider?»L’expressiondeMaechangea.—Parti,souffla-t-elleenregardantsespieds.Je claquai des doigts pour qu’elle me regarde. Les mâchoires serrées,
j’insistai:—«Partioù?»Maesetripotaitnerveusementlesdoigts.Ilyavaitquelquechosequ’ellene
medisaitpas.—Ils’estenfui…(Elleavaitleslarmesauxyeux.)Ilm’asauvélavie,Styx.
EntuantfrèreJacob.Lechangementd’atmosphèrefutimmédiat.—«Explique-toi»,demandai-jeavecdesgestessaccadés.—Ilavaitdécidédepartir,etilaessayédemeconvaincredelesuivre.Jedevaisavoirl’aireffrayantcommeHadèslui-même.—J’airefusé,biensûr,m’assura-t-elle.MaisJacobestarrivé,armé.(Ellese
mitàtrembler.)Caïn,enfinRider,l’atué.Illuiatordulecousousmesyeux.Ill’atuépourmoi,Styx.Ilfautquetusachesquepourlui,c’estunpéchémortel:il a tué l’un des siens, un élu, un aîné… Il s’est condamné à la damnationéternellepourmoi.J’aieuraisondeluilaissersaliberté.Jerenversailatêteenarrière,lespaupièresfermées,levisagecrispé.Rider,
Caïn,peuimportesonnom,cesalauds’entiraittoujours.Pourquoinepouvait-ilpassortirdemaviepourdebon?Unepetitemain seglissadans lamienne.Maeme regardait de sesgrands
yeuxdésolés.—Ilestpartipourdebon,Styx,parcequec’esttoiquej’aichoisi.Jeluiai
ditquejet’aimais,etquejen’aimaisquetoi.Jeneseraijamaisavecpersonned’autre,mechuchota-t-elleàl’oreille.Macolèrerefluaunpeuetj’attrapaiMaeparlanuquepourl’écrasercontre
mapoitrine.—Àlamaison,murmurai-jecontresonoreille.J’aib-besoindet-toiàlam-
maison.Loind-decetendroit.Ellelevalementon,soulagée.—Etmessœurs?
—Ellesviennentaussi.Je tournai la tête vers la gauche : c’était mon VP qui avait répondu à sa
question. Sans pour autant quitter Lila des yeux. Quant à Flamme, il étaitcommehypnotiséparMaddie,sesyeuxnoirsnecillantmêmepas.Ohbordeldemerde,çan’allaitpasêtredelatarte.Cesallumeusesallaient
sûrementmettreleclubsensdessusdessous.Génial.Encoredesmélodramesenperspective.— Prés’ ! Tu vas où ? me cria Viking depuis le canapé, où sa nouvelle
trouvaille, allongée sur ses genoux, une main dans son jean, le masturbaitallégrement.—«Dehors», répondis-jesuccinctementavantdesortirdans lacour,une
bièreàlamain,pourrejoindremaplacefavoritesurlebanc.—Maisqu’est-cequ’ila?entendis-jeVikingcrier.Jedécidaidenepasrelever,j’avaisdéjàlargementdequoiêtreénervé.Depuisnotre arrivée auQG,Mae était dans l’appartement avec ses sœurs,
essayantdelesrassurer.Lesramenericiavaitétéunesacréeépreuve.Ellessebalançaientdansuncoindufourgon,lesmainssurlesgenoux,commesinousnouslancionsdanslatraitedesblanches.Jen’avaisjamaisvuça.C’étaithallucinant.Jem’installai et contemplai lapeinturemurale représentantPerséphoneen
pensantàMae.Àcettecommunautédedégénérésetàtoutcequ’elleavaitsubi.J’eus un haut-le-cœur. J’allumai une cigarette, inspirai, renversai la tête enarrièreetrecrachailafumée.Jel’aimaisplusquetout,maisplusjecomprenaisd’oùellevenait…Merde,jecommençaisàmedirequelalaissericin’étaitpasunesibonneidéequeça.Elleméritaitmieux.Mieuxqu’uneviedehors-la-loi.J’entendis le cliquetis de la porte du bar et jetai un coup d’œil dans cette
direction.C’étaitMae.Enme voyant sur le banc, elle vintme rejoindre.Elle s’était changée.Un
jeannoirajustéetundébardeuravaientremplacésarobedemariée.Elleétaitmagnifique.Enlavoyantàmonbras,lesfrèresdesautreschapitresn’avaientpu s’empêcher deme regarder avec envie. Ils avaient compris tout de suitepourquoij’étaispartienguerrepourlarécupérer!Debout devant moi, elle passa unemain dansmes cheveux. Je fermai les
yeuxengrognantdoucement.Jetapotaimongenoupourl’inviteràs’asseoir.Ellesepliaàmademandeensouriantetpassalesbrasautourdemoncou.
