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Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 497–503 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Jurisprudence Hospitalisation d’office, la France mauvais élève de l’Europe Gilles Devers (Avocat au barreau de Lyon) 22, rue Constantine, 69001 Lyon, France Disponible sur Internet le 1 février 2008 Résumé Le 16 janvier 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France s’agissant de la mise en œuvre de la loi de 1990 sur l’hospitalisation d’office. Cette affaire s’inscrit dans une série noire, qui pose la question du maintien de cette législation et du non-respect par la France du droit européen. Cela devient un véritable problème : la France est à nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme s’agissant de la mise en œuvre de la loi de 1990 sur l’hospitalisation d’office, dans l’affaire Menvielle, jugée le 16 janvier 2007, n o 97/03. © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. 1. L’arrêt rendu par la Cour Le 8 octobre 2000, le requérant a fait l’objet d’une mesure d’hospitalisation d’office, confirmée par des arrêtés préfectoraux des 1 er juin et 3 août 2001. Par une lettre du 26 juin 2001, parvenue au tribunal de grande instance de Tarbes le 3 juillet suivant, le requérant saisit cette juridiction aux fins de mainlevée de la mesure d’hospitalisation d’office, sur le fondement de l’article 3211-12 du Code de la Santé publique. Le 13 juillet 2001, le Dr D. est commis afin de l’examiner et dépose son rapport le 25 juillet 2001. Par une ordonnance de référé du 10 août 2001, le tribunal de grande instance de Tarbes rejette la demande du requérant, notamment aux motifs suivants : « (...) Attendu que l’évolution actuelle de M. Menvielle a permis l’instauration d’une sortie d’essai qui sera accompagnée de son installation dans un appartement sur la ville de Lannemezan assortie de soins quotidiens en hospitalisation de jour ; Adresse e-mail : [email protected]. 1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.ddes.2007.10.005

Hospitalisation d’office, la France mauvais élève de l’Europe

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Page 1: Hospitalisation d’office, la France mauvais élève de l’Europe

Droit Déontologie & Soin 7 (2007) 497–503

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Jurisprudence

Hospitalisation d’office, la France mauvaisélève de l’Europe

Gilles Devers (Avocat au barreau de Lyon)22, rue Constantine, 69001 Lyon, France

Disponible sur Internet le 1 février 2008

Résumé

Le 16 janvier 2007, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France s’agissant de la miseen œuvre de la loi de 1990 sur l’hospitalisation d’office. Cette affaire s’inscrit dans une série noire, qui posela question du maintien de cette législation et du non-respect par la France du droit européen. Cela devientun véritable problème : la France est à nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l’hommes’agissant de la mise en œuvre de la loi de 1990 sur l’hospitalisation d’office, dans l’affaire Menvielle, jugéele 16 janvier 2007, no 97/03.© 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.

1. L’arrêt rendu par la Cour

Le 8 octobre 2000, le requérant a fait l’objet d’une mesure d’hospitalisation d’office, confirméepar des arrêtés préfectoraux des 1er juin et 3 août 2001.

Par une lettre du 26 juin 2001, parvenue au tribunal de grande instance de Tarbes le 3 juilletsuivant, le requérant saisit cette juridiction aux fins de mainlevée de la mesure d’hospitalisationd’office, sur le fondement de l’article 3211-12 du Code de la Santé publique.

Le 13 juillet 2001, le Dr D. est commis afin de l’examiner et dépose son rapport le 25 juillet2001.

Par une ordonnance de référé du 10 août 2001, le tribunal de grande instance de Tarbes rejettela demande du requérant, notamment aux motifs suivants :

« (. . .) Attendu que l’évolution actuelle de M. Menvielle a permis l’instauration d’une sortied’essai qui sera accompagnée de son installation dans un appartement sur la ville deLannemezan assortie de soins quotidiens en hospitalisation de jour ;

Adresse e-mail : [email protected].

1629-6583/$ – see front matter © 2008 Publie par Elsevier Masson SAS.doi:10.1016/j.ddes.2007.10.005

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Attendu que cette thérapie est désormais exclusive d’un traitement uniquement en milieufermé ;

Que le maintien d’un contrôle médical adapté dans le cadre d’une hospitalisation de jourapparaît, en l’état, nécessaire pour conforter la mise en œuvre de cette nouvelle prise encharge ;

Qu’il convient en outre, au cours de cette phase transitoire, de prévenir le renouvelle-ment de difficultés antérieures inhérentes aux troubles manifestés par Monsieur Menvielle(. . .) ».

