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HISTOIRE DE LA SECURITE MARITIME Tableau de l’église de Notre Dame du port, Ile d’Yeu Par Marine Esvelin

Histoire de la sécurité maritime - Billet maritimiste · notions de responsabilité et de contrôle ont vu le jour, et que la notion de sécurité a pris de l’ampleur (Partie

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HISTOIRE DE LA SECURITE MARITIME

Tableau de l’église de Notre Dame du port, Ile d’Yeu

Par Marine Esvelin

« La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse Qu’accompagne l’immense orgue des vent grondeurs, De cette fonction sublime de berceuse ? La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! ».

Les fleurs du mal, Charles Baudelaire

1

Sommaire

SOMMAIRE .................................................................................................................................... 1

INTRODUCTION.............................................................................................................................. 2

PARTIE I. Le règne de la loi du plus fort en mer........................................................... 3

Chapitre 1. Les raisons de l’insécurité en mer ............................................................... 3

Section 1. Les raisons tenant au caractère particulier de la mer ............................ 3

Section 2. Les raisons tenant aux navires et aux marins ........................................ 4

Chapitre 2. Lutte contre l’insécurité ............................................................................... 5

Section 1. L’application de règles préventives précaires ....................................... 5

§1. Le recours quasi systématique au jet ........................................................... 5

§2. L’imposition de périodes de navigation ...................................................... 6

Section 2. La règlementation du franc-bord........................................................... 6

PARTIE II. L’autre approche de la sécurité .................................................................... 8

Chapitre 1. La sécurité par la responsabilité.................................................................. 8

Section 1. La répartition des risques ...................................................................... 8

§1. La répartition des risques par la division de la propriété du navire............. 8

§2. L’assurance, complément nécessaire à la répartition des risques................ 9

Section 2. La responsabilité renforcée de certains acteurs................................... 10

Chapitre 2. La sécurité par le contrôle ......................................................................... 10

Section 1. Le contrôle des navires........................................................................ 10

§1. Le rôle prépondérant des constructeurs et propriétaires de navires........... 10

§2. L’apparition du contrôle des navires par l’Etat......................................... 11

Section 2. Le contrôle de la navigation ................................................................ 12

CONCLUSION............................................................................................................................... 13

ANNEXE 1 Ordonnance de la Marine de 1681 (extraits)............................................. 14

ANNEXE 2 Sonde, Musée archéologique national d’Athènes ...................................... 18

ANNEXE 3 Ordonnance du Roi du 6 mai 1787 ............................................................ 19

ANNEXE 4 Délibération du Conseil de Marine du port de Brest, 1783....................... 23

ANNEXE 5 Etat du cuivre nécessaire pour le doublage jusqu’à la ligne d’eau, 1816. 24

BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................... 25

2

Introduction

La sécurité en mer est un idéal à atteindre et le restera. Comment peut-on imaginer, dans

un milieu si hostile sur lequel les hommes n’ont aucun contrôle, que puisse exister une

quelconque notion de sécurité ? La sécurité en mer n’existe pas. Si l’on souhaite en parler, ce

n’est possible qu’à travers la sécurité à bord des navires : les hommes ont essayé de rendre le

navire « sécuritaire », et ce grâce aux expériences qu’ils ont menées en mer. Ils ont construit des

navires qui, jusqu’à un certain point, peuvent résister aux périls de la mer ou autres « actes de

Dieu ». Si l’on peut ici oser une comparaison, on dira que ces hommes ont agi de la même façon

que le droit romain s’est formé, de façon casuistique. Au fur et à mesure que les problèmes se

posaient, ils ont essayé de trouver des solutions1. Aujourd’hui, et si l’on retire l’activité

hauturière de ce constat, les marins se sentent plus en sécurité qu’ils ne semblaient l’être

auparavant.

Le terme sécurité, qui date du XIIIème siècle, est emprunté du latin securitas – tranquillité

– et securus – exempt de soucis. Il a ensuite pris le sens d’une « situation exempte de danger,

qui inspire la confiance »2. Le terme insécurité ne serait apparu quant à lui qu’au XVIIIème.

Comment cette notion de sécurité s’est-elle introduite dans le monde maritime ? En

d’autres termes, comment en est-on venu à lutter contre les accidents et non plus à les considérer

comme une fatalité ? Nous allons voir que, durant une première période, c’est la loi du plus fort

qui gouvernait les rapports entre le navire et la mer (Partie I). C’est progressivement que les

notions de responsabilité et de contrôle ont vu le jour, et que la notion de sécurité a pris de

l’ampleur (Partie II).