—C-commentvonttessœurs?demandai-je,etsonsourireretomba.—Ellesontpeur.Peurdumonde,peurdesfrères.Ellesontpleuré,ellesne
veulentpasresterici,maisDieumerciellesontfinipars’endormir.J’espèrequ’unebonnenuitdesommeillesaideraàsecalmer.(Ellejetauncoupd’œilàlafenêtredelachambre.)Elless’yhabitueront.Ilfaudrasimplementqu’ellesapprennent…tout.Ceseraunlongprocessuspourelles…etpourmoi.Jehochailatêteentirantsurmacigarette.Maemecaressalajoue.—Pourquoies-tuicitoutseul?Jenerépondispas,leregardbaissé,repensantàcetteimmondeprison,àla
clôture,àlamitraillettebraquéesurlatêtedeMae,auxparolesdecesalaud:«SalueJézabeldemapart,saleputain!»— Styx ! (Mae se redressa soudain, tenant mon visage entre ses mains.)
Qu’est-cequinevapas?Tum’inquiètes.JejetaimonmégotparterreetregardaiMae.—Cettef-foutuec-communauté.C’étaitdug-grandn’importequ-quoi.Une
p-putaindec-cage!—Styx, ne te torture pas.C’est fini.Maintenantma vie est avec toi… ici.
L’Ordren’existeplus.Les yeux emplis de larmes, elle tremblait. Merde, elle allait se mettre à
pleurer.—Jep-peuxp-pasm’empêcherdep-penserquet-tuaséchangéunep-prison
pouruneautre,cec-club.Jesuisuns-salauddet-teg-garderici.Jeluiprislamaindroiteetglissaimesdoigtsentrelessiens.— Je veux être avec t-toi, M-Mae, plus que t-tout. Mais ma v-vie est p-
particulière. Nous sommes à l’écart, enfermés sur n-nous-mêmes. Tu as b-besoindev-vivre,dec-connaîtrelav-vraieliberté.Maes’installaàcalifourchonsurmescuisses.—Non!Nerecommencepas!Nemefaispasça!—Mae…—Non ! écoute-moi, Styx. (J’opinai et pris sa taille de guêpe entre mes
mains.) Ce n’est pas une prison, dit-elle en englobant tous les bâtiments duclub. C’est la liberté, pour moi. Pour la première fois de ma vie, j’ail’impressiond’êtreàmaplace,d’êtreacceptée. Iln’existepasunendroit surTerreoùjevoudraisêtreplusqu’iciavectoi.Tunem’enfermespas,Styx,tumedonnesdesailes.Etàcetinstant,jesusaveccertitudequec’étaitelle.Iln’yavaitqu’ellepour
moi.Pourêtrehonnête, iln’yavaiteupersonned’autredepuisque je l’avais
rencontréederrièrecettefoutueclôture,quinzeansplustôt.Maeavaittoujoursétélaseuleetl’unique.—Styx,murmura-t-elleensemordillantlalèvreinférieure.Je la regardai avec un petit sourire, qui s’agrandissait de seconde en
seconde.Maesoupira,jeluiattrapailanuqueetl’embrassaifougueusement.Maegémit.Toujourssouriant,jelasoulevaietlaposaidebout.—Allonsp-prendreunv-verre.Ellemetiraparlebras,perplexe.Jeposaimonfrontsurlesien.—Jesuisunhors-la-loi,M-Mae.Jep-prendscequejev-veux,quandjev-
veux.Alorsheureusementpour t-toi, je suisunc-connardégoïste, et je teg-gardeiciavecm-moi.Sonsourireéclipsaitlesoleil.Dès la porte dubar franchie,Beauty fondit sur nous et attrapaMaepar la
main.—Mae!Viensavecmoi.Ellem’interrogeadu regardet jehochai la tête.Elle s’éloignaensouriant
pourrejoindreLetti.Lesdeuxamiesétaientfollesdejoie.Jen’arrivaispasàdétachermonregardduderrièredeMaemoulédanssonjean.Unbrasautourdemesépaulesmetiradecettevisiondivine.Ensecouantlatête,monVPtenditsabièreendirectiondeMae.—MerdeStyx, t’as leculbordédenouilles…Comment tu t’esdébrouillé
pourmettrecetteamishdanstonlit?Commesijelesavais.
