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HOMELESS

KristenRivers

Copyright©2015KristenRivers

Illustration:123RFBanqued'images

Allrightsreserved.

DEDICACE

Àmonmari,withoutyouI’mhomeless.

REMERCIEMENTS

Toutd’abord,àmamère,poursescapacitésd’écoute.Jetedécernelamédailledelamamanlapluspatiente.Mercid’êtrelà.Nathalie,monpetitmoteur(ehoui,c’estcommeçaquejevaist’appeler),merci.Mercipourtout.Enfait,tuestoutsimplementincroyable,etsanstaparticipationjamaisje

n’auraisécritceroman.Chrystal,àtoiaussimercipourtesconseils:jesuisfièred’êtreunetigresse.Aurélie,tonenthousiasmemetoucheàunpointquetun’imaginesmêmepas.Etàvousvous,lecteurs,parcequesansvousriendetoutcecin’existerait.

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CHAPITRE1

Jeserrai la tassedecaféentremesmainsglacées,espérantainsi récupérerunpeude lachaleurdégagéeparleliquidebrûlant.

Ce froid, ilme glaçait jusqu'à l'âme depuis desmois et je n'avais, pour l'instant, trouvé aucunmoyendem'endébarrasser.Pourtant,cemoisd'aoûtétaitparticulièrementchauddans larégion.Jerespirai lesvolutesaromatisées s'échappantdubreuvageetbusune longuegorgée.Laboissonmeréchauffa sur sonpassage,mais soneffetne futquedecourtedurée.Quelques secondesplus tard,j'éprouvaisànouveaucefroidenmoi.Geléedel'intérieur,condamnéeàunhiversanscœur,commeuneprincessevictimedelamalédictiond'uneaffreusesorcière.Saufquemamalédictionàmoi,elleétaitirréversible.Nulprince,nulremèdenepourraitchangercela.

On dit que le temps guérit les blessures. Il fallait croire que les piles de ma montre étaientdéfectueuses.

Monmugàlamain,jemelevaipourmedirigerverslafenêtre.J'enécartailesrideauxdedeuxpetitscentimètresseulement,commesij'avaiseubesoindelaisserunrempartentrel'extérieuretmoi-même.Puis,jemeplongeaisdansl'observationdelarue,espérantchasserdecettemanièrelesidéesnoiresquimehantaient.

Jen'avaispasencoreeul'occasiond'observerceslieux.Jen'étaisarrivéeàMetzquelaveilleausoir.Toutétaitalorsplongédanslenoir,etpuisj'étaissiépuiséeaprèscelongvoyagequejen'avaispasprêtéattentionàmonnouvelenvironnement.

Enfin,jeprisletempsdecontemplermarue.Enpleincentre-ville,leshabitationsétaientdetypeancien.Laplupartdesbâtiments,ycomprislacathédrale,présentaientuneteintejaunâtre.Loindemedéplaire,jetrouvaisquecettenuanceapportaitunetouchedelumière.Moiquipensaisquelenorddupaysseraitmorneetsansâme…Bon,d'accord,ilpleuvait,là,maisquandmême,c'étaitdéjàmieuxquecequej'avaisimaginé.

Unbipmetirademespensées.Montéléphone!Lepointpositif,c'étaitqu'ilavaitassezdebatteriepoursonner.Lepointnégatif,c'étaitquejen'avaisaucune,maisalorsaucuneidéedel'endroitoùilpouvait bien se trouver. Partout dans mon appartement, un modeste F2, s'entassaient des cartons.Pourquoilesgeeksn'avaient-ilspasencoreréussiàtrouverunesortedelocalisationdesmartphoneàpartird'unemontreoud'unobjetdecegenre?

Bienentendu,lasonneries'arrêtaavantquejepuissemettrelamaindessus.Lorsquejeledégottaisenfin,iln'avaitplusquedeuxpourcentdebatterie.

JeconsultaimesSMS.C'étaitMaman.Asseznavrantpourunefilledevingt-deuxans,maismoi,çameconvenaittrèsbiencommeça.Bonnechancepourtapremièrejournéedetravail.Merci,M'man.Jelevailatêteenquêtedemonchargeuravantdesursauter.Travail?Premièrejournée?Merde!Horrifiée, jeconstataiqu'ilétaitplusque tempsdepartiretquejeneportaispour toutvêtement

qu'unefinenuisette.Merde,merde,merde!

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Après avoir bu d'une traite le reste demon café, brûlant immanquablement au passage tous lesmicrobesdematrachéeetmonœsophage,jefilaisousladouche,quejeprisenunclind'œil.Jenepusm'accorderleluxedemesécherlescheveuxetfusobligéedepartiravecunecoupeimprobable.Pourcequiétaitdefairebonneimpressionjepouvaisrepasser,etpasquemachemisette!

Le choix d'escarpins très échancrés ne fut pas des plus avisés. La pluie battante rendait le solglissant.L'eau ruisselant sur les pavés polis emportait avec elle unemyriade de détritus allant desmégotsdecigaretteauxpeauxdebananeenpassantparunpréservatif,usagéquiplusest.Dessaletésnoires s'étaient incrustées entremes orteils, ainsi que sousma voûte plantaire, craquant entremespiedsetmeschaussures.Beurk!

Penseràprendreunparapluieauraitétéuneidéeaussibrillantequecelledeprévoirunetenuederechange.Bienentendu,nil'unenil'autrenem'avaienteffleurél'esprit.

Pourcouronnerletout,mêmeletonnerres'ymettait.J'auraispum'abriterdansuncommerce,letempsque l'aversepasse.Celaauraitétéplusprudent.Toutefois,celan'aurait faitqu'aggravermonretardetça,pourunpremier jourdeboulot, jenepouvaispasmelepermettre.Alors, jeprismonmal en patience et continuai mon chemin. La pluie rendait les environs flous, sans parler de mafrange trempée collée àmon front, descendant jusqu'àmes yeux. Ce fut à travers un rideau d'eaudiluviennequejediscernaispourlapremièrefoisl'enseignedemonlieudetravail.

L'hésitationme traversa aumoment de frapper et je restai interdite devant la porte, supportantstoïquement l'averse, incapable de bouger.Dans un premier élan d'audace, je levai le bras, prête àabattremonpoingsurleboisd'unbleulimpide.

Commeriennesepassejamaiscommeonl'auraitsouhaité,loindelà,cefutàcetinstantquelaportes'ouvrit.Troplenteàréagir,monpoings'abattitdonccommeprévu.Seulement,cenefutpascontre laportemaissur lenezduplus jolivisagequ'ilm'eûtétédonnédecontempler,émettantaupassageuncraquementplutôtdouteux:commeentréeenmatière, jepouvaismieuxfaire, j'enétaisconvaincue.

L'hommeportavivement lesmainsàsonnez.Çaavaitréellement l'airdefairemal!D'ungestedécidé, jeplaquaiunemainsurson torsepour le faire reculer,constatantpar lamêmeoccasion laprésence de bonsmuscles sousma paume. Furieux, ilme dévisagea, puis, arborant un sourire encoin, se laissa faire. Je le forçaiàs'asseoir surunechaiseetmepenchai sur luipourconstater lesdégâts.

—Oùestlefrigo?—C'estlehold-upleplusétrangeauquelilm'aitétédonnéleloisird'assister,rétorqua-t-ild'une

drôle de voix à cause de la blessure sur son nez. Si l'on m'avait dit qu'un jour j'allais me fairedétrousserparunemorfale...

—Oùestlefrigo?répétai-je.D'ungestedelatête,ilm'indiquauncoindelapièce.Jel'ouvris,attrapaiunecannettedecocaet

l'apposaicontrelecentredesonvisage.—Qu'est-cequevousfaites?—Jerefroidisvotrenezpourtâcherd'enrayerl'hématomequiseformesousvotrepeau.—Parcequevousêtesmédecin?Jenerépondispas.Àquoibonmerépandreenexplications?—Toutcequejepeuxvousdire,c'estquevousdevriezconsulter.Ilsepourraitquevotrenezsoit

fracturé.—Ahbon?Vousnepouvezpaslediagnostiquertouteseule,mademoiselledocteurMaboule?Jesourismalgrémoi.—Monregardn'estpasdotéderayonsX,monsieur,rétorquai-je.Vousdevezpasseruneradio.Soudain, jememis à penser qui si tel avait été le cas, j'aurais été enmesure de voir sous ses

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vêtements.Forcément,mesjouessemirentàpicoter.Jerougissais.Labelleaffaire!Alors,sesdoigtsfinsseposèrentsurlesmiens.Ilexerçaunepressionafindelesécarterdeson

visagepuis,selevad'unmouvementagile.Brunauxyeuxverts,ilétaitvêtud'uncostumequiauraitétéimpeccables'iln'avaitpasétémaculé

d'unetachedesangprovenantdesonnez.Iltiraunmouchoir–brodé!–desapocheets'entamponnale visage.Cela aurait donnédes airs de guignol à n'importe qui.Lui, il le faisait d'unemanière siélégante qu'on aurait dit un acteur en train de recevoir un Oscar. Enfin, je réalisai que je ledévisageaisbouche-bée,cequejedétestais.

—N'oubliezpasd'allerconsulter,monsieur…Ilnesaisitpaslaperchequejeluitendais,omettantdedéclinersonidentité.Quelmalpoli!Puis,il

ébauchaungeste de lamain, comme s'il avait vouludire au revoir à quelqu'un.Cene fut qu'à cetinstant précis que je réalisais qu'il y avait une autrepersonnedans lapièce.Uneblonde, d'environquarante-cinq ans, quime fusillait du regard. J'en déduisis que c'était la standardiste et décidaimeprésenter.

—Jesuis…—Enretard!tonna-t-elle.Ellemarquaitunpoint.Laporte se fermaet lebellâtreencostumedisparut,me laissant seuleà

seuleaveclafurieblonde.Cenefutqu'aprèsm'avoirhurlédessuspendantunbonquartd'heure,m'envoyantdespostillonsen

prime, qu'elle m'autorisa à la quitter. Pendant l'engueulade, elle était devenue de la couleur destomates.Lesmots,âcres,s'étaientbousculésdanssaboucheàunetellecadencequejemesurprisàtâcherdeconstatersursoncouetsapoitrinequ'ellerespirait toujours.Non,jen'avaispasaffaireàunemutante de la pire espèce.Quant à ses yeux, s'ilsm'avaient paru normaux à première vue, ilsprenaientaufuretàmesurequ'ellehurlait,unedimensionpourlemoinsdéroutante.S'ilscontinuaientàgonflerde la sorte, toutcommesonvisage, l'ensemble risquaitd'exploser,unpeuà la façondesextraterrestresdansMarsAttacks.Pendanttoutcetemps,ellen'avaitcessédejeterdesregardsencoinàsamontre.Lorsqu'elleconstataqu'ils'étaitécouléquinzeminutesprécises,ellesetutetdégonflaàvued'œil.

Ne sachant pas trop ce qu'elle attendait demoi en ce premier jour de travail, je restais plantéedevantelle,attendantsesinstructions.

—Filezdonc!Pendantunbrefinstant,jecraignisquecenefutrepartipourunquartd'heure.Pourcetteraison,je

bondissurmespiedsetdéguerpis,m'enfonçantdansuncouloirauhasard.Commeelleneprotestapas,jesupposaiquec'étaitlebon.

Mes souliers faisaient en avançant une sorte de ploc ploc des plus agaçants. Normal, mesescarpins,àl'instardel'ensembledemapersonne,étaienttrempés.J'optaipourlesôter, leslaissantpendreàunemain,afindenepasabîmerlamoquette.Jeleuravaisdéjàabîméunclient,autantnepasfairepareilaveclerestedel'agence,dumoinslepremierjour.

La seconde porte surma droite se révéla être celle des toilettes des femmes, la première étantréservée aux sanitaires des hommes. Je poussai la porte et fonçai vers le miroir. Ce dernier merenvoyaunedrôled'imagedemoi-même.Mescheveux,trempés,mecollaientauvisage,medonnantdesairspourlemoinsnégligés.Quantàmesvêtements…onauraitditquejesortaistoutdroitd'unconcoursdetee-shirtsmouillés.Quellehonte!Iln'empêchequecelaexpliquaitenpartiel'insistanceaveclaquellelemonsieurencostumem'avaitreluquée.Puissoudain,jeremarquaiunetachedesangprèsdemoncol.Elledevaitprobablementvenirdelui.Monregardseposaànouveausurlatacheet,àcetinstant,cequejecraignaisleplusseproduisit.Matêtesemitàtourner.Jefermailesyeuxpouréchapperàcettevisionetm'agrippaiaulavabodetoutesmesforces,sentantmesjambesfléchir.Dans

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monesprit,lesvisionssebousculaient.Desvisionsquejecombattaisdepuisquelquesmoistentaientdes'imposer.Maluttes'annonçaitvaine.

—Çava?Mes yeux s'ouvrirent au son de cette voix. Une jeune fille d'à peu prèsmon âgeme regardait

commesij'avaisétélachoselaplusbizarrequ'elleaitvudesavie,cequin'avaitriend'étonnant.Moiaussi,j'auraisflippésij'avaisvuunefilletrempéejusqu'auxosmefaireleremakedeTheRingdanslestoilettesduboulot.Cependant,sonsourireavenanteuttôtfaitdemeramenersurterre.

—Bonjour,jem'appelleEva,meprésentai-jeenluitendantunemainincertaine.—Oh,tudoisêtrelanouvelle!pépia-t-elled'unevoixfluette.Moic'estAlice.Elle serra ma main dans la sienne sans me quitter des yeux, dont les iris d'un vert soutenu

pétillaientdemalice.—Bienvenueparminous.JesupposequetuasessuyélatempêteBrigitteenpassant.—Pardon?J'avaiseffectivementessuyéunorage.J'ignoraisquecelui-ciavaitunnom.Jecroyaisqu'unetelle

pratique ne concernait que les cyclones et ouragans du Pacifique et l'Atlantique équatoriaux. LesLorrainsavaientdeshabitudesétranges...

—JeparlaisdeBrigitte, la standardiste. Je l'ai entenduehurlermais jene savaispasquec'étaitpourtoi.Sij'avaissu,jeseraisvenueàlarescousse!

Sonenthousiasmeétaittelquejeluisourisavecsincérité.—Merci.C'estvraiqu'elleestassezeffrayante.—Etencore,tunel'aspasvuelessoirsdepleinelune!Cettefois,jefusbienincapabled'empêchermonriredesefrayeruncheminàtraversmagorge.

Quecelafaisaitdubien!Desoncôté,Alicemeregardaitd'unairà lafois intriguéetbienveillant.Cettefilleauvisageencadrépardescheveuxnoirsauxmèchesrosesavaitunje-ne-sais-quoiquimeplaisaitbien,etjesentaisquenouspouvionsdeveniramies.

—Jeretourneàmonbureau.Jet'yattends.Jehochailatête,ravied'avoirtrouvéuneplanchedesalutdanscetteagence.—C'estlatroisièmeportesurtagauche.—Merci,soufflai-je.Remarquantunsèche-mainsaccrochéaumurdufond,jemecalaiendessous,laissantl'airchaud

souffler dans mes cheveux trempés. Quelques minutes plus tard, la glace me renvoyait l'affreuseimagedeRonaldMcDonald's.Oudumoins,desacoupe,lerougeenmoinsfortheureusement.Duboutdesdoigts,jetentaidemettreunpeud'ordredansmatignasse.Peineperdue.Jefinisparglisserletoutdansunequeuedechevalmaladroiteetquittaienfinmonrefuge,mesescarpinstoujoursàlamain.

J'entraidansmonnouveaubureau,oùAlicem'accueillitavecentrain.Leslieuxétaientcomposésde trois tables avec leurs chaises assorties. Il y aurait donc une personne de plus à travailler avecnous.Lesmursétaientblancs,ornésdetableauxreprésentantdesfleurs.Unendroitpasse-partout,ensomme.Pourmoi, legrospointpositif résidait enune fenêtredonnant sur la rue. J'avaiscraintdepassermesjournéesenfermée,coupéedel'extérieur.Ceneseraitpaslecas,heureusement.

Jepoursuivismoninspectionjusqu'aubureaud'Aliceoùs'entassaitunequantitéeffroyabled'objetsen tous genres : boîtes de gâteaux, petite danseuse hawaïenne, cadres photos, vernis à ongles etpaquetsdebonbons.

—Oui,euh…désolée,jesuisunpeubordélique,s'excusa-t-elle.Tuvasbien?Ellemefitremarquerquejetremblais.Eneffet,j'étaisfrigorifiée.L'airclimatiséetmesvêtements

encoremouillésyétaientbienpourquelquechose.—Jeteprêteuntee-shirt,jepensequenousfaisonsàpeuprèslamêmetaille,suggéra-t-elle.Par

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contrepourtessouliers…Ellefixamespiedsd'unairincrédule.Jemesentisobligéederépondreàsaquestionsilencieuse.—Jechaussedutrente-cinq,expliquai-je.Elleaffichaunsourirefugaceavantdese tournervers l'undesplacardsgris longeant lesmurs.

Elledénichalevêtementcoincéentredeuxpilesdedossiersetmeletendit.Untee-shirtrosebonbonavecdesépinglesànourrice.Pastoutàfaitmongenre,maisaumoins,c'étaitsec.Etpropre.

Je la remerciai chaudement. Un peu gênée, j'attendis qu'elle se tourne. Je n'étais pas prude àproprementparlermais…si,peut-êtreunpeuquandmême.

Le téléphone sonna. La rapidité avec laquelle Alice se jeta dessus m'étonna. Le nombre desonneries nous était-il décompté de la paie en fin demois ou bien souffrait-elle simplement d'unesensibilitéexacerbéedesoreilles?Laréponsemefutapportéedanslessecondesquisuivirent.

—Brigitteveutuncafé.Qu'elleailleseleservir, fus-je tentéederétorquer.Cependant, la terreuravec laquelleelleavait

prononcécesmotsm'interpella.Commentune fillequipar ailleurs semblait avoir tantd'assurancepouvait-elleperdretoussesmoyensfaceàunesimplefemme?Voyantlapeurdanssesyeux,jeluifisuneproposition.

—Tuveuxquejeleluiapporte?Elle opina du bonnet, un peu à lamanière dont l'aurait fait un enfant craintif. La cafetière était

situéedansnotrebureau. Je lamisen routeet attendisque l'arômedubreuvageenvahisse lapiècetouteentière.Alicefutappeléeailleurs,melaissanttouteseule.Aprèsavoirfouillépartout,jedégottaiunmug,unecuilleretuneboîtedesucresenmorceaux.Jeremplislatassepuisposailetoutsurunplateau.Remarquantunbouquetderosesjaunessurl'unedesétagères,j'ensaisisunepourdonnerunejolietouchedecouleuràl'ensemble,certainequeBrigitteapprécierait.

Le téléphone sonna à nouveau. J'hésitai une seconde avant de le prendre puis, me rappelant laréactiond'Alice,courusdécrocher.

—Allô?— Alors, il vient mon café ou il faut que j'appelle une équipe de sauvetage pour venir le

chercher?Je ris,pensantqu'elleblaguait.Sesdrôlesdegrognementsà l'autreboutdu filmeconfirmèrent

queteln'étaitpaslecas.—J'arrive!Çanedoitpasêtresiterriblequeça,medis-jeensongeantàlamanièredontavaitréagiAlice.Arméedemonplateauetdemonsourireleplusradieux,jequittailapièce,intimementconvaincue

quej'allaisfairesensationetcharmercettevieilledamegrincheuse.Au bout du couloir, je pris le temps de l'observer, penchée qu'elle était sur ses documents. Ses

cheveux,entreleblondetleblanc,avaientunetexturerappelantpailledontétaitcomposémonbalai.Elle frôlait lamaigreur extrêmeet jemedisque je lui auraisbienpasséunoudeuxdemeskilossuperflus. Voire cinq, pour être tout à fait honnête. Quant à sa peau, elle présentait une couleurlégèrementcendrée:ridéecommecelled'unéléphant,ellependaitétrangementendessousducou.Àl'inverse,etjesoupçonnaislefameuxbotoxd'yêtrepourquelquechose,celledesesjouesparaissaitsi fineque je craignaisqu'ellene sedéchire si jamais elle s'aventurait à sourire.Cequi expliquaitpeut-êtresamauvaisehumeurpermanente.Onauraitdit…undrôledemélangeentreunzombieetunesorcière.L'effetWalkingDeadétaittrèsréussi,entoutcas!Saufquenousn'étionspasdansunesérie.Alors, comme si elle avait ludansmespensées, elle se tournaversmoi.Sesyeuxd'unbleupresque translucide à l'instar de ceux desmorts vivantsme dévisagèrent avec colère. Samâchoireclaqua,démontrantsonagacement.

—Çavient?!glapit-elle.

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—Oui,excusez-moi,Brigitte,j'étais…danslesnuages.Ouplutôt,jeplanaisenpleincauchemar…L'appréhensionauventre,jem'approchais.Posantleplateausurlatable,jesaisislemugetlelui

tendisdelaplusélégantedesfaçons,ajoutantinvolontairementunepresqueimperceptiblecourbette,unpeuàlamanièredelacérémonieduthéauJapon.Lethéenmoins,puisqu'elleavaitcommandéducafé.

—Voilà,chantonnai-je,enfaisantsemblantdenepasavoirremarquéletonquasihystériquequelestrémolosconféraientàmavoix.

Elleme toisadehautenbas, s'arrêtant longuementsurmespieds–nus,évidemment–avantderemonter jusqu'àma tête, qu'elle fixa pendant une durée franchissant allégrement les règles de labienséance.J'avalaimasalive,pressentantquelemassacrenefaisaitquecommencer.

—Vousm'avezdonnélemugdeMichel.OudeMichèle.Avecsonaccent,jen'étaispassûred'avoirbiencompris.Jem'excusaiplatement

avantdeluiproposerdusucre.Ellesourit–lapreuvequ'ellepouvaittoutdemêmelefaire–aveclafroideurd'unserpent.Sepenchantenavant, latêtehautecommeuncobraavantl'attaquefatale,ellem'examinaànouveau,s'arrêtantcettefoissurmeshanches,peut-êtreunbrintroplarges.Tandisqueje m'interrogeais sur la cachette la plus proche, elle arqua ses sourcils anémiques, passablementamusée.

—Visiblement,vousdevriezprendreexemplesurmoi.Pour quoi faire ? Pour reluquer les hanches des gens ou pour l'épilation presque intégrale des

sourcils?—Jesuistrèsbiencommejesuis,rétorquai-je,piquéeauvif.—Sivousledites,fit-elleenlevantlesmainsensigned'innocence.—Maintenant,sivousvoulezbienm'excuser,j'aidutravail.—Encoreheureux.Toutenfaisantuneffortsurhumainpourempêchermonsouriredesefaner, je tendismonbras

pourluioffrirlemugqu'ellen'avaitpasencoresaisit.—Cen'estpasmonmug.—Aujourd'hui,si.Alors,toutsepassatrèsvite.Elleeffectuaunmouvementbrusquepouréviterlatasse,etsansque

jecomprennecomment, lapercutaaupassage.Inévitablement, lebreuvageserenversasursa tenueBCBGainsiquesursachaiseergonomique.Quantaurécipient,ilvolasurtroismètres,rencontraunmur,lepercutaenguisedesalutations,éclataenmorceauxpourmontrersajoied'êtreenfinlibreetrefitartistiquementladécorationdelatapisserie.Letout,enmoinsdecinqsecondes.Prodigieusejeme sentais. Quant à Brigitte, je me demandais si elle ne frôlait pas la crise de tétanie, et j'enconnaissais quelque chose.Mes interrogations au sujet de la présence dematériel de nettoyage aubureau ne trouvèrent pas réponse sur ses lèvres endormies. Ses yeux de litchi en conservecontinuèrentdemefixer,aveccettemêmeabsencedelueurqu'ontceuxdespoissonssurlesétalsdumarché. Je finispardégotterun torchon,de l'eauetdusavonet,parmiracle,parvinsànettoyer latache.Onnevoyait–presque–plusrien.Surtoutsil'ongardaitlesyeuxfermés.

Alorsquejemecroyaistiréed'affaire,lezombieseréveillaenfin,megratifiantd'unebeuglanteencorepluslonguequelaprécédente:j'avaisdécomptédix-septminutessurl'horlogedel'accueil.

Une fois l'engueuladederrièremoi, elle finit parmedonner les instructionspourmapremièrejournéede travail.Contente, je regagnaimonbureau.Aumoins, j'auraisuneoccupation.C'estbienpourcetteraisonquej'avaisdécidédemettremesétudesàlafacentreparenthèsepourmeconsacrerautravailpendantuneduréed'unan.

Seuledansmonbureau,Aliceétantenréunionpourlajournée,jemisunmomentàtrouvermes

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marques. Nouveau logiciel, nouveau fonctionnement, nouvelles attentes. Néanmoins, je décidaid'envoyer toutes ces difficultés au diable et mis tout mon cœur à l'ouvrage, ravie d'occupermonesprit.Jenelevai lesyeuxdemonécranqu'unefois touslesdossiersdûmentbouclés.Satisfaite, jem'étirai sur ma chaise. À cet instant, la porte s'ouvrit. L'expression morne d'Alice s'évanouit dèsqu'ellemevit:

—Tunet'espasenfuie!—Ehnon,appelle-moisœurcourage!Ellesourit,amusée,avantdeselaissertombersursachaise.—Jesuisdésoléedem'êtreabsentée,s'excusa-t-elle.Jevoulaisêtre làpour toi…T'abandonner

pourtapremièrejournée,çalefaitmoyen,maisjen'avaisaucunrecourspourannulercetteréunion.Quec'étaitennuyeux!

Ellelevalesyeuxaucieletfitlamoueavantdesetournerversmoi.—Ettoi,tajournée?Savoixétaitsienjouéequ'ilétaitimpossiblededéprimeravecelle.—Si l'onne tientpascompteduclientque j'aiblessécematinetdesengueuladesdesBrigitte,

c'étaitplutôtsympa.—Tuasblesséunclient?répéta-t-elle,incrédule.Del'index,jedésignailesangsurmonchemisier,rouléenbouleaucoindemonbureau.—Lavache!Quelcrochetdudroit!Jehaussailesépaules,unpeugênée.Jenel'avaistoutdemêmepasfaitexprès.—Ilétaitmignon,aumoins?Encoreunefois,sontonchantantnemelaissaitpasl'opportunitéderonchonner.—Avantouaprèsquejeluiaieamochélenez?Levertdes irisde l'apollonque j'avais faillimettreK.O.me revintenmémoire.C'estvraiqu'il

étaitplutôtpasmal,maispasquestiondel'avouer!Elle secoua la tête en riant. Sa bonne humeur était contagieuse. Ouvrant son sac à main, elle

commença à y fourrer ses affaires.Elle allait probablementmanger. Je ne voulais pasm'imposer,maisjenesavaispastropoùprendremonrepas.

—Tuconnaisunendroitoùilspréparentdebonssandwichs?Jecommenceàavoirunpeufaim.Ilnedoitpasêtreloindemidi…

Constatantl'heureàmamontre,jepoussaiuncri.—Ilestdix-septheures,Eva.—Oh.Direquejen'avaispasvuletempspasserneconstituaitenrienunmensonge.—Tuasquelquechosedeprévu,cesoir?Tupeuxpasserchezmoi,situveux.Malgré son grand sourire, j'eus un peu la désagréable impression qu'elleme faisait un peu la

charité.Certes,jevenaisd'arriverdanscettevilleoùjeneconnaissaispersonne.Sortirm'auraitfaitdubien,nettementplusquem'enfermerchezmoiavecunbonbouquinouunmauvaisfilmpour lerestedelasoirée.Néanmoins,jemesentaisterriblementgênéed'accepter,craignantdeladéranger.Elleavaitcertainementmieuxàfairequedes'embêteravecmoi.

— Je ne t'ai même pas présentée aux autres collègues, s'exclama-t-elle, déçue. La plupart sontpartisàcetteheure-ci.Jesuisdésolée.

—Net'excusepas.J'auraisaussipuallerverseux.Ellemepinçalajoue,affichantsonsourireradieux.—Onsevoitdemain!Encoremercidem'avoirremplacéepourlecaféauprèsdeBrigitte.—D'ailleurs,ilfaudraquejeteraconteçademain,lançai-jeavecentrain,songeantàlamanière

dontsontailleurcrèmes'étaitretrouvémaculédecafé.

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Nousnousséparâmesdevantlaportedubureau.Monsouriresefanadèsquejem'éloignaid'elle.Lasoirées'annonçaitlongueetdésagréable.

Lesbraschargésdedeuxsachetsremplisàrasbordaprèsunpassageàlasupéretteduquartier,jegravis les marches menant à mon appartement. Sitôt la porte fermée derrière moi, un profondsentimentd'abandonm'envahit.Jerangeailescoursesenluttantcontreleslarmesquimenaçaientdem'échapper. Cherchant un autre moyen de m'occuper, je me mis à la fenêtre. La rue était encoreanimée à cette heure-là.Cependant, cela nem'offrit en rien une distraction et au bout de quelquesminutes,jem'arrachaisàcettecontemplation.

Avais-jebienfaitdevenirm'installerici,siloindemafamille,demesamis?J'avaistoutplaquéderrièremoi,prised'uneenvieirrépressibledefuir,abandonnantprochesetétudes.J'avaissautésurlepremierboulotquis'étaitoffertàmoidanscettevillesiéloignéedemonlieudenaissancesansmedemander si oui ou non, ce travail pourrait me plaire. Tout ce que j'avais vu, c'était l'attrait del'inconnu.Lapossibilitédetoutrecommencerànouveau,delaissermonpasséderrièremoi.Renaître,c'esttoutceàquoij'aspirais.Maiscesoir,jemesentaisseule.Mafamillememanquait.Jescrutaisleciel encorechargédenuagesgris.Àcetteheureprécise,mamèredevait êtreen traindemettre latablesousleparasoldujardintandisquepapaallumaitunbarbecue.

Ne pensant qu'au vide de mon cœur, je dégainai le téléphone et composai le numéro de mesparentsavantmêmederéalisercequej'étaisentraindefaire.Elledécrochasansmelaisserletempsderaccrocher.

—SalutM'man,c'estmoi.—Ohmachérie,tuaspasséunebonnejournée?Commentsonttescollègues?Ilfaitbeau?Tune

souffrespastropd'êtredansleNord?J'optais pour passer sous silence que la Lorraine et le Nord n'étaient pas une seule et unique

région.Meforçantàsourire,convaincuequecelapouvaits'entendreautéléphone,j'édulcoraisunpeularéalitésanstoutefois–trop–luimentir.

—Ilnepleutplus.La filleavecqui jepartagemonbureauestabsolumentcharmante.C'estunecrème.

Etc'étaitvrai.—Ohmachérie!–décidément,ellecommençaittoutessesphrasescommeça–J'avaispeurque

tuneteplaisespasàtonnouveautravail.Cen'estpasdutouttondomaine,tusais?Ça,jel'avaisremarqué.Lebureau,l'ordinateur,lesdossiers…pasmatassedethédutout.Mais,

c'étaitmonchoixetjemedevaisdésormaisdel'assumer.Ensuite,ellesemitàbavarder.J'écoutaissonbabillageattentivement,essayantd'imaginerchacun

desesgestes,desesmimiques.Mamèreestunefemmetrèsexpressive.Toutaulongdesondiscours,jesentaislanostalgiemegagnerdeplusenplus.Lorsqu'ellesetut,jenepusm'empêcherdelanceruntouchant:

—Tumemanques,M'man.Vousmemanqueztous.—Ohmapuce,toiaussitunousmanques.Maistupeuxtoujoursrentreràlamaison.Tuesencore

enpérioded'essai,sijenem'abuse,autantpourtontravailquepourtonappartement.Ilétaitabsolumenthorsdequestionquejerevienne.—Non,lâchai-jeunpeutropvivement.J'avaisdûl'inquiéter.Oupire,lablesser.—MerciM'man.Jeresteici.Jem'yferaitrèsvite.Alice,manouvellecollègue,m'adéjàinvitée

chezelle,jenetarderaipasàmefairedenouveauxamis.—Très bien,ma chérie. Sache que notremaison t'est encore ouverte.Et j'oubliais, tumanques

aussiàAngela.Cefutl'informationdetrop.Cellequemoncerveaurefusaitd'analyser.

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—Aurevoir,M'man.Masériepréféréecommence.J'avaispeut-êtreraccrochéunpeutropbrusquement,m'empêtrantdéfinitivementdansunmanque

de politesse sans bornes. Néanmoins, c'était plus fort que moi. Il y a des choses que je ne peuxsimplementplussupporter.

Refoulantleslarmesquimenaçaientdem'échapper,refusantunefoisdeplusdemelaissergagnerpar la tristesse, jesaisis le livreque j'aiachetéenrevenantdu travailet l'ouvrisavec l'aviditéaveclaquelle un naufragé s'accrocherait à une planche. Priant pour me faire happer dès les premièrespages, je parcourus les lignes, luttant contre l'image qui revenait me hanter. Celle d'Angela. Sonvisage.Sonsourire.Toutcequej'essayaisdefuir.

Petitàpetit,l'auteursutmeséduire.Lesvisionsassaillantmonesprits'estompèrent,finissantparseterrerdansuncoin,vaincuesparl'intriguequejelisais.

Jenefermaimonlivrequ'aumomentoùmesyeux,tropsecspourpoursuivrelalecture,devinrentdouloureux. Dans un état second, j'avais dû allumer la lumière artificielle. Dehors, la nuit étaittombée.Avectoutça,j'avaisoubliédemefaireàmanger,maisjen'avaispasfaimdetoutemanière.

Àpeinemon romanposé sur l'accoudoirdu canapé, je sentis la tristessem'envahir.Commeunmonstre tapi dans un recoin de ma tête, elle attendait que je baisse la garde pour m'assaillirimmanquablement.

Frottantmesbraspourmeréchauffer,mueparpurréflexe, jemelevai.Commeunautomate, jemedirigeaiverslafenêtre,lecœurbattantdansl'espoirdetrouverunedistractionpouvantforcerlemonstreàretournerdanssacachette.

Àcetteheuretardive,laruepiétonneétaitdéserte.Pasunpassantnes'yaventurait.Nullelumièreauxfenêtresnem'offraitdevuesurl'intérieurdeshabitations.J'étaisseule.Dépitée,j'allaismeretirerquandsoudain,jelevis.Devantlaboulangerie,uneombrem'intrigua.Jemefrottailesyeuxafind'yvoirplusclair.Une forme,celled'unsans-abri,étaitcouchéeàmême lesol.Non.Surdescartons.Dansmoncœur,quelquechoseseserraetjedétournaileregard.

Moi,j'avaistoutpourêtreheureuse.Untoit,untravail,unefamilleaimante,desamisquej'avaislaissésderrièremoi,d'autresquej'étaissurlepointdedécouvrirdansmanouvelleville.Etmalgrétoutça, je ressentaisune telle sensationdemanquequecelame rendait littéralement folle !Depuisquelquesmois,unedétressesansfondmeguettait.J'avaisbeautenterdelacombattreparlafuiteenavant, il suffisait que je m'arrête quelques secondes pour qu'elle me rattrape. Pourtant, quelquesmètresplusbas,cethomme,oucettefemme,jen'ensavaistroprien,dormaitcommeunbébé.Luiquiavaitcertainementplusderaisonsquemoideselaisserabattre.Luiquin'avaitrien.Moi,j'étouffaisdansmon appartement, commedans une cage. J'étouffais dansmavie, tout simplement.Àbout desouffle, j'ouvris la fenêtre.L'idée de sauter du troisième étageme traversa l'esprit. Se fracasser lecrânesurletrottoir.Enfinir.Arrêterdefairesemblant.Arrêterdesebattre.Jebalayaicetteidéehorsdema tête. Avec la veine que j'avais, j'allais juste me casser une jambe et trois côtes, ce qui mecondamnerait irrévocablement à arpenter les couloirs d'un hôpital psychiatrique. Ou alors, j'allaisjustetuermacolonnevertébrale.Àcettepensée,uneaffreuseimages'immisçadansmonesprit.Saufquecen'étaitpasuneimagequelconque,maisunsouvenirbienréel.

Jemis lamain devant la bouche pour couvrir un premier sanglot qui, déchirant, se frayait uncheminàtraversmagorge.Lesonserépercutadanslaruedéserte,résonnantsurlefroiddespavés.LeSDFbougea,serelevaensursaut,setournantdansmadirection.

Honteuse,jeprislafuite,mecachantsouslaprotectiondescouverturesdemonlitdouillet.Là,jepleurai.Pourlapremièrefoisdepuisunlongmoment,jelaissaimadouleurs'exprimer.Lemonstreque jeportais enmoi se libérade sa cachettepourvenirmedéchirer les entraillesde ses longuesgriffesaiguisées.Souffrance.Jen'étaisquesouffrance.Ballottéed'uncauchemaràl'autre,jen'avaisaucuneplancheàlaquellem'accrocher.Personneàquiracontermapeine.Blessée,jem'enfonçais.Je

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sombraisdansunocéandetristesse.

CHAPITRE2

La sonnerie demon téléphoneme réveilla le lendemainmatin. Je pris l'appareil enmain pouréteindrel'alarmeetconstatai,effarée,quej'étaisattendueautravaildansmoinsd'uneheure.J'avaisdûm'endormirtard,etsurtout,profondément,apaiséepartoutesceslarmesversées.

Jebondishorsdulitpourprendreladouchelaplusrapideaumonde.L'imagequemerenvoyaitlemiroir était hideuse, c'était un fait. Entre le petit-déjeuner et lemaquillage, je finis par choisir lacoquetterie. Hors de question de sortir avec ces affreux cernes accentuantma gueule de déterrée,sinon,onallaitencoremeconfondreaveclafilledeBrigitte,sitantestqu'unhybrideentrelezombieetlasorcièrefutenmesured'enfanter.Mesconnaissancesenmatièredereproductionn'englobaientpaslescréaturesissuesdumondefantastique.

Vêtuedemajupeetd'unnouveauchemisier, jequittai l'appartement.Àpeinelaportefermée,jecommençaisàmesentirunpeumieux.Parconséquent, la faimsemanifestaelleaussi.Eneffet, jen'avaisrienavalédepuis…vingt-quatreheures!

J'optaipourm'arrêterà laboulangerieenvued'acquériruncaféetunpainauchocolat.Certes,meshanchesn'avaientaucunementbesoindecetapportengraissesetleregardaccusateurdeBrigitterestaitdouloureusementancrédansmamémoire,toutefois,ilétaitabsolumentexcluquejecèdeàsestentativesd'intimidation.

Uneidéemetraversal'esprit:j'allaisluirendrelamonnaiedesapièce.—Bonjour,madame.Quinzecafés.Mêmenombredecroissants,s'ilvousplaît,commandai-je.Non,jen'étaispasdevenueboulimique.Jecomptaisseulementfaireunesurpriseàmesnouveaux

collègues,mêmesij'ignoraiscombienilsseraient.Porterlescroissants,c'étaitfacile.Pourcequiestdescafés,parcontre…Craignantqueleplateaucartonnéservantàtransporterlesboissonsneserenverse,finissantdans

undélugedecaféine,j'essayaitantbienquemaldegarderl'équilibreendescendantlesmarchesdelaboulangerie.

Leclochardsetenaitàgauchedeladevanture.Sacapuchem'empêchaitdebienvoirsonvisage,mais je discernai une courte barbe, qui ajoutait une touche supplémentaire demystère à ses traits.Assis sur le sol, adossé contre le mur, il semblait avoir un peu froid. Je m'arrêtais, hésitante. Je

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pouvaisluiproposeruncafébienchaud.J'étaisenmesuredelefaire.Maisjecraignaisdeleblesser,qu'ilprennecelacommeuneinsulte.Qu'ilsesenterabaissé.Demoncôté,j'étaisterriblementgênée.

Vaincueparlapeur,jememisenroutepourletravail, ignorantcommetantd'autrespassantsleSDF transi de froid par cette humidematinée d'été. Pourquoi les gens-là ne déménageaient-ils pasplutôtdanslesudpouréviterneserait-cequ'unpeulestempératuresdésagréables?

J'arrivaisautravailavec–seulement–seizeminutesderetard.Brigittefutlapremièrepersonne

que je croisais.Derrière son bureau, elle dominait l'accueil de ses yeux d'aigle. Elleme lança unregardassassinauqueljerépondisparunsouriretimide.Aumoins,ellenecriaitpas.

— Je vous demande pardon pour mon retard, Brigitte. Cela ne se reproduira pas. Ce soir, jem'achète le guide de la programmation du réveil pour les nuls, il paraît qu'il vient de sortir enlibrairie.

Mapetiteblaguefitunplatdanslapiscineolympiquedesesyeux.—Bien,poursuivis-je.Voiciuncafé.Sanssucre.Etuncroissant.Elleregardalapâtisseriecommesijeluiavaistenduunedéjectioncanine.Ellepritlecafédans

sesmains,l'observa,puismedévisagea.—Legobeletdonneungoûtdeplastique,jeunefille.Jetentaideleluiprendredesmains,envain.Commequoi,cen'étaitpassimauvaisqueça,sielle

legardaitquandmême.—Vousallezresterplantéelàjusqu'àlafindevotrepérioded'essaioubienvousallezvousmettre

autravail?tonna-t-elle.Subtilefaçondemerappelerquejepouvaismefairevireràtoutmoment.Ramassantmonplateau,

jeme dirigeai versmon bureau.Heureusement,Alice s'y trouvait déjà. La jeune fille auxmèchesbleuesmesautaaucou,manquantdemefairerenverserlesbreuvages.

—Excellenteidée!mefélicita-t-elle.Toutlemondevaadorer!—PasBrigitte,entoutcas.Elles'esclaffa.Quesonriremefaisaitdubien!—Enmêmetemps,ajoutai-je,jen'aijamaisvuunzombiemangeruncroissant.Ellemepritparlebras,m'entraînantverslecouloird'unedémarchesautillante.—Viens,jet'emmènevoirlesautres!Lesautres,en fait,c'étaitungroupedequatregais-luronsallantde la trentaineà laquarantaine.

Finalement,celamepermettaitdecomprendrel'enthousiasmed'Aliceàmonégard.Nousétionsdeuxd'jeunesfaceàuneéquipedevieux.Devieuxsympas,soitditenpassant.Ilsmeréservèrentuntrèsbelaccueil,danslerireetlabonnehumeur.Cettebonneambiancem'aideraitàguérirdemesblessures,j'enétaisamplementconvaincue.Néanmoins,moncœurrestaitfroid.

Alices'arrêtadevantuneportefermée,semordillalalèvreinférieure,puismeregardaenarquantunsourcil.

—Jesupposequ'onnepeutpasfairel'impassesurelle.Elle?Jen'aimaispasdutoutlafaçondontelleavantprononcécepronom.Avecunsourirecontrit,elleouvritlaporte.—Bonjour,Mylinda,jeteprésenteEva.Lavoixdemacollèguepréférée avait perdu toutenuanced'entrain.Quant àMylinda, il y avait

vraimentdesfillesquiportaientcenomendehorsdessoapsaméricains?Alices'avança,melaissantdécouvrirlarépliquedeBrigitte,enplusjeune.Lesmêmescheveuxde

paille, les mêmes yeux presque translucides, une identique expression hautaine sur le visage etbeaucoup,beaucoupmoinsde rides. J'en étais àmedemander si, commeun serpent,Brigitte avaitperdu sa vieille peau de zombie pour se transformer en celle quime faisait face quandAliceme

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flanquauncoupdecoudepourmeforceràlasuivre.Unpeugênée,jeluitendisunbrasincertainenmurmurantun«enchantée»desplustimides.Elle

inspectamamaincommesielleavaiteuuneoptiondanssesdrôlesd'yeuxluipermettantdevoirlesbactéries.Finalement,etsanssedonnerlapeinedeselever,ellelaserramollementavantd'essuyersapaumecontreletissuclairdesajupe.Sympa.

Si lesautrespiècesque j'avaisvuesétaientdécoréesd'objetspersonnelsen tousgenres,celle-cibrillaitparsonmanquedepersonnalité.Celieuavaitautantdecharmequ'unechambred'hôpital.Etencore,parfoisilyavaitdesfleursdanscelles-ci.

Alicetoussota,merappelantlebutdenotrevenuedanscetantre.Affichantmonplusbeausourire,jeluimismaladroitementleplateausouslenez.

—Pourfêtermarécentearrivée,j'aicrubon…—Fêtervotrearrivée?fit-elleenlorgnantlepetit-déjeuner.Sil'ondevaitfêterchaqueembauche

depersonnelpourvotreposte,j'auraisabandonnélatailletrente-quatredepuisdeslustres.Sesyeuxpassèrentdescroissantsàmeshanchesetjeretinsmonenviedeluidonneruncoupde

culenpleineface.Levisagedubelinconnuquej'avaisamochélaveillemerevintenmémoire.—Ehbien,fis-jeenreprenantmonplateau,jevoussouhaiteunebonnejournéedetravail.Ellehochalatêtesansajouterunaimable«demême».—Quelcharmantpersonnage,marmonnai-jeunefoislaportefermée.Alicemerenditunsouriregêné.—Elletientvraimentdesamère.—Brigitte,c'estça?Elle hocha la tête enme gratifiant d'un regard entendu.Moi qui voulais savoir si les zombies

pouvaientsereproduire,jetenaislaréponsesousmonnez.—Etcettepièce?laquestionnai-jeendésignantladernièreporteduboutdudoigt.—Celle-ci,c'estcelledeJérôme.Maisiln'estpaslàcettesemaine.Iln'estpratiquementjamaislà,

d'ailleurs.—Oh.J'ignoraispourquoij'étaisdéçue.J'auraispumegifler,desfoisqueçameréveille.—Detoutemanière,Jérôme,notrepatron,estaussibelhommequ'ilestinaccessible.—Ah.Unpatron.Aucunechanceaveclui.Puis,detoutefaçon,jenetenaisenaucuncasàm'amouracher

dequiconque.Maisqu'est-cequej'avaisdanslecrâne,moi?Quelquesheuresetdeuxlitresdecaféplustard–ehoui,jen'aimaispasjeterlanourriture,nila

boisson–jequittais lebureau.Arrivéeàmarue, jemesurprisàchercherlaprésenceduclochard.Quelquepart, celamedérangeait de l'appeler ainsi.Mais ne connaissant pas son identité, ilm'étaitimpossibledelenommerautrement.

Malgrélachaleurestivaledecettesoirée,ilportaitunsweatàcapuche.Jegrimaçaiensongeantàl'odeurqu'ildevaitdégager,pensantentoutelogiqueque,comptetenudesacondition,ilnedevaitpasselavertouslesjours.Ànouveau,jemesentiscoupabledetoutcequej'avais,moi,ettoutcedontilmanquait,lui.

Une sorted'étui étaitposéà sagauche. Il sepenchadessuset en retirauneguitare.Curieuse, jem'arrêtaiàunevingtainedemètresdelui.Qu'allait-ilfaire,nousimiterlesOneDirection?Siçasetrouve,c'étaitjusteduplayback,commetantd'autres.

Les premières notes se firent entendre. Elles m'étaient en tous points inconnues. Puis, sa voixs'éleva. Et quelle voix !Mélodieuse, touchante, elle résonnait au fond de ma poitrine.Mon cœur

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s'emballait,s'envolaitau-dessusdelaville,au-dessusdetout.Dansquellelanguechantait-il?Cen'étaitpasdufrançais,certainementpasdel'anglaisnonplus.

Maisc'étaitdeloinlachoselaplustouchantequej'aientendue.Celaressemblaitàdurock,duvrai,dubon. Toutefois, l'intensité de sa voix, l'émotion que l'on y percevait, me faisaient penser à duclassique.

Émerveillée,jenerevinsàlaréalitéquelorsquejesentisunelarmecoulersurmajoue,momentqui coïncidait avec une pause du chanteur.Maintenant, jememettais à pleurer en public. La belleaffaire!Épongeantdiscrètementmajoue,jecontinuaisàl'observer.Souscetangle,sacapuchenemepermettaitpasdevoirsonvisage.Quelâgeavait-il?LaplupartdesSDFquej'avaiscroisésdansmaviesemblaientavoirplusdecinquanteans.Qu'enétait-ilpourlui?

Unautredétailm'intrigua.Jenediscernaispasdebouteilled'alcoolautourdelui.Jenevoulaispasmelaisserporterparlespréjugésmais,vraiment,çaexistait,lesclochardssobres?

Puis, il se remit à chanter, me faisant oublier mes questionnements. Me faisant oublier que jedevais avoir l'air d'une idiote, plantée là, au bout de la rue, à l'observer en catimini comme unevicieusedepremierordre.

Jefinistoutdemêmeparm'asseoiràuneterrasse,m'installantàlatablelaplusàl'écartdesautresconsommateurs pour qu'aucun bourdonnement ne vienne polluer ce son si pur. Je commandai uncoca,puisunautrelorsquelaserveusecommençaàmelorgneravecmécontentement.

Detempsàautre,unpassants'arrêtait,déposaitunepiècedanslacasquettedisposéeàceteffet.Leclochardleremerciaitd'unhochementdetête.Luisouriait-il?Jenevoyaispassonvisage,masquéderrièrelacapuchebleue.Ensuite,lepassantrepartait,sansjamaiséchangeraveclemusicien.

Que devais-je faire ? Lui jeter, moi aussi, une pièce ? Pendant un instant fugace, je me sentiscoupable. J'étais en train de l'écouter, de profiter de samusique – entendez par là, de prendre unorgasmeauditifdepremierordre–sanslerétribuer.J'agissaiscommeunevoleuse.

Lesoleilsecacha,rendantlasoiréetropfraîcheàmongoût.J'ouvrismonportefeuilleetvérifiaisoncontenu.Qu'étais-jecenséeluidonner?Uneuro?Deux?Quelquescentimes?Combiencoûtaitlamusique?Quelleétaitlavaleurmarchandedecesnotesqui,l'espaced'uninstant,avaientapaisémadouleur?Pourmoi,ellenepouvaitenaucuncasêtrechiffrée.Etpuis,jetrouvaishautementgênantdeluijeterunepièce.Celaéquivalaitpourmoiàluifairelacharitéet,quelquepart,j'étaisconvaincuequ'ilméritaitmieuxqueça.Ehbienvoilà,j'étaisdevenuedingo.J'enétaisàdéblatéreràproposdelavaleurd'unepersonnedontlaseulechosequejeconnaissaisétaitunemusiqueindéfinissableetunevoixvibrante…vibrantedequoi,aujuste?

Furieuse enversmoi-même, jeme levai, jetant la pièce aumilieu de la table. Cela servirait depourboireàl'irritanteserveuse.Jerejoignismonimmeubleavecl'étrangeimpressionquedesyeuxcurieuxétaientbraquéssurmondos.

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CHAPITRE3

Nousétionsenfinvendredisoir.Cen'étaitpastroptôt!Lasemaines'étaitbiendéroulée,sil'onnetenaitpascomptedemesnombreuxaccrochagesavec

BrigitteetMylinda.Audébut,leursremontrancesm'avaientgrandementattristée.Ellesavaientlechicpourmettreledoigtlàoùçafaitmal,etgratteravecl'onglejusqu'àcequeçasaigne–danslegenresadique, elles auraient pu carrément donner des coursmagistraux àVoldemort – et fatalement, jefinissaistoujoursparmecarapaterdansmonbureau.Pourquoivenais-jededireaudébut,aujuste?Rienn'avaitchangé.Jeleurtenaistête,parfois,maisaveclabouledepaniqueauventre.

L'ambianceauboulotétaitsuper,endehorsdecesdeuxpestes.Mescollègues,certesplusâgésquemoiàl'exceptiond'Alice,étaienttoujoursdebonnehumeur.Celamefaisaitindubitablementdubien,mêmesimoncœurblesséneparvenaitpasàsedétendre.

Parcontre,dèsquejemeretrouvaisdansmonappartementunechapedeplombs'abattaitsurmesépaules.Jepeinaisàrespirer.Mesidées,occupéesenjournéeparlesaffairesdebureau,devenaientnoires.Ladépressionmeguettait.Etça,jem'yrefusais.Enaucuncasjenemelaisseraisabattre.Pourcetteraison,j'avaisacceptél'invitationd'Aliceàmerendreàunefête.Celanepourraitquemefairedubien.

Aussi,j'ouvrislaportedemonappartementetjetaimonsacsurlesol,prèsdel'entrée.Toutétaitencoreenvrac.Jen'avaistoujourspasdéfaitmescartons.Pourtant,j'avaiseuletemps!Commetouslesautressoirs,jem'approchaimachinalementdelafenêtrepourl'ouvrir.Désormais,jenelaissaisplusmes yeux errer au hasard en quête de distraction. Je cherchais directement le clochard etmedétendaisdèsquejelelocalisaisàsaplacehabituelle.Samusiquearrivaitjusqu'àmonétage,sibienquejen'avaisplusbesoindemecacherdanslaruepourl'écouter.Pourquoisavoixm'apaisait-elleautant ?Si j'ai toujours euunpenchantmélomane, je n'ai jamais été vraiment fand'aucungroupe,d'aucun chanteur. Pourtant, celui-ci, qui dormait sans autre protection que le ciel étoilé,me faisaitvibrer.Allezcomprendre!

Pournepaslouperuneseuledesesnotes,jelaissailafenêtreouverteetcourusmepréparer.Alicedevaitarriverdansmoinsdedeuxheures.

Je filai sous ladoucheoù l'eauchaudedétenditmesmuscles fatigués.L'arômecapiteuxdemonshampooingàlanoixdecocoenvahitlasalledebains.Jefiscoulerdusavondansmapaumepuis,glissaimesmainslelongdemesbraspourdescendrejusqu'àmesseins.Lorsquejelesfrictionnai,

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mes tétonsdurcirent,envoyantuneondéededésirplusbasdansmoncorps.Cela faisait longtempsquejen'avaispasfaitl'amour,ettoutautantquejenem'étaispaslaisséealleràquelquescaresses.Enfait,depuisquemoncœurs'étaitarrêtédebattreàintervallesréguliers,quelquesmoisplustôt.

Aprèsquelquesinstantsd'hésitation,jem'autorisaiàm'enhardir,massantmesseins.Lamusiquedelaruedansmesoreilles,jepartisdansunautremonde,unmondeoùtoutétaitpossible.Laissantunemain sur ma poitrine, je fis descendre l’autre plus bas. Elle dessina le contour demon pubis, et,commesielleavaitétédotéedesapropreconscience,écartameslèvres.J'avaisl'étrangeimpressionquecen'étaitpasmoiquicontrôlaismamain.Celamefaisaitsentirmoinscoupable,enquelquesorte.

Mon index atteignit le fameux bouton rose, provoquant un gémissement.Un courant électriqueparcourutmoncorps et un cri rauque s'échappademagorge.Ce sonme réveilla entièrement,merappelantque jen'avaispas ledroitdeprendreduplaisiralorsque j'avais foutusavieen l'air.Oupeut-êtrequesi.Jenesavaisplus.Putain,pourquoiest-cequetoutétaitaussidifficile?Parcequetun'aspassulasauver.Ouais,bon.J’achevaimadoucheparunpetitjetd'eaufroideafindecalmermesardeurs,cequimefitpousser

unhurlementdetout,saufdeplaisir.Unefoispropre,enrouléedansunelongueservietteblanche,jecourusdevantl'armoireafindemechoisirunetenueavantdemerappelerquecelle-ciétaitaussividequ'uneégliselesamedisoir.Super!

Jedusfouillerdanssixgrandesboitesencarton,étalantleurcontenuunpeupartout,pourpouvoirdégottersix robesque jedéposaissur le lit.Tantqu'à faire,autant ranger tousmesvêtementsdansl'armoire!Celameprituntempsfou,cequidécourageadem’accommoderdemonbazarpourlesfoisàvenir.

Quand je terminai le rangement, mes tenues m'attendaient toujours sur le lit. Toutesincontestablement jolies, elles étaient pourtant diamétralement différentes les unes des autres.Chacune avait sonpropre style bienmarqué : sobre,moderne, classiqueou fantaisie.Comment enchoisirune?

Je n'avais bien entendu aucune idée du type de soirée à laquelle nous nous rendions, alorss'habiller en conséquenceme parut bien difficile. Bien sûr, j'aurais pu appelerAlice, qui se seraitcertainement faitunplaisirde répondreàmes interrogationsetmêmed'ajouter sesconseilsavisésmais,quelquepart,maretenuenaturellem'empêchaitdelefaire.

Jejetaimondévolusurlableueélectrique,laplussimpledetoutes.Ellelaissaitmesbrasdénudés,mettaitmapoitrineenvaleur sansêtrevulgaireetne serraitpas tropmoncorps sans toutefoismefaireressembleràunvulgaireunsacàpatates.Elles'arrêtaitàmi-cuisse,cequimesemblaitnitroposénitropsage.

Aprèsmiraculeusementretrouvémonferàfriser,jememisdevantlemiroirpourmecomposerunejoliecoiffureetunmaquillagediscret.

Enfin prête, j'attrapai mon sac, pris dans ma main des escarpins assortis à ma tenue et meprécipitaidanslesescaliers.J'aimaislesdescendreàtouteallurecarcelamefaisaittournerlatête,meprovoquantuneétrangesensationassezprochedel'euphorie.Unefoisenbas,j'enfilaimessandalesetsortisdanslarue.

Comme à l'accoutumée, mes yeux cherchèrent d'eux-mêmes l'endroit où se tenait le clochard.Depuistoutcetemps–unesemaine,çapeutparaîtrelongquandonestobsédéparquelquechose–,jen'avaismêmepasétéenmesuredevoirsonvisage.Àquoiressemblait-il?Quelétaitsonâge?

L'arrivéed'une twingorose–franchement,quiosaitprofaner lavoituredeBarbie?–parvintàm'extrairedemes interrogations.Elle s'arrêta et lavitre teintée commençaà s'abaisser.Normal, sij'avaisréellementétélapropriétairedelaBarbiemobile,jen'auraispasvouluquetoutlemondesachequej'enétaisl'heureuseconductrice!Alice,souriante,apparutdansl'habitacle.

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—Ahlàlà,Eva,tuauraispumeprévenirquetuvivaisdansuneruepiétonne.Avectouscespavés,j'avaisl'impressiond'êtreassisesurmamachineàlaver.Nonpasqueçamedéplaise,situvoiscequejeveuxdire.Tuasdéjàessayé?

Ellemegratifiad’unclind'œiletmamâchoiremanquadesedécrocher.—Bon,tuteramènesouonattendquelesphotosdemavoitureseretrouventsurInstagram?Je hochai la tête, obtempérai,montai à bord et fermai la bouche. Pas forcément dans cet ordre

précis,d'ailleurs.—Oùva-t-on?—Tiens,jemeposaisjustementlamêmequestion.Devantmesyeuxécarquillés,elleajouta:—Jeblaguais.Onvad'abordallermangerquelquechose,toietmoi,puisonirachezunamiqui

organiseunefêtepoursonanniversaire.—Unanniversaire?hurlai-je.Maisjen'aipasdecadeau.Elleéclatadesonjolirirecristallin.—Maiscen'estpasgrave,déclara-t-elleensecouantlatête.Ilyaunprésentcommun.Tun'auras

qu'àglisserunepetiteenveloppedansl'urnesivraimenttutesenscoupable.Maiscrois-moi,cen'estpasnécessaire.

J'appréciaissafaçonlégèredeprendreleschoses.Moi,jen'étaispasdutoutcommeça.Enréalité,j'étaisdevenuel'extrêmeopposé.

Nousnousarrêtâmesdevantunrestaurantturc,oùnouscommandâmestouteslesdeuxdecopieux

sandwichàlaviandeépicée.—Délicieux…murmurai-jeenextase.Alice s'empara d'une serviette en papier pour essuyer un morceau de salade errant sur mon

menton.—Lapreuvequ'ilyaquandmêmedes légumes là-dedans,déclara-t-elle.C'estde lanourriture

saine.Jem'esclaffai.J'adoraissafaçondetoujoursaborderleschosesdemanièrepositive.Toutenriant,

jepiquaiunefritepourl'introduiregoulûmentdansmabouche.—Lesfritesaussisontdeslégumes.Çavientdespommesdeterre.Jerisdeplusbelle.—Detoutemanière,tuesàcroquer,Eva.Jerougisjusqu'àlaracinedescheveux.Sijenel'avaispassueattiréeparleshommes,jemeserais

poséedesquestions.— C'est vrai, je ne sais pas où tu caches tout ce que tu avales. Ça fait une semaine que nous

mangeons ensemble tous lesmidis et je te vois déguster des plats plus caloriques les uns que lesautres.Pourtant,tuneprendspasungramme.

Ellemarquaunepause,roulantlesyeuxthéâtralement.— Quel est ton secret ? À moins que tu n'aies déposé un brevet sur une nouvelle pilule

amincissanteouunquelconqueautretourdemagie?—Jefaisaisbeaucoupdesport,avant.Sentantlamélancoliem'envahir,jemeforçaisàreveniràlaréalité.—Jedevraispeut-êtrem'yremettre,d'ailleurs.Ilyadebonsclubs,danslecoin?—Hum…jeneveuxpastedécevoir,Eva,maislesseulsclubsquejeconnaisse,cesontceuxau

pouletdeSodebo.Unefoisdeplus,j'éclataisderire.Cettenanaétaitfranchementgéniale.

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Assise dans sa voiture, je penchai la tête en avant pour constater avec effroi la bosse surmonventre. J'étaisenceinte.Enceinted'unbeaupetitkebab.Quellehorreur !Alice remarquamagêneetm'adressaunsourirefugace.

—Uneoudeuxpetitesdansesetonn'yverraplusrien,crois-moi.Danser? J'adorais cela, autrefois,mais ça faisait desmois que je n'avais pas bougémes pieds

pourautrechosequemarcherversletravail.Oulefrigo.Alicesegaradevantunegrandemaison.Àpeineavais-jeouvertlaportequedesnotesdemusique

électroniquem'agressèrentlesoreilles.Sijevoulaispasserunebonnesoirée,j'avaistoutintérêtàmedétendre.

Nouslongeâmeslejardin,éclairédeflammesdansantsurdestorchesplantéesàmêmelesol.Surl'herbe,uncouplesemblaits'envoyerenl'airàlavuedetoutlemonde.L'espaced'uninstant,j'hésitaiàfairedemi-tour,avantdemeraviser.Sijevoulaism'extrairedemagrisailleambiante,jen'avaispasd'autrechoixquecelui-ci.Etj'aimaisça,autrefois.

Maisenfranchissantleseuil,jemedisquecen'étaitpasl'idéedusiècle.Jen'avaispasfaitunpasàl'intérieur qu'onme tendait déjà un gobelet rouge. Je le reniflai. Il dégageait un arôme douceâtred'alcooletdemirabelle.Jem'yagrippaicommeàuneplanchedesecoursetcontinuaid'avancer.

Partout, des gens dansaient ou tentaient de bavarder en dépit du volume assourdissant de lamusique. Ils s'amusaient. J'aurais voulu être comme eux. Heureuse. Insouciante. Du moins enapparence.

Alicefinitpars'agiterjustequandj'étaisentraindemedemandersiellenes'étaitpasplantéedefête.Avachisurlecanapé,unblondentouréd'unebandedegaisluronsluifitsignedelerejoindre.

—C'estCédric!piailla-t-elle,commesijeleconnaissaisoucommesij'enavaiseuquelquechoseàfaire.Jevaisteleprésenter!

Arrivéeauprèsd'eux,ellealignaunebonnequinzainedeprénomsdontj'oubliaisplusdelamoitiéaufuretàmesurequ'ellelesnommait.Certainsavaientl'airaimable,d'autresmoins.Unerousse,parexemple, semblait particulièrementprête àme tordre le cou.Pourtant, je jureraisne l'avoir jamaisvuedemavie.Était-elleunesortedefillecachéedeBrigitte?

—Onnet'ajamaisvue,ici,fit-elle.Danssabouche,çasonnaitcommeuneinsulte.—Non.Ellevientd'arriver,rétorquasèchementAlice.—Ahbon?Etd'oùviens-tu?demandaunejoliebruneauvisageavenant.—DeMontpellier.—Super!s'exclamaunjeunehommeenmesouriant.—Tuparles,Stéphane!plaisantalablondeenluidonnantunetapesurl'épaule.Tunesaismême

pasoùc'est!—Tuveuxparier?Ellesecoualatêteenroulantdesyeux.Ilsetournaversmoiavecunsourirerassurant.—Surtout,nel'écoutepas.Elleatendanceàdivaguerquandelleaunpeutropbu.Ilmegratifiad'unclind'œilauqueljenepusquesourireenretour.—Unefilledusuddébarqueetlesqueuess'envolent,plastronnalarousse.Jeretins–difficilement–monenviedeluiflanquerunegifle.—Pourelle,parcontre,jen'aipasd'excuse,mechuchotaStéphaneàl'oreille.Jepouffaicommeuneimbécileetbusdansmonverrepourmasquermontrouble.—TuesàMetzdepuisquand?—Celafaitunesemaine,àpeuprès.—Ehbien,situasbesoind'unguide,n'hésitepasàdemander.Jeseraisravidetemontreruntas

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dechoses.—Jen'endoutepas,sifflalarousse.— Tu as sérieusement besoin de te faire baiser, Camille, lança un jeune homme aux lunettes

rondesmefaisantpenseràJohnLennon.Çaterendraitdemeilleurehumeur.Larouquineletoisa,croisalesbrasetrejetalatêteenarrièrepar-dessusl'accoudoirducanapé,

faisantcascadersalonguechevelurejusqu'ausolàlafaçond'uneserpillière.—Jen'ypeuxriens'iln'yariendepotableàsemettresousladent.—Displutôtquepersonneneveutdetoi.CommeAlice et une bonne partie du groupe, je ne pusm'empêcher de rire à cette blague. La

rouquinemelançaunsourirehypocrite.Mêmepaspeur,petite.—Quiveutjouer?J'eusenviedecomposeruneréponseacerbe,maisfusdevancéeparplusrapidequemoi.—Désolé,Camille,j'aioubliémespoupéesdanslecoffredelavoiture.L'intéresséefoudroyalefauxJohnLennonduregard.Cedernierneselaissapasintimider.—Quoicommejeu?laquestionnaStéphane.—TrivialPoursuiteéditionspécialepourlesmoinsdetroisans,raillaJohnLennon.Jecroisque

ceseraàsaportée.—Ha ha, Jean. Non. On se fait un beer pong. On lance des balles sur les gobelets et l'équipe

adverseestobligéedeviderceuxqu'onaréussiàatteindre.—Ehbien,j'espèrepourtoiquetuasprévuduPQenconséquence,petitepisseuse,parcequetu

vasdevoirtorcher.—Quijoue?fit-elleenignoranttotalementJohnLennon.—Pasmoi,décrétacedernierensecalantbiensursoncanapé.—Tuparticipes?medemandaAlice.Jelaregardairejoindrelesautres.Ilsétaientassisenrondàmêmelesolcommedansunfeude

camp, tandis que la rouquine et la brune préparaient des verres au centre de leur cercle. Stéphanem'adressaunsourireencourageant.

