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Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

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HOMMAGE

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DU MÊME AUTEUR :

Nietzsche, Éditions sociales internationales, 1938.

Le Marxisme, coll. « Que sais-je? », n° 300, P.U.F.

Pour connaître la pensée de Lénine, Édit. Bordas, 1957.

Problèmes actuels du marxisme, P.U.F., 1958, réédité 1970.

Critique de la vie quotidienne, vol. 1 : Introduction, 1958; vol. II : Fondement

d'une sociologie de la quotidienneté, L'Arche, 1961.

Introduction à la modernité, Édit. de Minuit, 1962.

Marx, coll. « Philosophes », P.U.F., 1964.

Métaphilosophie, Édit. de Minuit, 1965.

La Proclamation de la Commune, Gallimard, 1964.

Sociologie de Marx, P.U.F., 1966.

Le Langage et la Société, coll. « Idées », Gallimard, 1966.

Position : contre les technocrates, Gonthier, 1967.

Le Droit à la ville, Anthropos, vol. I, 1968; vol. II, 1973.

La Vie quotidienne dans le monde moderne, coll. « Idées », Gallimard, 1968.

L'Irruption : de Nanterre au sommet, Anthropos, 1968.

Logique formelle et Logique dialectique, réédition avec une préface nouvelle,

Anthropos, 1969.

Du rural à l'urbain, Anthropos, 1970.

Manifeste différentialiste, coll. « Idées », Gallimard, 1970.

Révolution urbaine, coll. « Idées », Gallimard, 1970.

La Fin de l'histoire, Édit. de Minuit, 1970.

Au-delà du structuralisme, Anthropos, 1971.

La Pensée marxiste et la Ville, coll. « M.-O », Casterman, 1972.

La Survie du capitalisme, Anthropos, 1973.

La Production de l'espace, Anthropos, 1974.

EN COLLABORATION AVEC NORBERT GUTERMAN :

Morceaux choisis de Karl Marx, coll. « Idées », 2 vol., Gallimard, 1964.

Cahiers de Lénine sur la dialectique de Hegel, coll. « Idées », Gallimard, 1967.

Morceaux choisis de Hegel, coll. « Idées », 2 vol., Gallimard, 1969.

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HEGEL - MARX - NIETZSCHE

ou

LE ROYAUME DES OMBRES

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D A N S L A M Ê M E C O L L E C T I O N

A r t e t O r d i n at e u r , p a r A b r a h a m A . MOLES.

L e s A r t s d e l ' e sp a ce , p a r H e n r i V AN LIER ( 5 é d i t i o n , 1 6 m il l e) .

L ' I n t e n t i o n s e x u e l l e , p a r H e n r i V A N L I E R .

L e N o u v e l A g e, p a r H e n r i V AN LIER (3 e é d i t i o n , 1 0 m i l le ) .

L e s H o m m e s d u f u t u r , p a r J e a n MARABINI ( 2e é d i t i o n , 9 m i ll e ).

Vous se r ez comme des d ieux , pa r He inr ich SCHRIMBECK.

C o n s t r u i r e p o u r s ur vi v re , p a r R i c h a r d NEUTRA.

A r c h i t e c t u r e a c t i v e , p a r A n d r é WO G E N S C K Y .

L ' H o m m e i n a c h e v é , p a r O d e t t e T H I B A U L T .

I n t r o d u c t i o n à l ' I n d u s t r i a l D e s i g n , p a r G i l l o D O R F L E S .

ISBN 2-203-23109-2

© Casterman 1975

Droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays.

Toute reproduction, même partielle, de cet ouvrage est interdite.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit, photo-

graphie, microfilm, bande magnétique, disque ou autre, constitue

une contrefaçon passible des peines prévues par la loi du

11 mars 1957 sur la protection des droits d'auteur.

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« Le sys tème de la logique es t le royaume des ombres . . . Le

séjour e t le t ravai l dans ce royaume, c 'es t la disc ipl ine absolue de

la conscience. . . »

HEGEL

« L'espr i t de théor ie , une fois qu ' i l a c onquis sa l iber té interne ,

t end à deveni r énerg ie pra t ique : i l sor t du royaume des ombres

et agi t comme volonté sur la réa l i té matér ie l le externe . . . »

MARX

« J 'achèvera i ma s ta tue , ca r une ombre m'es t apparue ; tou t

ce qu ' i l y a de s i lencieux e t de léger dans le monde m'es t un jour

appa ru . La beau t é du S urhuma in m 'e s t app a rue comme une ombre . »

ZARATHOUSTRA

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C H A P I T R E I

L E S T R I A D E S

1. — Sans fa ire appe l pou r comme ncer à d 'au t res conna i s sances

qu 'é lémentai res , à d 'aut r es con s ta ta t i ons qu e so mmaires , on p eut

énoncer les proposi t ions suivantes :

a) Le mo nde mod erne est hégélien. E n effet , Hegel éla bor a

e t poussa jusqu 'à ses de rn iè res conséquences l a théor ie pol i t ique

de l 'Éta t -nat ion. I l a ff i rma la réal i té e t la valeur suprêmes de

l 'Éta t . L 'hégél ianisme pose , en pr incipe , la l ia ison du savoir e t

du pouvoir ; i l la légi t ime. Or , le nombre des Éta ts -nat ions ne

cesse d 'augmenter (cent c inquante , environ) . I l s couvrent la surface

terres t re . Même s ' i l es t vra i que les nat ions e t les Éta ts -nat ions

ne sont plus que façades e t couvertures , cachant des réal i tés capi-

ta l i s tes plus vas tes (marché mondial , f i rmes mul t inat ionales) , ces

façades e t ces couvertures n ' en sont p as mo ins une réali té : no n

plus fins, mais instruments et cadres efficaces. Quelle que soit

l' idéologie qui l ' inspire, l ' Ét at s 'affirme par to ut , en uti l isant à la

fois le savoir et la contrainte, sa réal i té et sa valeur, indissolu-

blement. Le caractère défini et défini t if de l 'État , dans la conscience

pol i t ique qu ' i l impose, se confi rme, aut rement di t son caractère

conservat i f e t même contre-révolut ionnaire (quel le que soi t l ' idéo-

logie officiel le, même « révolutionnaire »). Dans cette perspective,

l 'État englobe e t se sub ord onn e la réali té que Hegel no mm e :

« sociéte civi le », c 'est-à-dire les rapports sociaux. I l prétend

contenir et définir la civi l isat ion.

b) Le monde moderne est marxiste. En effet , depuis quelques

dizaines d 'années , les préoccupat ions essent ie l les des pouvoirs

di ts publ ics sont : la croissance économique, cons idérée comme

base de l 'exis tence e t de l ' indépendance nat ionales , donc l ' indus-

t r ia l i sa t ion, la product ion. Ce qui ent ra îne des problèmes en ce

qui concerne l e rap po r t de l a c lasse ou vr iè re ( t rava il l eurs pro-

duct i fs ) avec l 'Éta t -nat ion, a ins i qu 'une re la t ion nouvel le ent re

le savoir et la pro du ct io n, do nc en tre ce savoir et les po uv oi rs

qui contrôlent la product ion. I l n 'es t ni évident ni cer ta in que le

savoi r se subor don ne au po uvoi r e t que l 'É ta t a i t pou r lu i l 'é t ern i té .

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La p lani f i cat ion ra t ionnel le es t à l ' o rdre d u jour , ob tenue pa r d ivers

procédés (di rects ou indirects , complets ou par t ie ls) . En un s iècle ,

l ' indus t r i e e t ses conséquences on t changé le monde, c ' es t -à -d i re

la société, plus (sinon mieux) que les idées, les projets poli t iques,

les rêves et u topies . Ce qu ' ava i t po ur l 'essentiel ann onc é et prév u

M a r x .

c) Le monde moderne es t n ietzschéen. Si q ue lqu 'u n a vo ulu

« changer la vie » , b ien que ces mots s 'a t t r ibuent à Rimbaud, c 'es t

bien Nietzsche. Si quelqu 'un a voulu « tout e t tout de sui te » , c 'es t

lui . Les prote s tat io ns et contes t at ions fusent de tous côtés contre

l 'état des choses. Le vivre et le vécu individuels se réaffirment

contre les press ions pol i t iques , contre le product ivisme et l ' écono-

misme. Quand e l l e n 'oppose pas une po l i t ique à une au t re , l a

pro tes ta t ion t rouve appui dans l a poés ie , dans l a mus ique , dans l e

théât re , e t auss i dans l 'a t tente et l ' espoir de l 'ext raordinai re : du

surréel , du surnaturel , du surhumain. La civi l i sat ion préoccupe

beaucoup de gens , p lus que l 'État ou la société . Malgré les effor ts

des forces pol i t iques pour s 'aff i rmer au-dessus du vécu, pour se

sub ord onn er l a socié té e t p our cap tu rer l ' a r t, celui -c i con t ien t

la réserve de la contes tat ion, la ressource de la protes tat ion.

Malgré ce qui le pousse vers le décl in . Ce qui correspond

au souffle ardent de la révolte nietzschéenne : à la défense

obstinée de la civi l isat ion contre les pressions état iques, sociales

et morales .

2 . — Aucune de ces proposi t ions n 'a en el le-même, i solément ,

l 'a l lure d 'un paradoxe. Que le monde moderne soi t hégél ien, cela

peut se montrer — ou se réfuter selon des procédures class iques .

Celui qui veut le prouver doi t autant que poss ible reconst rui re

le sys tème phi losophico-pol i t ique de Hegel , à par t i r des textes .

Ensui te , i l é tudiera l ' inf luence de cet te doctr ine et sa pénétrat ion

dans la vie pol i t ique par divers cheminements ( l 'univers i té , l ' in ter-

prétat ion des événements , l ' act iv i té aveugle des hommes de l 'État ,

é lucidée par la sui te, e tc .) . De m êm e p ou r Ma rx — et pou r Nietzsche.

Mais l a t r ip le énoncia t ion a quelque chose d ' in to lérab lement

paradoxal . Comment ce monde moderne peu t - i l ê t re à l a fo i s cec i

et cela? Comment peut- i l re lever de doctr ines diverses , opposées

par p lus d 'un po in t , vo i re incompat ib les?

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Il ne peut plus s'agir d'influence, pas plus que de référence.

Si le monde moderne « est » à la fois ceci et cela (hégélien et nietzs-

chéen...), il ne peut pas davantage s'agir d'idéologies qui planeraient,

ombres et clartés, nuées et rayons de lumière, au-dessus de la

pratique sociale et politique. Une telle affirmation oblige à saisir

et à définir de nouveaux rapports entre les théories (doctrines)

comme entre les théories et la pratique. Si cette triplicité a un

sens, elle veut dire que chacun (Hegel, Marx, Nietzsche) a saisi

« quelque chose » du monde moderne, quelque chose en train

de se faire. Et que chaque doctrine, pour autant qu'elle ait atteint

une cohérence (l'hégélianisme, le marxisme, le nietzschéisme), ait

déclaré ce qu'elle saisissait, et par cette déclaration, ait contribué

a ce qui se formait dès la fin du XIX siècle pour arriver au XX et

le traverser. De sorte que la confrontation entre ces œuvres é m i -

nentes passe par une médiation, la modernité qu'elles éclairent

et qui les éclaire. Dans un livre antérieur ces doctrines furent

confrontées avec l'historicisme et l'historicité. Ici, l'analyse critique

s élargit en s'efforçant de demeurer concrète.

S'il est vrai que la pensée hégélienne se concentre en un mot,

en un concept : l'État, — que la pensée marxiste met fortement

l' accent sur le social et la société, — que Nietzsche enfin a médité

sur la civilisation et les valeurs, le paradoxe laisse entrevoir un sens

qui reste à découvrir : une triple détermination du monde moderne,

impliquant des conflits multiples et peut-être sans fin, au sein de

la « réalité » dite humaine. Ceci à titre d'hypothèse dont l'ampleur

autorise à dire qu'elle a une portée stratégique.

3. — Étudier Hegel, Marx ou Nietzsche isolément, dans les

textes, n'a plus grande portée; tous les enchaînements textuels ont

été essayés, toutes les déconstructions et reconstructions, sans

d'ailleurs que l'authenticité de telle interprétation s'impose. Quant

a les situer dans l'histoire de la philosophie, dans l'histoire générale

ou dans celle des idées, l'intérêt d'une telle étude contextuelle

semble épuisé, tout autant que celui de l'analyse textuelle.

Reste donc à saisir leurs relations avec le monde moderne,

celui-ci se prenant pour référent, pour objet central d'analyse,

1. Cf. H. LEFEBVRE, La Fin de l'histoire, Éditions de Minuit, Paris, 1971.

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p o u r c o m m u n e m e s u r e ( m é d i a t i o n ) e n t r e l e s d o c t r i n e s e t l e s i d é o -

l o g i e s d i v e r s e s q u i s ' y i n s è r e n t . L e « c o n t e x t u e l » p r e n d a i n s i

u n e a m p l e u r e t u n e p o r té e , u n e r i c he s se d ' i n c o n n u e t d e c o n n u ,

d o n t o n l e p r i v a i t e n l e r é d u i s a n t à t e l l e h i s t o i r e p a r t i c u l a r i s é e

o u g é né ra l i sé e. C o m m e n t H eg e l , c o m m e n t M a r x , c o m m e n t N i e t z s-

c h e o n t - i l s s u r p r i s à l ' é t a t n a i s s a n t , d a n s s e s t e n d a n c e s , l a m o d e r -

n i t é ? C o m m e n t o n t- i l s s ai s i ce q u i é t a i t e n t r a i n d e « p r e n d r e » ?

C o m m e n t e n o n t - i l s f i x é u n a s p e c t e t d é f i n i u n m o m e n t p a r m i

l e s a s p e c t s e t m o m e n t s c o n t r a d i c t o i r e s ?

T r o i s a s t r e s : u n e c o n s t e l l a t i o n . L e u r s é c l a ts se s u p e r p o s e n t

p a r f o i s , p a r f o i s s ' o c c u l t e n t , s ' é c l i p s e n t l ' u n l ' a u t r e . I ls i n t e r f è r e n t .

L e u r s c l a r t és t a n t ô t s ' ac c r o i ss e n t , t a n t ô t p â l i s se n t . I l s m o n t e n t o u

d e s c e n d e n t à l ' h o r i z o n , s ' é l o i g n e n t o u s e r a p p r o c h e n t . T a n t ô t l ' u n

s e m b l e d o m i n a n t , t a n t ô t l ' a u t r e .

L e s p h r a s e s q u i p r é c è d e n t n ' o n t q u ' u n e p o r t é e m é t a p h o r i q u e

e t u n e v a l e u r s y m b o l i q u e . E l le s i n d i q u e n t l a m a r c h e e t l ' h o r i z o n .

E l l e s d é c l a r e n t ( c e q u i r e s t e à m o n t r e r ) q u e l a g r a n d e u r d e s œ u v r e s

e t d e s h o m m e s c o n s i d é r é s n e r e s s e mb l e p l u s à ce ll e d e s p h i l o s o p h e s

c l as s iq u es , P l a t o n e t A r i s t o t e , D e s c a r t e s o u K a n t , q u i c o n s t r u i s a i e n t

u n e g r a n d e a r c h i t e c t u r e d e c o n c e p t s . C e t t e « g r a n d e u r » c o n s i s t e

d a n s u n c e r t a i n r a p p o r t a u « r ée l » , à l a p r a t i q u e . E l le n ' es t d o n c

p a s d ' o r d r e p h i l o lo g i qu e , r e p r é s e n t a bl e à p a r t i r d u l a n g a ge . N e u v e ,

m é t a p hi l o s o ph i q u e , e ll e d o i t e l l e - m ê m e s e d é f i ni r à p a r t i r d u d é c h i f -

f r e m e n t d e l ' é n i g m a t i q u e : l a m o d e r n i t é .

