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Douleurs, 2004, 5, 2 83 HISTOIRE ET DOULEUR Histoire de l’opium médicinal Du pavot aux alcaloïdes de l’opium Christian Le Marec , Cette histoire de l’opium est le pre- mier volet d’une série de trois articles qui se proposent de relater la fascina- tion millénaire de l’homme pour la morphine sous son versant médicinal. Antalgique majeur, considéré comme élément de référence dans la prise en charge de la douleur du cancer et uti- lisé depuis des millénaires, il devenait logique de retracer son histoire pour apporter un éclairage nouveau à notre pratique quotidienne. Son histoire est indissociable de celle du pavot et de l’opium. En effet, la morphine découverte en 1803 n’est autre que le principal alcaloïde de l’opium, lui-même sève séchée d’une plante végétale : Papaverum Somniferum. Le second volet de cette série relatera l’histoire des alcaloïdes de l’opium dont la morphine est le symbole et le dernier volet retracera l’his- toire de la morphine devenu le symbole des antalgiques, de sa découverte il y a 200 ans à son utilisation contemporaine. INTRODUCTION Panacée de la médecine populaire, stimulant du rêve, source de fabuleuses substances, mais aussi cause de guerres eurasiatiques, l’opium, depuis des millénaires, a toujours fasciné les hommes et interrogé les scientifiques. Fils du pavot, père de la morphine, l’opium a ouvert la voie de la connaissance moléculaire du cerveau, de la compréhension de la douleur et de la maîtrise de son traitement. Mais l’opium, c’est aussi la drogue, la dépendance et les narco- dollars. Une longue histoire d’un paradis merveilleux, mais infernal. Une longue histoire faite de rêves et de cauche- mars [1]. PAPAVERUM SOMNIFERUM, LE PAVOT À OPIUM L’usage thérapeutique des plantes remonte aux temps les plus reculés de l’histoire de l’homme. Plus de 800 000 espèces végétales poussent sur la surface du globe dont 250 000 sont connues. Parmi ces dernières, l’organisation mondiale de la santé a répertorié plus de 22 000 plantes médicinales. Environ 1 200 plantes sont inscrites à la pharmacopée française. Elles ont toutes une activité pharmacologique reconnue et constituent un réservoir de matières premières à la source de presque la moitié des spécialités pharmaceu- tiques classiques. Dès son origine, l’homme a cherché à cal- mer ses maux et à réduire ses souffrances. Pour cela, il a utilisé les produits immédiatement à sa portée. Le règne végétal lui fournissant en grande partie son alimentation fut son premier champ d’expérience. Toutes les civilisations antiques : mésopotamienne, égyptienne, chinoise, indienne, précolombienne avaient une panoplie de remèdes de végé- taux impressionnante. Ainsi, se constitua au fil des temps une pharmacopée relativement développée. L’usage quoti- dien des plantes a permis d’observer un grand nombre de leurs effets que la science actuelle reconnaît comme bien réels. Par exemple, les propriétés calmantes de l’opium issues du pavot, étaient connues 4 000 ans avant qu’on apprenne à en extraire la morphine [2]. Papaverum somni- ferum (fig. 1) : le pavot à opium est une sorte de gros coquelicot originaire de l’Europe du Sud et de l’Asie Mineure : Espagne, Grèce, Crète, Perse, Égypte et Mésopo- tamie. Il s’agit d’une plante assez banale de la famille des papavéracées qui peut atteindre 1m50 de haut. Il en existe de nombreuses variétés qui se distinguent par la couleur des fleurs dont les pétales sont blancs, rouges ou violets, ainsi que par la forme des capsules et la concentration en principes actifs. La variété glabrum pousse en Asie Mineure, la variété album est originaire de l’Inde et sétigerum se cultive en Europe Méridionale. L’Europe ne compte pas moins de onze espèces différentes [3] : somniferum, sétige- rum, modestum, lamottei, pallidum, collinum, dubium, rhaeas, argemone, uniflorum, pinnatifidum. La plupart des espèces possèdent des sous-espèces ou variétés. Papaverum argemone en possède sept : alba, barclayana, grandiflora, mexicana, ochroleuca, platyereras, rasea. Toutefois parmi toutes ces espèces seules somniferum, sétigerum et gla- brum sont des pavots à opium. En effet, en 1944, le bota- niste américain Fulton étudie 28 espèces de papaverum et ne retrouve d’opium que dans ces trois plantes [4]. Papave- rum somniferum est une variété de papaverum album qui est un pavot blanc à forte concentration en alcaloïdes et qui est également l’une des plus anciennes espèces connues. Il Anesthésiste Réanimateur, Coordinateur du Club Bégin, Saint-Mandé.

Histoire de l’opium médicinal

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Douleurs, 2004, 5, 2

83

H I S T O I R E E T D O U L E U R

Histoire de l’opium médicinal

Du pavot aux alcaloïdes de l’opium

Christian

Le Marec

,

Cette histoire de l’opium est le pre-mier volet d’une série de trois articlesqui se proposent de relater la fascina-tion millénaire de l’homme pour lamorphine sous son versant médicinal.Antalgique majeur, considéré commeélément de référence dans la prise encharge de la douleur du cancer et uti-lisé depuis des millénaires, il devenait

logique de retracer son histoire pour apporter un éclairagenouveau à notre pratique quotidienne. Son histoire estindissociable de celle du pavot et de l’opium. En effet, lamorphine découverte en 1803 n’est autre que le principalalcaloïde de l’opium, lui-même sève séchée d’une plantevégétale : Papaverum Somniferum. Le second volet de cettesérie relatera l’histoire des alcaloïdes de l’opium dont lamorphine est le symbole et le dernier volet retracera l’his-toire de la morphine devenu le symbole des antalgiques, desa découverte il y a 200 ans à son utilisation contemporaine.

INTRODUCTION

Panacée de la médecine populaire, stimulant du rêve, sourcede fabuleuses substances, mais aussi cause de guerreseurasiatiques, l’opium, depuis des millénaires, a toujoursfasciné les hommes et interrogé les scientifiques. Fils dupavot, père de la morphine, l’opium a ouvert la voie de laconnaissance moléculaire du cerveau, de la compréhensionde la douleur et de la maîtrise de son traitement. Maisl’opium, c’est aussi la drogue, la dépendance et les narco-dollars. Une longue histoire d’un paradis merveilleux, maisinfernal. Une longue histoire faite de rêves et de cauche-mars [1].

PAPAVERUM SOMNIFERUM, LE PAVOT À OPIUM

L’usage thérapeutique des plantes remonte aux temps les plusreculés de l’histoire de l’homme. Plus de 800 000 espècesvégétales poussent sur la surface du globe dont 250 000sont connues. Parmi ces dernières, l’organisation mondiale

de la santé a répertorié plus de 22 000 plantes médicinales.Environ 1 200 plantes sont inscrites à la pharmacopéefrançaise. Elles ont toutes une activité pharmacologiquereconnue et constituent un réservoir de matières premièresà la source de presque la moitié des spécialités pharmaceu-tiques classiques. Dès son origine, l’homme a cherché à cal-mer ses maux et à réduire ses souffrances. Pour cela, il autilisé les produits immédiatement à sa portée. Le règnevégétal lui fournissant en grande partie son alimentation futson premier champ d’expérience. Toutes les civilisationsantiques : mésopotamienne, égyptienne, chinoise, indienne,précolombienne avaient une panoplie de remèdes de végé-taux impressionnante. Ainsi, se constitua au fil des tempsune pharmacopée relativement développée. L’usage quoti-dien des plantes a permis d’observer un grand nombre deleurs effets que la science actuelle reconnaît comme bienréels. Par exemple, les propriétés calmantes de l’opiumissues du pavot, étaient connues 4 000 ans avant qu’onapprenne à en extraire la morphine [2]. Papaverum somni-ferum

(fig. 1)

: le pavot à opium est une sorte de groscoquelicot originaire de l’Europe du Sud et de l’AsieMineure : Espagne, Grèce, Crète, Perse, Égypte et Mésopo-tamie. Il s’agit d’une plante assez banale de la famille despapavéracées qui peut atteindre 1m50 de haut. Il en existede nombreuses variétés qui se distinguent par la couleurdes fleurs dont les pétales sont blancs, rouges ou violets,ainsi que par la forme des capsules et la concentration enprincipes actifs. La variété glabrum pousse en Asie Mineure,la variété album est originaire de l’Inde et sétigerum secultive en Europe Méridionale. L’Europe ne compte pasmoins de onze espèces différentes [3] : somniferum, sétige-rum, modestum, lamottei, pallidum, collinum, dubium,rhaeas, argemone, uniflorum, pinnatifidum. La plupart desespèces possèdent des sous-espèces ou variétés. Papaverumargemone en possède sept : alba, barclayana, grandiflora,mexicana, ochroleuca, platyereras, rasea. Toutefois parmitoutes ces espèces seules somniferum, sétigerum et gla-brum sont des pavots à opium. En effet, en 1944, le bota-niste américain Fulton étudie 28 espèces de papaverum etne retrouve d’opium que dans ces trois plantes [4]. Papave-rum somniferum est une variété de papaverum album quiest un pavot blanc à forte concentration en alcaloïdes et quiest également l’une des plus anciennes espèces connues. Il

Anesthésiste Réanimateur, Coordinateur du Club Bégin,Saint-Mandé.