1 Concernant par exemple le doublage des vaisseaux, un certain Sieur Tournu a proposé un alliage plus efficace et moins coûteux que le cuivre, qui « garantirait le franc-bord de la piqure des vers ». Mais le Conseil de Marine du port de Brest, par une délibération du 12 juillet 1783, conclu « à ce que le métal composé du Sr. Tournu ne soit point admis dans les Ports pour remplacer le doublage en cuivre, comme n’ayant aucune de ses propriétés, et ne pouvant avoir la même solidité, ni la même tenue sur le franc-bord ». Voir Annexe 4. C’est ainsi que l’on retrouve, en 1816, des tables mathématiques faisant état du cuivre nécessaire pour le doublage jusqu’à la ligne d’eau de bâtiments de commerce depuis 100 jusqu’à 800 tonneaux en arrimage. Voir Annexe 5. 2 BAUMGARTNER E., MENARD P., Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, Paris, Le livre de poche, 1996, 848 pages.

3

PARTIE I. Le règne de la loi du plus fort en mer Le navire, contrairement aux engins flottants comme les planches à voile, est considéré

comme étant apte à affronter les périls de la mer. Cela montre bien qu’il doit faire état d’une

certaine solidité et flottabilité afin de ne pas couler. Aujourd’hui, certains navires sont devenus

étanches et tiennent relativement bien la mer. Alors qu’il y a tempête en dehors et que l’officier

de quart surveille le navire du haut de la passerelle, le capitaine qui lui se repose peut croire que

la mer est d’huile : le navire résiste aux creux des vagues et ne cille pas. Qu’en était-il lorsque

les navires étaient de bois et que les vagues pouvaient s’engouffrer à l’intérieur ? Nous allons

voir que, en mer, l’insécurité prédominait (Chapitre 1) et que les moyens de lutter contre elle

pouvaient parfois paraître dérisoires (Chapitre 2). La mer étant indomptable, quasiment

imprévisible, régnait alors la loi du plus fort.

Chapitre 1. Les raisons de l’insécurité en mer

L’insécurité en mer tient à deux raisons principales : l’une au caractère particulier de la

mer (Section 1), l’autre aux navires et aux capacités des marins (Section 2).

Section 1. Les raisons tenant au caractère particulier de la mer

Le navire, bien qu’il ne fasse pas l’objet d’une définition précise en droit français, est

largement considéré comme un engin flottant apte à affronter les périls de la mer3. Cette

expression « périls de la mer » comprend l’ensemble des dangers que l’on peut rencontrer en

mer. Alain Le Bayon définit le péril de la mer comme étant « tout évènement anormalement

pénible survenu au cours de l’expédition maritime »4. Le péril en lui-même est une « situation,

[un] état où un danger menace l’existence de quelqu’un ou de quelque chose »5. Dans le cas

particulier des périls de la mer, on peut donc facilement comprendre que c’est l’existence de

l’équipage et du navire qui est menacée. Ces périls – hautes vagues, pluie ou vent, visibilité

nulle, courants… – sont la cause première des naufrages au temps des navires construits en

bois. Les périls sont donc la source principale de l’insécurité en mer. Leur impact sur les navires

3 DU PONTAVICE E., Droit maritime, 11ème édition, Paris, Précis Dalloz, 1991, 751 pages, page 32. Selon M. du Pontavice, le navire est « un engin flottant de nature mobilière affecté à une navigation qui l'expose habituellement aux risques de la mer. » 4 LE BAYON A., Dictionnaire de droit maritime, Rennes, Presse universitaire de Rennes, 2004, 280 pages. 5 Petit Larousse en couleurs, Librairie Larousse, 1990, 1720 pages.

4

diminuera avec l’arrivée, à l’époque médiévale, de progrès techniques et notamment de la coque

en acier6.

Section 2. Les raisons tenant aux navires et aux marins

Avant l’apparition des coques en acier, le navire reste un bâtiment fragile et peu

manœuvrable. Toutefois, l’arrivée du kogge fin XII ème siècle - « navire hanséatique par

excellence »7 - montre que l’on peut construire de grands navires (trente mètres de longueur sur

sept mètres de largeur avec un tirant d’eau trois mètres) tout en conservant des capacités de

maniabilité correctes.