4. — R e p r e n o n s l ' h é g é l i a n i s m e ( r ie n n e d i t q u e c e t t e r e pr i s e

s e r a l a d e r n i è r e ) . É n o r m e , p i v o t a l , H e g e l t r ô n e s o l it a i re à l a f in

d e l a p h i l o s o p h i e c l a s s i q u e , à l ' o r é e d e l a m o d e r n i t é . S o l i t a i r e ,

i l r a s s e m b l e p o u r t a n t u n e t o t a l i t é h i s t o r i c o - p h i l o s o p h i q u e e t l a

s u b o r d o n n e à l 'É t a t . D ' o ù v i en t s a « m o d e r n i t é » ?

a ) E n p r e m i e r l i eu , d e ce q u ' i l a d o n n é f o r m e s y s t é m a t i q ue a u

L o g o s o e c i de n t a l , d o n t l a g e n è se d é b u t e a v e c le s Gr e c s , l a p h i l o -

s o p h i e e t l a c i t é a n t i q u e s . A p r è s d e u x m i l l e a n s , c o m m e A r i s t o t e ,

m a i s e n t e n a n t c o m p t e d e l ' a c q u i s a u c o u r s d e l ' hi s to i re , H e g e l

r e c e n s e le s t e r m e s ( c a t é g o r i e s ) d u d i s c o u r s e f fi ca ce e t m o n t r e q u ' i l s

s e r e l i e n t e n u n e n s e m b l e c o h é r e n t : u n s a v o i r , s o u r c e e t s e n s ( f in a li té )

d e t o u t e c o n s ci e n ce . I m p e r s o n n e l , l e L o g o s n e r e st e p a s s u s p e n d u

e n l ' ai r . L a R a i s o n s u p p o s e u n « su j et » q u i n e s o it p a s u n i n d i v i d u

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q u e l c o n q u e , u n e p e r s o n n e o u c o n s c i en c e a cc i d en t e ll e . C e t t e r a t i o -

n a l i t é s ' i n c a r n e d a n s l ' h o m m e d ' É t a t e t s e r é a l i s e d a n s l ' É t a t

l u i - m êm e . D e s o r t e q u e l ' É t a t se si t ue a u n i v e a u p h i l o s o p h i q u e le

p l u s é l e v é , a u - d e s s u s d e c e s d é t e r m i n a t i o n s é m i n e n t e s : l e s a v o i r

e t l a c o n s c i e n c e , l e c o n c e p t e t l e s u j e t . I l e n v e l o p p e c e s c o n q u ê t e s

d u d é v e l o p p e m e n t . I l e n g l o b e m ê m e l o g i q u e m e n t , c ' e s t - à - d i r e d a n s

u n e c o h é s i o n s u p r ê m e , l e s r é s u l t a t s d e s l u t t e s e t d e s g u e r r e s ,

c e s t - à - d i r e d e s c o n t r a d i c t i o n s h i s t o r i q u e s ( d i a l e c t i q u e s ) . L ' É t a t ,

« s u j e t » p h i l o s o p h i q u e a b s o l u , e n q u i l a r a t i o n a l i t é s ' i n c a r n e ,

i n c a r n e l u i - m ê m e l ' I d é e , c ' e s t - à - d i r e l a d i v i n i t é . D ' o ù c e s d é c l a -

r a t i o n s t o n i t r u a n t e s , s u r l e s q u e l l e s i l f a u d r a r e v e n i r c a r o n n e p e u t

l e s l a i s s e r s ' i n s t a l l e r d a n s l a f a u s s e s é r é n i t é e t l a m e n s o n g è r e l é g i -

t i m i t é d e l a p h i l o s o p h i e é t a b l i e , i n s t i t u t i o n n e l l e e t r e c o n n u e c o m m e

t el le . L ' É t a t é t a n t « l ' a c t u a li t é d e l ' I d é e » , e n t a n t q u ' e s p r i t o b je c ti f ,

l ' i n d i v i d u « n ' a d ' o b j e c t i v i t é , d e v é r i t é e t d ' e x i s t e n c e é t h i q u e q u e

c o m m e m e m b r e d e l ' É t a t » . L ' É t a t se p e n s e à t r a v e rs les p e n s é es

d e s i n d i v i d u s q u i d i s e n t « j e » , c o m m e i l se ré a l is e à t r a v e r s l e s

i n d i v i d u s e t l e s g r o u p e s q u i d i s e n t « n o u s » ( c f . L a R a i s o n d a n s

l ' h i st o i r e t r a d . G i b e l i n , V r i n É d . , p p . 2 8 e t s q .) . L ' o r i g i n e h i s t o r i q u e

d e l ' É t a t ( d e c h a q u e É t a t ) n ' i n t é r e s s e p a s l ' I d é e d e l ' É t a t . L e s a v o i r ,

l a v o l o n t é , l a l i b e r t é , l a s u b j e c t i v i t é n e s o n t q u e d e s « m o m e n t s »

( é l é m e n t s , p h a s e s o u é t a p e s ) d e l ' I d é e t e l l e q u ' e l l e s e r é a l i s e d a n s

l' É t a t , à l a f o i s e n s o i e t p o u r s o i ( c f. P h i l o s o p h i e d u d r o i t , s e ct .

257 e t s q . ) .

A i n s i H e g e l l é g i t i m e l a f u s i o n d u s a v o i r e t d u p o u v o i r d a n s

l ' É t a t , le p r e m i e r se s u b o r d o n n a n t a u s e c o n d . L ' e ff ic ac i té o r g a n i -

s a tr i ce e t l a v i o l en c e c o n t r a i g n a n t e , g u e r r e c o m p r i s e , se r e j o i g n e n t

e t c o n c o u r e n t d a n s l ' É t a t , l a p r e m i è r e j u s t i f i an t l a s ec o n d e d a n s u n e

P a r f a i t e r é c i p r o c i t é e t r a s s e m b l a n t d a n s l ' o r d r e p o l i t i q u e c e q u i

s e m b l a i t s p o n t a n é ( l a f a m i l l e , l e t r a v a i l e t l e s m é t i e r s , e t c . ) . L a

c a p a c i t é r ép r e s si v e d e l ' É t a t s e r é v èl e d o n c e n s o n f o n d r a t i o n n el l e .

D o n c l é g it i me . C e q u i d u m ê m e c o u p l é g i t im e e t j u st i fi e le s g u e r r e s

e n p a r t i c u l i e r , l a g u e r r e e n g é n é r a l . P o u r H e g e l c o m m e p o u r

M a c h i a v e l , l a v i o l e n c e e s t u n e c o m p o s a n t e d e l a v i e p o l i t i q u e , d e

l' É t a t . P l u s , e l le a u n c o n t e n u e t u n s e n s ; e ll e o u v r e l a r o u t e d e l a

r a i s o n . L a l o i ( c o n t r a i g n a n t e ) e t l e d r o i t ( n o r m a t i f ) , n é c e s s a i r e s e t

s uf fi sa nt s p o u r q u e l a so c i ét é e t ses r o u a g e s c o m p l e x e s f o n c t i o n n e n t

s o u s l e c o n t r ô l e d e l ' É t a t , d é s i g n e n t u n e m ê m e r é a l i t é p o l i t i q u e .

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A i n s i l a r a t i o n a l i t é i n h é r e n t e à t o u s l e s m o m e n t s d e l ' h i s t o i r e

e t d e l a p r a t i q u e q u o t i d i e n n e s e c o n c e n t r e d a n s l ' É t a t . I l t o t a l i s e

l é g i t i m e m e n t , s o u v e r a i n e m e n t , l a m o r a l e e t l e d r o i t ( l a l o i ) , l e s

c o r p s s o c i a u x e t l e u r s f o n c t i o n s p a r t i c u l i è r e s ( l a f a mi l l e , l es n a t i o n s

e t c o r p o r a t i o n s , l e s v i l l e s e t l e s r é g i o n s d u t e r r i t o i r e n a t i o n a l ) ,

l e s y s t è m e d e s b e s o i n s e t l a d i v i s i o n d u t r a v a i l ( q u i c o r r e s p o n d

e x a c t e m e n t a u x b e so i ns ) . D e m ê m e q u e l a c o n sc i en c e a u n e

t r i p l e o r i g i n e ( l a s e n s a t i o n , l ' a c t i v i t é p r a t i q u e , l ' a b s t r a c t i o n ) q u i

l a h is se j u s q u ' a u n i v e a u s u p é r i e u r d e l a c o n s c ie n c e p o l i t i q u e, d e

m ê m e l ' E t a t a u n e o r i g i n e t r i a d i q u e : l e t r a v a i l p r o d u c t i f , l ' h i s t o i r e

e t s es co n f li t s , l a p r a t i q u e s o c i o - p o l i t i q u e , q u i l e m è n e à l a p e r f e c t i o n .

C e s t r ip l i ci t és a s s o c i ée s e t i n t e r a g i s s a n t e s p r o d u i s e n t u n e t o t a l i t é

v i v a n t e , o r g a n i q u e e t r a t i o n n e l l e à l a f o i s : l ' É t a t . C o n s i d é r é g é n é -

t i q u e m e n t , il n ' e s t a u t r e q u e l ' h u m a n i t é r a i s o n n a b l e , o b é i s s a n t à

l ' a p p e l d e l ' Id é e, q u i s ' a u t o - p r o d u i t a u c o u r s d e l ' h i st o ir e . E n b r ef ,

l ' É t a t c i m e n t e e t c o u r o n n e l e c o r p s s o c i a l , q u i s a n s l u i t o m b e r a i t

e n m i e t te s — s ' a t o m i s e r a i t — à s u p p o s e r q u e c e t te h y p o t h è s e a i t l e

m o i n d r e s e n s .

L e f é t i c h i s m e h é g é l i e n d e l ' É t a t p e u t e f f r a y e r l e c i t o y e n o u l e

l e c te u r d ' u n o u v r a g e p h i l o s o p h i q u e , e t le r é s u m é q u i v i e n t ( u n e fo i s

d e p l u s ) d ' ê t r e s o u m i s à c e l ec t e ur lu i p a r a î t p e u t - ê t r e m o n s t r u e u x ,

s a n s r a p p o r t a v e c l a r é a l i t é p o l i t i q u e . O r , c e t t e i m p r e s s i o n s ' e f f a c e

d è s q u e l ' e x p o s é e n t r e d a n s l e d é t a i l d e l ' a n a l y s e e t d e l a s y n t h è s e

h é g é l i e n n e s , q u i é t o n n e n t e t q u i f r a p p e n t p a r l e u r c a r a c t è r e à l a

f o i s c o n c r e t e t a c t u e l ( m o d e r n e ) .

b ) L ' É t a t r a t i o n n e l , d o n c c o n s t i t u t i o n n e l , a s e l o n H e g e l u n e

b a s e s o c i a l e : l a c l a s s e m o y e n n e . E n c e t t e c l a s s e s e t r o u v e l a c u l t u r e

q u i r e j o i nt e n l a p o r t a n t l a c o n s c i e n c e d e l ' É ta t . P a s d ' É t a t m o d e r n e

s a n s c l a s s e m o y e n n e , s o n a s s i s e p o u r c e q u i e s t d e l ' i n t e l l i g e n c e

c o m m e d e l a l é g a l it é ( P h i l o s o p h i e d u dr o i t , se ct . 2 9 7 , Z u s a t z ) . N i

l e s p a y s a n s n i l e s o u v r i e r s , c l a s s e s t r a v a i l l e u s e s e t p r o d u c t i v e s ,

n e p e u v e n t c o n s t i t u e r l es p i l i e r s d e l ' É ta t . D a n s c e t t e cl as s e m o y e n n e

s e r e c r u t e n t , s o i t p a r c o o p t a t i o n s o i t p a r v o i e d e c o n c o u r s , l e s

f o n c t i o n n a i r e s ( c f . E n c y c l o p é d i e , s e c t . 5 2 8 ) . U n e b u r e a u c r a t i e

c o m p é t e n t e , s é l e c t i on n é e p a r d e s é p r e u v e s s é v è re s , v o i l à l a v é r i t a b l e

b a s e s o c i a l e e t l a s u b s t a n c e d e l ' É t a t .

I l y a d o n c p o u r H e g e l d e s c l as se s s oc i al e s e t m ê m e d e s l ut t e s

( c o n t r a d i c t i o n s ) e n t r e c e s c l a s se s : l a cl a s se n a t ur e l l e , e n r a c i n é e d a n s

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l e s o l , l e s p a y s a n s ; l a c l a s s e a c t i v e r é f l é c h i e , a r t i s a n s e t o u v r i e r s ,

q u i p r o d u i t l ' a c c u m u l a t i o n d e s r i c h e s s e s , l ' i n d i v i d u s ' y c a r a c t é -

r i s a n t p a r s o n h a b i l e t é ( s u b j e c ti v e ) ; l a c la s s e p e n s a n t e e n f in , m é d i a -

t r i c e e n t r e l e s d e u x c l a s s e s p r o d u c t i v e s , m é d i é e p a r s o n s a v o i r ,

q u i m a i n t i e n t e t g è r e l ' e n s e m b l e s o c i a l d a n s l e c a d r e é t a t i q u e . C e s

t r o i s c l a s s e s c o n s t i t u e n t l a s o c i é t é c i v i l e , a v e c s o n i n t e r m é d i a i r e

( m é d i a t i o n ) v e r s l e p o l i t i q u e , à s a v o i r l a b u r e a u c r a t i e , é m e r g e a n t

d e l a c l a ss e p e n s a n t e ( m o y e n n e : i n t e r m é d i a i r e , m é d i a t r i c e e t m éd i é e ) .

L e s c o n f l i t s e n t r e c e s c l a s s e s , é l é m e n t s ( m o m e n t s ) d e l a s o c i é t é

c iv il e, p o u s s e n t c e ll e- ci h o r s d ' e l l e - m ê m e e t a u - d e s s u s d ' e l l e - m ê m e ,

v e rs l ' é t a b l i s s e m e n t d ' u n e c l as s e p o l i ti q u e, l i ée d i r e c t e m e n t ( i m m é -

d i a t e m e n t , c ' es t - à- d i re s a n s m é d i a t i o n ) à l ' É t a t , c o n s t i t u a n t d o n c

s o n a p p a r e i l . C ' e s t l a f r a n g e s u p é r i e u r e d e l a b u r e a u c r a t i e q u i

c on st i tu e ( qu i i n s t i t ue d a n s l a c o n s t i t u t i o n ) l a p a r t i e i n fé r i eu r e d u

p e r s o n n e l a u p o u v o i r , a u t o u r d es pr i nc e s, m o n a r q u e s , c h e fs d ' É t a t .

C e s o n t d o n c l e s c o n t r a d i c t i o n s ( l a d i a l e c t i q u e i n t e r n e ) d e

l a s o c i é t é c iv il e q u i e n g e n d r e n t l ' É t a t e t l a c l a s se p o l i t i q u e .

C e l l e - c i , r e p r é s e n t a n t l ' a c t i o n é t a t i q u e e t l ' e f f e c t u a n t , p e u t s e

r e t o u r n e r v e r s s es p r o p r e s c o n d i t i o n s ; e l le a l a c a p a c i t é d e r e c o n -

n a î t r e l es r a p p o r t s ( s o c i a u x ) e n t r e l es m o m e n t s ( é l é me n t s , m e m b r e s ,

p d e l a so ci ét é c iv i l e , d e dé c el er l eu rs co n f l i t s e t de les r é s o u d r e ,

d e f a ç o n q u e l ' É t a t s e c o n s e r v e e n t a n t q u e t o t a l i t é c o h é r e n t e

e n v e l o p p a n t d e s m o m e n t s c on t ra di c t o ir es . D a n s c e bu t , l a c o u c h e

d i r i g e a n t e ( cl as se p o l i t i q u e ) a l e d r o i t d e se d é g a g e r d e t o u s a u t r e s

t r a v a u x e t o b l i g at i o n s , e t p a r c o n s é q u e n t d e r e c ev o i r p r i x et r é c o m -

p e n s e s p o u r s o n a c t i v i t é r e s p o n s a b l e ( h o n n e u r s , a r g e n t ) . I l e n

r é s u l t e q u e c e t t e c l a s s e f o n d a m e n t a l e m e n t h o n n ê t e , s o m m e t d e l a

p y r a m i d e , n e r e p r é s e n t e p a s s e u l e m e n t l a s u b s t a n c e s o c ia l e : e ll e

e st c e t t e s u b s t a n c e , e n d ' a u t r e s t e r m e s « l a v ie d u t o u t » , l a p r o -

d u c t i o n c o n s t a n t e ( l a r e p r o d u c t i o n ) d e l a s o c i é t é , d e l ' É t a t , d e l a

c o n s t i tu t i o n , d e l ' ac t e p o l i t i q u e l u i - m ê m e q u i c o n s i s te à g o u v e r n e r

( c f . E nc yc l opé d i e , s e c t . 542 ) .

L a p h i l o s o p h i e ? D o u b l e e t o m b r e d u s y s t è me p ol i t iq u e a c he vé ,

l e s y s t è m e p h i l o s o p h i q u e p a r f a i t l e c o n s a c r e , l e lé g it i me , l e f o n d e .