—Justeunemanche,concédai-je.

CHAPITRE4

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Je me décidai à arrêter à jouer quand les balles de ping pong devinrent trop floues pour que

j'arriveà les tenirentremesdoigts.Je les laissai tomberpar terreet tentai infructueusementdemeleverenprenantappuisurmesmains.

—Çava?—Çairaitsicettemaisonvoulaitbiens'arrêterdetourner.Ilsemitdeboutetm'aidaàfairedemême.—Ilfautcroirequelesfillesdusudnetiennentpasl'alcoolàlamirabelle,ânonnaCamilleavec

sonodieusecheveluredecarotte.—Ilfautcroirequelesfillesdusudt'emmerdent.J'étais la première étonnée dema réaction.C'était sûrement lié à l'alcool. Pourquoi avais-je bu

autant,déjà?—OùestAlice?m'inquiétai-je.—ElleestmontéeavecCédric.—Oh.Elleauraitpumeprévenir.Elle l'a sûrement fait, mais tu étais si occupée à te torcher la gueule que tu ne l'as même pas

entendue.Jemedisquejedevraispeut-êtrequitterleslieux.Jen'étaisclairementpas–ouplus–dansmon

élément.DemanderàAlicedemeraccompagner.Outrouverquelqu'undepastropsoûlpourlefaireàsaplace.Maispartiravecuninconnuneconstituaitpaslameilleuredesidées.Rentreràpied?Enbus?

—Tuveuxdanser?LavoixdeStéphaneétaitsidoucequej'enoubliaislaraisonpourlaquellejevoulaisrentrerchez

moi.Aulieudeça,j'opinailentementdubonnet.—Viens.Ilmetendit lamainet jem'yaccrochaicommeuneenfantaubrasdesamère.Ilmeconduisità

travers la foule jusqu'aumilieudusalonoùse tenaitunepiste improvisée.Se retournant, ilpritungobeletsurunetableetmeleprésentaavecunsourire.

—N'a-t-ellepasassezbu?questionnaJohnLennonsortantdenullepart.—Hey,tun'espascenséêtremort,toi?Tousdeuxmeregardèrentcommesij'avaisperdul'esprit.—Oui,leBeatle,c'estàtoiquejeparle.Unfant'avaitassassinéàNewYorkouuntruccommeça.Stéphane éclata de rire. Lui aumoins, il savait semarrer. John Lennon disparut, retournant au

royaumedescélébritésdécédéestragiquement.—Etsurtout,passelebonjouràAmyWinehouse!—Bon,ondanse?Pourtouteréponse,jepassaimesbrasautourducoudeStéphaneetcommençaiàmedéhancherau

rythme de la musique. Je reconnus Homeless, de Marina Kaye. Immédiatement, mes pensées setournèrentversleclocharddemarueetmesgloussementsidiotss'arrêtèrent.Maisqu'est-cequ'ilmeprenaitdesongeràcethommequejeneconnaissaismêmepas?Jen'avaisd'ailleursjamaisvusonvisage.Siçasetrouvait,ilétaitmochecommeunpou.Homelesss'arrêtaàmongranddésarroi,carj'adoraiscettemélodie.LeDJ,quidevaitavoirautant

detalentpourchoisirseschansonsquemoipourdénicherlesbonnesfréquentations,décidadepasserdu Rn'B. Mais du vieux. Du Jennifer Lopez des premiers temps. Qu'à cela ne tienne ! Rien nem'arrêteraitcesoirdansmaquêtedel'oublietdeladistraction.

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Stéphanemefitpivotersurmoi-mêmeetjemeretrouvaidosàlui.Comprenantcequ'ilvoulait,jememisàondulerdubassin.Jen'avaisjamaisétémauvaisedanseusemaisjen'étaispascertainequel'alcoolfutenmesured'améliorermescompétencesenlamatière,bienaucontraire.Parcontre,cequiétaitcertain,c'étaitquecelamedésinhibaitcomplètement,chassanttoutautantlepeud'estimequej'avaispourmoi-mêmequelacraintetouterationnelleduridicule.

Stéphaneserapprocha,emprisonnantmeshanchesdanssesmains.Netrouvantrienàyredire,jemelaissaisfaire,vibranttoujoursaurythmedelamusique.Àlachansonsuivante,ilcommençaàmecoller,meplaquantcontrelui.Jesentissonérectioncontremesfesses.Loindemeflatter,cecontactnondésirémedéplut.

Sanscesserdedanser,jetentaidem'éloignerdelui.Trèsvite,sesmainsfortesmescotchèrentàsonsexedur.Jemedisqu'iln'avaitpeut-êtrepassaisi,cegourdin,alorsjeréessayaidemedégagertant le contact avec sonmembre,même à travers nos vêtements,m'écœurait.Malheureusement, lamêmeopérationsereproduisitlorsqu'ilm'attiraàlui.Ilcommenceàmesaoulergrave…Alors que je comptais me retourner pour lui demander quel était son problème, il lâcha mes

hanches.Jememorigénaiintérieurement,pensantl'avoirjugéàtort,maissesmainsallèrents'écraserdirectementsurmesseins,agissantcommel'électrochocdontj'avaistantbesoin.

Sansriendire,jeretiraisamainettentaidem'éloigner,maisilpensa–quelimbécile,franchement–qu'ilpourraitmeretenirdeforceetaugmentasaprise.

—AttendsEmma,ons'amuse!Cefutlagouttequifitdéborderlevase.Pivotantsurmoi-même,j'abattismonpoingsursonnez,

faisantgiclerdusangàdeuxmètresà la ronde.Stéphanes'écroula,pleurnichantcomme l'imbécilequ'ilétait.

—Eva,pasEmma.Etnet’avisemêmepasdetoucherunefillecontresongré.—PutainEmma!Tufaischier.—Situnepeuxpasretenirmonprénom,retiensaumoinsceci!Aprèsluiavoirflanquéuncoupdepiedentrelesdeuxglorieuses,jememisàchercherlasortie

sousleregardmédusédesfêtards.Discernantunjeunehommequin'avaitpasl'airtropivre,j'avançaivers lui en essayant d'imprimer sur mon visage mon expression la plus charmeuse. Vu mon étatd'ébriétéavancé,ondevaitêtreloinducompte.

—Euh…tupourraismeramenerchezmoi,s'ilteplaît?Maisayantététémoindelascène,ilfitdemi-touretpritlafuitesansdemandersonreste,comme

si,aulieuderessembleràunefillefrêleetpolie,j'avaisadoptélelookdel'undesméchantsdeMadMax Fury Road. Si j'étais contente de ne pas être dans la peau de la sempiternelle demoiselle endétresse,forceétaitdeconstaterquerentrerchezmois'avéreraitpluscompliquéqueprévu.Enplus,latêtemetournait.Jemepromisdeneplusjamaisboired'alcool.

Sortir de lamaison bondée fut la première étape demon chemin de croix, mais l'air frais dudehorsmefitleplusgrandbien.Mesentantonnepeutplusforte,jedécidaidememettreàmarcherdanslesensquejejugeaisopportun,oubliantcomplètementaupassagequejen'avaisaucuneidéedel'endroitoùjemetrouvais.Chezmoi,àMontpellier,ilm'auraitsuffidedégainermontéléphonepourtrouverunamiàappeleràlarescousse.Ici,monseulcontact,Alice,étaitprobablemententraindes'envoyerenl'airàl'heurequ'ilétaitetn'apprécieraitquetrèsmoyennementd'êtredérangéeenpleincoït.Loindemedésespérer,cequiauraitétélogique,lasituationmedéclenchaaucontraireunecrisede fou rire. Sauf que si ces spasmes d'hilaritéme rendaient joyeuse, tel n'était pas le cas demonpauvreestomacalcoolisé.

—T'espasdrôle,toi,marmonnai-jedanslevide.Cequimevalutungargouillisdebienmauvaisaugure.Mepenchantsurmonventre,jeletoisai:

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—Bon,turesteslààrâlerouonpeutyaller?Commeilnerépondaitpas,jememisàavancerauhasarddanslarue,espérantallerdanslabonne

direction.Tous les cheminsmènent àRome, alors pourquoi pas au centre-ville deMetz ?Tout enmarchant,jenecessaisdepestersurl'alcool.Jem'étaisbienamuséelespremièresheures,maiscelaavait immanquablement provoqué ce que je craignais, à savoir : attirer un indésirable mâle enébullitionconvaincuqu'ilpouvaitprofiterdemon ivresse.Rienquedepenserà lui,mespoingssefermèrentd'enviedes'écraserunesecondefoissursonnez.Maisqu'est-ceque j'avaisàcasserdesgueulesàtoutva,cesdernierstemps?Tuévacuessurlesautreslacolèrequeturessensenverstoi-même.J'envoyai balader ma conscience au même instant où une voiture s'arrêta sur le bas-côté.

Machinalement,j'inspectaismonrefletdanslesvitresnoires.Marobeétaitfroissée,mescheveuxenpétardetmonmaquillagefichaitlecamp.Beurk.

Lafenêtrecommençaàs'ouvriretjenepusm'empêcherderegarderdansl'habitacle,curieuse.Auvolant,unhommeencostumedontjenevoyaispaslevisagesemblaitattendrequelquechose.Sansdouteuntrafiquantdedrogueouunénergumènedecegenre.

—Montez.Comprenantpourqueltypedepersonneilmeprenait,jerougisjusqu'àlaracinedescheveux.Ce

typedeboulettes,çan'arrivaitqu'àmoi!—Ahnonmonsieur,rétorquai-jed'unevoixpâteuse.Moncorpsdedéessen'estpasàvendre.—Montez!—Vousêtesbouchéouquoi?Reprenezvotrebilletdecinquanteeurosetallezchercheruneautre

catin!Surce,jetentaidemeremettreenroute.—Cinquanteeurospourunefillecommevous?Vousvousrabaissez,mademoiselleLévian.—Pardon?sifflai-jeenm'arrêtant.D'oùconnaissez-vousmonnomdefamille,d'abord,espècede

vicieux?J'entendisunéclatderire.Dansmatête,leswarningss'allumèrent.Sijen'avaispasétéaussiivre,

jemeseraismiseàcourir.Maisj'étaispratiquementcertainedemeramasserlagueuledèslesvingtpremiersmètres.

L'hommesepenchapourouvrir laportière.C'estàcemoment-làque jevissa figure.Sesyeuxm'étaientfamiliers,maiscequimerenseignasurl'identitédelapersonne,cefutlepansementvenantcacherlecentredesonvisage.C'étaitleclientdel'agence.Oups.

—Montez,répéta-t-ilpourlatroisièmefois.Commentfaisait-ilpouravoirunesicharmantevoixavecunnezfracturé?Avecunediscrétiondignedecelled'unéléphantdansunmagasindeporcelaine, jevérifiaique

monsprayaupoivreétaittoujoursdansmonsacàmain,puis,j'obtempérai.—Jevousramènechezvous?Jehaussailesépaules,supposantqueluidemanderdemedéposerplutôtàDisneylandétaitunpeu

déplacé.Ildémarrasansproduirelemoindrebruit.Mavoitureàmoifaisaituntelvacarmequ'elleeffrayait

les oiseaux à cinquantemètres à la ronde, ce qui était plutôt pratique sur les routes de campagne.Angelal'appelaitl'épouvantail.Penseràellem'étaittropdouloureuxendépitdel'alcool.

—Vousallezbien?Jemetournaiversl'hommeencostumedontj'avaispresqueoubliélaprésence.Fichueliqueuràla

mirabelle!—Oui,jevaisbien.Jesentaisquejedevaisajouterquelquechose.

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—Désoléepourvotrenez.Ilfitungestedelamainpoursignifierquecelan'avaitaucuneimportance.—Merci aussi de ne pas vous être plaint auprès de Brigitte. La standardiste, précisai-je. Cette

garceenauraitprofitépourmevirer.Sesyeuxs'allumèrentd'unelueuramusée.Ilétaitplutôtbelhomme.—Commentm'avez-vousreconnue?— Je n'ai pas pour habitude de me faire battre par des femmes. Forcément, ça me laisse un

souvenir.—Oh.Pourquoisefairebattreparunefemmeétait-ilconsidéréplushumiliantqueparunhomme?La

féministesommeillantenmois'énervaitdéjà,sacolèreattiséeparl'alcool.Tu n'as pas voix au chapitre. Tu es en train de te faire reconduire chez toi par un – presque –

parfaitétrangerparcequetuas–encore–perdulecontrôle.Pourlejeneveuxpasêtrelatypiquedemoiselleendétresse,onrepassera,admis-jeamèrement.Tropgênéepourparler,jemebornaiàinspecterl'intérieurdelaberline.Jetouchailetableaude

bord.Ilétaitenmerisiervéritableetcomptaituneincroyablequantitédegadgets.Jem'étaiséchouéedansuneBatmobileouquoi?Lessiègesencuirétaientconfortablesetilrégnaitdansl'habitacleuneodeurdeneuf.Jereconnusl'effigiedePorsche.J'étaisdansunePorsche!Angelaaurait tuépèreetmèrepourêtreàmaplace.Ànouveau,unéclairdouloureuxmevrillalecœur.

Arrivésàproximitédemarue, levéhicules'arrêta.Biensûr, iln'allaitpasentrerdansunezonepiétonne.Nesachantpastropcommentdireaurevoir,jenesortispastoutdesuite.Ducoindel'œil,jemepermisd'épierlestraitsdemonaccompagnateur.Plutôtbelhommeàn'enpointdouter.Jeluidonnais dans les vingt-huit ans, tout au plus. Mais que faisait quelqu'un comme lui, quelqu'un derangé,depropresurlui,entraind'errersurlarouteunvendredisoir?

—Vousvoulezdormirdansmavoiture?demanda-t-ild'unevoixmoqueuse.Commeuneidiote,jem'empourpraisimmédiatement.—Non.Je…Jevaissortir.Sans trop savoir ce que je devais faire, je me penchai vers lui. De mes lèvres, j'effleurais la

douceurdesesjoues.Ilsentaitbon!Jereconnuslesnotesd'undemesparfumsmasculinspréférés.Puis,jemeretirai.

—Mercidem'avoirraccompagnéechezmoi.—Cefutunplaisir.Vraiment?Nousn'avionspaséchangéplusdedeuxou troisphrases.Jesortis, fermantderrière

moi.Alorsquejemetournaispourluifaireface,laportières'ouvritànouveau.—Vousavezperduvotresoulier.Lacitation:Lavie,cen'estpasuncontedefées.Sivousperdezvotrechaussureàminuit...c'esttout

simplementparcequevousêtesbourréemerevintenpleinefaceetj'éclataiderire.Jeremarquaiquel'hommeétaitsortidelavoiturejusteaumomentoùilsepenchaitpourm'aiderà

chaussermonescarpin.Waouh.Jen'avaispasl'habituded'êtretraitéecommeunereine.Letempsquejeréagisse,lePrinceCharmantétaitànouveauauvolantdesoncarrosse.

—Lavache!laissai-jeéchapperenleregardants'éloigner.Lorsqu'ildisparutaucoindelarue,jemerappelaiquejedevaisrentrerchezmoi.D'unpasmal

assuré, je me mis en route. Deux ou trois minutes me séparaient de mon appartement en tempsnormal,maiscesoir,ilmefaudraitmultipliercelapspartroisouquatre.Etsij'avaistoujoursétéunetêteenmaths,cettenuit,jenemerappelaismêmepaslatablededeux.

J'avançaisentitubant,metenantauxmursenessayantdenepaspenserauxgermesquejerécoltaisau passage. J'étais sûre et certaine de tenir entremes doigts de quoi lancer la culture d'une arme

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biologiquehautementnuisible.Tagueule,lemédecin!melançai-je.Alorsquej'atteignaisenfinmarue,monsouriresefana.C'estfoucommeunpetitboutdepapier

pouvait réduire toutesvosbonnesrésolutionsenmiettes !Mesyeux,animésd'unevolontéqui leurétaitpropre,restèrentscotchéssurlemacarond'unpare-brise.Lamentionhandicapéaccompagnaitun fauteuil roulant. Très vite, l'air vint à manquer à mes poumons. Mes battements cardiaquess'accélèrentetmonsouffles'éteignit.Mavuesebrouilla,faisantdisparaîtrelaréalitéquim'entourait,laremplaçantparunetouteautre,celledontjevoulaiséchapper.

Unfauteuilroulantmefaisaitface.Desonoccupante,quimetournaitledos,jenevoyaisquelalonguechevelureblondequiserépandaitenvaguelettesdoréessurledossier.Jen'avaispasbesoindeplusd'indices.Jesavaisquielleétait.Cellequej'avaisblessée.

—Angela!criai-je.Cehurlementmefitreveniràlaréalité,l'estomacretourné.Jenepusreprendremonsouffleetle

contenu de mon estomac vint se vider en jets saccadés entre mes escarpins de marque. J'avaisl'impressiond'asphyxier,commesil'airrefusaitdepasserdansmespoumons.Maisvulegouffremeravageantde l'intérieur, j'auraispum'étoufferdansmonvomipourne jamaismeréveiller,celanem'auraitpasdérangéelemoinsdumonde.Jedevaiseffacercetteimagedemonesprit.Jevoulaisqueças'arrête,quetouts'arrête.

Sentirdesmainsseposersurmoncrâneetramenermescheveuxenarrièreapportaunebrusquecoupureàmes idéesnoires.D'ungestevif, jepivotai surmoi-même, faisant faceau jeunehommederrière moi. Sans autres préambules, j'envoyai mon poing en avant de toutes mes forces. À magrande surprise, il l'esquiva – je n'avais pas pour habitude de ratermes cibles – ce qui ne fit querenforcermacolère.Jerépétailegeste,tentantdevisersonvisagemasquésoussacapuche.Ilparamafrappeavecfinesse,s'emparantdemonpoingqu'ilretintemprisonnéàquelquescentimètresdesafigure.Jerépliquaienenvoyantmajambeenrenfort,maislàencore,ilnefutpastouché.Merde!J'étaisplusbourréequejenelepensais.Maisalorsquejem'apprêtaisàcrier–c'étaitmondernierrecourscarj'avaishorreurdejouerles

jouvencellesendétresse–ilanticipamonattaqueentirantsurmonpoing,qu'ilretenaittoujoursenotage.Jem'écrasaisursadurepoitrinepuisilmefitpivoteretplaquasamainsurmabouche.Jelemordis.Jel'achevaienluienvoyantmonpoingenpleinmilieudelafigure.Lesanggicla.Sacapuchepartit en arrière,dévoilantunvisageharmonieux.Alors,moncerveauembué finit par recoller lesmorceauxdupuzzle:c'étaitleclocharddemarue.

— Ça m'apprendra à vouloir m'occuper des gens, marmonna-t-il en tamponnant son nez. Laprochainefois,jevouslaisseraivomirtouteseuledansvotrecoin.

Trop interloquée pour réagir, trop mortifiée aussi, je restais plantée comme une idiote à leregarder.Lapénombreàpeineéclairéeparlesréverbèresnepouvaitcacherl'évidence.Cethomme,àqui je donnais vingt-cinq ou vingt-huit ans, était d'une beauté que j'avais rarement eu le loisir decontempler. Ses yeux, clairs, dont je n'aurais pas pu affirmer la couleur exacte, étaient dotés d'unregarddesplusperçants.J'ylisaisàlafoislapeuretlemépris.Seslèvres,quisemblaienttrèsdouces,étaientuneinvitationauxbaisers.Sescheveux,blondsetassezlongs,étaientendésordre,signesanséquivoquedelaviedanslarue.Loindemerebuter,celaluidonnaitunairrebelledesplusattirants.Leseulpointnégatifétaitlalégèrebarbequicachaitunepartiedesonvisage,mêmesielleapportaituneindéniabletouchedemystère.

Cenefutqu'àcetinstantquejemerappelaiscequis'étaitproduit.Jevenaisdem'enprendreàunepersonnequitentaitjustedem'aiderentenantmescheveuxpendantquejevomissais.Maisqu'est-cequinetournaitpasrond,chezmoi?

—Je…jesuisdésolée…

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—Vouspouvezl'être.Çavousprendsouventdecasserlesnezdesgens,commeça?Jebaissailatête,honteuse,sentantmespommettesvireraucramoisi.—Hum…depuisquelquesjours,oui.Jamaisdeuxsanstrois.—Pardon?Sijen'avaispasétéaussigênée,j'auraisriducomiquedelasituation.—Maislevôtren'estpeut-êtrepascassé,meravisai-je.Laissez-moiregarder.Ilsereculadedeuxpas,protégeantsonvisagedesesmains.—S'ilvousplaît,laissez-moifaire,permettez-moidevérifier.Jem'approchaidequelquespasmaisfusdécouragéeparunregarddesplusfroidsvenantdeses

yeuxclairscommelaglacearctique.—Horsdequestion.Jeluiservismonsourireleplusaimable.Matentativedel'amadouers'écrasalamentablementàsix

piedssousterrequandilrefusaencored'êtretouché.—Trèsbien.Euh…songezàfaireuneradiodemain.Jeperçusdanssonrireunepointed'amertume.—Ildoityavoirdescentresspécialiséspourlespersonneseuh…dansvotrecas.Là,jem'enfonçais.—Maisjevousprometsdevenirvousvoirafindevérifierquetoutvabien.Aprèsluiavoirpeut-êtrefracturélenez,voilàquejememettaisàlematerner.Detouteévidence,

il était temps de rentrer avant de faire une autre connerie comme lui casser une jambeinvolontairement.Toutefois,j'étaisconscientequejedevaisfairequelquechosepourleremercier.Jeplongeailamaindansmonsac,récupéraimonportefeuillepuistendisunpetitbilletdecinqeurosendirectionduclochard.

—Prenez.Il secoua la tête. J'insistais. Si j'avais été un peumoins ivre, j'aurais été enmesure de voir son

visagepasserdelaneutralitéàlacolère.—Jen'aipasd'ordresàrecevoirdevousnidequiconque.Gardezvotrebilletpourvouspayerun

cocaenmeregardantjouersiçavoustenteetretournezdansvotrejoliappartement!Souffléeparsonagressivité,jelelaissaienplanet,lecœurbattant,traversailaruepourrejoindre

monimmeuble.Çam'apprendraitàvouloirêtresympaavecunmarginal!Je gravis lesmarches jusqu'àmon appartement, trop énervée pour prendre l'ascenseur. Pour le

coup,cettedisputem'avaitentièrementdessoûlée.Cependant,celanecalmaitenrienmacolère,bienaucontraire.

Àpeinerentrée,jemedirigeaid'unpasrapideverslafenêtreet,sansunregardpourl'extérieur,jebaissailevoletd'ungestebrusque,mecoupantdelaruepourlapremièrefoisdepuismonarrivéeàMetz.Puis,d'uncoupdepied,jebalançaimesescarpinsàl'autreboutdelapièce.

Allongée surmon lit, encore vêtue de la robe que je n'avais pas pris la peine d'enlever, jeme

triturais lesméninges.Pourquoiavait-il refusémapièce? Il étaitunSDF,non?Et lesSDFça faitquoi?Çaacceptelespièces.Pourquoipaslui?Ouplutôt,pourquoipaslamienne?Jel'avaisdéjàvuacceptercellesdespassantsappréciantsamusique.Pourquoipasmoi?

Jemeretournaidansmesdraps,cherchantlesommeilsansletrouver,puis,jemeredressaipourm'asseoirsurmonlit,encerclantmesgenouxdemesbras.D'oùvenait-il?J'avaisremarquéunaccentétranger lorsqu'il parlait. Cela ne faisait d'ailleurs qu'ajouter du charme à sa voix déjà hautementséduisante.Detoutemanière,jen'enavaisrienàfaire.Iln'avaitqu'àêtremoinsodieuxetàacceptermessouscommetoutlemonde.

—Etpuiszut!lançai-jeenmelaissanttombersurlematelas.

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Je ne sombrai qu'au petit-matin dans un sommeil peuplé de princes charmants aux luxueuxcarrosses,defauteuilsroulantshantésetd'unemagnifiquepaired'yeuxbleusquiapportaitsatouchedérangeante.

CHAPITRE5

J'étais plutôt satisfaite de l'image que me renvoyait le miroir. En effet, on ne voyait plus lamoindretracedeseffetsdel'alcool.Aprèsdeuxjoursplanquéecheztoi,ceseraituncomble!Bon d'accord, j'avais souffert d'une telle gueule de bois que j'avais été contrainte de passer le

week-endentieràcocooner,cloîtréedansmonappartement.Maiscelam'avaitfaitleplusgrandbien!Et puis je l'admettais, j'avais voulu éviter le clochard en bas de chez moi. Me confronter à luim'angoissaittellementquejen'avaismêmeoséallercherchermonpaindetoutleweek-end.

Jecoiffaisoigneusementmescheveux.Onauraitmêmepuparlerdeminutie,pourlecoup.Bienentendu, le temps que je prenais pourme pomponner n'était pas une sorte d'excuse pour retarderl'inéluctable,àsavoirdescendredanslarueetcroisermonsieurSDF.Quelétaitsonnom?Sansquejepuisse savoirpourquoi, celamegênaitde lui attribuerdesqualificatifs telsquevagabond,SDFouclochard.Aucundoute,jeperdaislespédales.Deplusenplus.

Lorsqueladernièrealarmedemontéléphonesonnapourmerappelerqu'ilétaitplusquetempsdepartir,jedusmerésoudreàlefaire.Quem'importaitl'avisd'unclochard,aprèstout?M'emparantdemonsacetdemesescarpins,jemeprécipitaidansl'escalierpourdévalerlestroisétages,profitantdel'effeteuphorisantquecettedescenteproduisaitsurmoi.

J'ouvrislaportedelamanièrelaplusdiscrètepossible,espérantnepasêtrerepéréeparl'inconnudes rues.Puis, jeglissaimespiedsdansmeschaussuresenbaissant la têtepournepascroiser sesyeux. Je sentais son regardposé surmoi.Étais-je en traindedevenir complètementparanoïaque ?Enfinprête,jepartisdanslesensopposédel'endroitoùilsetenaithabituellement,quitteàfaireundétour.Affrontersesyeuxaccusateursétaitau-dessusdemesforces.

Arrivéeàl'agenceimmobilière,jesaluaiBrigitteenadoptantunlargesourire.Ellemerenditmon

salutensebornantàémettreunsimplegrognementsansmêmeleverlatête.Monrictuss'intensifia.Jem'étaisattendueàpirecommeaccueil.Soitellese ramollissait, soit j'étaisen trainderemporter la

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bataille.Toute guillerette, je m'enfermai dans mon bureau où Alice m'attendait déjà. Elle arborait des

lunettesdesoleil,cequinefutpassansm'étonner.—Alice?Qu'est-cequetufichesavecça?Ellesursautabrusquement.—Quoi?Hein?Où?Qu'est-cequevousvoulez?Puisenfin,ellemevit.Sérieusement,elles'étaitendormieauboulot?—Ah,c'esttoi?Ellesourit.Heureusement.—Vienst'asseoir,m'invita-t-ellegaiementendésignantmonsiège.J'obéissansmefaireprier.—Pourquoiceslunettes?nepus-jem'empêcherderedemander.—Oh,j'étaisenrupturedestockd'anti-cernes.Unecuveentièren'auraitpassuffipourmasquer

cespochessousmesyeux.Ellesecoualatête,réprobatrice.—Maisraconte-moi,commentças'estpasséavecStéphane?—Çaallait.Jusqu'àcequ'ilessaiedeserapprocherd'unpeutropprès.—Ohmince!Ilyatoujoursdescrétinsquinecomprennentpaslenon.—Rassure-toi,ilacomprisquandjeluiaipétélenez.Elleenlevaseslunettespourm'inspectersoigneusement.—Pardon?Jememordillailalèvreinférieure,unpeugênée.—Jen'aimepasêtretouchéequandjeneledésirepas.Jesuisdésoléed'avoiramochétonpote.Avecunsouriredespluscompatissants,elleposasamainsurmonépaule.—Net'excusejamaisdet'êtredéfendue,Eva.Personnen'aledroitdetefairequelquechosedont

tun'aspasenvie.Je soupirai, soulagée.Pendant tout leweek-end, j'avais craint quema réactionpeut-êtreunbrin

exagéréenemettefinànotreamitiénaissante.J'étaisrassuréedeconstaterquecen'étaitpas lecas.Quandjelevailesyeuxverselle,jeremarquaiàquelpointellesemblaitmortifiée.

—Jen'auraisjamaisdûm'absenter.Je…JeneconnaispasStéphanedepuislongtemps.Sij'avaissuqu'ilallaitsecomportercommeça…

Jehaussailesépaulesensouriantpourlarassurer.—Hey,cen'estrien.Iln'yapasmortd'homme.Etpuis,jesaismedéfendre.—Jevoisça.Jedécidaisagementdepassersoussilencequecen'étaitquelesecondnezquej'amochaisdepuis

ledébutdelasemaineetquej'enavaisdétruitunautredansl'heuresuivante.Àcroirequemonpèreétaitrhino-plasticienetquejemechargeaisdeluirecruterdesclients…Ouquej'avaisuncompteàrégleraveclespifs.Ouavecleshommes,toutcourt.

—EttoiavecCédric,c'étaitcomment?Aliceretrouvasamineenthousiasteetmeracontaleurweek-endtorrideaudétailprès.—Ilal'airdevraimentteplaire,ceCédric.—Oh,c'estjusteuncoupcommeça,fit-elleavecunerirefranc.Jenem'attachejamaisàpersonne.—Jamais,jamais?Pourtant,lamanièredontsesyeuxs'étaientilluminésenparlantdeluijuraientlecontraire.—Ettoi,alors?Jolietentativepourdétournerl'attention,Alice.—Moi?Jesuisrentréeetj'aidécuvépendantquarante-huitheures.Riendetrèsintéressant.

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Ellesepenchaenavantpourprendresonmugdecaféetpianotaquelquechosesursonordinateur.—Eneffet,murmura-t-elledistraitement.Puis,sesyeuxmedévisagèrentaveccuriosité.—Aufait,commentas-turegagnétondomicile?Àcet instant,mon sourire s'élargit et jeme sentis rougir bienmalgrémoi.Prendreune feuille

pourenmasquermonvisagenemeservitàrien.Aliceavaittrèsbienremarquémaréaction,comptetenulafaçondontelletapaitdanssesmains.

—Raconte!—Iln'yavraimentpasgrand-choseàdire…—Raconte!répéta-t-elle.Tuenmeursd'envie,detoutefaçon.Jegloussaiscommeunedinde.Jeremismesmèchesfollesderrièremesoreillespourmedonner

unpeudetemps,maisAlicemetémoignasonimpatienceentapantsursescuisses.—Trèsbien.Tutesouviensquej'avaiscassélenezd'unclient?—Euh…oui,pourquoi,tuasreçuunefacturedel'hôpitalouuneconvocationaucommissariat?Jesecouailatête,amusée.—Nil'unnil'autre.Je…jel'aicroiséensortantdelafête.Ellehaussalessourcilspourm'inciteràcontinuer.—Etilm'aramenéechezmoi.—Quoi?s'étrangla-t-elle.Tuesmontéedanslavoitured'uninconnu?J'omisdeluirappelerqu'elle,elleétaitbienmontéedanslachambred'unquasiinconnu.—Hum,onn'estpassiinconnusqueça,jeluiaidéjàcassélenez,tuvois…Elleéclataderireetretrouvasabonnehumeur.—C'estvraiqu'iln'yapasmieuxcommeentréeenscène.Alors,ilestcomment?—Beau,laissai-jeéchapper.Vraimenttrèsbeau.Poli.Chevaleresque,même.Jedevinsrêveuseensongeantàlamanièredontilavaitajustémonescarpincommeunvraiprince

charmant.—Comments'appelle-t-il?—Euh…Jenesaispas.Ducoup,çavaêtredifficiledelerevoir.—Oh,comptesurtabonneétoile.Tul'asdéjàcroisédeuxfoisenl'espaced'unesemaine.Jamais

deuxsanstrois,commeondit.—Ouais,commeondit.Je baissai les yeux. Pourquoi est-ce que soudain je pensais à l'inconnu des rues ? Ah oui,

probablementparcequ'ilavaitgâchémonweek-end.Tutel'esgâchétouteseule.—Çava?Ondiraitquequelquechosetetracasse.Tuveuxenparler?Sous ses airs de petite fée loufoque,Alice était bien plus clairvoyante que je ne l'avais cru au

premierabord.Luiposerquelquesquestionsmeferaitdubien.J'avaisbesoinderéponses.—Tuesdéjàpasséedansmarue,non?—Ouais.—Est-ceque…Ça faisait vraimentbizarredeposer cegenredequestions. J'allais passerpourune folle àn'en

pointdouter.—Oui?—Est-cequetuconnais…euh…ilyaunclodoquizonetoutprèsdemonimmeubleet...—Ettuaspeurqu'ilt'agresse?J'avaisludelaréprobationdanssesyeux,toutcommedansletonqu'elleavaitutilisé.Elleneme

laissapasletempsderépondre.

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—Lesgensetlespréjugés!pesta-t-elleenlevantlesyeuxauciel.Figure-toiqu'unefois,j'avaisretirédessousàlabanquedetarue.Tusaiscommejesuistêteenl'air,non?

En effet, je ne la connaissais que depuis une semaine mais son côté distrait sautait aux yeux.J'opinaidubonnet,encoregênéedelafroideursiinhabituellequ'ellevenaitd'adopter.

—Ehbien,j'aieuuncoupdefiljusteaumomentoùlesbilletssortaient.Ducoup,jesuispartieenlesoubliant.

Monventreseserra.J'imaginaislasuite.Pourquoiréagissais-jeainsiàl'idéequeceSDFétaitunvoleur?Celan'auraitriendûmefairedutout.

—Jen'avaispasfaitvingtpasquej'aisentiquelqu'untaperdansmondos.C'étaitlui.Ilm'atendumescinquanteeuros.

Lasurprisemefitouvrirlabouchecommeunpoissonhorsdel'eau.—Commentl'as-turemercié?—Jeluiaioffertuncafébienchaud.Ilfaisaittrèsfroidcejour-là.Ah,etuncroissant.—Commenta-t-ilréagi?Ellehaussalesépaules,commesilaréponseallaitdesoi.—Ilétaitravi.Ilm'aconseillédefaireplusattentionàmessouslaprochainefois.C'esttout.Ellegardalesilencependantquelquesinstants.—Tuasvulesyeuxqu'ila?Ilssontincroyables!Jehochailatête,encoreabasourdie.Ça,c'étaitsûr,sesyeuxm'obsédaientdepuisvendredisoir.—Bref,quoiqu'ilensoit,poursuivitAlice,jenepensepasquetuaiesàt'enfaire.Tunerisques

rien.J'imaginemalquelqu'uncapabled'ungestetelqueceluiqu'ilaeuenversmoiveniragresserunefillesansdéfense.

Confuse,jemelevaipourchercheruncafénonsansenavoirproposéunàmacollèguepréférée.Elle accepta avec plaisir et, tête en l'air, oublia notre conversation. Puis, nous nous remîmes autravail.

Toutenm'occupantdesdifférentsdossiers,jenecessaisdepenseràmoninconnudesrues.Jenesavaisriendelui.Jeneconnaissaismêmepassonnomet,quelquesminutesplustôt, jeledétestaisparcequ'il avait refusémonbillet.Toutefois, à présent, je le comprenaismieuxgrâce auxparolesd'Alice.

Jem'étaisvexéequandilm'avaitrejetée.Non.Quandilavaitrejetémonargent,carsonrefusnem'étaitenaucuncasdestiné.Néanmoins,ilmefallaitadmettrequej'auraispunettementmieuxfaire,niveauremerciement.Biensûr,mesintentionsn'avaientpasétémauvaises:lesclodos,çademandedel'argent.Luiendonnerpour legratifierm'avaitparunaturel.Toutefois,commentaurais-jeréagisil'on m'avait tendu un billet pour avoir aidé une vieille dame à traverser un passage clouté, parexemple?Trèscertainement,j'auraiseul'impressionqu'onmefaisaitl'aumône.Comprenantenfinàquelpointj'avaisdûlemettremalàl'aise,jerougisderrièremonécran.

J'avaisdésormaisenviedelefuir,tellementlahontemeconsumait.Maisjen'étaispascommeça.Bon,d'accord,j'avaisfuideMontpellieràMetzparcequejenepouvaisplussupportermaculpabilité,mais quandmême.Ce qui s'était passé dansma ville natale était autrement plus grave que d'avoirmanquéàl'honneurd'unSDF.Parconséquent,jepouvaisbienaffronterceclochardetluiprésentermesexcuses,non?Etj'allaislefaire,c'étaitcertain.Unjour.Oul'autre…

Toutesdeuxconcentréessurnotretravail,Aliceetmoin'avionspaséchangéunmotdepuisqueje

luiavaistendusoncafé.Soudain,laportes'ouvritentrombe.Commeunouragan,Mylindaentradansnotrebureauen faisant claquer ses talons, aussitôt suiviede samère. Jenepusm'empêcherde lescomparer.Ellesseressemblaienttantqu'onauraitpuaisémentjoueraujeudesseptdifférences.Misàpart les rides, j'aurais eu dumal à en trouver d'autres. Peut-être les collants. Ceux deBrigitteme

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semblaientplusopaques.EtMylindaavaitunemiettedecroissantsurlapoitrine.Elleavaitdûmangeren cachette. Imaginant la jeune fille planquée dans les toilettes de l'entreprise pour dévorer desviennoiseries échappant à la surveillance de samère, je ne pusm'empêcher de sourire béatement,oubliantparlamêmeoccasionquejen'étaispastouteseule.

—Eva!Lecriduzombiemefitsursautercommeunjouetsurressorts.Monstylolâchéinvolontairement

allasenicherlamentablementdanslescheveuxd'Alice,dontlelégerredressementdescommissuresdeslèvresconstitual'uniquesignequ'elleavaitremarquémamanœuvre.

—Qu'enpensez-vous?Hein?Dequoi?Discrètement,Alicehochalatête,mefaisantsigned'accepter.—Euh,j'enpensequec'estuneexcellenteidée.LevisagedeBrigittesefana.Commesic'étaitpossibledefairepire!—Trèsbien.Alorsnouscomptonssurvousdeuxpourvendredisoir.Quoi ?On avait rencard avec ces deuxmorts-vivants ? J'avais intérêt à ramener un pieu et un

crucifix,desfoisqueçafonctionnesurleszombies.Sans ajouter unmot, elles quittèrent notre bureau. J'arquai un sourcil interrogateur à l'adresse

d'Alice.—Tun'asrienécouté,n'est-cepas?—J'étaisobnubiléeparlamiettedecroissantsurlapoitrinedeMylinda.—Oh, tu l'as vue aussi ?Depuis que je travaille ici, elle se cache parfois pourmanger. Je l'ai

mêmedéjàentenduevomir.Tuconnaissamère...D'uncoup, jen'avaisplusdu tout enviede rire. Je trouvais sa situationbien triste.Pas étonnant

qu'ellepassesafrustrationsurnous.—Touslesmois,onestplusoumoinsobligésd'organiserunefêtepourlesemployésdel'agence.

Organisationquim'estsystématiquementconfiéedepuisquelesautresontmisérablementéchouélesdernières.

—Oh.—Cen'estpasgrave.Aumoinscettefois,tueslàpourmetenircompagnie.Ceseraamusant!Amusant n'était pas exactement le mot que j'aurais employé pour qualifier une fête à laquelle

assistaientBrigitteetMylinda.Maisavais-jelechoix?J'enviaisl'optimismedontfaisaitpreuveAlice.—Entoutcas,Brigitteétaitvertequetuaiesaccepté.Elles'attendaitsûrementàcequeturefuses.

Ellet'auraitdoncforcéeàvenir,rienquepourt'embêter,carcelafaitpartiedenosobligations.Maistuneluiaspasdonnécettesatisfaction.

Jesourisquandellelevalesdeuxpoucesenl'air.J'adoraiscettefille.Aprèscetteinterruption,nousretournâmesautravail.J'étaisentraindevaliderundossierépineux

quand une icône clignota, m'informant de la présence d'un nouveau message. Je l'ouvris avecempressement.Jesuiscurieuxdevousdécouvrirentantqu'organisatricedesoirées.Àvendredi.Jérôme.Jérôme ?C'était qui, celui-là ? Puis, jeme souvins qu'Alicem'avaitmontré une porte derrière

laquelleétaitcenséseplanquerledénomméJérôme,notresupérieur,lesraresfoisoùiltravaillaitànotreagence.Sonmessagem'étonna.Qu'enavait-ilàfairedemoi?Onnes'étaitmêmejamaisvus.Sans prendre la peine de répondre, je le déplaçai dans la corbeille. À peine avais-je fait cela quel'icônesemitàclignoterànouveau?Maisquemevoulait-il,encore?Jeneleconnaissaismêmepasetjeledétestaisdéjà.Memordantl'intérieurdesjoues,jel'ouvris.Àtitreinformatif,puisquejevousrappellequevousn'avezenaucuncasvotremotàdire,jetenais

à vous signaler que vos horaires ont été modifiés. Alice, tu prendras ta pause entre onze et treize

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heures.Quantàtoi,Ève,tupourrassortirentretreizeetquinzeheures.Mylinda.Aliceetmoilevâmeslatêteenmêmetemps.Lepeudeconsidérationquej'avaispourlafillede

Brigittevenaitdefondrecommeneigeausoleil.J'enrageais.Littéralement.Déjà,elleécorchaitmonprénom, mais de toute évidence, elle avait remarqué qu'Alice et moi nous entendions bien. Parconséquent,ellevoulaitremédieràcela.

D'ungesteprompt,jememisdebout.—Jevaisallerluiréglersoncompte,àcettecrétine.Alicem'arrêtajusteàtempsenposantsamainsurlamienne,quimaintenaitserréelapoignéedela

porte.—Çanesertàriendesebattreavecelles.Ellesfinirontparselasser,net'enfaispas.—Maisqu'est-cequecelapeutleurfairequ'onmangeensemble?Elleregagnasaplaceenhaussantlesépaules.—Vasavoir.Maiscen'estpasbiengrave.Çafinirapars'arranger.Jehochailatêtesanspourautantêtreconvaincue.Toutefois,jemelaissaitombersurmachaise.

Fairedesvaguesnem'apporteraitriendebon.Jefinisparmecalmeretretournaiàmesdossierssiconsciencieusementquejeneremarquailedépartd'Alicequ'àl'instantoùellerevint.

—C'estàtoi,medit-elle.Jetraversail'accueillatêtebasse,tentantd'échapperauregarddeBrigitte.Ilétaithorsdequestion

dedonneràcettepeste la satisfactiondedéceler surmonvisage lamoindre tracededéception,dedépitoudetristesse.J'auraisvouluêtreenmesured'ébaucherunsourireéclatantàluilancerdanslesdents,mêmeunfaux,maisjenemesentaispaslecœuràfairesemblant.

Unefoisdehors,jemedemandaisquoifairedemesdeuxheuresdepause.Aprèsunbrefinstantderéflexion,jedécidaiderentrerchezmoi.Jem'achèteraisquelquechoseàgrignoteraupassage,puisjeliraisunbonroman.Alice,quipartageaitmapassionpourlalecture,m'avaitditleplusgrandbiendeTroublanteObsession,deNathalieCharlier.

Toutenmarchant,jenepouvaism'arrêterdepenseràl'inconnudemarue.Auméprisqu'ilavaitdûressentirquandjeluiavaistendumapièceetàlamanièredontjepouvaismeracheter,sanstropenfaire,cequipourtantétaitmaspécialité.

Alice s'étaitdédouanéeavecune telle simplicité !Elle semblait secontenterdeceque lavie luiapportait,neréfléchissaitpaspendantdesheures–desjours,oudesmois,encequimeconcernait–etpourtant,elledénichaitd'excellentesidées.Pourquoin'étais-jepascommeelle?

Alorsque j'entraisdans lazonepiétonne, lasolutions'imposaàmoi.Alice luiavaitproposéuncafé.Pourquoineluioffrais-jepastoutsimplementunrepas?Fièredematrouvaille–quin'enétaitpasvraimentune,avouons-le–j'entraidanslaboulangerie.

À l'intérieur, j'observaiavecunepointed'effroi laquantitéde sandwichsdifférentsquiyétaientproposés.D'ailleurs, ne préférerait-il pas une salade ?Non. Il nemangeait probablement pas à safaim,doncunesaladeneluiferaitnichaudnifroid.Consommait-ilduporc?Avait-ildesallergiesalimentaires?Aimait-illasauce?Lepavotoulesésame?

—Mademoiselle?Je sursautai, prise au dépourvu. La boulangère écarquilla les yeux en signe d'impatience. Une

queueavaitcommencéàseformerderrièremoi.—Deuxjambonsbeurreavecdeuxcocas,s'ilvousplaît.—Undessert,peut-être?Jevérifiaimamonnaiepoursavoirsij'avaisassezdesoustandisqueladametapotaitlecomptoir

desesdoigtsboudinés.—Deuxbrownies,s'ilvousplaît.

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—Ceseratout?Non,jevoudraisaussiunegrandedosedecouragepournepasmedéfilerdèsquejesortiraid'ici

Vousenavezenpromotion?Manoteréglée,jequittail'établissementetavançai,labouleauventre,versl'endroitoùd'habitude

s'installait leSDF.Moncœurseserra.Et s'iln'étaitpas là?Ets'ilétait là?Jenesavaispasquellealternativem'effrayaitleplus.

Enfin,jelediscernai.Baissantlatêtetoutenpriantpournepasmedéfiler,jemisunpieddevantl'autre jusqu'àcequeseulssessoulierssoientdansmonchampdevision.Ensuiteseulement, jemepermisdeleverlesyeuxsurlui.Ilmeregardaitavecmépris.L'idéededéguerpirmetraversal'espritmaisjelarejetais.Ilétaittempsd'agirenadulteresponsable.

Jefouillaidansmonsachetpourenretirerunsandwich.—Jevousaiachetéàmanger.Ilredressalementonpourmetoiserplusintensément.—Bonjourquandmême,dit-ild'unevoixblanche.D'accord,j'avaismanquéàlapremièrerègledepolitesse,maiscen'étaitpaslamortnonplus,si?

Prenantsurmoi,jedécidaiderecommencermonintervention.—Bonjour,jevousaiachetévotredéjeuner.Ilplissalesyeux.—Qu'est-cequivousfaitcroirequej'aifaim?Ouquejen'aipasdéjàprismonrepas?Vousavezl'airdetout,saufdequelqu'unquimangeàsafaim.Etaveclecaractèrequevousavez,

çanem'étonnepas.Unpetitgarçons'approchatimidementetjetaunepiècedanssacasquette.Leclochardlegratifia

d'unsourirequisemblaitsincèreetl'enfantrevintauprèsdesonpère.Puis,lejeunehommesetournaversmoi,abandonnantsonsourire.

Si je ne faisais pas quelque chose très vite pour remédier à la situation, nous étions bons pourresterplantéslàunbonmomentàregarderlesmouchespasser.Alors,uneidéemevintàl'esprit.

—Trèsbien.Vousn'avezpeut-êtrepasfaim,maismoi,oui.Sivouspermettez...Disant cela, je pliai les genoux pour prendre place sur son carton. Nos fesses étaient à une

quinzaine de centimètres. Je m'autorisai à le dévisager et manquai d'éclater de rire face à sonexpression:ellereprésentaitl'effroiabsolu.

—Bienquejesoisaffamée,leprévins-je,jenemordspas.Pourça,j'aiunexcellentsandwich.Jedégainaimonrepasetcroquaidedans.Lepainétaitmoelleux,lacharcuteriesavoureuse,c'était

unrégal.Quantàmoninconnudesrues,ilm'observaitavecconfusion,labouchegrandeouverte.—Hum…c'estdélicieux,murmurai-je.Jeluiadressaimonsourirelepluscharmeur.—Trèsbien.Donnez-moimoncasse-croûte.Maissachezquejenel'acceptequepourvousfaire

plaisiretpourquevousdéguerpissiezplusvite.Jepouffaisansretenue.Étrangement,lesspasmesduriremedébarrassèrentdemonangoisse.Lui,

neriaitpas.Maisjevislescommissuresdeseslèvressehausserlégèrement,commes'ilavaitvouluretenirunsourire,etcefutlàmarécompense.Sicedemi-rictusmefilaitdespapillonsdansleventre,qu'est-cequeçadevaitêtrequandunvraisouriresedessinaitsoussafinebarbe?

Jeluitendissonrepas.Illepritdanssesmainsetledéballaenlançantdesregardsnerveuxautourdelui.Dequoiavait-ilpeur?

Jemedélectaisenlevoyantdévorersonmet.Pourunefois,j'avaistapédanslemille!Enespérantquecelanousferaitrepartird'unbonpied.D'unbonpied?Maisbonsang,dequoi jeparlais,au juste? Iln'étaitqu'unclochardquizonait

dansmarue.Riend'autre.Et iln'yavait riendemalàvouloirêtreenbon termesavec lui,comme

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avectousmesvoisins.Iln'yavaitriend'autreàélucider.Je calai mon dos contre le mur. Profitant du silence entre nous, je me permis d'observer les

environs.Decetteperspective, lavenellesemblaitsidifférente!Souscetangle, toutavait l'airplushaut,plusgrand.Pluseffrayant,aussi.Jemedemandaiscommentleressentaitlejeunehommeavecquijepartageaisuncartonsurlesolpoussiéreux.

D'unautrecôté,cetteplacepermettaitunemeilleurevuesur lemonde.Jemeretrouvaissiprisedanscetexercicecontemplatifquej'enoubliaismêmedemanger.

—Vous…vousn'envoulezplus?Latimiditéaveclaquelleilm'avaitposécettequestionm'alladroitaucœur.— Pour quelqu'un qui n'avait pas faim, vous faites bien semblant... blaguai-je pour détendre

l'atmosphèreenluitendantlerestedemonsandwich,qu'ildévoraenunclind'œil.Unechosem'étonna. Jem'étais franchement attendueà cequ'il ne sentepasbon. Ilvivaitquand

mêmedanslarue!Aulieudeça,ildégageaitundélicieuxarômed'agrumes.Allezcomprendre!Nous partageâmes notre dessert chocolaté. Je vérifiai l'heure à ma montre une fois le repas

terminé.Quellenefutpasmasurpriseenconstatantqu'ilétaitplusquetempsderepartirautravail!Je me levai promptement, à peu près certaine d'arriver en retard. Lui me regarda calmement

m'agiter autour de lui.Lorsque j'eus ramassémes affaires, il vrilla ses yeuxd'un bleu intense auxmiens,sibienquequelquechosesecontractadansmonventre.

—Commentpuis-jevousremercier?Consciented'avoirrougi,j'hésitaisentredéguerpiràtoutevitessesansdemandermonresteetlui

demanderdemerembourserlerepas.J'optaipourquelquechosedetotalementdifférent.—Jeveuxvotreprénom.Sesirispassèrentdel'indifférenceàl'étonnement,puis,àlaméfiance.—Pourquoi?—Parcequejeveuxsavoiravecquijepartageraimonrepasdemain.J'avaisvraimentditça?Ilfallaitquej'arrêtelejambon-beurre,visiblement,çanemeréussissait

pasdutout!—Alors?—Vousallezresterplantéelàjusqu'àcequejevousledonne,n'est-cepas?Sonbel accentavait été siprononcéquedes frissonsavaientparcourumonépinedorsale.Sans

rienlaisserparaître,jehochailatêteavecunsouriretaquin.—Youri,souffla-t-ilavecuneexpressiondouloureuse._Ehbien,cen'étaitpassiterrible!Vousaviezsipeurdemel'avouerquejecroyaisquevousaviez

unprénombizarre,dugenreHubert.Pourlapremièrefois,iléclataderire.Unsonsicristallinqu'ilcoulaitcommedelamusiquedans

mesveines.—Moi,c'estEva,déclinai-jeavantdetournerlestalons.—Alorsmerci,Eva.Lesourirebananequifenditmonvisagenes'affaissamêmepasdevantBrigitte.

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CHAPITRE6

—Plushaut,laguirlande!Faisantclaquermalanguepourmontrermonmécontentement,jememissurlapointedespieds

pourobéiràAlice,quimaintenaitenplacelachaisesurlaquellejem'évertuaisàmehisser.—C'estbon?Ma délicieuse collègue recula jusqu'à l'encadrement de la porte afin de s'offrir une vue

d'ensemble.Clairement,celadevait luiplaire,carelle leva lesdeuxpoucesenl'airavecunsouriredespluscommunicatifs.

Jedescendisdemachaiseet la rejoignispourme fairemapropre idée. Il fallait l'avouer,nousavions fait du bon boulot.Des tables recouvertes de nappes colorées entouraient la piste de danseimprovisée. Nos guirlandes dansaient au plafond sous le souffle des fenêtres laissées grandesouvertespouraérerleslieux.Lapeinturevenaitd'êtrerefaiteetdégageaituneodeurquimontaitàlatête.

—Viens,onaassezadmirénotrechefd'œuvre,décrétaAlice.Allonsnouspréparer.—Nouspréparer?Ellesecoualatêteenlevantlesyeuxauciel.—Tunepensaistoutdemêmepasyallercommeça,si?—Euh?Quelestleproblème?Jeportaisunshortenjeanetundébardeur.Etilsétaientpropres.Iln'yavaitpasdequoifouetterun

chat!—Viensici,c'estunordre!Commentnepasêtrecontaminéeparsonentrainnaturel?Jelasuivisdanslasalledebains.L'agenceimmobilièreavaitlouéunemaisonpourl'occasion.Nousavionstransformélesalonen

lieu de fête et laissé les chambres à coucher intactes. Pour le repas, nous avions fait appel à untraiteur.Alice s'était occupée toute seule des boissons.Quand j'avais vu la quantité d'alcool qu'elleavaitalignéedanslacuisine,j'avaisécarquillélesyeux.Merappelantmapromessedeneplusboire,je lui avais demandé si elle avait acheté du soda. Roulant des yeux, elle avait répondu parl'affirmative. Finalement, nous avions concocté un punch ensemble.Voulant tenirma parole, je nel'avaispasgoûté,maisildégageaituneodeurdecerisedesplusalléchantes.

—Durougeoudunoir?Laquestiond'Alicemefitreveniràlaréalité.Elleétaitalléechezlecoiffeur,quiluiavaitfaitunecoupemi-longue.Sescheveuxpartaientdans

tous les sens, mais loin de faire délaissé, cette coiffure lui donnait un air de petit lutin espiègle,surtoutavecsesmèchesrosesaumilieudunoird'encredesachevelure.

Elleportaitunmaquillagesophistiqué.Sesyeuxvertsétaiententourésd'un large traitd'eyeliner.Mais comment faisait-elle ? À chaque fois que j'essayais d'en mettre, moi, ça ressemblait à unepérilleuseroutedemontagnedotéedevertigineuxvirages.Avecsarobenoired'unstyleunpeupunk,

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elleétaitvraimentjolie.—Tunerépondspas,alorsonvaopterpourlarouge.Elle me tendit une robe écarlate au tissu brillant. On aurait dit de la soie ou du satin, mais

connaissantlafaiblessedesesressourceséconomiques,ildevaitplutôts'agird'unebonneimitationenpolyester.

—Tuveuxvraimentquejemetteça?Levêtementm'avaitl'airtellementcourt…—Merciauraitétéuneréponseplusadéquate.—Oh,pardon!m'excusai-je,onnepeutplusgênée.Jesuisdésolée.Ellepartitdesonadorablerire,pasoffusquéedutout.—Cen'estrien.Essaie-la.C'étaitunordre,àn'enpointdouter.Aussi,jeluiprislevêtementdesmainsetdisparusdansune

autrepiècesousleregardmoqueurd'Alice,nettementmoinspudiquequemoi.Lorsquejerevinsvêtuedesaroberouge,elle tapadanssesmainspourmesignifiersa joie.Sa

gaietémefitsourireetjetournaisurmoi-mêmepourluifaireadmirersonaspect.Ellesemblaitenextase.

—Alors,n'est-cepasunpeuexcessif?—Turigoles?s'exclama-t-elle.Tuesparfaite.Plusqueparfaite,même.Laisse-moipeaufinerce

chefd'œuvre,d'accord?Jememordillailalèvre,indécise,craignantqu'elleneforceunpeutropletraitsurlemaquillage

oulacoiffure.Nousn'avionspastoutàfaitlemêmestyle,elleetmoi.Mais,devantsonairrenfrognéquandelle sentitmonhésitation, jenepusqu'accepter.Ellepartit chercher sa troussede toilette ensautillantetrevintdesadémarchedepetitedanseuse.Puis,ellelevasonindexdansmadirectionenarborantunemouefaussementmenaçante.

—Parcontre, je t'interdisde te regarderdans lemiroir tantque jen'enaipas terminéavec toi,compris?

J'opinaidubonnetetmelaissaifairepourlademi-heuresuivante.Jemesentaissibienàêtreainsipouponnéequejefinisparm'endormir.

Quand j'émergeai enfin, mes ongles étaient vernis de bordeaux, mes cheveux coiffés en unchignonsophistiquéetmonmaquillage…disonsquecettefemmefataleauregardténébreuxquimedévisageaitdepuislemiroir,çanepouvaittoutsimplementpasêtremoi.

—Etvoilà!Tuessublime,maprincesse!chantonnaAlice..—Merci!Je…jenesaispascommentterendretoutcequetufaispourmoi.Ellelevalesyeuxauciel.—Pourquoitesens-tutoujoursredevabledèsquequelqu'unessaiedetefaireplaisir?Nemérites-

tupas lebonheur,commechacund'entrenous?Soisheureuse, tout simplement.Moi, je l'aiétéenm'occupantdetoi.

Sesparoles,quim'allèrentdroitaucœur,melaissèrentsongeuse.Émue,jelaserraidansmesbras,respirantsonparfumdefruitsrouges.Aprèstoutcequej'avaisvécuàMontpellier,cettefilleétaitdubaumesurmesblessures.

ToutcommeYouri.Youri!Cette gourde de Brigitte n'aurait pas pu se planter d'avantage en déplaçant mes horaires pour

m'embêter.Eneffet,n'étantplusenmesuredeprendremesrepasavecAlice,j'avaisdécidéderentrerchezmoi.Saufqu'àchaquefoisquejecroisaisYouri,jenepouvaism'empêcherdem'installeraveclui.Parconséquent, luietmoimangionsensembledepuis lundi.Aufuretàmesuredemesvisites,nousavionscommencéànousouvrir l'unà l'autre,petitàpetit.Siaucundenousn'avait fournide

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détailssursaviepersonnelle,ilm'avaitétédonnédeconstaterqu'ilavaituneconversationdesplusintéressantes.Qui aurait pu croire qu'un clodo puisse connaître tant de choses ? Certainement pasmoi!Àmaplusgrandesurprise,j'enavaisétéréduiteàattendrelapausemidiavechâtepourallerleretrouver.Entoutbientouthonneur,celavadesoit.Jen'allaistoutdemêmepasm'encanailleravecunepersonnedelarue.Jetrouvaisjustesacompagnietrèsagréable.Ilavaitl'étrangedondemefaireoublier toutceque j'avais laisséderrièremoipourme transporterdansdespaysages inconnus.Deplus, iln'étaitpasdésagréableà regarder.Pasdu tout,même!Seulesacourtebarbemedéplaisait,maisj'imaginaisquelaviedevagabondneluidonnaitpassouventl'occasiondeseraser.Maisquelsyeuxilavait!Cesderniers,siexpressifs,changeaientlégèrementdetonalitéaveclesémotionsqu'ilvoulaitexprimer,etjemeretrouvaisàboiresesparolestantdanssesmotsquesursesiris.

Quant au reste de son corps… je ne l'avais regardé que du coin de l'œil, soyons précis. Bond'accord,jel'admets,jel'avaisplusquereluquéàchaquefoisqu'ilétaittropabsorbéparsesproposoudanssessouvenirs,etilmesemblaitpourlemoins…sportif.Pourparlerclair,cemecavaituneprestancededingue!Quefaisait-ildanslarue,aujuste?

La sonnette retentit, me tirant des pensées oùmon esprit se plaisait à vaquer. Le temps que je

réagisse, Alice s'était précipitée à la porte. Les premiers invités arrivaient : Brigitte et Mylinda.N'auraient-ellespaspuvenirplustard,unefoislamaisoncomble,afindenepasêtreobligéesdeleurfairelaconversation?

Bien entendu, elles critiquèrent tout : la décoration, nos robes, le traiteur...même si ce derniern'était pas encore arrivé. Alors que je priais silencieusement pour que quelque chose vienne lesarrêter,commeuntsunami,untremblementdeterreoumêmeuneinvasionextraterrestre,lebruitdelasonnettecouvritleursparoles.

JedusmebattreavecAlicepourêtrecellequiouvrirait,l'abandonnantcruellementencompagniedes deux harpies. Passant son index à la base de son cou, elle me fit comprendre qu'elle allaitm'égorger. Je lui décochai un sourired'excuse etmeprécipitai vers la porte.Quand je l'ouvris, jecrusquemoncœurallaits'arrêterdebattre.

Jem'écartaipourlaisserpasserungrouped'unevingtainedepersonnes.Àl'écartdecesgenssetenait l'inconnu.Celui à qui j'avais fracassé le nez.D'accord, j'en avais brisé pasmal ces derniersjours.Celuiquim'avaitraccompagnéeenvoiture,pourêtreplusprécise.Qu'est-cequ'ilfichaitlà?Ilcommençaitvraimentàmefoutrelesboules,àmesuivrepartout.

Lesmainsdanslespochesdesonpantalondecostumebientaillé,ils'avançapourentrer.Lorsqu'ilfutjusteenface,ilvrillasesyeuxauxmiens.Jefusobligéed'avalermasalive.

—Bonjour.—Bonsoir,lecorrigeai-je.Ilm'adressaunsourireencoinet,d'uncoup,jetrouvaisqu'ilfaisaitbientropchauddanslapièce.

Alorsquej'allaisl'interrogersurlesraisonsdesaprésence,Mylindaaccourutverslui.—Oh,tuesenfinlà!Savoixsuraiguëetsontonmielleuxmedonnèrentimmédiatementlanausée.—J'avaispromisquejeseraislà,non?Ilconnaissait cettepeste?Qu'est-cequ'unbellâtre fichait avecunzombieanorexique?Bon, là,

j'étaisvilaine.Ellen'étaitpasexactementlarépliquedesamère.Elleavaitunbeaucorps.Tropmaigreà mon goût, mais certains hommes aimaient les squelettes ambulants, comme le prouvaient lesmannequinsarpentantlespodiumsdelahautecouture.Pourlapeine,jetendislamainversleplateaudechocolatsposésurlatablelaplusprocheetenfournaiunepoignéetouteentièredansmabouche.

Mylinda m'adressa une moue dédaigneuse et, passant son bras sous celui de l'inconnu, ellel'entraînaversBrigitte.Pauvre lui.Pour l'amourà trois, ilauraitpu trouvernettementmieux.Puis,

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tousles troissedirigèrentvers lebuffet installépar le traiteurrécemmentarrivé.Bienentendu, lesdeuxfemmesseprécipitèrentsurleslégumescruscommeleconcombreenrondelles,fuyantcommelapestetouteautrenourriture.Ellessebourraientdepilulesamincissantesetcraignaientquecelles-cinelesfassentdégobillersiellesavalaient lemoindreatomedesucreoudegraisseouquoi?Puis,l'image deMylinda se cachant dans les toilettes de l'agence pour dévorer des croissants qu'elle seforçaitàvomirensuitemerevintàl'esprit,merendantbienmoinsbelliqueuseàsonégard.Elleavaitclairementbesoind'aide,maisavecsonsalecaractèreetsamégèredemèrequiluirôdaitautour,ellenerisquaitpasdel'obtenir.

CHAPITRE7

Le salon était comble. Près d'une cinquantaine de personnes s'y tenaient et je me hissai sur lapointe des pieds pour chercher Alice. Je la localisai à proximité des boissons. Nos regards secroisèrentetellemefitunsigneenjouépourm'inciteràlarejoindre.

—Tiens,fit-elleenmetendantungobelet.—Jeneboispascesoir.Ellefitunemouecontritemaisn'ajoutarien.Ducoindel'œil,jevisMylindaposersamainsurla

poitrine de l'inconnu en riant tandis queBrigitteme toisait de ses drôles yeux translucides. Passercette soirée entièrement sobre s'annonçait plusdifficilequed'essayerde rentrerdansmes jeansdulycée.

—Vapourunverre.Maisunseul.Alice sourit et me tendit l'objet de mes désirs. Le liquide orange vif flairait bon la cerise. J'y

trempaimeslèvres.C'étaittoutbonnementdélicieuxetonsentaitàpeinel'alcool.D'ungestevague,jedésignailafoule.

—C'estqui,touscesgens?Ilstravaillentaublackdanslesous-soldenotreagenceimmobilièreouquoi?