Le Moyen Âge va ici aussi contribuer à l’amélioration des conditions de vie à bord des

navires, l’adjonction d’une quille sur la coque du navire assurant davantage de stabilité et la

multiplication des voiles et mâts renforçant la navigabilité8. Les problèmes vont se trouver lors

du chargement, où sur le pont les règles d’arrimage et les notions de coefficients de sécurité ne

seront pas toujours respectées9. Ceinturer le navire de cordage et laisser filler une ancre restent

aussi de faibles moyens de lutter contre les périls de la mer10. D’un point de vue pratique, les

tempêtes masquaient les étoiles et vouloir se diriger grâce à elles tombait alors dans le champ de

l’impossible. Certains capitaines avaient recours à la pratique de la sonde11 pour remédier à ce

problème, surtout en haute mer12.

Les gens de mer quant à eux ont plus souvent le pied terrien que marin et ne sont donc

pas toujours formés aux rudes conditions de navigation. Il suffit de repenser à la façon dont

étaient parfois embauchés les marins dans les tavernes, en Angleterre encore plus qu’en France.

Les erreurs sont fréquentes et le facteur humain demeurait, comme aujourd’hui, l’une des causes

principales de naufrage. En 1785, un Mémoire sur les Ecoles d’hydrographie fait état de la

mauvaise formation que reçoivent les gens de mer dans ces établissements : « les inconvénients

qui résultent de ce défaut d’instruction sont d’autant plus grands que les examens de réception

des Capitaines de navires marchands ne sont pas ordinairement assez sévères, et ne suffisent

pas pour faire reconnaître les talents et les capacités de ceux qui se présentent pour être admis

à ce grade ; ensuite qu’on accorde trop souvent le droit de commander les navires pour les

6 BEURIER J.-P. (dir.), Droits maritimes, Paris, Dalloz, 2008, 1216 pages, page 31. 7 DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages, page 177. 8 BEURIER J.-P. (dir.), Droits maritimes, Paris, Dalloz, 2008, 1216 pages, page 31. 9 BOISSON P., Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Paris, Bureau Veritas, 1998, 669 pages, page 25. 10 Voir note de bas de page n°9. 11 Voir Annexe 2. 12 Carte marine du monde de Fra Mauro : « Sur [la mer baltique], on ne navigue ni avec la carte marine ni avec le compas, mais avec la sonde. »

5

voyageurs de long cours à des hommes qui n’ont pas les connaissances nécessaires, qui ne

méritent pas la confiance des armateurs, et sont dans l’ignorance pour exposer les Equipages,

les Navires et les Cargaisons à de très grands dangers »13. La formation des gens de mer est

donc une composante indissociable de la sécurité en mer.

Chapitre 2. Lutte contre l’insécurité

Plusieurs moyens ont été utilisés afin de lutter contre l’insécurité en mer. Alors qu’ils

étaient dans un premier temps très précaires (Section 1), on va voir apparaître, à travers la

règlementation du franc-bord, des moyens de lutte contre l’insécurité plus techniques et moins

préjudiciables à la liberté du commerce (Section 2).

Section 1. L’application de règles préventives précaires

Le jet des marchandises en mer était une méthode très répandue afin de faire face à

l’insécurité en mer (§1). L’imposition de périodes de navigation reste quant à elle une méthode

très efficace mais attentatoire à la liberté du commerce (§2).

§1. Le recours quasi systématique au jet

Le jet à la mer de marchandises en cas de danger lié aux périls de la mer constitue un des

moyens de lutte contre l’insécurité en mer. Cette solution, qui proviendrait peut-être des

Phéniciens, a été encadrée juridiquement par les Rhodiens dans la Lex Rhodia de jactu (loi

rhodienne du jet à la mer). Lorsqu'un navire partait en mer et subissait une tempête ou une

attaque de pirate, il devait se délester (alléger le navire en jetant des marchandises). Une fois

arrivées au port, les marchandises étaient descendues et les marchands les accueillaient. Certains

marchands se retrouvaient sans rien, leurs marchandises ayant été jetées en priorité à la mer.