L a p h i l o s o p h i e c o m m e t e ll e s ' a c c o m p l i t d a n s l ' h ég é l i an i s me , q u i

r é s u m e e t c o n d e n s e s o n hi s t o i r e ; d a n s l ' É t a t d o n t l e s ys t è me

a p p o r t e l a t h é o r i e , e l l e s e r é a l i s e e n t i è r e m e n t . L a p h i l o s o p h i e ,

s e r v i c e p u b l i c , a c c o m p a g n e l ' É t a t . D e m ê m e q u e l ' E t a t t o t a l i s e

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r a t i o n n e l l e m e n t s e s « m o m e n t s » h i s t o r i q u e s , p r a t i q u e s , s o c i a u x ,

c u l t ur e l s et a u t r es , d e m ê m e l e s y s t èm e p h i l o s o p h i c o - p o l i t i q u e u n i t

l e r a t i o n n e l e t l e r é e l , l ' a b s t r a i t e t l e c o n c r e t , l ' i d é a l e t l ' a c t u e l ,

l e p o s s i b l e e t l ' a c c o m p l i . L e s a v o i r ( t h é o r i q u e ) e t l a p r a t i q u e

( s o c io - p ol i t i q ue ) c o ï n c i d e n t é g a l e m e n t d a n s u n s a vo i r -f a i re

a d m i n i s t r a t i f .

I l e n r é su l t e c e tt e c o n s é q u e n c e , o u p l u t ô t c e tt e i m p l i c a t i o n

l o g i q u e : l ' h i s t o i r e a t t e i n t s o n t e r m e . P r o d u c t i v e , e l l e a g é n é r é

t o u t c e qu ' el l e p o u v a i t ( le t o u t ) e n g e n dr e r . Q u a n d ? A v e c l a R é v o l u -

t i o n f r a n ç a i s e e t N a p o l é o n ( c f . P h i l o s o p h i e d e l ' h i s t o i r e , t r a d .

G i b e l i n , p p . 4 0 3 e t s q. ). P o u r q u o i ? P a r c e q u e l a R é v o l u t i o n e t

N a p o l é o n o n t p r o d u i t c e q u i les d é p a s se e t les c o n s a c r e : l ' É t a t -

n a t i o n . M a r q u é e p a r d e s l u t t e s e t d e s é m er g e n c e s , — l es f i gu re s

d e l a c o n s c i e n c e i n d i v i d u e l l e e t s o c i a l e , l e s p h a s e s d e l a c o n n a i s -

s a nc e , — l ' h i s to r ic i té r e - p r o d u i t s a c o n d i t i o n i ni t ia le e t s o n c o n t e n u

f i na l : l ' I d ée . E l l e c o m p r e n d t r o i s m o m e n t s : le t r a v a i l p r o d u c t i f ,

l e s a v o i r c o n c e p t u e l a u t o - g é n é r é , l a l u t t e c r é a t r i c e p a r l a q u e l l e l e

m o m e n t s u p é r i e u r n a î t d e l ' i n f é r i e u r e t l e d o m i n e e n l ' a ss u j e t t i s sa n t

( d o n c e n l e c o n s e r v a n t ) . O r i g i n e ( c a c h é e ) e t f in ( m a ni f e s t e ) d e t o u t e s

c h o s e s , d e t o u t a c t e e t d e t o u t é v é n e m e n t , l ' I d é e s e r e c o n n a î t d a n s

l a p l é n i t u d e , c e l l e d e l ' É t a t . I l n ' y a n i h a s a r d n i c o n t i n g e n c e ,

s i n o n a p p a r e n t s . A v e c l ' É t a t m o d e r n e f i n i t l e t e m p s , e t l e r é s u l t a t

d u t e m p s s ' é t a l e ( s ' ac t u a l i se e n p r é s e n c e t o t a l e ) d a n s l ' e sp a c e.

C ' e s t le c r é p u s c u l e d e l a c r é a t i o n , l e So le i l c o u c h a n t , l ' O c c i d e n t

L a T r i n i t é o u T r i a d e s p é c u l a t i v e ( t r a v a i l , a c t i o n , p e n s é e ) s ' a c h è v e

d a n s s o n t r i o m p h e e t e n t r e d a n s s a n u i t é t o i l é e . D a n s l a s a g e s s e

mortelle

Qui se défendrait d'un frisson de terreur en comparant le

caractère monstrueux (monstrueusement rationnel) de la théorie

de l'État chez Hegel, avec le caractère concret des analyses détaillées

qui la supportent et l'actualisent? Montée de la classe moyenne

au-dessus des classes travailleuses, importance socio-économique

croissante de cette classe moyenne mais illusoire importance

politique, subordination de cette « base » socio-économique à

une bureaucratie, à une technocratie, à une classe supérieure qui

2. Cf. la fin de la Phénoménologie, déjà citée et commentée dans La Fin de l'histoire,

Éditions de Minuit, Paris, 1970, et les dernières pages de la Philosophie de l'histoire,

de Hegel.

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7/23/2019 Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

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é m e r g e d e l a c l a s s e m o y e n n e , f o r m a t i o n d ' u n e c l a s s e p o l i t i q u e ,

t o u s c e s a s p e c t s d e l a « m o d e r n i t é » o n t é té s ai si s, p r é v u s , a n n o n c é s

p a r H e g e l a u d é b u t d u X I X si èc le . I l y a j o i n t l e d é v o i l e m e n t d e

l ' a u t r e as p ec t , ce lu i q u ' o n m é c o n n a î t , q u ' o n i g n o r e o u d i s s i mu l e

d a n s l e m o n d e m o d e r n e : l e p o r t r a i t v é r i di q u e d u m o n s t r e , v u d e

l a t êt e c r u e l l e m e n t p e n s a n t e a u x m e m b r e s a g i ss a n ts — le g é a n t

s u r h u m a i n e t t r o p h u m a i n : l ' É t at .

S u r l e p a r a d o x e , l e m o n s t r e t r i p o d e e t s a v i s i o n r a t i o n n e l l e

c h e z H e g e l , s u r s o n a p p r o b a t i o n p a r l e p h i l o s o p h e e t l e c e r t i f i c a t

d e b o n n e c o n d u i t e d o n n é p a r l a p h i lo s o ph i e , s u r l a j o n c t i o n d u

s a vo i r e t d u p o u v o i r , d u L o g o s o c c i d e nt a l e t de l a R a i s o n d ' É t a t ,

s u r c e t e n s e m b l e i n t o l é r a b l e d e « v é r i t é » , i l f a u d r a r e v e n i r . E n

p a r t a n t d e c et t e c o n c e p t i o n c e n tr a l e : l ' É t a t h é g é l i e n a p r o d u i t

d a n s l e t e m p s h i s t o r i q u e s e s m o m e n t s , s e s é l é m e n t s , s e s m a t é r i a u x ;

d a n s l ' e s p a c e r é s u l t a n t , i l l e s r e - p r o d u i t , i m m o b i l e m o u v e m e n t .

P u i s q u e « c h a q u e m e m b r e , d è s q u ' i l s e m e t à p a r t , s e d i s s o u t » ,

l e m o u v e m e n t , l a s p h è r e t o u r n o y a n t e , l a r o n d e , e n u n m o t l e

s y s t èm e , s o n t a u s s i « r e p o s t r a n s p a r e n t e t s e r e i n », d i t l a P h é n o -

m é n o l o g i e . A i n s i l ' É t a t h é g é l i e n f o u r n i t l e m o d è l e d ' u n s y s t è m e

a u t o - g é n é r é e t a u t o - e n t r e t e n u , s e r é g u l a n t l u i - m ê m e , c ' e s t - à - d i r e

d e l ' a u t o m a t i s m e p a r f a i t C o l os s a l e a r c h i t e c t o n iq u e , n é ce ss a i re

e t s u f f i s a n t , i l e s t l à ( e s i s t s o ) . C ' e s t a i n s i . ( C e f u r e n t , d i t - o n , l e s

d e r n i è r e s p a r o l e s d e H e g e l m o u r a n t . )

5. — R e c o ns i d é r o n s m a i n t e n a n t c e q u ' o n n o m m e c o u r a m m e n t

« le m a r x i s m e ». ( F a u t - i l r é p é t e r q u e c e ne s e r a n i la p r e m i è r e n i

l a d e r n i è r e f o i s ? )

R e m a r q u e p r é a l a b l e : l ' h é gé l i an i s me p e u t se dé fi ni r c o m m e

s y s t è m e . C e r t e s , l e s s p é c i a l i s t e s d e l ' h i s t o i r e p h i l o s o p h i q u e c o n -

n a i s s e n t l e s d i f f i c u l t é s q u i p r o v i e n n e n t d e l a d i v e r s i t é d e s t e x t e s

h é g él i e ns , d e l e u r s d a t e s . L ' a c c o r d e n t r e l a p h é n o m é n o l o g i e ( d es -

c r i p t i o n e t e n c h a î n e m e n t d e s f i g u r e s e t m o m e n t s d e l a c o n s c i e n c e ,

t a n t d a n s l ' i n d i vi d u q u e d a n s l ' h u m a n i t é e n m a r c h e ) a v e c l a l og iq ue

( c e q u i c o m p r e n d l e r a p p o r t d e l a l o g i q u e f o r m e l l e , t h é o r i e d e l a

3. Conception reprise récemment par des auteurs qui s'ignorent et semblent

méconnaît re leur source commune : M. CLOUSCARD, L'Êt re et le code, Mouton , 1973;

Y. BAREL, La Reproduction, Éditions Anthropos, Paris, 1973; J. BAUDRILLARD,

Le Miroir de la production, Casterman, Paris, 1973, etc.

Page 19: Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

7/23/2019 Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

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c o h é r e n c e , a v e c l a d i a l e c t i q u e , t h é o r i e d e s c o n t r a d i c t i o n s ) a i n s i

q u ' a v e c l ' h i s to i r e ( c o n s é c u t i o n d e l u t te s , d e v i o l en c e s, g u e r r e s

e t r é v o l u t i o n s ) , c e t a c c o r d n ' a r i e n d ' u n e é v i d e n c e c a r t é s i e n n e .

P o u r t a n t o n p e u t a s s u r e r q u e l a p e n s é e h é g é l i e n n e , a u c o u r s d e l a

v i e d u p h i l o s o p h e , s e p r é c i s e d a n s u n e o r i e n t a t i o n d é f i n i s s a b l e , l e

s y s t è m e p h i l o s o p h i q u e e t p o l i t i q u e .

L e m a r x i s m e ? C e n ' e s t q u ' u n m o t , u n e é t i q u e t t e p o l i t i q u e ,

u n a m a l g a m e p o l é m i q u e . S eu l u n d o g m a t i s m e p é r i m é s ' ef fo rc e

e n c o r e d e t r o u v e r d a n s l e s œ u v r e s d e M a r x u n c o r p s d o c t r i n a l

h o m o g è n e : u n s y s t è me . E n t r e l e s œ u v r e s d e j e u n e s s e , c e ll es d e l ' â g e

m û r , c el le s d e s d e r n i è r e s a n n é e s , i l y a p l u s q u e d e l a d i v e r s i t é

e t a u t r e c h o s e q u ' u n d é v e l o p p e m e n t t r a n qu i l l e à la m a n i è r e d ' u n e

p l a n t e . I l y a d e s f i s s u r e s , d e s v i d e s , d e s c o n t r a d i c t i o n s , d e s i n c o -

h é r e n c e s . P a r e x e m p l e , e n c e q u i c o n c e r n e l a d i a l e c t i q u e ( h é g é -

l i en ne ) d ' a b o r d e x a lt ée e t r e t o u r n é e c o n t r e H e g e l c o m m e u n e

a r m e p r i s e à l ' e n n e m i , p u i s d é n i é e e t r e n i é e , p u i s r e p r i s e d a n s u n e

f o r m e r e n o uv e l é e q u e M a r x n ' a j a m a i s c l a i r e m e n t ex po s ée .

D a n s l a m e s u r e o ù l ' o n p e u t t i re r d ' u n o u v r a g e m o n u m e n t a l — L e

C a p i t a l — u n c o r p s d o c t r i n al , i l c o n v i e n t a u c a p i t a l i s m e c o n -

c u rr e nt i e l , d o n t M a r x p r é v o i t e t a n n o n c e l a d i sp a r i t i on . M a i s

p o u r q u o i s ' a c h a r n e r à c o n s t r u i r e u n t e l e n s e m b l e , p u i s q u e l ' o u v r a g e

e st i n a c h e v é ? P o u r q u o i l e c o n c e v o i r c o m m e u n e t o t a l i t é a d é q u a t e

a u m o d e d e p r o d u c t i o n q u ' i l a n a l y s e e t q u ' i l e xp o s e , le c a p i t a l i s m e ?

I l s e p o u r r a i t q u e l e s d e r n i e r s c h a p i t r e s , n o n m o i n s r i c h e s q u e l e s

p r e m i e r s , c o n t i e n n e n t d e s c o n n a i s s a n c e s q u i n ' a p p a r a i s s e n t q u ' e n

l e s c o n f r o n t a n t a v e c c e q u i s o r t i t a u X X s i è c l e d u c a p i t a l i s m e

c o nc u r re n t ie l , ce lu i d u X I X L a p e n s é e de M a r x p e u t j o u e r a u j o u r -

d ' h u i l e r ô le q u e j o u e l a p h y s i q u e d e N e w t o n p a r r a p p o r t à l a

p h y s i q u e m o d e r n e , c e l l e d e l a r e l a t i v i t é , d e l ' é n e r g i e n u c l é a i r e ,

d e s a t o m e s e t m o l é c u l e s : u n e é t a p e d o n t i l f a u t p a r t i r , u n e v é r i té

à u n e c e r t a i n e é ch el le , u n e d a t e , e n u n m o t u n m o m e n t . C e q u i

i n t e r d i t à l a f o i s l e d o g m a t i s m e , l a r h é t o r i q u e « m a r x i s t e » e t l e s

d i s c o u r s p r é s o m p t u e u x s u r l a m o r t d e M a r x e t d u m a r x i s m e .

P r é c i s o n s d è s m a i n t e n a n t c e t t e a t t i t u d e , d o n t l e s r a i s o n s a p p a r a î -

t r o n t p l u s t a r d . I l n ' e s t p a s q u e s t i o n , s e l o n l e s c h é m a h a b i t u e l d u

« r é v i s i o n n i s m e » , d e r e c o n s i d é r e r l a p e n s é e d e M a r x e n f o n c t i o n

d e c e q u ' i l y a u r a i t d e n o u v e a u d a n s l e m o n d e d e p u i s u n s i è c l e .

N o n A u c o n t r a i r e : l a d é m a r c h e c o r r e c t e e t l é gi t i me c o n si s t e

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7/23/2019 Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

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e n l e s d é t e r m i n a t i o n s d e c e q u ' i l y a d e n o u v e a u d a n s l e m o n d e

à p a r t i r d e l ' œ u v r e d e M a r x . A i n s i se m a n i f e s t en t l es c h a n g e m e n t s

d a n s les f o r c e s p r o d u c t i v e s , l es r a p p o r t s d e p r o d u c t i o n , l es s t r u c t u r e s

s o c i a l e s , l e s s u p e r s t r u c t u r e s ( i d é o l o g i q u e s e t i n s t i t u t i o n n e l l e s ) .

A u j o u r d ' h u i , i l y a d e m u l t i p l e s m a r x i s m e s , q u e l ' o n s ' e f f o r c e

e n v a i n d e r éd u i r e à u n « m o d è l e » u n i q u e . L a p e n s é e de M a r x

e t d ' E n g e l s s e g r e f f e s u r l e s c o n c e p t s e t v a l e u r s d é j à r é p a n d u s

d a n s l e s p a y s o ù e l l e a p é n é t r é . D ' o ù l a n a i s s a n c e d ' u n m a r x i s m e

c h i n o i s e t d ' u n m a r x i s m e s o v i é t i q u e ( r u s s e ) , d ' é c o l e s m a r x i s t e s e n

A l l e m a g n e , e n I ta l i e, e n F r a n c e , d a n s les p a y s a n g l o - s a x o n s . D ' o ù

l a d i v e r s i t é e t l ' i n é g a l i t é d u d é v e l o p p e m e n t t h é o r i q u e . L a g r e f f e

a p l u s o u m o i n s b i e n p ri s . E n F r a n c e , l ' e s p r i t c a r t és i e n , p a r e s s en c e

a n t i - d i al e c t i q ue , n ' o f f ra i t n i u n t e r r a i n n i u n « m e n t o r » f a v o r a b l e ;

l a g re ffe ( e n p o u r s u i v a n t l a m é t a p h o r e ) n ' a p r o d u i t q u e t a r d i v e m e n t ,

c e q u i n ' e n t r a î n e p a s l a m a u v a i s e q u a l i t é d e s f r u i t s .

Q u e l l e r e l a t i o n e u t l a p e n s é e d e M a r x a v e c c e l l e d e H e g e l ?