Elleéclatadesonriresonore.—Non.Ilyadescollaborateurs,parexemplemadameDubuy,delamairie.Ellem'indiquaunefemmeentailleurrose.Jedusfermerlesyeuxpournepasmebriserlesrétines

tantcettecouleurétaitcriarde.—Onestaussiautoriséamenerdeuxoutroisproches,oudesamis.Tun'asinvitépersonne?

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Jesecouailatête.—Jen'aipasétéprévenuedecettepossibilité.—Oh.Jesuisdésolée.Aumoins,tulesaispourlaprochainefois.Detoutemanière,quiaurais-jepuconvier?Messeulesconnaissancesdanslecoin,c'étaientAlice,

l'homme qui m'avait ramenée en voiture et qui, à présent, se trouvait en pleine discussion avecMylinda,etYouri.

Penserà luimefitsourire.J'imaginais la têtedeBrigitteetdesoninséparablefillesi jem'étaispointéeiciavecunclochard.

Lecrid'Alicemeramenaàlaréalité.Unjeunehommedontlevisagemedisaitvaguementquelquechoseluicouvraitlesyeuxdesesmains.Unrictusamuséétiraitseslèvres.

—Cédric?—Cen'estmêmepasdrôle,àlafin.Cedernierretirasesmains,libérantlesbeauxyeuxdelajeunefillequisetournapourluisauter

aucoudansunbelélanenthousiastedontelleseuleavaitlesecret.Puis,sehissantsursespieds,ellel'embrassaàpleinebouche.

Gênée,jedétournaileregard.Serrantmonverrecontremapoitrinepouréviterdelerenverser,jefisminedepartirquandunemainfroideseposasurmonavant-bras.

—Oùcrois-tuquetuvas,jeunefille?Alicemedévisageaitd'unairdésapprobateur.—Je…euh…Jeneveuxpasvousincommoderavecmaprésence.Ellepartitdesonrireélectriqueetsecoualatêteensouriant.—Toi?Nousdéranger?Non.Ilesthorsdequestionquetupartes.Parcontre,siCédrict'embête,

ildégage.—Hey!protesta-t-il.Jen'aimêmepasencoreparlé!—Raisondepluspourque tudéguerpisses avantque tu commences lesdégâts, rétorqua-t-elle,

guillerette.Aufond,ellen'avaitpasdutoutl'airdesouhaiterlevoirs'enaller,j'enétaisconvaincue.Maissa

tentativepourmeretenirétaitvraimenttouchante.—Jereste.MaisrienquepourCédric.Alicefitunemouefaussementoutrée.Commej'éclataiderirefaceàsonexpressionsicomique,

ellemeserradanssesbras.Quej'appréciaissoncaractèreenjouéetpositif,sourcedejoiedansmonpetitmonde!EtDieusaitàquelpointj'enavaisbesoin,decettejoie.

Laconversationpartit sur cequi semblait être le sujetpréférédeCédric, à savoir le foot et les

voitures. J'ignorais que Metz avait un club dédié à ce sport et mes connaissances en voitures serésumaientàfairedémarrermonvieuxtacotlaisséàMontpellier,cequiétaitunexploitàluitoutseul.Néanmoins, je me plaisais à observer Alice, qui buvait littéralement les paroles de celui qu'elleappelaitallégrementmoncoupd'unsoir.D'ailleurs,sicederniern'étaitqu'uncoupd'unsoirpourelle,pourquoil'avait-elleinvitéàcettefêtedesplusbarbantes?Quandellesehissaànouveausursespiedspour l'embrasser entre la descriptiond'uneMercedes et uneBMW, j'obtinsma réponse.Entre eux,c'était chaud bouillant. Quand est-ce que jem'étais abandonnée dans les bras d'un homme pour ladernièrefois?Avantl'accident.OK…Peu désireuse dem'appesantir sur le sujet,mêmementalement, je vidaimon verre d'une traite.

Toutefois,j'étaisbiendécidéeànepasenprendred'autres.Unseulsuffirait.Seulement, quand je levai les yeux, je constatai amèrement que je ne pourrais jamais tenirma

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promesse.Aumilieudelapistededanseimprovisée,unejeunefilletentaitdesefrayeruncheminàbordde

sonfauteuilroulant.Moncœurfitunbondpourtomberàsixpiedssousterrequandjeréalisaicequiétaitentraindesepasser.Alice,lecœursurlamain,s'étaitprécipitéeverslajeunehandicapéepourluiportersecours.Puis,elless'étaientfaitlabise.Ellessemblaientbienseconnaître.Alors,cequejecraignais le plus arriva. Ma collègue préférée se mit à pousser son fauteuil vers nous. Bien quej'éprouvais une envie de fuir des plus intenses, cela m'était impossible. En effet, j'étais incapabled'ébaucher lemoindrepas et je restais figée commeunebichedevant les phares d'unpoids lourd.Commes'ilavaitétécoupédemoncerveau,monbrassetenditpoursaisirunesecondeboissonsansquejeluiendonnel'ordre.Jevidaiplusdelamoitiédugobeletavantqu'Aliceetsonamien'arriventjusqu'ànous,alorsqu'ellesn'avaientquedeuxoutroismètresàparcourir.C'estdireàquelpointmondémondecorpsréclamaitl'alcool!

—Lana, je teprésenteEva,manouvellecollèguequivientdeMontpellier.Eva,voiciLana,mafranginepréférée.

—Taseulefrangine,lacorrigeaLanaavecunemouefaussementoutrée,identiqueàcelled'Alice.Frangines?Ellesétaientpourtanttotalementopposéesendehorsdeleursmimiques.Lana,blonde

au look très classique,paraissait d'unnaturel calme.Bon,d'accord, ilme semblait difficiled'avoirl'aird'êtremontée sur ressortsquandon sedéplaçait en fauteuil,maisquandmême…Alice faisaitpreuved'untelentraindanschaquetâchequ'elleaccomplissaitqu'elleauraitpualimenter l'estdelaFrancedanssonensemblerienqu'avecl'énergiequ'elledéployaitenunsourire.

—Alors,pastropdifficiledesupportermasœurauquotidien?Jesursautai.ToutdanssonvisagemerappelaitAngela.Leursexpressionsétaientlesmêmes.Etce

fichufauteuil…Sentant qu'il fallait bien que je dise quelque chose, j'optais pour la suivre dans sonmême état

d'esprit,gaietdétendu,quipourtantétaitàmille lieuesde lapaniqueetdudésespoirquiétaiententraindemeronger.

—Oh,elleestunpeudifficile,maisonfinitpars'yfaire.—Situasbesoindel'amadouerpouruneraisonouuneautre,avisaLana,ilsuffitdeluijeterun

paquetdefraisestagada,çamarcheàtouslescoups.VoireunsachetdeSchtroumpfs.—Merci,j'ysongerai!—Vousêtesvraimentincroyables!s'écriaAliceentoisantsafrangine,d'unfauxairsévèrequ'elle

neparvenaitpasàsedonner.Elle fitminede lui donnerune tape sur le bras etLana sedéfendit de lamêmemanière.Leurs

éclatsderireemplisdecomplicitémetransportèrentdanslepassé,tantilsétaientsemblablesàceuxqu'Angelaetmoipartagions.Maisça,c'étaitavant.Avantquejefoutetoutenl'air.

Unegriffeinvisiblesefrayauncheminjusqu'àmoncœuretj'auraisjurél'avoirsentisaigner.Latristessequim'envahissait était si intenseque jedécidaid'envoyermapromesseaudiablepourmepenchersuruntroisièmegobelet.

J'ignoraisdepuisquandjemetrémoussaissurlapistededanse,ainsiquelenombredeverresque

j'avaisdescendus.Décidément,nombreusesétaientleschosesquejeméconnaissaisdansl'univers!—Toutcequejesais,c'estquejenesaisrien,murmurai-jeencitantSocrate.Etvoilàquelaboissonmerendaitphilosophe.—Quoi?Qu'est-cequetunesaispas?Jemetournaiendirectiondeceluiquiavaitproférécesparolesenquêtedesonidentité,uneboule

d'appréhensionauventre.Malheureusement,toutespoirs'envoladèsquejevissonvisage.Brunauxyeux de lamême couleur, sans lamoindre lueur demystère. Le genre de visage quelconque que

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j'auraisoubliédèsquejemeseraistournéedansl'autresens.Riend'exceptionnel,ensomme.Maisàquit'attendais-tu,aujuste?Àquelqu'undemagique.Àunepersonnedisposéeàm'emmenerloindecettemerde.Remarquantquejetenaisencoreungobeletàlamain,jelevidais.Voilàl'uniquechevalierservant

capabledemefairetoutoublier.Alorsquejemedemandaisquoifaireduverre,l'hommequelconquelepritdanssamainpourlejeterparterre.Ça,j'auraispulefairetouteseule.Saufquejenesuispasunsaleporc,moi!Àcetinstant,jesentisdeuxmainsseposersurmeshanches.Encore?Maisqu'est-cequ'ilsavaienttousàfaireça,danscetteville?Mapremièreintentionfutdelerejeter,maisjemereprisavantmêmed'avoirébauchélemoindre

geste.Peut-êtrem'aiderait-ilàoubliertoutlemalquej'avaisfaitdanslepassé?Décidant de suivre cette pensée jusqu'au bout, je tournai à cent quatre-vingts degrés pour me

positionnerjusteenfacedelui,puis,jelaissaismesmainss'accrocheràsanuquetandisquematêtevenait se poser sur sa poitrine. À la radio, je reconnusPride (In The NameOf Love), de U2. Çatombaitàpic,puisquej'avaisadoptécequej'appelaislapositionduslowparexcellence.

L'anonymeenprofitapourfairedescendresesmainsdemeshanchesàmesfesses.Jesupposaisquesacaresseauraitdûmefairerêver.Aucontraire:ellemedonnaitlanausée.Maisjen'étaispaslàpourvomir–cettefois,dumoins–j'étaislàpourm'éclater.Alors,jefiscequefaisaienttouteslesfilles,entoutcasdanslesfilms,etjerejetailatêteenarrièreengloussantcommeunedinde.

Jenesaispascequi traversa l'espritdu jeunehommemais,seprenantpourunesorted'EdwardCullendebasse-cour,ilsepenchaetsemitàmordillerlagorgequejeluitendais.J'imaginequecegestenormalementsensuelauraitdûmefaire fondre,maisce fut tout lecontrairequiseproduisit.Sonodeur,mélangedetabacfroidetdesueur,lafaçondontilcouvraitmoncoudebaveàlamanièred'unelimacemerévulsèrent,sibienquejemeraidis,tentantdel'éloignerd'unmouvementsec.

—Jecroyaisqu'ons'amusait!—Justement.Tucroyais.Penchantlatêtesurlecôté,ilmesaisitdeforcepourmeplaquercontrelui.Alors,toutemacolère

ressurgit en une seconde quand je levai mon poing pour le fracasser au milieu de son visagequelconque.

Saufquemongestefutarrêtéenpleinessorquandunemainvenuedenulleparts'emparademonbras.

—Vousnecasserezpasd'autresnez.—Jevousdemandepardon?Je tournai ma hargne vers celui qui, se prenant pour Dieu, osait me donner de tels

commandements.—Jevaisvous…Jem'arrêtainetquandjecomprisdequiils'agissait.L'inconnuàlaBatmobile.Sescheveuxbruns

savammentcoifféspourl'occasion,soncostumedebellefactureetsesyeuxd'unvertétincelantmelaissèrentsansvoix.Je vais vous suivre où vous voudrez, souffla ma conscience en terminant la phrase que j'avais

commencée.Monpoingtoujoursenfermédanssamain,ilpivotapourm'entraîneraveclasortie.—Elleestavecmoi,seplaignitmonharceleur.Lebeaubruntournalatêteetluilançauntelregardquel'enquiquineursecarapataetpartitensens

inversesansdemandersonreste.—Venez!J'allaisvraimentsuivresesordresaupieddelalettre?

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Vulavitesseàlaquellejeluiemboîtaislepas,jesupposaisqueoui.Letempsquejecomprennecequej'étaisentraindefaire,ilm'ouvraitlaportièredesavoiture.

—Vousmeramenez?—Àvotreavis?Jelevailementonenungestededéfi.—Lapolitesse,c'estenoption?Parcequejesuispayéeunemisèreetjen'aipastellementenvie

dedépenserl'intégralitédemonsalairepourobteniruns'ilvousplaît.Ilrouladesyeuxet,pourtouteréponse,mepritlegobeletquejetenaisdansmesmains.—Hey!protestai-je.Sivousaviezsoif,ilfallaitypenseravant.—Jen'aipassoif!Maisjetiensàmavoitureetjen'aipasenviequevousrenversiezvotrepunch

surmabanquette.—Cen'estpasmonpunch,d'abord.C'estAlicequil'afait.Etpuisdetoutesfaçons,legobeletest

vide.Jelegardaisjusteaucasoùj'auraisenviedevomir.—Devomir?Ilmeregardaavecdegrandsyeuxpaniquésetmerenditmonverre,quejepenchaisaussitôtpour

enabsorberlesdernièresgouttes.Mmmh...—Montez.—Lemotmagique?—Toutdesuite!D'accord…Pasexactementcertained'êtreen traindefairecequ'il fallait, jem'installai toutdemêmesur le

siègepassager.Lavoituredémarrasansunbruitetjefissemblantdemelaisserabsorberparlanuit,toutenjetantdespetitsregardsàceluiquimeramenaitchezmoi.Etbonsang,celaenvalaitlapeine.Il était beau comme un dieu, tout comme Youri, même si leurs beautés me paraissaientdiamétralementopposées.

—Cequevousvoyezvousplaît?Zut!Moiquicroyaisêtrediscrète…Fichualcool!Nousn'échangeâmespasunmotdetoutletrajet.Lesilenceentrenousmepesait.Jen'éprouvais

pascetteosmosequejeressentaisenprésencedeYouri.Jecommençaisàmedemandersijen'avaispasfaitlemauvaischoixquandnousarrivâmesaucentre-ville.Machinalement,jecherchaiàplongerlamaindansmonsacenquêtedemesclés,saufqu'ellesn'yétaientpas.Enfin,si,ellesyétaient.Ellesdevaient très certainement se trouverbien au chaudau fin fonddemon sac, qui lui devait reposerdanslamaisonoùlafêtebattaitsonplein,planquédansunearmoire,àcôtédeceluid'Alice.

—Euh?L'hommesetournaversmoi,uneexpressiondubitativesurlevisage.—Plaît-il?—J'ai…J'aioubliémesclés.Etmabesacetouteentière.Ilfitunmouvementbrusquepours'écarterdelarouteetarrêtalevéhicule.—Oùça?Savoixétaittoutsaufcordiale.Aussi,jeluilançaiunregardmauvais.Iln'avaitpasàmetraiterde

la sorte.Sime ramener luidéplaisait, iln'avaitqu'àme laisser sur lebas-côté. Je finiraisbienpartrouverunesolution.

—Ellessontdansl’unedespiècesdel’autremaison.—Jevousramènelà-bas.Jehochailatête.ReveniràcettefêteetmeconfronteràLana,enfauteuilroulant,c'étaitau-dessus

demesforces,mêmesijesavaiscelaridicule.Maisjen'avaispaslechoix.Dégainantmonsmartphone,jecomposailenumérod'Alice.Septsonneriess'écoulèrentavantque

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jen'obtienneuneréponse.—Allô?—Alice?Savoixsonnaitbizarredansmesoreilles.—Non,c'estLana.Masœur…hum,disonsqu'elleestabsente.—Commentça?—ElleestmontéedanslachambreavecCédric.Etmerde!—Tu…tucroisqu'ilsenontpourlongtemps?Unfrancéclatderireaccueillitmaréplique.Jerougisderrièrelecombiné.—Jevois.Cen'estpasgrave.—Jepeuxfairequelquechosepourt'aider?J'aurais pu lui proposer demonter cherchermes affaires, mais je ne la voyais clairement pas

gravirtoutescesmarches.Etpuis,celaauraitprobablementgênéAliced'êtreinterrompueenplein...acte.Mêmeparmoi.

—Non,cen'estpasgrave,çaira.Pasdésireusedutoutderetourneràlafêtepourattendrequ'Alicefinissesabesogne,jedécidaide

toutannuler.—Paslapeinedemeconduirelà-bas,maismerciquandmême.L'hommetournabrièvementlatêtepourmetoiser.—Etoùvoudriez-vousquejevousconduise,alors?Chezvotrepetit-ami?—Jen'aipasdepetit-ami.Alorspourquoiest-cequelesyeuxdeYouriprenaienttoutelaplacedansmonesprit?—Unproche,alors?Commentavoueràhautevoixquejen'avaispersonne,ici?Soudain,cetteréalitémebrisalecœur

et une larmem'échappa. Je l'essuyai du revers de lamain avant que quelqu'un la remarque enmejurantqueplusjamaisjeneboiraid'alcoolaupointdemefairepleurnicheraumoindredétail.

—Jecomptaismerendreàl'hôtel.—Jevousramènechezmoidécréta-t-ilenredémarrantlevéhicule.Desurprise,j'écarquillailesyeux.—Chezvous?Non,maisçanevapas?D'accord,j'étaisivremorte,maisjen'allaispasmelaisserfairecommeça.—Jerefuse.Jenevoussuivraipaschezvous.—Etvouscomptezfairequoi?Sauterdelavoitureenmarche?Furieuse,jeletoisai.—Nemedonnezpasd'idées,jepourraisêtretentéed'essayer.Bien entendu, il bloqua le loquet, me laissant dans l'impossibilité de mettre mes paroles à

exécution.—Jevousprometsdenepasvoustoucheràmoinsquevousnelesouhaitiez.Vousdormirezdans

l'unedemeschambresd'amis.Dansl'unedemeschambresd'amis?Maisj'allaispassermanuitoù,moi,chezCrésus?Jememordillail'intérieurdelajouepournepaslâcherlesjuronsquimetraversaientl'esprittout

enmedemandantpourquoijen'appelaispaslapolice.Mesparentsm'avaienttoujoursmiseengardeconcernant les inconnus. Ne pas leur parler, tout ça. Alors pourquoi donc me fourrais-je dans lavoituredel'und'euxpourallersagementdormirdanssamaison?Un:Parcequetuesivre.Deux:Parcequetusaiscequivasepasser.

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Trois:parcequetuenasbesoin.Jeréalisaiquenousétionsarrivéschez luiaumomentoù ilm'ouvrit laportièrepourm'aiderà

descendre.M'emparant de lamain qu'ilme tendait, je le regardai dans les yeux enm'extrayant duvéhicule. Ils n'avaient pas la magie de ceux de Youri, mais quand ils se vrillaient aux miens, ilsbrillaientd'undésirincontrôlablequitrouvaitéchodansmonbasventre.

—Venez.Jelesuivisàtraverslegarage,oùcinqousixluxueusesvoituresétaientgarées.Maisquivivaitici,

Batman?OulesGipsyKings...Maisjen'étaispasauboutdemessurprises.Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. L'étroitesse de la cabine nous rapprocha, si bien que nos

corpssetouchaientpresque.Jesentislatempératuremonterdequelquesdegrés.—Veuillezm'enexcuser,l'airconditionnéestenpanne.Quoi?Lisait-ildansmespenséesoubienmonlangagecorporelétaittropexplicite?L'ascenseur s'arrêta, me tirant demon embarras. Nous débouchâmes sur une pièce dont le sol

immaculé,enmarbre,reflétaitlalumière.D'ailleurs,ilnereflétaitpasquelalumièreetjememaudisdeporterunerobesicourte.Ilsedébarrassadeseschaussures,ainsiquedeseschaussettes,dévoilantdelongspiedsàlaformeharmonieuse.Jemepenchaipourl'imiterafindenepassalirsoncarrelagesansdéfauts,maisilm'arrêta:

—Gardezvosescarpins,jevousprie.Jehaussailesépaules.Ilavaitpeurquejepuedespiedsouquoi?Jesentaislagênes'installerentre

nous au fur et à mesure que lesminutes s’égrenaient. Serais-je considérée commemalpolie si jedemandaisàmonterdirectementdansmachambre?Malpolie,non.Hypocriteenverstoi-même,si.—Ilfaitchaud,ici.Jevouspriedevousasseoir.Je le regardai, interloquée. Ildésignauncanapéet épuiséecomme je l'étais, jeneme le fispas

répéterdeuxfois.—Jevaischercheràboire.Faitescommechezvous.Envoilàunebonneidée.Puis,ildisparutdanslecouloir.Nesachantpastropquoifaire,jedécidaid'inspecterlapiècedanslaquellej'étais.De forme ronde, elle était tout à fait originale. Les murs étaient recouverts de tableaux d'art

moderne.Certainsmonochromes,d'autresprésentaientdenombreusescouleurs,mefaisantpenseràduMiro,ajoutantunetouchedevivacitéàcesalonquejetrouvaisparailleurstropfroid.

Levant les yeux, je remarquai une sorte debalcon faisant tout le tour de la pièce, comme si cesalonn'étaitenfaitqu'unhall.Sesstatuesd'angesetdechérubinsfaisaientletourdubalcondansunstyledesplusclassiques.

Toutcecitranspiraitleluxe,medonnantl'étrangeimpressionquejemetrouvaissurlebancd'unmusée. Je pressentais que chaque objet que je regardais coûtait plus que tout ce que j'aurais puamasserentouteunevie.

Alorsquejemepromenaisd'uneœuvred'artàl'autrepourpatientertoutenmedemandantcequiprenait autant de temps à cet homme dont je ne connaissais même pas le prénom, mes yeuxs'arrêtèrentsurunesculpturequimeglaçalesang.

Ils'agissaitdedeuxfemmes.L'uned'ellesétaitassiseàmêmelesol,l'autreétaitcouchéedanssesbras.Jequittaimonfauteuilpourmieuxlesexaminer.Cellequiétaitassiseavaitlatêtetournéeversleciel, qu'elle semblait défierdesyeux.D'ailleurs, elle levait unbrasmenaçantvers le firmament, le

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poing fermé. De son autre bras, elle maintenait la tête de l'autre femme. Celle-ci, plus frêle, laconsidérait fixement.Sonvisagesi tristem'intriguaet jem'approchaiunpeuplus, lesoufflecourt.Sesjambeslongeaientlesoldansunepositionbizarre,commesimesmembresinférieursavaientétébrisés.Moncœursefigea,diffusantunedouleursoutenuedansmapoitrine.Commeunpoison,ellecoulaitdansmesveines,m'aveuglantaupassage.

Quedevais-jeentreprendrepouroubliertoutceci?Neparviendrais-jejamaisàtournerlapage?J'avaisfuiladouleur.J'avaisfuimessouvenirs.Etpourtant,ilsmerattrapaientimpitoyablementpourmebroyerdel'intérieur.Sentantleslarmesmemonterauxyeux,jepivotaisurmoi-mêmeenquêted'unesortieparlaquellem'échapperetjetombainezànezavecmonhôte.

—Vouscherchiezquelquechose?Vous.Jenerépondispas,aulieudequoijetendislebraspourm'emparerd'unecoupedechampagne.Le

liquidesucrédescenditdansmagorge,lavantmespeines,medonnantlaforcederavalermeslarmesjusteavantqu'ellesnesedéversentsurmesjouessèches.

—Vousavezfaim?Jehochailatête.Ilmetenditsamainetjel'acceptai,melaissantconduirejusqu'aucanapérouge

devant lequel il avait déposé une petite table sur roulettes. Jetant un coup d'œil au plateau, jem'emparaid'unefraise,laplusrouge,laplusgrosse.Jelacroquaiavecgourmandise,medélectantdumélangedesonparfumfruitéaveccelui,toutaussisucré,duchampagne.

Bien sûr, comme je ne pouvais rien faire proprement, une goutte de jus s'échappa de lacommissuredemeslèvres.Maisalorsquej'allaispassermalanguedessuspourl'essuyer,jem'arrêtainetdevantleregardardentdel'homme.Plutôtquedereculer,plutôtquedefairemarchearrière,jemaintins son regard en essayant d'ymettre tout le désir que je ressentais – etmême plus, soyonshonnêtes – . Sa bouche se tordit en un sourire en coin juste avant de s'écraser sur lamienne avecforce. Ses lèvres étaient chaudes et sentaient le champagne. Sa langue douce se promena surmeslèvres, léchant le surplus de jus. Totalement subjuguée, je poussai un soupir d'aise et écartai lesmiennes pour lui laisser le loisir d'explorerma bouche. Ce qu'il fit sans attendre.Nos langues semirentàdanser.Surlecanapé,noscorpsserapprochèrent.Puis,jemisfinaucontactsanscriergare.

—Pasici,murmurai-je.Sijevoulaism'abandonneràlui,jenevoulaistoutdemêmepaslefaireaumilieudetoutesces

statuesquinousregardaient.Surtoutcelledesdeuxfemmes.Jereprisunecoupedechampagnepourfairedisparaîtreleurimage.

—Commeilvousplaira.Ilyeutunmomentdegênependantlequeljebaissaislatête.Déterminéeànepasenresterlà,je

vidaimonverre.L'alcoolbrûlamagorge,enflammantmoncorpsetmonespritaupassage.Jemelevai,acceptailamainquel'onmetendaitetpassaimesbrasautourducoudel'hommequimefaisaitface.Levantlementonpourmieuxleconsidérer,lefeuincandescentdesesyeuxmelaissasansvoix.L'incendiesepropageadanstoutmonêtrequandilm'attirabrusquementàlui.Sesmainsglissèrentlelongdemoncorpspours'accrocheràmeshancheset,sansquejem'yattende,ilmesouleva.

Poussantunpetitcridesurprise,j'encerclaisatailledemesjambesetmecollaiàluipournepastomber.C'estalorsquejeconstataisonérectioncontremapetiteculotte.Immédiatement,jemesentisfrémir.Noslèvresserejoignirentetjeresserraimonétreinteautourdesonsexe.Ilgrognadeplaisiretl'excitationmehérissalapeau.J'étaisàpeuprèssûrequ'ilpouvaitsentirmafenteàtraverslefintissuquinousséparait.

Sanscriergare,ilmelâcha.Jetombaidirectementsurlelit–heureusementpourlui,d'ailleurs-.Sansmequitterdesyeux,ilôtasaveste,qu'ilpritsoindeplierpourladéposersurledossierd'unechaise.Quandilportalesmainsauboutonleplushautdesachemise,jepoussaiungrognementde

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protestation.Àgenoux,jem'avançaiversluietlevailesbraspourdéfaireleboutonrécalcitrant,puis,jemehissaipourembrasserleboutdepeauquejevenaisdedécouvrir.Elleétaitdouceetsentaitleparfum. L'odeur d'agrumes que dégageait Youri me revint en mémoire. Pour la chasser de monesprit, je reproduisis l'opération, caressant le torseparfaitementmuscléque jedévoilais lentement.Celafonctionna,maisbizarrement,jen'étaisplusaussiemballéequ'avant.

L'hommemepoussa en arrière et jeme laissai faire en fermant les yeux, pleine d'expectatives.J'attendaisquelecourantm'emporteloind'ici.J'enavaisviscéralementbesoinetc'étaitlemoyenquemonivresseavaittrouvépourparveniràsesfins.

Je sursautai quand ses lèvres embrassèrent mon cou, traçant un chemin délicat le long de magorge.Jefrémisquandellesdescendirentversmapoitrine.Ilfitglisserlabretelledemarobe,ainsiquecelledemonsoutien-gorgeet,d'uneboucheexperte, semità suçotermon téton.Lesentant sedurcir,j'agrippailecouvre-lit,melaissantallerauxsensationsgrisantesqu'ilprovoquaitenmoi.Deplaisir,mondoss'arquaetjedusmemordreleslèvrespournepascrierlenomdeYouri.

Pour ne plusme trahir, jeme forçai à ouvrir les yeux.Mes doigts allèrent s'enrouler dans lescheveuxdemonamantetjeletiraiversmonvisage.Nosbouchessetouchèrentànouveau,tandisqueses mains trituraient toujours mes seins de la façon la plus délicieuse qu'il m'eut été donné deconnaître.

Avide,jecherchaisabraguette.JetiraisurleboutonetouvrislafermetureÉclairpourdécouvriruncaleçonensoie.Mesdoigtsseglissèrentsouslevêtementpourserefermersursonmembreduretchaudquipalpitadansmamain.

—Attendez…,protesta-t-ilenm'enlevantlamain.Attendez ? Sérieusement ? C'était aussi cruel que d'enlever une glace à un enfant en pleine

canicule!—Pasavantquejenevousaiedonnécequevousméritez.Cequejeméritais?Pouruneraisonquej'ignorais,sonvouvoiementmefit rougiret jehochai

docilementlatête,cequifitapparaîtresursonvisageunsouriredesatisfaction.Gardantsesyeuxrivésauxmiens,ils'abaissapourdéposerunbaisersurl'intérieurdemacuisse.

Mapeauréagitensehérissantetenaugmentantsatempératuredequelquesdegrés.Puis,ilembrassamaculotteetlà,jeprisfeu.Avecunsourireamusé,ilcaressamafenteàtraverslevêtement.Jeretinsmonsoufflequandillefitglisserlelongdemesjambespourleplierenbouleetlecacherdanssapoche.

Puis,sansmequitterdesyeux,ilintroduisitunpremierdoigtdansmonintimité.—Vousêtesdéjàtellementtrempéepourmoi…Danssavoixperçaitledésir,àn'enpointdouter.Undésirégalaumien.Quand un autre doigt atteignit le point le plus sensible de mon anatomie, je poussai un

gémissement.—Est-cequevousaimezcequejevousfais,Eva?Jehochailatête,simplement.—Dites-le.—Quoi?—Ditesquevousaimezcequejevousfais.—J'aimecequevousmefaites.Là-dessus, il semit à tracerdescercles surmonclitoris et je sentisune sortedepincementme

parcourirdelatêteauxpieds.—You…Heureusement,jem'interrompisavantdecrierlenomd'unautre.Maisqu'est-cequimeprenait?Il se pencha sur moi, laissant sa langue suçoter le bout de mes seins tandis que ses doigts

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continuaientdejoueravecmonintimitédeplusenplusvite.Jem'arc-boutaissurlelit,sentantmonterdans mon ventre une tension des plus délicieuses. Soudain, je me mis à trembler, explosantbrutalementcontresamain.

À travers un épais brouillard, je le vis porter ses doigts à sa bouche, goûtant goulûment àl'évidencedemonplaisir.

CHAPITRE8

Lorsquejemeréveillais,toutétaitplongédanslenoir.Épuisée,jetentaisdemerendormir,sanssuccès. Parvenir à trouver le sommeil avec l'envie deme rendre aux toilettes quime tenaillait leventretenaitdel'exploitleplusaccompli,voiredelamissionimpossible.

Grommelant un juron, je tendis mon bras vers l'endroit où, logiquement, aurait dû se trouverl'interrupteur.Mais,commerienn'était jamaisfacileaumerveilleuxpaysd'Eva, jepercutaiquelquechoseaupassage.Lachoseallas'écraserplusloincomptetenudelaforcephénoménalequej'avaismise dansmon geste.Un bruit de verre briséme confirma que j'avais réussimon coup, façon deparlerbienironiquesoitditenpassant.Jefermailesyeux,pensantnaïvementquecelaferaitpartirlemaldecrâneexacerbéparlefracasdutrucqui,àprésent,gisaitvraisemblablementparterre.Maisoùétaitdoncpassécefichuinterrupteuràlanoix?Lassée,jepassaimamainsurlemuretfinispardégotterunecordelettesurlaquellejetiraiàtout

hasard.Vul'étatdanslequeljemetrouvais,celaauraitputoutaussibienêtreunechassed'eau!Heureusementpourmoi,lalumièrefut.Parcontre,impossibled'identifierl'endroit:desmeubles

enmerisier,un sol enmarbre,un lit àbaldaquin…Riende tout celanecorrespondait àmonchezmoi,celaétaitcertain.

J'essayaidepasserlasoiréeenmémoireafindedéterminerl'endroitoùjemetrouvais.Rienquedetenterderéfléchirenmettantmoncerveauenroutemeprovoquaunedouleuraiguëdanslecrâne.C'étaitplutôtmalparti.

Simessouvenirsétaient justes, j'avaiscommencémasoiréeparmerendrechezAlice,chezquinousavionschargélecoffredesuffisammentdeboissonsalcooliséespourfaireexploserlaMaisonBlancheàcoupsdecocktailsmolotov.Promis,jeneboiraiplusjamais.Ensuite,nousétionsarrivéesdans lamaisonde locationafinde toutpréparerpour la soiréede

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l'agenceetc'étaitvraisemblablementlàquejemetrouvais.Jemesouvenaisavoirpassablementforcésurlaboisson.Monatrocegueuledeboisleconfirmait.Seulement,lemobilierluxueuxnecollaitpaslemoinsdumondeavecleslieuxdelafête.Alorsquelà-bas,c'étaitambianceIkeaavecsesmeublesen kit parfois même pas montés, ici, c'était ambiance château de Disney et je m'attendais à toutmoment à voir débouler sous la porte une ribambelle de souris m'apportant le petit-déjeuner enchantantd'unevoixsuraiguë.Rienquedelesimaginer,matêteallaitexploserfaçonKingsman.

Puis,enparlantdeDisney,jemesouvinsenfinduPrinceCharmantquiavaitcrubondemetirerdesgriffesduvilaindanseurunpeutropentreprenant.Jemerappelaisl'avoirsuiviplusoumoinsdeforcedanssavoiture.Plutôtmoins,d'ailleurs.Ensuite,parjenesaisquelmiracle,jem'étaisretrouvéechezlui.

Est-cequenousnousétionsenvoyésenl'air?DansunDisney,celaneseraitjamaisarrivé.Craintiveetsansmelaisserletempsderéfléchir,jebaissailesyeuxsurmoncorps,levailedrap,puispoussaiuncri.Bonsangdebonsoir,j'étaiscomplètementàpoil!Relax,pensai-je,ilt'apeut-êtreramenéechezlui,tuesmontéedanstachambredirectementetsans

fairedebêtiseset,ensuite,tut'esdéshabilléeparcequetun'avaispasdepyjamapourdormiretqu'enplus,ilfaitunechaleuràcrever.C'étaitcrédible,ça.Pourmerassurer,jecherchaismesvêtementsdesyeux.Marobereposaitsoigneusementdisposée

suruncintre,accrochéeàlapoignéedel'armoire.Non.Définitivement,c'étaitl'œuvredequelqu'und'autre.Moi, je l'aurais tout simplement jetée par terre, roulée en boule.L'œuvre deSatan. Pas duPrinceCharmant.

Quantàmaculotte,elleétaitauxabonnésabsents.Je gardais la tête posée sur les genoux pendant quelques instants, le temps de reprendre mes

esprits.J'enavaisfait,desboulettes,dansmavie,maiscelle-ciétaitparticulièrement…bizarre.Pourlaénièmefois,jemejuraisdeneplusjamaisboire.Avais-jeseulementcouchéaveclui?Çanedevaitpasêtremémorable,lâchamaconscience,situnet'ensouviensmêmepas...J'étaismortedehonte.Vraiment.Jefouillaisdansl'innommablebazarquimeservaitdecerveauenquêted'indices.Jemerappelais

êtrevenueiciaveclui,puisl'avoirattendusurunfauteuilentouréd'angesaumilieud'unepièceronde.Là,jedevaiscarrémentplaner.Ensuite,j'avaisbuencoreunpeuplusàcaused'unestatuequim'avaitrappeléAngelaetilétaitrevenu.Ons'étaitembrassés,ilm'avaitcaressée,j'avaisfaillicrierlenomd'unautre.Aprèsça,c'étaitletrounoir.Impossibledemerappelerdequoiquecesoit.

Meforçantàadopterl'optimisme,jemedisquelessouvenirsallaientfinirparaffluer.Timidement,jemelevaipourparcourirtoutenuelesquelquesmètresmeséparantdemarobe.Et

s'ilavaitfaitunpetitorificedansuneportepourm'observer?Nesoyonspasringardes,cemecétaitpleinauxas,ilpouvaitsepayermieuxqu'unvulgairetroudeserrure!Parcontre,ilauraittrèsbienpudissimulerunecaméraquelquepartpouressayerdemefairechanteraveccetenregistrement.Safortunerésidaitpeut-êtredanscegenredepratiques…Comptetenulasituationdetoncompteenbanque,iln'irapasloin.Jerisjauneenenfilantmarobe,dontletissusoyeuxcaressaitmapeau.J'allaisdevoirlarendreà

Alice.Alice!Avait-elleremarquéavecquij'étaispartie?J'espéraisquenon,souhaitantdetoutesmesforcesqu'elleétaitdéjàdanslachambreavecCédricaumomentdesfaits.Là,toutdesuite,jen'avaisaucuneenviedemerépandreenexplicationsavecelle.Toutcequejevoulais,c'étaitmeterrerdansuncoinpourmefaireoublieraumoinsjusqu'auprochainmillénaire,etpeut-êtreplusencore.

Merappelantquejen'avaispasprismonsac,jememaudis.Commentallais-jerentrerchezmoi?

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Je n'avais même pas de quoi prendre le bus pour me rendre à l'endroit où je l'avais oublié !Néanmoins, je refusais demêler l'homme à ça. Voilà ce qu'était devenuma vie. Je ne connaissaismêmepasleprénomdeceluiavecquij'avaistrèscertainementcouché.

SiAngelasavait…J'enfilai mes escarpins et me forçai à ouvrir la porte. Je n'avais aucune envie de quitter cette

chambre coquette dans laquelle jeme sentais protégée,mais il allait bien falloir que j'affronte lemondeextérieur,alorsautantnepasperdredetempsetyallerdesuite.

Moncœurbattaitàtoutrompre,tantjecraignaisderencontrermonamantd'unsoir,maisj'étaisrésolueàallerdel'avant.Jepriaispournepaslecroiser,maisvuleboucanquefaisaientmestalonssur le parquet poli, je n'avais que peu de chances de l'éviter. Pour cela, et pour la douleur qui serépercutaitdansmoncrâneàchaquefoisquemespiedsmartelaientlesol,j'enlevaimeschaussures,lesgardantnégligemmentàunemain.

Lecouloirque je longeaisétaitparseméd'unemultitudede toileset jedevaismefaireviolencepournepasm'arrêterafindelesexaminer,féruedepeinturequej'étais.Dessculptures,dontcertainesreprésentaient des femmes nues aux formes plus oumoins harmonieuses, décoraient les lieux. JereconnusuneimitationdelaVénusdeMiloplutôtréussie.

Je continuai d'avancer, dénombrant une multitude de portes fermées. Combien y avait-il dechambresdanscettemaison?Vulesilencequim'entourait,jesupposaisqu'ellesétaientvidespourlaplupart. À quoi bon les posséder, si c'était pour les laisser inhabitées ?Mes pensées s'orientèrentinvolontairementversYouri,quin'avaitmêmepasuntoitsursatête.Ilneteresteplusqu'àl'éviter,murmuralavoixhautperchéedemamèredansmatête.Ilfaudrait

vraimentêtrebêtepournepasprofiterdecequit'estoffert iciengâchanttachanceavecunmoinsquerien.

D'une,j'étaisbête,carjen'avaisenviedeprofiternidel'unnidel'autre,maisderentrerchezmoi,etdedeux,j'étaisfolle,carquid'autreentendaitdesvoixdanssonesprit?Unoudeuxverresd'alcool–bond'accord,pasmaldeverresd'alcool–etj'étaisbonnepourl'asile.Leseffetsdelafichuegueuledebois…

J'empruntai les escaliersmenant au rez-de-chaussée. La balustrade semblait si douce que je nepouvais m'empêcher de la toucher du bout des doigts. Tout ici transpirait le luxe. Où m'étais-jefourrée?

Unefoisenbas,jemerendiscomptequej'étaisbienincapabledetrouverlasortie,avectoutescesportesdanstouslessens.J'avaisunpeul'impressiond'êtreAliceauPaysdesMerveilles,saufqu'iln'yavaitpasdelapinblancpourguidermespas.Non.Jen'étaispasdansAliceauxPaysdesMerveilles,j'étaisdansMatrix.J'allaisouvrirlesyeuxetl'agentSmithseraitlàpourmebotterlesfesses.

Unevivecouleurjauneattiramonattention.Ils'agissaitd'unpost-it.Jem'approchaipourlelire.Ouvrecetteporte.—C'estpastroptôt,petitlapinblanc,marmonnai-jeenm'exécutant.Je tombais sur une cuisine toute enmarbre. S'il entendait par là qu'il s'attendait à ce que je lui

prépareuncopieuxpetit-déjeunerenguisederemerciementpouruncoupdont jenemesouvenaismêmepas,ilpouvaitallersefairevoir.

Mais jeme trompais.Aumilieu de cette immense pièce dans laquelle on aurait pumettremonappartementtoutentier,ilyavaitunetableenbois.Surcemeubleenacajouétaientposésmonsacàmain,uneséried'alimentsvariésetuneenveloppe.

Jemeprécipitaisurmabesacepourenvérifierlecontenu.Toutyétait.Maisquefaisait-ellelà,aujuste?Siçasetrouve,jel'avaisavecmoidanslavoiture,maisj'étaistellementivrequejen'avaispasété fichuede la voir. Pire encore,Alice avait peut-être reconnu celui avecqui j'étais partie et étaitvenuemerapporterelle-mêmemesaffaires.Lahonte!

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Montéléphonevibra.C'étaitelle.Ellesavait,j'enétaiscertaine.Jelafisbasculersurlamessagerie,puis,prisederemords,luienvoyaiuntextopourlarassurer,aprèsquoij'éteignisl'appareil.

Désireused'ensavoirplus,jesaisisl'enveloppeetladéchiraidemesdoigtsincertains.J'enretiraiune feuille constituée d'un papier épais qui devait coûter un œil de la tête. L'écriture était droite,précise.

Eva,Excusez-moipourcematin.Jen'aipaspurester,desaffairesmeretenaientet,prévuesdelongue

date,j'étaisdansl'impossibilitédelespostposer.Bienàvous,J.P.S. Prenez un petit-déjeuner. Je vous ai disposé plusieurs mets sur la table. Si vous souhaitez

encoreautre chose, vouspouvez faireappelàValérie,macuisinière.Encongéaujourd'hui, elle esttoutdemêmejoignableaunuméroenbasdepageetrésidedansmademeure.Elleseferaunplaisirdevousseplieràtousvosdésirs.Monchauffeurvousramèneraensuitechezvous.P.S.2.Prenezunpetit-déjeuner!Poussantungrognement,jeroulailalettreenboule.Jem'apprêtaisàlajeteràlapoubellemais,

meravisant,jel'enfouisdansmapoche.Non,maispourquiseprenait-ilpourmedonnerdetelsordres?Prenezunpetit-déjeuner.Comme

sij'avaisétésafille!Unefillequ'ilvouvoierait.Rienquepourcela,jedécidaisurlechampdesautermonrepas!Franchement,faireappelàunecuisinièreenrepospourmefairechauffermonlait?Etpuis quoi encore ? Le repos hebdomadaire, ça lui disait quelque chose, à lui ? Quant à me faireramener par un chauffeur qui m'était totalement étranger... La dernière fois que je m'étais faitreconduireparunpresque inconnu, j'avais finidansson lit.Oudumoins,c'étaitceque jepensais,étantdonnéquejenem'ensouvenaismêmepas.Alorspourlecoup,j'allaisrentrerenbus,commeunegrande.Dèsque j'aurais localiséunarrêt,puisque jen'avais aucune idéede l'endroitoù jemetrouvais.EtpuissignerJ…Sérieusement?C'étaitquoicesuspenseàdeuxballes?IlseprenaitpourTomCruiseouquoi?

Mes traîtres d'yeux s'abaissèrent sur la table et découvrirent le contenu du petit-déjeuner quireposaitdessus.Commejevoulaisl'ignorer,monfélond'estomaccriasibruyammentsonoppositionquejenepusquel'écouter.

Trois verres de jus d'orange pressé, deux cafés, trois tartines de gelée de framboise, deuxcroissants au chocolat, un donut aumême parfum et un yaourt à la vanille avec zéro pourcent dematièregrasse–c'étaitimportantdelenoteraprèstoutcequej'avaisenglouti–plustard,jemelevaienfindetable.

J'avaisnaïvementcruquedévorertouscesmetsauraitterrassémagueuledebois.Iln'enétaitriendu tout, sauf quemaintenant, en plus, je peinais à avancer tantmon ventre était lourd. Entremonestomacremplià ras-bordetmatêtequi risquaitd'exploserd'uneminuteà l'autre, jen'étaispasaumieuxdemaforme.Parconséquent,déambulerd'unepièceàl'autrenem'amusapas,maisalorspasdutout.

Finalement,auhasardd'unesalleplanquéemilieudenullepart,jefinispartombersurunhommeauxcheveuxblancsquimetournaitledos.Parce qu'en plus de faire galerie d'art, cette demeure comme l'appelait si peu modestement

monsieurJ,donnaitaussidansmaisonderetraite?C'étaitquoi,laprochainechambre?Unélevagederequinsouuncentred'introductiond'alpagas?

Alors que j'allais rebrousser chemin, le petit vieux se retourna. Je restais bouche-bée à me

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demander si jedevais luidemanderunautographe tant il ressemblait àMichaelCainedans le rôled'AlfredPennyworth,lemajordomedeBatman.

—VousêtesEva,c'estbiença?—Jesupposequeoui.Jesupposequeoui?Jemeseraisgifléesicelanem'avaitpasfaitpasserpouruneschizophrènede

premierordre.—Jem'appelleÉdouard.Avez-vousbiendormi?Jerougiscommeunecollégienne.Quesous-entendait-ilparlà?M'avait-ilentenduecrier?Sic'est le cas, tudevraisenprofiterpour luidemanderde te racontercequi s'estpassé lanuit

dernière,ilensaitprobablementplusquetoi.—Euh,oui,jevousremercie.Seigneur,toutcelaétaithautementgênant!—Monsieurm'apriédevousramenerchezvous.Monsieur?J'attendispatiemmentqu'ildaignedéclinerl'identitéduditmonsieur.Cequ'ilnefitpas.

Visiblement,Javaitpourhabitudedeséduiredesjeunesfilles,lesnourrirjusqu'àplusfaim,puisleslaissererrerdanssonespècedechâteausansleurdonnersonnom.C'étaitquoi,sonsecret?Ilcachaitunesortedemonstredanslacavequis'alimentaitexclusivementdefillesdansmoncas?

Lemajordome/chauffeur/complicedemeurtre–rayezlesmentionsinutiles–haussalessourcils,s'attendant de toute évidence à ce que je réponde sans que toutefois sa politesse ne l'autorise à serépéterunesecondefois.

—Jevaisrentrertouteseule,Édouard.Maisjevousremerciedevotreobligeance.—Monsieurinsiste.—Jevoisça.Jebalançaimonpoidsd'unpiedàl'autreenattendantqu'ildisequelquechose.Cequ'ilnefitpas.—SivousavezpeurdeMonsieur,nevousen faitespas.Si je le recroise, je luidiraiquevous

m'avezramenéeàlamaisonetvousnerisquerezpasdeperdrevotreplace.Illâchapetitrirepolideriendutout,sibienquejemedemandaissij'avaisbienentendu.—Allez,iln'ensaurarien.—OnvoitquevousneconnaissezpasMonsieur.Jememordillai les lèvres,morte de honte. Qu'entendait-il par là ? Que j'étais une traînée qui

couchaitavecn'importequi?Parcequecen'étaitpascequej'étais,n'est-cepas?Pour le coup, je faisais un peu moins la fière. Je remis nerveusement une mèche de cheveux

derrièremonoreille.—Êtes-vouscertainquecelanevousdérangepasdem'yconduire?Ilparutunpeusurprisparmaquestion.J'enconclusqu'iln'avaitpaspourhabituded'êtreinterrogé

sursespropresenvies.—Biensûrquenon,mademoiselleEva.Etcroyez-moi,celamedérangeraitbienplussiMonsieur

découvraitquejenevousaipasconduitechezvous,ous'ilvoustrouvaitencoreiciquandilrentrera.Sa répliqueme fit l'effet d'un coup de pied dans l'estomac. Il dut le remarquer, car son regard

s'adoucit.Pourquoi J tenait-il tant à ceque jedisparaissede sademeure ?Cen'était pas commesij'allaisluivolersacollectiondestylosoucommesij'allaisrepartiravecsastatuepréféréedanslesacàmain!Cerichemaniaquemetapaitsurlesnerfsautantqu'ilm'intriguait.

—Puis-jevousposerunequestion,Édouard?—Bienentendu,répliqua-t-ilavecl'expressiondeceluiquisedisait:dumomentquejenesuispas

obligéd'yrépondre…—PourquoiJa-t-ilbesoind'unchauffeuralorsquejelecroisetoutletempsauvolant?

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Je constatai avec soulagement qu’Édouard riait. J'avais craint qu'il ne se vexe du fait que jeremettaisencausesontravail.

— Monsieur accorde une extrême importance aux apparences. Disposer d'un conducteurpersonnel lui confère une excellente image auprès de la société.Mais les belles berlines étant sapassion,ilnesegênepaspourprendrelevolantdèsquesonemploidutempsfortementchargéleluipermet.

—Jevois.Unrichardpéteux,ensomme.—Allons-y,décrétai-je.J'ouvris laportièreducôtépassagerenvuedem'asseoirenmême tempsqu'Édouards'attelaità

déverrouillercellederrièremoi.Jem'assisàmaplaceetattendis,pensantsimplementqu'ilvoulaityintroduire des valises ou quelque chose de ce genre.Quand enfin, je compris qu'il espérait que jem'installesurlabanquettearrière,jem'extirpaidemonsiègeenmarmonnant.J'auraisjurél'avoirvuessayer de cacher un sourire. Pour sûr, les passagères qu'il ramenait habituellement étaientprobablementdansungenrebiendifférentdumien.

J'ignorais s'il s'agissait des vitres teintées ou sima vue devenait tout simplement défaillante enraisondecettefichuegueuledebois,maisj'avaisnettementl'impressionquelafaibleluminositéétaitcelled'uncoucherdesoleil.

Pourenavoirlecœurnet,jeregardaimamontreetconstataiavechorreurqu'ilétaitvingtheurespassées.Maiscombiendetempsavais-jedormi?Jemesentaissiépuiséequejedevaislutterpournepasm'assoupirpendantletrajet.Quem'avait-ilfait,aujuste?Non.Jepréféraisnepaslesavoir.

Arrivés à proximité du centre-ville, je demandai à descendre. Je ne voulais pasme donner enspectacleenarpentantmonquartierenvoituredeluxe.Ouplutôt,jenevoulaispasqueYourimevoiequitterpareilengin.Quepenserait-ildemoi?

—Vousallezdroitdansunezonepiétonne,prévins-jeÉdouard.Dans le rétro, je le vis m'adresser un regard dans lequel perçait une nuance d'amusement si

discrètequejedoutaisdel'avoirréellementaperçue.—JeconnaistrèsbienMetz.Biensûr.—Danscecas,vousêtesaucourantquevousrisquezderayerlecarrossedeMonsieurdansces

ruellesétroites.Cettefois,ilsouritfranchement.— N'ayez crainte, je suis bon conducteur. Puis, vous savez, mademoiselle, Monsieur serait

fortement mécontent s'il apprenait que je vous ai déposée à plus d'un mètre de l'entrée de votreimmeuble.

Derage,jememordisl'intérieurdelajoue.Maispourquiseprenait-il,ceJ?Quandenfin,laberlinearrêtasacoursetoutjustedevantmaporte,jenepusm'empêcherdejeter

unregardnerveuxvers l'endroitoùYourivivaithabituellement. Ilétaitvide.Moncœurseserradecrainte l'espace d'une seconde. S'il disparaissait, comment le retrouverais-je ? Néanmoins, jeressentaiségalementunesortedesoulagementàl'idéedenepasêtreaperçuedeluidanscettevoiture.

Jesecouailatêtepourrassemblermesidéesetmedonnerducourageetposaienfinunpiedsurletrottoir.Aprèsavoirpriscongéd'Édouard,jerentraichezmoi.

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CHAPITRE9

Quandjepoussailaportedel'agenceimmobilière,jetombainezànezavecBrigitte.N'étantpasd'humeuràentamerunejouteverbaleaveclezombiehargneux,jelaissaimesépauless'affaisserenattendantlapluied'injuresquin'allaitpasmanquerdes'abattresurmoi.

—BonjourEva,avez-vouspasséunagréableweek-end?Interloquée, je regardai par-dessus mon épaule pour savoir si elle s'adressait bien à moi et

constataiavecétonnementquenousétionsseulesdanslapièce.Sontonétaitpresqueaimable,même.Peut-êtreavait-elleprisl'étrangehabitudedeparlerauxplantes.Uneplantequ'elleappelleraitEva?—Je…j'aipasséuntrèsbonweek-end,mentis-jeeffrontément.Et…etvous?Celamefaisaitvraimentbizarredem'adresseràelledecettemanière,unpeucommesijem'étais

miseàdiscuteravecundragondukomodo.—Trèsbon,merci.Etlà,l'impensableseproduit.Lemort-vivantm'adressaunsourirefigésieffrayantqueseulema

bonneéducationm'empêchadem'enfuiràtoutesjambes.Ilfallaitvraimentquejemetiredelà.—Hum…J'ai…j'aiduboulot.Ellehochasacabocheetretournaderrièresonbureau.—Jevoussouhaiteunebonnejournée,Eva.—Euh…pareillement.Jesecouailatêteenm'enfonçantdanslecouloir.Qu'est-cequ'illuiprenait,àcelle-là?Quelqu'un

luiavait-iloffertuncoffretcadeaupouruneformationaccéléréedesbonnesmanières?—Brigitteesttombéesurlatêteoubienc'estunebonneféequiluiajetéunsort?demandai-jeen

ouvrantlaportedemonbureau.Alicemeregardasanscomprendre.—Elleestgentille!précisai-je.—Vraiment?J'opinaidubonnet, jetaimesaffaires surmonbureau, aprèsquoi jeme laissai tomber surmon

fauteuil.—Jen'enreviensvraimentpas.—Moinonplus.Monsmartphonevibra. Je fouillaidansmonsacpour l'attraper.Ducoinde l'œil, jevis lamine

d'Aliceserembrunir.—Ah,ilestlà,tonappareil.

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—Pardon?—Jet'aiappeléetoutleweek-end,seplaignit-elle.Jepensaisqu'ilt'étaitarrivéquelquechose.Ilm'estbeletbienarrivéquelquechose,maisjenesaispasencoresic'estbonoumauvais.—Jesuisdésolée,Alice.J'hésitaisàrajouteruneexcusebidon,dugenrejen'avaisplusdebatterie,puisdécidaiquecette

filleméritaitmieuxqu'unvieuxmensongepourri.—J'avaisbesoindemecouperunpeudumonde,déclarai-jed'unevoixtimide.Sonexpressionseradoucitquelquepeu.—Jecomprends,Eva.Maislaprochainefois,essaiedemeprévenird'abord,çamarche?—D'accord.Jesuisdésolée.—Nelesoispas.J'étais tellement gênée que j'aurais aimé creuser un petit trou là, juste en pleinmilieu de notre

bureau,pourm'yplanquerentouteimpunité.J'allumai mon poste de travail, gardant les yeux fixés sur mon écran dans l'espoir qu'Alice

m'oublierait.Commejesentaissonregardpesersurmesépaules,jemedisquecen'étaitpasgagné.—Alors,commentc'était,tonweek-end?Hum…commentdire…Jel'observaispar-dessusmonécranententantd'affichermonsourireleplusdétaché.—Oh, très bien. C'était très calme. J'ai lu, dormi, lu, dormi…Tu veux que je te parle dema

dernièrelecture?Ellefitsapetitemoueespiègle.Sihabituellement,j'adoraiscettemimique,jedevaisavouerquece

coup-ci,j'auraispréféréqu'ellehochelatêteengobantmesbalivernes.—Jevois.Riend'autreàajouter?Jememordillaileslèvres,indécise.D'uncôté,jen'avaisjamaisétédugenreàlivreraisémentdes

détailssurmaviepersonnelle.Bon,celan'étaitpastoutàfaitvrai.Jelesavaistoujourslivrés,oui,maisuniquementàAngelaetàpersonned'autre.Or,depuisquemacousineetmoiétionsenfroid,ouplutôt,depuisquejel'avaisdétruiteengâchantsavie,j'enfouissaistoutesmesémotions.Pourtant,cesdernièresétaientsivivesetsinombreusesqu'ellesrisquaientdem'exploserauvisageàtoutmoment.Si jevoulais réapprendreàvivre, jedevaism'ouvrirpetit àpetit.Alice, cepetitboutde femmenedépassantpasunmètrecinquanten'étaitpassieffrayantequeça,si?

—J'avaisbupasmal.—Oui,çajesais.—Bref,jesuisalléedanseretauboutd'unmoment,unmecestdevenuunpeutropentreprenant.—Ohnon.Tuluiasencorecassélagueule?—Non!m'insurgeai-je.Quevas-tuinventer?Pasdutout.Jen'aipaspulefaireparcequeleclient

àquij'avaiscassélenezenpremier,ici,danscetteagence,m'aempêchéedelefaire.Ellerestasilencieuseuninstant, le tempsd'assimiler toutesles informationsquejevenaisdelui

donner.—OK…etqu'est-cequ'ilfaisaitlà,lui?—Jenesaispas.JepensequeBrigitteouMylindaontdûl'inviter.Jel'aivudiscuteravecelles.Elleacquiesça,unemouedubitativesurleslèvres.—Etensuite?—Ilatenuàmeramenerchezmoi.—Encore?—Oui.Maisjemesuisaperçuequejen'avaispasmesclés,alorsilm'aconduitechezlui.—Quoi?!Tuesfolle?!Je lui fis signedeparlermoins fort,peudésireuseque l'agence touteentière soitaucourantde

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mesdétailsintimes.J'entendisdubruitdanslecouloir.Lespass'arrêtèrent.Uneporteseferma.Alicepoursuivit.

—Tunepeuxpasallerchezdesinconnuscommeça,enfin!J'omisdeluirappelerqu'ellemontaitbiendanslachambreavecCédricquandçaluichantait,sans

qu'ilsseconnaissentsibienqueça.—Ilm'avaitpromisquejeregagneraismachambretoutdesuite.—Etc'estcequis'estpassé,jesuppose.L'ironiedanssontonmefitsourire.—Pasexactement.—Oh!— Il est parti chercher à boire. J'étais un peu perdue à cause de l'alcool. Nous nous sommes

embrasséspuisilm'a…enfin…Jemesentisrougir.Bonsang,quec'étaitgênant!Aliceaffichaunrictuscompréhensif.—Jenemesouviensmêmepasjusqu'oùnoussommesallés.—Aïe.—Mais tu aurais dû voir samaison !C'est… on dirait un palais ! Figure-toi qu'il amême un

chauffeur.Jeluidécristoutcequej'avaisvu,toutcequej'avaisvécu.—Ehbien, je ne sais pas trop quoi te dire.Ça ressemble à un conte de fées,mais cela fait un

momentquej'aiarrêtédecroireauPrinceCharmant.Comments'appelle-t-il,déjà?Jememordis l'intérieur des joues, consciente que j'allais passer pour une parfaite idiote si je

disaislavérité.—J,bredouillai-je.—T'yasquoi?—J.Ilnem'adonnéquesoninitiale.Alicesecoualatête,désapprobatrice.—Il…ilm'alaisséunelettre,ajoutai-jeenguised'excuse.—Tul'assurtoi?Jerépondisparl'affirmative.Elletenditlamain,paumeversleciel.Jefouillaidanslapocheavant

demonsacetluiremislepapierfroissé.Ellelalutattentivement,puis,sonteintdevintlivide.—Cetteécriture…Jeconnaissonauteur.—Commentça?C'est…c'estqui?Monestomacsecontracta.Comptetenul'expressiond'Alice,jesentaisquesaréponsen'allaitpas

meplaire.—C'estJérôme.—Jérôme?C'étaitqui,encore,celui-là?Mais alors, tout me revint. L'attitude de vainqueur qu'il avait dans notre agence, le fait qu'il

connaissaitmonprénom,monadresse…Jerevissonnomsurlaportedesonbureau…Latêtemetournait.

—J'ai…j'aicouchéavecmonpatron.—Peut-êtrepas,tentademerassurerAlice,vuquetunet'ensouvienspas.Je me sentis… pathétique. Utilisée comme un vulgaire objet. J'étais révoltée. Il aurait pu me

prévenir.Pourquoiavait-ilgardélesilencesursonidentité?Parcequesinon,tun'auraisjamaiscouchéaveclui.Tremblante,jemelevaipourmerendreauxtoilettesoùj'avaisl'intentiondem'enfermerpourme

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faireoublier.Surlechemin,quinedevaitpasfaireplusdecinqmètres,jetombaissurMylinda.—Vousallezbien,Eva?Sontonmielleuxm'écœura.Qu'est-cequ'ellesavaient,elleetsamère,às'adresseràmoidecette

manièreaprèsm'avoirtraitéecommeuneminabledepuismonarrivée?Alors,jecompris.EllesavaientdûmevoirpartiravecJérôme.Leurpatron.J'ignoraissiellesme

prenaientpoursapetitecopineoupoursatraînée,maiscelaavaitdetouteévidencesuffisammentdevaleuràleursyeuxpourqu'ellesdécidentdemecirerlespompes.

—Jevaisbien,merciMylinda.Surce,jem'enfermaidanslestoilettes,oùjerestaisunlongmomentcachéedetous,commeune

adolescentefaisantunecrised'angoisseaulycée.J'enrageais.Vraiment.Pourquiseprenait-il,pournemêmepasavoir ladécencedem'annoncer

qu'ilétaitmonemployeur?Si jem'étaisunpeuprisepouruneprincesse l'espaced'unweek-end,àprésentjemesentaisbafouée,souillée.Certes,iln'avaitpasabusédemoi.Jem'étaismontréetoutàfaitconsentante.Maisocculterlavériténeconstituait-ilpasunabus?Ilavaitprofitédelasituation.

Jemepromisàmoi-mêmedeneplus jamais le revoirendehorsducadredemontravail.Et jetenaistoujoursmespromesses.Oupresque…

Lecielétaitmenaçant,l'air,chargéd'électricité.Jen'étaispastoutàfaitsûredepouvoiréviterde

finirmapausemiditrempéecommeunesoupe.J'auraispumefairelivrerquelquechoseaubureau,oumangertoutsimplementàproximitédel'agence,maisàmongrandétonnement,j'avaisbesoindevoirYouri.Dem'assurerqu'ilallaitbien.Cequi,avouons-le,étaittotalementidiot.Jenel'avaispasvudetout leweek-end.Ilétaitabsent lorsquej'étaisdescenduedevoitureet,àpeinerentréedansmonappartement, j'avais ferméfenêtresetvoletspourmecouperdumonde jusqu’au lundià l’aube.Cematin,quandj’étaispartietravailler,sonemplacementétaitvide.

Lorsque jediscernai l'intersectionmenantàmarue,moncœurseserradansmapoitrine.Ets'ilétaitvraimentparti?S'ilavaitdisparupourdebon?Pourquoicelamefaisait-ilquelquechose,aujuste?Certes,j'avaispartagéquelquesrepasaveclui.Nousavionsriensemble.Ilm'avaitfaitrêveravecsesrécitset,l'espacedecesescapades,j'avaissentimoncœurs'allégerduchagrinquejeportaisenmoidepuisdesmois.Quandj'étaisaveclui,j'oubliaiscellequej'étais.Jeneleconnaissaisàpeine,maisilmedonnaitl'impressionquejepouvaisêtremeilleure.Danscecas,pourquoias-tucouchéavecunautre?Parcequejen'appartiensàpersonne.ParcequeYouriestSDF.Parcequejeluisuisindifférente,alorsqueJérômemetraiteavecdéférence.Sil'onnetientpascomptedufaitqu'ilt'aunpeuprisepouruneimbécileent'occultantlavérité.Oui,maisquandmême,rienquedepenseràYouri,unsourireétiraitmeslèvres.Serrantlesachetenpapiercontenantnotrerepascontremapoitrinecommesicelaavaitpucalmer

les battements erratiques demon idiot de cœur, j'accélérai la cadence, battant le pavé à un rythmerapide.

Enfindansmarue,jelecherchaidesyeuxetpoussaiunsoupirdesoulagementdèsquejelevis.Jemerendiscompteque jecouraisaumomentoùdespassantsme lancèrentdes regardscourroucés,maisjen'arrêtaipasmacoursepourautant.

Je pilai devant ses pieds, qu'il semblait trouver très intéressants étant donné lamanière presqueobsessionnelledontillesobservaitàcetinstantmême.

—Salut.Silence.—Youri?

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Mavoixtropincertaineluifitleverlesyeuxversmoi.Ah,enfin!Unpeuplusetjefinissaisparcroirequ'ilavaitperdul'usagedesesorbitesoculaires.

—Je…Jepeuxm'asseoiràcôtédetoi?—Larueestàtoutlemonde,non?Çacommençaitmal!Jedécidaidenepasrelever.Maisquellemouchel'avait-ellepiqué?—Jet'aiachetéunsandwichaupoulet,pourchanger.Bienentendu, il ne réponditpas. Jeme sentais commeune idiote. Je lui tendis soncasse-croûte

d'un geste trop sec, je le reconnaissais, mais il commençait à m'agacer. Comme il ne réagissaittoujourspas,j'agitailanourrituredevantsonvisage.Ilécartavivementmamain.

—Etsijen'avaispasfaim,hein?Çat'aeffleurél'esprit?— Oui, bien sûr, je te crois. Je vais le jeter, tiens. Comme ça, tu pourras te précipiter sur la

poubelleetfouillerlesordurespourdévorercesandwichdèsquej'aurailedostourné!Jeréalisail'énormitéquejevenaisdeproféreraumomentoù,demanièresifugacequecelaaurait

pu passer inaperçu, ses yeux se voilèrent d'une nuance de profonde tristesse. Je portai lesmains àmonvisage,commesij'avaispumecacherderrièreelles.