Épilogue
Styx
Deuxjoursplustard…
— « Mes frères, nous avons récupéré ma femme et notre territoire.Maintenant,détendez-vous,trinquez…»—Etbroutezlegazon!conclutKyenm’interrompant.MonVPserenditauborddel’escalier,levahautsonverreetbeugla:—Vivrelibre,roulerlibre,mourirlibre!Les frères, déjà bien soûls, accueillirent avec enthousiasme les paroles de
Ky et répétèrent le slogan. Kyme tapa dans le dos en riant alors que je lefoudroyaisduregard.Ilvidaculsecsonwhiskyetjetaleverrevideparterre.Trois jours de fête arrivaient à leur terme, les frères se séparaient pour
regagner leurs chapitres respectifs. Nous avions remporté une guerre, maisuneautresepréparaitsûrementdéjà.J’aperçusMaequisetenaitàcôtédel’escalier.Elleétaitsiséduisantedans
sonensemble en cuir.Beauty etLetti l’accompagnaient.Désormais, sesdeuxamiesnelalâchaientplusd’unesemelle.Jedescendislesmarchesquatreàquatreetlaprisdansmesbras.Sesmains
avides seglissèrent sousmachemise, tâtantmes abdominaux fermes etmondosmusclé.Ledésirbrûlaitdanssesyeuxdeloup.—Onv-vas-sortirf-faireunev-virée,luiglissai-jeàl’oreille.Elle sourit, ravie, puis me désigna la fenêtre de mon appartement en
soupirant.Mêmed’ici,jevoyaislesyeuximmensesdesessœursquiépiaientdelà-hautcequisepassaitdanslacour.Ellesneregardaientpasdanslamêmedirection,etjepoussaiungrognementencomprenantcequ’ellesregardaient.Lila surveillaitKy, qui empoignait à pleinesmains les nichons deTiff et deJuly,toutenadressantàl’ingénueblondeungrandsouriredevainqueur.QuantàMaddie…Oh,merde. Elle était fascinée par Flamme. Le frère arpentait lacourcommeun taureauet épiaitMaddiede sesyeux sombres.Agitépardestics nerveux, il se griffait les bras, faisant couler son sang. J’avais donné
l’ordre à mes frères de ne pas s’approcher d’elles, mais je sentais que cesquatre-làallaientmecauserdesemmerdes.Maemelâchalatailleetdéposaunbaisersurmeslèvres.Jeluidonnaiune
claquesurlesfesses.—Jeter-retrouved-devant.Cinqminutesplustard,Maefranchitleportaild’unairimportantetmontaà
l’arrièredemamoto.C’étaittellementbondelasavoirlà.Je fis rugir monmoteur et démarrai en trombe. J’emmenai ma femme à
l’uniqueendroitdigned’elle.Alorsque jemegaraisprèsdu fleuveColorado,ellemeserra la taille. Je
souris.Elleadoraitcetendroit.Elledescenditdemotoets’assitavecmoisurl’herbesèche.J’avaisàpeine
eu le tempsdeposermes fessesqu’elle se jeta surmoi,etmalgrésonpoidsplume, elle parvint àme renverser, dos au sol, pressant sa bouche contre lamienne.Jeluiattrapaiaussitôtlesfesses,tandisqu’ellefrétillaitcontremonsexe.—Tu as envie dem-moi, b-bébé ? lui demandai-je en quittant sa bouche
pourluilécherlecou.—Terriblement,Styx.J’aitrèsenviedetoi,répondit-elleenhaletant.Jelafispassersousmoi,ouvrislabraguettedesonpantalonencuiretlelui
arrachai, tout en lui mordillant la lèvre inférieure. Son entrejambe apparutaussitôt. Elle ne portait pas de culotte. Mes yeux s’agrandirent et je gémis,pendantqu’elleattrapaitlebasdesontee-shirtpourleretirer.Pasdesoutien-gorge.OhSeigneur!MaintenantqueMaeétaitallongéesousmoi,nue,jemedépêchaidequitter
mes vêtements. Puis je plongeai les doigts dans son sexe. Ses yeux de loups’agrandirentetellerenversalatêteenarrière.Jeprisundesesseinsdansmaboucheetlesuçotai,luitirantdesgémissementsdeplaisirquifirentréagirmaqueue.—Styx…viensenmoi…s’ilteplaît,supplia-t-elleenondulantdubassin.Je souris contre son sein, refermant délicatement les dents sur la pointe,
tandisquejemeplaçaisàl’entréedesonvagin.Jeplaçaialorslesmainssoussatête,etmeglissaibrutalementenelle.Ohbonsang!—Styx!cria-t-elleenmelacérantledos.