C e t t e q u e s t i o n , q u i a f a i t c o u l e r , c o m m e c h a c u n s a i t , d e s f l o t s

d ' e n c r e , a p p e l l e u n e r é p o n s e e t u n e s e u l e : l a p e n s é e d i a l e c t i q u e d e

M a r x e u t a v e c l a p e n s é e d i a l e c t i q u e d e H e g e l u n r a p p o r t l u i - m ê m e

d i a l e ct i q u e . C e q u i v e u t d i r e : u n i t é e t co nf li ts . M a r x p r i t à H e g e l

l ' es s e nt i e l d e s a p e n s é e « e s s e n ti a l i s t e » : i m p o r t a n c e d u t r a v a i l

e t d e l a p r o d u c t i o n , a u t o - p r o d u c t i o n d e l ' e s p è c e h u m a i n e ( d e

« l ' h o m m e » ), r a t i o n a l i t é i m m a n e n t e à l a p r a t i q u e , à l a c on s c i en c e

e t a u s a v o i r c o m m e a u x l u t t e s p o l i t i q u e s , d o n c s e n s d e l ' h i s t o i r e .

O n p e u t t r o u v e r d a n s H eg e l ( c o m m e d a n s S a i n t - S i m o n ) à p e u

p r ès t o u t c e q u ' a d i t M a r x , y c o m p r i s l e r ô l e d u t r av a i l , d e l a p r o -

d u c t i o n , d e s c l a s s e s , e t c . D e s o r t e q u e l ' o n n e p e u t n i e r l a c o n t i n u i t é

e n t r e l e s d e u x p e n s é e s . C e p e n d a n t l ' o r d r e e t l ' e n c h a î n e m e n t ,

l ' o r i e n t a t i o n e t l a p e r s p e c t i v e , l e c o n t e n u e t l a f o r m e , d i f f è r e n t

r a d i c a l e m e n t , d e s o r t e q u e l ' i m p r e s s i o n d ' u n e b r u s q u e d i s c o n t i n u i t é

n e s ' i m p o s e p a s m o i n s q u e c e l l e d ' u n e c o n t i n u i t é s a n s h i a t u s .

T o u t e s a v i e , M a r x a l u t t é c o n t r e H e g e l p o u r l u i a r r a c h e r

s o n b i e n m a l a c q u i s e t l e t r a n s f o r m e r e n s e l ' a p p r o p r i a n t . H e g e l

P o u r M a r x ? C e f u t à l a f o i s l e p è r e , d é t e n t e u r d u p a t r i m o i n e , l e

P a t r o n e t l e p r o p r i é t a i r e d u m o y e n d e p r o d u c t i o n , l e s a v o i r a c q u i s .

D a n s l e u r l u t t e , i l y e u t q u e r e l l e d e g é n é r a t i o n m a i s a u s s i l u t t e

4. Cf. dans les Morceaux choisis de Hegel (Gallimard, collection « Idées »), les

fragments 218 à 224 choisis et groupés dans cette intention.

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d e cl as se s. C e c o m b a t p a r c o u r u t d e s p h a s es , t r a v e r s a d e s f o r t u n e s

d i v e r s e s : d e s h a u t s e t d e s b a s , d e s v i c t o i r e s e t d e s d é f a i t e s d e l ' u n

e t d e l ' a u t r e c o m b a t t a n t s . L e s e n j e u x c h a n g è r e n t : t a n t ô t l a c o n -

n a i ss a nc e c o m m e t o t al i t é , t a n t ô t l a d i a l e c t i q ue c o m m e m é t h o d e ,

t a n t ô t l a t h é o r i e d e l ' É t a t , e t c . M a r x , c o n t r e H e g e l , f a i t f l è c h e d e

t o u t b o i s . I l pa s s e l ' h ég é l i a n i s m e a u c r i b le d e l ' a n t h r o p o l o g i e

( F e u e r b a c h ) , d e l ' é c o n o m i e p o l i t i q u e ( S m i t h , R i c a r d o ) , d e l ' h i s t o -

r i o g r a p h i e ( le s h i s t o r i e ns f r a n ç a i s d e l a R e s t a u r a t i o n , A . T h i e r r y

n o t a m m e n t e t l ' h is t o ir e d u t i er s -é ta t ), d e l a p h i l o s o p h i e ( l e m a t é -

r i a l i s m e f r a n ç a i s d u X V I I I s i è c l e ) e t d e l a s o c i o l o g i e n a i s s a n t e

( S a i n t - S i m o n e t F o u r i e r ) . D e c e f i l t r a g e , d e c e c r i b l a g e , d e c e t t e

n é g a t i o n c r i t i q u e s o r t u n e a u t r e p e n s é e e t s u r t o u t u n a u t r e p r o j e t ,

l e « m a r x i s m e » , c o n s t r u i t a v e c les m a t é r i a u x d e l ' h é g él i a n i s me

r e p r i s e t m é t a m o r p h o s é s . C e t t e l u t t e v a d e l a c r i t i q u e r a d i c a l e

d e s t h è s e s h é g é l i e n n e s s u r l e d r o i t e t l ' É t a t , s u r l a p h i l o s o p h i e

( Œ u v r e s d i te s d e j e u n e ss e , 1 8 42 - 18 4 5) à l a r é f u t a t i o n d e l a s t r a t é g i e

p o l i t i q u e h é g é l i e n n e a c c e p t é e p a r F . L a s s a l l e ( C r i t i q u e d u p r o -

g r a m m e d e G o th a , 1 875) . P e r s o n n e a u j o u r d ' h u i n ' i g n o r e c o m m e n t

M a r x c o m p r e n a i t e t a p p r o u v a i t l a C o m m u n e d e P a r i s : c o m m e

d e s t r uc t r i c e d e l 'É t a t . I l o p p o s a i t c e t te p r a t i q u e r é v o l u t i o n n a i r e

a u s o ci a l is m e é t a t i q u e q ui , m a l h e u r e u s e m e n t , p r e n a i t c o n s i s t a n c e

e n A l l e m a g n e d a n s l e m o u v e m e n t o u v r i e r e t d e v a i t l ' e m p o r t e r

p o u r u n e p é r i o d e a s s e z l o n g u e , p u i s q u ' e l l e d u r e e n c o r e . A u c o u r s

d e c e t t e l u t t e t h é o r i q u e , M a r x n e p e r d p a s u n e m i n u t e l ' o b j e c t i f

p r a t i q u e d e l ' e n j e u r é e l , q u i n ' e s t p a s l a c o n s t i t u t i o n d ' u n s y s t è m e

s ' o p p o s a n t à l ' h ég é l i a ni s m e , m a i s l ' a n a ly s e d e l a p r a t i q u e s o ci a le

e t d u m o n d e m o d e r n e , p o u r a g i r e t les t r a n s f o r m e r e n p a r t a n t d es

t e n d a n c e s i m m a n e n t e s .

C o n t i n u i t é e t d i s c o n t i n u i t é . I l y a d o n c u n e « c o u p u r e » , u n

p o i n t d e r u p t u r e . O ù l e s i t u e r? I nu t i l e d e r e p r e n d r e e n t i è r e m e n t

u n e d i s c u s s i o n d é j à l o n g u e . E n s ' a p p u y a n t s u r les t e xt e s c o m m e

s u r l es co n t e x t e s , o n p e u t a f f i r m e r q u e l a c o u p u r e n ' e s t n i p h i l o -

s o ph i qu e ( p as s a g e d e l ' i d é al i s m e a u m a t é r i a l i s m e ) , n i é p i s t é m o l o -

g i q u e ( p a s s a g e d e l ' i d é o l o g i e à l a s c i e n c e ) . C e s d e u x a s p e c t s s o n t

e n v e l o p p é s d a n s u n e r u p t u r e p l u s c o m p l e x e , p l u s r i c h e d e c o n t e n u

e t d e s en s : u n e c o u p u r e p ol it iq ue . M a r x r o m p t a v ec l ' a p o l o g i e

h é g é l i e n n e d e l ' É t a t ; d e s e s p r e m i è r e s à s e s d e r n i è r e s œ u v r e s c e t t e

r u p t u r e s e pr éc is e . I l n ' es t p a s v r ai , p o u r M a r x , q u e l a p h i l o s o p h i e

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(raison et vérité, plénitude et bonheur conçus par les philosophes)

se réalise dans l'État et se termine dans un système contraignant.

L a classe ouvrière, elle seule, réalise la philosophie par une révo-

lution totale; mais ce n'est plus la philosophie classique (abstraite,

spéculative, systématique); la réalisation de la philosophie s'accom-

plit dans la pratique : dans une façon de vivre. En dépassant la

philosophie traditionnelle, en se dépassant lui-même, le prolétariat

ouvre des possibilités illimitées. Le temps (dit « historique »)

continue. Le dépassement hégélien (Aufhebung) prend un tout

autre sens : l'État lui-même doit en passer par l'épreuve du dépas-

sement. La révolution le brise et le mène au dépérissement ; il s'absor-

bera ou se résorbera dans la société. Ainsi la coupure politique pré-

suppose comme ses moments la coupure philosophique (rupture

avec la philosophie classique) et la coupure épistémologique

(rupture avec les idéologies, celles de la classe dominante). Quant

à la raison, elle n'entre dans aucune forme ou formule définitive.

Elle se développe en se dépassant : en résolvant ses propres contra-

dictions (entre le rationnel et l'irrationnel, entre le conçu et le vécu,

entre la théorie et la pratique, etc.).

L'État donc ne possède aucune rationalité supérieure, encore

moins définitive. Hegel le prend pour la structure de la société; pour

Marx ce n'est qu'une superstructure. Il se construit ou plutôt on le

construit. Qui? Les politiques, les hommes de l'État, sur une

base, les rapports sociaux de production et de propriété, les forces

productives. Or la base change. L'État n'a donc d'autre réalité

que celle d'un moment historique. Il change avec la base; il se

modifie, s'écroule, se reconstruit autrement, puis dépérit et disparaît.

Les forces productives allant de l'usage des richesses naturelles

à la maîtrise technique de la nature (automatisme) et du travail

divisé (aliéné-aliénant) au non-travail, l'État ne peut pas ne pas

se transformer. Il a déjà profondément changé de la période

féodale-militaire à la période monarchique et de celle-ci à la période/

démocratique appelée par l'industrialisation. Le capitalisme et

l'hégémonie de la classe bourgeoise s'accommodent d'une démo-

cratie à la fois libérale et autoritaire. Cette démocratie et son

État (parlementaire) n'auront qu'un temps.

L'histoire, achevée selon Hegel, continue d'après Marx. Ina-

chevé, le temps ne se fige pas (ne ne réifie pas) dans l'espace, celui

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contre toute manifestation de la volonté de puissance, contre le

Logos qui défie le socio-politique. « Élitisme? » Pourquoi pas ?

Peut-être la liberté, celle du libre esprit, a-t-elle aujourd'hui ces

deux aspects. Affronter la mort en niant l'instinct de mort, en

affirmant la vie, n'est-ce pas une ambiguïté qui transcende les

dualités et duplicités traditionnelles? Lucide, aimant le plaisir

et la joie sans craindre la souffrance, jouant sans l'afficher, sans

promulguer une philosophie du jeu ou une règle du jeu, créer le

total au-delà du politique, ainsi va le Gai Savoir.

14. — Une théorie généralement considérée comme marxiste,

bien qu'Engels et Lénine plutôt que Marx l'aient élaborée comme

théorie de la connaissance, déclare que la conscience et la connais-

sance sont des reflets. La plupart des philosophes du savoir ont

rejeté cette théorie, sauf ceux qui se mettaient explicitement sous

la garantie du marxisme; la théorie du reflet passe dans l'opinion

philosophique pour grossière. Effectivement, Lénine manie un peu

brutalement les métaphores de la copie, de la photo, du m i r o i r

Or cette théorie convient admirablement à Nietzsche. Il l'adopte

(sans référence au marxisme, cela va de soi) aussi bien dans le

fragment « théorétique » de 1873 que dans les fragments postérieurs

d'une dizaine d'années qui devaient montrer « l'innocence du

devenir ».

Si la pensée et la conscience ne peuvent se définir comme une

substance (ce qu'a dit Descartes et ce que croient après lui beaucoup

de philosophes dont Hegel), si la pensée n'est pas un « être » adjoint

à l' « Être », si donc il y a une différence entre l'être et la pensée

et que cependant la pensée corresponde à l'être, en quoi peut-elle

consister si ce n'est en un reflet? Réflexion et réfléchir veulent bien

dire « refléter », sauf si ce ne sont que des métaphores.

Mais qu'est-ce qu'un reflet? D'où vient le miroir qui reflète?

Le reflet n'ayant ni épaisseur, ni volume, ni poids, donc « irréel »,

qu'est-ce qu'un reflet fidèle du réel ? Un tel reflet ne peut donc se

comprendre que comme une forme, celle d'une surface réfléchissante

(qui déforme le « réel » d'une manière déterminée).

C'est ce que dit Nietzsche, retournant comme on l'a déjà vu la

18. Matérialisme et empiro-criticisme, passim.

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théorie du reflet contre la thèse naïve de la fidélité réfléchissante19.

La conscience? Une surface. Le reflet et le réfléchir? Des actes du

cerveau — avec le langage et la forme logique — mais aussi des

corps entiers, mains, organes des sens, membres, muscles, sexe.

Parce que la conscience reflète, l'action métamorphose le « réel »,

n'étant assujettie à aucune substance « réelle », ni au-dehors ni

au-dedans. La connaissance-reflet laisse place libre aux symboles,

à l'invention poétique, aux images-concepts.

15. — Retour et recours au corps, corps comme source et

ressource, Zarathoustra le déclare, joignant la force poétique aux

déclarations « théorétiques ». Retour et recours bien plus qu'appel

au secours, le corps en reçoit un statut complètement différent

de celui qu'il avait dans la philosophie et dans la société imprégnée

de judéo-christianisme. La philosophie et la religion, surtout en

Occident, ont trahi le corps; le Logos européen s'acharne à le

réduire, à le briser, à le mutiler. Au-dessous de la pensée, siège

de cette pensée mais dans une différence capitale et radicale, il y

a le corps. En quoi consiste cette différence? Si l'on tient à pour-

suivre l'interprétation de la poésie nietzschéenne en la traduisant

en prose, il faut dire que cette différence imprescriptible ne se

définit pas, parce qu'elle intervient et joue à chaque moment, y

compris dans la conscience réfléchissante qui cherche à le saisir.

Différence inépuisable, distance à la fois infinie et infime, entre

le « je », le « moi » et le corps, elle peut se dire de mille et une

façons, toutes nécessaires et non suffisantes. Le corps serait-il le

lieu du plaisir, cet état ou cette situation qui n'a qu'une relation

lointaine avec la situation de celui qui connaît et pense ? Oui et

non. L'hédonisme philosophique ne va pas loin. Le corps souffre

et jouit, la souffrance a autant de sens que la jouissance, parfois

plus. Elle annonce une possibilité, une crise féconde. Lieu peuplé

d' « affects », de « pulsions »? Certes, mais de bien d'autres non-

choses. Raison d'actes qui font le sens et la valeur, mais n'ont ni

sens ni valeur, comme l'acte d'appréhender les choses, d'adhérer

à elles? Oui, mais ces mots philosophiques ne disent que par

rapport au savoir philosophique ce qu'est le corps.

19. Cf. surtout Das Philosophen Buch, fragments 121, 122, 123, etc.

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Pour Nietzsche, le corps contient — plus, il « est » sous la

surface miroitante — la profondeur. A la poésie (ou poièsis)

l'altitude, la luminosité, la sphère apollinienne. A la conscience,

au savoir, la surface. Au corps, les couches profondes, celles

qu'éclaire en les perçant comme un poignard le rayon de l'analyse.

Le corps, ce méconnu, cet inconnu, apporte avec lui ses richesses

sans limites : les rythmes, les répétitions (cycliques et linéaires),

les différences. D'âge en âge, de l'enfant à l'adulte et au drame du

vieillissement, il se dépasse, précipite le passé dans la mémoire,

enrichit ou appauvrit l'entrelacement de ses rythmes, développe

ou non le rapport toujours neuf entre besoins et désir et conscience

et action.

Retour à l'hédonisme? Adhésion au matérialisme? Non.