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existe actuellement dans le monde plus de quarante varié-tés de papaverum somniferum. Lorsque la fleur arrive àmaturité, l’ovaire se transforme en une capsule de formeovoïde, remplie de sève et de graines minuscules. Toute laplante secrète un latex blanc riche en alcaloïdes, mais c’estdans la capsule ou tête de pavot que se trouve concentréela plus grande quantité de suc ou sève. La récolte du latex

(fig. 2)

s’effectue par temps sec lorsque les capsules jau-nissent. Les capsules sont incisées à l’aide d’un couteau àplusieurs lames : le nashtar utilisé en Turquie, en Iran et enAfghanistan ou le nurnee en Inde. On pratique des incisionssuperficielles pour que s’écoule un suc laiteux qui se des-sèche, s’oxyde à l’air et prend alors une couleur brunâtre.Après malaxage, cette substance devient l’opium, sèveséchée du pavot, qui contient environ 10 % de morphine.À l’état brut, l’opium est brun foncé, collant et d’un goûtamer. Il peut être mangé, mélangé à des boissons aromati-sées, ou entrer dans la composition de teintures, de sirops,

de pilules, d’emplâtres, ou encore subir un traitement pourêtre fumé. Les sous-produits du pavot sont les graines quisont utilisées en cuisine ou qui sont pressées pour obtenirde l’huile de pavot. Les pétales ont longtemps été utiliséspour envelopper les pains d’opium. Quant aux têtes et auxtiges, elles sont écrasées au pilon et produisent égalementun « mékonion » transformé en sirop ou en pilules. Cemékonion contient une faible quantité d’opium et peut êtrecommercialisé tel quel mais aussi être utilisé pour la falsifi-cation des pains d’opium. Dans les dictionnaires, le méco-nium est le nom donné aux matières visqueuses brunâtresou verdâtres que le fœtus expulse après sa naissance et quiprésente une entière analogie de couleur et de consistanceavec le suc de pavot ! Georges Thibout, docteur en méde-cine, docteur en droit et maire d’Epinay-sur-Seine publie, en1912, un traité sur « La question de l’opium à l’époquecontemporaine » [5]. Dans ce traité qui ne contient pasmoins de quarante références bibliographiques, témoignantde l’importance de cette question à l’époque, il réalise unedescription très précise de la culture du pavot et de larécolte de l’opium : « L’opium est tiré du pavot. On cultivetrois sortes de pavots à opium : le papaver album ou som-niferum de l’Inde et de la Chine, le papaver sétigerum de laGrèce et de Chypre, le papaver glabrum de la Perse, del’Égypte et de l’Asie Mineure. Le pavot est une plante de la

Figure 1. Papaverum somniferum : branche fleurie, ovaire 1, capsule2 et graines 3, 4.

Figure 2. La récolte de l’opium à l’aide du nashtar en Turquie.

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famille des papavéracées. Les capsules sont formées par laréunion d’un certain nombre de carpelles, dont les bordsindupliqués se dirigent, sous forme de cloisons vers le cen-tre du fruit. Elles sont globuleuses, ovales ou arrondies etleur grosseur moyenne est celle d’une mandarine. Leur cou-leur est brun jaunâtre, elles renferment un grand nombrede petites graines blanchâtres et réniformes. Le pavotblanc, le seul vraiment utilisable, se rencontre encore enEurope. Le climat qui lui convient le mieux est celui desrégions tempérées et suffisamment humides jusqu’aumoment de la récolte. La récolte se fait d’octobre à mai, carsi la plante résiste assez bien au froid, elle redoute les grandessécheresses. Actuellement, les deux grands centres de pro-duction sont la Chine et l’Inde. Après des labours successifspour amender le sol, le pavot est semé en octobre ou ennovembre. Aussitôt que la tige atteint 0m25 de pousse, onirrigue par infiltration. Le développement se fait rapide-ment jusqu’à 1m20. En mai, les fleurs apparaissent, la cap-sule se forme, la tige se ramifie en trois ou quatre brins,portant chacune une tête ovoïde. Dès que les feuilles et lescapsules prennent une teinte jaune et que les pétales desfleurs tombent, on commence à recueillir le suc, localisédans un appareil lacticifère spécial, courant dans l’épaisseurde la capsule. Pour cela, au coucher du soleil et par untemps sec, on pratique de bas en haut deux ou trois légèresincisions des têtes de pavot

(fig. 3)

, suivant les nervures. Ilen surgit imméditement des gouttelettes fluides et blanches.L’oxygène de l’air les épaissit et les brunit. On les recueillele lendemain après la rosée du matin, soit avec un couteau,soit avec une écuelle en bois munie d’une lame métalliqueplate servant de racloir. On recommence ainsi pendant

quatre jours en moyenne. Le produit mis à mesure dans depetits récipients de faïence, forme les bols d’opium brut.Ces bols sont exposés au soleil quelques heures par jourpendant un temps variable, une ou plusieurs semaines, etmis dans le commerce sans autre préparation : c’est l’opiumbrut de Chine ». Cette description est extrêmement pré-cieuse car elle rapporte avec de nombreux détails cetterécolte ancestrale qui est reproduite à l’identique de nosjours. Elle donne également plus de valeur à la premièreréférence sumérienne d’une tablette d’écriture cunéiformedécrivant la cueillette matinale du suc de pavot. La mor-phine est le principal alcaloïde ou principe actif de l’opium.Elle est également le principal opiacé d’origine naturelle.Elle possède de puissantes propriétés analgésiques etdemeure actuellement le morphinique de référence pour laprise en charge de la douleur. C’est une molécule complexecomportant plusieurs cycles, apparentée à l’isoquinoléineet au phénanthrène. Elle n’est synthétisée que par une seulefamille de plantes, les papavéracées, dont plusieurs espècesen contiennent un pourcentage non négligeable. C’est Papa-ver Somniferum, variété album, qui présente la plus forteconcentration en morphine, de 8 à 20 % dans son latex, tandisque les autres espèces de Papaver en contiennent beaucoupmoins. L’opium, latex desséché du pavot Papaverum Som-niferum, contient plus de deux douzaines d’alcaloïdes. Sansla morphine et, dans une moindre mesure, sans la codéine,les effets de l’opium seraient quasi inexistants, de mêmeque la dépendance qu’il induit ; peu de substances en entraî-nent une aussi complète que la morphine. Elle constitue leprécurseur de l’héroïne, principale drogue toxicomano-gène présente sur le marché clandestin. La morphine, danssa forme isolée, est un sel cristallisé blanc soluble, qui peutentrer dans des préparations officinales à avaler ou à injec-ter. La morphine est utilisée médicalement sous forme desels, chlorhydrate et sulfate principalement, qui sont solublesdans l’eau contrairement à la morphine base, peu soluble.Aujourd’hui, plusieurs pays, notamment la France etl’Espagne, produisent de la morphine à partir de la paille depavot fournie par des espèces moins productives, mais aveclesquelles il n’existe guère de risques de détournement,contrairement à ce qui se passe dans les pays producteurstraditionnels.

HISTOIRE DU PAVOT À OPIUM : LE RÔLE DE L’OPIUM DANS L’ÉVOLUTION DE LA MÉDECINE

Le pavot à opium est connu depuis des milliers d’années.Son origine géographique probable a pu être déterminée àpartir des découvertes des archéologues [6]. Papaver Som-niferum n’existe pas à l’état réellement sauvage et sa diffu-sion aurait grandement bénéficié des migrations humaines.Le pavot a migré d’ouest en est, depuis l’Europe ou l’AsieFigure 3. La scarification des capsules de pavot.

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mineure, et ce sont les Arabes qui ont été les principauxdiffuseurs de la plante et de son usage.

UNE ORIGINE EUROPÉENNE

Des graines et des capsules ont été retrouvées dans deshabitats néolithiques européens datant de 5 000 ans avantnotre ère. C’est en Suisse, parmi les vestiges datant de l’âgede pierre, dans les cités lacustres du lac de Neuchâtel, quel’on a retrouvé les indices paléobotaniques parmi les plusanciens à ce jour en Europe et dans le monde : des graineset des capsules de pavot à opium datant de plus de4 000 ans. L’un des plus anciens indices archéologiquesméditerranéens, celui du site de Cueva De Los Murcielagosen Espagne, a révélé des capsules qui sont quant à elles esti-mées à environ 3100 av. J.-C.

UNE ORIGINE EN ASIE MINEURE

Les origines de la science sont en Asie Mineure. Les pre-miers documents écrits sont apparus en Mésopotamie vers4 500 ans avant notre ère. Le système de numération appa-raît en même temps que l’écriture cunéiforme. Pour cespeuples antiques, les maladies ont des sources divines. Pourguérir un malade, il faut communiquer avec les dieux et lemédecin est aussi magicien. L’usage de drogues végétales etminérales est très répandu. La croyance en la magie imposealors que la préparation ou l’administration du remède soitaccompagnée d’incantations.

