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1 HISTOIRE DE LA VALEUR EN FINANCE D'ENTREPRISE Gérard HIRIGOYEN et Jérôme CABY Résumé : Cette recension est destinée, d'une part, à brosser une histoire de la valeur depuis l'apparition de cette notion dans les travaux de sciences économiques jusqu'à son appropriation actuelle par la finance d'entreprise et, d'autre part, à envisager les voies futures de développement de ce concept. Abstract : This survey is devoted, on one hand, to the analysis of the history of value from the very first works in economics to the current concept in corporate finance and, on the other hand, to sketch the potential future of that orientation. "Heureusement, il n'y a rien dans les lois sur la valeur qui reste à clarifier pour un auteur actuel ou futur : la théorie est complète" J. St. Mill (1848) Introduction La question de la valeur, de sa création comme de son estimation, a toujours suscité réflexion et controverses dont l'intensité trahit l'importance de l'enjeu : le statut scientifique de la finance. La découverte du principe caché qui régit les rapports d'échange permet en effet de passer du stade d'une finance descriptive à celui d'une véritable discipline scientifique. La maîtrise de l'enjeu de la valeur représente une rupture épistémologique : l'élaboration d'une théorie de la valeur a rendu ainsi possible la détermination des modèles de la structure financière des firmes ou l'établissement d'une relation entre la rentabilité et le risque d'une entreprise. Jusque vers 1950, les responsables financiers des entreprises ne disposaient pas de théorie à proprement parler. Ils pouvaient avoir recours à la science économique pour comprendre l'évolution de l'environnement de l'entreprise et utilisaient les techniques comptables pour effectuer les mesures financières mais aucune mesure rationnelle ne pouvait les aider à la prise de décisions. La méthodologie de la théorie financière a largement emprunté à la théorie néoclassique de la firme. En effet, l'un des modèles les plus connus de la théorie néoclassique suppose que la firme maximise son profit en étant soumise à la contrainte d'une fonction de production. La théorie financière utilisera des modèles de la même forme : maximiser une fonction objectif soumise à des contraintes non pas pour effectuer des prédictions, mais pour en tirer des règles de conduite. Etant

Histoire de La Valeur en Finance

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HISTOIRE DE LA VALEUR EN FINANCE D'ENTREPRISE

Gérard HIRIGOYEN et Jérôme CABY

Résumé : Cette recension est destinée, d'une part, à brosser une histoire de la valeur depuisl'apparition de cette notion dans les travaux de sciences économiques jusqu'à son appropriationactuelle par la finance d'entreprise et, d'autre part, à envisager les voies futures de développementde ce concept.Abstract : This survey is devoted, on one hand, to the analysis of the history of value from thevery first works in economics to the current concept in corporate finance and, on the other hand, tosketch the potential future of that orientation.

"Heureusement, il n'y a riendans les lois sur la valeur quireste à clarifier pour un auteuractuel ou futur : la théorie estcomplète"

J. St. Mill (1848)

Introduction

La question de la valeur, de sa création comme de son estimation, a toujours suscitéréflexion et controverses dont l'intensité trahit l'importance de l'enjeu : le statutscientifique de la finance. La découverte du principe caché qui régit les rapportsd'échange permet en effet de passer du stade d'une finance descriptive à celui d'unevéritable discipline scientifique. La maîtrise de l'enjeu de la valeur représente une ruptureépistémologique : l'élaboration d'une théorie de la valeur a rendu ainsi possible ladétermination des modèles de la structure financière des firmes ou l'établissement d'unerelation entre la rentabilité et le risque d'une entreprise.

Jusque vers 1950, les responsables financiers des entreprises ne disposaient pas dethéorie à proprement parler. Ils pouvaient avoir recours à la science économique pourcomprendre l'évolution de l'environnement de l'entreprise et utilisaient les techniquescomptables pour effectuer les mesures financières mais aucune mesure rationnelle nepouvait les aider à la prise de décisions. La méthodologie de la théorie financière alargement emprunté à la théorie néoclassique de la firme. En effet, l'un des modèles lesplus connus de la théorie néoclassique suppose que la firme maximise son profit en étantsoumise à la contrainte d'une fonction de production. La théorie financière utilisera desmodèles de la même forme : maximiser une fonction objectif soumise à des contraintesnon pas pour effectuer des prédictions, mais pour en tirer des règles de conduite. Etant

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donné les hypothèses qu'on se fixe et qui comprennent la fonction objectif à maximiser,le modèle dira quelles sont les décisions à prendre.

La notion de profit de la théorie néoclassique ayant suscité nombres de réserves1, elleest délaissée par la théorie financière qui retient la notion de richesse des actionnairesentendue comme la valeur boursière de l'ensemble des actions de la firme, c'est-à-dire sacapitalisation boursière. Ainsi, dès le départ, le concept de valeur a été intégré dansl'objectif assigné à la firme par la théorie financière.

Sous les hypothèses de forme forte de l'efficience, de rationalité et de symétrie del'information, cette richesse est aussi égale à la valeur actuelle de l'ensemble desdividendes que les actionnaires recevront dans le futur. Sous ces mêmes hypothèses, lamaximisation de la valeur fondamentale de la firme pour les actionnaires correspond à lamaximisation de la valeur des actions de l'entreprise. En maximisant la richesse desactionnaires, la théorie financière maintient les justifications macro-économiquesaccordées au profit tout en éliminant les problèmes liés aux conventions comptables, autemps et au risque. Il peut être certes difficile de déterminer la forme de la fonction"richesse des actionnaires", mais il est relativement aisé de la mesurer à un momentdonné.

A l'heure actuelle, de nouvelles théories contestent la notion selon laquelle lesentreprises doivent être gérées dans l'objectif de maximiser la valeur actuelle des actions.Elles prônent la maximisation de la valeur totale de l'entreprise. Au primat des seulsactionnaires serait substitué celui de l'ensemble des partenaires de la firme retenant ainsila vision d'une firme plurale. Le balancier de l'histoire se remettrait-il en marche ? Aprèsêtre passé de la maximisation du profit de la firme conçue comme une "boîte noire" à lamaximisation de la valeur actionnariale de la firme contractuelle, assisterions-nous auxprémisses d'un nouveau déplacement théorique vers la maximisation de la valeur totalede la firme partenariale ? L'histoire de la valeur en finance suivant ainsi l'évolution de laperception et de la définition de la firme.

Après avoir retracé la genèse de l'histoire de la valeur ou l'histoire de sa longuemarche (première partie), la question sera celle de savoir si nous assistons aujourd'hui àla fin de l'histoire ou au contraire à une histoire en marche. (deuxième partie).

1. LA GENESE DE L'HISTOIRE OU L'HISTOIRE D'UNE LONGUE MARCHE

L'histoire de la valeur en finance est celle d'une longue marche qui a vuprogressivement s'affirmer le concept. Durant des siècles, les économistes seuls ont forgéles référentiels théoriques de la valeur qui ont permis de doter l'économie d'un véritablestatut scientifique. Les notions dégagées ont une portée générale et alimentent toujours laréflexion sur la valeur. C'est en cherchant à définir la valeur monétaire d'un actif

1 D.M. Kreps (1996), p. 710 et suivante.

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physique ou financier que l'économiste J.B. Williams, dans la lignée des travaux de I.Fisher, a élaboré les bases de la valeur en finance. Deux séries de fondements de la valeurméritent d'être examinés tour à tour : les fondements économiques (1.1.) et lesfondements en finance (1.2.).

1.1. Les fondements économiques de la valeur

La valeur est le jugement porté sur l'importance d'un bien au sens large, c'est-à-dire unbien ou un service. Les économistes ont distingué trois couples de notions :

• valeur générale ou valeur unitaire : on va parler de valeur générale ou de valeurunitaire selon que l'on considère en abstraction ou en particulier ;

• valeur objective ou valeur subjective : la valeur objective est la valeur sociale, c'estl'importance qu'un groupe attribue à un bien en raison de la capacité de ce bien àsatisfaire un besoin ressenti par la totalité de la collectivité. La valeur subjectivedésigne la valeur qu'un individu attribue à un bien selon la capacité de ce bien àsatisfaire un besoin ;

• valeur d'usage ou valeur d'échange : cette distinction fort ancienne puisque déjàprésente chez les grecs repose sur la nature de la satisfaction du besoin suivant qu'elleest directe par usage du bien ou indirecte par échange du bien. La valeur d'usage estcelle qui est attribuée à un bien en raison de sa capacité à satisfaire directementbesoin. La valeur d'échange va s'exprimer par un rapport entre un certain nombred'unités des deux biens qui font l'objet de l'échange.

La valeur d'usage subjective et générale désigne la valeur utilité. Par valeur d'usage,on entend la valeur d'usage subjective et unitaire. La valeur d'échange exprime la valeurd'échange objective et unitaire. C'est à son sujet que se pose le problème de la valeur.Cette valeur d'échange peut se concevoir alors même que l'échange ne s'effectue pasréellement. Elle est relative à l'aptitude à l'échange : peu importe qu'il soit réalisé ou qu'ildemeure potentiel.

L'histoire des théories explicatives de la valeur permet de distinguer deux grandscourants de pensée qui ont alternativement primé au cours du temps :

• un premier courant qui va chercher à expliquer la valeur par des facteurs objectifs.Elle est ramenée à un coût, ce coût étant considéré tantôt comme un coût complexe,tantôt comme un coût simple ;

• un second courant qui va chercher le fondement de la valeur dans les facteurs subjectifsou explique la valeur à partir de l'utilité et de la rareté.

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On différencie donc les théories de la valeur objective (1.1.1.) et les théories de lavaleur subjective (1.1.2.).

1.1.1. Les théories de la valeur objective

Elles voient l'explication et le fondement de la valeur dans le coût de production.Deux courants sont à distinguer selon que le coût est retenu comme un coût complexe(A) ou comme un coût simple (B).

A. La théorie classique du coût complexe

Les concepts de base ont été posés par A. Smith mais c'est surtout à D. Ricardo qu'ilfaut attribuer la paternité de cette thèse qui sera par la suite enrichie et corrigée par J. St.Mill, J. Cairnes, H. Fawcett et H. Sidgwick.

Ces classiques distinguaient valeur d'usage et valeur d'échange mais ils assimilaientvaleur d'usage à utilité générale et objective. Quant à la valeur d'échange, ilsconsidéraient qu'elle ne se formait pas de la même façon pour tous les biens suivant queceux-ci sont ou non reproductibles.

Pour les biens non-reproductibles, c'est à dire ceux qui jouissent d'un monopolenaturel ou artificiel, la valeur dépend de deux éléments : la rareté du bien et l'intensité dudésir ressenti par le sujet économique qui veut les posséder. Pour les biensreproductibles, les classiques distinguent deux valeurs : la valeur du marché ou valeurcourante et la valeur normale et naturelle.

La valeur normale ou courante d'un bien s'exprime par le prix et est déterminée par lerapport de l'offre et de la demande de ce bien sur le marché considéré. C'est une valeurinstantanée tandis que la valeur normale est celle vers laquelle revient, ou tend à revenir,la valeur du bien lorsqu'elle en a été écartée par une certaine situation momentanée del'offre et de la demande.

La valeur normale joue dans la longue période ; c'est une valeur tendancielle autour delaquelle oscille la valeur courante qui n'est qu'accidentelle ou temporaire. Pour lesclassiques, la valeur courante est existentielle alors que la valeur normale est essentielleet durable. Elle est déterminée par le coût de production auquel peut être obtenu etapporté durablement sur le marché le bien considéré. Ce coût est la somme des intérêts etdes salaires qui sont pour les classiques la contrepartie du travail, en ce qui concerne lessalaires, et de l'épargne (l'abstinence) qui est à l'origine de la création et de l'accumulationde capital.

Lorsque le bien est reproductible, mais à des coûts différents, et s'il est reproductible,mais à des coûts croissants, les classiques précisent que ce sont les coûts les plus élevésdes produits nécessaires pour assurer l'approvisionnement du marché qui détermineront la

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valeur normale du produit. C'est ainsi que les classiques ont été amenés à étudier leproblème de la rente.

Des critiques ont été émises pour montrer que le coût n'est pas suffisant en lui-mêmepour expliquer le fondement de la valeur. Certains auteurs comme F. Bastiat ont suggéréde retenir, non pas le coût de production, mais le coût de reproduction, c'est à dire le coûtépargné au consommateur. Pour F. Bastiat, la valeur est le rapport de deux serviceséchangés ; le service étant mesuré non par le travail de celui qui le fournit, mais parl'effort épargné à celui qui en bénéficie. La même thèse se retrouve chez H. Carey pourqui la valeur est la mesure de la résistance à vaincre pour se procurer les chosesnécessaires à nos besoins. Avec ces deux thèses, on assiste à un changement d'optiquefondamental : on se place déjà du côté du consommateur.

B. La théorie marxiste du coût simple

Pour Marx, le fondement et la mesure de la valeur doivent être recherchés dans lesquantités de travail incorporées dans le produit ou dans le service considéré ; l'utilité étantune condition de la valeur, mais non pas la mesure de la valeur. Avant Marx, d'autresauteurs comme Hobbes, R. Cantillon, W. Petty, A. Smith avaient retenu le travail commefondement de la valeur mais mêlé à d'autres éléments explicatifs. Cette thèse de la valeurtravail a été systématisée par D. Ricardo et achevée par K. Rodbertus.

La thèse marxiste de la valeur suppose trois propositions réductrices :

• en premier lieu, on ne considère que les seules marchandises : ce sont les quantités detravail incorporées ;

• en second lieu, il y a réduction du coût du travail. Pour démontrer cette proposition,Marx part de la constatation que les marchandises échangées sont équivalentes :"l'échange est une équation". La seule qualité commune entre deux marchandiseséchangées, c'est qu'elles résultent de la mise en oeuvre du travail humain. Ellescontiennent une même quantité de travail cristallisé : "la valeur est de la gelée detravail humain indifférencié" ;

• en troisième lieu, le travail est réduit à sa seule quantité. Pour évaluer cette quantité,Marx a recours, d'une part, à la notion de travail socialement nécessaire, c'est à dire"le temps de travail exigé pour obtenir une valeur d'usage quelconque dans lesconditions normales de la production, dans le milieu social actuel et selon le degrémoyen d'habileté et d'intensité du travail". Dans la mesure où le coût est réduit autravail et à sa seule quantité, il s'agit d'un temps de travail abstrait ; à savoir celui d'unouvrier de qualité moyenne travaillant dans un temps moyen. D'autre part, Marxdistingue le travail complexe ou supérieur (qualifié) et le travail simple. Il considèreque le travail qualifié est un multiple du travail simple : "le travail complexe n'estqu'une puissance du travail simple, ou plutôt, qu'un travail simple multiplié ...".