Ce n’est que par un arrêt rendu le 2 décembre 2002, la cour d’appel de Pau confirme cetteordonnance.

Le requérant allègue qu’il n’a pas été statué à « bref délai » sur l’appel interjeté contrel’ordonnance du 10 août 2001, en méconnaissance des dispositions de l’article 5 § 4 de laConvention européenne des droits de l’homme, qui se lisent comme suit :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire unrecours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention etordonne sa libération si la détention est illégale. »

1.1. Sur la recevabilité

Le Gouvernement conteste l’applicabilité, en matière d’hospitalisation d’office, de l’article 5§ 4 de la Convention à l’instance d’appel.

La Cour observe tout d’abord que, de facon générale, l’article 5 § 4 de la Convention s’appliqueégalement aux personnes placées dans des établissements psychiatriques et qui demandent à enêtre libérées (voir, par exemple, D.N. c. Suisse [GC], no 27154/95, CEDH 2001-III).

La Cour rappelle ensuite que, s’il est vrai que l’article 5 § 4 de la Convention n’astreint pas lesÉtats contractants à instaurer un double degré de juridiction pour l’examen de la légalité d’uneprivation de liberté, un État qui se dote d’un tel système doit néanmoins en principe accorder auxjusticiables les mêmes garanties en appel qu’en première instance, l’exigence du respect du « brefdélai » constituant sans nul doute l’une d’entre elles (Rapacciuolo c. Italie, no 76024/01, §§ 31et suivants, 19 mai 2005, Hutchison Reid c. Royaume-Uni, no 50272/99, § 77, CEDH 2003-IV,Rutten c. Pays-Bas, no 32605/96, § 53, 24 juillet 2001, et Toth c. Autriche, arrêt du 12 décembre1991, série A no 224, p. 23, § 84).

La Cour a d’ailleurs, à plusieurs reprises, eu l’occasion d’appliquer ce principe en matière decontrôle de la légalité d’une mesure d’hospitalisation sans consentement (voir, parmi d’autres,Herz c. Allemagne, no 44672/98, §§ 64 et suivants, 12 juin 2003) et ne distingue, en l’espèce,aucune raison de s’affranchir de la démarche adoptée jusqu’à présent.

Partant, l’article 5 § 4 de la Convention trouve bien à s’appliquer en l’espèce.

1.2. Sur le fond

En garantissant aux personnes arrêtées ou détenues un recours pour contester la régula-rité de leur privation de liberté, l’article 5 § 4 de la Convention consacre aussi le droit pourelles, à la suite de l’institution d’une telle procédure, d’obtenir à bref délai une décisionjudiciaire concernant la régularité de leur détention et mettant fin à leur privation de libertési elle se révèle illégale (voir, par exemple, Rapacciuolo, précité, § 31, Musial c. Pologne

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[GC], no 24557/94, § 43, CEDH 1999-II, et Baranowski c. Pologne, no 28358/95, § 68, CEDH2000-III).

La Cour rappelle également que le respect du droit de toute personne, au regard de l’article 5 §4 de la Convention, d’obtenir à bref délai une décision d’un tribunal sur la légalité de sa détentiondoit être appréciée à la lumière des circonstances de chaque affaire (Rapacciuolo, précité, § 32,R.M.D. c. Suisse, arrêt du 26 septembre 1997, Recueil des arrêts et décisions 1997-VI, p. 2013,§ 42, Sanchez-Reisse c. Suisse, arrêt du 21 octobre 1986, série A no 107, p. 20, § 55). En particulier,il faut tenir compte du déroulement général de la procédure et de la mesure dans laquelle les retardssont imputables à la conduite du requérant ou de ses conseils.

Dans cette optique, puisque la liberté de l’individu est en jeu, l’État doit faire en sorte quela procédure se déroule en un minimum de temps (Rapacciuolo, précité, § 32, Mayzit c. Rus-sie, no 63378/00, § 49, 20 janvier 2005, et Zamir c. Royaume-Uni, no 9174/80, rapport de laCommission du 11 octobre 1983, Décisions et Rapports (DR) 40, p. 79, § 108).