LES SUMÉRIENS ET LA PLANTE DE LA JOIE

Les Sumériens le connaissaient près de 4 000 ans avant notreère et une de leurs tablettes, écrites vers 2100 av. J.-C.,comporterait une référence au pavot à opium, le qualifiant de« plante de la joie » ou « Hul-Gil ». L’inscription gravée en cunéi-forme décrit la cueillette matinale du suc de pavot. C’est Dou-gherty (1877-1933) qui a indiqué le premier que les Sumériensavaient un idéogramme spécifique pour l’opium : il expliqual’idéogramme comme étant composé de « Hul », la joie et de« Gil », qui servait à représenter les différentes espèces de laplante. Cette interprétation a depuis été largement reprise. Cesmilliers de tablettes en argile furent découvertes en 1948 àNippour

(fig. 4)

. Ainsi, le pavot à opium serait originaire d’AsieMineure si l’on retient la tablette de Nippour comme l’indicele plus valide. Ces tablettes représentent le premier recueilconnu de formules végétales (suspensions, décoctions, etonguents) gravées en caractère cunéiforme. Elles recensentjusqu’à 250 espèces de plantes, ce qui démontre l’importanceque tenait déjà la phytothérapie à cette époque lointaine. Il estprobable que des graines de pavot et même de l’opium étaient

incluses dans les échanges commerciaux des Sumériens. Leurcivilisation, qui se développa en Mésopotamie, entre le Tigreet l’Euphrate, avait développé les techniques de labour, del’irrigation, de la voile maritime, de la roue et de l’écriture. LesSumériens développèrent également à travers leur empire unvaste réseau commercial qui atteignait l’Inde et l’Égypte et quireliait les marchés mésopotamiens majeurs avec les côtesorientales de la Méditerranée. Graines de pavot et opium ontainsi dû être échangées pendant des milliers d’années, que cesoit par voie maritime ou continentale. En 1973, une nouvelledécouverte archéologique dans les ruines d’Elba près d’Alepen Syrie, de milliers de tablettes abondant en renseignementssur la médecine mésopotamienne et les échanges de ces thé-rapeutiques végétales avec les peuplades voisines, vient renfor-cer ces présomptions.

LES ASSYRIENS

Les Assyriens connaissaient également la vertu dormitive dupavot 1 000 ans avant J.-C. Un bas relief de l’époque deTiglath Pilser nous montre un roi tenant un lotus blanc dansla main gauche, cependant qu’un autre personnage se tientcouché, au-dessus duquel on voit un prêtre tenant un bou-quet de têtes de pavot.

LES ÉGYPTIENS ET LES PREMIERS TEXTES DE LUTTE CONTRE LA DOULEUR

Les Égyptiens de la Haute Antiquité connaissent l’usagede l’opium ainsi qu’en témoigne le fameux papyrusd’Ebers qui immortalise, 1 600 ans av. J.-C., certaines for-mules utilisant l’opium pour soulager de l’insomnie, des

Figure 4. Tablette sumérienne en argile recouverte d’écriture cunéi-forme découverte à Nippour.

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maux de tête et pour atténuer les douleurs. Ce papyrus estdécouvert à Louxor et fait référence à plusieurs centaines deplantes médicinales

(fig. 5)

. L’opium est largement uti-lisé, notamment par les pharaons, non seulement commeanalgésique mais aussi comme sédatif. Certains écritsdatant d’Aménophis I

er

(

VIII

e

dynastie) et de Ramsès IIvantent expressément les vertus dormitives et analgé-siques de la plante et de son produit. D’autres écrits sontplus intéressants, révélant à la fois l’ancienneté et lacomplexité naissante de la démarche médicale. Ainsi,dans l’immense nécropole de Saqqarah, a été retrouvéela tombe d’Hésiris, médecin contemporain du pharaonZoser vivant vers 2750 av. J.-C. Il s’agit à ce jour dumédecin dont les preuves historiques certifiant l’exis-tence sont les plus anciennes. Sur un fragment de papy-rus consacré à une circoncision, se trouve, pour lapremière fois, le souci de soulager le patient par l’appli-cation d’une décoction à base d’opium et de feuilles decoca. La culture égyptienne de l’opium s’est étendue àtoute la Méditerranée orientale. Mais l’Égypte importaitégalement de l’opium de Chypre dès la

XVIII

e

dynastie(1551-1436 av. J.-C.), cet opium étant reconnu pour saqualité. On en a retrouvé quelques grains dans quatrejarres parmi les offrandes funéraires déposées dans unetombe royale. Les Égyptiens faisaient sans aucun doutecommerce de l’opium, en l’occurrence celui de l’opiumthébaïcum dont la réputation était déjà assurée au

XIII

e

siècle av. J.-C. La ville de Thèbes a d’ailleurs donnéson nom à la thébaïne, un alcaloïde de l’opium.

LES GRECS, PÈRES DE LA MÉDECINE MODERNE

Au plan linguistique, l’étymologie des termes pavot et

opium est grecque (

mekon

pour pavot et

opos

pour suc).

Les Grecs prescrivaient le pavot de façon courante dès la

haute antiquité. En 850 av.

J.-C., Homère, poète épique

grec, le cite dans l’Odyssée comme « éloignant les peines ».

Ainsi, Homère rapporte qu’Hélène, pour soulager la dou-

leur des guerriers blessés au combat, dissolvait dans le vin

une drogue « qui endort douleur et colère en apportant

l’oubli de toutes les souffrances ». Le Népenthès était « un

breuvage magique, un remède qui dissipe la tristesse, la

colère », et c’est dans le but de faire oublier le traumatisme

vécu par les soldats de la guerre de Troie que, dans l’Odys-

sée, Hélène leur procure la potion. Les médecins grecs et

latins des premiers siècles de notre ère connaissaient les

pouvoirs narcotiques du pavot, mais n’en tiraient parti

qu’avec une grande circonspection, des accidents mortels

ayant été rapportés par Pline au premier siècle. Les pavots

qui ont poussé sous les pieds de Déméter après qu’elle ait

longuement et vainement cherchée sa fille Perséphone,

enlevée par Hadès, la plongèrent dans un sommeil répara-

teur. La statue grecque de Déméter (

V

e

siècle av. J.-C.) de

l’agora d’Athènes représente ainsi la déesse avec des épis

de blé et des pavots dans les mains. Le pavot est la plante

symbole de Déméter, déesse de la fécondité. Les dieux

Hypnos (le sommeil), Thanatos (la mort) et Nyx (la nuit)

sont également ornés de guirlandes de pavot ou en tiennent

entre les mains. Le pavot figure également sur les mon-

naies grecques. Hésiode, dans sa Théogonie, signale que

la ville de Sicyone, dans le Péloponnèse, s’appelait autre-

fois Mécone, la ville des Pavots. Héraclite de Tarente (550-

480 av. J.-C.), médecin de Philippe de Macédoine, père

d’Alexandre le Grand, diffuse l’opium dans tout le monde

grec comme anti-douleur. Alexandre Le Grand utilise

l’opium pour lutter contre ses migraines et emporte la

plante miracle avec ses troupes jusqu’en Asie centrale puis

en Inde. Au

V

e

siècle av. J.-C., Diagoras met déjà en garde

contre les dangers de cette drogue. 400 ans av. J.-C., Hip-

pocrate

(fig. 6)

, considéré comme le père de la médecine

occidentale actuelle, consacre toute sa vie à l’utilisation

thérapeutique des plantes et tente d’en expliquer leurs

vertus. Hippocrate est un médecin grec (île de Cos, 460

av. J.-C. ; Larissa, 370 av. J.-C.). Né d’une famille vouée au

culte d’Asclépios, le dieu grec de la médecine, Hippocrate

apprend la médecine sacerdotale et l’anatomie auprès de

son père, Héraclite. Puis il quitte son île natale et devient

médecin itinérant. Il acquiert une solide réputation en

temps que praticien. Il regagne alors Cos et fonde son école

en 420 av. J.-C. Hippocrate demeure un des plus grands

médecins de l’Antiquité. La contribution d’Hippocrate auFigure 5. Fragment du papyrus Égyptien d’Ebers découvert à Louxor.

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88

développement des sciences médicales est telle qu’il estactuellement considéré comme le père de la médecine.Son éthique est à l’origine du serment que prêtent lesmédecins. Il laisse une somme considérable de donnéesqui sont publiées en 280 av. J.-C. dans le Corpus Hippocra-tum. Hippocrate fut le premier à consigner les propriétésnarcotiques de l’opium : « Mécon hypnoticon ». Hippo-crate indique l’usage médicinal du méconium. Il attribueau pavot blanc des effets curatifs dans les maladies del’utérus ainsi qu’une action constipante. Toutefois, il nelui reconnaît pas de propriété analgésique [7]. Aux

I

er

et

II

e

siècles après J.-C., des descriptions précises de l’opiummédicinal apparaissent dans de nombreux ouvrages grecset latins. Au cours du premier siècle de notre ère, Diosco-ride, autre médecin grec et successeur spirituel d’Hippo-crate, écrit son fameux De Matéria Médica

(fig. 7)

quiétudie environ 600 plantes ou « simples » et qui resteral’ouvrage de référence en matière de plantes pendant detrès nombreux siècles. Dioscoride décrit le pavot avecprécision et, pour la première fois d’un point de vue chi-mique, distingue la plante elle-même de son latex, seulefficace. Dioscoride élargit les possibilités tirées des troisrègnes de la nature, minéral, végétal et animal, en fournis-sant la liste de près de 900 substances susceptiblesd’entrer dans la composition de remèdes, contre environ130 dans le « Corpus Hippocratique ». Il s’efforce, notam-ment pour la botanique, qui comporte 600 noms, de fairela description exacte de la plante, d’indiquer son habitat

originel, de préciser quelles parties de la plante étaientutiles, à quel moment les récolter, comment les préparer,leur mode et leur durée de conservation ; en même tempsqu’il en définit l’usage médicinal il signale les inconvé-nients de telle ou telle préparation. Dioscoride Pédianosqualifie l’opium de « liqueur la meilleure ». Il crée le dia-code qui est le premier sirop d’opium.