Irréductible à la philosophie, le recours nietzschéen au corps

exclut le corps-machine; il lui oppose le corps-énergie, le corps

poésie, celui de la musique et de la danse. La détermination néga-

tive permet, mieux qu'une définition qui se voudrait positive en

se servant du langage philosophique, d'entrer dans la perspective

nietzschéenne. Le poète qui parle en Zarathoustra veut mettre fin

à la séparation du mental, du social, du naturel, et par conséquent

à la dissociation entre le Verbe et la Chair. Il veut changer par le

fondement le rapport du corps au langage, en cessant de valoriser

le langage lui-même comme abstraction. Pour Nietzsche, il n'y

a pas d'abstraction concrète, comme pour Hegel et Marx. Il rejette

ce quasi-concept, qui permet de donner à tous les moments un

statut analogue, en les pliant tantôt du côté de l'abstrait, tantôt

du côté du concret. Le « concret », c'est le corps. L'abstrait, donc

le langage (la logique? Incorrigible, elle ne peut renoncer à son

abstraction formelle sans se détruire) doit se convertir au concret :

au corps. Rien de commun avec la « corporéité » des philosophes.

Le statut du corps? Pour autant qu'on puisse le décrire rétros-

pectivement par rapport au Logos, les uns le percevaient comme

lieu et produit du péché (la chute, la déréliction) et d'autres le

concevaient comme une espèce de réserve charnelle, fonds irrat ionnel

de la rationalité dominante, utile comme valeur d'usage persistante

à travers les échanges et les valeurs d'échange.

Aujourd'hui, dans l'orientation nietzschéenne, la contradiction

se creuse. Le poids entier de la société s'abat sur le corps, ajoutant

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aux pressions et contraintes de la tradition morale les injonctions

du rendement, la multiplication des images mutilantes, la méta-

phorisation dans le visuel. La photo, le cinéma, les mass media

procèdent à un dépècement du corps, à une substitution massive

de l'image au corps, à un déplacement du physique vers l'abstrait

visuel, à un transfert social de l'énergie sur le spectaculaire. Ce qui

sert le pouvoir qui manipule ainsi l'existence concrète. Le discours,

le langage, leur fétichisation fournissent le prétexte d'un escamotage

du corps, de telle sorte que l'ébranlement du Logos à la suite de

ses abus de pouvoir peut aboutir à sa consolidation par le prestige

des images de l'écriture et des écrits. A ce degré, l'aliénation de

Hegel et de Marx change de caractère et de portée. L'altération

de la vie menace sa base vitale : le corps.

Résurrection des corps, c'est la première et dernière parole de

Zarathoustra. « Debout, mes enfants approchent... Voici mon

matin, mon jour se lève, monte, monte maintenant, ô toi mon

grand Midi »

Ce qui atteint l'intégrité du corps, on l'attribue tantôt à une

cause obscure, l'instinct de mort, tantôt à une raison supérieure,

les exigences du savoir et du monde moderne. On disculpe ainsi

la bourgeoisie et surtout le judéo-christianisme et le Logos européen,

gréco-latin d'origine. On ferme les yeux sur les opérations tactiques

et stratégiques qui attaquent les fondements de la vie, de la

rationalité et du Logos lui-même : qui procèdent à son auto-

destruction dans la modernité exacerbée.

Le corps (vivant et total) établit les jonctions : désir et sens

et valeur — mouvement et activité et objet. Cette jonction s'opère

par le jeu, la danse, la musique. Par le théâtre? Jadis. Sans doute

le théâtre moderne, discours et spectacle, n'a-t-il plus les vertus

du théâtre antique. La coupure « signifiant-signifié » inhérente au

discours s'aggrave en fractures et laisse aller chacun à la dérive

les deux éléments des signes, si le corps, la parole, la voix, le geste

ne rétablissent le joint.

Le « sujet » ? L'interrogation philosophique — venue des

philosophes mais appelant une réponse — se dédouble. D'un côté

il y a le sujet abstrait, celui qu'il faut attaquer et dissoudre. Ce

n'est plus le sujet cartésien, rationnel (substance pensante), ni le

sujet du savoir, le sujet kantien, siège des catégories. Ni le « sujet »

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des linguistes. C'est le sujet du pouvoir, avec ses investissements

et travestissements et mythes : le Père et le Paternel, la Propriété

et le Patrimoine et la possession, le Sur-moi et le Sur-mâle, etc.

Au sommet, le Sujet abstrait absolu : l'État. Il sanctifie l'existence

empirique des petits « sujets du pouvoir », et ceux qui lui assu-

jettissent les autres. Dans ce domaine, les fictions complètent les

mythes : le « je » de la pensée se lie au « je » du citoyen (la fiction

politique et juridique), aux « je » du témoin et du juge (la fiction

morale), au « je » du discours (la fiction grammaticale), etc. Cette

existence empirique a dans son domaine des fonctions : le rela-

tionnel, le situationnel, le discours fonctionnel lui-même. On peut

s'amuser à les déconstruire. Zarathoustra ne se prive pas de ce

plaisir; tous les « sujets », y compris l'Homme supérieur, se

plaignent sans cesse de la difficulté d'être, de la perte d'identité,

et ainsi de suite, litanie des malheurs et complaintes du « sujet ».

Au sujet du pouvoir s'oppose fondamentalement, irréconcilia-

blement, le sujet concret : le corps. Il recèle des trésors insoupçonnés

(et pas seulement le plaisir, ou les jeux érotiques, interprétation

fallacieuse, ni seulement du caché comme ce qui se cache devant

la pensée analytique pour la fuir). Il ne s'oppose pas à l'abstrait

comme le « sauvage » au sophistiqué (autre interprétation fallacieuse

d'un réquisitoire et d'une réquisition autrement vaste). Le corps

ne se résume pas en un objet de scandale, lorsqu'on le dénude.

(La modernité, stupéfaite devant l'absence du corps, aura tenté

toutes les échappatoires, toutes les fausses sorties, faute d'avoir lu

et compris Le Gai Savoir et Zarathoustra.) Le sexe, partie du corps,

n'a pas le droit de s'ériger, masculin ou non, en critère, en appré-

ciation et valeur. Ni plus ni moins que le travail (ou le savoir).

Peut-être la localisation de l'érogène en un organe ou en une zone

du corps contient-elle une erreur? Le corps entier ne se ressent-il

pas érogène (présence d'Eros créateur) avant l'emploi des signes

du non-corps et du hors-corps?

Fixer un nouveau statut au corps? Cette manière de poser

la question reste naïve. Quel statut? Philosophique? La philosophie

ne va pas au-delà d'une essence : la corporéité. Théorique? Épisté-

mologique? Le Logos tend avec la théorie pure (l'homme théorique)

et l'épistémologie à sanctionner l'éviction du corps.

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Un « statut » ne suffit pas à répudier la fragmentation du corps,

la localisation et la dissociation des fonctions (gestes, rythmes)

par la division du travail. Le corps mosaïque, contrepartie ou contre-

point d'un savoir mosaïque, le corps en miettes ne retrouve pas son

intégrité dès qu'on change son « statut », théorique ou même

social.

La psychanalyse a tenté de déterminer, en tant que discipline

spécialisée mais liée à une pratique (clinique), un statut du corps.

Quel échec L'espace-temps du corps, dessiné par les psychanalystes

qui s'efforcent de le cerner, se réduit au silence d'avant et d'après

la parole, à la différence mortelle qui sort d'un hiatus (entre la

pulsion et le discours) et produit un autre hiatus (la castration).

C'est donc l'espace-temps de la mort. Rien de plus opposé à l'affir-

mation nietzschéenne : à la transmutation de la décadence, du

nihilisme en un « oui » à la vie donc au corps total. Le corps total

se présente à la fois comme virtualité et comme actualité. Pour les

psychanalystes, il n'a pas d'existence comme totalité. Pour

beaucoup, le corps se dédouble en ordre organique et ordre pul-

sionnel. Pour ceux-là et quelques autres, l'unité du corps ne se re-

présente que dans le symbolique et l'imaginaire. Le corps du

« sujet » et celui de « l'autre » comme lieu de l'ensemble des signi-

fiants ne se rejoindront jamais. Désarticulé au principe par l'ex-

pression verbale, fragmenté par le sexe, le corps ne retrouverait son

unité qu'en s'abandonnant à une ex-tase mortelle (cf. Freud,

p. 5 du chap. VII de la Traumdeutung). Pour quelques analystes,

seul le miroir (effet matériel et sensoriel, donc immédiat et localisé

dans l'immédiateté) révélerait son non-morcellement au sujet

fragmenté par le sexe et le discours. Le corps comme totalité (le

corps « propre », lieu et « sujet » de l'appropriation) ne se présen-

terait que dans le corps de la mère, d'abord, ensuite dans le fantasme

d'identification à « l'autre ». L'image du corps total figure l'illusoire

plénitude destinée à la fissure par la pulsion de mort et provenant

de la béance. Parmi les objets, l'objet privilégié entre tous, le

phallus, permet au sujet (masculin) de passer de l'être à l'avoir,

bien que la Loi, coupure fondamentale, fondement du Logos,

Loi du Père, l'en empêche. De sorte que la castration, parole

paternelle exécutant (tuant) le corps en marche, intervient tôt

ou tard; le phallus, lieu de rencontre de la Loi et du Logos, étant

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aussi lieu de leur séparation, suscite le vain fantasme de leur

réconciliation.

Nietzsche appelle à la subversion, à la révolte, à la révolution

du corps. Un statut? Non. Tout au plus pourrait-on dire que le

corps, dans les textes de Nietzsche, se décrit ou s'inscrit à plusieurs

niveaux, comme le langage. D'abord, l'empirique, le corps-objet.

A ce niveau, le corps s'étudie, s'analyse, scientifiquement, mais aussi

quotidiennement. Ce niveau englobe le fonctionnel, le relationnel,

le situationnel. Ensuite, le niveau socio-politique, le corps-sujet

comme support de jugements, de « valeurs » souvent négatives

(le blâme, l'abaissement), et de métaphorisations (par le langage,

avec primat croissant du lisible-visible.) Le corps ne régit pas la

production et pourtant, on produit avec le corps et pour les corps.

A ce niveau, le corps joue un rôle non de transgression mais de

transmission du savoir et de re-production des rapports sociaux,

bien que ceux-ci pèsent sur lui. Ensuite et enfin, le niveau poétique,

celui de l'unité retrouvée à travers l'épreuve de la dissociation.

La parole poétique (et non point la parole originelle ou terminale,

celle d'un dieu, vraie par essence) vise l'unité du corps et la mise

au jour de ses richesses. La parole poétique exorcise la mort (la

« pulsion de mort ») par le tragique, au lieu d'y céder. Elle parvient

à vaincre les dangers du discours et de l'écriture, en renouvelant

le poème comme la musique par les rythmes du corps, par le répé-

titif et le différentiel comme dans le corps.

La pratique poétique selon Nietzsche dit l' appropriation, comme

possibilité à la fois proche et lointaine. Ce concept, l'appropriation,

spéculativement conçu par Hegel (restitution de l'Idée dans l'État)

restait mal déterminé chez Marx. Le poète Nietzsche ouvre l'horizon

du désir et du corps appropriés. D'abord, s'approprier son propre

corps, pour l'individu, et pour l'espèce humaine, approprier le

corps total, nature et conquêtes de l'activité multiforme, donc

espace. Ce qui n'exclut pas le symbolique et l'imaginaire, sans

parier sur eux isolément. Ce qui exclut l'idéologique et d'abord

la séparation philosophiquement sanctionnée de l'âme et du corps,

de l'esprit et de la matière (sans pour autant fétichiser avec Hegel

l'identité du réel et du rationnel).

La pratique poétique se révèle dans la musique et la danse,

œuvres de vie et de vitalité. « Corps glorieux ? » Non. Corps concret,

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présence et lieu de présence, mais virtualité en tant que totalité

découverte.

16. — Par la poésie, Nietzsche introduit dans le Logos européo-

centrique quelques affirmations explosives. Vraies? Fausses? Vraies

et fausses? Pleines de sens? Absurdes? Ces termes et catégories ne

conviennent plus, mais on peut s'en servir pour exposer ces affir-

mations. Elles concernent d'abord la finitude. Pour la philosophie,

pour Hegel, la réflexion fait prendre conscience du fini : les choses,

la vie, la réalité humaine. Dans l'hégélianisme, la lutte, la guerre

entre les États a cette fonction : chaque moment, chaque individu,

reconnaît en l'éprouvant sa finitude. L'État survit au milieu de ces

luttes des nations, il s'y affirme, seul. En dehors de l'Idée et de l'État,

l'infini pour Hegel n'est que « mauvais infini » (illimité, indéterminé).

P o u r N i e t z s c h e , « n o u s » s o m m e s i n f i n i s . C o m m e p o u r S p i n o z a

P a r l a p e n s é e , l e s a v o i r , l a c o n s c i e n c e ? N o n : p a r l e c o r p s . C h a q u e

c o r p s , d o n c l e n ô t r e ( l e t i e n , l e m i e n ) , p a r c e q u e d a n s l e t e m p s e t

l ' e s p a c e , c o n t i e n t l ' i n f i n i . L ' e s p a c e ( l e c o s m o s ) e t l e t e m p s ( l e m o n d e )

i n f i n i s l ' u n e t l ' a u t r e i m p l i q u e n t e t r é f r a c t e n t c h a c u n à s a m a n i è r e

l ' u n i v e r s i n f i n i . U n c o r p s v i v a n t e s t à l a f o i s u n m a c r o c o s m e ( l e c o r p s

h u m a i n p a r r a p p o r t a u x c e l l u l e s , a u x m o l é c u l e s e t a t o m e s ) e t u n

m i c r o c o s m e ( p a r r a p p o r t à l a g a l a x i e ) . L ' i n f i n i « e s t » p a r t o u t , a v a n t

l e f i n i . E n t r e u n p e t i t c o r p s v i v a n t s u r l a T e r r e , e t l e S o l e i l , i l y a

d i f f é r e n c e s q u a l i t a t i v e s e t q u a n t i t a t i v e s , m a i s c h a c u n p u i s e d e

l ' é n e r g i e c o s m i q u e e t l a c o n c e n t r e p o u r l a d é p e n s e r . L e t e m p s e t

l ' e s p a c e , d i f f é r e n t s m a x i m a l e m e n t e t i n d i s s o c i a b l e s , s e r e n c o n t r e n t

d a n s c h a q u e l i e u e t c h a q u e i n s t a n t ( e n c h a q u e « m o m e n t » , s e l o n

l e t e r m e h é g é l i e n , q u e l q u e p e u d é t o u r n é ) . L a m u s i q u e d i t c e t t e

i n f i n i t u d e , c e l l e d u c o r p s , d u d é s i r , d u s i l e n c e , q u e n ' a r r i v e p a s à

d é c l a r e r l e l a n g a g e ( f i n i ) . C h a q u e l i e u e t c h a q u e i n s t a n t r e n v o i e n t

à l a t o t a l i t é d e l ' e s p a c e e t d u t e m p s . L e c o r p s v i v a n t ( l e t i e n , l e m i e n )

a u n e d o u b l e e t i n s a i s i s s a b l e o r i g i n e : l e g e r m e ( m a t e r n e l - p a t e r n e l ,

r e n v o y a n t à u n e l i g n é e g é n é a l o g i q u e ) e t l ' e s p è c e , l a v i e e n t i è r e ,

l a T e r r e , r e n v o y a n t a u c o s m o s e n t i e r . C h a q u e s é r i e d e c a u s e s e t

d ' e f f e t s a s s i g n a b l e s s e p e r d d a n s l a n u i t , c e q u i i r r i t e l a n o s t a l g i e

20. Cf. Lettre du 30 juillet 1881. L'analyse de l'énergie cosmique, du temps et de

l'espace, dans les textes de La Volonté de Puissance (faux titre, rappelons-le), corres-

pondent à cette appréciation.

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o n t o l o g i q u e , c e l l e d e l ' o r i g i n e . C h a q u e s é r i e r e n v o i e à l ' a u t r e : l a

l i g n é e g é n é a l o g i q u e a u d e v e n i r c o s m o l o g i q u e e t i n v e r s e m e n t .

L e s a i s i s s a b l e e t l ' i n s o n d a b l e s ' a c c o m p a g n e n t . L ' i n s o n d a b l e :

l e g o u f fr e , l a p r o f o n d e u r , l e c h a o s . L e s a i s i s sa b l e : l a s u r f a c e ,

l a p e a u , l e r e g a r d , l e m i r o i r , l a r e n c o n t r e d u t e m p s e t d e l ' e s p a c e

d a n s u n m o m e n t ( l i e u - i n s t a n t ) . D ' u n c ô t é , l ' a l t i t u d e , l ' e s p a c e . D e

l ' a u t r e , l ' a b î m e , l e t e m p s . E n « n o u s » , d a n s l e c o r p s . . .