Pour conserver l’équité entre ces marchands, on regardait les marchandises qui avaient été

jetées. Les marchandises arrivées ne pouvaient alors pas être récupérées par leurs destinataires

sans que les autres marchands n'indemnisent dans une certaine proportion celui dont les

marchandises avaient été jetées. En cas de refus d'indemniser, le capitaine, seul maître à bord,

dispose d'un droit de rétention des marchandises pour faire pression sur le récalcitrant.

Cette loi rhodienne du jet à la mer, reprise aujourd’hui en droit français dans la loi de

1967 sur la théorie des avaries communes, dispose dans son article premier que « si par tempête,

ou par chasse d’ennemis ou de pirates, le maître se croît obligé de jeter en mer partie de son

13 Mémoire sur les Ecoles d’hydrographie, 1785, Archives départementales de Nantes, côte C 663.

6

chargement, de couper ou forcer les mats, ou d’abandonner les ancres, il en prendre avis des

marchands et des principaux de l’équipage »14. Dans les faits, le capitaine se retrouve être le

décideur, tout comme c’est lui qui recrute, paye, conclu les contrats d’affrètement, donne l’ordre

de lever l’ancre…15 Par le recours au jet, le capitaine contribue donc à la lutte contre l’insécurité

en mer. Ces lois maritimes de Rhodes « ont joui de tout temps de la plus haute

considération »16.

§2. L’imposition de périodes de navigation

L’imposition de périodes de navigation semble en toute logique être la méthode la plus

simple afin de ne pas risquer de perdre des navires quand le temps est mauvais. Cependant, elle

a aussi un aspect contraignant sur les activités commerciales. Tous les pays de la Hanse

haussèrent le ton de leurs protestations face à ce dispositif, notamment les villes de Prusse et

d’Hollande. Dans la Hanse, cette règle fut dans un premier temps un usage du fait, en hiver, de

la prise des ports dans les glaces. Cet usage se transforme en véritable règle à la fin du XIVème

siècle, la navigation étant interdite de la Saint Martin à la Saint Pierre. Quelques exceptions

étaient toutefois aménagées pour le bonheur des papilles, notamment pour la bière et les

harengs17.

Le fait pour les navires de ne pas s’éloigner des côtes fait aussi partie des mesures

préventives. Les marins hanséatiques ne perdaient ainsi jamais de vue la terre, sauf entre la

Norvège et l’Angleterre18.

Section 2. La règlementation du franc-bord

La règlementation du franc-bord apparaît comme la mesure la moins contraignante par

rapport à la liberté du commerce. On veut éviter les abus de certains – en particulier les

armateurs et capitaines – qui ont tendance à surcharger leur navire en dépit de la sécurité. La

notion de franc-bord est en effet indissociable de celle d’exploitation commerciale du navire.

Elle assure au navire une réserve de flottabilité qui lui donne un état de navigabilité dans des

conditions normales d’exploitation : elle lui conserve une marge de sécurité en cas de voie

d’eau. Plus les marques de franc-bord sont visibles, moins le navire est chargé. Certains font

remonter ces règles de chargement à la Lex Rhodia. A Venise en 1255, une règlementation

14 Voir Annexe 1. 15 DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages, page 190. 16 GROULD, Discours sur le droit maritime ancien, moderne, français, étranger, civil et militaire et sur la manière de l’étudier, Paris, Imprimerie Royale, DCCLXXXVI, 48 pages, page 2. 17 DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages, page 182. 18 DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages, page 181.

7

marquait le tirant d’eau de chaque navire par une croix et interdiction était faite de le dépasser.

Des règles très précises ont été créées afin de calculer le tirant maximal pour un navire ; à Gênes

et dès 1330, des sanctions sont mises en place, ce qui évite toute pression du capitaine, de

l’armateur ou encore des commerçants et empêche de charger le navire au-delà de ses

capacités19.

Malgré ces mesures, la sécurité en mer est toute relative : la mer et ses périls restent les

rois. On voit alors la nécessité de mettre en place une politique préventive pour que les

naufrages cessent d’être si nombreux.

