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Houzel C, De Diophante a Fermat

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S ur son exemplaire des Arithmé-tiques de Diophante, en marge duproblème 8 du livre II, le magis-trat toulousain Pierre de Fermat

écrit : «Au contraire, il est impossiblede partager soit un cube en deux cubes,soit un bicarré en deux bicarrés, soit engénéral une puissance quelconquesupérieure au carré en deux puissancesde même degré ; j’en ai découvertune démonstration véritablement mer-veilleuse que cette marge est trop étroitepour contenir».

De nombreux mathématiciens ontcherché cette démons-tration sans la trouver,jusqu’à ce que, en1994, Andrew Wiles,de l’Institut Newton,à Cambridge, utilisantdes outils mathéma-tiques complètementinconnus du temps deFermat, vienne à boutde ce que l’on anommé «grand théo-rème de Fermat»,alors qu’il ne s’agis-sait que d’une conjec-ture. Quelle preuveFermat avait-il trou-vée? On l’ignore, etil y a peu de chancesque les historiens desmathématiques par-viennent jamais à lesavoir. En revanche,on découvre encoredes fragments del’histoire du théorèmede Fermat, qui fut,pour les mathémati-ciens, une sourced’inspiration. Danscet article, nous consi-dérerons l’histoire duthéorème de Fermat ;un autre article, deYves Hellegouarch,

dans le prochain numéro de Pour laScience, montrera comment A. Wilesa résolu le problème.

Le problème 8 du livre II de Dio-phante était : «diviser un nombre carréen deux carrés». Cette équation qu’onnoterait aujourd'hui x2 + y2 = z2 est ditediophantienne, parce que l’on s’imposede trouver des nombres x, y, z qui soientrationnels, c’est-à-dire exprimablessous la forme de fractions. Les tri-plets (x, y, z) sont également nomméspythagoriciens, parce qu’ils peuventêtre associés à des côtés de triangles

rectangles, qui vérifient alors le théo-rème de Pythagore.

Une tablette babylonienne

L’étude de tels «triangles rectangles ennombres», c’est-à-dire dont les côtéssont des nombres rationnels, était cen-trale dans l’analyse diophantienne tra-ditionnelle ; elle remonte à une trèshaute antiquité, puisque une tablettebabylonienne du début du IIe millé-naire avant notre ère contient une tablenumérique visiblement liée aux triplets

pythagoriciens. Dansson état actuel (voir lafigure 2), elle se com-pose de 15 lignes,numérotées de 1 à 15dans la colonne dedroite, avec troisautres colonnes ; destraces de colle, sur unecassure, dans lacolonne de gauche,montrent qu’un mor-ceau de la tablette a étéperdu à l’époquemoderne. Le titre de lapremière colonne n’estpas lisible, mais ladeuxième colonneindique des «nombresde la largeur», la troi-sième colonne indiquedes «nombres de ladiagonale», et la qua-trième colonne donneun «nom».

Les nombres sontécrits en notationsexagésimale (chaqueordre valant soixantefois le précédent),sans indication de laposition de la virgule,avec laquelle onsépare aujourd’hui lesunités des chiffres

De Diophante à FermatCHRISTIAN HOUZEL

Le théorème de Fermat, récemment démontré, a son originedans des problèmes qui datent du deuxième millénaire avant notre ère.

1. Pierre de Fermat, né en 1601 près de Toulouse, est le fondateur de la théoriedes nombres. Fermat était magistrat, et il ne participa à la vie mathématique deson époque que par des correspondances privées avec d’autres savants.

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décimaux (les Babyloniens se repé-raient grâce au contexte). Par exemple,1, 59, 0, 15 peut signifier 1 × (59/60)+ 0/(60 × 60) + 15/(60 × 60 × 60), soit1,9834... ; 1,59 peut signifier 1 ×60 + 59,soit 119.

Sur le bas de la figure 2, on a recons-titué la première colonne, incomplèteen raison de la cassure, en notant entrecrochets les chiffres manquants ; les

nombres de cette colonne décroissentrégulièrement de la première ligne (1+ 59/60 + 15/603 = 1,9834...à la dernière(1 + 23/60 + 13/602 + 46/603 + 40/604

= 1,387188...). Cette décroissances’éclaire si l’on interprète chaquenombre de la deuxième colonne commeun côté b de l’angle droit d’un trianglerectangle, et le nombre correspondantde la troisième colonne comme l’hy-

poténuse c ; le nombre associé, dans lapremière colonne, est alors le rapportc2/a2, encore égal à 1/sin2α, où a estl’autre côté de l’angle droit et α l’angleopposé au côté de longueur a.

Cette tablette comporte quelqueserreurs indiquées en couleur sur lafigure, mais elle est remarquable : lesvaleurs du côté a (non indiquées dansla table) sont toutes des nombres entiers

I[1,59,0,]15

[1,56,56,]58,14,50,6,15[1,55,7,]41,15,33,45

[1,]5[3,1]0,29,32,52,16[1,]48,54,1,40[1,]47,6,41,40

[1,]43,11,56,28,26,40[1,]41,33,59,3,45[1,]38, 33,59,3,45

1,35,10,2,28,27,34,26,401,33,45

1,29,21,54,2,15[1,]27,0,3,45

1,25,48,51,35,6,40[1,]23,13,46,40

II1,5956,7

1,16,413,31,49

1,55,1938,1113,199,1

1,22,4145

27,597,12,129,31

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III2,49

3,12,11,50,495,9,11,378,159,120,4912,492,16,11,1548,494,4953,49

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IV123456789101112131415

2. CETTE TABLETTE BABYLONIENNE men-tionne des triplets pythagoriciens, c’est-à-dire qui peuvent être des longueurs decôtés de triangles rectangles. La notationest sexagésimale. Certains chiffres man-quants sont indiqués entre crochets. Ladeuxième colonne contient des valeurs quisont des côtés b de l’angle droit, la troisièmecolonne contient des valeurs de l’hypoténusec et la première colonne contient des rap-ports c2/a2, où a est l’autre côté de l’angledroit.

b

ca

α

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dont 2, 3, 5 sont les seuls facteurspremiers, de sorte que leurs inversesont des expressions sexagésimalesexactes : on peut donc penser que lesBabyloniens disposaient d’uneméthode systématique pour obtenirdes triangles rectangles en nombresentiers, analogue à nos formules a =2pq, b = p2 – q2 et c = p2 + q2 (la pre-mière ligne serait donnée par p = 12, q= 5, etc.). Le triangle de la onzième lignea ses côtés (60, 45, 75) proportionnelsau triplet pythagoricien leplus simple (4, 3, 5).

