4
14 L’Officinal N° 86 dOssIEr la pharmacIe, entre passé et avenIr : Les organisateurs des dernières journées du Conseil des Étudiants en Pharmacie, qui se sont tenues à Rabat au mois d'avril dernier, avaient programmé une série de conférences que les étudiants et leurs invités ont suivies avec beaucoup d'intérêt. Parmi ces présentations, deux conférences ont par- ticulièrement retenu notre attention. Il s'agit de “L'histoire de la pharmacie au Maroc” présentée par notre confrère M. A. Kjiri et du projet de réforme des études en pharmacie qui a été traité par le pro- fesseur Yahia Cherrah. La rédaction de L’Officinal a jugé intéressant de consacrer à ces deux confé- rences un dossier qui permet, à travers un aperçu sur le passé de la profession et l'avenir de ses études, de mieux connaître cette branche de la santé. Et pour apporter une vision des diverses facettes de la profession pharmaceutique, nous avons voulu donner la parole à plusieurs confrères d'horizons différents. À travers leurs parcours professionnels, ils ont apporté un éclairage sur les multiples voies que peut empreinter un pharmacien au terme de sa formation, ou au cours de sa car- rière s'il décide d'une reconversion. À une époque où la pharmacie d'officine est en crise, leurs témoi- gnages est une preuve des nombreuses diversifications que peut revêtir cette profession. hIstoIre de la pharmacIe au maroc

hIstoIre de la pharmacIe au maroc · L'importation et la distribution en ... dans la fabrication de poudres ... la pharmacie après le pro - tectorat La fin du protectorat fut suivie

Embed Size (px)

Citation preview

14 L’Officinal N° 86

dOssIEr

la pharmacIe, entre passé et avenIr :Les organisateurs des dernières journées du Conseil des Étudiants en Pharmacie, qui se sont tenuesà Rabat au mois d'avril dernier, avaient programmé une série de conférences que les étudiants etleurs invités ont suivies avec beaucoup d'intérêt. Parmi ces présentations, deux conférences ont par-ticulièrement retenu notre attention. Il s'agit de “L'histoire de la pharmacie au Maroc” présentée parnotre confrère M. A. Kjiri et du projet de réforme des études en pharmacie qui a été traité par le pro-fesseur Yahia Cherrah. La rédaction de L’Officinal a jugé intéressant de consacrer à ces deux confé-rences un dossier qui permet, à travers un aperçu sur le passé de la profession et l'avenir de sesétudes, de mieux connaître cette branche de la santé. Et pour apporter une vision des diversesfacettes de la profession pharmaceutique, nous avons voulu donner la parole à plusieurs confrèresd'horizons différents. À travers leurs parcours professionnels, ils ont apporté un éclairage sur lesmultiples voies que peut empreinter un pharmacien au terme de sa formation, ou au cours de sa car-rière s'il décide d'une reconversion. À une époque où la pharmacie d'officine est en crise, leurs témoi-gnages est une preuve des nombreuses diversifications que peut revêtir cette profession.

hIstoIre de la

pharmacIe au maroc

15Mai-Juin 2011

dOssIEr

introductionAvant 1904, il n'y avait au Maroccomme pharmaciens que desherboristes (Aachabas). Avec lamise en application du traitéd'Algésiras qui permit l'ouverturedu Maroc vers l'extérieur, on a puassister à la création et à l'im-plantation de pharmacies étran-gères. L'autorisation d'exercerétait alors octroyée par lesconsuls de leurs pays respectifs,dans le cadre des capitulations*.Mais dès l'avènement des pro-tectorats espagnol et français etla mise sous tutelle internationalede la ville de Tanger, les autorisa-tions d'exercer furent soumises

aux pouvoirs locaux, représentéspar les Pachas (période s'étalantde 1912 à 1913). Le statut appliqué à l'exercicedes pharmaciens dépendait deleur formation : à cette époque,certains pharmaciens en activitéétaient diplômés, mais lamajeure partie d'entre eux étaitconstituée de préparateurs enpharmacie ou d'étudiants n'ayantpas terminé leur cursus universi-taire de pharmacie. Il fallut dèslors faire une distinction entredeux types d'autorisations :- Celle donnée aux pharmaciensdiplômés dite de “1ère classe”, quiétait une autorisation locale et“transférable” au besoin.

