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D U M ÊM E A U T E U R

T HÊA T R E C O M P L E T

La Dans e devant le Miroir . La FiguranteL

Envers d‘une Sa inte . Les Fossi les .

L‘

Invitée . La Nouve l le I dole .

Le Repa s duLion . La Fi l le sauvage .

Le Coup d‘

A i le . L’

Ame en Fo l ie .

La Comédie duGénie . L’

I vresse duSage .

IHÈC E S S É P A R É E S

L‘

Ame en Fo lie . L‘

Envers d‘une Sa inte .

L’

Amour brode . La Figurante .

La Comédie duGénie . La Fi l le sauvage .

Le Coup d‘

A ile . L‘

I vresse duSage .

La Danse devant le Miroir . Terre Inhuma ine .

Le Repas duLion . La Nouve l le Idole .

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Théâtre competT E X T E S R E M A N I É S p A E L

‘AU T E URAVE C L

’E l ST O E I Q UE D E C H AQU E P I ÈC B

sun ns p a s s ouvmuns D E L’AUT E UR

T O M E 1 1 1

L'

INVIT É E

LA N OUVE LLE IDO LE

PA R I S

A LB I N M I CHE L , ED I T EUR

22 , R UE HUY G H E N S , 22

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n. A É T É T IRÉ

35 exemp la ires sur v ieux j apon la forme

(dont 5 h ors commerce),

numérotés de I à 30 et de 31 à 35 .

13 eæemplaires sur ch ine (dont 1 h ors commerce),

numérotés de 36 à 47 et à8 .

260 exemp laires sur vél in de R ives (dont 5 h ors commerce

numérotés de 49 à 303 et 304 à 308.

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HISTOR IQUE

L’

I N V I T E E

L’E nvers d

’une sa inte avait été représentée enjanvier 1892. Au cours des répétition s de cette piècej’avais écrit les Fossiles , et pendant l

’été qui suivit

, du15 mai au 9 juin 1892, j’ai composé l ’Inv il ée .

É tan t à la recherche d’un sujet , j’ai réfléchi

qu’après avoir montré , dans l ’E nvers d’une sa inte ,

une âme d’amoureuse conservée par la vie re l igieuse , i l pouvait être intéressant d

’étudier uneâme intel lectuel lement et passionnel lement au miveau de la première , mais distraite par une ex is

tence mondaine . C’est ains i que je suis arrivé à

concevoir l ’aventure d’une Mme de Grécourt rompant avec son milieu, et renonçant pour l’éternitéà l’homme de son choix , absolument comme JulieRenaudin . En celle-ci j ’avais pein t un caractèreconcentré dans l ’étuv e monacale , tand i s que la première laisse voir ce qui reste d’un caractère demême espèce après des années dissipées en va inescoquetteries .L

Invitée à peine terminée , je la l i sai s à quelques

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s L’I N VI TÊE

amis du Théâ tre-Libre,au premier rang desquel s

se trouvait,bien en tendu , Antoine . Effet méd iocre .

La p ièce paraissait grise . Malgré ce mauvais présage

, j e la portais immédiatement à la ComédieFrança ise et bientôt se répandait le bruit quej ’avais présen té une très jol ie p ièce que l ’on recev rait certainement , et sur laquel le les sociétairesne tarissaient pas d’é loges . La nouve lle ne tardapas à m ’être confirmée par M . Paul Perret , quivenait d’être nommé lecteur au Théâtre—Français .Mon œuvre avait été une des premières soumisesà son jugement

,il ava it conclu en sa faveur, et i l

était ravi de me l ’annoncer .

Cependant les semaines passaient sans m’appor

ter la notification offic iel le de l a réception , et mapatience

,qui n’étai t pas

,en ce temps- là

,de premier

ordre, commença i t à se lasser, lorsque M . Carré ,directeur du Vaudevil le , me demanda s i je n

’avaispas une pièce à lui proposer .Mais si, j

en avais une ,et l e bon apôtre ne l ’ignorait pas ! Puisqu

’0 n ne

daignai t pas me renseigner sur le sort de l’

I nvilée

n’était—il pas de bonne guerre de la porter la où

l’a ttendait, à coup sûr , un accue i l plus empressé ?Et , en effet, à peine avais—j e remis mon manuscrità M . Carré que je recevais le b il le t suivant

Jeudi.Cher Monsieur de Cure],

Je n’ai pas pu attendre à demain et je me suisenfermé chez moi aujourd ’hui pour vous l ire . J

’en

a i été récompensé . Je viens de passer deux heuresdé l icieuses . Non seulement j e suis prêt à recevoir

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HI S TOR I QUE DE L’I N VI TÊE 9

l’

Inv ilée au Vaudev i lle , mais à monter la pièce immédiatement de façon à la jouer le plus tôt poss ib le . Je cro is avoir une bonne distribution à vousoffrir. Voulez-vous me faire le plaisir de passer dema in vendred i au Vaudeville à 3 h . nous causerons de tout ce la . L’important pour moi seraitque vous décidiez sans retard , car j

’a i hâte de savoir

quel le pièce je mettrai lundi en répét ition et je désirerais beaucoup que ce soit la vôtre .

Croyez-moi votre tout dévoué,A LB E RT CARRÉ .

Il dépendai t de moi d’être joué pour la premièrefois sur une grande scène ; ouétait au jeudi et l ’onm’

offrait de commencer les répétition s le lundi suivant . Vous dev inez la réponse . J ’étai s d’autantmoins disposé à me montrer intrai tab le que Carréme promettait , dans le rôle de Mme de Grécourt,une très grande comédienne , Mme Pasca .

Sans balancer j’adressais à M . Claretie la lettre

que voiciMonsieur ,

Le théâtre du Vaudevil le m’offre de jouer immédiatement l

Inv il ée . Vous savez l’importance quej’attach e à être admis au Théâtre-Français , mais ,depuis quatre mois , j

’atte nds en vain une décisione t i l me paraît imprudent de refuser un avantageconsidérable pour un espoir qui peut être déçu . Jeviens donc, à mon grand regret, vous demanderl’

Inv ilée , sans renoncer à vous proposer tôt outardune nouvelle comédie.

Veuil lez agréer,

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10 L’

I N VI TÊE

L’existence que je mena i s loin des intrigues duboulevard ne me permettait pas de mesurer la perplex ité dans laquel le une pareil le lettre plongea i tM . Claretie . Elle arrivait à la suite d’une campagnede presse extrêmement vio lente contre la ComédieFrançaise et son adminis trateur, auque l on reprochait d’arrêter son choix sur des pièces détestab lesqu’i l entoura i t de mises en scènes surannées , alorsque le Théâtre-Libre

,avec de faibles cap itaux et

servi par des acteurs novices , trouvait moyend’émouv oir profondément le publ ic en lui offrant

des œuvres originales dans des cadres infinimentpittoresques . Ceux que tentait la bri llante s ituation d’administrateur de la Comédie—Française suiv a ient mon évo lution avec une bienve i l lance touteparticulière

,et ne demandaient qu’à favoriser mes

entreprises . Les théâtres subventionnés m’avaientrefusé l ’E nvers d’une sa inte et les Fossiles , deuxœuvres qui

,grâce à Antoine

,avaient passionné

l’opin ion , voilà qu’on me laissait reprendre l’

I nv iiée .

Qu’a l lait-il advenir s i cette dernière pièce rencon

trait le même accueil que ses devancières ?M . Claretie se le demandait avec une anxiété que sa réponsene parvenait pas à dissimuler . Qu’on en juge

Monsieur ,I l n’y a pas un mois que la commission d’exa

men a conclu, sur le rapport d’un de nos lecteurs ,à la lecture de votre pièce , et, depuis un mois , j

’aiattendu l’occasion de vous fixer un jour . Les néce ssités d’un théâtre où les membres du Comité sontpris par des répétit ions urgentes ne permettent pas

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HI S TOR I QUE D E L‘

I N V1T É E 1

toujours à l ’administrateur de précipiter les lectures . Vous aviez été déjà retardé , mais pour uneautre cause, et la mort, une invitée qui s’inviteelle—même, nous avait pris votre premier lecteur .Dès que le successeur de M . Lav oix a été nommé

,

i l a lu votre pièce et a conclu en sa faveur . Je nesais quel eût été le résultat final , ma is j e

'

puis leprévoir. I l est certain que l es membres du Comitéé taient et sont tout à fait sympathiques à l’auteurdes Fossiles et , quant à moi, personnellement, aprèsavoir lu l

Invitée , j’aurais été heureux de voter

pour cette œuvre d ’une rare valeur . La ComédieFrançaise fait parfois, malgré elle, attendre ses déc isions, mais ces retards , auxquels sont habitués ,sans se plaindre , les auteurs de la maison , ont b ienleurs compensations , l

’heure une fois venue . Unthéâtre de répertoire où l ’administrateur doit consulter un comité ne saurait a l ler aussi vite en sesréponses qu’un théâtre où l e directeur se décideimmédiatement e t décide sur la présentation d’unmanuscrit . Vous trouvez , Monsieur, une occasionpropice

,vous avez raison de la sais ir , mais j e re

grette votre impatience .

Je vous écris de chez moi, et ne peux vous retourner, avec cette lettre , votre manuscrit qui estau théâtre . Je serais heureux que vous puissiez mele redemander demain vous-même avant 4 heures .Il me serait très agréable de faire votre connaissance personnelle et de vous serrer la main . Je vousrendrais l ’I nvilée puisque vous le voulez , mais j et iendrais à vous redire ce que je vous écris ici i ly a , à la Comédie-Française, un administrateur qui

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12 L'

I N VI TÊE

vous garde le tour de lecture que vous aviez hier .

Que ce soit l ’Invil ée ou une œuvre nouve l le quevous nous apport iez , vous pouvez compter sur uneam i t ié m i l i tante . Et puisque vous vous p la ignezsans a igreur du reste d’avoir attendu

,c’est

nous , Mons ieur, qui vous attendrons .Agréez , j e vous prie , l

’assurance de mes sentiments les plus d i stingués .

J . CLA R E T I E .

J’étais rompu au métier d’a ller reprendre desmanuscrits dans les théâtres

,mais jamais on ne

m’avait s i aimablement convié à l ’exercer . Le lendemain

,à l’heure d i te

,je grav issais a l lègrem ent

l ’escal ier du Théâtre-França is . M . Clare tie , occupé ,me fi t prier d’attendre et l’on m ’introduisit dans lebureau du secrétaire , M . Mouv a l , leque l , ne meconnaissant pas de vue et ignorant qui j ’étais , neprêta pas la moindre attention à l’hôte obscur quis’insta l lait dans un coin .

Surviennent M l les Reich emb erg et Müller, qui ,pas plus que Mouv a l , ne s’occupent de moi .

Pourquoi a-t-on refusé la p ièce de M . de Cure l ,demande M lle Reich emb erg, on dit que c

’es t charmant

Refusé réplique Monv al . On n ’a pas refusé .M . de Curel nous la reprend . Et i l se met à raconter comment j ’ai perdu patience , puis il passe auréci t de la pièce e l le—même , qu

’i l ana lyse acte paracte . I l en étai t au dénouemen t contre l ’immora lité

duque l protestaient les deux ingénues , j e ne me rappe l le plus aunom de que l princ ipe, lorsqu

‘on meprévint que M . Claretie m

’attendait.

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HIS TO R IQUE D E L’

I N VI TÊE 13

La scène à laquel le j e vena is d’assister m’avaitmis en gaîté, et mon in terlocuteur, que j e rencon

tra is pour la première fo is,contemplait avec quelquesurprise ma face h i lare , peu en rapport av ec la grav ité des circonstances . Pourtant il s

’excusait de

m’avo ir fait a ttendre .Je devra is vous en remercier

, m’écriai-j e . Mon

entrée dans la ma i son est très amusante . Le …co

mique de Mol ière détein t jusque sur v os bureaux .

M . Claretie écouta ma narration d’un air austèreet

,lorsque j ’eus fini

,déclara que M . Mouv al avait

manqué au plus sacré de ses devoirs en l ivrantaux oreilles d’un étranger le secret d’une œuvreconfiée à sa discrétion . C’était vrai , mais j e n

’avaispas eu la moindre idée de me pla indre, sachan tfort bien que dans les théâtres il n’existe pas desecrets . En tout cas , la glace était rompue , l

’entretien se poursuivit de la façon la plus pacifique et saconclusion fut que ma prochaine pièce était reçued’avance à la Comédie—Française .

Le lendemain , j e recevais de M . Mouval la_lettresuivante

Mardi , 20 décembre.Monsieur,

M . l’admin istrateur général me dit que vousn’avez pas reçu la lettre par laquel le j ’avais l ’h onneur de vous informer que votre comédie l ’I nv iie'eétait admise à la lecture devant le Comité . Je suispourtant b ien sûr de vous avoir écrit le 31 octobredern ier, comme à tous les auteurs dont il avait étéquestion dans la séance de la ve il le.

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14 L‘

I N VI T É E

J ’avais même commencé par vous , Mons ieur,parce que vous étiez le seul auquel j

’eusse une

bonne nouvell e à donner. Ce qui fixe absolumentmon souvenir à cette occasion c’est que c’est laseule fois que j ’ai eu l’honneur de vous écrire .

Je vous prie d ’agréer, Monsieur, avec tous mesregrets d’un contretemps fâcheux , qui ne m

’est pasimputable

,l’assurance de ma considération distin

guée .

Le secrétaire du Comité .

MON VA L .

Cette lettre n’est pas l episode le moins comiquede l’aventure et ne prouve-t-e lle pas qu’au théâtrela vio lation d’un secret paraît b ien peu de chose ?Une lettre omise ou perdue vaut la peine qu’on enparle , mais M . Monv al ne dit mot de la conversation surprise par l ’ob scur inconnu .

D ’ai lleurs les polémiques relatives aux raisonsque j

’avais eues de reprendre l ’I nvilée n’en resterent pas là , et je retrouve dans mes papiers différentes l ettres dans lesquel les M . Claretie revientsur ce sujet ; je retrouve également une note paruedans le Figa ro du 21 janvier, après la représentation de la pièce , note émanant de la Comédie—Française et que voici

On a dit , à propos de l’

Inv il e'

e , que la ComédieFrançaise avait quasi refusé la remarquable piècede M . de Curel . La vérité est qu’elle l’eut jouée et

qu’el le allait la recevoir,lorsque l’auteur a porté son

œuvre au Vaudevi l le .

L’

Inv ilée n ’ava it pas été apportée à M . Jules

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HIS TO R IQUE D E L‘

I N VI T É E 15

Clare tie personnel lement . M . de Curel l’ava i t déposée authéâtre et M . Lav oix , le seul lecteur surv i

vant a lors à M . Decource l les, décédé, en ava i t seulpris connaissance . Lorsque M . Claretie apprit parM . Pau l Perret , successeur de M . Lav oix , queM . de Curel apportait une pièce à la Comédie , il enfut charmé et il n’

attendait que la fin des répéti

tions de Jean D ar lo l et du Monde oul ’on s’

amuse

pour faire l ire l ’Inv ilée , lorsqu’à son grand regret

il reçut une lettre de M . de Curel lu i redemandantson manuscrit déjà porté et reçu au Vaudev i lle sansavis préalable .

La réponse de l’admin istrateur de la Comédieétab l i t en termes précis et courtois la situation desdeux partis . A ce t itre nous croyons intéressant dela donner .

Suivait le texte de la lettre que j’a i citée plus haut .

Si j’insiste peut-être p lus qu’i l ne semble utile sur

cet incident , c’est qu’i l a en , sur le côté matériel dema carrière d’auteur dramatique , un fâcheux retentissem ent en me plaçant pour de longues années enétat d’h ostilité latente avec un théâtre que j ’avaisintérêt à me rendre favorable . Certes

,je n’éta is pas

officiellement broui l lé avec la Coméd ie-França ise,

mais e lle a joué l ’Amour brode qu’e l le aurai t eu debonnes raisons pour ne ’pas jouer, et . en revanche ,elle a refusé la Figuranl e et laissé passer le R epa sdul ion ainsi que la N ouve l le Ido le . Remporter untriomphe comme celui qu’au Vaudeville me valutl’

Invitée , cela s’appelle manger son blé en herbe .

Car ce fut un triomphe . En dépit de la légendequ i veut que je n’aie jama is assisté à une de mes

2

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16 L‘

I N VI TÊ E

premières et qui m ’envoie régul ièrement passer auMoul in-Rouge les heures pendant lesquel les se déc ide le sort de mes œuvres , j ’ai écouté dans la logede M . Ca‘rré la prem ière de l ’I nv il ée . Rarement j

’a i

contemplé sa l le p lus emba l lée , et d’autres que moiont emporté de cette so irée la même impression

,

car,le lendema in , un compte rendu commençait

par ces motsOui j e viens dans son temp le adorer de Curel .

L’ensemb le de la presse était à l’unisson .

Henry Fouquier , dans le Figaro , disaitTrès applaud i , i l y a quelques sema ines au

Théâtre-Libre,avec l es Fossiles

,M. de Curel v ient

d’obten ir au Vaudevi lle un des p lus beaux succèsauxquels nous ayons assisté depuis longtemps . Cesuccès

,i l eût dû l’avoir à la Comédie-França ise où

son œuvre fut d ’abord présentée . E l le n ’y a pas étérefusée a insi que je l’a i entendudire . Ma is à la C0médie on est un peusolennel . Avoir un manuscritle soir

,le l ire

,se passionner pour l’œuvre , inviter

l ’auteur à déj eûner pour le lendemain , finir la distribution entre la poire et le fromage et répéterhuit j ours après

,ce sont de s manières que peut se

permettre un d irecteur de théâtre quelconque,mais

qu i paraîtraient , à la Coméd ie , la fin du monde Ona donc fait attendre la lecture à M . de Curel ; i ls’est impatienté . Des amis de l ’auteur , peut—être ,n ’ont pas été fâché d’en lever à la Comédie une piècequ’i l eût été habi le à e l le de jouer . M . Carré ava i tMme Pasca

,qui est admirab le dans son rô le

,et la nou

v eauté la plus remarquab le de l’année , dans le genresérieux , n

’a pas été donnée à la Comédie . L’aven

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18 L’

I N VI TËE

ph ique de son indifiérence , M . François de Curel,

l ’auteur déjà remarqué de l ’E nvers d’une sa inte etdes Fossile s , l ’a tra ité avec une originalité et unemaîtrise qui le mettent défin itivemen t au premierrang parm i les j eunes auteurs dramat iques

Bernard-Derosne s dans le Gil B la sLa coméd ie jouée hier, non seulement accuse

avec éclat les fortes quali tés que nous avions louéesche z M . de Cure l , mais el le en révè le encore denouvel les et d’un genre différent . Aujourd

’hui,i l

n ’y a p lus de doute possible e t c’est avec une entiere sécurité que je répète à l’auteur de l ’Inv itéece que j ’ai dit à l’auteur de l ’E nvers d’une sa inte .

Par la pénétrat ion de son esprit,la hauteur de ses

vues,l’origina l ité vigoureuse de sa pensée

,la lar

geur loyale de ses moyens , la dé l icatesse de sa sensib il ité, la sûreté de son ana lyse , la robuste concis ion de son style et surtout par la faculté qu’il a derevêtir tous ces dons d’une forme vivante et dramatique , M . de Curel est destiné à occuper unegrande p lace au théâtre . Parm i les jeunes auteurs

,

la place qu’il occupe dès aujourd’hui est même,et

sans comparaison possible , la première . Est-ce doncà d ire que l ’I nv itée soit un chef—d’œuv re ? Mon

Dieu ! non , l’

I nv il e'

e n’est pas un chef-d’œuv re ,mais dans les tro is actes de cette curieuse et attachante comédie , i l se trouve , et en abondance , desscènes où se fait jour une inspiration supérieure

,

qui , lorsqu’e l le sera tout à fait maîtresse de soi,pourrait bien se fixer dans une œuvre parfaite .

Dans les D éba ts,Jules Lemaître s

’exprimait

en ces termes

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HIS TOR IOUE D E L’

I N VI TÉ E 19

E lle m’a p lu infin iment,cette iron ique et me

lanco lique comédie de l ’I nv itée . Que l dommageseulement que le postulat mora l en so it s iS ingulière pièce ; s i on la jugeait d

’après les règlesexpér imenta les du théâtre

,e l le paraîtrait p le ine de

défauts . J ’ai d i t la dureté du postu lat . Puis , lethéâtre , comme on sait , vit d

’action,au contraire

du roman qui vit de passiv i té . Or , i l n’y a d’agi s

sant dans l ’I nv itée que les deux jeunes fi lles . Lesautres sont agis bien plus qu’i ls n

’agissent .

Anna passe son temps à se regarder sentir,tout en

se moquant . La p ièce est très diffic i le à raconter(j e m’en suis aperçu I l faut un véritable effortpour d istinguer où aboutit chaque scène en particul ier, et i l ne serait pas commode d’en tracer legraphique Les deux scènes d’A nna avec son

mari , puis avec sesfi lles , au second acte , semblentse répéter au troisième . Les attitudes respectivesdes personnages sont les mêmes

,et i l n’y a qu’une

nuance nouvel le assez légère,dans leurs sentiments .

Pourtant la pièce est bonne,puisque nous l’avons

tant aimée . L’

Invitée est un éminent exemp le dece que le théâtre peut conquérir sur le domainepropredu roman . Songez que si ces empiétementsn ’étaient jamais le théâtre ne bougeraitpas

,n’aurait pas bougé depuis deux sièc les . Enfin

il y a dans l ’I nvitée un charme de tristesse , pénétraute et enveloppante à la fois . La mélanco l ie yest partout comme à fleur d’ironie . Tristesse saluta ire e t l ibératrice, au bout du compte . La malfai

sance des passions éclate là,m ieux encore que leur

vanité . Nous y apprenons ce que c’est que de re

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20”

L’I N YI TÉ E

voir ses sentiments,ses fo l ies et ses souffrances de

vingt ans avec des yeux de quarante ans , et comment une âme qui se croya it morte peut renaîtrede cette épreuve même et que de bonté on peutfa ire encore avec du désenchantement .Dans ce concert

,une note d iscordante

,ce l le de

Sarcey . Ma gaîté nature l le était sympathique à

l ’oncle , en re tour sa bonne humeur m e p laisait . Nosrencontres é ta ient cordia les et si , devan t la rampe ,nous étions le plus souvent adversa ires , à tab lenotre accord était parfait . Seulement , la ComédieFrançaise végétait sous son protectorat , i l s’étaitconsti tué son défenseur attitré et le succès de l ’Inv ite

'

e le gênait considérab lem ent . Déjà , pendant lesrépétitions , a lors qu

’i l ne pouva i t connaître letexte de la pièce , une personne de son intimitém

av ertissait que j ’aurais un mauvais Sarcey , enme conse i l lant de l’a l ler trouver pour tâch er de leconvert ir . Ce genre d’aposto lat n

’est pas dans moncaractère et j e m’étais tenu co i .On lisa i t donc dans le T empsLe Vaudevi l le nous a donné l ’I nv itée , drame

en tro i s actes de M . de Cure l,l’auteur des Fossiles .

La pièce a réussi le prem ier soir d’une façon éc latante . Ce n’étaient qu

’applaudissements à chaque

mot du d ia logue et rappels répétés à la chute durideau . Et dans les couloirs on s

’extasiait, on criait

au chef-d’œuv re . A Dieu ne p laise que j e m ’inscriv e

en faux contre cet enthousiasme . J’e stime infini

ment le talent de M . de Cure l ; j ’ai beaucoup aiméles Fossiles , qui me semb lent encore aujourd

’huipropres à fourn ir une longue carrière s i l’auteur y

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HIS T O R IQUE D E L’

I N VI T É E 21

pratiqua i t quelques retouches indispensables . Jesuis conva incu

,en revanche

,que l ’I nv ite'e , malgré

tout le tapage mené autour d’el le,n’ira pas très

loin . Je puis me tromper, et j ’ajouterai même queje souhaite de me tromper

,tant j ’ai de sympathie

pour l’auteur . Mais je crois b on de le mettre en

garde contre sa faci l i té à se contenter du premierjet . I l a des idées origina les et curieuses ; i l possèdeet c’est là son principa l mérite

,une langue qui e s

bien à lui ; la phrase qui est compacte et ramasséetoujours

,lumineuse que lquefois

,renferme beau

coup de sens et passe par-dessus la Le dialogue est charmant par endroits

,mais ce que je

suis agacé de marcher à Cette d i lettantem’est insupportab le avec sa curiosité doub lée d’orgue il . Je trépigne d

’impatience !Ah ça ! Tu n’auras donc pas un sentiment hu

main (1) Tu as donc sucé le lait de la nourrice deMaurice Barres Si tu sava is comme toutes tessubti l ités de sentiments

,tous tes raffinements de peu

sées,toutes tes comp l ications de caractères , tous tes

mystères de cœur irritent mon gros et droit bon sens .

Sarcey était le seul critique don t l ’0 pinion eût lepouvoir de modérer l’élan des fou les , et i l contribua certainement à d iminuer le nombre des représentations de ma pièce dont la subti l ité de sentiments suffisait amp lement , il faut bien l’avouer , àrefro idir le pub l ic . L

I nv itée eut , au Vaudevil le .

environ 45 représentations , ce qui éta it peu aprèsl’enthousiasme du départ .

(1) La cur iosité e t l ’orgue il n’en sont-ils pas

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22 L’

I N VI TÊE

On lira peut-être avec intérêt une lettre qu’A lexan

dre Dumas écrivait à M . Carré, en sortant d’une

so irée passée au Vaudevi lle .

Mon cher filleul ,Vous av iez ra ison , j ’ai passé une excel lente soi

rée . Faites bien tous mes compliments les plus vifset les plus sincères à l’auteur . Sa pièce est pourmoi tout à fait de premier ordre . La donnée estorigina le , c laire , intéressante dans tous ses mouvements e t dans ses détails . L’exécution est d’un goût

,

d’une simplicité , d’une mesure remarquable . I l y alà toutes les indications ouplutô t tous les signesd’un véritable auteur dramatique . L’apparition dece mari qui a causé tant de catastrophes

,avec son

poisson à la main , est une trouvail le du mei l leur comique , de la mei lleure observation , de la plus implacab le satire sous sa forme gaie . Vous tenez unlong succès et de très bon alo i .

B ien à vous .A . DUMAS ,

Toute la pièce est jouée re‘marquablement. I lfaut cependant que les deux j eunes fi l les repassentun peu leur bi llard .

Pour comprendre le post-scriptum il faut savoirqu’au commencement du second acte la mise enscène comportait une partie de bi llard que faisaientMarguerite Caron et Léonie Yahne en échangeantleurs répl iques , pendant que les rires ironiques dupublic saluaie‘nt les ratés opiniâ tœs de ces demoi

s el les .Paris , 97 février 1919 .

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PE RSON NA GE S

HUBERT DE GRECOURTHECTOR BAGADA IS.

COMTE FRANZ DE T EPLITZANN A DE GRECOURTTHÉBÈSE . C… u

ALICE .

MARGUERITE DE RAON

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26 L‘

I N YI TÉ E

FRAN Z

Décidément,nous parlons français aujourd’hui

ANNA

Une langue si claire !

FRANZ,souriant .

Qui exprime la moitié du temps l’envers de cequ’el le dit ?

ANNA,sour iant.

L’exemple est mal

FRAN Z , se d isposant à battre en retrt lte .

Du moment que je vous gêne,i l ne me reste plus

quANNA

Non,

Au fait , ce sera piquant de me vo irentre vous et lui .

FRAN ZQui , lui

ANNAHector Bagadais.

FRAN ZConnais pas .

AN N A

Il est pourtant votre frère d’armes .

FRANZ,avec sa lourdeur ge rmanique.

Vous faites , sans doute , une allus ion quim’éch appe .

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A C TE l 27

ANNA

E lle est Comment un vieux diplomateautrichien peut- i l être frère d’armes d’un Françaisqui n’a

,d’ailleurs

,jamais été mi l i taire Problème

Cependant,i l n’y a pas à dire, lui et vous avez fait

l e s iège d’une même citadel le .