LES ROMAINS ET LA CÉLÈBRE THÉRIAQUE

Les Romains reprennent l’héritage médical et rituel dupavot. Virgile le poète latin (70-19 av. J.-C.) décrit le pou-voir narcotique du pavot dans les Géorgiques, ainsi quedans son épopée l’Énéide : papaverum somniferum oupapaverum

somnus ferre

est le pavot qui porte le sommeil.Aulus Cornelius Celsus vécut sous le règne de l’empereurTibère, au

I

er

siècle après Jésus-Christ. Il prodigue une méde-cine proche du « Corpus Hippocratique », mais vulgarisée,faisant de la douleur un signe important pour le pronosticdes maladies et exposant avec forces détails les diversremèdes possibles. Son encyclopédie « De Re Medicina » estun des documents les plus précieux sur la médecineantique. Cette encyclopédie comprend huit tomes. Le cin-quième tome est entièrement consacré aux médicaments.L’utilisation du pavot en topique y est décrite. Les remèdesen application locale sont faits de têtes de pavot mélangéesà de la graisse, à des fomentations de décoctions de pavotet de racines de concombre sauvage, dont on imprègne uneéponge que l’on passe sur les parties douloureuses. Aucours du

II

e

siècle de notre ère, c’est au tour de Galien (218-

Figure 6. Hippocrate (460-370 av. J.-C.), le père de la médecine.

Figure 7. Ouvrage du médecin Grec Dioscoride : « De MatériaMedica » écrit au Ier siècle de notre ère.

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89

268)

(fig. 8)

, de codifier l’emploi de toutes ces plantes, etde mettre au point un nombre considérable de formulationsmagistrales à peine complétées et modifiées jusqu’à la findu

XVIII

e

siècle. Galien qualifie l’opium d’anodin (anodin ouanodyn, anodynus de « a » privatif et « odyn », douleur engrec ; le mot « anodin » désigne, en matière médicale, commel’annonce assez son étymologie, des remèdes qui ont la pro-priété de calmer les douleurs) et le classe dans les « substan-ces froides » dans une représentation de la santé et de lamaladie à travers un système de « qualités », chaud et froid,humide et sec, correspondant à chacune des quatre humeurs,sang, bile, phlegme et atrabile. Les princi-pes de traitement consistent à lutter contrele mal par son contraire, par exemple lechaud contre le froid. Dans ce systèmede valeurs, les « anodins » sont donc desrefroidissants. La pénétration de l’opiumen Europe est surtout due à Galien qui enfait l’élément principal d’une panacéepromise à un long avenir, la thériaque[8]. L’histoire de la thériaque a plus de2 000 ans et est intrinsèquement liée à celle de l’opiummédicinal [11]. La thériaque était un remède universel, quipouvait tout guérir, et qui de ce fait reçu un accueil enthou-siaste pendant 1 800 ans. Sa préparation figurait encore en1908 dans le répertoire général de la pharmacie de Dor-vault. Le plus souvent fabriquée au cours de cérémonies fas-tueuses par des médecins ou des pharmaciens, elle eutd’innombrables formules. À Rome au

I

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siècle, Andromaquel’Ancien, médecin de Néron en est le père. Il compose unnouvel électuaire qui comprend une soixantaine de plantes

et de la chair de vipère, laquelle passait pour protéger desmorsures des bêtes venimeuses. Andromaque, pour créercet électuaire, se base sur un traité consacré aux morsures desbêtes sauvages et des serpents composé par Nicandre de Colo-phon, médecin auprès d’Attale roi de Pergame au milieu du

III

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siècle avant Jésus-Christ. L’électuaire (electuarium, duverbe latin eligere, choisir) est un médicament mou, un peuplus épais que le miel, que l’on compose avec des poudres,des pulpes, des extraits en y ajoutant du sirop ou du vinpour lui donner la consistance requise. On désigne sous lenom d’opiats les électuaires qui contiennent de l’opium.C’est Criton, médecin romain contemporain de Trajan quidonne à cet électuaire ou opiat le nom de thériaque, de thé-riakos signifiant en grec « bon contre les bêtes sauvages ».C’est donc Galien, médecin de Marc Aurèle qui tenait offi-cine à Rome sur la voie sacrée, qui contribua à la renomméeextraordinaire de la thériaque. Il la décrivit en détail telleque l’avait conçue Andromaque en insistant sur l’impor-tance de l’opium. Dans sa composition entraient de 60 à 80composants, dont quelques milligrammes d’opium. Lestrois invariants étaient la chair de vipère, l’opium et le miel.Une fois les substances soigneusement mélangées, on intro-duisait le tout dans un grand vase en verre ou en argent lais-sant un espace vide pour permettre la fermentation. Onpréconisait de ne l’utiliser que 5 à 7 ans après sa fabricationpour en ressentir les bienfaits. Une version est attribuée auroi herboriste Mithridate VI, tyran redoutable, qui l’aconcoctée pour se prémunir d’un éventuel assassinat. Lemithridate contenait quarante ingrédients dont l’opium.Comme Dioscoride, Pline l’Ancien (23-79 après J.-C.) arecours aux travaux de ces prédécesseurs, notamment ceuxde Sextus Niger dans lesquels il puise largement. Pline

consacre un livre aux plantes médicina-les. Il s’agit d’une encyclopédie dont lesobjets sont rangés en vertu de leur res-semblance soit morphologique soit ono-mastique (en fonction du nom). Dans cetouvrage, le pavot fait partie des plantesutilisées comme aromates. L’odeur insup-portable du suc de pavot noir permetd’en distinguer les falsifications. Plinenous apprend que son emploi était déjà

controversé dans l’antiquité, car certaines personnes s’enservaient comme un poison mortel. On utilisait le suc depavot en application locale, par exemple dans les douleursdes articulations, en pastilles que l’on prenait dans du laitpour dormir. Pline en explique soigneusement le mode depréparation : « On recommande de l’inciser sous la tête etsous le calice, et c’est la seule espèce dont on incise la tête.Ce suc, comme celui de toutes plantes, est recueilli sur dela laine ou sur l’ongle du pouce. Mais le suc du pavot, quiest abondant, se recueille plus encore le lendemain, étant

Figure 8. Le médecin romain Galien (218-268).

Le mot « anodin » , en médecine, désigne des remèdes qui ont

la propriété de calmer les douleurs.

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séché, il s’est épaissi. On le pétrit en petit pain et on le faitdessécher à l’ombre. Il n’a pas seulement une propriétésoporifique, mais, pris en trop fortes doses, il cause mêmela mort pendant le sommeil. On l’appelle opium » [9]. Plinel’Ancien répertorie 37 remèdes au pavot, dont onze conte-nant spécifiquement du papaverum Somniferum. Ces pré-parations sont prescrites pour calmer la douleur, soulagerles yeux et guérir le mal de tête et la goutte. La Rome Impé-riale était grande consommatrice d’opium, car en l’an 312,il existait plus de 800 boutiques vendant de l’opium et sonprix modique était fixé par décret de l’empereur. Unebonne part du savoir accumulé par les Sumériens, les Égyp-tiens, les Grecs et les Romains disparaît ensuite avec lachute de l’empire romain, au milieu du

V

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siècle de notreère. En Europe, les monastères conservent et copient beau-coup de manuscrits précieux, mais c’est aux Arabes quenous devons l’essentiel de nos connaissances actuelles surcet ancien savoir, car ils ont maintenu vivantes les médeci-nes grecque et romaine pendant ce qu’il est convenud’appeler les ténèbres de l’Europe.

LES ARABES ASSURENT LA DIFFUSION DE L’OPIUM VERS L’INDE ET LA CHINE

Durant l’âge d’or de l’Islam, de 800 à 1100 après J.-C., desmédecins érudits rédigent formulaires et traités en puisantdans la « Materia Medica » gréco-romaine. Avicenne (IbnSinâ)

(fig. 9)

, est un médecin, philosophe et alchimiste per-san (980-1037). Il est considéré comme l’un des plus grandscommentateurs d’Aristote au Moyen Âge. Son analyse syn-thétique de l’Islam et des textes médicaux anciens lui pro-

curent une grande influence sur la pensée médiévale,annonçant les prémices des découvertes médicales de larenaissance. Né d’un père fonctionnaire de l’administrationsamanide, formé au Coran et au droit islamique dès l’âge dedix ans, Avicenne s’initie rapidement aux mathématiques, àla physique, à la philosophie puis aux sciences médicales.Il se montre alors particulièrement doué. À dix huit ans, ila acquis toutes les sciences connues. Fin lettré, il entame latraduction et le résumé des oeuvres d’Hippocrate et deGalien qu’il annote scrupuleusement. Excellent gestion-naire des affaires de l’État, Avicenne devient le protégé dupuissant Chirazi à Djouzdjan. C’est dans cette ville qu’ilcommence la rédaction de son Canon de la médecine avantd’obtenir le poste de vizir auprès du souverain de Hamadan.Reconnue durant tout le Moyen Âge, son oeuvre sera tra-duite en latin dès le

XV

e

siècle puis diffusée dans toutel’Europe où elle reste l’une des références médicalesjusqu’au

XVII

e

siècle. L’opium est un des éléments de basede sa pharmacopée et il le qualifie de remède engourdis-sant. Dans son Poème de la médecine qui est un abrégé deson célèbre Canon et qui est destiné aux étudiants, ilconsidère les médications qui suppriment la douleurcomme des médications réchauffantes et drainantes contrai-rement à Galien. À cette époque, les apothicaires arabescontribuent à ce que chacun ait accès à des drogues commel’opium. Les officines existent dans le monde arabe depuisle

VIII

e

siècle. Moins usité que le cannabis, l’opium a toute-fois une large place dans la pharmacopée arabe. Le dévelop-pement du commerce de l’opium, puis la culture du pavot,par le monde islamique, favorisent la diffusion de l’opiumvers l’Inde et vers la Chine. La prohibition édictée par leCoran contre l’usage des boissons fermentées, a ensuitecontribué à répandre l’usage de l’opium. Plusieurs variétésd’opium apparaissent alors selon l’origine : turc, égyptien,persan, indien. Le livre de la thériaque réalisé par l’école deBagdad en 1199 et conservé à la Bibliothèque Nationale deFrance reprend les traditions antiques liées au célèbre élec-tuaire et perpétue la connaissance gréco-romaine. Le livrede la thériaque sera par la suite très largement diffusé enEurope.