P a r c o n s é q u e n t , « l ' i nf i n i té » e s t le f a i t i n i t i a l, o r i g in a l . I l f a u d r a i t

e x p l i q u e r d ' o ù v i e n t l e f in i. D a n s l e t e m p s i n f i ni e t l ' e s p a c e i n fi ni , il

n ' y a pa s d e f i n i L e f in i e t l ' i nf in i n e s er ai en t- i l s q u e s i m pl e s

e f f e t s d e p e r s p e c t i v e , p o u r « l ' ê t r e - l à » ? M i e u x v a u t a f f i r m e r l a

p r i o r i t é p o é t i q u e d e l ' i nf i ni s u r l e f in i : l a p r i m a u t é d e l a j o i e . L e

f i n i a u s e n s o ù l e p r e n d l e « s e n s c o m m u n » , à s a v o i r d e s c h o s e s

b i e n d i s t i n c t e s e t s é p a r é e s , q u e l ' o n c o m p t e e t d o n t o n u s e , n ' e s t

q u ' a p p a r e n c e . L e s p h i l o s o p h e s l ' o n t c o m p r i s , e t m ê m e i ls o n t

n o m m é « d i a l e c t i q u e » l a c o n v i c t i o n d ' u n e u n i t é d e s c h o s e s . I l s

n ' o n t p a s m e n é c et t e d é c o u v e r t e j u s q u ' à s o n u l t i me c o n s é q u e n c e .

L e f i n i n ' e s t q u ' a p p a r e n c e , m a i s l ' a p p a r e n c e n e s e s é p a r e p a s d u

« r ée l ». L ' é n e r g i e u n i v e r s e ll e se c o n c e n t r e e n i n n o m b r a b l e s c e n t r e s

e t f o y e r s , s e d é p e n s e e n l i e u x e t i n s t a n t s , s e d i v e r s i f i e e n i n n o m -

b r a b l e s p h é n o m è n e s . L e s p h é n o m è n e s r el a t i f s a u x c e n t re s e t f o y er s

s e r é p è t e n t ; e t t o u t e s l e s d é p e n s e s d ' é n e r g i e d i f f è r e n t . L ' e s p a c e

e t l e t e m p s n e s e d i s c e r n e n t q u ' e n s e r e n c o n t r a n t d a n s u n « i c i - e t -

m a i n t e n a n t » . L e c o r p s c o n t i e n t d o n c l ' u n i t é p e r p é t u e l l e m e n t e n

d e v e n i r d e l ' i n f in i e t d u f in i : i l a e n lu i l ' i n f in i , i l e s t d u f in i .

P a r c o n s é q u e n t , l a n é c e s s i t é e s t a u s s i v r a i e e t a u s s i f a u s s e q u e

l e h a s a r d , e t l a r é p é t i t i o n q u e l a d i f f é re n c e. A l ' é c h el l e ( i n a c c es s i b l e )

d e l ' u n i v e r s r è g n e l a n é c e s s i t é r e d o u t a b l e d u t e m p s - e s p a c e . L a

d i f f é r e n c e d o m i n e , p u i s q u e l ' é n e r g i e u n i v e r s e l l e s e d é p e n s e e n

f u l g u r a t i o n s t o u j o u r s n o u v e l l e s . A n o t r e é c h e l l e d o m i n e n t l e

h a s a r d e t l a r é pé t i t i o n. D e m ê m e q u e c h a q u e c h o s e s ' an a l y s e d a n s

l e t e m p s e t l ' e s p a c e e t se r é s o u t e n e ff et s e t c a u s e — à c e ci p r è s

q u ' a u c u n e l i g n e d 'e f f et s e t d e c a u s e s n e s e su ff it e t n e p e u t s ' i s o l e r — ,

d e m ê m e c h a q u e « c o r p s » se r é so u t e n u n e c o n j o n c t i o n d e h a s a r d s .

« E g o » n a î t d ' u n e r e n c o n t r e h a s a r d e u s e , e t s i « e g o » v i t e n c o r e ,

c ' es t u n e q u e s t i o n d e c h a n c e : u n c h o c, u n v i ru s , u n c o u p d e v e n t

21. Das Philosophen Buch, p. 226.

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aura ient pu l ' empor te r . Sans compter que lques aut res hasa rds .

Da ns le f ini, le hasar d e t le répét i t i f von t ensemble . U ne conj onct ion

de hasards peut toujours réapparaî t re . Si je conçois le temps à la

manière du temps his tor ique, l igne r igide e t f roide , f i l tendu du

passé au futur , i l faut aussi tôt que je rest i tue la réappar i t ion des

figures, c 'est-à-dire les cycles et les enchaînements linéaires se

répétant : l 'espèce et l 'enfance, la vie et la mort, le sommeil et la

veille, le travail et le repos, ou bien encore le violent et le pacifique,

l ' aventur ier e t le contemplat if , e tc . Le hasard e t les conjonct ions

de hasards qui réa l isent des déterminismes par t ie ls , la répét i t ion

des par ticu la r i tés impos ent à no uveau la redoutable image-concept

(vi sion) du r e tour é t e r n e l Le co rps , émergean t du deven ir ( espace -

temps) , immergé dans les hasards (chances e t malchances) , se

si tue au centre de la vis ion e t de la pra t ique poiè t ique : ra ison

concrète , centre e t référent ie l . Non pas s table , non pas voué à un

devenir insais issable , mais producteur d 'un devenir , le s ien, e t de

plus l ivré aux rencontres que la volonté apprend à détourner e t

contourner pour son usage .

17. — La « perte d' identité »? C'est le tragique de la situation.

Aliéna t ion? Effet d 'une a l i énat ion ? Non . Ce jug emen t ne suffi t

plus. La « per te d ' ident i té », condit ion de la métamorphose, peut

se refuser. Alors l ' identité l 'emporte, donc la répétit ion. La « perte

d ' iden t it é s ' a cc e p t an t com me voie dangereuse d ' une mé tamorphose ,

donc d 'une dif férence, l ' ivresse dionysiaque l ' emporte . La vie au

degré le plus élevé fait usage des deux procédures. L' ivresse diony-

siaque tentée isolément entra îne vers l ' aventure sans loi , la drogue,

l ' é rot isme, l ' abandon à l ' instant e t la fol ie , e t en même temps vers

l a d é s i n t é g r a t i o n d e s o i e t l a p o u r s u i t e d e l a t r a n s c e n d a n c e L a

mémoire et le connaître permettent de freiner, de contrôler dans une

certaine mesure la métamorphose, au risque de l'empêcher. Apollon

pris à part comporte le danger d'une autre dissolution. L'unité dans

le contraste et l'affrontement des deux puissances, telle est pour

Nietzsche la voie.

22. Le mythe moderne du Singe dactylographe peut servir d'illustration et d'a rgu-

ment (contestable) à l'hypothèse. Le singe tapant au hasard sur la machine à écrire

finira, au bout d'un temps X, par « sortir » la Comédie humaine. Et ainsi de suite.

23. Cf. l'œuvre entière de G. Bataille.

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18. — O n a p u m o n t r e r l ' a n t a g o n i s m e d e pr i nc i p e, au s s i r a d i c a l

q u e p o s s i b l e , e n t r e l a p h i l o s o p h i e h é g é l i e n n e e t l a p e n s é e m é t a p h i -

l o s o p h i q u e d e N i e t z s c h e . I l s e r a i t a m u s a n t , e n s u i t e , d e d e s s i n e r

l ' i n t e r s e c t i o n e n t r e l e p r o j e t ( r é v o l u t i o n n a i r e ) m a r x i s t e e t l a p e r s -

p e ct i v e ( s ub v er s iv e ) n i e t zs c h ée n ne . T e r r a i n c o m m u n : l ' o p p o s i t i o n

à H e g e l . D o n c , e n s e m b l e v o n t :

a ) l ' a t h é i s m e , l ' i d é e d e l a n a t u r e ( m a t i è r e , é n e r gi e ) , b a s e d e

t o u t e e x i s t e n c e ;

b ) l a c r i t i q u e d e l a t h é o d i c é e p o l i t i q u e d e H e g e l : l ' É t a t e t l a

r e - p r o d u c t i o n i n t e r n e à l ' É t a t d e l ' hi s t o ir e , d u p as s é, de s « m o m e n t s »

e t d e s r a p p o r t s s o c i a u x ;

c ) ce q u i i m p l i q u e u n e c r i t i q u e d u l a n g a g e ( d u L o g o s l i é à l a

l o g i q u e e t a u l a n g a g e ) a i n s i q u e d e l ' h i s t o r i c i t é h é g é l i e n n e ;

d ) l e r e je t d u j u d é o - c h r i s t i a n i s m e ( d è s L a Q u e s t i o n j u iv e, d e

M a r x , e t d a n s l ' e n s e m b l e d e l ' œ uv r e n i e t zs c h é en n e , m a i s s u r t o u t

d a n s A u - d e l à d u b i e n e t d u m a l ) ;

e ) l ' i dé e d e s s e n s e t d u c o r p s d e v e n a n t t h é o r é t i q u e s ( cf . le s

M a n u s c r i t s d e 1 8 4 4 e t Z a r a t h o u s t r a , s a n s o m e t t r e L e G a i S a vo i r) ,

c e q u i i m p l i q u e l e r e f u s d e t o u t s y s t è m e ;

f ) le p ro j e t e t l a p er s p ec t i ve d e l a p r o d u c t i o n ( c r é at i o n) d ' u n e

« ré al i t é » t o t a l e m e n t n o uv e l l e , e n c o r e q u e r e t e n a n t d e s « m o m e n t s »

d u p a s s é- d é pa s s é . C e q u i c o m p o r t e l a d e s t r u c t i o n ( pl u s p o u s s é e

c h e z N i e t z s c h e , m o i n s v i o l e n t e c h e z M a r x ) d e l ' a c t u e l ;

g ) l ' i d é e q u e l ' e ss e n ti e l , le « c r é a t i f », n e s e t r o u v e n i d a n s

l ' é c o n o m i q u e c o m m e t e l n i d a n s le p o l i t i q ue c o m m e t e l; c e q u i

e n t r a î n e l e r ej e t e t d e l ' É t a t e t d u p o l i t i q u e, a u p r of i t d e s r a p p o r t s q u e

M a r x d i t « s o c i a u x » e t N i e t z s c h e « h u m a i n s » , p u i s « s u r h u m a i n s ».

A p r è s c e t a b l e a u d e s c o n c o r d a n c e s , v o i c i l e s d i v e r g e n c e s :

a ) p o u r N i e t zs c h e , l es m o t s « D i e u e s t m o r t » o n t u n e

r é p e r c u s s i o n t r a g i q u e , b e a u c o u p p l u s v a s t e q u e l ' a t h é i s m e e t l e

n a t u r a l i s m e ;

b ) p o u r N i e t z s c h e , l a r a t i o n a l i t é ( h i s t o r i q u e c h e z H e g e l , i n d u s -

t r i e l l e c h e z M a r x ) n ' e s t p a s s e u l e m e n t l i m i t é e , m a i s i l l u s o i r e , d o n c

a v e c e l l e l a v é r i t é a u s e n s d e s p h i l o s o p h e s ;

c ) l ' i d é e d e l a c r é a t i o n ( p a r l a p o é s i e , p a r l a m é t a m o r p h o s e )

c h e z N i e t z s c h e d i f f èr e d e c el le d e l a p r o d u c t i o n c h e z M a r x , b i e n

q u e l es d e u x d é r i v e n t d u c o r p s e t de s o n a c ti v i t é e n e n g e n d r a n t

d e s r e l a t i o n s ( r a p p o r t s ) ;

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d ) p o u r N i e t zs c h e , l a ci vi li sa ti on a b e a u c o u p p l u s d ' i m p o r t a n c e

q u e l a s o ci é t é e t i n f i n i m e n t p l u s q u e l ' É t a t . E l l e se d éf i n it p a r

d e s i n d i v i d u s e t d e s a c t i o n s i n d i v i d u e l l e s ; p a r d e s é v a l u a t i o n s

( v a l e u r s ) e t p a r u n e h i é r a r c h i e d e s v a l e u r s , b e a u c o u p p l u s q u e

p a r l e n i v e a u d e c r o i s s a n c e e t d e d é v e l o p p e m e n t s o c i a l q u e p a r l e s

f o r c e s p r o d u c t i v e s ( q u a n t i t a t i v e m e n t e t q u a l i t a t i v e m e n t c o n s i d é r é e s) ;

e ) l a p o é s i e e t l ' a r t c o m m e v o ie s, a u l i e u d u s a v o i r q u e M a r x

m a i n t i e n t , d o n c l ' œ u v r e a u - d e s s u s d u p r o d u i t ;

f ) le d é p a s s e m e n t p r is c o m m e d e s t r u c t io n ( Ü b er w in d e n) e t

n o n c o m m e é l é v a t i o n ( A u f h e b e n ) , c e q u i c o m p o r t e , c o m m e d é j à

d i t , l a t r a g é d i e e t l a s u b v e r s i o n r a d i c a l e , s a n s p r é v i s i o n d u r é s u l t a t .

L e p a s s é s ' a p p r é c i e c o m m e d é c a d e n c e e t n o n c o m m e r e s s o u r c e ,

m a t u r a t i o n , p r é p a r a t i o n d u p o s s i b l e ; l a r u p t u r e e n t r e l e p a s s é ,

l e p r é s e n t , l e p o s s i b l e e s t d o n c b e a u c o u p p l u s p r o f o n d e c h e z

N i e t z s c h e q u e l a c o u p u r e p o l i t i q u e c h e z M a r x à p r o p o s d e l ' É t a t .

D o n c , p a s d e t r a n s i t i o n c h e z Ni e t z s c h e : u n s a u t p é ri l l eu x . L e

p a s s é, l ' a c t u e l ( l ' E u r o p e , l e c a p i t a l i s m e e t l a b o u r g e o i s i e) , le m o n d e

e x i s t a n t s ' a u t o - d é t r u i s e n t . P o u r M a r x e t l e s m a r x i s t e s , i l f a u d r a i t

l es a i d e r p o u r é vi t er l a c a t a s t r o p h e o u l e h a r a- k i r i . P o u r N i e t z s c h e

e t le s n i e t z s c h é e n s, i l v a u d r a i t m i e u x p o u s s e r a u s u i ci d e l es d é c a d e n t s .

O n p o u r r a i t p r é s e n t e r l ' œu v r e d e N i e t z s c he c o m m e l a « c r i t i q u e

d e d r o i t e » d ' u n e r é a l i t é ( l ' O c c i d e n t e t l e m o n d e o c c i d e n t a l i s é , l e

L o g o s e u r o p é e n , l a b o u r g e o i s i e e t l e c a p i t a l i s m e , l e p r o d u c t i v i s m e

e t l ' é c o n o m i s m e , e t c . ) d o n t M a r x a u r a i t a p p o r t é l a « c r i t i q u e

d e g a u c h e ». S im p l i f i ca t i o n a b u s i v e N i e t z s c h e , p e u d ' a n n é e s a p r è s

l ' a c m é ( l ' a p og é e ) d e M a r x e t d e s o n œ u v r e , ar r iv e a u m o m e n t d e s

p r e m i è r e s d é c e p t i o n s . C o m m e M a r x d é j à s u r l e d é c l i n , i l e n t i r e

l es c o n sé q u e n c es . L e « m o n d e » a n c i e n c o n t i n u e , l e r e n o u v e l l e m e n t

t a r d e . P o u r q u o i ? C o m m e n t a t t a q u e r l e « r é e l » q u i s e c o n s o l i d e

e t d u r e s e l o n l e m o d è l e h é g é l i e n ?

O n p e u t d i r e q u e l e « p r o b l é m a t i s m e » d u m a r x i s m e , v o i r e

s o n c a r a c t è r e « a p o r i s t i q u e », se d o u b l e d e l a « p r o b l é m a t i q u e »

n i e t z s c h é e n n e . B r i s e r p a r l a l u t t e d e cl a ss e s l a s oc i é t é d e

c l a s s es ? A i d e r l a c l as s e o u v r i è r e à s e d é p a s s e r e n s e n i a n t ?

D é t r u i r e l ' É t a t a p r è s a v o i r m e n é à l ' é c l a t e m e n t s e s a p p a r e i l s

p o l i t i q u e s ? C e rt e s , si l ' o n p e u t e t d è s q u e l ' o n p o u r r a . M a i s a l o r s

e t p r é c i s é m e n t s e p o s e l a q u e s t i o n d u p o u v o i r à p e i n e a b o r d é e p a r

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M a r x , é l u d é e p a r l a p e n s é e o f f i c i e l l e m e n t m a r x i s t e O r N i e t z s c h e

p o s e l a q u e s t i o n e n p l e i n e l u m i è r e , e n t o u t e l u c i d i t é . I l d é c è l e l à o ù

o n n e l e s p e r ç o i t p a s , o ù o n l e s v i t s a n s l e s s a v o i r , c e s r a p p o r t s d e

f o r c e , c e s p o u v o i r s a v e c l e u r s c o n s é q u e n c e s , l ' o p p r e s s i o n , l ' e x p l o i -

t a t i o n , l ' h u m i l i a t i o n . C o n s é q u e n c e s d o n t l a p l u s e f f r a y a n t e e s t

c e l l e - c i : l e s ê t r e s h u m a i n s f i n i s s e n t t r o p s o u v e n t p a r a i m e r e t a d o r e r

c e u x q u i o n t d u p o u v o i r s u r e u x , p a r l e s i m i t e r e t s ' i d e n t i f i e r à e u x ,

p a r é p r o u v e r d e l a j o u i s s a n c e d a n s l ' h u m i l i a t i o n . . .