FRANZLaquel le

ANNA

Vous avez l’air d’ignorer de quoi je

FRANZ

Ah ! permettez Je me rappell e très bien,un

hiver, avoir quitté Vienne pour courir après vous ,bien que je fusse désigné pour faire danser l’arch iduchesse Louise au bal de cour qui avait l ieu le

I l en est résulté un scandale énorme !

ANNA

J’avais dix-huit ans , et vous

FB A N Z

Trente—trois .ANNA

Seigneur ! Comb ien vous devez maintenant hausser les épaules , vous l’homme correct, au souvenirde cette fugue !

FRANZ

Mais La

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28 L’

I N V1TÉ E

ANNA

A vos yeux,la passion reste une excuse A qu i

donc se fier J ’ose alors vous rappe le r notreétonnement quand nous vous avons vu paraître à

N ice,ma mère et Surprise , j e l

’étais moins que

ma Le lendemain , vous demandiez ma main .

FRANZ

Au l ieu de faire danser l ’arch iduch esse Louise .

ANNA

Et j e refusais pol iment .

FRANZ

Ce qu i me causa i t un chagrin mortel .

ANNA

Mortel lement ennuyeux, car , pendant quinzejours , vous m

’avez assourdie de vos plaintes . I l afa l lu

,pour y mettre fin , l’annonce de mon mariage

avec M . de Grécourt. Du coup , vous avez repris lechemin de Vienne .

FB A N Z

Pouvais-j e assister

ANNA

Mon bonheur avec M . de Grécourt a étémince

,puisque nous nous sommes séparés au bout

de quatre Un pareil spectacle vous eût tr0 pfait souffrir

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A C TE I 29

FRANZ

Par contre,rappelez-vous ma

ANNA,riant .

De me voir ma lheureuse en ménage

FRANZ

Méchante Ma joie de votre retour à

ANNA

Pourtant j’apporta is de France une remarquab le

malgré cela , j e reconnais que depuis seizeans vous m ’

entoure z de soin s qui finiront par êtredésintéressés

,tant nos âges prêchent le renonce

FRANZ,faisant la gr imace .

Nous parl ions de ce monsieur

ANNA

Nous en sommes tout près . Le jour même où vousdemandiez ma main à N ice

,i l la demandait aussi

et j e la lui refusais comme à Vous étiez déc idém ent frères d’armes .

FRANZ

I l paraî t s ’être conso lé plus vite .

ANNA

Détrompez I l a fa it mei l leure mine à l’adv ersité

, tout en se montrant d’une ténacité sa pé

A la sacristie , le jour de mon mariage, il

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so L‘

I N VI TÉ E

m’a fourni le compl iment le mieux tourné ; monvoyage de noces term iné , i l m’est revenu

,comme

si rien n’était changé . Je l’ai eu pour caval ier servant

,de bonne humeur et résigné

,pendant les

quatre années qui se sont écoulées jusqu’à ma sépaR ien ne le La naissance de

mes deux fi lles , qui aurait pu refroid ir un moinsbeau zèle

,laissait le sien ina ltérable . I l a fallu pour

en venir à bout l’effondrement de mon ménage .

Là-bas une femme disponible devient sacrée .

FRANZ

Oh ! ces Français

ANNA

N’en disons pas trop de mal ; ils disparaissent ,mais ils reviennent . On leur reproche d’être unerace de premier mouvement , aimable mais superfic iel le . On prétend qu

’ils ne savent pas voyager , quehors de leurs frontières , rien Eh bien ,M . Bagadais vient de Paris à Vienne

,exprès pour

me voir,alors que depu is si longtemps loin de ses

yeux,je pouvais me croire loin de son cœur .

Vient—il exprès Qu en savons-nous Peutêtre profite-t—il d

’un voyage d’agrément pour…

A NNA , riant .

Y jo indre une corvée !

FRANZ

Mais Je ne d is pas

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4 C T Ê 81

ANNA

Mais si , vous le d ites Vi lain métier de débinerun rival Car , s i ce n’est pas un rival , qu

’êtes-voustous deux Moi , je crois en Tenez , écoutezsa (E l le fouil le dans sa poche .) On n’est pas plus

Non , je ne l’ai C’est dommage,

j ’aurais eu duplais ir à vous la Pauvre Hector I l y a bien longtemps que je ne pensais p lusà lui

,ma is depuis que j ’ai lu sa lettre

,il ne me sort

pas de la Que lle Il me prévientqu’ayant des choses graves à me communiquer, deschoses qu’on n

’écrit pas , il se présentera chez moi

auj ourd’hui.On a beau être insensible au point de

rester sourde aux vœux que vous avez passé votreâge de raison à ‘

m ’adresser , i l n’en est pas moins

vrai que je suis touchée de voir quel le persistanceHector met à se souvenir de moi .

FRANZ soupirant .

L’heureux mortel Ah ! les absents n’ont pastoujours Et quant à cette visite

, oune sa i tvraiment qu’en

ANNA

Imitez-moi , n’en pensez rien , car je n’entrev ois

absolument pas quelle est la grave affaire dont veutm

’entretenir Une seule chose m ’

apparaît

claire, c’est qu’il n’apporte pas à mes trente-hui tprintemps une no uv elle édition de ses aveux d’autrefois… Je sa is , hélas ! ce que durent les afi

'

ee

J’ai passé plus d’une heure pénible à leméditer . Croyez que cette nuit j ’ai pu fermer

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32 L’I N VI T ÈE

(E l le se leve pour se regarde r dans la glac e .) l\”l on teint , voyons

(Après un rapide examen.) Oui , plus pâle qu’à l’ordinaire .

Oh ! n’y voyez pas un symptôme romanesque . Celuiqui va v enir

çm

’a connue dans une crise doulou

reuse.Quelles que soient les banalités où i l se ren

fermera , sa seule présence va me rappeler un tempsd’épreuves

,et je ne le reverrai pas sans émotion .

Tout cela n’empêche pas que je l’attends avec pla iExcel lent ami ! I l est à peu près de votre

tail le,mais plus mince, assez frêle même…

FRANZ

Voici quelqu’un . (Hec tor entre . Il est de robuste c arrure .)

Pas encore lui .

ANNA

Si,c’est lui (A m i—voix .) mais a_lourdi (S

’empreo

sant à la rencontre d’Hector.) Quel bonheur l

FRANZ

Bah ! ( à pa rt .) Il n’est pas frêle du tout ! Quant à

e l le , que croire ?

SCÈNE I I

ANNA, FRANZ, HECTOR

ANNA,ramenant Hec tor.

Mon ancien , mon fidèle ami , ravie de vousMais quelle surpri se , hier, quand j ’ai lu

votre lettre Je me croyais bien oubl iée . Quel

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34 L‘

I N VI TÊE

FRANZ

J y éta l s , c est vra i , mai s j e ne me rappel le pasav 0 1r rencontré mons i eur .

HECTOR

Je vous a i parfois aperçu chez madame qui n’étai tp as encore mariée et habitai t avec sa mère .

ANNA,r iant .

Oui , vous avez certainement dû vous rencontrerchez nous ne c’est loin ! Où sont mes songesd’alors

FRANZ sent imental

Je retrouve la plupart des Les sentimentsne changent pas forcément avec l ’âge .

HE CTOR , ironique .

Non , pas Ils suivent une pente nature l le qu’i ls ont à ne pas rester les mêmes .

ANNA,sour iant.

M . B agadais tâche de nous faire croire que lesFrança is sont En pol i t ique

,cela saute

aux yeux , mais sur la question d ’am i tié , je ne lessuppose pas p lus fragi les que d ’autres . Sa présenceici le prouve .

HECTOR , lui b aisent la ma in.

Merci , chère Madame,merci ! (S'

adressant à Franz .)En y réfléchissant , vous ne pouvez pas me reconnaître . Je suis un autre En ce temps—là ,

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A C T E l 35

j ’avais une préoccupation de cœur qui me rendai tLes grandes passions mangent

et boivent mal .

ANNA,à Franz.

Les França is ont de grandes qualités mais cesont d’incorrigib les bavards .

HE CTOR

J’explique pourquo i j

’éta i s s i gringalet .

FRANZ,ironiquement .

Depu is cette époque , vous avez repris le dessus .

HECTOR

Mon père a vécu quatre-vingt—dix ans , et avecune constitution comme la

ANNA,Hec tor .

Mo i qu i ne vivrai pas cent ans, j ai peur que ma

courte existence ne suffi se pas à la foule de ques:t ions dont j e veux vous accabler .

FRANZ,s’inc l ine devant Anna .

Permettez-moi , Madame , de prendre congé .

ANNAAu revoir . (E l le lui serre la ma in.)

FRANZ,à Hec tor.

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36 L’ I N VI TÊE

HECTOR

Enchanté,Mons ieur

,d’avoir votre connais

sance . (Salut c érémonieux.)

SCÈNE ! !

ANNA , HECTOR

HECTOR, suit des yeux Franz qui sort.

Lourdaud , mais sympathique . Dire que j ’ai euenvie de le tuer la première fois que je l’ai vu !

ANNA,r iant .

J ’ai dû m’en apercevoir,sans cela , je vous aurais

peut-être bien Vrai , c’est la terreur

d’avoir un mari jaloux qui m’a fait Vousavez eu de la chance

HECTOR

Et beaucoup de chagrin .

ANNA

Mon mari vous répondrait qu’il n’a pas été heureux auprès de moi.

HECTOR

J ’étais s i toqué de vous ! Hubert ne l ’a sûrementpas été autant , j ’ai assez tourné autour de votreménage pour l’avoir observé comme il Eh

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A C T E 87

b ien,Hubert n’était pas à son Avec mo i ,

vous n’auriez pas eu la tentation de regarder çàet là . I l fa l la i t m ’

épouser . C’était une occasionUne femme n’est pas aimée deux fois de

cette façon—là .

ANNA

Grâce pour mes erreurs . Mon existence est bâc lée , une cro ix dessus

,et parlons de choses p lus

modernes . Depu is ma séparation et mon départ deFrance, j e n ’ai plus rien Pas une lettre

,pas

une Que sont devenus mon mari,mes en

fants ? Ayant repris ici mon nom de jeune fi l le , jene me gênais pas pour interroger sur eux le s attach és d

’ambassade qui me faisaient danser . J

’ob tenais

ainsi de vagues renseignements . Dites , que s’est-il

passé après mon départ ? Vous , que jusque- là r ienn’avait découragé

,vous m’en avez donc bien voulu

Cesser ainsi du jour aulendemain de me connaître!

HECTOR

Votre mari a répandu le bruit que vous étiezfol le Je l’ai cru comme tout le monde , comme v osfi lles le croient encore .

ANNA

En effet, Hubert avait imaginé de me faire passerpour En le quittant

,je suis allée m ’

enterrer

vive à la campagne,en Hongrie

,le temps d’être

parfaitement oubliée . J’ai pu ensuite m’étab l ir ici .

Ma famille , qui est très bien posée à l a cour m’a

aidée à faire peau neuve . Je me suis arrangé une

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œ L’

I N VI TË E

existence tranquille , indépendante et confortable .A insi

,ma rupture n’a causé aucun scandale

HECTOR

Pas l’ombre,puisque moi-même je ne me suis

douté de rien . C’est seulement au bout de deux ans

qu’Hubert m’a confié en grand mystère que vous

aviez dufuir avec un aman t .

ANNA

Vous avez été indigné

HE CTOR

J’ai tan t pis s i .j e suisquelque chose comme une amère décep tion , mêlée

ANNA

Ressentiment

HECTOR

Ma foi, Je vous étais s i attaché depuis l ongtemps

ANNA,sour iant.

Tromper mon mari avec vous,à la bonne heure !

Averti que j e m’étais adressée ailleurs , vous aveztrouvé la plaisanterie déplacée .

HECTOR

Il n’y a pas de quoi Vous qui donniez l ’impression d’une s i parfaite possession de soi-même ,partir avec un étranger Jamais , depuis cette

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A CTE 39

époque,je n ’ai pu regarder dans les yeux d’une

femme sans y l ire la Vous m ’av ie z gâté

la Mon découragement a été si profond quej ’ai renoncé à me créer un intérieur.

ANNA

Je serais tentée de vous demander pardon , s’il nem’était pas faci le de me Je n’ai jamais eu

J’ai aimé passionnément mon mari , jelui ai été attachée au delà de ce que vous pouvezimaginer . Un jour

,j ’ai découvert qu’i l entretenait

une chanteuse de café-concert. Sur l’heure , dansune crise de rage aveugle

,sans regarder derrière

mo i , j e me su i s sauvée à l’étranger , avec le seuldés ir de cacher mon désespoir . Jamais Hubert nes’est douté du vra i motif de ma fuite . I l a supposéque j e ne partais pas seule , et , en me l

écriv ant, ilme priait

,pour ménager l’opinion

,de ne plus ré

paraître en France,où je passerais désormais pour

fo l le . Je n’a i pas daigné répondre . J ’acceptais tout .Mon orgueil se révo ltai t à l’idée d’être calomniée

,

mais la femme outragée ne voulait,à aucun prix

,

confesser son humiliation . Moi , la déla_i ssée , j e faisa i s l ’infidèle et mon mari pleurait ! Car i l a pleuré

,

me payant ainsi les souffrances que je cachais àtous les regards . Voi là comment

,sans procès

,sans

témoignages injurieux , j e me suis rendue l ibre .Vous m’avez crue fo l le, c’est morte qu’on aurait dudire car je suis réellement morte pour lui .

HE CTOR

Que vous ayez éprouvé une âpre jouissance à

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40 L’

I N VI T ÉE‘

rendre à votre mari chagrin pour chagrin,cela

s’exp l ique , ma is comment avez-vous eu le couragede renoncer à vos enfants

ANNA

Aux yeux de l ’amoureuse que j ’étai s , mes enfantsreprésentaient des heures d’amour . En eux c’étaitleur père que j

’adora is . Après ma fata le découverte

,

lorsque au moment de partir j ’ai voulu les serrerdans mes bras , j e n

’ai pas Mon cœur de mèrese déchirait , mon cœur d

’épouse C’est

lui qui l’a

HECTOR

Vous venez de proclamer qu’en vous l’épouse estmorte

,et la mère me saura gré, je pense , de lui

parler de ses fi lles .

ANNA

Oh certainement De ce que mon mari vous amis dans le secret de ma prétendue infidélité

,j e

conclus que votre intimité avec lui ne s’est pas rélâchée après mon départ , et que vous avez été à

même d’observer ce qui se passait .

HECTOR

J ’ai suiv i l’impulsion qui me ramenait continuellement là où j ’étais habitué à vous voir . Votre fantôme m’y recevait . Vos fi ll ettes me le rendaien tprésent en appe lant leur Votre mar i

,après

m’avoir dit qu’on vous avait conduite en Au

tr iche pour y être enfermée, ne parlait jamais de

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42 L‘

! N V! TÉ E

( l l t ire deux photograph ies de son porte feui l le . Anna s ‘

en

empare v ivement et va les regarde r aujour près de la fenêtre .)

ANNA

El les son t et puis quelque chose de déDe vraies petites Françaises . Voyons , je ne

me trompe pas , cel le—ci est bien T h érèse ?>

HE CTOR , regardant .

Parfa itement, Thérèse, V ingt ans, de

l’esprit comme un démon et crâne,a l lez

ANNA,c ont inuant l’examen des portra i ts

Alice a l’a ir d’être très blonde .

HECTOR

Comme les Nature excessivement fine .

ANNA

Des yeux s i doux n’est—cc pas ?

HECTOR banalement poétique .

Un regard de gazel le . La photographie en donneà peine idée .

ANNA,montrant les photographies

C’est pour moi, j’espère ?

HECTOR

Oui , oui , certainement .

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A C TE 43

ANNA,l es exam inant enc ore.

Vous me faites un gros plais ir.

HE CTOR

A ttendez-vous à mieux .

ANNA,le regarde fixement.

Que voulez-vous dire

H ECTOR

J’apporte un message de paix . Il ne tient qu’àvous d’embrasser vos fi l les .

ANNA,froidement.

Pas possible .

HECTOR , joyeux .

Si , Hubert m’envoie vous l ’offrir .

ANNA,ironique .

Pourquoi cette générosité sub ite

HECTOR

Hubert n’a plus au fond du cœur assez de rancune pour éterniser votre broui l le . I l pense quevous appeler près de vos fi lles est une bonne œuvre .

A l lez les voir,tant qu’i l vous p laira

,même chez

Soyez leur Mon Dieu,je parle pour

tant avec clarté, commen t expliquer votre froideurdevant cette bonne nouvel le

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44 L’

I N VI TÊE

ANNA

Parce qu’elle ne m’apporte qu’une impressiondouloureuse . I l faudrait être fol le de jo ie e tj e constate que rien ne tressaille dans mon

HECTOR

C’est ce qui me semble incompréhensible.

ANNA

Hélas ! c’est pourtant simple Je n’ai pas enviede revo ir mes fi lles Quand il a fallu les quitter

,

j’ai cruellement souffert , mais peu à peu je suis parvenue à l’indifférence . Vous racontiez que les premiers jours mes fi l les réclamaient beaucoup leurmaman, puis qu

’el les ont tout doucement cessé depenser à elle . Nous sommes quittes . Ou plutôt nonMes fi lles se souviennent—elles seulement du chagrin qui a s i peu troublé leurs jeux Moi , devant levide affreux de mon cœur, je mesure ce qui m’està jamais Depuis longtemps je savais cequ

’i l en coûte de supprimer en soi les sentimentsque Dieu y a mis . On en souffre tant qu’on ' lesgarde et on reste inconsolable de les avoir perdus . A llez , mon égoïsme est exempt de sérénité .

R ien ne m’attire en France , je ne vois aucune raison pour affronter une aventure grosse de déceptions et j e me résigne à demeurer ici avec despeines dont j

’ai l’habitude . Voilà tout , et ce n’estpas gai .

HECTOR

Comment , c’est cela votre réponse !

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A C T E 45

ANNA

Oui , et très nette . Dites à mon mari que je suissens ib le à sa démarche . Me rendre mes enfants estune grande charité , ma is j e la refuse .

HE CTOR , afi‘

o lé.

Non , mil le fois non Il est impossible que cesoit votre dernier mot. Je m’exp lique votre aversion pour Hubert , mais vos fi l les

ANNA

D’abord je ne déteste pas Hubert . La quere l leest trop ancienne . Je crois même qu’il ne me seraitpas insupportab le de le Mai s lui , que l accueil me réserve—t-il Dites—le—moi donc , vous !Serai-j e traitée comme une coupabl e à laque l le onaccorde un large pardon ? Me recevra—t-il avec unedign ité pol ie, me rendant par grâce une place à satable? Peut-être , se persuadant ce qu

’i l a lai ssé croireau public

,me témoignera—t-il l ’indulgente p i tié

qu’on doit aux fo l les ? Cela pourrait être amusantà observer

,mais j e ne m’en sens pas la patience .

HECTOR

Permettez,il n’est question que de os fi l le s .

Je ne les conna i s pas,mes fi lles , tandis que mon

mari Non , je n’aurais pas la vertu de me laissertraiter en

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46 um VI T É E

H ECTOR

Vous direz simplement la vérité … Quelle importance

ANNA,avec un br in de coque tter ie .

L’importance Vous êtes bon,vous En ap

prenant que j’ai été injustement punie , s

’i l tombe àmes genoux et me prie d’oub l ier.

H ECTORCe sera genti l

ANNA

Ah ! mai s non,je ne veux A mon âge ,

recommencer l’apprentissage d ’une vie en partiedoub le , merci

HECTOR

Encore une fo is,i l n’est question que de vos

fi lles

ANNA

Je leur porte l ’intérêt qu’on a pour les enfantsd’une am ie malheureuse morte depuisMon mari

,lui

,s’i l croi t me

HECTOR , impatienté.

Madame , i l n’en a aucune Je vous conseille d’aller là—bas

,de dire hardiment à Hubert que

vous n’avez jamais été coupable . Cela vous donnerale beau rôle . Ne redoutez pas de sa part le moindreattentat.

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A C TE 47

ANNA naïvement.

I l ne me croira pas ?

HE CTOR

SI , Mais sans l’ombre de désagrément pour vous .

ANNA,pi quée.

Suis—j e donc si ravagée ?

HE CTOR b anal ement‘

aimab l e .

Ah que non pas !

ANNA,à la reche rche d’une consolation à son amour—propre

Au fait,j e ne vous ai pas demandé comment i l se

porte ?HECTOR

Fort comme un Turc . Oui , plutôt trop gai l lardpour un homme de son âge et qui a charge d’âmes .

ANNA

Est—c c que par hasard i l aurait Je suissotte avec mes En quoi cela me re

garde-t-il ?HE CTOR

Ce la vous regarde, au Questionnez,questionnez , je ne me ferai pas scrupul e de répondre .

A N NAI l a une liaison

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48 L’

I N VI TÉ E

H E CTOR

I l en avait une à v o s côtés , est—il probab le quedepu is des années que vous êtes au loin

,i l s’en

prive ?ANNA

Je n ’a i j am a is supposé qu’i l viva it comme un anaMa is i l y a l iaisons La sienne

est donc sérieuse , pour que vous m ’assurie z qu’i l

ne tentera pas contre moi le moindre retour oi

fensif

H ECTOR

Une véritab le chaîne .

ANNA

Serait Non , n’est-ce pas , ce n’est plus sachanteuse de café- concert

HECTOR,

sour iant .

Oh ne remonton s pas au Non,non

c’est que lque chose de beaucoup plus relevé .

ANNA,très vexée .

Ah ! Est-ce que j e la conna is D i tes—mo i sonnom

HE CTOR

Mm e de Raon , femme d’un M . de Raon qui estmort i l y a sept ou hu it ans .

ANNA

Laissant mon mar i légataire universel .

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50 L'

I N VI TÈE

j e craindrais de troubler la fél icité de cette dame,

chose qui répugne à mon bon C’est s i facileà un mari de tromper sa maîtresse avec sa proprefemme

HECTOR

Un mari trompe aisément sa maîtresse avec safemme , quand la maîtresse hab ite loin du toi t conjuga l . Ic i , nous n’

en sommes plus tout à fai t

ANNA

Comment, on court le ri sque de rencontrerMme de Raon chez mon mari

HE CTOR

Elle est très jeune de caractère et amie de vosCette aimable bande marche presque tou

jours au complet . Mme de Raon possède un dom icile , ma is elle s

’insta lle souvent à demeure chezM . de auxbains de mer, aux eaux , à lacampagne

,partout où cela En ce mo

ment même , elle est à la campagne , chez votre mari .

ANNA

Et c’est dans cette mêlée, que vous aviezmission de m ’

a ttirer ?

HECTOR

Ne prenez pas de travers l’invitationIl n’a nulle envie de vous Son désir estde vous mettre en relation avec vos Cela

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A C TE 51

lui paraît convenable . Il s’est renseigné d’une façonpréc ise sur votre existence à Vienne . Elle n’a prêtéà aucun soupçon

, quo iqu’on vous a i t beaucoup fait

la cour .

ANNA , riant .

Témoin votre frère d’armes, le comte de Tepli tz .

HECTOR

Bref,votre mari pense que vous ne serez pas

déplacée auprès de vos enfants .

ANNA,ironi quement.

I l m’a rendu suffisamment d ’estime pour faire demoi l ’institutrice de ses fi l les , auxquel les il donnesa maîtresse pour camarade .

HE CTOR

Faites de méchants mots , pourvu que vous cê

diez .

ANNA

Et pourquoi ne cédera is-j e pas Au premierabord

,votre proposition m’a laissée fro ide . Mainte

nant,grâce à v os bavardages , j

’entrev ois une amu

sante équipée . Nous par . irons ensemble .

HECTOR

0 la bonne nouvelle ! … Je cours télégraphier àHubert .

ANNA

Gardez-vous—eu, ouje ne pars pas .

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52 L‘

IN VI'

I‘

E E

HE CTORComment

ANNA

Je vous accompagne ,à une condition c’est que

nous tomberons chez eux à l’improv iste . Vous ditesqu’i ls sont à la campagne avec Mme de Raon .

Eh bien je me fais fête de tomber dans ce peti tménage placidement crim inel . Avec mon caractèrefaci le , pas de danger que je prenne les choses autragique . J

’arriv e rai, très bonne enfant , ne m’aper

ce v ant de rien , bête et genti l le comme tout . Ce serad’abord un . grand émoi dans la fourmil ière , puisbien vite l ’apaisement et la reprise du train-trainhabituel . Alors

,je songerai au ret0ur après m’être

offert à peu de frais un Spectacle d’amateur.

HECTOR

Tout cela va contrarier Hubert . I l comptait bienêtre prévenu à temps pour vous abandonner unemaison irréprochable .

ANNA

I l voulait donc s’ab senter

HECTORJe le crois .

ANNA

Avec Mme de Raon

ns croa

Sans aucun doute .

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A C TE 53

ANNA

C’est bien ce qui me L’excursion

serait ratée si j e ne voya i s pas ma p lace occupée .

Cela s’appe l le une contemplation philosophique .

HE CTOR

Du d iable si Hubert m’envoie vous proposer unecontemplation phi losoph ique ! I l s

’agissait de vos

ANNA

E tj e pars pour mon mari ! … Vous trouvez moyende m’envoyer au bout du monde voir commen t i ls’y prend pour être heureux sans mo i . Car enfin

,

ma part ie de p la isir , la vo ilà ! Stup ide curios ité !Compromettre une pa ix si chèremen t achetée !Qu’est-ce que cette rage d’a l ler autour de lui enquête Enfin , j ’ai d it oui … Ma is pasde R ien qui fasse prévoir monJ ’ai votre parole

HECTOR

S ’i l faut la donner pour vous

ANNA

Il fa11t.HECTOR

Je la donne .

ANNA

Affa ire conclue . Dema in mat in,nous prenons

l ’express . Dînez-vous avec moi ce soir

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54 L'I N VI TÊE

HECTOR

Mil le ne connais pas Vienne,

et n’ayant qu’une so irée pour vis iter la

ANNA souriant .

B ien,bien

,profitez Je vous donne congé .

Demain,à la gare ! Ah ! un article du traité que

j’oub l iais i l est convenu que vous me ramenezdans quelques jours . Je n’aime pas voyager seule .

HE CTOR

R avi de voyager avec vous , aller retour,tou

ANNA

On n’est pas plus aimab le ! A demain . ( Il sort.)

R I D EAU

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A CTE D EUX IÈM E

A la campag ne, chez M. de Grécourt. Grande galerie v itrée tap issée deplantes gr impantes . Mobil ie r rustique . B il lard. Ouvrage s de femmes.

Livres ouve rts sur l es meubles . Pôle-mêle dans l es coins, jeux de

toutes sortes volants, raque ttes , fi le t de tennis, etc . Ac c rochés à unpendoi r : chapeaux de jard in, imperméables, ombre l les , c annes à

pêche , panie rs à me ttre des fl eurs, e tc . Le v i trage dufond la isse ape rcev o ir un beauparc trave rsé par une pe tite riv ière qui serpente entredes bouleaux :et des saules. Une porte plac ée au m i l ieu du v itragedonne acc ès dans le parc .

sc:s PREMIÈRE

THÉRÈSE. ALICELes deux jeunes fi l les reviennent duparc . En entrant e l les acc rochentleurs chapeaux de pa il le et déposent leurs ombre l les. Robe s très sim

ples de couleur c la ire .

THÉ RÈSE , se la issant tomber sur un siège .

A présent , nous n’avons qu a nous tourner les

pouces jusqu’au dîner .

AL I CE

Ah ! ce n’est pas folichon ici L’an passé nous

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56 L‘

I N VI TË E

avions du mo ins le peti t Persac . I l était drôle . Ma i scette année

,ma lgré d’a imab les instances

,i l nous

tient rigueur . C’est joliment ta faute !

THERESE , d’un ton détaché.