LA CHINE ET L’OPIOMANIE DE MASSE

L’usage de l’opium n’a donc pas pris naissance en Chine. Lepavot est inconnu en Chine avant la dynastie Tang (6I8 apr.J.-C.). Il est découvert par les Chinois à la suite d’échangesavec l’Inde. En effet, vers la fin du

VII

e

siècle, plusieurs cara-vanes chinoises débouchent dans les plaines de l’Oxus, parla fameuse « route de la soie » [10]. En 667 précisément, uneinvasion chinoise traversant le Tibet et le Népal pénètre enInde, s’empare de plusieurs villes et y laisse des comptoirs.Par ailleurs, des flottes chinoises ne cessent de voguer versFigure 9. Le médecin persan Avicenne (980-1037).

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Ceylan, pour échanger leurs soies contre des bijoux, despierres précieuses et autres riches produits de la contrée.La première mention du pavot (ying su) remonte à la pre-mière moitié du

VIII

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siècle, et est relatée dans le « Traité debotanique » de Cheu Tsang Chi, qui y décrit la fleur dupavot. Toutefois ce n’est que vers 973, dans « Les Trésorsde l’Herboriste », qu’il est parlé de l’emploi médical del’opium. En 1057, Su Sung, dans son « Traité de Botanique »,souligne que la décoction des graines de pavot constitue unremède très efficace dans nombre de maladies. Si, à cetteépoque, les Chinois n’ont pas encore découvert dans lepavot cette action stimulante qui doit, par la suite, donnerà l’opium son immense et extraordinaire succès, du moinssavent-ils déjà utiliser la graine en infusion pour se procurerla douce somnolence, la quiétude physique et morale, sirecherchée des Orientaux. Bien plus tardivement est apparuela différence entre l’extrait de plante et l’extrait du suc de lacapsule [10], c’est-à-dire le véritable opium. Au

XV

e

siècle unmédecin, Lin Hung, fait état du suc lui-même, qu’il vantecomme un excellent remède contre toutes espèces de dou-leurs. Dans les écrits de Wang Hi, gouver-neur de la province du Kan Sû, quimourut vers 1488, on peut trouver la pre-mière description du mode de scarifica-tion des capsules du pavot, conseilléeaprès la chute des pétales, selon la cou-tume arabe. Dans son livre de la Matièremédicale, publié en 1578, le médecin LiShi Chang consacre un article approfondiau pavot et à l’opium. Il distingue troispériodes dans leur historique : la pre-mière, allant du

VII

e

au

XI

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siècle, pendantlaquelle la graine seule était employée ; la seconde, du

XII

e

au

XV

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siècle, comprend la connaissance des propriétésmédicales relatives à la capsule en décoction, et à la décoc-tion évaporée de la plante entière ; la troisième époque, oùapparaît l’opium véritable, importé par les Mahométanssous le nom de « Afu yung » et « Ya pien ». Cette nouvellemédication se répandit très rapidement, la pharmacopéetrouvant en elle un moyen sûr et puissant pour arrêter lesdysenteries et les diarrhées rebelles. Li Shi Chang relate éga-lement les nombreux succès qu’on en peut retirer dans letraitement du rhumatisme, de l’asthme et de plusieurs affec-tions accompagnées de douleurs.Il convient d’ajouter une quatrième période durantlaquelle l’usage de fumer se propagea dans le peuple et sesubstitue complètement à l’habitude d’avaler l’opium, soitpur, soit mélangé au chanvre suivant la méthode musul-mane. Comme cette coutume nouvelle coïncida avecl’introduction du tabac, tout naturellement les Chinois uti-lisent le mélange de la « feuille à fumée » et de l’opium,mais ils ne tardent pas à supprimer le tabac et à faire de

l’opium une préparation plus subtile et maniable, enmême temps que plus agréable à savourer à l’état pur. Àpartir du

XV

e

siècle débute le commerce de l’opium. L’expan-sion de l’Occident vers l’Asie crée les « routes de l’opium »,qui deviennent un élément important du commerce desépices. L’Espagne, le Portugal puis l’Angleterre et la Hol-lande deviennent les organisateurs du commerce del’opium. Les Espagnols et les Hollandais importent versl’Asie la culture du tabac d’Amérique et l’usage de la pipe.Sous leur influence va se répandre en Chine un nouveaumode de consommation de l’opium, « fumé » alors qu’ilétait essentiellement mangé auparavant. La culture inten-sive du pavot envahit alors rapidement toute l’Asie du sud-est : Inde, Sumatra, Java, Bornéo, Philippines et Chine[12]. En 1602, La Compagnie Hollandaise des Indes Orien-tales reprend les comptoirs portugais et favorise l’exten-sion vers la Chine de la consommation d’opium. Avec letraité d’Utrecht en 1713 et la création de la CompagnieAnglaise des Indes Orientales, les Anglais supplantent lesHollandais dans le commerce avec l’Asie. L’Angleterre

finance alors avec l’opium la construc-tion de son empire colonial en créantl’East Indian Company, tête de pont ducommerce avec la Chine. Celle-ci ten-tera en vain de résister à l’envahisse-ment de l’opium dont l’usage fumédevient un problème sanitaire majeur.Les importations de la Compagnie desIndes passent, entre 1729 et 1837, de12 tonnes à 2 400 tonnes par an. LaChine se défend en déclenchant succes-sivement deux conflits contre l’Angle-

terre de 1839 à 1842 puis de 1856 à 1858. Ces deuxguerres de l’opium mettront l’empire chinois à genou etle commerce de l’opium sera légalisé [13, 14]. Il s’en suitégalement une énorme augmentation de la production(3 000 tonnes en 1850, 6 000 tonnes en 1879, 10 000 tonnesen 1886), de la consommation d’opium en Chine (85 % dela production mondiale en 1906) et de la diffusion de laconsommation d’opiacés en Europe, en Angleterre notam-ment, tant dans les milieux aisés que dans la classeouvrière, au fur et à mesure du développement de la révo-lution industrielle. Il faudra attendre la conférence deShangaï en 1909 et celle de La Haye en 1912, ainsi que ladécolonisation, pour que la prohibition de l’opium nonmédical soit effective. Bien que l’usage médical et hédo-niste du pavot mangé soit connu en Chine depuis dessiècles, depuis son introduction par les Arabes, celle-ci vadonc faire la rencontre douloureuse d’un nouveau moded’absorption, en prenant l’habitude de fumer le tabacimprégné d’opium, ainsi que d’une qualité d’opium supé-rieure titrant plus en morphine, introduit par les occiden-

Avec le traité d’Utrecht en 1713 et la création

de la Compagnie Anglaise des Indes Orientales,

les Anglais supplantent les Hollandais dans

le commerce avec l’Asie.

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taux. De ce choc culturel va naître la premièretoxicomanie de masse de l’histoire humaine entraînantaussitôt de nouvelles représentations sociales de l’usagerde drogue : l’archétype du drogué absent au monde, affalédans ses coussins avec sa pipe à opium

(fig. 10)

. Le pavotet l’opium changent alors de statut et deviennent synonymesde toxicomanie, de luxure et de vice. Cette pratique alaissé des traces dans l’histoire car on lui doit d’avoirprovoqué en Chine la plus grande épidémie de toxicoma-nie au monde (120 millions d’opiomanes en Chine), ainsique les deux guerres qui opposèrent les deux empiresd’Angleterre et de Chine.

L’EUROPE ET LA DIFFUSION DE L’OPIUM MÉDICINAL

Les apothicaires

Pendant de nombreux siècles, la médecine et la pharmaciesont confondues et sont exercées par le médecin qui pres-crit et prépare les médicaments. L’église chrétienneconvaincue que les remèdes sont d’essence divine, s’inté-resse de près à l’art de guérir. Prêtres, moines, évêquesdeviennent les savants et compilateurs des œuvres antiques.Ils sont influencé par Cassiodore, un écrivain romain, qui seréfugie à cette époque dans les monastères européens ; ilinvite les moines à étudier la médecine antique d’Hippo-crate, de Dioscoride et de Galien, et à réaliser les traductionset les copies qui propagent au monde moderne les connais-sances de la médecine antique. La médecine et la pharmacietombent entre les mains du clergé. Les soins sont dispensésdans les couvents qui possèdent un jardin botanique et unepharmacie. Cette pharmacie est une simple armoire dont estchargé « l’apotecarius », moine médecin et apothicaire [19].Au sein de cette pharmacie, l’opium occupe une place cen-trale. À l’aube du

XII

e

siècle, la préparation des médicamentsne correspond pas à un métier particulier. Médecine et phar-

macie, toujours confondus, sont alors exercées par le clergéet par quelques laïcs. Les médecins laïcs commencent à étu-dier à l’université et rapidement le corps de médecins sesépare de celui des chirurgiens. La médecine à cette époqueest reconnue comme une science contrairement à la chirur-gie. Au