J’oscillais d’avant en arrière, et elle m’agrippait les fesses. Je vins à larencontredesaboucheetinséraimalangueentreseslèvres.C’était si bon, ellem’enserrait tandis que nos langues se battaient, etMae
émettaitdepetitsgémissementsquimefaisaientperdrelatête.—Styx…jet’aime,murmura-t-ellealorsqu’ellereprenaitsonsouffle.Jegrognaisdeplaisir,accélérantlacadence,excitéparleclaquementdenos
cuisses,peaucontrepeau.Jenichailenezdanssoncouetlasentiscontractersesmusclesvaginaux,serrantmonsexecommedansunétau.Ellesecambra,lesseinsécraséscontremontorse,etuncrid’extaseluidéchiralagorge.—Styx!Ohmerde,Styx!gémit-elle,horsd’haleine.Jem’enfonçaiencoreunefois,profondément,latêterenversée,etl’inondai
demasemence.Puisjem’écroulaisurelleetnousfisroulersurl’herbepourqu’ellesoitau-
dessusdemoi.Alorsquenousreprenionslentementnotresouffle,jeris.Elles’assitethaussaunsourcil.—Quoi?Jepassailamainsurlaraiedesesfessesetellefermaàdemilespaupières.—Est-cequ-quetuv-viensded-direung-grosmot?Elleécarquillalesyeuxetgloussaàsontour.Moncœurfitunsalto.—Maisoui!Tudoisdéteindresurmoi.—Oht-tuv-vasvoirquejev-vaisd-déteindresurtoitoutelan-nuit!Ellemedonnaunepetitetapeavantdesuivredudoigtlacicatriceenforme
decroixgammée.Sonsourires’évanouit.—J’aiinsultéGabriel,aussi.J’écartailescheveuxdesonvisage.—Ahoui?Elle hocha la tête,mais son regard s’embua. J’attendis qu’elle se décide à
parler.—Iladitquetum’avaiscorrompue.Quej’avaisvendumonâmeaudiable.—Vienslà.Mae remontaunpeu surmapoitrine, làoù jepouvaisprendre sonvisage
entremesmains.—Jen’aijamaisrencontréunef-filleaussip-purequetoi.Aussiinnocente.
Tuaschangémav-vie,b-bébé.Tun’espasc-corrompue.Tuesp-parfaite.Unsourireilluminasonvisage.— Tu m’as longtemps répété que tu n’étais pas assez bien pour moi. Et
maintenantjesuisparfaitepourtoi?
