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Hiroshima mon amour

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Page 1: Hiroshima mon amour
Page 2: Hiroshima mon amour

MargueriteDuras

Hiroshima

monamour

SCÉNARIOETDIALOGUE

réalisation

ALAINRESNAIS

Gallimard

Page 3: Hiroshima mon amour

ARGOSFILMS

COMOFILMS

DAIEIMOTIONPICTURECOMPANYLTD

et

PATHEOVERSEASPRODUCTIONS

présentent

EMMANUELLE EIJI RIVA OKADA

dans

HIROSHIMAMONAMOUR

*

Réalisation

ALAINRESNAIS

*

Scénarioetdialogues:MARGUERITEDURAS

*

Page 4: Hiroshima mon amour

Avec

STELLADASSAS PIERREBARBAUD

et

BERNARDFRESSON

*

Directeursdelaphotographie

SACHAVIERNY TAKAHASHIMICHIO

OpérateursGOUPIL WATANABE et IODA

Lumière:ITO

*

Musique

GEORGESDELERUE GIOVANNIFUSCO

*

Montage

HENRICOLPI

JASMINECHASNEY

AnneSarraute

*

Décors

ESAKA MAYO

PETRI

Page 5: Hiroshima mon amour

Assistantdécorateur:MIYAKUNI

*

Script:SYLVETTEBAUDROT

Assistantsréalisateurs

T.ANDREFOUET I.SHIRAI

J.-P.LÉON ITOI

R.GUYONNET HARA

*

Assistantsopérateurs

J.CHIABAULT Y.NOGATOMO

D.CLERVAL N.YAMAGUTSCHI

RégisseursR.KNABE I.OHASHI

Accessoiristes

R.JUMEAU IKEDA

*

Chefsmaquilleurs

A.MARCUS R.TOIODA

Coiffeuse:ÉLIANEMARCUS

Costumier:GÉRARDCOLLERY

Conseillerlittéraire:GÉRARDJARLOT

Secrétairedeproduction:NICOLESEYLER

*

Ingénieursduson

Page 6: Hiroshima mon amour

P.CALVET YAMAMOTO R.RENAULT

Laboratoire:ÉCLAIR

Enregistrements:MARIGNANetSIMO

Directeursdeproduction

SACHAKAMENKA

et

SHIRAKAWATAKEO

*

Producteurdélégue

SAMYHALFON

*

Visaministérielno

29.890

Page 7: Hiroshima mon amour

SYNOPSIS

Noussommesdansl'été1957,enaoût,àHiroshima.

Une femme française, d'une trentaine d'années, est dans cette ville. Elle y est

venuepourjouerdansunfilmsurlaPaix.

L'histoirecommencelaveilleduretourenFrancedecetteFrançaise.Lefilmdans

lequelellejoueesteneffetterminé.Iln'enrestequ'uneséquenceàtourner.

C'est la veille de son retour en France que cette Française, qui ne sera jamais

nomméedanslefilm–cettefemmeanonyme–rencontreraunJaponais(ingénieur,

ouarchitecte)etqu'ilsaurontensembleunehistoired'amourtrèscourte.

Lesconditionsdeleurrencontreneserontpaséclairciesdanslefilm.Carcen'est

paslàlaquestion.Onserencontrepartoutdanslemonde.Cequiimporte,c'estce

quis'ensuitdecesrencontresquotidiennes.

Cecoupledefortune,onnelevoitpasaudébutdufilm.Nielle.Nilui.Onvoit

en leur lieu et place des corps mutilés – à hauteur de la tête et des hanches –

remuants–enproie soità l'amour, soità l'agonie–et recouverts successivement

descendres,desrosées,delamortatomique–etdessueursdel'amouraccompli.

Cen'estquepeuàpeuquedecescorpsinformes,anonymes,sortirontleurscorps

àeux.

Ilssontcouchésdansunechambred'hôtel.Ilssontnus.Corpslisses.Intacts.

Dequoiparlent-ils?JustementdeHIROSHIMA.

Elleluiditqu'elleatoutvuàHIROSHIMA.Onvoitcequ'elleavu.C'esthorrible.

Cependant que sa voix à lui, négatrice, taxera les images demensongères et qu'il

répétera,impersonnel,insupportable,qu'ellen'arienvuàHIROSHIMA.

Leurpremierproposseradoncallégorique.Cesera,ensomme,unproposd'opéra.

Impossible de parler de HIROSHIMA. Tout ce qu'on peut faire c'est de parler de

l'impossibilitédeparlerdeHIROSHIMA.LaconnaissancedeHiroshimaétantapriori

poséecommeunleurreexemplairedel'esprit.

Cedébut,cedéfiléofficieldeshorreursdéjàcélébréesdeHIROSHIMA,évoquédans

unlitd'hôtel,cetteévocationsacrilège,estvolontaire.OnpeutparlerdeHIROSHIMA

partout, même dans un lit d'hôtel, au cours d'amours de rencontre, d'amours

adultères.Lesdeuxcorpsdeshéros,réellementépris,nouslerappelleront.Cequiest

Page 8: Hiroshima mon amour

vraimentsacrilège, si sacrilège ilya,c'estHIROSHIMAmême.Cen'estpas lapeine

d'êtrehypocriteetdedéplacerlaquestion.

Sipeuqu'onluiaitmontréduMonumentHiroshima,cesmisérablesvestigesd'un

MonumentdeVide,lespectateurdevraitsortirdecetteévocationnettoyédebiendes

préjugésetprêtàtoutaccepterdecequ'onvaluidiredenosdeuxhéros.

Lesvoici,justement,revenusàleurproprehistoire.

Histoirebanale,histoirequiarrivechaquejour,desmilliersdefois.LeJaponais

estmarié,iladesenfants.LaFrançaisel'estaussietelleaégalementdeuxenfants.

Ilsviventuneaventured'unenuit.

Maisoù?AHIROSHIMA.

Cetteétreinte,sibanale,siquotidienne,alieudanslavilledumondeoùelleest

leplusdifficileàimaginer:HIROSHIMA.Rienn'est«donné»àHIROSHIMA.Unhalo

particulier y auréole chaquegeste, chaqueparole,d'un sens supplémentaire à leur

senslittéral.Etc'estlàundesdesseinsmajeursdufilm,enfiniravecladescription

del'horreurparl'horreur,carcelaaétéfaitparlesJaponaiseux-mêmes,maisfaire

renaître cette horreur de ces cendres en la faisant s'inscrire en un amour qui sera

forcément particulier et « émerveillant ». Et auquel on croira davantage que s'il

s'étaitproduitpartoutailleursdanslemonde,dansunendroitquelamortn'apas

conservé.

Entre deux êtres géographiquement, philosophiquement, historiquement,

économiquement, racialement, etc., éloignés le plus qu'il est possible de l'être,

HIROSHIMA sera le terrain commun (le seul aumondepeut-être ?) où lesdonnées

universellesdel'érotisme,del'amour,etdumalheurapparaîtrontsousunelumière

implacable.Partoutailleursqu'àHIROSHIMA,l'artificeestdemise.AHIROSHIMA,il

nepeutpasexistersouspeine,encore,d'êtrenié.

Ens'endormant,ilsparlerontencoredeHIROSHIMA.Différemment.Dansledésir

etpeut-êtreàleurinsu,dansl'amournaissant.

Leursconversationsporterontàlafoissureux-mêmesetsurHIROSHIMA.Etleurs

proposserontmélangés,mêlésdetellefaçon,dèslors,aprèsl'opéradeHIROSHIMA–

qu'ilsserontindiscernableslesunsdesautres.

Toujours leur histoire personnelle, aussi courte soit-elle, l'emportera sur

HIROSHIMA.

Sicetteconditionn'étaitpastenue,cefilm,encoreunefois,neseraitqu'unfilm

decommandedeplus,sansaucunintérêtsaufceluid'undocumentaireromancé.Si

cetteconditionest tenue,onaboutiraàuneespècede fauxdocumentairequi sera

bienplusprobantdelaleçondeHIROSHIMAqu'undocumentairedecommande.

Page 9: Hiroshima mon amour

Ils se réveilleront.Et reparleront, tandisqu'elle s'habille.Dechoseetd'autre et

aussideHIROSHIMA.Pourquoipas?C'estbiennaturel.NoussommesàHIROSHIMA.

Et elle apparaît tout à coup, complètement habillée en infirmière de laCroix-

Rouge.

(Danscecostume,quiestensommel'uniformedelavertuofficielle,illadésirera

de nouveau. Il voudra la revoir. Il est comme tout le monde, comme tous les

hommes,exactement,et ilyadanscedéguisementunfacteurérotiquecommunà

tousleshommes.(Éternelleinfirmièred'uneguerreéternelle...)

Pourquoi,alorsqu'elleaussiledésire,neveut-ellepaslerevoir?Ellen'endonne

pasderaisonsclaires.

Auréveil,ilsparlerontaussidesonpasséàelle.

Que s'est-ilpassé àNEVERS,dans sa villenatale,dans cetteNièvreoù elle a été

élevée?Ques'est-ilpassédanssaviepourqu'ellesoitainsi,si libreettraquéeàla

fois,sihonnêteetsimalhonnêteàlafois,siéquivoqueetsiclaire?Sidésireusede

vivredesamoursderencontre?Silâchedevantl'amour?

Unjour,luidit-elle,unjouràNEVERS,elleaétéfolle.Folledeméchanceté.Elle

le dit, comme elle dirait qu'une fois, à NEVERS, elle a connu une intelligence

décisive.Delamêmefaçon.

Sicet«incident»deNEVERSexpliquesaconduiteactuelleàHIROSHIMA,ellen'en

ditrien.Elleracontel'incidentdeNEVERScommeautrechose.Sansendirelacause.

Elles'enva.Elleadécidédenepaslerevoir.

Maisilssereverront.

Quatreheuresdel'après-midi.PlacedelaPaixàHIROSHIMA(oudevantl'hôpital).

Des cameramen s'éloignent (on ne les voit jamais dans le film que s'éloignant

avecleurmatériel).Ondéfaitdestribunes.Ondécrochelesbanderoles.

LaFrançaisedortàl'ombre(peut-être)d'unetribunequel'ondéfait.

Onvientde tournerun film édifiant sur laPaix.Pasun film ridiculedu tout,

maisunfilmDEPLUS,c'esttout.

Unhommejaponaispassedans la foulequicôtoieunefoisdeplus ledécordu

filmqu'onvientdeterminer.Cethommeestceluiquenousavonsvulematindans

lachambre.IlvoitlaFrançaise,s'arrête,vaverselle,laregardedormir.Sonregardà

luilaréveille.Ilsseregardent.Ilssedésirentbeaucoup.Iln'estpaslàparhasard.Il

estvenupourlarevoirencore.

Ledéfiléauralieupresqueimmédiatementaprèsleurrencontre.C'estladernière

séquence du film qu'on tourne là. Défilés d'enfants, défilés d'étudiants. Chiens.

Chats.Badauds.ToutHIROSHIMA sera làcommeil l'esttoujours lorsqu'ils'agitde

servirlaPaixdanslemonde.Défilédéjàbaroque.

Page 10: Hiroshima mon amour

La chaleur sera très grande. Le ciel sera menaçant. Ils attendront que passe le

défilé.C'estpendantcelui-ci,quelui,luidiraqu'ilcroitqu'ill'aime.

Ill'emmènerachezlui.Ilsparleronttrèsbrièvementdeleurexistencerespective.

Cesontdesgensheureuxdanslemariageetquinecherchentensembleaucune

contrepartieàuneinfortuneconjugale.

C'estchezlui,etpendantl'amour,qu'ellecommenceraàluiparlerdeNevers.

Elle fuiraencoredechez lui. Ils irontdansuncafé, sur le fleuvepour« tuer le

tempsavantsondépart».Lanuitdéjà.

Ilsresterontlàencorequelquesheures.Leuramouraugmenteraenraisoninverse

dutempsqu'illeurresteraavantledépartdel'avionlelendemainmatin.

C'estdanscecaféqu'elleluidirapourquoielleaétéfolleàNEVERS.

Elle a été tondue àNEVERS, en 1944, à vingt ans. Sonpremier amant était un

Allemand.TuéàlaLibération.

Elle est restée dans une cave, tondue, à NEVERS. C'EST SEULEMENT LORSQUE

HIROSHIMAestarrivéqu'elleaétéassezdécentepoursortirdecettecaveetsemêlerà

lafouleenliessedesrues.

Pourquoi avoir choisi ce malheur personnel ? Sans doute parce qu'il est

également,lui-même,unabsolu.Tondreunefilleparcequ'elleaaiméd'amourun

ennemiofficieldesonpays,estunabsoluetd'horreuretdebêtise.

On verra NEVERS, comme dans la chambre, on l'a déjà vu. Et ils reparleront

encore d'eux-mêmes. Imbrication encore une fois de NEVERS, et de l'amour, de

HIROSHIMAetdel'amour.Toutsemélangerasansprincipepréconçuetdelafaçon

dontcemélangedoitsefairechaquejour,partout,oùsontlescouplesbavardsdu

premieramour.

Ellepartiraencoredelà.Ellelefuiraencore.

Elleessaieraderentreràl'hôtel,d'assagirsonhumeur,n'yarriverapas,ressortira

del'hôteletretourneraverslecaféqui,alors,serafermé.Etresteralà.Sesouviendra

deNEVERS(monologueintérieur),doncdel'amourmême.

L'homme l'a suivie. Elle s'en aperçoit. Elle le regarde. Ils se regardent, dans

l'amour leplusgrand.Amour sansemploi, égorgécommeceluideNEVERS.Donc

reléguédéjàdansl'oubli.Doncperpétuel.(Sauvegardéparl'oublimême.)

Ellenelerejoindrapas.

Elletraîneraàtraverslaville.Etluilasuivracommeilsuivraituneinconnue.Aun

moment donné, il l'abordera et il lui demandera de rester à HIROSHIMA, comme

dansunaparté.Ellediranon.Refusdetoutlemonde.Lâchetécommune

1

.

Lesjeuxsontfaits,vraiment,poureux.

Iln'insisterapas.

Page 11: Hiroshima mon amour

Elletraîneraàlagare.Luilarejoindra.Ilsseregarderontcommedesombres.

Plusunmot à sedire àpartir de là.L'imminencedudépart les clouedansun

silencefunèbre.

Il s'agitbiend'amour.Ilsnepeuventplusquese taire.Unescèneextrêmeaura

lieudansuncafé.Onl'yretrouveraencompagnied'unautreJaponais.

Et à une table on retrouvera celui qu'elle aime, complètement immobile, sans

aucune réaction que celle d'un désespoir librement consenti, mais qui le dépasse

physiquement. C'est déjà comme si elle était à « d'autres ». Et lui ne peut que le

comprendre.

A l'aurore, elle rentrera dans sa chambre. Lui, frappera à la porte quelques

minutes après. Il n'aura pas pu éviter cela. « Impossible d'éviter de venir »,

s'excusera-t-il.

Et dans la chambre rien n'aura lieu. Ils en seront réduits l'un et l'autre à une

impuissancemutuelle terrifiante.La chambre « l'ordredumonde », restera, autour

d'euxqu'ilsnedérangerontplusjamais.

Pasd'aveuxéchangés.Plusungeste.

Simplement, ilss'appellerontencore.Quoi?NEVERS,HIROSHIMA.Ilsnesonten

effetencorepersonneàleursyeuxrespectifs.Ilsontdesnomsdelieu,desnomsqui

n'en sont pas. C'est, comme si le désastre d'une femme tondue à NEVERS et le

désastredeHIROSHIMAserépondaientEXACTEMENT.

Elleluidira:«Hiroshima,c'esttonnom.»

1Note:Certainsspectateursdufilmontcruqu'elle«finissait»parresteràHiroshima.C'estpossible.Jen'ai

pasd'avis.L'ayantamenéeàlalimitedesonrefusderesteràHiroshima,nousnenoussommespaspréoccupés

desavoirsi–lefilmfini–ellearrivaitàtransgressersonrefus.

Page 12: Hiroshima mon amour

AVANT-PROPOS

J'aiessayéderendrecompteleplusfidèlementqu'ilaétépossible,dutravailquej'ai

faitpourA.ResnaisdansHiroshimamonamour.

Qu'on ne s'étonne donc pas que l'image d'A. Resnais ne soit pratiquement jamais

décritedanscetravail.

MonrôleseborneàrendrecomptedesélémentsàpartirdesquelsResnaisafait son

film.

LespassagessurNeversquinefaisaientpaspartieduscénarioinitial(juillet58)ont

été commentésavant le tournage enFrance (décembre58). Ils fontdonc l'objet d'un

travailséparéduscript(voirappendice:LesÉvidencesnocturnes).

J'aicrubondeconserveruncertainnombredechosesabandonnéesdu filmdans la

mesureoùelleséclairentutilementleprojetinitial.

Je livre ce travail à l'édition dans la désolation de ne pouvoir le compléter par le

compterendudesconversationspresquequotidiennesquenousavions,A.Resnaisetmoi,

d'une part,G. Jarlot etmoi, d'autre part, A. Resnais,G. Jarlot etmoi, d'autre part

encore.Jen'aijamaispumepasserdeleursconseils,jen'aijamaisabordéunépisodede

mon travail sans leur soumettre celui qui précédait, écouter leurs critiques, à la fois

exigeantes,lucidesetfécondes.

MargueriteDuras.

Page 13: Hiroshima mon amour

PARTIEI

[Lefilms'ouvresurledéveloppementdufameux«champignon»deBIKINI.

Il faudrait que le spectateur ait le sentiment, à la fois, de revoir et de voir ce

«champignon»pourlapremièrefois.

Ilfaudraitqu'ilsoittrèsgrossi,trèsralenti,etquesondéveloppements'accompagnedes

premièresmesuresdeG.Fusco.

Amesurequece«champignon»s'élèvesurl'écran,au-dessousdelui]

1

,apparaissent,

peuàpeu,deuxépaulesnues.

Onnevoitquecesdeuxépaules,ellessontcoupéesducorpsàlahauteurdelatêteet

deshanches.

Ces deux épaules s'étreignent et elles sont comme trempées de cendres,de pluie,de

roséeoudesueur,commeonveut.

Le principal c'est qu'on ait le sentiment que cette rosée, cette transpiration, a été

déposéepar[le«champignon»deBIKINI],àmesuredesonéloignement,àmesuredeson

évaporation.

Ildevraitenrésulterunsentimenttrèsviolent,trèscontradictoire,defraîcheuretde

désir.

Les deux épaules étreintes sont de différente couleur, l'une est sombre et l'autre est

claire.

LamusiquedeFuscoaccompagnecetteétreintepresquechoquante.

Ladifférenciationdesdeuxmainsrespectivesdevraitêtretrèsmarquée.

LamusiquedeFusco s'éloigne.Unemainde femme, [trèsagrandie], resteposée sur

l'épaulejaune,poséeestunefaçondeparler,agrifféeconviendraitmieux.

Unevoixd'homme,mateetcalme,récitative,annonce:

LUI

Tun'asrienvuàHiroshima.Rien.

Autiliseràvolonté.

Unevoixdefemme,trèsvoilée,mateégalement,unevoixdelecturerécitative,

sansponctuation,répond:

Page 14: Hiroshima mon amour

ELLE

J'aitoutvu.Tout.

LamusiquedeFuscoreprend,justeletempsquelamaindefemmeseresserre

encoresurl'épaule,qu'ellelalâche,qu'ellelacaresse,etqu'ilrestesurcetteépaule

jaunelamarquedesonglesdelamainblanche.

Commesilagriffurepouvaitdonnerl'illusiond'êtreunesanctiondu:«Non,

tun'asrienvuàHiroshima.»

Puislavoixdefemmereprend,calme,égalementrécitativeetterne:

ELLE

Ainsil'hôpital, jel'aivu.J'ensuissûre.L'hôpitalexisteàHiroshima.Comment

aurais-jepuéviterdelevoir?