- L'autre, de “2e classe”, c'est-à-dire accordée aux non-diplômés,qui était une autorisation localemais “non transférable”.Après cette courte phase de 4ans, qui s'est étendue de 1912 à1916, la réglementation despharmacies devint du ressort desprotectorats.

de 1916 à 1956 :l'exercice de la pharmaciependant le protectoratDurant la longue période du pro-tectorat (40 ans), la pharmacie aété réglementée par le Dahir de1916. Ce fut ce texte qui permitpour la première fois de statuersur les implantations des phar-macies et permit de mettre enplace une commission chargéede valider la formation des phar-maciens. Ce texte législatif ins-piré de la loi française ne recon-naissait que les pharmaciensdiplômés d'État.L'arsenal juridique fut ensuitecomplété par le Dahir de 1922qui réglementait l'usage dessubstances vénéneuses desti-nées à la médecine humaine etvétérinaire. Ce dernier demeureencore en vigueur de nos jours.Les pharmaciens français exer-çaient la pharmacie dans leszones sous protectorat français

I

Par M. A. KJIRI Pharmacien à Salé, ancien Chef du service central de la pharmacie, ancien Président du Conseil national

provisoire de la pharmacie, ancien Président du Conseil national de l'ordre des pharmaciens

16 L’Officinal N° 86

Il était une fois la pharmacie au Marocet les pharmaciens espagnolsfaisaient de même dans leszones sous protectorat espagnol.La loi imposait une règle de dis-tance entre les diverses officines,établie en ne prenant en compteque la population européennerecensée dans l'agglomérationconsidérée. Le secteur de lapharmacie d'officine était ainsibien réglementé et bien contrôlé.L'importation et la distribution engros de produits médicamenteuxdemeuraient alors une activitélibre au Maroc.En ce qui concerne la formationdes pharmaciens, les Marocainsdésireux de suivre des étudesdans ce domaine devaient com-mencer par effectuer un stage de12 mois chez un pharmacien deleur choix, ce qui n'était paschose facile. Ceux d'entre euxqui étaient admis à l'examen defin de stage pouvaient alorscontinuer leur cursus dans unedes facultés de pharmacie fran-çaise ou dans celle d'Alger,considérée à l'époque comme unterritoire français. Les étudiantsrésidents au Maroc avaient lapossibilité de suivre les coursthéoriques de pharmacie àl'Institut d'Hygiène à Rabat.L’année 1943 a vu la mise en placed'une organisation professionnellede la pharmacie, de type corporatif,dans le cadre des lois de Vichy quiinterdisaient le syndicalisme. Mais,dès 1946 et jusqu'en 1948, l'exis-tence des syndicats a été à nou-veau autorisée.Pendant la durée de la IIème

guerre mondiale, les rares unitésindustrielles qui avaient étécréées au Maroc ont dû transfé-rer leur activité en métropole.Néanmoins, il a été maintenulocalement une production phar-maceutique à base d'extraitsd'organes d'animaux entrantdans la fabrication de poudresnécessaires à l'opothérapie, et àbase d'extraits de végétaux pourla conception des produits médi-caux codex, ainsi que la produc-tion d'extraits aromatiques.