Bah bah

AL I CE

Si,ma bonne P leure , s

’il te reste des larmes,

pleure une certa ine nu it où nous l’avons emmenédans le parc . Nous étions à la l isi ère du bois quandune chouette s’est mise à crier . Tu pouvais à mervei l le te passer de te cramponner à lui avec lesmarques de la plus vive terreur

,car nous enten

dons des hiboux tous les soirs sans y prendreMais tu as trouvé intéressant de te blott ir

contre Depuis quelques jours ça marchaitferme entre vous deux . Tu n’avais qu’à voir venir .Il a gagné un fameux refroidissement ce soir—là !

T B ÉRÈSE

Je te consei l le de parler moins I l y a deux

ans nous avions ici l’exce l lent Van CeHo l landa i s n’

e st pas jo l i , son esprit n’est pasun feud’artifi ce , mais son cœur flambait pour toi ,et comme i l a des p lantations grandes comme undépartement , j e ne te trouva i s pas à Tun’avais qu’à la isser son cœur exposé traîtreusementaux rayons de tes Te rappel les-tu cette promenade où Van N erv inde chem ina it entre nousdans les pra iries du grand étang Tout à coup,tujuges à propos de te tourner le pied , hi s toire de

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58 L'

I N YI TÉ E

THÉRÈSE

Toujours sur nos Cela serait très biensi Marguerite n’était pas du voyage, mais du moment qu’elle se join t à nous , papa devrai t bien garder la maison .

AL I CE

Sans contred i t Ce n’est pas qu’i l nous surveil lebeaucoup

,ce pauvre

T HÉ RÈSE,regardant autravers duvitrage .

T iens,vo is-le là-bas qui pêche à la l igne sous ce

bouquet d’aulnes , au tournan t de la Sûrement il n’a pas la mine d’un tyran .

AL I CE

C’est sa présence nous fait du Ontrouve la caravane trop comp lète .

T HÉ R ÈSE

Réellement , Marguerite devrait loger dans unautre hôtel .

AL I CE

Dans le même hôtel , passe encore, ma is porte àporte Se figurent- i ls que le public est aveugle

THÉRÈSE

S i papa l etait seulement ! I l ne garderait pasMarguerite à vue . Tu ne t’es pas aperçue qu’i l estun peu jaloux , l e cher homme

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A C TE I I 69

AL I CE

Chut Quand Noé était ivre,ses enfants fa isaient

un péché en ne le croyant pas à L’E criturele

T HÉ RÈSB

Je dis , moi , que nous sommes suffisamment dépréciées par la folie de maman , sans être encorecompromises par le sans-gêne de papa . (On voi t Margue rite arrive r duparc.)

AL I CE

Tais-toi ! … Marguerite .

SCÈNE I I

LES MÊMES , MARGUERITE

MARGUE R I TE porte un p li ant qu’e l le dépose dans un c oin, je tte unl ivre sur une tab le , et b te son chapeau.

Que complotez-vous

T HÉRÈSB

D’empêch er papa de nous escorter à

Nous désirons voler de nos propres ailes .

MARGUE RI TE , souriant.

Grand Dieu, n’ête s—vous pas assez libres ?

T HÉ RÈSB

I l y a l iberté et l iberté.

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L’

I N YI T É E .

AL I CE

Venez-nous en a ide . Nous comptons sur votreinfluence .

MARGUE R ITEE lle est

THÉB ÈSB

0 la bonne blague !

MARGUE R I TE

Du moins,quand i l s’agit de séparation .

AL I CE,insinuan te .

C’est Ce serait si mignon de partircomme tro is sœurs , d

’avoir les coudées franches ,de loger sous la même clef.

MARGUE R I TE

Oh ! quant à cela , nous n’h abitons jamais bien

loin les unes des autres .

THÉ RÈSE agressive

Tr0 p près ou trop loin , pas de mil ieu .

MARGUER I TEPlaî t-il

AL I CE , perfidement conc i l iante.

Thérèse disa i t à l ’instant que ce n ’est pas la mêmechose d ’

a l ler seules avec vous,ou sous la surveil

lance de papa . Lu i présent,vous prenez tout de

su ite dix ans de p lus , et dame , nous aimons mieux

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A C TE I I 61

vous traiter en camarade , que vous appe ler notreancienne .

MARGUER I TE , riant .

Allez,vous vous conso lerez faci lement d’un si

petit ma lheur (E l le va pour sorti r . )

AL I CE

Où a l lez-vous

MARGUE R I TE

Fa ire la sieste . A plus (E l le sort.)

SCÈNE 111

THÉRÈSE , A LICE

T HERESB , riant.

A s-tu vu comme je lu i ai fait dresser l’oreille , ànotre veuve inconsolée ?

AL I CE

Heureusement j ’ai paré le coup . Je t’en prie , nee comm ence pas . Nous l ’aimons bien

,el le nous

traite gentiment,ce serait absurde de troub ler la

bonne harmon ie pour le plais ir de l’aguich er .

THERESE

Ce n’est pas pure taquinerie, puisque nous avonsdes ra isons sérieuses d’être mécontentes

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62 v m v1TËE

AL I CE

Va , ma pauvre Thérèse , quand tu parviendrais àréformer Marguerite , l e plus important resterait àfaire : nous convertir nous—mêmes .

T HÉ RÈSE

Je ne me sens pas l’âme si noire

AL I CE

Au fond,que sommes-nous ? Deux abandonnées

mal élevées,pas dirigées , le cœur sur la main , la

paro le prompte, l’imagination

THÉ RÈSE

Portrait flatteur

AL I CE

Ressemblance garantie , hélas Grillant de nousmarier, l ivrées à nos seules lumières , nous avonsadopté un procédé déplorab le . A ttirer les jeunes gensà force Les attirer, ça Lesretenir, c’est I ls flânent autour de nouscomme devant une parade de la foire ; quant à entrerdans la baraque, serviteurs Nous sommes tropamusantes !

T HÉRÈSB

D’après toi , si nous étions ennuyeuses, on se disputerait nos mains

AL I CE , tristement.

Au moins on dirait A la bonne heure,celles-là

ne sont pas folles comme leur mère .

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A C TE I I 63

THÉRÈSE

C’est terrible , cette parole partout et toujours entravers de notre avenir .

AL I CE

Raison de plus pour y moins donner prétexte .

THÉRÈSE

Ma intenant nous sommes jugées . A moins d’unmiracle

,nos charmes resteront sans pouvoir, comme

disaient nos aïeux en voyant se faner nos grand’

mères .

AL I CE , riant .

Et encore, nos grand

’mères av aient-elles d’en

viables raisons pour se faner. (Écoutant.) T iens , unev oiture qui grince sur le sable, dans la cour .

THÉRÈSB

Tu Nous n’attendons Les dixpelés et quatre tondus que nous av ons pour vois insont déjeuné ici En voilà pour trois joursavant que le plus assidu ne se montre .

AL I CE

Je t’assure que que lqu’und ébarque . (E l le entr’ouwe

une porte à dro i te et recule stupéfaite .) Hector

THERESE

I l n’y a pas de quoi tomber à la renverse . Allonslui dire boniour.

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64 v mwrs‘r

C’est qu’il n’est pas Oh ! les pressentiments Je disais qu’il était peut-être allé prendrefemme !

SCÈNE IVTHÉRÈSE , ALICE , ANNA , HECTOR

Hec tor accompagne Anna . Cel le—c i, d’un regard, inspec te d’abord Papopartement. Après avoi r c onstaté l’absence de son mari , el le exam inecurieusement ses fi l les.

HECTOR

Bonjour, fi l lettes J’amène une vieille amie de

la fam il le . El le v ient de loin pour vous connaître .

AL I CE e t T HÉ RÈSE , tendant suc ces sivement la main à Anna en d isant

Bonjour,Madame . (Un silence .)

HECTOR, après avoi r vainement a ttendula réponse d’Anna.

Votre père est sort i ?

THÉRÈSB

I l est à 18 pêCh € . (Le montrant dugeste.) On le VOH:

(Anna passe devari t Hec tor et s’approche v ivement duv itrage .

Thérèse la sui t et c ompl aisamment la rense igne .) R egardez là—Dâ Sce point blanc qui s’agite au bord de la rivière

,c’est

son contre la touffe de saules d’un vertplus foncé que les autres .

ANNA

Je vois I l faut savoir que c’est lui .

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ss L'

I N VI T É E

SCÈNE v

THERESE , HECTOR

THÉRÈSE

A -t—on idée d’un étourdi Une amie dela famille, est-ce un nom , cela Voilà une façon deprésenter les gens

HECTOR

Ce n’est pas étourderie .

THÉRÈSE

Exprès,alors Nous disions que votre voyage

était mystérieux . Je crois bien qu’i l l’est,puisque

vous en ramenez une dame innommable . Pourquoil ’est—elle ?

HECTOR

Quand il lui plaira de se faire connaître , vous lesaurez .

THÉ RESE

Elle est d’a l lure s bizarres , votre A peineTantôt distraite , tantôt nous examinant

comme le ferait un agent de la Et sa façond’a ller se col ler à la vitre pour contempler papa quifait le gros dos sur sa Pas de faux—fuyants,Hector, je veux savoir qui

HECTOR , souriant.

R ien que cela

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A C TE 67

THERESE

Et tout de suite , encore !

HECTOR

Soyez Mon enfant , vous me tra itez souvent de vieux grognon

,parce que je ne m ’

extasie

pas sur vos excentrici tés . Je suis pourtant votreami

,et je vais le prouver . En nommant cette per

sonne,malgré sa défense, j e vous rends peut-être

le plus grand service que vous pui ssiez espérer .

THÉRÈSB

Mon Dieu , vous parlez comme pour offrir à unenfant des étrennes utiles . Je regrette presque maquestion .

HECTOR

Oh que dites—vous ! Ma révélation aura une influence énorme sur votre vie .

THERESE

Fa ites—la donc, car ma vie ne peut que gagner au'

change .

HECTOR

La personne qui m’accompagne . est votre mère.

THERESE , ofi'

rayée .

Non L ibre

HECTOR

Comment , l ibre

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ss L'I N VI TÉ E

THERESE

Guérie , a lors

HECTOR

De sa Pas la moindretrace .

THERESE , incrédule .

N’importe , ses yeux ont une

HECTOR

De femme qui revoit son mari et ses enfants aprèsv ingt ans d’absence . El le n’a jamais été folle .

T HÉBÈSE

A ins i,on nous trompait ?

HECTOR

Oui . Vos parents n’ont pas vécu heureux ensem

b le ; i ls se sont séparés . Votre mère était antrichienne

,e l le est retournée dans son pays .

THERESE

Et vo i là mes parents réconcil iés

H ECTOR

THERESEB ien sûr

H ECTOR

Pourquoi ce doute

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A C TE I I 69

T HÉRÈSE

Ah c’est assez que je l ’exprim e !

HECTOR , lui prenant la main.

Ma pauvre enfant

T HÉRÈSE

Voilà donc mes parents en présence , et après ?

H ECTO RAprès

,c’est l ’inconnu L’existence de votre

mère a toujours été parfaitement honorable , soyezen certaine

,mais i l y a entre vos parents de graves

ma lentendus . Dès la première rencontre , i l peut yavoir des froissements te ls que votre mère , emportéecomme j e la connais

,quitte la maison sur—le—champ .

Si ce que je redoute arrive , elle est capab le de disparaî tre sans dire à ses filles le mot que j ’attends .

C’est contre un parei l ma lheur que je vous mets enen garde .

T HÉRESE

Je Merci , Vous vous conduise z en E l le ne partira pas sans avoirtrouvé à qui par ler .

HECTOR

A l lons , à défaut d’attendrissement dans ce peti tcœur , il y a un grain de bon sens dans ce tte cervel le.

THÉRÈSE

Vous m’en voulez de ne pas mettre en branle

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70 L'

I N Ï' I T ÊE

tout le tra- la— la du sentiment . Ma i s soyons de boncompte . Est-Ce que je conna i s ma mère ? Toutce qu’on peut exiger de moi , c

’est que j’éprouvele vif dés ir de m ’

attach e r à Oh ! cela,oui

Et l ’attach er à nous Vo i là surtout ce qu’i l faudraitS i seulement nous trouvions moyen de laJe vais y réfl échir de toute mon âme .

HE CTOR

Le mei lleur moyen serait de l ’aimer et de le ln '

dire .

T HÉ RÈSB

Serait-il b ien efficace Son cœur n’a pas l’a irbeaucoup plus préoccupé de nous que le nôtre n’es trempl i Et puis , c’est s ingulier, s

’ i l s‘

agis

sait,pour conquérir un mari. de j ouer à un homme

une petite comédie sentimentale,je m’en sentirais

b ien capable . A ma mère , j‘

h ésitera is davantage.

H ECTOR , ironique , à part.

0 force des préjugés l (A l ice et Anna rentrent.)

T HÉRÈSE

Avant tout , i l faut conférer avec Al ice .

SCÈNE VILES MÊMES, ALICE , ANNA

ANNA,

à Hec tor.

Mlle A l ice et fait une découverte surprenante .

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A C T E I I 71

H ECTOR

ANNA

J’ai la bosse de la maternité.

AL I CE

Incontestablement . En cinq minutes , madame atrouvé moyen

,par mi l le petits détours , de me faire

raconter tant d’histoires , depuis des aventures depoupées jusqu’à nos fl irts, que j ’en suis hors d’haleine . Le plus étonnant, c

’est que j e me sois laisséesi doci lement confesser . Pour m ’

appriv oiser à cepoint , i l faut des aptitudes spécia les .

La bosse de la maternité, par exemple Làdessus , nous sommes tombées d

’accord .

AL I CE

Et madame gémit de n’avoir pas d’enfants surqu i exercer son talent . (Thérèse ge sticule pour attirer l ’attént ion de sa sœur qui fini t par s’en aperc evoir et se rapprocher d’e l le .)

HECTOR , b as, à Anna .

Comment les trouvez-vous ?

ANNA , pa is iblement.Gentilles .

HECTOR

Un bon Dites-leur qui vous êtes.(De la tète Anna refuse, et l’entre tien se poursuit à voix basse.)

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72 L’I N VI T Ë E

THERESE,b as, à sa sœur.

Sortons , j’ai à te raconter une chose gigan

tesque

AL I CEB ien .

T HÉRESE , à Anna .

Madame , permettez-nous d’al ler préparer le goute r .

ANNA,

à Thérèse .

N’oub l iez pas , Mademo ise l le , qu’i l nous reste à

faire connaissance .

T HÉRÈSE

Je le dés ire trop pour l ’oubl ier.

S C ÈN E V I I

HECTOR , ANNA

ANNA,les suivant des yeux .

Cette petite A l ice a beaucoup de moi quand ; avaisson P lus communicative

,C’es t

son pays qui le (Passant soudain à une aut re idée , e l lese d irige rapidement ve rs le v itrage dufond e t regarde dans le parc , seretournant pour envoyer ses réflexions Est-ce qu’i lpêche toujours au même endroit ? Non , i l a dis

Quand mes fil les m’ont d it , à peine entréeI l est là , vous n

’avez qu’à regarder pour lecela m’a presque É tait-cc visible

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L‘I N VI T É E

ANNA

Alice m’en a parlé très simplemen t et avec am i tié .

Pourtant j ’ai cru la voir rougir . Hubert est impardonnab le de condamner ses fi lles à un pareil v o isi

De loin , je ne l’avais pas senti aussi v ive

Oui,c’est odieux .

HE CTOR

Les pauvres petites sont à

ANNA

0 les Je voudrais les fa ire causeravant qu

’Hub ert ne rentre . Tout à l ’heure il faudram

’escrimer contre lui, et s i l’entretien tourne à

l’aigre , partir sans connaître un peu mieux ce s

pet ites . Je le regretterais .

SCÈNE vn1

HECTOR , ANNA, HUBERTEntre Hube rt, bonhomme po ivre e t sel , bedonnant et que lconque.Tenue très débrai l l ée . il porte d’une ma in ses ustens i les de pêche , del’autre , un superbe po isson suspendupar les ouïes à un brin d’os îer

HUBE RT,stupéfai t devant sa femme.

VousANNA

Moi—même (E lle lui tend la main.)

HUBE RT, re tirant les s iennes.

elles sont Permettez que

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A C T E I ! 75

emporte ce poisson à la et puis 1ra 1

( l l fa it le geste de se rajuste r.)

ANNA

Faire un bout de toilette Cela tombeon ne peut mieux que je vous surprenne en né

Déposez cet an imal et revenez vite.

HUBERT

C’est cela . ( I l sort .)

S C ÈN E IX

ANNA , HECTOR

ANNA

0 mon ami , qu’i l est changé Quel magot

HECTOR

Dame,l es années passent !

ANNA

Et les souvenirs restent Dire qu’en venant iciavais peur

, oui, peur Ce que je suis courageuseà

HE CTOR

A insi,lorsqu’il a ouvert la

ANNA

J’ai manqué lui rire au J’ai même dû luttercontre la pensée que j ’av ais eu tort de ne pas l e

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76 L'

I N VI TÉ E

tromper quand je le pouvais Quelle horreur, n’est

ce pasHE CTOR , avec convi c tion.

Mais Il je partage vos regrets

ANNA,étonnée .

Vous (R iant .) Ah pardon,j ’étais

Maintenant ma vis ite devient très Avezvous remarqué sa consternation enm’

apercev ant

Si je mettais le comb le à sa déroute en affectantde me sentir ici chez moi , pleine d’amab ilité pourlui et de confiance dans l’avenir .

HECTOR

Il ferait une tête N’en ayez aucun doute .

A NNA

A mervei l le Il m’a jadis si peu prise au sérieux,

c’est bien le moins que je le lui Et puis,au

fond,je serais trop tri ste s i je n’exagérais pas maCar

,pour un rien

, je fondrais enSe dire : Voi là l ’être ridicule pour l’amour duquel j e me suis rendue extraordinairement malheureuse

SCÈNE X

LES MÊMES, HUBERT

HUBE RT , à Anna .

Me voici , puisque vous m’acceptez tel quel .

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A C TE I I 77

HECTOR

Ma mission est remp l ie . ( I l s’esquiv e . Un si le nce .)

ANNA

Vous m’avez appelée, je ne me suis pas fait prier.

HUBE RT, très gourmé.

Merci je ne comptais pas être exaucé si

ANNA

Pourquoi tant de cérémonies entre vieilles connaissances e t même vieux époux , affirment d’anc iennes chroniques (Un silence.) Comment metrouvez-vous

HUBE RT

Hein Je ne sais i s

ANNAChangée

HUBE RT

je ne Je vous ai reconnue du premier coup d’œ il .

ANNA .atlsfaite o

A lors l’impression n’est pas trop mauvaise ?

HUBE RT

Si vous cherchez un

ANNA

Pourquoi pas J’ai besoin qu’on m’encourage .

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L'I N VI T É E

HUBE RT

Vous ne sembl ez pas en peine.

ANNAl e suis hésitante .

HUBE RT

Il faut l’entendre pour le croire.

ANNA

Croyez I l me reste une incertitude sur lesmotifs qui vous déterminent à m

’ouv rir cette ma i

son .

HUBE RT

Hector était chargé

ANNA

Je n’ai rien voulu On m’appelle ,Un pareil empressement n’est—il pas

louableHUBE RT

S i Mais vous dispensait—il d’écouter ce que notreami commun était chargé de vous dire ?

ANNA

J’ai préféré m’en rapporter à vous . Nous avonsquelque peu vécu l’un et l’autre, assez pour ne pastémoigner trop de surprise devant les propositionsb izarres

,ni trop de dépit devant les solutions imQuand on e st ainsi , c’est un plaisir de

dél ibérer ensemble.

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A C TE I I 79

HUBE RT

Chacun son goût Mo i,j e suis moins

Hector vous portait un message très net il est impardonnable de s’être tenu dans le Vousavez vu v os fi lles ?

ANNA

Ne parlons pas d’el les . Qu’i l ne soit question ence moment , que de nous… Me voici ramenée aubercail , ravie d’y être, pleine de bonne volonté .

Comment la témoigner ? C’est la seule chose quim

’embarrasse . Jusqu’à quel point dois-je être recon

naissante É clairez-moi.

HUBE RT

Que diable Vous avez une façon de poser lesquestions qui les embrouille l Laissez-moi donc allerconsulter Hector .

A NNA

Pour le renvoyer comme ambassadeur Nousnous en passerons b ien . Je réclamais d’être encouragée , maintenant vous semblez un peu gêné etcela suffit pour me mettre à Qu’est-ce quivous trouble ?… Que je m’informe jusqu’où doital ler ma reconnaissance ? Redouteriez-vous de mapart une explosion trop grande ?

HUBE RT

Je veux être traité Suivant mes bienminces .

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so L'I N VI TÊE

ANNA

Mettons que je sois venue serrer la main , nond’un viei l époux

,mais d’une ancienne connais

Ce n’est pas trop exalter v os mérites , je suppose (Signe satisfai t d’Hubert.) B ien . A présent je saisà quoi m ’

en tenir . Vous avez eu la généreusepensée de me rendre une partie de ma fami lle

,

j ’a llais dire la meilleure , mais puisque vous ne voulez pas en être

,je me mords la langue .

HUBE RT

Je me suis dit Voilà des années qu’e l le vit enexil

,l’heure est venue de la sortir d’un isolement

tr0 p austère .

ANNA

I l n’était n i trop profond,ni trop N

’exa

gérons pas ma A Vienne j ’ai été très mondaine , on m

’a beaucoup fêté-e , et tous mes efforts onttendu à faire pénitence le sourire aux Jehais le repent ir Car

,entre parenthèses ,

j e suis repentante . Acceptez mes regrets de vousavoir donné jadis de graves sujets de plainte . MonDieu , voyez comme de se trouver en présence desgens amène d’inexp—l icab les revirements . Ce matin ,i l me semblait que si vous hasardiez la moindre allusion à nos funestes dissentiments

,je vous arra

ch erais les Me v oi là maintenant d’humeurà en parler la première et sans fiel . Ne trouvezvous pas qu’après des années les choses qui para issa ient énormes, se réduisent à être des taupinières

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82 L‘I N V! TÊE

sont incapables d’élever les jeunesVous faites une bri l lante exception .

HUBE RT

Eh non,c’est ce qui vous Nos fi lles

sont jol ies,spirituelles , remplies de droiture, mais

horriblement mal élevées .

ANNAVous m’

étonne z

HUBE RT

Le tableau n’est malheureusement pasJe suis un père faible , aveugle, inexpérimenté , cedont nos enfants Les pauvres petites ontfa i t un tas de fo l ies , se sont compromises et je nesais comment les marier .

ANNA

Elles ont de la

HUBE RT

Peuh ! Je n’ai pas amélioré leurs dots .

ANNA

Enfin , que la question d’argent ne vous tracasseJ ’ai tant b ien que mal administré mon peti t

avoir et j’apporte ra i mon obole .

HUBE RT , avec élan.

Vous serez notre Les dois, c’est

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A C TE I I 83

quelque chose,mais il faudra it sur tout une direction

plus Si nos fi l les ont le bonheur d’être désirée s par vous , j e suis prêt à m’en séparer auss isouvent et longtemps qu’i l vous plaira

ANNA sèchement

Me les confier C’est un ho nneur dont je suisparfaitement indigne .

HUBE RT

Allons N’a i-j e pas pris mes rense ignements Je sais combien

,pendant votre élo igne

ment , vous avez été une femme respectab le, et suiscertain de mettre mes fi l les en bonnes mains .

ANNA

Entendon s Je partage la conviction quechez moi elles seraient pour le moins auss i conv enab lement placées mais je ne me sens pascapable d’assumer de nouveaux devoirs . Vous merendez justice en m ’

appelant une femme re spec

C’est un t itre auquel j ’ai droit , oupeu s’en

faut ; faites-moi seu lement la grâce de songer auxluttes qu’il m’a fallu soutenir pour en rester digne .

HUBE RT

Je ne doute pas qu’avec votre

ANNA

Laissons ma je parle de combats contremoi A vingt—quatre ans , le plus grand ennemi d’une femme complètement délaissée, c

’est

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84 L’

I N VI TÊE

son propre J ’ai vaincu le mien par desmoyens barbares

, y étouifant tout ce qui demandaità vivre

,fauchant am itiés et penchants qui pouvaient

entretenir la faculté L’apaisant avec

d’aride s coquetteries , comme on trompe la soit dans

l e désert,avec de petits L’a i-j e assez

muti lé,ce pauvre cœur ! Actue l lement i l n’y reste

plus une fibre C’estun jardin transforméen cour pierreuse sans un co in de verdure . Aforce d’y persécuter l ’iv raie , le bon grain n ’y peutp lus Le bon gra in sera i t l ’amour mater

HUBE RT

Quoi ! Vous en êtes à vous proclamer m èredénaturée !

ANNA

D ieu sai t quel épouvantable désespo ir j ai ressenti en quittant mes J ’a i passé des années àcouper un à un les l iens qui me rattachaien t au bonheur perdu , et aucun d

’eux n’est tombé sans quej ’aie versé des torrents de larmes ! N’y a — t- il pasquelque audace , maintenant qu

’à force de torturesj ’ai conquis la paix

,à m’offrir une maternité qui

promet des fruits Vous avez eu autour ducou les petits bras de vos bébés qui bégayaient àvotre ore i l le leurs genti lles bêtises

,chaque jour

a l longeai t d’un anneau cette longue chaîne d’impressions douces dont est faite la tendresse desparents … Chérissez v os fi lles , vous y êtes p lusexercé que

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A C TE I I 85

HUBE RT

Je ne m ’attendai s pas à cette car emfin , s i rien au monde ne vous inspire d’affection ,que cherchez-vous ici

ANNA

Ce qu i n ’

y est p lus ! I l y a be l âge que les v ivan tsme paraissent inoffens ifs , ma is je garda is la terreurdes fantômes . (F ixant sur lui un regard ple in d’ironie .) M’envo i là dé l ivrée ! Je suis dans leur repaire , et c

’estmoi qu i leur fa is peur

,car i ls ne se montrent pas .

Grâce à vous,j e partirai guérie de la malad ie du

souvenir , la plus cruel le de toutes .

HUBE RT

J’en suis fort a ise , mais , en attendant , vous nevenez pas à mon aide .

ANNA

En en levant vos fi lles ? Quand je m’en sentira isle courage

,ce serait vous faire le p lus grand tort .

Parions que vous avez,pour me les proposer , une

ra ison autre que cel le de perfectionner leur éducation

HUBERT , prote stant mollement.Oh par exemple !

ANNA,souriant.

Je vous ai s i b ien connu , i l en reste quelqueOui

,vous avez une mauvaise raison

Gardez—vous de me la dire , vous en avez envie et

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86 L‘

I N VI T É E

ce sera it une N ’élo igne z pas v os enfants ;

e l les vous protègent contre les entraînements définitifs, et quant aux autres , vous y êtes condamné àperpétuité .

HUBE RT , perdant patience .

Dites donc,il me semble qu’en fait d’entraînem ents

vous pourriez montrer plus d’indulgence . Et pourune femme qui prétend que rien ne l ’intéresse plus

,

vous vous occupez beaucoup trop de ma conduite .

ANNA

Ne me faites pas pire que je ne suis . Mon cœur estincapable de dévouement , mais son indo lence luipermet de s’intéresser aux Je goûte parmiceux qui habitent cette maison une sensation finequi Vous m ’

autorise z bien,n’est-cc

pas,à rester ici jusqu’à dema in ?

HUBE RT,interloqué.

ANNA

Si cela vous dérange le moins du monde,i l y a

encore un train ce Ma is j e perdrais à regretun plaisir auquel j

’attach e du Je sais que

vous avez une étrangère au château,Mme de

E l le est , m’a—t-on d i t , tout à fait de votre intimité ;par conséquent , j e présume qu

’on peut lui révélerqu i j e Votre femme après tout… Ma présencees t au moins aussi naturelle que la sienne.

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A C TE I I 87

HUBERT

Est-ce une critique

ANNA

Mille fois pon Ce serait mal à moi de supposerque vous respectez assez peu v os fi l les pour lesplacer dans une situation Vous êtes à

l ’âge où un homme peut s’accorder une amie sansque nul y trouve à redire ; surtout quand l

’amie est,

s i j ’ai bonne mémoire , assez insignifiante ; car jerencontrais parfois Mme de Raon , quand el leétait encore mademoisel le de Mornex . L’ai-j e bienjugée ?