L'hôpital, couloirs, escaliers,malades dans le dédain suprême de la camera

2

.

(Onnelavoitjamaisentraindevoir.)

Onrevientàlamainmaintenantagrifféesansrelâchesurl'épauledecouleur

jaune.

LUI

Tun'aspasvud'hôpitalàHiroshima.Tun'asrienvuàHiroshima.

Ensuite la voixde la femme se fait plus, plus impersonnelle.Faisantun sort

(abstrait)àchaquemot.

Voici le musée qui défile

3

. De même que sur l'hôpital lumière aveuglante,

laide.

Panneauxdocumentaires.

Piècesàconvictiondubombardement.

Maquettes.

Fersravagés.

Peaux,cheveluresbrûlées,encire.

Etc.

Page 15: Hiroshima mon amour

ELLE

Quatrefoisaumusée...

LUI

QuelmuséeàHiroshima?

ELLE

Quatre fois au musée à Hiroshima. J'ai vu les gens se promener. Les gens se

promènent, pensifs, à travers les photographies, les reconstitutions, faute d'autre

chose, à travers les photographies, les photographies, les reconstitutions, faute

d'autrechose,lesexplications,fauted'autrechose.

QuatrefoisaumuséeàHiroshima.

J'airegardélesgens.J'airegardémoi-mêmepensivement,lefer.Leferbrûlé.Le

ferbrisé,leferdevenuvulnérablecommelachair.J'aivudescapsulesenbouquet:

qui y aurait pensé ? Des peaux humaines flottantes, survivantes, encore dans la

fraîcheurdeleurssouffrances.Despierres.Despierresbrûlées.Despierreséclatées.

Descheveluresanonymesque les femmesdeHiroshimaretrouvaient toutentières

tombéeslematin,auréveil.

J'aieuchaudplacedelaPaix.DixmilledegréssurlaplacedelaPaix.Jelesais.

LatempératuredusoleilsurlaplacedelaPaix.Commentl'ignorer?...L'herbe,c'est

biensimple...

LUI

Tun'asrienvuàHiroshima,rien.

Lemuséedéfiletoujours.

Puisàpartirdelaphotod'uncrânebrûlé,ondécouvrelaplacedelaPaix(qui

continuececrâne).

Vitrinesdumuséeaveclesmannequinsbrûlés.

Séquencesdefilmsjaponaisde(reconstitution)surHiroshima.

L'hommeéchevelé.

Unefemmesortduchaos,etc.

Page 16: Hiroshima mon amour

ELLE

Lesreconstitutionsontétéfaitesleplussérieusementpossible.

Lesfilmsontétéfaitsleplussérieusementpossible.

L'illusion,c'estbiensimple,esttellementparfaitequelestouristespleurent.

On peut toujours se moquer mais que peut faire d'autre un touriste que,

justement,pleurer?

ELLE

[...quejustementpleurerafindesupportercespectacleabominableentretous.Et

d'ensortirsuffisammentattristépournepasperdrelaraison].

ELLE

[Lesgensrestent là,pensifs.Etsans ironieaucune,ondoitpouvoirdirequeles

occasions de rendre les gens pensifs sont toujours excellentes. Et que les

monuments,dontquelquefoisonsourit,sontcependantlesmeilleursprétextesàces

occasions...]

ELLE

[Acesoccasions...depenser.D'habitude,ilestvrai,lorsquel'occasiondepenser

vousestofferte...avecce luxe...onnepenserien.N'empêcheque le spectacledes

autresquel'onsupposeêtreentraindepenserestencourageant.]

ELLE

J'aitoujourspleurésurlesortdeHiroshima.Toujours.

Panoramique surunephotodeHiroshimaprise après labombe,un «désert

nouveau»sansréférenceauxautresdésertsdumonde.

LUI

Non.

Surquoiaurais-tupleuré?

Page 17: Hiroshima mon amour

LaplacedelaPaixdéfile,videsousunsoleiléclatantquirappelleceluidela

bombe,aveuglante.Etsurcevide,encoreunefois,lavoixdel'homme:

Onerresurlaplacevide(à13heures?).

Lesbandesd'actualitésprisesaprèsle6août45.

Fourmis,vers,sortentdeterre.

L'alternancedesépaulescontinue.Lavoixfémininereprend,devenuefolle,en

mêmetempsquelesimagesdéfilent,devenuesfollesellesaussi.

ELLE

J'aivulesactualités.

Ledeuxièmejour,ditl'Histoire,jenel'aipasinventé,dèsledeuxièmejour,des

espècesanimalesprécisesontresurgidesprofondeursdelaterreetdescendres.

Deschiensontétéphotographiés.

Pourtoujours.

Jelesaivus.

J'aivulesactualités.

Jelesaivues.

Dupremierjour.

Dudeuxièmejour.

Dutroisièmejour.

LUI,illuicoupelaparole.

Tun'asrienvu.Rien.

Chienamputé.

Gens,enfants.

Plaies.

Enfantsbrûléshurlant.

ELLE

...duquinzièmejouraussi.

Hiroshimaserecouvritdefleurs.Cen'étaientpartoutquebleuetsetglaïeuls,et

volubilis et belles-d'un-jour qui renaissaient des cendres avec une extraordinaire

Page 18: Hiroshima mon amour

vigueur,inconnuejusque-làchezlesfleurs

4

.

ELLE

Jen'airieninventé.

LUI

Tuastoutinventé.

ELLE

Rien.

De même que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de pouvoir ne

jamais oublier, de même j'ai eu l'illusion devant Hiroshima que jamais je

n'oublierai.

Demêmequedansl'amour.

Despinceschirurgicaless'approchentd'unœilpourl'extraire.

Lesactualitéscontinuent.

ELLE

J'ai vu aussi les rescapés et ceux qui étaient dans les ventres des femmes de

Hiroshima.

Unbelenfantsetourneversnous.Alorsnousvoyonsqu'ilestborgne.

Unejeunefillebrûléeseregardedansunmiroir.

Uneautrejeunefilleaveugleauxmainstorduesjouedelacithare.

Unefemmeprieauprèsdesesenfantsquimeurent.

Un homme se meurt de ne plus dormir depuis des années. (Une fois par

semaine,onluiamènesesenfants.)

ELLE

Page 19: Hiroshima mon amour

J'aivulapatience,l'innocence,ladouceurapparenteaveclesquelleslessurvivants

provisoires de Hiroshima s'accommodaient d'un sort tellement injuste que

l'imaginationd'habitudepourtantsiféconde,devanteux,seferme.

Toujoursonrevientàl'étreintesiparfaitedescorps.

ELLE,bas.

Écoute...

Jesais...

Jesaistout.

Çaacontinué.

LUI

Rien.Tunesaisrien.

Nuageatomique.

Atomiumquitourne.

Desgensdansdesruesmarchentsouslapluie.

Pêcheursatteintsparlaradio-activité.

Unpoissonnoncomestible.

Desmilliersdepoissonsnoncomestiblesenterrés.

ELLE

Les femmes risquent d'accoucher d'enfants mal venus, de monstres, mais ça

continue.

Leshommesrisquentd'êtrefrappésdestérilité,maisçacontinue.

Lapluiefaitpeur.

DespluiesdecendressurleseauxduPacifique.

LeseauxduPacifiquetuent.

DespêcheursduPacifiquesontmorts.

Lanourriturefaitpeur.

Onjettelanourritured'unevilleentière.

Onenterrelanourrituredevillesentières.

Page 20: Hiroshima mon amour

Unevilleentièresemetencolère.

Desvillesentièressemettentencolère.

Actualités:desmanifestations.

ELLE

Contrequi,lacolèredesvillesentières?

Lacolèredesvillesentièresqu'ellesleveuillentounon,contrel'inégalitéposéeen

principe par certains peuples contre d'autres peuples, contre l'inégalité posée en

principeparcertainesracescontred'autresraces,contrel'inégalitéposéeenprincipe

parcertainesclassescontred'autresclasses.

Cortègesdemanifestants.

Discours«muets»dansleshaut-parleurs.

ELLE,bas.

...Écoute-moi.

Commetoi,jeconnaisl'oubli.

LUI

Non,tuneconnaispasl'oubli.

ELLE

Commetoi,jesuisdouéedemémoire.Jeconnaisl'oubli.

LUI

Non,tun'espasdouéedemémoire.

Page 21: Hiroshima mon amour

ELLE

Comme toi,moi aussi, j'ai essayé de lutter de toutesmes forces contre l'oubli.

Commetoi,j'aioublié.Commetoi,j'aidésiréavoiruneinconsolablemémoire,une

mémoired'ombresetdepierre.

L'ombre«photographiée»surlapierred'undisparudeHiroshima.

ELLE

J'ai luttépourmoncompte,de toutesmes forces,chaque jour,contre l'horreur

denepluscomprendredutoutlepourquoidesesouvenir.Commetoi,j'aioublié...

Boutiques où, à cent exemplaires, se trouve le modèle réduit du Palais de

l'Industrie, seul monument dont la charpente tordue est restée debout après la

bombe–etquiaétéconservéainsidepuis.

Boutiqueabandonnée.

Cardetouristesjaponais.

Touristes,placedelaPaix.

ChattraversantlaplacedelaPaix.

ELLE

Pourquoinierl'évidentenécessitédelamémoire?...

PhrasescandéesurlesplansdusqueletteduPalaisdel'Industrie.

ELLE

...Écoute-moi.Jesaisencore.Çarecommencera.

Deuxcentmillemorts.

Quatre-vingtmilleblessés.

Enneufsecondes.Ceschiffressontofficiels.Çarecommencera.

Arbres.

Église.

Manège.

Page 22: Hiroshima mon amour

Hiroshimareconstruit.Banalité.

ELLE

Il y aura dix mille degrés sur la terre. Dix mille soleils, dira-t-on. L'asphalte

brûlera.

Église.

Réclamejaponaise.

ELLE

Un désordre profond régnera. Une ville entière sera soulevée de terre et

retomberaencendres...

Dusable.Unpaquetdecigarettes«Peace».Uneplantegrasseétaléecomme

unearaignéesurdusable.

ELLE

Desvégétationsnouvellessurgissentdessables...

Quatreétudiants«morts»bavardentauborddufleuve.

Lefleuve.

Lesmarées.

LesquaisquotidiensdeHiroshimareconstruite.

ELLE

...Quatreétudiantsattendentensembleunemortfraternelleetlégendaire.

Lesseptbranchesdel'estuaireendeltadelarivièreOtasevidentetseremplissent

à l'heure habituelle, très précisément aux heures habituelles d'une eau fraîche et

poissonneuse, grise ou bleue suivant l'heure et les saisons.Des gens ne regardent

pluslelongdesbergesboueuseslalentemontéedelamaréedanslesseptbranches

del'estuaireendeltadelarivièreOta.

Letonrécitatifcesse.

LesruesdeHiroshima,lesruesencore.Desponts.

Page 23: Hiroshima mon amour

Passagescouverts.

Rues.

Banlieue.Rails.

Banlieue.

Banalitéuniverselle.

ELLE

...Jeterencontre.

Jemesouviensdetoi.

Quies-tu?

Tumetues.

Tumefaisdubien.

Commentmeserais-jedoutéequecettevilleétaitfaiteàlatailledel'amour?

Commentmeserais-jedoutéequetuétaisfaitàlatailledemoncorpsmême?

Tumeplais.Quelévénement.Tumeplais.

Quellelenteurtoutàcoup.

Quelledouceur.

Tunepeuxpassavoir.

Tumetues.

Tumefaisdubien.

Tumetues.

Tumefaisdubien.

J'ailetemps.

Jet'enprie.

Dévore-moi.

Déforme-moijusqu'àlalaideur.

Pourquoipastoi?

Pourquoipastoidanscettevilleetdanscettenuitpareilleauxautresaupointde

s'yméprendre?

Jet'enprie...

Trèsbrutalement, levisagedelafemmeapparaîttrèstendre,tenduvers levisagede

l'homme.

Page 24: Hiroshima mon amour

ELLE

C'estfoucequetuasunebellepeau.

Gémissementheureuxdel'homme.

ELLE

Toi...

Le visage du Japonais apparaît après celui de la femmedans un rire extasié

(éclaté),quin'estpasdemisedanslepropos.Ilseretourne:

LUI

Moi,oui.Tum'aurasvu.

Lesdeuxcorpsnusapparaissent.Mêmevoixde femme, trèsvoilée,maiscette

fois,nondéclamatoire.

ELLE

Tuescomplètementjaponaisoutun'espascomplètementjaponais?

LUI

Complètement.Jesuisjaponais.

LUI

Tuaslesyeuxverts.C'estbiença?

ELLE

Oh,jecrois...,oui...jecroisqu'ilssontverts.

Illaregarde.Affirmedoucement:

Page 25: Hiroshima mon amour

LUI

Tuescommemillefemmesensemble...

ELLE

C'estparcequetunemeconnaispas.C'estpourça.

LUI

Peut-êtrepastoutàfaitpourcelaseulement.

ELLE

Celanemedéplaîtpas,d'êtremillefemmesensemblepourtoi.

Elleluiembrassel'épauleetsecalelatêtedanslecreuxdecetteépaule.Ellea

latêtetournéeverslafenêtreouverte,versHiroshima,lanuit.Unhommepasse

danslarueettousse.(Onnelevoitpas,onl'entendseulement.)Elleserelève.

ELLE

Écoute...C'estquatreheures...

LUI

Pourquoi?

ELLE

Jenesaispasquic'est.Touslesjoursilpasseàquatreheures.Etiltousse.

Silence.Ilsseregardent.

ELLE

Page 26: Hiroshima mon amour

Tuyétais,toi,àHiroshima...

Ilrit,commeàunenfantillage.

LUI

Non...biensûr.

Elleluicaressel'épaulenueencoreunefois.Cetteépauleesteffectivementbelle,

intacte.

ELLE

Oh.C'estvrai...Jesuisbête.

Presquesouriante.

Illaregardetoutàcoup,sérieuxethésitant,puisilfinitparleluidire:

LUI

Mafamille,elle,étaitàHiroshima.Jefaisaislaguerre.

Ellearrêtesongestesurl'épaule.

Timidement,cettefois,avecunsourire,elledemande:

ELLE

Unechance,quoi?

Illaquitteduregard,pèselepouretlecontre:

LUI

Oui.

Page 27: Hiroshima mon amour

Elleajoute,trèsgentillemaisaffirmative:

ELLE

Unechancepourmoiaussi.

Untemps.

LUI

PourquoituesàHiroshima?

ELLE

Unfilm.

LUI

Quoi,unfilm?

ELLE

Jejouedansunfilm.

LUI

Etavantd'êtreàHiroshima,oùétais-tu?

ELLE

AParis.

Untempsencore,encorepluslong.

LUI

Page 28: Hiroshima mon amour

Etavantd'êtreàParis?...

ELLE

Avantd'êtreàParis?...J'étaisàNevers.Ne-vers.

LUI

Nevers?

ELLE

C'estdanslaNièvre.Tuneconnaispas.

Un temps. Il demande, comme s'il venait de découvrir un lienHIROSHIMA-

NEVERS:

LUI

Etpourquoivoulais-tuvoirtoutàHiroshima?

Ellefaituneffortdesincérité:

ELLE

Çam'intéressait.J'aimonidéelà-dessus.Parexemple,tuvois,debienregarder,

jecroisqueças'apprend.

1Cequiestentrecrochetsestabandonné.

2Apartirdutexteinitialtrèsschématique,ResnaisarapportéungrandnombrededocumentsduJapon.De

ce fait le texte initial a été non seulement débordé mais modifié et considérablement augmenté pendant le

montagedufilm.

3Onrevientrégulièrementauxcorpsassemblés.

4CettephraseestpresquetextuellementunephrasedeHersheydanssonadmirablereportagesurHiroshima.

Jen'aifaitquelareportersurlesenfantsmartyrs.

Page 29: Hiroshima mon amour

PARTIEII

Ilpassedanslarueunessaimdebicyclettesquirouleenrouelibre,dansunbruitqui

s'amplifieetdécroît.

Elleestenpeignoirdebainsurlebalcondelachambred'hôtel.Elleleregarde.Elle

tientàlamainunetassedecafé.

Luidortencore.Ilalesbrasencroix,ilestallongésurleventre.Ilestnujusqu'àla

ceinture.

[Unrayondesoleilentreparlesrideauxetfaitsursondosunpetitsigne,commedeux

traitscroisés(outachesovales).]

Elleregardeavecuneintensitéanormalesesmainsquifrémissentdoucementcomme

quelquefois,danslesommeil,cellesdesenfants.Sesmainssonttrèsbelles,trèsviriles.

Tandisqu'elle regarde sesmains, ilapparaîtbrutalementà laplaceduJaponais, le

corpsd'unjeunehomme,danslamêmepose,maismortuaire,surlequaid'unfleuve,en

pleinsoleil.(Lachambreestdanslapénombre.)Cejeunehommeagonise.Sesmainssont

égalementtrèsbelles,ressemblantétonnammentàcellesduJaponais.Ellessontagitéesdes

soubresautsdel'agonie.[Onnevoitpaslevêtementqueportecethommeparcequ'une

jeunefemmeestallongéesursoncorps,bouchecontrebouche.Leslarmesquicoulentde

sesyeuxsemêlentausangquicouledesabouche.]

[La femme – celle-ci – a les yeux fermés. Tandis que l'homme sur lequel elle est

allongéealesyeuxfixesdel'agonie.]

L'imageduretrèspeudetemps.

Elleestfigéedanssapose,adosséeàlafenêtre.Ilseréveille.Illuisourit.Elle,nelui

sourit pas immédiatement. Elle continue à le regarder attentivement, sans changer de

pose.Puiselleluiapportelecafé.

ELLE

Tuveuxducafé?

Ilacquiesce.Ilprendlatasse.Untemps.

ELLE

Page 30: Hiroshima mon amour

Aquoiturêvais?

LUI

Jenesaisplus...Pourquoi?

Elleestredevenuenaturelle,trèstrèsgentille.

ELLE

Jeregardaistesmains.Ellesbougentquandtudors.

Ilregardesespropresmains,àsontour,avecétonnementetiljouepeut-êtreà

fairebougersesdoigts.

LUI

C'estquandonrêve,peut-être,sanslesavoir.

Aveccalme,gentillesse,ellefaitunsignedubitatif.

ELLE

Hum,hum.

Ilssontensemblesousladouchedelachambred'hôtel.Ilssontgais.

Ilposelamainsursonfrontdetellemanièrequ'illuirenverselatêteenarrière.

LUI

Tuesunebellefemme,tulesais?

ELLE

Tutrouves?

Page 31: Hiroshima mon amour

LUI

Jetrouve.

ELLE

Unpeufatiguée.Non?

Ilaungestesursafigure,ladéforme.Rit.

LUI

Unpeulaide.

Ellesouritsouslacaresse.

ELLE

Çanefaitrien?

LUI

C'est ce que j'ai remarquéhier soir dans ce café.La façondont tu es laide.Et

puis...

ELLE,trèsdétendue.

Etpuis?...

LUI

Etpuiscommenttut'ennuyais.

Elleaversluiungestedecuriosité.

Page 32: Hiroshima mon amour

ELLE

Dis-moiencore...

LUI

Tu t'ennuyais de la façon qui donne aux hommes l'envie de connaître une

femme.

Ellesourit,baisselesyeux.

ELLE

Tuparlesbienlefrançais.

Tongai:

LUI

N'est-ce pas ? Je suis content que tu remarques enfin comme je parle bien le

français.

Untemps.

LUI

Moi,jen'avaispasremarquéquetuneparlaispaslejaponais...

Est-ce que tu avais remarqué que c'est toujours dans le même sens que l'on

remarqueleschoses?