—Je…jesuisdésoléeYouri.Jenevoulaispasdire…—Tune voulais pas dire quoi ? s'emporta-t-il en fronçant les sourcils.Tu ne voulais pas dire

quoi,Eva?Jegardaislesilence,tropgênéepourajouterquoiquecesoit.—JesuisunSDF,Eva.Unclochard.—Tun'espasqueça,protestai-jed'unevoixsifaiblequejedoutaisqu'ileutentendue.—Pourtant,jen'airienàt'offrir.Riendutout.—C'estfaux.—Vraiment?Est-cepourçaquetuassautédanslavoituredugarsleplusfriquédeMetz?Jerougis.—Commenttusais?Il ricana et ce sonque je trouvais pour la première fois angoissant se répercuta le longdema

colonnevertébrale.—Jet'aivuedescendredesavoiture.Merde!Alorscommeça,ilyavaitunseulunbourgebienfoutuàMetz,celui-làmêmeavecqui

j'avais – peut-être – couché et il fallait que le clochard dema rue, avec qui j'avais sympathisé, leconnaisseetledéteste.Maisc'étaitquoi,cetteville?LelieudetournagedesFeuxdel'Amour?C'étaitpirequelevillagedemesgrands-parents!

—Jepeuxêtreamieavecquijeveux.—Jen'endoutepas.Laduretédesavoixmefit frémir.Nousn'étionsmêmepasensembleetnousavionsdéjànotre

premièredisputedecouple?Non.Jen'avaisaucuneenviedesubirça.Jedevaiscoupercourtàcettequerelleavantquetoutparteenlive.Aussi,jemeforçaiàrespirerprofondémentafindemecalmerpuis,unefoisdétendue,jeluiprésentaissonsandwichavectouteladouceurdontjefuscapable.Illerefusaavecmoinsdevéhémencequelesfoisprécédentes.

—Jen'aipasenviequetumefasseslacharité,tucomprends?—Jenefaispasçaparcharité,Youri.Ilsetournabrusquementversmoietvrillasesyeuxauxmiens.Déstabiliséeparl'intensitédeson

regard,jem'interdisd'endétournerlemien.—Alorspourquoilefais-tu?—Parcequejemesensbienquandjesuisavectoi.Jen'avaispasprévudeluidireça.Passivite.Pascommeça.Jefermaislesyeuxenattendantles

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moqueriesquinemanqueraientpasdemetomberdessus.Jesursautailorsquejesentissamainprendrelamienne,sesdoigtsjoueraveclesmiens.—Moiaussi,avoua-t-il.Dans mon cœur, quelque chose vacilla. Je faisais réellement du bien à quelqu'un ? Depuis

l'accident avec Angela, j'étais convaincue de n'apporter que désolation autour de moi. Était-ilréellementsincère?Jepeinaisàlecroire.J'écartailespaupièrespourenavoirlecœurnet.

—Vraiment?Ilmesouritetmonrythmecardiaques'affolaenmêmetempsqu'unenuéedepapillonsseréveillait

dansmonventre.Justeciel!—Vraiment,répondit-ild'unevoixrauque.Maintenant,situlepermets,jesuismortdefaim!—Oh.Ilsaisitsonpainetlecroquaavecenvie.Maisàquoit'attendais-tu?Àcequ'ilt'embrasse?Iln'aàaucunmomentparlédesentimentsou

mêmed'attraction,ettun'esmêmepascertainedecequetuéprouvestoi-même,jeterappelle.Levoirfairepreuved'unetellegourmandisemefitsourireàmontour.Imagines'ilfaitpreuvedelamêmegourmandisedanstoutcequ'ilfait!Oui,jepouvaisdevenirmeilleureàsescôtés.Tenterderéparermestorts.Toutétaitpossible.

CHAPITRE10

Lerestedelasemainesedéroulasansaccrocs.BrigitteetMylindaavaientbrusquementcessédeme mettre des bâtons dans les roues, allant jusqu'à se transformer en gentils caniches. J'étaisintimementconvaincuequeleurattitudedeparfaiteslèche-bottess'arrêteraientàl'instantmêmeoùjerecroiseraismonpatronetquejeluiferaispartdemonmécontentement.Jen'enrevenaistoujourspasqu'ilm'aitmenti,oudumoins,qu'ilnem'aitpasavouétoutelavérité.J'avaistrèscertainementcouchéavec lui, même si je n'en étais toujours pas sûre, pour quelques raisons : Primo, et c'était là laprincipale raison–oudumoins, j'essayaisdem'enconvaincre– j'étais ivremorte.Deuxio, ilétaitvraimenttrèsattrayant.PresqueautantqueYouri.Enpluspropre.Oudumoins,c'estcequejepensaisavantcarYourisentaitquandmêmedivinementbonpourunclochard.Trésio,j'avaisétédéstabiliséepar sa richesse. Oui, je l'avoue, j'avais été cupide et je n'en étais pas fière. Raison de plus pourl'envoyeraudiable.

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Alice s'était unpeudétenduequand je lui avais confiéma résolutionde ne plus voir Jérôme etnousétions sortiesàplusieurs reprises sans jamais lecroiser. Jemesentaisbienencompagniedecettefilleàlagaietécontagieuse,mêmesicesentimentdebien-êtreétaitbienmoinsintensequeceluique j'éprouvais quand je me trouvais auprès de Youri, sans que j'en comprenne la raison. J'avaisd'ailleurscontinuédepartagertousmesrepasaveclui.Petitàpetit,j'avaiseul'impressionquecetteespèce de barrière qu'il plaçait entre lui etmoi se fissurait. Ses sourires devenaient plus présents,moinséphémèresetàchaquefoisqu'ilsapparaissaient,unesensationagréablesediffusaitdansmoncorps. À ces instants précis, j'avais l'impression que tout était plus facile. Je respirais aisément,commesi lepoidsécrasantmapoitrinedepuis l'accident s'amenuisaitparà-coups. Je l'avaismêmesurpris à rire quelques rares fois et ce son si inhabituel nemanquait jamaism'emporter vers descontréeslointaines.

—D'oùviens-tu?luidemandai-jedutacautac.Ilmeregardalonguement,sesbeauxyeuxbleusseplissantpourmieuxm'observer.—Pourquoias-tutoutplaquépourvenirt'installeràMetz?Jebaissailesyeux.Répondreàunequestionparunequestion,c'étaitsontrucàlui.Etc'étaitplutôt

énervant,mais cela fonctionnaitparfaitementpourmeclouer lebecet il le savait trèsbien, raisonpourlaquelleils'enservait.

—J'aimeraisfairequelquechosepourtoi.Jemetournaipourletoiser,franchementsurprise.—Quoi?—J'aimeraisteremercierpourtoutcequetufaispourmoi.—Jet'aidéjàditque…Ilbalayamaprotestationdureversdelamain.—J'ytiens.J'avais envie de lui faire comprendre qu'il n'en avait pas les moyens, mais cette intervention

pourrait aussi le vexer, le frustrer dans son élan. Par conséquent, je choisis de l'encourager d'unsourire.

—D'accord.Il semblait hésiter. Sesmains jouaient nerveusement avec un bracelet en fil rouge et orange de

ceuxquel'onpeutacheterenvacances,surlaplage.Sonregardétaitbraquésurseschaussuresusées.—Je…est-ce…est-cequejepourraistechercherdevanttontravail,vendrediàmidi?Satimiditémefitfondreenunemicroseconde,maisjemegardaisbiendeleluifairesavoir.— Tu peux refuser, poursuivit-il. Je comprendrais que tu ne veuilles pas que tes collègues te

voientavecun…enfin,tusais,avec…avecmoi.—Non!lecoupai-jevivement.Samouedevintplussévère.MonDieu,jem'étaismalfaitcomprendre.—Jeveuxdire,non,jen'aipashonted'êtrevueentacompagnieetoui,j'acceptetarequêteavec

plaisir.Àcetinstant,sesyeuxs'éclairèrentd'unetellelueurquedansmoncœur,unfeud'artificeexplosa.

Jen'avaispas l'habitudedeprovoquerautantdejoieetvoircesentimentsursonvisage,c'était toutsimplementmagique.Enplus,lacuriositémedévorait.Quecomptait-ilfaire?

—Oùvas-tum'emmener?demandai-jeavecunetimiditétoutenouvelle.Ilrit,decesonquej'avaisapprisàapprécierplusquen'importequoid'autre.— Petite impertinente ! Tu mériterais que je te donne une petite correction pour ta curiosité

débordante.L'imagedelacorrectionàlaCinquanteNuancedeGreyàlaquelles'ajoutaitsonaccentsicraquant

réveillaunessaimdepapillonsdansmonbasventre.

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—Bien,je…jevaisyaller.Ilhochalatête,megratifiantdesonmeilleursourireencoin.Bonsang,ilallaitmerendrefolle.—Tunevasvraimentpasmedireoùonva?Il pouffa. Je savais très bien qu'il ne daignerait pas me répondre. Le but de ma question était

uniquementdelefairerirepourgardercesondansmesoreillesjusqu'ànotreprochainerencontre.Jepassailerestedel'après-midiàessayerdedevineroùilcomptaitm'emmenertoutentravaillant.

Allait-il me conduire au restaurant ? Je doutais qu'il en ait les moyens. Soudain, une pensée metraversal'esprit,meglaçantlesang.Serait-ilprêtàvolerpourmefaireplaisir?Moncœurs'accéléra.S'ilfinissaitenprison?Puis,maraisonpritledessus.Jen'étaisrienpourlui.Enfin,si,j'étaisquelquechose. Son amie. Peut-être même son unique amie, puisque je ne l'avais jamais vu discuter avecpersonned'autre.Maiscelas'arrêtaitlà.Ilnem'avaitjamaislaisséentendrequej'auraispuêtreautrechosepourlui.Maisquandmême,s'ilfaisaituneconnerie?

Je reçus un mail du zombie hargneux concernant la préparation du planning des visitesd'appartementspourl'agence.Yrépondreoccupaentièrementmonesprit,cequimelaissaunpeuderépit.Puis,ledouterevint.Commentl'accueilleraientBrigitteetMylinda,sielleslevoyaient?Non,çanerisquaitpasd'arriver.Ilm'attendraitdehors.Ilnerentreraitpasdansl'agence.Peut-êtredevrais-jeleprévenir?Ilprendraitcelacommeuneinsulte.Ceseraitunefaçondeluidire: tun'espasassezbienpour

quenoussoyonsvusensembledansmonentourage.Indécise,jemeprislatêteentrelesdeuxmains.—Tuasl'airpréoccupée.Toutvabien?Lavoixd'Alicemefitsursauter.—Oui.Oui,biensûr.Merci.Ellem'offritsonsourireironique,celuiquivoulaitdire:jenesuispasdupe.Puis,ellefitminede

seremettreautravail.—Alice?Sonsourires'élargit.Elleavaitgagné.J'allaistoutluidire.Oupresque.—Oui?Ellenemontraaucune impatiencequand jebaissai lesyeuxsurmasouris, jouantnerveusement

aveccebiduleencherchantlesmotspourm'exprimer.Jenelestrouveraisdetoutemanièrepas,alorsjedécidaidetenterletoutpourletout.

—Est-cequetuesdéjàsortieavecquelqu'undevraimentdifférent?Elle pouffa, amusée. C'est vrai qu'avec ses cheveux roses et son style un peu punk, c'était

probablementellelabizarredansl'histoire.—Toutdépenddecequetuentendspardifférent.Jehaussailesépaules.—Attends,serévolta-t-elle.Tun'espasentraindemesortiruntrucraciste,hein?Tun'entends

pasblackpardifférent,rassure-moi.—Non!protestai-je,vraimentoffusquée.Biensûrquenon!—Quelqu'undepetit?Vraimentpetit,genremoinsd'unmètrequarante?—Non.—UnTémoindeJéhova?—Non.—Quelqu'undetrèslaid?—Nonplus!Siellelevoyait…

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—Benalors,c'estquoisadifférence?Jetrituraileclavieretarrêtaimongestelorsquejeréalisaiquejevenaisd'envoyeràMylindaun

mailpeuplédelettresdisposéesdansunordredesplusincertains.Zut!—Ilestàlarue.—Auchômage?—Non.Àlarue.Littéralement.C'estlàqu'ilvit.Jerentrailatêteentrelesépaules,m'attendantàunepluiedereprochescommecellequiavaitfait

suiteàladécouvertedemonécartavecJérôme.Àmongrandétonnement,riendecelanevint.—Toi,est-cequecelategêne?Savoixn'étaitqu'unmurmure.—Non.Biensûrquenon.Enfin,celamefaitde lapeinepour luiparcequeçanedoitpasêtre

facileàvivre,maisnon,celanemedérangepasqu'ilsoitdanslarueetqu'ilnecorrespondepasàlanorme.Jedisaislavérité,là,non?—Alorstulatiens,taréponse.Ducoinde l'œil, je lavisse lever.Ellemarchaversmoiàpasmesuréset, lorsqu'ellese trouva

devantmoi,s'accroupitpoursemettreàmahauteur.Ellepritmesmainsdanslessienneset,d'untonquicumulaitàlafoisdouceuretfermeté,medit:

—Nelaissejamaispersonnet'empêcherdefairecequetoncœurtecommande.J'allaisprotester,objecterqu'ilétait troptôtpourparlerdecœur,maisellemedevança,ajoutant

avecunclind'œil:—Outoncorps.Jeluidonnaiunetapeamicalesurl'épaule.Aumomentoùnouséclationstouteslesdeuxderire,

Mylindaouvritlaportedenotrebureau.Unsourires'affichasursonvisagesanstoutefoiscontaminersesyeux.

—Désolée,m'excusai-je,jenevousavaispasentendueentrer.Répliquequimevalutuncoupdecoudedelapartd'Alice.Eneffet,jevenaistoutsimplementde

laisser entendre que nous nous amusions comme des folles et que, dès qu'on entendait nos chefsapprocher,nousaccourionsversnospostesdetravailrespectifscommedesenfantsprisenflagrantdélitpendantlasieste.

—Cen'estpasgrave.Vousavezbienledroitdedécompresserdetempsàautre.Mylindacompréhensive?Onauratoutvu.—Jevenaisjustem'assurerquetum'avaisbeletbienenvoyéunmailsansqueuenitêteilyaune

vingtainedeminutes.Jerougisjusqu'àlaracinedescheveux.—Oui,c'estbienmoi,je…Je cherchai une excuse. Inventer que je m'étais endormie sur le clavier ne serait pas l'idée de

siècle,c'étaitcertain.—Çanefaitrien.L'important,c'estquecenesoitpasunvirus.Puis,sanslâchersonétrangesourirefigé,ellerepartitendirectiondesonpostedetravail.—Ça fait tout drôle de la voir aussi aimable, commentai-je dès que j'entendis la porte de son

bureausefermer.—Àquiledis-tu.Situveuxmonavis,nousnedevrionspasleurfaireconfiance.Niàelle,niàsa

mère.Jehochailatête,pastoutàfaitconvaincue.—PourBrigitte, jesuisd'accordavectoi.Cettefemmem'a tout l'aird'êtreunepourriture,dans

touslessensduterme,d'ailleurs.Maispassafille.

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—Pourquoitudisça?Je haussai les épaules, cherchant comment expliquer mon ressenti qui n'était basé que sur une

intuition.—Elleestàlamercidesamère.IlsuffitqueBrigitteluiordonnequelquechosepourqueMylinda

s'exécutedanslaseconde,toutçapourluiplaire.Ondiraitsurtoutqu'ellemanqued'amourouquelquechosecommeça.

—Mouais.—Tuvois, elle s'empiffrede croissants en cachettepournepas fairedepeine à sonharpiede

mère,puisensuites'enfermepourvomircarellesesentcoupabled'avoirfauté.Pourmoi,çadénotesurtoutunimmensemanquedeconfianceensoi,unmanqued'amour.

—J'ignoraisquetuavaissuividesétudesenpsychiatrie.Jesouris.Siellesavait…—Quoiqu'ilensoit,Eva,jeneveuxpasquecesfemmestebrisent.Tuestropgentille.Paselles.

Jet'auraisprévenue...—Jeprendsnotedetonconseil,Alice.Jet'enremercie.Ellemesouritàsontour.Danssesyeux,jelisaisqu'ellesefaisaitsincèrementdusoucipourmoi.

Celameréconfortademanièreunpeuégoïste.J'étaisheureusedecompteraumoinspourquelqu'un.

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CHAPITRE11

Enarrivantdansma rue, jenepusempêchermoncœurdebattreà tout rompre,provoquantunvrombissement sourd dans mes oreilles. Puis, je le vis, ce qui ne fit qu'accélérer mon rythmecardiaque.Bonsangdebonsoir!

Jevoulaisdétourner lesyeux, arrêterde ledévisager commeune imbécile,mais j'enétaisbienincapableet,àenjugerparlamanièredontilmefixait,ilenallaitdemêmepourlui.

Il levalebraspourmefairecoucouet je luirendissongeste,sentantunsourires'étaler toutenlargeursurmonvisage.Seigneur,maisquemefaisait-il?

—Bonjour,Youri.Ilarborasonrictusespiègle.Celuiquimefaisaitlepluscraquer.—Bonjour,Eva.Maisnousnoussommesdéjàsaluésàmidi,tunet'ensouviensplus?Jememordillailalèvreinférieure,joueuse.—Tuastort.—Vraiment?Jehochailatête.—Nous avons échangéquantité de choses comme : ton sandwich est chaud,mange, ou encore

c'estdupoulet,maisjesuisàpeuprèscertainequec'estlatoutepremièrefoisquenousnousdisonsvraimentbonjour.

—Ehbien,ilfautunepremièrefoisàtout.Jesuisheureuxd'avoirpufranchircetteétapeavectoi.J'éclataiderire,amuséeparlatournurequeprenaitlaconversation.—Tuaspasséunebonneaprès-midi?Toutde suite, jem'envoulus,depeurde legênerparmaquestion indiscrète. Il écarta lesbras,

désignantlaruetouteentièredesesmainspuis,dumenton,ilpointalacasquetteoùquelquespiècesétaientdisposées.

—Çava.Lesaffairestournent.Jeris,heureusedelevoirparlerdeçademanièreplusdétendue.Soudain,alorsqu'ilregardaitau

fonddelavenelle,sonvisageserembrunit.—Tudevraismonter,avisa-t-il.Puis,voyantmonincrédulité,ilajouta:—Tuesentraind'attraperunbeaucoupdesoleilsurtesépaules.—Oh!Hum…bonnesoirée,alors.

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Je remis la lanière demon sac surmon omoplate douloureusement brûlé avant de tourner lestalons.

—Bonnesoirée,Eva.Jedisparusdansmonimmeuble,presséedemasquerlesouriredesatisfactionquenotrerécente

complicitéavaitprovoqué.Jegravislesmarchesdeuxpardeuxtantj'avaishâtedemeretrouversousladouche.Jen'étaispas

particulièrementsalemais…j'éprouvaiscommeunintensebesoindeprendreunedouchefroide.Enfinchezmoi, je jetaimabesacesurlecanapé,ouvris lafenêtreafind'entendrelamusiquede

Youri,puisfonçaiàtoutealluredanslasalledebains.Sousl'eau,jenepouvaiscesserdepenseràlui.Sij'avaispeut-êtrecouchéavecJérôme,c'étaitdeYouriquej'avaisenvie.Jedésiraissoncorps.

Jem'imaginaissavonnerlesmusclesdiscretsdesontorseferme,seslargesépaules,sanuque…Jemehisserais sur les orteils pour l'embrasser et alors ilmeplaquerait contre lui et je sentirais sonérectionpalpitercontremonventre.Commeilbrûleraitdumêmefeuquemoi,ilmesaisiraitparleshanchesetj'enrouleraismescuissesautourdesataille.Alorsilmeprendraitcontrelecarrelagefroiddelasalledebainspourunesériedeva-et-vientlibérateurs.

Delapaumedelamain,j'essuyailabuéesurlemiroirpourmieuxm'observer.Mesjouesétaient

rougesenraisondelachaleurinassouvie.Jesavaisqu'uneseulepersonneseraitenmesured'éteindrecefeu.Dansmesyeuxluisaitunelueurdedésirindompté,désirquejen'avaisjamaisressentipourpersonne,pasmêmeà l'adolescence,quandmeshormonesen foliem'avaientpousséeà tentermespremièresexpériences.

Meslèvresécarlatesquémandaientsesbaisers.Oserait-ilfranchirlecap,vendredi?Daignerais-jele faire,moi, si jamais il ne se lançait pas à l'eau ?Notre relationme semblait précieuse.Unique,même.Mais tout à fait platonique,même si à chaque fois que nous nous retrouvions ensemble, jesentaisunesortedecourantélectriquemeparcourirlecorps.Latensionentrenousétaitpalpable.Elledevenait tellement réelle lors d'un simple regard, d'un simple effleurement… Et pourtant, aucund'entrenousnesehasardaitàentreprendrelemoindrepasversl'autre.Peut-êtrequ'iln'enavaittoutbonnementpas envie. J'avais toujours été particulièrementdouéepourme tournerdes films, aprèstout.Maisilfallaitlereconnaître,sitelétaitlecas,celui-cim'étaitspécialementdoux.

Jemesurprisàlechercheràlafenêtre.Jelevisaumomentoùillevaitlamainpourmesalueretrougislorsquejemerappelaiquejeneportaisqu'uneservietteblancheenrouléeautourdemoncorpsencoremouillé.Serrant le tissud'unbras, je levai l'autre pour lui faire coucou àmon tour. Jemefaisais l'effet d'une parfaite imbécile àm'agiter àma fenêtre pour un SDF, versionmodernisée deRoméoetJuliette.

L'idée de lui faire signe de monter me traversa l'esprit, pour boire un café en tout bien touthonneur,s'entend,maislasonneriedemontéléphonemelafitoublieraussitôt.Jemeprécipitaisurmonappareilnonsansunecertaineappréhension.Etsic'étaitJérôme?Heureusement,lenumérodemamères'affichaàl'écranetjedécrochai.

—AllôMaman?—Çafaitlongtempsquejen'aipaseudetesnouvelles.Lesformalitésd'usageetlesrèglessociales,parexempledemandercommentvas-tuouas-tupassé

une bonne journée, elle avait tendance à jeter ça aux oubliettes à chaque fois qu'elle avait quelquechosederrièrelatête.

—Jet'aienvoyéunSMSilyadeuxjours,M'man.—Cen'estpascequej'appelleprendredesnouvelles.Tudevraisappelerplussouventàlamaison.Je soupirai. Vraiment, des adultes qui téléphonaient à leur mère tous les jours, ça existait ?

Néanmoins,jedécidaideradoucirmonton,conscientequ'ellenepensaitpasàmal.

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—Jesuisdésolée,Maman.Jeteprometsd'essayerdefaireplusattention.Unpetitsilences'installaàl'autreboutdufil.Elledevaitcherchersesmots.C'étaitmauvaissigne.—Nousnousfaisonstousdusoucipourtoi,tusais?—Jecomprends.Maisnet'enfaispas,jevaisbien.Jemesuisfaitpasmald'amis.Tuadorerais

Alice,macollèguedebureau.Ettoutlemondeestgentilàl'agence,mêmemasupérieuredirecteetlastandardistedontjet'avaisparlé.

Si elle avait su à quoi était dû ce revirement, elle m'étranglerait. Et si elle avait appris que jefantasmaisgravesurunSDF,elleauraitvoléuncamionpoubellerienquepourleplaisirdem'écraseravec.Maistoutça,jesavaisqu'ellelefaisaitparamour.

—Angelas'inquiètepourtoi.Jen'endoutaispas.Touslesjours,j'effaçaissesmessagessansmêmeleslire.J'avaismêmesongé

àprendreunnouveaunuméro,maisj'étaissûreetcertainequemamèreleluirefileraitenmoinsdetempsqu'iln'enfautpourdirepouet.

J'étaisparfaitementconsciented'agircommelapiredesordures.J'avaisgâchésavie,etensuitejelui avais tourné ledos. Je l'avais abandonnée.Mais jenemesentaispascapablede l'affronter.Pasencore.Jesavaisquecelamebriserait.Celalabriseraitelleaussi.

—Attends,tuveuxbienquejetepassequelqu'un?—Pasdeproblème.Elleallaitrefiler lecombinéàmonpère.C'étaitcequ'ellefaisait toujoursquandelleappelaitsa

belle-mère, par exemple. Mon paternel était aussi bavard qu'un mur et il couperait court à laconversation,maisilmemanquaitetj'avaisenviedel'entendre,neserait-cequepourmedirecoucouEva,çaroule?

—BonjourEva.Jemefigeai,serrantmonsmartphonedetoutesmesforces.J'auraisreconnucettevoixn'importe

où.Celle dont lesmoindres intonations étaient gravées à tout jamais dansmamémoire.Celle quej'auraisvouluneplusjamaisentendre.

L'espaced'uneseconde,jesongeaiàluiraccrocheraunez.Maisjenepouvaispasm'yrésoudre.Elleméritaitbienmieuxqueça.Jefermailesyeux,tâchantd'oublierlabouledepaniquepesantsurmonestomac.

—Bonjour,Angela.Maboucheétait si sècheetmagorgesi serréeque jemedemandaissimacousineparviendrait

seulementàcomprendrecequejevenaisdedire.—Jesuiscontentedet'entendre.Elle le semblait, sincèrement. Jevoulais luidireque je l'étaisaussi,mêmesicen'étaitpasvrai,

maislemensongerestabloquéaufonddematrachée.Ellerit,desonriresidoux,etjedusmecontenirpournepaslaissermeslarmess'échapper.—Commenttuvas,cousine?—Bien,articulai-jed'unevoixtremblante.Jevaisbien.Jevaisbien.J'essaiedereconstruiremaviealorsquetoi,tuesclouéedanstonfauteuil.Laculpabilitém'étouffait.—Jesuisraviedel'apprendre.La sincérité avec laquelle elle prononça cette phrase me remua les entrailles. Cette fille avait

toujourseuuncœurpur.Ellen'avaitjamaisétécapabledumoindremensonge,delamoindrepointedeméchanceté.Etmaintenant,ellecroupissaitdansunputaindefauteuil.Àcausedemoi.

—Et…ettoi,commentvas-tu?meforçai-jeàdemander.Briséeàtoutjamais,danstouslessensduterme?Mortedel'intérieur?Foutue?—Jevaisbienaussi,répondit-ellejovialement.

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Bien?Bien?Commentpouvait-elle aller bien après cequ'elle avait subi ?Après ceque je luiavaisfaitsubir?

Toutefois,mabonneéducationm'empêchade remettre sesparolesencause.Elledut sentirmesdoutes,carellepoursuivitdanssonélan.

—J'aiapprisàvivreavecça.Tusais,cen'estpasaussiterriblequeçaenal'air.Àlaclinique,j'aipuvoirpleindepersonnesdontlasituationétaitbienpirequelamienne.Aufond,j'aieudelachance.

J'étouffaiunsanglotaufonddemagorge,priantpourqu'ellenel'aitpasentendu.Oùtrouvait-ellelaforced'allerdel'avant?Commentétait-elleencorecapabledesesoucierdesautresaprèscequelavieluiavaitinfligé?Aprèscequejeluiavaisinfligé?

—J'aimeraisterevoir.Jemebraquai.Meconfronteràelle,c'étaitau-dessusdemesforces.—Jenevaispasrevenir.Merendantcomptequej'avaisététropdureavecelle,jemeradoucis.—Jenevaispasrevenirtoutdesuite.Je…jeviensdecommencerdanscetteboîteetjenepeux

pasencoreprendredescongéscommejeleveux.Biensûr,j'auraispuessayerdedescendresurMontpellierunweek-end.Vulamanièredoucereuse

dont Brigitteme traitait, ellem'aurait aisément accordé unweek-end de trois jours.Mais je ne lepouvaispas.C'étaitmoiquibloquais.

—Jecomprends.Sesparolesavaientundoublesens.Cequ'ellecomprenait,c'étaitquejen'étaispasencoreprêteà

larevoir,maisleserais-jeseulementunjour?—Commentçasepasseautravail?—Trèsbien.J'aidetrèsbonscollègues.Ilssontadorables.Surtout Alice. J'aurais voulu lui rendre la question. L'interroger sur ses études. Seulement, je

savaisqu'elleavaitdûlesarrêteraprèsl'accident,pendantsonséjouràlacliniquederééducationetj'ignoraissiellelesavaitreprises.C'étaitvraimentgênantcommesituation.Jeluiavaisvolésavie,etelle,elleétaitlààmequestionnersurlamienne.

Pourluifaireplaisir,jemeforçaiàpoursuivrelaconversation.—Metzestvraimentunetrèsbelleville.Lesgenssonttrèssympas,ici.—J'adoreraisvoirça.Jen'aijamaisétéenLorraine.Moncœursebrisaenmillemorceaux.Voyagerenfauteuilroulantnedevaitpasêtreunepartiede

plaisir, surtoutpourun individudont lehandicapétait récent.Utiliser le termehandicapépourunepersonneaussipleinedeviequemacousinemedélitaitdel'intérieur.

Unsilences'installa.L'inviteràmerendrevisiteétaithorsdequestionpourdeuxraisons.Jen'étaispasencorecapabledelavoir,etj'ignoraissidesoncôté,ellesesentaitlaforced'entreprendrepareiltrajet.

J'auraisaussipuprofiterdecevidepourluidemanderpardon.Jenel'avaisjamaisfait.Etàchaquefoisquej'avaistentédelefaire,lesmotsétaientrestéscoincésdansmagorge.

Aufuretàmesurequel'appeldurait,jesentaismonrythmecardiaqueaugmenterenvitesseetenpuissance.

—LesLorrainssontréputésêtrebeaux.Tuasrencontréquelqu'un?Àcet instantprécis,sansquej'encomprennelaraison,monmasqued'impassibilitésebrisa.Ma

vuesetroublaetj'éclataiensanglotsincontrôlables.Jeraccrochai,priantpourqu'ellenemerappellepas.Ellenelefitpas,écoutantàtraversleskilomètresmaprièresilencieuse.

Àuneautreépoque,j'auraispuluiparlerdeYouri,cevagabondétrangerquifichaitunsacrébazardansmoncœur.Avant, j'auraispu le luiprésenter. Jamais ellenem'aurait jugéepour sa conditionsociale, bien au contraire.Ma cousine avait toujoursmontré un certain avant-gardisme, comme le

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prouvait son homosexualité assumée depuis l'adolescence. Elle était au-dessus des normes de laconvenanceetdescodes idiotsde la société.Ellem'auraitpousséeàme laisser aller avec lui.Ellem'auraitécoutée.Ellem'auraitdonnédesailes,ainsiquecetélandontj'avaistantbesoin.

Elleetmoi,nousn'avionsquehuitmoisd'écart.Jenemarchaispasencorequandelleestnée.Jesourisamèrementàcesouvenir.Maintenant,c'estellequinemarcheraitplusjamais.

Àpeinehuitkilomètres séparaientnosdomiciles,et le tempsnousparaissait toujours trop longavant nos retrouvailles. Depuis toujours, nous passions nos week-ends et nos vacances chez magrand-mère, où, complices, nous faisions les quatre-cents coups. Mon plus beau cadeaud'anniversaireavaitétéunvélopourquejepuisseallerlaretrouverentouteliberté.Bon,enréalité,ce n'était pas un cadeau d'anniversaire.Mes parents me l'avaient offert quand une voisinem'avaitramenéeà lamaisonenvoitureaprèsqu'ellem'eut trouvéeen traindemarcher le longde la routepourrejoindremacousinequandjen'avaisqueneufans.

C'étaitellequiavaitpansémesblessuresaprèsmapremièrechuteenbicyclette,etmoiquiavaisguéricellesdesoncœurquand,pourlapremièrefois,elleétaittombéeamoureused'unecopinedeclasse.

Avant, nous partagions tout. Sans elle, je me sentais comme une coquille vide. Certes, Yourim'apportaitunbonheurintenseetuneétrangesensationdesoulagementquandnousétionsensemble.Cependant,rienn'auraitpuremplacercettecousinequi,commeunejumelle,m'avaitsuiviedèsmonplusjeuneâge.Personnedanscebasmondenemeconnaissaitcommeelle.Sanselle,j'étaisperdue,ilfallaitbienl'admettre.

Les notes s'échappant de la guitare de Youri entraient par la fenêtre pour accompagner messanglots.Doucement, ellesme berçaient et quelque part dansmon subconscient, c'était comme s'ilavaitétéavecmoi,commes'ilm'avaitaccompagnéedansmapeine.

Aprèsavoirnoyédelarmesmonoreiller,jefinisparsombrerdansunsommeilinstable,peuplé

decauchemars.Jemeréveillaiensursaut.Lapièceétaitplongéedanslenoir.Lapaniquemetraversalorsqueje

songeaiàl'endroitoùjem'étaisréveilléequelquesjoursplutôt,chezJérôme.Jetâtailatabledechevetàlarecherchedelalampe,tombaisurl'interrupteuretlaissaimesyeux

fatiguéss'habitueràlaviolentelumièreartificielle.Aumoins,j'étaisbeletbiendansmachambre.Uncoupd'œilauréveilm'indiquaqu'ilétaittrois

heuresdumatin.J'éteignislalumière,prêteàmerendormirquandsoudain,jecompriscequim'avaittiréedemonsommeil.Cequid'abordm'avaitparucommelenaturelbourdonnementdemesoreillessomnolentessetransformaenéclatsdevoix.

Avais-jedesvoisinsviolents?M'emparantdemonsecondcoussin,jeplaquaicontremonoreilleenmerecouchant.Malgrécette

précaution,j'entendaistoujourslescris.Sicen'étaitpasmesvoisins?Siçavenaitdelarue?Etsic'étaitlui?Lecœurauborddeslèvres,jebondishorsdemonlitetmeprécipitaiàlafenêtre.J'avaislaisséle

voletentrouvert.Lalumièreéteintemepermettaitdevoirsansêtrevue.J'ouvrislecarreausansfairedebruit.

C'estalorsquejelesdistinguai.Éclairésdulampadaire,Yourietunimposantcolossediscutaientàvivevoix.Non. Ilssedisputaient,plutôt. Jenecomprenaispascequ'ilsdisaient.Leursmotsétaientparfaitement audibles, mais ils communiquaient dans une langue étrangère. Leur animosité étaittangible.Àleurattitude,jedéduisquel'inconnuavaitledessus.Yourisemblaittenterdeluitenirtête,mais l'autre paraissait dominer la situation. Mon ami balançait son poids d'un pied à l'autre

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nerveusement tandis que l'autre homme ne bougeait pas d'un pouce. Puis, soudain, il fit un pasmenaçantversYouri,quibutacontreunmurententantdereculer.C'estquoicebordel?—Vosgueules,salesclochards!Lecri d'unvoisin excédé les arrêtadans leur élanbelliqueux. Je lesvis se toiser sansqu'aucun

d'euxnesedécideàbougerpuis,enfin,lecolosses'enalla.Cefutseulementàcetinstantquejemerendiscomptequejeretenaismonsouffle.

Est-cequec'étaitfini?J'attendisunmomentdanslenoiraucasoùlegéantreviendrait.Lorsquemesyeuxépuiséscommencèrentàseclore,jeretournaimecouchersansfermerlafenêtre.Commeça,lemoindrecrimeréveillerait.

Pourautant,jenetrouvaispaslesommeil.Yourin'étaitpasensécurité.Ilnepouvaitpascontinueràvivrecommeça,danslarue.Ilallaitfinirparsefairetabasser.C'étaitinéluctable.

Couchée sur mon lit, je regardais vers la fenêtre. J'aurais pume lever, m'habiller à la hâte etdescendre lechercher, rienquepourcettenuit.Aurait-ilaccepté?Nousaurionsdormicôteàcôte,commedeuxvieuxamis.CommejedormaisavecAngela,avant.

Était-ceunebonnechosedeluiproposerdevenirici?C'étaitcomplètementfoucommeidéemais,jemesentaissibienensaprésencequej'enétaisàmedemanders'iln'auraitpasenviedes'installerici,rienquepourlesnuits.Sansforcémentêtremonpetit-aminiriendecegenre,biensûr.Celanousaurait été bénéfique à tous les deux. La journée, il aurait pu chercher un travail, car il aurait pucertifiermonadressecommedomicile.T'estotalementbarge,Eva.Tuassongéàconsulter?Oualors,puisquecetteidéeétaitpourlemoinsloufoque,ilpouvaittoujoursemménagerailleurs.

Ilyavaitdesstructuresprévuespourça.Desassociations,desalternativesproposéesparl'état…lessolutionsnemanquaientpas.C'étaitdumoinscequejepensais.

Maisalors,sic'étaitsifaciledetrouveruntoit,pourquoidormait-iltoujoursdanslarue?Ilétaitjeune,pourtant.Peut-êtreneconnaissait-ilpasceschoixquis'offraientà lui. Ilétaitétranger,aprèstout.Ilnesavaitpasforcémenttouslesavantagesqueproposaitmonpays.

Jedevaisluienparler.J'ignoraiscommentlefaire,maisjedevaisluienparler.Pourlui.

CHAPITRE12

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Nousyétions.Lefameuxvendrediétaitenfinarrivéetmonangoissecroissantemerapprochaitàchaque seconde un peu plus de la crise de nerfs.Depuis lematin, j'entreprenais régulièrement desexercicesderelaxationquej'espéraisdiscrets toutentraitant lesdossiersurgentsdel'agence.L'eauétantsupposéeavoirdesvertusapaisantes,entoutcassil'onseréféraitauxfilmsoùl'onproposeunverredecebreuvageà toutes lespersonneschoquées, j'enavaisbuunequantitéconsidérable.Celam'avait forcée à me rendre aux toilettes un nombre incalculable de fois, récoltant au passage lesconseils avisésd'une collègue àproposdes cystites, ce qui était loind'êtremoncas.Mais bon, unrendez-vousavecYourivalaitbientouteslespeinesdumonde,non?

Pour le coup, j'avais même failli falsifier une ordonnance dans le but de me procurer descalmants.Jesavaiscommentm'yprendre,jel'avaisdéjàfait.

—Regarde-moi!Jesursautaietpoussaiuncrisuraigu,oupeut-êtrel'inverse,jen'ensavaistroprien.Entoutcas,

celaeutlemérited'effrayerlamouchequis'étaitposéesurmonbureau.—Alors,tumeregardes,ouiounon?JemetournaiversAlicequimetoisaitensouriant.Demauvaisegrâce, j'obtempérais.Maisque

mevoulait-elle?—C'estbon,tespupillesnesontpasdilatées.J'avaispeurquetuaiesprisdel'héroïneouuntruc

decegenre.J'éclatai de rire en la voyant jouer les médecins avec moi. Il n'empêche que je me sentais

drôlementémuequ'elletienneàmoiaupointdesefairedusouciàmonégard.—C'estaujourd'hui,c'estça?mequestionna-t-elle,inquiète.—Oui.Dansquarante-deuxminutes,précisai-jesansmêmeavoirbesoindevérifierl'heureàma

montre.Cettefois,cefutellequigloussa.—Excuse-moi,jevoulaistetenircompagnie,carjesaisquetuesdugenreàflipperàmort,mais

j'étaisenréunionunebonnepartiedelamatinée.—Moi?Dugenreàflipper?Non,tudoistetromperdecollègue!Ellemedonnaunetapeamicalesurlebras.—C'estça,oui!Bon,alors,tunevaspasyallercommeça,si?—Commentça?Ellemelançaunregardéloquentetclaqualalangue,désapprobatrice.—Ohlàlà,heureusementquejesuislà.Elleselevaetattrapaunsacdissimulésoussonbureau.—Allez,suis-moi.Résignée, je lui obéis.Refuser quelque chose à cette fille si bornée relevait tout simplement de

l'impossible.Ellepassalatêteparl'entrebâillementdelaporte,vérifiaquelavoieétaitlibreetmefitsignede

luiemboîterlepas.Nousnousrendîmesdanslestoilettes.J'avaisl'impressiond'êtreaulycée,quandj'accompagnaisdes copinespour fumer et quenousnous relayionspour faire leguet.Macousineavait toujours détesté ces pratiques. Penser à elle diffusa une douleur électrique dans mon cœur,assombrissantconsidérablementmonhumeur.

Alice avait posé son sac sur le lavabo et se hissait sur ses piedspour récupérer quelque chose.J'étaisentraind'hésiteràluivenirenaidequandellepoussaunpetitcrivictorieux.

—Voilà!Siavecça,ilnetombepasraidedingueàtespieds,c'estqu'iln'estpasintéresséparlesfemmes!

—Alice!—Regardeça,Eva.Tunepourrasqu'êtred'accordavecmoi.

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Ellemetenditunerobeencotonléger,presquetransparent.Elleétaitbleue,d'uneteinterappelantlesmersdusud.Elles'accordaitd'ailleursparfaitementaveclacouleurdesyeuxdeYouri.

—Ellemettratonbronzageenvaleur,argumenta-t-elle.L'extrême finesse du tissu le rendait presque transparent, le décolleté m'avait l'air un peu trop

prononcéetelleétaitassezcourtepourquelqu'unquidepuisquelquesmoisneportaitrienau-dessusdugenou.

—Elleesttrop…—Parfaite?complétaAlicesuruntonenthousiaste.Jefronçailessourcils.C'étaitvrai,elleétaitparfaite.J'avaiscraintqu'ellenemesuggèreunerobe

sophistiquée, ce qui aurait été gênant par rapport aux vêtements plus pauvres deYouri. J'aurais eupeur de le mettre mal à l'aise, alors que celle-ci était d'une simplicité convenant à merveille à lasituation.Puis,ilyavaitcettecouleurrappelantl'extraordinaireteintedesesyeux.Mêmeencherchantdanstouslesmagasinsducoin,j'étaiscertainequejeneseraispasparvenueàlatrouver,etpourtant,elleétaitlà,àportéedemain.Poursoncôtésexy,cen'étaitpasbiengrave,aprèstout.Cen'étaitpasnonpluscommesij'avaisétéuncanon.J'étaismignonne,onmel'avaitdéjàditparlepassé,àl'époqueoù je pratiquais beaucoupde sport avecAngela,mais je n'avais jamais rien eu d'exceptionnel nonplus.Jen'étaispascellesurquil'onseretournaitdanslarue.

—Parfaite,oui,accédai-jefinalement.Alicesautilla,touteguillerette.Quesonenthousiasmeétaitplaisant!—Alors,tulamets?—Ici?Ellehochalatête.Certes,lestoilettesdel'agenceétaientvraimenttrèspropres,iln'yavaitrienày

redire,maisjen'avaispasenviequelesautresmevoientsurmontrente-et-un.Ellesallaientpenserquejenevenaisà l’agencequepourétalermesbeauxvêtements,entouriste,cequin'étaitpasvraiétantdonnél'énormequantitédetravailquej'abattaistouslesjours,endépitdemespausesbavardesavecAlice.Jecraignaislescritiques.D'unautrecôté,BrigitteetMylindaétaientauxpetitssoinsavecmoi.Iln'yavaitpourl'instantaucuneraisonpourquecelachange,étantdonnéquejen'avaistoujourspascroiséJérômepourmettrefinàcequin'auraitjamaisdûcommencer.

—D'accord!Avecunejoietouteenfantine,jemeglissaidanslacabineet,tâchantdenerientoucher,jerevêtis

larobeetsortis.Lesbrasencroix, je tournaisurmoi-mêmepourmefaireadmirersanscesserdem'observerdanslemiroir.Ellem'allaitcommeungantetj'étaisfranchementétonnéedelamanièredontellemettaitmoncorpsenvaleur.

Alicel'ajustasansriendirepuisvrillasesyeuxbrillantsauxmiens.—Tues…tellementbelle.Àcetinstant,jecraignisqu'ellesemetteàpleurerpourunesimplerobeetmereculaisd'unpas,

peuenclineauxdiarrhéesémotionnelles.—Lejouroùtuesarrivéeici…Jenediraispasquetuétaismoche,hein?Cen'étaitpaslecas.

Maistusemblaissiabattue…Sansteconnaître,j'avaissentiquetuétaisauborddugouffre.C'estpourçaquej'aitoutfaitpourt'amuser,pourtefairesortir.J'avaispeurquetuaiesenviedete…enfin,tuvois…

Jehochailatêteensilence.Oui,cetteidéem'avaittraversél'espritàplusieursreprises.—Tesyeuxétaientcommemorts.Tonvisagenetraduisaitaucuneémotion,alorstevoirsautiller

aujourd'huiàcausedecetterobe,çam'afaittellementchaudaucœur…Ellelaissaéchapperunelarmeetjenepusqueserrercettefillesifrêledansmesbras.— Je ne sais pas ce qui t'a fait dumal à ce point et, sincèrement, je ne pense pas que tu l'aies

surmonté.Je…jelesens.Maissiquelquechose,etjesupposequec'estceYouri,t'aideàallermieux,

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alorsfonce!—Merci,murmurai-jetoutsimplement.Laportes'ouvritbrusquement,mettantfinàcetépisodederoudoudou.Mylinda,uncroissantàla

main,restainterditeennousdécouvrant.D'ungestesec,elleleplanquaderrièresondos.Aliceetmoifîmescellesquin'avaientrienremarquépournepaslagênerdavantage,maisjevoyaisbienqu'ellen'était pas dupe. Son expression restait figée, même si elle semblait se forcer à sourire. Sans levouloir,nousavionsmisledoigtsurunpointdouloureusementsensible.

—Bonjour,Mylinda,lâchai-jebêtement.—Ça,tumel'asdéjàdit!La violence avec laquelle elle cracha sa réplique me fit sursauter. Très vite, elle se ravisa et

retrouva son sourire le plus aimable, mais il était trop tard. Derrière son masque affable, j'avaisaperçusonvraicaractère.Àmoinsquesonagressiviténefutliéeaufaitquenousl'avionsdécouverteen flagrant délit degourmandise, cequi, pour cette fille filiforme, constituait la plushonteusedesfaiblesses.

—Jetedemandepardon,Eva.Jesuistrèsfatiguéecematin,s'excusa-t-elle.Jedécidaidejouerlejeuetdefairecellequin'avaitpassaisisonpetitmanège.—Cen'estrien,Mylinda.Vraiment,cen'estpasgrave.Je retournai à mon bureau pour les quinze minutes restantes. J'avais décalé mes horaires, les

échangeantavecAlice,puis,j'avaisdemandéàrallongerexceptionnellementmapausemidienvuedeprofiterunmaximumdemonrepasavecYouri,quitteàfaireplusd'heuresensoirée.

J'angoissais.Nousavionsmangéensembleàplusieursreprisesdepuislesoiroùjel'avaisentendusedisputeraveclecolosse.Cependant,jen'avaispasoséluifairepartdemessuggestionsconcernantune possibilité de relogement dans une structure. J'avais complètement écarté l'idée de le faires'installer àmon domicile, non pas parmanque d'envie demon côté,mais par crainte du rejet. Iln'auraitjamaisacceptédevenirvivrechezmoi,c'étaitcertain,etplusvitejel'auraiscompris,mieuxceserait.Sijeleluiproposais,ilprendraittoutsimplementlafuiteetjeneleverraisplus.

Concernantmasuggestionsurlerelogement,c'étaitaussiunsujetépineuxetjen'avaispasencoretrouvémonangled'approche.Maisjedevaislefaire.Pourleprotéger.Laruen'étaitpasunendroitpourlesgenscommelui.Ilfiniraitparluiarrivermalheuretjenepourraism'enprendrequ'àmoi-même.Jem'étaisfixéaujourd'huicommedernierdélaipourluifairepartdemonidée.Jenepouvaisplusreculercetteéchéance.

J'allaisfermermonpostedetravailquandjefusdistraitepardeséclatsdevoixvenantdel'accueil.—Quefichez-vousici,monsieur?—Jeleconnais,lui.C'estunclododucentre-ville.—Monsieur,nousallonsvousdemanderdepartir.Autrement,nousseronscontraintesd'appelerla

police.Imaginantlepire,jemeprécipitaidanslecouloir,rejoignantlaplupartdemescollègues.—Nousn'avonspasdeliquideici,monsieur.Allez-vous-en.Jejouaidescoudespourmefrayeruncheminjusqu'àl'accueiletcequejevismeglaçalesang.BrigitteetMylindaserépandaienteninjuressurlepauvreYouri,quisetenaitstoïquementenplein

milieudelasalle.Pourquelqu'unquineleconnaissaitpas,ilauraitpuparaîtrecalme,maispaspourmoi.Sesjambesfigéesn'auraientreculépourrienaumonde.Sesbrasétaientcroiséssursapoitrinepournepasflanquerdesgiflesàcellesqui lui faisaientsubirunecuisantehumiliationpublique.Sisonvisageétaitneutre,netémoignantaucuneémotion,onnepouvaitpasendireautantdesesyeux.Jamais,depuisquejelecôtoyais,jeneluiavaisconnuuntelregardhargneux.Ilyavaittantdehainedanssesyeux,dontlespupillesdilatéesmasquaientpresqueentièrementlebeaubleudesesirisquej'enfrémis.

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—Ilestavecmoi!clamai-je.L'assembléetouteentièregigotapourmetoiser.D'uncoup,jemesentisbienpluspetite,maisjene

laissairienparaître.—Vraiment?Vousleconnaissez?IlyavaittantdeméprisdanslamanièredontBrigitteprononçacelequ'ilsonnaitencorepireque

laplusabjectedesinjures.Alicesecouatristementlatêteavantdemeregarderavecsympathie.Fortedesonsoutien,jemeraidispourfairefaceauxautres.

—C'estunami.Celaposeunproblèmeàquelqu'un?Mapropreaudacemesurprit,maisjerestaisdemarbre.Dumoinsenapparence,carjebouillais

del'intérieur.—Non.Biensûrquenon,fitBrigitte.Nousavionsjustepenséquecemonsieurétaitunvagabond,

comptetenudesonapparence.Jelevailesyeuxverslui,cequiluifitbaisserlatêtehonteusement.Moncœurseserra.Certes,ses

vêtementsétaientvieux,sacoupeetsabarbelaissaientàdésirer,maisnéanmoins,ilétaitdotéd'uneprestance,d'uneélégancenaturelledontpersonneicinepouvaitsetarguer.

—Ill'est,admis-jeavecfranchise.Jen'avaisrienàcacheretjenevoyaisvraimentpasenquoicelalesregardait.—Bien.Sipluspersonnen'arienàajouter,jevaisyaller.Lespectacleestfini,bonappétit!Surce,jesaisislamaindeYouripourl'entraînerdehors.

CHAPITRE13

Danslarue,mesescarpinsbattaientlepavéavectantdeforcequ'ilsrisquaientdesedisloqueràchaquepas,dénotantlacolèrequim'habitait.Pourautant,jen'arrivaispasàmecalmer.

—Attends,Eva,cen'estpasparlà,risquaYourientirantsurmonbras.Jeremarquaiàcetinstantquenosmainsétaienttoujoursl'unedansl'autre.Pourrienaumondeje

n'auraisretirélamienne.—Tu allais dans le sens de notre rue, expliqua-t-il,mais nous allons ailleurs aujourd'hui.T'en

souviens-tu?Je hochai la tête, la gorge trop nouée par l'animosité pour me permettre de m'exprimer

convenablement.

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—Tun'auraisjamaisdûfaireça,lança-t-ildèsquenousnousremîmesenroute.—Fairequoi?grognai-je,sachantparfaitementcequ'ilallaitmerépondre.—Mesoutenircommeçadevanttescollègues.Tupourraisperdretontravail.Jehaussailesépaulespourluisignifierquecelam'étaitégal.Bienentendu,jenepouvaispaslui

expliquer que je bénéficiais d'une certaine indulgence en raison d'un petit écart commis avecmonpatron.

—Etjen'aipasbesoinquetumedéfendes.—Tutetrompes!Là,c'étaitletoupet.Biensûrqu'ilenavaitbesoin!—Ellesétaiententraindet'humilierquandjesuisarrivée.Aurais-tupréféréquejemetaise?—Oui.Jevoulus retirermamain,mais il lagardaprisonnièrede la sienne. Jen'avaispasenviedeme

battre contre lui. Pas maintenant, alors que j'allais lui suggérer de reprendre sa vie en main ens'installantdansunestructure.Parconséquent,jedécidaidefaireprofilbas.

Auboutdevingtminutesdemarche,nousarrivâmesàunendroitboisé.Ilm'invitaàmefrayerunchemindanslaverdure,puis,jediscernaiunegrandeétendued'eauderrièrelesfrondaisons.

Nousdébouchâmessurune largebandeengazon.Devantnous,desgensseprélassaientsurdestransats dans uneodeur de noix de coco, commeà lamer.Çadevait être ça,Metz plage.Des crisd'enfantsnousparvenaient,détendantl'atmosphèredeleursnotesdegaieté.

Lelacétaitparticulièrementgrand.Bordéd'arbresparendroits,onvoyaitunegrandeîleboiséeensoncentre.J'enoubliaismêmemacolère,obnubiléeparceslieuxfestifs.

—Àtable!Je sursautai avant deme retourner. Sur l'herbe verte, il avait étalé une nappe dont le tissu d'un

blanc immaculé reflétait la lumière d'une manière me rappelant les tableaux impressionnistes deMonet. Dessus étaient posés une assiette de charcuterie, deux gobelets, une bouteille de soda, unpaquetdeglaçonsainsiqu'unepetitebarquettedeframboisesetunetablettedechocolat.

J'expirailentement,rassurée.Quelquepart,j'avaiscraintqu'ilnem'offrequelquechosed'onéreux.Sadisputeaveclecolossem'avaitfaitpeuretpendantquelquesjours,jem'étaisimaginéqueYouriluiavaitempruntédel'argentouquelquechosedecegenre.

Visiblement,cen'étaitpaslecas.Petiteidioteégocentrique!Tucroyaisvraimentqu'unclodoallaits'endetterpourtoi?Youritapotaletissublanc,m'invitantàprendreplaceàsescôtés.—Merci!—Jet'enprie.C'estnettementplusconfortablequ'unboutdecarton!Je souris, soulagée qu'il fut capable d'auto-dérision. Il fouilla dans son sac et me tendit un

sandwichsoigneusementemballé.Mortedefaim,ilnemefallutpasplusd'unesecondepourcroquerdedansàpleinesdents.

—Mmmh!Délicieux!Ilsourit,amusé.—Merci!C'estlapremièrefoisqu'unefillecroquedanslecasse-croûtequejeluipropose.Ilfaut

croirequepartagerdelanourritureavecunSDFlesdécourageunpeu.J'éclataiderire,maismêmedansmesoreilles,monriresonnaitfaux.D'autresfilles?Quiça?Combienétaient-elles?Endehorsducolosse, jenel'avaisjamaisvudiscuteravecquiconque,alors, jem'étaisbêtement

imaginéêtrelaseule.Combienmêmeiln'auraiteupersonneencemoment,j'enrageaisdesavoirqu'ilavait suggéré ceci à d'autres filles. Quelque part au fond de moi, et ce de manière parfaitementégoïste, je l'assumais, j'éprouvaisunesortede fiertéàm'être rapprochéed'unmarginal.Commesi

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celafaisaitdemoiunerebelle.Commesicetactem'avaitrenduemeilleurequelesautres.C'étaitbienévidemmentabsurde.Stupide,même.Maisau-delàdeladéception,lesentimentquim'étranglait,celuiquimedonnaitenviedepleurerencemomentmême,c'étaitlajalousie.Jefaisaisconnaissanceavecsesaffrespourlatoutepremièrefoiset,vraiment,j'auraispuluiflanqueruncoupdepieddanslesnichons,àcetterivalitéàlacon.

Toutdesuite,lesandwichmesemblaplusfade,l'atmosphèremoinsmagique,l'herbemoinsverteetlanappemoinsimmaculée.Combledelasituation:leridiculedemonressentimefoutaitenrogne,ce qui ne faisait qu'exacerber le côté grotesque. C'en était même risible. Ce qui bien entendu,augmentaitmahargne.J'étaisàdeuxdoigtsdemetransformerenHulk.OuentempêteBrigitte...—Enfait,cen'estpasnonpluscommesij'avaisinvitétellementdefilles.Jemetournaiverslui.Sesjouesavaient-ellesvraimentrougioubienétait-ceuneffetd'optique?—Àvrai dire, tu es la première fille avec laquelle je sors depuis…depuis que je suis devenu

commeça.Cette fois-ci, ce fut mon tour de m'empourprer. Son regard était si intense que je pensais

sincèrementqu'ilallaitm'embrasser.Aulieudecela,ilbaissalesyeuxsursesbasketsabîméesetsemitàarracherdistraitementlesbrindillesd'herbesoussespieds.

J'inspiraiprofondémentetsaisislaperchequ'ilmetendait.—Ettuétaisquoi,avantd'êtrecequetues?Ilgardalesilence.Encoreunechoseàlaquelleilnepouvaitpasrépondre.—J'étaisbiendifférent.—Jevois.Non. En fait, je ne voyais pas du tout et son attitude mystérieuse m'énervait prodigieusement.

J'avais l'habitude d'obtenir toujours ce que je voulais, alors ne pas parvenir à lui arracher cesinformationspourtantsisimplesmerendaitfolle.D'unautrecôté,jevoyaisàsonattitudequenousnousressemblionsencela.S'ilavaitdécidédeneriendivulguer,ilneleferaitpas.Jedevaischangermonangled'attaque.

Il me servit un verre de coca que j'acceptais avec joie, la soif commençant à se faire sentir.Lorsqu'ileutfinideboire,quelquesgouttesbrillaientsurseslèvres.Jedusmefaireviolencepournepasallerlesessuyeraveclesmiennes.Àcetinstant,jemerendiscomptequ'ilm'observait.Sonregardétaitbrûlant.Posantlegobeletsurlanappe,ils'avançaversmoiàgenouxpuis,unefoisarrivéàmahauteur,ils'arrêta.Nousétionsséparésd'àpeinequelquescentimètres.Illevalamainet,duboutdel'index,essuyalesurplusdesodarestésurmespropreslèvres,puis,illeportaàsabouchepourlesuceravecgourmandise.J'avaisbeauavoirpeut-êtrecouchéaveccebellâtredeJérôme,legestedeYourifutpourmoileplushautementérotiquedetoutemavie.

Jefondais.Littéralement.Cependant,jemeforçaiàmeressaisir,mefaisantfranchementviolence.D'abord,j'avaisunemissionàaccomplir.

—Tun'asjamaisentenduparlerdestructuresd'accueilpourlesSFD?Etleprixdelamaladresseinfinierevintà…moi!—Pardon?Sonexpressions'étaitdurcie.Ilavaittrèsbiencomprisoùj'envoulaisenvenir.Néanmoins,jepris

moncourage–celui-làmêmequiessayaitdeseterreràneufmètressousterre–àdeuxmainsetmecontraignisàrépéter,avecbeaucoupmoinsd'assurance:

—Jemedemandaissi…situconnaissais…enfin,les…euh,lesstructuresd'accueilpourSDF.Ilgardalesilence,cequin'étaitpasdebonauguredutout.Sesyeuxpassèrentdubleucielaugris

orageetuneridesecreusasursonfront.Jerentrai latêteentremesépaulesfaçontortue,attendantqueçaéclate.Si j'avaispumeplanquersous lanappeetdireque j'étaisun fantôme, je l'aurais fait

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volontiers!—Qu'est-cequitefaitcroirequej'aibesoind'aide?Il ne cria pas, contrairement à ce que j'imaginais.Mais je l'aurais presque préféré à la colère

contenuequimodelaitsavoix.—Jesuisbien,danslarue.Maisbiensûr.—Non.Tuesendanger.Unéclairdepaniquetraversasesyeux,maisilfutsifugacequejemedemandaissijenel'avais

pasrêvé.—Endanger,moi?Laisse-moirire!Qu'est-cequejerisque,aupire,uneinsolation?Jesoutinssonregardd'acier,meforçantàparaîtrepluscalmequejenel'étaisréellement.—Ça,tuledirasaucolossequiestvenusechamailleravectoil'autresoir.Cettefois-ci,l'éclairdefrayeurdanssesyeuxduraunpeupluslongtemps.—Jenevoispasdequoituparles.—Si!Jevousaivus.Ungrandgarschauveetbaraqué,avecpleindetatouages.Comptetenule

boucanquevousfaisiez,iln'yavaitpasmoyendevouslouper.J'étaisentraindem'énerver.Çanesentaitpasbondutout.— Eh bien, je te félicite, tu as réussi ton examen médical, tu as une bonne vue et de bonnes

oreilles.Sonsarcasmeparvintàfaireexplosermacolère.—Ettuosesencoretefoutredemoi?Ça,c'estlepompon.Jemelevaiet ramassaimonsac.Jen'avaispasfaitdemi-tourque,déjà, ilmeharponnaitpar le

bras. Il tiradessus,me forçantà fairevolte-face.Nosvisagesse touchaientpresque.Nousn'avionsjamaisétéaussiprochesetcetteproximitémebouleversait.

—Tudoisavoirdesparents,desamis,quelqu'unquipourraitt'héberger.Moi…—Jen'aipersonne.Satristesseétaitdouloureuseàvoir.Demamain,jecaressaisajoue.Maisqu'étais-jeentrainde

faire,aujuste?—Larue,c'estunchoix.C'estMONchoix.Jeneveuxpasmeretrouverprisonniersousuntoit.Saréponsemeblessacommeuncoupdepoignard.Jamaisjenepourraisavoirunerelationdigne

decenomaveclui.Toutefois,sitelétaitsondésir,mondevoirétaitdelerespecteretdefaireensortequ'illevivelemieuxpossible.

—Jetecomprendsetjel'accepte.Maispromets-moidefaireattentionàtoi.—Pourquoi?Ilsecoualatête,commes'ilvoulaitniermespropos.—Pourquoi,Eva?Jememordisl'intérieurdelajoue,indécise,puislesmotsjaillirentcommedestraîtressansqueje

puisseychangerquoiquecesoit.—Parcequejetiensàtoi.—Quoi?Ilavaitl'airsincèrementétonné.Pourquoicelalesurprenait-ilautant,quequelqu'unsesouciedesa

personne?—Jetiensàtoi.Cefutavecunetendresseinfiniequesesmainsentourèrentmeshanches.Doucement,commes'il

avaitcraintdemefairefuir,ilm'attiraàlui.Jenerisquepasdem'échapper,comptelà-dessus.Jen'aijamaisétéaussibiendetoutemavie.

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Del'index,ilrelevamonmentonpourmeforceràleregarder.Lentement,sonvisagesepenchasurlemien,commes'ilavaitcherchémonapprobation.Jen'aipourtantjamaisrienvouluaussifort.Enfin, nos lèvres se touchèrent. Que les siennes étaient douces, imbibées de l'arôme sucré du

coca!Ellessecontentèrentd'abordd'effleurer lesmiennes,douceset légèrescommelesailesd'unpapillon, timides et hésitantes comme pour un premier baiser. S'il ne m'avait pas maintenue toutcontrelui,lesmainssurmeshanches,jemeseraiseffondréeparterretantmesgenouxtremblaient,mes jambes étant devenues de la texture des marshmallows. Sousma paume, je sentais son cœurbattreàtoutrompredansunecourseeffrénéeaveclemien.Del'autremain,jecontinuaisdecaressertendrementsajoue.

Puis,jesentissalanguepassersurmeslèvres.Jen'avaisjamaisétéuneférueduFrenchKiss,moncôtéhypocondriaquemerappelantlecôtépeuhygiéniquedelachose.Néanmoins,cecontactétaitsidouxquejenepusquemerésoudreàécarterleslèvrespourl'inviteràapprofondirnotrebaiser.Àmongrandétonnement,malanguemanifestaunevolontépropreet,sansmeconsulter,entrepritunedanse avec celle, sucrée, de Youri. Bon sang de bonsoir, jamais je n'aurais pu imaginer que celapouvaitêtreaussibon!

Lorsqu'il s'écarta de moi, les quelques centimètres entre nous me firent l'effet d'un videincommensurable et une étrange sensation demanqueme vrilla les reins.Mais queme faisait-il ?Enfin,j'ouvrislespaupières.Sesirisavaientretrouvélaprofondeurdeleurbleu,delamêmeteintequelecielsansnuages.Ilsscintillaient.Était-celàdelajoie?Était-cedudésir?Jesentaislesmiensbriller égalementd'unmélangedétonnantde cesdeuxémotions.Puis, un sourirevint compléter lemagnifiquetableaudesonvisage.

—Tarobeestassortieàmesyeux,murmura-t-il.—Aliceestvraimentunefée,assenai-jesansvraimentréfléchir.Son sourire s'élargit, en coin, etmoncœurmanquaunbattement.Seigneur, étais-jevraiment la

seuleàavoirremarquéàquelpointcemecétait…sauvage,colérique,imprévisible,maisôcombienmagique?

Tendrement,ilposasonfrontcontrelemienetrestacommeçaquelquesinstants.—Disposes-tuencored'unpeudetempsavantderetournerautravail?Jehochailatête.Lemonderéelmesemblaitàdesannées-lumièredel'étatdepurebéatitudedans

lequeljenageais.—Est-ceque…celateplairaitdefaireuntourenbarqueavecmoi?Jetrouvaissatimiditédivinementattachante,surtoutavecsonaccentexotiquevenud'onnesaitoù.

Onauraitditqu'ilcraignaitquejerefusechacunedesespropositionsets'adressaitàmoiaveccrainteetdéférence.Pourquoi?

—Avecjoie!—Alorsviens.Ilm'interditdel'aideràplierlanappeetrangeasoigneusementtoutessesaffairesdanssonsac.Il

serelevaet,aprèsm'avoirfaitunepetiterévérencequimefitsourire,metenditlamain.Jelesentissoupirerdesoulagementquandjelasaisis.Croyait-ilvraimentquej'auraiseulaforcedelerejeter?