— Jem-me t-trompais. Lourdement. Tu as b-besoin d’un homme fort, b-bébé.Unhommequit-t’aime,quit-tep-protège,unhommequiestt-toutpourt-toi. (Elle retenait son souffle. Je souris.)C’estm-moi, b-bébé.C’estmoi etpersonned’autre.Mae me sauta de nouveau dessus et je ris en la repoussant avant que la
proximitédesachattemetenteetqu’onseremetteàbaiser.Ellefitlamoue,levisagechiffonné.—J’aiencoreenviedetoi,protesta-t-elle.—J’aiqu-quelquechosepourt-toi.Elleselaissaaussitôtgagnerparlacuriosité.—Qu’est-cequec’est?Jel’attrapaipourl’asseoir,toutenuedansl’herbe,etgagnaimaHarley,nu
commeunvermoiaussi.Jesortislaminusculevesteencuirdemasacoche.Jenesaispaspourquoi,maisj’étaissacrémentnerveux.Jen’avaisjamaispenséqu’un jour j’aurais une femme à moi, que je pourrais parler à quelqu’und’autrequeKyler.EtpuisMaeavaitdéboulédansmavieettoutbousculé.—Styx?Qu’est-cequec’est?medemanda-t-elle,toutexcitée.Elle était là devant moi, ses longs cheveux d’ébène ébouriffés, ses yeux
bleus immenses, sa peau laiteuse et parfaite. Je me détendis. Elle étaitsacrémentcanon.Jeme repris et lui tendis la petite veste noire aux couleurs desHangmen.
Maes’arrêtaderespirer,labouchegrandeouverte.Jeluimontraialorsledosduvêtement,ornédenotreemblèmeetdel’inscription«AppartientàStyx»enblanc.Devant,sonprénométaitinscritenreliefdoré.Répondantàmonsignedetête,elleselevaetvintversmoi.— T-tu v-veux b-bien, b-bébé ? Tu v-veux d-devenir officiellement ma
régulière?P-parcequ’unefoisquetul’aurasenfilée,t-tul’enlèvesplus.—Styx,soufflaMaed’unevoixétrangléeenapprochantpourpasserlamain
surmajouemalrasée.(Lecœurbattant,jedéglutisnerveusement.)Jesuisnéepourêtreavectoi.Pourêtretarégulière.Etàcetinstant,elleremuasonirrésistiblepetitnez!Mesyeuxserévulsèrentetjelafistournersurelle-mêmepourluienfilerla
veste.Elleseretournalentementversmoi,agrippantlescôtésduvêtementauniveaudesapoitrineparfaite,etm’adressaunemoueaguicheuse.—Commenttumetrouves?Jelaregardaidehautenbas.Elleressemblaitàunepin-up,toutenue,avec
mon nom sur le dos. En poussant un grognement sourd, je la soulevai et la
plaquaicontreunarbre.Aussitôtsesjambess’enroulèrentautourdemataille.—J’adore,bébé.J’adorequetusoisdansmavie,àl’arrièredemabécane,
dansmonpieu, surmaqueue, avecmonnomsur ledos.Tunemequitterasjamais,bébé.Tuesàmoipourlavie.Pourlepireetlemeilleur.J’étaisenfantquandjet’airencontrée,unfoutumuet.Tum’asrendumavoix.Tum’asdonnéunevie.C’esttoi,bébé,tuesmonalphaetmonoméga.Jel’embrassaifougueusement,etellemelerenditbien.Frontcontrefront,nousavionslesoufflecourt.—Tuesàmoi,répétai-je.—Ettuesàmoi,affirma-t-elleavecfierté.—Maintenantonestofficiellementensemble,bébé,hein?Toietmoi.C’est
tafamillemaintenant.Tonclub.Tuesàtaplacedanscegang,avecmoi.Qu’ilvente ou qu’il pleuve, tu seras avec moi, pour rendre la vie meilleure. Marégulièrepourlavie.—Pourtoujours.Nosviesdébutentmaintenant,Styx.Laissonsderrièrenous
lescicatricesdupassé.Jeluiprislamaingaucheetembrassaisonannulaire.—Etbientôttuporterasunanneauàcedoigt,pourdireaumondeentierque
tum’appartiens.Ettunel’enlèverasplusjamais.—Oui,Styx,murmura-t-elletandisqueleslarmesroulaientsursesjoues.Je
suisàtoi…rienqu’àtoi.Pourl’éternité.—Ohputain, bébé… je t’aime, grognai-je enme frottant contre son petit
corpsparfait.—Moiaussi.Etelleremualenez.Jeplongeaiencoreunefoisenelle……guidépardesyeuxdeloup.
RiderCaïn
Deuxsemainesplustard…
Utah,dansunlieutenusecret.