ELLE

Non.Jet'airemarquétoi,c'esttout.

Rires.

Page 33: Hiroshima mon amour

Après le bain. Elle prend le temps de croquer une pomme, cheveux mouillés. En

peignoirdebain.

Elle est sur le balcon, le regarde, s'étire, et comme pour faire le « point » à leur

situation,ditlentement,avecunesortede«délectation»desmots.

ELLE

Seconnaître-à-Hiroshima.C'estpastouslesjours.

Il vient la retrouver sur le balcon, il s'assied en faced'elle, habillédéjà. (En

chemise,colouvert.)

Aprèsunehésitation,ildemande:

LUI

Qu'est-cequec'étaitpourtoi,HiroshimaenFrance?

ELLE

La finde la guerre, je veuxdire, complètement.La stupeur... à l'idéequ'onait

osé...lastupeuràl'idéequ'onaitréussi.Etpuisaussi,pournous,lecommencement

d'unepeurinconnue.Etpuis,l'indifférence,lapeurdel'indifférenceaussi...

LUI

Oùétais-tu?

ELLE

JevenaisdequitterNevers.J'étaisàParis.Danslarue.

LUI

Page 34: Hiroshima mon amour

C'estunjolimotfrançais,Nevers.

Ellenerépondpastoutdesuite.

ELLE

C'estunmotcommeunautre.Commelaville.

Elles'éloigne.

Ilestassissurlelit,ilallumeunecigarette,laregardeintensément.

[Sonombreàelle,s'habillant,passesurlui,detempsàautre.Ellepassejustementsur

lui.]Ildemande:

LUI

TuasconnubeaucoupdeJaponaisàHiroshima?

ELLE

Ah,j'enaiconnu,oui...maiscommetoi...(avecévidence),non...

Ilsourit.Gaieté.

LUI

JesuislepremierJaponaisdetavie?

ELLE

Oui.

Onentendsonrire.Elleréapparaîtaucoursdesatoiletteetdit(trèsponctué):

ELLE

Page 35: Hiroshima mon amour

Hi-ro-shi-ma.[Ilfautquejefermelesyeuxpourmesouvenir... jeveuxdireme

souvenircomment,enFrance,avantdevenirici,jem'ensouvenais,deHiroshima.

C'esttoujourslamêmehistoire,aveclessouvenirs.]

Ilbaisselesyeux,trèscalme.

LUI

Lemondeentierétaitjoyeux.Tuétaisjoyeuseaveclemondeentier.

Ilcontinue,surlemêmeton.

LUI

C'étaitunbeaujourd'étéàParis,cejour-là,j'aientendudire,n'est-cepas?

ELLE

Ilfaisaitbeau,oui.

LUI

Quelâgeavais-tu?

ELLE

Vingtans.Ettoi?

LUI

Vingt-deuxans.

ELLE

Lemêmeâge,quoi?

Page 36: Hiroshima mon amour

LUI

Ensomme,oui.

Elleapparaîtcomplètementhabillée,aumomentoùelleestentraind'ajuster

sacoiffed'infirmière(carc'esteninfirmièredelaCroix-Rougequ'elleapparaît).

Elles'accroupitprèsdeluidansungestesubit,ous'allongeprèsdelui.

Ellejoueavecsamain.Elleembrassesonbrasnu.

Uneconversationcourantes'engage.

ELLE

Qu'est-cequetufais,toi,danslavie?

LUI

Del'architecture.Etpuisaussidelapolitique.

ELLE

Ah,c'estpourçaquetuparlessibienlefrançais?

LUI

C'estpourça.PourlirelaRévolutionfrançaise.

Ilsrient.

Ellenes'étonnepas.Touteprécisionsurlapolitiquequ'il faitestabsolument

impossibleparcequ'elleseraitimmédiatementétiquetée.Deplus,elleseraitnaïve.

Nepasoublierqueseulunhommedegauchepeutdirecequ'ilvientdedire.

Que la chose sera immédiatementprise ainsi par le spectateur.Surtoutaprès

sonpropossurHiroshima.

LUI

Qu'est-cequec'estlefilmdanslequeltujoues?

Page 37: Hiroshima mon amour

ELLE

UnfilmsurlaPaix.

Qu'est-cequetuveuxqu'ontourneàHiroshimasinonunfilmsurlaPaix?

Ilpasseunessaimdebicyclettesassourdissantes.[Ledésirreviententreeux.]

LUI

Jevoudraisterevoir.

Ellefaitsignequenon.

ELLE

Acetteheure-ci,demain,jeserairepartiepourlaFrance.

LUI

C'estvrai?Tunem'avaispasdit.

ELLE

C'estvrai.(Untemps.)C'étaitpaslapeinequejeteledise.

Ildevientsérieux,danssastupéfaction.

LUI

C'estpourçaquetum'aslaissémonterdanstachambrehiersoir?...parceque

c'étaittondernierjouràHiroshima?

ELLE

Pasdutout.Jen'yaimêmepaspensé.

LUI

Page 38: Hiroshima mon amour

Quandtuparles,jemedemandesitumensousitudislavérité.

ELLE

Je mens. Et je dis la vérité. Mais à toi je n'ai pas de raisons de mentir.

Pourquoi?...

LUI

Dis-moi...,çat'arrivesouventdeshistoirescomme...celle-ci?

ELLE

Pastellementsouvent.Maisçam'arrive.J'aimebienlesgarçons...

Untemps.

ELLE

Jesuisd'unemoralitédouteuse,tusais.

Ellesourit.

LUI

Qu'est-cequetuappellesêtred'unemoralitédouteuse?

Tontrèsléger.

ELLE

Douterdelamoraledesautres.

Ilritbeaucoup.

LUI

Page 39: Hiroshima mon amour

Jevoudrais te revoir.Mêmesi l'avionpartdemainmatin.Mêmesi tuesd'une

moralitédouteuse.

Untemps.Celuidel'amourrevenu.

ELLE

Non.

LUI

Pourquoi?

ELLE

Parceque.(Agacée.)

Ilneparleplus.

ELLE

Tuneveuxplusmeparler?

LUI,aprèsuntemps.

Jevoudraisterevoir.

Ilssontdanslecouloirdel'hôtel.

LUI

Oùvas-tuenFrance?ANevers?

ELLE

Page 40: Hiroshima mon amour

Non.AParis.(Untemps.)ANevers,nonjenevaisplusjamais.

LUI

Jamais?

Ellefaitunesortedegrimace,cedisant.

ELLE

Jamais.

Facultatif.

[Neversestunevillequimefaitmal.]

[Neversestunevillequejen'aimeplus.]

[Neversestunevillequimefaitpeur.]

Elleajoute,priseàsonjeu.

ELLE

C'estàNeversquej'aiétéleplusjeunedetoutemavie...

LUI

Jeune-à-Ne-vers.

ELLE

Oui.JeuneàNevers.Etpuisaussi,unefois,folleàNevers.

Ilssontdevantl'hôtel,ilsfontlescentpas.Elleattendl'autoquidoitvenirlaprendre

pourlamenerplacedelaPaix.Ilyapeudemonde.Maislesautospassentsansarrêt.

C'estunboulevard.

Dialoguepresquecriéàcausedubruitdesautos.

Page 41: Hiroshima mon amour

ELLE

Nevers, tu vois, c'est la ville du monde, et même c'est la chose du monde à

laquelle, la nuit, je rêve le plus. Enmême temps que c'est la chose dumonde à

laquellejepenselemoins.

LUI

Commentc'étaittafolieàNevers?

ELLE

C'est comme l'intelligence, la folie, tu sais. On ne peut pas l'expliquer. Tout

comme l'intelligence. Elle vous arrive dessus, elle vous remplit et alors on la

comprend.Mais,quandellevousquitte,onnepeutpluslacomprendredutout.

LUI

Tuétaisméchante?

ELLE

C'étaitçamafolie.J'étaisfolledeméchanceté.Ilmesemblaitqu'onpouvaitfaire

unevéritablecarrièredanslaméchanceté.Riennemedisaitquelaméchanceté.Tu

comprends?

LUI

Oui.

ELLE

C'estvraiqueçaaussitudoislecomprendre.

Page 42: Hiroshima mon amour

LUI

Çan'ajamaisrecommencé,pourtoi?

ELLE

Non.C'estfini(toutbas).

LUI

Pendantlaguerre?

ELLE

Toutdesuiteaprès.

Untemps.

LUI

Çafaisaitpartiedesdifficultésdelaviefrançaiseaprèslaguerre?

ELLE

Oui,onpeutledirecommeça.

LUI

Quandcelaa-t-ilpassé,pourtoi,lafolie?

Tropbas,commeceladevraitêtredit:

ELLE

Petitàpetit,ças'estpassé.Etpuisquandj'aieudesenfants...forcément.

Bruitdesautosquicroîtetdécroîtenraisoninversedelagravitédespropos.

Page 43: Hiroshima mon amour

LUI

Qu'est-cequetudis?

Crié,à«contre-ton»,commecelanepeutpasêtredit.

ELLE

Je dis que petit à petit ça s'est passé. Et puis quand j'ai eu des enfants...,

forcément...

LUI

J'aimeraisbienresteravectoiquelquesjours,quelquepart,unefois.

ELLE

Moiaussi.

LUI

Te revoir aujourd'hui ne serait pas te revoir. En si peu de temps ce n'est pas

revoirlesgens.Jevoudraisbien.

ELLE

Non.

Elles'arrêtedevantlui,butée,immobile,muette.

Ilacceptepresque.

LUI

Bon.

Ellerit,c'estunpeuforcé.

Page 44: Hiroshima mon amour

Ellemarqueundépit,léger,maisréel.

Letaxiarrive.

ELLE

C'estparcequetusaisquejeparsdemain.

Ilritavecelle,maismoinsqu'elle.Aprèsuntemps.

LUI

C'estpossiblequecesoitaussipourça.Maisc'estuneraisoncommeuneautre,

non?L'idéedeneplusterevoir...jamais...dansquelquesheures.

L'autoestarrivéeets'estarrêtéeaucarrefour.Ellefaitsignequ'ellearrive.Elle

prendsontemps,regardeleJaponaisetdit:

ELLE

Non.

Illasuitduregard.Peut-êtresourit-il.

Page 45: Hiroshima mon amour

PARTIEIII

Ilestquatreheuresde l'après-midi,placede laPaixàHiroshima.Dans le lointain

s'éloigneungroupedetechniciensdecinémaportantunecaméra,desprojecteursetdes

écrans-réflecteurs.Desouvriersjaponaisdémontentl'estradeofficiellequivientdeservir

decadreàladernièreséquencedufilm.

Une remarque importante : onverra toujours les techniciensde loin et onne saura

jamaisquelestlefilmqu'ilstournentàHiroshima.Onn'enverratoujoursqueledécor

qu'onestentraindedéfaire.[Peut-être,toutauplus,ensaura-t-onletitre.]

Desmachinistesportantdespancartesendifférenteslangues,enjaponais,enfrançais,

enallemand,etc...«JAMAISPLUSHIROSHIMA»,circulent.

Donc les ouvriers s'occupent àdéfaire les tribunes officielles et à ôter les banderoles.

Dansledécor,nousretrouvonslaFrançaise.Elledort.Sacoiffed'infirmièreestàmoitié

défaite.Elle estallongée, la tête [contre lepilierd'une énormepancartequia serviau

film][sousquelquechoseouàl'ombred'unetribune].

Oncomprendqu'onvientde tourneràHiroshimaunfilmédifiant sur laPaix.Ce

n'est pas forcément un film ridicule, c'est un film édifiant tout simplement. La foule

passeàcôtéde laplaceoùvientdese tourner le film.Cette fouleest indifférente.Sauf

quelquesenfants,personneneregarde,onal'habitudeàHiroshimadevoirtournerdes

filmssurHiroshima.

Cependant,unhommepasse, il s'arrêteetregarde.C'estceluiquenousavonsquitté

unmomentavantdanslachambred'hôtelqu'habitelaFrançaise.

Le Japonais s'approchera de l'infirmière, il la regardera dormir.C'est le regard du

Japonaissurellequifiniraparlaréveillermaisils'appesantirasurellelongtempsavant.

Pendant la scène, on voit peut-être quelques détails, au loin et par exemple, une

maquetteduPalaisde l'Industrie, [unguideentouréde touristes japonais],[uncouple

d'invalidesdeguerreentenueblanchetendantleurtroncpourquêter],[unefamilleau

coindelarueentraindebavarder]...

Elleseréveille.Safatigues'évanouit.Onretombedansleurhistoirepersonnelled'un

seul coup. Toujours cette histoire personnelle l'emportera sur l'histoire forcément

démonstrativedeHiroshima.

Elleserelèveetvaverslui.Ilsrientmaissansexcès.Puisilsredeviennentsérieux.

Page 46: Hiroshima mon amour

LUI

TuétaisfacileàretrouveràHiroshima.

Elleaunrireheureux.

Untemps.Illaregardedenouveau.

Entre euxpassentdeux ouquatre ouvriers qui portentunephotographie très

agrandiequireprésenteleplandelamèremorteetdel'enfantquipleure,dansles

ruines fumantes de Hiroshima – du film Les Enfants de Hiroshima. Ils ne

regardent pas la photo qui passe.Une autre photographie passe, qui représente

Einsteintirantlalangue.Ellesuitimmédiatementcelledel'enfantetdelamère.

LUI

C'estunfilmfrançais?

ELLE

Non.International.SurlaPaix.

LUI

C'estfini.

ELLE

Pourmoi,oui,c'estfini.Onvatournerlesscènesdefoule...Ilyabiendesfilms

publicitairessurlesavon.Alors...àforce...peut-être.

Ilesttrèsassurédanssaconceptionlà-dessus.

LUI

Oui,àforce.Ici,àHiroshima,onnesemoquepasdesfilmssurlaPaix.

Page 47: Hiroshima mon amour

Il se retourne vers elle. Les photographies sont complètement passées. Ils se

rapprochentinstinctivementl'undel'autre.Elleréajustesacoiffequis'estdéfaite

danslesommeil.

LUI

Tuesfatiguée?

Elle le regardede façonassezprovocante etdouceà la fois.Elleditdansun

souriredouloureux,précis:

ELLE

Commetoi.

Illafixedefaçonquinetrompepasetluidit:

LUI

J'aipenséàNeversenFrance.

Ellesourit.Ilajoute:

LUI

J'aipenséàtoi.

Ilajouteencore:

LUI

C'esttoujoursdemain,tonavion?

ELLE

Toujoursdemain.

Page 48: Hiroshima mon amour

LUI

Demainabsolument?

ELLE

Oui.Lefilmaduretard.Onm'attendàParisdepuisdéjàunmois.

Elleleregardeenface.

Lentement,illuienlèvesacoiffed'infirmière.(Oubienelleesttrèsfardée,elle

a les lèvres si sombres qu'elles en paraissent noires. Ou elle est à peine fardée,

presquedécoloréesouslesoleil.)

Legestedel'hommeesttrès libre,trèsconcerté.Ondevraitéprouverlemême

chocérotiquequ'audébut.Elleapparaît,lescheveuxaussidécoiffésquelaveille,

danslelit.Etellelelaisseluienleversacoiffe,elleselaissefairecommeelleadû

se laisser faire, la veille, l'amour. (Là, lui laisser un rôle érotiquement

fonctionnel.)

Ellebaisse lesyeux.Moueincompréhensible.Elle joueavecquelquechosepar

terre.

Ellerelèvelesyeuxsurlui.Ilditavecunetrèsgrandelenteur.

LUI

Tumedonnesbeaucoupl'envied'aimer.

Ellenerépondpastoutdesuite.Elleabaissélesyeuxsouslecoupdutrouble

dans lequel la jettent sesparoles.Le chatde laplacede laPaix joue contre son

pied?Elledit,lesyeuxbaissés,trèslentementaussi(mêmelenteur).

ELLE

Toujours...lesamoursde...rencontre...Moiaussi...

Passeentreeuxunextraordinaireobjet,denatureimprécise.Jevoisuncadre

de bois (atomium ?) d'une forme très précise mais dont l'utilisation échappe

complètement.Ilsneleregardentpas.Ildit:

Page 49: Hiroshima mon amour

LUI

Non.Pastoujoursaussifort.Tulesais.

Onentenddescris,auloin.Puisdeschantsenfantins.Ilsnesontpasdistraits

pourautant.

Ellefaitunegrimaceincompréhensible(licencieuseseraitlemot).Ellelèveles

yeux encore, mais cette fois vers le ciel. Et elle dit, encore une fois,

incompréhensiblementalorsqu'elleessuiesonfrontcouvertdesueur.

ELLE

Onditqu'ilvafairedel'orageavantlanuit.

On voit le ciel qu'elle voit. Des nuages roulent... Les chants se précisent. Puis

commence(lafin)dudéfilé.

Ils se sontreculés.Elle setientdevantlui(commedansles«revues», les femmes)et

metunemainsursonépaule.Sonvisageestcontresescheveux.Lorsqu'ellelèvelesyeux

ellelevoit.Ilessaieradel'entraînerloindudéfilé.Elle,ellerésistera.Maiselles'éloignera

aveclui,sanspresque«lesentir».Surlesenfants,cependant[elles'arrêteratoutàfait,

fascinée].

Défilédejeunesgensportantdespancartes.

Ire

SÉRIEPANCARTES 2e

SÉRIEPANCARTES

1re

pancarte:Siunebombe

atomiquevaut20000

bombesordinaires.

I

Cerésultatprestigieuxfaithonneurà

l'inteligence

1

scientifiquedel'homme.

2e

pancarte:

EtsilabombeHvaut1500

foislabombeatomique.

3e

pancarte: II

Page 50: Hiroshima mon amour

Combienvalentles40000

bombesAetHfabriquées

actuellementdanslemonde?

Maisilestregrettablequel'intelligence

politiquedel'hommesoit100foismoins

développéequesonintelligencescientifique.

4e

pancarte:

Si10bombesHlâchéessurle

mondec'estlapréhistoire.III

Etnouspriveàcepointd'admirerl'homme.5

e

pancarte:

40000bombesHetAc'est

quoi?

2eSÉRIE

[1repancarte:

Unephotodefourmi.NOUS,nousnecraignonspasla

bombeH.]

2epancarte:

[Voicilecrides160millions

desSyndiquésdel'Europe.]

3epancarte:

[Voicilecrides100000cadavres

envolésde

HIROSHIMA.]

Desfemmes,deshommes,suiventlesenfantsquichantent.

Deschienssuiventlesenfants.

Deschatssontauxfenêtres.(CeluidelaplacedelaPaixal'habitudeetildort.)

Pancartes.Pancartes.

Toutlemondeatrèschaud.

Leciel,au-dessusdesdéfilés,estsombre.Lesoleilestcachéparlesnuages.

Lesenfantssontnombreux,beaux.Ilsontchaudetchantentaveclabonnevolontéde

l'enfance.LeJaponaisirrésistiblementetpresqueàsoninsupousse laFrançaisedans le

[mêmesens]queledéfiléou[lesensopposé].

LaFrançaisefermelesyeuxetpousseungémissement[envoyantlesenfantsdudéfilé].

Etdanscegémissement,vite,commeunvoleur,leJaponaisdit:

Page 51: Hiroshima mon amour

LUI

Jen'aimepaspenseràtondépart.Demain.

Jecroisquejet'aime.

LegémissementdelaFrançaisecontinuedetellefaçonqu'ilpeutdevenircelui

d'un accablement amoureux. Le Japonais enfouit sa bouche dans ses cheveux,

mange ses cheveux, discrètement. La main sur l'épaule est serrée. Elle ouvre

lentementlesyeux.

Ledéfilécontinue.

Lesenfantssontfardésenblanc.Lasueurperleàtraversletalc.Deuxd'entre

euxsedisputentuneorange.Ilssontencolère.