Nousmarchâmes le long du lac, qui en réalité était un brasmort de laMoselle, aumilieu descouplesquis'embrassaientetdesenfantsquijouaient.VlanC'étaitquoi,cebruit?Yourivenaitd'arrêterunballonquiarrivaitdansnotredirectionàtoutevitesse.Àtroismètresde

nous,une fillette le regardaitaveccrainte.Était-ceen raisondesesvieuxvêtements?Aurais-jedûaussi avoir peur d'un SDF, aussi attirant fut-il ? Puis, il sourit à la gamine qui lui rendit

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immédiatementsonsourireavantdecourirrécupérersonjouet.—Mercimonsieur,fit-elledesavoixfluette.Vousavezunetrèsjoliecopine.Jerougisjusqu'auxoreilles.Était-cecequej'étais?Sacopine?J'auraisaiméqu'ilclarifienotre

situationdanscesens,maisilnelefitpasetsecontentad'ébourifferlescheveuxdelapetite,quipartitd'unrireamuséavantderejoindresamamanetuneautreenfantdumêmeâge.Sanslevouloir,jememisàsongeràAngela,macopinedejeuxdepuistoujours.Mamoitié.

—Tuvasbien,Eva?—Oui,excuse-moi,j'étais…ailleurs.Ilnemeposapasd'autresquestionset j'appréciaissadélicatesse.Samaintraçaitdescerclessur

mapaume.Jemeprisàimaginersescaressesintimesetdusmeforceràreveniràlaréalité.—Tuasencoreunpetitcreuxpourundessert?Jedécollaienfinmonregarddusol.Nousnousétionsarrêtésdevant lestandd'unevendeusede

glaces. Celle au chocolat, de couleur bien foncée, me paraissait particulièrement appétissante.Mabouchesemitaussitôtàsaliver.

—Ohqueoui!Ilsourit.Ilregardaitcesgourmandisesavecl'enthousiasmed'ungosse,lesyeuxbrillants.Quelque

choseseserradansmoncœur,diffusantunechaleurbienagréable.—Bonjour.Deuxglacesauchocolat,s'ilvousplaît,madame.Ilavaitdevinéleparfumquimefaisaitdel'œil.Normal,c'estlasaveurlaplusvendue,alorstubasarrêterdetetournerdesfilmsdanstapetite

caboche.Lavieillevendeusecommençaàélaborernotrecommande.Yourifouilladanssapochepouren

retirer quelques pièces jaunes et cuivrées. Je sentis la honte me gagner et sortis prestement monportefeuilledontjepusextraireunbilletdecinqeuros.

—Tenez,madame,fis-jeenletendantàlatenancière.—Non!Jesursautai.Yourimedevançaendéposantsur lecomptoirunemyriadedepetitespièces. Ilme

lançaunregardassassinauqueljerépondisdemanièreidentique.—Jepaie.—Certainementpas!—Qu'est-cequetunecomprendspasdansjet'invite?Lavendeuse,unedamed'uncertainâgeauxcheveuxd'argentdontlevisageaffableetridépouvait

faire penser à celui de lamarraine deCendrillon, nous observait, sa tête pivotant de l'un à l'autrecommedansunmatchdetennisenfonctiondenosrépliquesacides.

—Tuenasassezfaitcommeça,Youri.Touts'estmerveilleusementbiendérouléjusqu'àprésent.Negâchepastout,jet'enprie.

—Gâcherquoi?Tuashonted'êtrevueavecmoi,c'estcela?Jeme tus un instant, ne voulant pas lui avouer qu'il avaitmalheureusement raison sur toute la

ligne,mêmesicelamemettaitvraimentmalàl'aise.Jen'étaispasfièredemoncomportement.—Non,cen'estpasça,mejustifiai-jeenmentantcommeunearracheusededents.Je…tuvois,

madamen'apeut-êtrepasenviequetuluirefilestoutetamonnaie.Tuvaschargersacaissepourrien.Àcetinstant,lavendeuselevatimidementlamain:—Iln'enest rien,mademoiselle.Jevousassureque jesuis raviederecevoircespetitespièces.

Celamepermettradefairel'appointpourlesautresclients.Jelafusillaisurplace.Dequoisemêlait-elle?Maisellemetinttête.Jeregardaimieuxsonvisage.Sapeausemblaittannéeparlesoleiletl'air

frais.Peut-êtreavait-elledéjàconnulasituationdeYouri.Soudain,jeprisentièrementconsciencede

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monattitude.Jemeressaisisethochailatête.—Excuse-moi,Youri.Pourtouteréponse,ilmecaressalajoueetrégla.Timidement,jemurmurai:—Est-cequecelatedérangesijepaieletourenbateau?Ilsecoualatête.Sonexpressionn'étaitpasmenaçantenidéçue.—Vas-y,répondit-il.Jet'attendsunpeuplusloin.Jemehissaisurmespiedspourdéposermonbilletdecinqeurossurlecomptoirdelavendeuse

deglaces,quis'occupaitégalementdescanots.—Ceseradifficileaudébut,m'assura-t-elle.Maistenezbon.Jevousprometsquecelaenvautla

peine.Jeluisourisavecgratitude.—Vousneparlezpasdelapromenadesurl'eau,n'est-cepas?Ellemelançaunregardénigmatiqueavantderépondredemanièrebiensibylline.—Silavieétaitunlongfleuvetranquille,menersabarqueàbonportn'auraitaucunmérite.Jehochailatête,lecœurbattant.—Merci,chuchotai-je.—Taglacevafondre,mecriaYouriàquelquesmètresdenous.Jecourusjusqu'àluipourm'emparerducônequ'ilmetendait.Lechocolatétaitvraimentdélicieux.

Je levai la tête vers lui pour le remerciermais en fus bien incapable.De sa petite langue rose, illéchaitlaglacedemanièredélicate,parpetitsmouvements.Brusquement,jemeprisàimaginerquec'étaitmoi qu'il goûtait de cette façon. Jamais je n'avais reçu cette caresse, la trouvant dégoûtante.Seulement,quelquechosedanslamanièredefairedeYourimefitpensertoutlecontraire.

—Cequetuvoisteplaît?mequestionna-t-il,nonsansmalice.Sileridiculepouvaittuer…— Je… hum… je me demandais comment tu faisais pour manger ta glace sans en avoir

absolumentpartout.Ilmegratifiad'unclind’œilespièglesanssedépartirdesonsourireamusé.Iln'étaitpasdupedu

tout.—Ilsuffitd'êtreadroitdesesmains.Etdesalangue.Unviolentfrissonmeparcouruttouteentière.Pourdonnerlechange,jegobaicequ'ilrestaitde

mafriandise,etaussidemonhonneurparlamêmeoccasion.Jedevaisavoirl'airfine,avecleboutducônequidépassaitdemes lèvres.Envoulant l'avaler, jem'étranglai.Yourimefitposer le frontcontre sa poitrine tout en donnant des petites tapes sur mon dos. Ravie, je respirai son parfumd'agrumes.Sij'avaissu,j'auraisessayédem'étoufferplustôt.Puis,lorsquejem'arrêtaidetousser,iltraçaduboutdesdoigtslechemindemonépinedorsale,effectuantunagréablemouvementdeva-et-vient. Si ce jeune homme arrivait à me faire soupirer d'aise rien qu'en caressant mon dos –amicalement,àmongrandregret–qu'est-cequeceladevaitfairequandilyallaitfranchement?

—Bien,sionallaitenfins'installersurcesbarques?Désappointée, jehochailatêtesanslaissertransparaîtremadéception.Ilmetendit lamain, jela

saisisetilmeconduisitversuncanotblancetbleudontlapeintureécailléedonnaituncertaincharme.Ilauraitpuaccueillirquatrepersonnes.

—Bonjour!Je sursautai et me tournai vers l'endroit d'où provenait la voix. Un jeune homme ressemblant

commedeuxgouttesd'eauàlavendeusedeglacessetenaitunpeuenretrait,l'airgêné.Jeluioffrismonsourireleplusrayonnantpourlerassurer.

—Euh…vousconnaissezlesrèglesdebaseennavigation?Youriopinadubonnet.

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Ahbon?—Parfait,çameferatoujoursçademoinsàexpliquer,bredouillaceluiquejepensaisêtrelefils

delatenancière,toujoursaussimalàl'aise.Alors,voyons…Il se gratta la tête, probablement essayant de se rappeler le discours qu'il devait servir aux

touristes.—Nevousapprochezpasdelazonelà-bas,fit-ilendésignantvaguementunendroitdel'index.Et

n'oubliezpaslesconsignesdesécurité,ongardelegiletdesauvetagemêmes'ilesttrèslaid.Jerispolimentàcetteblaguequisentaitleréchauffé.QuantàYouri,c'estàpeines'ilsedonnala

peine d'ébaucher un sourire. Il observait notre guide avec pas mal de méfiance, un peu dans lamanière dont on surveillerait un prédateur ennemi s'approchant de trop près de la proie que l'oncomptaits'octroyer.Oùétaitmaplace,danstoutça?DansJurassicPark,tuseraislachèvre.Non,encorepire,tuseraisceluiquisefaitécartelerentre

lesdeuxT-Rex.Charmant!Mais alors que le guide approchait pour me remettre le gilet de sauvetage, Youri bondit, lui

arrachantl'objetdesmains.—Jem'enoccupe.—Vraiment?Voussavezyfaire?Youri le foudroya du regard. J'aurais juré que lemoniteur avait perdu quelques centimètres de

hauteurenl'espacedequelquessecondestellementils'étaittassésurlui-mêmeenpositiondéfensive.Lemystérieuxhommedes rues rivasesyeuxsurmoiet sonexpressionchangea,passantdudéfiàl'amusement.Sesyeuxbrillaient,lerendantencorepluscraquantqued'habitude.

—Approche.Jem'exécutai.Ilmepassalegiletetentrepritdelenouerjusteau-dessusdemapoitrine.Troublée,

jeretinsmonsouffle,obnubiléeparcesdoigtsagilesquiévoluaientàquelquescentimètresàpeinedemapeau.Latensionentrenousétaitàsoncomble.Puis,enquelquessecondes,cefutfini.Ilseglissadans le sien avantmêmeque je n'eus le temps de lever le petit doigt pour lui proposermon aide.Dommage.

Jesecouailatête,cherchantàramenermesidées.—Vousavezoubliélesrames,seplaignitYourienposantlesmainssurseshanches.—Oh,excusez-moi.J'enramènecombien?—Deux.—Quatre,répondis-je.—Deux,répétaYouri.—Non.Quatre.Onnepeutpasconvenablementrameravecuneseulepagaiechacun.—Tuasvraimentl'intentionderamer,Eva?Jeluifisdegrandsyeux.S'ilcontinuaitdejouerlesmachosavecmoi,çaallaitmalsepasser.—Trèsbien,quatre,finit-ilparadmettre.Unedemi-heureplus tard, nousnous esclaffions enpleinmilieudu lac. Il haletait, cequine fit

qu'accentuermonhilarité.—Franchement,jesuisétonné.J'aieudumalàtesuivre.Çanem'étaitjamaisarrivé.Jenepusm'empêcherdeluioffrirunsouriresuffisant,auquelilréponditentirantlalangue.Bon

sang,cettepetitelangueallaitmerendrefolle.Jetoussotaipourreprendreunevoixnormale.—Jefaisaisdebeaucoupdesport,avant.Lecanoëconstituaitl'undemespasse-tempspréférés.Etlerafting,lesurf,lebodysurf…j'adoraislessportsextrêmes.Sansoublierlesautenparachute.

Je tâchaide toutesmesforcesdenepasmerembruniràcesouvenir.Dernièrement, jedevenaisdeplusenplusdouéedansl'artdecachermesémotions.

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—Tuvasbien?—Oui,biensûr,répondis-jeavecunefausselégèreté.Pourquoitumeposescettequestion?Comment l'avait-ilvu?Monsourirenes'étaitpas fané, jem'étaisefforcéedeparaîtred'humeur

joyeuse.— Tes yeux ne brillent plus. Ils ont cette teinte dépourvue de lumière qu'il t'arrive parfois

d'adopteràcertainsmoments.Ilssontcomme…morts.Mêmesituaffichestonsijolisourire.Jememordislalèvresupérieure,quelquepeudécontenancée,avantdelepiégerenriant:—Tuviensdedirequej'avaisunjolisourire!Sesjouesseteintèrentlégèrementderose,maisilnedétournapasleregard.Moncœurbattaità

toutrompreetmesmainsétaientmoites,aupointquejecraignaisdelaisseréchappermesrames.—Oui,c'estcequejeviensdedire.Etencore,lemotjolin'estaucunementapproprié.Jen'aipas

assez de vocabulaire dans ta langue pour traduire ce que je ressens lorsqu'il se répand jusqu'à tesyeux,laissanttransparaîtretonâme.

—Oh!Pourlecoup,jenesavaispasquoiajouterd'autre.Riendecequej'auraispuajouternepourrait

rendrehommageàsaréplique.Demémoire,onnem'avaitrienditd'aussitouchant.Jelevailesyeuxverslui.Assissurlabanquettefaceàlamienne,ilmeregardait,semblantattendre

uneréactiondemapart.Lalumièredusoleiljouaitsurlasurfacedel'eau,renvoyanttoutsonéclatsurlapeaudeYouri.Labeautéquienrésultaitétaitpresqueirréelle.Danscettelueur,lebleudesesirisparaissaitencoreplusprofond.Seigneur,ilétaitsibeauquejedevaismefaireviolencepournepaspleurer.Sabouches'entrouvritetilhumectaseslèvresdesalanguerose.C'étaitbienplusquejene pouvais supporter. Me penchant en avant, je l'attrapai par le gilet de sauvetage et l'attiraibrusquement àmoi,manquant de peu de faire chavirer la barque.Mais jem'en fichais, je pouvaisaussibienmeretrouveraufonddulacouéchouéesurlesrivesdeMetzPlage:tantquej'étaisdanssesbras,lerestem'étaitcomplètementégal.

Nosbouchessetouchèrentavecl'aviditédontunhommeperdudansledéserts'accrocheraitàunesalvatricebouteilled'eau. J'avais soifde lui. Intensément.Cette sensationvenaitduplusprofonddemonêtre.Ilétaitleseulàpouvoirapaiserl'incendiequimeravageait.

Jeglissailesmainsdanssescheveuxpourl'attirerencoreplusàmoi.Ilsétaienttroplongsàmongoût,maisaussicertainementlesplusdouxqu'ilm'eutétédonnédetoucher.Sesmainscherchèrentmapeau,commejecherchaislasienne,cequenosgiletsdesauvetagerendaientdifficile.Mapassionpourluisedécuplalorsquejecomprisqu'illapartageait.Cetteardeur,cettebrûlure…Libérée,délivrée…Mais que venait faire la Reine des Neiges sur notre petite barque ? Déconcertée, je regardai

partoutautourdenousavantdemerappelerquec'étaitlasonneriedemontéléphone,quej'utilisaisexpressément pour Brigitte, car si j'étais libérée et délivrée, cela ne pouvait que signifier que lamégère n'était pas dans les parages. Je fouillai mon sac pour en retirer mon smartphone etm'apprêtaisàl'éteindrelorsqueYourim'interpella.

—Réponds.Onnesaitjamais.J'obéis.—Allô?— Il est ici, annonça Brigitte d'une voix trop neutre pour être bienveillante. Il exige votre

présence.Exige,carrément?Pasbesoindedemanderquiétaitceil.Lamanièredontils'exprimaitrévélaittoutsursonidentité.

Toutefois, il était mon patron – en plus d'avoir été ( peut-être) mon amant – et je me devaisd'obtempérer, dumoins pendant les heures de travail. Je lançai un regard contrit àYouri avant de

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murmureruntimide:—Letempsdesortirdecelacetj'arrive.Brigitteraccrocha.Jen'avaisaucunedifficultéàimaginerl'expressionqu'elledevaitarborerencet

instantmême.Elledevaitexulter.Jetentaidem'excuserauprèsdeYouri,maislemalétaitfait.S'entêtantàgarderlesilence,ilme

déposa sur la rive avant d'aller rendre les rames à la vendeuse de glaces. Son visage était neutre,indéchiffrable.

Ensuite, il s'éloigna d'un pas rapide. Je dus courir pour le rattraper. Je ne le savais pas aussisportif.Niaussienrogne.

—Tu…euh…Tu…Je me rendis compte que si je continuais d'aligner les tu, on allait me prendre pour Dolores

O'Riordan,lavocalistedesCranberrieschantantOdetoMyFamily.Jemesentaissiridicule…Jemeremisàcourirderrièrelui,megiflantmentalementenespérantêtrecapabledeproférerune

phrasecomplète.—Jesuisdésolée,Youri.Je…j'auraisdûtedemandertonavisavantd'accepterd'écourterlapause

midi.Cen'étaitpastrèsdélicatdemapart.Ilneréponditpas,maisralentitsensiblementsonallure.—Est-ceque…est-cequetuaccepteraisdemeraccompagnerquandmêmeautravail?Ils'arrêtaetpivotaversmoi,leregardsincèrementsurpris.—N'as-tupashonted'êtrevueenmacompagnie,unefoisdeplus?Pourquoitiens-tuautantàma

présence?Jesecouailatête,cherchantàsavoirsijedevaisounondonnerlaréponsequemedictaitlecœur.

J'optaipourlasincérité.—Parcequepouruneraisonquej'ignore,jesuisplusheureusequandtuesdanslesparages.Etje

n'aipashontedetoi,bienaucontraire.Sesyeuxexprimèrentd'abord ledouteet l'incrédulitéavantde laisserplaceàquelquechosequi

ressemblaitvraimentàdelajoie.Ilnedit rien. Iln'enavaitpasbesoin.L'intensitédesémotionsquipassaientdansson regard fut

bien plus explicite que le plus beau des discours. Retrouvant le sourire, ilme tendit lamain, quej'acceptaisavecjoie,medélectantduplaisirdesentirsapeaucontrelamienne.

Arrivésdanslarueoùétaitmontravail,ils'arrêtaàquelquesmètresdel'agence.—C'esticiquejetelaisse.Jecachaimadéception.Pourquoinem'accompagnait-ilpasjusqu'àlaporte?—Jeteretrouvecesoir,murmurai-je.Ildéposauntendrebaisersurmonfrontet,aprèsavoirattendu–envain–qu'ils'enhardisseun

peu,jetournailestalons.

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CHAPITRE14

Brigitte leva la tête dès qu'elle m'aperçut et, sansmêmeme donner le temps de la saluer, elleenchaînad'unevoixneutre.

—Ilt'attenddanssonbureau.Pourlapeine,elleauraitpuparodierCinquanteNuancesdeGreyetmesortirunMonsieurJérôme

va vous recevoir. Bien entendu,Monsieur Jérôme, ça claquait moins queMonsieur Grey, mais iln'empêchequecelaauraitpuêtremarrant.C'estvraique lemotmarrantdoit trèscertainement fairepartieduvocabulairedeMadameThe

WalkingDead.Estimantque jenepouvaisenaucuncasmepermettre le luxedepasserd'abordàmonofficine

afin de recevoir des encouragements et de la compassionde la part d'Alice, je pris directement lechemindubureaudeJérôme.Devantsaporte,jenepusmerésoudreàtoquer.Monassurancetombaàmespieds,venantprobablementtenircompagnieàmonhumour.Toutcequifaisaitmaforcem'avaitquittée.Super.

Destalonsclaquèrentaufondducouloir.Mylinda!Jeluilançaiunregardapeuré.Jeluiavaisunpeusauvélamisecematindanslestoilettesenfaisantsemblantdenepasavoirvulecroissantqu'elleessayaitdecacher.Ellepouvaitbienmerendrelapareille,non?

Elles'avançaversmoi,levisagedépourvudetouteexpression,leregardperduauloin.Onauraitditqu'ellenemevoyaitmêmepas.Familledezombies!Puis,alorsquej'enétaisàmedirequ'ellenem'avaitprobablementpasremarquée,elletoquaàla

portedemonsieurJérômeenpassantàmescôtésetcontinuasursonchemin,affichantsurseslèvresunrictusperfide.Avecunpeudechance,iln'aurapasentendu…Iln'estpassourd,nonplus!—Entrez!Si avant, je pensais que Jérôme empruntait un ton autoritaire lorsqu'il s'adressait àmoi, jeme

fourraisledoigtdansl’œilaumoinsjusqu'àl’œsophage.Maintenant,ilétaitcarrémentdictatorial.Jeposaimamaintremblantesurlapoignéedoréedontlemétalimmaculébrillaitcommelalampe

d'Aladdin.Allez,Génie,tumejettesunpetitsortd'invisibilité?Prenant une grande inspiration, je poussai enfin la porte. Tête baissée, il se tenait derrière son

bureau,debout,appuyésurledossierdesonimmensefauteuil.Malgréladistancequinousséparaitencore, je vis les jointures de ses mains blanchir. Pour le coup, j'étais plutôt mal barrée. Puis,brusquement,ilrelevalatêtepourmefaireface.

—Venezici!D'un pasmal assuré, je lui obéis.Obnubilée par les éclairs de colère zébrant dans ses yeux, je

calculaismal l'espaceentrenous–commeunefuséespatialeàbascoût–etbutaibrusquementsursonbureau,tombantenavantdetoutmonpoids.Lâchantunsoupir,ilm'aidaàmeredresser.

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—Asseyez-vousavantdefaireplusdedégâts.Toutàfaitd'accordaveclui,jeprisplacesurlefauteuilquim'étaitdestiné.Monattentionseporta

surladécorationdesatable.IlyavaitunependuledeNewtondontlesupportétaitenverreetjedusmefaireviolencepournepasjoueraveccesboulesargentéesquimefaisaientdel'œil.

—Savez-vouspourquoijevousaiconvoquéeici?Je secouai lementon,unnœuddans l'estomac.Cethommeavaitune telle assuranceetune telle

maîtrisedesoiquemonenviedeluicriersesquatrevéritéssetournaenundésirirrépressibledemeplanquer sous la table pour y rester tant qu'on n'aurait pas installé entre cet homme et moi unpérimètredesécuritéd'aumoinssixmillekilomètres,cequicorrespondaitàpeuprèsaurayondelaTerre,àuneloucheprès.

Alors,ilsepenchaenavant,leregardsinoirquejemesurprisàchercherlaporteducoindel'œilpourm'assurerlapossibilitédem'échapperauplusviteencasdepépin.

—Vousavezamenéunclocharddansmonagence.Ilmit tantdehainedans laprononciationde cemotquemoncœurdevintdeglace.Qui était-il

poursepermettreuntelméprisenversunepersonnequ'ilneconnaissaitmêmepas?Derage,mesongless'enfoncèrentdanslecuirdufauteuil.

—Monamiestvenumechercherpendantmapause,oui.Jevenaisvraimentdedireça?—Jeneveuxpluslevoirdanslesparages.Ilfaitfuirlesclients.Pensive, jememordis l'intérieurdes joues.Si je trouvais sonattitude regrettable, jenepouvais

sincèrement pas l'en blâmer. Il était un homme d'affaires, et un bon, à en juger par sa colossalefortune.Lavenuedequelqu'uncommeYouridanssonagencepouvaiteffectivementporterpréjudiceà son négoce. Si sa requête me paraissait détestable d'un point de vue éthique, elle se tenait,économiquementparlant.Jenepouvaispasprotester.

—Jecomprends,monsieur.Celanesereproduirapas.Ilaffichaunsouriresatisfaitquitoutefoisnecontaminapassesyeux.Jérômen'étaitpasleroidela

chaleur.Enfin, si,maisdansunautresensauquel jen'avaisaucuneenviedepenserencemoment-même.Disonsqu'iln'étaitpaschaleureux,maiscen'étaitpasunmonstrenonplus,assurément.Parconséquent,croyant la tempêtederrièremoi, jemedétendis.Mepenchantsur lecôté, jesaisismonsacetpassaimonbrassouslalanière,prêteàmeleverpourpartir.

—Jenevousaipasencoreautoriséeàmequitter.Ilexisteuneautresollicitationdontjevoudraisvousfairepart.

Lessonnettesd'alarmeretentirentdansmatête.Jesentismesextrémitésse tendre.S'ilne lâchaitpastoutdesuitecequ'ilavaitàmedire,j'allaisfinirparattraperunecrampeauxjambes!

—Jevousécoute.—Jevousinterdisdelerevoir.Mabouches'ouvritengrandetjemefisl'effetd'unpoissondansunbocal.—Jevousdemandepardon?—Vousaveztrèsbienentendu,jelecrains.Jevousinterdisdelerevoir.Je secouai la tête. Là, dans mon cerveau, c'était le chaos. Les idées fusaient tandis que je me

demandais si j'avais vraiment saisi ce qu'il venait de proférer. Son regard suffisantm'indiqua quec'étaitbienlecas.Resterpolieallerserévélerbienplusdifficilequejenel'avaiscraint.

—Jenecomprendspas.Enquoicelavousregarde-t-il?—Vousêtesmonemployée.Vousn'avezpasàêtrevueencompagnied'indésirables.—D'indésirables?Franchement,ondiraitquevousparlezd'unSPAMconcernantlestroublesde

l'érection.Unlégersourirepassasursonvisage,maisjenemelaissaispasamadouer.

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—Jesuispayéepourfaireuntravailetjel'accomplisavecbrio.Etmodestie.—Noussommesd'accordsurcepoint,maisl'imagequevousdégagezdemasociétém'incombe.—Pendantmon temps de travail, c'est entendu.Mais pas le reste du temps. Je fréquente qui je

veux!Me rendant compte que j'avais commencé à vociférer, je me forçai à respirer calmement, ne

désirantpasquenotreconversationatteignelesoreillesd'elfemalléchédeBrigitte.—Non.Non?C'étaitça,saréponse?—Jenevousappartienspas!Jen'avaispascriécettephrase.Jel'avaishurlée.—Levez-vous.Jenemefispasprier.Aumomentoùjetournailestalons,ilmeretint.—Approchez.J'hésitaiuninstant,puis,jem'avançais,rongéeàlafoisparlacolèreetlacuriosité.—Encore!Mesjambesbutèrentcontresonfauteuil.Alors,toutsepassatrèsvite.Ilmefitbasculerenavant,

mapoitrinecontresonentrejambequejesentisdurciret,soudain,samains'abattitsurmesfesses.Jeneparvinsmêmepasàcrier, tant j'étaisestomaquée.Unemainme retenait sur lui tandisque

l'autre continuait de frapper mon derrière. Et s'il est vrai que le picotement me provoquait unesensationquel'onauraitpuqualifierd'agréable,ilétaitpresqueentièrementeffacéparlaragequejeressentais envers celui qui se permettait de me violenter. Prenant amplement conscience de lasituation, je me débattis, lui implorant de me lâcher, mais il resta sourd à mes supplications,poursuivant sa fessée. En réalité, j'aurais juré que ma rébellion ne faisait que l'enhardir, ce quidécuplamacolère.Parvenantàlibérermonbras,jesaisislapenduledeNewtonpourl'écrasercontresatempedetoutesmesforces.J'obtinsl'effetescompté:illâchaprise.

—Etvousavezencoredelachancequejeneportepasplainte,espècedemaladerépugnant!Surce,jepivotaipourrejoindrelaporte.—Attendez!Jem'arrêtaisansmeretourner.—Quoi,encore?—Regardez-moidanslesyeuxetdites-moiquecelanevousapaspluetjevouslaisseraipartir.Etjevouslaisseraipartir?Maispourquiseprenait-il,unefoisdeplus?Jepartaissijelevoulais.Néanmoins,jeletoisai,vrillantmesyeuxauxsiensenymettanttoutemacolère.—Quecelam'aitpluounonn'estpasdevotreressort.Maisunhommequifrappeunefemmesans

quecelle-cileluiaitdemandén'estpasunMaîtremaisunvilconnard.Jesavaistrèsbiencequim'avaitplulà-dedans.L'aspectsensueldelafesséequifaisaitfantasmer

certaines filles nem'avait jamais attirée, loin de là. Pourmoi, c'était autre chose.Après l'accident,j'avaiseubeaucoupdemalàémerger.Avais-jevraimentémergé,d'ailleurs?Danslessemainesquiavaientsuivi,jem'enétaisvoulueàunpointquetoutcequejedésirais,c'étaitmepunir.Deschosesquin'avaientjamaisfaitpartiedemonquotidienm'étaientvenuesnaturelles:scarification,brûluresauto-exercées… Je cherchais le pouvoir guérisseur de la douleur, parce que cette douleur, je laméritais.Jedevaissouffrirpourcequej'avaisfait,etlasouffrancepsychologiquenemesuffisaitpas,raison pour laquelle je me mutilais. Heureusement, aujourd'hui, tout ce qu'il me restait de cetteépoque trouble étaient quelques cicatrices que je parvenais àmasquer avec des bracelets et autresbreloques.Mais ladouleurde la fessée avait ravivé cette sensationdedépendancepar rapport à lasouffrance.Etrienquepourça,j'envoulaisàmortàcethomme.Néanmoins,unebonnepartiedema

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colère s'envola quand je vis son regard. Il semblait… blessé. Psychologiquement. Et aussiphysiquement. Un peu de sang s'écoulait de sa tempe. S'il l'avait bien cherché, je ne pouvais toutbonnement pas me résoudre à l'abandonner comme ça. Je soupirai, me maudissant parce que jerestais.

—Allez,enlevezvosmainsdelàetlaissez-moivoir.Ilavaitplusieurséclatsdeverresoussatempe.Riendedramatique,maisildevaitsefairesoigner.

Jedégainaimonappareil.—J'alertelessecours.—Jevousl'interdis.Jelevailesyeuxaucieletcomposailedix-huit.—Faitesçaetjeporteplaintecontrevous.—Faitesçaetjeleuravoued'officelaraisonpourlaquellejemesuisdéfendue.—Jevousenprie,n'appelezpas.Ilyavaitunetellecraintedanssesyeuxquejeraccrochai.—Mêmesivousêtesunparfaitconnard,ilesthorsdequestionquejevouslaissecommeça.Ilme

fautdelagaze,unepincestériliséeetdel'alcool.—Dansletroisièmetiroirsurvotregauche.Jepivotaipourchercherl'attiraildelaparfaitesoigneuse.—Jerigolais.Vouspensezvraimentquejedisposedetoutça,dansmonbureau?Jehaussailesépaulesavecnonchalance.—Vousyentreposezprobablementd'unexemplairedel'humourpourlesnulsencoresousblister,

alorsplusriennem'étonne.Ilrouladesyeux.—Bon,voilàcequejevouspropose.Jevousemmènedansmademeure,vousmeguérissez,je

vousfaisraccompagner.J'acceptai.Jeluiavaisinfligéuneblessureet,mêmes'ill'avaitamplementméritée,ilétaitdema

responsabilitédelesoigner.—Allons-y.Maispastoucheàmesfessesoujerecommenceillico,lemenaçai-jeendésignantla

pendulecasséesursonbureau.Ilhochala tête.Ilsemblaitchercherquelquechosedesyeuxpourmasquersablessure.Àmoins

qu'ilnepossèdeunsombreromexicainouuneperruquededragqueen,jenevoyaispasvraimentcequiauraitpucachercequejeluiavaisfait.Puis,uneidéemetraversal'esprit.

—Attendez-moideuxminutes.Nebougezpasd'unpouce,compris?Étonné que je lui donne des ordres et que je le laisse planté là, il me regarda partir avec

incrédulité.Jemerendisdirectementaubureaud'Alice,quisursautalorsqu'ellemevit.— C'est quoi, ça ? s'inquiéta-t-elle en pointant du bout de l'index la belle robe qu'elle m'avait

prêtée.Jediscernaideuxtachesdesangsurletissubleu.—Cen'estrien,c'estjustedusang.Unpeudetchuttchutetonn'yverraquefeu,rétorquai-jeen

mimantlegestedupistoletàproduitanti-taches.—C'estlesangdequi?—Ah,c'estceluideJérôme.—DeJérôme!Tudevaislevoir…—Oui,jel'aivu,lacoupai-je.Iln'étaitvraimentpascontentalors…—Tul'astué?Jeluifissignedeparlermoinsfort.Siellecontinuaitdejouersirènesdesecours,lapoliceallait

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débarquerd'uninstantàl'autre.—Mais non, quelle idée ! Bien sûr que non, la rassurai-je. Il s'est juste pris un petit coup de

penduledeNewton.Elleécarquillalesyeux,médusée.—Bon,d'accord,jel'aiaidéunpeuàselaprendre,maisilm'avaitdonnéunefessée,cequejen'ai

pasapprécié.—Je…—Est-cequetupourraismerendreunservice,Alice?Ellemescruta,paniquée.—Pour ce qui est demasquer les corps et toutes ces histoires, j'ai toujours été nulle àCluedo

donc…J'éclataideriremalgrélasituation.—Non,jen'aibesoinderiend'illégal,net'enfaispas.Maispourréparerlaboulettequejeviens

defaire,j'auraisbesoinquetumaintiennesBrigitteetMylindaloindel'accueilpourquejepuissemerendrechezJérômeafindelesoignercommeilsedoit.Est-cequetuferaisça,pourmoi?

—Lesoignercommeilsedoitest-ilunefaçondeparlerdeça?—Dequoi,ça?—DetromperYouri.Youri.S'ilapprenaitquejemerendaischezJérôme,ilseraitsacrémentenrogne.D'unautrecôté,

c'estparcequejel'avaisdéfendufaceàmonpatronquejemeretrouvaisdanscettesituation.Iln'avaitdonc rien à redire, surtout que je n'allais rien faire d'immoral avec Jérôme, et que je n'étaisofficiellementpaslapetiteamiedecesexyvagabond.Nonobstantcefait,jerassuraiAlice.

—Non.Jenevaistromperpersonne.Jetelepromets.Elle hocha la tête en me gratifiant de son sourire le plus chaleureux. Ensuite, elle débrancha

brusquement son ordinateur sans l'avoir éteint au préalable, me jeta un regard éloquent puis sonvisagesefermalorsqu'ellepritlecombinépourénoncerd'unevoixtremblante:

—Brigitte?J'aiunproblèmesurmonordinateur.Vouspouvezvenir,s'ilvousplaît?Elle raccrochaetmefitvivementsignededéguerpir,ceque jenemefispas répéterdeux fois.

Cettefilleétaituneamieenor,prêteàattirersonpirecauchemardanssonbureaurienquepourmesauver la mise. Je retournai dans l'espace de travail de Jérôme, l'intimant au silence. Lorsquej'entendislespasdeBrigittedanslecouloir,puislaportedubureaud'Alicesefermer,jefissigneàmonpatrondemesuivre.

Ilm'emboîta lepas jusqu'à la sortie.Malgré le côté énervantde la situation– ilm'avait toutdemêmedonnéunefesséenonréclamée–jenepouvaispasm'empêcherdesourirecommeuneidiote,amuséedemeconduirecommeuneadolescenteessayantdesortirendoucedechezelleenéchappantàlavigilancedesesparents.

Enfininstalléedanssavoiture,jemecalaiconfortablementdanslefauteuilencuir.Jérômemitlecontact et l'air frais se mit à souffler, faisant presque immédiatement baisser la température à unniveaubienplusagréable.J'adoraiscetteberline.

Jérômemesourit,maisn'ajoutarien.Lemoteurdémarrasansunbruit.—Arrête-toi,luidemandai-jelorsquenouspassâmesdevantunepharmacie.—Descompresses,j'enaidéjà.—Non,cen'estpaspourça.—Sic'estpourlesrèglesdouloureuses,j'aiaussicequ'ilfaut.Jelefistaired'unsimpleregard.—Écoutez,ilvousfautdespointsdesuture.Sivouspréférezquejevousrecouseavecdufildoré

tirédevosrideaux,c'estvotreproblème.

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Enfinraisonnable,ilsegaradocilement.Jeluifisdegrandsyeux.—Quoi?—Vousnevouleztoutdemêmepasquejepaiecetteconneriedemapoche,si?Avecunsoupir,ilmetenditunepetiteliassedebillets.Iln'avaitpasintérêtàlaramener.—Jerevienstoutdesuite.D'unbrusquecoupdehanche,jefermailaportière.Jemerendisàlapharmacieetdemandaidufil

chirurgical. Lorsque la pharmacienne grimaça, je lui tendis ma carte professionnelle criardementfausse – j'avais falsifié celle de ma mère médecin quand j'étais adolescente – et me mis à jouernonchalamment avec la liasse de Jérôme.Elle jeta un coup d'œil au ticket puis à l'argent avant devérifierl'absenced'autresclients,aprèsquoielledisparutdansl'arrière-boutiqued'oùellerevintplustardavecmacommande.

—Parfait,lafélicitai-jeenluitendantsonpot-de-vin.

CHAPITRE15

Arrivés chez Jérôme, ilme fit installerdans lagrandepièce rondeetm'abandonna le tempsderécupérer l'alcool, lapinceet lescompresses.L'endroitmerappelaitnotrepetitécart.J'auraisaimél'interrogeràcesujetafinqu'ilm'aideàmieuxcomprendrecequis'étaitpassé,maisjesentaisquecen'étaitpasunebonneidée.Lemieuxpourmoiétaittoutsimplementdetoutoublier.

Jeneprismêmepaslapeinedem'asseoirsurlebanc.Jenevoulaispasdonnerl'impressionquej'allaisrester,parcequecen'étaitpaslecas.J'allaispartirtrèsvie.Déguerpird'ici.M'éloignerdecetypeautantquepossible.

Commeilprenaitsontemps,jemepermisd'allerétudierlesdifférentespeinturesetsculptures.Jemedemandaiscequecelafaisait,devivreaumilieud'œuvresd'artcommesicelles-cin'avaientétéquedevulgairesmeubles.

J'étais issue d'une famille relativement aisée. Ma mère était médecin. Mon père avait arrêté letravailpourseconsacrerànousquandnousétionsvenusaumonde,puis,iln'avaitjamaisvraimentrepris,àpartunemissionàdroiteouàgauche. Il fautdireque l'arrivée tardivedemapetitesœur,âgéeaujourd'huidecinqans,nel'avaitpasaidéàsedécideràretourneràlavieactive.Nousétionsune famille peu conventionnelle. Je n'avais jamais voulu profiter de leur argent et j'avais travailléparallèlementàmesétudes. J'avaisétéélevéedanscetesprit indépendantet entrepreneur.De toutes

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façons,mesparentsdonnaientunebonnepartiedeleursrecettesàdesassociationscommeMédecinsSans Frontières. Si notre maisonnée n'avait jamais manqué de rien, loin de là, l'opulence que jevoyaisicin'avaitjamaisfaitpartiedenotrequotidien.

Quelqu'un toussaderrièremondos. Jeme tournaipourvoirJérômedeboutprèsde fauteuil,unplateau en argent contenant les ustensiles destinés à le soigner entre lesmains. Je le rejoignis enquelquesenjambées.

—Asseyez-vous,luiordonnai-je.Commeilmedéstabilisaitbienplusquejenevoulaismel'avouer,jem'adressaisàluidemanière

autoritaire,commeillefaisaitavecmoi,aveclavaineimpressionquecelameprotégeraitdelui.Ilobéit.

—Celarisquedefairemal.—Maisc'estmérité,ajouta-t-il.—Exactement.—Çavapiquerunpeu,dansl'immédiat.Jecommençaipardésinfecter lablessure,heureusequ'il reste immobile.Puis, je saisis lapince

quej'avaispréalablementstérilisée.J'inspiraiprofondémentafindemecalmer.Celafaisaitlongtempsquejen'avaispassoignéuneblessurecommeça.

—Jevaisretirerlesmorceauxdeverredevotretempe.Là,çavavraimentdouiller.Ilhochalatête.Jecapturailepremierboutdeverre,leplusfacileàattraper.Jérômenebougeapas

quandjedéposail'objetsanguinolentsurleplateauenargent.Jemepenchaipourensaisirunsecond.—Alorscommeça,vouscroyezquevousn'aimezpasêtrefessée?—Jen'aimepasêtrefessée.—Commejel'aidit,c'estcequevouscroyez.Jemeraidis.—Aucasoùvousnel'auriezpasremarqué,c'estmoiquidétienslebistouri.Alorssij'étaisvous,

jeresteraismuet, justehistoiredenepasmeretrouveravecunepincecoincéeàunendroitpourlemoinsinsolite.Remarquez,vucommevousêtestordu,celapourraitencorevousplaire.

Ilneréprimapassonsourirenarquoiset j'eus leplusgrandmaldumondeànepas le lui faireravaler.

Unefoistouslesmorceauxdeverresortis,jesaisislefilchirurgicalainsiquel'aiguilleacquisetantôt. Je le recousis sans échanger lemoindremot. Cela valaitmieux pour lui, de toutemanière.Lorsquej'eusterminé,jedéposailetoutsurleplateauavantdemetournerpoursaisirmonsac.Ilétaitplusquetempsquejem'enaille.

—Pourquoiêtes-voustoujoursaussipressée,Cendrillon?—Parcequecontrairementàcettepimbêchedeprincesse, jenedisposepasde sourismutantes

dotéesd'unevoixdesplusstupidespourmefaireleménage.Ilouvritlabouchepourrépliquer.Dupeuquejeconnaissaisdelui,ilauraitencoreétécapablede

me demander pourquoi je n'embauchais pas une soubrette. Je le devançai en coupant court à sesprotestations.

—Etdetoutemanière,j'aiunevieendehorsduboulot.Alorsjevaisrentrerchezmoi.Desgensm'attendent.

Sesyeuxvifslancèrentdeséclairs.—Unevieendehorsduboulot?—Oui.Vous êtesmonpatron.Vous faites donc partie dema sphère de travail.Mais j'existe en

dehorsdecela,alorsjevaisyaller,carilmetardederetrouvermonappartement.Jemislalanièredemonsacsurmonépaulepourluicertifierquej'allaisvraimentdéguerpir.—Nousdevonsencorediscuter.

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J'arquailessourcils,dubitativepuis,jetournailestalonsetcommençaiàpartir.—Vous,vousavezenviedediscuter.Pasmoi.Jen'aiplusrienàvousdireettoutesttrèsclairpour

moi.Maintenant,sivousvoulezparlertoutseul,allez-y.Promis,jen'alerteraipasvotrepsychiatre,jevousenfaisleserment.

Soudain, ilm'attrapapar lebrasetme tiraviolemmentenarrièrepourme forcerà fairevolte-face.

—Non,maisçanevapas?!Jedevrais…Lamenacedanssesyeuxmefittaireimmédiatement.—Asseyez-vous.Toutdesuite.L'alarme dansma tête retentissait au niveaumaximal. Je balayai rapidement les options qui se

présentaientàmoi.J'auraisététentéedeluiflanqueruncoupdepieddanslesglorieusesetdepartirenlelaissantcommeça,maisquelquechosemefaisaitpenserque,danscettehistoire,jen'étaispaslaplusforte.Aussi,jeluiobéisenbaissantlatêtetoutenrestantsurmesgardes,prêteàmedéfendresilebesoinsefaisaitsentir.

Ilrestadebout,devantmoi.—Jesuisdésolé.Jelevailesyeuxverslessiens.Ilsparaissaientsincères.Jemeradoucisunpeu.Ilsetournavers

unepetitetable.Jerêve!Ilamêmepréparélechampagne!Ilmetenditunecoupequej'acceptaiàcontrecœur.Quoique,unpeud'alcool–etjedisaisbienun

peu–m'aideraitpeut-êtreàtrouverlapatiencepoursupportersesdoléances.Le liquidesucrécouladansmagorge,medétendantpresque instantanément.Quand je rendis la

flûtevideàJérôme,ilaffichaunsouriresatisfait.—C'estmeilleurqu'uncocaengobeletservisurunevieillenappeàmêmelegazon,non?Là,c'étaitlepompon.—Non!Non,çanel'estpas.J'appréciemieuxuncocaéventéoffertparquelqu'unquimerespecte

qu'unchampagnebonmarchéproposéparunindésirabledansvotregenre.—Monchampagnen'estpasbonmarché!Jemelevai,prêteàm'enaller.— Je savais que c'était uniquement cette partie dema réplique qui vous ferait réagir.Vous êtes

minable.Cettefois,ilperditenassurance,allantmêmejusqu'àmefairedelapeine.—J'aitellementplusàvousoffrirquelui…—Peut-être,maisvousn'avezpasl'essentielàmesyeux.—Pourquoi?—Jenelesaispasmoi-même.—Vousneleconnaissezmêmepas.—Certainementmieux que vous neme connaissez. Et pourtant, pour une raison que j'ignore,

votretroublanteobsessionsurmapersonneexistebeletbien,c'estlemoinsquel'onpuissedire!Ilricanaamèrement.—Vouspensezvraimentleconnaître?—Jen'ensais rien,mais lessentiments,çanesecommandepas.J'ensuis lapremièresurprise,

maisj'enaiàsonégard.Jeneparleraispasencored'amour,cependant,jemesensbienquandilestauprèsdemoi.Ilestleseulquipuissemerendreheureuse.

Ilsecoualatête.—Parcequevousnem'avezpaslaisséfaire.Permettez-moidevousmontrerquej'ensuisaussi

capable.Bienplusqueceminableclochard.

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L'entendreinsulterainsiceluiquineluiavaitrienfaitmemitànouveauencolère.—Vousvoyez?Jevousdisqu'ilmerendheureuseetvous,vousfaitesquoi?Jenevousdemande

pasdevousréjouirdemonbonheur,maisvosinjuresàsonégardmemontrentencoreàquelpointvousmanquezderespect.Àquelpointvousmemanquezderespect.

— Vous avez le choix entre un homme pouvant pourvoir à tous vos besoins et un misérableclochard,etvouschoisissezleclochard?

—Justement,vousnepourvoyezpasàmonbesoinleplusessentiel!Celuid'êtreheureuse,merde,est-cesidifficileàcomprendre?—Vousêtescomplètementfolle.Folleàlier!Alorsvoilà.Ilnepouvaitpasm'avoir,alorsilmedénigrait.—Pensezcequevousvoudrez.Jenechangeraipasd'avis.Ilbaissa lesyeux.Sesentait-ilenfinvaincuoubienserepliait-ilpourmieuxcontrer?Lorsqu'il

relevalementon,toutetraced'animositéavaitdisparu.J'expirai,soulagée.—Unedernièrecoupeavantdenousdireadieu?J'acceptaivolontiersetbusmonverreendiscutantdechosesetd'autres.Celafaisaitdubiendese

détendreenfin.Agréablementsurprisedufaitquenousarrivionsàparlersansnoushurlerdessus,jeprisuntroisièmeverre.

La têteme tournait lorsque jememis debout. Le chauffeurm'attendait dans l'allée. Comme je

titubais, Jérôme se permit de passer son bras autour de ma taille pour m'aider à avancer. Je ris,insouciante,puis,lorsquenousarrivâmesdevantsavoiture,ils'arrêta.

— C'est ici que je vous dis au revoir. Des affaires urgentes ne me permettent pas de vousraccompagnerchezvous.

Jehochailatêteenriantdelafaçonguindéedontils'adressaitàmoiquand,soudain,seslèvresseposèrent sur les miennes pour un torride baiser. Prise au dépourvu, je ne le rejetai pas, mais nerépondispasàsonétreintepourautant.

—Jenerenonceraipasàvous,mepromit-il.Muette, jem'assis sur la banquette arrière, puis, quand il se pencha sur l'habitacle, ilmurmura

avantdefermerlaportière:— Je me tiendrais éloignée de lui, si j'étais vous. Je suis votre chef et je peux vous envoyer

directement au chômage. Par les temps qui courent, ce serait déplorable. Sachez aussi que je peuxfairebienplusqueça.ÀcemiséreuxdeYouri,commeàvous.

Lebruitdelaportièremefitsursauter.J'étaisclairementenétatdechoc.Cetypesepermettaitdem'embrassersansmonaccord:passeencore,ils'étaitprisd'uneétrangeobsessionàmonégarddontil peinait à se défaire. Mais ce que je n'acceptais pas, c'étaient les menaces. Encore moins cellesdirigéescontreYouri.

D'ailleurs,d'oùconnaissait-ilsonprénom?Merevintalorsenmémoirelamanièredontilavaitparlé du coca en gobelet et de la nappe blanche sur le gazon.D'où savait-il tout ça ?Avait-il desespions?Bonsang,cegenredechoses,çan'arrivaitquedansleslivres,oudanslesfilms,maispasdanslavieréelle!

Au fur et àmesureque le chauffeurme ramenait chezmoi, je sentis la panique s'installer.Quesavait-ild'autre?S'ilavaitlebrasassezlongpouravoircesinformations,ilavaitcertainementassezd'influencepours'enprendreànous.Ilpouvaitmefairevirerenunclind’œil.Celaétaitcertain.Jenedisposais pas de beaucoup d'économies, mais si je venais à me retrouver au chômage, j'avaisconfianceenmoi,jeseraiscapabledemeretourner.MaisYouri?Qu'est-cequeJérômepouvaitluifaire?Commentpouvait-ill'atteindre?

Soudain, un souvenir refit surface. Je revis dans ma mémoire le colosse qui l'avait agressé,

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entendislescrisdeleurdispute.Quiétaitcethomme?Sepourrait-ilseulementqu'ilyeutunrapportentrelegéantetmonpsychopathedepatron?

Dansledoute,unedécisions'imposaitàmoi.JedevaismemainteniréloignéedeYouri.Pourlui.Poursonproprebien.Mêmesicelameprivaitdubonheurdesaprésence.Maiscelaallaitsûrementêtrel'unedeschoseslesplusdifficilesquej'auraisàfaire.Commequandj'avaisdûquitterd'Angelaaprèsl'accidentlorsquej'avaiscomprisquenejeseraisjamaiscapablederemédierauxconséquencesdemesactes.J'avaisdéjàgâchélaviedemacousine,alorspournepasgâcheraussicelledeYouri,j'allaismesacrifieretmeteniràl'écartdelui.Pournepasabîmeruneautreexistence,j'étaismêmeprêteàmedonnercorpsetâmeàJérôme.Pourtant,simonpatronm'avaitparuattrayantparlepassé–etc'étaitlecasjusqu'àunedemi-heure,soyonshonnêtes–cetteépoqueétaitrévolue.Désormais,jelevoyaiscommeuneorduredelapireespèce.Ordureaveclaquellej'étaisprêteàcoopérerpoursauverceuxquej'appréciais.

Quandlaberlines'introduisitdansmarue,jesentisnettementmoncœursebriserendeux.Yourise tenait assis, adossé contre unmur. Il souriait.Vraiment. Je voyais ses yeux briller. Il avait l'airheureux.Jenepusm'empêcherdemedemandersic'étaitdûànotresortiedemidi.Laguitaredanssesbras,iljouaitunechansonquejen'entendaispasàtraverslesvitresfermées.Maisilsemblaitymettretout soncœur.À troismètresde lui,une jeune fille le reluquait. Je fus tentéededescendreafindedonner deux bonnes gifles à cette idiote,mais jeme retins. Il ne pourrait pasm'avoir,moi, alorsmieux valait le savoir avec une autre plutôt que tout seul,même si celam'était insupportable. Sonbonheurpassaitavanttout.

Alors,cequejecraignaisarriva.Ilsetournaverslavoiture.Ilnepouvaitpasmevoiràtraverslavitre teintée, mais je sentis qu'il savait que j'étais là. Une larme m'échappa lorsque je vis sonexpression. Enmoi, tout se délitait.Mes espoirs d'allermieuxmouraient les uns après les autres.Certes,jeneleconnaissaispasdepuissilongtemps,maisjesavaisqu'encetinstant,ilétaitleseulàpouvoirmerendreheureuse.Voirladéceptionprendrepossessiondesonvisagedivinmecoupalesouffle.

Commedansunfilm,lechauffeurmetenditunmouchoirainsiqu'unepairedelunettesfémininesdontjereconnuslamarqueonéreuse.Siçatournaitauvinaigre,jepourraistoujourslesrevendreaumarché noir et m'acheter une kalachnikov avec l'argent récolté pour dégommer cet imbécile deJérôme.

Néanmoins,jevissailessatanéesbinoclessurmonnez,prisunegrandeinspirationetsortisdansla rue. L'espace d'une seconde, je restais interdite. Qu'étais-je supposée faire ? Aller vers lui ?M'excuser?Luiexpliquerlasituation?Non.Cen'étaitpasunebonneidée.Ilrisquaitdevouloirmeretenir.De ce que je savais de lui, il y avaitmêmede fortes chances pour qu'il soit capable de serendrechezJérômepourréglerceconflitàmainsnues.Etsij'avaisconfianceenlaforcedeYouripouravoiraisémentremarquésesmusclessoussontee-shirt,j'étaisàpeuprèscertainequeJérômeen sortirait vainqueur, non pas parce qu'il était plus fort, ou plus intelligent,mais parce que cetteordureétaitcapabledelapiretraîtrise.Ilsnesebattaientpasaveclesmêmesarmes,loindelà.

Jedevaismeconduirecommeuneparfaiteconnasse.Jemedétournaideluiet,faisantcommesijene l'avaispasvu, je traversai la rue.Ce furent lesdixpas lesplusdifficilesdemavie.Mesmainstremblaienttellementquejelaissaitombermescléssurlesol.Jememordisl'intérieurdesjouespourne pas pleurer jusqu'à sentir le goût du sang sur ma langue. Alors que j'allais me baisser pourramassermontrousseau,unemainquej'auraisreconnueentremillemeletendit.Sansmeretourner,sans le remercier non plus, car je savais que si je laissais échapper le moindremot, ma voix sebriserait, à l'instarde lavolonté, jepris les clésdansmesmains, les introduisisdans la serrure etfermailaportederrièremoicommesij'avaiseuunfantômesurlestalons.

Éreintée,jem'adossaicontreleboisdelaporte.Lecœurbattant,jel'entendiscriermonnom.Sa

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voix était si claire qu'on aurait dit celle d'un ange. Si j'ouvrais… si je lui expliquais… tout seraitfichu.Ilseraitfichu.

Jerestaisquelquesinstantsdanscettepositionàl'écoutercriermonnom.Jevoulaisgraverdansma mémoire chaque nuance de sa voix, son intonation quand il prononçait les deux syllabes quirésumaientmon identité.Quandceladevint tropdouloureux, jemedirigeaivers lacaged'escalier.Chaquepasquim'éloignaitdeluiétaitunsupplicequimedéchiraitlapoitrine.Étrangement,chaquemarche gravie me rapprochait du ciel. Pourtant, moi, elles m'emmenaient vers ma damnationpersonnelle,versunenferoùYourin'existaitplus.

Enfin chez moi, je verrouillai la porte. Je ne pus me résoudre à fermer les fenêtres. Ellesconstituaient ledernierpontentreYourietmoiet jenemesentaispasencoreprêteà lecouper.Lecœurlourd,jemelaissaitombersurmonlit.Pendantunmomentquimesemblainterminable,laruerestamuette.Ce silence allaitme tuer !Où étaitYouri ?Était-il parti ?Même si celame semblaitinsupportable,celavalaitencoremieuxpourlui.Pourquoinel'entendais-jeplus?L'avais-jeblesséaupointdelerendreincapabledejouer?

Alors, les notes de sa guitare entrèrent par la fenêtre, comblant de leur délicatesse le vide dusilence.Savoixs'ajoutaàlamusique,d'unepuretétellequejem'interdisdesangloterpournepasenlouperunemiette.

Soudain,touts'éclairadansmatête.J'étaistombéeamoureusedelui.Irrémédiablementamoureuse.Cela avait commencé quand je l'avais entendu chanter la toute première fois. Sa voix m'avaittranspercél'âme.Ensuite,ilyavaiteucetterencontrepourlemoinschaotique,quandilavaitretenumescheveux,lafoisoùj'étaisrentréeivre.Çaauraitdûmerenseignersursoncaractère.Quid'autreseraitvenufileruncoupdemainàuneidiotedansmongenre?Enréponseàsagentillesse,jel'avaistraité par le mépris. Après, j'avais tenté de me racheter, puis j'avais eu l'occasion de mieux leconnaître en écoutant ses récits quime transportaient ailleurs. J'avais, dès le départ, éprouvé cettesensationdebien-êtreensaprésence.Etilavaitfalluqu'onm'enéloignepourquejemerendecomptedesanature.

Jedusmefaireviolencepournepasmeleverafindemerendreàlafenêtreluihurlerdemontermerejoindre.Jemeplusàimaginerlafaçondontlel'auraisreçu.Àquelpointnotrebaiserauraitététendre, puis brûlant. Voire les deux à la fois. Avec Youri, tout était possible. Il avait fallu qu'onm'empêchedelevoirpourquejeréaliseàquelpointilmemanquait.

Il n'était pas le seul àmemanquer. Il était plus que temps que j'assumemes responsabilités. Jeroulaisurlelitpoursaisirletéléphoneposésurmatabledechevet.Tumemanques,écrivis-je.Puis,jesélectionnailenumérod'Angelasurl'écranavantd'appuyersurenvoyer.Lesmainsposées

surleventre, jelaissaislavoixdeYourimebercer,m'imaginantquej'étaisdanssesbras.Si jemelaissaisàpenseruneseuleminuteàmavéritablesolitude,jesavaisquejeperdraispied.Dansunétatsecond,jefinisparm'endormir.

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CHAPITRE16

—Tuesbienattachée?Angela hocha la tête. Elleme dit quelque chose, mais je ne l'entendis pas à cause du bruit du

moteur.Cesatanécoucoufaisaitunboucand'enferetjen'avaisqu'unehâte,metirerdelà.Parlehublot, jevoyaisleschampsdevenirdeplusenpluspetits.Lesvoituresn'étaientpasplus

grandesquedesfourmis.Je vérifiai une énième fois le harnais quime rattachait à elle. Tout était en règle. L'instructeur

s'approchadenous.—C'estprêt,lesfilles!hurla-t-ildansmonoreille.—Super!criai-jetouteguilleretteenlevantlepoing.Je le vis s'approcher de la grande porte. Nous devions le rejoindre. Je tentais de le faire,mais

Angelam'enempêchait.—Ilfautqu'onavance!vociférai-je.Elle opina du bonnet et s'exécuta.Nous étions attachées l'une à l'autre. J'étais devant,mon dos

colléà sonventre. J'avais insistépourprendre saplace,mais elleavait refusé.Elle se sentait plusprotégéeensemettantenretrait,alorsj'avaisaccepté.Une fois devant laporte, jeme tournais vers elle pour la regarder.Elle avait l'air paniquée. Je

passaimamainsursajouepourlarassurer.—Tuverras,toutirabien.—Jeneveuxpassauter.—Onnepeutplusfairemarchearrière,Angela!Onadéjàpayé,allez.Elle semordit la lèvre supérieure, hésitante. Je lui saisis lamain, exerçant une pression douce.

Depuisl'enfance,jesavaisquecegestel'aidaitàsecalmer.—Onyva?L'instructeurs'impatientait.Jehochai la tête. Ilouvrit laportièrede l'avion.L'aircirculaitdans

l'habitacle produisant un boucan d'enfer qui m'empêcha d'entendre la dernière remarque de macousine.Jen'yprêtaid'ailleursaucuneattention,pensantquelameilleureréactionfaceàlapeurétaitdesejeteràl'eau.Alors,sansregarderenbas,jesautai,l'entraînantavecmoi.Siseulementj'avaissu…Trèsvite,l'aviondisparutderrièrenous,nouslaissantdansunincroyablesilenceoùleseulbruit

étaitceluiduventsurnosvêtements.

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Iln'yavaitrien.Rienentrenousetlesol.Rienentrelecieletnous.Cettesensationdelibertéétaitsigrisantequejepoussaiuncrid'extase,évacuanttoutl'airdemespoumons.Puis,macousinehurlaaussienunchantd'allégressedontleson,serépercutantdansmoncœur,nemequitteraitjamais.Cettechutelibre,c'étaitdel'adrénalinepure,lasensationlaplusgrisantedetoutemavie.Les mains jointes, nous profitâmes intensément de ce moment unique, ignorant totalement que

c'étaientnosderniersinstantsdebonheurpartagé.Je sentis le parachute automatique s'ouvrir. Notre vitesse ralentit, mais pas de lamanière dont

j'espérais.Pas commeonavait étudié lors des exercices, en tout cas.Macousinedut le remarqueraussi, car elle se raidit. J'exerçai une pression sur samain, espérant la rassurer. Après tout, celaprenaitjusteunpeuplusdetempsqueprévu.Nousarrivionstropvite.Beaucouptropvite.—Eva!—Çavaaller,net'enfaispas.Jementais éhontément,mais qu'aurais-je pu faire d'autre ?Comment aurais-je pu arrêter notre

chuteeffrénée?Nousnenousdirigionspasverslebonendroit.Nousdevionsatterrirdansleschamps.Pourtant,

nousallionsdroitverslesbois.Cen'étaitpasnormal.Pasrassurantdutout,même.Lecœurauborddeslèvres,jevislesarbress'approcherdangereusement.Commentpouvais-jeprotégermacousine?

Jemeréveillaiensursaut.Angelaétaitencoreinconsciente.Unebranchemetransperçaitl'avant-

brasdepartetd'autre,maisjenesentaispasvraimentladouleur.Jesupposaisqu'elleétaitsiintensequemoncerveauchoisissaitdeladéconnecter.J'avaisvuçaencours.Questiondesurvie.Ma cousine présentait une fracture ouverte du radius. Je l'inspectais tout en dégainant mon

téléphone pour appeler le dix-huit. Le temps de donner nos coordonnées, approximatives puisquej'ignoraisnotrepointdechuteexact,macousineseréveilla.

—Commentvas-tu?—Jen'arrivepasàmelever.Celamemitlapuceàl'oreille,mêmesicelaauraitputoutsimplementêtreliéàl'étatdechocdont

elledevaittrèsprobablementsouffrir.—Tuasmal?Elleparutunpeuperdue.—Pasdutout.Jene…ressensrien.Riendutout!Jememisdeboutetenlevaimaveste,cequiserévélaunvraisupplicecomptetenulablessureà

monbras.Jeladéposaisurmacousineetm'assisàsescôtés.—Çavaaller,toi?mequestionna-t-elleenlorgnantlesangcoulantlelongdemonbras.Iln'yavaitqu'ellepourfaireça.S'inquiéterpourmoialorsque,jelepressentais,cequiluiarrivait

étaitautrementplusgrave.L'ambulance finitpar semontrer.L'inquiétude lisible sur lesvisagesdespompiersmerenforçait

dansmonpessimismeetmapeur.Enfin,onnousfitprendreplacedanslevéhicule,moisurunfauteuil,Angelasurunbrancard.Àl'hôpital,ilsl'emmenèrentloindemoi.Jepaniquais.Lesheurespassaientetje n'avais pasdenouvelles.Onme soigna, et je duspartir.Quand je la revis, elle était en fauteuilroulant.Sonvisage,autrefoisserein,n'avaitjamaisexpriméautantdetristesse.Queluiavais-jefait?

Jeme réveillai en sursaut.Mapeauétait recouvertede sueuret j'avaisdumal à reprendremon

souffle. Mon corps tout entier tremblait comme une feuille. Je me roulai en boule, tâchant decontrôlermarespirationdanslebutdemecalmer.Cen'étaitpasuncauchemar,maismonsouvenirleplusaffreux.Meslarmesnepouvaientplussetarir.

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Meseffortspourramenermonrythmecardiaqueàlanormalenefonctionnaientpas.Monespritdéchaînéressassaitlepasséinlassablement,partiellementcoupédelaréalité.Emportéeparlecourant,jepeinaisàregagnerlerivage.

Alors, pour ne pas me noyer, je me forçais à me lever, et même si cela me faisait mal, jem'obligeaisàfaireunpasdevantl'autrejusqu'àlafenêtre,conscientequelaseulechosequipouvaitmesauverdelafoliesetrouvaitlà,danslarue.

Je le vis et tout de suite, ce fut comme si un remèdemiraculeux circulait dansmes veines,mefaisantreveniràlaréalité.Seulement,quandjerecouvraientièrementmesesprits,cefut lapaniquequim'envahit.

Lecolosseétaitlà!EtilétaitentraindetabasserYouri.Monsangnefitqu'untour.Sansmêmemedonnerlapeinedepasserquelquechosepar-dessusmanuisettenimêmechaussermesescarpins,jemeprécipitaidehors,dévalantlesmarchescommeuneforcenée.

Une fois devantmon portail, jem'arrêtais.Youri était à terre et ne bougeait plus. L'horreur fitbondirmoncœurdansmapoitrine.Jedevaisprendrel'agresseurparsurprise.Voyantunebouteilledevinentrelesdeuxadversairesetmoi,monplans'éclaira.

Jesortissansbruit,piedsnusquej'étais,etm'emparaiduflaconenverre.Alors, jecouruspourl'écraser de toutesmes forces sur la nuque du colosse, qui, contrairement àmes attentes les plusfolles,nes'effondrapas.Merde,pourquoicen'estpascommedanslesfilms?Iltentademedonneruncoupdepoing.Jel'esquivai.Monpied,lui,parvintàlefrapperenplein

ventre, mais cela ne sembla point l'ébranler. Il ricana et commença à s'avancer vers moi, amusécommeunchatjouantavecunesouris.

—Tun'auraisjamaisdûtemettreentraversdemonchemin,petite.Petite?Aujourd'hui, j'avaiseumadosedecesconneriesmacho,alors, jen'eusaucunmalà lui

envoyermonpoingenpleinefigure.Manquedebol,illeparasansencombres.—Tuvassouffrir,petite.—Tuteparlesàvoixhaute,petit?entendis-je.Cettevoix…Unbruitsourdretentit.Lecolossesemitàtanguer, lesyeuxrévulsés,ets'avançaversmoi, l'air

totalementabsent.Comprenantcequisepassait,jem'écartai.Legéantchutalourdementsurletrottoir.Sapoitrinesesoulevaitau rythmedesa respirationet ilétait tombésur le trottoiretnonsur la

route,quideplusétaitpiétonne.Parconséquent,ilnerisquaitriendutout.JemepermisdeleverlesyeuxsurYouri.Ilavaitl'air…surlepointdes'effondreràsontour!—Youri!criai-je.Je bondis par-dessus le malabar pour venir le serrer dans mes bras. Il était froid et tremblait

commeunefeuille,probablementdansunétatsecondsuiteàtouslescoupsqu'ilvenaitderecevoir.Puis,ilbaissalesyeux,quis'illuminèrentlorsqu'ilmevit,commes'ilvenaitseulementderéalisermaprésence.