Mes yeux me brûlaient. Je roulais sur une route de campagne. Deux
semainesàroulersurmonchopper.Deuxsemainesquej’évitaisleschapitresdesHangmen.Deuxsemainesquejemedemandaisquefaireensuite.« Enfuis-toi. S’il te plaît. Fuis… Sauve-toi… pour moi… » Mae m’avait
supplié, elle avait peur pourmoi, je l’avais lu dans ses yeuxbleus limpides.Puisellem’avaitembrassé.Enfinellem’avaitembrassé,manquantderéduireànéantlesderniersfragmentsdemoncœur.MERDE!Le lourd portail en fer du Bocage,mamaison d’enfance, s’ouvrit àmon
approche.Jeprisunegrandeinspiration.Jenesavaismêmeplusquij’étais,oùétait ma place. L’Ordre n’était pas ce que j’avais cru et mes penséesm’obnubilaient.Jesuivisl’alléepavéeetm’arrêtaidevantlafermeduprophèteDavid.Jene
savaispasoùaller,jen’avaisnullepartoùallerendehorsdecetendroit.Soudain la porte de lamaison s’ouvrit et Juda,mon frère jumeau, courut
versmoi.—Caïn!Sonvisage, identiqueaumien(mêmestraits,mêmescheveux,mêmebarbe
etmêmemusculature),exprimaitunprofondsoulagement.Physiquement,nousétionsdescopiesconformes…JedescendisdemotoetprisJudadansmesbras.Danssesyeuxfatigués,je
lisaisunmélangedetristesseetderage.Ah,commeilm’avaitmanqué.Cinqannéess’étaientécouléessanscontactdirectaveclui.—Tuesvivant,soupira-t-il.Nousavonscraintquetun’aiesététuétoiaussi.— Je m’en suis sorti, confirmai-je sans lui fournir plus que le strict
nécessaire.—Dieusoit loué!s’exclama-t-ilavantdebaisser lesyeux.Ils lesont tous
tués,Caïn:lesaînés,leprophèteDavid.Nosfrèresontétémassacrés.Seulslesenfantsetlesfemmesontétéépargnés.(JeretinsmonsouffleetJudasecoualatête.)Ilneresteaucundesdouzeoriginaux,Caïn.Monregardrestaimpassible.Judapassa unbras puissant autour demes épaules etme conduisit vers la
maisonoùnousavionsgrandiàl’écartdesautresmembresdel’Ordre.Depuisl’adolescencenousavionsétéentraînéspourunjourcommecelui-ci,unjouroù nous n’aurions plus d’autre famille que l’un et l’autre. Notre missiond’héritiersétaitnotreuniquebutdanslavie.—Nous avons commencé la reconstruction,m’informa Juda.Nous avons
trouvéunnouveausitepourlacommunauté.Nousavonspourprojetderéunir
touteslescommunautéspourn’encréerqu’une,unifiée.Davantagedefrèresetsœurs,davantagedegardes,etd’armes.Ensuite,ilseratemps,monfrère,dit-ild’untonentenduenmeserrantlebras.Jem’immobilisai.Judavintseplacerdevantmoietfronçalessourcils.Ilavaittoujoursétéle
plusmilitantdenousdeux.Lepluspieux.Iln’avaitjamaisquittéleBocage,etcroyaitfermementàlacause.—Tempsdequoi?demandai-je.Judasourit,enthousiaste,etunecrainteglacéemesaisit.—Pourtonascension…ProphèteCaïn.Moncœurs’arrêta.Mesyeuxs’agrandirent.Oh…merde…
PLAYLIST
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Metallica–NothingelsemattersAC/DC–HighwaytoHellNirvana–AboutAGirlGunsandRoses–KnockinonHeavensDoorJohnnyCash–God’sGonnaCutYouDownTomWaits–IHopeThatIDon’tFallinLoveWithYouThePrettyReckless–MakesMeWannaDieNineInchNails–CloserTheNational–GospelWillieNelson–BlueEyesCryin’intheRainPistolAnnies–HopeYou’retheEndofMyStoryBobDylan–ItAin’tMe,BabeAABondy–TheMightiestofGunsTheEagles–DesperadoRollingStones–WildHorsesDepecheMode–PersonalJesusVelvetUnderground–PaleBlueEyesBlackSabbath–HeavenandHell
REMERCIEMENTS