Certains historiens ontprétendu que les Égyptiensconnaissaient ce triplet avantles Babyloniens. Ils n’en ontpas laissé de preuves. Enrevanche, on sait que lesmathématiciens indiens, entrele Ve et le IIe siècle avant notreère, étaient familiers de cestriplets : le texte des Çulbasû-tra mentionne explicitementque les triplets (4, 3, 5), (12,5, 13), (8, 15, 17), (24, 7, 25),(12, 35, 37) étaient utilisés pourconstruire des rectangles.

Les étudesde Diophante

La construction des tripletspythagoriciens est le seulrésultat d’analyse diophan-tienne (avant Diophante)présent dans les Élémentsd’Euclide (vers 300 avantnotre ère) : c’est un lemme,ou résultat préalable, pour laproposition 28 du livre X.Le cas particulier où q est égalà p – 1 est d’ailleurs attribuépar le philosophe Proclus àPythagore (VIe siècle avantnotre ère) et celui où q estégl à 1 à Platon.

De combien le travail deDiophante est-il ultérieur?Nul ne sait exactement, caron ignore si ce mathématicien alexan-drin vivait au IIe siècle de notre ère,ou plutôt au IIIe siècle. Une épigrammede l’Anthologie palatine, recueil depoèmes parfois anonymes écrits dansles premiers siècles de notre ère, c’est-à-dire peu après la mort de Diophante,contient un problème d’arithmétiqueélémentaire qui met en scène sa vie. Lelivre XIV de l’Anthologie palatine estconstitué de devinettes et de problèmesarithmétiques, dont certains sont indé-

Les Arithmétiques auraient été com-posées de 13 livres, mais on ne connaîtque certains d’entre eux. Six sontconnus par leur texte en grec, à traversde manuscrits dont les plus anciensremontent au XIIIe siècle ; quatre d’entreeux, dont l’original grec est perdu,ont été identifiés en 1971 par l’histo-rien français des mathématiquesRoshdi Rashed et publiés en 1984.Aujourd'hui on dispose donc de 10 des13 livres : les trois premiers en grec (la

traduction arabe est perdue,mais on la connaît par descommentaires du Xe siècle),les quatre suivants en arabe,et les trois derniers en grec.

Dans les Arithmétiques,Diophante examine diversesespèces de nombres : les car-rés, les cubes et les espècesque l’on obtient par combi-naison des deux premièressortes (un carré-carré, parexemple, est un carré dontle côté serait un carré) ; il exa-mine des problèmes où cesespèces sont combinées paraddition, soustraction oumultiplication, de manière àdonner des carrés ou descubes. Les nombres consi-dérés sont rationnels positifs(et pas seulement des entiers,comme dans la traditioneuclidienne), et Diophante seramène toujours, par deschoix habiles, à ne conser-ver qu’un seul nombreinconnu, qu’il nomme sim-plement arithmos, c’est-à-dire«nombre», en grec. Il secontente généralement detrouver une solution pourchaque problème. Parexemple, pour le problème 8du livre II, il cherche à divi-ser 16 en une somme de deuxcarrés, et il prend l’un de cescarrés inconnus comme carrédu nombre (dunamis) , soitx2 ; l’autre carré est 16 – x2,

que Diophante cherche à égaler au carré«d’un nombre quelconque d’arithmosdiminué d’autant d’unités qu’il y a dansle côté de 16», par exemple à (2x – 4)2,ce qui donne l’équation 5x2 = 16x, d’oùx = 16/5.

Les manipulations de Diophanteconduisent à ne conserver qu’uneespèce égalée à une espèce : comme ledit d’Alembert (à l’article «Diophante»de l’Encyclopédie), il s’agit de «manier

terminés, mais très simples, tandis queDiophante, avec ses problèmes très dif-ficiles, est un auteur isolé dans lamathématique grecque : le seul pro-blème diophantien difficile connu endehors des œuvres de Diophante estle problème des bœufs, attribué à Archi-mède, qui conduit à l’équation du typede Pell-Fermat : t2– 4 729u2 = 1 (ceproblème concerne des bœufs qui pais-sent dans un pré ; exprimé sous formed’un poème, il propose un système

de sept équations à huit inconnues avecquelques conditions).

On connaît de Diophante uneœuvre intitulée Les Arithmétiques et unopuscule sur les nombres polygonaux,c’est-à-dire représentables par des som-mets de polygones (par exemple, lescarrés sont les nombres carrés, que l’onpeut associer aux nombres de som-mets de carrés emboîtés de plus en plusgrands) ; on lui attribue également desPorismes aujourd’hui perdus.

3. L’ARITHMÉTIQUE fut rédigée par Diophante au IIe ou au IIIesiècle de notre ère. Elle semble avoir été composée de 13 livres,dont seulement dix sont en notre possession : six sont en grecs etquatre sont en arabe. En marge de ce texte, Fermat écrivit avoirtrouvé une solution merveilleuse qui n’a jamais été retrouvée.

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tellement les inconnues ou l’inconnue,que le quarré et les plus hautes puis-sances de cette inconnue disparaissent,et qu’il ne reste que l’inconnue aupremier degré».