XII

e

siècle, le commerce connaît un essor remarqua-ble. Des foires et des marchés apparaissent dans toutes lesgrandes villes. Les vendeurs de remèdes appelés « speciarii »,« apothecarii » apparaissent ainsi que les charlatans. À lamême époque, l’exercice de la médecine et de la pharmaciepar le clergé est remis en question puis interdit. La pharma-cie se sépare de la médecine. En effet, dès 1220, à Paris uneordonnance du roi demande à libérer le médecin des tâchesjugées contraignantes et peu valorisantes, tel le maniementdu pilon et du mortier. La pharmacie prend son essor. Descommunautés d’apothicaires et d’herboristes se constituentet sont à l’origine du caractère réglementé de la pharmaciemoderne. En 1258, Saint Louis donne un statut aux apothi-caires. Ce statut est renforcé par le roi Jean Le Bon en 1339.Pendant tout le Moyen Âge, les apothicaires usent largementde la fameuse thériaque, qui contient le suc de pavot et dontla popularité est croissante. Les apothicaires européenss’établissent en officines (le grec « apothekhe » désigne uneboutique) qui regorgent de préparations à base d’opium, demandragore, de jusquiame et de belladone. À la fin duMoyen Âge, le luxe et le raffinement transforment l’échoppede l’apothicaire : des urnes de faïences richement ornéessont les nouveaux accessoires. Les officines deviennent dehauts lieux de rencontre où les discussions brillantes le dis-putent aux consultations médicales. Détenteurs de droguesrares et prestigieuses, membre d’une corporation influente,l’apothicaire devient un notable bourgeois au fil des siècles.Pour se distinguer des herboristes et autres épiciers, plusspécialisés dans les denrées alimentaires, il prend le parti dela science officielle. Au

XIII

e

siècle se tient en France l’unedes plus grandes foires internationales où viennent se ravi-tailler médecins et apothicaires : une tente abrite la déjàcélèbre thériaque de Montpellier. Au

XIV

e

siècle son prestigeest si grand qu’elle est recommandée contre la peste. En1556, le statut des apothicaires français leur enjoint de nepréparer les compositions importantes qu’après avoir faitcontrôler leurs drogues par les médecins et les apothicaires.La thériaque est ainsi préparée en commun et en placepublique pour éviter les falsifications. La dernière prépara-tion publique de la thériaque a lieu en septembre 1790, aulendemain de la révolution Française. Malgré le développe-ment des sciences médicales, elle continue d’être consom-mée jusqu’à la fin du

XIX

e

siècle. Léon Gautier, médecin ethistorien suisse, relate que le produit véritablement pharma-ceutique qui jouit alors de la plus grande réputation enEurope est la thériaque d’Andromachus composé de deuxcents ingrédients [18]. Elle est employée contre la peste à

Figure 10. Fumerie d’opium en Chine.

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cette époque. Plusieurs apothicaires se réunissent pourfabriquer en commun cet électuaire compliqué. Cette opé-ration se fait avec apparat dans une grande salle sous lesyeux du public. Cette coutume se perpétue à Genèvejusqu’au

XVIII

e

siècle. Le registre du conseil mentionne cettefabrication solennelle. Le 27 janvier 1566, les apothicairesréunis obtiennent permission « de faire la tériaque d’Andro-machus au cloistre Saint Pierre au veu de chascun ». La thé-riaque est également colportée de ville en ville par desmarchands de remèdes itinérants. L’un des plus grands pro-cès criminels fut intenté en 1412 à un marchand accusé devendre de la mauvaise thériaque. Le nom de « triacleur » enresta aux colporteurs de médicaments. Au

XIV

e

siècle, s’éta-blit l’usage des « receptes », ordonnances écrites, dontl’emploi n’a jamais été supprimé depuis. Elles sont obligatoi-res et l’apothicaire doit respecter rigoureusement les pres-criptions du médecin, aussi bien pour la nature desingrédients que pour les proportions. Le « qui pro quo »,c’est-à-dire la substitution d’une drogue par une autre, estinterdite sans l’autorisation du médecin [19]. L’avènementde l’imprimerie en 1455 favorise la propa-gation du savoir. La science redevientpopulaire. Les travaux de Dioscoride, deGalien, d’Avicenne sont imprimés et cir-culent dans l’Europe entière, encoura-geant la prolifération des remèdes à based’opium. Les formulaires répertoriant lesingrédients et les dosages de diversesmédications sont normalisés dans ce quiva devenir la Pharmacopoeia. En France,l’un des ouvrages les plus reconnu étaitl’« Antidotaire » de Nicolas d’Alexandrie,écrit en grec vers 1300, puis traduit en latin et régulièrementcorrigé par les maîtres du métier. On voit ainsi apparaître leprincipe des mises à jours et des éditions. Ces ouvrages sontsouvent imposés par les pouvoirs publics comme sourcesofficielles du savoir. À partir de l’ordonnance royale du8 août 1816, le « Codex Medicamentarius Seu PharmacopaeGallica » fut publié et imprimé par les soins du Ministre del’Intérieur. Tout pharmacien est tenu de se le procurer et des’y conformer, dans un délai de six mois suivant sa publica-tion. La première édition est en latin, suivie d’une secondeédition en français en 1837. Depuis 1943, la rédaction de laPharmacopée française est l’œuvre de la commission natio-nale de la pharmacopée relevant du Ministère de la SantéPublique. À partir du

XVI

e

siècle, l’Occident est confrontéaux Turcs conquérants, grands consommateurs d’opium ;son usage se répand alors. C’est également à cette époqueque les premières descriptions de la très célèbre épongesoporifique sont retrouvées, à la fois dans l’antidorium deBamdeburg et dans le codex de l’abbaye de Monte Cassino.Il en est fait mention de manière constante jusqu’au

XVIII

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siè-

cle, sous réserve de quelques variantes dans sa composition.Une des recettes parmi les plus connues a été décrite, àcette époque, par Théodoric de Cervie (1205-1298). L’élé-ment majeur en est l’opium, la ciguë, les graines de laitue.Le malade est plongé dans un état stuporeux, voisin d’uneanesthésie générale.

PARACELSE ET LES PRÉMICES DE LA CHIMIE

À cette époque, la galénique traditionnelle est contestée pardes savants indépendants tel l’alchimiste suisse Paracelse(Phillipus Aureolus Theoprastus Paracelsus Bombastus deHohenheim, 1493-1541), célèbre pour son comportementincendiaire (il brûle les œuvres de Galien et d’Avicenne)autant que pour ses connaissances en médecine. Paracelsedéveloppe la théorie des signatures « simila similibus curan-tur », ainsi qu’une théorie selon laquelle toute maladie d’ori-gine inconnue provient d’un dérangement de la conditionchimique du corps. Le principe de la chimie au service dela médecine est ainsi énoncé avec trois siècles d’avance.

Son arsenal pharmaceutique consiste ensoufre, en sel et en mercure, maisl’opium joue également un rôle impor-tant dans ses traitements. Les cures mer-veilleuses qu’il réalise à l’aide de cettemédication auraient contribué à dévelop-per l’opiophagie chronique. Paracelsepense, au début du

XVI

e

siècle, que lesplantes agissent à la condition essentielled’en extraire la « Quinta essentia », laforce vitale grâce à divers procédés alchi-miques (il pressent ainsi la découverte

des alcaloïdes). Il semble de la sorte qu’il est, entre autresmerveilles, été l’auteur de l’une des premières descriptionsd’un procédé de synthèse de l’éther éthylique. Bien évidem-ment, pour soulager les malades et les blessés, il utilisel’extrait de pavot, produit de base de sa préparation mira-culeuse et compliquée, ou « Spécific Anodin », dont Para-celse garde jalousement le secret afin de s’assurer de passerà la postérité. On y retrouve des produits pittoresques, rareset précieux tels le corail pulvérisé, la poudre de perles etl’extrait d’or. Après la mort de Paracelse, son « Spécific Ano-din » connaît un immense succès dans l’Europe entière quilui reconnaît des vertus médicinales multiples, lui assurantune réputation sans limite [1]. Avec le

XVII

e

sièclecommence le monde moderne. L’image de l’apothicaire dessiècles précédents se dégrade. Il n’est plus que l’exécuteurde viles besognes : préparation et administration des clystè-res. À cette époque, la pratique de la saignée et du clystèrefait des ravages. Le pauvre Louis XIII ne reçoit pas moins de312 lavements en un an. Louis XVI sépare, par ordonnanceroyale de 1777, les corporations d’apothicaires et d’épi-

À partir de l’ordonnance royale du 8 août 1816,

le « Codex Medicamentarius Seu Pharmacopae Gallica »

fut publié et imprimé par les soins du Ministère

de l’Intérieur.