ELLE

[Pourquoilesa-t-onfardéscommeça?

LUI

Pourqu'ilsseressemblent,lesenfantsd'Hiroshima.]

[Cesparolessontprononcéessurlesenfants.]

[(Oudesvoixjaponaisessous-titrées.)Voixcriées.]

ELLE

[Pourquoi?

LUI

Parcequelesenfantsbrûlésd'Hiroshimaseressemblaient.]

Passeunfauxbrûléquiadûjouerdanslefilm.Ilperdsacirequifonddans

soncou.Celapeutêtretrèsdégoûtant,trèseffrayant.

Ilsseregardentdansunmouvementinversedelatête.Ildit:

Page 52: Hiroshima mon amour

LUI

Tuvasveniravecmoiencoreunefois.

Ellenerépondpas.

Une admirable femme japonaise passe. Elle est assise sur un char. De (l

'encorbellementdesesseins

2

)prisdansuncorsagenoir,s'envolentdescolombes.

LUI

Réponds-moi.

Ellenerépondpas.Ilsepencheetàl'oreille:

LUI

Tuaspeur?

Ellesourit.Fait«non»delatête.

ELLE

Non.

[Deschatsvoientlescolombesquisortentducorsagedelafemmeets'agitent.]

Leschantsinformesdesenfantscontinuent,maisendiminuant.

Une monitrice gronde les deux enfants qui se disputent l'orange. Le grand

prendl'orange.Lepetitpleure.Legrandcommenceàmangerl'orange.

Toutcecidureplusqu'ilnefaudrait.

Derrièrel'enfantquipleure,lescinqcentsétudiantsjaponaisarrivent.C'estun

peu fatigant, débordant. Il la prend contre lui tout à fait, à l'occasion de ce

nouveaudésordre.Ilsontunregarddedétresse.Lui,laregardant,elle,regardant

ledéfilé.Ondevraitressentirquecedéfilélesspoliedutempsqu'illeurreste.Ils

nesedisentplusrien.Ill'entraîneparlamain.Elleselaissefaire.Ilspartent,à

contre-courantdudéfilé.Onlesperddevue

3

.

Page 53: Hiroshima mon amour

Nous la retrouvons debout au milieu d'une grande pièce d'une maison

japonaise.Storesbaissés.Lumièredouce.Sentimentdefraîcheuraprèslachaleur

dudéfilé.Lamaisonestmoderne.Ilyadesfauteuils,etc.

La Française se tient là comme une invitée. Elle est presque intimidée. Il

vient vers elle du fond de la pièce (on peut supposer qu'il vient de fermer une

porte,oudugarage,peuimporte).Ildit:

LUI

Assieds-toi.

Elle ne s'assied pas. Ils restent debout tous les deux. On sent qu'entre eux

l'érotisme est tenu en échec par l'amour, pour l'instant. Lui est debout en face

d'elle. Et dans le même état, presque gauche. C'est le jeu inverse de celui que

joueraitunhommedanslecasd'uneaubaine.

Elledemande,maispourdirequelquechose:

ELLE

TuestoutseulàHiroshima?...tafemme,oùelleest?

LUI

ElleestàUnzen,àlamontagne.Jesuisseul.

ELLE

Ellerevientquand?

LUI

Cesjours-ci.

Ellecontinue,bas,commedansunaparté.

Page 54: Hiroshima mon amour

ELLE

Commentelleest,tafemme?

Ildit,enlaregardant.Trèsintentionnel.(Leton:làn'estpaslaquestion.)

LUI

Belle.Jesuisunhommequiestheureuxavecsafemme.

Untemps.

ELLE

Moiaussijesuisunefemmequiestheureuseavecsonmari.

Ceciestditdansuneémotionvéritableimmédiatementrecouverteparl'instant

quicourt.

LUI

...Ç'auraitététropsimple.

(Acemoment-là,letéléphonesonne.)

Ils'approched'ellecommes'illuitombaitdessus.Elleleregardearriversurelle

etdit:

ELLE

Tunetravaillespasl'après-midi?

LUI

Oui.Beaucoup.Surtoutl'après-midi.

Page 55: Hiroshima mon amour

ELLE

C'estunehistoireidiote...

Commeelledirait«Jet'aime».

Ilss'embrassentpendantlasonneriedutéléphonequicontinue.

Ilnerépondpas.

ELLE

C'estpourmoiquetuperdstonaprès-midi?

Ilnerépondtoujourspas.

ELLE

Maisdis-le,qu'est-cequeçapeutfaire?

A Hiroshima. [Ils sont ensemble, nus, dans un lit.] La lumière est déjà

modifiée.C'estaprèsl'amour.Dutempsapassé.

LUI

Ilétaitfrançais,l'hommequetuasaimépendantlaguerre?

ANevers.UnAllemandtraverseuneplace,aucrépuscule.

ELLE

Non...iln'étaitpasfrançais.

AHiroshima.Elleestétaléesurlelitcombléedefatigueetd'amour.Lejoura

encorebaissésurleurscorps.

Page 56: Hiroshima mon amour

ELLE

Oui,c'étaitàNevers.

ANevers.Imagesd'unamouràNevers.Coursesàbicyclette.Laforêt.Lesruines,

etc.

ELLE

Ons'estd'abordrencontrédansdesgranges.Puisdansdesruines.Etpuisdans

deschambres.Commepartout.

AHiroshima.Dans la chambre, la lumière a encore baissé.On les retrouve

dansuneposed'enlacementpresquecalme.

ELLE

Etpuis,ilestmort.

ANevers.ImagesdeNevers.Desrivières.Desquais.Despeupliersdansduvent,etc.

Lequaidésert.

Lejardin.

AHiroshima,maintenant.Etonlesretrouve[presquedanslapénombre].

ELLE

Moidix-huitansetluivingt-troisans.

ANevers.Dansunecabane,lanuit,le«mariage»deNevers.

(SurlesimagesdeNevers,onlafaitseulementrépondre.Lesquestionsquelui,

luipose,sont«entendues»,«vontdesoi».)

Toujours dans le même enchaînement. Sur Nevers qui consacre la réponse.

Puisàlafin,elledit,calme:

ELLE

Pourquoiparlerdeluiplutôtqued'autres?

Page 57: Hiroshima mon amour

LUI

Pourquoipas?

ELLE

Non.Pourquoi?

LUI

A cause deNevers, je peux seulement commencer à te connaître. Et, entre les

milliersetlesmilliersdechosesdetavie,jechoisisNevers.

ELLE

Commeautrechose?

LUI

Oui.

Est-cequ'onvoitqu'ilment?Ons'endoute.Elle,elledevientpresqueviolente,

et,cherchantelle-mêmecequ'ellepourraitdire(momentunpeufou).

ELLE

Non.Cen'estpasunhasard.(Untemps.)C'esttoiquidoismedirepourquoi.

Ilpeutrépondre(trèsimportantpourlefilm).Soit:

LUI

C'est là, ilme semble l'avoir comprisque tu es si jeune... si jeune,que tun'es

encoreàpersonneprécisément.Celameplaît.

Page 58: Hiroshima mon amour

Oubien:

ELLE

Non,cen'estpasça.

LUI

C'estlà,ilmesemblel'avoircompris,quej'aifailli...teperdre...etquej'airisqué

nejamaisteconnaître.

Oubien:

LUI

C'est là, ilme semble l'avoir compris, que tu as dû commencer à être comme

aujourd'huituesencore.

(Choisirentrecestroisdernièresrépliquesoulesdonnertouteslestrois

4

,soità

la file, soit séparément, au hasard des mouvements d'amour dans le lit. Cette

dernièresolutionseraitcellequejepréféreraisiçan'allongepastroplascène.)

[Une dernière fois, Nevers défile. Des images s'en succèdent d'une banalité

voulue.Enmêmetempsqu'elleseffraient.]

Unedernièrefoisonrevientsureux.[Ilfaitnoir.]Elledit.Ellecrie:

ELLE

Jeveuxpartird'ici.

Enmêmetempsqu'elles'estagrippéeàluipresquesauvagement.

Ils sont dans la pièce où ils étaient tout à l'heure, rhabillés. Cette pièce est

maintenantéclairée.Ilssontdebouttouslesdeux.Ildit,calme,calme...

Page 59: Hiroshima mon amour

LUI

Ilnenousresteplusmaintenantqu'àtuerletempsquinousséparedetondépart.

Encoreseizeheurespourtonavion.

Elleditdansl'affolement,dansladétresse:

ELLE

C'esténorme...

Ilrépond,doucement:

LUI

Non.Ilnefautpasquetuaiespeur.

1Inteligence:fautevolontairementlaisséeparResnais.

2Resnaisachoisiunglobefleuri.

3Resnaislesfaitseperdredanslafoule.

4Aulieudechoisirentrecestroisversions,A.Resnaisachoisilasolutiondelesdonnertouteslestrois.

Page 60: Hiroshima mon amour

PARTIEIV

Surlefleuve,àHiroshima,lanuittombeendelonguestraînéeslumineuses.

Lefleuvesevideetseremplitsuivantlesheures,lesmarées.Desgensregardentparfois

lalentemontéedelamaréelelongdesbergesboueuses.

Uncaféestenfacedecefleuve.C'estuncafémoderne,américaniséavecunegrande

baie.Lorsqu'on est assis dans le fonddu café, onne voit plus les rives du fleuvemais

seulementlefleuvelui-même.C'estdanscetteimprécisionquesedessinel'embouchuredu

fleuve. C'est là que finitHiroshima et commence le Pacifique. L'endroit est àmoitié

vide.Ilssontassisàunetableaufonddelasalle.Ilssontl'unenfacedel'autre,soitjoue

contre joue, soit front contre front.Onvientde lesquitterdans ladétresseà l'idéedes

seizeheuresquilesséparentdeleurséparationdéfinitive.Onlesretrouvepresquedansle

bonheur.Letempspassesansqu'ilss'enaperçoivent.Unmiracles'estproduit.Lequel?

Justement, la résurgence de Nevers. Et la première chose qu'il dit, dans cette pose

éperdumentamoureuse,c'est:

LUI

Çaneveutriendire,enfrançais,Nevers,autrement?

ELLE

Rien.Non.

LUI

Tuauraiseufroid,danscettecaveàNeverssions'étaitaimés?

ELLE

J'auraiseufroid.ANeverslescavessontfroides,étécommehiver.Lavilles'étage

lelongd'unfleuvequ'onappellelaLoire.

Page 61: Hiroshima mon amour

LUI

JenepeuxpasimaginerNevers.

Nevers.LaLoire.

ELLE

Nevers.Quarantemillehabitants.Bâticommeunecapitale–(mais).Unenfant

peutenfaireletour.(Elles'écartedelui.)JesuisnéeàNevers(elleboit),j'aigrandià

Nevers.J'aiapprisàlire,àNevers.Etc'estlàquej'aieuvingtans.

LUI

EtlaLoire?

Illuiprendlatêtedanslesmains.

Nevers.

ELLE

C'est un fleuve sans navigation aucune, toujours vide, à cause de son cours

irrégulieretdesesbancsdesable.EnFrance,laLoirepassepourunfleuvetrèsbeau,

àcausesurtoutdesalumière...tellementdouce,situsavais.

Tonextasié.Illuilâchelatête,écoutetrèsintensément.

LUI

Quandtuesdanslacave,jesuismort?

ELLE

Tuesmort...et...

Page 62: Hiroshima mon amour

Nevers:l'Allemandagonisetrèslentementsurlequai.

ELLE

...commentsupporterunetelledouleur?

ELLE

Lacaveestpetite.

Pourfairedesesmains,legestedelamesurer,elleseretiredesajoue.Etelle

continue,trèsprèsde safigure,maisnonpluscolléeàelle.Aucuneincantation.

Elles'adresseàluitrèspassionnément.

ELLE

...trèspetite.

ELLE

LaMarseillaisepasseau-dessusdematête...C'est...assourdissant...

Ellesebouchelesoreilles,danscecafé(àHiroshima).Ilrègnedanscecaféun

grandsilencetoutàcoup.

CavesdeNevers.MainssaignantesdeRiva.

ELLE

Lesmainsdeviennentinutilesdanslescaves.Ellesgrattent.Elless'écorchentaux

murs...àsefairesaigner...

Des mains saignent quelque part, à Nevers. Les siennes, sur la table, sont

intactes.

RivalèchesonpropresangàNevers.

Page 63: Hiroshima mon amour

ELLE

...c'esttoutcequ'onpeuttrouveràfairepoursefairedubien...

ELLE

...etaussipourserappeler...

ELLE

...J'aimaislesangdepuisquej'avaisgoûtéautien.

Ils se regardent à peine quand elle parle. Ils regardentNevers. Ils sont, tous

deux,unpeucommedespossédésdeNevers.Ilyasurlatabledeuxverres.Elle

boitavidement.Luipluslentement.Leursmainssontposéessurlatable.

Nevers.

ELLE

Lasociétémeroulesurlatête.Aulieuduciel...forcément...Jelavoismarcher,

cettesociété.Rapidementpendantlasemaine.Ledimanche,lentement.Ellenesait

pasque jesuisdans lacave.Onmefaitpasserpourmorte,morte loindeNevers.

Monpèrepréfère.Parcequejesuisdéshonorée,monpèrepréfère.

Nevers : un père, un pharmacien de Nevers, derrière la vitrine de sa

pharmacie.

LUI

Tucries?

LachambredeNevers.

ELLE

Page 64: Hiroshima mon amour

Audébut,non,jenecriepas.Jet'appelledoucement.

LUI

Maisjesuismort.

ELLE

Jet'appellequandmême.Mêmemort.Puisunjour,toutàcoup,jecrie,jecrie

trèsfortcommeunesourde.C'estalorsqu'onmemetdanslacave.Pourmepunir.

LUI

Tucriesquoi?

ELLE

Tonnomallemand.Seulementtonnom.Jen'aiplusqu'uneseulemémoire,celle

detonnom.

ChambredeNevers,crissilencieux.

ELLE

Jeprometsdenepluscrier.Alorsonmeremontedansmachambre.

ChambredeNevers.Couchée,lajamberelevée,dansledésir.

ELLE

Jen'enpeuxplusd'avoirenviedetoi.

LUI

Tuaspeur?

Page 65: Hiroshima mon amour

ELLE

J'aipeur.Partout.Danslacave.Danslachambre.

LUI

Dequoi?

TachesauplafonddelachambredeNevers,objetsterrifiantsdeNevers.

ELLE

Deneplusterevoir,jamais,jamais.

Ilsserapprochentdenouveaucommeaudébutdelascène.

ELLE

Unjour,j'aivingtans.C'estdanslacave,mamèrevientetmeditquej'aivingt

ans.(Untemps,commepoursesouvenir.)Mamèrepleure.

LUI

Tucrachesauvisagedetamère?

ELLE

Oui.

(Commes'ilssavaientensembleceschoses.)Ilsedétached'elle.

LUI

Bois.

ELLE

Page 66: Hiroshima mon amour

Oui.

Iltientleverre,lafaitboire.Elleesttoujourshagardeàforcedesesouvenir.Et

toutàcoup:

ELLE

Après,jenesaisplusrien.Jenesaisplusrien...

Lui,pourl'encourager,l'inspirer.

LUI

Cesontdescavestrèsanciennes,trèshumides,lescavesdeNevers...tudisais...

Elleselaisseprendreaupiège.

ELLE

Oui.Pleinesdesalpêtre.[Jesuisdevenueuneimbécile.]

SabouchecontrelesmursdelacavedeNevers,quimord.

ELLE

Quelquefoisunchatentreetregarde.Cen'estpasméchant.Jenesaisplusrien.

UnchatentredansunecaveàNeversetregardecettefemme.

Elleajoute.

ELLE

Aprèsjenesaisplusrien.

LUI

Combiendetemps?

Page 67: Hiroshima mon amour

Ellenesortpasdelapossession.

ELLE

L'éternité.(Avecévidence.)

Quelqu'un, un homme tout seul,met un disquemusette français dans le juke-box.

Pourquedurelemiracledel'oublideNevers,pourquerienne«bouge», leJaponais

verselecontenudesonverredansceluidelaFrançaise.

DansunecavedeNeversbrillentlesyeuxd'unchatetlesyeuxdeRiva.

Quandelleentendledisquemusette(saouleoufolle),ellesouritetellecrie.

ELLE

Ah!Quej'aiétéjeuneunjour.

Elle revient àNevers, à peine en est-elle sortie. Elle est hantée (le choix des

adjectifsestvolontairementvarié).

ELLE

Lanuit...mamèremefaitdescendredanslejardin.Elleregardematête.Chaque

nuitelleregardematêteavecattention.Ellen'osepasencores'approcherdemoi...

C'est la nuit que je peux regarder la place, alors je la regarde. Elle est immense

(gestes)!Elles'incurveensonmilieu.[Ondiraitunlac.]

Soupirail de la cave de Nevers. A travers ce soupirail, roues irisées des

bicyclettesquipassentdansl'auroredeNevers.

ELLE

C'estàl'aurorequelesommeilvient.

LUI

Page 68: Hiroshima mon amour

Parfoisilpleut?

ELLE

...lelongdesmurs.

Ellecherche,ellecherche,ellecherche.

ELLE

Jepenseàtoi.Maisjeneledisplus.(Presquemaligne.)

Ilsserapprochent.

LUI

Folle.

ELLE

Jesuisfolled'amourpourtoi.(Untemps.)Mescheveuxrepoussent.Amamain,

chaquejour,jelesens.Çam'estégal.Maisquandmême,mescheveuxrepoussent...

RivadanssonlitàNevers,lamaindanssescheveux.

Ellepassesesmainsdanslescheveux.

LUI

Tucries,avantlacave?

ELLE

Non.Jenesensrien...

Ilssontjouecontrejoue,lesyeuxàmoitié

fermés,àHiroshima.

ELLE

Page 69: Hiroshima mon amour

[Ils sont jeunes.Ce sontdeshéros sans imagination.] Ilsme tondent avec soin

jusqu'aubout.Ilscroientdeleurdevoirdebientondrelesfemmes.

LUI

Tuashontepoureux,monamour?(Trèsnet.)

Latonte.

ELLE

Non.Tuesmort.Jesuisbientropoccupéeàsouffrir.Lejourtombe.Jenesuis

attentive qu'au bruit des ciseaux sur ma tête (ceci est dit dans la plus grande

immobilité).Çamesoulageuntoutpetitpeu...de...tamort...comme...

... comme,ah ! tiens, jenepeuxpasmieux tedire, commepour lesongles, les

murs,delacolère.

Ellecontinue,éperdumentcontreluiàHiroshima.

ELLE

Ah ! quelle douleur. Quelle douleur au cœur. C'est fou... On chante La

Marseillaisedanstoutelaville.Lejourtombe.Monamourmortestunennemidela

France.Quelqu'unditqu'ilfautlafairesepromenerenville.Lapharmaciedemon

pèreestferméepourcausededéshonneur.Jesuisseule.Ilyenaquirient.Dansla

nuitjerentrechezmoi.

Scène de la place àNevers. Elle doit pousser un cri informemais que dans

toutes les « langues » du monde on reconnaisse comme celui d'un enfant qui

appellesamère:maman.Lui,toujours,contreelle.Etilluitientlesmains.

LUI

Etpuis,unjour,monamour,tusorsdel'éternité.

ChambreNevers.

Rivatourneenrond.Renversedesobjets.Sauvage,animalitédelaraison.

Page 70: Hiroshima mon amour

ELLE

Oui,c'estlong.

Onm'aditqueç'avaitététrèslong.

A six heures du soir, la cathédrale Saint-Étienne sonne, été comme hiver. Un

jour, il est vrai, je l'entends. Je me souviens l'avoir entendue avant – avant –

pendantquenousnousaimions,pendantnotrebonheur.

Jecommenceàvoir.