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La théorie de la valeur travail a connu un grand succès. Elle a soulevé aussi denombreuses critiques émanant tout particulièrement de Böhm-Barverk et de F. Perrouxqui a dénoncé ce qu'il appelle "un tour de passe-passe intellectuel".

1.1.2. Les théories de la valeur subjective

La recherche du fondement de la valeur se fait du côté du consommateur et non plusdu producteur. On va considérer la valeur d'échange comme ayant son fondement dans lavaleur d'usage et elle-même dans la valeur d'utilité. Ces théories fort anciennes furentredécouvertes à la fin du XIXe siècle lorsque les marginalistes prirent le contre-pied del'analyse marxiste.

A. Les théories anciennes

Ce principe était déjà celui de Turgot, Galiani et Condillac dont les études sur lavaleur sont contemporaines. Pour Condillac, la valeur des choses est fondée sur leurutilité ou, ce qui revient au même, sur le besoin que nous en avons eu ou sur l'usage quenous pouvons en faire. Il observe que la notion de besoin est relative. La valeur est moinsfondée sur l'utilité intrinsèque des biens que sur l'opinion que l'homme s'en fait. Cetteopinion repose souvent sur les propriétés inhérentes au bien lui-même.

Condillac va noter qu'il n'y a pas toujours parallélisme entre l'utilité et la valeur. Pourexpliquer la valeur, il est nécessaire de faire place à la rareté à côté de l'utilité. Il vamanquer le caractère psychologique et subjectif de la rareté. La valeur des choses croîtdans la rareté et diminue dans l'abondance. Mais la rareté ne permet pas à elle seule defonder la valeur. Condillac aboutit à une théorie dualiste (de la valeur) conciliant larareté et l'utilité mais sans pouvoir dire ce qui est imputable à l'une et à l'autre. Lesmarginalistes et néo-marginalistes arriveront à surmonter ce blocage avec la notiond'utilité marginale.

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B. Les théories modernes de l'utilité marginale

En germe dès le début du XIXe siècle chez plusieurs auteurs isolés comme J. VonThünen, H. Gossen, Jennings, L. Dupuit, A. Walras, ces théories ont été explicitementformulées par trois auteurs marginalistes : C. Menger, St Jevons et L. Walras. Lesprincipaux représentants du néo-marginalisme auront pour nom : H. Mayer, Rosenstein-Rodan, L. Schönfeld, R. Strigl et L. Von Mises.

Ces théories reposent toutes sur un fonds commun qui peut être dégagé autour de deuxpropositions :

• la valeur d'usage se mesure par l'utilité marginale ;

• la valeur d'échange repose sur la valeur d'usage.

Quatre éléments font apparaître la différence entre l'utilité et la valeur : la notion dedivisibilité des biens et des besoins, la notion d'homogénéité du bien, la décroissance desbesoins, la notion de marginalité. L'utilité dépendant de la dernière dose ou du dernierdésir d'emploi (l'utilité marginale) détermine l'importance attribuée par le sujet à cettedernière unité et à toutes celles qui la précèdent puisqu'elles peuvent être remplacéesindépendamment les unes par les autres. La valeur d'une unité quelconque prise dans unstock de biens est déterminée par l'utilité de la moins utile des unités dont se compose cestock. Ainsi, la valeur d'usage subjective unitaire variera d'individus à individus et, pourun individu, suivant les périodes considérées. Elle diminue quand, pour des échellesinchangées de désir d'emploi, la provision du bien de même qualité augmente ;inversement, la valeur lorsque la provision diminue. La notion d'utilité marginale réalisela fusion des notions d'utilité et de rareté.

La valeur d'échange repose sur la valeur d'usage, c'est-à-dire finalement sur l'utilitémarginale. Les marginalistes soulignent le fait que, quelle que soit la valeur considérée,le fondement de la valeur demeure le même ; la seule différence étant l'emploi donné aubien considéré. Une distinction doit être faite entre les biens de consommation et lesbiens de production. Pour les biens de consommation, la détermination de la valeurd'échange est directe dans la mesure où la valeur d'échange objective est liée à la valeurd'échange subjective, c'est-à-dire par l'utilité marginale. Pour les biens de production, ladétermination de la valeur est indirecte en ce sens que ces biens n'ont pas d'utilité en eux-mêmes. Ils ont une utilité dérivée qui dépend de l'utilité subjective des biens deconsommation qu'ils permettent d'obtenir. On dit que la valeur remonte du bien deconsommation produit au bien de production qui a permis de l'obtenir.

Ces fondements économiques de la valeur rappelés, il convient d'examiner maintenantcomment ils ont alimenté la réflexion en finance.

1.2. Les fondements de la valeur en finance

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Le problème de la valeur n'a jamais été éludé par les financiers mais, pendantlongtemps, la pensée financière s'est attachée à l'estimer la valeur de l'entreprise à partirdes seuls documents comptables. Or, en matière de valeur, la distinction comptabilité-finance s'impose parce qu'elle traduit deux optiques fondamentalement différentes quiconduisent à une double opposition :

• la comptabilité appréhende essentiellement l'entreprise en se fondant sur son passé eten centrant sa démarche sur les coûts ; la finance est essentiellement une projectionde l'entreprise dans l'avenir. Elle intègre non seulement le risque, mais aussi etsurtout la valeur qui résulte de la perception du risque et de la rentabilité de demain.La valeur est définie comme la valeur actuelle des flux futurs espérés actualisés autaux de rentabilité exigé ;

• le concept de valeur de l'entreprise en finance est entendu dans son acception la pluslarge. Elle représente la valeur de marché de l'outil industriel et commercial, c'est-à-dire la valeur de marché de l'actif économique. Elle est égale à la valeur de marchédes capitaux propres (la capitalisation boursière, si l'entreprise est cotée) et à celledes dettes financières nettes.

Deux approches de la valeur sont donc concevables : la première insiste surl'estimation des actifs, détermine ensuite celle des dettes pour obtenir par différence lavaleur des capitaux propres, c'est l'optique comptable. La seconde essaie d'apprécierdirectement la valeur des capitaux propres et des dettes ; il n'est plus ainsi nécessaired'estimer les actifs. En privilégiant le point de vue inverse, s'est affirmé le concept devaleur en finance (1.2.1.) La théorie financière s'est alors intéressée tout à la fois àl'influence des décisions financières sur la valeur de la firme (1.2.2.) et à la valeur de lafirme déterminée par l'équilibre de marché (1.2.3.)

1.2.1. L'affirmation progressive du concept de valeur en finance

Elle s'est faite en se détachant de ses origines comptables (A) et en élaborant les basesd'un référentiel théorique (B).

A. Les origines comptables de l'évaluation

Elles traduisent une vision simple et unique de l'entreprise. On distingue les valeurspatrimoniales, d'une part, et les corrections apportées, la valeur de rendement et legoodwill, d'autre part2.

2 Sur les méthodes d'évaluation comptables, on pourra voir : J.G. Degos et G. Hirigoyen (1988) etles numéros spéciaux de la revue Analyse financière consacrés à l'évaluation des entreprises(n°49, 2ème trimestre 1982 et n°74, 4ème trimestre 1988).

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Les méthodes patrimoniales reviennent concrètement à évaluer séparément lesdifférents actifs et engagements de l'entreprise et à en faire la sommation.

Les méthodes patrimoniales sont des méthodes simples et conduisent à des valeurscomptables qui sont souvent éloignées des valeurs réelles pour des raisons comptables,fiscales, historiques, ... Ces valeurs doivent donc être corrigées, réévaluées, pourdéterminer un actif net comptable réévalué. Il s'agit de méthodes additives, puisqu'à lasomme des actifs réévalués, on retranche des passifs exigibles réévalués pour obtenir cequi est parfois désigné par l'expression de valeur mathématique.

C'est donc au niveau de chaque actif et de chaque passif exigible que se pose leproblème de l'évaluation. Il s'agit donc d'être cohérent dans les estimations, même si lesméthodes appliquées sont différentes.

Plusieurs types de valeurs patrimoniales existent :

• la valeur de marché, c'est la valeur que l'on pourrait retirer d'un bien en le vendant. Sicette valeur peut paraître incontestable au plan théorique, elle suppose quel'acquéreur se place dans une optique liquidative, ce qui est rarement le cas puisquesa motivation est la continuité de l'exploitation ;

• la valeur d'utilisation, elle représente la valeur d'un actif au sein du processusd'exploitation, en quelque sorte une valeur de marché au coût de remplacement.

Trois remarques importantes :

• l'évaluation ne peut porter uniquement sur les seuls actifs d'exploitation (terrains,constructions, fonds de commerce, stocks, ...) en oubliant qu'ils sont financéspartiellement par de l'endettement. La valeur des actions est alors inférieure à lavaleur de l'entreprise ;

• la méthode patrimoniale sera d'autant moins contestable que les actifs ont une valeursur le marché indépendamment de leur inclusion dans le processus d'exploitation del'entreprise (par exemple, le marché de l'immobilier) ;

• une valeur patrimoniale n'a de sens que si elle intègre l'évaluation des actifsincorporels : le droit au bail et les marques.

Ces valeurs patrimoniales, aussi intéressantes soient-elles, traduisent toutefois uneposition sommaire, incomplète et, au total, peu réaliste. La valeur d'une entreprisedépend, certes, d'éléments patrimoniaux mais elle résulte aussi d'un effet de synergie dontla comptabilité ne rend pas compte. En outre, une telle approche néglige les décisionsessentielles que l'entreprise est amenée à prendre (investissement, financement, ...). Cette

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insuffisance a été ressentie par les praticiens eux-mêmes qui ont proposé, pour yremédier, le concept de la valeur de rendement.

Dans cette approche, la valeur de l'entreprise est assimilable à un capital qui, placé àun certain taux de capitalisation, procure un revenu égal au montant du bénéfice del'entreprise. Cette méthode d'évaluation dépasse la stricte approche comptable enappréhendant l'entreprise à partir du résultat, c'est-à-dire d'une façon globale, ce critèremet ainsi l'accent implicitement sur les décisions prises. Avec la valeur de rendement,l'entreprise n'est plus une simple mosaïque d'éléments juxtaposés, elle exprime à la fois lerésultat des décisions qui ont été prises et la manière dont celui-ci est perçu par unacquéreur et plus généralement par le marché. Ce double caractère de la valeur derendement a été successivement objet de réflexion de la théorie financière.

De même, le goodwill est un moyen de corriger les valeurs patrimoniales car il estévident que l'entreprise ne peut se réduire à la somme algébrique d'actifs etd'engagements. Une littérature très importante a été consacrée au concept de goodwill3.Les experts internationaux se sont mis d'accord pour définir le "goodwill" comme"l'excédent de la valeur globale d'une entreprise à une date donnée sur la juste valeurattribuée aux éléments identifiables de son actif à cette date. Cet excédent est un élémentd'actif incorporel qui tire sa source des bonnes relations de l'entreprise avec ses clients, deses ressources humaines, d'un emplacement favorable, de sa réputation et de nombreuxautres facteurs qui permettent à l'entreprise de réaliser des bénéfices supérieurs à lanormale"4. La valeur de l'entreprise est alors la somme de la valeur patrimoniale et de lavaleur du goodwill.

Au plan théorique, le goodwill peut s'analyser comme une option sur la croissancefuture de l'entreprise. Les méthodes qui ont recours à la notion de goodwill ou de badwillont pour objet de corriger les valeurs patrimoniales pour tenir compte de la rentabilité del'outil de l'entreprise. D'où le nom de méthodes mixtes bien qu'elles s'apparentent plus àdes méthodes patrimoniales qu'à des méthodes de rendement.

B. Les bases de la théorie de la valeur

C'est l'économiste J.B. Williams qui, en 1938, a défini le concept de valeur qui est à labase de la théorie financière. Pour cet auteur, la valeur de n'importe quel actif (physiqueou financier) est donnée par la valeur présente de tous les flux financiers espérés que cetactif générera. Ce qui signifie que la valeur d'un actif dépend non pas du coûtd'acquisition antérieur de celui-ci ou encore des bénéfices qu'il a pu procurer dans lepassé, mais plutôt de ces attributs monétaires futurs, autrement dit, des consommationsfutures sécrétées par l'actif. Plus précisément, il est nécessaire que la consommationfuture soit au moins égale à celle dont on se prive aujourd'hui plus une prime pour avoir 3 Sur le goodwill, on peut se reporter à G.H.D. Preinreich (1937) qui propose une bibliographie de150 références.4 in J.G. Degos et G. Hirigoyen (1988).

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différé cette consommation. Cette prime sera d'autant plus forte que la consommationaura été retardée.

L'idée sous-jacente à ce modèle remonte aux travaux de I. Fisher qui, en 1907, a misen place les fondations de l'analyse de la valeur actuelle en analysant les taux d'intérêtcomme des prix et les flux de trésorerie comme des montants pouvant être évalués enmonnaie5. Toutefois, aucun auteur avant J.B. Williams n'avait développé ce concept demanière aussi complète, tout particulièrement dans son application à la détermination dela valeur intrinsèque d'une action. Celle-ci vaut ce qu'elle rapporte, c'est-à-dire le plussouvent des dividendes, bien qu'ils puissent être parfois les revenus de la liquidation del'entreprise ou d'une prise de contrôle. Cette technique d'évaluation n'est autre que lemodèle d'actualisation des dividendes.

Ce modèle a été critiqué par B. Graham et D. Dodd pour qui "le concept de revenupotentiel représenté par un nombre précis ne peut être accepté sans risque comme uneprémisse générale de l'analyse des titres"6. Ces auteurs rejetaient également la théorie deSamuelson selon laquelle le prix d'un titre doit être égal à sa valeur intrinsèque sur unmarché animé par des investisseurs qui ont pour but la satisfaction de leur propre intérêt :"c'est une grave erreur que d'imaginer que la valeur intrinsèque est aussi précise et facileà déterminer que les prix du marché"7.