HUBE RT

C’est une personne de notre intimité,et

,

vous savez,quand on se voit du matin au soir

, on

ne s’occupe guère de l’esprit qu’on a .

ANNA

R ien de plus vrai . Elle a probablement des qual ités sérieuses

HUBERT

Ah ! El le a rendu très heureux mon pauvrecamarade Raon .

ANNA

La reconnaissance dont vous entourez sa veuveest touchante ! … Mme de Raon est sans doute l iéeavec v os filles

HUBE RT

Oui , et je m’en plains un Ces demoiselles

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sa L'

I N VI TÉ E

ne sont que tr0 p portées à se aonner des alluresau-dessus de leur

ANNA,moqueuse .

Et l’influence d’une femme qui a ses dents desagesse n’est pas l ’idéa l ?

HUBE RTPas trop .

ANNA

Pourquoi favoriser leur liaison ?… Il serait s is imple de ne pas inviter Mme de Raon à la campagne .

HUBE RT , embarrassé .

J ’y ai C’est Quand on a misquelqu’un sur un certain pied , il est toujours délicat de

ANNA,indifférente .

Oh j ’ai dit N’y attachez pasTenez

,ne parlons plus de Mme de Raon , vous m ’en

dites du mal,je finira i par vous cro ire ; j

’aurai despréventions contre e l le, et jugez combien je sera iridicule si j e lui témoigne la moindre malveil lance .

HUB E RT

En ai—j e dit du ma l Tout au plus une légère

Vraiment Alors j avais ma l (Al ice et

Thérèse entrent . Anna l es arrête d’un geste.) Vous perme ttez ,

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90 L’

I N VI TÊE

THERESE

Oh ! Madame Pour longtemps

ANNA

J ’habite Quand reviendra i-j e enFrance ?

T HÉ RÈSE

Vous n’avez personne qui vous y retiennePas d’amis

ANNA

Auriez-vous le petit défaut d’être curieuse,Made

mo ise l le .

T HÉ RÈSE , sour iant.

Oui,

Pas d’amis

ANNAHélas non !

AL I CE

Nous,par exemple !

ANNA,souriant.

Comme i l faut se défier des nouvelles connaissances Me voici presque prisonnière .

AL I CE

Non , Nous mettonsplus d’amour-propre à vous conserver .

THÉRÈSB

Vous restere z de bon cœur.

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A C TE I I 91

ANNA,souri ant.

Quel le prétention

T HÉRÈSE

Nous savons qui vous êtes .

ANNA,très calme.

Ceci me surprend . Qu i pensez—vous que je sois

AL I CEMaman

ANNA,ne pouvant réprimer un mouvement d’émotion.

Vous dites

AL I CE

Hector l ’assure .

ANNA,très émue .

C’est vrai Je su i s votre Une mère qui aété ma lheureuse la majeure partie de sa vie . Ne meconsidérez pas comme un monstre si m on cœur estsec

,si mon prem ier mouvemen t

,quand vous m’ap

pelez maman,est de n ier . (E l le fond en l armes . Les jeunes

fi lles la considèrent avec étonnement .)

T HÉRÈSE

Nous avons beaucoup hésité à vousPour désirer garder un pareil secret

,i l faut des

raisons bien Cependant, il me semble quenous usons d’un droit .

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92 L'

IN VI T É E

ANNA,l es att irant à e lle et le s embrassant .

Inutile de vous excuser , c’est fait .

THÉRÈSE

I l y a longtemps que nous aurions tenté de vousécrire

,s i on ne nous avait pas dit que vous

ANNA

Fo l le , n’est-cc pas On vous (Avec unsourire tr iste .) J ’ai toujours eu ma pleine connaissance ,et quelquefois je m’en sera i s bien pa ssée .

T HÉRÈSE

Ah ! nous devons un fameux cierge aux auteursde cette Une mère Voi là quiembelli t l’avenir de ses fi lles

AL I CE , souriant.

Ajoutons,pour être vraies , que les fi lles ne per

dent pas une occasion de se montrer

T HÉ RÈSE

Parce qu’elles sont Nous sommes lespassagers qui se jettent à l’eau pour échapper aunaufrage . Vous nous trouvez en pleine noyade .

Seule , notre mère peut nous sauver . Nous voussupplions de ne plus v ivre au loin . A peine abritéessous l’aile maternel le , de mal élevées nous passerons pour originales , et, bientô t l

’originalité s’appel let a vivacité charmante Ne recu lez pas devant

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A C T E I I 93

notre réputation d’étouî die s . Nous promettons

d’être doci les , trop heureuses que vous imposiezvotre autorité !

AL I CE , à mi-vo ix .

Marguerite n’a aucune influence sur nous… Neredoutez rien de ce cô té—là .

ANNA,d’un ton légèrement amer.

I l y a plaisir pour moi, quiprofe sse l

’horreur desaffections conventionnel les

,à vous entendre ému

mérer s i paisiblement les futurs bienfaits de matendresse .

THÉ RÈSE

Ne soyez pas blessée . Quand vous êtes partie ,nous ét ions trop petites . R ien ne survi t de cetemps- là .Montrez- v ous indu1gente pour ce que noussommes pas comp l imenteuses , pas fausses nonplus .

ANNA

Je viens , en effet , de céder à un mouvementd’humeur très Pourquoi votre manière exclusivement pratique d’env isager mon retour m’est—el le pénible C’est injuste . Ne m ’

en

veuil lez pas .

AL I CE

B ien au contra ire ! Je suis sûre ma intenant quevous n ’êtes pas Notre première paro le sur la terre a été maman ce souven ir— làne peut avoir péri . C’est lui qui proteste .

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94 L'

I N VI TÊE

A NTUl

Il est pourtant vrai que j ’ai écouté vos prem iersbabil lages comme une mus ique Dans cetemps—là

,i l n’y avait pas de me i lleure mère que

Je ne m’occupais guère à décomposer les

sentiments pour constater qu’i ls son t pétris d’hab itude et d’égoïsine . Je vous mangeais de baisers

,j e

vei l lais près de v os berceaux , je grondais , je câ l i

nais tout comme une autre . En ai-je formé pourmes fi llettes des projets d’avenir L’aven ir d’a lors

,

nous y sommes mes fi l les m ’accue il lent en deman

dant un service et j 'hésite à le leur rendre,parce

que je ne suis pas assez généreuse pour sacrifiermon indépendance .

AL I CE

Maman , vous avez beau dire que les sentimentssont pétris d’égoîsme , i ls renferment que lque chosede mieux . Je ne vous apporte pas l’affection qu’unemère a droit d’attendre , mais en le constatant, j esens un grand vide dans mon cœur et c’est déjàbeaucoup . Si vous partiez , j e ne vous dirais pasadieu comme à une étrangère .

T HÉRÈSE

Et puis , songez que vous avez mis au monde descréatures qui n’ont pas demandé à naî tre . Vousleur devez une

ANN A , s Thérèse.

Al ice , en m’appe lant maman , me touche plus

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A C TE I l 95

que ne feraient les plus beaux raisonnements . S ’iléta it poss ib le de me reten ir, el le accomplirait cemiracle . Mais mon âme n’a plus de re ssort

A L I CE , lui sautant aucou.

Ah ! maman , maman , maman !… Rappelez—vousles fil lettes d’autrefois . Ce sont les mêmes qui voussuppl ient

SCÈNE X I I

LES MÊMES, MARGUERITE

MARGUE R I TE , très cord iale .

J’apprends une grande nouvel le,Mme de Gré

court est ici !ANNA

,l ’amab il ité même .

Madame de Raon , n’est-cc pas (E l les se serrent la ma in.)

MARGUE R I TE

Nou s nous sommes rencontrées avant mon ma.

riage . Mais j ’étais une petite timide qui passait inaperçue.

A NNA

Pas tant que cela . Je me rappel le fort bien l’avoirvue danser .

MARGUE R I TE , aux jeunes fi ll es .

Que vous devez être contentes,mes chéries !

7

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96 L’ I N VI T É B

AL I CE

Est-ce que ce la se demande !

SCÈNE xm

LES MÊMES, HECTOR

H E CTOR

Je réclame à goûter . Le voyage m’a creuse.

T HÉRÈSE

On apporte le thé .

HE CTOR , s’approchen t des jeunes fi lles et baissant la vo ix pendantque Margue rite et Ann a vont à l’éc art.

Eh bien , ça marche-t-il (Les jeunes fi l les exposent à voi xbasse leurs motifs de joie et d’inquiétude .)

MARGUE R I TE , l es montrant à Anna.

Sont-e ll es assez jol i es ! Les imagin iez-vous s icharmantes Al ice vous N’est-ce pasvotre avis

ANNA,souriant .

Que de de grâce,n’a l lez pas s i

je C’est toute une affaire de démêler mes impressions .

MARGUE R I TE

C’est vrai Quand on y songe ! … Se trouvermère de fami l le pour la première fois !

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98 L'

I N Vl T E E

avons pu avoir quelques difficultés , cela ne m’empêche pas de le bien Voi là un cœur

MARGUE R I TE

A qui l e dites-vous Je n’ai pas de meilleur ami .

ANNA

On voit qu’i l fait de vous un cas I lv ien t de me dire combien vous avez rendu M . deRaon J ’ai connu M . de Un bienaimable homme

MARGUER I TE

Que j ’ai beaucoup regretté .

ANNA

Je Ne suis—j e pas moi-même quelque chose comme une veuve Avec l’incertitudeen plus , car vous me voyez bien indécise .

MARGU ER I TE

Sous quel rapport

ANNA

Mon mari n’en est p lus un pour moi,mais je n’ai

pas , comme une vraie veuve, la ressource de leloger au cie l . Hubert est malheureux sur cetteterre . Je puis le secourir et c’est une tentationcontre laquelle j e sui s en train de lutter.

MARGUE R I TE , très gênée.

Est—il s i malheureux

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A C TE I I 99

ANNA

I l l ’assure . Vous ne le soupçonniez pas ?

MARGUE R I TE

J ’en étais à cent l ieues

ANNA

Au bout de cinq m inutes de conversation aveclu i

,je le savais .

MARGUE R I TE

Vous a—t-il dit de quoi il souffre ?

ANNA

En Et j ’a i deviné le reste . N’en doutezpas

,Hubert est entre les griffes d ’une femme . E l le

absorbe toute son activité au grand détriment deses fi lles qui vivent à l’aventure, ce qui le navre .Si je me chargeais des enfants , Hubert serait ravi ,et cette femme aus si , j e pense .

MARGUE R I TE,afl

'

ec tant une v ive surprise .

Entre les griffes d’une femme ! Qu’on est doncromanesque en Autriche

ANNA,rian t.

Qu’on est discret en France ! (Un domes tique apporte unetable à thé sur laque l le chauffe un samovar . Le s deux groupes de c au

seu’

rs se réunissent.)AL I CE

Maman,nous autorisez—vous à faire les honneurs

du goûter ?

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100 L’

I N VI TÊE

ANNA

enMes fauts , c ne sm s 101 u’nne maman b i en noVous représentez l e gouvernement .

HEC TOR

Sans l’onflwre de vraisemb lance, pui squ’elles brûlent d’abdiquer .

THÉRÈSB , passant l’inspec t ion dugoûter.

On aurait pu mettre quelque chose àcette

HECTOR

C’est une Je prendrais b ien un verre debière .

THÉRESE

Je vais en demander . (E l le sonne , un domestique parai t, el lelui parle bas.)

AL I CE , occupée à préparer le thé.

Marguerite,aidez—nous s’i l vous plaît .

MARGUER I TEVolontiers . (E l le rejoint A l ice et T hérèse.)

ANNA , bas, Hector.

Vous m’avez attirée dans un fameux traquenard .

HE CTORComment

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102 L'

I N VI TÊE

MARGUE R I TE , surv ient avec une assie tte .

Un petit gâteau (Les t rois femmes restent groupées autourd'Anna.)

ANNA,en chois i t un. A Margue rite .

Trop aimable Vous ne sauriez croire,Madame

,

combien il est utile qu’on me fasse si gentiment leshonneurs .

MA R GUE R ! T E

Uti leANNA

C’est me rappeler que j e suis une(Regardant ses fil les.) Tout à l’heure , j e l’avais presqueoubl ié .

R ID EAU

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A C T E T R O I SI EME

Même décor qu’à l ’ac te préc édent.

SCÈNE PREMIÈRE

nvsss r, nscron

Hec tor et Hube rt achèvent une c onversa tion. Hec tor assis sur le bi ll arddevant Hubert afiaissé dans un fauteui l e t fumantune pipe .

HUBERT

Mon cher , ce que tu m ’apprends là m

’ennuie extrêmement.

HECT OR

Comment ! il t’est désagréable de ne pas êtrecocu ?

HUB E RT

Si c’était à fai re, je ne demanderais certes pas àmais c’était chose soi-disant I l n’y

avait pas à y Est-ce que je m’en portaisplus ma l

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104 L‘

I N VI TÊE

HECTOR

Tu avais passé Je me rappelle qu’aupremier moment tu n

’étais pas si crâne .

HUB E RT

Oui, la En somme,s i on veut y regar

der de près , j ’ai été Pas de la façon quej e croyais , mais trompé tout de même .

HE CTORTu y t iens

HUBERT

É videmment , j’y tiens Je prévois un tas d ’en

nu i s avec Tu ne devines pas ce qui lapousse à proclamer son innocence C’est un coup

Au moment de partir elle compte s’attendrir et soupirer que seul j ’ai été infidèle . A lors elleaura beau jeu pour me colloquer une foul e de responsab il ités encombrantes l’avoir fait passer pourfol le, ce qui nuit à l

’avenir de mes fill es ; hébergerpresque continuel lement ma maîtresse , ce qui n’estpas non p lus sans Je serai forcé defi ler C’est là qu’elle m’attend pour m’offrirun gentil petit pardon ! Vois- tu cela , qu

’el le sejette à mon cou Il y aurait de quoi me fairefi ler au bout du monde.

HECTOR

Pour te Car il n’y a pas de doute,elle a

le beau C’est ta mauvaise conduite qui l ’adéterminée à

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106 L’

I N VI TÊE

HUBE RT

Qu’en sais- tu Et pui s,où veux- tu en venir ?

A constater que si tout marche à la diable chezmoi , j

’en suis Crois-tu que ce soit agréableà se J ’ai une conscience

,tout comme un

autre .

HECTOR

Le cr i de ta conscience,c’est que ta femme de

v rait avoir tous les torts .

HUBERT

Eh b ien ! oui , là D ’a i l leurs , tu l’

admires beaucoup , ma H ier

,à dîner

,tu la couvais des

Tu l’as trouvé amusant , ce dîner

HECTOR

Au possibl e Ton air gauche contrastait si dro

HUBERT

Avec la sp irituelle aisance Sacrédié, i lfa l lait l ’épouser, puisqu

’e l le te semble s i déli

HE CTOR

J ’ai E lle t’a donné la palme.

HUBERT

Hein Tu l’as demandée en mariage Pourquoi m’en avo ir toujours fait mystère

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A C TE I I I 107

HECTOR

Parce que je nourrissais le fo! espoir de séduireta femme

,et qu’i l était inuti le d’attirer ton atten

tion là S i tu ne m’avais pas laissé croirequ’elle était enfermée , j e l ’aurais suivie à Vienne etaujourd’hui tous les torts ne seraient peut-être pasde ton cô té .

HUBE RT , riant .

Comment , comment , Ah ! j e m ’explique maintenant bien des petites choses ! … Etmo i qui t’expédie à Vienne négocier un traité d’a lliance ! … Pardon de t’avoir rendu un peu ridicule

,

mon pauvre am i

HECT OR , rünh

Revanche tardive , mais légitime !

HUBERT

Tu as dub ien souffrir

HECTOR

Quand ça Autrefois

HUBERT

Non , la semaine dern i ere , quand je t’ai proposéde me la ramener .

HE CTOR

Pas du tout… je n’ai plus pour el le qu’une amitié

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108 L‘

I N YI TÉ E

C’est vous qui m’

êtes chers tes fi l les ettoi , gros Vous m’avez donné un foyer

,

vous avez été la fami l le du vieuxtu devrais te réconcil ier tout à fait avec ta

femme

HUBERT

Pour compléter ton intérieur

HECTOR

Tu ne comprendras jamais un beau sentiment .

HUBERT

A lors , pourquoi

HECTOR

C’est l e seul moyen de rendre une mère à tesfi l les .

HUBERT

Ah bien , E lle m’a carrément déclaréqu’elle ne veut pas s’en empêtrer .

HECTOR

Raison de plus pour l’y forcer en lui enlevanttout prétexte pour s’en Sem is- tu donc tellement à plaindre C’

est une femme idéale !

HUBERT

Merci J’ai pour Marguerite une affection toujours jeune , ce la vaut mieux que rajeunir une aucienne affection .

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110 L I N V I T É E‘

r ite es t Heureusement, Thérèse a bec etSe démène—t-e ll e , la petite enragée

HUBERT

Tu Ah ! les voilà qui tournent derrièreun massif. Thérèse riait, ma parole, elle riait quandje l’ai perdue de vue .

HECTOR

Grand b ien vous fasse à tous Le p lus clair del’histoire

,c’est que je repars aujourd’hui pour

Vienne avec ta femme .

HUBERT,affec tant un air tragique .

Dois—j e l e permettre après ta confidence

HE C POR , se prépare à sorti r.

Serin,va Je te l ivre à tes Qu’e l les

soient salutaires

HUBERT

Jamais,jamais

,jamais (Hec tor hausse les épaules et

sort.)

SCÈNE I l

HUBERT , seul.

A insi , je ne l’éta is pas C’est bizarre ! Quand

on a vécu pendant des année s se croyant quelquechose , même quelque chose de pas glorieux, et

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A C TE I I I 111

qu’on se découvre subitement le contra ire, on e st

SCÈNE 111

HUBERT, MARGUER ITE

MARGUE R I TE , hors d’h ale ine.

Ah ! mon ami , j ’ai des compl iments à vousJe n’en puis plus

,j ’ai chaud , je S i j e

m’attendais

HUBE RTA quoi

MARGUE R I TE

Vous m’avez fourrée dans un joli guêpier !

HUBE RTComment

MA RGUE R I TE

J ’ai été assez sotte pour vous encourager à inv iter votre femme . M’en voilà bien récompensée !

HUBE RT

Que lui reproch ez —vous

MA RGUE R I TE

Ce n’est pas J’aimerai s mieux que ce fûtelle Au moins j e n’aurais pas le chagrin de vo irdes per so nnes auxquelles j

’ai pour ainsidire servi8

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112 L'

I N VI TÉ E

de mère, se mettre contre moi d’une façon scandaleuse .

HUBE RT

Enfin qu’y a—t-il

MARGUE RI TE

Je me promenais au Thérèse est venueme rejo indre et

,sans autre préambule

,elle m’a

mise en demeure de fil er E l le suppose,la

charmante enfant, que ma présence gêne saS i j e d i spara issais

,Mme de Grécourt n

’h ésiterait

probab lement pas à s’insta l ler chez Entree l le et moi

,ces demoisel les ont Si je m’ob

st ine à rester,on me rendra la vie dure

, on metournera le dos , j ’en suis prévenue .

HUBE RT

Thérèse s’est permis .

MARGUE R I TE

El le m’en a dégoisé b ien d ’autres J’en cache lamoitié

,par égard pour moi-même .

HUBE RT

Ma i s a lors,mes fi l les savent qu’entre nous

MARGUE R I TEI l paraît.

HUBE RT

Vous prétend iez le contraire

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114 L’

I N VI TÊ

MARGUER I TE , prête à pleurer.

Pour un rien , 1rais me jeter à l’eau !

HUBE RT,l ’emb rassant.

Allons Nous trouverons une so lutionp lus Je divorcerai et nous nous marierons .J ’avais toujours reculé par crainte du scandale ,mais scandale pour scandale

,celui- là nous tire

d’affaire .

MARGUE R I TE

Un divorce empêchera—t-il Thérèse de me couvrirde boue Cette fi l le- là, j e ne l

’avais pas encorevue sous son vrai C’est un démon

HUBE RT , rêveur.

Qu’il serait pourtant facile à ma femme de noustirer d’embarras !

MARGUE R I TE , ironique.

Comptez là-dessusHUBERT

D’un mot elle apaiserait tout.

MARGUE R I TE

A ttendez qu’elle le dise

HUBE RT

Laissons- la parti r Sa présence encourage mesNous en viendrons plus facilement à bout

quand el les se sentiront isolées.

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A C TE I I I 115

MARGUE R ITE

Je va is m ’enfermer dans ma Auss i tô t

après le départ,vous me raconterez les adieux…

HUB E RT

Surtout , ne vous déso lez pas (Margueri te sort avecu ges te épe rdu.)

SCÈNE IV

HUBERT. ALICE

AL I CE , entrant .

C’est maman qui était avec vous ?

HUBE RT , brutal .

AL I CEJe

HUBE RT

Tu écoutes aux portes maintenant ?

AL I CE , souriant .

Si e coutais aux portes , je saurais avec qui vousj ’ai entendu qu’on parlait haut

,et comme

j’h ésitais à entrer

,il m’a semb lé qu’on sortait .

HUBE RT

A lors , du moment qu’on se dispute , j e suis avecta mère ?

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116 L’

I N V I TÊE

AL I CEJe n’ai pas dit ce la .

HUBE RT

Vous en dites bien d’autres ta sœur et toi .

AL I CE

Quoi donc,mon Dieu

HUBE RT,èmbarrassé.

Hum Ce la va finir , n ’est-ce pas

AL I CE

Exp l iquez-vous , je ne comprends pas

HUBERT

Tu comprends à merve i l le , et s i tu as besoin d’ex

pl ications,va en demander à Thérèse .

AL I CE

C’est el le que vous grondiez

HUBE RT

! a ne te regarde Et d is- lui de ma partque je suis excessivement blessé de saJe ne lui donne pas de consei ls , mais si elle a unpeud

’esprit , elle saura ce qui lui reste à faire .

AL I CE , regardant mal ignement son père .

Que lui reste-t—il à faire On peut bien me ledire

,j e ne suis pas Thérèse .

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118 L‘

I N VI T É E

HUBE RT , c onsterné.

Alice,ma pauvre enfant , j e ne suis pas un mé

chant Ma is tu veux juger les personnesd’un certa in âge avec ta Enfin , j e t’a ssure

,cette guerre au Vous avez

La maison va devenir un enfer !

AL I CE

E l le l’est depuis longtemps , papa

HUBE RT

Pour vous On m ’assura it l e con traire J’au

I'

R IS dû y ( Il prend A l ice dans ses bras, l ‘embrasse et

la ca resse.) Pardon , mes enfants , de vous avoir humiMais vo i s—tu, ma peti te , ne suis-j e pas bien

puni en vér ifiant à quel poin t vous m’ête s peu

attachées Entre une mère que vous connaissez àpeine

,et moi qui ne vous ai jamais quittées

,s i

vous hésitiez seulemen t une seconde Pas dedanger Vous courez à e l le Oh

,j e l ’ai mérité !

Vous a l lez là où vous entrevoyez le Moimême je me rends justice si votre mère est ici

,

c’est que j e l ’ai prêt à lui donner mesfi ll es pour leur Cela me fait tout de mêmede la peine que mes fi l les se précipitent s i faci lement sur la voie que je leur ouvre pour s’élo ignerde moi.

AL I CE

Mais non ! Qu’est-cc que Thérèse demandai t quivous a tant fâché ? Précisément cela ne pas perdremaman , sans nous séparer de vous .

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A C TE 119

HUBER T

Je ne suis plus fâché dis-le à ta C’est votredroit de vous défendre .

AL I CEContre vous !

HUBE RT

Je suis sans défense contre moi—même cherchezun refuge près de celle qui peut vous secourir .

AL I CE

E lle ne l’offre pas Nous voyons bien que soncœur est touché

,mais un obstacle inconnu nous

en C’est pour la reten ir que nous tentionsl ’imposs ible L

’impossib le ! … (Regardant son père avec

une inquiétude cal ine .) Est-ce bien certain

HUBE RT

Oui , mon Tu ne sais pas ce qu’i l y a defaiblesse dan s les vieilles âmes qui se cramponnentà la vie, au lieu de se préparer noblement à la quit

N’insiste pas… D ’ai lleurs , vous êtes dans l’er

reur en supposant que ma femme reprendrait saplace dans la E lle est encore moins disposée à l’accepter que moi à la lui Noussommes à jamais désunis .

AL I CE

Pourtant, à dîner, assise en face de vous, el le causait si

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120 L'

I N V! TÊE

HUBE RT

Signe que nous ne comptons plus l’un pour l'autre.

AL I CE

L’irréparab le la met à l’aise

HUBERTTout juste (Un s i lence .)

AL I CE

Que deviendrons—nous L’existence d’hier n’estplus possible aujourd’hui !

HUBE RT

Suppl iez encore votre Qu’elle v ousæmSi elle refuse, eh bien , je vous autorise à

partir demain pour la rejoindre à Là-bas,

quand vous lui direz que vous me fuyez,la conju

rant de ne pas vous renvoyer dans un intérieurqui vous est odieux, elle aura pitié .

AL I CE

Nous sommes à p laindre , en effet . C’est à qui sed ébarrassera de nous !

HUBE R ‘

]

Voilà que tu Tout le monde vousVois—tu, quand il y a quelque chose de dé

traqué dans un ménage , les enfants sont les premiers à en souffrir . C’est une loi… que la Provi

pour le châtiment des

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122 um VI 7 125

AL I CE

Non . Papa qui venait de recueil l ir sesRemercie le ciel qu’il m’ait rencontrée la première.

T HÉ RÈSB

Il était furieux

AL I CE

Je te cro is ! Pourtant il s’est montré bravhomme

,honteux et peiné de notre clairvoyance .

I l te fait dire qu’il ne t’en veut pas .

THÉ RÈSE

Victoire alors I l admet que Marguerite ne peutplus vivre ici

AL I CE

Sous ce rapport , rien à I l assure qu’àson âge les affections paraissent plus précieusesqu’au Enfin , pas question de renoncer à

I l déplore,ma is pers iste .

THERESEQue fa it-on de nous

AL I CE

Récompense honnête à qui nous Tuas vu que j e p leurais . I l faudrait un cœur sol idepour entendre ces choses— là sans broncher .

THERESE

Bah ! On ne peut pas nous perdre dans les boiscomme le Petit Poucet !

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A C TE I I I 123

AL I CE

Soit ; mais on nous loge avec une bel le—mère quinous rendra ma lheureuses comme Cendri l lon . Dureste, on nous laisse l ibres de nepas accepter cetteinfortune .

rnÉaÈsn

En quoi faisant ?

AL I CE

En nous imposant à Si elle se dérobepapa nous conseille de la suivre à Vienne pournous jeter à ses Peut—être, à la vue de sesenfants fugitives et suppl iantes , se laissera—t-elle fléchir .

THÉRÈSE , riant.

Ce n’est pas déjà si mal imaginé Papa n’a pastrouvé cette idée-là tout seu l . Marguerite la luiaura soufflée.

AL I CE

Cela te fait rire, toi, qu’on nous envoie mendierun asile !

THERESE

Je ris de Quant à la chose e llemême

,je la trouve lamentable , mais Et

puis,c’est assez mal in pour réussir, et dame, à la

suite de mon empoignade avec Marguerite, tout cequi peut nous éloigner d’elle me E l le m’ena Et je te prie de croire que je n’ai pas étémuette non J

’étais dans un tel état qu’i l m’afallu marcher un quart d’heure pour me

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124 L‘

I N VI TË B

Je me croyais douce , N’empêche qu’elleen a entendu de forte s ! … (Anna entre.)

SCÈNE VII

ALICE , ruÉaÈsx—z, ANN A

A NNA , à Thérèse.

De trè s fortes Mme de Raon sort de chezmoi Quand vous vous y mettez , ma petite Thé

Lui proposer de déguerpir pour que jetrouve la maison attrayante et m’y instal le

THÉRÈSE

Nous avons bien cherché ce qui vous déplaisait

ANNA,emb rasse Thérèse .