—Tueslà,murmura-t-ilenmeserrantdetoutessesforces.Tuesrevenue,tuesvraimentici,avecmoi.

Unelarmeroulasursajoue.Sijem'étaisattendueàça…Jemehissaisurlapointedespiedspouressuyersalarmeduboutdel'index.Ilnepouvaitpaspleurerpourmoi,çadevaitêtrel'étatdechoc…

—Nemelaissepas.—Chut,luidis-je.Jesuislà,maintenant.Soudain,unesirèneretentit.—Viens,onmontechezmoi.Avecunpeudechance,ilnenousbalancerapasauxflics.Ouaux

pompiers.Mêmesi,aprèstout,nousavonsagienlégitimedéfense.

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Venais-jevraimentdedireça?Dissimulerdeschosesàlapolicen'avaitjamaisfaitpartiedemonquotidien.Oupire, secacherdevilainscolossesayant toutd'unmafieux.Toutefois, si jen'agissaispas,Youriseferaitprendreetça,jenepouvaispaslesupporter.Si,techniquement,ilnerisquaitrienvis-à-visdesforcesdel'ordrepuisqu'iln'avaitfaitquerépliqueràuneagression,jecraignaisquelebraslongdontavaitparléJérômenes'étendejusque-là.

QuantàYouri,ilneréagissaittoujourspas,sebornantàfixerlegéantendormi.—Allez,viens!Commeiln'obéissaitpas,jeleharponnaiparlebrasetl'entraînaiàtraverslarue.Ilselaissafaire

comme un zombie amadoué, puis, une fois devant la porte de mon immeuble, sembla reprendrevraimentconscience.

—Es-tucertainedevouloirm'emmenercheztoi?Je lui adressai un sourire narquois malgré moi. Il n'allait pas recommencer avec sa hantise !

N'avait-ilpassaisiquejen'avaispashontelui?Jehochailatête.—Sûreetcertaine.Suis-moi.Il tentadem'emboîter lepas,mais sadémarche était si traînanteque jedusm'arrêter. Il titubait

comme un ivrogne. Seulement, il ne sentait absolument pas l'alcool et ses pupilles n'étaient pasdilatées.À la lumièredu couloir, je remarquai lesnombreuses tracesde coupsqu'il présentait auxbrasetauvisage.Ilétaitsacrémentamoché.Attendrie,jedescendisdeuxmarchespourlerejoindre,passaisonbrassurmesépaulesetencerclaisataille.

—Allez,onyva.Ilm'observaavechésitation.Visiblement, iln'avaitpasplusquemoil'habituded'êtreaidé.Jelui

adressaimonsourireleplusencourageantetilfinitparm'obéir.—Çava?s'enquit-il.Jenetefaispasmal?Monrireserépercutadanslacaged'escalier.—Tumerappellesquelqu'un.Tuesblessé,tusouffreslemartyre,etplutôtquedeteplaindre,tu

t'inquiètespourlesautresenmedemandantsimoi,çava?Je ris à nouveau, grisée de la sensation queme procurait le fait d'être capable de penser àma

cousinesansquemoncœurrisquel'implosion.—Jeterappellequi?Toi?—Moi?Pourquoi?Jerâletoutletemps,pourtant!—Ça, tu peux le dire, Eva.Néanmoins, on dirait que tu traînes quelque chose au fond de toi-

même.Quelque chose de si douloureux que celame faitmal de te regarder.Et pourtant, je ne t'aijamaisentenduet'enplaindre.

Sesparolesm'allèrentdroitaucœur.Ilm'avaitpercéeàjour.—Lecolosseadûtecognerlatête.Tudisvraimentn'importequoi.Ileutladélicatessedenepasrépliquerets'efforçadesourire.Toutefois,sonrictusluiarrachaune

grimacedouloureuse.Lepauvre!J'auraisdûintervenirplusvite.Sijenel'avaispaslaissédanslaruecettenuit,sijen'avaispasécoutécetimbéciledeJérôme…

Enfin arrivée devant chezmoi, jeme rendis compte quemesmains tremblaient lorsque je lesportaiàlaserrurepourouvrirporte.Celamerappelatoutàl'heure,quandj'étaisrentréeetquej'avaistotalementignoréYouri.Uncoupd'œilverssonvisagedemarbrem'indiquaqu'ilysongeaitaussi.

—Assieds-toilà,luiindiquai-jeendésignantunechaise.Je courus fermer les volets pour ne pas qu'on puisse nous apercevoir de dehors tandis qu'il

allumaitlalampe.Lorsquejemeretournai,ilsetenaitdeboutàcôtédusiègequejeluiavaissuggéré.J'eus enviede lui demander crûment s'il souffrait d'hémorroïdes,maismapolitesseme retint, fortheureusement.

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—Pourquoitunet'assiedspas?Souslalumièreartificielle,jelevisrougirtoutenfixantlesol,sansosermeregarder.—Je…jesuissale.Jesuis…unSDF.Mesentraillessecontractèrentquandjecomprisàquelpointildevaitsesentirgêné.—Tuesbienplusproprequed'autresgarsquej'aiconnus,etpourtantcesderniersavaientaccèsà

touteslescommodités.Alorstuvasêtrebiensageettuvasvissertesfessessurcettechaise,ousinonjet'ycolleraimoi-même,entendu?

Enfin, un sourire étira ses lèvres, éveillant unmillier de papillons dansmon bas ventre. Si çacommençaitcommeça,j'allaisavoirdumalàresterprofessionnelle.

—Jevaischercherquelquechose,jerevienstoutdesuite.Jepartisdansmasalledebainsoùjedénichaiunflacond'alcoolainsiquedescompresses.Dans

monsacàmain,jerécupérail'aiguilleetlefilchirurgical.Aprèsavoirstérilisélapremière,jerevinsdanslesalon,chargéeenplusdedeuxverresetd'unebouteilledevodka.Jelevailesyeuxaucielenvoyantqu'ilnes'étaitpasencoreinstallésurlachaise.

—Jevaisavoirunpeudumalàtesoignersitunet'assiedspas,Youri.Jeterappellequemesbrasnesontpasextensibles,expliquai-jeenagitantmesmains.

Ils'exécutaensoupirant.Vraiment,iln'allaitpasmefairelemêmecoupqueJérômeenrâlantpourchaquegestequejeluidemandaisd'effectuer!

—Sijedoist'examiner,tudoisenlevertontee-shirt.Ilmegratifiadesonsourireencoin,celui-làmêmequimefaisaitcraqueràtouslescoups.Mon

rythmecardiaques'accéléraetunesensationd'agréablechaleursediffusadansmesveines.Pourcequiétaitduselfcontrol,jepouvaisrepasser.

Il sembla hésiter quelques instants puis, il porta ses mains à l'ourlet de son haut avant de lesoulever,dévoilantd'abordsonventreplat,puissontorsesculpté.Iljetalevêtementenboulesurlesol,maisjen'enavaisquefaire,obnubiléeparcequejevoyais.

Des tatouages parcouraient son thorax, dessinant ça-et-là des arabesques noires. Il était… toutsimplementparfait.Lagorge sèche, je constataiquemesdoigts suivaient les contoursdesdessins,comme simesmains avaient étédotéesd'unevolontépropre.Youri affichaitmon sourirepréféré,maissesyeuxétaientbrûlantsdedésir.MonDieu,dansquoijem'embarquais?—Je…euh…jetâtaislepouls.Ilesttrèsbon.Félicitations.Ilhochalatête,visiblementtrèsamuséetcontentdelui.Jerougisjusqu'àlaracinedescheveuxet

meretournaipourremplirdeuxshotsdevodka.Cen'étaitcertespastrèsprofessionnel,maissansça,jerisquaisdemetransformerenflaquedégoulinantesansmêmeavoirputenterdelesoigner.

Jeluitendissonverre.Quandilleportaàsabouche,j'eusleplusgrandmalàmeretenirdenepasgoûterl'alcooldirectementsurseslèvres.

—Mmmh,delavraievodkarusse,s'extasia-t-il.Elleestbienloindelapolonaise.Excellent!Super.Jem'amourachaisd'unspécialistedesspiritueuxslaves.Jemedemandaicequemamèreen

auraitpensé,etdécidaiquejem'enfichais.Iltenditlebrasversmoi.Croyantqu'ilallaitmetoucher,jefrémis.Enréalité,ilnefitqueposer

sonverrevide sur la tableet jememaudispourmon ingénuitéen toussotantpourmedonnerunecontenance.

—Trèsbien.Maintenantquenousavonsbuchacununcoup,jevaispouvoirmesoigner.Sonsourires'élargitetjemerendiscomptedecequejevenaisdedire.—Hum,tesoigner.Tuavaistrèsbiencompris,detoutemanière.Ilhocha la tête. Je fermai lesyeuxquelques instantspourme forcer à retrouvermaconscience

professionnelle.Lorsquejelesouvris,j'étaisbienplusdétendue.Jepouvaisenfinpasseràl'examen

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desesdiversesblessures.Ilprésentaituneplaieouvertesurlatempe,uneautresurleflancgauche,ainsiquedestracesde

contusions sur le torse. Celle sur le flanc m'inquiétait particulièrement. On aurait dit un coup decouteau.

— Je vais devoir te coudre après t'avoir désinfecté. La plaie sur la tempe n'est pas propre etcontientdestracesdegoudron,jesuisobligéedelesenleveràlapince.Çarisqued'êtredouloureux.Tuveuxunpeudevodkapourt'aideràsupporter?

—J'enveuxbien,mêmesimacapacitéàencaisserladouleurfrôlelesurnaturel.Jenepusm'empêcherderireenluitendantleflacon,dontilbutaugoulotavantdemelancerune

grimacecontrite.—Non,Youri,jenet'engueuleraipasparcequetuboisdirectementàlabouteille…—Pardon.—Prêt?—Prêt.Jem'appliquaiànettoyersa tempedumieuxqueje lepus,cequis'avérabienlaborieuxcompte

tenudufaitquemesmains tremblaientàchaquefoisqu'ilmeconsidérait.Sesyeuxbrillaientd'unelueurétrange.Jen'auraissudirecequiletroublaitàcepoint,maisilétaitfortementému,celaétaitcertain.

Soignercepatientàlapeaudélicatementdouceetparfuméefutlachoselaplusdifficilequ'ilm'eutétédonnéde fairedans toutemavieprofessionnelle, et si jen'étaispasencoremédecin, j'enavaispratiqué, des actes depremiers secours ! Jen'avais paspourhabituded'éprouverpareille enviedem'arracherlesvêtementsetdemejeterdanslesbrasdesblessés!

J'ignoraispourquoi,maisen le recousant, j'avais l'impressionque je réparaisbienplusquedesblessuresexternes.

—Çayest,c'estterminé!luiannonçai-je.Ilhochalatêteavantdemeremercierchaleureusement.Sichaleureusementques'ilcontinuaitde

meregardercommeça,j'allaissubirunecombustionspontanée.—Jepeuxteposerunequestion?—Oui,biensûr.Ilsegrattalescheveux,commeàchaquefoisqu'ilétaitunpeugêné.— Où est-ce que tu as appris à faire tout ça ? Tu as des doigts de fée. Euh… des mains

d'infirmière,jevoulaisdire.Jerisdoucement,soupesantlepouretlecontredem'ouvriràlui.Aprèstout,cen'étaitpascomme

simavieavaitétéunsecretd'État.—J'étudiaislamédecine,àMontpellier,avantdevenirici.D'admiration,ilécarquillalesyeux.—C'estsuper!Tuasfaitcombiend'années?—Trois.J'auraisdûcommencermaquatrièmeenseptembre.—Cen'étaitpastropdifficile?—Un peu quandmême,mais j'adorais ça. J'allais en cours avec le sourire, toujours désireuse

d'apprendredenouvelleschoses.Jesupposequecelam'aidaitàavoirdebonnesnotes.Ilsecoualatête,interloqué.—Alorspourquoias-tutoutarrêtépourvenirici?Jegardailesilenceenmemordantlalèvresupérieure,indécise.Jemerendiscomptequejen'étais

pas prête à tout livrer. Pas encore, en tout cas. Il continuait deme dévisager avec bienveillance etj'avais l'étrange impressionqu'il pouvait liredansmesyeux.Cependant, plutôtquedememettre àl'aise,cettesensationmebloqua,verrouillantimpitoyablementtouteslesportesquej'avaistentédelui

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ouvrir.Enplus,ilavaittoutdemêmereçuuncoupdecouteau.Siçasetrouve,c'estJérômequiavaitenvoyélecolosse.Rienn'étaitexclu.Sijevoulaisleprotéger,sijevoulaisnousprotéger,jedevaisréagirrapidement.

—Youri,nousdevonsarrêterdenousvoir.Croyantquejeplaisantais,iléclataderire.—C'estça,oui!—Jesuissérieuse.Son rire s'arrêta quand il vit la froideur que je m'appliquais à faire transparaître dans mon

expression. Lire la tristesse sur son visage fut pire qu'un coup de poignard, puisque j'en étaisresponsable.

—Nousdevonsarrêtercelaavantqueçan'aille trop loin,avantque l'oncommenceàs'attacherl'unàl'autre.

Ilricanaamèrement.Cesoncreuxn'avaitplusriendecerirecristallinquej'affectionnaistant.—Maisletruc,c'estquej'aidéjàcommencéàm'attacheràtoi.Merde,obtenircetteréponse-là,cen'étaitpasprévu!—Ehbien,c'étaituneerreur.Autantmettrefinàtoutçaavantqu'ilnesoittroptard.Ilfronçalessourcils,mécontent.—Pourquoi?Pourquoimaintenant?Ilselevaetfitunpasversmoi.Jedevaisdirequelquechosequileblesseraitpourdebonavant

qu'il ne franchisse ladistanceentrenous.S'il venait àme toucher, jen'étaispas certained'avoir laforcenécessairedeluirésister.

—Parcequej'aihonted'êtreavectoi!Maproprecruautém'étonna.Safiguresevidadetoutsonsangetjelevisserrerlespoingsjusqu'à

enfaireblanchirlesjointures.—Jenetecroispas.—Pourtant,c'estlecas.Regarde-toi,criai-jeenledésignant,etregarde-moi!Mavoixétaitmontéedanslesaigus,commesicelaavaitpumedonnerunpeuplusdecrédibilité.—Jeporteunenuisetteensatin…De la couleur de ses yeux,mais je préférais ne pas penser à ses iris si je ne voulais pas être

déstabilisée.—Ettoi,tuportesquoi?Deshaillonspourcacheruntatouagedemafieux!Alors,avantquejen'aieeuletempsdereculer,ilsepostadevantmoipoursaisirbrusquementma

mainaccusatrice.—Je tedéfendsdeparlercommeçadece tatouage! Ils'agitd'unemarqued'honneurque tune

pourraismêmepascomprendre.Sil'aciditédesarépliquemeblessaauplusprofond,jenelaissaisrienparaître.Jenelepouvais

pas.Son torsesesoulevaitaurythmesaccadédesarespiration.Je levai lesyeuxsursonvisageenpriantpourquemonmasqued'impassibiliténes'écroulesousl'intensitédesonregard.

—Va-t'en.Mavoixn'étaitplusqu'unmurmure.—Va-t'en,répétai-je,encoremoinsfort.Il nem'avait toujours pas lâchée. J'avais l'impressionquemonbras brûlait à l'endroit où ilme

tenait,commesilesimplecontactdenosdeuxpeauxavaiteulepouvoirdeprovoquerdesincendies.Leressentait-il,luiaussi?

—Situledisunetroisièmefois,jem'enirai,etceserapourdebon.J'ouvris la bouche, prête à le répéter,mais aucun sonne sortit demagorge.Lesyeuxdans les

yeux, il attendit pendant un temps quime sembla interminable tandis quemon cœur battait à tout

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rompre. Puis, alors que je tentais désespéramment de trouver la force de protester, ses lèvrestouchèrent les miennes. En un instant, la glace fondit dans mes veines, laissant place à un feudestructeurquibrûlatoutesmesbarrières.Avantquejen'aieletempsdem'enrendrecompte,jesentismesdoigtss'enroulerdanssescheveux.Ildutprendrecelapourungested'encouragement,puisqu'ilmeplaquacontreluiavecungrognementrauque.Cesonsisimplefinitdemettremoncorpsentotaleébullitionetl'unedemesmainsabandonnasachevelurepourvenirsepromenersurlesarabesquesdesontorse.Lui,desoncôté,caressaitmesreinslentement,sibienquejesentisunélancementdedésirémanerdecetendroitprécis.Jenepouvaistoutbonnementpasmeséparerdelui.J'avaisbesoindeses baisers surmes lèvres, surma peau tout entière.Alors, je crus défaillir lorsqu'il rompit notreétreinte.

—Situveuxquejeparte,ilfautlediremaintenant.Après,jene…Pourtouteréponse,jemelimitaiàsourire,puis,jel'attrapaiparlebraspourl'entraînerversma

chambre.Là,jelepoussaisurlelit.Lajoieselisaitsursonvisagequandilm'attrapaaupassagepourmefairetombersurluisansromprenotreétreinte.

Assise à califourchon sur ses genoux, je m'écartai pour mieux le contempler. Sentant sonentrejambepalpitercontremonintimité,jelâchaiungémissementd'aise,puis,jelaissaimesdoigtsparcourirlesarabesquessursontorse.Ilfrissonnacontremesmains,cequimeprovoquaunnouvelélancementdanslesreins.J'avaisdéjàtellementenviedelui!

Sesmainspétrissaientmesfessestandisquejemefrottaiscontrelui.Ensuite,ellesseportèrentsurmonventre.Ilseredressaunpeupourm'enleverlarobeetj'enprofitaipourl'embrasser.

Ilserecouchapourm'observer,lesmainssurmeshanches.—Tuessibelle!Laplusbellechosequimesoitarrivée.Jeluisourisetcontinuaidecaressersontorse,cettefois-ciavecmesongles.Çaavaitl'airdele

rendrecomplètementfou.Jen'enrevenaispasd'avoirautantdepouvoirsurunhommetelquelui!Jesentissesmainsécartermonsoutien-gorgeetretinsmonsouffle,dansl'expectative.Iltraçale

contour de mes mamelons, puis, commença à les torturer par des caresses de plus en plusprononcées.Mapeausehérissa,parcourued'agréablespicotements.Prisedansletourbillondudésir,je me tortillais sur place, me frottant encore contre lui. Enfin, mon soutien-gorge tomba sur lematelasetsescaressess'intensifièrent.

Jetressaillisquandjesentissamainpassersurlefintissudemaculotte,puis,ils'écarta.Ohnon!Iln'allaitpasmelaissercommeça?Heureusement,iln'avaitfaitqu'enleversonpantalon.Lesyeuxmanquèrentdemetomberdelatête.

Dieu,qu'ilétaitbienfoutu!—Couche-toisurlelit.Je secouai la tête, lui faisant signe de s'allonger, lui. Avec mon sourire en coin préféré, il

obtempéra.Bon sang, s'il continuait de sourire comme ça, j'allais fondre avant d'avoir commencéquoiquecesoit!

Fermantlesyeux,jereprismaplacesurlui,puis,soudain,ilécartaletissudemaculotte.Jelâchaiuncridesurpriselorsqu'ilentraencontactavecmonintimité.

—Tuesdéjàtellementtrempéepourmoi,murmura-t-ilenpassantundoigtsurmafente.Sans crier gare, il l'introduisit enmoi et je poussai un violent rugissement de plaisir lorsqu'il

commença à effectuer desmouvements de va-et-vient avec sonmajeur. Les yeux toujours clos, jebougeai pour lui offrir une meilleure pénétration. Toute la tension de mon corps commençait àdisparaître,emportéeparlefulgurantplaisirquemeprocuraientsescaresses.Soudain,unautredoigtvint tracerdescercles surmonclitoris. Je sentisdesvaguesd'extase tenterdem'emporter,mais jem'accrochaisaurivage.

—Laisse-toialler,mapuce.

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Alors,jeluiobéis.Uneincroyablemaréedeplaisirmesubmergea,m'emmenantloindetout,saufdelui.Lorsquejerevinsàmoi,ilmedévoraitdesyeux.

—As-tuappréciélespectacle?luidemandai-je,d'unevoixquejenemeconnaissaispas.—Tun'imaginespasàquelpoint.Etcen'estpasterminé.À ces paroles, un nouvel élancement naquit dans mes reins pour me parcourir toute entière.

Difficilement,jememisàgenoux,aprèsquoijeleforçaiàsecoucher.—C'estmontour,maintenant,décrétai-je.—Etlemien,renchérit-il.Jeris.Jenereconnaissaispascesonsensuelsortantdemagorge.J'avaisl'impressionqueYouri

merévélaittellequej'étais.Sans cesser de le regarder, je portai ma main sur son boxer dont le renflement traduisait

l'excitation. Il palpita contre ma paume. Bon sang, j'allais devoir me faire violence pour ne pasl'introduireenmoisurlechamp!

Par-dessus le tissu, je dessinai les contours de son sexe, le sentant gonfler encore contre mesdoigtsdansunepuresensationd'extase.Puis, jem'arrêtai. Il lâchaungémissementdefrustrationetmonsourires'élargit.

—Qu'est-cequetuveux,Youri?—Caresse-moi,Eva.—Vosdésirssontdesordres.Alors, très lentement, j'ôtai son boxer pour prendre sa virilité dans ma main. Un autre

gémissement s'échappa de ses lèvres. De plaisir, cette fois. Le serrant bien fort, je commençai àeffectuerdesmouvementsdehautenbas.

J'avaisdéjàfaitçaàplusieursreprises.Jeleredoutais,carjenel'appréciaispas.Néanmoins,cettefois,jemesurprisàprendreautantdeplaisirquej'endonnais.J'adoraissonsexe,lamanièredontilpalpitaitcontremapaume.Trèsvite,ledésirmesubmergea.J'avaisbesoindelesentirenmoi.

Aumêmeinstant,ilm'arrêta.—Jeteveux.Toutdesuite.Disquetumeveuxaussi,Eva.—Jeteveuxaussi,Youri.Mavoixétaitcelled'unetigresse.J'écartailégèrementlesjambes,dansl'attenteinsupportablequ'il

meprenne.J'ouvrislesyeuxpourl'observer.Ilregardaitunpeupartout,gêné.—Je…euh…Soudain, je compris. Il cherchait un préservatif. Il n'en avait pas. La satisfaction de savoir que

j'étais laseule,dumoinsdepuisqu'ilétaitdanscettesituation,mefitébaucherunsourirede fierté.Plutôtquedeluiindiquerl'endroitoùlaboîtesetrouvait,jelaprismoi-mêmedansletiroirdematable de nuit. J'en retirai une petite enveloppe et, sans cesser de le regarder, l'ouvris.À genoux, ilferma les yeux quand il comprit ce que j'allais faire. Je pris son membre dans ma main et, trèslentement–mêmesicelaétaitunetorturepourmoitantj'avaishâtequ'ilmeprenne–jedéroulailepréservatifsursonsexedurtoutenlecaressantlangoureusement.

Lorsquej'eusterminé,ilouvritlesyeuxetmepoussasurlelitenriant.Sesirisbrûlaientdedésirpourmoi.

—Tuessibelle,murmura-t-il.Enfin,ilmepénétra.Uncrideplaisirm'échappaetjem'agrippaiàsondos,enfonçantmesongles

danssapeausidouce.C'étaitsibondelesavoirenmoi!Jamaisjenem'étaissentieaussi…complète.Je redressai mes hanches, lui faisant comprendre que je désirais une pénétration plus profonde,commeilsemblaitavoirpeurdemefairemal.Illecompritetaccentuasescoupsdereins.Jesentisleplaisirparcourirtoutmoncorpsparvaguesdeplusenplusintenses.

—Eva…

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Mon nom sur ses lèvres à cet instant précis fut la chose la plus érotique que je n'eus jamaisentendue.Enhardie, jeplaquaimesmainssurson torsepour le repousser.D'abordétonné, il souritlorsqu'ilcompritmesintentions.Jeleplaquaisurlelitpourlechevaucher.J'ondulaideshanches,luiarrachant un grognement de plaisir intense, qui se répercuta dans tout mon corps. Ses mains seposèrent sur mes seins. Des pouces, il caressait mes mamelons, qui, excités, devinrent tendus,déclenchantdessensationsjusque-làinexplorées.

Leplaisirdevenantdeplusenplusintense,jesusquejen'enavaispluspourlongtemps.Alors,toutbascula.Mondosseretrouvaplaquésurlematelasparl'imposantcorpsdeYouri,quicontinuaitdememartelerdesescoupsdereinssiexquis.Lesvaguesbrûlantesmeparcouraientetsoudain,jefusemportéeparunedéferlanteàl'instantmêmeoùYourihurlamonnom.

CHAPITRE17

Lorsque je revins enfin à moi, nous étions couchés l'un contre l'autre. De la lumière filtrait àtravers les volets clos, m'indiquant que le jour était déjà levé. Mais je me sentais bien.Merveilleusement bien, même. Ma tête était posée sur son épaule. Couché sur le dos, il dormaitprofondément.Sapoitrinesesoulevaitlentement,aurythmedesarespirationpaisible.Depuisquandn'avait-ilpaspassélanuitdansunlit?Jenepusm'empêcherdesourire,rassuréedelesavoiravecmoi,plutôtquedehors.

Enmêmetemps,était-ilréellementplusensécuritéàmescôtés?Etsicecolossequil'avaittabasséavaitétéenvoyéparJérôme?Bonsangnon,cen'étaitpaspossible.Monpatronavaitcerteslebraslong,ouen toutcas, ilprétendait l'avoir,maisde làà se lierauxbrigandsde laville…c'étaitunetouteautrechose.Onnecommandepasuneexpéditionpunitivecommeoncommandeunepizza,si?Quellesquefussentlesmotivationsdugéant,queseserait-ilpassésijen'étaispasintervenue?Si

jen'avaispas fait cet affreuxcauchemar, jeneme serais jamais réveillée aumilieude lanuit.Parconséquent,jen'auraispaspuportersecoursàYouri.Quelsortauraitétélesien,alors?Lecolossel'aurait sérieusement blessé. Serait-il allé jusqu'à le tuer ?Cette idée était trop dure à encaisser. Jem'efforçaidelajeterhorsdematête.

Mamains'arrêtaàseulementquelquescentimètresdesontorse.Jenevoulaispasleréveiller,maisl'enviedelecaresserétaittropintensepourquejepuisseluirésister.Duboutdesdoigts,jemepermis

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desuivrelesarabesquesenencrenoirequiparcouraientsapeausidouce.Ilavaitréagiviolemmentlorsque j'avais critiqué son tatouage. Je ne l'avais jamais vu aussi en colère. Pourquoi s'était-ilemportéde lasorte?Jepliai lecoudeetposaima têtesurmapaume.Ainsi relevée, j'inspectais ledessin. Quelle était sa signification ? Là où je regardais, je ne voyais que des lignes courbesharmonieuses,desdessinsmystérieuxdontjenesaisissaispaslesens.

—Bonjour.Jesursautaidesurprise,manquantpresquedetomberdulit.S'ilnem'avaitpasrattrapéeauvol,je

meseraisétaléesurlesol,mefracassantlatêtesurlatabledenuitaupassage.—Bonjour.Euh,jevoisquetuesréveillé.—Eneffet.Ilsouriait.Jenesavaispasquel'onpouvaitêtresibeau,lematin.—Alorscommeça,tumeregardaisdormir?Je rougis jusqu'à la racine des cheveux. En général, regarder dormir quelqu'un, c'était très

mauvaissigne.Çaindiquaitl'amourettoutesceschosesôcombienencombrantes.Je me mordis la lèvre inférieure, indécise, puis, je lui souris à mon tour dans l'espoir de le

charmer.—En fait, commençai-je dema voix la plus fluette, jeme demandais quel était le sens de ton

tatouage.Je vis le bleu de ses yeux s'assombrir d'un voile gris,même s'il semblait lutter pour garder le

contrôle.—Ilteplaît?Jehochailatête.—Beaucoup.Je…jevoulaisvraimentconnaîtresasignification.Ilsemblahésiterquelquesinstants.—Souvenirdefamille,dit-il,laconique.Je sentis la température de la pièce baisser de quelques degrés. L'instable équilibre dans lequel

nous évoluions était plus fragile que je ne le pensais. Toutefois, la curiosité me dévorait. J'avaisbesoindesavoir.

—Tuasencoredesnouvellesd'eux?Ilme lançaun regard siglacialque j'eusenviedemecacher sous lescouverturesen tremblant

comme une petite fille. Nous restâmes tous deux immobiles, nous observant, nous jaugeant l'unl'autre. Je devais rompre cette tension, d'unemanière ou d'une autre, mais comment ? Il semblaittellement sur la défensive ! Alors, une idéeme traversa l'esprit.M'efforçant de ne pas sourire, jedéplaçai lentement mamain de manière à ce qu'il ne détecte pas le mouvement, puis, je la posaibrusquement sur ses abdos pour le chatouiller impitoyablement. Son rire cristallin retentit et il sedéridapresqueimmédiatement.

—Ah,c'estàçaquetuveuxjouer,petitekukla?—Kukla?C'estquoi,ça?Maisalorsquej'attendaislaréponse,sesdoigtsatterrirentsurmonflancdansunetentativeavortée

demechatouiller.—Pasdebol,Youril'énigmatique,jenesuispaschatouilleuse.Paslà,entoutcas.Puis,jemeremisàletaquiner,rienquepouravoirlebonheurd'entendreletintementdesonrire

musical. Prise dans le jeu, je me mis à califourchon sur lui. Au moment où nos sexes entrèrentdirectementencontact,notrenuditémerevintenmémoire.J'allaismeretirer,maisilmeretintparleshanches.

—Restelà,kukla,m'ordonna-t-il.

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J'ignorais ce que cemot signifiait,mais l'entendre dans sa boucheme provoquait des frissonspartout, absolument partout. Sans que jem'y attende, il coinçamesmains derrièremon dos et seredressapours'asseoirsurlelit,megardantassisesursavirilité.Saboucheseportaàmoncouet,légèrecommedesailesdepapillon,commençaàdéposerunemyriadedebaisers,incendiantmapeauetmoncorps toutentieràchaquefoisunpeuplus.Nousétionssiprochesquemapoitrineétaitencontact avec son torse. Mes tétons durcis pointaient délicieusement contre lui, se délectant de cetoucher.

Je rejetaima tête en arrière. Il allaitme rendre folle ! Je le sentis sourire contremoncou.Ah,vraiment,ilvoulaitjoueràcejeu-là?Nossexesétaientencorel'uncontrel'autre,sibienquejememisàondulerleshanches,lecaressantdemafentedéjàhumidepourlui.

—Eva…Jesourisd'aiseetpoursuivismonjeudiabolique.Lorsquenousfûmestousdeuxhorsd'haleine,je

lelaissaimepénétreravecuncrirauque.Sesmainssurmeshanchesmedonnaientlerythmeàsuivre.Trèsvite,leplaisirm'envahit.Cettefois,jesusqueluinonplus,nevoudraitpasfairedurerl'attentedeladélivrance.Lorsqu'ilportaunemainsurmonsexepouraccompagnersapénétration,laréalitédevint floue. Je sentismon corps se déliter, ne distinguant plus les limites entre lui, etmoi.Nousn'étionsplusqu'un,réunisenunseulamasdedésir.

Épuisée, jemecouchai sur son torse.Nous étions tousdeux couverts de sueur après ce secondround.

Soudain,lasonnetteretentit.Ilarquaunsourireamusé.—Tuascommandéunpetit-déjeuner?—Nousnesommespasdansunhôtel,d'abord.Et…etc'esttout.Il rit, sincèrement amusé. J'allaism'esclaffer avec luimais, soudain, unepensée assombritmon

humeur.—Sic'étaitJérôme?—Tunecouchespasaveclui,non?Oui.Non.Peut-être.Enfait,jenesavaispas.Néanmoins,jesecouailatête,puisqueçanerisquaitpasdesereproduire.—Alors,iln'apassonmotàdire.—Certes,maisilt'amenacé,jetesignale.Lasonnetteretentitànouveau.Jenepouvaispasnepasouvrir.Ildéfonceraitlaporte.—Planque-toi,luiintimai-jeenmelevantpourremettremanuisette.—Oùça?Jemislesbrasencroix.—Montre-toiimaginatif.—Tunesaispascombienjepeuxl'être.Ilmegratifiad'unclind’œil assortidemonsourireencoinpréférémais, lapeurauventre, je

n'étaisplusd'humeuràplaisanter.Piedsnus,jecourusjusqu'àlaportenonsansavoirsaisiuncouteauaupassagesurlatabledelacuisine,desfoisque…Commesituétaiscapabledet'enservir…Unefoisdevantlaporte,j'inspiraiprofondément.Alors,toutl'airsevidadansmespoumonsetma

têtesemitàtourner.—Bonjour,Eva.Sursonfauteuilroulant,macousinemesouriait.—Bonjour,Angela.Maboucheétaitsisèchequejedusproduireuneffortincommensurablepourprononcercettesi

courtephrasesansbégayer.

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Jeregardaiderrièreelle.Iln'yavaitpersonne.—Jesuistouteseule,spécifia-t-elleensuivantlefildemespensées.—Pourquoi…pourquoies-tuvenue?Je supposais qu'elle s'attendait à mieux comme accueil, toutefois, c'était tout ce que j'étais en

mesuredeluioffrir.Lavoirlà,sursonpetitfauteuil,unevalisettesurlesgenoux,c'était troppourmoi.Moiquil'avaisconnuesiénergique,siforte…Commentluidirequejenepouvaispaslarecevoir?—Angela…je…—Maisnerestezpassurlaseuil!Entrez,jevousenprie!Quoi ? Mais de quel droit se permettait-il d'agir comme ça avec ma famille, dans mon

appartement?Toutefois,lesourirequiilluminalevisaged'Angelafuttropintensepourmelaisserlacontrarier.C'était lemêmequ'autrefois.Celuiqu'ellearborait lorsqu'elleobtenaitcequ'ellevoulait.Celuiquiavaitéclairésajoliepetitefigureblondelejouroùjeluiavaisoffertcefichupackpourunsautenparachutevalablepourdeuxpersonnes.

MonventresenoualorsquejevisYouridéplacerdesmeublespourluipermettredecirculer.Ceténormefauteuilmemettaithorsdemoi,commes'ilavaitétéresponsabledesonétatdelégume.Non.Cettechosen'étaitqu'unoutilquiluipermettaitdesedéplacer.Laseuleresponsableici,c'étaitmoi.

Jemepoussaipourlalaisserentrer,affichantunsouriredefaçade,commesijen'étaispasentraindemourirdel'intérieurenvoyantdemespropresyeuxl’œuvredemanégligence.

—Tudésiresquelquechoseàboire?s'enquitYouri.Ellehochalatête.—Jemeursdesoif.Etj'aiunefaimdeloup.Unélandetristessemevrillalecœur.Elleavaittoujoursfaim.Commemoi,ellefaisaitpartiede

celles qui peuvent avaler un bœuf entier sans prendre un gramme.Mais avant, c'était lié au sport,qu'ellenepouvaitpluspratiquer,désormais.Àcausedemoi,cettefillemagnifiqueallaitdevenirunemasseinforme.Unlégume,merépétai-je.Discrètement,jemepermisdel'observer.Ellenesemblaitpas avoir pris de poids.Elle était toujours aussi belle qu'avant, si l'on ne tenait pas compte de ceshorribles jambes qui, si elles avaient la même forme qu'avant, ne bougeraient plus jamais. Lereconnaîtremefitressentirunevivedouleurélectriquedanstoutlecorps.MapauvreAngela,queluiavais-jefait?

Jedétournaileregardd'ellepourleportersurYouri.Cedernieravaitouvertlefrigopoursortirunebouteilledesoda.Ilouvritunplacardet,tombantdesuitesurlebonemplacement,enretiratroisverresqu'ildisposasurlatableavantdelesremplir.Illuitenditlesienavantdes'installeravecelle.Ilse tourna versmoi et je lui fis un discret signe de la tête pour lui faire comprendre que je ne lesrejoindraispas.

—Çafaitlongtempsquevousvivezensemble?Lesyeux écarquillés deYourime toisèrent.Que répondre à ça ?Que c'était juste un coupd'un

soir?Nousn'avionsmêmepasdéfininotrerelation!—Enfin,laréponseestévidente.Macousinevientdes'installerici,alors…Oh,Eva,c'estàcause

de luique tuasquittéMontpellierpourMetz?Quand jevoiscomme il estbeau, je tecomprends,t'inquiète!

Ellem'adressasonsourireleplusradieux.Commentladécevoirunefoisdeplus?Jenepusmerésoudreàluiavouerlavérité.Celaluiferait tropdemaldesavoirqu'elleenétait lacause.Alors,j'affichaimon sourire le plus hypocrite, puis, lorsqu'elle se pencha pour boire dans son verre, jelançaiunregarddésespéréàYouri.Jouelejeu,mimai-jeensilence.Ilmefitdegrandsyeux.Jejoignislesmainsensignedeprière.

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Tacousineestparalysée,pasaveugle,alorsarrêteavectesgestesthéâtraux.Finalement,ilhochalatête.Monsoulagementfuttelquemesjambesdevinrentmollescommedu

cotonaprèsavoirétésitenduesenraisondustress.Revenueàl'étatdelarve,jedusm'asseoiràtableaveceux.

—Donc,tuasditquetuavaisfaim,c'estça?Ellehochalatête.HeureusementqueYouriétaitlàpours'occuperdetout.—Alorsjevaisvoircequejepeuxfaire.C'estEvaquiafaitlescourses,alorsjenesaismême

pascequ'ilyadanslefrigo,plaisanta-t-il.Vexée, jepris lapremièrechosequimepassaentre lesmainset la luienvoyaienpleinefigure.

Malheureusement,ma tablettedechocolat– franchement, j'auraispu trouvermieuxcommearme–s'écrasacontrelemur,àunmètredesatête.

— Eh bien, commenta ma cousine, quelques mois sans se voir et tu ne sais déjà plus viser.Décevant!

Maréponsefutungrognementquisevoulaitsarcastique.Jevoulusladéfierdefairemieuxquemoi,maisjemetus,ignorantsiceseraitcompatibleavecsonhandicap.

—Jevoisquetun'aspasperdutonsalecaractère,poursuivit-elle,taquine.Maiscommentfais-tupourlasupporter,jeunehomme?

—Jemeledemandeencore!s'écriaceluiquiprétendaitêtremonamoureux.Jeluilançaiunregardassassin.—D'ailleurs,commenttut'appelles,toi?Evan'amêmepasfaitlesprésentations.—Jem'appelleYouri,ettoi?—Angela.—Oh.Ellem'abeaucoupparlédetoi.—Vraiment?Ellesetournaversmoi.Jedétournaileregard.—Youri.C'estrusse,non?Avectonaccent,jemeposeunequestion,tuviensaussidecepays?Jerentrailatêteentrelesépaules,pensant–àtort–qu'ilallaitsefermeretpartirdansundeses

délires d'agent secret de laC.I.A. façon je ne délivrerai pasmes secretsmême si tume chatouillespendantdesheures.

—C'estbiença.Jesuisrusse.DeMoscou,pourêtreprécis.Quoi?J'écarquillailesyeuxentoussant,m'étranglantavecmapropresalive.Moi,jenedisposaisquede

laversionagentduK.G.B.aussisympathiquequ'uneportedeprison,etelle,elleavaitdroitàtouslesrenseignementspossiblesetimaginables?

—TuasdelafamilleenFrance?Ilsecoualatête.Unéclairétrangepassadanssesyeux.Ilcachaitquelquechose.—IlssontencoreenRussie?NemedispasquetuesvenuenFrancepourEva!C'estvraiment

adorable!Ildétournaleregard,gêné.—Oh,jesuisdésolée,s'excusaAngela.Jenevoulaispas…fouinerlàoùçanemeregardepas.Eh bien pourtant tu viens d'accomplir des fouilles archéologiques dignes d'Indiana Jones, ma

belle!Un silence s'installa entre nous, uniquement interrompu par les gargouillis du pauvre estomac

d'Angela,cequipermitdedétendrel'atmosphère.Mêmemoi,jemesurprisàrire.—Tun'asvraimentpaschangé,lançai-jeavantdeplaquermamainsurlabouche.Àpartqu'ellen'aplusdejambesenétatdefonctionner,non,rienn'achangé.Vraiment,Eva,des

foistuferaismieuxd'apprendrel'allemandplutôtqued'ouvrirlabouche,çaferaitmoinsdedégâts.

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—Tuseraissurprisedeconstateràquelpointlaplupartdeschosessontrestéeslesmêmes,Eva.Ellemeregardaitavecunetelletendressequeleslarmesmemontèrentauxyeux.Toutefois,jene

leslaissaipasfranchirmescanauxlacrymaux.Percevantqu'ilétaitdetrop,Youritoussota.—Cen'estpastoutça,maisjedoisyaller.Je sentis la panique m'envahir. Il ne pouvait pas me laisser. Pas comme ça, et surtout, pas

maintenant!Ildutliremescraintessurmonvisage,carilpoursuivit.—Jevoudraisvouscuisinerquelquechosedespécialpourfêtercesretrouvailles.Seulement,je

nedisposepasdetouslesingrédients,kuklan'ayantpascorrectementfaitlescourses.Ilmegratifiad'unclind’œiletj'hésitaisentrelelancerparlafenêtreetl'embrasser,carils'ilavait

ledond'êtreparticulièrementénervant,ilétaittoutaussiattachant.—Kukla?C'estsonpetitsurnom?Çaveutdirequoi?voulutsavoirAngela.—Poupée.Jemanquaidem'étrangler.CesobriquetplutôtvulgaireenFrancesonnaitcommedelamusique

surseslèvresexotiques.—Jevaisjustedescendreàlasupéretteducoin.—D'accord…Ilserenditdanslachambre,nonsansm'avoirfaitsignedelerejoindre,cequejefissansmele

faireprier,laissantmacousinedanslesalon.—Je…jen'aipasd'argent,admit-il.Igorm'atoutpris.—QuiestIgor?Celuiquit'abattu,hier?—Hum,celuiaveclequeljemesuisbattu.Oh.Monsieuravaitsapetitefierté.—Est-ceque…est-cequetupourraismeprêter…enfin…Ilrougit.Àcetinstantprécis,ilparaissaitsivulnérablequemoncœurseserra.Jeprissonbeau

visageencoupeetmehissaisurlespiedspourl'embrassertendrement.Ilm'attiraàluietmonrythmecardiaques'accéléraimmédiatementavantquejemesouviennequemacousinenousattendaitdanslesalon.

Jemedirigeaiverslacommode,d'oùjeretiraimonsac.Jeluitendismonportefeuille.—Sixneuftroiscinq.—Tubugges?—Non.C'estlecodedemacartebancaire,grandbêta!Sonexpressionsechangeaensurprise. Je l'avaisprisaudépourvu.Visiblement, iln'en revenait

pas.—Eva…Jenepensepasquecesoitunebonneidée.—Pourquoiça?J'aiconfianceentoi.Jemesouvenaistrèsbiencequ'ilavaitfaitpourAlice,uneparfaiteinconnuepourlui,lorsqu'illui

avait ramené l'argent qu'elle avait perdu. Je savais qu'il ne me ferait rien de mal. C'était sontempérament.

—Maisjesuis…ettues…— Je suis dans la panade parce que ma cousine, avec qui j'ai une relation pour le moins

compliquée,s'estpointéechezmoisansprévenir.Ettoi,tuesceluiquiaproposédem'aider.Celuiquidoitfairesemblantd'êtremonpetit-ami.Aufinal,c'estmoiquiaiunedetteenverstoi.

Ilsecoualatête,dubitatif.Cequ'ilpouvaitêtreagaçantquandils'ymettait!—AllezYouri,file,ouellevanousfaireunecrised'hypoglycémie,fis-jeendésignantd'ungeste

delatêtel'endroitoùsetrouvaitAngela.Je l'accompagnai jusqu'à laporteoùildéposauntendrebaisersurmonfront,éveillantpleinde

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papillonsaupassage.—Merci,murmura-t-il.—C'estmoiquiteremercie.

CHAPITRE18

—Waouh!—Quoi?—Ilestvraimenttrèsbeau,tonpetit-ami.—Cen'estpas…J'allais ajoutermon petit-ami. Je devaisme corriger si je ne voulais pas gâcher notremise en

scène.—Cen'estpaslapeinedeterépéter.Tu…tul'asdéjàdit.Ellehochalatête,unpetitsouriremutinsurleslèvres.—Alors,pourquoituesvenue?J'avais émisma phrase avec trop de brusquerie. Si je ne faisais pas attention, je risquais de la

blesser.—Parcequetum'asditquejetemanquais.—Oh!Jememordillailalèvreinférieure,nesachantpastropquoidire.—Jetemanquaisvraiment?Je levai lesyeuxsurelle, tropahuriepourpouvoir lui répondre.Bien sûrqu'ellememanquait.

Chaquejour.Àchaqueinstant,même.Elleétaitcommeunesœur,pourmoi.Non.Pireencore.Ellefaisaitpartiedemoi.Elleétaitmamoitié.Commentpouvait-ellesupposeruneseuleminutequ'ellenememanquaitpascommel'airàunasphyxié?Parcequetul'asabandonnéeàl'instantmêmeoùelleavaitleplusbesoindetoi.—Entoutcas,moi,jemelanguissaisdetoi.Sonregards'intensifia.—Tudoismepromettredemelaisserparler,d'accord?Jure-moiaussiquetunetefâcheraspas.Je secouai la tête, incrédule.Mon imbéciledecœurbattait à tout rompre.Nousyétions. J'allais

entendretouslesreprochesquejeméritaispourluiavoirfaitcequejeluiavaisfait.Mesyeuxégarés

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firentletourdelapièce.Iln'yavaitplusdefuitepossible.Jedevaisl'écouter.—Jet'enfaislapromesse.Ellesoufflaenfermantlespaupières.Detouteévidence,ellepeinaitautantquemoiàtrouverses

mots,surtoutlorsqueceux-cirisquaientd'êtreparticulièrementblessants.Elleouvritlesyeuxpourlesbraquersurlemurenfaced'elle.

—Quandc'estarrivé,jet'enaivoulue.Maiscen'étaitriencomparéàcequej'airessentiquandj'aiapprisquetuétaispartie.

Jemislesmainssurmestempes,commesicelaavaitpum'empêcherd'entendresesparoles.Monsangcognaitsousmesdoigtsetjedevaisfaireuneffortsurhumainpourgarderunerespirationégale.

—Aprèsl'accident,j'aicruquej'allaismourir.Handicapéeàvingt-deuxans,tuterendscompte?Honnêtement,jenemevoyaispasresterdanscefauteuiljusqu'àlafindemavie.Neplussentirl'airsurmonvisagelorsquejecourais.Neplusjamaism'élanceràtraversleschamps,ousurunepiste.J'airéellementcruquetoutétaitfini.J'aidétestélaTerreentière.Jet'aidétestée,toi.

Ellesetournaversmoi.Jesavaisquejen'auraispasdûouvrirlesyeux.Maintenant,jenepouvaisplusdétournermonregard.

—Mais tusaisquoi?Çan'apasduré.J'aieudusoutienà l'hôpital.J'aiétébienentouréeet j'airencontrédesgensquisouffraientbienplusquemoi.Puis,unbeaumatin,jemesuisréveilléeaveclasatisfactiond'avoir accepté l'inéluctable.Puisque c'était un fait, je n'avais plus d'autre choixquedefaireavec.Àpartirdelà,touts'estamélioré.

ElleneparlapasdeDieu,maisjesavaisqu'elleypensait.Elleavaittoujoursétécroyante.Detouteévidence,cetteépreuven'avaitfaitqu'augmentersafoi.Lareligionavaitétéprésentelàoùjem'étaisabsentée.

—Jefaisbeaucoupdechoses,maintenant.J'animemêmedesateliers, j'aidedesgens.Etpuis tusais,lascienceprogressevite!Quisait,peut-êtreunjourmarcherais-jeànouveau?

Jemedétournai,leslarmescommençantàroulersurmesjoues.—J'aifiniparêtreheureuse.Étrangement, je lesuisplusquejenel'étaisavant.Ironique,non?

J'ai…rencontréquelqu'un,moiaussi.Elles'appelleAnna.Unevraietêtebrûlée,ellemefaitpenseràtoi.

—Elleest…commetoi?Mavoixsemblaitbrisée,maisj'avaisréussiàcamouflermessanglots.—Tuveuxdire,heureuse?Jel’espèrebien,entoutcas.Je voulais dire handicapée, mais je n'arrivais pas à le prononcer à voix haute. Encore moins

devantelle.—Jesuiscontentepourtoi,Angela.Ellehochalatêteavecenthousiasme,sincèrementravie.—Ettoi,Eva,es-tuheureuse?Jenerépondispas.Pouvait-ondirequel'onétaitheureuxlorsquevotreuniquebonheurdépendait

d'unepersonneaussiinstablequevous-même?—Commentes-tuvenuejusqu'ici?Elle sourit, de ce sourire dont elle seule avait le secret. Celui qui pouvait vous illuminer une

veilléefunèbre.—Quandj'aireçutonSMS,celuioùtudisaisquejetemanquais, j'aid'abordpenséquetuétais

bourrée.J'écarquillailesyeux.Commesic'étaitmongenre!—Ensuite,j'aiimaginéquetut'étaistrompéedenuméro.Finalement,jemesuisdit,peuimporte,

sautonssurl'occasion.Mamanm'aconduitautrainetj'aiatterriici.Voilà,tusaistout.Magorgesenoua.

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—Tuestrèscourageuse,Angela.—Jel'aitoujoursété.—Maistun'auraispasdûvenir.—Pourquoi?Parcequejenesuispasencoreprêtepourcetteconfrontation.Parcequejenesuisplusriendepuis

que je t'aidétruiteetque je viensàpeinede sortir la têtede l'eauavec l'aidedeYouri. Jene saismêmepassicepiètresoulagementvadurer,puisquedèsqu'iln'estplusdanslesparages,j'aienviedemouriràcausedecequejet'aifait.Parcequejenetecroispasquandtumedisquetuesheureusealorsquejet'airéduiteànéant.Parcequejesuispourriedel'intérieurdepuisquej'aitoutfoutuenl'air.

—Pourquoi?répéta-t-elle.Toujoursaussitêtue…Pourquoineluiavais-jepascassélatêteplutôtquelesjambes?Lapanique

creusaunebouledansmonventre.Jesavaistrèsbienqu'ellenemelâcheraitpastantqu'ellen'auraitpasobtenuuneréponsequ'ellejugeraitsatisfaisante.Etjenepouvaistoutbonnementpaslaplanterlà.Fichuebienséance!Alorsquej'allaisouvrirlabouche,lecliquetisdelaserruresefitentendre.—Youri!Lesbraschargésdesachets,ils'arrêtapournoussaluer.Jen'aimaispasl'expressionquepritson

visagelorsqu'ilmedétailla.—Eva,tum'aidesàrangerlescoursesdanslacuisine?Ma cousine retint son rire.C'est vrai que le rangement etmoi, ça ne faisait pas vraiment un. Il

suffisaitdevoirlebazardanslesalonpourlecomprendre.Néanmoins,jehochailatêteetsuivislebeaurussedanslacuisine.

—Fermelaporte,m'ordonna-t-ild'unevoixsansappel.Il posa les sachets sur le plan de travail et s'adossa contre un placard, les bras croisés sur la

poitrine.Unechoseétaitcertaine,sonmécontentementn'étaitpasfeint.—Tuestouteblanche.Pourquoi?Parcequejesuismortedetrouilleparcequemacousineestdanslesalon,maissijedisça,tuvas

meprendrepourunefolleettuvasdemanderàm'enfermerdansl'asileleplusproche.—Euh…Parcequejen'aipasdormidesmassescettenuit.Pourfairepasserlapilule,jelegratifiaid'unclind’œilexpliciteainsiquedemonsourireleplus

espiègle. Cela fonctionna aussi bien que la fois où, petite, j'avais voulu bien faire en utilisant dubeurredecacahuètepourgraisserlespatinsàroulettesdemacousine,lesfichantdéfinitivementenl'air.

Ilsecoualatêteetsepinçal'arêtedunez.EntreuneAngelatoutecurieusedanslesalonetunYouritouténervédans lacuisine, jemedemandaissi jeneferaispasmieuxdecouriraux toilettes façonl'avocatdeJurassicPark et depasser leverrouen espérantquepersonneneme retrouverait.Saufqu'autantmacousinequelebellâtresavaientprendredesalluresdeT-Rexfuraxquandilslevoulaient.

—Pourquoitraites-tuainsitacousine?—Jetedemandepardon?— Tu ne lui as pas sauté au cou quand tu l'as découverte sur ton seuil alors que cela fait un

momentquetunel'avaispasvue.Aucontraire,onauraitditquetucherchaisunefaçondetebarrer.Tunel'asmêmepasinvitéeàentrer.Tuneluiproposesmêmepasàboireniàmanger.Tutires latronchejusqu'àparterreet,franchement,jenet'aijamaisvueaussimortedepeur,pasmêmelorsquetuasessayédemedéfendrefaceàIgor,lecolosse.Parconséquent,jevoisdeuxpossibilités:outacousineestunvampiresanguinaireoutuviensdetetransformerenoursmalléchédelapireespèce.Alors,tuvasmedirecequ'ilsepasse?

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—Super!Maintenant,jemefaisdonnerdesleçonsdebonnesmanièresparunclochard!Unéclairdetristessepassadanssesyeux,assombrissantsonvisage.Prisederemords,jemejetai

danssesbras,maisilrestademarbre.—Ohnon,Youri,jetedemandepardon.Cen'estpascequejevoulaisdire.Ilm'écartadelui.—C'estpourtantcequetuasdit.—Je…—Peuimporte,fit-ilenfixantlesol,commes'ilrefusaitdemeregarderenface.Cettefaçondela

traiter,çaneteressemblepas.Tun'espascommeça!—Ahbon?Etcommentjesuis,dis-moi?Tunemeconnaismêmepas.Ilmelançaunsourireironique.—Vraiment?Tuescellequinesecontentepasdejeterunepièceàunclochard.Lafaçondontilprononçacederniermotmefitfrémir.— Tu es celle qui va lui offrir un repas et, chose insolite, t'asseoir avec lui pour lui tenir

compagnie.Jen'aijamaisvupersonnefaireça.Personne.Jet'aiobservéeentraindeporterplusd'unedizainedecafés,tedonnantunmaldechienpournepaslesrenverser.Tuétaissiconcentrée,aveccepetitregardinquietetcettejolieridequivientcreusertonfrontàchaquefoisquetuespréoccupée.Tout ça pour tes collègues, pourmoi. Pour nous faire plaisir. Je t'ai vue faire, Eva. Tu peux êtrebornée,énervante,même.

Jeletoisai.Ilmesourit.—Maistun'espaslagarcesanscœurquetusemblesvouloirêtreauxyeuxdetacousine.Alors

j'aimeraistoutsimplementsavoirpourquoi.Jesecouailatête.Leslarmesm'étaientmontéesauxyeux.—Oh non, Eva ! Je ne voulais pas te faire de peine. Je voudrais seulement t'aider comme tu

m'aides.Ilpritmonvisageencoupeets'abaissapourséchermeslarmesdeseslèvressidouces.—Merci.J'ai…j'aijustebesoind'unpeudetemps.Ilmeserradanssesbras.—D'accord,Eva.Jesuislàpourtoi,nel'oubliepas.Puis, avec une étrange facilité, comme s'il avait connu l'emplacement de chaque objet dans cet

appartement,ilsaisitunefeuilled'essuie-toutetmelatenditpourquejememouche.C'étaitcommes'ilavaittoujoursvécuici,avecmoi.C'était…déroutant.

—Jevaiscuisiner.Çarisqued'êtreunpeulong.Jemesentiraismoinsseulsivouspouviezresterdanslacuisineavecmoi.Tuveuxbienallerlachercher?

Jehochailatêteetluiobéis.Pourvuquemacousinenevoiepasmeslarmes…J'étais épatée de la facilité avec laquelle Angela et lui discutaient tandis qu'il s'affairait aux

fourneaux.Cejeunehommeavaituneconversationdesplusagréables.IlnousracontaitdesanecdotessurlaRussieaveclafinessed'unconteur.Ilétait…captivant.

Pourma part, je ne pouvais pasm'empêcher de le reluquer dès qu'il neme regardait pas. Seslarges épaules bougeaient harmonieusement quand il découpait du chou et je n'avais qu'une envie,c'étaitdeluiôtersontee-shirtpourpouvoirmieuxprofiterduspectacle.Attendez,j'étaisvraimententraindefantasmersurunSDFcoupantduchou?Franchement,j'étais

irrémédiablementgivrée.Il avait retroussé sesmanches, dévoilant ses avant-bras légèrementmusclés. Non. Il fallait que

j'arrêtedelefixercommeça,sinon,j'allaismejetersurluidevantmacousineetçan'allaitclairementpaslefaire.

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Ilnefinitlapréparationdurepasqu'unefoislanuittombée.Jedevaisadmettreàsadéchargequenousnousétionsréveillésparticulièrementtard.D'ailleurs,sanslavenued'Angela,j'étaisàpeuprèscertainequenousnenousserionsmêmepasdonnéslapeinedenouslever,tropoccupésà…Sentantmesjouesdecolorerderouge,jem'efforçaidepenseràautrechosedemoinsaffriolant,parexempleBrigitte.

—Etvoilà!D'ungestethéâtral,ilposasurlatableunplateaucontenantdessortesdechaussonsfourrés.—C'estquoi?s'enquitmacousineenseléchantlesbabines.— Ce sont des pirojki. C'est une spécialité russe fourrée à la viande de bœuf et au chou,

agrémentéed'épices.—Mmmh,çafaitvraimentenvie.Jecroquaiunbout.—C'estdélicieux,Youri!m'extasiai-je.Cethommeréussissaitavecbrio toutcequ'ilentreprenait,aussibienencuisinequ'au lit. J'avais

dégottélaperlerare.Dommagequ'entrenous,cenesoitqu'unmensongedestinéàrassurerAngela.— Quelle chance tu as, Eva ! s'exclama-cette dernière. J'aurais dû tomber amoureuse d'une

étrangère,celam'auraitpermisdegoûteràpleindenouveautés.Tomber amoureuse ? Étais-je amoureuse de Youri ? La réponse me paraissait de plus en plus

évidente.—D'oùvientAnna?Ilsselancèrenttouslesdeuxdansuneconversationdespluspassionnantes.Audébut,meslèvres

nelaissèrentéchapperquedesmonosyllabiques,maispetitàpetit, jeprispartdansleurdiscussion,faisant de mon mieux pour ignorer la boule dans mon estomac à chaque fois que mes yeux seposaientsurlefauteuildemacousine.

—Encoreducoca?Macousinehochalatête.Jeluiservisunverreplein.—Jenesaispascommenttufaispournepasgrossiravectoutcesucre,maintenantquetues…Jeposailamainsurmabouche,mortifiée.Angelaleremarqua.Aulieudes'enoffusquer,elleme

souritavectendresse.—Dis-le,Eva.Maintenantquejesuisquoi?Je croisai les bras sur ma poitrine en secouant la tête. Si je savais cette attitude puérile, je ne

pouvaiscependantrienfairepourl'éviter.—Non.—Si!Tuledois.Tudoisledire,Eva.Tudoisl'admettre.—Non!Jenepeuxpas,tucomprends?criai-je,dépasséeparl'intensitédemesémotions.Jesuis

navrée,Angela,maisjenepeuxpas!Sentantleslarmesmemonterauxyeuxpourlaénièmefoisdelasoirée,jemelevaidetable.—Excusez-moi,jesuisépuisée.Jevaismereposerunpeu.Ilyadescouverturesdansleplacard

dusalon.

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CHAPITRE19

J'abandonnai la pièce sansmême leur jeter un regard et fermai la portederrièremoi.Dansmachambre,jeneprispasletempsdemedémaquilleretmejetaidansmesdrapsvêtuedemonseultee-shirtetd'uneculotte.

Je savais que je n'aurais pas dû agir ainsi. Ma cousine avait parcouru près d'un millier dekilomètres pourme voir.C'était probablement le voyage le plus long qu'elle accomplissait depuisl'accident.Elleavaitbravél'inconnu,touteseule,nesachantpasàquois'attendre,ignorantcommentellepourraitappréhenderlesdifficultésliéesàsonhandicap.Quil'avaitaidéeàmonteretàdescendredutrain?Oùs'était-elleinstallée?

Elleétaitsicourageuse!Deslarmesderagecoulaientsurmesjoues,trempantl'oreiller.Elleétaitsiaudacieuse,etmoisitrouillarde,sifaiblelàoùelleétaitforte!Jel'avaisabandonnéeunefois,justeaprèsl'accident.Àprésent,jeladélaissaisencore,alorsqu'elleavaitentamécepériplepourmevoir,moi. Je l'avais laissée avecYouri, un SDF qui faisait semblant d'êtremon petit-ami.Un SDF dontj'étaisen trainde tomberéperdumentamoureuse,etqui faisaitpreuvedebienplusdecouragequemoi.

Épuiséeparmespropreslarmes,j'attendisquelesommeilmegagne,maistoutcequejevoyaisdèsquejefermaislesyeux,c'étaientsesjambesbriséessursonputaindefauteuil.J'auraisdûêtreàsaplace.Cetteconneriedesautenparachute,c'étaitmonidée,paslasienne.Alorspourquoiest-cequec'étaitsaviequiétaitréduiteànéantetpaslamienne?Es-tubiencertainedecequetuaffirmes?mequestionnamaconscience.Es-tusûrequecen'est

pastapropreviequetuasfoutueenl'air?N'importequoi!Jem'entirebienmieuxqu'elle,c'estévident,pourtant!Situledis…Tais-toi,tais-toi,tais-toi!J'entendisdespasdanslecouloir.Youri!Lespaupièrescloses,jefissemblantdedormircomme

unbébé.Iln'allumapaslalumièrepournepasmedéranger.Néanmoins,jesentissaprésencedanslapièce

ettoutmoncorpss'électrisa.Maisnon,cen'étaitpaslemomentpourça.Alors,àmagrandesurprise,ildéposaunbaiseraussitendrequefugacesurlesommetdemoncrâne.J'eusenvied'ouvrirlesyeux,detoutfairepourleretenir,maisjen'enfisrienetdemeuraiaussiimmobilequ'unestatue.Enfin,jel'entendisdisparaître,retournerdanslesalon,maisilavaitlaissélaporteouverte.Curieuse,jetendisl'oreilleafind'écouterleurconversation.

—Elledort?—Jecroisqueoui.Elletravaillebeaucoup,tusais?Elledoitêtreépuisée.Ilm'excusaitauprèsd'elle,mêmesiaufond,j'étaiscertainequ'iln'étaitpasdupe.Cethommeétait

unangetombéduciel.— Oui, elle a toujours été comme ça. Elle se donne à fond dans tout ce qu'elle entreprend.

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Néanmoins,jesuiscertainequ'ellenedortpas.J'ouvrisgrandlesyeux.Traîtresse!Yourineditrien.—Maisjepensequ'ilvautmieuxlalaissercroirequenousavonsgobésonhistoire.J'auraisdûla

prévenirquej'avaisl'intentiondeluirendrevisite.Mavenueadûbeaucouplachambouler.Ilyeutunpetitsilence.—Puis-jetedemanderpourquoi?Monsangseglaça.Non,pasça!—C'estassezcompliqué.Etaussitrèslong.Etsurtouttrèsindiscret!—J'aitoutmontemps.Non,tunel'aspas,crois-moi.Lavoixdemonpetit-amiétaitdouceetposée.Commentnepasluifaireconfiance?Iln'estpastonpetit-ami,jeterappelle,ilfaitsemblant!—Evaetmoiavonsgrandiensemble.Dansuncertainsens,jesupposequenousétionscommedes

sœurs.Non.Pasexactement.Nousétionscommedeuxmoitiésd'unmêmeêtre,tucomprends?Nousnepouvionspasfonctionnerl'unesansl'autre.

J'imaginaislesourireattendrisursonvisage.Lemêmequifendaitlemien.—Nousétionsdeuxtêtesbrûlées,àvraidire.Nousaimionslessensationsfortes,lesexpériences

extrêmes.—C'estcequej'aicrucomprendre.—Ellet'atoutraconté?—Non,jenepensepas.Ellem'aseulementparlédevoshobbiessansrentrerdanslesdétails.—Jevois.Celanem'étonnepas.Elleritdoucement,decerirequej'adoraisdepuistoujours.Enfant,jefaisaislepitrerienquepour

l'entendre.Désormais,c'étaitpareilavecYouri.—Pourmonanniversaire,elleavoulumesurprendre.Ellem'aoffertuncoffretvalablepourun

sautenparachute,enbinôme.Selonlaprocédure,chacunedenousauraitdûsauteravecl'instructeur,maiscette jolie têtebrûléearéussià leconvaincredenous laissersauteràdeuxavecunparachuteautomatique. Techniquement, nous ne courions aucun danger, même si nous n'étions pas dans lesnormes.

—Elleasoudoyélemoniteur?Elleritdoucement.—Non.Elle…euh…elleétaitsortieavecsonneveuouquelquechosecommeça.—Mouais…J'imaginaisd'icisamoueréprobatrice.— J'ai toujours été très enthousiaste pour ces choses-là. Il est important pourmoi de préciser

qu'ellen'a jamaiseuàmeforcer lamainpourentreprendrecegenrededéfis.Pourtant,ce jour-là,dansl'avion,j'aieuunmauvaispressentiment.Jesuiscroyanteetj'accordeénormémentd'importanceàcegenredechoses.J'aieul'impressionqueDieunevoulaitpasquejemejettedanslevide.