Le point de départ de la procédure engagée par le requérant doit être fixé au 20 décembre 2001,date à laquelle son avocat, à la lecture de l’arrêt du 2 décembre 2002, interjeta appel.

La Cour relève ensuite que le requérant était représenté dans le cadre de la procédure litigieuseet que l’audience, au cours de laquelle l’arrêt du 2 décembre 2002 fut rendu, était publique. LaCour estime, par conséquent, que la période à prendre en considération afin d’examiner le respectde l’exigence de « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 de la Convention se termine à cette date.Elle s’est ainsi prolongée pendant plus de 11 mois.

Comparant le cas d’espèce avec d’autres affaires où elle a conclu au non-respect de l’exigencede « bref délai » au sens de l’article 5 § 4 (voir, par exemple, L. R. c. France, no 33395/96,§ 38, 27 juin 2002, et Mathieu c. France, no 68673/01, § 37, 27 octobre 2005, où il s’agissait,respectivement, de délais de 24 jours et de plus de quatre mois), la Cour estime que le retarddénoncé par le requérant est manifestement excessif.

La Cour rappelle que, certes, dans une procédure de contrôle d’un internement psychiatrique,la complexité des questions médicales en jeu est un facteur pouvant entrer en ligne de comptelorsqu’il s’agit d’apprécier le respect de l’exigence du « contrôle à bref délai » (Musiał, précité,§ 47). En l’espèce, toutefois, le retard en cause ne saurait raisonnablement être considéré commelié essentiellement à la complexité des questions médicales en jeu, mais plutôt à un manque decélérité de la part de l’autorité judiciaire saisie, ce à supposer même que l’on doive déduire decette période, comme le soutient le Gouvernement (voir paragraphe 22 ci-dessus), le temps que lerequérant et son représentant ont pris afin de déposer leurs conclusions, soit près de quatre mois.

Au vu de ce qui précède, la Cour conclut que le bref délai prévu par l’article 5 § 4 de laConvention n’a pas été respecté en l’espèce.

Partant, il y a eu violation de l’article 5 § 4 de la Convention.

2. Les difficultés récurrentes de la France à se soumettre au droit européen

Le requérant, Christian Menvielle, est un ressortissant francais né en 1954 et résidant à Lanne-mezan. Le 8 octobre 2000, il fit l’objet d’une mesure d’hospitalisation d’office. Il contesta cettemesure devant les juridictions francaises mais son recours fut rejeté en première instance. Il inter-jeta appel de cette décision. Le 2 décembre 2002, la cour d’appel de Pau confirma l’ordonnanceattaquée.

Le requérant alléguait notamment qu’il n’avait pas été statué à « bref délai » sur l’appel qu’ilavait interjeté. Il invoquait les articles 5 § 4 (droit de faire statuer à bref délai sur la légalité de sadétention), 8 (droit au respect de la vie privée et familiale) et 13 (droit à un recours effectif).

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La Cour conclut à l’unanimité à la violation de l’article 5 § 4, déclare le grief tiré de l’article8 irrecevable et estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article13. Elle alloue au requérant 5000 euros pour préjudice moral et 500 euros pour frais et dépens.

Cette affaire vient après d’autres, la France étant régulièrement condamnée pour la mise enœuvre de la loi de 1990 sur l’hospitalisation sous contrainte. La loi, en elle-même, n’est pasdirectement en cause. Ce sont les pratiques qu’elle génère qui conduisent aux condamnations parla Cour de Strasbourg, mais c’est en réalité un effet boomerang : les pratiques sont mauvaises, carla loi est inadaptée. L’occasion de rappeler quelles sont les données fondamentales du droit en lamatière.

2.1. L’application des traités

Les traités sont des engagements d’État à État. Sans doute, existe-t-il toujours une marge demanœuvre dans la mise en œuvre de ces textes, rédigés en termes généraux par nécessité. Maiscette marge n’est pas illimitée, sauf à dénier toute valeur aux traités. Ainsi, l’État engage saresponsabilité s’il commet des fautes dans l’exécution d’un traité (C.E. section 7 juillet 1978,Jonquères d’Oriola r Rec. p. 300 – RDP 1979 p. 536).