Ce n’est pas vous , sûrement E lle vient de meparler sans beaucoup de ménagement5, cette bonneMarguerite .

T HÉ RÈSE

Oh je m’en

ANNA

E l le m’accusait d’ê tre l ’âme de vos noirs comp lots

,

quand , au contraire, si que lque chose m ’enth ou

siasm e en eux, c’est qu’i ls ne me doiven t rien . El le

a fin i par le comprendre et toute sa colère s’est ré

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126 L’

1N V I T É E

contraint .) N’etes—vous pas récompensée en nous voyant

heureusesANNA

Qi j e pouvais l’être avec vous

T HÉ RÈSE

Pourtant,vous redevenez notre

ANNA

Ma chère Thérèse,vous êtes dans la peine

,et j e

n’hésite pas à vous sauver . J ’ai tué dans mon âmebeaucoup de sentiments très doux , mais en tâchantd’épargner la A ce point de vue , vous trou

v ere z en moi , soyez—eusûres , une véritab leJe suis comme les vieux saules creux le bois mortdu cœur n’empêche pas les branches de verdir etles oiseaux d’y trouver un

AL I CE , douloureusement .

A insi vous nous prenez rien que par charité .

ANNALa charité qui consiste à offrir sa vie

,à consacrer

son âme, i l n’y a pas d’hum il iation à l’accepter,

croyez-le , mes Et puis , sait—ouce que deviendra mon cœur auprès de vous I l est entrev os mains, las de son abandon , tenté, lui aussi ,d’accepter la charité… (S… Je vous l ivre un se

T HÉ RÈSE

Nous saurons en tirer Au prem ier abord,

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A C T E I I I 127

dans notre contentement d’être secourues, nousavons dû vous paraître Ma is l ’étionsnous tant que cela Tenez , A l ice et moi avionsprojeté de nous sauver de lamaison pour vous re'oindre à Vienne et vous supplier de nous recueil

Ces idées—là viennent du cœur

ANNA enchantée .

Laquelle y a pensé la prem ière ? Vous , Alice ?

AL I CE , honteuse , je tant à Thérèse un regard méc ontent .

Je ne me souviens

ANNA

A l lons , j e ne le saura i Me vo i là forcée à

partager ma Et puis,l e moment

d’agir est venu . (Som—tant.) Impossible de prolonger

notre séjour ici , après votre scène avec Mme deRaon . Thérèse , cherchez votre père et amenez! e—mo i, que je lui annonce nos grandes résolutions .

rnÉnùss

J ’y v ais . (E lle sort .)

SCÈNE VII I

ALICE , ANNA

AN>N AJ 'envoie Thérèse plutôt que vous . Dans votre

petite association el l e m’a l’air d’être le minis tre

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128 L’

I N VI TË E

des Affaires C’est elle qui s’est chargéed’affronter Mme de Raon .

AL I CE , riant.

Min istre de la Guerre Ce mat in,nous nous

étions divisé la besogne . Pendant qu’elle expé

diait Marguerite, j’essayais de convaincre papa .

ANNA

Sans succès

AL I CE

I l a témoigné le regret d’être

ANNA

B ien décidé à ne pas deven ir fort ?

AL I CE

Ajoutant que s’il rompait avec Marguerite , ce neserait pas pour vous une raison de rester .

ANNA

I l disait A lors vous n’avez plus espéréqu’en moi ?

AL I CE

Dans mon découragemen t j e ne comptais plussur Je suis trop jeune pour comprendrece qui vous éloigne de nous mais retrouverons—nousjamais ce tte maman qui n ous berçait toutes petites ,et qui a tant pleuré en nous quittant Pourquoi

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130 L’

I N VI TË E

faut voir du Les voyages forment la jeunesse Comptez-vous encore partir aujourd’hui ?>

ANNA

P lus que On attel le . Ces petites vontembal ler rapidement ce qui leur est indispensab lepour me su ivre

HUBE RT

On leur expéd iera le reste .

AL I CE,t im idement .

A tout hasard , nous avons passé la nuit à fa irenos Tout est prêt . (Soud ant.) L’idée vient deThérèse .

ANNA

POI‘ IGZ- l l l l mes (A l ice la regarde , regardeson pè re , souri t e t s’en va.)

SCÈNE X

ANNA , HUBERT

HUBE RT

Merci,Anna , Pas en mon nom , b ien en

tendu,mais au nom des El les étaien t

rée l lement Ah ! vous me tirez d ’unebien cruelle épreuve !

AN NA , très a imable .

Heureuse de vous rendre service.

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AC TE I I I 131

HUBE RT

I l devena it tel lement imposs ib le de conserver icicette jeunesse

,que s i vous l’y aviez laissée , j’avais

imaginé un petit stratagème . Un beau matin Al iceet Thérèse débarquaient à Vienne

, fuyant la maison paternelle pour imp lorer votreVous n’auriez pas rés isté

ANNA

Ce n ’est pas vous qui avez trouvé ce la

HUBERTS i Ma paro le !

ANNA

Vous le leur avez proposé

HUBE RT

Tout de Pour les Elles éta ien td’une agitation

ANNA,sourit avec tristesse .

Voyez , j e m’inquiète de tout…

HUBE RT

Vous prenez au sérieux votre rô le de mère .

ANNA

Trop,peut Si mes fi l les manquaient deQui sait Je sera i s capable d’avoir du

chagrin .

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132 L‘

I N V I T É

HUBE RT

El les ne seron t pas quo iqu’e l les me

plantent là sans abuser des I l faut être debon compte je n ’en mérite guère .

ANNA

Oh ! vous en si l’on n a 1mait quepour être payée de retour (Le coeur gros , e l le se dirig.

ve rs le v i trage du fond , et regarde dans le parc .)

HUBE RT,à part

Bon ! j e n ’y échapperai Voici la révélationde son La fl èche du Parthe Tenonsnous bien

ANNA revient brusquement .

On a oub lié de préven ir Hector que j’emm ène les

I l devait m ’accompagner , mai s à présent

que nous sommes en nombre,je n’ai plus du tout

beso in qu’i l se dérange… Soyez assez aimable poura l ler l ’av ertir .

HUBE RT , étonné .

Vo lontiers . (I l s’éloigne.)

ANNA,le rappe lant.

Mon ami , c’est probablement la dern ière foi s quenous sommes seuls . Qu ittons-nous b ien . Je n’emporte contre vous aucun sentiment pénible . Donnezmoi la main et adieu .

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134 L'

I N VI TÊE

Mo i qu i croya is vous être agréab le entournant court .

HUBE RT

Tenez,vous êtes méchante de ne pas vouloir

comprendre . Quand une femme innocente se donnepour coupable à son mari , qu’elle se p laît à l ’écrasersous un déshonneur fi ctif, le moins , c’est qu’elle lu irende l’honneur lorsqu’elle ne l’aime Or ,vous ne m ’

a ime z plus Eh bien , avant cet adieutout sec

,vous deviez me dire : Hub er t, j e ne vous

a i jama i s trompé et ajouter

ANNA souriant.

Pourquoi j e ne vous ai jamais trompé

HUBE RT

Hé non Pourquo1 vous vous êtes laissée accuser faussement .

ANNA

A ins i vous Mon Dieu , qu’Hector est donc

Je suis déso lée,ayant à ma” portée un

moyen si faci le de vous être agréab le, de l ’avoirOn ne pense pas à E t vraiment ,

cette histoire de ma vertu semble si peu importante ! …

HUBE RT

Peu importante Pour moi,passe Vingt ans

après , on s’est fait une ph ilosophie . Mais poury a des hontes qui sal issent toute une vie .

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A C TE I I I 185

ANNA,mélancol i que .

Ma v ie s’est refusé toute douceur par dégoût deces hontes

,et voyez , l’heure venue de m’en laver,

je n ’y pense même C’est beau de domptersa nature Mais vous

,votre philosophie , quo ique

vieil le de vingt ans,n ’a pas l’air trop dédaigneuse

des petits secours .

HUBE RT

A quoi bon fa ire le fier Non , je ne refuse pasun peu et une parole affectueuse , en vousen allant

,eût été b ien Anna , je ne suis

pas Si vous étiez moins ind ifférente,j e

vous le Mais que sui s—j e pour vous ?Moins que Sachez— le donc , Marguerite n’estpas l’am ie qu’il me Vous l’avez vue .

Vous me suffi t , j e n’ai pas besoin d’en

dire plus

ANNA

Je suis restée honnête et ma satisfaction est mediocre ; vous avez servi v os passions , et votre fel ic ité est Mon pauvre ami tous les cheminsmènent à Je vous plains , p la ignezJe n ’

a i pas vécu p lus seu le dans mon abandon quevous dans vos intimités . I l p leut du cie l des cro ixqui ne choisissent pas les

HUBE RT

J ’entends les petites .

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138 L'

I N VI'

I‘

IË E

ANNA

C’

CSi le (Al ice e t Thérèse arrivent en t o i letteOyage .)

SCÈNE X l

ANNA , HUBERT , THÉBÈSE , ALICE

T HÉR ÈSE

Nous voilà prêtes …

AL I CE

Je crois que la vo iture Papa , i1fautnousdire adieu . (Hube rt embrasse tendrement ses fi l les .)

HUBE RT , avec émotion.

J ’abandonne peut-être sottement mon un ique res

ANNA

J éta is un hôte Vous le constatezbien Mon cœur arrivé pauvre s

’éloigne à peuprès riche . Hubert , merci encore de votre gracieuseiD V l18 110 11 . (E l le fa it passer ses fi l le s , e t tous se d ir igent ve rs lasortie .)

R IDE AU

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HI STORIQUE

LA NOUVELLE ! DOLE

L’

Amour brode m’avait attiré au Théâtre-Francais un échec reten tissant dont il s’agissait deprendre ma revanche . J

‘étais à la recherche d’unsujet de pièce et m’

exerça is à des combinaisonsd ’événements . Voic i une de ce ll es que j ’avais trouv ée s

Un offic ier ne fai t pas bon ménage avec sa femme .

Cel le—ci,sans avoir à se p laindre d’un mauvais pro

cédé ou d ’un tort quelconque , éprouve à l’égard ducaractère de son mari une invincible méfiance . E l leest

,au contraire , attirée vers un de ses camarades

de régiment qui lui fait la cour, et finit par obten irqu’e lle v iendra chez lui . En effet, elle y va , encoreindécise sur les conséquences de l’entrevue , ma isnous savon s à quoi mènent les hés i tations d ’unefemme qui accepte un rendez-vous . El le est doncen grand péril près de cet homme que nous considérons comme un futur amant

,qui manifeste

sa joie et entame les Tout à coup ,

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140 LA N O UVE LLE ! DOLE

une On La dame se cache dansune chambre vois ine d ’où e l le entendra tout ce quise L’

importun visiteur n’est autre que son

mari . Alors se passe entre les deux hommes unescène lamentab le . La vei l le au soir , au cerc le desoffi ciers

,le mari a été surpris trichant au jeu et

gravement insul té par son adversa ire . Ma lgré lespreuves qu’a fait va lo ir son accusateur

,i l a n ié et i l

exige une réparation par les armes . I l demande àson camarade le p lus intime de lui servir de témoin .

Le camarade,qui l ’obl ige à s

’av ouer coupab le , re

fuse en déclarant qu’il trouvera partout le mêmeaccueil . Là où le déshonneur est évident , pas deréparation possib le . Le mari supplie humblement ,bassement . Son unique chance de sa lut est que desamis jouissant de l’estime générale , veui l len t bien leseconder . Le camarade est infl ex ib le . Le mari s’enva désespéré , disant que même sous son propre toiti l est assuré de ne pas rencontrer un cœur compat issant

,et qu’i l n ’a plus qu’à se faire sauter la cer

vel le . A pe ine est- i l sorti , que sa femme reparaît. Enécoutant les do léances du mi sérable elle a éprouvéun sursaut de conscience . Le trahir au moment oùtout le monde l ’abandonne serait une lâcheté qu’el lene commettra pas . E l le part et va le rejoindre .

J ’en suis resté là . Tricher au jeu est un crimerépugnant . Cet officier n ’était décidément pasta i l lé pour être le héros d’une de mes pièces .Oui , me disais—j e , l

’histoire serait , à la rigueur ,acceptab le , s i le principal personnage se dés/zonara it glorieusemenl . Et devant ce simple énoncé duproblème , il me semblait sage de n’y plus penser .

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142 LA N OUVE LLE ! DOLE

dans la R evue de Pa ris , la N ouve l le Ido le ava i tfortement attiré l’attent ion et obtenu un grand succès de lecture .

Au théâtre jama is p ièce ne fut accueil l ie p luschaleureusement. Dans le rôle du docteur Donnat

,

Anto ine é tait très émouvant . I l s ’y donnait de toutcœur. M l le Be l langer lui fourn issait la répl iqueavec une extrême s impl ic ité . E lle comprenait quela petite Antoinette sera d ’autant p lus touchantequ’e l le donnera sa vie en gros au l ieu de la donner eudéta i l comme s’il s’agissait d’un son jeté àun Les expressions gros et déta i l pluscommerciales que tragiques

,lu i commandent une

naïve inconscience . I l m’est arrivé,dans un théâtre

de province , de voir une jeune Antoinette 'récitertoute son affaire de troisième acte

,les deux bras

croisés sur sa poitrine , dans l’attitude résignéed ’une Jeanne d’A rc sur son bûcher. E l le était toutbonnement ridicule . La presse s’est montrée en

th ousiaste .

Dans le Journa l Ca tul le Mendès disaitR éjouissons-nous . Voici l’œuvre d’un très haut ,

très généreux et très lucide esprit . I l commenceb ien pour nous , l’an qui achève ce siècle , puisqu

’i ldonne à notre pays une si puissante tragédie , oùtoutes les races doivent s ’intéresser ; nous a imonsvoir en elle comme une saine et déjà mûre primeurdu siècle prochain . France éterne llement fécondeet sans fin renouvelée en tes enfantements l Tuoffres toujours des espérances égales à tes souv enirs . Mais c’est mieux qu’une espérance

,c’est une

réa l isation magn ifique , l’œuvre de M . François de

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HI S TOR I QUE D E LA N OUVE LLE I DOLE

Curel représentée ce soir au Théâtre Antoine . En

core au début d’un effort naguère i l lustré par cesdeux drames d’angoi sse et de déchirement : lesFossiles et l’auteur de la N ouve l le Ido ledéveloppe cette fois la p lénitude de son jeune gén iethéâtra l

,oui théâtral

,en une pièce

,oui

,

une p ièce , où le débat entre la science et la rel igion

,entre les deux fo is , entre les deux fanatismes

que l’un et l’autre engendrent, débat éterne l maish yperactua lisé par l

’anx ieuse âme moderne

,se

résout,s’apa ise , en l

’adm iration et l ’amour de deuxsacrifices d ifférents quant à l ’espo ir des martyrisés ,équiva lents par l’excès et la beauté du martyre .

Pour la prem ière fois sur la scène française,

après trop de tentat ives médiocres , pédantes etpuéri les en même temps , des idées abstraites enOpposition sont d evenue s des êtres réels en confl it ,réels et v ivants , d’une humanité s i dou loureusequ’el les créent

,dans la sub lim ité spirituel le

,un

poignant drame sensuel ; et toute une l ittératuredramatique se répandra , comme une source , decette heure qui est une ère . Est-ce à dire qu’el ledevra être

,qu’el le sera exclus ive de tout autre art

théâtra l ? Pas le mo ins du monde . Inévitablemente lle aura cec i contre e l le , que les entités suscepti

bles de devenir des individualités intéressantespour la foule

,seul publ ic du vra i drame

,sont

rares ; el le ne cessera pas , ma lgré la généralité dessymboles

,d’avoir que lque chose d’exceptionne l en

sa matérial isat ion ; et toujours , selon, j e l

’av oue ,

mes instinctives préférences,

i l sera possib le àquelque poète doué du génie de faire une extasiante

10

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144 LA N OUVE LLE I DOLE

et neuv e merveil le après Sha ! espeare dans R o

m eo e t Jul ie tte et Cornei l le dans le C id avecl’amour d’un jeune garçon et d ’une fi llette contrariépar la vo lonté des parents . De même la plus extrêm e beauté des plus hauts et des p lus profondspoèmes phi losoph iques , n

’empêch e ra pas d

’être unchef-d’œuv re , plus immorte l peut— être , le sonnet ,que rimera dema in pour une cousine en jupon court,un poète enfant sous un églantier pas fl euri encore .

Mais notre natif et perpétue l amour pour le dramedépourvu de tout ce qui n’est pas lui-même

,pour la

poésie déda igneuse de tout ce qui n’est pas e l leseu le , ne doit pas nous rendre injuste envers ceuxqui

,du subti l

,complexe

,et épouvantab le état d ’es

prit créé par la recherche moderne , t irent uneémotion

,une beauté

,comparab les à cel les du drame

le plus simp le ou de la p lus pure poésie ! Et dev antle prod ige accompli par M . François de Cure l i lfaut se réjou ir

,j e le répète , et s’enorgue il l ir.

De Léon ! erst dans le Pe tit Journa lQue vous ou moi , d’inte ll igence convenable

et de bonne moyenne ordina ire , conœ v ions un

sujet de drame hardi , nous nous app l iquerons à letraiter de notre mieux et, s i nous pouv ons réussir,nous nous estimerons fort heureux d ‘avoir créé unepièce de plus

,capable de fixer un moment l’atten

tion dupub l ic .

Ma intenant que ce même sujet de drame vienneà so l l iciter la pensée supérieure d’un homme commeM . de Curel , tout aussitôt les proportions vonts’ampl ifier, le cadre va s

’agrandir, l

’1dée impérieuse

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46 LA N O UVE LLE I D OLE

sième je remonte dans son estime : L’auteur aheureusement rencontré un dern ier acte qui estdé l icieux , et de théâtre ce lu i- là, affirm e -t—il . Toutcompte fa it , après avo ir b lâmé l ’ensemble , au poin tde vue théâtra l , il en réhabi l ite , en déta i l , la plusgrande partie .

M. Robert de Flers dans la LibertéLa N ouve l le I do le fut pub l iée

,i l y a deux ans

env iron , dans la R e vue de Pa ris ; el le n’y obtintqu’un succès d’estime a lors qu

’h ier au so ir la re

présentation en fut quas i triomphale, tant l’art dul iv re d iffère de ce lui du théâtre . !Les deux p ièces ,ce lle du l ivre et ce l le du théâtre

,éta ient assez dif

férente s . Personne n’en a fait la remarque,ce la n’a

r ien de surprenant, on ava it eu le temps d’oub l ier,en quatre ans , le texte de la R evue de P a ris .]Or ,quoi qu’en disent certa ins critiques

,M . de Curel

est , avant tout , auteur dramatique . A peu près seu len ce temps où l’iron ie

,le scep ticisme et la rosserie

se partagent les scènes parisiennes,M . de a

eu la noble audace de porter à la rampe les tsdes p lus graves problèmes contemporains .En généra l on avait parfaitement compris qu’en

regardant agir mes personnages ,j e m’étais un ique

ment attaché à suivre en eux les influences parallèles de la science, de l’amour et de la foi. I l n’y aguère eu que les médecinsà cro i re que la Nouve l leI do le était une sorte de pièce à thèse dont le butétait de prouver que le savant n’a pas le droit de seliv rer à des expériences sur le malade confié à sesso ins . Pas le droit On vient de voir par le récitde la genèse de mon sujet , que je ne su is pas loin

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HI S TO R I QUE D E LA N OUVE LLE I D OLE 147

de penser exactement le contraire , pu isque , ayan tbesoin d’un criminel glorieusement déshonoréet march ant le front haut j ’ai choisi un savan tdu genre de Donnat . L’ayant trouvé , ce n

’est qu’enquelques l ignes , au premier acte , que je me sui soccupé du prob lème qui , aux yeux des mortico le s

,

absorbe toute la pièce . La femme de Donnat , troub lée par la perspective d’un scanda le et qui , d’ailleurs

,n’est pas fâchée de chercher querel le à un

mari dont el le se détache , l’attaque , en effet, vio

lemment. Ne faut- il pas qu’i l se défende A t

taque et défense sont expédiées en cinq minutes etpuis i l n’

en est plus question . Les idées suivent uneautre pente . Dès la scène de l ’auscultation d’A ntoinette

,on sent bien qu’un pouvoir , digne de se

mesurer avec la science , se dresse devant el leQuelques gouttes d’eau de Lourdes ont Opéré uneguérison que les remèdes dudocteur ont été impuissants à obtenir . Sur le terrain des prodiges

,la

foi défie le savant . Ce que Donnat trouve de mieuxà dire pour sa défense, c

’est de comparer sa scienceadorée à l’idole sous le char de laque lle se préc ipitent les croyants . I l met donc en présence deux rel igions, deux Ma pièce sera-t-elle le champclos où e l les se l ivreront batai l le mais cesera un combat de Et c’est ce qu’onn’attendait guère à l’époque où j

’écriv ais la N ou

ve l le Ido le . L’annonce d’une prétendue fail l ite dela science, proclamée surtout par Brunetière , passionnait les esprits . La science était accusé d’avoirvainement tenté d’apporter aux peup les une règlemorale, prétention dont el le était bien innocente ,

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48 LA N OUVE LLE I DOLE

car e lle se borne à tâcher d’arriver à la connaissance des choses grâce à l

expérim entation,ce qui

lui fournit amplement de quo i s’occuper . Mais auss i,

pourquoi des sectateurs trop zé lés l’ava ient- i ls comprom ise Toujours est- i l qu’e lle portait injustement la peine de leur imprudence . Je me souvien sque peu de jours après la pub l ication de la N ouve l leI do le , étant a l lé voir M . Ganderax

,un des deux

d irecteurs de la R e vue de Pa r is , j’ai en l ’honneur

d’être présenté par lui à son ém inent co llègue,

M . Lav isse , lequel , faisant a l lusion à ma p ièce ,s’est auss itôt écrié A la bonne heure Vous

,du

moins,vous ne ma ltraitez pas cette pauvre science .

Exclamation qui m’a ravi pour deux raisons : lapremière c’est qu’e l le me prouvait que pour M . Lav isse l’intérêt de mon œuvre était bien là où j

’e spè

ra is l’avoir placé ; la seconde , c’est qu’aux yeux de

cet excel lent juge, j’avais su rester impartial entre

deux notions que je respecte également. Je pense ,eneffet

,que la

i

nâtu

ure humaine , si pesamment chargée de basses hérédités , ne doit négl iger aucun desmoyens de s’é lever qui s’offrent à e l le . Tendre versD ieu par la foi , vers la vérité par la science , vers labeauté par Tel le est la conclusion de laN ouve l le I do le . En effet

,n’a-t-oupas vu , au cours

de l’action,nos personnages mettre à profit pour

s’élever, l’un son amour , l’autre sa foi, le trois ième

son ardent dés ir de savoir ? Chacun d’eux est encontradiction avec les autres

,m’a reproché que l

qu’un . Pas da tout Admirer les actes de son procha in ce n’est pas se donner tort à soi-même . Lo inde se contredire , i ls

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PE R SONN A GE S

/ ALBERT DONNAT .

MAUR ICE comune .

DENIS.

BAPT ISTE

v LOUISE DONNAT .

V ANTOINETTE MILAT

V 1EANNE LEJEUNE

EUGEN1E .

La scène se passe à Paris , en 1893.

Au A la

T h éâ tre A ntoine Comédie-Fran ça iseMM. A . A N T OI NE MM. D E Fénxunr

GÉM I BR A LEXA N DR EA RQU1LLIÈR E CHOUÉ

Gam m an Cnam :

M°“ S. DE \ 'OYOD M°“ BA R T B T

BELLA NGER BER THE BonYVES ROLA N D Lons

Baasm os Lnsnuv

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15 4 L A N O U VE L L E I D O L E

Chambre Ah ! i l leur en a d it , des vérités . Lej our du grand nettoyage, c’est ton mari qui tiendrale (Lui fa isan t la réu‘renc e .) Madame la Présidentedu Et pu is

,p lus tard

,qu i sa i t Hein ,

s i j ’éta is bel le—sœur

J EANNE , tristement.

Vo is-tu,Louise, ne pensons pas à ces

LOU I SE

Quel le figure Vous arrive-t- ilque lque chose

JEANNE

A nous,rien ; mais…

LOU I SE

Je respire Dame , par le temps qui court

J EANNE

Tu as lu les journaux , puisque tu es s i bien rense ignée sur l

’éloquence de R ien d ’autre ne

t’a frappée ?

LOU I SE

Je n ’a i pas ouvert un C’est A lbert qui ,tout à l’heure , a v ant de sort ir, m

’a m ise au courant. Il était plein d’enthousiasme pour son beaufrère !

JEANNE

I l ne semb la it pas préoccupé ?

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LOU I SE

Très calme,comme a son ordinaire .

J EANNEIl est à l’hôpital

LOU I SE

Le matin , toujours .

JE ANNE

Fais- le Vite !

LOUI SE

Tu es fol le S ’i l s’agit d’un

JEANNE

I l s’agit de lui seul .

LOU I SE

Tu demandais s’il avait l’air préoccupé

JEANNE

I l a sujet de l’être , je T iens,ne perdons

pas de temps .LOU I SE

Sonne,veux-tu ? pour qu’on Mais j e perds

la tête ! I l a pri s la voiture J’y pense I lm’a quittée annonçant qu’i l reviendrait de bonneheure pour recevo ir quelqu’un .

JEANN E

Tu ne sais pas qui ?

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156 L A N O UVE L L E I D O L E

LOUI SE

Non . Qui crains-tu que ce soit ?

J EANNE

On nous a formellement promis den’

env oyer personne encore .

LOU I SE

Je t’en suppl ie Je ne sais rien , j e ne comprendsrien , tume fais mourir à peti t feu

J EANNE

Ma pauvre chérie, tout Dans cemonde , tout s’arrange Enfin , pour le moment ,Albert est menacé d’une Ce matin , lesournaux y font allusion sans le nommer, mais ce

dema in,ce sera la grande Le

scanda le du jour

LOU I SE

Que peut-on reprocher à un homme dont lascience rempl it toute la vie Sa cl inique, ses internes

,son cours à l ’É cole de médecine, ses ouvrages ,

on ne peut pas le tirer de

J EANNE

Ah ! science maudite C’est justement elle quile On l’accuse d’avoir fait servir ses maladesà des

LOU I SE

Et parce qu’un journal dit cela , tu admets , sans

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158 LA N O UV E LL E I D OLE

LOU I SE

Puisqu’0 n cherche des preuves , i l reste donc un

espoir que ce so it une

JEANNE

Cherchera i t—on des preuves si l’on n’en ava it pas

déjà La perquisition fa it partie d’un cérémon ialbruyant qu’i l ne faut pas prendre au tragique . Lesescamoteurs parlent toujours beaucoup, à la minutemême où i ls font passer la muscade sous les yeuxdu publ ic . Paul est chez le directeur de l ’A ssistancepour vei l ler aux indiscrétions du

LOU I SE

Ses de quel le nature

J EANNE

Ton mari a inoculé le cancer à de pauvres d iab les .

LOU I SE

Mais j ai entendu dire à Albert que le cancer nes’inoeulait pas .

JEANNE

Il vient,paraît—il , de découvrir un microbe dont

certaines cultures exaspèrent la virulence et quidonne l ’afl'

reuse malad ie . Ses admirateurs , car i l ena,prétendent que b ientôt le cancer se guérira faci

lement grâce à un vacc in que ton mari est en traind ’é tud ier .

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A C T E 159

LOU I SE

Alors pourquo i persécuter mon mari ? I l devraitêtre auss i glorieux que Pasteur !

JEANNE

Pasteur a vaincu la rage sans la communiquer àpersonne . En ce moment

,quinze ou vingt misérables

sont affl igés de tumeurs mortel les qu’A lb ert a pro

v oquées .

LOU I SE

N’est-cc pas une ca lomn ie Ce serait tel lementcrimine l

J EANNE

Paul assure qu'on ne peut garder aucuns il enc e .)