Graham et Dodd s'attachent à définir "la valeur intrinsèque simplement comme lavaleur justifiée par les faits, c'est-à-dire les actifs, les bénéfices, les dividendes, lesperspectives claires"8. Ils préconisent à cet effet une analyse diligente des bilans et descomptes de résultat des entreprises ce qui fut une source de désagrément pour lesinvestisseurs qui suivirent ces préceptes dans les années 1950. En effet, le marché avaitremplacé la solvabilité par la croissance comme critère d'évaluation des titres.

Le système de Graham-Dodd est un ensemble de règles plutôt qu'une théorie de lavaleur. Le modèle d'actualisation des dividendes est une théorie de la valeur : il reposesur des propositions selon lesquelles un actif ne vaut que ce qu'il peut rapporter à sondétenteur, et la valeur actuelle des revenus futurs est d'autant plus faible que ces revenussont éloignés dans le temps.

Le problème des actions de croissance et du modèle d'actualisation des dividendespour les évaluer a été discuté par D. Durand en 1957. Il observe que tous les revenusfuturs sont incertains et que les revenus très éloignés, même importants, n'ont qu'unefaible valeur actuelle : "ces actions de croissance semblent poser le problème d'évaluationle plus difficile que l'on puisse rencontrer. Le fait qu'il n'ait pas été trouvé de solution 5 Les économistes Marshall, Böhm-Bawerk, Wicksell développent aussi dès la fin du XIXe siècle,dans leurs ouvrages ou articles, une approche de valeur actuelle des flux monétaires futurs.6 Cité par P.L. Bernstein (1995), p. 160.7 Ibid, p. 160.8 Ibid, p. 160.

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unique et généralement acceptable au problème de Petersburg après deux cents ans derecherche par certains des esprits les plus brillants du monde suggère en effet qu'il y apeu d'espoir de jamais trouver une solution satisfaisante à ce problème"9.

Le modèle original de J.B. Williams devait être prolongé par M.J. Gordon et E.Shapiro (1956), pour lesquels la valeur de l'action est égale à la somme des dividendesactualisés à un taux k, les dividendes augmentant à un taux g. E.M. Lerner et W.T.Carleton (1964) ont enrichi le modèle en établissant une liaison négative entre larentabilité des investissements et le taux de rétention à une époque donnée. Enfin, dansun article de 1978, M.J. Gordon et L.I. Gould ont proposé une nouvelle formulation dumodèle de Gordon intégrant les résultats de nombreux travaux postérieurs au modèle de1962, notamment la liaison négative entre rentabilité des investissements et taux derétention des bénéfices.

Dés 1956, J.E. Walter développe la thèse de la théorie résiduelle des dividendes selonlaquelle la décision de distribution n'est pas une décision financière majeure puisqu'ellen'est prise qu'après celles d'investissement et de financement. Pour J.E. Walter (1956), letaux de distribution des bénéfices doit être très faible, voire nul, pour maximiser la valeurde la firme sur le marché.

Ces premiers travaux de Fisher, Williams, Durand et Gordon sont à l'origine de lathéorie de la valeur en finance :

• en premier lieu, le concept de la valeur est défini comme la valeur actuelle des fluxfuturs espérés actualisés au taux de rentabilité exigé. La finance substituera auxnotions comptables de capitaux propres, d'endettement et d'actif économique, lavaleur de marché des capitaux propres, la valeur de marché de la dette et la valeur demarché de l'entreprise.

• en second lieu, ils mettent l'accent sur l'influence positive de la distribution desdividendes sur la valeur de la firme. Une telle approche théorique allait être àl'origine d'une controverse (qui dure toujours) faisant s'affronter les tenants de la non-neutralité de la politique de dividende sur la valeur de la firme à ceux qui, commeModigliani et Miller, affirment que la politique de dividende est neutre vis-à-vis de lavaleur de l'action.

A partir de la fin des années 50, la théorie financière allait s'intéresser de façon plusgénérale et plus scientifique à l'influence des décisions financières sur la valeur de lafirme.

1.2.2. L'influence des décisions financières sur la valeur de l'entreprise

9 Cité par P.L. Bernstein (1995), p. 157.

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13

Deux décisions financières ont été étudiées dans leur influence sur la valeur del'entreprise : la structure financière et la politique de dividende. La question est de savoir :

• d'une part, dans quelle proportion l'entreprise peut-elle modifier sa structure et quelleest l'incidence éventuelle de cette modification sur le coût du capital et par voie deconséquence sur la valeur de la firme ;

• d'autre part, quel rôle explicatif jouent les dividendes dans la détermination de lavaleur de l'action.

Adversaires et partisans de la neutralité de l'influence se sont affrontés depuis plus dequarante ans. Après avoir rappelé les termes historiques du débat (A), il conviendrad'examiner les tendances actuelles (B).

A. Les termes historiques du débat

Pour des raisons de clarté dans la présentation des thèses en présence, il convient dedistinguer successivement structure financière et politique de dividende.

La question de la structure financière a vu s'affronter deux grands courants de pensée.Pour les partisans de la théorie traditionnelle, il existe une structure optimale quimaximise la valeur de l'entreprise mais celle-ci se situe à des niveaux d'endettementdifférents selon les entreprise. A l'opposé, F. Modigliani et M. Miller affirment en 1958que la valeur de l'entreprise est indépendante de la structure financière. Elle est obtenueen capitalisant le bénéfice espéré à un certain taux correspondant à la classe de risque dela firme.

Dans un article de 1963, F. Modigliani et M. Miller, tenant compte des nombreusescritiques qui leur furent adressées, réintroduisent l'incidence de l'impôt sur les sociétés.Avec la prise en compte de l'impôt, les autres hypothèses demeurant inchangées, ilsconcluent que la valeur de l'entreprise augmente avec l'endettement. Il n'existe pas destructure financière optimale ou, si l'on préfère, l'optimum correspond à l'endettementmaximum. Le raisonnement poussé à l'extrême conduit à penser, comme l'affirment A.A.Robickeck et S.C. Myers (1979), que "l'idéal serait une entreprise entièrement financéepar emprunt", ce qui ne correspond pas à la réalité.

L'article de 1963 a soulevé moins de "levées de boucliers" que celui de 1958. Lescritiques ont porté essentiellement sur le risque de faillite. Selon les tenants de la positionclassique, les coûts de faillite limitent la capacité d'endettement ; ils compensent nonseulement les avantages découlant de la déductibilité des intérêts mais entraînent unrelévement du coût du capital.

Dans un article de 1977, M. Miller affirme que les coûts de faillite et les avantages del'endettement sont moins importants qu'on ne le prétend ; il montre également qu'il existe

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un équilibre de marché qui n'est pas celui de la firme, pour cette dernière il n'existe pasd'optimum. La formulation de 1977 est très proche de celle de 1958.

En 1973, F. Black et M. Scholes, en se fondant sur la théorie des options, démontrentque la première proposition de F. Modigliani et M. Miller en l'absence d'impôt pourraitêtre étendue à l'hypothèse des dettes risquées. La valeur de l'entreprise est indépendantede sa structure financière. Le montant des dettes ne modifie pas la valeur globale de lafirme mais seulement la répartition entre la valeur des dettes et celle des actions. Uneaugmentation de l'endettement, la valeur de la firme restant constante, accroît le risque defaillite et réduit la valeur de marché des autres titres. Reprenant l'idée de F. Black et M.Scholes, R. Merton (1974) a analysé l'incidence des risques de faillite sur le coût ducapital.

De même, l'influence de la politique de dividende sur la valeur de la firme a fait l'objetd'une importante littérature. Là encore, deux grands courants de pensée se sonthistoriquement opposés10 :

• celui de la non-neutralité qui soutient que la valeur de l'action est déterminée ou entout cas influencée par les dividendes versés. A ce courant sont attachés les noms deGraham-Dodd, Lintner, Walter, Solomon, Gordon, ... L'entreprise a pour objectifunique la maximisation de la richesse des actionnaires et la distribution de dividendesest nécessaire lorsque la rentabilité des projets d'investissement de l'entreprise estinférieure au taux de rendement du marché. La réponse est moins tranchée lorsque larentabilité des projets d'investissement de l'entreprise est supérieure au rendement dumarché ;

• celui de la neutralité de la politique de dividende, c'est-à-dire une absence d'influencesur le cours boursier, soutenue par F. Modigliani et M. Miller (1961), F. Black et M.Scholes (1974), M. Brennan (1971),... Il n'y a pas en faveur de la neutralité de lapolitique de dividende d'apports aussi puissants que ceux de F. Modigliani et M.Miller pour la structure financière. La valeur de l'entreprise est indépendante desdividendes distribués, la seule variable à prendre en compte est sa politiqued'investissement. Celle-ci étant définie, il est indifférent de financer le programmepar diminution des dividendes ou par augmentation du capital, le taux de rendementrequis des nouveaux actionnaires ne peut être supérieur au taux du marché et lesactionnaires anciens ne sont pas lésés. F. Modigliani et M. Miller affirment que leuranalyse demeure acceptable même si certaines imperfections du marché apparaissent.La seule imperfection majeure qui remettrait en cause leur théorie consisterait dans lapréférence systématique des investisseurs pour une distribution de dividendes au lieud'un gain en capital.

10 On pourra voir l'article de synthèse de M. Albouy (1990).

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En dehors des auteurs précédemment cités, plusieurs études ont développé desarguments mettant en évidence le rôle actif du dividende. Parmi ceux-ci, on peut retenir :

• l'incidence du paiement du dividende sur le cours de l'action. Empiriquement, ce faita pu être vérifié dans de nombreux pays. En France, les études de P. Desbriéres(1988), puis celles de J. Hamon et B. Jacquillat (1992) laissent à penser qu'il n'y a pasde neutralité entre le paiement du dividende et la plus-value et qu'a priori le marchépréfère la deuxième possibilité ;

• l'existence d'un effet clientèle qui conduit les actionnaires à rechercher les entreprisessusceptibles de satisfaire un objectif fiscal et amène les entreprises à adopter unepolitique de dividende susceptible de satisfaire leur actionnariat (M. Albouy, 1985 ;M. Albouy et P. Dumontier, 1992) ;

• le contenu informatif du dividende : le dividende serait un vecteur d'informationconcernant la rentabilité future de l'entreprise.

B. Les approches actuelles

Deux conceptions actuelles des décisions financières émergent de façon indiscutable :la signalisation et l'agence.

En finance, les théories de la signalisation ont d'abord été élaborées par H. Leland etD. Pyle (1976) et S. Ross (1977). Pour H. Leland et D. Pyle, la valeur d'une entreprise estpositivement corrélée avec la part de capital détenue par l'actionnaire-dirigeant et elle estde ce fait en liaison statistique avec la structure financière de cette entreprise. Toutemodification du portefeuille du dirigeant vis-à-vis de son entreprise induit un changementdans la perception des flux de liquidité futurs par le marché ; il en résulte une autrepolitique de financement et finalement une autre valeur de l'entreprise.

S. Ross approfondit ce problème et affirme que la structure financière donnée à uneentreprise par ses dirigeants est un signal diffusé par ceux-ci pour caractériser le type deleur entreprise. S. Myers et N. Majluf (1984) ont contribué à renforcer cette théorie enmontrant que l'émission d'actions en numéraire en vue de financer un projetd'investissement est le vecteur d'une information défavorable.

S. Bhattacharya (1979) et Miller et Rock (1985) ont élaboré les premiers modèles designalisation par les dividendes. Ces modèles ont été développés ultérieurement par K.John et J. Williams (1985), F. Easterbrook (1984) s'est attaché à montrer l'impactessentiel des dividendes sur les incitations. Le danger de la destruction des actifsstratégiques et ses conséquences sur la structure financière ont été mis en évidence par Y.Bergman et J. Callen (1990).

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M. Harris et A. Raviv (1991) ont proposé une excellente synthèse des recherchesrelatives au lien entre structure financière et incitations.

En opposition à la théorie du signal, A. Ghosh (1993) interprète la distribution dedividendes à la lumière de la théorie du regret, appliquée au comportement des dirigeantsde l'entreprise. Les dirigeants seraient enclins à adopter des attitudes conventionnelles,c'est-à-dire à verser des dividendes. En effet, c'est en situation d'incertitude que lephénomène de regret, face à une décision qui s'avérerait meilleure a posteriori, est le plusfaible.

La théorie de l'agence, quant à elle, aboutit à une reformulation des conceptionsfinancières classiques, notamment en ce qui concerne la politique d'endettement et lavaleur de la firme.

Trois idées essentielles sont apportées :

• contrairement à la théorie classique qui fait la part belle à l'intérêt général, lesdirigeants et les actionnaires ont chacun des intérêts particuliers. Les accordsfinanciers peuvent modifier, d'une part, la nature de ces intérêts et, d'autre part, lanature des décisions que vont prendre les dirigeants ;

• les dirigeants peuvent posséder plus d'informations relatives aux perspectives de lafirme que les investisseurs. C'est pourquoi les décisions financières qu'ils prennentvont faire varier l'opinion des investisseurs au sujet de l'entreprise et donc le prix desactions ;

• les titres financiers ne représentent pas uniquement les droits sur une partie des gainsnets de la firme. Ils confèrent aussi à leurs détenteurs un certain nombre d'autresdroits. Tout comme dans la théorie des droits de propriété, une combinaison adéquatede ces droits et de ces revenus peut générer des incitations qui engendreront uneaugmentation de la valeur totale de l'entreprise.

A partir de ce cadre, la théorie de l'agence de M.E. Jensen et W.H. Meckling (1976)tend à démontrer qu'il existe un rapport statistique entre la valeur de l'entreprise et sondegré d'endettement. L'endettement présente l'avantage d'obliger les dirigeants àredistribuer le "cash-flow libre" (M.E. Jensen, 1986) aux investisseurs plutôt que de lesconserver pour servir leurs propres intérêts au sein de l'entreprise (R. Stulz, 1990). Ledirigeant est ainsi contraint à une gestion plus drastique. En effet, dans les situations de"cash-flow libre", la distribution de dividendes revêt une grande importance. L.H. Langet R.H. Litzenberger (1989) ont montré que l'augmentation des dividendes, représentantune distribution de "cash-flow libre", entraîne une hausse du cours de l'action biensupérieure à celle qui est provoquée par une hausse aussi importante des dividendes enl'absence de "cash-flow libre". De même, une baisse du dividende, alors qu'existe du

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"cash-flow libre", se traduit par une diminution du cours de l'action plus forte que quandil n'existe pas de "cash-flow" libre.