Jemesouviensavoirdéjàvu–avant–avant–pendantquenousnousaimions,

pendantnotrebonheur.

Jemesouviens.

Jevoisl'encre.

Jevoislejour.

Jevoismavie.Tamort.

Maviequicontinue.Tamortquicontinue

ChambreetcavedeNevers.

etquel'ombregagnedéjàmoinsvitelesanglesdesmursdelachambre.Etque

l'ombre gagne déjà moins vite les angles desmurs de la cave. Vers six heures et

demie.

L'hiverestterminé.

Untemps.AHiroshima.

Elletremble.

Elleseretiredelafigure.

ELLE

Ah!C'esthorrible.Jecommenceàmoinsbienmesouvenirdetoi.

Iltientleverreetlafaitboire.Elleesthorrifiéeparelle-même.

ELLE

Page 71: Hiroshima mon amour

...Jecommenceàt'oublier.Jetrembled'avoiroubliétantd'amour...

...Encore(àboire).

Elledivague.Cettefois.Seule.Luilaperd.

ELLE

OndevaitseretrouveràmidisurlequaidelaLoire.Jedevaisrepartiraveclui.

QuandjesuisarrivéeàmidisurlequaidelaLoireiln'étaitpastoutàfaitmort.

Quelqu'unavaittiréd'unjardin.

LejardinduquaideNevers.

Elledélire,neleregardeplus.

ELLE

Jesuisrestéeprèsdesoncorpstoutelajournéeetpuistoutelanuitsuivante.Le

lendemainmatinonestvenuleramasseretonl'amisdansuncamion.C'estdans

cette nuit-là que Nevers a été libérée. Les cloches de l'église Saint-Étienne

sonnaient...sonnaient...Ilestdevenufroidpeuàpeusousmoi.Ah!qu'est-cequ'il

aétélongàmourir.Quand?Jenesaisplusaujuste.J'étaiscouchéesurlui...oui...

le moment de sa mort m'a échappé vraiment puisque... puisque même à ce

moment-là, etmême après, oui,même après, je peux dire que je n'arrivais pas à

trouverlamoindredifférenceentrececorpsmortetlemien...Jenepouvaistrouver

entrececorpsetlemienquedesressemblances...hurlantes,tucomprends?C'était

monpremieramour...(crié).

LeJaponaisluienvoieunegifle.(Oubien,commeonvoudra,illuiécraseles

mainsdanslessiennes.)Elleagitcommesiellenesavaitpasd'oùluivientcemal.

Maiselleseréveille.Etfaitcommesiellecomprenaitquecemalétaitnécessaire.

ELLE

Etpuisunjour...J'avaiscriéencore.Alorsonm'avaitmisedanslacave.

Savoixreprendsonrythme.

Page 72: Hiroshima mon amour

(Icitoutelascènedelabillequirentredanslacave,qu'elleramasse,quiest

chaude,surlaquelleellerefermesamain,etc.,etqu'ellerendauxenfants,au-

dehors,etc.)

ELLE

...Elleétaitchaude...

Illalaisseparlersanscomprendre.Ellereprend.

ELLE

(Untemps.)Jecroisquec'estàcemoment-làquejesuissortiedelaméchanceté.

Temps.

Jenecrieplus.

Temps.

Jedeviensraisonnable.Ondit:«Elledevientraisonnable.»

Temps.

Unenuit,unefête,onmelaissesortir.

Al'aurore,àNevers,aubordd'unerivière.

C'est le bord de la Loire.C'est l'aurore.Des gens passent sur le pont plus ou

moinsnombreuxsuivantlesheures.Deloin,cen'estpersonne.

PlacedelaRépublique,àNevers,denuit.

ELLE

Cen'estpastellementlongtempsaprèsquemamèrem'annoncequ'ilfautqueje

m'en aille, dans la nuit, à Paris. Elleme donne de l'argent. Je pars pour Paris à

Page 73: Hiroshima mon amour

bicyclette,lanuit.

C'estl'été.Lesnuitssontbonnes.

Quand j'arrive à Paris, le surlendemain, le nom Hiroshima est sur tous les

journaux.Mescheveuxontatteintunelongueurdécente.

Jesuisdanslarueaveclesgens.

Quelqu'unaremisledisquedemusettedanslejuke-box.

Elleajoute.Commesielleseréveillait.

ELLE

Quatorzeansontpassé.

Illuisertàboire.Elleboit.Elleredevientapparemmenttrèscalme.Ilssortent

dutunneldeNevers.

ELLE

Mêmedesmainsjemesouviensmal...Deladouleur,jemesouviensencoreun

peu.

LUI

Cesoir?

ELLE

Oui, ce soir jem'en souviens.Mais un jour, je nem'en souviendrai plus.Du

tout.Derien.

Ellelèvelatêtesurluiàcemoment-là.

ELLE

Demainàcetteheure-cijeseraiàdesmilliersdekilomètresdetoi.

LUI

Page 74: Hiroshima mon amour

Tonmari,ilsaitcettehistoire?

Ellehésite.

ELLE

Non.

LUI

Iln'yaquemoi,alors?

ELLE

Oui.

Ilselèvedelatable,laprenddanssesbras,laforceàseleveràsontour,et

l'enlacetrèsfort,scandaleusement.Lesgensregardent.Ilsnecomprennentpas.Il

estdansunejoieviolente.Ilrit:

LUI

Iln'yaquemoiquisache.Moiseulement.

Enmêmetempsqu'ellefermelesyeux,elledit:

ELLE

Tais-toi.

Elleserapprocheencoreplusdelui.Ellelèvesamain,et,trèslégèrement,elle

luicaresselaboucheavecsamain.Elledit,presquedansunbonheursoudain:

ELLE

Ah!quec'estbond'êtreavecquelqu'unquelquefois.

Ilsseséparent,trèslentement.

Page 75: Hiroshima mon amour

LUI

Oui(avecsesdoigtssursabouche).

[Le disque, sur la machine, le juke-box vient de diminuer subitement de

volume.]Unelampes'éteintquelquepart.Soitsurlabergedufleuve,soitdansle

bar.

Elle a sursauté. Elle a retiré sa main restée sur la bouche. Lui, n'avait pas

oubliél'heure.Ildit:

LUI

Parleencore.

ELLE

Oui.

Ellecherche.N'yarrivepas.

LUI

Parle.

Elledit,àplat:

ELLE

[J'ail'honneurd'avoirétédéshonorée.Lerasoirsurlatête,ona,delabêtise,une

intelligenceextraordinaire...]

Jedésireavoirvécucetinstant-là.Cetincomparableinstant.

Ildit,retirédumomentprésent:

LUI

Page 76: Hiroshima mon amour

Dansquelquesannées,quandjet'auraioubliée,etqued'autreshistoirescomme

celle-là,parlaforceencoredel'habitude,arriverontencore,jemesouviendraidetoi

commedel'oublidel'amourmême.Jepenseraiàcettehistoirecommeàl'horreur

del'oubli.Jelesaisdéjà.

Desgensentrentdanslecafé.Ellelesregardeetdemande(l'espoirrevient):

ELLE

Lanuit,çanes'arrêtejamais,àHiroshima?

Ilsentrentdansunecomédiedernière.Maiselles'ylaisseprendre.Cependant

qu'ilrépondenmentant.

LUI

Jamaisçanes'arrête,àHiroshima.

Ellesourit.Et,dansuneextrêmedouceur,dansunedétressesouriante,elledit

(adorablement):

ELLE

Commeçameplaît... les villesoù toujours il y adesgensqui sont réveillés, la

nuit,lejour...

Lapatronneaubaréteintunelampe.Ledisques'estterminé.Ilssontpresque

danslapénombre.L'horairetardifmaiscependantinéluctabledelafermeturedes

cafésàHiroshimaestatteint.

Ilsbaissentlesyeuxtouslesdeux,commesaisisparuneextrêmepudeur.Ilssont

foutus à la porte du monde ordonné où leur histoire ne peut pas s'inscrire.

Impossibledelutter.

Ellelecomprendtoutàfait,d'unseulcoup.

Quandilsrelèventlesyeux,ilssourientcependant«pournepaspleurer»au

senslepluscourudel'expression.

Elleselève.Ilnefaitaucungestepourlaretenir.

Ilssontdehors,danslanuit,devantlecafé.

Page 77: Hiroshima mon amour

Ellesetientdeboutdevantlui.

ELLE

Ilfautéviterdepenseràcesdifficultésqueprésentelemonde,quelquefois.Sans

ça,ildeviendraittoutàfaitirrespirable.

(Cettedernièrephraseestditedansun«souffle».)

Unedernièrelampes'éteintdanslecafé,trèsprès.Ilsontlesyeuxbaissés.[Un

canotàmoteurévoquantlebruitd'unavionremontelefleuveverslamer.]

ELLE

Éloigne-toidemoi.

Ils'éloigne.Regardelecielauloinetdit:

LUI

Lejourn'estpasencorelevé...

ELLE

Non.(Untemps.)Ilestprobablequenousmourronssansnousêtrejamaisrevus?

LUI

Ilestprobable,oui.(Untemps.)Sauf,peut-être,unjour,laguerre...

Untemps.

Ellerépond.Marquerl'ironie.

ELLE

Oui,laguerre...

Page 78: Hiroshima mon amour

PARTIEV

Encoreunefoisdutempsapassé.

Onlavoitdansunerue.Ellemarchevite.

Puisonlavoitdanslehalldel'hôtel.Elleprenduneclef.

Puisonlavoitdansl'escalier.

Puisonlavoitouvrirlaportedesachambre.Pénétrerdanscettechambreets'arrêter

netcommedevantungouffreoucommesiquelqu'unétaitdéjàdanscettechambre.Puis

s'enretireràreculons.Puisonlavoitrefermerdoucementlaportedecettechambre.

Monterl'escalier,ledescendre,leremonter,etc.

Revenirsursespas.Alleretvenirdansuncouloir.Setordrelesmains,cherchantune

issue,nelatrouvantpas,revenirdanslachambre,toutàcoup.Etcettefois,supporterle

spectacledecettechambre.

Ellevaverslelavabo,setrempelevisagedansl'eau.Etonentendlapremièrephrase

desondialogueintérieur:

ELLE

Oncroitsavoir.Etpuis,non.Jamais.

ELLE

[Apprendre la durée exacte du temps. Savoir comment le temps, parfois, se

précipitepuissalenteretombéeinutileetqu'ilfautnéanmoinsendurer,c'estaussi

ça,sansdoute,apprendrel'intelligence(haché,répétitions,bafouillage).

ELLE

ElleaeuàNeversunamourdejeunesseallemand...

NousironsenBavière,monamour,etnousnousmarierons.

Ellen'estjamaisalléeenBavière.(Elleseregardedanslaglace.)

QueceuxquinesontjamaisallésenBavièreosentluiparlerdel'amour.

Page 79: Hiroshima mon amour

Tun'étaispastoutàfaitmort.

J'airaconténotrehistoire.

Jet'aitrompécesoiraveccetinconnu.

J'airaconténotrehistoire.

Elleétait,vois-tu,racontable.

Quatorzeansquejen'avaispasretrouvé...legoûtd'unamourimpossible.

DepuisNevers.

Regardecommejet'oublie...

–Regardecommejet'aioublié.

Regarde-moi.

[Par la fenêtre ouverte on voit Hiroshima reconstruit et paisiblement

endormi.]

Ellerelèvelatêtebrusquement,sevoitdanslaglacelevisagetrempé(commede

larmes),vieillie,abîmée.Et,cettefois,fermelesyeux,dégoûtée.

Elles'essuielevisage,reparttrèsvite,retraverselehall.

Onlaretrouveassisesoitsurunbanc,soitsuruntasdegraviers,soitàunevingtaine

demètresducaféoùilsétaientensembleunmomentavant.

La lumière du restaurant (le restaurant) est dans ses yeux. Banal, presque désert,

duquelilestparti.

Elle(s'allonge,s'assied)surlegravieretcontinueàregarderlecafé.(Uneseulelumière

est allumée alors dans le bar. La salle dans laquelle ils étaient ensemble un moment

avantest fermée.Par laportedubarcette sallereçoitunefaibleclartéreflétéequi,au

hasarddeladispositiondestablesetdeschaises,faitdesombresprécisesetvaines.)

[Lesderniersclientsdubarfontécranentrelalumièreetlafemmeassisesurletasde

graviers.Ellepasseainsidel'ombreàlalumière,auhasarddupassagedesclientsdubar.

Cependantqu'ellecontinuedansl'ombre,àregarderl'endroitduqueliladéserté.]

Ellefermelesyeux.Puisellelesrouvre.Oncroitqu'elledort.Maisnon.Quandelle

les rouvre c'est tout d'un coup. Comme un chat. On entend sa voix, monologue

intérieur:

ELLE

JevaisresteràHiroshima.Aveclui,chaquenuit.AHiroshima.

Elleouvrelesyeux.

Page 80: Hiroshima mon amour

ELLE

Jevaisresterlà.Là.

Ellequittelecafédesyeux,regardeautourd'elle.Ettoutd'uncoupse

recroquevillesurelle-mêmeleplusqu'ilestpossiblequ'ellelefasse,dansun

mouvementtrèsenfantin.Figurecachéedanslesbras.Piedsrepliés.

Le Japonais arrive près d'elle.Elle le voit, ne bouge pas, ne réagit pas.Leur

absence de « l'un à l'autre » a commencé. Aucun étonnement. Il fume une

cigarette.Ildit:

LUI

ResteàHiroshima.

Elleleregarde«endouce».

ELLE

BiensûrquejevaisresteràHiroshimaavectoi.

Elleserecoucheletempsdeledire(enfantinement).

ELLE

Quejesuismalheureuse...

Ilserapproched'elle.

ELLE

Jenem'yattendaispasdutout,tucomprends...

ELLE

Va-t'en.

Ils'éloignetandisqu'ildit:

Page 81: Hiroshima mon amour

LUI

Impossibledetequitter.

On les retrouve sur un boulevard.De loin en loin, des boîtes de nuit éclairées.Le

boulevardestparfaitementdroit.

Ellemarche.Lui la suit.Onpeut les voir l'un, puis l'autre. Ils ont lemêmevisage

désespéré.Illarattrapeetilluiditdoucement:

LUI

ResteàHiroshimaavecmoi.

Elle ne répond pas. On entend sa voix alors, presque criée (du monologue

intérieur).

ELLE

[Je désire ne plus avoir de patrie.Ames enfants j'enseignerai laméchanceté et

l'indifférence,l'intelligenceetl'amourdelapatriedesautresjusqu'àlamort.]

ELLE

Ilvavenirversmoi,ilvameprendreparlesépaules,ilm'em-bras-se-ra...

ELLE

Ilm'embrassera...etjeseraiperdue.

(Perdueestditdansleravissement.)

Onrevientàlui.Etons'aperçoitqu'ilmarchepluslentementpourluilaisser

duchamp.Qu'aucontrairederevenirverselleils'enéloigne.Elleneseretourne

pas.

Page 82: Hiroshima mon amour

SuccessiondesruesdeHiroshimaetdeNevers.MonologueintérieurdeRiva.

ELLE

Jeterencontre.

Jemesouviensdetoi.

Cettevilleétaitfaiteàlatailledel'amour.

Tuétaisfaitàlatailledemoncorpsmême.

Quies-tu?

Tumetues.

J'avaisfaim.Faimd'infidélités,d'adultères,demensongesetdemourir.

Depuistoujours.

Jemedoutaisbienqu'unjourtumetomberaisdessus.

Jet'attendaisdansuneimpatiencesansborne,calme.

Dévore-moi. Déforme-moi à ton image afin qu'aucun autre, après toi, ne

comprenneplusdutoutlepourquoidetantdedésir.

Nousallonsresterseuls,monamour.

Lanuitnevapasfinir.

Lejourneselèveraplussurpersonne.

Jamais.Jamaisplus.Enfin.

Tumetues.

Tumefaisdubien.

Nouspleureronslejourdéfuntavecconscienceetbonnevolonté.

Nousn'auronsplusriend'autreàfaire,plusrienquepleurerlejourdéfunt.

Dutempspassera.Dutempsseulement.

Etdutempsvavenir.

Dutempsviendra.Oùnousnesauronsplusdutoutnommercequinousunira.

Lenoms'eneffacerapeuàpeudenotremémoire.

Puis,ildisparaîtratoutàfait.

Ill'abordecettefoisdeface.C'estladernièrefois.Maisilresteloind'elle.Elle

estdésormaisintouchable.Ilpleut.C'estsousl'auventd'unmagasin.

LUI

Peut-êtrequec'estpossible,queturestes.

Page 83: Hiroshima mon amour

ELLE

Tulesaisbien.Plusimpossibleencorequedesequitter.

LUI

Huitjours.

ELLE

Non.

LUI

Troisjours.

ELLE

Letempsdequoi?D'envivre?D'enmourir?

LUI

Letempsdelesavoir.

ELLE

Çan'existepas.Niletempsd'envivre.Niletempsd'enmourir.Alors,jem'en

fous.

LUI

J'auraispréféréquetusoismorteàNevers.

ELLE

Page 84: Hiroshima mon amour

Moiaussi.MaisjenesuispasmorteàNevers.

Nous la retrouvons installée sur une banquette de la salle d'attente de la gare de

Hiroshima.Le tempsa encorepassé.A côtéd'elle,unevieille femme japonaiseattend.

OnentendlavoixdelaFrançaise(monologueintérieur):

ELLE

Neversquej'avaisoublié,jevoudraisterevoircesoir.Jet'aiincendiéchaquenuit

pendantdesmoistandisquemoncorpss'incendiaitàsonsouvenir.

LeJaponaisestentrécommeuneombreetils'estassissurlemêmebancquela

vieillefemme,àl'opposédelaplaceoùelleest.IlneregardepaslaFrançaise.Son

visageesttrempédepluie.Sabouchetremblelégèrement.

ELLE

Tandisquemoncorpss'incendiedéjààtonsouvenir.JevoudraisrevoirNevers...

laLoire.

Nevers.

PeuplierscharmantsdelaNièvrejevousdonneàl'oubli.

Lemot«charmants»doitêtreditcommelemotamour.

Histoiredequatresous,jetedonneàl'oubli.

RuinesdeNevers.

Unenuitloindetoietj'attendaislejourcommeunedélivrance.

Le«mariage»àNevers.

Unjoursanssesyeuxetelleenmeurt.

PetitefilledeNevers.

Page 85: Hiroshima mon amour

PetitecoureusedeNevers.

Unjoursanssesmainsetellecroitaumalheurd'aimer.

Petitefillederien.

Morted'amouràNevers.

PetitetonduedeNeversjetedonneàl'oublicesoir.

Histoiredequatresous.

Commepourlui,l'oublicommencerapartesyeux.

Pareil.

Puis,commepourlui,l'oubligagneratavoix.

Pareil.

Puis,commepourlui,iltriompheradetoitoutentier,peuàpeu.

Tudeviendrasunechanson.

ELLE

[Vers septheuresdu soir, en été,deux foules se croisent sur leboulevardde la

République, paisiblement, dans le souci des achats. Des jeunes filles aux longs

cheveuxnefontplusdetortàleurpatrie.JevoudraisrevoirNevers.Nevers.Bêteà

pleurer.]

ELLE

[C'est dans cette cave deNevers que l'amour de cet hommem'est venu.Que

l'amourdetoim'estvenu.

Dans le quartier deBeausoleil oùmon souvenir reste commeun exemple àne

plussuivrel'amourdetoim'estvenu.]

[C'estparcequedanslequartierdeBeausoleilmonsouvenirestrestécommeun

exempleànepas suivre,que je suisdevenue,un jour, librede t'aimer. Jen'aurais

jamais osé t'aimer si je n'avais pas laissé à Beausoleil cet inqualifiable souvenir.

Beausoleil,jetesalue,jevoudraisterevoircesoir,Beausoleil,bêteàpleurer.]