LOU I SE

Dire qu'au commencement de mon mariage j’

ai

tant souffert à cause de cet homme !

JEANNE

Oui,j e t’a i vue jalouse , jalouse de sa science

J ’avais beau te prêcher qu’une femme hab i le dort,

au contraire , encourager son mari à se créer desoccupations

,tu ne voulais rien entendre . Pourtant

tu ”voya is avec quel le persévérance j e maintenaisPaul dans la pol itique . Il est vrai que ses préoccupations électora les ne l

’empêch a ient pas d

’être auxpetits soins pour mo i. Dame, j ’ai eu de la chance !

LOU I SE

J’en ai dans mon malheur ! Albert n’a pas voulu11

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160 L A N O UV E L L E I D O L E

c omprcndre à quel point j e m e donnai s ent i e rementà lui . Mon affect ion lu i fa isa it—el le peur ? L

’accu

sa it—il de vo le r du temps à ses chères études ? Oub ien trouvai t— il humi l iant de tomber, lui si grand ,avec ses espo irs de prod igieuses découvertes, auxpieds d

’une ignorante En tout cas , nous partageonsla même chambre , nous n’avons qu’un l it, noussommes ce qu’on appe l le un excel lent ménage

,et

,

en réa l ité,Albert m’est aussi étranger que cet

homme,t iens

,là

,qui marche sur le trotto ir d’en

face . Et vo i là pourtant ce que j ’en suis réduite à

décorer du nom de chance !

J EANNE

C’en est tout de même un peu , car tu serais dans

une vilaine passe s’i l y ava i t entre Albert et toi uneunion comme entre Paul et moi

,par exemple .

LOU I SE

É videmment , mon cœur , n’e st pas J a i

pourtant la sensat10 n d’un écroulement au dedansde moi J

’estimais hautement mon

L’austérité de sa vie , la tens ion perpétuel le de son

intel l igence vers un nob le but soulager l’humanitésouffran te , lu i rendre la douleur physique moins

car la douleur (e l le fond en larmes) ladouleur morale , i l l

’a eue sans cesse à ses côtésdepuis d ix ans

,et i l ne s’en est pas Tu n

’as

pas su toi-même à quel poin t e l le était profondeAh ! laisse—moi pleurer c’est mon droit

,ma inte

Je sui s fière d’avoir été malheureuse auprèsde ce monstre !

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162 LA N O UV E L L E I D O L E

Au nom de s ma lh eureux , j’essaya is de lui rendre le

bie n qu’i l avait fa i t .

J EANNE,sour iant .

En ton nom un peu aussi , j e pense ?

LOU I SE

C’est du moins pendant les deux Outrois jours qu’a duré le A peine sauvé , i l aen vite fait de me remettre aux pieds de sonAvait—il seulement remarqué mon zè le Les h ôpitaux fourmi l lent d’infi rm ières plus habiles que

Il n’ava it pas deviné l ’âme D ieu merciTu as raison : c’est un bonheur qu’un attachementsérieux ne me retienne pas prisonn ière . L’

aifreusenouvelle que tu viens de m ’

apprendre est tout bonnement l ’annonce d’une dél ivrance !

J EANNE , efi'

rayée.

Louise

LOU I SE

Je suis parfaitement réso lue à être l ibre désormais Je ne le subirai

J EANNE

R ien de plus juste ! Tu n’aimes pas ton mari , tun ’as pas L’occasion est Poussele verrou , et dors en paix

LOU I SE

Me murer vive ?… Une dél ivrance

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A C T E 16 3

A lbert mérite la prison et c’est à mo i qu’on l’offre !B i en ob l igée

,ma chère ! j e n ’ai pas encore d i t

ad ieu à tout espo ir d ’être heureuse en suivant lesinspirations de mon cœur .

J EANNE , très émue.

Miséricorde,Louise

,il ne manqua it plus que

ce la ! S i j e comprends b ien , tu aimes quelqu’un

LOU I SE

Oui, j a i une

J EANNE

Ma i s a lors , ce n’est pas la peine de nous donner

tant de ma l pour tirer Albert du guêp ier où i l s’estTu bouleverseras tout !

LOU I SE , étonnée.

JE ANNE , suivant son idée .

Songe donc aux conséquences d ’unDivorcer , c

’est manifester d ’une man ière éclatanteque tu cro is ton mari C’est son b onneur

,celui de toute la famil le , traîné dans la

boue C’est la s ituation de Pau l Avecce qu’il a d’ennemis , tu Ma chérie

,nous

avons toujours été deux sœurs Au fond,

i l n’y a encore que ces l iens Avoir grandi dansde s berceaux vo isins , habi l lé les mêmes poupées ,cui siné les mêmes Qu i donc se parlera ità cœur ouvert s i ce n ’est toi et moi Louise

,je

t’en suppl ie , fais cela pour nous , ne divorce pas !

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16 4 L A N O UV E L L E I D O L E

LOU I SE

Où prends—tu que j e veu il le divorcer

J E A NNE,très heureuse .

Comment ! tu Dame ! tu annonces coup surcoup que tu as une incl ination dan s le cœur et quetu e s Alors

,le divorce Nous en avions

s i Je n ’ai vu que ça He in

LOU I SE

Je n’a i pas regardé si I l y a une heure

,j e

me croyais encore enchaînée pour la vie !

J EANNE

C’est vra i I l ne faut rien Ta vies’organisera peuà B ien sûr qu

’A lb ert,après

une parei l le a lerte,ne sera pas un homme diffici le à

(Un s i lenc e .) Louise , donne-moi une preuve deQui est-ce

LOU I SEMaur ice Corm ier .

JE ANNE,ave c découragement.

Encore un Est- ce que tu n’en as pasassez , de la science ?

LOU I SE

M . Cormier s’est beaucoup occupé de psych olod ' d b d I

’ “ C’ 1gi e , c est-à i re es c oses e est ce undes jeunes ph ilosophes qu i a la réputation de sa

voir le mieux ce qui se passe en nous . Avec lui , du

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16 6 L A N O UVE L L E

un peti t enfant de l’homme qui a écrit la P sy 0

logie du B rrr ! …

LOU I SE

Voyons,méchante , e st—c c que j e’ n su i s là ? .Le ne

sais même pas enc ore s i j ’éprouveun penchan t b iensérieux pour lui . Je me promets seu lement une fél ic i té dél icate à l’entendre ana lyser mes pe ines, r1ende plus .

JE ANNE

Ce bon M . Corm ier, avec sa psychologie , remarque- t—il au moins l ’impression qu’i l produit ?

LOU I SE

J ’ai toujours été très prudente.

JEANNEEnfin , il a posé sa cand idature ?

LOU I SE

Depui s longtemps i l me témoignait une grandeamitié , parfaitement H ier

,pour la

première fois , i l m’a mise dans

J EANNE

Ah ! c’est h ier qu’il a brû lé ses va i sseauxVoyez-vous le ma l in Car , dans le m i l ieu qu 11

fréquente , on a dusavo ir au mo ins un jour avant lepub l ic la débâcle probable de ton Un bonpoint pour la psychologie !

LOU I SE

S imp le coïncidence , j e

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A C T E 16 7

J EANNE

Tu t’es montrée infl e x ib le

LOU I SE

En veux- tu la preuv e Li s la lettre que j’écri

va i s quand tu es entrée . E lle ordonne à Mauric e dene j (fi h â lS I

'

€VCB II‘ chez mo i … (Louise va che rche r une le ttredans son bm ard. Pendant que Jeanne li t A l°j C l

a irune désobé issance ?

J EANNE , rendant la le ttre .

B ien à l ire entre les l ignes un coup de M gh e t !

LOU I SE,déchirent la le ttre .

C’est trop Vo i là ce que j ’en fais !

SCÈNE 11

LOUISE , JEANNE , BAPTISTE

BAPT I STE

Une jeune fi l le demande à voir E l leprétend qu’el le le connaît bien , ayant été dans sonservice à l ’h ôpita1,

'

e t qu’i l lui a donné rendez-vouspour ce matin .

LOU I SE

Je n’y pui s rien . Qu’el le rev ienne.

BAPT I STE

El le a une lettre de

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168 L A N O UV E L L E I D O L E

J EANNE

Tum’as d it qu’i l attend

LOU I SE

C’est vrai . Mons ieur va Qu’elle reste.à tout

BAPT I STE

B ien,Madame . ( I l sort .)

J EANNE

So ignée par ton mari,à Pourquoi la

convoquer ici,et pas à sa cl inique

LOU I SE

I l ne fa i t j ama is cela pour personne . Serait-ce unema lheureuse sac rifiée par lui Ah ! mais , s

’i l aintérêt à la cacher , m o i

, j’aurai s tort de ne pas la

v’

0 l i‘ (E l le sonne . Bapt iste rentre auss itô t.) Baptiste , priezcette personne de ven ir . (11 so rt.) J6 n ’aurai pas à mereprocher d ’admettre sans examen I’infamie d’

A l

bert .

SCÈNE IH

LOUISE , JEANNE , ANTO INE'

I‘

T E . Antoine tte est une jeune fi lle de d ixbui t ans

,très frêle , qui se rai t jol ie sans sa pâ leur e t son a ir mal adi f.

E lle e st en pe ti t bonne t blanc e t pèler ine bleue c ostume d’o rph e lma t.

Excess ivement int.m idée d’ab ord , e l le s’apprivo ise rap.d: n un t.

LOU I SE

Vous comptiez vo ir mon mari,Mademoisel le . Je

ne sa i s trop si ce sera possible .

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17 0 L A N O UVE L L E I D O L E

A N T O I N E'

I‘

T E

Oui . Un orphel inat,près de Je m ’

ap

pel le A ntoinette Mi lat . Toute pet i te,je suis restée

sans parents et Mme la comtesse de Cernay,chez

laque l le ma mère avait été femme de chambre, m

a

placée là.

LOU I SE

A ins i , vous serez re l igieuse ?

AN I‘O I N E T l‘ E

S i ma guérison se I l faut qu’une sœurso it S

’occuper des enfants , vei ller les ma

LOU I SE

Vous venez de Chartres exprès pour voir mon

mari ?A N T O I N E

'

I‘

T E

Oui , Madame .

LOU I SE

Vous avez grande confiance en lui

Ah ! b ien , vrai , s i j e n'ava i s pas

Demandez un peu dans que l état j ’étais quand onm’a conduite à Personne ne pensait quej’en M . Donnat pas plus que les

Une fois , qu’i l me croyait sans connaissance

,il a d i t à un interne que j ’en avais pour deux

outrois A lors , j’ai demandé les

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A C T E 17 1

LOU I SE

E t tout de même i l vous a tirée d ’affa ire

A N T O I N E T'

I‘

E

I l est s i savant , et , avec c ela , bon etB ien des sœurs ne sont pa s s i douces que lui .

SCÈNE IV

LOUISE , JEANNE , ANTOINETTE , ALBERT

ANTO INET '

I'

E,

à la vue d’Alb ert, poussant un c ri de joie .

Monsieur le docteur ( I l lui tend l a ma in, qu’e l le prenddans les deux s iennes.)

ALBE RT

Ma petite Anto inette ! A la bonne heure E l leCSI exacte (Regardant sa femme. A Antoine tte .) On vous afa it entrer ici

LOU I SE,avec embar ras

Oui , j eALBE RT

,froidement .

Bien b ien (Serrant l a ma in de sa be l le—sœur .) Bonjour,Jeanne .

JE ANNE

Albert. deux mots , s’il vous p laît .

ALBE RTParfai tement . (Louise e t Anto ine tte se re tirent sur un regard

d’

Al be rt, e t c ausent l‘écart .) Alors

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172 L A N O UV E L LE I D O L E

JEANNE

Vous savez ce qu’on d it

AL B E RT

Mon fam eux crime E st— ce pour me demande rs i j e l’ai réel lement comm i s B ien de plus vrai .Vous voyez (montrant Anto ine tte et sa femme) ce petit es :

pionnage pouva it être évité .

J EANNE

N ’

a l lez pas reprocher aux vô tres leur anx i é téCette enfant s’est annoncée comme sortant de votreservice . Nous avons été La laisser répondre aux quest ions des

A LBE RT , souriant .

Aux vôtres , qu’a-t—el le répondu

J E ANNE

Qu’elle vous vénère Quant à la vérité,j e

n’avais besoin ni d’e l le n i de vous pour en être ins

Nous avons vu le préfet de po l ice,et j e

vous apporte des renseignements bons à noter .

ALBE RT

Mes notes sont Je v iens de rencontrervotre mari à la porte du directeur dePaul est vra iment b ien pour mo idans cetteDu reste , j e me défiais , et , dès b ien matin , j ’étai sa l lé prier un de mes am is de prendre chez lui certains papiers , dangereux à garder Il viendra

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17 4 L A N O UVE L L E I D O L E

ALBE RT,montrant Antoinette .

Chère amie,voyez cette enfant . El le est phtisique

jusqu’à la moel le des os , et n

’ira pas jusqu’au prin

Supposez que j e lui aie inocu lé un ma lépouvantab le, toujours mortel , suppo sez que , grâceà c e la ,j

arriv e à préserver des mères de fami l le , despersonnes robustes et ou p lutô t ne supposezpas : c’est Franchement, su is-j e bien coupahle d ’étudier dans ce pauvre petit corps , condamné à une d isso lution prochaine , l e secret qui vasauver des générations entières

JEANNE

Ce pauvre petit corps semble encore Ilpeut se et

ALBE RT

Vous ne savez pas ce que vous Je conna ismon métier, n

’est—ce pas l rrév ocab lement perdue l ! .

JE ANNE

Mais vous n’êtes pas Vous parlezcomme un dieu Imaginez que cette fi l le guérisse !de sa ma ladie de po itrine, et reste avec une horrib le plaie

, fata lement mortelle, infl igée par vous

ALBE RT

J e n’aura is plus qu’à me casser la tê te.

JEANNE

A lbert Est-ce qu’on dit ces choses— là ?

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A C T E

ALBERT

On les SI j ava is tué ce tte pe tite L’être

le p lus en qui tout e st bonté , p1e té, tendresse E lle a pour m oi un v éritable culte , mai ss i loin des passions vulgaires ! E l le m

’adore pa rcequ’el le se figure que j e sers le s de sseins de la Prov idenc e en soulageant des maux . L

’adm iration qui

fa i t étinceler ses yeux dès que j e parai s est peutêtre la plus glorieuse récompense qu’il m’ait étédonné de connaître . Et vous osez supposer qu a lalégère j e r1squera is d

’éteindre cette fl amme ! Hélas !j e sais d’avance, à une heure près

,la date Où el l e

doit cesser de luire .

J EANNE

Vous avez en votre jugement une confi ance auss inaïve que la fo i du Avant de m ’

en

al ler , un petit Lou ise , quoique b ien fâchée ,ne songe pas à s

’éloigner de I l est poss ib lequ’i l lui échappe des expressions un peu Neles relevez et je réponds de tout . R estons unefami lle unie .

ALBE RT

A llons , Jeanne, vous êtes une bonne femme ! ( illui serre l a main.)

JEANNEA l l I' CVOII‘ . (Jeanne rejoint Louise , e t toutes deux se d isposent

sortir ensemble .)

ALBE RT

Non, Louise, ne t’en va pas.

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17 6 LA N O UV E L L E I D O L E

J EANNEJe vous laisse . (E l le sort.)

SCÈNE v

LOUISE , ANTO INETTE , ALBERT

ALBE RT,prenant sa femme à part .

Tu as cherché à vo ir c ette fi l le pour la quest ionner

,eh b ien ! tu vas ass ister à la consu lta tion . (Ge s te

hési tant de Louise .) S i , si , j e le veux ! La isse-moi l ’exam iner ici

,devant Je ne cra ins pas ton juge

ment,ni c e lui de Pourvu qu’on

(A l lant à Anto ine tte .) Mon enfant , cela ne vous gêne pasque ma femme assiste à notre entret ien (R egard arfec tueux d’Anto ine tte . Louise s

’assoit dans un fauteui l . Al be rt prend

Antoine tte par les deux épaules , ave c une am ica le brusque rie , e t luitourne le visage ve rs la lum ière .) E h ! ma is… Nous avonsbeaucoup mei l leure Un peuDe bons yeux, pas trop On dort bien ?

A N T O I N E T'

I‘

E , joyeusement

Comme une marmotte .

A LBERTOn mange

ANTO I NETTE

Tout va l nfinim ent

ALBE RTJe va i s vous Tenez

,ma pe

ti te,ô tez votre (Pendan t qu'

Antoine tte se déshab i l le !

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17 8 L A N O UVE L L E I D O L E

I l s’appelle Verdier,n est—cc pas , votre médecin

A ‘iT O I N ET'

I‘

E

C’est ça , Verdier .

A LBERT

Je le connai s ; i l a été mon interne.

ANTO INE TTE

Oh ! quand il parl e de son Il vous admire tant !

ALBE RT,ironique.

B ien (Revenant à e l le .) É coutons cette poitrine, ( l l l ’ausculte longuement.) R CSPl I‘ G‘Z

Plus fort , sacrebleu Toussez Tousse zencore ( l l continue a l ’auscul ter avec une angoisse c roissante .)

R ien ( l l se redre sse e t promène vaguement le s yeux autour de lachambre. Les ramenant tout à c oup sur Antoine tte QLI ’8 VCZ-VO IJSà me regarder ains i ?

A N T O IN E'

I‘

T E

C’est que… mons ieur le c’est que vousavez l ’air Cela va donc plus m al ?

ALBE RT , rudement

Vous êtes guérie !

ANTO INETTE , joyeuse.

N’est-ce Je me sens tel lementet puis l e médecin , les sœurs , tous ceux qui ont del 'expérience, le

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ALBE RT

Qu’av e z -vous fa i t

A BE RT,s’exaspéraut .

Quel régime avez-vous suivi ? Quel s remède savez-vous pris ?

ANTO I NETTE

Ceux que vous aviez ordonnés , mons ieur le docteur ; et le régime aussi a été scrupuleusement

I l n ’y a qu’une

ALBE RT,avec emportement .

Laquel le, voyons

ANTO I NE TTE , t remblante .

Ne grondez pas , J ’ai bu de l ’eau deLourdes

,un peu

,tous les 0 1 lui foutue l e dos,

et fa it deux outrois fois le tour de la c hambre . Antoinette le regarde ,atte rrée . Il rev ient presque menaçant sur e l le .)

ALBE RT

A l lons, rhabil lez-vous

ANTO INETTE , achevant de s’h abil ler .

Monsieur , vous êtes terriblement en co lère Jeme repen s d ’avoir parlé de En en !

trant ici , j’h ésita is Et pu i s

,quand vous

avez dit : Vous êtes guérie i l m’a semb lé quela sainte Vierge me trouvait Je n ’ai pas

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180 L A N O UVE L L E I D OLE

pume Et voi là qu a votre tour , vous m’

e n

voulez,bien sûr

,de ne pas comprendre à quel po int

vous m’avez fa i t du b ien

ALBE R T , d istra itement .

La issez donc Je pense à autre chose .

LOU I SE , al lant à e l le .

Ma chère enfant , mes réflexions , à moi,son t

Retournez à votre couvent, et prévenez lamère supérieure que j

’ira i la voir demain pour ob tenir de vous garder quelque temps chez nous… Mon

mari n’est pas I l vous a ime b ien et veutsuivre de près votre Et ne craignez pas

,

lorsque vous vivrez près de mo i , qu’on vous troub ledans votre confiance en Priez- le

,

Mettez tout votre espoir en lui !

A N T O I N E'

I‘

T B

Vous me croyez donc en danger,Madame ?

LOU I SE

Non . Ne vous tourmentez Préparez-vous àven ir loger à la ma ison , vous serez chez une amie !(E l le embrasse Anto ine tte sur l e front e t la pousse douc emen t de h o rs .

Puis e l le rev ient à pas préc ip i tés v ers son mari .)

SCÈNE VI

LOUISE , ALBERT

LOU I SEA ssass in

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182 L A N O UV E L L E I D O L E

douleur qu’une pauv re brute stupide et v agissantmon a conscience d ’assister à la d i ssolution lamentab le d ’une créatur e et non à son glorieux départ .iî h bien ! nous qui savons qu

’après la mort i l n’

y ar ien , nous avons un tout autre respect de la viequ’un fanatique

, un croyant . Enlever, fût—ce parerreur , une m inute à l’ex istence que guette le néant ,nous para î t le p lus grand des crimes . Aussi tu ne

peux pas te figurer l es précautions que j e prenaispour qu’aucune de mes études ne r isquât d’abréger d ’

une seconde l’existence d’un Jedonna i s toujours à l

’agonie norma le une avance

te l le que le plus souvent m on expérience , gagnéede vitesse,

LOU I SE

Pendant cette funèbre course entre la nature etl’art, tu faisais ton métier au chevet du misérable enpres

!

crivant des D ’une main tu cherchaisà l e sauver avec la secrète terreur d ’être tm p h abi le,car l ’autre l ’avai t frappé à mort .

ALBE RT

J ’ava i s une ridicule, s i tu veux , dansla sûreté de mon diagnostic .

LOU I SE

Tu es tr0 p intel l igent pour n’avoir pas senti qu’ily avait un Un miracle pouvaitLa preuve , nous l nvoque l’hystérie, lasuggestion , tout le cortège de s m isères nerveuses ,i l n’en reste pas moins établ i qu

’on voit des guéri

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A C T E 18 3

sons qui frappent de stupeur les augures tels queI l fal la i t compter sur un

ALBE RT

Je n’en ava is jamais

LOU I SE

Les aurais—tu constatés par centaines , va , ta rageinfernale de tout expl iquer ne se serait pas deconce rtée pour si T iens , ne mens T a

véritable op inion,i l n’y a pas deux jours , je t

a i

entendu la soutenir pendant ce dîner àT a voisine , une femme sensible, te chercha i t quere l le à propos de la Tu t’e s fâché tout

La Ah ! bien , Quesont les cris d ’un chien qu’on écorche tandis quetoute une human ité hurle de douleur et supp l iequ’on la sauve Pour lui porter secours , ce n

’estplus l’ango isse d’un anima l obscur qui te para issait

A LBE RT

J ’ai dit que s’i l est permis à un général de fairemassacrer des régiments entiers pour l’honneur dela patrie , c’est un préjugé de contester à un grandsavant le droit de sacrifier quelques existences pourune découverte sub l ime, comme ce l le du vaccin dela rage ou de la Pourquoi ne pas admettre d’autres champs de batai l le que ceux où l’onmeurt pour le caprice d’un prince ou l’extensiond’un pays Pourquoi n’y aurait- il pas de glorieuxcarnages d’où sortira ient vaincus les fl éaux qui dé

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184 LA N O UV E L L E I D O L E

peupl ent le monde Le peti t soldat , frappé d'

uneba l le, qu i râ le au creux d’un s i llon ,

souffre d ’autrestortures que le malade ane sthésié dont les dernière sheures , hab i lem ent explo i tée s , conservent à la sociétéde s m i l l ions d ’ind i v idus . Oui , j

’a i défendu ces idée :

là , et , ma lgré mon chagrin , j e ne rétracte

LOU I SE

Tout l e monde ria i t autour de la Quel bri llant causeur

,ce Donnat ! Comme i l manie le para

I ls oub l iaient,les imbéc i le s , que tu man ie s

surtout de la cha ir à scalpe l Ce sont tes exp lo i ts,

gr and cap ita ine,que tu racon ta is au sort ir du car

nage E t puis , parle , à présent. de tonIl faut se réjouir, au contra ire , pu isque le virus agit ,que l ’expérience marche . Y a- t-i l du bon sens àgémir sur cette j eune fi l le qui meurt pour ajouterune observation neuve aux trésors de ta science ?Que sont les années prises à sa pauvre vie, les cri sarrachés à sa souffrance

,lorsqu’i l s’agi t d’une su

b lim e découverte La vérité , c’est que tes grandsmots de science et d’humanité sont là pour orne rd ’une étiquette brillante ta m isérab le amb i tion . CetteEl ie est tuée pour ta glo ire , pour que ta statue so itpayée dans trente ans d ’ici par un mi l l ier de philanth ropes, pour qu

’on inscrive ton nom sous la con

pole de l ’Institut. La vérité , c’est ce la !

ALBE RT, ave c force .

LOU I SE

Mais ta douleur, s i e lie e st s incère , l e montre

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186 L A N O UVE L L E I D OL E

et , aucontact de la nouvel le idole , pour employerton expression , j

’ai vu les moribonds Peuft peu a grandi dans mon cœur un fanatisme de pré

Pourquoi la science,qui sauve tant de gens ,

ne verrait-e l le pas pr ivi lège d’ido le les gensse faire écraser sous les roues de son char E lleest assez grande pour exiger ce la ! (Un s i lence .) Louise,i l m e semble cependant que tu doi s comprendre . Tue s de ce l les qui meurent pour une idée Lorsquej’éta is en danger

,tu m’as ve i l lé j our et nuit , mer

vei lleuse d’abnégation, risquant m i ll e fo i s ta v ie

pour un homme tu n’a imais pas .

LOU I SE , émue .

A lbertALBERT, tristement .

Non , tu ne m’as jamais Je me su is faitde s i llusions que ton courage fortifiait. C

’est auj ourd

hui seulement que je vois I l estv isible que dans ton cœur personne ne p la ide pour

Pardon de ma longue Je travaillais

,me reposant sur ton affection avec une con

fiance qui aurait peut—être dute

LOU I SE

Ta confiance,à quoi pouvais-j e la distinguer du

dédain J ’éta i s,je t’assure , plus b lessée que tou

Cela ne m ’a pas empêchée de te respecter ,jusqu’à ce mat in , comme un maître très grand e t

très bon .

ALBE RTEt à présent?…

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A C T E 187

LOU I SE

Tu me fai s presque To i qui reprochesaux croyants de sacrifier trop facilement les ex is

tenc e s , tu m ’appara is un croyant plus meurtrier

que les autres et sans avoir comme eux l’

excuse

d’offr ir à tes v ictimes l ’espoir d ’un bonheur éternel . Cependant , j

’a i compr is : celui qui , pour unidéal

,ne balance pas à donner sa vie , n’y regarde

guère à exposer cel le des autres avec laPendant que tu parlais , j

’éprouv ais une espèce

d’entraînement Mais c’est fini , vois Je nepuis oub l ier cette enfant !

ALBE RT

E l le Ce que tu as de la prendre avecc’est une bonne bonne même pour

LOU I SE

Que veux-tu dire J ’ai agi sans parpar Je n ’avais pas songé Elle

chez to i Cette vie en (Se c ouvrant lafi gure des deux ma ins .) Oh

ALBE RT

Je t’en suppl ie , ne change rien à ton T ev o ilà te rrifiée par ce rapprochement du meurtrie ret de sa v ict ime… Non Nous mettrons ordre à

La isse—to i gu ider par ta Je n ’encombrera i Retiens ce Ta sœur m’aprévenue que, grâce à ta bonne volonté

,la famil le

resterait unie mais, puisque je te fais peur, sois

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188 L A N O UVE L L E I D O L E

ranquil le , j e m’arrangerai pour que ma présence

ne so it pas trop Dès maintenant cous idère— to i comme

LOU I SE

Albert,malgré ce que j e n’ai pas eu la force de

cacher i l ne faut pas me parler comme à une ennem ie . J accepte ma l iberté : en toute loyauté

,j e le

Tu n’es p lus l ’homme que j ’ai voulu pourmari

,et j e ne sais vraiment pas si j aurai le courage

de rester la femme de l ’homme que j e découvre .

SCÈNE vuLOUISE , ALBERT, MAURICE

MAUR I CE , serrant l es mains de Louise et d’A lbert.

Eh bien,mes chers amis , décidément, on vous

persécute Quel le contrariété (A A lbert .) Êtesvous toujours dans les mêmes intentions

ALBE RT

Plus que (A Louise .) Il s’agit de papiers

LOU I SEJe suis au courant .

ALBE RT , à Maurice.

Un simple cahier à fourrer dans votreJe vais le ( il sort.)