Les problèmes qui se rattachent auxtriangles rectangles en nombres ration-nels sont nombreux dans les Arithmé-tiques. Tantôt ces triangles interviennentcomme auxiliaires pour résoudre unautre problème, comme dans le cas duproblème 9 du livre III : «trouver quatrenombres tels que le carré de leur somme,augmenté ou diminué de n’importelequel d’entre eux, fasse un carré». Àpropos de ce problème, Diophanteobserve que si a2 + b2 = c2, alors c2 ± 2ab= (a ±b)2. Il cherche alors quatre trianglesrectangles numériques (dont on noterespectivement les deux côtés de l’angledroit (a1, b1), (a2, b2), (a3, b3), (a4, b4)) ayantla même hypoténuse c ; tous cesnombres doivent alors vérifier c2 = a1

2

+ b12 = a2

2 + b22 = a3

2 + b32 = a4

2 + b42. Il

choisit habilement de chercher lesquatre nombres sous la forme 2a1b1x

2,2a2b2x2, 2a3b3x2, 2a4b4x2, où x est unnombre à déterminer, de façon que lasomme des quatre nombres soit cx, cequi donne x = c/2(a1b1 + a2b2 + a3b3 +a4b4). Il choisit c égal à 13 × 5, soit 65,car il sait que le produit de deux sommesde deux carrés s’écrit de deux manièresdifférentes comme une somme de deuxcarrés, et donc que 652 est somme dedeux carrés de quatre manières.

Tantôt Diophante cherche plutôtdes triangles rectangles numériquesqui vérifient des conditions supplé-mentaires. Le livre VI, dans la numé-rotation grecque, est entièrementconsacré à ce genre de problèmes. Parexemple, le problème 3 du livre VIdemande de «trouver un triangle rec-tangle en nombres, dont l’aire, aug-mentée d’un nombre donné, fasse uncarré». Le nombre donné est 5 ; Dio-phante cherche le triangle sous la forme(ax, bx, cx), où (a, b, c) est un tripletpythagoricien, et le carré sous la forme(mx)2 ; avec ce choix, la condition duproblème devient (m2 – ab/2) x2 = 5. Ilfaut trouver a, b et m de manière quem2 – ab/2 soit le cinquième d’un carré.Diophante trouve à nouveau un chan-gement de variable astucieux : il prenda = 2, b = p2 – 1/p2 et m = p + 2 × 5/p,ce qui conduit au problème auxiliaire :trouver p tel que 100p2 + 505 soit uncarré. Ce problème est résolu commele problème 8 du livre II, en posant100p2 + 505 = (10p + 5)2, d’où p = 24/5et 1/5 × (265/24)2x2 = 5, soit x = 24/53.

Les mathématiciens arabes

La traduction des Arithmétiques enarabe avait été suscitée par un intérêtcroissant pour l’analyse indéterminée,à partir de la première moitié du IXe

siècle (dans les problèmes d’analyseindéterminée, on cherche à résoudre,en nombres rationnels, des systèmesd’équations qui ont plus d’inconnuesque d’équations) ; le vocabulaireemployé est emprunté à l’algèbre.

Cependant, à côté de cette lecturealgébrique de Diophante, il s’est déve-loppé au Xe siècle une lecture plus pro-prement arithmétique, dont lereprésentant le plus éminent fut al-Khâzin. Cette tradition s’intéresse auxproblèmes en nombres entiers, et passeulement rationnels, et elle revient encela à la représentation euclidienne desentiers par des segments de longueurmultiples d’une longueur de base. Elles’inscrit dans le cadre de la théoriedes triangles rectangles en nombresentiers (avec le concept de triangle pri-mitif, c’est-à-dire dont les longueursdes trois côtés n’ont pas de facteurscommuns) et elle considère de nou-veaux problèmes comme celui desnombres «congruents», que nous allonsexaminer, ainsi que des problèmesimpossibles comme la division d’uncube en somme de deux cubes.

Le problème des nombrescongruents est posé pour la première

fois dans un traité arabe anonyme, quine sera publié qu’en 1861 par l’histo-rien des mathématiques F. Woepcke,et il a été repris par de nombreuxmathématiciens. Dans la formulationd’al-Khâzin, il s’agit de «chercher unnombre carré tel que, si on lui ajouteun nombre donné et si on en retranchece nombre donné, la somme et la dif-férence soient deux carrés» (ce pro-blème consiste à trouver trois nombresentiers x, y1 et y2 tels que x2 + a = y1

2

et x2 – a = y22).

Al-Khâzin se réfère au problème 19du livre III de Diophante («trouverquatre nombres tels que le carré de leursomme, augmenté ou diminué de n’im-porte lequel d’entre eux, fasse uncarré») ; par addition des deux équa-tions, le double du carré cherché x2

est somme de deux carrés y12 + y2

2. Unepetite manipulation montre que cecarré est lui-même somme de deux car-rés, x2 = u2 + v2, où u et v sont respec-tivement la demi-somme et lademi-différence de y1 et de y2. Alors2uv est la demi-différence des deux car-rés, c’est-à-dire le nombre donné a ;inversement, si u2 + v2 = x2 et si 2uv = a,en posant y1 = u + v et y2 = u – v, ontrouve y1

2 = x2 + a et y22 = x2 – a.

Puisque les nombres x, u et v véri-fient la relation de Pythagore, x est l’hy-poténuse d’un triangle rectangle et a(égal à 2uv) est quatre fois l’aire de cetriangle ; la plus petite valeur de a est

4. DIOPHANTE FUT L’AUTEUR d’un opuscule sur les nombres polygonaux, représentables pardes sommets de polygones. Ici on a représenté des nombres triangulaires, des nombrescarrés, des nombres pentagonaux et des nombres hexagonaux.

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24 (on cherche des nombres tous dif-férents), qui correspond au tripletpythagoricien le plus petit (4,3,5).