—Alorspourquoias-tusauté?Parcequejesupposequec'estcequetuasfait,non?—Oui.Jenevoulaispasladécevoir.Elletenaitàfairecetteexpérienceavecmoi.Etpuis,elleasu

merassurer.—Jeveuxbientecroire,admitYouri.Ellepeutêtretrèsconvaincante.Ilsuffitdelavoirsourire

et…c'estfini,j'enperdsmavolonté.Elleritànouveau.

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—Tuasl'airdesacrémentteniràelle,dis-moi.Ilyeutunlégersilencependantlequelmoncœurbattitàlachamade.—Oui.Jesupposequetuasraison.C'estassezrécent,entrenous,maisjetiensbeaucoupàelle,

c'estcertain.Elleestincroyable.OhmonDieu,ilvenaitvraimentdedireçademoi?Ilfaitsemblant,crétine.Jeterappellequ'ilprétendêtretonpetit-ami!L'espoirme quitta. Comment avais-je pu croire qu'il nourrissait des sentiments àmon égard ?

Aujourd'hui,ilavaitnourrimonestomacetc'étaitdéjàpasmal,maisças'arrêtaitlà.—Ça,c'estcertain.Jesuiscontentepourvous.Elleabesoindequelqu'uncommetoidanssavie

pournepaspartiràladérive.Elleesttoujoursauborddugouffre.Jelesens.—Jel'aisentiaussi.—Vousnevivezpasensemble,n'est-cepas?Merde!Macousineetsasatanéeclairvoyance!—C'estcompliqué,avouaYouri.Maistuasraison.Il l'admettait.Est-ceque celavoulait direqu'il disait vrai, tout à l'heure, lorsqu'il affirmait qu'il

tenaitàmoi?—Maistunem'aspasditcequis'estpassé.—C'estvrai,excuse-moi,fit-elleenriant.J'aisautéetjemesuisbrisélacolonnevertébraleàmon

arrivée. Ma cousine apprenait médecine. Elle entretient un rapport spécial avec cette matière. Jet'explique, elle a un cœur gros comme ça, et si elle a choisi d'entreprendre ces études, c'est parcequ'elleycroit.Elledésiresecourirleplusgrandnombredepersonnes.Petite,ellevoulaitdéjàsauverlaplanète !Elleaccueillait leschatserrants, lesoiseaux tombésde leursnids…Elleétait cellequisoignait lespetits bobosde ses camarades lorsque lamaîtressenepouvait pas s'enoccuper.Elle atoujourscherchéà…àaccomplirdesmiracles,tuvois?ÀréparercequeDieuneréparepas.

—Jevoisexactementcequetuveuxdire,dit-ild'unevoixblanche.—Alors,quandpersonnen'apumeréparer,quandellen'apaspumesauver…L'existenceaperdu

toutsonsensàsesyeux,tucomprends?Laculpabilitéetl'impuissancel'ontrongéejusqu'àlapousserà fuir. Elle ne me l'a jamais dit. Elle n'en a pas besoin. Je le sais. Et voilà où nous en sommes,aujourd'hui.

Un silence gênant s'installa, seulement brisé par mes propres sanglots. J'espérais qu'ils nem'entendaientpas.

—Aufinal,c'estellelaplusmalheureusedanscettehistoireetcelamefaitdelapeine.Tuvasmeprendre pour une imbécile, ou pour une illuminée,mais tu sais quoi ?Dieu ne se trompe jamais.Parfois,onpensequ'Ilcommetdeserreurs,qu'Ilnousfaitdumal.Maiscelaestparfaitementfaux.S'iln'y avait pas eu cet accident, jamais je n'aurais rencontréAnna. Jamais je n'aurais trouvémavoie.Finalement,jemeplaisbeaucoupdansmanouvellevie.Animercesateliers,m'occuperdeceuxquisontplusmalheureuxquemoi…J'enviensàvoircetaccidentcommeunechance.

Sessanglotsmeparvinrent.Ohnon.Jenepouvaispasl'entendrepleurer,c'étaitau-dessusdemesforces.Jesaisisuncoussinpourmeboucherlesoreillespuis,derage,jelejetaiauboutdelapièce.Cettefois,jenemecacheraisplus.Jemelevaietfisquelquespasverslesalon.

—Siseulementellepouvaitm'entendreluidirequejeneluienveuxpas…—Jet'entends,Angela.Elletournaversmoisonvisageruisselantdelarmes.J'étaiscertaineque,sielleavaitpuselever

decefauteuil,ellel'auraitfaitpourcourirmerencontrer.Alors,commeellenelepouvaitpas,jelefispourelle.

—Tum'astellementmanqué!—Toiaussi!

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LetrainendirectiondeMontpelliervaentrerengare,voieune.Macousinefitpivotersonfauteuilpourmefaireface.—Bon,Eva,cettefois,tun'aspasintérêtàmefaireattendreaussilongtempsavantqu'onpuissese

revoir,d'accord?Sinoncrois-moi,jetrouveraiunmoyendetebotterlesfesses,jetepréviens.Jehochailatêteensouriant.—Tesparentsseraientravisquetuleurprésentestonpetit-ami,tusais?Quantàtoi,Youri,prends

soind'elle,d'accord?—Jetelepromets!L'agentSNCFseprésenta.Aprèsnousavoir salués, il l'installa.Moncœur se serra lorsque son

trainpartit.—Tulareverrasbientôt,merassura-t-ilenpassantunbrassurmesépaulespourleserrercontre

luialorsquenousmarchionsverslasortie.Àprésent,tuneserasplusobligéedel'éviter.Jehochailatête.J'avaisl'impressionquemavieentièreavaitchangé,l'espacedeceweek-end.En

bien.Comme je n'avais pas encore de voiture, nous primes les transports en commun pour rentrer.

Normalement, je devais en acheter une la semaine prochaine. J'étais d'ailleurs certaine que je meferaisrouler,puisquemesconnaissancesenmécaniquesebornaientàdistinguerl'avantetl'arrièreduvéhicule.

Yourimeraccompagnajusqu'àchezmoi.Devantmaporte,jemarquaiunarrêt.Jenesavaispascommentréagiralorsjejouaisnerveusementavecmonporte-clés.Ilreprésentaitunavion.Jel'avaisdepuisdesannéesetsesailess'étaientbriséesunefoisoùjel'avaisfaittomberenessayantderentrerchezmesparents,complètementivre.

—Unavionsansailes,dis-jepourbriserlesilence.Jen'iraipasloinavecça.Ilsouritavantdemeprendreleporte-clésdesmainspourl'examiner.Distrait,ilmurmura:—Onnevapasloinavecsespieds,maisaveclecœur.Jesourisàmontour.—Cen'estpasexactementcequ'avaitditSaint-Exupéry,maisjesupposequetuasraison.Ilme regardad'unemanière si intenseque je sentismes jambes sedérober sousmonpoids. Je

secouailatête.Jedevaismettreleschosesauclairavantd'envisagerquoiquecesoit.—Youri?—Oui?Jememisà fixer le sol, certainequesi j'osais seulement lever lesyeuxsur lui, jemeperdrais

aussitôt.—Jenesaispasparoùcommencer…Jevoudraisteremercierpourcequetuasfaitpourmoi,ce

week-end.Hum…mercid'avoirfaitsemblantd'êtremonpetit-ami.Jem'autorisaiàluilancerunbrefcoupd’œil.Ilsemblaitpenduàmeslèvres.—Jeveuxdire…désormais,tun'esplusobligédejouerlacomédie.Ilmelançaunregardnoiretjedétournailemien.J'attendis. J'attendis longtemps. Mon cœur battait à tout rompre. J'avais tout simplement

l'impressionquemapoitrineallait sedéchiqueteret tomberenmorceaux juste là,devantmaporte.Espoir, cruel espoir !Comment pouvais-je penser une seule seconde qu'il allait rester avecmoi ?Ceux qui choisissent la rue ont le plus grandmal à retourner à la vie normale. Youri devait trèscertainementvoirmonappartementcommeuneprison.Ilmel'avaitfaittrèsclairementcomprendre.S'ildécidait–etilledéciderait–deresterdanslarue,ilfaudraitqu'ilchanged'endroit,voiredeville.Sinon,lecolosse,peut-êtred'autrespersonnesaussi,lerattraperaient.L'avoirloindemoim'arrachaittoutsimplementlecœur,maisjedevaispenseràluiavanttout.Sanslaprotectiondemesmurs,Metz

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luiétaitdevenuehostile.Jememordisl'intérieurdesjouespournepaspleurer.—Etquit'aditquejejouaislacomédie?Jelevailatête,sincèrementétonnée.—Quoi?—Jen'aipasfaitsemblant.Jerestais là,bouche-bée,commeunpoissonhorsde l'eau,à le regardercommeune idiote.Les

idéessebousculaientàtoutevitessedansmatête.—Tacousinesavait,d'ailleurs.Ellemel'aditlesoir,avantquetuviennes.Jepassaisoussilencequej'étaisdéjàaucourantparcequej'avaisécoutéauxportes.—Ettoi,Eva,faisais-tuillusion?Ilm'observa, ledoutebrillantdanssesyeuxsiclairs.Àcet instantprécis, ilparaissaitsi fragile

quemoncœurseserradansmapoitrine.—Pasuneseuleseconde.Ilfitunpasversmoietjecrusqu'ilallaitmeprendredanssesbras,maisils'arrêtadanssonélan.—Qu'est-cequisepasse,Youri?—Jedoisteprévenirdequelquechose.Toietmoi…çanevapasêtrefacile.Jesuisunhommede

larue.Jenesuispasnédecettemanière,maisjesuisdevenucommeçacesderniersmois.Ça,tulesais. Je n'ai plus l'habitude d'avoir une frontière entre les étoiles et moi, d'avoir des murs quim'emprisonnent…Maisjesuisprêtàessayer.Untoit,c'estaussiuneprotection,etsituyvisaussi,nul autre endroit ne se rapprochera davantage du paradis. La liberté m'appellera, parfois. On sedisputera,souvent.Maisjesuisprêtàessayer…enfin,situveux.

L'espaced'uninstant,ilpaniqua.—Biensûrquejeveux,Youri.Jen'aijamaisrienvouluaussifort!—Certes, j'ignoreparfaitement l'endroitoùse trouvelecafé,ou lesucre,mais jemesuissenti

bien,cheztoi.Avectoi.Celanem'estpasarrivédepuis…fortlongtemps.Alorssituveuxbien…Jebondissurluipourlefairetaired'unbaiser.—Jeviensdetedirequejeleveux!Jelesentissouriretoutcontremeslèvres.Dieu,quec'étaitbon!Moncœurcriaitdejoieetj'avais

l'impressiondeflotterdanslesairs.Jesentisàpeinequandilouvritlaporteenm'entraînantverslacaged'escalier.Sansinterromprenotreétreinte,jeledirigeaiplutôtversl'ascenseur.

—Escaliers,soufflai-jecontresabouche,troplongs.—Vapourascenseur,répondit-ilsurlemêmeton.Lesportess'ouvrirentetilmeplaquacontrelaparoidel'élévateur.J'avaislesyeuxfermésetne

lesouvrisquepourvérifierquenousétionsbien seuls.Discrètement, jepressai leboutonnumérotroisetsentis lacagenousemportervers lescieux.Ilsepressacontremoi.Sonsexeétaitdéjàdurcontremonventre.Bonsang,jenepourraisjamaisattendrejusqu'àmonappartement!

Ildevaitpenserlamêmechose,caraumêmeinstant,ilappuyasurleboutonstop.Monsangsemitàbouillirdavantagequandjecompriscequ'ilavaitderrièrelatête.

—J'aiterriblementenviedetoi,Eva.Oh,lavache!Sanscesserdem'embrasser,ilpassal'unedesesmainssousmondécolleté.Ilenécartalesoutien-

gorgeetpressamonsein.Undélicieuxcourantélectriquemeparcouruttouteentièreetjepoussaiuncrideplaisir.

—Chut,outoutl'immeublevat'entendre.Savoixchaudecontremonoreilledéclenchaunenuéededésirdansmesreins.Lefaitdesavoir

que n'importe qui pouvait nous surprendre ne faisait quem'exciter davantage. Je rejetai la tête enarrièreetcommençaiàmebattrepourdéfairesaceinture.Cesbidules…Jelesdétestais.

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Il plaça ma jambe en angle droit, appuyant mon pied contre la rambarde, et je sentis sa maincaressermon sexe à traversma culotte. Franchement, je n'avais jamais été aussi contente d'être enjupe.OhmonDieu!

—Youri!—C'estça,Bébé.Bébé?C'étaitlapremièrefoisquel'onm'appelaitcommeça.Etl'entendredeseslèvresétaittout

simplementundélice.Sondoigts'introduisitenmoietjepoussaiànouveauuncri.Jedusmordresonépaulepournepas

enémettred'autreslorsqu'ilcommençaàcaressermonboutonrose.—Youri!murmurai-je,haletante.—Oui?Cen'estpasvrai!Ilnevapasmeforceràluidireçaàvoixhaute.—Je…Jeteveux…toutdesuite.Il s'écartademoipourmegratifierde son sourire encoin,m'envoyantuneondéedepapillons

danslebasventre.Tuvasmeprendre,ouiounon?Alors, je le sentis enmoi. Ilmeprit là, contre la froideparoide l'ascenseur et je sus avecune

exactitude déconcertante que le paradis sur terre se trouvait quelque part entre le deuxième et letroisièmeétage.

Tandis qu'il me pilonnait de la puissance de ses reins, étouffant mes gémissements dans sonépaule, jeme sentais partir dans un océan de délectable plaisir. Lorsque les vagues devinrent plusintenses, je lâchaiprisepourme laisseremporterau large.L'extases'emparadenous,nous faisantdécouvrirunemyriadedesensationstoutaussiétrangesquedélicieuses.

Quandleséismepritfin,nousnousobservâmesquelquesinstantsensilence,puis,ilmedéposaausol. Je rougis quand il me tendit ma petite culotte et détournai les yeux lorsqu'il boutonna sonpantalon.Jesursautailorsqu'ilpritmonvisageencoupe.

—N'aiejamaishontedeça.Denous.D'accord?Jehochailatêteetildécoinçaleboutonstop.Quandl'ascenseurnousramenaànotreétage,j'avais

l'impression que l'appareil produisait un bruitmonstrueux,mais ce n'était pas le cas. Simplement,Yourim'avaitemmenéesiloinquemaintenant,laréalitédumondenerevenaitqueparbribes.Était-cepossibledevivre toujourscommeça,danscettebulledeplaisir?Pourquoiest-cequechaquerêvedevait-il forcément s'accompagner d'un réveil brutal ? J'en étais là demes réflexions quandYouris'emparademamain.Àsoncontact,undélicieuxfourmillementélectrisachacundemesmembres.Non,lerêven'étaitpasterminé.Ilnefaisaitquecommencer!

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CHAPITRE20

Lorsqu'une odeur étrangeme réveilla le lendemainmatin, jeme demandai si je nem'étais pasendormiedansunrestaurant.Puis,jemeréveillai,etlessouvenirsaffluèrent,aucompte-gouttes.Labagarre avec le colosse, ma cousine et surtout, Youri et notre décision de tenter quelque choseensemble.Mon cœur se gonfla d'allégresse dansma poitrine et je bondis hors demon lit, faisantpreuved'uneénergiequin'étaitpluslamiennedepuislongtemps.Ceweek-end,mavieavaitprisunvirageàcentquatre-vingtsdegrés.Commentnepasenêtrefolledejoie?

J'hésitaisentrecourir le rencontreret faireun rapideet fugacepassaged'aborddans lasalledebainsafindemefaireunepetitebeauté.Lerapideetfugacepassagesetransformaenunlongétatdesiègepar la forcedeschoses lorsque jedécouvrismonvisagedans lemiroir.Eneffet,mes lèvresétaientencoretoutesgonfléesdesbaisersdelaveille,mesjouesrosesrappelaientnosébatsetmescheveux en bataille, décorés par un bout de chou défraîchi évoquaient de manière évidente notretentative plutôt réussie de faire l'amour dans la cuisine. Si je tenais à ces souvenirs comme à laprunelle demes yeux, il était pourtant évident que je n'avais pas à les étaler aux yeux de toute laplanète.Aussi,unelonguedoucheetunvéritablecoiffageenrègles'étaientimposés.

Lorsquejesortisdelasalledebains,j'étaisrayonnante.Jen'encroyaispasmesyeux.L'imagedecettefilleàl'éclatantsourirejusqu'auxoreilles,çanepouvaitpascorrespondreàmapersonne,si?Fallait-ilvraimentcroireque le sexe rendaitplusbelle?Oubienétait-ce l’œuvredubonheur, toutsimplement?

Je dusme frotter les yeux lorsque je le vis là, aumilieudema cuisine, en train de s'affairer àpréparerquelquechose.Iln'étaitvêtuqued'unsimpleboxer,dévoilantsoncorpsathlétique.Serait-ilpartantpourunsecondrounddanscettepièce?Nousn'avionsencorejamaisessayésuruntabouret.Enypensant,jelaissaitombermontéléphoneparterre.Quelleidiote!

Lesonl'alertaetquandilmedécouvrit,sonexpressionsiconcentréelequittapournelaisserplaceàunsourirequiilluminaittoutelacuisine.

—Bonjour.—Dobrydégn,supposai-jequ'ilmesaluaitenretour.Bonsang,c'étaitquandilmeparlaitenrussequejelepréférais.J'auraispulecoucherlà,àmême

leplandetravail,pourunéchangelinguistiquebienparticulier.—Tutombesàpic,c'estpresqueprêt!J'espèrequetuasfaim?Jenet'aimêmepasdemandésitu

mangesquelquechose,lematin.

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L'inquiétude sur son visage le rendait vraiment craquant et je courus dans ses bras pourl'embrasser.Ehoui,jem'étaisbrossélesdentsavantdelerejoindre,justeencasdemauvaisehaleine!

—Net'enfaispas,j'aiunefaimdeloup,lerassurai-je.Sondivinsourireréapparutetmoncœurmanquaunoudeuxbattements.—Alors,assieds-toi.Cequejefis.Quandilposauneassiettepleinedevantmoiavecunpetitregardcraintifdepeurde

medécevoir,jenepusm'empêcherdelecompareràJérôme.Cethommequiavaitfuienmelaissantunbuffetfroidsurunetabledignedefigurerdanslemobilierd'unchâteaufortaprèsavoircouchéavecmoi.D'ailleurs,avions-nousréellementcouché?J'endoutaisdeplusenplus.

Jebaissailesyeuxsurmonplat,remplidemetsàl'allureappétissante.—Cesontdesvareneki,desraviolisucrés.Ilcontinuaitdem'observeravecappréhension.Avait-ilpeurd'êtremauvaiscuisinier?Pourtant,ce

week-end,chacundesalimentsqu'ilavaitpréparésprouvaitplutôtlecontraire.Nevoulant pas lui faire risquer la crise d'anxiété, j'en pris un dans la bouche. Fondant, il était,

commetoutlereste,délicieusementgoûteux.—Bah,cen'estpasbon!blaguai-je.Vraimenttrèsdrôle,Eva.Sonexpressionhorrifiéemefitrire.—Maisnon,jeplaisantais!Ilmelançaunregardassassin.—Ah,l'humourfrançais…—C'estvraiquel'humourrusseestplusréputé,tiens!Nouspouffâmestouslesdeuxetl'atmosphèresedétenditànouveau.—Oùas-tuapprisàcuisinercommeça,Youri?Sonvisageserembrunit.Aveclui,pourcequiétaitdesconfidences,onmarchaitsurdesœufs.Il

devaitvraimentavoirunpassétrèssombrepourréagircommeçadèsquel'onosaitl'évoquer.—Ce n'est pas grave, tempérai-je. Dumoment que tu continues de faire la cuisine, celam'est

complètementégal.Cequiétaitunénormemensonge,connaissantmacuriosité.Cefutenavisantladevanturedel'agenceimmobilièrequejeréalisaimonmanqued'appréhension.

BrigitteetMylindaallaientm'accueillircommelesoursesmalléchéesqu'ellesétaient,enversion1.2.Jérômeavaitdûlesbrieferet,sij'avaisl'habitudedelessavoiraussisympathiquesàmonégardquelesextraterrestresenversleshumainsdansIndependenceDay,cequ'ellesrisquaientdemefairecettefoisdépassaitprobablementtoutesmesattentes.J'auraisdûavoirpeur.Labouleauventre.Lesmainsmoites.Aulieudeça,jeneressentaisstrictementrien,endehorsd'unetrèsvivehâted'êtreàcesoirpourpouvoirrentrerchezmoivoirYouri.

J'ouvrislaporteettendisungobeletdecaféàBrigittetandisqu'ellemehurlaitdessusenfaisantsemblantdenepasvoirlebreuvagequejeluiproposais.Commejenemetassaispassurmoi-mêmeet que je nemontrais pas lemoindre signe de frayeur, le volume sonore sortant de sa gorge n'endevintqueplusfort.Pourautant,jenel'écoutaispas.Pastantqu'ellecontinueraitdemetraiterainsi.

Je levai la main pour lui signifier de se taire, geste dont l'audace la surprit si fort qu'elle futobligéed'obtempérer.

—Brigitte,sivouscontinuezd'uservotrevoixdecettemanière,vousallezvousabîmerlagorgeetàforce,cequivousattendraserabienpirequ'unesimplelaryngite.Àvotreâge,jem'enméfierais.Deplus,voscrissuraigusrisquentdevouspercerlestympans.

Sa bouche s'ouvrit d'hébétude, dégageant une pestilence rappelant la chair pourrie. Je saisis un

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morceaudesucre,leplongeaidanslecafé,touillailetoutetleluitendis.—Allons,soyezraisonnable.Préférezauxhurlementsunebonneboissonbienchaude.Avecune

petitetouchedeglucose,iln'yariendemeilleurpouraméliorerl'humeur.Ellepritlegobeletentresesdoigts,sansciller.—Prochaineleçon,ânonnai-jed'unevoixrappelantcelledesautomates,apprendreàdiremerci.À

bientôt,Brigitte!Arrivéeàmonbureau,jefusaccueillieparunepluied'applaudissementsdelapartd'Alice.Cette

petitefée,c'étaitlaseulechosequej'appréciaisdansmontravail.—Depuisletempsquej'attendaisquequelqu'unlarembarreavecautantdebrio!—Ah,tunousasentendues?Ellehochalatête.Onfrappaàlaporte.C'étaitmesautrescollègues,exceptionfaitedeMylinda.—Onvoulaitjustetedirebravo,chuchotaleplusjeuned'entreeuxtandisquelesautresjetaient

desregardsanxieuxdanslecouloir.Puis,ilsdisparurentcommeilsétaientvenus.—C'estquoicettehistoire?Elleouvritlaportepourvérifierquepersonnen'écoutaitderrière.— Je ne sais pas ce qui s'est passé, mais ce matin, Brigitte était encore plus désagréable que

d'habitude.Enréalité,elleétaitcommefolle.Hargneuse,détestable…Enfintuvois,lequotidien,maisenpire.

—Eneffet.—Jen'ai aucune idéede cequi l'a énervée à ce point, peut-être laménopause, va savoir,mais

toujoursest-ilqu'ellenecessaitdeparlerdetoiàquivoulaitl'entendre,delamanièredontelleallaitterecevoirettoutça.

Alicesecoualatête,désapprobatrice.— Bref, nous nous sommes un peu inquiétés pour toi et nous étions quelques-uns à vouloir

intervenirsielles'avisaitd'allertroploin.—Vraiment ?Mais pourquoi auriez-vous prismon parti ? Je sais combien tu as peur de cette

femme.Non,de ce zombie acariâtre.C'est pareil pourpresque tout lemonde, ici.Alors, pourquoiauriez-vousvoulul'affronterpourprendremadéfense?

Ellefittintersonrirecristallin.—Maisàcausedetoutcequetufaispournous.Lepetit-déjeunerquetunousapportestousles

lundispournouségayerlasemaine,toutestespetitesattentions…toutcequiterendsiattachanteetsiindispensabledansnotreagence.Bref,nousétionsprêtsàvoleràtonsecours,etlà…tunousatousbluffés.Commenttul'asremballéecettegoule!C'étaittropbeau!

Jesouristoutenluifaisantsignedenepascrier.Sij'étaiscontentedeneplusmelaisserintimider,cen'étaitpasuneraisonpourallertroploinnonplus.

D'uncoup,Alicesemblaunpeugênée.Jemedemandaiscequiluitrottaitdanssajoliepetitetêteroseetnoire.Elleavaitcettepetitemoueadorablequ'ellearborait lorsqu'ellevoulaitmeposerunequestiondélicate.

—Vas-y,qu'est-cequetuveuxsavoir?Sonrictusespiègles'élargit.—Toi,tucommencesàtropbienmeconnaître.Jehochailatêteavecunemoueamusée.—Bon,enfait,jem'interrogeaisunpeuàtonsujet.Ellebaissalesyeuxsurlemugaveclequelellejouait.—C'estunpeudifficileàexpliquer.Tuasl'air…différente.Ondiraitquetuaschangédutoutau

tout en l'espace d'un week-end. Non. Pas changé. Disons plutôt que… tu t'es… comment dire ?

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Dévoiléetellequetues.Voilà,c'estça.J'ouvrislabouche,surprisequemonchangementsoitsiperceptible.—Oh,j'aijustedécidédeneplusmelaissermarchersurlespieds.Elleplissalesyeuxet,lesmainssurlesgenoux,sepenchaversmoienm'observant.—C'estça,ouais!Etcescheveuxbrillants,ceteintéclatant…Onnemelafaitpas,àmoi!Outu

astrouvéunecrèmedejourmiraculeuse,outuaspristonpiedceweek-end.J'éclataiderireenrougissant.Elleavaitvujuste!—Bon,admis-je.Tuveuxquoi,laversionlongueoulaversioncourte?—Lalongue,bienentendu!J'allumaimonordinateurpourm'assurerqu'aucunmailurgentnem'attendait.Iln'yenavaitqu'un.

J'yrépondisavantdemetournerversAlice.—Figure-toiqueJérômem'amenacéedefairedumalàYourisijelerevoyais.Sonexpressiondevintcolérique.—Quelcon!J'aitoujourssusonimbécillitéprofonde,maislà,ilcreuseencore!Jesourisenvoyantsamoueoffusquée.— Toujours est-il que vendredi soir, Youri s'est fait prendre à partie par un gars bizarre. Un

colosseque l'on imaginerait toutdroit issud'unfilmsur lamafia russe, tuvois?Alors, je l'ai faitveniràlamaison.Et…tuimagineslasuite.

J'attendis,certainequ'elleallaitmegrondercommeuneenfant.Sérieux,àpartmoi,quiétaitprêteàaccueillirunSDFpourentomberamoureuseensuite?

—Etilesttoujourscheztoi?Hum…commentluidireçasansmeprendreunepluiedereproches?C'estvrai,sielles'ymettait,

elleavaitdequoi faireune liste longuecommelebras : j'avais introduitchezmoi,en lui filantundoubledesclés,unSDF.UnSDFquiavaitdesproblèmesavecdesgens.Entoutcas,avecunmalabar.Je ne le connaissais que depuis quelques semaines.Nous brûlions les étapes : on avait notammentloupélesempiternelciné-resto.Mais,aufond…est-cequej'enavaisquelquechoseàfairedel'avisdes autres ?Absolumentpas !Est-cequemoi, celamedérangeait d'avoir…commentdire ?Sautédanslevideletrainenmarchepourprendremavieenmain,quitteàmecasserlagueule?Non!Etsic'étaitàrefaire,jelereferaislesyeuxfermés.

Aussi,mavoixnetremblapaslorsquejerépondis:—Oui.Alors,ellefitquelquechoseàlaquellejenem'attendaisvraimentpas.Dejoie,ellemesautadans

lesbrasavecunetelleforcequemonfauteuilserenversa,nousfaisantatterrirtouteslesdeuxsurlamoquetteimmaculéedemonbureau.

Couchées à même le sol, nous éclatâmes de rire avec l'exacte impression d'être revenues enenfance. Après ces semaines sous tension, cette insouciance me faisait un bien incroyable ! Là,allongéeparterrecommeunelimacesurlemacadam–pourleglamourdel'image,onrepassera–jesentaistouslesmusclesdemoncorpssedétendre,libérantunesensationdebien-êtreincroyable.

Aliceétaittoutsourirelorsqu'elleseredressaenmetendantlamainpourm'aideràfairepareil.—Franchement, je suis ravie pour vous. J'avais peur que vous vous tourniez autour comme…

commetouslesautrescouples.La porte s'ouvrit, nous faisant sursauter, alors que j'étais encore accroupie par terre, la main

d'Alicedanslamienne.Mince,maisonallaitpasserpourquoi,nous?Mylindasetenaitsurleseuil,tentantpossiblementde rassembler tous lesmorceauxdudrôledepuzzlequiseprésentait soussesyeuxtranslucides.Jeremislachaiseàsaplaceavantdemetournerversmasupérieure.

—Jevousattendsdansmonbureau.Je hochai la tête et elle sortit dans le couloir. Je sentis une petite boule de stress se frayer un

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chemindansmonventre,maisjelafisimpitoyablementdisparaître.Saisissantsurmonbureaudeuxgobeletsdecaféetdeuxmuffinsauchocolataussimoelleuxquevolumineux,jelasuivis.

Laportedesonofficineétaitouverte.Jetoussaipourannoncermaprésenceetentraisansenavoirl'autorisation.

—Fermezlaporteetasseyez-vous,jevousprie.La tête penchée sur son clavier, elle nem'avait pas encore vue.Les bras chargés, je donnai un

légercoupdepieddanslaporteafindelafermeretregagnaimonfauteuilquiémituncouinementàla fois craintif et suraiguquim'aurait à coup sûr faitglousserdansd'autres circonstances.Puis, jeposailesmetssursatable.Latêtequ'ellefitlorsqu'ellelesdécouvritauraitfaitrireleplussérieuxdesascètes.

Commeellerestaitmuetteàscruterlessucreries,jerompislesilence.—Dequoidésiriez-vousmeparler?Elle frémit enentendantmavoix et secoua la têtepour à la fois ramener ses idées et cesserde

lorgnerlesgâteaux.J'auraisjuréavoirentenduungargouillisvenantdesonventreplatcommeuneplancheàrepasser.

—Jesaisquevousavezeuunealtercationavecmamèrecematin.Je me mordis la lèvre supérieure. Donc, j'allais me prendre une engueulade bis de la part de

Brigitte.2.Jenepouvaispasmeplaindre,jel'avaischerché.—Jevouspriedel'enexcuser.Ma bouche s'ouvrit en cul de poule. Je m'étais attendue à tout sauf à ce que l'onme demande

pardon.—Elleveuttoujoursbienfairemais…savez-vous,elleesttrèsautoritaire.Jehochai la tête tout endoutantdubien-fondéde lapremièrepartiede laphrase sans toutefois

oserremettreencausemasupérieure.—Jesuisdésolée.Jesaisquevousentretenezunerelationavecun…avecun…Ellesemblaitpeineràtrouversesmots.Pournepasmeblesser?—AvecunSDFcomplétai-jesansressentirlamoindregêne.—Oui,c'estcela.Vivezvotreviecommevouslesouhaitez.Nel'autorisezpasvousendicter la

conduite.Jenecomptaisde toutesfaçonspas luien laisser l'occasion.Maviem'appartenait.Elleavaitété

mise en suspens pendant lesmois qui avaient suivi l'accident, et elle venait à peine deme revenirdepuisquelquesheures.Ilétaitparconséquenthorsdequestionquejelalaissefilerànouveauàcaused'unevieilleringardequiseprenaitpourlecentredumondeàtoutvouloircontrôler!

Alorsquej'allaissortiruneremarqueacerbe,jelevailesyeuxverselle.Jenel'avaisjamaisvuecommeça:recroquevilléesursachaiseavecunetelleexpressionsurlevisagequecelamebrisaitlecœur. SiBrigitte, cette femme caractérielle, n'était quema chef, elle était lamère de celle quimefaisait face. Et je la plaignais. Sincèrement. Je n'étais soumise aux ordres dema supérieure qu'autravail,pasdansmaviepersonnelle.PourMylinda,c'étaitdifférent.Brigittecontrôlait toutesavie,jusqu'àsonproprepoids.Ellen'avaitmêmepasleloisirdesegoinfrerdeglaceàlavanillecommetoutefillequiserespecte.Oudechocolat.Enfin,ellelepouvait,maisencachettedanslestoilettesdel'entrepriseavantde toutvomirdans la cuvette laplusprocheen tentantde faire lemoinsdebruitpossible.

Jem'étais toujoursplaintdemamère,maismaintenantquejeconnaissaisBrigitte, jeréalisaisàquelpointmesjérémiadesavaientétéinjustifiées.Mamans'étaitmontréeparfoistropempresséeencequiconcernaitlerangementdemachambreoubienpourmesétudes,cependant,ellem'avaittoutdemêmelaisséunebellemargedelibertédansmavie.Mylindaavait-elleseulementlechoixquantàsesfréquentationsalorsqu'ellenepouvaitmêmepaschoisirentrelecocanormaletlecocazéro?

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Mavievenaitdechangerdutoutentoutenl'espaced'unweek-end.Sij'enfaisaisdemêmepourcelledeMylinda?Certes,cen'étaitpasàmoidelaprendreenmain,maisluimontrerqu'uneautremanièredevivreétaitpossibleseraitdéjàsuper.ConvaincuequelaRévolutioncommençaittoujourspardepetiteschoses,celledeMylindadébuteraitparunjuteuxmuffinauchocolat.

Aussi,jeprislegâteauenmainetlecroquaisanscachermonplaisir.Lajeunefillem'observaensilence, une lueur de convoitise dans le regard. Sans cesser de sourire, je fis coulisser dans sadirectionlasecondesucrerie.

Ses yeux s'écarquillèrent de surprise, faisant des allers-retours entre la petite douceur, la ported'entréeetmapersonne.Sentantquesijeparlais,jepouvaisromprelamagiedumoment,jelaissaimonsourires'élargirenhochantlatêtedemanièreencourageante.

CefutaveccraintequeMylindas'emparadugâteauet, redevenantunenfant insouciant le tempsd'uninstant,l'engloutitavecdélectation.Jamaisunmuffinn'avaiteupareilgoûtdebonheur.

Jenemelevaidemachaisequelorsqu'ellel'eutentièrementavalé.Pourtoutremerciement,ellem'adressalesourireleplussincèrequ'ilm'eutétédonnédevoirsursonvisagedepuislapremièrefoisoùj'étaisentréedanscetteagence,quelquessemainesplustôt.

Brigitteouvritlaportesansmêmetoquer.Ellemefusilladesessatanésyeuxtranslucides,puis,sesmirettesscrutèrentsafilleavecattention.

—Ehbien,qu'attends-tupourrejoindretonbureau,Eva?N'as-tupasassezdeboulot?Jesoupirai,dépitéequecelleàquijevenaisd'offrirmonaides'adressâtàmoidemanièreaussi

désagréable.—Etn'oubliepasdefermerderrièretoi.Aumomentoù jevoulusm'exécuter, je lançaimalgrémoiundernier regardàMylinda.Contre

touteattente,ellemedécrochaunclind’œilempreintdecomplicitéavantdesetournerversBrigitte.PourMylinda,s'extrairedel'influencedesamèreneseferaitpasenunjour,maisj'étaiscontente

d'êtrecellequiluiauraitpermisd'ébaucherlepremierpas.

CHAPITRE21

Jequittail'agenceunpeuplustardqueprévu.AlicevenaitderompreavecCédric,puisqu'elleletrouvait ennuyeux.Aussi, elle avait souhaitéme raconter la fin de leur relation dans lesmoindresdétails et, commema charge de travail n'allait pas en diminuant, j'avais dû rallonger un peumes

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horairesafindepouvoirbouclerlesdifférentsdossiersquim'avaientétéconfiés.J'avaisbieneuenviedeprévenirYouridemonretard,maistoutSDFqu'ilétait,ilnedisposaitpas

d'untéléphoneetjen'avaispasencoreinstallédelignefixeàmondomicile.Parconséquent,ilm'étaitimpossibledelecontacter.

Unefoisdanslarue,Alicem'arrêtaalorsquej'allaispartir.—Est-cequesaconditiondeclodotegêne?Scandaliséeparsaquestion,jeregardaiàdroiteetàgauchepourm'assurerquepersonned'autre

l'avaitentendue.—Toujoursaussidirecte,àcequejevois,laréprimandai-jesanstoutefoisrépondreàsaquestion.

Pourquoiveux-tusavoircela?—Ehbien,toutdépenddecequ'ilveutfaire,maisunpostevientdeselibérerdanslaboîtedemon

oncle,alorsjem'étaisdemandéesi…—Oh!Écoute, jenesaispas.C'estunpeudélicatcommesituation,mais je luien toucheraiun

mot.Àvraidire,j'étaispaniquéeàl'idéed'évoquerlesujetaveclui.Notrerelationdébutaitàpeineetlui

parlerd'insertionprofessionnellenefaisaitpaspartiedemespréliminairespréférés.—Merci,entoutcas.C'estadorabledetapartdevouloirnousaider.Elleme serradans lesbrasde toutes ses forces avant deme relâcher, haletante.Toujours aussi

effusive,mapetiteAlice!—Cen'estrien!Aiderquelqu'undanssasituationn'estpasaisé.Tun'aspasàlefairetouteseule.Jeluisourisavantdememettreenrouteverschezmoi.Comment lui annoncer l'idée d'Alice ? Je craignais qu'il prenne mal ma proposition, mais lui

suggérerdereprendreunevienormalen'avaitriendeméchant,bienaucontraire.Entantqu'ancienSDF,celaluiferaitprobablementdubiend'avoirunpetitcoupdepoucelorsdel'embauche.Eneffet,quid'autrerecruteraitunex-clodo?

Jedevaisprofiterdel'occasionques'offraitànous.Toutcequipourraitl'aiderétaitbonàprendre.J'allaismedonneràfondpourlui.Pournous.

Fortedecettedécision,jem'engouffraisdansl'artèremarchandedemaville.S'ilvoulaitreveniràla vie active, il allait lui falloir un sérieux relooking.Autant faire chaufferma carte bleue tout desuite!

Cefutavecplusdedeuxheuresderetardetlesbraschargésdecadeauxàlamanièred'uneMère

Noëldestempsmodernesquejefranchisleseuildemonappartement.—Mmmh,çasentbonici,m'extasiai-jeenposantlessachetssurlesoldusalon.Qu'as-tupréparé

àmanger?Aucune réponse. Mon cœur se mit à battre à tout rompre et je parcourus le logement à sa

recherche.S'ilavaitdisparu…Non.Jerefusaisdesongeràcetteéventualité.Jepoussaiuncridejoieenledécouvrantderrièrelesfourneaux.Leregardnoirqu'ilmelançacalmamonenviedeluisauterdanslesbras.

—Je…euh…j'avaispeurquetusoisparti.Ilcoupalegazavantdesetournerversmoipourmescruter.Sesyeuxbleuslançaientdeséclairs

quim'étaienttrèsclairementdestinés.— Je dois t'avouer que celam'a traversé l'esprit un paquet de fois. Surtout les deux dernières

heures,pourêtreprécis.Jememordislalèvresupérieureenessayantdemecalmer.—Tuesrentréebienplustardqueprévu.—Jenet'avaispasdonnéd'heure,quejesache.

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Sanslevouloir,jem'étaismisesurladéfensive.Maisqu'est-cequ'illuiprenaitdemepiquerunecrisepourça?Enfin,pasexactementunecrise…ilparlaittoutdemêmed'unevoixtrèscalme.Tropcalmepourêtredebonaugure.

—Depuis que tu as emménagé ici, je te vois toujours rentrer à lamêmeheure, exception faited'aujourd'hui.

—Commentlesais-tu?Tun'avaismêmepasdemontrepourlevérifier.Il se tut, blessé. J'étais mortifiée. Là, j'étais clairement allée trop loin et je m'en voulais

terriblement.—Excuse-moi,je…Iljetasontabliersurlatableavantdesortirprécipitammentdelacuisine.Jeluiemboîtailepas.Il

sedirigeaittoutdroitverslaported'entrée.—Oùvas-tu?—Chezmoi!—Commentça?Tun'aspasdecheztoi,jetesignale.Nosyeux s'accrochèrent.Les siens étaient furieux.Probablement autant que lesmiens, voireun

peu plus. Mais il était hors de question que je lui montre combien cela me paniquait de le voirfranchirleseuildemademeure.Ets'ilnerevenaitpas?

—Chezmoic'estpartout.Partoutsaufici.Sesparolesm'allèrentdroitaucœurpour lebriserenmillemorceauxà la façond'unegrenade

meurtrière.Moiquipensaisluiapporterunnouveaudépart…—Pourquoi?Pourquoitudisça?—Àtonavis?Je soutins son regardmalgré les larmesquimenaçaientdem'échapper.La colèredonnait à ses

yeux une lueur éclatante, rappelant les impressionnants éclairs qui zébraient le ciel d'été lors deviolentsorages.

—Eva,toutcequejetedemande,c'estdenepasmejuger.Etdemediretoujourslavérité.—MaisYouri!J'aitoujourstentéd'êtrejusteenverstoi.Pourquoinepeux-tupaslevoir?Jemehissaipourcapturersonvisageentremesmains.Ilmerepoussa,mais j'insistais.Enfin, il

lâcha prise et se détendit un peu. Ressentait-il la même impossibilité de résister à l'autre quej'éprouvais,moiaussi,àchaquefoisquenospeauxsetouchaient?

—Jamaisjenetenteraisdetemanipuler,Youri.Tuesbientropprécieuxàmesyeuxpourquejem'abaisseàcegenredepratique.

Sonvisagelaissapasserunsoupçondesoulagementavantdes'assombrirànouveau.—Danscecas,peux-tumedirecequisetrouvedanslessachetsquetuaslaissésenvracdevantle

canapé?Je déglutis. Les noms des enseignes dédiées au textile masculin et à l'électronique étaient

clairementvisibles.—Cen'estpasdelamanipulation,ça?Jem'accordaisquelquesinstantspourréfléchiràlatactiqueàadopter.M'écraserpourapaisersa

colèreoubienm'affirmerpourallerlàoùjesouhaitaisaller?—Jesaisquecelapeutressembleràdelamanipulation.Jel'admets,maisçan'enestpas.Ilhaussalessourcils,incrédule.Puis,ilsedégageapoursedirigerverslaporte.Alors,jememis

vraimentencolère.—Vas-tuenfinarrêterdefuiràchaquefoisquequelquechosetedépasse?Ils'arrêta,metournantledos,avantdepivoterpourmetoiser.—Commentoses-tu…—J'oseparcequejetiensàtoi,justement!

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Sa bouche s'ouvrit en grand sous l'effet de la surprise,mais il ne décoléra pas pour autant. Jeréalisaiàcetinstantqu'ilétaitbeaucoupplusgrandquemoietmesentiscommeunemisérablepetitesouris face àunéléphant.Toutefois, lapetite sourisque j'étaisn'allait pas le laisser s'en aller sanss'êtrebattuepourlui.

—Jetiensàtoi,Youri.Ettuvauxbeaucoupplusquelarue.Tuesquelqu'und'exceptionnellementsensible,quelqu'und'intelligent.Tuesuniqueettuméritestellementplusqueça!

—Tunesais strictement riendemoi, rétorqua-t-il en regardantvers la fenêtre sous laquelle lavenelles'étalait.Jesuisuneraclure.Situsavais…

—Jerefusedetecroire!Jen'aiaucuneidéedequituétaisavantetàvraidire,jen'enairienàfaire.Jetevois,toi,àl'instantprésent.Lerestenem'importeguère.

Ilsecoualatête.—Ettusaiscequejevois?Jevoisquelqu'unquitientassezàmoipoursefairepasserpourmon

petitamiafindemesauverlamise.Quelqu'unquiestauxpetitssoinsauprèsd'unehandicapée,pourqu'ellesesentebien,alorsquemoi,saproprefamille,j'avaisprislafuite.Etsurtout,jevoisceluiquidétientmonbonheurentresesmains.Nelevois-tupas,toiaussi?

Alors,cequejen'auraisjamaisimaginéseproduisit.Unelarmeroulasursajouepourdisparaîtredanssabarbe,puis,seslèvress'écrasèrentsurlesmiennesavecforce,mêlantseslarmesauxmiennes.

Jeleprisparlamainpourl'entraînerverslasalledebains.Ilm'observaavecsurprise.—Euh,déshabille-toi.Enfin,pasentièrement.Gardeleboxer,quand-même.Autrement, j'étais certaine à cent pour cent de ne pas parvenir àmenermamission à bien.Lui

donner de tels ordresme rendait toute chose et je devaisme faire violence pour ne pas lui sauterdessus.

Ilsedéfitdesonpantalonetsontee-shirt.Jenegardaisquemaculotteetmondébardeur.Ilflottaitdansl'airunetensiondesplusdévastatricesetjesentaisqu'elleallaitfairedesravagesdèsquenousaccepterionsdenousysoumettre.

—Assieds-toisurlacuvette,luiordonnai-jeenessayantdenepaspenseràlamanièredontilmedétaillaitdelatêteauxpieds.

Mon sang battait dans mes tempes lorsque je m'approchai de lui. Sa tête était exactement à lahauteurdemesseins.Illuiauraitsuffid'avancerdecinqpetitscentimètrespourdéposeryunbaiser.À cette pensée,mes tétons se durcirent, devenant clairement apparents sous le tissu blanc demondébardeur. Il me sourit lorsque je le surpris en train de les reluquer outrageusement. Je déglutis,terriblementmalàl'aise.

— Hum… si tu le permets, je vais couper ta barbe, lui indiquai-je en lui montrant le rasoirélectriquederniercridontjevenaisdefairel'acquisition.

Ilhochalatête,visiblementtrèsamusé.—Avecplaisir,Eva.Jerougisjusqu'auxoreilles.Commentfaisait-ilpourmefaireautantd'effet?—Toutleplaisirserapourmoi.—Jenecroispas,non,rétorqua-t-ilenmedévorantdesyeux.Jen'avaisjamaisfaitça.Enfinsi.Audébutdenotreadolescence,macousineavaittenuàcequeje

lui rase les jambes pour sa première et seule sortie avec un garçon. À l'époque, elle avait faillis'évanouirà lavuedusangsursespauvresgambettes.J'espérais toutdemêmefaireunpeumieux,aujourd'hui.

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CHAPITRE22

—Ehbienvoilà,c'estterminé.Mavoixsonnaitcommecelled'unenymphomane.Pendanttoutel'opérationderasage,mapoitrine

n'avait pas cessé de se frotter à son torse, allumant le feu enmoi. Je frémissais pour lui tantmonenvie de son corps était pressante mais, bien appliquée, je n'avais rien voulu faire avant d'avoirterminé ma tâche. Tout le long de l'opération, il m'avait provoquée, s'amusant de mes réactionsoutrées.

—Non.Jenepensepas.Ilyenaencoreunpeuici.Jesoupirai.Illefaisaitvraimentexprès,non?Effectivement,ilyavaitunpointrebelleoùjen'avaispasbienfaitmontravail.Jemepenchaisur

luipourréduireànéantcesfichuspoils.J'yétaispresque.Etsoudain,jemerendiscomptedecequilefaisait sourire autant. Sans le faire exprès, je venais pratiquement dem'asseoir sur lui. Posant sesmains surmeshanches, ilme força–nonpasqu'il eut exagérémentbesoind'insisternonplus–àm'installersurlui.

—Ceseraplusfacilecommeça,murmura-t-ildesavoixlapluschaude.C'estça,oui...Parlepourtoi!Sentantsonsexepalpitercontrelefintissudemaculotte,j’apposailerasoirsurlazonerebelle.

Ledésirmetorturaitlesreinsetlebasventre,envoyantdanstoutmoncorpsdesondéesdechaleur.Jamaisjen'auraisimaginéqu'unsimplerasagepuisseêtreaussiérotique.

—Voilà,monsieur.J'aiterminé.Êtes-vousenfinsatisfait?Ilvrillasesyeuxbrûlantsauxmiens,affichantsonexpressionlaplussérieuse.—Paslemoinsdumonde,jeunefille.—Pardon?Brusquement, il se redressa,m'entraînantdans sonélan.Meprenantdans lesbras, ilmedéposa

danslabaignoireetactionnalerobinet.L'eau,tropfroide,coulasurmondos,mefaisantpousserunhurlement.

—Disonsquejenesuispasencoresatisfait,spécifia-t-ilenpassantlespoucessurmestétonsquel'eaufroideavaitérigés.

Moncrisetransformaengémissementetlatempératuremontadequelquesdegrésdanslapiècelorsqu'ilmerejoignitsousladouche,entièrementnu.Oh-mon-Dieu!Sinousavionsdéjà fait l'amouràplusieurs reprises, jen'avais jamaiseu l'audaced'observersa

nuditépendantaussilongtemps.Etilétaitpourlemoins…commentdire?Trèsbienconstitué.

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L'eauruisselaitsursapeauenrivièressinueuses.Jeposaimamainsursontorseafind'ensuivrel'uned'elles.Sanscesserdemeregarder,ilsaisitmonavant-braspourl'ôterdesoncorps.

—Déshabille-toi,d'abord.Àcetordre,uncourantélectriqueparcourutmoncorpstoutentier.Bonsang!Medévêtirsousle

brasierdesesyeuxallumaenmoiunfeudont lapuissancedévastatricem'effraya.Yourin'étaitpasmonpremier amant, loin de là.Et nous avions déjà fait l'amour à plusieurs reprises,mais plus letempspassait,plussoneffetsurmois'intensifiait.Enétait-ildemêmepourlui?

Sansromprelecontactvisuel,jejetaimesvêtementstrempésaufonddelabaignoire.Toutenuedevantlui,j'eusunpremiermouvementderecul.Ets'iln'appréciaitpascequ'ilvoyait?

Ilfitunpasdansmadirectionetjereculaiànouveau,mecognantcontrelaparoidelabaignoire.—Unepersonneaussibellequetoinedevraitjamaissecacher.—Jenemecachepas.Ilarqualessourcilspourm'inciteràsuivresonregard.Jebaissailesyeuxsurmonproprecorps.

Sansm'enrendrecompte,j'avaismasquélespartiesessentiellesderrièremesmains.—Eva,es-cequetuveuxbienmelaissertemontreràquelpointtuesmerveilleuse?Le rougeaux joues, tant à causede sonadorable accentquedu sensde sesparoles, j'opinaidu

bonnet.Ilmepritlesmainspourydéposerunpeudesavon.Ilavaitraison.Sijemeconcentraisd'abord

sursoncorps,j'enoublieraislanuditédumien.Je commençai par frictionner son torse, suivant les délicats dessins qui le sillonnaient.D'abord

timide, ilpoussaungrognementdeplaisir lorsquejejoignismesonglesàlacaresse.Jesouris,unpeuplusconfiante,etmemisàgenouxdevantlui.Jebaissailatêtepournepasvoirtoutdesuitesonmembre et m'occupai d'abord de ses chevilles, remontant lentement, lui arrachant des soupirs defrustration.

Quandenfin,j'atteignislecentredesoncorps,jenepusnierl'évidence.Ilmedésiraitautantquejeledésirais.Toujoursàgenoux, jeprisd'abordduplaisiràpétrir ses fesses, fermesetdoucessousmespaumes.Puis,enfin,jerajoutaiunpeudesavonsurmesmainsenlevantlesyeuxverssonvisage.

—Situcontinuesdemeregarderdecetairinnocent,jenedonnepascherdetapeau,murmura-t-il.

Jeris,d'unriresensuelquejenemeconnaissaispas,puis,sansdétournermonregard,jeleprisdansmesmains.Jenepusm'empêcherdepenserqu'ilétaitparfait. Je leserraibienfort, sansoserbouger.Songrognementrauquem'encourageaàmelaisseraller.

Avecunsouriresardonique,jecommençaiàeffectuerdesmouvementsdehautenbaslelongdesonsexe.

—Eva…Plus je m'enhardissais, plus il semblait apprécier. Sentir son plaisir contre ma main était une

sensation des plus délicieuses. Si délicieuse qu'elle ôtait toutes mes inhibitions l'une après l'autre.Soudain,uneidéemetraversal'esprit.Sijemelaissaisallerà…

Toujours à genoux, je mis mes mains derrière mon dos comme une petite fille bien sage. Ilsoupiradefrustration,cequimefitsourired'aise.C'étaitsignequ'ilappréciaitcequejeluifaisais.

Puis,lorsquelesavoneutcomplètementdisparudesonmembre,emportéparl'eauchaudedeladouche,etsanscesserdeleregarder,jedéposaiundélicatbaisersursongland.

—Eva!Dans ses yeux perçaient à parts égales plaisir et étonnement lorsque je le pris en bouche,

imprimantunmouvementdeva-et-vientquisemblaitluiplaire,tandisquejefaisaisdansermalangueautourdesonsexe.

—Eva…Evajevais…situneveuxpas…

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Je ne bougeais pas malgré ses avertissements. Lorsqu'il jouit dans ma bouche en un long jetsaccadé,j'hésitaisurladémarcheàsuivre.Legoûtn'étaitpasbonàproprementparler,maisiln'étaitpasaussidésagréableque je l'avais imaginé.Et jenevoulaispasperdreunemiettedesa semence.Quandjel'avalai,ilpritsesmainsdanslesmiennespourm'aideràmeredresser.

Jen'étaispasvraimentinexpérimentéeenmatièredesexe.Toutefois,jenem'étaisjamaislaisséeallerjusque-làavecaucundemespartenaires.Pourautant,jeneleregrettaispas.J'étaisravied'avoirtentécettepremièreapprocheavecYouri,etseulementavec lui.Toutefois,si j'étais ravie, jen'étaispasmoinsgênéedecequejevenaisdefaire.Lerougem'était,j'enétaiscertaine,montéauxjoues.

—Tuesmerveilleuse,Eva, susurra-t-il avantdem'embrasser àpleinebouchedans lebaiser lepluspassionnéquenousayonséchangéjusque-là.

Puis,ilposasesmainssavonneusessurmoi.J'ignoraiscomment,j'ignoraispourquoi,maisj'avaisl'impressionquechacunedescaressesqu'ildessinaitsurmapeauavaitquelquechosedemagique,depoétique,toutenétanthautementérotique.

Je le laissaiuserdemoncorps touteentier.Lorsque jene fusplusqu'unnuagedeplaisir, je lesentisme pénétrer contre la paroi de la baignoire.Mes sensations s'intensifièrent, l'irréel devenaitréel, et vice-versa. Lorsque nous explosâmes, je n'aurais su dire où se situaient nos limites, oùcommençait soncorpsetoù finissait lemien.Nousétionsun.Unseuletuniqueensembleque rienn'auraitpusépareràcetinstant-là.

Unefoissurlelit,jefaisaiscourirmesdoigtssursestatouages.Sesyeuxallaientdemonvisageà

ma main. Nous étions… en osmose. Dans un état second, grisés par le plaisir que nous nousprocurionsl'unàl'autre.C'estainsique,sansréfléchir,jeluiposaiunequestion.

—Ainsi,cetatouagetevientdetafamille.Ilhochalatête.Jelesentisseraidirsousmesdoigts.Pourautant,jenemesentaispascapablede

garderpourmoilesdifférentesinterrogationsquifaisaientbouillirmonesprit.—Oùest-elle,tafamille?Ilsemblahésiter,tirailléentrelebesoindeselivreràquelqu'unetlapeurquecetacteluiinspirait.

Finalement, il bondit du lit pour ramasser sonboxer par terre ainsi que sonpantalon.Quand il sedirigeaverslaporte,jelerejoignis.

—Youri,ne…jesuisdésolée,d'accord?Jen'auraispasdûtebrusquerenteposantcettequestion.Jesavaisquecelategêneraitetj'auraisdûterespecter.Excuse-moi,d'accord?

Ils'arrêtaavantdesetournerversmoi,lesyeuxbraquéssursespieds.Çanesentaitpasbon.Pasbondutout.

—Eva…tuferaismieuxdemelaisserpartir.Jenesuispasquelqu'unpourtoi.—Quoi?!m'offusquai-je.Jeleprisparlementonpourleforceràmefaireface.—Pourquoitudisça?Ilmeregarda.Jepouvaisclairement lire lecombatdanssesyeux.Uncombatentre lebienet le

mal.—Jetel'aidéjàdit.Tunemeconnaispas.Là,çacommençaitàm'énerver.Prodigieusement,même.—Écoute, onva arrêter cettevalse idiotedu je veux rester,mais je suis tropméchantpour toi,

d'accord ?Parceque là, ça commence sérieusement àmegonfler.On se croirait dansunmauvaissoap.

Ilécarquillalesyeuxsanspourautantmeparler.—Tuvasmedirecequetuasfaitdesimauvaispouravoirsipeurdemeblesser?Cen'estpas

commesituavaistuétafamille,si?

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Ses yeux devinrent noirs sous l'effet de la colère. Ses pupilles dévoraient presque entièrementl'ensembledesesiris.

—Neredisplusjamaisça,d'accord?!Jefrémis.Ilpivotaendirectiondemaporte.—Jenevaispastelaissert'enallercommeça,criai-jeenluibarrantlechemin.Passansm'avoir

ditcequin'allaitpas.—Sijeteledis,tumefuiras.Jecroyaisquec'étaitcequetuvoulais…—C'estcequiarriverasitunetedévoilespas.Parle-moi.Dis-moicequejedoissavoir,etensuite

jedécideraisiouiounonjedoistefuir.Maissitunet'ouvrespasàmoi,j'estimequenousn'avonsrienàfaireensemble,carlaconfianceestpourmoilabasedetout.

Cen'étaitpasvrai.Jementaiscommeunearracheusededents.Mêmes'ilnemeconfiaitpassonterriblesecret, jene lequitteraispaspourautantetce,pouruneseuleraison: j'étaiscertainequ'aumomentoùilsortiraitdemonappartement,toutmonuniverssedéliterait.

J'attendis,lisantl'indécisionsursonvisage.Quandenfin,ilparutavoirfaitsonchoix,unfrissond'appréhensionparcourutmonépinedorsale.

—Jepensequetuferaismieuxdet'asseoir.J'obéis et tapotai la couverture du lit afin qu'il vienneme rejoindre. Je gardai le souffle coupé

jusqu'àcequ'ilobtempère.—Commetulesais,jesuisnéàMoscou.J'aieulachancedeveniraumondedansunefamilleàla

foisaimanteetaisée.Ilsetournaversmoietunrireamerjaillitdeseslèvres.—Ehoui,c'estduràcroirequequelqu'und'aussimiséreuxsoitissud'unmilieutrèsriche,n'est-ce

pas?Sesyeuxrevinrentaumurqu'ilsscrutaienttantôt.—Mesparentsavaientuneentreprisequiagrandiaufildutemps,amassantgloireetpatrimoine.

Ilssuscitaientbeaucoupd'admiration,puisqu'ilsétaientversésdans l'humanitaire.Leursociété,bienqueflorissante,avaitpourbutlebiencommun.Mais,commetoujours,ilyavaitdelajalousieetce,ausein-mêmedemafamille.

Jehochailatêteafindel'encourageràcontinuer.Savoixcommesonvisageétaienttendus.Jemepermisdeprendresamaindanslamienne.

—Mes parents avaient deux frères. L'un, nomméAndrei, était toujours aux abonnés absents etnousn'avionspassouventdesesnouvelles.Quantàl'autre,Feodosiy,ilcollaboraitsouventavecmonpère.Puis,ilsonteuunedisputedontjen'aijamaisconnularaison.

Ilsecoualatêteavecréprobation.—Monpèrem'ademandédeneplusjamaisrevoircethomme,maisjenel'aipasécouté.Voulant

bienfaire,j'avaisorganiséuneveilléeàlamaisonetj'avaisinvitécetonclesansprévenirmesparentsenvuederéconciliertoutlemonde.

Sonregardperdittoutéclat.Seslèvresseretroussèrentenunemouehaineuse.—Ilm'aprévenuàladernièreminutequ'ilneviendraitpas.Àlaplace,ilnousafaitlivrerlerepas

préférédemonpère.J'aiétéleseulànepasenconsommer.MesparentsetAnnia,mapetitesœurdehuitans,sontmortsdans lanuit.QuantàmononcleAndrei,celuiquiétait toujoursenvoyage, j'aireçuunavisdedécèsvenantd'unconsulatenThaïlande.Anéanti,jemesuistournéversFeodosiy,carilnemerestaitplusquelui.Quandj'aicomprissesintentionsàmonégard,j'aifui.Sachantunepartiedesautoritéscorrompues,jenepouvaispascomptersurelles.

Ils'interrompitpours'humecterleslèvres.— J'ai pris contact avec un groupe mafieux qui m'a fourni de faux papiers. Je ne sais pas

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comment,maisilsontréussiàfairedireàlapolicequej'étaisdécédédansunaccidentdevoiture.Detoutemanière,jesavaisdesourcesûrequemononcleavaitsabotélamienne,alorscettehypothèsesetenait.Jesuisvenuiciavecmafausseidentitéetleschosesn'ontpasétéaussifacilespourmoiquejel'espérais.Bienentendu,jen'aipuamenerqu'uneinfimepartiedemoncapitalavecmoi,etils'esttrèsviteretrouvéépuisé.

—Etceuxquit'ontfacilitél'entréeenFrance,ilsnepouvaientpast'aiderdavantage?Ilpartitd'unrirejaune.—Tuvoislecolosse?Ilfaitpartiedecesgens-là.Ilsontuneantenneici.C'estunesortedemafia

auxordresduplusoffrant.Etleplusoffrant,cen'estplusmoi.Tucomprends?Jehochailatête,mortifiée.—Voilà.Tusaistoutdemoi.Jepeuxm'enaller,maintenant?Maisaulieudelelaisserpartir,jebondisdanssesbras.Jamais,jamais,jenelelaisseraisfiler.—Comprends-tuàprésentledangerderesteràmescôtés?Jen'existeplus.Jenesuisplusrien.Je

n'aiplusdechezmoi.— Si ! Chez toi, c'est ici, rétorquai-je en portant la main à mon cœur. Ose me contredire,

maintenant.Il me dévisagea avec une telle intensité que j'en frémis. Ma poitrine se soulevait de manière

erratique et ce fut seulement à cet instant précis que j'en compris la raison. Je pleurais. Aprèsl'accident,jen'avaisplusverséuneseulelarmependantdesmois,etvoilàquelquesjoursqu'ellesnecessaientdecouler.Pourtant,jen'avaisjamaisétéaussiheureusequedepuisquejefréquentaisYouri.

Sesyeuxbrillaient.Onauraitditqueluiaussi,seretenaitdepleurer.Était-celapremièrefoisqu'illivraitsonhistoireàquelqu'un?C'étaitfortprobable,étantdonnéqu'ildevaitcachersonidentitépourfaire croire à samort. Ses larges épaules semblaient s'affaisser sous le poids de la culpabilité. Jen'arrivaismêmepasàimaginercommentildevaitsesentir.Ilavaitperdusesparents,sapetitesœur,etmêmetoutesavie.Ilavaitdûtenterdetoutrecommencericimaisavaitlamentablementéchoué,seretrouvantSDF.Ilavaitparfaitementledroitdecraquer.Sentantquelquechosegonflerpourluidansma poitrine, je me mis à genoux sur le lit, tendant les bras vers lui, mais il me repoussa sansménagement.

—As-tuentenduunseulmotdecequejet'aidit?Étonnée,jehochailatête.Jen'étaispassourde,quandmême.—Ettuveuxtoujoursdemoi?Sonexpressionétaitmoqueuse,maissousl'ironiequ'ils'efforçaitd'afficher,onpouvaitaisément

lirelacrainte.Lasituationneluiétaitpastoutàfaitindifférente.—Donc,sij'aibiencompris,jedevraisterejeterparcequetononcleestunaffreuxconnardquia

décimé ta famille, c'estbiencela ?DésoléeYouri,mais jenevoispas le rapport entre cethommeignobleettoi.Danscetteaffaire,lavictime,c'esttoi.Etjen'aijamaisétédugenreàenvouloirauxinnocents.

Il secoua la tête, comme s'il avait voulu nier la réalité. Comme s'il refusait seulement del'envisager.

—Êtreavecmoireprésenteundangerpourtoi.SijamaisFeodosiyapprenaitquejesuisenvie…Iln'estpasdugenreàlaisserdestémoins.

—Ehbien,jesaurailerecevoir,plaisantai-jeenlevantlespoingsenl'airfaçonboxeuse.Unlégersourireétiraàpeineseslèvres.C'étaitpeu,maisdéjàtellementmieuxquel'expressionde

souffrancequ'ilarboraittantôt!—Je suis en relationavec lamafia russe.Ce sonteuxquim'ontpermisdevenir ici,mais leur

fidéliténem'estpasgarantie…—Tumel'asdéjàdit,ça.Turadotes.

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—Pourquoinemechasses-tupas?Jehaussailesépaules.Ilyavaitdenombreusesraisonsàcela.Parexemple,jenelaissaisjamais

tomberceuxquiavaientbesoindemoi,exceptionfaitedemacousineaprèsl'accident.Maislaplusimportantedesraisonsétaittellementévidentequejenepouvaispluslacacher.

—Parcequejesuistombéeamoureusedetoi.Sonvisagesevidadetoutsonsang,commes'ilavaitvuunfantôme.Unebouleseformadansmon

ventre.Etmaintenant?Sijel'avaiseffrayé?S'ils'enallaitpourdebon?Trèslentement,alorsquemoncœurmefaisaitlesquatrecentscoupsdansmapoitrinemanquant

de me provoquer une crise cardiaque, il s'avança vers moi. Il y avait en lui une étrange timiditélorsqueseslèvresseposèrentsurlesmiennes,commesiçaavaitéténotretoutepremièrerencontre.Cefutunbaisersi touchantquemeslarmesredoublèrent,semêlantauxsiennes.Puis, ils'écartademoipourmeregarderaveccemélangededouceuretd'espiègleriequej'aimaistant.

—Puisqu'onenestauxconfidences…toiaussi,tuasravimoncœur,etcedepuislepremierjour.Cettenuit-là,l'amourfutunedécouvertedel'autre,mêlédetendresseetdecomplicitéet,lorsque

l'extasenousemporta,jemedemandaissijeseraiscapabledevivresansluiuneseulejournée.Jem'endormistoutcontreluiendépitdelachaleur,etcefutavecsérénitéquejefermailesyeux.