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A C T E I l

Chez Maur i ce Corm ier . G rande sal le se rvan t à l a fois de cabine t de tra !v ar], de b ibl io th eque et de l aboratoire . Bureau, l i t fauteui l art icul é,p lus ieurs table s chargée s d’ ins truments enregi streurs. Sur l es murs,dans l es espaces non occupés par le s rayons garnis de livres , sontac c rochés des col l ec tions de photographies sc ient ifique s , de s tableauxanatom iques , tout un assort iment de trac és aux c rayons de couleursmontrant des réseaux de fi le ts nerveux ,

SCÈNE PREMIÈRE

LOU ISE , DENIS. Louise , en to i le tte sombre , chapeau et voilette , entrebrusquement e t va s

’asseoi r sur un fauteui l de v ant le bureau. Deni s lasui t. C’

es t un v ieux domest ique , carré d’épaule sgà figure ëlqb re , c h e

veux gr isonnants.

LOU I SE

Si monsieur Cormier n ’y est pas,

Voi là tout…

D EN I S , très pate rne l .

B ien,b ien

,ma Ce n

’est pas i ’h ab itudeque les dames qui ont affaire àMonsieur l ’attendent

Vous avez une façon de courir à la premièreporte que vous voyez Nous sommes dans la sall e

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A C T E I I 19 1

de trava i l , les étrangers ne peuvent pas s’y insta l ler

comme en pays Vous y viendrez à votreAllons , soyez bien mignonne , et su ivez-moi

dans le salon d’attente .

LOU I SE

Je ne sais pas pour qui vous me Monsieur Cormier ne vous grondera pas , j

’en réponds !

D EN I S

Pardi Mons ieur sait bien que si je vous supporte ,c’est qu’il n’y a pas moyen de faire autrement . Jesuis prévenu de votre visite .,

LOU I SE , s tupéfai te.

Prévenu

D EN I S

Monsieur m’a raconté toute votre histoire ;

LOU I SE

J ’ai une histoire

Vous vous appelez Hortense, native de Chevreuseoù vous Depuis .deux ans vous êtes possédée du diable . I l ne vous tient pas toujours ; mais ,quand il vous tient

,il vous tient bien . Ah ! j

’ou

b l iais vous êtes aveugle de l’œil droit .

LOU I SE

Aveugle, moi, de l’œ il droit

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192 L A N O UVE L L E I D O LE

D EN I S

Oui , du moins à l’état norma l , car, pendant lescrises , vous y voyez des deux yeux .

LOU I SE

Vous vous trompez . Me s deux yeux son t continue l lement parfa its .

DEN I S

Bah Pourtant Monsieur m’a dit que le

LOU I SE

I l est donc possible qu’une femme soit aveugleet tout à coup se mette à y voir pendant une crise ?

D EN I S

Oh ! i l ne faut pas vous épater pour si peu . Nousavons mieux que ça . Léonie , par exemple A ttendez ,que je vous montre son portrait . ( Il va déc roche r un cadrecontenant une col lec t ion d’une quarantaine de portraits de femmes. parmilesquels il en chercheun qu’il montre à Louise .) Telle que vous lav oyez , elle est aveugle .

LOU I SE , examinant le portrait .

Avec ces beaux yeux- là

DEN I S , avec importance.

Complètement aveugle . Cécité hystérique, qu onLorsqu’elle vient ici

, on la conduit par lamain ; mais Monsieur n

’a qu’à l ’endormir. Aussitôtqu’elle est en état de somnambulisme

,il lui com

mande de retourner à la maison alors elle y va,

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19 4 L A N O UVE L L E I D O L E

Pendan t plus de trois heures , nous l’avons observéechangée en petite fi lle , jouant , riant , absolumentcomme une gosse . Je n’avais qu’à frapper contre lemur, elle se cacha it sous la table en criant queCroque—mitaine venait la prendre . A la fin el le cal inait sa maman

,qui est morte depuis longtemps .

Cela produisa i t tout de même une drôle d’impressnon .

LOU I SEJe n’en doute pas .

D EN I S

M . le docteur Donnat , de l’Institut, qui vient sou

vent travailler avec mon maître,est entré pendantqu’elle s

’amusait à faire des petits pâtés de sable .

E lle lui a demandé de la moucher .

LOU I SE , montrant les portrai ts.

Ainsi toutes ces créatures sont des malades qu’onendort à volonté pour en faire des machines à pleurer ouà rire

DEN I S

Ma is oui , ce sont des sujets à Mons ieur, des collègues à vous maintenant . (Se frappant le front .) Ah !ma is … j ’y Parfaitement ! Je sais à quoim’en tenir sur votre cas . Monsieur a duvous mettreen somnambul isme chez vous . B ien entendu vousn’en savez rien , c’est tout simple ! Mais , pour moi ,vous agissez en ce moment comme une somnam

bule . En insistant pour entrer,vous obéissiez cer

ta inement à une suggestion ; sans cela , vous qui

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A C T E I I 195

avez l’air tim ide et bien élevé , vous ne m ’aurie z

pas ainsi bousculé ! Aussi , comme je me doutais ducoup

,j ’ai eu b ien soin de ne pas vous contrarier. Je

ne tenais pas à vous avoir sur les bras avec lagrande crise .

SCÈNE I l

LOUISE , DENIS, MAURICE

MAUR I CE , apercevant Louise.Vous !

DEN I S , b as à Maurice .

E l le s’est tellement débattue pour rester quen’a i pas osé la renvoyer.

MAUR I CE

I l n’aurait plus

D EN I S

E l le paraît nerveuse .

MAUR I CE , le repoussant

Encore une fois , c’est bon .

DEN I S

Du reste, rien de particul ier . Agitée seulement . (ilse rt.)

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LA N O UVE LL E I DOLE

SCÈNE I l l

LOUISE , m omen

MAUR I CE

Je n ’en reviens pas ! Vous Comme je suisheureux l ( Il veut lui baiser la ma in, qu’e l le retire doucement .)

LOU I SENon

,Il m’est pénible , dès le prem ier

mot,de vous causer une déception , mais j

’arrive unpeu en égoïste, je n’apporte pas le Ah !grand Dieu ! quel bonheur attendre d’une créatureen détresse

MAUR I CE

En effet,vous avez bien des Cette

ma lheureuse accusation fait un tapage énorme . Mai ssoyez certa ine qu’on n ’a pas de preuves . (Frappant surson bureau.) E l les sont ici , les preuves , et on ne viendra pas les y chercher . Cela n ’empêche pas la situation d’être déplorable . Le coup a porté sur l’opiD IO IL (Exam inant Louise .) VOUS avez mauva ise mine .

LOU I SE

Je n’a i pas fermé l’œ i l cette nu it. C’est s i terAlbert , qui sai t que je ne l ’aime pas

,est

venu fièrement me rendre ma Ce seraitpourtant vi lain de qu itter mon mari au moment oùtout le monde s’écarte de Ma is nos dernièresannées n’ont pas été bonnes , j

’ai so if d’un peu debonheur ! Jusqu’à présent , l’idée de pouvo ir êtreheureuse en dehors de lui ne m ‘é ta it jamais venue.

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198 LA N O UV E L L E I D OLE

LOU I SE

Parlerais-j e avec cette confiance si j e n’avais pour

vous qu’une amit ié banale Vous vo ilà au courantde mon angoisse . Je me sauve d’une ma ison où toutme paraît lamentable et j e ne voudrais pas êtrecontente ail leurs . Eh bien , ce n’est pas à l’ami quej e m’adresse

,mais au savant . Il n’est question que

de vos beaux travaux psychologiques . L’âme n ’apas de secret pour vous . Soyez , avec un désintéressement absolu , le médecin de mon âme . Voyez ,je demande beaucoup , non pas à votre science

,

mais à votre loyauté .

MAUR I CE

C’est , _au contraire

,à ma science que vous de

mandez Infiniment trop

LOU I SE

Oh ! pas de fausse modestie I l est impossibleque

,devant un cas aussi simple que le mien , vous

restiez à Mon mari m’inspire une véritab leterreur . Dois—j e la surmonter ? Le puis—j e Trouv erai-j e dans le sacrifice même la force dont j

’aibesoin Au cas où l’effort deviendrait par tr0 plourd

,ai—j e , en conscience, le droit de faibl ir S i

je n’ai pas ce droit

,si je suis enchaînée pour tou

jours à mon devoir , je réc lame un remède , un cordial

,qui me rende l’énergie .

MAUR I CE

Mais quelle étrange prière Vous me déso lez !

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A C T E I I 19 9

LOU I SE

Etrange Pourquoi

MAUR I CE

Vous demandez à mon pauvre savoir ce qu’i l nepeut donner.

LOU I SE

Alors c’est que je ne saisis pas bien en quoi consistent v os travaux . La psychologie, c

’est pourtantla science de l’âme

MAUR I CE

De l’âme , ou, du mo ins , des phénomènesque l ’on a groupés sous ce nom .

LOU I SE

On proclame que vous êtes un grand novateur enpsychologie .

MAUR I CE

J ’espère avoir donné à mes études une directionqui mène à de précieuses découvertes.

LOU I SE

Lesquelles

MAUR I CE

Mais tout reste à découvrir en psychologie ! Onne sa i t rien ! Depuis des mi ll iers d’années

,on roule

les bonnes gens avec des mots creux . L’âme !Qu’est-ce que cela , l’âme ? L’a-t-ouiama is vue

,tou

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200 L A N O UV E L L E I DOLE

ch ée On assure qu’el le ex iste parce que la mat iere ne peut Qu’en sai t-on ? Commentl’a—t—on vérifié On a l ’aplomb d

’ajouter : l ’âmeest immortel le L’âme humaine

,b ien

Mais,quand j e demande qu’on le prouve

,on me

fournit des raisons qui démontrent tout aussi bienl ’immorta l ité de l’âme du chien . Pourquoi l’une etpas l’autre Parce que dans tout cela il n’y a

'

querêveries de poètes suggérées par l’horreur du néant .Auss i qu

’arriv e-t—il ? Nous savons de quoi est

composée l’atmosphère de la planète Mars,ma is nous

ignorons tout du souffle qui nous anime . N’est-c cpas le comb le du ridicule ? Ce ridicule

,il faut lui

échapper . Nous sommes quelques—uns qui avonsrésolu de fonder enfin la science de l’esprit humainsur l ’expérimentation , sans

'

laquel le i l n’y a pas decertitude . Ici nous ne travai l lons qu’à cela .

LOU I SE

Vous n’a l lez pas prétendre que cette collectiond’instruments b izarres sert à pénétrer la nature denos âmes !

MAUR I CE

Si,j e l e prétends .

LOU I SE

Cette petite machine,par exemple

,absolument

pareil le à un baromètre

MAUR I CE

Va nous fournir tout autre chose que la courbedes pressions atmosphériques —«n ant la main de Louise .)

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202 LA N O UV E LLE I D O L E

pour qui sait la l ire ; tantôt c’est un chiffre

,une

Nous réco ltons ainsi une prod igieuse mo isson , soigneusement classée dans d’innombrablesdossiers .

LOU I SE

A quo i cela mène-t-il ?

MAUR I CE

Ces documents sont conservés dans des publications spécia les . Jusqu’à mon dernier soup ir je necesserai d’en amasser de nouveaux . Après mo i ,d’autres chercheurs expérimenteront avec des instrum ents perfectionnés en partant du po int où je meserai arrêté . I ls entasseront sur mes co l l ines dedossiers des montagnes de nouveaux doss iers , celase poursuivra jusqu’au jour lointain où une vérité sedégagera , et alors la science psychologique seraconstituée . Ce j ( “

ar-là seulement , on saura s i l ’âmeexiste, s i el le est .

Inmorte l le , d’où el le vient , où el leva . Ceux qui disserteront sur le jugement , l ’imagina

tion,la mémoire , la vo lonté , le feront d’après des

données certaines . Lorsque l’horlogerie mentale sedétraquera

,il y aura des horlogers nommés psycho

logue s qui rétab l iront d’une main sûre le rouage

faussé.LOU ISE

Vous dites qu’i l faudra longtemps pour en arriver là

MAUR I CE

Quatre oucinq cents ans , ce n’est pas troupourconstituer une science .

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A C T E I l 20 3

LOU I SE , avec une explos ion d i ronie amère .

Dans cinq cents ans on saura suj ’ai une âme etcomment la guérir, et c

’est aujourd’hui que jesouffre ! Voi là donc la science ! Je sombre dans ledécouragement

,e l le m’offre le doute ! Mais l e plus

humble prêtre auque l je raconterais ma douleurtrouverait des paroles bien autrement consolantes !

MA UR ICE

A l’instant vous constatiez que les églises vous repoussent depuis que v ous ne priez plus

LOU I SE

Les égl ises sont de pierre La charité d’un bonvieux curé me donnerait des forces , parce que je lesentirais fort de sa foi et qu’on a beau ne pas croire ,le voisinage d’une conviction sincère inspire confiance .

MAUR ICE

Pauvre science, comme vous l’arrange z C’estvrai qu’elle le mérite un peu . Mais aussi vous l’inv oque z précisément sur le seul terrain où elle nepeut vous secourir. Elle , qui triomphe si b ien de lasouffrance physique , est absolument désarmée de r .

vant la douleur Et encore,non Pas tant

que Nous recevons ici des femmes profondément soufi'

rantes au moral , et qui , pourtant, nousquittent, dans bien des cas, véritablement soulagées .

LOU I SE

A lors , pourquoi pas moi ?

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204 LA N O UVE L L E I D OLE

MA UR I CE

Parce que votre santé physique est excel lente ,tandis que chez nos sujets , à l

’esprit malade correspond un stigmate corporel .

LOU I SE

Par exemple de beaux yeux clairs qui ne voient

MAUR I CE

T iens , vous aussi , vous êtes savante !

LOU I SE , ironique .

C’est d’avoir fait la c onversation avec votre doFigure z -vous !qu

’il m’a prise pour unepossédée du diable que vous attendez . A insi , mieuxvaudrait pour moi être cette malheureuse : votrescience ne m ’

aj ournerait pas à cinq cents ans !

MAUR I CE

J’espère, en effet, la guérir.

LOU I SE

Par quel traitement

MAUR I CE

Je commencerai par l ’endormir, puis je tâcherai ,par suggestion , de la décider à ne plus croire qu’e l leest la proie du d iab le . Je ne réussirai pas du premier coup , mais il est probable qu’en quinze ou

vingt séances je parviendrai à l ’afiranch ir.

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206 L A N O UV E LL E I DOLE

MAUR I CE

Laissez donc ce vieux radoteur Oui,par sug

gestion . Hier,pendant le peu d’instants que nous

avons passés ensemb le,j ’a i eu la vision très nette

de votre image et de la m ienne , seules dans cettechambre, comme nous voici maintenant . Mon regard aura reflété l’immense désir qu

’év e il lait en

moi cette vision et i l n’y a pas de magnétisme p lusimpérieux que celui du dés ir

,surtout quand il

s’adresse à un autre désir . N’est—cc pas un peu lecas ? Il est certain , Louise, que vous m

’aimez .

LOU I SE , ironique.

Dans la bouche d’un savant,voilà une affirmation

qui n’est guère prouvée

MAUR I CE

Permettez Je sais qu’i l y a deux jours vous n’aviezpour moi qu’une inclination modérée . Mais auj ourd’hui je compte absolument sur un allié qui obl igecette inclination à se transformer en amour.

LOU I SEQuel est cet a l l i é

MAUR I CE

Le Dans la vie mentale comme dansla vie an imale

,la ma ladie s’attaque de préférence

aux organismes afi'aib lis. Un moral affecté par unedouleur profonde est mûr pour une crise morbide .

Or il n’y a pas de cas pathologique mieux caracté

risé que l’amour . C’est au poin t que, dans le lan

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A C T E 11 207

gage populaire,amour et fo l ie ne font som ent

qu’un . Aussi l’être déprimé par l ’infortune se trouvet-il à moitié chemin entre l’amour et la démence.Ira—t—il vers l’un ouvers l’autre Aux c ircons

tances de décider .

LOU I SE

Selon vous,les gens heureux sont donc inca

pab les d’aimer

MAUR I CE

Je ne di s pas cela !Mais , au milieude leurs emb â11ements, ils restent plus maîtres d

’eux—mêmes.Les passions des gens heureux sont sages !

LOU I SE , ironique.

Mes compl iments à vous qui êtes heureuxQuant à moi, mon sort est réglé d’avance : puisquei’éch appe à la fol ie, je suis vouée à tous les déliresde la passion . On peut, sans fatuité, se promettremes benne s grâces

MAURI CE

Que vous étes mauvaise !… Je poursuivais simplement mon idée de suggestion . Vous souffrez , etl’amour naît de votre chagrin . Comme une amoureuse ne se possède guère mieux qu’une somnam

bule, vous accourez , sans fausse pudeur, toute surprise vous—même de vous trouver ici .

LOU I SE , ironi que.

Oh ! que c’est Savez-vous le soupçon qui

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L A N O UVE L L E I D O L E

me vient en vous écoutant ?… I l y a deux jours,

lorsque vous cherchiez à me bouleverser par vosbel les phrases

,vous étiez prévenu d’une catas

troph e . O sez dire que Mon mari sorta it dechez vous . I l était allé vous prier de lui ven ir enaide en recuei llant ses papiers . Comment n ’y a i-j epas songé p lus tôt ? Depuis des années vous meguettez . I l doit y avoir ici , que lque part dans vosdossiers

,une feui l le d’observations sur laquel le vous

notez l ’env ah issem ent de la souffrance en moi . Vousattendiez l’heure où je serais découragée

,affaib l ie

par la peur et l ’insomnie , prête enfin pour l’amour !Prévenu par Albert que le lendemain je seraisau point où les grandes passions se développent

,

vous avez couru jeter dans mon orei l le les premiersmots d’une habile suggestion ! Ah ! mes airs farouches ne vous inquiétaient guère ! En m e quittant

,vous laissiez la porte ouverte au malheur

,

votre C’est d’un chevaleresque ! Regarderl ’amour comme une hal lucination de ma lade

,et

consentir à être Abuser d’une fol leTenez

,mon mari

,son crime est p lus grand peut

être , mais

SCÈNE IV

LOUISE , MAUR ICE , DENIS

D EN I S

Mons ieur le docteur Donnat demande s’il peutentre r .

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210 L A N O UV E L LE I D O L E

cher. Je me demande s i son ca lme ne couvre pasune résolution désespérée . De notre conversationd’hier j ’ai retenu cette phrase , dite avec une grav ité vraiment impressionnante : je n

’encombrerai

pas.

M AUR I CE

Cela n’avait sûrement pas la moindre significa

tion Je conna i s l’homme ! I l a fait cequ’il a voulu , et se moque parfaitement des se ts

qui clabaudent .

LOU I SE

Non,i l n’a pas fait ce qu’i l a voulu ; et quand un

homme de sa trempe commet une erreur, il ne separdonne pas facilement.

MAUR ICEUne erreur ?

LOUI SE

C’est l e secret d’A lb ert Vous allez le recevoirici ?

MAUR I CE

Comme toujours . C’est ici que nous travai l lons .

LOU I SE

Je voudrais écouter ce qu’i l d ira . Voyons , lorsquevous avez ici la singulière dame que vous changezen petit enfant , je sa is qu’i l y a un coin d’où vousla regardez câliner sa maman morte depui s longtemps.

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A C T E I l 211

MAUR I CE , montrant une porte

Que lquefois j e vais là , dans ma chambre . Il y aderrière ce rideau une lucarne ouverte qui sertd’ob serv atoire .

LOU I SE

Je va is m’y mettre .

MAUR I CEC’est sérieux

LOU I SE

Très je m’aperçois qu’on connaît malles il faut entendre ! (E lle se dirige vers la chambrede Maurice.)

MAUR I CE , pendant qu’e l le pas se .

Quand i l sera parti , fa ites que je vous retrouvemeilleure ! (Re sté seul , il va ouvrir la porte par laque lle e st sortiDenis et fai t entre r Albert

SCÈNE v

m omen, ALBERT

ALBERT

Bonjour, cher ami . (Poignée de main.) Ne comptez passur moi pour travailler tantôt . Il y a séance à l ’Institut et je tiens à y assister. Ce n’est pas le jourd’avoir l’air de me ca cher. Vous avez vu comme onm’arrange dans la Presse . Est—cc assez complet

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L A N O UV E L L E ! D OLE

MAUR I CE

Je suis écœuré

ALB ERT

Que de venin bavé sur moi Les chers con

Ceux qui marchent le front haut parcequ’il s ont eu la chance de n’être jamais p incés etceux dont la conscience est pure parce que leurcerveau est stéri le !

MAUR I CE

Maître, nous sommes beaucoup qui vous défenLes plus grands , les seuls qui comptent , vous

a iment et vous plaignent .

ALBERT

Oh ! mo i. je me p lace dans une s ituation d’esprità ne plus C’est ma femme qu’i l faut

El le prend beaucoup sur el le , ma is ,je le vois bien

,ma conduite lui fait E ll e

ne comprend rien à ce qui m ’entraîne vers un but

fo l lement poursuivi . Mettez que tôt ou tard mahonte actuelle se transforme en glo ire , cette gloirelui semblera toujours un bien mal acquis .

MAUR I CE

Une femme ne peut guère s’imaginer la fièvre desavoir qui vous dévore . Pas beaucoup d’hommesnon plus, Les jurés sont rempl is d

’in

dulgence pour les cr imes pass ionnels parce qu’i ls

ont tous été amoureux ; mais combien trouverait

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214 L A N O UVE L L E I D OLE

MAUR I CE

La figure d’un prévenu pendant que l’avocat gênéral requiert contre lui .

ALBERT

Vous avez I l ly a massacre , mais ai—j e ditqu’on n’avait pas le droi t de massacrer dans certainscas On l’a ou sans cela je conna i s des gensdont la s ituation sera it Moi

,par exemple

et beaucoup tous ceux quiécriva in s auss i bien que savants, pourvu qu

’i ls soient

MAUR I CE

Quoi donc, tous meurtriers

ALBE RT

Oui , tous, ou peu s’en Ceux qui anéantissent

d’anciennes croyances brisent souvent les vases fragiles qui les En déta il , l’human i té 3

beau n’être composée que d’ indiv idus accab lés desoucis matériels , en bloc elle est menée par des idéesqui lui sont s i chères , qui intéressent s i profondément ses fibres les plus dél icates , que supprimer unede ces idées , c

’est envoyer au supplice des m i ll iersd’innocents. Le penseur marche sur un cheminj oñc h é de cadavres auxquels il ajoute souvent les ien . Celui qui écrit une l igne vraiment neuve peuts’attendre à ce que , dans l

’avenir, des créaturessoient tuées à cause d’e lle . Faut- i l , pour cela , nepas proclamer la vérité quand nous la dégageonsA l lons donc

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A C T E 11 215

MAUR ICE

Le penseur marche sur un chemin jonché de caVous avez des

ALBERT

Les voi là bien tous I ls ne veulent pas contempler la mort Voyez-vous , mon cher, il n’y a quedeux hommes , le prêtre et le médecin , qui passentleur ex istence à regarder la mort en face . Ce tête—àtête est atroce au point qu’on ne le supporte pas sanstricher . Le prêtre a l’autre v ie on se dit au revoir ,e n parle de lendemain , on donne des commissionspour le La mort n’est plus qu’un épisode desdéplacements et Quant au médecin ,généra lement il fait de la mort un petit animal fami ller qui réjouit les sa lles d’h ôpitaux ,gamb ade surles l its , chatouille les infirmières , casse les lun ettesdu Un singe tout à fait Qu idonc en aurait peur Il y en a parm i nous que nesatisfait pas cette insouciance de carabins . Leur intrépidité vient de plus haut . Pour eux , la sciencetourne en religion . I ls ont proclamé que Dieu n’existepas , que l’âme est une résu ltante, et les voi là pluscroyants , plus fidèles , plus agenouil lés que le capucin le plus pieux . La science ordonne nous expirons avec l’enthousiasme des martyrs , ouégorgeonsavec la cruell e soumission des dévots .

MAUR I CE

Dites donc , vous avez beaucoup médité depuishier !

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216 L A N OUVE LLE I D OLE

A LBERT

C’est vrai I l y a des heures dans la vie où ilfaut reprendre haleine devant le chemin parcouruet se demander vers quoi l’on marche.

MA UR I CE

Je ne su i s pas de votre av i s Lorsqu’on s’estassigné un nob le but et qu’on s’accompagne d’un belacharnement pour l

’atteindre , n’importe quel chem in

conduit à des résultats certains . I l faut marcher , marcher toujours

,sans se laisser ralentir par de vains

scrupules sur le choix de la route , sous peine d’être

distancé par de mo ins timorés .

A i B E R T

D’accord . On do i t trimer pendant des années surles besognes les plus intellectue l les , avec la stupidepatience du bœuf. Quant aux vains scrupules dontvous me signal ez le danger, je crois que, sous cerapport

,j e n’ai de leçons à recevo ir de personne .

Pourtant il arrive un moment où i l faut lever la têteet regarder autour de soi , sans cela notre besogne ,s i intel l igente qu’on la suppose , ne nous élève vraiment pas assez au-dessus du bœuf qui laboure , indéfiniment résigné, le même si llon . Tenez , je n’admets

pas qu’on puisse être un savant, un grand , non pas

l ’homme qui sait beaucoup de choses et peut n’êtrequ’un vulgaire pignouf, mais celui qui possède l

’esprit scientifique

, ce don sublime ! eh b ien , j en’adme ts pas qu’on puisse être un grand savant et

ne pas jeter quelquefois vers le ciel un regard d’angoisse en _v cherchant Dieu .

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218 L A N O UV E L L E I D O L E

seul voué au néant ! A l lons donc Le néant Pouvez—vous y penser sans frém ir 0 11 ! ne dites pasque oui On croit cela de lo in Je connais laglo ire . J ’ai eu des heures de triomphe tel les que si ,dans ma jeunesse, on me les avait annoncées, j e meserais écrié : Après cela

,j e pourrai

Eh bien ! j ’ai en cela , et je ne veux pas mourir ! I lm

’est arrivé i l n ’y a pas longtemps,je vous d irai

comment , de me poser le canon d’un revo lver surla tempe , avec la réso lution d’en finir . Je sais jusqu

’où peut al ler l ’horreur du néant ! Voyons , nous

sommes l’un et l’autre bien pénétrés du grand principe de la science moderne

,qu’à toute fonction cor

respond un objet qui lui est adapté . L’œ i l impliquel’existence de la lumière

,le poumon l’existence d’une

atmosphère respirable . Soyons logiques : ce form idab le besoin de survivre qui émane duj eu de nosorganes suppose forcément une surv ie . Pauvre roseau pensant, dont les racines s

’enfoncent désespé

rém ent à la recherche d’un sol éternel , de queldroit vous

,darwiniste conva incu , lui refusez-vous

l’éternité Ma raison,ma raison de savant, pro

Et pu is,quand e l le Ma rai

son Ce qu’el le me montre le mieux, c’est la pro

fondeur des ténèbres où nos regards seHeureusement elle n’est pas mon seul moyen d’inv e stigation . J’ai une imagination , j ’ai un cœur ,mon être est rel ié au monde par toute une tramefrissonnante qui peut me renseigner mieux que maraison . Dans la vie , est—cc elle qui vous conduitaux vérités les plus précieuses Est-ce elle qui vousmontre le bonheur dans le regard d’une femme ?

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A C T E 11 219

Les grands mots qui gouvernent tout : la glo ire,l ’honneur

,est-ce la raison qui les souffle à no tre

ore il le ? Pasteur n’était pas un savant vulga ire ,j’imagine

,pourtant sa ra ison s

’incl inait devant safoi . Pourquoi Voulez-vous que la mienne , parceque je ne crois pas en Dieu , se déclare satisfaite ?Trouvez-vous que sans D ieu l’énigme du mondesoit simplifiée ?Moi , pas . Et alors le problème v ientm

’assaill ir de tant de manières ! A insi , au mois de

mai dernier,pendant le séjour que j ’ai fait dans ma

propriété du Dauphiné,j’a llais souvent m ’

asseoir aubord d’un étang ordinairement couvert de superbesnénuphars blancs . Cette année , à cause de la fontedes neiges qui a été tardive , le n iveau d’eau estresté longtemps très élevé et les nénuphars

,dont

la tige est relativement courte et qui ne poussentque sur les bas—fonds, ne parvenaient pas à percer .