Douleurs, 2004, 5, 2

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ciers, reconnaissant le monopole de la vente des médica-ments aux seuls membres du Collège Royal de Pharmacie(au départ collège royal de boutiquiers, puis de sorciers, le« pharmakos » est un sorcier, puis enfin de pharmaciens). Ilofficialise la pharmacie comme branche de la médecinenécessitant des études. Durant la révolution, le mot apothi-caire est remplacé par celui de pharmacien, du mot grec« pharmakon », signifiant à la fois remède et poison, celuiqui connaît et détient des substances actives dont le pou-voir thérapeutique peut se doubler de toxicité. Ainsi, lespharmaciens traversent l’épreuve révolutionnaire sansencombres contrairement aux concurrents épiciers et her-boristes dont l’activité reste associé aux croyances del’ancien régime. Au

XVII

e

siècle, les pharmacopées conti-nuent à se multiplier et presque toutes les grandes villesd’Europe ont la leur. La « Pharmacopoeia Londinensis »(Pharmacopée de Londres), entre autres, paraît pour la pre-mière fois en 1618. Les principaux remèdes à l’opium figu-rent dans cette édition : méconium, thériaque,diascordium, mithridate, philonium et diocodium. L’expéri-mentation animale pour l’étude de l’opium a lieu au coursde ce siècle. Dans la seconde moitié du

XVII

e

siècle, apparaîtun nouvel électuaire appelé l’orviétan. Il renferme en faitde la thériaque et du mithridat, deux compositions complexes,ainsi que trente nouvelles substances. Il est apporté pour lapremière fois en France en 1647, par un opérateur nomméFerrantes, originaire d’Orviéto. La drogue garde ensuite lenom de la patrie de l’inventeur. L’orviétan fait son appari-tion à Genève des 1652 [18], il peut être administré contretoutes les maladies, mais c’est, avant tout, un antidotecontre les poisons. Un Vénitien, Jean-Pierre Maffei, fabri-cant officiel d’orviétan, effectue les premiers essais théra-peutique en 1652 sur le chien auquel il a fait administrer unpoison : « à sa requeste, attestation de la preuve qu’il a faitde la vertu de son orviétan sur un chien auquel il a estedonné du poison par ordre de sa seigneurie ». En 1656,Christopher Wren, fait œuvre de pionnier en inoculant del’opium à un chien. Ses expériences font qu’on lui attribuesouvent l’invention de l’aiguille hypodermique ; une seringueefficace n’apparaîtra en réalité que trois cents ans plus tard.La Diatessaron ou thériaque du peuple apparaît égalementà cette époque. Elle ne contient que quatre ingrédientsdont l’opium. Cette formule simplifiée permet sa fabrica-tion avec un coût modeste tout en conservant ses princi-pales propriétés. Elle connaîtra également un grand succèsauprès du peuple [20].

LE

LAUDANUM

DE THOMAS SYDENHAM

Vers la fin du

XVII

e

siècle, un médecin anglais, soucieux degérer économiquement ses prescriptions, élimine les com-posants onéreux du « Spécific Anodin » de Paracelse pour

garder essentiellement l’extrait d’opium. De la sorte, unevéritable industrie se développe vers 1660 sous la houlettede Thomas Sydenham (1624-1689)

(fig. 11)

, qui livre à lapostérité le Laudanum, soulageant, au passage, les dou-leurs ulcéreuses dont souffre le cardinal de Richelieu et plusnoblement, encore, les atrocités hémorroïdaires de samajesté le roi Louis XIV. Ainsi s’accroît, de jour en jour,l’engouement d’une société qui, à la recherche de ce quelui promet la réclame sous le nom de laudanum (nom latinqui signifie celui que l’on loue), espère trouver une panacéecapable de prodiguer le bien-être pour le douloureux et,pour tous, force, joie de vivre et santé. Le laudanum estune teinture alcoolique d’opium safrané et parfumé à la can-nelle ou à la girofle. Il devient au XIXe siècle une sorte d’apé-ritif fort apprécié. Ainsi se répand en même temps uneconsommation chronique d’opium qui est, sur une vasteéchelle, à l’origine de toxicomanie. Thomas Sydenhamreprésente un tournant dans l’histoire de l’opium médici-nal. En le transformant en remède universel et en industria-lisant son commerce (fig. 12), il lui ôte toute sa sacralité.Cette sacralité de la thériaque qui était le garde fou contretoute utilisation abusive. Toutes les couches sociales l’affu-blent d’un nom adapté à leur propre mythologie. Pour lesbourgeois, il est le symbole du progrès industriel et scienti-fique. Les artistes lui préfèrent une appellation plus poéti-que de teinture d’opium safranée. L’intoxication de lasociété est généralisée, métastasée jusqu’au nourrisson quidans son biberon marche lui aussi à l’opium. La carence deslégislations devient patente. En 1822, les confessions d’unanglais mangeur d’opium sont publiées à Londres par Tho-

Figure 11. Le médecin Anglais Thomas Sydenham (1624-1689), lepère du Laudanum.

Douleurs, 2004, 5, 2 95

mas de Quincey. En 1828, la tradition de l’opium littérairese développe en France avec la traduction par Alfred deMusset de l’ouvrage de de Quincey. En 1868, le « PharmacyAct » est adopté en Angleterre : l’opium y est considérécomme un poison dont la préparation est réservé au seulspharmaciens. En 1908, Londres édicte le « Pharmacy andpoison act » où l’opium est classé dans un tableau spéci-fique des poisons. Les traités de médecine sont rédigés enlatin, la langue de l’élite érudite, jusqu’en 1649, date àlaquelle Nicholas Culpeper, herboriste et médecin britan-nique, traduit la Pharmacopée de Londres en anglais, met-tant l’opium à la portée des non latinistes dans son ouvrage« A Physicall Directory ».

LES PREMIERS REMÈDES BREVETÉS

La pilule Pacifik du docteur Bate, l’une des premières spé-cialités pharmaceutiques brevetées, fait son apparition surle marché et se vend par milliers. Pour la première fois, lesremèdes analgésiques font l’objet de réclames dans les jour-naux. Au XVIIIe siècle en France, les chirurgiens des arméesfrançaises prennent conscience de la nécessité de diminuerla douleur des blessés de guerre. Dominique Larrey, le chi-rurgien de la garde impériale de Napoléon, est célèbre poursa dextérité ; il désarticule une hanche en trente secondes,car il ne peut diminuer la douleur du blessé qu’en lui don-nant du laudanum, lorsqu’il en dispose. À cette même épo-que le chirurgien français Ambroise Paré utilise la thériaquepour réduire l’afflux sanguin avant d’opérer le cœur d’unde ses patients. Puis, c’est en 1784 que James More fait la

première description de l’utilisation de l’opium dans le

cadre de l’analgésie postopératoire [15]. L’opium est égale-

ment administré directement sur la peau au moyen de la

méthode iatraleptique. Celle ci consiste à appliquer du lau-

danum à l’aide d’un cataplasme à la surface de la peau

recouverte de son épiderme [17]. Les remèdes brevetés à

base d’opium, qui n’en sont pas toujours, font leur appari-

tion vers 1880 et sont inventés par les sociétés pharmaceuti-

ques américaines [16]. Les plus célèbres : les gouttes

pectorales du docteur Bateman, l’élixir de Daffy, les pilules

Matthew, le cordial Godfrey, la poudre Dower (Thomas

Dower était un élève de Thomas Sydenham), l’élixir paré-

gorique (fig. 13) et le sirops Graves. Ils sont utilisés pour

soigner tous les maux : la goutte, les poussées dentaires,

les douleurs du cancer, la dysenterie… Le commerce est

tellement rentable que l’on voit apparaître les premières

contrefaçons. Les sirops opiacés calmants pour enfants

sont légions permettant de traiter toux, diarrhée et cris

chez les enfants. À l’époque, aucun enfant n’y échappe et

les milieux défavorisés en consomment de grandes quanti-

tés. Le plus célèbre, le « Mrs. Winslow » américain est

responsable d’un grand nombre de décès d’enfants dans les

années 1910 (fig. 14). Dans la quatrième édition du Formu-

laire des Laboratoires Astier [21], qui est un vade-mecum

de médecine pratique diffusé auprès des médecins en 1928

par les frères Vigot, éditeurs à paris, l’opium n’occupe pas

moins de cinq pages (275-279). Il y est précisé que la sorte

officinale est celle de Smyrne en Turquie. Il y est qualifié

comme sédatif de la douleur quelle qu’en soit la cause,

d’hypnotique en cas d’insomnie douloureuse, de calmant

Figure 12. La fabrication industrielle du Laudanum. Figure 13. Le fameux Elixir parégorique.

Douleurs, 2004, 5, 296

de la toux et d’antidiarrhéique. Il est également indiquédans le traitement du diabète car il diminue la boulimie, lasoif et la polyurie. Il y est également précisé que le lauda-num est le médicament de l’anxiété. Des règles de pru-dence apparaissent dans son utilisation chez le vieillard etchez l’enfant : « les vieillards sont très sensibles à l’actionde l’opium et les enfants encore plus », ainsi que des con-tre-indications : imperméabilité rénale et insuffisance hépa-tique. Le risque d’accoutumance y est précisé. Toutes lesformes de l’opium médicinal y sont décrites avec leur poso-logie précise. La poudre d’opium dont la posologie maxi-male chez l’adulte est de 0,15 g par vingt-quatre heures.L’extrait d’opium (extractum opii) dosé de telle façon que100 grammes d’extrait renferment 20 grammes de mor-phine, son véritable principe actif et qui figure au tableauB. Le Laudanum de Sydenham à 1/10 du Codex préparé demanière qu’un gramme de laudanum corresponde à dixcentigrammes de poudre d’opium et contienne un centi-gramme de morphine selon la convention internationale, 1gramme : XLIII gouttes, qui figure au tableau A. le Laudanumde Rousseau à un quart d’opium du Codex 1884 : II à XXgouttes chez l’adulte comme antidiarrhéique et sédatif dela douleur, per os ou en applications locales, lavement, lini-ment. Les gouttes noires anglaises à un demi d’opium pres-crites dans les gastralgies. L’Elixir parégorique à 1/200 enpotion et gouttes comme antidiarrhéique. L’Electuaire Dias-cordium, la poudre de Dower où l’opium est associé à l’ipe-cacuanha. Le sirop d’opium qui est du sirop d’opiumthébaïque. Le sirop Diacode qui est du sirop d’opium faible(syrupus opii extracti dilutus). Le fameux sirop pectoral quiest dosé de manière que 20 grammes de ce sirop contien-

nent deux milligrammes d’extrait d’opium. La pâte pecto-rale et la pâte de réglisse officinale sont dosées de la mêmemanière en opium. Le Pantoton et le Pavéron sont desextraits totaux d’opium renfermant tous les alcaloïdes sousforme de chlorydrate soluble, ce qui accroît leur efficacité,les alcaloïdes n’étant réellement efficaces que sous la formede sels. Toutes les préparations pharmaceutiques y appa-raissent clairement détaillées pour bols, cachets, lavement,liniment, pilules, pommade analgésique en onction,potions et suppositoires. On peut se les procurer facile-ment, ils sont bon marché. L’opium est associé au mercure,au haschisch, au poivre de Cayenne, à l’éther, au chloro-forme, à la belladone, au whisky, au vin et à l’eau de vie.Ils induisent facilement, au bénéfice des vendeurs, unedépendance.