Al-Khâzin donne ensuite plusieursméthodes relevant de l’algèbre pourrésoudre le problème en nombresrationnels et non plus entiers ; lesnombres entiers a possibles sont ditscongruents. Enfin il établit l’identité(p2 + q2) (r2 + s2) = (pr + qs)2 + (ps – qr)2,implicite dans le raisonnement de Dio-phante sur les nombres représentablesde plusieurs manières, comme sommede carrés.On retrouve cette identité dans le Livredes nombres carrés (1225) de Léonard dePise, encore connu sous le nom de Fibo-nacci. Bien qu’écrit en latin, ce livre serattache aux mathématiques arabes ; il

est publié à l’occasion une questionposée à Léonard de Pise par Jean dePalerme, à la cour de l’empereur Fré-déric II : trouver un carré x2 qui, aug-menté et diminué de 5, donne toujoursun carré. Léonard commence parl’étude générale du problème ennombres entiers, remplaçant 5 par unnombre entier a ; il établit tout d’abordque le nombre a doit s’écrire 4pq(p2 –q2) (c’est quatre fois l’aire d’un trianglerectangle), puis il montre que cenombre est nécessairement un multiplede 24.

Pour obtenir un nombre égal à cinqfois un carré, il prend p = 5 et q = 4 ; ilobtient alors a = 720 = 122 × 5, x = p2 +q2 = 41, tel que 412 + 720 = 492, et 412 –720 = 312, ce qui permet de résoudre

le problème de Jean de Palerme avecx = 41/12.

Les problèmes impossibles

Un certain al-Khujandî, au Xe siècle,aurait proposé une démonstrationincorrecte du fait que «la somme dedeux nombres cubiques n’est pas uncube» ; on connaît un texte de cetteépoque, attribué à un Abû Ja‘far (cequi est d’ailleurs un des noms d’al-Khâzin), qui pourrait bien être cettetentative. L’auteur établit géométri-quement que «pour deux nombrescubiques, leur différence est la sommedu produit du carré du plus petit côtépar la différence des deux côtés, plusle produit de la somme des deux côtéspar leur différence, en ensuite par leplus grand côté». Autrement dit : z3 –y3 = y2(z – y) + (z + y)(z – y)z. Puis,entraîné par le langage géométrique,il affirme péremptoirement que cetteexpression n’est pas un cube (au sensgéométrique), ce qui n’est évidemmentpas une démonstration.

Une liste de 33 problèmes impos-sibles considérés par Ibn al-Khawwâmal-Baghdâdî, à la fin du XIIIe siècle, estconnue par le commentaire qu’en faitun élève, Kamâl al-Dîn al-Fârisî. Al-Baghdâdi écrit : «Nous ne préten-dons pas que nous pouvons établir leurimpossibilité, mais nous affirmons quenous ne pouvons pas les résoudre».Parmi ces problèmes, le premiers’énonce : «Trouver deux carrés dontla somme et la différence soient descarrés». Autrement dit, un carré nepourrait pas être congruent. Le troi-sième problème est «trouver un tri-angle rectangle dont les côtés sontdes carrés», et le 24-ième : «diviser uncube en deux cubes». Ce sont précisé-ment les équations de Fermat pourles exposants 4 et 3.

Fermat, enfin

Diophante a été progressivement redé-couvert en grec, dans le monde euro-péen, à partir du XVIe siècle. Lemathématicien italien Rafael Bombelli(1526-1572) a consulté un manuscritdes Arithmétiques à la bibliothèque duVatican ; puis l’érudit W. Holzmann,qui signait Xylander, en a publié unetraduction en latin en 1575. Enfin leFrançais Gaspard Bachet de Méziriac(1581-1638) a publié le texte grec avecun traduction latine en 1621, et c’estdans cette traduction que Fermat a pris

5. LE FILS DE PIERRE DE FERMAT a publié e, 1670 les Arithmétiques de Diophante avecles annotations marginales de son père. Dans ces œuvres figure la mention du problème deDiophante et le texte où Fermat annonçait avoir résolu ce problème.

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connaissance de Diophante. Dans lesmarges de son exemplaire personnel,il a mis un certain nombre d’observa-tions, et son fils Samuel a publié en1670 le texte de Diophante complétépar les annotations paternelles. Cesobservations sont une source d’infor-mations précieuse pour la connaissancedes travaux arithmétiques de Fermat.

Ce dernier, comme avant lui al-Khâ-zin, distingue entre l’analyse dio-phantienne en nombres entiers, ditearithmétique, et l’analyse diophan-tienne en nombres rationnels, plusalgébrique et que Fermat rejette du côtéde la géométrie, c’est-à-dire de lascience des quantités continues. Dansun défi qu’il lance aux mathématiciensen 1657, il commence par ces mots :«Il est à peine quelqu’un qui proposedes questions purement arithmétiques,il est à peine quelqu’un qui sache lesrésoudre. Est-ce parce que l’Arithmé-tique a plutôt été traitée jusqu’à pré-sent au moyen de la Géométrie que parelle-même? C’est la tendance qui appa-raît dans la plupart des Ouvragestant anciens que modernes et dans Dio-phante lui-même. Car s’il s’est écartéde la Géométrie un peu plus que lesautres en astreignant son analyse à neconsidérer que des nombres rationnels,il ne s’en est pas dégagé tout à fait,comme le prouvent surabondammentles Zététiques de Viète, dans lesquellesla méthode de Diophante est étendueà la quantité continue et, par suite, àla Géométrie». Contrairement à Dio-phante, Fermat cherche à déterminertoutes les solutions de chaque problèmeindéterminé.

Le principe unificateur de son ana-lyse en nombres entiers semble êtresa méthode de descente infinie : danscette méthode, on part d’une solutionen nombres entiers positifs d’une équa-tion ; on en déduit qu’il existe alors uneautre solution, en nombres entiers posi-tifs, mais plus petits que les précé-dents ; puis en répétant cetteconstruction sur la solution plus petite,on trouve une solution encore infé-rieure, et on répète indéfiniment le pro-cessus. Comme toutes les solutionsainsi obtenues sont des nombres entierspositifs et qu’il n’existe pas de suiteinfinie décroissante d’entiers positifs(on s’arrête évidemment à 0), l’équa-tion ne peut avoir de solution.