La jurisprudence a eu à se prononcer à de très nombreuses reprises sur la transposition dudroit communautaire, production de l’Union européenne. Il a été jugé que la transposition desdirectives est « absolument obligatoire » (CJCE 6 mai 1980, commission/Belgique aff. 102/79 –C.E. Ass. 22 décembre 1978, Cohn Bendit Rec. p. 524).

De même, il a été jugé qu’il appartient aux autorités internes compétentes, sous le contrôle duJuge international d’édicter des dispositions qui soient identiques, soient d’effet équivalent auxdirectives (CJCE 1er février 1977, Verbond Van Naderlandse Ondernemingen aff. no 51/76 § 29,Rec. CJCE p. 113 ; C.E. 8 juillet 1991, Palazzi Rec. p. 276).

2.2. L’application de la Convention européenne des droits de l’homme

2.2.1. D’une manière généraleAux termes du préambule de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

fondamentales signés le 4 novembre 1950 à Rome, les Gouvernements signataires, se placant sousla référence de la Déclaration universelle des droits de l’homme, affirment sur les points suivants :

« Considérant que cette déclaration tend à assurer la reconnaissance et l’application uni-verselles effectives des droits qui y sont énoncés ; Considérant que le but du Conseil del’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres, et que l’un des moyensd’atteindre ce but est la sauvegarde et le développement des droits de l’homme et des libertésfondamentales ;

« Réaffirmant leur profond attachement à ces libertés fondamentales qui constituentles assises mêmes de la justice et de la paix dans le monde, et dont le maintien reposeessentiellement sur un régime politique véritablement démocratique, d’une part, et, d’autrepart, sur une conception commune et un commun respect des droits de l’homme dont ils seréclament ;

« Résolus, en tant que gouvernements d’États européens animés d’un même esprit et pos-sédant un patrimoine commun d’idéal et de traditions politiques, de respect de la libertéet de prééminence du droit, à prendre les premières mesures propres à assurer la garantiecollective de certains des droits énoncés dans la Déclaration universelle ».

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Cet engagement de prendre les mesures utiles trouve une force toute particulière, dès lors quele traité en cause est directement applicable aux citoyens des États signataires. La Conventioneuropéenne des droits de l’homme a intégré l’État de droit, et dès lors, l’État a la charge de veillerà la cohérence de l’État de droit.

2.2.2. En matière de législation sur la santé mentaleLa question de la protection des droits de l’homme et de la dignité des personnes atteintes par

des troubles mentaux fait l’objet d’une recommandation (Rec. 2004 10 du 22 septembre 2004 ducomité des ministres du Conseil de l’Europe).

Dans son rapport du 15 septembre 2006 sur le respect effectif des droits de l’homme enFrance, M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux droits de l’homme a traité de la question del’hospitalisation sous contrainte pour souligner aux paragraphes 366 à 373 les défaillances durégime actuel notamment pour l’hospitalisation d’office en service d’urgence :

« Il m’apparaît normal que l’autorité administrative prenne une décision provisoire maiscelle-ci ne peut être entérinée qu’après avoir été approuvée par un juge. Il faudrait dèslors réfléchir à la possibilité d’une intervention automatique d’un juge pour confirmer lesmesures d’hospitalisation sous contrainte. »

Cette notion est reprise dans les recommandations du rapport en page 108 :

« Introduire un contrôle judiciaire dans la procédure d’hospitalisation d’office ; Réfléchirà la possibilité de l’intervention automatique a posteriori d’un juge pour confirmer lesmesures d’hospitalisation sous contrainte. »

2.3. Jurisprudence sur l’hospitalisation sous contrainte

Depuis le début de l’année 2006, la France a été condamnée à 12 reprises par la Cour européennedes droits de l’homme dans le cadre de l’application des dispositions relatives à l’hospitalisationsous contrainte. Une liste impressionnante :

• affaire Donadieu, Req. no 19-249/02, arrêt du 7 février 2006 ;• affaire Deshayes/France, 66 701/01, arrêt du 28 février 2006 ;• affaire Van Glabeke, Req. 38287/02, arrêt du 7 mars 2006 ;• affaire Gaultier, Req. no 41522/98, arrêt du 28 mars 2006 ;• affaire Bitton (no 2), Req. n◦ 41828/02, arrêt du 4 avril 2006 ;• affaire Oberling, Req. no 31520/02 du 11 avril 2006 ;• affaire Duhamel, Req. no 15110/02 du 11 avril 2006 ;• affaire Rivière, Req. no 33834/03, arrêt du 11 juillet 2006 ;• affaire Treboux, Req. no 7217/05, arrêt du 3 octobre 2006 ;• affaire S.U., Req. no 23054/03 octobre 2006 ;• affaire Assad, Req. no 66500/01, arrêt du 14 novembre 2006 ;• affaire Menvielle (no 2), Req. 97/03, arrêt du 16 janvier 2007.