DROGUE, DÉPENDANCE ET LÉGISLATION

En réponse à l’engouement de la population pour tous cesremèdes à base d’opium, qui posent un véritable problèmede santé publique, la France se dote à son tour, commel’Angleterre, d’un véritable arsenal législatif. La première loide 1848 sur les substances dangereuses se résume plus àune loi de circonstances dont le but est de lutter contre lesempoisonnements, particulièrement ceux à l’arsenic. La loidu 19 juillet 1845 constitue la première véritable législationsur les stupéfiants : elle assimile l’opium à un poison, lerange dans la liste des substances vénéneuses et renforceson contrôle à la vente. Elle interdit à tout pharmacien lavente de substances vénéneuses sans ordonnance médicale

Figure 14. Le célèbre sirop Mrs Winslow qui fit un grand nombre de victimes en 1910.

Douleurs, 2004, 5, 2 97datée et signée. Le décret du 30 octobre 1908 réglementela circulation de l’opium en France. Les fumeries sontfermées (il y en avait 1 200 à Paris). Les trafiquants s’orga-nisent. Le droit international public prend ensuite le relaisà l’initiative des États-Unis, inquiets de l’opiomanie quiconnaît une contagion rapide dans le pays depuis l’arrivéemassive d’émigrants chinois, appelés pour construire leréseau ferré. Ils espèrent convaincre la France et l’Angle-terre de renoncer à inonder le marché chinois d’opiumindochinois et indien. Cette question épineuse rassembledouze nations à la conférence de Shanghai de 1909, puis àcelle de La Haye où le 23 janvier 1912 est signée la conven-tion internationale de l’opium. Plusieurs scandales del’opium secouent la France pendant la Première GuerreMondiale et accroissent la pression sur le législateur, quivote la loi du 12 juillet 1916 sur l’importation, la détentionet l’usage des substances vénéneuses et notammentl’opium, la morphine et la cocaïne. Elle soumet la circula-tion et la vente des toxiques classés en trois tableaux, à unrégime de contrôle rigoureux dès leur entrée en France etn’admet leur délivrance que sur présentation d’une ordon-nance médicale, visant personnellement un malade déter-miné à une époque donnée. Cette loi permet le contrôle dela circulation des stupéfiants, confie le monopole de la pres-cription aux médecins et celui de la distribution aux phar-maciens. Du début du XIXe siècle jusqu’au milieu duXXe siècle, la Turquie devient le principal fournisseurd’opium pour l’Europe et l’Amérique, qui recherchent uneteneur en morphine aussi élevée que possible [1]. Plusieursvariétés distinctes d’opium sont cultivées en Turquie dontcelles de Constantinople, de Macédoine et de Smyrne(Izmir, port de la mer Égée). L’une des régions de cultureles plus actives se situe autour de la ville d’Afyonkarahisarau centre de la Turquie occidentale (« afyon » ou « afium »est le nom arabe de l’opium). Les villes de productionimportante sont : Ushak, Akhisar, Isparta, Tavshanli, Konya,Buldan, Smyrne (Izmir), Ankara (Angora), Tokat, Bigadic,Kirkagac. Enfin, l’essor de la production mondiale d’opium(5 000 tonnes par an) et des dérivés d’extraction de l’opium(morphine et héroïne) permet l’éclosion de ce que l’onappelle au milieu du XXe siècle le triangle d’or, cet espacede production illicite d’opiacés niché dans les hautes terresde l’Asie du sud-est (Birmanie avec 2 600 tonnes, Laos etThaïlande), puis l’émergence en Afghanistan, en Iran et auPakistan lors d’une période plus récente, de nouveauxfoyers de production illicite d’opiacés et de narcotrafics : lecroissant d’or

CONCLUSION

« Sans l’opium, la médecine serait manchote et bancale »,disait Thomas Sydenham. Ces propos illustrent bien le fait

que l’opium, latex issu du pavot, a représenté pour l’huma-nité l’un des apports les plus importants du règne végétal àla thérapeutique. Pendant plus de quatre mille ans, il repré-sente la source des plus fabuleuses préparations pharma-ceutiques, ainsi qu’une panacée de la médecine populaire.Pendant cette même période, il génère les plus importantséchanges commerciaux de la planète et provoque égale-ment les plus violents conflits et les plus grands trafics. Maisà l’aube du XIXe siècle, il continue à fasciner les hommes età interroger les scientifiques. Fils du pavot, il est égalementle père de la morphine. En effet, ce suc renferme environvingt-cinq alcaloïdes dont les plus importants sont la mor-phine, la codéine et la thébaïne. Grâce à la découverte dela morphine, symbole des alcaloïdes, les plantes deviennentbrutalement source de chimie. L’extraction des principesactifs des plantes va alors dominer toute la recherche phar-maceutique du XIXe siècle, une période d’essor de la chimiecaractérisée par une grande effervescence scientifique.L’homme passe brutalement de l’usage des plantes à l’usagedes médicaments. Le second volet de cette série relateradonc l’histoire des alcaloïdes de l’opium, une histoire indis-pensable à connaître pour mieux comprendre celle de lamorphine, car, au delà de la découverte de nouvelles subs-tances aux vertus thérapeutiques essentielles, cette décou-verte est à l’origine de l’essor de la chimie moderne et dudéveloppement de l’industrie pharmaceutique. ■

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Résumé

L’histoire de l’opium est le premier volet d’une série de trois articlesqui se proposent de relater la fascination millénaire de l’homme pourla morphine sous son versant médicinal. Fils du pavot, père de lamorphine, l’opium représente pendant plus de quatre mille ans lasource des plus fabuleuses préparations pharmaceutiques, ainsiqu’une panacée de la médecine populaire. Cette première partie del’histoire de l’opium médicinal retrace les origines botaniques du pa-vot à l’opium. Elle relate les premiers usages thérapeutiques de laplante de la joie chez les Sumériens, ainsi que l’apparition des pre-miers papyrus de lutte contre la douleur chez les Egyptiens. Elle dé-crit l’essor de la médecine gréco-romaine et de son remède universelà base d’opium, la Thériaque. Elle raconte comment les Arabes en as-surent la diffusion vers l’Inde et la Chine qui succombe à l’opiomaniede masse et aux guerres eurasiatiques. Elle retrace sa diffusion en Eu-rope, parallèlement avec le développement de la médecine, des apo-thicaires, puis des pharmaciens. Paracelce énonce les principes de lachimie au service de la médecine avec son « Spécific Anodin » à based’opium. Thomas Sydenham ouvre la voie de l’industrie médicale enlivrant à la postérité le laudanum. Les premiers remèdes brevetés àbase d’opium font leur apparition, ainsi que les premiers codex. Maisl’opium, c’est aussi la drogue et la dépendance, et en réponse à l’en-gouement des populations pour les remèdes à base d’opium, lesétats se dotent d’un véritable arsenal législatif. Dans le même temps,l’essor de la production mondiale d’opium permet l’éclosion desfoyers de production illicite : croissant et triangle d’or.

Mots-clés : histoire, papaverum somniferum, pavot, opium médic-inal, thériaque, opiomane, spécific anodin, Paracelse, Thomas Sy-denham, laudanum.

Summary: History of the medicinal opium: from pop-py to alkaloids of opium

The history of opium is the first part of a serie of three articleswhich suggest telling fascination millennium of the man for themorphine under its medicinal hillside. Son of the poppy, fatherof the morphine, the opium represents during more four thou-sand years the source of most fabulous pharmaceutical prepara-tions as well as a panacea of the popular medicine. This first partof the history of the medicinal opium redraws the botanical pre-vious history of the opium poppy. It tells the first therapeuticmanners of the plant of the enjoyment at the Sumerians as wellas the appearance of the first papyri of fight against the pain atthe Egyptians. It describes the development of the greco-romanmedicine and its universal panacea with base of opium, the the-

riaque. It tells how the Arabs assure of it broadcasting towardsIndia and China which succumbs to mass opiomania and wars.It redraws the broadcasting of the medicinal opium in Europe atthe same time with the development of the medicine, the apothe-caries then the pharmacists. Paracelce expresses the principles ofthe chemistry in the service of the medicine with his “SpécificAnodin” containing opium. Thomas Sydenham opens the way ofthe medical industry by delivering to the offspring the lauda-num. The first remedies patented in base of opium make theirappearance as well as the first pharmacopoeia. But opium is alsoa drug and a dependence and in answer to the craze of the pop-ulations for remedies with base of opium, states endow of a reallegislative arsenal. At the same time the development of theworld opium production allows the hatching of the homes of il-licit production: croissant and golden triangle.Key-words: history, papaverum somniferum, poppy, medicinalopium, theriac, opiomania, spécific anodyn, Paracelce, ThomasSydenham, laudanum.

Tirés à part : C. LE MAREC,Département d’Anesthésie Réanimation,Hôpital d’Instruction des Armées Bégin,

69, avenue de Paris,94160 Saint-Mandé.

e-mail : [email protected]