Les principaux problèmes qu’ilest parvenu à résoudre par cetteméthode sont déjà énoncés dans unelettre au père Mersenne, au début

juin 1638 : trouver un triangle rectangleen nombres, dont l’aire soit un carré ;trouver deux carrés-carrés (deux puis-sances quatrièmes) dont la somme soitun carré-carré, ou deux cubes dont lasomme soit un cube ; trouver troiscarrés en progression arithmétique(avec le même écart entre le premieret le deuxième carré qu’entre ledeuxième et le troisième) sous la condi-tion que la différence de la progressionsoit un carré.

À ces problèmes, Fermat ajoute desthéorèmes : (1) Tout nombre est sommed’un, de deux ou de trois «triangles»(c’est-à-dire nombres triangulaires ;voir la figure 4) ; d’un, deux, trois ouquatre carrés ; d’un, deux, trois, quatreou cinq pentagones ; d’un, deux, trois,quatre, cinq ou six hexagones ; d’un,deux, trois, quatre, cinq, six ou septheptagones, et ainsi de suite indéfini-ment. (2) Un multiple de 8 diminuéd’une unité se compose seulementde quatre carrés, non seulement enentiers, mais même en fractions».D’autres sont énoncés en août 1659dans une lettre à Pierre de Carcavi, unmagistrat parisien avec lequel Fermatcorrespondait.

On n’a que deux exemples dedémonstrations par descente infinie dela main de Fermat : l’une se trouve enmarge d’un problème ajouté par Bachetà la fin du livre VI de Diophante : «Trou-ver un triangle rectangle dont l’aire soitun nombre donné». Fermat ajoute :«L’aire d’un triangle rectangle en

nombres ne peut être un carré(...) Sil’aire d’un triangle était un carré, il yaurait deux bicarrés dont la diffé-rence serait un carré ; il s’ensuit qu’onaurait également deux carrés dont lasomme et la différence seraient des car-rés(...) Donc si on donne deux carrésdont la somme et la différence sont descarrés, on donne par là même, ennombres entiers, deux carrés jouissantde la même propriété et dont la sommeest inférieure. Par le même raisonne-ment, on aura ensuite une autre sommeplus petite que celle déduite de lapremière, et, en continuant indéfini-ment, on trouvera toujours desnombres entiers de plus en plus petitssatisfaisants aux mêmes conditions.Mais cela est impossible, puisqu’unnombre entier étant donné, il ne peuty avoir une infinité de nombres entiersqui soient plus petits...»

Traduisons algébriquement le dis-cours de Fermat : pour le triangle rec-tangle de côtés de l’angle droit 2pq,p2 – q2, et d’hypoténuse p2 + q2, l’airepq(p2 – q2) étant un carré, les nombresp, q, p2 – q2 sont des carrés, car p et qsont supposés premiers eux (ils n’ontpas de facteur commun) et de paritésdifférentes (sinon le facteur 2 serait fac-teur commun) ; ainsi p = u2, q = v2 etp2 – q2 = u4 – v4 = (u2 + v2)(u2 – v2) estun carré, donc u2 + v2 = s2 et u2 – v2 =t2. On déduit que s2 = t2 + 2v2, et ques = m2 + 2n2, t = m2 – 2n2, et v = 2mn,de sorte que u2 = t2 + v2 = (m2)2 + (2n2)2

et (2n2, m2, u) est un nouveau triangle

x

y

0

A B

C

6. LA MÉTHODE DE LA CORDE, inventée par Newton, fut appliquée à la fin du siècle dernierà des courbes d’équation y2 = P(x), où P est un polynôme de degré égal à trois. Newton aremarqué qu’une droite qui passe par deux points de coordonnées rationnelles de la courbepasse également par un troisième point rationnel. La méthode de la tangente correspondau cas particulier où deux points sont confondus : la sécante devient une tangente, desorte qu’un point rationnel en détermine un autre.

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rectangle dont l’aire m2n2 est un carré ;alors m2 = u1

4 – v14, avec des nombres

u1, v1, tels que u12 ± v1

2 soit carré, et onvoit que u1

2 + v12 < u2 + v2. Cette

démonstration donne l’impossibilitéde l’équation de Fermat pour l’expo-sant 4.

Dans sa correspondance ou dansses travaux publiés, Fermat n’a jamaisfait allusion à son équation pourd’autres exposants que 3 et 4. Il est doncpermis de penser qu’il s’est aperçuaprès coup d’une difficulté dans ladémonstration qu’il croyait avoir pourle cas général de sa conjecture.

Les successeurs de Fermat

Pendant le XVIIe siècle, l’analyse dio-phantienne est restée un sujet à la modequi a intéressé notamment Isaac New-ton et Wilhelm von Leibniz. Au pre-mier, on doit une note remarquabledans un cahier de 1670, où il interprètel’équation diophantienne y2 = P(x),où P est un polynôme de degré égal àtrois (de la forme ax3 + bx2 + cx + d),comme la recherche des points à coor-données rationnelles sur la courbe défi-nie par cette équation. Newtonexplique comment une sécante qui jointdeux points rationnels (c’est-à-dire dontl’abscisse et l’ordonnée sont desnombres rationnels) recoupe la courbeen un troisième point rationnel, maiscette interprétation par la géométriealgébrique reste isolée, à l’époque (voirla figure 6).

Leibniz avait découvert que cer-taines manipulations de l’analyse dio-phantienne conduisant à exprimerrationnellement, en fonction d’un para-mètre, des quantités x et y liées par unerelation algébrique f(x,y) = 0, pouvaientêtre employées pour obtenir des inté-grales de y en fonction de x (l’airesous la courbe donnée par l’équationy = f(x)). On trouve une remarqueanalogue dans des lettres du mathé-maticien suisse Daniel Bernoulli (1700-1782) à Christian Goldbach (1690-1764),en décembre 1723 et en mars 1724.

C’est précisément par Goldbachque l’attention du Bâlois Léonard Euler(1707-1783) a été attirée sur les travauxarithmétiques de Fermat, à partir de1730. Euler a beaucoup étudié le grandthéorème de Fermat, et beaucoup deses travaux sont consacrés à desdémonstrations de résultats annon-cés par Fermat.