Par ailleurs, étant donné que les dirigeants disposent de ressources limitées, un hautniveau d'endettement permet de concentrer une plus grande part de la propriété descapitaux propres entre les mains de la direction et les incite à accroître la valeur del'entreprise lorsqu'elle rembourse ses emprunts normalement.

Cet éclairage original suggère une nouvelle représentation de la structure financièreoptimale. L'objectif n'est plus seulement de déterminer les montants respectifs des detteset des capitaux propres, mais encore, sur le plan de la structure de propriété del'entreprise, de fixer les parts de fonds propres détenues respectivement par les dirigeants-actionnaires et par les actionnaires non-dirigeants.

L'endettement entraîne toutefois des coûts d'agence que M. Jensen et W.H. Meckling(1976) répartissent en trois catégories :

• la perte d'opportunité (de valeur ou de richesse) due à l'influence de l'endettement surla politique d'investissement de l'entreprise (S. Myers, 1977) ;

• les dépenses de contrôle engagées par les créanciers et/ou les dépenses d'obligationexposées par l'entreprise (c'est-à-dire par les dirigeants et les actionnaires) en vue deréduire les pertes de valeur grâce notamment à des contrats ;

• les coûts de faillite et de réorganisation.

A partir de la décennie 80, s'est posé avec une acuité particulière le problème del'évaluation des prises de contrôle et la justification des primes de rachat11. H. Manne(1965) a été le premier à souligner l'importance du marché du contrôle d'entreprise dansl'amélioration des performances d'entreprise. M. Jensen (1984, 1988) a été un ardentdéfenseur d'une telle interprétation des rachats d'entreprises. R. Roll (1986) a justifiél'importance des primes de rachat par l'hypothèse d'orgueil des dirigeants. L'analyseformelle a été initialement développée par L. Bedchuck (1988), tandis que S. Grossmanet O. Hart (1980) ont souligné le problème du passager clandestin dans les OPA.

Il n'existe pas à l'heure actuelle de véritable valeur de contrôle autre que la valeurstratégique (G. Hirigoyen, 1997), c'est-à-dire la valeur qu'un investisseur industriel estprêt à payer pour acquérir une entreprise, compte tenu de la projection de ses cash-flowsaugmentés des gains dus à la synergie industrielle ou commerciale résultant durapprochement de cette entreprise avec celle(s) de l'investisseur industriel ou des espoirs

11 Pour une synthèse sur les opérations de rachat, on se reportera au numéro spécial du Journal ofEconomic Perspectives (n°2, hiver 1988) qui regroupe les articles de A. Shleifer et R. Vishny ; M.Jensen ; G. Jarrel, J. Brickley et J. Netter ; F.M. Scherer.

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de rentabilité future. Il convient de rappeler que l'on doit à F. Modigliani et M. Miller(1961,1966) d'avoir été à l'origine de l'approche en termes de valeur stratégique.

Les investisseurs sont ainsi, sans doute, mieux à même d'estimer la valeur à longterme de l'entreprise et leurs activités peuvent contribuer à ce que les cours des actionssoient des estimations plus précises des valeurs fondamentales des entreprises.

Les théoriciens de la finance se sont depuis longtemps penchés sur l'étude desréactions du marché financier aux décisions prises par l'entreprise. Ils ne se sont pascontentés de considérer l'entreprise comme devant faire l'objet d'une seule analyseintrinsèque. La valeur a aussi été appréhendée dans ses relations avec l'équilibre généraldu marché. L'analyse de marché fournit ainsi à l'entreprise une valorisation externe.

1.2.3. La valeur déterminée par l'équilibre du marché

L'entreprise n'est plus l'objet d'une seule analyse intrinsèque, elle est analysée dans sesrelations avec l'équilibre général du marché.

L'étude des réactions aux décisions permet d'estimer, a posteriori certes, l'influence etl'incidence des décisions prises sur la valeur de l'entreprise. Mais, pour préciser la natureet évaluer le risque de chaque entreprise prise isolément, on situe celle-ci dans uneapproche de portefeuille. La valeur de l'action de l'entreprise est appréhendée à travers leportefeuille de valeurs mobilières dont elle fait partie.

La théorie du portefeuille a été ainsi à l'origine d'une novation de la pensée financière.En permettant l'élaboration du Modèle d'Equilibre Des Actifs Financiers (A), elle fournitune explication d'ensemble de mécanismes financiers présentés jusqu'alors de manièreindividuelle. La question posée sera toutefois celle de savoir si les cours des actionsreflètent bien les valeurs fondamentales des entreprises, autrement dit si les marchés sontefficients (B).

A. Le modèle d'équilibre des actifs financiers

En cherchant à faire progresser les techniques de programmation mathématique, H.Markowitz, spécialiste de la recherche opérationnelle, a contribué de façon décisive àl'élaboration de la théorie financière moderne.

C'est dans un article publié en 1952 que la théorie du portefeuille a été envisagée pourla première fois dans un contexte de fonctionnement des marchés de capitaux. L'auteurayant par la suite développé ses idées dans un ouvrage publié en 1959.

Jusqu'à cette date, on ne dispose guère que de l'ouvrage pionnier de Graham-Dodd,édité en 1951, qui ne peut véritablement être qualifié de scientifique et surtout qui nepermet pas de mettre en oeuvre un modèle de décision qui tienne compte du caractère

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hautement combinatoire de la gestion de portefeuille. L'apport essentiel de H. Markowitzest d'avoir pris en compte systématiquement la "co-variation" des prix de la grandemajorité des actifs financiers. L'investisseur rationnel qui cherche à maximiserl'espérance d'utilité procurée par les revenus de son portefeuille s'intéresse à la moyenneet à la variance de ce portefeuille, cette dernière étant liée à la loi de covariance moyenne.

Les travaux de H. Markowitz trouvent leur filiation d'une part, dans l'apport historiquede D. Bernouilli en 1738 qui exposait dans son "Specimen Theoriae Novae de MensuraSortis" le problème fameux connu sous le nom de "paradoxe de Saint Petersbourg" :l'attitude vis-à-vis du risque de l'agent économique détermine la forme de sa fonctiond'utilité de la fortune. Dans tous les cas où le preneur de décision n'est pas indifférent aurisque, le seul critère de décision correct est celui de l'espérance morale ou espérancemathématique de l'utilité des conséquences de ses actions. D'autre part, dans leparadigme de rationalité de Von Neumann et O. Morgenstern (1944).

Le modèle de Markowitz a été simplifié par plusieurs auteurs, notamment par W.Sharpe et J. Lintner.

W. Sharpe a proposé un modèle dans lequel les covariances des titres sont remplacéespar la liaison du taux de rentabilité de chaque action avec un indice de marché ; cemodèle est appelé modèle de marché. Deux versions en furent proposées, l'une en 1963connue sous le nom de modèle diagonal, l'autre améliorée proposée en 1967 etdénommée modèle linéaire.

Le modèle de marché permet de mettre en évidence le risque total de l'entreprise etnotamment sa composante essentielle : le risque systématique ou risque de marché. Cerisque est égal au produit du bêta du titre par l'écart-type du taux de rentabilité dumarché. Ce risque est un risque non-diversifiable car un investisseur ne peut l'éliminer,même en diversifiant son portefeuille.

Le modèle d'équilibre des actifs financiers (MEDAF) est un prolongement du modèlede marché. Le MEDAF est issu des travaux de W. Sharpe, F. Black, E. Fama, et Linter-Mossin. Il décrit le processus selon lequel s'instaure un équilibre général du marché descapitaux ; celui-ci ne se limite pas à une vision macro-économique mais définit en mêmetemps la position d'équilibre de chaque entreprise caractérisée par son espérance derentabilité et son risque.

Le MEDAF offre ainsi une explication intégrée des problèmes financiers étudiésisolément jusqu'alors. Comme l'écrit très justement Rubinstein (1973), "dans les annéesrécentes, l'élaboration de la théorie du portefeuille a mis en pièces les divisionstraditionnelles de la finance, ce qui a toujours été souhaitable est maintenant devenupossible : l'évaluation des actions, les décisions d'accroissement des actifs et lespolitiques de structure du capital sont devenues des conséquences des modèles d'équilibredu marché, sous hypothèse d'incertitude".

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Le MEDAF apporte ainsi une réponse aux questions de l'influence des décisionsfinancières sur la valeur de l'entreprise et du coût des capitaux propres pour une structurefinancière donnée.

R.H. Hamada (1969) a démontré que, dans une situation d'équilibre, la valeur del'entreprise est indépendante de sa structure financière ; il confirme ainsi la thèse de F.Modigliani et M. Miller en l'absence comme en présence d'impôt. Le MEDAF permetaussi de valider la proposition de F. Modigliani et M. Miller selon laquelle le taux decapitalisation des capitaux propres croît linéairement avec le levier d'endettement (dettessur capitaux propres).

Pour tester le réalisme du MEDAF, c'est-à-dire son pouvoir explicatif des phénomènesobservés sur les marchés financiers, de nombreuses études empiriques ont été réalisées :M. Blume (1971 et 1975), F. Black, M. Jensen et M. Scholes (1972), R. Roll (1977) etplus récemment E. Fama et K. French (1992). Les résultats de ces études sont pour laplupart très décevants et montrent que la relation entre le bêta et la rentabilité n'est pasvérifiée aux Etats-Unis. Ce qui ne signifie pas pour autant que le MEDAF soit unethéorie non-valide, mais pratiquement impossible à tester rigoureusement. "La théorie duMEDAF nécessite un véritable indice de marché qui soit efficient dans le sens de lathéorie de H. Markowitz, c'est-à-dire d'avoir une variance minimum pour un rendementattendu" (R. Roll, 1988).

D. Breeden (1979) a développé une extension importante du MEDAF à la suite decritiques de ce modèle.

S. Ross l'a généralisé en 1976. Son modèle d'évaluation par arbitrage (MEA ou"Arbitrage Pricing Theory" - APT) est fondé sur l'hypothèse que les returns des titres sontdes fonctions linéaires non pas d'un seul facteur mais de plusieurs. Les tests empiriquesfournissent pour la plupart de meilleurs résultats que ceux effectués pour le MEDAF(Voir par exemple R. Roll et S. Ross, 1980 ; Chen, R. Roll et S. Ross, 1983).

L'APT devait lui-même faire l'objet d'une extension à l'environnement internationalpar B. Solnik en 1974 qui a élaboré un "International Asset Pricing Model". On verraaussi sur ces questions M. Adler et B. Dumas (1983) et P. Fontaine (1988).

Le MEDAF se fonde sur la notion de taux de rentabilité anticipé. La question se posealors de savoir quelles anticipations doit-on utiliser lors de l'application du modèle ? Cequ'un investisseur anticipe dépend de ce qu'il sait. Dès lors, il est très important de savoirsi les cours des actions reflétant les valeurs fondamentales des entreprises.

L'interrogation peut se scinder en deux : quelles informations le marché utilise pourévaluer les entreprises et avec quel degré de précision utilise-t'il ces informations ? Lesréponses soulèvent la question centrale de l'efficience des marchés.

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B. L'efficience des marchés

Très tôt l'étude de l'efficience des marchés a retenu l'attention des analystes. Dès 1900,L. Bachelier testa l'hypothèse selon laquelle l'espérance mathématique des profits pour uninvestisseur devait être nulle, c'est-à-dire que les variations des cours de bourse desactions correspondent à un mouvement aléatoire.

"Les influences qui déterminent les mouvements de la bourse sont innombrables : lesévénements passés, actuels et même escomptables ne présentant souvent aucun rapportavec les variations, se répercutent sur son cours. A côté des causes, en quelque sortenaturelles des variations, interviennent aussi des causes factices : la bourse agit sur elle-même et le mouvement actuel est fonction non seulement des mouvements antérieurs,mais aussi de la position de la place. La détermination de ces mouvements se subordonneà un nombre infini de facteurs : il est, dès lors, impossible d'en espérer la prévisionmathématique. Les opinions relatives à ces variations se partagent si bien qu'au mêmeinstant, les acheteurs se croient à la hausse et les vendeurs à la baisse".

L. Bachelier apparaît ainsi comme le précurseur de l'hypothèse théorique connue sousle nom de "marche au hasard" (ou random walk). Beaucoup d'autres travaux suivirentémanant notamment des statisticiens. Parmi ceux-ci, il convient de citer ceux de Cowles(1933), Working (1934), Kendall (1953) et Osborne (1959 et 1962) ; ces deux derniersauteurs soutenant que les variations des prix des titres étaient statistiquementindépendantes d'une période à l'autre. En d'autres termes, les prix suivaient "une marcheau hasard". P. Samuelson (1965) a fourni les fondements théoriques de l'hypothèsed'efficience des marchés mais, c'est à E. Fama qu'il revient d'avoir formulé de manièreprécise en 1965 la théorie de la marche au hasard des prix spéculatifs et d'avoir montréque le prix pratiqué pour un actif financier sur un marché efficient reflète, à tout moment,sa valeur intrinsèque :

"Sur un marché efficient la concurrence que se livrent un grand nombre d'opérateursintelligents crée une situation dans laquelle, à chaque moment, les prix des différentesvaleurs reflètent les effets de l'information fondée, d'une part, sur des événements qui sesont déjà produits et, d'autre part, sur des événements que le marché s'attend à voir seproduire dans le futur. En d'autres termes, le prix pratiqué pour un actif financier sur unmarché efficient est, à tout moment, une bonne estimation de sa valeur intrinsèque".

E. Fama a défini, dans son article de 1970, trois types de forme d'efficienceinformationnelle auxquels correspondent des tests spécifiques: la forme faible, la formesemi-forte ou événementielle et la forme forte. La forme faible indique que les prixpassés ne contiennent pas d'informations qui peuvent être utilisées pour prédire lesvariations de prix dans le futur. La forme semi-forte indique que l'information publiquene peut pas être utilisée pour prédire les variations de prix. Enfin, la forme forte indique

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que même les informations confidentielles ne peuvent pas servir à la prédiction desvariables des cours futurs12.