LeJaponaisestséparéd'elleparcettevieillefemmejaponaise.

Ilprendunecigarette,serelèvelégèrementettendlepaquetàlaFrançaise.

« C'est tout ce que je peux pouvoir faire pour toi, t'offrir une cigarette, comme je

l'offriraiàn'importequi,àcettevieillefemme.»Ellenefumerapas.

Ill'offreàlavieillefemme,laluiallume.

Page 86: Hiroshima mon amour

LaforêtdeNeversdéfiledanslecrépuscule.EtNevers.Tandisquelehaut-parleurde

lagaredeHiroshimaannonce:«Hiroshima!Hiroshima!»surlesimagesdeNevers.

LaFrançaisesembles'êtreendormie.Ilsveillentsurcesommeil.Parlentbas.

C'estparcequ'ellelacroitendormiequelavieillefemmeinterrogeleJaponais.

VIEILLEFEMME

Quic'est?

LUI

UneFrançaise.

VIEILLEFEMME

Qu'est-cequ'ilya?

LUI

EllevaquitterleJapontoutàl'heure.Noussommestristesdenousquitter

1

.

Elle n'est plus là.On la retrouve aux abords de la gare. Ellemonte dans un taxi.

S'arrêtedevantuneboîtedenuit «LeCasablanca ».Devant laquelle, il arrive à son

tour.

Elle est seuleàune table. Il s'assiedàuneautre tableà l'opposéde l'endroitqu'elle

occupe.

C'estlafin.Lafindelanuitautermedelaquelleilsseséparerontpourtoujours.

UnJaponaisquiétaitdanslasallevaverslaFrançaiseetl'abordeainsi(enanglais):

LEJAPONAIS

Areyoualone?

Ellenerépondqueparsignes.[Luidésignesoitlachaise,soitletabouretàcôté

d'elle.]

Page 87: Hiroshima mon amour

LEJAPONAIS

Doyoumindtalkingwithmealittle?

L'endroitestpresquedésert.Desgenss'ennuient.

LEJAPONAIS

Itisverylatetobelonely?

Elle se laisseaborderparunautrehommeafinde «perdre » celuiquenous

connaissons. Mais non seulement ce n'est pas possible, c'est inutile. Il est déjà

perdu.

LEJAPONAIS

MayIsitdown?

LEJAPONAIS

AreyoujustvisitingHiroshima?

Detempsentemps,ilsseregardent,trèspeu,c'estabominable.

LEJAPONAIS

DoyoulikeJapan?

LEJAPONAIS

DoyouliveinParis?

Toujours,l'aubegrandit[auxvitres].

Lemonologueintérieur,lui-même,acessé.

Page 88: Hiroshima mon amour

CeJaponaisinconnuluiparle.Elleregardel'autre.LeJaponaisinconnucesse

deluiparler.

Etvoici,àtraversdesvitres,terrifiante,«l'auroredescondamnés».

Onlaretrouvederrièrelaportedelachambre.Ellealamainsurlecœur.

Onfrappe.

Elleouvre.

Ildit:

LUI

Impossibledenepasvenir.

Ilssontdebout,danslachambre.

Debout l'un contre l'autre,mais lesbras le longdu corps, sans se toucherdu

tout.

Lachambreestintacte.

Lescendrierssontvides.

L'auroreesttoutàfaitarrivée.Ilyadusoleil.

Ilsnefumentmêmepas.

Lelitestintact.

Ilsnesedisentrien.

Ilsseregardent.

Lesilencedel'aubepèsesurtoutelaville.Ilentredanslachambre.Auloin,

Hiroshimadortencore.

Toutàcoup,elles'assied.

Elleseprendlevisageentrelesmains,etgémit.Plaintesombre.

Danssesyeuxàelleilyalaclartédelaville.Ellemetpresquemalàl'aiseet

ellecrietoutàcoup:

ELLE

Jet'oublierai!Jet'oubliedéjà!Regarde,commejet'oublie!Regarde-moi!

Illatientparlesbras,[lespoignets],ellesetientfaceàlui,latêterenverséeen

arrière.Elles'écartedeluiavecbeaucoupdebrutalité.

Ill'assistedansl'absencedelui-même.Commesielleétaitendanger.

Page 89: Hiroshima mon amour

Illaregarde,tandisqu'elleleregardecommeelleregarderaitlavilleetl'appelle

toutàcouptrèsdoucement.

Elle l'appelle«auloin»,dans l'émerveillement.Ellearéussià lenoyerdans

l'oubliuniversel.Elleenestémerveillée.

ELLE

Hi-ro-shi-ma.

ELLE

Hi-ro-shi-ma.C'esttonnom.

Ilsseregardentsanssevoir.Pourtoujours.

LUI

C'estmonnom.Oui.

[Onenestlàseulementencore.Etonenresteralàpourtoujours.]Tonnomàtoi

estNevers.Ne-vers-en-Fran-ce.

FIN

1Enjaponais.Nontraduit.

Page 90: Hiroshima mon amour

APPENDICES

LESÉVIDENCESNOCTURNES

(NotessurNevers)

1

SURL'IMAGEDELAMORTDEL'ALLEMAND

Ilssonttouslesdeux,àégalité,enproieàcetévénement:samortàlui.

Iln'yaaucunecolèrenichezl'unnichezl'autre.Iln'yaqueleregretmortelde

leuramour.

Mêmedouleur.Mêmesang.Mêmeslarmes.

L'absurditédelaguerre,miseànue,planesurleurscorpsindistincts.

Onpourraitlacroiremortetellementellesemeurtdesamortàlui.

Il essaie de lui caresser la hanche, comme dans l'amour, il le lui faisait. Il n'y

arriveplus.

Ondiraitqu'ellel'aideàmourir.Ellenepensepasàellemaisseulementàlui.Et

queluilaconsole,s'excusepresqued'avoiràlafairesouffrir,d'avoiràmourir.

Quandelleestseule,àcetendroitmêmeoùilsétaienttoutàl'heure,ladouleur

n'a pas encore pris place dans sa vie. Elle est simplement dans un indicible

étonnementdeseretrouverseule.

SURL'IMAGEDUJARDINDUQUELONATIRÉSURL'ALLEMAND

Page 91: Hiroshima mon amour

Onatirédecejardincommeonauraittiréd'unautrejardindeNevers.Detous

lesautresjardinsdeNevers.

Seullehasardafaitquecesoitdecelui-ci.

Cejardinestdésormaismarquéausignedelabanalitédesamort.

Sa couleur et sa forme sont désormais fatidiques. C'est de là que sa mort est

partie,éternellement.

UNSOLDATALLEMANDTRAVERSEUNEPLACEDEPROVINCEPENDANTLAGUERRE

Quelque part en France, vers la fin de l'après-midi, un certain jour, un soldat

allemandtraverseuneplacedeprovince.

Mêmelaguerreestquotidienne.

Lesoldatallemandtraverselaplacecommeunecibletranquille.

Nous sommes dans le fond de la guerre, lemoment où l'on désespère de son

issue.Les gensneprennentplus garde aux ennemis.L'habitudede la guerre s'est

installée.LaplaceduChamp-de-Marsreflèteunedésespérancetranquille.Lesoldat

allemand la ressent aussi.Onneparlepas assezde l'ennuide la guerre.Dans cet

ennui, des femmes derrière des volets clos regardent l'ennemi qui marche sur la

place.Icil'aventureselimiteaupatriotisme.L'autreaventuredoitêtreétranglée.On

regarde,n'empêche.Rienàfairecontreleregard.

SURLESIMAGESDESRENCONTRESENTRERIVAETLESOLDATALLEMAND

Nousnoussommesembrassésderrière les remparts.Lamortdans l'âme,certes,

maisdansunirrépressiblebonheurj'aiembrassémonennemi.

Les remparts étaient toujours déserts pendant la guerre. Des Français y furent

fusilléspendantlaguerre.Etaprèslaguerre,desAllemands.

J'ai découvert ses mains quand elles touchaient des barrières pour les ouvrir

devant moi. Ses mains me donnèrent très vite l'envie de les punir. Je mords ses

mainsaprèsl'amour.

Page 92: Hiroshima mon amour

C'estdanslesmursdelavillequejesuisdevenuesafemme.

Jenepeuxpasencoremesouvenirdelaportedufonddujardin.Ilm'attendait

là,desheuresparfois.Lanuitsurtout.Chaquefoisqu'uninstantdelibertém'était

donné.Ilavaitpeur.

J'avaispeur.

Quand il fallait traverser la ville ensemble jemarchaisdevant lui,dans lapeur.

Les gens baissaient les yeux.Nous crûmes à leur indifférence.On a commencé à

devenirimprudents.

Je lui demandais de traverser la place, derrière la grille de... afin qu'une fois je

puisse l'apercevoirdans le jour. Ilpassaitdoncchaque jourdevant cettegrille, les

yeuxbaissés,ilselaissaitregarderparmoi.

Danslesruines, l'hiver, leventtournesurlui-même.Lefroid.Seslèvresétaient

froides.

UNNEVERSIMAGINAIRE

Neversoùjesuisnée,dansmonsouvenir,estindistinctdemoi-même.

C'estunevilledontunenfantpeutfaireletour.

Délimitéed'unepartparlaLoire,d'autrepartparlesRemparts.

Au-delàdesRempartsilyalaforêt.

Neverspeutêtremesuréeaupasd'unenfant.

Nevers « se passe » entre les Remparts, le fleuve, la forêt, la campagne. Les

Rempartssontimposants.LefleuveestlepluslargedeFrance,leplusrenommé,le

plusbeau.

Neversestdoncdélimitéecommeunecapitale.

Quandj'étaisunepetitefilleetquej'enfaisaisletour,jelacroyaisimmense.Son

ombre,danslaLoire,tremblait,l'agrandissantencore.

Page 93: Hiroshima mon amour

Cette illusion sur l'immensité de Nevers je l'ai gardée longtemps, jusqu'au

momentoùj'aiatteintl'âged'unejeunefille.

AlorsNeverss'est ferméesurelle-même.Elleagrandicommeongrandit.Jene

savaisriendesautresvilles.J'avaisbesoind'unevilleàlatailledel'amourmême.Je

l'aitrouvéedansNeversmême.

DiredeNeversqu'elleestunepetitevilleestuneerreurducœuretde l'esprit.

Neversfutimmensepourmoi.

Lebléestàsesportes.Laforêtestàsesfenêtres.Lanuit,deschouettesenarrivent

jusquedanslesjardins.Aussifaut-ils'ydéfendred'yavoirpeur.

L'amouryestsurveillécommenullepartailleurs.

Des gens seuls y attendent leur mort. Aucune autre aventure que celle-là ne

pourrafairedévierleurattente.

Danscesruestortueusessevitdonclalignedroitedel'attentedelamort.

L'amour y est impardonnable. La faute, à Nevers, est d'amour. Le crime, à

Nevers,estlebonheur.L'ennuiyestunevertutolérée.

Desfouscirculentdanssesfaubourgs.Desbohémiens.Deschiens.Etl'amour.

DiredumaldeNeversseraitégalementuneerreurdel'espritetducœur.

SURLESIMAGESDELABILLEPERDUEPARLESENFANTS

J'ai encore crié.Et ce jour-là j'ai entenduun cri.Ladernière foisque l'onm'a

mise dans la cave. Elle est arrivée versmoi (la bille) en prenant tout son temps,

commeunévénement.

Al'intérieurcoulaientdesrivièrescolorées,trèsvives.L'étéétaitàl'intérieurdela

bille.Del'étéelleavaitaussilachaleur.

Jesavaisdéjàqu'onnedevaitplusmangerleschoses,mangern'importequoi,ni

lesmurs,nilesangdesesmainsnilesmurs.Jel'airegardéeavecgentillesse.Jel'ai

poséecontremabouchemaissansmordre.

Tantderondeur,tantdeperfection,posaientuninsolubleproblème.

Page 94: Hiroshima mon amour

Peut-être vais-je la casser. Je la jette mais elle rebondit vers ma main. Je

recommence.Ellenerevientpas.Elleseperd.

Quandelleseperd,quelquechoserecommencequejereconnais.Lapeurrevient.

Unebillenepeutpasmourir.Jemesouviens.Jecherche.Jelaretrouve.

Crisdesenfants.Labilleestdansmamain.Cris.Bille.Elleestauxenfants.Non.

Ilsnel'aurontplus.J'ouvrelamain.Elleestlà,captive.Jelarendsauxenfants.

UNSOLDATALLEMANDVIENTSEFAIREPANSERLAMAINDANSLAPHARMACIEDUPÈRE

DERIVA

[Danscepleinétéjeportaisdeschandails(noirs).LesétéssontfroidsàNevers.

Étésdelaguerre.Monpères'ennuie.Lesrayonnagessontvides.J'obéisàmonpère

commeuneenfant.Samainbrûlée, je la regarde.Je lui faismalen lui faisant son

pansement.Letempsdeleverlesyeuxjevoissesyeux.Ilssontclairs.Ilritparceque

jeluifaismal.Jenerispas.]

SOIRÉEDENEVERSPENDANTLAGUERRELESOLDATALLEMANDGUETTESURLAPLACE

LAFENÊTREDERIVA

[Monpèreboitetsetait.Jenesaismêmepass'ilécoutelamusiquequejejoue.

Lessoiréessontmortellesmaisjenelesaispasencoreavantcesoir-là.L'ennemilève

la tête versmoi et sourit àpeine. J'ai le sentimentd'uncrime. Je ferme les volets

commedevantunspectacleabominable.]Monpèresursonfauteuildortàmoitié

commeàl'accoutumée.Surlatableilyaencorenosdeuxcouvertsetlevindemon

père. Derrière les volets la place bat comme la mer, immense. Il avait l'air d'un

naufragé.Jevaisversmonpèreetjeleregardedetrèsprès,presqueàletoucher.Il

dortdanslevin.Jenereconnaispastrèsbienmonpère.

SOIRÉEDENEVERS

Page 95: Hiroshima mon amour

Seule dansma chambre àminuit. Lamer de la place duChamp-de-Mars bat

toujours derrièremes volets. Il a dû encore passer ce soir. Je n'ai pas ouvertmes

volets.

LEMARIAGEDENEVERS

Jedevins sa femmedans le crépuscule, lebonheur et lahonte.Quandça a été

fait,lanuitétaitvenuesurnous.Nousnenousenétionspasaperçus.

Lahonteavaitdisparudemavie.Nousavonsété joyeuxdevoir lanuit.J'avais

toujourseupeurdelanuit.Celle-làétaitunenuitnoirecommejamaisjen'enaivu

depuis.Mapatrie,maville,monpèreivre,s'ytrouvèrentnoyés.Avecl'occupation

allemande.Danslemêmesac.

Nuitnoiredelacertitude.Onl'aregardéeavecattentionetensuiteavecgravité.

Puisuneàune,desmontagnessontmontéesàl'horizon.

AUTRENOTESURLEJARDINDUQUELONATIRÉSURL'ALLEMAND

L'amoursertàmourirpluscommodémentàlavie.

CejardinpourraitfairecroireenDieu.

Cethomme,ivredeliberté,avecsacarabine,cetinconnudelafindejuillet44,

cethommedeNevers,monfrère,commentaurait-ilpusavoir?

SURLAPHRASE:«ETPUIS,ILESTMORT»

Rivaneparlepluselle-mêmequandcetteimageapparaît.

Donnerunsigneextérieurdesadouleurseraitdégradercettedouleur.

Elle vient seulement de le découvrir,mourant, sur le quai, dans le soleil.C'est

pournousautresquel'imageestinsupportable.PaspourRiva.Rivaacessédenous

parler.Elleacessé,toutsimplement.

Ilvitencore.

Page 96: Hiroshima mon amour

Riva,surlui,estdansl'absoludeladouleur.Elleestdanslafolie.

Lavoirluisourireàcemoment-làseraitmêmelogique.

La douleur a son obscénité. Riva est obscène. Comme une folle. Son

entendementadisparu.

C'était son premier amour. C'est sa première douleur. Nous pouvons à peine

regarder Riva dans cet état. Nous ne pouvons rien faire pour elle. Qu'attendre.

Attendrequeladouleurprenneenelleuneformereconnaissableetdécente.

Fressonmeurt.Ilestcommeliéausol.Ilaétéprisdepleinfouetparlamort.Son

sangcoulede luicommele fleuveetcommele temps.Commesa sueur. Ilmeurt

commeuncheval,avecuneforceinsoupçonnable.Ilesttrèsoccupéàcela.Puisune

douceurinterviendraavecsavenueàelleetlacertitudedel'inutilitédeluttercontre

samort.Douceurdes yeuxdeFresson. Ils se sourient.Oui.Tuvois,mon amour,

mêmecelanousétaitpossible.Triomphefunèbre.Accomplissement.Jesuissûredene

paspouvoirtesurvivre,àcepointquejetesouris.

APRÈSQUELECORPSDUSOLDATALLEMANDAÉTÉEMPORTÉDANSUNCAMION,RIVA

RESTESEULESURLEQUAI

Le soleil fut, ce jour-là, glorieux. Mais comme chaque jour cependant le

crépusculeestarrivé.

CequirestedeRiva,surcequai,seréduitauxbattementsdesoncœur.(Ilaplu

verslesheuresdefind'après-midi.IlaplusurRivacommeilaplusurlaville.Puis

lapluieacessé.PuisRivaaététondue.Etilreste,surlequai,laplacesèchedeRiva.

Placebrûlée.)

Sur ce quai, on dirait qu'elle dort. Elle est à peine reconnaissable. (Des bêtes

passentsursesmainssaliesparlesang.)

Chien?

LADOULEURDERIVA.SAFOLIE.LACAVEDENEVERS

Rivaneparlepasencore.

Page 97: Hiroshima mon amour

L'étécontinueimpunément.LaFranceentièreestenfête.Dansledésordreetla

joie.

Lesfleuves,euxaussi,coulenttoujoursimpunément.LaLoire.LesyeuxdeRiva

commelaLoirecoulent,maisordonnésparladouleur,danscedésordre.

Lacaveestpetitecommeellepourraitêtregrande.

Rivacriecommeellepourraitsetaire.Ellenesaitpasqu'ellecrie.

Onlapunitpourluiapprendrequ'ellecrie.Commeunesourde.

Ilfautqu'onluiapprenneàentendrequandellecrie.

Onluiaracontéçaaprès.

Elle s'écorche les mains comme une imbécile. Les oiseaux, lâchés dans les

chambres, se rognent les ailes et ne sentent rien.Riva se fait saigner les doigts et

mangesonsangensuite.Faitlagrimaceetrecommence.Elleaappris,unjour,sur

unquai,àaimerlesang.Commeunebête,unesalope.Ilfautbienregarderquelque

chose.Rivan'estpasaveugle.Elleregarde.Ellenevoitrien.Maiselleregarde.Les

piedsdesgensselaissentregarder.

Lesgensquipassent,passentdansununiversnécessaire,levôtreetlemien,dans

uneduréequinousestfamilière.

LeregarddeRivasurlespiedsdecesgens(aussisignificatifsqueleursvisages)se

passedansununivers organique, désertépar la raison.Elle regardeunmondede

pieds.

LEPÈREDERIVA

Lepèreestfatiguéparlaguerre.Iln'estpasméchant.Ilestabrutiparcequilui

arriveetqu'iln'apasvoulu.Ilesthabilléennoir.

LAMÈREDERIVA

Lamèreestvive.Bienplusjeunequelepère.Cequ'elleaimeleplusaumonde

estsonenfant.QuandRivacrie,elles'affolepourelle.Lamèreapeurquel'onfasse

encoredumalàsonenfant.Elletienttoutelamaisondanssesmains.Elleestforte.

ElleneveutpasqueRivameure.Elleestavec sonenfantd'une tendressebrutale.