19 BOISSON P., Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Paris, Bureau Veritas, 1998, 669 pages, page 27.

8

PARTIE II. L’autre approche de la sécurité On vient de voir que le combat contre l’insécurité se tient principalement à bord des

navires et en pleine mer. N’y a-t-il pas un autre moyen d’assurer la sécurité à bord et ainsi

d’éviter nombre de naufrages ? Au lieu d’agir directement et seulement lorsque le périple arrive,

on a essayé de trouver des solutions a priori. Il s’agit de mesures de prévention car l’on connaît

le fait générateur du dommage – tempêtes, erreur de navigation… – et ses conséquences – perte

des marchandises voire perte du navire et de l’équipage. On a donc pensé à deux systèmes

complémentaires : le premier se base sur la notion de responsabilité (Chapitre 1), le second sur

la notion de contrôle (Chapitre 2). Tout cela dans un seul but : assurer la sécurité de la

navigation afin que le transport maritime ne relève plus de l’aventure mais du commerce pur.

Chapitre 1. La sécurité par la responsabilité

La responsabilité est, dans un sens juridique large, l’obligation de remplir un

engagement. Le fait de rendre certaines personnes plus responsables qu’elles ne l’étaient

auparavant oblige ces personnes à faire davantage attention au bien – le navire – qui leur

appartient. C’est pour cela qu’il est intéressant de réunir les notions de sécurité et de

responsabilité. La responsabilité est présente d’une part à travers la répartition des risques

(Section 1), et d’autre part à travers un rôle accru de certains acteurs clés du monde maritime

(Section 2).

Section 1. La répartition des risques

La répartition des risques se situe dans un premier temps dans la société qui est créée

lorsque plusieurs personnes se mettent ensemble en vue d’acquérir un navire (§1). Un troisième

acteur, l’assureur, est ensuite intervenu (§2).

§1. La répartition des risques par la division de la propriété du navire

C’est la notion de coup du sort qui entraîne les personnes à se mettre ensemble. La

navigation se trouvant exposée à de grands risques, on parle de fortune de mer - dommages

survenus du fait du transport maritime et à l’occasion de celui-ci. C’est l’équivalent aujourd’hui

de la garantie tous risques20. Ainsi on note que dès la fin du XIIIème siècle les navires

20 BOITEUX L. A., La fortune de mer, le besoin de sécurité et les débuts de l’assurance maritime, Paris, S.E.V.P.E.N., 1968, 212 pages, page 64.

9

commencent à appartenir à plusieurs personnes. Le professeur Gaurier nous dit qu’ « il semble

bien que toute personne soit capable d’être propriétaire d’un navire, quel que soit son sexe,

mais à condition d’être de statut libre […] »21. Plus les navires étaient grands, plus les personnes

auxquelles ce navire appartenait étaient nombreuses. Ainsi, un « navire lebeckois faisant le

commerce de sel de Bourgneuf, en 1449, se répartissait en huit propriétaires, dont cinq en

possédaient chacun un seizième, un autre un seizième et un quart, un un huitième, et le capitaine

un quart. »22 Les différents propriétaires se trouvaient donc en société et supportaient chacun les

recettes et les dépenses affectées au navire23.

De cette division naît certes la répartition des bénéfices, mais aussi celle des risques

afférant au transport maritime. Un grand navire coûtait très cher, et s’il était perdu en mer son

propriétaire devait en supporter seul toutes les pertes : il perdait le prix de son navire et pouvait

donc être ruiné. Diviser le navire en parts, égales ou non, revient donc à diviser le risque en

autant de parts. Chacun des propriétaires supporte la perte du navire à la hauteur de son

investissement comme en feraient aujourd’hui des associés. Les pertes et gains sont répartis

proportionnellement à l’apport de chacun. On peut, à travers cette répartition des risques,

découvrir la répartition de la responsabilité de la perte du navire. Les propriétaires du navire se

trouvent responsables financièrement de la perte du navire : c’est eux qui subissent le coût de

l’avarie.

§2. L’assurance, complément nécessaire à la répartition des risques

La notion d’assurance est véritablement apparue à la suite du grand incendie de Londres

en 1666. Selon la légende, un boulanger décida de venir faire un baiser à sa bien-aimée en lui

apportant le pain. Pendant ce temps là, le pain qu’il restait à cuire brulât et provoqua l'incendie.

Lorsque le sinistre fut circonscrit, les londoniens dirent qu'il fallait trouver une technique pour

éviter les conséquences de ce premier drame : ils constituèrent ce qui est devenu les Lloyd's de

Londres. Un groupe de personnes s’est mis d'accord pour, tous les ans, payer une somme

d'argent de manière à prendre en charge les quelques personnes parmi ce groupe qui, au cours de

l'année considérée, subissent un certain dommage. C'est le point de départ de l'assurance, c’est-

à-dire de ce qui deviendra en France les mutuelles d'assurances.