Le premier thème est l’étude deséquations diophantiennes de degré

égal à deux. En supposant connue unesolution rationnelle, il aborde larecherche des autres solutions d’unemanière analogue à celle de Diophantepour le problème 8 du livre II, et ilremarque que la détermination dessolutions entières exige la résolutiond’une équation du type de Pell-Fermat.

Un deuxième thème est l’étude deséquations de la forme y2 = P(x), où Pest un polynôme de degré égal à troisou quatre, et des problèmes apparen-tés. On peut y rattacher l’impossibilitéde l’équation x4 + y4 = z2, qu’Eulerétablit, en 1747, par descente infinie,à la manière de Fermat, et dont il tireune série de corollaires.

Les constructions d’Euler rela-tives à ces équations peuvent s’inter-préter géométriquement comme l’avaitfait Newton (méthode de la sécante oude la tangente), mais Euler n’en dit rien.Le lien avec le calcul intégral ne luiavait peut-être pas échappé, car, vers1780, il transforme l’équation y2 = P(x)en une autre équation analogue àcelle qui donne l’addition des «inté-grales elliptiques». Ces intégrales nes’expriment pas par des fonctionsélémentaires (les quatre opérations,l’exponentielle, le logarithme et lesfonctions sinus et cosinus) ; elles sontégales aux aires comprises entre l’axedes abscisses et les courbes de la formey = R(x, √P(x)), où R est une fonctionrationnelle et où P est un polynôme àune variable de degré trois ou quatre).

Euler a donné une démonstrationdu théorème de Fermat pour l’expo-sant égal à 3 ; il y fait une première allu-sion dans une lettre à Goldbach, en août1753, puis, en 1759, dans un articleconsacré aux formes quadratiques a2

+ 3b2 et m2 + mn + n2 : on passe de l’uneà l’autre en posant m = a + b et n = b – a,et Euler annonce que si t3 est représentépar la seconde forme, il en est de mêmede t, ce qui lui permet d’amorcer unedémonstration par descente infinie. Ilpublie une démonstration dans sonAlgèbre, en 1770, où il utilise desnombres complexes de la forme a + b√–3(où a et b sont des nombres entiers),en admettant que ces nombres ont unedécomposition en facteurs premierscomme les entiers ordinaires : toutnombre de cette forme se décomposeen un produit unique de nombres «pre-miers» du même type.

Cependant il remarque que l’équa-tion x3 + y3 + z3 = t3 est possible : c’estle problème 16 du livre V de Diophante,qu’il étudie dans un article de 1756. Il

pense qu’une somme de trois bicar-rés ne peut être un bicarré, tandisqu’une somme de quatre bicarrés peutêtre un bicarré (l’équation correspon-dante, x4 + y4 + z4 + t4 = u4, ne sera réso-lue qu’en 1911 par le mathématicienaméricain M. Norrie). Euler croyaitencore qu’une somme de quatre puis-sances cinquièmes ne peut pas être unepuissance cinquième, mais, en 1962,M. Birch a trouvé un contre-exemplepar ordinateur, démontrant ainsi quecette idée était fausse.

Joseph Louis Lagrange (1736-1813)a pris le relais d’Euler pendant ladizaine d’années où il s’est intéresséà la théorie des nombres. Lagrangeobtient d’abord un résultat sur lapériodicité des fractions continues denombres quadratiques : les nombresquadratiques sont les racines d’équa-tions du deuxième degré dont les coef-ficients sont des nombres entiers (parexemple, √3 est un nombre quadra-tique, parce qu’il est solution del’équation x2 – 3 = 0). On peut écrireces nombres sous la forme de frac-tions continues, de la forme géné-rale 1 + 1/(a0 + 1/(a1 + 1/(a2 + 1/(...))) ;notamment √3 s’écrit sous la forme1 + 1/(1 + 1/(2 + 1/1 + 1/2...)) dontla périodicité est égale à deux : les 1et les 2 alternent aux dénominateurssuccessifs.

À partir de ce résultat, Lagrangeétablit la possibilité de l’équation dePell-Fermat dans le cas général. Puisil obtient un critère d’existence d’unesolution pour les équations diophan-tiennes de degré deux (critère quisera amélioré par Adrien MarieLegendre). Lagrange n’aborde les équa-tions de degré trois ou quatre que dansun article de 1777, où il utilise, sousune forme exclusivement algébrique,la méthode de la tangente.

L’analyse diophantienneau XIXe siècle

Au XIXe siècle, de nouveaux cas de laconjecture de Fermat sont progressi-vement établis : Peter Dirichlet (1805-1859), alors étudiant à Paris, démontreen 1825 l’impossibilité de l’équationx5 ± y5 = 2mz5, avec m positif, par unedescente infinie fondée sur les pro-priétés des nombres de la forme a + b√5.La même année, Legendre démontrele théorème de Fermat pour l’expo-sant 5. Puis, en 1832, Dirichlet éta-blit le cas de l’exposant 14 au moyende l’arithmétique des nombres de la

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forme m + n√–7, où m et n sont nombresentiers, et Gabriel Lamé (1795-1870),en 1839, obtient une démonstrationpour l’exposant 7.

Dans les mêmes années, Legendre,Niels Abel (1802-1829) et Sophie Ger-main (1776-1831) mettent au point desméthodes élémentaires pour atteindredes résultats sur l’impossibilité dupremier cas de l’équation de Fermatxp + yp + zp = 0, avec p premier impairne divisant aucun des nombre x, y, z.Sophie Germain démontre que ce casest impossible s’il existe un nombrepremier q tel que p ne soit pas une puis-sance p-ième modulo q : lorsque 2p +1 est premier, par exemple si p = 11(2p + 1=23), on peut prendre q = 2p +1 parce que 11 n’est pas une puis-sance onzième modulo 23 (tout nombrecompris entre 1 et 22, élevé à la puis-sance 11, est un multiple de 23 aug-menté ou diminué de 1). Et Legendreétend ce résultat au cas où 4p + 1 estpremier, par exemple si p = 13 (4p +1=53).