Selon la forme forte de l'hypothèse d'efficience, la maximisation de la valeurfondamentale de l'entreprise pour les actionnaires correspond à la maximisation de lavaleur des actions de l'entreprise. Cela est dû au fait que la réaction du marché auxstratégies et événements incorpera les meilleures estimations possibles de la valeur crééeou détruite qui pourront être établies à partir de l'information aisément disponible. Destravaux théoriques plus récents soulignent que les mêmes conclusions ne peuvent pas êtredéduites des formes faible et semi-forte. En particulier, même si les marchés utilisentparfaitement toute l'information publique pour faire les bonnes prévisions, cetteinformation reflétera plutôt les efforts fournis pour les revenus à court terme que ceux àlong terme. En conséquence, les dirigeants dont le salaire ou la sécurité de l'emploidépend des cours des actions peuvent être incités à négliger le long terme pour privilégierles mesures de performance à court terme.

Les critiques de l'hypothèse d'efficience ont débuté avec la publication en 1981 dedeux articles empiriques de S.F. Leroy et R.D. Porter (1981) et R.J. Shiller (1981). Cesarticles tendaient à démontrer que les variations des cours sont trop importantes pourn'être que le reflet des modifications des anticipations sur les dividendes futurs. En 1988,E. Fama et K. French réalisent des analyses statistiques des mouvements à long terme descours qui indiquent des corrélations négatives importantes des cours sur des périodes detrois à cinq ans, ce qui contredit les versions initiales de la théorie utilisées dans lesprécédentes analyses empiriques.

D'autres études économétriques indiquent que la forme faible de l'hypothèsed'efficience n'est pas toujours cohérente avec les études empiriques, mais que les écartsne sont pas assez importants pour les rejeter en bloc (N.G. Mankiw, D. Romer et M.Shapiro, 1991).

Les articles parus en 1990 dans le "Journal of Economic Perspectives, Symposium onbubbles" soutiennent la possibilité et les implications de déviations systématiques del'efficience des marchés13.

En 1991, E. Fama donnait une suite à son article de 1970 dans laquelle il précise que,si l'on tient compte du niveau non négligeable des coûts d'information et de transaction, ilest difficile d'affirmer que sur un marché efficient les prix reflétent toute l'informationdisponible.

12 On rencontre dans la littérature financière d'autres définitions de l'efficience des marchésfinanciers. On retiendra ainsi S.J. Grossman et J.E. Stiglitz (1980), M. Jensen (1978) et M.Rubinstein (1975).13 Voir par exemple l'article de A. Shleifer et L. Summers (1990) et pour une présentation R.Cobbaut (1997), 293-304.

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L'histoire retracée de la valeur en finance fait apparaître la lente intégration del'ensemble des partenaires de la firme aux côtés des seuls actionnaires. Cetenrichissement progressif de la théorie financière est dû à l'apport de la théorie desorganisations. L'introduction de contraintes externes à la finance a modifié la conceptionde l'entreprise : d'une firme conçue comme une "boîte noire", on est passé à une firme denature contractuelle, et c'est à la création de valeur que l'on doit d'avoir synthétisé cetteévolution. Est-ce là la fin de l'histoire ou l'histoire continue-t'elle sa marche ?

2. LA VALEUR : LA FIN DE L'HISTOIRE OU L'HISTOIRE EN MARCHE ?

La démarche fondée sur la création de valeur connaît aujourd'hui un tel engouementque l'on est en droit de se demander si l'on n'a pas atteint "la fin de l'histoire" dans lecadre d'un nouvel ordre stratégique mondial (2.1.). Cependant, déjà, l'histoire se remet enmarche et de nouvelles questions et, peut être, de nouvelles réponses apparaissent (2.2.).

2.1. La fin de l'histoire : l'affirmation de l'approche par la création de valeur

Conçue à l'origine comme un instrument d'évaluation financière des entreprises, ladémarche fondée sur la création de valeur s'est peu à peu éloignée de cette optiquerestrictive pour devenir un guide normatif de la gestion des entreprises. En effet, selonleurs propres assertions, les entreprises n'affichent plus actuellement qu'un objectifunique et totalisant la création de valeur pour leurs actionnaires14 annihilant tout débatpotentiel et contradictoire. Aussi, la réflexion porte aujourd'hui plus sur les moyens(2.1.1.) et sur le cadre institutionnel (2.1.2.) de la réalisation de cet objectif que sur lamesure en elle-même15.

2.1.1. Les moyens de la création de valeur : les décisions de gestion

Les recherches menées dans ce domaine sont destinées à mettre en évidence lesleviers de la création de valeur au sein de l'entreprise. On distingue deux types principauxde leviers, les leviers stratégiques, d'une part, et les leviers financiers, d'autre part.

A. Les leviers stratégiques

De façon globale, A. Rappaport (1987) a proposé une modélisation systématique dulien entre l'avantage concurrentiel et la création de valeur fondée sur les travaux de M.E.Porter (1986).

14 Selon une enquête de janvier 1995 de Bossard Consultants auprès d'une quarantained'entreprises françaises, 75 % des dirigeants font de la croissance de la valeur leur principalobjectif.15 Les développements qui suivent sont largement inspirés des chapitres III et IV de l'ouvrage "Lacréation de valeur de l'entreprise" de J. Caby et G. Hirigoyen (1997).

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Cette modélisation montre non seulement que la création de valeur résulte directementdes choix stratégiques de l'entreprise (attrait du secteur, position concurrentielle, avantageconcurrentiel privilégié), mais aussi que des leviers de création de valeur (taux decroissance du chiffre d'affaires, marge opérationnelle, investissement en BFR,investissement en immobilisations, coût du capital) peuvent être activés afin d'optimiserla gestion de l'entreprise. En effet, les flux de cash flows générés par l'entreprisedépendent de la qualité de l'utilisation de ces leviers, indépendamment de la nature del'avantage concurrentiel.

Ainsi, la création de valeur peut devenir un guide pour les choix des secteursd'activités à recommander, des positions et des avantages concurrentiels à rechercher, despolitiques fonctionnels à optimiser.

Le choix du mode de croissance (interne ou externe) peut, à son tour être apprécié enfonction de la création de valeur.

Pour ce qui concerne la croissance interne, de nombreuses recherches ont clairementétabli que la valeur de marché de l'entreprise est favorablement influencée par :

• les investissements en immobilisations (J. McConnel et C.J. Muscarella, 1985) ;

• les dépenses en recherche et développement (T. Copeland, T. Koller et S. Murrin,1994 ; S. Chan, J. Kensiguer et J. Martin, 1992 ; K.W. Chauvin et M. Hirshey, 1993 ;des résultats plus contrastés s'observent chez M.L. José, L.M. Nichols et J.L. Stevens,1986) ;

• et de façon générale, par des investissements de nature stratégique ayant une portée àplus long terme (J.R. Woodbridge, 1988 ; J.R. Woodbridge et C.C. Snow, 1990 ;R.E. Hoskinson, J.S. Harrison et D.A. Dubofsky, 1991).

Il convient de rappeler qu'en certaines circonstances l'application stricte de critèresfinanciers, comme la valeur actuelle des cash-flows, peut mener au rejet de projets ayantune grande valeur stratégique (R.C. Hayes et S.C. Wheelwrigh, 1984). Certains projetsdoivent donc être évalués non seulement selon leur taux de rendement au regard du coûtdu capital mais aussi selon les coûts et les risques stratégiques auxquels s'exposel'entreprise si elle n'effectue pas de tels investissements (C.Y. Baldwin et K.B. Clark,1992).

Les décisions d'acquisition, quant à elles, constituent un champ d'étude par excellencepour une appréciation de l'efficacité de décisions stratégiques en termes de création ou dedestruction de valeur. En effet, les acquisitions n'ont de signification que parce qu'ellespermettent la conquête de parts de marché et la création de synergies, c'est-à-direl'amélioration des résultats des activités existantes ou acquises.

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Il est de ce fait normal que de très nombreuses études aient cherché à validerempiriquement le lien existant entre la performance des O.P.A. et les stratégies mises enœ u vre (A. Couret et G. Hirigoyen , 1992 ; J. Caby, 1994). La plupart des résultatsobtenus au cours de ces dernières années montrent que les performances anormalesréalisées par les sociétés acquéreuses varient entre le négatif et le faiblement positif. Danstous les cas, même lorsqu'elles sont positives, elles sont très nettement inférieures à cellesréalisées par les cibles. Autrement dit, les performances anormales réalisées tendent àindiquer que la stratégie d'acquisition profite davantage aux actionnaires de la sociétécible pour lesquels elle crée de la valeur qu'à ceux de la société acquéreuse.

Les résultats les plus embarrassants sont toutefois ceux de R. Roll (1986), K.L.Fowler et D.R. Schmidt (1989), et S. Sudarsanam, P. Holl et A. Salami (1993) quiattestent d'une anticipation de synergies négatives, le plus souvent accompagnées, du faitdes primes offertes, d'un transfert de richesse au détriment des actionnaires desentreprises acquéreuses.

A contrario, pour ce qui concerne les opérations de décroissance externe, P. Sentis(1995) trouve une réaction au cours des actions significativement positive pour unéchantillon de 71 désinvestissements d'entreprises françaises sur la période 1988 à 1991.Ces opérations sont fréquemment inspirées par la démarche de la création de valeur qu'ils'agisse de recentrage stratégique, de cessions d'immobilisations ou de cessions departicipations.

B. Les leviers financiers

Plusieurs types de leviers financiers existent pour accroître la valeur actionnariale.Parmi ceux-ci on peut retenir : les offres publiques de rachat d'actions et la gestion desrisques des prix financiers.

Les rachats de leurs propres actions par les sociétés sont des opérations très courantesaux Etats-Unis et au Royaume-Uni (K. Feghali, 1996) et qui tendent à s'amplifier enEurope Continentale , notamment en France, depuis que le souci de la valeuractionnariale trouve un écho chez les dirigeants.

L'offre publique de rachat de leurs propres actions par les sociétés est un élémentintéressant de la stratégie financière de certains groupes industriels. Elle est à la sourced'une importante flexibilité recherchée par les dirigeants pour établir une structurerationnelle du capital permettant l'accroissement de la valeur actionnariale. Comme a pule résumer fort justement C.D. Ellis (1965), le principal objectif de la stratégie de rachatest de déterminer la taille et la formation du capital pour maximiser l'intérêt à long termedes actionnaires mesuré par la richesse (valeur de l'action sur le marché) et par larentabilité (dividende par action).

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De la même façon, la gestion des risques des prix financiers permet d'accroître lavaleur actionnariale. Les prix financiers sont définis par C.H. Smithson, C.W. Smith Jr etD.S. Wilford (1995) comme étant les taux d'intérêt, les prix des devises et les prix desmatières premières. Les entreprises consacrent des efforts à développer des stratégiesd'immunisation des risques. Ces efforts restent cependant encore limités (A. Couret, J.Devèze et G. Hirigoyen, 1996 ; D.R. Lessard, 1995). Pourtant, bon nombre d'auteurs (A.Barnea, R.A. Haugen et L.W. Senbet, 1985 ; A. Shapiro et S. Titman, 1985 ; C.W. Smithet R. Stulz, 1985) montrent clairement qu'une stratégie d'immunisation des risquespermet de maximiser la richesse des actionnaires.

Pour gérer les risques des prix financiers, l'entreprise peut utiliser des moyens"comptabilisables". Ainsi, pour le risque de change, elle peut réaliser des emprunts dansla devise du client ou encore délocaliser des unités de production à l'étranger. Une autresolution consiste à utiliser des instruments "hors-bilan" : contrats à terme bancaires,contrats à terme boursiers, swaps et options.

La gestion du risque se fait par un processus d'arbitrage entre les coûts des outils, lespolitiques de réduction des risques et les bénéfices que cela rapporte en termes de coûtd'opportunité. La gestion des risques permet de réduire la volatilité des cash-flows (avantimpôts) et, en conséquence, la volatilité de la valeur de l'entreprise. Cette gestion permetaussi de limiter la probabilité du risque de défaillance. La question qui se pose esttoutefois celle de savoir comment la couverture des risques a un impact sur les cash-flows réels d'une entreprise.

La considération première pour une stratégie de couverture des risques est d'accroîtrela valeur de la richesse des actionnaires en évitant les coûts de faillite (S.W. Rawls III etC.H. Smithson, 1993). Lorsqu'une entreprise est détenue par des propriétaires nedisposant pas d'un portefeuille d'investissements diversifiés (propriétaire unique, petiteentreprise familiale ...), la gestion des risques permet d'accroître la valeur de l'entreprise,pour ces propriétaires, par la réduction du risque spécifique ou du risque diversifiable.

Si les leviers financiers et stratégiques, en tant qu'instrument de la gestion desentreprises, affectent la valeur de l'entreprise, le cadre institutionnel de ces décisions degestion est aussi déterminant.

2.1.2. Le cadre institutionnel de la création de valeur : la gouvernance d'entreprise

La gouvernance d'entreprise, traduction de corporate governance, est constituée duréseau de relations liant plusieurs parties dans le cadre de la détermination de la stratégieet de la performance de l'entreprise. Ces parties sont, d'une part, les actionnaires, lesdirigeants et le conseil d'administration, d'autre part, les clients, les fournisseurs, lesbanquiers et la communauté (R.A.G. Monks et N. Minow, 1995).

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Le concept de gouvernance d'entreprise renvoie directement à l'influence desdécisions stratégiques sur la création de valeur. Dans la mesure où la politique généralede l'entreprise est principalement déterminée par ses dirigeants, la maximisation de lavaleur est placée sous leur responsabilité. Le rôle assigné à la gouvernance d'entrepriseest alors, à l'aide de leviers incitatifs et de mécanismes de contrôle, d'aligner lecomportement des dirigeants sur le critère de maximisation de la richesse desactionnaires.

A. La place des dirigeants au sein du processus de création de valeur

La théorie de l'agence considère que les dirigeants sont les agents des actionnaires ausein de l'entreprise et qu'ils ont vocation à gérer l'entreprise dans le sens de l'intérêt desactionnaires (S.A. Ross, 1973 et M.C. Jensen et W.H. Meckling, 1976). Or, les dirigeantset les actionnaires possèdent des fonctions d'utilité différentes et agissent de façon àmaximiser leurs utilités respectives (S.A. Ross, 1973). Le conflit d'agence induit par ceconstat conduit à l'hypothèse d'un opportunisme des dirigeants qui peut se concrétiser dediverses manières :

• La recherche de la croissance (le managérialisme) : la rémunération des dirigeantsdépend souvent de la taille des entreprises car, en pratique, ce sont habituellementdes enquêtes de salaire fondées sur le lien entre la taille et la rémunération quiservent de base à la détermination de la rémunération des dirigeants (G.P. Baker,M.C. Jensen et K.J. Murphy, 1988). Ils sont alors incités à favoriser la croissance(interne comme externe) même au détriment de la création de richesse.