Cette mutualité serait toutefois arrivée plus tôt. Dans le domaine maritime, elle viendrait

du jet à la mer. L'idée est que celui dont une partie de la cargaison a été jetée est lésé. Il devait

21 GAURIER D., Le droit maritime romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 227 pages, page 33. 22 DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages, page 189. 23 GAURIER D., Le droit maritime romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 227 pages, page 34.

10

donc être dédommagé pour compenser ce qu'il avait perdu – il y a équité. Les marchands vont

diviser une partie de leur marchandise pour la donner à celui qui a tout perdu, ou compenser la

perte en lui donnant une somme d'argent : un début de mutualité entre les individus s'instaure.

La notion d’assurance en tant que telle est absente au Moyen Âge, mais pas son principe. On

peut dire que ce phénomène de mutualisation du risque a contribué à améliorer la sécurité :

chacun va s’assurer que les autres personnes qui font partie de la mutualité se comportent bien.

Chacun doit ainsi s’assurer que son navire est apte à affronter les périls de la mer et que les

règles de chargement sont respectées. Voilà en quoi l’assurance, en sus de la répartition de la

propriété du navire en différentes parts, contribue à l’instauration de la sécurité en mer.

Section 2. La responsabilité renforcée de certains acteurs

Les capitaines de navire et les pilotes sont particulièrement touchés par le renforcement

de leur responsabilité. Les pilotes hauturiers sont chargés d’ouvrir des routes nouvelles et sont

responsables, lorsqu’il est nécessaire d’emprunter certains chenaux plutôt que d’autres, des

obligations de vérification pour savoir si le navire peut passer ou non. Ainsi, lorsque le navire

est naufragé par la faute du pilote, celui-ci peut être jugé directement à bord et mis à mort s’il

n’a pas de quoi payer. Les rôles d’Oléron prévoient une amende toute aussi sévère pour des

lamaneurs qui travaillent avec des naufrageurs, notamment en Bretagne. Cette responsabilité

accrue oblige donc les capitaines et pilotes à maintenir le navire dans des conditions propres à

lui assurer une bonne tenue en mer. Par cette bonne tenue, est aussi consolidée la sécurité à bord

du navire.

Chapitre 2. La sécurité par le contrôle

Enfin, la sécurité à bord des navires s’est particulièrement renforcée du fait d’un contrôle

des navires (Section 1) et de la navigation (Section 2).

Section 1. Le contrôle des navires

Le contrôle des navires est dans un premier temps assuré par les constructeurs et

propriétaires de navires (§1) avant le l’être directement par l’Etat (§2).

§1. Le rôle prépondérant des constructeurs et propriétaires de navires

C’est eux qui, selon une ordonnance espagnole de 1563, doivent veiller à la parfaire

navigabilité des navires qu’ils construisent ou tiennent en propriété. Eux-aussi qui doivent

11

surveiller le franc-bord et l’arrimage des marchandises24. En plus des constructeurs et

propriétaires, en 1584, l’Edit sur l’Amirauté d’Henry III ajoutera à ce contrôle du navire un

contrôle des aptitudes des capitaines par les villes maritimes.

Le 6 mai 1787, une ordonnance du Roi concernant les élèves-constructeurs des ports

marchands met en évidence qu’ « il est important pour le Commerce de ses Sujets de

perfectionner l’art de la construction des Bâtiments du Commerce », le moyen le plus sûr d’y

parvenir étant « de pourvoir à l’instruction des jeunes gens qui se destinent à l’état de

Constructeur dans les Ports marchands »25.

§2. L’apparition du contrôle des navires par l’Etat

Pour s’assurer que les contrôles des constructeurs et des propriétaires soient correctement

effectués, un système de visite de l’autorité publique est mis en place. On en retrouve trace dans

les Recès hanséatiques ainsi que dans l’ordonnance des Pays-Bas de 1549. En France, ce

système verra le jour plus tardivement avec l’ordonnance de Colbert, et surtout la loi du 9 août

1791 sur la police de la navigation.