de 1956 à 1960 :la pharmacie après le pro-tectoratLa fin du protectorat fut suivied'une courte période de 4 ans,période de transition pendantlaquelle se sont établies la réor-ganisation et la réunification del'exercice de la pharmacie, dansun royaume qui avait retrouvé saliberté. Ce fut une époque deréflexion, marquée par la pre-mière conférence nationale de lasanté, qui eut lieu à Rabat, les18,19 et 20 avril 1959. Ce colloque s'était fixé les objec-tifs suivants :1- Unifier la réglementation del'exercice de la pharmacie à l'en-semble du territoire marocain etsoumettre tous les secteurs de lapharmacie à la même loi.2- Donner la possibilité aux phar-maciens de s'associer entre euxpour l'exploitation d'une officinesous la forme juridique d'unesociété en nom collectif (SNC).3- Autoriser et réglementer lesdépôts de nuit et les propharma-cies dans les zones rurales nonpourvues de pharmacies.4- Organiser et règlementer laprofession de préparateur etd'aide-préparateur en pharma-cie.5- Réglementer la fabrication desmédicaments.6- Donner la possibilité à l'Étatmarocain de rentrer dans le capi-tal des sociétés pharmaceutiques.7- Organiser la pharmacie hospi-talière.8- Définir le statut des labora-toires d'analyse biologique.9- Supprimer certains des privi-lèges accordés aux “non phar-maciens ”.C'est finalement la promulgationdu Dahir du 19 février 1960 quipermit d'atteindre les objectifs dela première conférence nationalede la santé.Entre 1957 et 1960, le gouverne-ment suspend le fonctionnementde l'ordre des pharmaciens misen place pendant le protectorat.

Les dispositions prévues par leDahir de 1957 vont permettrel'établissement d'un conseilnational provisoire de la pharma-cie. Celui-ci remplissait pleine-ment toutes les fonctions duconseil de l'ordre, notammentcelle de conseiller le ministre dela Santé en matière pharmaceu-tique. Cette nouvelle instanceprofessionnelle était constituéede 20 membres : 10 nationaux et10 étrangers chargés, entreautres, d'élaborer un code dedéontologie et un code de procé-dure disciplinaire promulgués pardécret en 1963.

de 1960 à nos jours :naissance de l'industriepharmaceutique au Maroc,départ des pharmaciensétrangers et création dulaboratoire national ducontrôle de médicament et dela section pharmacie de lafaculté de médecineLa 3e période, d'une durée de 16ans (de 1960 à 1976), fut uneétape de consolidation de laphase de réunification et deconcrétisation de la mise enplace de l'industrie pharmaceu-tique au Maroc. De 1960 à 1970, des circulaires,des arrêtés et surtout desdécrets sont venus compléter ledahir du 19 février 1960. Les 24articles de ce texte de loi ont per-mis de régir toutes les profes-sions de santé du secteur privé(médecins, pharmaciens, chirur-giens dentistes, sages-femmeset herboristes) et ont mêmeprévu la mise en place d'unephase de transition dérogatoireen ce qui concerne l'exercice dessages-femmes et des prothé-sistes dentaires faisant office dedentistes.En octobre 1965, deux circulairesministérielles ont réglementé l'im-portation des spécialités pharma-ceutiques. Ces deux textes, quiont été promulgués, s'adressaientaux importateurs des spécialités

do

ssie

r

17Mai-Juin 2011

Il était une fois la pharmacie au Marocpharmaceutiques qui jouissaientd'une dérogation d'importationleur accordant le droit d'importerdes produits pharmaceutiquesdont ils étaient les représentants,en attendant la promulgation dudécret d'application de l'article 15du dahir du 19 février 1960. Cestextes spécifiaient à ces derniersque s'ils voulaient continuer àbénéficier de cette tolérance d'ex-ploitation, ils avaient obligation defabriquer ou de conditionner loca-lement ces mêmes produits auMaroc, particulièrement lesformes pharmaceutiques simplestelles que les comprimés, sirops,suppositoires, ampoules buvablesou poudres. Quant aux spécialitéssoumises au régime du tableau A,des substances vénéneuses auxformes injectables en passant parles stupéfiants, elles demeuraientadmises à l'importation.Le grand mérite de cette décisiona été de permettre de limiter defaçon considérable le nombre demédicaments qui existaient etencombraient le marché. Eneffet, aux 8000 spécialités com-mercialisées dans la zone quicorrespondait au protectoratfrançais, s'ajoutaient les 3000médicaments de la zone espa-gnole, sans parler des 30000produits commercialisés dans laseule ville de Tanger.Ce fut durant ce laps de tempsque les pharmaciens étrangersqui avaient cessé l'exercice deleur profession au Maroc furentremplacés par des pharmaciensde nationalité marocaine. Eneffet, à la fin du protectorat, il yavait sur l'ensemble du territoire350 pharmaciens d'officine, dontseulement 30 à 40 Marocains.Ce rapport s'est progressivementinversé et dès 1976, le Maroccomptait alors 350 pharmaciens,dont 90 étrangers.Les deux années de consultationet de réflexion qui ont suivi lapublication des deux circulairesministérielles de 1965 ont permiségalement d'élaborer et de réali-