• La diversification : elle peut être le symptôme d'un conflit entre les actionnaires et lesdirigeants. En effet, si les actionnaires peuvent facilement diversifier le risque de leurportefeuille, il n'en est pas de même pour les dirigeants qui ont investi tout leurcapital humain dans l'entreprise. Ces derniers peuvent de la sorte être amenés àdiversifier en contradiction avec l'intérêt des actionnaires (Y. Amihud et B. Lev,1981). De ce fait, les acquisitions sont d'autant plus diversifiées que la richesse desdirigeants est investie dans l'entreprise et les dirigeants spécialistes d'une technologietendent à adopter des stratégies de spécialisation sauf si les bénéfices personnels de ladiversification excédent ceux de la spécialisation (D.O. May, 1995).

• La position charnière des dirigeants : ils sont à la fois les représentants desactionnaires, chargés de défendre leurs intérêts, et les supérieurs des employés. Cetarbitrage pose des problèmes de motivation. Même dans le cadre de la théorienéoclassique de maximisation de la valeur, il est très probable que, sauf incitationspécuniaires suffisantes, les dirigeants soient uniquement tentés de privilégier lesexigences des salariés (C.H. d'Arcimoles, 1995).

• L'enracinement des dirigeants : cette thèse soutient que les dirigeants qui possèdentune majorité solide du capital échappent à tout contrôle et peuvent ainsi gérer dans

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une optique contraire à la maximisation de valeur, l'enracinement des dirigeantspouvant se faire à l'aide des techniques de l'ingénierie financière lorsque le dirigeantne dispose pas de la surface financière suffisante. A. Shleifer et R.W. Vishny (1989)ont proposé une autre conception de l'enracinement des dirigeants par la réalisationd'investissements spécifiques qui rendent coûteux leur remplacement et leurpermettent d'obtenir des rémunérations plus élevées, de plus grands avantages et plusde latitude pour déterminer la stratégie de l'entreprise. Deux perspectives alternativessur l'enracinement des dirigeants peuvent être évoquées (M. Paquerot, 1995). Uneperspective favorable : la réalisation par les dirigeants d'investissements spécifiques àleurs compétences va leur permettre de dégager des rentes dont les actionnaires et lesdifférents partenaires de la firme seront indirectement bénéficiaires (R.P. Castanias etC.E. Helfat, 1992). Une perspective mixte : l'enracinement des dirigeants leur permetde se concentrer sur le long terme et de se dégager des pressions à court termeexercées par le marché des actions.

Afin de lutter contre ces déviations, la gouvernance d'entreprise met en jeu des leviersd'alignement du comportement des dirigeants.

B. Les leviers d'alignement du comportement des dirigeants sur le critère demaximisation de la valeur

Dès lors que la théorie de l'agence considère la firme comme une fiction légale servantde nœud pour un ensemble de relations contractuelles interindividuelles (M.C. Jensen etW.H. Meckling, 1976), on peut l'appréhender comme un système d'incitation où ledirigeant joue un rôle charnière.

On peut distinguer deux types d'incitations induites par la théorie de l'agence, lesincitations financières et les mécanismes de contrôle.

Les incitations financières sont destinées à lier la rémunération des dirigeants(récompenses) à la performance de l'entreprise (l'augmentation de la richesse desactionnaires). "Il y a de nombreux mécanismes par lesquels la politique de rémunération(des dirigeants) peut procurer des incitations à la création de valeur pour les actionnaires,tels que des bonus et des révisions de salaire basés sur la performance, des stock-options,et des décisions de licenciement basés sur la performance"(M.C. Jensen et K.J. Murphy,1990). Par ailleurs, la détention d'actions par les dirigeants constitue une incitationfinancière forte, le patrimoine de ces derniers dépendant directement de la valorisation del'action16.

16 H. Leland et D. Pyle (1977) montrent que dans une économie caractérisée par une asymétried'information entre les dirigeants et les actionnaires, la part du capital détenu par le dirigeantsignale la qualité des projets d'investissement. Ils parviennent ici aux mêmes conclusions queM.C. Jensen et W.H. Meckling (1976) qui supposent une corrélation positive entre les droits depropriété possédés par les dirigeants et la valeur de la société.

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Selon S.F. O'Byrne (1995), la rémunération des dirigeants doit, si elle souhaite lesinciter à diriger l'entreprise dans un but de maximisation, parvenir à arbitrer entre quatrecontraintes :

• l'alignement de la fonction d'utilité des dirigeants sur la maximisation de la valeur del'entreprise ;

• le levier pour inciter les dirigeants à prendre des décisions douloureuses(licenciements, fermetures, ...) afin de maximiser la valeur ;

• le maintien, c'est-à-dire l'apport d'une rémunération suffisante pour retenir lesdirigeants dans les périodes difficiles ;

• la réduction du coût pour les actionnaires en limitant la rémunération des dirigeants àdes niveaux qui permettent la maximisation.

Ce système, et plus particulièrement ses deux dernières modalités, conduit à assureraux dirigeants un niveau de rémunération trop prévisible dans la mesure où il y a desfreins à la baisse comme à la hausse des salaires. En définitive, une faible part de larémunération est réellement risquée. C'est pourquoi rien ne peut remplacer laparticipation réelle au capital.

Cependant, la mise en place d'incitations financières destinées à aligner l'intérêt desdirigeants et des actionnaires peut produire des résultats contre-productifs. En effet,l'accumulation avec le temps d'actions d'une entreprise peut conduire à une aversion aurisque des dirigeants et à un non-alignement des incitations à la prise de risque (Y.Amihud et B. Lev, 1981 ; D.O. May, 1995).

La plupart des études empiriques concluent à l'existence d'un lien positif entre larémunération des dirigeants et la performance de l'entreprise, mais, certains auteurssoulignent la faiblesse de ce lien. M.C. Jensen et K.J. Murphy (1990) attribuent ceconstat aux forces publiques et privées qui encadrent le salaire à la hausse comme à labaisse, seule une part réduite de la rémunération étant véritablement soumise à lavariabilité et au risque.

En complément des incitations financières, les actionnaires disposent aussi demécanismes plus coercitifs de contrôle pour aligner le comportement des dirigeants surl'objectif de maximisation de la création de valeur.

• la géographie du capital

Le contrôle des actionnaires s'exerce au travers du droit de vote (c'est même, a priori,le premier mode de contrôle). G. Charreaux (1991) a détecté trois conceptionsprincipales quant à la liaison entre la performance et la structure de propriété/géographie

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du capital qui semblent s'affronter : la thèse de la convergence des intérêts (plus lepourcentage détenu par les dirigeants est important, plus l'écart par rapport à l'objectif demaximisation de la valeur est faible ; M.C. Jensen et W.H. Meckling, 1976), la thèse dela neutralité (toutes les structures sont équivalentes, la concentration de l'actionnariatvariant de telle sorte que cela favorise la maximisation de la valeur ; H. Demsetz, 1983)et la thèse de l'enracinement des dirigeants.

Si l'on fait abstraction du problème de la participation des dirigeants au capital del'entreprise, on peut avancer que les entreprises qui ont un capital peu concentré laissentune marge de man œ uvre appréciable aux dirigeants (on parlera d'entreprisesmanagériales) et qu'à l'inverse les entreprises au capital fortement concentré induisent uncontrôle important des actionnaires sur les dirigeants (on parlera d'entreprisescontrôlées)17.

Comme le souligne H. Short (1994) dans une excellente revue de la littérature, lesnombreuses recherches empiriques consacrées à cette relation n'ont pu parvenir à mettreen évidence un lien clair entre la géographie du capital et la performance. J. Cubbin et D.Leech (1983) considèrent, à ce propos, que l'influence de la géographie du capital ne peutêtre sérieusement prise en considération que si l'on intègre la capacité des actionnaires àagir sur les décisions, c'est-à-dire, principalement, la représentation au conseild'administration.

17 La concentration de l'actionnariat varie de telle sorte que cela favorise la maximisation de lavaleur.

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• Le conseil d'administration

E.F. Fama (1980) ainsi que E.F. Fama et M.C. Jensen (1983) attribuent deux fonctionsprincipales au conseil d'administration, évaluer et ratifier les décisions d'investissement àlong terme, d'une part, et contrôler la performance des principaux dirigeants, d'autre part.Des conclusions similaires figurent dans le célèbre "Rapport Cadbury" publié auRoyaume-Uni en 1992 sur la gouvernance des entreprises.

En conséquence, la composition et la structuration du conseil d'administration sontd'une grande importance. E.F. Fama (1980) a suggéré d'inclure des administrateursexternes (Au sens où ils n'exercent pas de fonctions managériales dans l'entreprise) afind'améliorer l'indépendance et incidemment la qualité du contrôle18. Cette hypothèse adepuis fait l'objet de contestations du fait de résultats empiriques décevants et surtoutd'hypothèses théoriques alternatives : les administrateurs internes sont mieux à même dejuger la qualité de la performance, les administrateurs internes sont plus aptes autraitement des questions stratégiques (A. Klein, 1995), les administrateurs externes sontdésignés par le PDG dans la pratique et, en conséquence, inféodé à lui (J. Pfeffer, 1972),les participations croisées de PDG dans leurs conseils d'administrations respectifsréduisent l'indépendance de leur jugement (K. Hallock, 1995) ...

• La politique d'endettement

Le financement de la croissance des entreprises par la dette (plutôt que par l'appel auxactionnaires) permet de réduire les coûts d'agence (M.C. Jensen et W.H. Meckling,1976). La dette motive efficacement les dirigeants à tenir leurs obligations vis à vis desprêteurs à la différence des dividendes pour leurs actionnaires. C'est pourquoi enprésence de "free cash-flow", celui-ci doit être distribué aux actionnaires si la firmesouhaite être efficace et maximiser la richesse des actionnaires (M.C. Jensen, 1986). Lepaiement monétaire aux actionnaires réduit les ressources contrôlées par les managers et,donc, leur pouvoir ; elle les soumet aussi objectivement au contrôle du marché lorsqu'ilsveulent financer de nouveaux investissements.

• Le marché financier

Tout d'abord, le marché financier intervient comme un mécanisme de contrôle dans lamesure où les actionnaires mécontents peuvent se défaire de leurs titres en entraînantainsi une baisse. Celle-ci induit une diminution de la rémunération des dirigeants s'ilexiste une indexation et rend plus difficile l'appel au marché pour se financer. Ensuite, lemarché financier intervient sous la forme du marché du "contrôle des sociétés" (M.C.

18 Cependant, les administrateurs internes peuvent aussi avoir une influence positive sur laperformance car ils ont accès à des informations plus riches et plus fines reposant sur des critèressubjectifs relatifs qui tiennent compte de la position de la firme et de l'influence de sonenvironnement et qui sont pertinents pour évaluer la performance des dirigeants et le bien-fondédes initiatives stratégiques (L. Godard, 1996).

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Jensen et R.S. Ruback, 1983). En effet, si les objectifs stratégiques choisis par lesdirigeants ne satisfont pas à la contrainte de maximisation de la richesse, un conflitd'intérêt apparaît entre les dirigeants et les actionnaires qui peut être résolu grâce à uninstrument coercitif : la menace puis l'exécution d'une prise de contrôle externe qui induitune modification des contrats fondamentaux; c'est-à-dire, pour les dirigeants un risque derévocation à l'issue de la prise de contrôle.

• Le marché du travail

Les participants individuels de la firme, en particulier les dirigeants, font face à ladiscipline et aux opportunités proposées par le marché du travail pour leurs services tantà l'intérieur qu'à l'extérieur de la firme (E.F. Fama, 1980). S'il n'existe pas d'indexation dela rémunération sur la performance, les meilleurs d'entre eux seront amenés à partir.Inversement, si les dirigeants ne sont pas performants, ils pourront être remplacés, soitpar des individus issus de l'entreprise (marché du travail interne), soit par des individusexternes à l'entreprise (marché du travail externe). Le marché du travail est ainsi uninstrument de discipline qui s'exerce sur les dirigeants.

• La concurrence des autres firmes (le marché des biens et services)

La firme et, a fortiori, les dirigeants sont disciplinés par la concurrence des autresfirmes (E.F. Fama, 1980). En effet, si les dirigeants opèrent des prélèvements tropimportants, il en résulte une hausse des prix et, de façon concomitante, une perte decompétitivité qui conduit à des rajustements en sens inverse (H. Demsetz, 1983).

L'affirmation de l'approche par la création de valeur exposée précédemment estindéniable. D'une part, elle conduit à mettre en place un système institutionnel degouvernance destiné à contrôler le comportement opportuniste du dirigeant ; d'autre part,elle offre un guide normatif de lecture des décisions des dirigeants. L'observation de lapratique récente des entreprises, notamment en France, permet de se rendre compte deson influence, chaque jour apportant son lot d'illustrations, qu'il s'agisse de décisions degestion ou de l'introduction d'instruments de gouvernance. Mais, n'est-ce pas au momentoù la valeur est au faîte de sa gloire qu'elle doit de nouveau se remettre en question ?

2.2. L'histoire en marche : la remise en question de l'approche par la création de valeur

L'odyssée tumultueuse de la valeur esquissée au cours des pages précédentes pourraitnous faire croire que le récit s'achève. Mais, déjà, l'histoire se remet en marche, lescontradictions surgissent, de nouvelles questions et, peut être, de nouvelles réponsesapparaissent.

Après être passé de la maximisation du profit de la firme conçue comme une "boîtenoire" à la maximisation de la valeur actionnariale de la firme contractuelle, assistons-nous aux prémisses d'un nouveau déplacement théorique vers la maximisation de lavaleur totale de la firme partenariale ?

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Cette nouvelle démarche théorique suppose que l'on sacrifie de nombreux présupposéscritiques dans l'optique précédente. Ainsi, au primat des shareholders (actionnaires)succède celui des stakeholders (2.2.1) et à l'allocation des ressources financières,l'allocation des ressources humaines (2.2.2).