Le premier travail d’Ernst Kummer(1810-1893), en 1837, sur l’équationde Fermat se rattache au même ordred’idées ; il établit d’abord que si l’équa-tion x2λ + y2λ = z2λ a une solution telleque λ n’ait pas de facteur commun avecle produit xyz, alors λ a un reste égalà 1 dans la division par 8.

Apparemment Kummer a initia-lement cru qu’il pourrait démontrerle théorème de Fermat pour un expo-sant λ premier impair quelconquepar une méthode de descente infinie,au moyen de l’«arithmétique desnombres cyclotomiques engendrés parα, une racine λ-ième de 1», envisagéepar Gauss dans la septième sectionde ses Disquisitiones arithmeticae : lesnombres cyclotomiques sont lesnombres de la forme a0 + a1α + a2α

2 +... + aλ–2α

λ–2, où les nombres a0, a1, a2...aλ–2 sont des nombres entiers, et où αest une racine λ-ième de l’unité, c’est-à-dire un nombre complexe vérifiantl’équation xλ = 1 ; un tel nombre estreprésentable par un point du cerclede rayon centré sur l’origine (on peutconsidérer que l’arc de cercle qui setrouve entre 1 et α est la λ-ième partiede tout le cercle). Si les entiers cyclo-tomiques avaient admis une décom-position unique en facteurs premiers,une solution (x, y, z) de l’équation deFermat pour l’exposant λ, sans facteurcommun avec x, y et z, aurait conduità l’égalité :

zλ = (x + y)(x + αy)...(x + αλ–1y)

avec, au second membre, λ nombressans facteurs communs ; on auraitdéduit que ces facteurs devaient êtretous des puissances λ-ièmes, ce quiaurait permis d’amorcer une descenteinfinie.

Toutefois Kummer découvrit en1844 que l’arithmétique des entierscyclotomiques était délicate : il n’existepas toujours de décomposition uniquede ces nombres en facteurs cycloto-miques premiers. Pour se raccrocherà l’arithmétique des entiers naturels,Kummer considère la norme desentiers cyclotomiques f(α) = a0 + a1α+ a2α

2 + ... + aλ–2αλ–2 : cette norme, défi-

nie par le produit f(α)f(α2)...f(αλ–1),est toujours un nombre entier naturel, et la norme d’un entier cyclotomiquepremier est un nombre premier ordi-naire, de reste égal à 1 dans la divisionentière par λ

Réciproquement, pour lesnombres premiers inférieurs à 1 000,Kummer a laborieusement calculé(à la main, parce qu’il ne disposaitalors pas d’ordinateur) des tables defactorisation en entiers cyclotomiquespremiers des nombres premiers ordi-naires ayant pour reste 1 dans la divi-sion entière par λ , pour tous lesnombres λ inférieurs à 24. Il a ainsidécouvert que, pour λ égal à 23, lenombre premier ordinaire 47 (deuxfois 23 plus 1) n’est pas la norme d’unentier cyclotomique, de sorte que lesentiers cyclotomiques engendrés parune racine 23-ième de l’unité n’ad-mettent pas de décomposition unique

en facteurs premiers. Cela a conduitKummer à élaborer, dans ses travauxsuivants, sa théorie des «nombres pre-miers idéaux», qu’il ne définissaitd’ailleurs pas comme des nombres : ildonnait seulement les conditions pourqu’un entier cyclotomique soit divi-sible par une puissance donnée d’untel nombre idéal. En termes modernes,les nombres idéaux de Kummer peu-vent s’interpréter comme des fonctionsassociant un nombre entier naturel àchaque entier cyclotomique, avec desconditions particulières ; l’exposant dela puissance du nombre idéal qui divisel’entier cyclotomique est précisémentcette fonction.

Kummer définit les produitsd’idéaux (on les appellerait aujourd’huides diviseurs), qu’il groupe en unnombre fini h de classes. En reprenantdes idées de Dirichlet, il étudie cenombre de classes au moyen d’unefonction analogue à la fonction zêtade Riemann (le produit, sur tous lesidéaux p premiers, de termes de la forme1/(1 – n(p)-s), où n(p) représente lanorme de p). La finitude du nombre declasses permet d’écrire les facteurs x +αky de zλ comme des puissances λ-ièmesmultipliées par des facteurs ne pouvantprendre qu’un nombre fini de valeurs.Lorsque λ ne divise pas le nombre declasses, on peut poursuivre la démons-tration comme dans le cas où h estégal à 1 (celui de l’arithmétique ordi-naire) ; on dit alors que λ est un nombrepremier régulier, et Kummer a donnéun critère pour reconnaître les nombres

P1

P2

P'2

P3

P'3

P4

D1

D2

D3

7. SUITE DE POINTS créée à partir d’une solution P1 de l’équation associée à la courbe enrouge. P1 serait une solution dite «de torsion» si l’une des droites D était verticale. Les pointsde torsion forment des groupes dont on a exploré les relations avec les points rationnels.

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premiers réguliers. Les seuls nombrespremiers irréguliers inférieurs à 100sont 37, 59 et 67.

Analyse diophantienneet géométrie algébrique

Le travail de Newton précédemmentévoqué à propos de tangentes et desécantes (inconnu jusque dans lesannées 1960) était resté sans suite, maisla connexion de l’analyse diophan-tienne avec le calcul intégral fut expli-cité pour le cas des intégrales elliptiquespar Carl Jacobi (1804-1851) dans unecourte note publiée en 1834. Jacobi yinterprète la méthode d’Euler pourconstruire des solutions rationnellesde l’équation y2 = P(x), où P est un poly-nôme de degré égal à 4, au moyen dela multiplication par un entier de l’in-tégrale de la fonction 1/√P(x).

James Sylvester (1804-1897), àl’Université de Londres, a consacré destravaux remarquables à l’étude deséquations diophantiennes de degréégal à 3 par la géométrie algébrique.Il annonce ses résultats dans une notede 1858 et il les développe dans unesérie de mémoires en 1879 et en 1880.Sa méthode consiste à construire despoints rationnels d’une courbe cubique(voir la figure 5) à partir d’un pointrationnel donné en se servant de tan-gentes et de sécantes.