On voyait , sous une mince couche d’eau , des cen

taines de boutons à couture blanche,parei ls à de

pet ite s têtes au bout de longs cons tendus,oh !

mais tendus à se rompre ! Tous les jours les tigess’al longeaient, mais s

’effi la1ent en même temps . Je

voyais mes plantes à lalim ite de l’effort . Leur désirde v ivre avait quelque chose d’h éroïque . Je d isaisau solei l qui les att irait So lei l , triompherastu Et puis j e voyais l’eau qui ne diminuaitpas assez vite et j e tremb lais : I ls n

’arriv eront

pas ! Demain, j e les verrai morts sur la A lafin , le solei l a triomphé . Avant mon départ

,toutes

les bell es fl eurs de cire s’étala1ent sur l’eau . Voyezvous , mon petit , devan t cela , j e n’ai pu me défendrede réfléchir. Vous , moi , tous les ch ercheurs, nous

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220 LA N O UVE LL E I D OLE

sommes de petites têtes noyées sous un lac d’ignorance et nous tendons le cou avec une touchanteunan imité vers une lumière passionnément voulue .

Sous quel solei l s’épanouiront nos intelligences

lorsqu’el les arriveront au jour Il faut qu’i l y aitun sole i l

MAUR I CE

Comment I l y en a plus d ’un Le solei l qui vous attire est la vérité bio logique . Lemien

,c’est la vérité psycho logique . D’autres ten

dent vers la vérité physique, la vér ité math éma

t ique . Autant de soleils que de sciences

ALBERT

Mais s’il y avait une vérité unique synthétisanttoutes les autres ? Mes petites têtes de nénupharsv isa ient toutes le même astre.

MAUR ICE

En cela elles représentaient mal les têtes humaines . Pour un savant qui lève les yeux, combien de mill iers d’êtres les laissent errer au hasardMaître

,sans sortir du profond respect que je vous

porte,permettez-moi d’être étonné qu’un cerveau

comme le vôtre se laisse troubler par une comparaison aussi superficielle . Je suis bien certainque là-bas , pendant que vous ramiez sur votreetang

,el le vous a distrait un instant par son charme

poétique ; mais vous ne lui avez nul lement donnél’importance qu’à vous entendre e ll e prenait tout àl’heure .

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222 LA N O UV E L LE I D OLE

MAUR ICE

C’est au mo ins de la même fam ille Je ne puisy penser sans émotion Vous avez dû éprouverune terrible secousse pour en arriver là .

ALBERT

É coutez ! Votre pénétrationmérite une confidenceCe ne sont pas les ennuis que vous connaissezcriail leries de journaux, enquête po l icière , qui aura ient suffi à provoquer en moi des symptômesd’agonie . Deux fois en v ingt—quatre heures je viens

de passer par des ango isses d’une qual ité tout à

fait s ‘upérieure . D ’abord j ’ai découvert qu’une petitefi l le récemment sortie guérie de mon service avaitreçu de moi une inoculation mortelle. J ’ai été tellement Sals i que peuS

’en est ( Il fai t avec un coupe

papier le geste de se brûler l a cervel le .)

MAUR I CE , avec ind ignation.

Oh bien , non !ALBE RT

Parfaitement jusqu’à minuit j ’ai mis ordre àmes affaires , et j étais résolu à en finir avant lejour.

MAUR I CE

Qu’une petite fille meure d’une de v os expé

riences, c’est déso lant Mais qu’un homme te l que

vous pour Non , non ,

ALBE RT

Savez-vous ce qui m’a sauvé

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A C T E I I 223

MAUR I CE

Dame L’instinct de la conservation Vousparlez du néant d’une

ALBE RT

Je demandais un jour à un généra l s’il n ’avait ja.mais eu peur . Peur ! Non , pas précisément, m’at-il répondu ma is

,au commencement d’une ba

ta i lle, j

’éprouv ais un tel désir de savoir qui serait

vainqueur que j ’en devenais presque prudent . Êtretué par le dernier coup de canon , a lors que l’actionsera i t décidée

,m’éta it égal : jusque—là je voula is

vivre C’es t une curiosité du même genre qu im’a sauvé . J ’ai éprouvé un déchirement inexprimable à partir sans connaître la solution du problème que je poursu is depuis I l s’agit

,

vous le savez,d’une découverte énorme Je crois

être certa in de guérir, avec un même vaccin , nonseulement le cancer

,mais plusieurs maux dont l’ori

gine passait jusqu’à présent pour très d ifférente .

On n’a pas le courage de se tuer à la veille d’une si

be lle trouvai lle . (Voyant que Maur ice l ’examine avec une insis

tanc e particul ière .) Qu’av e z —vous

MAUR I CE

C’est singulier, depuis un instant, v os yeux ont

une Pos itivement, vous me rappelezJ’y suis ! … Une fil le nommée Clémence

,

que nous avons étud1ee ensemble .

ALBE RTCel le qui s imaginait avoir tué son enfant?

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224 L A N O UV E L L E I DO LE

MAUR I CE

C’est c‘ ela !… Un enfant mort du croup et qu’el lePour la guérir

,c’est même vous qui

en avez eu l’idée,

après l ’avoir endorm ie etlui avoir mis dans la ma in un couteau de cuis ine ,nous l’avons condui te près d’un canapé sur leque létait couché un mannequin d ’osier habillé commeel le et nous lui avons dit Savez-vous qui estcette C’est vous ! I l y a en vous deuxfemmes la bonne mère qui pleure son enfant et lacoquine qui l’a tué et do it être pun ie du derniersupp l ice . Vous tenez un couteau : profitez de sonsommeil pour la faire périr . Vous vivrez tranquil le

Vous vous rappelez avec quel le furie e lles’est ruée sur son doub le et l’a lardé de coups decouteau . Je vois encore son regard lorsqu’el le es trevenue de poignarder le

ALBE RT, lentement.

C’est—à-dire de se tuer el le-même !

MAUR I CE

Elle avait absolument v os yeux de tout à l ’heure

ALBE RT

(Long silence .) Pour la seconde fois , vous meremplissez d’admiration . On pourrait peut-être vousreprocher de ne pas t irer de v os observations toutle parti qu’el les comportent , mais , en tant qu

’ob ser

v ations, el les sont renversantes ! (Avec une pointe d’imnie .) Vous êtes un instrument enregistreur de premier Jugez-en l Mon visage a la même

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226 L A N O UV E LL E I D O L E

se in droit . A quatre heures cinquante , léger accèsde fièvre , avec frisson et

MAUR I CE , lui arrachant le papie r des ma ins .

Donnat, vous êtes tout de même un rude gredin

ALBE RT

Mon petit, avant de me condamner, vous oubl iezune chose , capitale pourtant .

MAUR I CELaquel le

ALBE RT

L’homme en question , cet ind ividu vigoureux qu isera mort dans un au

, eh bien ! il est maître de saS’il me l’a offerte

MAUR I CEI l a consenti ?

ALBE RT

MAUR I CE

I l sait à quoi il s’expose

ALBERT

Abso lument . I l sait qu’avant d’être emporté parune atroce agonie, i l se verra tomber en pourriture .

MAUR I CE

Il est assez intel ligent pour se représenter leschoses ?

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A C T E I I 227

ALBERT

C’est préc isément son intel l igence qui me l'alivré . Il comprend la grandeur de sa réso lution .

MAUR I CE

Très T r0p beau même A votre place,j e serais gêné quand il me regarderait en face . Lasplendide découverte sera votre œuvre à vous seul .Si , dans l’ivresse du triomphe , vous songez a ra

conter l ’h éroîsme de cet homme, peut-être aura—t-ilson nom dans le Larousse de Mais ce n’estguère probable Les obscurs dévouements disparaissent dans le rayonnement du génie .

ALBE RT

Mon collaborateur a ses raisons pour quitter cemonde sans désirer de récompense .

MAUR I CE

Un chagrin Un remords

ALB ERT

Pourquoi pas simplement la passion de savoirAu moment où je lui injectais le poison , j’ai surprischez lui le sentiment qu

’exprimait mon vieux géné

que j’éprouve moi I l avait peur demourir avant de connaître dans toute son ampleurla découverte à laque l le il participe.

MAUR ICE

En voi là un qu’on peut comparer à v os nénu

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228 L A N O UVE L L E I D O L E

La t ige tendue vers la lumière tendue àse rompre

ALBERT , avec des larmes dans la voix .

et lorsque sa tige se rompra,s’i l ne trouve

pas un si la nature a mis en lui un impérieuxinstinct de vérité pour que la vér ité suprême nedoive jamais lu1re à ses yeux

,eh b ien c’est une

lâcheté de la nature

MAUR I CE

La nature est lâche !

ALBE RT

Vous croyez ?… Au fait,c’es t toujours au plus

fort qu’el le donne la victoire .

MAUR I CE

Vous av ez des larmes plein les

ALBE RT,sour iant .

La nature qu i fait ce la ! … Mais l’heure se passe ,je suis en Je vous enverrai régulièrementdes bulletins à joindre au dossier de cet homme .

Adieu ! ( Il s’éloigne rapidement . Mauric e , en revenant de l e recon

dui t e jusqu’à la porte, ce t rouve devant Louise .)

SCÈNE VI

LOUISE , MAUR ICE

LOU I SE , très exal tée.

L’homme qu’il a tué, c’est lui-même

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A CT E Il !

Salon de Louise , comme auprem ie r ac te . A l a nuit tombante

SCÈNE PREMIÈRE

LOUISE , EUGÉNIE . Louise entre, dans la même to i le tte qu’à l’a c te précedent. Aumoment où e l l e arrive par une porte , Eugénie , sa femmede chambre , v ient par une autre porte . Aufur et à mesure que Louises e débarrasse de son chapeau, de sa pèler ine , de ses gants, Eugéniel es re ço i t e t les range . Puis , c omme le jour ba isse , e lle al lume la lampee t fe rme le s vole ts . Tous c e s mouvements doivent être term inés avantl’arrivée d’Alb ert.

LOU I SE

Monsieur n’est pas rentré

EUGÊN 1E

Pas encore .

LOU I SE

I l n’est venu personne ?

EUGÉN 1E

Non, Dieu merci,nous n’aurons pas la

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3\C T E 111 231

p\ol ice tous les H ier, j e revena i s justementde

rendre la robe violette à la couturière , et voilàqu’au moment où je sonnais , c

’est un agent quim’ouvre la J ’en ai eu un battemen t de

LOU I SE

Pas de lettres

EUGÉ N I E

Je n’ai rien Les journaux sont dans le cabinetde Monsieur ; Madame veut-elle que j

’aille les chercher

LOUI SE

EUGÉN l E

Comment Madame s’h abillera-t-el le pour dîner ?

LOU I SE

Je ne changerai pas de toilette .

EUGÉN I E

Madame fait b ien elle a l ’air s i fatigué !

LOU I SE

Ah ! j’

oubliais ! … Une jeune fil le doit venir demeurer chez nous ce I l faut avertir Baptistede mettre son Où la logerons-nous ?

EUGÉN l E

I l y a la chambre derrière la sa l le à

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232 L A N O UV E L L E I D O LE

LOU I SE

C’est si petit On manque Pourquoi pasla chambre bleue ?

EUGÉN I E

Ce sera tout un Il y a dedansune montagne de cartons et de vieilleries . (A lber tentre .)

LOU I SE , à Eugénie , lui faisant signe de sortir.)

C’est Dans un instant , j' ira i vo ir . (Eugénie

sort).

SCÈNE I l

LOUISE , ALBERT

LOU I SE,al lant à son ma ri et che rchant à l’embrasser

ALBE RT , la repoussant doucement.

C’est bien !

LOU I SE,prise de tim id ité.

Tu me repousses ?

ALBE R T

Le mieux est de ne pas s’occuper de moi .

LOU I SE

C’est iVo is—tu, j e v oulais te (E l le fonden larmes .)

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LA N O UVE LL E I D OL

LOU I SELe papier

ALB E RT

Une note à joindre au dossier secret ; la plus curieuse de toutes .

LOU I SEEt la question

ALB E RT

Une idée qui m’a passé par la téte.

LOU I SE

Oui,mais laquelle?

A LB E R T

Je m’aperçois , avec une surprise peut—être naïve ,que le développement inte l lectuel d’un homme influemédiocrement sur sa vie . Un savan t imagine de profondes raisons pour expliquer sa conduite

,un char

retier suit son instinct , et ils fon t l’un et l ’autre àpeu près les mêmes choses . H ier, lorsq ue tu m’asreproché mon crime, je me suis défendu , e t bien dé

je veux dire que mes excuses n’étaient pasde simples prétextes . I l y a certaines cruautés quej ’ai le droit d’exercer pour un but supérieur

, j’en

suis convaincu . Eh b ien ! ma raison a beau m’absoudre , j

’ai des remords,comme un voleur de grands

chemins qui a tordu le coud’un passant . A quoi bonmesurer la portée de ses actes avec une intell igencede savant, s i on doit les déplorer avec une consciencede charretier

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(“ A C T E 111 285

L OU I SE

C’est cela ta question ?

A LB E R T

Pas tout à fa i t… La Pourquoi un savan t,qui ne croit ni à Dieu, ni à l

’âme immortel le,don

nerait—il sa v ie pour son procha in Cela se comprend d’un brave imbéci le qui compte être récom

pensé au ciel , ou d’un ignorant qui n’a pas la foi

,et

auquel les préjugés_

et l’atav isme imposent,sans

qu’i l s’en doute , le joug de la foi . Ma is moi , parexemple

,qui ai fait de mon ex istence un rêve stu

d ieux sans lendemain , quel motif puis-j e avoir d’interrompre ma contemplation pour des êtres bornés ,que je méprise Mon devoir évident n’est-il pasde conserver à l’espèce humaine un type d’él ite

,

une lum ière , un phare Se ”sacrifier, soi savant ,

à un ignorant , c’est vo ler la (Avec un rirenerveux.) Donc, s i dans mon cœur je trouve un impérieux besoin de donner ma vie pour quelqu’un

, ilfaut rés ister . Hein n ’est—c c pas

,c’est clair?

LOU I SE

Qu’a répondu Maurice Cormier

ALBE RT

Je ne lui ai pas posé la question.

LOU I SE

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236 L A N O UV E L L E I D O L E

ALBE RT

I l e st s i loin de mes préoccupations !

LOU I SE

Tu m’as fait toi—même une bel le réponse lorsquetut’es peint traversant les sal les de pestiférés , fierde promener au mil ieu d’eux ta science comme unediv inité bienfaisante devant laquel le les moribondsse relèvent guéris ; respirant à pleins poumons ceta ir mortel parce que tu es avec ton ido le . Si tutombes écrasé sous les roues de son char

,ton fana

t isme en sera glorieux .

ALB ERT

Tout cela n’est beau qu’en Ou p lutôt

,

Tout cela est Je nepuis pas renoncer à le croire C’est la foi detoute mon Je le répète , i l y a contradiction entre ce que j e pense et ce que jeOn est parqué dans une humanité qui aime et qu ipleure

,forcé d’aimer et de pleurer avec elle .

LOUI SE , cherchant à l’emb rasse r.

Tu es dans un jour où l ’on pleure

ALBER T , ce dérobant .

Ne cra ins rien , je suis de force à tenir le

LOU I SE

Laisse—moi partager ta Pourquoi la question que tu n’as pas posée à Maurice , cette idée

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238 LA N O UVE L L E I D O L E

t’apprendre de mauvaises Le doyen dela Faculté m’a prévenu que les étud iants sont trèsmontés contre I l y aura du tapage à m on

On est d ‘av i s qu’au l ieu de tenir tête àl’ém eute , ce qui est dans mon caractère , mieux vautm

’ab senter pendant quelques mois, quitte à revenir

lorsque les esprits seront Bref,en termes

fort pol is,je suis invité à prendre un long

Pour des raisons que j e ne veux dire à personne,

pas même à toi , ce congé sera Je donnema de tout… Plus d’école

,plus d’h ô

Tu vois que ta généros i té t’entraînerait tropMon départ est un J’ach èv e de me

perdre dans Je suis un homme fini

LOU I SEQue vas-tu faire

ALBE RT

Quitter Paris , chercher une maisonnette bien ré

t irée, et y achever mes jours .

LOU I SEJe te suivrai .

ALBE RT

A llons Toi qui gémissais lorsque je t’em

menais pour quelques semaines à laCe matin encore

,tu hésitais à rester avec moi , ici,

au milieu des tiens,et tu veux partager un tête

à-tête qui peut durer toujours avec un réprouvé ?

LOU I SE

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A C T E 111 239

ALBERT

H ier, c’était une autre chanson T a conscienc et’a donc fait des reproches Ma foi

,j e t’en fél icite

,

car je n’avais pas été très édifié de ton entrain à m e

jeter par-dessus bord . Ce que j ’ai été sur le poin tde couper court à tes hés itat ions en te tournant ledos Ma is une autre solution se définitive Va , que tu m

abandonne s ou que tum

accompagnes, la d ifférence n’est pas grande . Dé

cide se lon tes goûts . Tu montres enfin du cœur,on

te tient quitte dure ste

LOU I SE

Quelle solution as—tu adoptée

AL B ERT

Tula co nnaîtras toujours assez tô t.

LOU I SE

Albert, je la connais !

A L“HR T , IB “ édfl l fi o

Oh ! Oh !

LOU I SE

J ’éta is chez j ’ai tout j’a i

mieux compris que lui.

ALB ER T , froidement.

D i s net temen t ce que tu as compris.

I I I

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LA N O UVE L LE I D OLE

LOU I SE

Tu as répété sur to i-même l ’expérience dont vamourir cette pauvre enfant.

A LBE RT

A insi voilà pourquoi tu restes ! Parce que ce nesera pas long !

LOU I SE

Je t’aime Vo i là ce qui me ramène à toi

Mai s s i ! A lbert , i l faut le Ah ! j e comprends que tu aies des doutes

,et je les mérite !

Pourtant,je te jure , mon cœur est tout à toi . I l

t’appartient depuis que tu es mon mari , et tu l

’asfait beaucoup souffrir ! Ce n’est pas de ta fauteTu étais Tu n’as jamais en la vo lonté de mebl esser

,j e le sais et cela était ! … Tu as l’airTu n

’admets pas qu

’auprès d

’un camarade affectueux e t fidèle on souffre Réfléch is à ceque nous Tu te p lains de mesurer la portéede tes actes avec une intel l igence de savant , pourles déplorer ensuite avec une conscience de charre

E h bien ! c’est le charretier seul qui me prena it dans ses bras ! Lorsqu’ il cédait la place àl ’être supérieur que j

’adora is

, j e n’existais plus , je

ne comptais plus Tudevrais pourtant te figurerce que c’est qu’un pareil abandon

,toi qui , toute la

journée,viens de crier ta détresse à Maurice sans

qu’une de tes paroles soit a l lée à son Ahj ’en ai jeté , moi auss i , de douloureuses prières dansl’oreille d’un Enfin, lassée , j

’ai gardé le

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4 42 L A N O UVE L L E I D OLE

ALB E R T,se j e tant dans se s bras

Ah ! ma chère femme une v iepassée auprès de toi sans te Qu’i l fautdonc payer cher le peu que nous savons ! … Tousles mêmes : Maurice , moi , des gens qui contemplentde haut l ’humb le human i té, nous ne voyons pas cequ’un enfant verrait… Notre œ il est adapté auxchoses loin taines

,et ce qui frémit tout proche du

cœur,ce qui sanglote à l’orei l le , un mur nous enPourtant nous ne sommes pas a l’abri du

chagrin . Nous avons souvent besoin d’une poitrinede femme contre laquelle pleurer ! Car je pleure .

Il n’est plus question d’orgue il entre nous , n’est-cc

pas ? Je pui s tout dire ! Cette journée est atroce !Un être s’agite en moi, qui se débat , qui meurt, etje ne le comprends pas ! Il m ’

ordonne l e sacrifice,

je trouve le sacrifice une chose monstrueuse, et jeme tue Ma fin est idiote ! … Tomber en martyrquand on n’a pas la foi Parader devant lenéant (Eugénie entre .)

SCÈNE

LOUISE , ALBERT , EUGEN1E.

EUGÉN I E

La jeune fil le qui doit demeurer

LOU I SE , à A lbe rt .

C’est J ’a i vu sa supérieure dans la

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A C T E 111

EUGÉN I B

Madame ava it promis de venir examiner dansquel le chambre oulogera cette

LOU I SE

Faites-la entrer, je vous rejoins à l’instant . (Eugénie

sort.)

SCÈNE IV

LOUISE , ALBERT, ANTO INETTE

LOU I SE , embrassant Antoinette .

Mon enfant, soyez la bienvenue .

ANT 0 1N ET '

I‘

E , s’adressant à Louise e t à A lbert.

La mère supérieure m’a recommandé de vousremercier encore au nom du

LOU I SE

Mon Dieu,e lle m’a déjà remerciée plus qu’il ne

Je vais m’occuper de votreToute ma journée a été tel lement prise ! A bienIÔ Î (E l le sort .)

SCÈNE v

ALBERT, ANTOINE'

I‘

T E

A N T O I N E T'

I‘

E ,allant à A lbe rt.

Monsieur, j e voulais vous Cet après-midi ,j’ai été

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24 4 L A N O UVE L L E I D O L E

ALBERTPar qui ?

A N T O I N E T'

I‘

E

Par la mère supérieure .

ALBERTA quel sujet ?

A N T O I N ET'

l‘

E

Au sujet des soins que vous m’avez donnés à l ’h ôpita l .

A LBE RT

Eh b ien ! vous lui avez rendu bon témo ignage,

Imagine , puisqu’el le vous laisse entre mes ma ins

ANTO INETTE

Soyez tranquil le , monsieur le docteur ! … Mais ,d’après le peu qu’elle m’a dit

,j’ai

ALBERT, avec impatience .

Allez

ANTO INETTE

Que l ’on vous Est-ce mal d’en parlerJe su is s i tourmentée !

ALBE RT

C’est stupide d ’être allé vous faire peur !

ANTO INE TTE

Oh ce n’est pas pour mo i que j ai Une

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246 L A N O UV E L L E I D O L E

A N T O I N E T'

I‘

E

N’e s sayez pas de me Un j étais

s i comme Vous avez dit aux internes : Pauvre petite Antoinette avant la fin dela semaine , elle aura vu les splendeurs de son Paradis Après la vis ite , vous êtes revenu seul ,vous m ‘avez fait une piqûre là Où j’ai mal main

ALBERTA lors ,

ANTO INETTE

J’avais ma connaissance, mais j e ne bougeais pJ’ai eu l ’idée , tout de suite, que vous tentiez e l

que chose de A présent que la mère supérieure a prononcé le mot , je me rends biende ce que vous avez Nous av ionssœur qui est morte de cela vers I l fal lpendant les derniers jours , beaucoup prendresoi pour (Un silence .)

ALBE RT

Comment appelle-t-ou les gens qui font cej’ai fait ?

A N T O I N E’

I‘

T B

CommentALBERT

A ssass ins, n ’est-cc pas

ANTO I NETTE

Je savais bien que vous avez du chagrin ! I l ne

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A C T E 11 1 24 7

faut pas Vous m ’aurim: proposé ce qui e st arrivé,

j ’aurais ” consenti tout de Me croyez—vousdonc trop sotte pour comprendre que mon ma l peutamener à guérir une foule de gens Je voulai s êtresœur de charité , et consacrer ma vie auxEh bien je l ivre ma vie en gros , au l ieu de la donner en

ALBE RT

I l n’y a pas q ue les sœurs de charité qui saventmourir proprement !

ANTO INETTE

Les savants aussi (E l le se je tte aux genoux d’Alb ert.)

Quand j’ai appris que l ’on vous accusait, je me suisd it aussitôt : Si on l’empêche de continuer ses expériences , i l les achèvera sur lui-même Nefaites pas cela , monsieur le docteur Vous m’av ezpour v os

ALBE RT

Tu t’es dis cela , to i Tu n’as pas pensé : l l se

tuera pour se pun ir

A N T O I N ET'

I‘

E , avec efl'

roi.

se suicider ! … Enlever du monde quelqu’un comme vous , à cause d

’une pauv re fi lle quisait à peine lire !

ALBERT

J’en a i eu envie, pourtant Si tume vois en

core vivant,c’est que je me suis accordé quelques

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248 LA N O UV E L L E I D O L E

jours de répit pour connaître la fin de mes travaux .

En somme , une curios ité comme ce lle— là est pardonnab le !

ANTO I NETTEAh ! Monsieur

, j e crois bien , puisqu’e lle sauve des

gens Vous parlez comme un crimine l : c’est seulement si vous n’

ach ev e z pas vos travaux que vousle serez Vous êtes fait pour Vous n’avez

heureusement pas de rel igion,c’est ce qu i vous

ob l ige à tant réfléchir pour être Moi , s i j en’étai s pas pieuse, qu’est-cc que j e vaudra is Vousavez l’air étonné que je so is prête à Je lesui s parce que Jésus—Christ a été crucifié pour legenre humain et que je regarde commeun honneurd’être traitée un peu comme

ALBE RT

Ah ! quel bien tu me fais Avec toi , j e n’ai pasà renier mon ido le Tu ne me la montres pas rid icule et pédante Antoinette , tu ne seras n i timideni gauche, s i j e t

’annonce la résolution que j ’a i

Nous pourrons en parler à l ’a ise, pu isque tuviens de l’indiquer de toi Ce matin , j e mesuis inocu lé le mal dont ‘

tu Désorma is ,je va is vivre vivre Jusqu’à maconvulsion suprême

, j’

épierai nos deuxTes yeux Ah ! tu es bien de ma race ,toi D’où

,vieq ce quelque chose qui élève le plus

humb le au n i vea du p lus savant ?

ANTO I NETTE

Du DO I] D ieu , MOD Sl€UI‘ ! (Louise entre .)

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250 LA N O UV E LLE I D O L E

a it pu s’imposer à eux, n’

e st— ce pas un instrumentde torture la croix ? Quelle est donc la pu issanc eassez forte pour que les yeux du monde entier soientfixés sur e l le dans un désir d’

immo lation Toutemarée dénonce au delà des nuages un astre vain

queur ; l’incessante marée des âmes est-el le seul à

palp iter vers un ciel vide ? (Un silence .)

LOU I SE

Albert,tu cro is en Dieu !

ALBE RT

Je ne crois pas en D ieu , ma i s je meurs comme sij e croya is en Voilà d ’où me vient la pa ix ! Maforce

,c’est d’être compris par cette petite sa inte !

Mon salut , c’est qu’une pauvre ignorante me

prenne par la main pour me guider vers on ne saitquel le splendeur . Tu vois , j ’ai pris mon parti depenser comme un illustre et d’agir comme le premierbrave homme venu . C’est incohérent

,mais v iendra

t—il jamais , le j our Où l’on pourra , en ne suivant quesa pensée , aboutir à toutes les grandeurs morales ?Pour le moment , l’intel l igence a sa logique, et l’âme ,ce je ne sa i s quoi qui dépasse ma compréhensionma is qu

’Antoinette définirait l’instant

,l ’âme aussi

a la sienne , très différente de l’autre . Oui , lorsqu’i l

s’agit de ne pas crever comme un chien,mais de

fin ir nob lement , c’est encore auprès des humb les qu iadorent Dieu , et des cœurs ardents qui aiment avecton h éroïsm e

,que les ph ilosofl œs ont à chercher

de s le çons de logique .

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A C T E 111 25 1

LOU I S E , se je tant dans se s b ras.

Comment ! tu parles d’apprendre quelque chosede Albert, je vais donc pouvoir v ivre avectoi dans l’un ion que j ’a i toujours rêvée ? i l n

y aplus de barr ière entre nous !

ALBE RT,se dégageant

Plus de barrière ! … (Montrant sa poitrine l ‘endro it de Pinoculation.) Tu O tl Dll€S l

R I T>EAU

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