ser deux projets d'envergure : lacréation d'un laboratoire decontrôle des médicaments inau-guré en 1969 et l'ouverture de lasection pharmacie de la facultéde médecine de Rabat (en 1987).La marche vers le développe-ment industriel de la pharmaciefut définitivement engagée, unemarche sans retour car l'optionindustrielle fut le fruit d'uneréflexion bien murie qui s'étaitinscrite dans les priorités natio-nales. L'industrie pharmaceu-tique a pu bénéficier de quelquesavantages tels que l'amortisse-ment accéléré ou la constitutionde provisions. Toutes les condi-tions ont été réunies afin que lesprincipaux laboratoires des paysindustrialisés s'engagent auxcôtés des pharmaciens maro-cains dans le cadre d’un partena-riat qui, actuellement, permet àl’industrie pharmaceutique maro-caine de produire plus de 70% deses besoins en médicament etd'exporter 10% de sa productionvers l'Europe et l'Afrique.Cette dynamique découle d'unevolonté politique, confirmée parla teneur du discours royal pro-noncé à l'occasion de la fête duTrône du 03 mars 1969, dontvoici les termes : “Nous avonsaccordé de l'intérêt à l'industriepharmaceutique en lui prodi-guant tous les encouragementsde nature à favoriser son déve-loppement et son épanouisse-ment. Nous avons, par la mêmeoccasion, institué un contrôle surles produits pharmaceutiquesfabriqués par cette industrie afind'éviter les méfaits que fait pro-voquer un médicament impropreà la consommation. La fabrica-tion des médicaments et lecontrôle de l'industrie pharma-ceutique constituent deuxchoses complémentaires, nousne cessons de veiller à ce que laproduction de nos usines soitconstamment soumise à cecontrôle car l'efficacité de celui-cidépend de la bonne qualité de

nos produits. En créant cetteindustrie nationale, nous avonseu pour souci d'économiser desdevises fortes, d'employer lamain-d'œuvre marocaine et debaisser le prix de revient desmédicaments fabriqués dansnotre pays pour les mettre à laportée des classes dont les reve-nus sont réduits ou limités. Nouspoursuivons notre action jusqu'àce que cette baisse devienneune réalité concrète”.

conclusionLe dahir de 1960 et ses textesd'application ont permis la miseen place de l'industrie pharma-ceutique au Maroc et du LNCM(Laboratoire National deContrôle du Médicament). Lavolonté politique a largementcontribué à ces réalisations. Ledahir de 1976 a, quant à lui, per-mis l'instauration des conseils del'ordre des pharmaciens.Si la loi 17-04 portant code dumédicament et de la pharmacie apermis d'apporter des solutionsaux problèmes qui prévalaientavant sa promulgation, les pro-fessionnels attendent toujours laréactualisation du dahir de 1922et du dahir de 1976 pour que laprofession renoue avec unerégulation optimale. Les textesd'application du code du médica-ment et de la pharmacie pour-raient, à leur tour, nous permettred'éviter les dépassements quinuisent à la pharmacie et à lasanté publique.

do

ssie

r