A partir du XIXème siècle, ces contrôles renforcés sont dans un premier temps confiés aux

sociétés de classification afin de ne pas entraver la liberté du commerce. Puis, « le transport

maritime devenant une véritable industrie » et l’harmonisation des règles étant nécessaire26, le

contrôle des navires va se faire dans le cadre étatique. Aujourd’hui, c’est la loi du 17 avril 1907

qui encadre les conditions de construction et de chargement des navires et qui crée la fonction

d’inspecteurs de la sécurité des navires et de la prévention des risques professionnels maritimes.

On retrouve la fonction d’inspecteur dans les ordonnances de 1517 et 1584 à travers l’huissier-

visiteur. Règlementée par l’ordonnance de 1681 – ordonnance qui en matière maritime fut un

véritable « chef d’œuvre »27 et inspira nombre d’autres pays –, cette profession avait pour objet

de contrôler les documents relatifs à l’équipage, aux passagers et à la cargaison28.

24 BOISSON P., Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Paris, Bureau Veritas, 1998, 669 pages, page 28. 25 Voir Annexe 3 : Ordonnance du Roi, « Concernant les élèves-constructeurs des ports marchands », Paris, Imprimerie Royale, 6 mai 1787, Archives départementales de Nantes, côte C 663. 26 BOISSON P., Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Paris, Bureau Veritas, 1998, 669 pages, page 28. 27 GROULD, Discours sur le droit maritime ancien, moderne, français, étranger, civil et militaire et sur la manière de l’étudier, Paris, Imprimerie Royale, DCCLXXXVI, 48 pages, page 4, Archives départementales de Nantes, côte C 663. 28 Site du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie : Petite histoire des inspecteurs de la sécurité des navires.

12

Section 2. Le contrôle de la navigation

Les règles concernant le contrôle de la navigation en France ont été largement inspirées

des Anglais. La taille des navires, leur vitesse et leur nombre ayant largement augmenté -

notamment avec l’arrivée du navire à vapeur -, les risques en mer se sont eux-aussi multipliés.

W.D. Evans, qui a beaucoup aidé l’Angleterre à instituer des règles de signalisation, a

notamment inventé les lanternes de navires à trois couleurs, afin d’éviter les abordages de nuit.

En droit français, l’ouvrage Neptune traitait de la sûreté de la navigation. Lors de sa

réforme, un certain M. de Martine adresse une lettre à M. Doyard, Commissaire Général de la

Marine à Nantes. Il y écrit que « Le Roy, ayant jugé à propos, Monsieur, pour l’utilité et la

navigation d’ordonner l’exécution d’une nouvelle édition du Neptune français, il est nécessaire

pour la perfection dont cet ouvrage est susceptible, d’avoir connaissance de toutes les fautes

que les Navigateurs peuvent avoir reconnues dans l’ancien ; vous aurez donc attention de

rendre aussi publique que vous le pourrez cette marque de bonté du Roy, qui caractérise

l’intérêt qu’il prend à la Sureté et la navigation, et ce doit être, pour tous Navigateurs, un

puissant véhicule pour les déterminer à vous remettre ou à envoyer directement à l’Inspecteur

du dépôt les observations qui peuvent tendre à la perfection de ce grand ouvrage »29.

29 Copie de la Lettre de M. de Martine à M. Doyard, Commissaire Général de la Marine à Nantes, Paris, 1775, Archives départementales de Nantes, côte C 663.

13

Conclusion

Plus on avance dans l’histoire, et plus on se rend compte que la notion de sécurité envahit

le secteur maritime. Pourtant, les accidents sont encore nombreux. Bien que les navires résistent

mieux aux tempêtes, on se rend compte que la principale cause d’avaries reste le facteur humain.

Ainsi, et malgré toutes les évolutions que le navire aura du supporter, c’est sur l’homme que

repose la sécurité. Cette notion a donc toujours été présente en matière de transport même si elle

n’était pas formulée en tant que telle. Avons-nous confiance en notre capitaine ? Sera-t-il un bon

guide pour le navire ? Voici les questions que les marins embauchés devaient sûrement se poser

en embarquant pour l’aventure maritime.

Les règles du commerce régissent maintenant entièrement le transport maritime. Les

navires sont contrôlés et la navigation étroitement surveillée. Peut-être faudrait-il retrouver

aujourd’hui un peu d’aventure dans ce secteur afin que les règles du commerce ne régissent pas

son fonctionnement : moins de pression subsisterait et il y aurait moins d’occasions de vouloir

contourner les règles de sécurité maritime.