Page 98: Hiroshima mon amour

Maisd'unetendressesans limites.Contrairementaupère,ellenedésespèrepasde

Riva.

Ilsladescendentdanslacavecommesielleavaitdixans.Ilssontennoir.Riva,

aumilieudesdeux,esthabilléeenclair.Chemisedenuitendentelles,detrèsjeune

fille,faiteparlamère,parunemèrequioublietoujoursquesonenfantgrandit.

RIVADANSLACAVEDENEVERSETDANSSACHAMBRED'ENFANT

Riva est dans un coin de la cave, toute blanche. Là comme ailleurs, toujours.

ToujoursdesyeuxdeLoire.Ceuxduquai.Innocentée.Enfanceterrifiante.

C'estlanuitquesaraisonrevient.Qu'ellesesouvientqu'elleestlafemmed'un

homme. Elle aussi le désir l'a frappée de plein fouet.Qu'il soitmort n'empêche

qu'elleledésire.Ellen'enpeutplusd'avoirenviedelui,mort.Corpsvidé,haletant.

Saboucheesthumide.Ellealaposed'unefemmedansledésir,impudiquejusqu'à

lavulgarité.Plusimpudiquequepartoutailleurs.Dégoûtante.Elledésireunmort.

RIVATOUCHELESOBJETSDESACHAMBRE.«JEMESOUVIENSAVOIRDÉJAVU...»

N'importequoipeutêtrevuparRivadanscetétat.Toutunensembled'objetsou

ceux-ciprisséparément.Peuimporte.Toutseravuparelle.

RIVALÈCHELESALPÊTREDELACAVE

Fauted'autrechose,lesalpêtresemange.Seldepierre.Rivamangelesmurs.Elle

lesembrasseaussibien.Elleestdansununiversdemurs.Lesouvenird'unhomme

estdanscesmurs,intégréàlapierre,àl'air,àlaterre.

Page 99: Hiroshima mon amour

UNCHATENTREDANSLACAVEDENEVERS

Lechat, toujours égal à lui-même, entredans la cave. Il s'attendà tout.Riva a

oubliél'existencedeschats.

Leschatssontdomestiquéscomplètement.Leurconduiteestdegentillesse.Leurs

yeuxnesontpasdomestiqués.LesyeuxduchatetlesyeuxdeRivaseressemblentet

seregardent.Vidés.Presqueimpossibledesoutenirleregardd'unchat.Rivalepeut.

Elle entrepeu àpeudans le regarddu chat. Iln'y aplusdans la cavequ'un seul

regard,celuiduchat-Riva.

L'éternitééchappeàtoutequalification.Cen'estnibeaunilaid.Çapeutêtreun

caillou, l'anglebrillantd'unobjet ?Leregardduchat ?Tout à la fois.Lechatqui

dort.Rivaquidort.Lechatquiveille.L'intérieurduregardduchatoul'intérieur

duregarddeRiva?Pupillescirculairesoùrienn'accroche.Immenses,cespupilles.

Descirquesvides.Oùbatletemps.

LAPLACEDENEVERSVUEPARRIVA

Laplacecontinue.Oùvontcesgens?Ilsontleurraison.Lesrouesdebicyclettes

ressemblentàdessoleils.Cequiremueseregardemieuxquecequineremuepas.

Rouesdebicyclettes.Lespieds.Toutremuesurplace.

Parfois,c'estlamer.C'estmêmeassezrégulièrementlamer.Plustardellesaura

quec'estl'aurore,cequ'elleprendpourlamer.Çaluidonnesommeil,l'aurore,la

mer.

RIVA,COUCHÉE,LESMAINSDANSLESCHEVEUX

Dumomentqu'ellen'estpasmortesescheveuxrepoussent.Entêtementdelavie.

Denuit,dejour,sescheveuxpoussent.Souslefoulard,endouce.Jecaressematête

doucement.C'estmeilleuràtoucher.Çanepiquepluslesdoigts.

Page 100: Hiroshima mon amour

LATONTEDERIVAANEVERS

Ilslatondent.

Ils le fontdans ladistractionpresque. Il fallait la tondre.Faisons-le.Maisona

bienautrechoseàfaire,ailleurs.Cependantonfaitnotredevoir.

L'endroitestparcouruparleventchaudquiarrivedelaplace.Pourtant,onya

plusfraisqu'ailleurs.

Lafillequiesttondue,c'estlafilledupharmacien.Elletendpresquesatêteaux

ciseaux.Elleaidepresqueà l'opérationcommeàunautomatismeacquis,déjà.Ça

faitdubienàlatêted'êtretondue,çalarendpluslégère.(Elleestpleinedecheveux

tombéssurelle.)

Ontondquelqu'unquelquepartenFrance.Ici,c'est lafilledupharmacien.La

Marseillaisearriveavecleventdusoirjusquedanslagalerieet.encourageàl'exercice

d'unejusticehâtiveetimbécile.Ilsn'ontpasletempsd'êtreintelligents.Lagalerie

estun théâtreoùrienne se joue.Rien.Quelquechoseauraitpuse jouer,mais la

représentationn'apaseulieu.

Unefoistondue, la filleattendencore.Elleestà leurdisposition.Dumalaété

faitdans la ville.Ça faitdubien.Çadonne faim. Il fautque cette fille s'en aille.

C'estlaid,peut-êtreest-cedégoûtant.Commeelleal'airdevouloirresterencelieu,

ilfautlachasser.Onlachassecommeunrat.Maisellenepeutpasmonterl'escalier

très vite, aussi vite qu'on le désirerait. On dirait qu'elle a devant elle un temps

énorme.Ondiraitqu'elles'attendaitencoreàautrechosequin'apaseulieu.Qu'elle

est presque déçue de devoir encore remuer, avancer les jambes, se déplacer. Elle

trouvequelarampeestfaitepours'aideràfairecela.

AMINUITRIVARENTRECHEZELLE,TONDUE

Rivaregardesamèrearriververselle.«Direquetum'asmiseaumonde»esten

deçàduregarddeRiva.Cequil'exprimeraitlemieuxc'est:«Qu'est-cequeçaveut

dire?»

Rivafroncepeut-êtreunpeulessourcilsetinterrogeleciel,samère.Elleestàla

limite exacte de ses forces.Quand samère arrivera vers elle, elle aura dépassé ses

forcesettomberadanslesbrasdesamèrecommeévanouie.Maissesyeuxresteront

ouverts.

Page 101: Hiroshima mon amour

Cequisepasseàcemoment-làentreRivaetsamèreestseulementphysique.La

mèreprendraRivaavecadresse.Elleconnaîtlepoidsdesonenfant.Rivasemettraà

la place du corps de samère où depuis l'enfance elle a l'habitude d'attendre que

passentleschagrins.

Rivaafroid.Samèrefrotterasesbrasetsondos.Elleembrasseralatêteraséede

son enfant sans s'en apercevoir. Sans aucunpathétisme, rien. Son enfant vit.C'est

relativementunbonheur.Ellel'emportechezelle.Ellel'arrachelittéralement,ilfaut

l'arracherdecetarbre.Rivaaalorslepoidsqu'elleauraunefoismorte.

PORTRAITDERIVA.RECOMMENCEMENTDESARAISON

Elletourneenrond.Dutempsapassé.

Sa folie est maintenant remuante. Il lui faut bouger. Elle tourne en rond. Le

cerclesefermemaisilvaéclater.C'estlederniertemps.

Le visage deRiva est commeplâtré.Ce visage n'a pas servi depuis desmois. Les

lèvressontdevenuesminces.Leregardpeutmaigrir.Lecorpsneplusriensignifier.

Le corps deRiva quand elle tournene sert plus qu'à porter sa tête.Elle l'appelle

encoremaislentementetàdesintervallestrèslongs.Souvenirdusouvenir.Lecorps

estsale,inhabité.Ellevaêtrelibre,çavayêtre.Lecerclevaéclater.Elledétruitun

ordreimaginaire,renversedesobjets;lesregardeàl'envers.

FOLIEDERIVA

Quand elle regarde les angles bas de la chambre et qu'elle reconnaît quelque

chose,seslèvrestremblent.Ellesouritouellepleure?Mêmechose.Elleécoute.On

diraitqu'elleprépareunsalecoup.Maisnon.Elleécouteseulementlesclochesde

Saint-Étienne. Consommation complète de la douleur. Elle écoute le bruit de la

ville.Puistournedenouveausurelle-même.Toutàcoupelles'étire.Laraisonqui

luirevienteffraie.Ellechasseavecsespieds,quoi?Desombres.

Page 102: Hiroshima mon amour

RIVAARRIVESURLEQUAIDELALOIRE,AMIDI

Rivaarriveenhautdel'escalierduquaicommeunefleur.

Juperondeetcourte.Naissancedescuissesetdesseins.

SORTIEDERIVA,AL'AURORE,SURLESQUAISDELALOIRE

Onmelaissesortir.Jesuistrèsfatiguée.Tropjeunepoursouffrir,dit-on.Ilfait

doux,dit-on.Huitmoisdéjà,dit-on.Mescheveuxsontlongs.Personnenepasse.Je

n'aipluspeur.Voilà.Jenesaispasàquoijem'apprête...Mamèresurveillemasanté

àcet effet. Je surveillema santé Ilne fautpas trop regarder laLoire,dit-on. Je la

regarderai.

Desgenspassentsurlepont.Labanalitéestfrappanteparfois.C'estlapaix,dit-

on.Cesontcesgensquim'onttondue.Personnenem'atondue.C'estlaLoirequi

meprendlesyeux.Jelaregardeetjen'arriveplusàlesretirerdel'eau.Jenepenseà

rien,àrien.Quelordre.

RIVARENTREAPARIS,DENUIT

Quelordre.Ilmefautpartir.Jepars.Dansunordrerevenu.Riend'autrenepeut

m'arriverqued'exister.D'accord.

Lanuitestbonne.JequittelaLoire.LaLoireestauboutdechaquerouteencore.

Patience.LaLoiredisparaîtrademavie.

1Sansordrechronologique.«Faitescommesivouscommentiezlesimagesd'unfilmfait»,m'aditResnais.

Page 103: Hiroshima mon amour

NEVERS

(Pourmémoire)

RIVARACONTEELLE-MÊMESAVIEANEVERS

A sept heures du soir, la cathédrale Saint-Lazare sonnait l'heure. La pharmacie

fermait.

Élevéedanslaguerrejeneprenaispastellementgardeàcelle-cimalgrémonpère

quim'enentretenaitchaquesoir.

J'aidaismonpèredans la pharmacie. J'étais préparatrice. Je venais de finirmes

études.Mamère

1

vivaitdansundépartementdusud.Jelaretrouvaisplusieursfois

paran,auxvacances.

A septheuresdu soir, été commehiver, dans lanuitnoirede l'occupation, ou

danslesjournéesensoleilléesdejuin,lapharmaciefermait.C'étaittoujourstroptôt

pourmoi.Nousmontionsdans lespiècesdupremierétage.Tous les filmsétaient

allemands ou presque. Le cinéma m'était interdit. Le Champ de Mars, sous les

fenêtresdemachambre,lanuit,s'agrandissaitencore.

L'hôteldevilleétaitsansdrapeau.Ilfallaitquejemerappellemapetiteenfance

pourmesouvenirdelampadairesallumés.

Lalignededémarcationfutfranchie.

L'ennemiarriva.DeshommesallemandstraversaientlaplaceduChamp-de-Mars

enchantant,àheuresfixes.Parfoisl'und'euxvenaitàlapharmacie.

Lecouvre-feuarrivaaussi.

PuisStalingrad.

Lelongdesrempartsdeshommesfurentfusillés.

D'autres hommes furent déportés. D'autres s'enfuirent pour rejoindre la

Résistance. Certains restèrent là, dans l'épouvante et la richesse. Le marché noir

battit sonplein.LesenfantsdufaubourgouvrierdeSt-...crevaientde faimtandis

qu'au«GrandCerf»onmangeaitdufoiegras.

Page 104: Hiroshima mon amour

MonpèredonnaitdesmédicamentsauxenfantsdeSt...Je les leurportaisdeux

foisparsemaine,enallantprendremaleçondepiano,unefoislapharmaciefermée.

Quelquefoisjerentraisenretard.Monpèremeguettaitderrièrelesvolets.Parfois,le

soir,monpèremedemandaitdeluijouerdupiano.

Après que j'ai joué, mon père devenait silencieux, et son désespoir s'affirmait

encore.Ilpensaitàmamère.

Aprèsquej'ai joué, lesoir,ainsi,dans l'épouvantedel'ennemi,majeunesseme

sautait à la gorge. Je n'en disais rien àmonpère. Ilme disait que j'étais sa seule

consolation.

Lesseulshommesdelavilleétaientallemands.J'avaisdix-septans.

Laguerreétaitinterminable.Majeunesseétaitinterminable.Jen'arrivaisàsortir,

nidelaguerre,nidemajeunesse.

Lesmoralesd'ordrediversbrouillaientmonesprit,déjà.

Ledimancheétaitpourmoijourdefête.Jedévalaistoutelavilleàbicyclettepour

aller à Ezy chercher le beurre nécessaire à ma croissance. Je longeais la Nièvre.

Parfoisjem'arrêtaissousunarbreetjem'impatientaisdelalongueurdelaguerre.

Cependant que je grandissais envers et contre l'occupant. Envers et contre cette

guerre.Larivièremefaisaittoujoursbienplaisiràvoir.

Unjour,unsoldatallemandvintà lapharmaciese fairepansersamainbrûlée.

Nous étions seuls tousdeuxdans lapharmacie. Je luipansais samain commeon

m'avaitappris,danslahaine.L'ennemiremercia.

Ilrevint.Monpèreétaitlàetmedemandadem'enoccuper.

Jepansaissamainunenouvellefoisenprésencedemonpère.Jenelevaispasles

yeuxsurlui,commeonm'avaitappris.

Cependant,lesoirdecejour,unelassitudeparticulièremevintdelaguerre.Jele

disàmonpère.Ilnemeréponditpas.

Jejouaidupiano.Puisnousavonséteint.Ilm'ademandédefermerlesvolets.

Sur laplace,un jeuneAllemandà lamainpansée était adossé àunarbre. Je le

reconnusdanslenoiràcausedelatacheblanchequefaisaitsamaindansl'ombre.

Cefutmonpèrequirefermalafenêtre.Jesusqu'unhommem'avaitécoutéjouer

dupianopourlapremièrefoisdemavie.

Cet homme revint le lendemain. Alors je vis son visage. Comment m'en

empêcher encore ?Monpère vint versnous. Ilm'écarta et annonça à cet ennemi

quesamainnenécessitaitplusaucunsoin.

Lesoirdecejourmonpèremedemandaexpressémentdenepasjouerdepiano.

Ilbutduvinbeaucoupplusquedecoutume,àtable.J'obéisàmonpère.Jelecrus

devenuunpeufou.Jelecrusivreoufou.

Page 105: Hiroshima mon amour

Monpère aimaitmamère d'amour, follement. Il l'aimait toujours. Il souffrait

beaucoupdesaséparationavecelle.Depuisqu'ellen'étaitpluslà,monpères'était

misàboire.

Quelquefois,ilpartaitlarevoiretmeconfiaitlapharmacie.

Ilpartitlelendemaindecejour,sansmereparlerdelascènedelaveille.

Lelendemaindecejourétaitundimanche.Ilpleuvait.J'allaisàlafermedeEzy.

Jem'arrêtai,commed'habitude,sousunpeuplier,lelongdelarivière.

L'ennemi arriva peu après moi sous ce même peuplier. Il était également à

bicyclette.Samainétaitguérie.

Ilnepartaitpas.Lapluietombait,drue.Puislesoleilarriva,danslapluie.Ilcessa

demeregarder,ilsourit,etilm'ademandéderemarquercommentparfoislesoleil

etlapluiepouvaientêtreensemble,l'été.

Jen'airiendit.Quandmêmej'airegardélapluie.

Ilm'aditalorsqu'ilm'avaitsuiviejusque-là.Qu'ilnepartiraitpas.

Jesuisrepartie.Ilm'asuivie.

Unmois durant, ilm'a suivie. Je neme suis plus arrêtée le long de la rivière.

Jamais.Mais il y étaitposté là, chaquedimanche.Comment ignorerqu'il était là

pourmoi.

Jen'endisrienàmonpère.

Jememisàrêveràunennemi,lanuit,lejour.

Et dansmes rêves l'immoralité et lamorale semélangèrent de façon telle que

l'unenefutbientôtplusdiscernabledel'autre.J'eusvingtans.

Unsoir,faubourgSt-...,alorsquejetournaisunerue,quelqu'unmesaisitparles

épaules.Jenel'avaispasvuarriver.C'étaitlanuit,huitheuresetdemiedusoir,en

juillet.C'étaitl'ennemi.

Ons'estrencontrésdanslesbois.Danslesgranges.Danslesruines.Etpuis,dans

deschambres.

Unjour,unelettreanonymearrivaitàmonpère.Ladébâclecommençait.Nous

étionsenjuillet1944.J'ainié.

C'est encore sous les peupliers qui bordent la rivière qu'il m'a annoncé son

départ.Ilpartait le lendemainmatinpourParis,encamion.Ilétaitheureuxparce

quec'étaitlafindelaguerre.IlmeparladelaBavièreoùjedevaisleretrouver.Où

nousdevionsnousmarier.

Déjà il y avait des coups de feu dans la ville. Les gens arrachaient les rideaux

noirs.Lesradiosmarchaientnuitetjour.Aquatre-vingtskilomètresdelà,déjà,des

convoisallemandsgisaientdansdesravins.

J'exceptaiscetennemi-cidetouslesautres.

Page 106: Hiroshima mon amour

C'étaitmonpremieramour.

Jenepouvaisplusentrevoirlamoindredifférenceentresoncorpsetlemien.Je

nepouvaisplusvoirentresoncorpsetlemienqu'unesimilitudehurlante.

Soncorpsétaitdevenulemien,jen'arrivaisplusàl'endiscerner.J'étaisdevenue

lanégationvivantede laraison.Ettoutes lesraisonsqu'onauraitpuopposeràce

manquederaison,jelesauraisbalayées,etcomment,commechâteauxdecartes,et

comme, justement, des raisons purement imaginaires.Que ceux qui n'ont jamais

connud'êtreainsidépossédésd'eux-mêmesmejettentlapremièrepierre.Jen'avais

plusdepatriequel'amourmême.

J'avaislaisséunmotàmonpère.Jeluidisaisquelalettreanonymeavaitditvrai:

que j'aimais un soldat allemand depuis six mois. Que je voulais le suivre en

Allemagne.

Déjà, àNevers, laRésistance côtoyait l'ennemi. Il n'y avait plus depolice.Ma

mèrerevint.

Ilpartaitlelendemain.Ilétaitentenduqu'ilmeprendraitdanssoncamion,sous

desbâchesdecamouflage.Nousnousimaginionsquenouspourrionsneplusnous

quitterjamais.

On est encore allés à l'hôtel, une fois. Il est parti à l'aube rejoindre son

cantonnement,versSaint-Lazare.

Nous devions nous retrouver à midi, sur le quai de la Loire. Lorsque je suis

arrivée,àmidi,surlequaidelaLoire,iln'étaitpasencoretoutàfaitmort.Onavait

tiréd'unjardinduquai.

Jesuisrestéecouchéesursoncorpstoutlejourettoutelanuitsuivante.

Le lendemain on est venu le ramasser et on l'a mis dans un camion. C'est

pendantcettenuit-làquelavillefutlibérée.LesclochesdeSaint-Lazareemplirentla

ville.Jecroisbien,oui,avoirentendu.

Onm'amisedansundépôtduChampdeMars.Là,certainsontditqu'ilfallait

metondre.Jen'avaispasd'avis.Lebruitdesciseauxsurlatêtemelaissadansune

totale indifférence. Quand ce fut fait, un homme d'une trentaine d'années

m'emmenadans lesrues.Ils furentsixàm'entourer.Ilschantaient.Jen'éprouvais

rien.