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2.2.1. Du primat des shareholders au primat des stakeholders

L'optique habituelle retenue par la maximisation de la valeur actionnariale estexprimée sans ambiguïté par G.B Stewart (1994) du cabinet Stern-Stewart : "La financed'entreprise et la théorie microéconomique nous indiquent que le premier objectiffinancier est de maximiser la richesse des actionnaires. Cet objectif ne sert passimplement les intérêts des propriétaires de l'entreprise, c'est aussi la règle qui permet des'assurer que les ressources limitées de toutes sortes sont allouées, gérées et déployées defaçon aussi efficace que possible ce qui dès lors maximise la richesse au sens large"19.

Cette présentation de la théorie de la firme, si elle a le mérite de la clarté et si ellepermet de dégager un indicateur simple et opérationnel de l'efficacité des entreprises,ignore virtuellement de nombreuses autres composantes ou stakeholders (partenaires) del'entreprise et, notamment, les salariés. En outre, l'incomplétude des contrats20 remet encause l'ensemble des fondements de la théorie de la firme tels qu'ils avaient été exposéspar K.J. Arrow et G. Debreu (1954) à propos de l'équilibre général dans la mesure où ilest impossible de formaliser ex ante l'ensemble des contrats.

La théorie de l'agence proposée par M. Jensen et W.H. Meckling (1976) tient certesdéjà compte de cette incomplétude en mettant en place des mécanismes susceptibles decontrôler l'opportunisme des dirigeants, c'est à dire leur capacité à s'approprier ex postune partie de la rente organisationnelle (de la valeur créée) au détriment des actionnaires.En revanche, elle ne tire pas les mêmes conclusions pour les autres contrats bien quel'entreprise soit considérée comme un noeud de contrats.

S. Grossman et O. Hart (1986) propose de traiter ce problème en avançant quel'organisation de la production dans une firme résout le problème de l'incomplétude descontrats en assignant à une partie, le propriétaire, tous les droits résiduels de contrôle del'utilisation des actifs dans une firme, c'est à dire les droits qui ne sont spécifiquementcontractés avec les autres participants21. Cette conception unilatérale de la relationd'agence fait ainsi des actionnaires les seuls créanciers résiduels car, dans cette optique,ils sont les seuls à assumer le risque résiduel de l'entreprise associé au statut depropriétaire.

19 Cette expression renvoie bien sûr à la main invisible du marché de Adam Smith qui réconcilieintérêts particuliers et intérêt général. On notera, à l'instar de A.O. Hirschman (1980), queMontesquieu avait déjà présenté le même type de raisonnement dans "L'esprit des lois" : "Dansune monarchie, la recherche de l'honneur fait mouvoir toutes les parties du corps politique de sortequ'il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers".Cependant, c'était à propos de l'amour de la gloire et non de celui du gain.20 L'incomplétude des contrats renvoie au fait qu'il n'est pas possible ou trop coûteux de spécifierex ante l'ensemble des éventualités futures. Pour une présentation plus précise, on peut se reporterà O. Favereau et P. Picard (1996).21 Voir aussi plus loin M. Jensen et W.H. Meckling (1995).

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Cependant, récemment, plusieurs auteurs ont proposé d'adopter une vision del'entreprise plurale où l'ensemble des stakeholders de la firme est réellement pris enconsidération. G. Garvey et P.L. Swan (1994) conteste l'hypothèse de la maximisation dela valeur actionnariale en arguant de l'organisation interne de la firme et, notamment, dessalariés mais aussi des créditeurs. Selon ces auteurs, "La gouvernance de l'entreprise nepeut être comprise dans un monde où les droits de propriété sont parfaitement définis, detelle sorte que les actionnaires, en tant que créanciers résiduels, représentent le seulgroupe digne de considération. (...).En effet, c'est seulement lorsque les contrats sontincomplets que les problèmes de gouvernance deviennent intéressants mais, enconséquence, les actionnaires ne sont plus les vrais créanciers résiduels".

De la même façon, G. Charreaux (1997-A) souligne que "l'assimilation de la notiond'efficacité à celle de la création de valeur pour les actionnaires suppose des conditionsencore plus strictes, notamment qu'ils soient les propriétaires exclusifs de la firme, endéfinissant la propriété de la firme comme la détention simultanée des droits de contrôlerésiduels et des droits à l'appropriation des gains résiduels. Sous cette hypothèse, lesactionnaires supportent l'intégralité des conséquences des décisions prises et il estéquivalent de maximiser la valeur totale de la firme ou la valeur pour les actionnaires,seuls créanciers résiduels. Cependant, avec cette définition de la propriété, l'identificationdes propriétaires devient complexe, par exemple, les actionnaires, notamment ceux desgrandes sociétés cotées de type managérial qui ne sont ni les décideurs résiduels, ni lesseuls créanciers résiduels, ne peuvent être considérés comme les détenteurs exclusifs desdroits de propriété".

Enfin, G. Hirigoyen (1997) propose de passer d'une "gouvernance d'agence" à une"gouvernance de partenariat" qui devrait conduire à la recherche d'un nouvel équilibreentre investisseurs financiers et acteurs industriels.

Les stakeholders ou partenaires de l'entreprise sont nombreux et peuvent être définiscomme tout groupe ou individu qui peut être affecté par la réalisation des objectifs de lafirme (R.E. Freeman, 1984) ou, de façon plus explicite, comme les parties qui encourentun risque par rapport aux produits des activités de la firme (M.B.E. Clarkson, 1995)22. Cerisque est lié de nouveau à l'incomplétude des contrats de la firme avec les stakeholders

22 S.L. Tiras, B. Ruf et R.M. Brown (1997) distinguent parmi eux les stakeholders volontaires (lesactionnaires, les clients, les créanciers, les fournisseurs, les salariés, ...) et involontaires (lacommunauté, l'environnement, la société, ...). M.B.E. Clarkson (1995) sépare les stakeholdersprimaires qui sont essentiels à la survie de l'entreprise (les actionnaires, les clients, lacommunauté, les créanciers, les fournisseurs, le gouvernement, les salariés, ...) et les stakeholderssecondaires qui ne sont pas engagés dans une transaction avec l'entreprise mais qui néanmoinssont affectés ou affectent les décisions de l'entreprise (les groupes de pression, les médias, ...).

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car elle introduit un risque ex post pour ceux-ci dans la mesure où ils peuvent êtredépossédés de la rente générée par leur activité23.

La reconnaissance du rôle important de chacun des stakeholders conduitautomatiquement à une remise en cause de l'objectif de maximisation de la valeuractionnariale au profit d'une notion d'équilibre entre les stakeholders, l'arbitrage revenantaux dirigeants. En effet, ces derniers ont alors pour fonction de résoudre les inévitablesconflits d'intérêt entre stakeholders. Dans cet esprit, J.J. Laffont et D. Martimort (1997)proposent une vision de la firme en tant qu'ensemble de contrats multilatéraux entrechaque stakeholder (ou principal) et le dirigeant (ou agent commun) tandis que C.W.L.Hill et T.M. Jones (1992) avancent une théorie de l'agence généralisée où tous lesstakeholders sont explicitement pris en compte ; le rôle des dirigeants étant de prendredes décisions conformes aux intérêts de l'ensemble des stakeholders. Le comportementdu dirigeant peut alors être interprété comme le résultat d'un opportunisme souscontrainte des stakeholders.

Néanmoins, M.B.E Clarkson (1995) propose une version très différente du rôle dudirigeant : seul le souci d'équité peut dicter sa conduite en la matière sur la base deprincipes moraux et éthiques. En effet, si jamais l'un des stakeholders vient à s'apercevoirqu'il n'est pas traité avec équité, il peut être amené à se retirer et remettre en question lasubstance de l'entreprise24.

Finalement, "dans une perspective normative, un système de gouvernement doit avoirpour objectif de garantir la viabilité de la coalition qui permet à la firme d'être créatricede richesse" (G. Charreaux, 1997-A). Il doit dès lors (G. Charreaux, 1997-A) :

• "faire pression sur les dirigeants de façon à ce que leurs activités de création et deredistribution de rentes satisfassent l'ensemble des stakeholders (dont les dirigeants)et assument la viabilité globale et indépendante de la coalition, évitant ainsi lessituations de crise qui se traduisent soit par un éclatement de la coalition, soit par laspoliation d'un groupe de stakeholders prisonniers de leurs transactions. Il s'agit del'aspect préventif du système ;

• être à même de faciliter la résolution des situations de crise (rôle curatif)".

2.2.2. De l'allocation des ressources financières à l'allocation des ressourceshumaines

23 Ces rentes sont notamment le fait de la réduction des coûts de transaction induits par la mise enplace de relations à long terme avec les stakeholders qui améliorent in fine la valeur de la firme(S.L. Tiras, B. Ruf et R.M. Brown, 1997).24 Pour un approfondissement du rôle et des motivations du dirigeant, on peut se reporter à J.Caby (1997) et G. Charreaux (1997-B)

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Comme les développements précédents ont pu le suggérer, la conception del'entreprise comme lieu de maximisation de la valeur de la firme pour l'ensemble de sesstakeholders, en dépit de son apport analytique important, demeure assez floue sansparler de son opérationnalité. Une démarche "voisine" plus pertinente et prometteuse denotre point de vue s'appuie sur la notion d'actif spécifique développée par O.E.Williamson (1985).

Il y a spécificité des actifs lorsqu'un investissement durable doit être entrepris poursupporter une transaction particulière et que cet investissement n'est pas redéployable surune autre transaction. Il peut s'agir d'actifs matériels, humains dédiés ou de site. Du faitde la spécificité des actifs, il se crée un lien de dépendance personnelle durable entre lesparties qui conduit à mettre en oeuvre des structures de gouvernance adaptées à larelation contractuelle, notamment la firme.

Ce concept, tout en tenant compte de l'incomplétude des contrats, introduit le tempsdans la relation contractuelle et améliore de ce fait la lisibilité du fonctionnement del'entreprise. Cela nous amène à reconsidérer les partenaires de la firme en distinguant, àl'instar de P.B. Doeringer et M.J. Piore (1971), les marchés internes et les marchésexternes comme modes de coordination, ce qui conduit inévitablement à constater que ledéveloppement de l'entreprise repose sur deux ressources spécifiques : le capital apportépar les actionnaires et les compétences fournies par les employés.

M. Aoki (1984), que l'on peut créditer de cette redécouverte de la combinaisonproductive, considère ainsi que les firmes peuvent être appréhendées comme lacombinaison de travail et capital spécifiques et que le rôle du management est alorsd'arbitrer entre ces deux groupes d'intérêt lors des prises de décision en matière deproduction, d'investissement et de partage des rentes générées par l'entreprise.

On peut remarquer que si O.E. Williamson (1985) reconnaît l'importance du capitalhumain spécifique à la firme, il ne va jusqu'au bout de son raisonnement et maintient laprimauté des apporteurs de capitaux, les actionnaires, considérant soit que les employésjouissent d'une protection suffisante assurée par les instruments contractuels ouinstitutionnels, soit que les investissements en capital humain sont de moindreimportance. Or, si le caractère durable de la relation contractuelle liée à ces deuxressources est similaire, la redéployabilité du capital est certainement plus aisée que celledu travail.

La compréhension du rôle déterminant du capital humain spécifique à la firmenécessite que l'on s'attarde sur cette notion. M.M. Blair (1996) la définit comme le fait decompétences, connaissances, réseaux ou relations personnelles qui sont spécialisées dansune entreprise et qui sont plus valorisables dans cette entreprise qu'ils ne le seraient dansune autre. R. Topel (1991) estime ainsi qu'environ 10 à 15 % de la rémunération totaledes employés des grandes entreprises rétribue des compétences spécifiques plutôt que descompétences génériques. Il remarque notamment que lorsque des employés perdent leur

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emploi sans faute de leur part, ils subissent une baisse de salaire de 10 à 15 % lorsqu'ilssont de nouveau embauchés. En outre, lorsque leur ancienneté est supérieure à 10 ans, laperte est encore plus marquée.

Ces constatations illustrent le caractère risqué du capital humain spécifique à la firme,à l'image du risque encouru par les actionnaires, et soulignent, en conséquence, que lesactionnaires ne sont pas les seuls créanciers résiduels. Le risque supporté par le capitalhumain spécifique peut être défini de façon plus précise. M.M. Blair (1997) distingue :

• le risque que la rente et les quasi-rentes qu'il génère soient expropriées ex post par lesautres partenaires, c'est à dire principalement les dirigeants et les actionnaires (leproblème du hold-up) ;

• le risque que sa valeur actuelle (sa capacité à générer des rentes et des quasi-rentes)fluctue à l'avenir du fait, d'une part, d'un risque idiosyncratique (celui que lescompétences particulières ne soient plus utiles à une firme donnée) et, d'autre part,d'un risque systémique (celui que la firme elle-même ne génère plus autant derentes).

On peut arguer à l'encontre de cette argumentation que les employés sont protégés durisque d'expropriation par le fait que la firme est nécessairement concernée par saréputation d'équité. Une bonne réputation lui permettant de contracter dans des termesfavorables avec d'autres employés dans le futur. Néanmoins, il semble que ce mécanismea été très largement écorné (ou ignoré) par la pratique ces dernières années.

Pour leur part, dans le cadre d'une tentative de dépasser le problème d'équilibre et derevenir à une conception plus orthodoxe des droits de propriété, O. Hart et J. Moore(1990) soutiennent que les droits de propriété sur les actifs physiques de l'entreprise, etplus spécialement la possibilité d'empêcher les autres d'utiliser les actifs, améliorent lacapacité du propriétaire à contrôler les salariés qui travaillent avec ces actifs. Si letravailleur a besoin d'accéder aux actifs pour être productif, il a une incitation à réaliserce que les propriétaires des actifs physiques veulent qu'il fasse. En outre, la propriété desactifs physiques devrait accroître ex ante l'incitation du propriétaire à entreprendre lesinvestissements optimaux dans le capital humain (S. Grossmann et O. Hart, 1986 ; O.Hart et J. Moore, 1990).