En 1890, le dernier mathématiciencapable d’embrasser l’ensemble desmathématiques, David Hilbert (1862-1943), et son professeur Adolf Hurwitz(1859-1919) étudient systématiquementles équations diophantiennes à l’aidede la notion de genre d’une courbe,introduite par Rudolf Clebsch (1833-1872), à la suite de travaux de Bern-hard Riemann : on étend la méthodede la corde en remplaçant la sécante(de degré 1) qui coupe la cubique (dedegré 3, soit 1 + 2) par une courbe dedegré inférieur de deux unités au degrén de la courbe étudiée et en imposantque cette courbe passe par tous lespoints singuliers (points doubles,points de rebroussement, etc). On luiimpose en outre de passer par un cer-tain nombre de points ordinaires. Si pest le genre, ce nombre de points impo-sés doit être égal à n – 2 + p, et il restep points d’intersection. Hilbert et Hur-witz se limitent au genre égal à zéro ;ils trouvent que l’on peut passer, pardes quotients de polynômes à coeffi-cient rationnels (des «transformationsbirationnelles»), de courbes de genre

égal à zéro et de degré n définies surl’ensemble des nombres rationnels àune droite ou à une conique, et inver-sement. En réduisant ainsi le degréd’une équation diophantienne, ils arri-vent au degré 1 ou 2, que l’on saitrésoudre.

Puis, en 1901, Henri Poincaré(1854-1912), sans connaître appa-remment le travail de Hilbert et deHurwitz, consacre un article impor-tant à l’analyse diophantienne. Poin-caré voulait classer les problèmesdiophantiens en problèmes équiva-lents par certaines transformationsadaptées à la nature du problème.Comme il s’intéressait à l’analyse dio-phantienne rationnelle, les transfor-mations birationnelles à coefficientsrationnels se présentèrent naturelle-ment, et le genre, qui n’est pas modi-fié au cours de telles transformations(on dit que c’est un invariant bira-tionnel) a une signification que n’apas le degré. Poincaré traite d’abordle cas du genre zéro, obtenant le mêmerésultat que Hilbert et Hurwitz ; puisil passe au genre un, qui occupe l’es-sentiel de son mémoire.

Poincaré montre que les courbesde genre un qui ont un point rationnelsont birationnellement équivalentes àla cubique déjà considérée, d’équationy2 = 4x3 – ax – b. Il introduit les fonctionsdites elliptiques afin d’exprimer les coor-données des points de ces courbes.

Un ensemble de points rationnelsd’une cubique plane est dit stable parla construction des tangentes et dessécantes si cette construction ne fait passortir de l’ensemble. Dans une suite d’ar-ticles publiés entre 1906 et 1908, BeppoLevi cherche ces systèmes stables. Entermes modernes, il s’agit de détermi-ner quels sont les groupes de torsionpossibles dans le groupe des pointsrationnels (voir la figure 7). La détermi-nation complète a été faite par BrunoMazur, en 1978, et il est remarquableque Levi s’en soit approchée.

Contrairement à Poincaré, L. Mor-dell s’intéressait à l’analyse diophan-tienne entière ; en 1922, il voulait établirla finitude du nombre de solutionsentières d’équations diophantiennes dela forme y2 = P(x), où P est un polynômede degré trois ou quatre. Pour le degrétrois, la théorie des nombres algébriqueslui permettait de se ramener à un théo-rème d’Axel Thue, lié à la théorie desapproximations diophantiennes (com-ment estimer la rapidité de l’approxi-mation d’un nombre irrationnel par une

suite de nombres rationnels) , sur la fini-tude du nombre de solutions entièresd’une équation de la forme F(u,v) = m,où F est un polynôme homogène en(u,v), c’est-à-dire dont le degré total,pour u et pour v soit égal pour tous lestermes du polynôme (par exemple, lepolynôme uv3 + u2v2 + 4v4 est homo-gène , et de degré égal à quatre) ; maiscette méthode était inopérante en degréquatre.

Mordell s’est aperçu qu’elle lui don-nait un procédé de descente conduisantà établir que les points rationnels s’ob-tiennent à partir d’un nombre finid’entre eux par la construction destangentes et des sécantes ; c’est alorsseulement qu’il cite Poincaré et qu’il for-mule sa célèbre conjecture, sur la fini-tude du nombre de points rationnelspour les genres strictement supérieursà un.

André Weil, en 1929, a réinter-prété le résultat de Mordell en termesdu groupe des points rationnels d’unecourbe elliptique. La conjecture deMordell a fini par être démontrée en1983, par l’Allemand Gerd Faltings,qui a suivi une autre voie. Comme lacourbe de Fermat est de genre supé-rieur à un lorsque l’exposant est stric-tement supérieur à trois, le théorèmede G. Faltings indique que l’équationde Fermat n’a au plus qu’un nombrefini de solutions.

Le théorème de Fermat propre-ment dit est sorti de son isolementplus récemment, en 1987, quand ons’est aperçu qu’il se déduisait deconjectures formulées de manièrecomplètement indépendantes.Notamment un théorème de KennethRibet a montré que le théorème deFermat est une conséquence d’uneconjecture de M. Taniyama et deA. Weil sur les courbes elliptiques ;c’est cette conjecture que A. Wilesvient de démontrer.

Christian HOUZEL est professeur demathématiques à l’IUFM de Paris.

O. NEUGEBAUER et A. SACHS, Mathe-matical Cuneiform Texts, New Haven, 1945.DIOPHANTE, Les Arithmétiques, 4 vol., Édi-tions Allard et Rashed, Paris, vol. 3 et 4,1984 ; vol. 1 et 2 à paraître.G. TERJANIAN, Fermat et l’analyse dio-phantienne, Sém. d’Hist. des Math. de Tou-louse 8, pp. 57-66, 1986.P. RIBENBOÏM, 13 Lectures on Fermat’s LastTheorem, Berlin, 1979.