Monpère,derrièrelesvolets,adûmevoir.Lapharmacieétaitferméepourcause

dedéshonneur.

OnmeramenaaudépôtduChampdeMars.Onmedemandacequejevoulais

faire.Jedisquejen'avaispasd'avis.Alorsonmeconseilladerentrer.

C'étaitminuit.J'aiescaladélemurdujardin.Ilfaisaitbeau.Jemesuisétendue

afindemourirsurl'herbe.Maisjenesuispasmorte.J'aieufroid.

Page 107: Hiroshima mon amour

J'aiappeléMamantrèslongtemps...Versdeuxheuresdumatinlesvoletssesont

éclairés.

Onmefitpasserpourmorte.Etj'aivécudanslacavedelapharmacie.Jepouvais

voirlespiedsdesgens,etlanuit,lagrandecourbedelaplaceduChamp-de-Mars.

Jedevinsfolle.Deméchanceté.Jecrachais,paraît-il,auvisagedemamère.Jen'ai

quepeudesouvenirsdecettepériodependant laquellemescheveuxontrepoussé.

Saufcelui-ciquejecrachaisauvisagedemamère.

Puis,peuàpeu,j'aiperçuladifférencedujouretdelanuit.Quel'ombregagnait

l'angledesmursde la caveversquatreheuresetdemieetque l'hiver,une fois, se

termina.

La nuit, tard, parfois, on me permit de sortir encapuchonnée. Et seule. A

bicyclette.

Mescheveuxontmisunanàrepousser.Jepenseencorequesilesgensquim'ont

tondue s'étaient souvenusdu tempsqu'il fautpourque les cheveux repoussent ils

auraienthésitéàme tondre.C'estpar fauted'imaginationdeshommesque je fus

déshonorée.

Unjour,mamèreestarrivéepourmenourrir,commeellefaisaitd'habitude.Elle

m'aannoncéquelemomentétaitvenudem'enaller.Ellem'adonnédel'argent.

JesuispartiepourParisàbicyclette.Larouteétait longuemais il faisaitchaud.

L'été.QuandjesuisarrivéeàParis,lesurlendemainmatin,lemotHiroshimaétait

sur tous les journaux. C'était une nouvelle sensationnelle. Mes cheveux avaient

atteintunelongueurdécente.Personnenefuttondu.

1LamèredeRivaétaitsoitjuive[soitséparéedesonmari].

Page 108: Hiroshima mon amour

PORTRAITDUJAPONAIS

C'est un homme d'une quarantaine d'années. Il est grand. Il a un visage assez

«occidentalisé».

Le choixd'un acteur japonais à typeoccidental doit être interprétéde la façon

suivante:

Unacteurjaponaisautypejaponaistrèsaccusérisqueraitdefairecroirequec'est

surtoutparcequelehérosestjaponaisquelaFrançaiseestséduiteparlui.Doncon

retomberait,qu'onleveuilleounon,danslepiègedel'exotisme,etdansleracisme

involontaireinhérentnécessairementàtoutexotisme.

Ilnefautpasquelespectateurdise:«QuelesJaponaissontdoncséduisants!»,

maisqu'ilsdisent:«Quecethomme-làestdoncséduisant!»

C'estpourquoiilvautmieuxatténuerladifférencedetypeentrelesdeuxhéros.

Si le spectateur n'oublie jamais qu'il s'agit d'un Japonais et d'une Française, la

portéeprofondedufilmn'existeplus.Silespectateurl'oublie,cetteportéeprofonde

estatteinte.

MonsieurButterflyn'apluscours.DemêmeMademoiselledeParis.Ilfauttabler

sur la fonction égalitaire du monde moderne. Et même tricher pour en rendre

compte.Sanscela,quelintérêtyaurait-ilàfaireunfilmfranco-japonais?Ilfautque

cefilmfranco-japonaisn'apparaissejamaisfranco-japonais,maisanti-franco-japonais.

Ceseraitlàunevictoire.

De profil, il pourrait presque être français. Front haut. Bouche large. Lèvres

prononcéesmaisdures.Aucunemièvreriedanslevisage.Aucunanglesouslequelil

apparaîtraituneimprécision(uneindécision)destraits.

En somme, il est d'un type « international ». Il faudrait que sa séduction soit

immédiatement reconnaissablepar tout lemonde comme étant celledeshommes

quisontarrivésàleurmaturitésansfatigueprématurée,sanssubterfuges.

Ilestingénieur.Ilfaitdelapolitique.Cen'estpasparhasard.Lestechniquessont

internationales. Le jeu des coordonnées politiques l'est aussi. Cet homme est un

homme moderne, déniaisé quant à l'essentiel. Il ne serait dépaysé profondément

dansaucunpaysdumonde.

Ilcoïncideavecsonâge,etphysiquement,etmoralement.

Page 109: Hiroshima mon amour

Iln'apas«triché»aveclavie.Iln'apaseuàlefaire:c'estunhommequeson

existence a toujours intéressé et toujours suffisamment intéressé pour qu'il ne

«traîne»par-derrièreluiunmaldel'adolescencequifait,sisouvent,leshommesde

quaranteans,desfauxjeuneshommesencoreàlarecherchedecequ'ilspourraient

bien trouver à faire,pourparaître sûrsd'eux-mêmes.Lui, s'iln'estpas sûrde lui-

même,c'estpourdebonnesraisons.

Il n'a pas de vraie coquetterie mais il n'est pas négligé non plus. Il n'est pas

coureur. Il a une femme qu'il aime, deux enfants. Il aime cependant les femmes.

Maisjamaisiln'afaitunecarrière«d'hommeàfemmes».Ilcroitquecegenrede

carrière-làestunecarrièrede«remplacement»méprisable,etdeplussuspecte.Que

celuiquin'ajamaisconnul'amourd'uneseulefemmeestpasséàcôtéetdel'amour

etmêmedelavirilité.

C'estpourcelamêmequ'ilvitaveccettejeuneFrançaiseuneaventurevéritable,

mêmesielleestderencontre.C'estparcequ'ilnecroitpasàlavertudesamoursde

rencontrequ'ilvitaveclaFrançaiseunamourderencontreaveccettesincérité,cette

violence.

Page 110: Hiroshima mon amour

PORTRAITDELAFRANÇAISE

Elleatrente-deuxans.

Elleestplusséduisantequebelle.

Onpourraitl'appelerelleaussid'unecertainemanière«TheLook».Tout,chez

elle,delaparole,dumouvement,«enpasseparleregard».

Ceregardestoublieuxdelui-même.Cettefemmeregardepoursoncompte.Son

regardneconsacrepassoncomportement,illedébordetoujours.

Dans l'amour, sans doute, toutes les femmes ont de beaux yeux.Mais celle-ci,

l'amour la jette dans le désordre de l'âme (choix volontairement stendhalien du

terme)unpeuplusavantquelesautresfemmes.Parcequ'elleestdavantagequeles

autresfemmes«amoureusedel'amourmême».

Ellesaitqu'onnemeurtpasd'amour.Elleaeu,aucoursdesavie,unesplendide

occasiondemourird'amour.Ellen'estpasmorte àNevers.Depuis, et jusqu'à ce

jour, à Hiroshima, où elle rencontre ce Japonais, elle traîne en elle, avec elle, le

«vagueàl'âme»d'unesursitaireàunechanceuniquededéciderdesondestin.

Cen'estpaslefaitd'avoirététondueetdéshonoréequimarquesavie,c'estcet

échec en question : elle n'est pasmorte d'amour le 2 août 1944, sur ce quai de

Loire.

Ceci n'est pas contradictoire à son attitude à Hiroshima avec le Japonais. Au

contraire,ceciestenrelationdirecteavecsonattitudeavecceJaponais...Cequ'elle

raconte au Japonais, c'est cette chancequi, enmême tempsqu'elle l'a perdue, l'a

définie.

Lerécitqu'ellefaitdecettechanceperduelatransportelittéralementhorsd'elle-

mêmeetlaporteverscethommenouveau.

Selivrercorpsetâme,c'estça.

C'est là l'équivalence non seulement d'une possession amoureuse, mais d'un

mariage.

EllelivreàceJaponais–àHiroshima–cequ'elleadepluscheraumonde,son

expressionactuellemême,sasurvivanceàlamortdesonamour,àNevers.

Page 111: Hiroshima mon amour

GALLIMARD

5rueSébastienBottin,75007Paris

www.gallimard.fr

©ÉditionsGallimard,1960.Pourl'éditionpapier.

©ÉditionsGallimard,2013.Pourl'éditionnumérique.

Page 112: Hiroshima mon amour

MargueriteDuras

Page 113: Hiroshima mon amour

Hiroshimamonamour

LUI:Tun'asrienvuàHiroshima.Rien.

ELLE:J'aitoutvu.Tout...Ainsil'hôpitaljel'aivu.J'ensuissûre.L'hôpitalexiste

àHiroshima.Commentaurais-jepuéviterdelevoir?

LUI:Tun'aspasvud'hôpitalàHiroshima.Tun'asrienvuàHiroshima...

ELLE:Jen'airieninventé.

LUI:Tuastoutinventé.

ELLE : Rien.Demême que dans l'amour cette illusion existe, cette illusion de

pouvoirnejamaisoublier,demêmej'aieul'illusiondevantHiroshimaquejamaisje

n'oublierai.Demêmequedansl'amour.

Lescénario,ledialogue,lescommentairesparMargueriteDuras,ducélèbrefilm

d'AlainResnais,Hiroshimamonamour,unclassiqueducinéma.

Page 114: Hiroshima mon amour

OUVRAGESDEMARGUERITEDURAS

LESIMPUDENTS(1943,roman,Plon–1992,Gallimard,Foliono

2325).

LAVIETRANQUILLE(1944,roman,Gallimard,Foliono

1341).

UNBARRAGECONTRELEPACIFIQUE(1950,roman,Gallimard,Folio

no

882).

LEMARINDEGIBRALTAR(1950,roman,Gallimard,Foliono

943).

LESPETITSCHEVAUXDETARQUINIA(1953,roman,Gallimard,Folio

no

187).

DESJOURNÉESENTIÈRESDANSLESARBRES,suivideLEBOA–

MADAMEDODIN–LESCHANTIERS(1954,récits,Gallimard,Folio

no

2993).

LESQUARE(1955,roman,Gallimard,Foliono

2136).

MODERATOCANTABILE(1958,roman,éditionsdeMinuit).

LESVIADUCSDELASEINE-ET-OISE(1959,roman,Gallimard).

DIXHEUREETDEMIEDUSOIRENÉTÉ(1960,roman,Gallimard,Folio

no

1699).

HIROSHIMAMONAMOUR(1950,scénarioetdialogues,Gallimard,Foliono

9).

UNEAUSSILONGUEABSENCE(1961,scénarioetdialogues,encollaboration

avecGérardJarlot,Gallimard).

L'APRÈS-MIDIDEMONSIEURANDESMAS(1962,récit,Gallimard).

LERAVISSEMENTDELOLV.STEIN(1964,roman,Gallimard,Foliono

810).

Page 115: Hiroshima mon amour

THÉÂTREI:LESEAUXETFORÊTS–LESQUARE–LAMUSICA(1965,

Gallimard).

LEVICE-CONSUL(1965,roman,Gallimard,L'Imaginaireno

168).

LAMUSICA(1966,filmcoréaliséparPaulSeban,distr.Artistesassociés).

L'AMANTEANGLAISE(1967,roman,Gallimard,L'Imaginaireno

168).

L'AMANTEANGLAISE(1968,théâtre,Cahiersduthéâtrenationalpopulaire).

THÉÂTREII:SUZANNAANDLER–DESJOURNÉESENTIÈRESDANS

LESARBRES–YES,PEUT-ÊTRE–LESHAGA–UNHOMMEESTVENU

MEVOIR(1968,Gallimard).

DÉTRUIRE,DIT-ELLE(1969,éditionsdeMinuit).

DÉTRUIRE,DIT-ELLE(1969,film,distr.Benoît-Jacob).

ABAHNSABANADAVID(1970,Gallimard,L'Imaginaireno

418).

L'AMOUR(1971,Gallimard,Foliono

2418).

JAUNELESOLEIL(1971,film,distr.Benoît-Jacob).

NATHALIEGRANGER(1972,film,distr.FilmsMoulletetCompagnie).

NATHALIEGRANGERsuivideLAFEMMEDUGANGE(1973,Gallimard).

INDIASONG(1973,texte,théâtre,film,Gallimard,L'Imaginaireno

263).

LAFEMMEDUGANGE(1973,film,distr.Benoît-Jacob).

LESPARLEUSES(1974,entretiensavecXavièreGauthier,éditionsdeMinuit).

INDIASONG(1975,film,distr.FilmsSunshineProductions).

BAXTER,VERABAXTER(1976,film,distr.SunshineProductions).

SONNOMDEVENISEDANSCALCUTTADÉSERT(1976,film,distr.D.D.

Page 116: Hiroshima mon amour

productions).

DESJOURNÉESENTIÈRESDANSLESARBRES(1976,film,distr.Benoît-

Jacob,Foliono

2993).

LECAMION(1977,film,distr.D.D.Prod).

LECAMIONsuivideENTRETIENAVECMICHELLEPORTE(1977,en

collaborationavecMichellePorte,éditionsdeMinuit).

L'ÉDENCINÉMA(1977,théâtre,MercuredeFrance,Foliono

2051,1999,

Gallimard,ThéâtreIV).

LENAVIRENIGHTsuivideCÉSARÉE,LESMAINSNÉGATIVES,AURÉLIA

STEINER,AURÉLIASTEINER,AURÉLIASTEINER(1979,Mercurede

France,Foliono

2009).

LENAVIRENIGHT(1979,film,distr.FilmsduLosange).

CÉSARÉE(1979,film,distr.BenoîtJacob).

LESMAINSNÉGATIVES(1979,film,distr.BenoîtJacob).

AURÉLIASTEINERditAURÉLIAMELBOURNE(1979,film,distr.Benoît

Jacob).

AURÉLIASTEINERditAURÉLIAVANCOUVER(1979,film,distr.Benoît

Jacob).

VERABAXTEROULESPLAGESDEL'ATLANTIQUE(1980,éditions

Albatros.JeanMascoloetéditionsGallimard,1999,ThéâtreIV).

L'ÉTÉ80(1980,récit,éditionsdeMinuit).

L'HOMMEASSISDANSLECOULOIR(1980,récit,éditionsdeMinuit).

LESYEUXVERTS(1980,CahiersduCinéma).

AGATHA(1981,éditionsdeMinuit).

Page 117: Hiroshima mon amour

AGATHAETLESLECTURESILLIMITÉES(1981,film,distr.BenoîtJacob).

OUTSIDE(1981,AlbinMichel,rééd.P.O.L.1984,Foliono

2755).

LAJEUNEFILLEETL'ENFANT(1981,cassette,DesFemmeséd.Adaptationde

l'ÉTÉ80parYannAndréa,lueparMargueriteDuras).

DIALOGUEDEROME(1982,film,prod.Coop.LongaGittata,Rome).

L'HOMMEATLANTIQUE(1981,film,distr.BenoîtJacob).

L'HOMMEATLANTIQUE(1982,récit,éditionsdeMinuit).

SAVANNAHBAY(1re

éd.,2e

éd.augmentée,1983,éditionsdeMinuit).

LAMALADIEDELAMORT(1982,récit,éditionsdeMinuit).

THÉÂTREIII:LABÊTEDANSLAJUNGLE,d'aprèsHenryJames,adaptation

deJamesLordetMargueriteDuras–LESPAPIERSD'ASPERN,d'aprèsHenry

James,adaptationdeMargueriteDurasetRobertAntelme–LADANSEDE

MORT,d'aprèsAugustStrindberg,adaptationdeMargueriteDuras(1984,

Gallimard).

L'AMANT(1984,ÉditionsdeMinuit).

LADOULEUR(1985,P.O.L,Foliono

2469).

LAMUSICADEUXIÈME(1985,Gallimard).

LAMOUETTEDETCHEKHOV(1985,Gallimard,1999,Gallimard,Théâtre

IV).

LESENFANTS,avecJeanMascoloetJean-MarcTurine(1985,film,distr.Benoît

Jacob).

LESYEUXBLEUS,LESCHEVEUXNOIRS(1986,roman,éditionsdeMinuit).

LAPUTEDELACÔTENORMANDE(1986,éditionsdeMinuit).

LAVIEMATÉRIELLE(1987,P.O.L,1994,Gallimard,Foliono

2623).

Page 118: Hiroshima mon amour

EMILYL.(1987,roman,éditionsdeMinuit).

LAPLUIED'ÉTÉ(1990,P.O.L,1994,Gallimard,Foliono

2568).

L'AMANTDELACHINEDUNORD(1991,Gallimard,Foliono

2509).

LETHÉÂTREDEL'AMANTEANGLAISE(1991,Gallimard;1999,Gallimard

ThéâtreIV;L'Imaginaireno

265).

YANNANDRÉASTEINER(1992,P.O.L).

ÉCRIRE(1993,Gallimard,Foliono

2754).

LEMONDEEXTÉRIEUR(1993,P.O.L).

C'ESTTOUT(1995,P.O.L).

LAMERÉCRITE,photographiesdeHélèneBamberger(1996,Marval).

THÉÂTREIV:VERABAXTER–L'EDENCINÉMA–LETHÉÂTREDE

L'AMANTEANGLAISE–AdaptationsdeHOME–LAMOUETTE(1999,

Gallimard).

Œuvresréunies

ROMANS,CINÉMA,THÉÂTRE,UNPARCOURS1943-1994(1997,

Gallimard,Quarto).

Adaptations

LABÊTEDANSLAJUNGLE,d'aprèsunenouvelledeHenryJames.Adaptation

deJamesLordetdeMargueriteDuras(1984,Gallimard,ThéâtreIII).

LADANSEDEMORT,d'AugustStrindberg.AdaptationdeMargueriteDuras

(1984,Gallimard,ThéâtreIII).

Page 119: Hiroshima mon amour

MIRACLEENALABAMAdeWilliamGibson.AdaptationdeMargueriteDuraset

GérardJarlot(1963,L'Avant-Scène).

LESPAPIERSD'ASPERNdeMichaelRedgraved'aprèsunenouvelledeHenry

James.AdaptationdeMargueriteDurasetRobertAntelme(1970,Éd.Paris-

Théâtre,1984,Gallimard,ThéâtreIII).

HOMEdeDavidStorey.AdaptationdeMargueriteDuras(1999,Gallimard,

ThéâtreIV).

LAMOUETTEd'AntonTchekhov(1985,Gallimard;1999,Gallimard,Théâtre

IV).

OUVRAGESSURMARGUERITEDURAS

PARUSAUXÉDITIONSGALLIMARD

LaureAdler,MARGUERITEDURAS(Gallimard,1998).

M.-P.Fernandes,TRAVAILLERAVECDURAS(Gallimard,1986).

M.-Th.Ligot,UNBARRAGECONTRELEPACIFIQUE(Foliothèqueno

18).

M.Borgomano,LERAVISSEMENTDELOLV.STEIN(Foliothèqueno

60).

J.Kristeva,«Lamaladiedeladouleur:Duras»inSOLEILNOIR:DÉPRESSION

ETMÉLANCOLIE(FolioEssaisno

123).

Page 120: Hiroshima mon amour

CetteéditionélectroniquedulivreHiroshimamonamourdeMargueriteDurasaétéréaliséele29janvier2013

parlesÉditionsGallimard.

Ellereposesurl'éditionpapierdumêmeouvrage(ISBN:9782070360093-Numérod'édition:243669).

CodeSodis:N50178-ISBN:9782072451935-Numérod'édition:208617

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