Histoire (insolite) d’un essai clinique

Genève 1761

Micheline Louis-Couvoisier

Plan

• Brève présentation de Genève et de son hôpital;

• Deux mots sur les maladies vénériennes;

• L’essai clinique .

Genève au 18e siècle

Environ 25.000 ha

Stabilité géopolitique

L’hôpital général

•Créé en 1535;

•Population bigarrée;

•Augmentation de la proportion des malades au 18e siècle.

Les maladies vénériennes

•2e diagnostic (après les maladies de la peau);

•Une chambre pour eux;

•Un problème de santé publique;

•Un problème de coût;

•Un marché florissant;

1761

•Une épidémie: « elles deviennent de plus en plus fréquentes dans la ville ».

L’épidémie: la première mention

Le syndic Fatio a été informé par un médecin et un chirurgien que:– « ayant été appelés dans un cas

extrémement fâcheux, ils avoient reconnus qu’une femme accouchée depuis huit mois étoit atteinte d’une maladie vénérienne, qu’étant remontés à la cause, ils avoient pensé que cette maladie pouvoit avoir été communiquée par une femme qui avoit teté l’accouchée ».

Registre du conseil, 20.12.1760, p. 702

Les prémices de l’essai

• Dix jours plus tard:• Le syndic Fatio fait assembler les

médecins et les chirurgiens « pour examiner quelle seroit la methode la plus seure et les remedes les plus efficaces pour guerir les maladies veneriennes ».

Registre des délibérations des procureurs, Aa 104, p. 45, 30.12.1760

Les prémices de l’essai

• La crainte est grande:• « Il a été arrêté de ne rien épargner dans cette

occasion, pour guerir les personnes atteintes de ces maladies(…) et de les faire traiter soit chés eux, soit dans cette Maison, aux frais de l’Hopital, de destiner pour cet effet les deux chambres nobles, la grand-chambre des heritages au premier étage de la maison de correction (…) en y faisant pratiquer les fourneaux dont on aura besoin ».

• Gratuité des soins, allocation d’espace et de ressource.Registre des délibérations des procureurs, Aa 104, p. 45, 30.12.1760

Les coulisses de la décision

• Trois semaines plus tard, après réaménagement des chambres dans l’hôpital:

• Le syndic Fatio réunit les médecins et chirurgiens « pour deliberer sur la manière de traiter les personnes infectées de maladies veneriennes »;

Registre des délibérations, Aa 104, 18.1.1761

« On vous mettrait debout et tout nud dans une boite de sapin bienclose, dont vous ne sortiriez que la tête. Par en bas, on vous passerait sous les fesses un réchaud allumé avec du mercure sur les charbons. Ce fluide, volatilisé par le feu, retenu autour de vous parla machine (…) pénétrerait peu à peu dans les pores, vous sueriezbeaucoup, et peut-être à la fin vous vous trouveriez guéri. »

La cacomonade, Cologne, 1767

Le choix: des dragées ou…

Les coulisses de la décision

• Trois semaines plus tard:• Le syndic Fatio réunit les médecins et

chirurgiens « pour deliberer sur la manière de traiter les personnes infectées de maladies veneriennes »;

• Tous les chirurgiens sont en faveur de « l’ancienne methode des sueurs et des frictions », sauf Daniel Guyot.

• Les médecins soupçonnent les chirurgiens d’être motivés par le profit.

Registre des délibérations, Aa 104, 18.1.1761

Les coulisses de la décision

• Guyot justifie les dragées Keyser :– Le mercure n’est efficace que si sa

préparation est bien faite;– Les dragées Keyser sont renommées à

Paris;– Il n’y a pas de principes nuisibles dans

leur composition;– Les pilules sont plus commodes.

La décision

• Les médecins ne voient « aucun inconvénient à faire un essai de deux methodes afin de voir par l’experience celle qui operera le mieux »;

• Qui a proposé l’essai ? Sur quels malades? Avec quelle méthode?

• L’essai consiste en deux groupes de 12 malades, l’un traité par les dragées Keyser, l’autre par les frictions.

Registre des délibérations, Aa 104, 18.1.1761.

Les arguments qui renforcent la décision

• Une semaine plus tard:• Le duc de Biron, colonel, écrit une lettre

qui certifie l’efficacité des dragées Keyser:– Il ne soutient ce remède « qu’après des

épreuves multipliées (..) depuis 4 ans »;– 600 soldats ont été traités et guéris;– On peut les prendre sans s’en apercevoir;– Il nécessite peu de régime accompagnateur;– La convalescence est courte.

Registre des délibérations, Aa 104, p. 55, 25.1.1761

Confirmation de la décision

• Dix jours plus tard:• Guyot fait part d’une lettre que Keyser lui a

écrite qui confirme la guérison de 600 soldats grâce à ses dragées. « Ce qui a confirmé la noble direction dans la resolution prise le 18 et le 25 janvier dernier, de faire un essai desdittes dragées, en suivant la methode pratiquée par Monsieur Keyser ».

Registre des délibérations, Aa 104, p. 61, 4.2.1761

Résultats

• 11 mois plus tard:

• Sur les 24 malades qui ont participé à l’essai, 23 ont été guéris, une femme est « manquée par les frictions »; une autre a été « manquée » par les frictions mais guérie par les dragées.

Registre des délibérations, Aa 104, p.135, 6.12.1761

Dénouement

• Une année plus tard:• « Monsieur le syndic a produit céans le

certificat de Messieurs les medecins et chirurgiens de l’hopital qui attestent avoir veu et examiné huit personnes atteintes de maladies veneriennes (…) lesquelles avoient été traittées par le remede des dragées de Keyser et très bien gueries. Ce qui a été aprouvé ».

• Qu’entendent-ils par guérison?

Registre des délibérations, Aa 104, 20.12. 1761

Insolite?

• Pourquoi un tel essai à Genève?– L’hôpital relève prioritairement de la

philanthropie;

• Qui en a donné l’impulsion?– Les médecins?– Les chirurgiens?– Les directeurs?– Daniel Guyot?

Un cas non représentatif

• Un concours de circonstances:– Un problème de santé publique;– Un problème d’argent;– La « bonne » maladie;– Un marketing efficace;– L’homme de la situation.

• Aucun autre essai n’a eu lieu à l’hôpital jusqu’en 1820.