La condamnation par la Convention européenne des droits de l’homme à 12 reprises en uneannée, à propos de la même législation, traduit un véritable état d’alerte pour corriger cettelégislation. La jurisprudence interne laisse apparaître de très nombreuses décisions d’annulationdes décisions d’hospitalisation sous contrainte et de condamnations à des indemnisations.

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2.4. Sur l’attitude du Gouvernement francais dans la réforme de la législation en Santépublique

Le Gouvernement francais ne pouvant davantage ignorer le caractère inadapté de sa législation,a engagé une réforme de la loi du 16 juin 1990. Cette réforme a été initiée par le ministère del’Intérieur, ce qui a soulevé des protestations unanimes dans l’ensemble du monde de la santé :cela aura été la première fois qu’une législation sanitaire était modifiée à l’initiative du ministèrede l’Intérieur, et ce encore, en annexe à la lutte contre la délinquance. Malgré de très nombreusesprotestations, le Gouvernement s’est enferré dans son obnubilation répressive, et a soumis sonprojet de loi au Parlement. En début d’année 2007, les oppositions sont devenues tellement vivesque dans un contexte préélectoral, le Gouvernement a retiré le volet santé mentale de son projetde loi sur la prévention de la délinquance. C’est encore autant de temps qui a été perdu.

En pensant pouvoir agir seul, le Gouvernement a fait voter une loi qui tendait à l’habiliter àstatuer par voie d’ordonnance. Cette loi a été votée dans des conditions d’irrégularités telles quecela a conduit à son annulation par une décision du Conseil constitutionnel n◦ 2007-546 du 25janvier 2007.

3. Sur la question spécifique des voies de recours (article 5)

Aux termes de l’article 5 paragraphe 1 de la Convention européenne des droits de l’homme :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, saufdans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;b) s’il a fait l’objet d’une arrestation, ou d’une détention régulières pour insoumission à

une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantirl’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente,lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupconner qu’il a commis une infraction, ouqu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettreune infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée,ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladiecontagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcherde pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédured’expulsion ou d’extradition est en cours. »

Ces dispositions sont complétées par l’article 5-4 de la Convention européenne de sauvegardedes droits de l’homme :

« Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduireun recours devant le tribunal afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention, etordonne sa libération si la détention est illégale ».

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La Cour européenne des droits de l’homme à l’occasion de sa jurisprudence Winterwerp(décision du 24 octobre 1979 série A no 33) a jugé que :

« Dans une société démocratique adhérente à la prééminence du droit une détention arbi-traire ne peut jamais passer pour régulière »

Dans cet arrêt, la Cour précise qu’un internement psychiatrique doit être basé sur un étatd’aliénation ou de maladie mentale suffisamment probant et durable, et qu’une simple bizarrerieou inadaptation aux valeurs dominantes d’un État ne sauraient, en soi, être une cause d’internementpsychiatrique. L’internement en psychiatrie se comprend comme une réponse à une souffrancepsychique lorsque la personne n’est pas à même d’exprimer un consentement. Elle ne sauraiten aucune manière être un moyen de la répression des comportements dérangeants, contrairesà l’ordre public. (Vladimir Boukovski, « Une nouvelle maladie mentale en Union soviétique :l’opposition », 1971, Le Seuil ; M. Foucault, « L’histoire de la folie à l’âge classique », Gallimard1972 ; JM. Auby, « La loi no 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection despersonnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leur condition d’hospitalisation », JCP1990, I, 3463).

La Cour, à plusieurs reprises, a appliqué ce principe en matière de contrôle de la légalité d’unemesure d’hospitalisation sans consentement (Herz/Allemagne no 446.72/98 § 64 et suivants, 12juin 1963). L’affaire Menvielle/France no 2 suscite d’autant plus l’incompréhension, que le droitest parfaitement connu. Il faut aussi le dire : la France est en faute, et elle doit se ressaisir.