Merci Papa d’être enfinmonté à bord du Tillie Cole express et dem’avoirconsacré un temps fou pour l’écriture de ce roman. Tes remarques sur lapsychologie m’ont été d’une aide précieuse, et j’ai hâte de m’atteler auprochaintome!Merciàmespremierslecteurs:Thessa,Kelly,Rachel,KiaetLynn,vousavezeuentre lesmainsuneversion très imparfaite,unpremier jet, etvos retoursont été fantastiques. J’adore le résultat final, et il ne serait pas aussi bonaujourd’huisansvotreintervention.Thessa, merci de t’être impliquée dès le début, en m’assurant que ce livren’étaitpasuntorchonetenmefaisantrireàchaquee-mail.Ah!Etmercidem’avoirsuppliéed’écrirel’histoiredeFlammeetMaddie!Affaireàsuivre…Àmonmariquiadûsupportermesmomentsdedécouragementetmescrisesexistentielles:tuestoujourslàpourmoi,jet’adore!KellyMoorhouse est tout bonnement l’une des meilleures personnes que jeconnaisse :blogueuse littéraire,organisatricedevoyagesetmaintenantbêta-lectrice, sans oublier amie avant tout. Tu m’épates et je suis emplie dereconnaissancepourtoutcequetufais.Maman,Samettoutelatribu…jevousadore!Enfinunementionspécialepourlesblogueursquiontdonnéunechanceàcelivre (et à son auteure).Vous avez été nombreux àm’apporter votre soutiendans cette aventure relativement nouvelle pour moi. Gitte et Jenny deTotallyBooked, Smitten et Lezley-Lynn de Book Blog : vous déchirez tout !Lezley-Lynn, tu es carrément épatante, merci d’avoir créé mon équipe depromo fabuleuse : Tillie’s Hot Cole’s. J’adore ce groupe et je tiens à vousremercierpourvotresoutien!Partonsàlaconquêtedumonde!!Lysa,monextravaganteWebdesignerdeBoston,lapersonnelaplusdrôledumonde!Mercimillefois!Etenfinmerciàvousmeslecteurs!Je n’ai pas demots pour exprimerma reconnaissance, vousme réduisez ausilence…
TillieCole est originairedunordde l’Angleterre, où elle agrandidansuneferme,entouréedesanimauxrecueillisparsafamille.Titulaired’undiplômeensciencesdesreligions,elleaparcourulemondeencompagniedesonmarirugbyman et enseigné les sciences sociales avant de s’installer à Austin auTexas.Elleaécritdenombreuxromansdansdesgenres trèsdifférents,pourlesadultesetlesjeunesadultes,rencontrantchaquefoisunsuccèsretentissant.
Dumêmeauteur,chezMilady:
HadesHangmen:1.Hors-la-loi2.Sansfoiniloi
SweetHome:1.SweetLove2.SweetRome3.SweetFall
www.milady.fr
MiladyestunlabeldeséditionsBragelonne
Titreoriginal:ItAin’tMe,BabeCopyright©TillieCole2014
Tousdroitsréservés.
©Bragelonne2017,pourlaprésentetraduction
Photographiesdecouverture:©Shutterstock
L’œuvreprésentesurlefichierquevousvenezd’acquérirestprotégéeparledroitd’auteur.Toutecopieouutilisationautrequepersonnelleconstitueraunecontrefaçonetserasusceptibled’entraînerdespoursuitescivilesetpénales.
ISBN:978-2-8112-2912-2
Bragelonne–Milady
60-62,rued’Hauteville–75010Paris
E-mail:[email protected]:www.milady.fr
CouvertureTitreDédicaceNotedel’auteureGlossairePrologueChapitrepremierChapitre2Chapitre3Chapitre4Chapitre5Chapitre6Chapitre7Chapitre8Chapitre9Chapitre10Chapitre11Chapitre12Chapitre13Chapitre14Chapitre15Chapitre16Chapitre17Chapitre18Chapitre19Chapitre20Chapitre21Chapitre22Chapitre23Chapitre24Chapitre25Chapitre26
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