« De tout temps le Droit maritime a fixé l’attention du gouvernement chez les peuples

commerçants et navigateurs. Il ne fut d’abord composé que d’un petit nombre de lois

proportionné à l’étendue de la Navigation ; mais le commerce sur mer s’étant agrandi, les

opérations s’étant multipliées, la Marine ayant mis plus de mains en œuvre, elle eut besoin d’un

plus grand nombre de règlements »30. Ces mains constituées de marins sont-elles encore

considérées comme des aventurières ? La profession de marin est tellement règlementée qu’il est

difficile de l’affirmer. Subsiste une certitude, surtout en matière de transport du pétrole : le

capitaine - qui n’est plus le seul maître à bord - est largement responsable de la sécurité de son

navire. Comme devaient l’être les transporteurs d’or au temps de l’aventure maritime.

30 GROULD, Discours sur le droit maritime ancien, moderne, français, étranger, civil et militaire et sur la manière de l’étudier, Paris, Imprimerie Royale, DCCLXXXVI, 48 pages, page 1, Archives départementales de Nantes, côte C 663.

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ANNEXE 1 Ordonnance de la Marine de 1681 (extraits)

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ANNEXE 2 Sonde, Musée archéologique national d’Athènes

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ANNEXE 3 Ordonnance du Roi du 6 mai 1787

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ANNEXE 4 Délibération du Conseil de Marine du port de Brest, 1783

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ANNEXE 5 Etat du cuivre nécessaire pour le doublage jusqu’à la ligne d’eau, 1816

25

Bibliographie

Ouvrages

ACERRA M., ZYSBERG A., L’essor des marines de guerre européennes 1680-1790, Sedes, 1997, 298 pages.

BAUMGARTNER E., MENARD P., Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, Paris, Le livre de poche, 1996, 848 pages.

BEURIER J.-P. (dir.), Droits maritimes, Paris, Dalloz, 2008, 1216 pages.

BOISSON P., Politiques et Droit de la Sécurité Maritime, Paris, Bureau Veritas, 1998, 669 pages.

BOITEUX L. A., La fortune de mer, le besoin de sécurité et les débuts de l’assurance maritime, Paris, S.E.V.P.E.N., 1968, 212 pages.

DOLLINGER P., La Hanse XIIe – XVIIe siècles, Poitiers, Aubier, 1988, 598 pages.

DU PONTAVICE E., Droit maritime, 11ème édition, Paris, Précis Dalloz, 1991, 751 pages.

GAURIER D., Traité du très illustre jurisconsulte Benevenuto Straccha patrice d’Ancôme, sur les marins, les navires et la navigation, Nantes, CDMO, 2009, 195 pages.

GAURIER D., Le droit maritime romain, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004, 227 pages.

LE BAYON A., Dictionnaire de droit maritime, Rennes, Presse universitaire de Rennes, 2004, 280 pages.

Petit Larousse en couleurs, Librairie Larousse, 1990, 1720 pages.

Thèses

DUCOIN J., « Naufrages, conditions de navigation et assurances dans la Marine de commerce du

XVIII ème siècle, Le cas de Nantes et de son commerce colonial avec les îles d’Amérique »,

Tome 2, Paris, Librairie de l’Inde éditeur, 1993, 702 pages.

Documents des Archives départementales de Nantes

GROULD, Discours sur le droit maritime ancien, moderne, français, étranger, civil et militaire et sur la manière de l’étudier, Paris, Imprimerie Royale, DCCLXXXVI, 48 pages, côte C 663.

Ordonnance du Roi, « Concernant les élèves-constructeurs des ports marchands », Paris, Imprimerie Royale, 6 mai 1787, côte C 663.

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Extrait de la délibération du Conseil de Marine du port de Brest, 12 juillet 1783, côte C 663.

Mémoire sur les Ecoles d’hydrographie, 1785, côte C 663.

Etat du cuivre nécessaire pour le doublage jusqu’à la ligne d’eau de bâtiments du commerce depuis 100 jusqu’à 800 tonneaux en arrimage, 1er novembre 1816, côte C 663.

Copie de la Lettre de M. de Martine à M. Doyard, Commissaire Général de la Marine à Nantes, Paris, 1775, côte C 663.

Sources internet

Site de la Bibliothèque nationale de France (www.gallica.bnf.fr)

Site de la Documentation française (www.ladocumentationfrancaise.fr)

Site du Ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie

(www.développement-durable.gouv.fr)