L e L o g o s ( g r é c o - r o m a i n e t j u d é o - c h r é t i e n , r e v u p a r D e s c a r t e s

e t p a r H e g e l s u r l e p l a n p h i l o s o p h i q u e , s o p h i s t i q u é p a r l ' É t a t

m o d e r n e s u r l e p l a n p o l i t i q u e ) d e v i e n t u n i n s t r u m e n t c o m p l i q u é ,

v i s a n t u n e f i n u n i q u e : l a r e - p r o d u c t i o n d e s r a p p o r t s d e p r o d u c t i o n .

M a r x s ' a r r ê t e d e v a n t c e t t e s i t u a t i o n e t c e s p r o b l è m e s . N i e t z s c h e

a p p o r t e u n e c r i t i q u e r a d i c a l e d u p o u v o i r , a l l a n t p l u s l o i n q u e

l a c r i t i q u e m a r x i s t e ( m i s e à l ' o m b r e ) d e l ' É t a t .

U n n é o - n i e t z s c h é i s m e d e v i e n d r a i t v i t e é l i t i q u e . U n s y s t è m e

n i e t z s c h é e n o u p s e u d o - n i e t z s c h é e n s a u v e r a i t l a v i e i l l e p h i l o s o p h i e

q u i s e m e t t r a i t v i t e a u s e r v i c e d e l ' É t a t ; i l e n t r e r a i t d a n s l e j e u

d e s p o u v o i r s . L a p e n s é e d e N i e t z s c h e n e s o r t d o n c p a s d e l ' a m b i -

g u ï t é : d u r o y a u m e d e s o m b r e s . A u j o u r d ' h u i ( 1 9 7 3 ) , i l a d v i e n t

s o u s i n f l u e n c e n i e t z s c h é e n n e q u ' u n e é l i t e c o n s i d è r e c o m m e i n é l é g a n t

e t d é p a s s é d e p a r l e r d u c a p i t a l i s m e , d e l a b o u r g e o i s i e , d e l a r e -

p r o d u c t i o n , d e M a r x . N i e t z s c h e o u p l u t ô t l a s i m u l a t i o n d u n i e t z -

s c h é i s m e p e u t d o n c s e r é c u p é r e r . L a c o m p r é h e n s i o n d e l a p r a t i q u e

p o i è t i q u e d é m e n t e t i n t e r d i t c e t t e r é c u p é r a t i o n p a r l ' é l i t e , p a r l e

s a v o i r . C a r N i e t z s c h e a p r o m u l g u é l a f i n d e s v a l e u r s o c c i d e n t a l e s

e n d é l i q u e s c e n c e ( d é c a d e n c e ) , e t l a g e n è s e d e r a p p o r t s n o u v e a u x

e n t r e l e c o r p s e t l a c o n s c i e n c e , d o n c e n t r e l e c o r p s e t l e l a n g a g e ,

l e c o n ç u e t l e v é c u , l e s é r i e u x e t l e f r i v o l e , l e s a v o i r e t l e n o n - s a v o i r :

l a v i e e t l a m o r t .

L ' o r i e n t a t i o n n i e t z s c h é e n n e a p p e l l e r a i t l a c a t a s t r o p h e . L ' o r i e n -

t a t i o n m a r x i s t e c h e r c h e r a i t p l u t ô t à l i m i t e r l e s d é g â t s . Q u e l l e

c a t a s t r o p h e ? C e l l e d e l a f i n d e s f i n s ( m o r t s d i v e r s e s : D i e u ,

« l ' h o m m e » , l ' h i s t o i r e , l e c a p i t a l i s m e , l ' É t a t e t p a r l a s u i t e l ' e s p è c e

h u m a i n e e t m ê m e l a v i e s u r l a p l a n è t e « T e r r e » ) .

24. A propos du stalinisme. Le moins qu'on puisse en dire, c'est que tout a été

et reste orienté vers l'escamotage du problème.

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C O N C L U S I O N E T P O S T F A C E

1. — Q u i c h o is i r ? U n p e u n a ï v e , a s s e z gr o s s iè r e , ce t t e i n t e r r o -

g a t i o n a f f ir m e q u e c h a c u n d o i t c h o is i r et m ê m e a d é j à ch o is i , m a i s

q u ' i l p e u t m o d i f i e r c e c h o i x , e n t r e d e s p i l o t e s , d e s d i r e c t i o n s e t d e s

h o r i z o n s . L e s qu e l s ? C o n d e n s o n s l e s pe r s p e c t i v e s :

H e g e l ? L e s e ns e t l a r éa l it é , q u i s ' a c c o r d e n t j u s q u ' à s ' i d en t if i er ,

v i e n n e n t d e l ' a c c o m p l i : l e p a s s é h i s t o r i q u e , l ' a cq u i s , d o n c p o u r

H e g e l l e vr a i. L ' h i s t o i r e ? D é j à f in ie .

P e n s é e s o l i d e à l a q u e l l e o n ( c h a c u n ) p e u t s ' a t t a c h e r . M o d è l e

d e r é a l i t é e t t y p e d e d i s c o u r s c o h é r e n t , l e S y s t è m e e n g e n d r e u n e

M i m è s i s c o n f o r t a b l e o u f a s c i n an t e , s e l o n le s g e n s q u i c h e r c h e n t

u n e a t t a c h e . M ê m e s 'i ls l ' i g no r e n t , l es e s p ri t s s y s t é m a t i q u e s ,

m e t t a n t a u - d e s s u s d u r e s t e l a c o h é s i o n e t l ' o r d r e , s o n t h é g é l i e n s .

L ' h é g é l i a n i s m e : u n b l o c s t ab l e, u n e c e r t i t u d e , à p r e n d r e o u à

l ai ss er . Q u ' a j o u t e r à s o n é t u d e m i n u t i e u s e , p é d a g o g i q u e e t p o l i t i q u e ?

D e s d ét a i ls , d e s a m é n a g e m e n t s , d e s p e r f e c t i o n n e m e n t s m i n e u r s ,

c e q u i s a t i s f a i t l ' i m m e n s e m a j o r i t é d e s g e n s d o u é s p o u r l ' o r d r e

é t ab l i, p o u r l ' i ns e r t i o n d a n s l ' e s p a c e d o n n é . E t d ' a i l l e u r s p a s p l u s

d e d i ff é re n ce s q u e d ' o u v e r t u r e s . . .

R e m a r q u e : a u t e m p s d e H eg e l , s o n s y s tè m e p h i l o s op h i c o -

p o l i t i q u e a v a i t q u e l q u e c h o s e d ' u n e u t o p i e . S o n r é a l i s m e l o g i q u e

s u b o r d o n n a i t c h a q u e t r a i t ( m o m e n t o u m e m b r e ) d e l a p r o d u c t i o n

s o c i a l e à u n e t o t a l i t é h a r m o n i e u s e , à u n e f i n a l i t é d i a c h r o n i q u e

( d a n s l e t e m p s ) e t s y n c h r o n i q u e ( a v e c l a f i n d u t e m p s h i s t o r i q u e ) .

D e q u e l d r o i t ? I l n ' a v a it , p o u r l é gi t im e r sa c o n s t r u c t io n , q u e l ' a n a -

l ys e d e l ' É t a t f r a n ç a i s ( m o n a r c h i q u e , p u i s j a c o b i n , p u i s n a p o l é o n i e n ) ,

e n c o r e i n a c h e v é , e t d e l ' É t a t p r u s s i e n , e n c o r e a u b e r c e a u c o m m e

É t a t m o d e r n e . D e c e s r é a l i t é s , H e g e l s u t d i s c e r n e r l e s t r a i t s

e s s e n t i e l s ; e n l e s a c c e n t u a n t , i l m i t a u p o i n t l e c o n c e p t d e l ' É t a t ,

u t o p i e p o s i t i v e a u d é b u t d u X I X s iè cl e ( p a r o p p o s i t i o n a u x u t o p i e s

n é g a t i v e s d e s s o c i a l i s t e s : F o u r i e r , S a i n t - S i m o n ) . Q u ' u n s i è c l e e t

d e m i p l u s t a r d l ' u t o p i e é t a t i q u e s e r é a l i s e p r a t i q u e m e n t à l ' é c h e l l e

m o n d i a l e , t o u j o u r s p a r o p p o s i t i o n a u x a u t r e s u t o p i e s , n é g a t i v e s

( F o u r i e r ) o u t e c h n o l o g i q u e s ( S a i n t - S i m o n ) , c e l a d o n n e à r é f l é c h i r .

N e s e ra i t- c e p a s u n e r a i s o n g r a ve , s i n o n d é ci si ve , d ' a t t r i b u e r l a

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p a l m e à H e g el , l ' U n i q u e P h i l o s o p h i e q u i a i t ré u ss i ce t t e o p é r a t i o n :

f a i r e p a s s e r s a d o c t r i n e d e l ' u t o p i e a u m o d è l e ? . . .

M a r x ? L e s en s se d é c o u v r e d a n s l ' av e ni r . Il a v o u l u r é u n i r le

r é e l e t l e p o s s i b l e , l a s c i e n c e a p p u y é e s u r l e p a s s é ( l ' h i s t o i r e ) e t

l ' o u v e r t u r e v er s le f u t u r . N i m e s s i a n i s m e n i s a v o i r é ta b li c o m m e t e l,

l a p e n s é e m a r x i s t e p r é s u p p o s e l e s e n s d u p o s s i b l e e t l ' a p p u i e a v e c

d e s a r g u m e n t s n a t u r a l i s t e s : t o u t c e q u i e xi s te n aî t , g r a n d i t , m e u r t .

D o n c c e t te s o ci ét é . P a r a d o x e a n a l o g u e : M a r x d é c r i t l a g e n ès e ,

a n a l y s e l ' a c t u a l i t é , e x p l i q u e l e d e v e n i r d ' u n e a b s t r a c t i o n c o n c r è t e ,

l a m a r c h a n d i s e e t l ' a r g e n t , e n p r é s e n t a n t l e s l o i s d e l ' é c h a n g e d e s

b i e n s ( p r o d u i t s ) c o m m e d e s l o i s n a t u r e l l e s . T e l q u e , i l o f f r e l e s e u l

e s p o i r , l a s e u l e c h a n c e d ' u n e p e r c é e à t r a v e r s l a d u r e r é a l i t é d e

l ' a c c o m p l i . Q u i o u v r e l a v o i e d u p o s s i b l e ? Q u i f r a ie le c h e m i n d e

l ' a v e n i r ? L e t r a v a i l e t l es t r a va i l le u r s. C e c h e m i n s e j a l o n n e d e f i ns

d i v e rs e s , q u i e n d o n n e n t l e s e ns , d o n t l a fi n d e l a s o c ié t é b o u r g e o i s e ,

l a f i n d e l ' É t a t , l a f i n d e l ' h i s t o i r e , e t c . L e s p o s s i b l e s s o n t d o n c à

l a f o i s i l l i m i t é s e t d é f i n i s p a r c e s f i n s ( f i n a l i t é e t s e n s ) . L a c l a s s e

o u v r i è r e e t s o n a c t i o n , l o i n d e p o u s s e r v e r s l a q u a n t i f i c a t i o n ( a c c r o is -

s e m e n t s a n s f i n d e s é l é m e n t s a c t u e l s d e l a s o c i é t é , a u g m e n t a t i o n

d e t a il le d e s « m o m e n t s » c o n s ti t u t if s ) , a v a n c e s u r l a v oi e d u q u a l i -

t a ti f . E l l e n i e le p a s s é p o u r c r é e r e t p r o d u i r e d e s q u a l i t é s n o u v e l l e s :

d e s r a p p o r t s d e p l u s e n p l u s « r ic h e s ». L e s f in s d iv e r s e s n e s o n t

s u r c e t t e v o i e q u e d e s b o n d s ( q u a l i t a t i f s ) . L ' a n a l y s e d u « r é e l » ,

e n d i s c e r n a n t le q u a n t i t a t i f e t l e q u a l i t a t if , n ' h é s i t e d o n c p a s à

a t t r i b u e r l a q u a l i t é à l a r é v o l u t i o n ( t ot a le ) . C e t t e r é v o l u t i o n t o t a le ,

b i e n q u e r é p a r t i e d a n s l e t e m p s e n m o m e n t s d i s t i n c t s , a p o u r

d é p a r t l a r é v o l u t i o n p r o l é t a r i e n n e e t s o n d é v e l o p p e m e n t a c t i f , à

l a f oi s li b re e t d é t e r m i n é . N o n q u e l a l i b e rt é c o n si s t e e n l a c o n n a i s -

s a n c e d ' u n d é t e r m i n i s m e p r é ex i s ta n t , m a i s p a r c e q u ' el l e d é v e l o p p e

l e s d é t e r m i n a t i o n s e n l e s d i v e r s i f i a n t ( d i f f é r e n c i a n t ) . L e s o u v e r t u r e s

v e r s l e f u t u r , l es j a l o n s s u r l a v o ie , c o r r e s p o n d e n t à d e s d é t e r m i -

n a t i o n s , à d e s t e n d a n c e s , n o n à d e s d é t e r m i n i s m e s .

N i e t z s c h e ? C o m m e M a r x , l e p o è t e N i e t z s c h e a r é v é l é p o u r l e s

d é n o n c e r q u e lq u e s m o n s t r u e u s e s m é t a m o r p h o s e s , d ' a b o r d ce l l e d es

r é s u l t a t s c i r c o n s t a n c i e l s d e l ' h i s t o i r e e n v é r i t é s m é t a p h y s i q u e s ,

e n s u i t e c el l e d u c o r p s e n i m a g e s e t i d é es . L ' h i s t o i r e s e di s q ua l i fi e .

L e s e n s n e v i e n t n i d u p a s s é n i d u f u t u r . O ù s e c h e r c h e - t - i l ? O ù s e

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découvre-t-il? Dans l'actuel. La « valeur » s'applique au présent

pour lui donner un sens en le valorisant. Même les « valeurs »

de la foi et de la théologie, de la croyance et de la morale. Même

les « valeurs » de l'histoire Or, ces valeurs, ces sens, sont morts,

tous. D'où peut donc provenir aujourd'hui la valeur avec le sens?

De l'adhésion au vécu, non pour l'accepter, au contraire : pour le

métamorphoser par la force de l'adhésion, pour le transfigurer en

vivre. La saisie du présent en dévoile la profondeur qui n'a plus de

relations avec l'origine et la fin, donc avec les questions théologiques

et philosophiques. Le corps se révèle inconnu et méconnu. Sauf

Spinoza, les philosophes ont ignoré, depuis Socrate, le corps et

sa richesse, ses organes comme porteurs des sens et des valeurs.

Seul Spinoza a saisi l'identité du conçu, du perçu, du vécu : le corps

contient beaucoup plus qu'un espace rempli d'une matière; il

contient l'infini, l'éternel. Les autres philosophes ont outrepassé

le corps vers l'abstrait, vers le pur « lisible-visible », par

métaphorisation.

Qu'est-ce donc que le Surhumain? Le définir comme une

projection ou un projet, comme un espoir ou une volonté dans

l'acceptation habituelle, c'est l'erreur philosophique, qui méta-

phorise le surhumain, esthétiquement ou éthiquement. Lorsque

Hegel, en contradiction avec lui-même, propose à la conscience

créatrice de « se confier à la différence absolue », en se saisissant

dans son « être-là » (cf. Phénoménologie, trad. II, 169), il présage

le propos nietzschéen. Le surhumain n'est autre que l'adhésion

au présent, de sorte que le corps laisse entrevoir ce qu'il contient :

hasards et déterminismes, répétitions et différences, rythmes et

raisons (Dionysos et Apollon). La souffrance a autant de sens

que la joie et la jouissance. La nuit a autant de sens et plus de

profondeur que le jour, la mort — ce retour — que la vie. Ce que

les poètes ont compris mieux que les philosophes, autrement que

les théologiens. L'adhésion, le « oui », crée la différence maximale

— le Surhumain — en ayant l'air de dénoter une différence minime,

l'acceptation, « l'amor fati » dans l'acception stoïque. Tout et tout

de suite, c'est le sens du « oui » et le commencement du Surhumain.