CHAPITRE23

—Waouh!Levisaged'Aliceexprimaittoutelasurprisedumonde,sibienquejenepusm'empêcherd'enrire.—Jenesaispascequim'étonneleplus:quetusortesavecquelqu'unquiaquelquescontactschez

lamafiarusse,oubienquetuensoisdéjàamoureuse.Bon,jeneluiavaispaslivrélatotalitédel'histoiredeYouri.Paslapartieàproposdesesparents,

pournepaslemettreendanger,carsonidentitédevaitrestersecrète.Maisj'avaisbesoindequelqu'unàquimeconfier,carcelafaisaittropd'informationsàgérerpourmoitouteseule.

—CelafaitdéjàquelquessemainesqueYourietmoipartageonsnosrepas,tusais,Alice?—Ohoui,alorspourquoinepaspartagernoscœursaussi,tantquenousysommes,plaisanta-t-

ellesansméchanceté.Ahlàlà,Eva,tuesunsacrégarnement.—Celanet'effraiepasquejevoiequelqu'unde…dangereux?Ellefitunepetitemouedemécontentement.

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—Ouietnon.Oui,car j'imagineque lamafianerigolepas.Etnon,parceque jesaisque tuesquelqu'unquialatêtesurlesépaules.Tuneferasriend'imprudent,j'ensuiscertaine.

Sonouvertured'espritm'étaitaussiprécieusequel'airquejerespirais.—Merci.Ontoquaàlaporte.C'étaitMylinda.—Tupeux…euh,pouvez-vousvenirdansmonbureau,Eva,s'ilvousplaît?Je hochai la tête après avoir échangé un sourire avec Alice. Les petits changements de notre

supérieuredirecteneluiétaientpasétrangersnonplus.Jem'exécutai,nonsansnoter lecoupd’œilnerveuxqu'ellelançaverslecouloiravantdefermerlaportederrièremoi.

Jedistinguaiunepetiteboîtedegâteauxposéesursonbureau.Sonvisageémaciése fenditd'unlégerrictuslorsqu'ellecompritquejel'avaisremarqué.

—J'essaiede…hum…suivretesconseils.Vosconseils,pardon.Unpetitrirem'échappa.Cettefilleincertainesemblaitsiloindelafemmesanscœurqu'elleétaità

monarrivée!—Onpeutsetutoyer,net'enfaispas,larassurai-je.Elle avait l'air vraiment crispée. Pour dire, elle se mordait même ses ongles parfaitement

manucurés.—Toutvabien,Mylinda?Ellesursauta,commesiellevenaitseulementdeseréveiller.Merde,c'estundroïde!—Jevoudraisseulementtedonnerunconseil,etneleprendspasmal,Eva.Jehochailatête,sentantlanervositémegagner.Ellesegrattalatête,cherchantsesmots.—Écoute,concernanttarelationavecYouri,jen'aipasmonmotàdire.—Là-dessus,noussommesparfaitementd'accord.Attendez,Youri?D'oùconnaissait-ellesonprénom.—Nenousméprenonspas,Eva.Jenesuispaslàpourtefairelamorale,j'aidéjàassezdesoucis

aveclamienneencemoment.Ellemarquaunepauseavantdepoursuivre.—Jérômeestquelqu'unde…particulier.Vois-tu,mafamilleestàsonservicedepuisdesannées

et…cen'estpasquelqu'undebien.Ça,jel'avaisremarqué.—Commentcela?—L'immobilier,çarapporte,maispastantqueça.Jesaisquetuasremarquéàquelpointilétait

riche.Jerougis.Elleétaitparfaitementaucourantdemonaventureaveclui.—Cetteagencen'estqu'unefaçade.Ilyabeaucoupplus.Ellen'estlàquepourblanchirl'argent.Il

baignedansdesalesaffairesetn'apasquedesfréquentationsrecommandables,si tuvoiscequejeveuxdire.

Ellesemorditl'intérieurdesjoues,creusantencoreunpeuplussonvisagecadavérique.Enfin,sesyeuxclairsseposèrentsurlesmiens.

—Jevoulaisjusteteprévenirdetoutça.Temettreengarde.—Pourquoi?Pourquoiprends-tucerisquepourmoi,alorsquetunemeconnaismêmepas?Ellemeregardaavecunetelletristesseetunteldésespoirquemoncœurseserra.—Parcequetu…Ellevoulutparler,maissagorgesenoua.Elledésignaalorslepetitpaquetdegâteauxsursatable

etjeréalisaiàcetinstantàquelpointcettenanasiguindéeétaitseule.Entièrementdévouéeàsamère,Brigitteavaitdévorétoutcequientouraitsafille,s'évertuantàtuerdansl’œufchaquechose,chaque

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relationquiapportaitneserait-cequ'unpeudebonheuràsaprogéniture.Pourquoi?Cen'étaientpasmesoignons,enréalité.Maisjemepromisd'êtreplusprésentepourcellequimefaisaitface,etquiavaitrésolumentbesoindemoi.

—Merci,Mylinda.Jeposaimamainsurlasienne,décharnée.—Jeferaiattention.Jeme levaipour rejoindremonbureaumais fisdemi-touravantdequitter lapièce. Jeprisune

feuilleblanchesurl'étagèreetnotaimonnumérodetéléphone,merappelantàcetinstantquej'avaisoubliémonGSMàlamaison.

—Voilà.Siunjourtuveuxsortirouquoi…hum…jemeferaiunplaisirdeveniravectoi.Jememordisleslèvres,malàl'aise.Jenevoulaispasqu'elleleprennemal.Jecraignaisqu'elle

pensequejeluifaisaislacharitéouquej'avaispitiéd'elle.Aulieudeça,ellemefitunchaleureuxsourire.

—Merci.—Merciàtoi,Mylinda.Çameferaitvraimentplaisirdetevoirendehorsdecesquatremurs.Lorsque je revins à mon bureau, Alice n'était plus là. Je vérifiai son planning. Elle avait une

réunion.Aussi, jememis au travail,mepenchant surundossier épineuxque je repoussais depuisquelques jours. Si je parvenais à le boucler correctement,Brigitte n'aurait plus de reproches àmefaire.Enfin,quoique,cettegarcetrouvaittoujourslemoyend'enfoncerlesgens.Onauraitditqu'elleétaitnéeavecundonpourça.

Ontoquaencoreàlaporteetjesursautai.Sic'étaitJérôme?—Oui?Mais quelle ne fut pasma surprise lorsque, à la place demon patron, je découvris Youri.Ma

bouches'ouvritengrand.—Toi,ici?—Cachetajoie,plaisanta-t-il.—Excuse-moi,jesuisjustesurprise.Etfolledejoiedetesavoirici.J'aijusteenviedetesauterdessus,maisj'aurailadécencedene

pastelemontrer.—Tavoixsonnaitangoisséequandj'airépondu.Tuaspeurdequelqu'unenparticulier?Hum,deceluiquejem'étaistapéavantdevraimentm'attacheràtoi.Maisnesoispasfâchéparce

qu'enfait,jenesuismêmepassûred'avoirréellementcouchéaveclui,parcequej'étaistropdéchiréepourmesouvenirdequoiquecesoit.

—Oh,justeunmauvaisdossier,laroutine,toutça.Jeluisourispourmeconcentrersurlui.Ilavaitrevêtuleshabitsquejeluiavaisoffertslaveilleet

je n'avais qu'une chose à dire : il était à tomber. Son polo bleu, assorti à ses yeux, mettait samusculatureenvaleur.Quantàsonjean,illeseyaitparticulièrementbien,s'ajustantdemanièretoutàfaitsuggestivesurseshanches.Soudain,jesentisuneondéedechaleurs'éveillerdansmesreins.Jen'avaisjamaisfaitl'amourdansunbureau.Ilfallaittoujoursunepremièrefoisàtout.Vraiment,Eva,tunepensesqu'àça!Ettapudeur,alors?—Jesuisvenutedéposerceci.Tul'avaisoubliéetjemesuisditqueçatemanquerait.Jerougisenmelançantàl'eau.—Iln'yapasqueçaquim'amanqué.Ilmesouritavectendresse.Vraisemblablement,iln'avaitpassaisicequejevoulaisdire.Pourtant,

prised'unaccèsde timidité, jene savaispascommentêtreplusclaire. Indécise, jememordillai lalèvreenm'adossantàmonbureau.Soudain,uneétincellesemitàbrillerdanssesyeux.C'était,àn'en

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pointdouter,dudésir.Aprèsavoirvérifiéd'uncoupd’œilquelaported'entréeétaitbeletbienfermée,ils'approchade

moi à grandes enjambées.À chaque pas qu'il faisait, je sentaismonter la température de la pièce.L'éclatdanssesyeuxfitcourirunfrissond'anticipationsurmapeau.Trèsvite,unesourcedechaleurinattendue se réveilla dans mon bas ventre. Youri se plaça entre mes jambes et, sans que je m'yattende,mecaressaàtraversletissudemapetiteculotteendentelle.

—Jelesavais!Tuesdéjàtellementprêtepourmoi…Je leprispar lecoldupoloet l'attirai àmoipouréviterqu'ilnevoie le rougememonteraux

joues.Cettefois,pointdetimiditéentrenous.Noslanguesseretrouvèrenttoutdesuitepourunbaiserardent.Sentant sesmains expertesdégrafermon soutien-gorgepour aller jouer avecmes seins, jemordissonépaulepouréviterdepousserungémissement.Del'autremain,ilsouleval'ourletdelajupepourtaquinermescuisses.

—Quelqu'unpourraitentrer…murmurai-je.—Raisondepluspours'amuser,répondit-ilenfaisantcourirseslèvressurmoncou.Bon sang, il allait me tuer ! Je plantai mesmains dans ses cheveux aumoment où ses doigts

entrèrentdansmafentehumide.Mondoss'arc-boutadeplaisirlorsqu'illesfitcourirsurlapartielaplusintimedemonanatomie.Puis,letéléphonesonna.

—Réponds,m'intima-t-il.—Je…euh…—Situnedécrochespas,quelqu'unrisquedevenir.Faisantlamoue,j'obéis.—Allô?J'avais tâché de donner àma voix une intonation normale.Toutefois, elleme paraissait un peu

suraiguë.—Jérômevousdonnerendez-vousdemain,àl'heuredudéjeuner.C'étaitBrigitte.—Oh!Ce cri m'avait échappé à l'instant où Youri s'était remis à me caresser, déclenchant un tas de

sensationsdansmoncorpstoutentier.—Jevaisvouslepasser.Ilestauboutdufil.Mon cerveau m'ordonnait de supplier Youri d'arrêter, seulement, ses doigts en moi étaient si

fascinantsqu'ilm'étaitimpossibled'obéiràlapartiesenséedemapersonnalité.—Eva?—Mmmh…—Toutvabien?—Oui!OhmonDieu.Youriallaitmetuer.Illefaisaitexprèsouquoi?—Jevousemmènedéjeunerdemain.Jehochailatêteavantdemerappelerqu'ilnepouvaitpasmevoir.—D'accord.—Vousêtessûrequetoutvabien?Ilavaitl'airinquietet…méfiant.—Oui!Euh…toutvatrèsbien.J'aijuste…Lesdoigtslesplusdouésdumondeplanquésentrelesjambes.—Justebeaucoupdetravail,poursuivis-je.Il laissapasserunsilencependant lequel jedusmordre l'épauledeYouripournepashurlerde

plaisir.

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—Trèsbien.Danscecas,àdemain.—Àdemain.Enraccrochant,jevoulusadresserunregardréprobateuràYouri,saufquecedernieravaitdécidé

deriposterenaccélérantlacadencedesescaresses,m'empêchantderéfléchirdemanièreadéquate.Ilsefourraitledoigtdansl’œils'ilcroyaitquej'allaismefaireavoirjusqu'aubout!

—Tuessibellelorsquetut'empourprescommeça!Ce fut en souriant que je fis courir mesmains sur sa ceinture avant de la dégrafer. Sans plus

attendre,jeleprisenmain,effectuantdesmouvementsdeva-et-vient.—Eva…Memordillant lalèvreavecmalice, jedescendisdubureaupourmemettreàgenouxdevantlui.

Soussesyeuxétonnés,jefiscourirmalanguejoueusesursonlongsexeraide.—Situcontinuesdemeregardercommeça…Je souris intérieurement, fière de mon pouvoir sur lui, et continuai de le torturer, alternant

caresses et coups de langue plus oumoins poussés. Lorsque je sentis qu'il était vraiment prêt, jem'écartaidelui.

—Accepteletravailqu'Alicetepropose.—Oubien?—Oubien…Je fis semblantde remettrema jupeenplace,mais ilnem'en laissapas le temps,mesoulevant

pourmecouchersurlebureau.—Travailaccepté,dit-ilenécartantmapetiteculotte.J'ondulai des hanches et il me pénétra profondément. Le fait de savoir que quelqu'un risquait

d'entreràtoutmomentnefaisaitqu'ajouterdupiment.Trèsvite,mondoss'arc-boutadeplaisiretjemesentispartir,quelquessecondesavantqueYourinejouissedanslepréservatif.Ilseretira,lenouaetlecachadanssapoche.Vraiment, ilétait tempsquejeconsulteungynécologue.Jenesupportaispluslafrontièrequereprésentaitcepetitboutdecaoutchouc.Jevoulaislesentirenmoi.Entièrement.

Lesderniersinstantsquenouséchangeâmesfurentemplisdetendresse.Enfin,ildéposaunchastebaisersurmonfront.

—Merci,murmura-t-ilenhumantmescheveux.Jelevailementonpourledévisager.—Mercipourquoi?—Mercid'êtretoi,toutsimplement.Puis,ilouvritlaporteets'enalla.Quelquechosebrillaitdanssonregard.Quelquechosedebeau,

demagique,maisaussid'extrêmementfragile.Lorsqu'ilfutparti,jefermailesyeux,savouranttoutsimplementl'instantprésent.Jen'arrivaispas

àlecroire.Encemoment,j'avaisvraimenttoutpourêtreheureuse.Unefamilleenbonnesanté,desamis, un travail et aussi… l'amour. Ce dernier mot, prononcé dans ma tête, m'effraya. Était-cevraimentcequejeressentais?Danstouslescas,monétats'approchaitdel'euphorie,del'extaseetdubonheur leplus totaldèsqu'il étaitdans lesparageset, àen juger l'éclatde sesyeux, il enétaitdemêmepourlui.Jen'arrivaistoutsimplementpasàencroiremachance.

Ce fut avec un sourire extatique que j'affrontais le reste de la journée, abattant une quantité detravailtoutàfaitsatisfaisante.Jebaignaisenpleinbonheur,toutsimplement.

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CHAPITRE24

Enrentrantdansmonappartement,jebondisdirectementdanslesbrasdeYouri.Sicederniermeserracontre lui, ilyavait toutefoisquelquechosededifférentdans lamanièredont ilmetenait.Jen'auraispassudireenquoicettedifférenceconsistait,maisunfrissonglacialparcourutmonépinedorsalelorsqu'ilmelâcha.

—Toutvabien,Youri?L'inquiétudedemavoixétaitperceptibleàdesmilliersdekilomètres,j'enétaiscertaine.Ilhocha

latêtesansmeregarder.—Cesoir,jevaisdevoirmerendrechezAnton.—QuiestAnton?Ilmeprenaitpourundevinouquoi?—C'estlechefd'Igor.Mamâchoiremanquadesedécrocher.—Igor.Igorlecolosse,c'estça?— IgorBelinski,mais tu peux aussi l'appeler Igor le colosse, ça lui va tout aussi bien, je te le

concède.Sonironieeutledondem'énerverprodigieusementenquelquessecondesàpeine.—TuesentraindemedirequetudoisterendrechezIgorBelinomachin,c'estça?Celuiquit'a

tabassé,quoi…—Alors,techniquement,ilnem'apastabasséàproprementparler.Nousnousbattions.Ensemble.

Enfin,plutôtl'uncontrel'autre,maiscen'estqu'undétail.Etpuisnon,cen'estpaschezluiquejemerends,maischezsonchef.

Mes mains rejoignirent mes hanches en signe de réprobation et je m'efforçai de garder moncalme,cequis'avéraitdifficilecomptetenulasituation.

—Écoute,Youri, je ne sais pas ce que tu as dans la tête,mais il est hors dequestionque tu terendeschezAnton.Jeneleconnaispas,maiscethommenepeutqu'êtredangereux.

—Etilleserad'autantplussijen'acceptepassoninvitation,crois-moi.Toutetraced'humouravaitdisparudesonbeauvisage.—Iln'estpaslegenredepersonneàquionrefusequelquechose.Cettefois,l'inquiétudequiperçaitdanssavoixmefittaire.Ildevaitbienyavoirunemanièrede

contournerlapropositiondecethomme!—Tunepeuxpas…direque tuesmalade,parexemple?Jepeuxtefaireunmot,mamèreest

médecin,onpeuttrouverquelquechose,unjustificatif,peuimporte…

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—Eva,sijen'yvaispas,ilbalancetoutàmononcle.Iln'avaitpasbesoind'endireplus.Cemalfrat tenait laviedeYourientresesmains.Jecompris

qu'ilnepouvaitpasreculer,nis'enfuir.Aussi,jeprismoncourageàdeuxmains.—Jeviensavectoi.—Quoi?Lasurprisedéformaitsonvisaged'ange.—Jeviensavectoi,répétai-jedelamanièrelapluscalmedontjefuscapable.Ils'esclaffa,sansmêmechercheràrépondre.—Jevaischercherunerobedansmonarmoireetjesuisprêteàpartir.C'estqueltypedesoirée,

aufait,histoired'accordermesvêtementsàl'occasion?Sonrires'intensifiaavantdes'arrêterlorsqu'ilcompritquej'étaissérieuse.—Non,Eva,ilesthorsdequestionquetuviennes,fit-ilenmebarrantlaroute,apposantsesdeux

brasencroixsurl'encadrementdelaportedemachambre.—Noussommesdansunpayslibre,protestai-jeenessayantdelepousser,alorsjevaisoùbonme

semble,ycomprisdanslamaisondelamafiarussesiçamechante.Silasituationn'avaitpasétéaussidramatique,j'auraisprobablementéclatéderiredelateneurde

nospropos.Seulement,lapeurmenouaitleventre.Lapeurdeleperdre.Lapeurqu'onluifassedumal.Ilétaithorsdequestionquejelelaisseallerlà-bastoutseul.

—Cen'estpasunendroitpourtoi.—Ahbon,c'estparcequejesuisunefille,c'estcela?Riennem'énervaitplusquelemachismedebase.—Parcequec'estunendroitpourtoi,peut-être?poursuivis-jenonsanssarcasme.—Non.Biensûrquenon.Maisjemesuisfourrétoutseuldanscettehistoire,alorsc'estàmoide

l'assumerjusqu'aubout,àprésent.—Oui,saufquedésormais,tun'esplustoutseul.Tuesavecmoi,etoùtuiras,j'irai.Ilmedévisagea.Sesyeuxbrillaientétrangement.Onauraitditquedel'argentliquideflottaitdans

lebleudesesiris.—Pourquoi?Pourquoitiens-tuautantàm'accompagner?Jeluisourisavectendresse.N'avait-ilpasencorecompris?—Parcequejetiensàtoi.Ilsaisitmesmains,lescaressantdesespouces.—Moiaussi,jetiensàtoi.C'estpourçaquejeneveuxpasquetuviennes.Sais-tuàquelpointces

genspeuventêtredangereux?—Jel'imagineaisément,etc'estlaraisonpourlaquellejetienstantàêtreprésente.S'ilt'arrivait

quelquechose,jenelesupporteraispas…Mavoixsebrisalamentablement.Yourimeserracontrelui.—Laisse-moiveniravectoi.—Non.Jem'écartaideluipourprendresonvisageencoupe.—Sinospositionsétaientinversées,melaisserais-tuyallerseule?—Biensûrquenon.L'espaced'uninstant,unventdepaniqueparcourutsafigure.— Alors cette peur que tu as ressentie pendant quelques secondes en t'imaginant nos places

échangées,c'estcequejeressensdepuisquetum'asannoncéquetudevaisterendredanscettemaisondudiable.Saufquedansmoncas,l'angoisseestplusintense,carlasituationestréelle.Alors,jet'ensupplie,laisse-moiveniravectoi.

J'auraispuluifaireduchantageoubienlemenacer.Etc'étaitcequej'étaisprêteàfaireendernier

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recourss'il refusaitma requête.Mais jevoulais lui laisserunechanced'acceptermademandesansavoir à lui tordre le bras, au sens propre comme figuré, bien entendu. Le torturer physiquementfaisaitpartiedemesoptions.

—C'estbon.—Vraiment?Jesautillaisurplaceavantdemerappelerquecelanecorrespondaitpasdutoutàlasituation.Ilne

m'emmenaitpasauparcd'attractionsmaischezlamafiarusse,nuance.—Maisquoiqu'ilarrive,tudoismepromettrederesteràcarreau,tum'entends?C'estvraiment

important.—Bienentendu.Commesic'étaitmongenred'intervenirunpeupartoutetdememêlerdecequinemeregardait

pas.N'importequoi!—Tumelepromets.Cen'étaitpasunequestionmaisuneaffirmation.— Je te le promets, Youri, renchéris-je en faisant le signe de la croix de mes doigts cachés

derrièremondosavantdeluisauteraucou.D'accord,monattitudeétaitparticulièrementpuérile,maisn'ayantjamaisétédugenremature,cela

m'était égal. Puis, je ne pouvais tout bonnement pas promettre àYouri de ne pas réagir en cas depépin.Quiauraitpuresterdemarbreenvoyantl'êtreaimésouffrir?L'êtreaimé?Tudéconnesàpleintube,Eva.—Ondoityêtrepourquelleheure?—Dansdeuxheures.—C'estloind'ici?—Àlapériphériedelaville.Jehochailatêteenfonçaidansmachambre.Jen'arrivaisplusàresterplantéelààleregarderdans

leblancdesyeux.L'angoisseétaittropforte.Jedevaism'occuperl'esprit.Aussi,j'écrivisuntextoàAlicedanslequeljeluiexpliquaislasituationavantdel'effaceraussitôtenvoyé.

Pourquoi éprouvais-je ce besoin viscéral de la prévenir alors que cela n'avait a priori aucuneutilité ?De plus, cela risquait fortement d'énerverYouri, et à raison, s'il venait à le découvrir. Laréponsem'apparuttrèsnettement.Aufond,mêmesij'essayaisdeparaitreforte,j'étaismortedepeur.Je ne souhaitais pas en parler àmes parents, car ils se seraient fait un sang d'encre, allantmêmejusqu'àveniràMetzpourmerameneràMontpellierenmetraînantparlescheveux.Niàmacousine,cartellequejelaconnaissais,elleauraitétéprêteàdébarquericiduhautdesonfauteuilroulantpourtenirtêteauxmafieux.Jen'avaisqu'Alice.Aumoins,ellesauraitoùchercherlecorps,sijamaisleschosestournaientmal.TutecroisdansDexter,Eva?Unpeu,quandmême…OudansleParrain,versionrusse.Unefoissortiedeladouche,jejetaifurieusementl'ensembledemesrobessurlelit.Bienentendu,

aucune ne correspondait à l'occasion. En même temps, je ne me voyais pas demander dans uneboutiquelarobespécialemafiarusse.Non,celanefaisaitpaspartiedemeshabitudes.

Jefinisparjetermondévolusurunerougedontletissuavaitlapropriétédedévoilerdesrefletsbleutés en fonction de la lumière. Le miroir me confirma sa tenue moulante et son décolletégénéreux,amplementrempliparmapoitrinepulpeuse.Jefonçaidanslasalledebainsenévitantdem'arrêter au salon et composai un chignon basique duquel s'échappaient quelques mèchesharmonieusesquejem'empressaisdeboucleravecmonfer.Unefoiscoiffée, jememaquillaisansostentation.Marobeétaitsuffisammentcriardepourquej'enrajouteencore.

Enfin,jerevinsdanslesalon.

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—Waouhwaouhwaouh,tunevaspassortircommeça,si?— Non, je me suis juste mise sur mon trente et un pour regarder la télé, des fois que le

présentateurpuissemevoiràtraversl'écran…Ilrouladesyeux.—Tunedevaispastefaireremarquer.Hors,là,tuvasfairetournerlestêtesdel'assembléetoute

entière,personneldomestiquecompris.Jefissemblantd'êtreétonnée.—Mêmelepersonneldomestique?Ohlàlà…Ilsecoualatête,contrarié.Certes,j'enavaispeut-êtrefaitunpeutrop,maisc'étaitparcequej'étais

convaincueque tantque les regardsseraientposéssurmoi, ilsne le seraientpassur lui.Et sicelapouvait l'aider, j'étais prête à tout. Puis, avouons-le, je nemanquais pas de coquetterie non plus etaprèstout,cen'étaitpastouslesjoursquej'avaisl'occasiondemerendredansledomainedelamafiarusse!Alorsautantsortirlagrosseartillerie.

Je lançai un dernier coup d’œil dans le miroir. Il ne manquait qu'une chose pour que je soisprésentable.Moncouétait tropdénudé.Seulement, jenedisposaisd'aucunbijousuffisammentbeaupour cette sortie.Tout ce que je possédais, c'était du toc, de la fantaisie bonnepour une fillette dequatre ans, mais certainement rien de présentable pour un événement comme celui auquel j'allaisassister.Dumoins,c'étaitcequejesupposais.

Puis,soudain,jesentislesmainsdeYourichatouillermanuque.Ilsedébattaitaveclafermetured'uncollier.

—Qu'est-cequetufais,Youri?—Çanesevoitpas?Vaincue, je lorgnai le bijou. Au bout d'une chaînette pendait un papillon dont les ailes étaient

composéesdepierresbleuâtresetbrillantesincrustéesdansl'argent.MesyeuxvalsèrentintriguésduvisagedeYouriaupendentif.—C'estdel'aigue-marine,quiprovientd'ungisementrusse.Ellesymboliselapuretéetl'innocente

etselonsaréputation,protégeraitaussilesamoureux.Rienqueça.Cettepierreprécieuse,c'étaitlecouteausuissedescailloux.Jefixaisesyeux,delamêmecouleurquel'aigue-marine.Ilssemblaientavoirperduenassurance.—Quantaupapillon,ilévoquelamétamorphosequetuasopéréesurmoiet…—Youri…tunedevraispas…Ma protestation eut lemérite de faire chuter la température de la pièce d'une bonne dizaine de

degrés.Sesyeuxglaciauxme toisaientavecunecolèrecontenuequimefit frissonner.Si le travailqu'Alice lui proposait ne lui convenait pas, il pourrait toujours postuler dans une entreprisespécialiséedanslaclimatisation.

—Jenedevraispasquoi,Eva?Lamenace perçait sous sa voix.Comment lui dire que je ne voulais pas de son cadeau ? Il ne

semblaitdétenirquequelquesvêtementsmiteuxetcebijouétaitprobablementl'uniqueobjetdevaleurensapossession.Commentpouvais-je l'accepter? Jemesentais terriblementgênéeà l'idéede l'endépouiller.

—M'offrircetteparure.Sesirisbleucielsecouvrirentd'unvoilecouleurorage.Jenecillaipasendépitdelapeurquime

tenaillaitleventre.—Tupensesquej'aivolécecollier?—Quoi?Cen'estpasdutoutcequejepense!—Parcequejesuisàlarue,tucroisquetoutcequejepossède,c'estparcequejel'aidérobé?Là,pourlecoup,ilavaitvraimentl'airblessé,etjelecomprenaisamplement.J'avaisfaitpreuve

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demaladresseetsoncaractèreincendiaireavaitfaitlereste.Commentmerattraper?—Youri,je…Mais c'était trop tard, le mal était déjà fait. Il m'interrompit sans me laisser le temps de

m'expliquer.—Jen'aipaspilléunebijouterie,etmêmesijen'aipasàmejustifier,jeleferaiquandmême.Ce

collierétaitàmapetitesœur.Ilest toutcequ'ilmerested'elleetdésormais, jenepensepasquetuméritesdeleporter.

Mortifiée,jebaissailatête.Jenesavaismêmepasquoidirepourmerattraper,nipourleconsoler.Danslarubriquetrouvelefondmaiscreuseencore,jepouvaisfigurerdanslesgrostitres.

—Allons-y,décréta-t-ilsansmeregarder.Je soupirai, soulagée qu'il n'eut pas décidé de me laisser à la maison en raison de notre

malentendu.Jelesuivisdansl'escalieravecl'impressiond'avoirunpoidssurlecœur.Jem'envoulaisterriblementdel'avoirblessé.J'étaisalléetroploinenl'accusantàtort.

Unefoisenbas,j'euslasurprisededécouvrirlaBarbiemobilegaréeenbasdecheznous.—C'estquoi,ça?marmonnaYouri.UnesurprisepartydechezMattel?—Hum…non,c'estAlice.—Alice?Maisqu'est-cequ'ellefaitlà?Rien. Je m'assure juste qu'elle sera en mesure d'indiquer aux flics l'emplacement exact où

reposerontnoscorpsdemainmatin…—Elledevaitcroirequenousallionsaucinéet…Ellesortitdelavoitureet,m'interrompantenpleinmensonge,s'écria:—Tunepensaistoutdemêmepasquetuiraisvoirlamafiarussesansmoi!AffirmeràYouriqueLaMafiaRusseétaitlenomdudernierfilmàlamodeneferaitqu'empirerles

choses.Unepassantesetournaverselle,l'airmédusé.Jefissigneàmonamied'êtreplusdiscrètetandis

queYourimefusillaitdesyeux.Depeur,jerentrailatêteentremesépaules.—Tuluiasdit?Untoutpetitouifranchitmeslèvresetmonpetit-amisecoualatête,excédé.Pourlecoup,ilavait

dequoil'être.—Bon,onyvaoùj'attendsdemeprendreunP.V.pourm'êtregaréedansunezonepiétonne?—Euh…onvaoù?AlicenesedésarmapasendépitdelamanièrehostiledontYouriladévisageait.—Ben,cheztesamislesméchantsrusses.Pourquoi,tuveuxpasseraudrivedeMacdo,d'abord?—Tunevasnullepart,toi.Tun'aspasétéinvitée.Alicebombasapoitrine,lesmainssurleshanches.Silasituationn'avaitpasétéaussidramatique,

j'auraisriàm'enfilerdescrampes.—Tu ne crois tout demême pas que tu vas pouvoir embarquermon amie dans un repaire de

mafieuxsansquejesoislàpourlaprotéger?Iléclatadesonrirecristallin.Moi,jelesobservais,particulièrementeffrayée.—Toi?Laprotéger?Ilsecoualatête,amusé.—Allezviens,Eva,onyva,m'ordonna-t-il.—Avecquoi?lequestionnaAliceens'interposantentrenous.Lestransportsencommun?Elle

n'apasencoredevoiture,jetesignale.Il roula les yeux au ciel avant de me prendre par la main pour me forcer à le suivre. Alice

harponnamonautrebras.—Aïe ! Vous allez me démembrer ! Ça suffit, tous les deux ! me plaignis-je en frottant mes

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épaules endolories.Vous êtes pires que des gamins.On va laisserAlice nous conduire jusqu'à tespetitscopains,OK,Youri?Ettoi,Alice,ilesthorsdequestionquetupénètresdansleurmaison.Turentrescheztoidèsquetunousaurasdéposés.C'estentendu?

Ellehochalatêteavecunpetitsourireespiègle.Elleavaitintérêtàm'obéir.Jem'installai du côté passager tandis queYouri s'asseyait derrièremoi. Je lançai un petit coup

d’œildanslerétroafindel'observer,maisilnemeregardaitmêmepas,gardantlesyeuxobstinémentbraquéssurlepaysageurbain.Moncœurseserraunpeuplus.Notredisputeavaitfaitapparaîtreuneintolérabledistanceentrenousetjememorfondaisdenepouvoirlafranchir.Discrètement,jetendismonbrasenarrière,faisantdansermamaindevantlui.Ilnes'enemparapasetmoncœurserefroiditunpeuplus.

—Tuvasvraimentyallerhabillécommeça?Surprise,jemetournaiversAlice.—Benoui,pourquoi?Çafaittrop?demandai-jeenexaminantmaroberouge.Ellesoupiraensouriant.—Cen'estpasàtoiquejem'adressais,maisàlui.Danslesfilms,lesgensonttoujoursl'airbien

fagotésquandilsserendentchezlamafia.IlsuffitdevoirLeParrain.—Jesuisbienfagoté.—Maisoui, c'est ça.Enbaskets, jeanetun tee-shirt à l'effigiedeCaptainAmerica.Çava faire

fureurchezlaMafiaRouge,c'estindéniable!Je ne pus m'empêcher de pouffer. Elle avait parfaitement raison. Youri me lança un regard

courroucéetjerisdeplusbelle.— J'ai déposé un costume complet à côté de toi, sur la banquette. Mets-le maintenant. Sur

l'autoroute,personneneteverratedéshabiller.Ilhocha la tête, jugeantqu'ellen'avaitpeut-êtrepassi tortqueça,après tout.Jemetournaivers

Alicepourlatoiser.—Toi,gardelesyeuxrivéssurlarouteetsitudétournesneserait-cequ'unœilpourlereluquer

danslerétro,jetejurequejetetransformelaBarbiemobileencamionpoubelleenmoinsdetempsqu'iln'enfautpourdireouf.Compris?

CHAPITRE25

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—Voilà, nous sommes arrivés, annonça sombrementYouri en apercevant une immensebâtisseblanchebordéedemajestueuxarbres.

Sansmotdire,Alicesegaradevantleportail.Yourifutlepremieràdescendrepourm'ouvrirlaportière.

—Merci,Alice.Jesuissincèrementtouchéequetuaiesvoulumeprotéger.—Cen'estrien.Ellesetournaversmoi,mesondantdesesgrandsyeuxbrillants.—Aumoindrepépin,tum'appelles,compris?Jehochailatêtetoutensachantpertinemmentquejeneleferaispas.Ilétaithorsdequestionqueje

l'entraînedavantagedanscettedangereusehistoire.SaisissantlamainquemetendaitYouri,jeparvinsàm'extraireduvéhicule.Marobetropserrée

meforçaitàmaintenirlesjambesdansunepositioninconfortable.—Toutvabien?s'enquitYouri.Pourunefois,j'optaipourlasincérité.—Àpartlefaitquejesuismortedetrouilleàl'idéedemerendreenpleincœurdelamafia,tout

vavraimenttrèsbien.Ilfaitbeau,chaud,lesoiseauxchantent…Jememordis la lèvre inférieureenattendant sa réaction.Dupouce, il effleura tendrementmon

visageavantdeserappelerquenousn'étionspasenbonstermes.—Pourquoil'as-turacontéàAlice?Sonexpressions'étaitrefroidie.—Parcequej'aipeur,Youri.Toutça,cetenvironnement,c'estnouveaupourmoi.Alorsjen'aurais

peut-êtrepasdûluienparler,mais…—Jecomprends,admit-il.—Vraiment?—Biensûrqueoui.Maislaprochainefois,tâchedenepasl'entraînerdansnosembrouilles.Ce

n'estpasunmondepourelle.Nimêmepourtoi,d'ailleurs.—Sic'esttonmonde,alorsc'estaussilemien.Unlégersourireétiraseslèvresmaissesyeuxétaienttristes.—J'auraisvoulutemaintenirendehorsdetoutça.—Jelesais.—Jevaistoutfairepourchangerdevie.Jetelepromets.Jemehissaisurlapointedespiedspourl'embrasser.Noslèvress'étaientàpeinerencontréesque

l'onnousinterrompaitdéjà.—Veuilleznoussuivre.Deuxhommesbaraquésnousouvrirentleportail.—C'esttoutcequ'ilyacommesystèmedesurveillance?Jem'étaisattendueà…plusdemonde.—C'esttoutcequ'ilyadevisiblepourceluiquin'apasl'habitudedelesvoir.—Oh!Yourimesouritetm'entraînadanslesentierconduisantverslamaison,oùlesdeuxgardesnous

escortèrent.Endépitdelatensiondelasituation,jenepouvaispasm'empêcherdelancerdespetitscoupsd’œilversmonpetit-ami.Lanoirceurdesoncostumecontrastaitaveclebleuprononcédesesyeux, les rendant encore plus irréels qu'à l'accoutumée.Même ici, au cœur du danger, j'étais bienincapabled'arrêterlereluquercommeuneimbécile.

Soudain,jemeretrouvaiplaquéecontreunmurparunepairedegrosbras.—Youri!hurlai-je.Ilétaitdanslamêmepositionquemoi,brasetjambesécartésavecungardequiprocédaitàune

fouillecorporelle.Desmainssebaladèrentlelongdemoncorps.

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—Doucementaveclafille,s'opposa-t-il.—Commesituétaisenpositiondem'imposerquoiquecesoit,Youri.Toutefois,lapressionexercéeparlesmainsquis’affairaientsurmoidevintmoinsimportante.—C'estbon,annonçal'und'eux.Enfin,onnousouvritlaported'entrée.Onnousfittraverserunhallmagnifique,décoréd’œuvres

d'art.L'endroitmefaisaitétrangementpenseràlademeuredeJérôme.Enfin,nousarrivâmesdansunimmensesalonauxproportionsincroyables.Lesmursétaienthautscommetroisétagesetculminaientenunevoûtedontlespeinturesrappelaientcellesdelarenaissance.Toutescesdorures,cestentures,toutecettesomptuositémefaisaittournerlatête.Commentsepouvait-ilquedesgenscapablesd'unetelle finesse soient aussi capables des pires atrocités ? Puis, jeme rappelais queHitler aussi, étaitartisteàsesheuresperdues.L'amourdel'artnesuffisaitpasàfairedequelqu'ununebonnepersonne.Toute cette opulence avait été acquise avec de l'argent sale et ce, dans un seul et unique but :impressionnerl'adversaire.Oudumoins,c'étaitcequejepensais.

Serrantmamainplusfortpournepasmeperdreaumilieudecettemaréehumaine,Yourijouadescoudespourtenterdenousfrayeruncheminàtraverslasallebondéedegenssurleurtrente-et-un.

—Quelleidéeaussi,d'avoirorganiséunefêteennotrehonneur,ironisai-jeàvoixbasse.Ilébauchauntoutpetitsourire.Commeàchaquefoisquej'angoissais, jenepusm'empêcherde

parleràoutrance.—C'estdrôlementdifférentdecequej'aiconnu.—C'estclair.Icilesverressontencristaletnonpasenplastiquerougecontrairementauxsoirées

étudiantes.Jeris,unpeuplusdétendueparsablague.Jenemesentaispasdutoutdansmonélément.Lesgens

étaient–trèslégèrement–vêtusdesoieetautresmatièresonéreuses,medonnantenviedemecacherdanslestoilettesavecmarobedechezKiabi.Vraisemblablement,pourlamafiarusseetsesacolytes,lamodeàpetitprix,c'étaitpourlesautres.

Jedevaismerendreàl'évidence,lesfillesétaientmagnifiques.Blondespourlaplupart,aveclesyeuxd'une teinte rappelantcelledes irisdeYouri.Elles riaient,penduesauxbrasd'hommesd'âgesplusoumoinsavancés.Étaient-ellesdesprostituées?Jel'ignorais,maisjenepouvaism'empêcherdesurveillerYouriducoinde l’œil,des foisque son regardne s'égareunpeu trop longtempssur lecorpssculpturaldel'unedecescréatures.Tu es en plein cœur de la redoutable mafia russe, et ce qui t'effraie le plus, c'est que ton mec

reluqueuneautrefille?Hum,d'accord,j'étaispeut-êtreunpeugivrée,aprèstout.Cequejedécouvrisaumilieudusalonm'étonnafortement.Cesindividusn'étaientclairementpas

commenous.Làoùnous,lesgensnormaux,mettionsdesenceinteset,danslemeilleurdescas,unDJpayéaurabais,ici,ilsinstallaientunorchestrephilharmoniquepourfairedansercesvieuxgourdinsetleurscatins.Franchement,nousn'évoluionspasdanslemêmemonde!

Youriritenconstatantl'étonnementsurmonvisage.—C'estainsiquecesgens-làvivent.Lesmafieux,lestrafiquants…TusavaisquePabloEscobar

possédaitunzoopersonnel?— Sans blague ? Michael Jackson, c'est un parc d'attraction pour lui tout seul qu'il détenait.

Pourtant,ilnebutaitpersonne,lui.Yourimepassaunemainrassurantesurl'épaule.—Youri!s'écriaquelqu'unautourdenous.Un jeunehommed'unepetite vingtaine d'années tout auplus serramonpetit-ami dans les bras.

Pourlapremièrefoisdelasoirée,j'eusl'impressionquel'expressiondecederniersedéridait.—SalutDimitri,quoideneuf?

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Jel'observaistandisqu'ilrépondait.Ilavaitunvisageunpeuenfantin,maisloindel'enlaidir,celalui donnait du charme. Il avait des yeux verts pétillants, des cheveux acajou et une manière siexpressive de s'exprimer qu'il me rappelait Alice, par moments. D'ailleurs, j'espérais que cettedernièreallaitbienetqu'elleétaitrentréechezelle,commejeluiavaisordonné.

—TudoisêtreEva,c'estça?—C'estbiença,oui.Je luisourisenclaquantunebisesursa jouetoutedouce.C'était lapremièrepersonneà l'allure

sympathiqueetavenantequejerencontraisdepuisnotrearrivéeici.—Jem'appelleDimitri,seprésenta-t-il,maislesjoliesfillespeuventm'appelerDimka.Youriluidonnauntoutpetitcoupdanslanuque.—Hey,depuisquandes-tudevenujaloux?—Depuisquej'aiuneraisondel'être,répliquaYourienmeregardantdanslesyeux.Dimitritoussotapourattirernotreattention.—Jeneveuxpasjouerlesrabat-joie,lestourtereaux,maisilst'attendent.Je n'aimais pas la manière dont il prononça le ils. L'italique était carrément audible et cela

n'auguraitriendebon.Pourpreuve,YouriserembrunitavantdesetournerversDimka.—Tunousaccompagnes?Simonpetit-ami tentait de se donner l'apparence de celui qui n'était pas intimidé, je n'étais pas

dupepourautant.Jevoyaisdanslacrispationdesamâchoireàquelpointcetterencontrelerendaitnerveux.Enmêmetemps,ilyavaitdequoi.

—Jevaisessayer,oui.S'ilsnemechassentpas.—Merci.—Ilssontdansl'alcôve,précisa-t-il.Yourihochalatêteetresserrasonétreintesurmoiavantdesemettreenroute.J'avaisl'impression

qu'ilallaitmebroyerlamains'ilcontinuaitd'yexercerpareilleforce.Flanquéedemesdeuxacolytes,jetraversailapiècesouslesregardsintriguésdelafoule.Foutuerobekiabi…—C'estlà,murmuraYourid'unevoixblanche.Ilindiquaunesalleconnexedontdeuxgorillessurveillaientlaporteouverte.Nousnousplantâmes

devantleshommesdemainetjeremarquaiàcetinstantquejem'étaismiseàtrembler.L'hommeleplusgrandnousfitsignedenousmettrecontrelemur,envued'uneénièmefouille.Yourihochalatêteetm'adressaunpetitsourirecensémerassurer.Sesyeuxétincelaientlorsquelevideurpassasesmainssurmoncorps,nonsansunsouriresardoniquequimedonnaenviedevomir.Latensionallaitenaugmentantetjen'avaisaucuneidéedelamanièredontsetermineraitnotresoirée.Gorille numéro un fit un signe aussi discret qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine à

l'encontredegorillenumérodeuxetlessbiress'écartèrentpournouslaisserpasser.Lasalleétaitparfaitementronde.Maisqu'est-cequ'ilsavaient,lesbourges,aveccetteobsessiondelaformecirculaire?Unpeuplus

etcelafrôleraitlecaspsychiatrique,maparole!Unebanquette rouge, large et confortable, faisait le tourde lapièce, longeant lemur.C'était la

premièrefoisquej'envoyaisunecommeça.Ildevaityavoirunequinzainedepersonnesentoutetpourtout.Desvigiles,pourlaplupart,des

fillesdejoie,descollèguesmafieux–jenesavaispastropcommentlesnommer–etlechef.Jen'eusaucunmalàsavoirquec'étaitlui.

Assis sur le côté, entouré de deux filles sublimes, il semblait observer les lieux avec un calmeolympien. Toutefois, je savais que ce calme n'était que de façade. Ses yeux gris, perçants et futés,dansaient d'un visage à l'autre, à l'affût du moindre indice. Ses cheveux argentés et son léger

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embonpoint auraient pu le faire passer pour un aimable Papi,mais c'était sans compter la longuecicatricequiséparaitsonvisageendeux.

—Baisselesyeux,meconseillaYourid'unevoixàlafoisbasseetpressante.J'obéissansmelefairerépéterdeuxfois.Du coin de l’œil, je vis le grand patron bouger et le silence se fit dans la salle. D'une voix

rocailleuse rappelant le tonnerre, il salua mon petit-ami, ou du moins, c'est ce que j'en déduisis,puisque l'hommeavaitparléen russe.Depuisquenousétionsarrivés, ilétait lapremièrepersonnequejecroisaisànepassedonnerlapeinedeparlerdansmalangue.Ilséchangèrentquelquesmots,quejem'efforçaisvainementdetraduiredansmatête.Moncœurbattaitàtoutrompre.Jesentaisunimposantnuagenoirplaner au-dessusdenous.Croyant entendremonprénom, je levai lesyeuxetcroisaileregardducapo.Uneintensefrayeurs'insinuaaussitôtdansmesveinesetjebaissailatête.

—Anton,jeteprésenteEva,mafiancée.Eva,voiciAnton,monparrain.Jemanquaidem'étoufferenavalantmasalive,cequiprovoqual'hilaritéàmesdépens.Fiancée?

Jeme dis qu'il avait dû inventer cela pour justifierma venue en ces lieux.Quant aumotparrain,j'espéraisqu'ill'employaitausenschefdelamafiaetnonausenschrétien.Jenetenaispasàcequemon petit-ami eut quelqu'un comme ça dans sa famille.Anton dit quelque chose etYouri traduisitd'unevoixblanche.

—Nousdevonsnousasseoir.Ilallaseplaceràdroitedesonparrainetjelesuivis.—Non,m'arrêta-t-il.Nousdevonsnouspositionnerchacund'uncôté.Je m'efforçai de ne pas rouler des yeux et retins un soupir. C'était quoi, ces règles de gamin

capricieuxàlanoix?Jeprisplaceàsagauche.Entreluietnous,ilyavaitsesdeuxcatins,quinecessaientdelecajoler

ouvertement. Bien que dotées d'un corps à faire pâlir d'envie les meilleurs mannequinsinternationaux,ellesétaientfagotéesdelapiredesfaçons.Pourfairesimple,avecleurshautsdorésetleursjupettesbrunesàpaillettes,onauraitditdeuxFerreroRochersurlepointd'êtreengloutisparlegrosmonstrequ'ellesdorlotaient.Laplusjeuned'entreellesn'avaitpasplusdequinzeans,j'enétaiscertaine.Celaconstituaitundétournementdemineur,etçamemettaitsacrémentenrogneenverscepervers. À chaque fois qu'il l'embrassait à pleine bouche, je devais me retenir de ne pas lui enflanquerune.

Unedemi-heureplustard,jemedemandaiscequenousfaisionslà.Nousn'avionspaséchangéunmot avec Anton. Ce dernier s'amusait avec ses deux catins, avalant cacahuète sur cacahuète à lamanièred'ungrossinge.Elleslenourrissaientdecesfruitssecsenriantcommedeuxpimbêches.Jemesurprisàluisouhaiterdes'étoufferavec.

Cethommemerépugnaitauplusaupoint.Sionauraitpu jurerdeparsonapparencequenousavionsaffaireàungrosdébile,undemeuré,ensomme,j'étaiscertainequecen'étaitpaslecas.Ilyavaitdanssamanièredevousregarder,uneintelligencemalsainequimemettaitmalàl'aise.Commesid'unsimplecoupd’œil,ilavaitpuvouspercerjusqu'àl'âme.Àvraidire,ilmeterrifiaitautantqu'ilm'horripilait.

Enfin,ilsesemblaserappelernotreprésence.Enespérantqu'ilserappelleégalementlaraisondecelle-ci…

— Un homme m'a appelé à votre sujet, fit-il entre deux bouchées de cacahuètes. Un certainJérôme.

Mon sang se glaça lorsque j'entendis ce nom. J'imaginais que siAnton s'exprimait en français,c'étaitparcequecelameconcernaitaussi.

—Ilveutquetuarrêtesdevoirlafille.Ilnousoffreunpaquetd'argentpourquetudisparaisses.—Jeneparspassanselle,réponditYourienmeregardant.

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Antonluiadressaunemouemenaçante.—Elledoitrester.C'estdanslecontrat.—Quelcontrat?Yourifrémit.Jemedisquejen'auraispasdûintervenir,toutcomptefait.—Celuiquej'aisigné,etquiditquevousdevezvousséparer,quellequ'ensoitlamanière.—Etsijerefuse?—Uncontratestuncontrat.OuYouris'envaetturestes,ounousletuerons.Ma bouche s'ouvrit de stupéfaction.Comment osait-il parler de lamort d'un homme en faisant

preuved'unetelleinsouciance.— Nous connaissons la famille de Youri depuis longtemps, c'est pourquoi je lui offre la

possibilitédepartirsansmourir.Quellegénérosité!Unrireamers'échappademagorge.—Ilnepartirapassansmoi,àmoinsqu'illesouhaite!Maréplique futaccueillieparunegifleet jeme frottai la joueendolorie,me retenantde luien

colleruneenretour.S'ilmeterrifiait,levoirleverlamainsurunefemmem'étaitintolérable.—Soisraisonnable,Eva,meconseillaYouri.Ilyavaittantdedouceuretdetristessedanssavoixquejedusfaireuneffortsurhumainpourne

paspleurer.—Non!Jenevaispastelaisserpartir.—Mais pourquoi ? Je ne t'apporte que des problèmes. Regarde où nous en sommes, Eva. Je

devraist'emmeneraucinéma.Aurestaurant.Pasici,kukla.Pasici!Sesyeuxexprimaientunesouffrancequimevrillalecœur.—Jelefaispourtoi,poursuivit-il.—Non.Tusitulefaisaispourmoi,tum'emmèneraisavectoi.Situtenaisuntantsoitpeuàmoi,

tunemebriseraispaslecœurici,devantcesgens.Jebalayailapièceduregardavantderevenirverslui.Nousdisputercommeça,mettrefinànotre

histoire ici, offrant le spectacle tous ces inconnus, comme si nous étions dans une putain de télé-réalitémefoutaitclairementenrogne.Deslarmesderagem'échappèrent.

—Youri.Ilsecoualatête.—Tuesentraindemebriser.Ses yeux brillaient, mais il s'efforçait de rester digne. Il n'avait jamais été aussi beau qu'à cet

instant.—Tutrouverasmieuxquemoi.J'auraisdûtequitterdepuislongtemps.Non.Jen'auraisjamaisdû

m'installeravectoi.—C'estvraimentcequetupenses?Ilgardalesilence.Sic'étaitvraimentcequ'ilpensait,jen'avaisplusrienàfaireaveclui.Latêtemetournaitcommesi

j'avais eu le mal de mer. Je peinais à respirer, comme si une atroce blessure m'avait traversé lapoitrine.Jemelevai,prêteàpartir.Jenesupportaispluscetendroitetsonopulencecriarde.Ilvoulutm'imiter,maislessbiresleretinrent.

Ainsi,j'allaismeséparerdeceluiquidétenaitmoncœurentresesmainssansmêmepouvoirluidire adieu. Alors que je sentais ma cage thoracique se déliter, je toisai Anton, qui, insouciant,introduisit une cacahuète dans sa bouche. Si j'avais la douloureuse impression de laisser ma viederrièremoiàchaquepasquim'éloignaitdemonamour,seulelahaineenverslecapomedonnaitlaforced'avancer.

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CHAPITRE26

Jen'étaispasàlaportequandj'entendisunbruitsourdsuividecrishystériques.Jemeretournai,pourvoirAntonclouéausol,lesyeuxexorbités,entraindesetenirlecou.Cegroscons'étouffaitavecunecacahuète.L'espaced'uninstant,l'idéedel'abandonneràsonsortmetraversal'esprit,maisj'enfusbienincapable.

—Poussez-vous!criai-je,Jesuismédecin.Cen'étaitpastoutàfaitvrai,maisaupointoùnousenétions…Je me penchai vivement sur lui, étonnée que l'on me laisse l'approcher aussi facilement. Son

visageviraitaurouge.—Pouvez-vousparler,Anton?Ilessaya,maisaucunsonnesortitdesabouche.Ilnerespiraitpas.L'objetobstruaitentièrementla

voiedigestive,empêchantl'aird'atteindresoncerveau,sitoutefoisilenavaitun.Jedevaisagirvitesijevoulaisluiéviterd'avoirdesdommagesirréversibles.

—Redressez-le,ordonnai-je.Cequelessbiresfirentsansdiscuter.Jeluidonnaicinqvigoureusesclaquessurledos,vérifiantà

chacune d'entre elles si l'intrus s'était déplacé dans sa gorge. Face à l'échec de ma manœuvre, jechangeaidetactique.

—Ils'étouffe!crial'undesFerreroRocher.Etc'estmaintenantqu'elles'enrendcompte?—Laissez-moifaire.Je l'encerclai de mes bras, ce qui ne fut pas aisé compte tenu sa taille et sa corpulence, puis,

j'appliquai une série de compressions abdominales. La cacahuète fut projetée sur la table basse auboutdemacinquièmeopération.Jevérifiaiquel'aircirculaitànouveauetquel'imbécileneprésentaitpasdesignesd'étourdissement.

—Surveillezsonétat,conseillai-jeauxsbires.Aumoindredoute,emmenez-leàl'hôpital.Jefisdemi-tour,prêteàm'enaller,voulantàtoutprixéviterderegarderYouriunedernièrefois,

maislavoixéreintéed'Antonm'interrompitdansmonélan.—Jeviensdebrisertavieetnéanmoins,tusauveslamienne.—C'estcon,hein?Aupointoùj'enétais,jen'enavaisplusrienàfairedelamanièredontjeluiparlais.Ilépongeala

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sueursursonfrontavantdem'adresserunbrefsourire.—LecontratavecJérômeestcaduque.Jeleromps,carj'aiunedetteenverstoi.Toutefois,jevous

conseille à tous les deux de disparaître, et vite. Il ne tardera pas à confier cette affaire à laconcurrenceetd'autresserontbienmoinsgénéreuxquenous.Généreux?Tuparles,crétin!JesentislamaindeYouris'emparerdelamienneetsoudain,toutemacolères'évaporasousl'effet

desoncontact.Sesbeauxyeuxbleusétincelaient.—Allons-nous-en,Eva.Jehochailatêteet lesuivis,dansunétatsecond,àtraversl'énormepropriété,sentantlafrayeur

megagneràchaquepas.Alorsquenousarrivionsenfindevantlaporte,Dimitrinousrejoignit.—Jeviensavecvous.—Tuessûrquetulepeux?s'enquitYourienregardanttoutautourdenous.Jenevoudraispas

qu'ilt'arrivequelquechoseparnotrefaute.ParMAfaute.Monhommescruta sonami,nonsans inquiétude.Sa loyautén'étaitplusàprouveretmalgré la

peurquimevrillaitleventrequandjesongeaisàcequinousattendait,unélandechaleurmetraversalecœurenconstatantlabontéd'âmedeceluiquej'avaischoisi.Onnepouvaitpasendireautantdemonpatron…

—Ilsm'ontautoriséàvousescorterjusqu'àlasortiedelaville.—Quoi?Lasortiedelaville?C'estquoicetteblague?Deuxpairesd'yeuxmetoisèrent.Yourimefitsignedebaisserlevolumesonore.Ilavaitraison:je

faisais preuve de la plus grande imprudence en exposant nos histoires à lamanière d'un vulgairecrieurderue,maisàcetinstantprécis,j'étaistoutsimplementpaniquée.

—Vousvoulezvraimentpartirmaintenant?—Illefaut,Eva,expliquaYouriendétournantleregardavantdeleredirigersurmonvisage.Dès

que Jérôme apprendra que le contrat est caduque, et Anton est obligé de le lui signifier dans lesheuresqui suivent, cethommenousprendraenchasse.Crois-moi, il vaudramieuxqu'on soitdéjàloinàcemoment-là.

—Maisjetravaille,demain.J'aimavie,ici.—Plusmaintenant.Non. Ce n'était pas possible. C'était trop brutal comme situation. Quitter la vie que j'avais

commencéeàmeconstruire ici,mesnouvelles amies,Mylinda etAlice…Tout çapour avoir tapédans l’œil d'un patron mégalomaniaque nécessitant de toute urgence un internement en cliniquepsychiatrique.

—Oùveux-tuqu'onaille?Yourisegrattalatêteensepinçantl'arêtedunez,signeévidentdesaconfusion.—Dansunpremiertemps,ilnousfaudraitunpointdechuteloind'ici.Ensuite,onavisera.—Quelgenredepointdechute?—Unendroitcalme,isoléetrelativementméconnudugrandpublique.JemerépétaisarépliqueenboucletandisqueYourinousconduisaitunpeuàl'écart.Moncerveau

carburaitàtoutevitesse,élaborantsanstenircomptedeséchangesentreYourietDimka.Lademeurefamiliale m'apparut comme une évidence. En Provence, isolée au milieu d'odorants champs delavande.

—Antonnepeutpasnousprêterl'unedesesplanques?s'enquitYouri.—C'estlàqu'ilsvouschercheraientenpremier.—Onvaallerchezmesparents,proposai-jetrèscalmement.—Maisçanevapas,Eva?Jérômerisquefortdesedouterquenousyserons.—Passiquelqu'unluifaitcroirequenoussommesailleurs!scandai-je,particulièrementfièrede

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monplandiabolique.—Commentça?Lesvoirmedévisagerdecetairahuriauraitpumefaireriresilasituationavaitétédifférente.—JesuiscertainequeMylinda,lafilledeBrigitte,lanceraJérômesurunemauvaisepistesinous

leluidemandons.Samèreetluisonttrèsprochesetcettenanaatoutesaconfiance.—Pourquoiferait-elleçapourtoi?—Jenesaispas,maisjesuisconvaincuequ'ellelefera.Jenepouvaispasnonplusluidirequej'avaisétélapremièreàluitendreunemainetqu'elleétait

prêteàmerendrelapareille.LavieprivéedeMylindaneregardaitqu'elle.Yourimejaugeapendantdessecondesquimeparurentinterminablesavantdesedécider.—Trèsbien,allons-y.J'expiraienfin,soulagée.Depuisquandretenais-jemonsouffle,aujuste?— Nous ne pouvons pas nous rendre directement à la gare de Metz. Nous y serions trop

repérables.—OnvaàNancy.C'estàunevingtainedeminutes.Onpartiradelà.—Unevingtaine?C'estàcinquanteminutes!—Toutdépenddequiroule,chantonnaDimitri.Labonnehumeurnequittaitpascedernierendépitdescirconstances.Sanss'enrendrecompte,il

nousapportaitlaboufféed'airfraisdontnousavionstantbesoin.—Peut-onemprunterl'unedevosvoitures?Dimkasecoualatête.—Bandederadins,plastronnai-je.Bon,j'appelleuntaxi.—Paslapeine.Jesauraitrouverunmoyendelocomotion?—Tusauras…Tuveuxdirequetuvasvolerunebagnole?Lesouriredupetitescrocs'élargit.—Réquisitionnermeparaîtuntermeplusexact,maisoui,c'estàpeuprèsça,eneffet.Alorsquej'allaisprotester,Yourimefitsignedemedétendre.—Letempspresse,Eva.Nousdevonsyaller.J'obéisentirantlatronchejusqu'àparterre.Toujoursflanquéedemesdeuxacolytes,jetraversai

le salon bondé pour sortir dans le jardin, direction le portail. Nous n'avions pas fait trois pas àl'extérieurdel'opulentepropriétéqu'uncrissementdepneussefitentendre.

—C'estquoicetteBarbiemobile?s'exclamaYouri.La petite auto rose d'Alice s'était arrêtée juste à notre niveau.La jeune fille sortit la tête par la

fenêtregrandeouverte.—C'estpastroptôt!ronchonna-t-elle.Puis,ellevitmonvisageetsonexpressions'assombritsousl'effetdel'inquiétude.—Vas-tumedirecequ'ilsepasse?—Nousdevonsquitterlaville.Immédiatement.Sansnousposerplusdequestions,ellevoulutnousproposersonaidesurlechamp.—Grimpezdansmavoiture!—Danscelle-ci?s'offusquaDimka.—Pourquoi,monpetit?Tuaspeurqu'onteprenneenphotodanslaBarbiemobile?Dimitri grogna, ce qui ne l'empêchapas denousouvrir la porte pour quenouspuissionsnous

installersurlabanquettearrière.Aliceserassitderrièrelevolant.—Euh…jepenseque tudevraisme laisserconduire sinous tenonsàarriveràNancyavant le

vingt-deuxièmesiècle.Un large sourire fendit le joli visage d'Alice et, lui adressant un défi d'un simple regard, elle

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regagnasaplaceducôtéconducteuravantdedéclarer:—Attachezvosceintures,çarisquedesecouerunpetitpeu.PutaindeTwingodemalade!Dix-neuf minutes plus tard, Alice me serrait fort dans ses bras, au point que je craignais de

manquer d'oxygène. Toutefois, je me gardais bien de le lui signaler, choisissant de profiterpleinementdenosderniersinstantsensemble.

—Sil'onm'avaitditquelaBarbiemobileavaitl'âmed'unvéritabledragon…Jelasentissouriretoutcontremajoueetretinsunelarmeensongeantàcequejeperdaisenla

laissantici.—Faisbienattentionàtoi,luiordonnai-jeenm'écartantd'elle.—Ellenecourtaucunrisque,intervintDimka.Jeveillesurelle.Elle lui lança un regard furieux avant de le surprendre en lui flanquant un coupde poing dans

l'épaule,cequiluiarrachaunpetitcri.—Ilnecourtaucunrisque,fit-elleenparodiantlepauvreDimka.Jeveillesurlui.Cederniertentadesedéfendreenébauchantuncoupdepied,qu'elleesquivaaisément.Ilexistait

uneindéniablealchimieentrecesdeux-là,au-delàdesgiflesetautresagressions.Çasautaitauxyeux.— Amusez-vous bien, les tourtereaux, lança Youri, qui, visiblement, l'avait remarqué aussi.

N'oubliezpasdeveillerl'unsurl'autre.Puis,setournantversmoi,ilmetenditsamain.Jelapriscommeons'accrocheraitàunebouéede

sauvetageet,aprèsundernieraurevoiràmonamie,jemelaissaiconduireverslequaioùnotretraindenuitnetarderaitpasàarriver.

Ce fut à cet instantprécisque je réalisaisque jepourrais le suivre jusqu'auboutdumonde.Enquelquessemaines,ilavaitchamboulémonexistencetouteentière.Jemefaisaisl'effetd'unpapillonquiviendraitàécloreaprèsavoirpasséunelonguepériodedesavieemprisonnédansuncocon.Ils'étaitdéjàcomparéaucoléoptère,néanmoins,lacomparaisons'appliquaitaussiàmapersonne.Nousétionsdeuxêtresbrisés,quelaprésencedel'autreavaitressoudés.

Désormais,etaussilongtempsqu'ilmelepermettrait,nousnenousquitterionsplus.—Àquoipenses-tu?Jesourisenvoyantsesbeauxyeuxbrillerdans lapénombre.Ses irisavaientune lueurépatante

souslaclartédesnéonsdelagare.—Àtoi.Ànous.—Tuesvraimentsûredevouloirmesuivredanscettefolie?Mefairerencontrer tesparents?

Fairesemblantd'êtreuncouplenormall'espacedequelquesjoursavantdefoncerdansl'inconnu?Jenepusempêcherunlargesourireétirermeslèvresenvoyantsonvisage.— La seule folie que nous pourrions commettre serait de croire que nous sommes un couple

commelesautres.Toietmoi,noussommesbienplusqueça.Lesétoilesdanssesyeuxredoublèrentd'intensitéàcesparoles.Ilfouilladanssapochepourme

tendrequelquechose.Lecollierde sa sœur !Enquelquesmouvements agiles, il l'accrochaàmoncou.Ma peau brûlait encore aux endroits qu'il avait effleurés.De l'index, il redressamonmentonpourmeforceràleregarder.

—Touscesmois,jemesuissentiabandonné,sansraisondevivre.Jen'avaismêmeplusdetoitsous lequelmecacher.Tun'imaginespasàquelpoint jemesuissenti seul,misérable…Puis tuesarrivée,ettum'asoffertlepluschaleureuxdesrefuges.

Il posa samain à l'endroit exact oùmon cœur battait la chamade pour lui.Aumoment où noslèvresallaientserencontrer,montéléphonesonna.Machinalement,jerépondis.

—Allô?

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—Pourriez-vousmepasserYouri,jeunedemoiselle?Monestomacvirevoltadansmonventreenreconnaissantl'accentrusse.—Àquiai-jel'honneur?Jen'allaispaslivrermonamoureuxàn'importequi.—JesuisAndrei,sononcledisparu.Monpetit-ami,quin'avaitrienperdudelaconversation,m'ôtalecombinédesmains.—Andrei?Jetecroyais…mort!—Figure-toiquemoiaussi.Aprèsquoi,Youriraccrochaavantdem'annoncer:—Changementdecap.NouspartonsenRussie.

ÀPROPOSDEL’AUTEUR

KristenRiversestuneromancièrefrancophonespécialiséedanslegenresentimental.SivousavezappréciéHomeless,n’hésitezpasàmettreunpetitcommentairesurAmazonetàlacontactersursa

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