De la même façon, M. Jensen et W.H. Meckling (1995) reconnaissent l'existence ducapital humain spécifique à la firme et le caractère durable de la relation d'emploi : "Desrelations à plus long terme encouragent les participants individuels à investir dans descompétences spécifiques à l'entreprise qui n'ont pas ou peu de valeur excepté à l'intérieurd'une organisation particulière". Pour autant, cette reconnaissance ne remet pas en causela primauté de l'actionnariat et la répartition unilatérale des droits de propriété. Dans lamesure où l'organisation se singularise par l'absence d'aliénabilité des droits de décision

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qui assure l'efficacité des mécanismes de marché25, les problèmes organisationnelsdoivent être résolus par des moyens alternatifs à l'aliénabilité. Selon ces auteurs, on peuty parvenir en édictant des règles du jeu internes qui, d'une part, répartissent les droits dedécision aux agents dans l'organisation26 et, d'autre part, créent un système de contrôle àmême de fournir des mesures de la performance27 ainsi que de spécifier la relation entreles récompenses ou punitions et les mesures de la performance28. Aussi, le rôle dudirigeant (agent des actionnaires) est alors d'arbitrer entre les coûts d'agence liés ausystème de contrôle et les coûts d'information liés à la décentralisation des droits dedécision afin de maximiser la valeur actionnariale.

Ce type de raisonnement amène R. Gilson (1996) à juger qu'il n'y a pas de réellepreuve d'un quelconque abus au détriment du capital humain spécifique et que le systèmeactuel est très certainement suffisamment flexible pour structurer un système degouvernance selon les lignes requises par M.M. Blair (1995, 1996, 1997) ; lesmécanismes d'ajustement à un changement négatif exogène touchent indifféremment lesactionnaires par la baisse de la valeur de l'action et les employés au travers de la variationdes salaires et de l'emploi.

On pourrait néanmoins objecter, à l'encontre de ce dernier point, que la pratiquedémontre plutôt une opposition des mouvements. Ainsi, en termes plusmacroéconomiques, M.H. Armacost, Président de la très respectée Brookings Institution,indique que "si les bénéfices des grandes entreprises ont augmenté29, leurs effectifs nonet les salaires de leurs employés ont moins cru que lors des phases d'expansionantérieures. En réalité, depuis le milieu des années quatre-vingts, les grandes entreprisesont annoncé des licenciements massifs et des programmes de downsizing. Au milieu desannées quatre-vingt-dix, les entreprises qui composent le Fortune 500 ont environ troismillions de salariés de moins qu'en 1985. (...). Bien sûr, l'augmentation des emplois dansles petites entreprises a fait plus que remplacer ceux éliminés dans les grandes. Mais, ces

25 Dans un système de marché, les droits de décision sont acquis via l'échange par ceux quidétiennent la compétence requise. L'échange volontaire garantit que les droits de décision tendrontà être acquis par ceux qui les valorisent le plus et que ce seront donc ceux qui détiennent lescompétences spécifiques qui sont le plus valorisables pour exercer ce droit.26 Notamment, la description des postes, les règles usuelles internes, les budgets, ...27 Notamment, des centres de coût et de profit.28 Notamment des rémunérations incitatives.29 Les profits des entreprises américaines ont augmenté de 40 % en termes réels de 1985 à 1995 etle Standards and Poor's 500 a été multiplié par deux, toujours en termes réels.

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nouveaux emplois sont payés moins30 alors que les rémunérations des dirigeants ontaugmenté de 50 à 60 % en termes réels depuis 1985"31.

Au-delà de ces éléments de réponse généraux à la réaffirmation de la doctrineorthodoxe, il convient de souligner l'intérêt pour l'entreprise dans son ensemble du capitalhumain spécifique à la firme car, comme l'indique E.G. Furubotn (1988), l'investissementen travail est une ressource vitale, ce capital représente rien de moins qu'une partie ducapital requis par la firme à l'instar de celui fourni par les actionnaires. Or, en l'absencede reconnaissance de droits de créances résiduels, les salariés encourent le risque d'êtredépossédés ex post de la rente qu'ils ont générée compte tenu de l'incomplétude descontrats32. Si, d'une manière ou d'une autre, ce risque n'est pas atténué ou rémunéré,l'incitation à développer le capital spécifique disparaît ce qui est dommageable pourl'ensemble des parties33.

Dans la mesure où il n'est pas envisageable de supprimer le risque en garantissant auxemployés la pérennité de la relation d'emploi, seule la rémunération du risque sembleconcevable et, en conséquence, les salariés sont des créanciers résiduels comme lesactionnaires. En outre, alors que les actionnaires peuvent redéployer leurs actifs etdiversifier leur risque, les employés ne le peuvent pas car leur capital spécifique estinvesti uniquement dans l'entreprise et n'a pas de valeur à l'extérieur de celle-ci. L'objectifde la firme n'est plus de maximiser la valeur actionnariale, mais la valeur "totale" del'entreprise (M.M. Blair, 1996).

Malheureusement, la valeur totale de la firme pose un problème de mesure difficile àrésoudre. Pour autant, on ne doit pas abandonner cette idée sous prétexte que l'instrumentde mesure n'existe pas encore (M.M. Blair, 1996).

M.M. Blair (1997) propose de biaiser la problématique de la mesure via l'actionnariatdes salariés : "la rémunération des employés par des actions des entreprises peut fournirun mécanisme destiné à encourager et à protéger les investissements en capital humain

30 La situation française est similaire pour les grandes entreprises. En revanche, la compensationpar les petites entreprises a moins bien fonctionné du fait, selon de nombreux auteurs, de larigidité ou de l'absence de flexibilité des salaires les plus bas à la baisse. Néanmoins, d'un point devue social, on ne sait si l'on doit se désoler ou se féliciter de cette moindre flexibilité.31 Pour un développement plus conséquent de la problématique concernant l'augmentation de larémunération des dirigeants, on peut se reporter à J. Caby et G. Hirigoyen (1997).32 Comme l'indique M. Aoki (1994), "Lorsque du fait de la présence d'actifs spécifiques, ou pourquelque autre raison est souhaité l'établissement d'une relation durable, on ne peut prévoir toutesles contingences futures, ni spécifier en détail ex ante les diverses actions que les employésdevront engager pour y faire face. Ainsi, les deux parties de la transaction signeront un contratdont les clauses seront incomplètes".33 Le développement du capital humain spécifique à la firme est le fruit tant de mécanismesintentionnels et explicites telle que la formation que de mécanismes implicites telles que latechnologie ou l'appropriation de la culture de l'entreprise.

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spécifique. La détention d'actions par les salariés fonctionne comme une sorte d'otagepermettant de crédibiliser la promesse des firmes de partager les rentes, (...), elle donneaussi certains droits de contrôle et simultanément aligne les intérêts des employés et desdétenteurs externes d'actions. En outre, si les créances sur les actions se substituent à laprime salariale induite par le capital humain spécifique à la firme34, les salairesrefléteront plus étroitement le coût d'opportunité et enverront un signal économiquecorrect aux décideurs de la firme pour guider les embauches et les licenciements35".

Cette utilisation de l'actionnariat des salariés est différente de celle habituellementrencontrée dans la littérature consacrée à la théorie de la firme, mais peut être créditéed'une filiation plus ancienne. G. Hirigoyen (1997) distingue ainsi, d'une part, un courantd'idée "humaniste" qui voit dans l'actionnariat ouvrier une technique de valorisation de lapersonne et un instrument d'accomplissement et, d'autre part, une conception"productiviste" où l'actionnariat ouvrier aboutit en fin de compte à améliorer laproductivité de l'organisation ; il constate, par ailleurs, que c'est cette dernière démarchequi occupe aujourd'hui le devant de la scène.

Dans le cadre de la théorie de l'agence, l'actionnariat des salariés relève de la volontéd'associer les salariés à la performance de l'entreprise et à son devenir dans la mesure oùleur motivation et leur implication dépendent de plus en plus de l'incidence de sa réussitesur leur richesse personnelle (P. Desbrières, 1997-A). En outre, pour être efficiente, lapolitique de rémunération doit permettre de satisfaire les besoins des salariés pour uncoût minimal, les objectifs de l'organisation devant être atteints (P. Desbrières, 1997-A).Enfin, l'actionnariat des salariés peut faciliter le contrôle des dirigeants et renforcerl'alignement des intérêts de ces derniers sur ceux des actionnaires externes et des salariés(P. Desbrières, 1997-B).

A l'évidence, la démarche de M.M. Blair (1995, 1996, 1997), si elle tient compte ducaractère productiviste de l'actionnariat des salariés, intègre aussi l'aspect humaniste enintroduisant une équité au parfum de "justice sociale". En revanche, M.M. Blair (1995,1996, 1997) ne donne pas de véritables indications sur l'intensité requise de cetteparticipation en capital des salariés et sur leur représentation au sein des conseilsd'administration. On peut ainsi se demander où se situe l'équilibre entre les firmesautogérées et l'absence d'actionnariat des salariés. E.G. Furubotn (1988) indique, quant àlui, que la participation au capital et la représentation au sein des conseilsd'administration doivent être proportionnelles aux investissements spécifiques à la firme.

34 Voir plus haut R. Topel (1991).35 A partir de l'estimation de la prime salariale (10 % du salaire) par R. Topel et de données sur lesentreprises américaines, M.M. Blair (1996) a calculé que 10 % des salaires versés à leursemployés par les entreprises de 1990 à 1993 représentaient environ 850 milliards de dollars soit unmontant comparable aux résultats comptables de ces firmes pendant la même période (991milliards de dollars). Cela pourrait signifier que la mesure comptable du profit n'engloberaitqu'environ 50 % du surplus économique généré par les entreprises, l'autre moitié étant versé auxemployés.

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La proposition de M.M. Blair de substituer à la maximisation de la valeuractionnariale, la maximisation de la valeur totale et l'artefact moins convaincant quoiquehabile de l'actionnariat des salariés pour résoudre le problème de la mesure de la valeurtotale, a jusqu'ici ignoré le problème de la définition de la firme avec l'introduction ducapital humain spécifique à la firme. Peut-on encore parler de la firme en tant que noeudde contrat ?

R.G. Rajan et L. Zingales (1996) répondent négativement et proposent de la définir entant que noeud d'investissements spécifiques, et plus particulièrement en capitalhumain36. Le rôle des actionnaires est alors de choisir la coalition de salariés la plusefficace. La majeure partie de la rente revient non pas aux détenteurs des actifs mais auxsalariés qui ont investi dans le capital humain spécifique contrairement à ce qui étaitavancé par A.A. Alchian et H. Demsetz (1972). Les propriétaires-actionnaires ne sontplus qu'une partie neutre, ils perçoivent comme rémunération une faible partie arbitrairedes rentes totales car ils n'apportent rien de critique à la production. Cette assertionsemble signifier que le problème de la rareté des ressources, qui est au centre de lathéorie néoclassique, s'est déplacé : c'est l'allocation des ressources humaines et nonl'allocation des ressources financières qui devient primordiale37.

Néanmoins, le modèle proposé par R.G. Rajan et L. Zingales (1996) pêche parmanque de perspective temporelle. En effet, cette firme partenariale, noeudd'investissements spécifiques, est-elle apte à se perpétuer ? L'hypothèse de la culture oude l'identité de l'entreprise suggérée par M.M. Blair (1997) semble fournir une réponse etpeut certainement être reliée à la théorie des conventions.

La capacité de perpétuation de la firme partenariale implique que le retrait de l'un deses membres détenteur d'actifs spécifiques ne conduise pas à la défaillance de l'entreprise.Si l'on considère que la culture de l'entreprise est un constituant déterminant de laspécificité des actifs humains, elle peut garantir la pérennité de l'entreprise en fournissantun support collectif et non individuel au capital humain spécifique à la firme. Par ailleurs,l'efficacité économique de cette culture d'entreprise permise par l'identification dessalariés aux objectifs de la firme suppose que ces derniers établissent une relation deconfiance avec celle-ci, c'est à dire qu'ils puissent être assurés que la rente dégagée parleurs investissements spécifiques ne sera pas détournée ex post38. Au contraire de la

36 La définition proposée par ces auteurs s'inscrit dans la lignée des travaux de M. Aoki (1984) quiconsidère que la firme résulte de la combinaison durable de capital et de travail.37 G.T. Garvey et P.L. Swan (1994) semble aller dans ce sens lorsqu'ils déclarent que "denombreux éléments empiriques qui suggèrent apparemment une inefficacité de la gouvernance,sont en fait parfaitement cohérents avec un monde où l'objectif principal des dirigeants estd'administrer les contrats de travail (de gérer les ressources humaines)".38 A. Shleifer et L.H. Summers (1988) avance ainsi que l'augmentation de la valeur pour lesactionnaires d'une entreprise cible d'une O.P.A. constitue un transfert de richesse au détriment des

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conception contractuelle, la conception de la firme comme noeud d'investissementsspécifiques est mieux à même d'y parvenir, bien qu'il faille remarquer qu'une révision dela doctrine juridique serait nécessaire pour qu'elle soit opérationnelle.

Le concept de culture d'entreprise développée par les sciences de gestion peut êtreaisément rapproché de la théorie des conventions issue des sciences économiques. Dansla lignée des travaux de H. Liebenstein (1982), la firme est conçue en termes de normesou conventions englobant des comportements coopératifs opposés aux comportementsconcurrentiels observés sur les marchés. Une convention est un accord collectif tacite ouexplicite qui permet aux agents de se coordonner les uns les autres. Une fois laconvention établie, aucun agent n'aura intérêt à en dévier. Une convention estautorenforçante : chaque agent choisira de la suivre dès lors qu'il anticipe que sonpartenaire fera de même (R. Boyer et A. Orlean, 1994). L'organisation est alors analyséecomme le dispositif qui permet, par le jeu des conventions générales, de ne pas avoir àspécifier ex ante toutes les caractéristiques des transactions à venir (A. Orlean, 1994).

Si l'affinité entre la culture d'entreprise et l'analyse des conventions est indéniable,cette dernière est malheureusement trop hétérogène pour constituer dès aujourd'hui unsupport théorique stable et formalisé à la conception de la firme partenariale ou noeudd'investissements spécifiques, sans parler de l'introduction d'une heuristique quisubstituerait à l'optimisation de l'allocation des ressources financières, l'optimisation del'allocation des ressources humaines.

De ce fait, la fécondité de cette nouvelle démarche reste tributaire de la formalisationd'un nouveau programme de recherche où la valeur pourrait connaître, une fois encore,une nouvelle jeunesse.

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