Ce qui implique la terrible épreuve du Retour : le tout, l'actuel

saisi comme tout, peuvent revenir. Le Gai Savoir ne bute pas

contre cette vision : il s'éprouve en elle et se « vérifie ».

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2. — Mais faut-il vraiment choisir? En examinant de plus

près, de très près, chaque partie, les raisons du choix s'estompent,

s'assombrissent.

Hegel? C'est l'État, rien que l'État, tout l'État. Et l'État tout

entier à ses proies attaché Réel, ou plu tôt réalisé depuis Hegel.

Mais l'État, moderne réalité, coïncide-t-il avec l'État hégélien?

Celui-ci a la grande allure d'un château; l'État moderne a plutôt

l'allure d'une grosse maison bourgeoise, corps de logis flanqué

de multiples dépendances, boutiques, ateliers, dépôts d'ordures.

Le grand style s'en va; rien ne subsiste du bel édifice rationnel,

rien sauf le manque d'horizon, l'étouffement. La bureaucratie a

depuis lors dévoilé son essence : ses performances tyranniques et

compliquées plus clairement que ses compétences. Savoir bureau-

cratique, force brute, voilà les deux faces de l'État.

Chez Hegel et dans l'hégélianisme, le savoir triomphe. Savoir

et pouvoir s'accordent jusqu'à s'identifier avec la Raison, trinité

initiale et finale. Par contre, dans la société et l'État modernes, de

quoi ont besoin les hommes de l'État? D'informations plus que

de connaissances. Dans quel but? La manipulation des « hommes »,

foules et individus. Ce qui enlève à l'État les prétextes humanistes

qu'il conserve chez Hegel. La science, ou plutôt les sciences? Elles

s'insèrent dans les appareils de production et de contrôle. Le savoir

comme tel? Il se relègue dans un ghetto, l'Université. Pour l'infor-

mation, les hommes de l'État ont leurs services, leurs équipes.

Par rapport à eux, le savoir fonctionne comme « banque de

données ». La connaissance donc se fige en savoir institutionnel

et se relègue dans une marge au lieu d'occuper le centre, comme

chez Hegel. Ce qui ne l'empêche pas de servir doublement : dans

la matérialité (production) et dans l'idéalité (politique). Elle sert

et ne règne pas. En bref, l'État, de plus en plus force brute, se sert

du savoir.

Accepter la conception hégélienne, c'est accepter de se mettre

au service de l'État, c'est-à-dire des hommes de l'État, sélectionnés

(à rebours) par leurs propres appareils. Les compétents en ceci ou

cela, les « sachants » forment des conseils et deviennent conseillers

des princes. Ceux qui ne sont compétents en rien, mais qui montre nt

une habileté particulière dans la manipulation des gens et

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l'utilisation des compétences, ceux-là deviennent chefs politiques :

princes modernes, à leurs risques et périls.

Marx? Son postulat du possible se vérifie mal. Il repose sur

une base fragile : l'analogie entre nature et société. Comme dans

la nature, il y a maturation des êtres sociaux, points critiques de la

croissance, puis déclin et mort. La mort peut donc s'annoncer

d'avance, se prévoir, en analysant les indices et symptômes (les

contradictions). Ce postulat généralisé aux classes (ascendantes,

déclinantes), aux nations, aux sociétés, à l'État et aux États, aux

modes de production, ne se consolide pas en vérité (en savoir

acquis) sur le plan dit « épistémologique ». Quant à chercher où

et comment Marx contribue à la théorie (au connaître), ce n'est

pas du côté de cette philosophie naturaliste de l'histoire que l'on

cherche, c'est du côté de l'économique (la plus-value) ou de l'histo-

rique proprement dit (la genèse des formations sociales, le capi-

talisme et la bourgeoisie entre autres).

Pour Marx, une rationalité nouvelle, supérieure qualitativement

à la rationalité philosophique, naît à partir d'un certain moment

de la pratique sociale : de l'industrie et du travail. Or cette pré-

supposition mal explicitée ne se vérifie pas plus que le postulat

naturaliste qui aligne la vie sociale sur la vie naturelle. Est-il exact

que Marx reçoive de la bourgeoisie « ascendante », par la médiation

des économistes anglais et de Hegel, le travail comme « valeur »?

Oui et non. Oui, en ce sens qu'il reconnaît, comme Smith et Hegel,

après eux, l'importance de la production. Non, en ce sens qu'il

juge qu'une raison (une rationalité) originale surgit du travail,

non explicitée encore chez les économistes anglais et chez Hegel

— présente avec plus de force et de perspectives chez les grands

Français : Fourier et Saint-Simon.

Ceci dit, la division du travail, jusqu'ici insurmontée sinon

insurmontable, a ébranlé cette théorie optimiste. Le dépassement

du travail ne s'accomplit pas par un « polytechnisme », par une

polyvalence du travailleur, mais par l'automatisation. Ce qu'a

pressenti Marx sans percevoir l'ébranlement inévitable des

« valeurs » et du « sens » du travail qui en résulte aujourd'hui.

Mais ce n'est rien à côté du paradoxe politique inhérent à la

pensée marxiste : lutter sur le plan politique pour mettre fin au

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politique (pour mener l'État au dépérissement). Dialectique spéci-

fique mais surprenante : la classe ouvrière, pour Marx, s'affirme

en se niant. Elle se dépasse en dépassant le capitalisme. Cette

affirmation dialectique ne comporte-t-elle pas un risque : la perte

de vitesse et d'identité, le dépérissement de la classe ouvrière

elle-même?

Nietzsche? Que de risques Si le Surhumain commence ici

et maintenant, dans l'adhésion jubilante à l'acte (au corps) et au

présent, où nous (me) mène-t-il? Celui qui n'entre pas dans le

règne de la volonté de puissance, et qui cependant saisit la pro-

fondeur de cette volonté, avec ses diversités, ses masques, ses

travestis, où s'en va-t-il? Dans l'errance, sans direction assignée?

Vers l'hétérologique, sans parvenir à éluder la question du langage,

de l'appui à prendre (ou à ne pas prendre) sur cette « réalité »?

Dans quelle mesure, pour éviter les métaphores conventionnelles

entrées dans le langage, ne risque-t-on pas de re tourner vers

un naturalisme poétique, où le soleil et la nuit, le tonnerre et

les éclairs, la mer, les lacs, les vents, mènent grand train

prophétique?

Le plus grand risque : celui de construire une « élite » qui

se nommera aristocratie nouvelle, maîtres sans esclaves, etc.

Égotisme, égocentrisme, ces reproches au « vivre » nietzschéen

n'ont aucun fondement. Le « sujet » reconstruit sur des bases

nouvelles n'a plus rien du vieil « ego ». Le reproche d'élitisme,

par contre, a une portée. Cette élite cultiverait son art de vivre

au sein de la société existante, en utilisant ses ressources sans

chercher la subversion et la destruction autrement que sur le plan

de l'écriture (littéraire). Séparée en apparence, subversive illu-

soirement, cette élite n'aurait aucune prise sur le réel, sauf à travers

le discours et l'écrit. Une telle caste, qui ne peut devenir classe,

reste marginale par rap por t aux gens qui agissent et qui ont richesse

ou pouvoir, ou les deux. Bref, le nietzschéisme a quelque chance

de raffermir ce que Nietzsche haïssait : l'intellect, l'intelligentsia.

Ghettos, tourniquets, négativisme verbal n'ont pas mis fin et ne

semblent pas destinés à mettre fin au nihilisme.

Quelque chose de la poésie nietzschéenne rappelle la quête

du Graal, à travers Wolfram d'Eschenbach (chez qui le Graal n'est

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pas vase sacré, coupe sainte, mais objet magique, talisman, pierre

précieuse, conférant des pouvoirs surhumains à qui le détient)

On peut d'ailleurs répliquer en réfutant les parodies et cari-

catures du nietzschéisme. Aujourd'hui, le nietzschéen pratiquerait

la discrétion autant que la prudence. Il s'abstiendrait de parler

trop et surtout d'écrire. Il chercherait à vivre et à se dire en actes

pleins de sens. Mais quel critère permet de discerner la pratique

poétique selon Nietzsche et sa parodie, dans une époque où la

Mimèsis joue un rôle dominant?

3. — A quel saint se vouer? Et s'il n'y a pas de saint, pas de

figure lumineuse, s'il n'y a plus d'étoiles au-dessus des ombres, ne

va-t-on pas chercher ailleurs, du côté des guides de l'ombre, les

gourous, les griots, en clair les psychanalystes, les néo-philosophes

« modernes », les inspirés ?

Cette seconde et grossière hypothèse exclue, que reste-t-il

de la confrontation? Ceci : il n'y a pas à choisir mais à maintenir

dans la pensée les trois « moments ». Choisir, à la manière habi-

tuelle, ce serait prendre l'un en écartant les autres. Pourquoi?

Simultanément :

a) Hegel, l'hégélianisme? Avec la réalité qu 'il représente,

c'est un donné de l'action, c'est l'obstacle et l'ennemi qui ne peut

se combattre qu'avec ses propres armes. S'il y a eu quelque chose

de montré, c'est bien ce caractère fascinant et adverse de la doctrine

hégélienne, non pas en tant que doctrine, mais en tant que vérité

d'une réalité insupportable, celle qui bloque le chemin. La double

action inéluctable, sur le plan théorique et sur le plan pratique,

vise d'un côté la doctrine hégélienne et d'autre part ce qu'elle

exprime : l'État qui s'érige et s'impose en persévérant indéfiniment

dans son être, si on le laisse faire (si l'on admet avec Hegel et les

hégéliens que l' « Être » au sens philosophique trouve dans l'État

son code et son décryptage, à la fois son élucidation et son

accomplissement).

1. Cf. P. GALLOIS, Perceval et l'initiation, Paris, 1972, pp. 23-29, qui mont re une

correspondance entre la symbolique occidentale et celle de l'Orient iranien (la Perse

antique, donc celle de Zoroastre).

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b ) M a r x d é s i g n e l a p o s si b i l i t é o b j ec t i v e d ' u n e p e r c é e : u n e

p o s s i b i l i t é s o c i a l e e t p o l i t i q u e , q u e s e u l e u n e c l a s s e r é v o l u t i o n n a i r e

p e u t e f f e c tu e r (l a c la s s e o u v r i è r e , si el le s ' a ff i r me , e t d a n s l a m e s u r e

o ù e l l e s ' a f f i r m e e n « s u j e t » p o l i t i q u e ) . S ' i l e s t v r a i q u e c e t t e a f f i r -

m a t i o n n e s ' e st j a m a i s a c c o m p l i e m a s s i v e m e n t e t d é c i si v e me n t , i ci

o u l à i l s e p a s s e t o u j o u r s q u e l q u e c h o s e q u i e n t r e t i e n t c e s e n s , à

s a v o i r l a p r o d u c t i o n d e n o u v e a u x r a p p o r t s e t d e d i f f é r e n c e s

o b j e c t i v e s .

c ) N i e t z s c h e i n d i q u e l a p o s s i b il i t é s u b j e ct i v e d ' u n e p e r c é e

e n d é p l o y a n t c e q u e c o n t i e n t l ' a c t e « p u r » , i n it i al e t f in al : l ' a d h é s i o n

a u p r é s en t , d a n s u n c o r ps , l e « o u i » à l a v ie . U n e p r a t i q u e p o é t i q u e

e n d é c o u l e , c r é a t r i c e d e d i f f é r e n c e s s u b j e c t i v e s

4 . — E n g u i s e d e p o s t f a c e à c e tt e c o n f r o n t a t i o n , v o ic i q u e l q u e s

a s p e c t s d é l i b é r é m e n t s u b j e c t i f s . P o u r q u o i l e s i n s é r e r i c i ? P o u r

m o n t r e r l ' i m p o r t a n c e d e N i e t z s c h e c o m m e r é v é l a t e u r ( e n t e r m e s

p l u s p r o c h e s d u s a v o i r : c o m m e c e l u i q u i d i t l e s s e n s e t l e s v a l e u r s ,

d o n c l e d é c o d e u r u n i v e r s e l e t d e c e f a i t d e s t r u c t e u r d e s c o d e s ,

e x i g e a n t s o i t l ' i n v e n t i o n d ' u n a u t r e c o d e , s o i t t=BWDd é p a s s e m e n t d u

c o d a g e - d é c o d a g e ) .

L ' a u t e u r ( É g o ) a l u N i e t z s c h e , p a r l e p l u s g r a n d d e s h a s a r d s ,

a u c o u r s d ' u n e é d u c a t i o n c h r é t i e n n e , ve r s sa q u i n z i è m e a n n é e :

t o u t c e q u i é t a i t a l o r s t r a d u i t , p l u s q u e l q u e s t e x t e s e n a l l e m a n d .

Z a r a t h o u s t r a : c ' es t le l iv re q u ' o n c r o i t a v o i r d é j à l u à l a p r e m i è r e

l e c t u r e , e t q u ' o n c r o i t t o u j o u r s l ir e p o u r l a p r e m i è r e f oi s, le l iv r e

q u i d é l i v r e .

O u i m a i s , s y m p t ô m e d e l ' é p o q u e : v i n r e n t e n s u i t e l ' ef f or t p o u r

r e n t r e r d a n s l a n o r m e ( l e t r a v a i l , l a p r a t i q u e , l ' h i s t o i r e , l ' a c t i o n )

é t a n t d o n n é l ' e x t r ê m e d i f f i c u l t é q u ' é p r o u v e u n a d o l e s c e n t à c r é e r

s a p r o p r e v i e — e t c o n t r a d i c t o i r e m e n t l 'e ff o rt p o u r e n t r e r d a n s u n

m o u v e m e n t r é v o l u t i o n n a i r e o u s u b v e r s i f , c a p a b l e d ' e f f i c a c i t é .

« É g o » , d o n c , à v i n g t - c i n q a n s , m a l g r é l ' é b l o u i s s e m e n t n i e t z s -

c h é e n : u n e o m b r e p a r m i l es o m b r e s , e t p l u s : l ' o m b r e i n c a r n é e .

S e d é b a t t a n t m i e u x q u ' u n e o m b r e . D ' o ù l a r e n c o n t r e d ' a b o r d d e

H e g e l ( p a r l e p l u s g r a n d d e s h a s a r d s : s u r l a t a b l e d e t r a v a i l d ' A n d r é

2. Pour exemplifier : percée objective, Lip, 1973 — percée subjective, Soljenitsyne,

1973-1974.

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7/23/2019 Hegel Marx Nietzsche Ou Le Royaume Des Ombres

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Breton), puis de Marx. D'où aussi le malentendu : l'adhésion au

marxisme, en raison d'une théorie capitale, celle du dépérissement

de l'État. D'où l'entrée dans le P.C.F., mouvement qui devait

se figer dans le stalinisme et le fétichisme de l'État. D'où quelques

péripéties

Au cours de ces péripéties, et bien qu'appelée lentement à la

lumière, jamais ne disparut l'idée de la double percée : à travers

la politique et la critique de la politique, pour la dépasser comme

telle, à travers la poésie, l'Eros, le symbole et l'imaginaire, à travers

le refus de l'altération (et de l'aliénation et la saisie du présent).

5. — Dans l'espace se rencontrent la percée objective (socio-

économique) et la percée subjective (poétique). Dans l'espace

s'inscrivent et plus encore se « réalisent » les différences, de la

moindre à l'extrême. Inégalement éclairé, inégalement accessible,

hérissé d'obstacles, obstacle lui-même devant les initiatives, modelé

par elles, l'espace devient le lieu et le milieu des différences.

L'épreuve des conflits et celle de l'espace tendent à coïncider, pour

tout ce qui s'affirme et tente sa percée, objective ou subjective.

Ce projet de l'espace, œuvre à l'échelle planétaire d'une double

activité productrice et créatrice (esthétique et matérielle), serait-ce

le substitut empirique du Surhumain, un produit de remplacement?

Non. Il implique un dépassement (Überwinden) à la taille du monde,

précipitant dans l'aboli les résultats morts du temps historique.

Il comporte une épreuve concrète, liée à la pratique et à la totalité

du possible, selon la pensée la plus radicale de Marx, liée aussi à

la restitution entière du sensible et du corps selon la poésie

nietzschéenne.

Ce projet rejette dans le néant des résultats morts l'espace

hégélien, ouvrage de l'État, où celui-ci s'installe et s'étale. Œuvre-

produit de l'espèce humaine, l'espace sort de l'ombre, comme la

planète d'une éclipse.

3. Cf. La Somme et le Reste, 1959 (épuisé), réédition partielle, Bélibaste, Paris, 1973.